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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 7 - Témoignages du 21 septembre 2016


OTTAWA, le mercredi 21 septembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour étudier les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en ce mercredi 21 septembre 2016. Avant de commencer, j'aimerais présenter les personnes ici présentes.

Je m'appelle Dan Lang, sénateur pour le Yukon. Tout de suite à ma gauche se trouve le greffier du comité, Adam Thompson. J'aimerais que les sénateurs se présentent eux-mêmes et indiquent la région qu'ils représentent, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, pour la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Day : Joseph Day, pour le Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, pour l'Ontario. Bienvenue à tous.

Le président : La réunion d'aujourd'hui durera cinq heures. Elle portera sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement.

Le 21 avril 2016, le Sénat a autorisé notre comité à examiner les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement et à en rendre compte. Nous nous intéressons aux questions concernant la participation éventuelle du Canada aux opérations de paix des Nations Unies et à d'autres questions relatives à l'examen.

Nous avons également avec nous des représentants du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, à savoir le major-général Jean-Marc Lanthier, commandant du Centre de la doctrine et de l'instruction de l'armée canadienne, et le lieutenant-colonel Brian Healey, commandant du Centre de formation pour le soutien de la paix.

Le quartier général du Centre de la doctrine et de l'instruction de l'armée canadienne fournit un soutien d'état-major stratégique au commandant de l'armée canadien et un soutien d'état-major aux commandants de formation. L'état-major stratégique comprend la Direction de la doctrine de l'Armée, la Direction de l'instruction de l'Armée, le Centre des leçons retenues de l'Armée, la Direction -Environnements synthétiques de l'Armée et le Bureau de numérisation de l'Armée Kingston. Même si elles sont en garnison à Kingston, ces organisations sont des membres à part entière du quartier général de l'armée canadienne, situé à Ottawa. La formation exerce la plupart des fonctions d'état-major qui incombent normalement aux quartiers généraux, et son organisation comporte les branches du personnel, des opérations, de la logistique, des communications, des finances et des affaires publiques.

Le Centre de formation pour le soutien de la paix est un établissement de formation multinational conjoint situé à Kingston. On y offre de la formation aux soldats des Forces armées canadiennes et aux membres d'autres secteurs gouvernementaux et d'armées étrangères pour les préparer à des déploiements dans le cadre d'opérations militaires de grande envergure. Officiellement créé en décembre 2000, le Centre compte actuellement 60 employés et forme un millier de personnes par an. On y propose par exemple des cours de formation préalable aux déploiements, de la formation sur les environnements dangereux, et des cours sur la coopération entre civils et militaires et sur les opérations psychologiques.

Messieurs, bienvenue parmi nous. Je crois que chacun de vous a des remarques préliminaires à formuler. Je vous en prie, allez-y.

Major-général Jean-Marc Lanthier, commandant du Centre de la doctrine et de l'instruction de l'armée canadienne : Merci beaucoup de nous donner, au lieutenant-colonel Healey et à moi-même, la possibilité de vous parler du Centre de formation pour le soutien de la paix. Vous avez déjà expliqué ce qu'est le Centre de la doctrine et de l'instruction de l'armée canadienne.

Je suis chargé de l'instruction relative à toutes les opérations terrestres de l'armée canadienne. Je m'occuper de synchroniser la technologie et les opérations liées à l'instruction et à la doctrine. Comme vous y avez fait allusion, les secteurs fonctionnels dont je suis responsable sont l'instruction individuelle, l'instruction collective, la formation militaire professionnelle, la simulation, la doctrine et les leçons retenues de l'armée. C'est ce portefeuille qui, tous secteurs confondus, nous permet de préparer nos soldats et nos chefs aux missions que nous leur demandons de réaliser.

Le lieutenant-colonel Healey est chargé de toutes les activités et de l'instruction dont le Centre de formation pour le soutien de la paix est responsable.

Dans mes remarques préliminaires, je vous donnerai un aperçu de ce qu'est et de ce que fait le CFSP. Plus tard, si vous permettez, nous nous relaierons pour répondre à vos questions. Comme officier général je sais un peu de tout, mais peu de choses sur certains aspects spécifiques. C'est pourquoi mon collègue est ici. Il pourra approfondir mes propos.

Le sénateur Day : Nous comprenons très bien.

Le président : Nous avons beaucoup en commun.

[Français]

Les Forces armées canadiennes doivent être pleinement en mesure de mener des opérations dans l'ensemble du spectre du conflit. Elles doivent être également capables de mener des missions de combat, des opérations d'imposition ou de maintien de la paix, des opérations humanitaires et, souvent, elles doivent faire toutes ces opérations de façon simultanée. Il s'agit d'un environnement et d'un cadre très dynamiques et complexes et qui nécessitent la meilleure instruction exhaustive qu'il est possible de leur donner.

Le Centre de formation pour le soutien de la paix est un établissement d'instruction qui opère dans un environnement interarmées, inter-organisationnel et multinational, et il relève de l'armée canadienne. Il a pour mission de fournir de l'instruction individuelle particulière à certains membres des Forces armées canadiennes, d'autres ministères et de forces militaires étrangères, dans le but de les préparer à mener des opérations dans l'ensemble du spectre. Comme vous l'avez dit, il est stationné à la base des Forces armées canadiennes à Kingston et regroupe présentement un effectif de 58 militaires. Ceux-ci proviennent de la Force régulière, de la Réserve et des trois éléments de l'armée canadienne, de la Marine et de la force aérienne.

[Traduction]

Il a été créé officiellement en 2000, mais, en fait, son origine remonte à juillet 1996. Le rôle initial du CFSP était de fournir de l'instruction prédéploiement aux soldats des Forces armées canadienne et aux autres personnes destinées à participer à des opérations de soutien de la paix, mais aussi de fournir une aide aux organismes canadiens et étrangers dans le cadre d'opérations de soutien de la paix.

Son cours distinctif est le cours des experts militaires des Nations Unies en mission. Ce cours est agréé par l'ONU depuis 1998. On y préparer des observateurs militaires, des officiers de liaison ou des officiers d'état-major de quartiers généraux à des déploiements de troupes de l'ONU. Nous offrons ce cours trois fois par an. Il est accessible au personnel des Forces armées canadiennes aussi bien qu'aux soldats d'armées étrangères.

Depuis le 1er avril 2015, nous avons formé au total 109 militaires, dont 85 militaires canadiens et 24 militaires étrangers dans le cadre de six itérations de ce cours.

[Français]

En juillet 2004, le centre s'est vu attribuer des responsabilités supplémentaires à titre de centre d'excellence responsable de l'instruction individuelle relative aux opérations d'informations, aux opérations psychologiques et à la coopération civilo-militaire. Un centre d'excellence, c'est une organisation qui se voit attribuer le développement du curriculum et qui est l'expert sur un sujet en particulier. Nous donnons donc six cours reliés à ces responsabilités comme centre d'excellence et, l'an passé, nous avons formé 261 membres des Forces armées canadiennes et 63 membres des forces militaires étrangères dans le cadre de ce volet sur les informations d'opérations.

Nous avons également un protocole d'entente avec Affaires mondiales Canada pour offrir au personnel des Affaires étrangères et aux chefs de mission sélectionnés une formation sur les milieux hostiles. C'est un cours de cinq jours et, l'an passé, il a été offert à 170 membres du personnel d'Affaires mondiales.

[Traduction]

Comme je l'ai dit tout à l'heure, il s'agit d'un environnement complexe, très dynamique et en constante évolution, et nous nous y adaptons continuellement. La formation que nous offrons traduit les exigences de cet environnement opérationnel changeant.

Plus précisément, nous avons élargi notre programme de formation en fonction des exigences prévues par l'ONU à cet égard en matière d'égalité des hommes et des femmes, de paix et de sécurité, d'exploitation et de violence sexuelles, de la situation des enfants dans les conflits armés, de la violence sexuelle liée aux conflits armés et d'autres enjeux liés aux droits de la personne dans ce genre de contexte.

Le site web consacré au soutien de la paix fournit de l'information non classifiée pour tous ceux qui sont déployés sur divers théâtres d'opérations canadiennes dans le monde. On est censé y trouver des documents des Forces armées canadiennes, d'autres ministères du gouvernement et de proches alliés fournissant des renseignements utiles et à jour pour le personnel déployés dans le cadre de missions à l'étranger.

Nous avons aussi un contact avec l'Institut de formation aux opérations de paix pour offrir de la formation en ligne de l'ONU à tout le personnel des Forces armées canadiennes et d'autres ministères du gouvernement. L'Institut est un organisme caritatif public installé aux États-Unis. On y offre des cours à distance accessibles dans le monde entier sur le soutien de la paix, l'aide humanitaire et les opérations de sécurité.

[Français]

Son programme d'études, qui est utilisé au sein de différents centres de formation au maintien de la paix partout au monde, satisfait plusieurs de nos besoins en matière de formation, notamment en préparation à une mission de maintien de la paix, pour améliorer l'efficacité sur le terrain, en complément aux études en salle de classe et pour accroître le savoir et les connaissances quant au système complexe des Nations Unies.

Dans le but de suivre le rythme de l'environnement opérationnel contemporain, le CFSP s'efforce de rester en contact avec les membres qui sont déployés en mission et avec tous ceux qui reviennent de mission afin de consigner les leçons observées et de les transformer en leçons retenues. Le CFSP entretient également d'étroites relations avec les établissements d'instruction au pays et à l'étranger qui offrent des cours dans les mêmes domaines d'expertise que lui. Nous avons donc une solide base de connaissances pertinente qui nous permet d'évaluer l'entraînement en tout temps.

[Traduction]

Le CFSP est un centre de formation reconnu à l'échelle internationale, et, à ce titre, il appuie la stratégie globale du ministère de la Défense visant à réaliser les objectifs stratégiques du gouvernement du Canada à trois égards fondamentaux. Premièrement, nous participons à toutes sortes de tribunes dans le monde entier. Pour les opérations de paix, nous participons tous les ans à la conférence de l'Association internationale des centres de formation pour le maintien de la paix. La conférence a lieu cette année à Sarajevo, et le lieutenant-colonel Healey partira vendredi pour y participer.

Nous participons également à la conférence de l'Association Asie-Pacifique des centres de formation aux opérations de paix, à la conférence de l'Association latino-américaine des centres de formation aux opérations de paix et à toutes sortes d'activités de l'OTAN pour discuter d'opérations de soutien de la paix, d'opérations d'information, d'opérations psychologiques et de la collaboration entre civils et militaires.

Deuxièmement, nous envoyons nos instructeurs dans d'autres pays pour offrir de la formation et renforcer la capacité locale. Par exemple, au cours des dix-huit derniers mois, nous avons envoyé des instructeurs en Australie, au Chili, en Colombie, en Allemagne, au Guatemala, en Indonésie, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et aux États-Unis, autrement dit toute une empreinte.

Enfin, nous aidons d'autres pays en accueillant des instructeurs étrangers et des candidats au CFSP. C'est une solution gagnante à tous égards pour le Canada. Cela contribue à renforcer la capacité de nos alliés étrangers et cela enrichit actuellement notre propre capacité de formation grâce au parti que nous tirons de l'expertise, des connaissances et de l'expérience d'autres pays. L'année dernière, nous avons accueilli 24 instructeurs et 75 étudiants de 30 pays différents.

[Français]

Je m'en voudrais de ne pas mentionner que le CFSP a également offert à Kingston du perfectionnement professionnel et une formation universitaire à l'appui de l'Université Queen's, de l'Université Bishop's et de l'Université de Toronto.

En terminant, j'aimerais préciser que le Centre de formation pour le soutien de la paix possède une longue tradition d'excellence en ce qui concerne les cours reconnus par l'ONU, qu'il offre principalement au niveau tactique, et que grâce à ses contacts et à sa participation à différents forums, il réussit à apporter une contribution au chapitre opérationnel et stratégique.

[Traduction]

Merci de nous avoir donné la possibilité, ce matin, de vous parler du CFSP. Nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Chers collègues, permettez que je plante le décor. Nous avons eu un certain nombre de journées d'audience, et on a posé un certain nombre de questions concernant la doctrine de l'armée ou de l'engagement et sur ce qui régit nos forces armées quand elles sont déployées à l'étranger. J'aimerais poser une question générale pour qu'elle apparaisse dans le dossier.

Général Lanthier, quels sont les changements qui ont été apportés à la doctrine de l'Armée à la suite des échecs dont nous avons été témoins au Rwanda, en Somalie et en ex-Yougoslavie? Qu'est-ce qui a changé dans la doctrine qui pourrait protéger nos troupes, et les hommes et les femmes que nous déployons s'il y a lieu?

Mgén Lanthier : Merci de cette question.

Deux documents principaux régissent les opérations de soutien de la paix en général. Le premier est la doctrine commune des Forces armées canadiennes sur les opérations de soutien de la paix. La dernière mise à jour de ce document remonte à 2002, et il y est question de la contribution à différentes missions échelonnées dans le temps. C'est certain que le conflit en Yougoslavie, de 1992 au début des années 2000, nous a permis d'acquérir énormément d'expérience. Nous avons appris ce qu'il fallait avoir pour réaliser un mandat. Nous comprenons mieux les règles d'engagement nécessaires à l'appui d'un mandat. Quand on définit des mandats de plus haut niveau, les règles d'engagement sont préparées et transmises aux troupes. C'est ensuite encapsulé dans la doctrine.

Au niveau de l'armée dont je suis responsable, on a aussi mis à la doctrine de terrain relative aux opérations de soutien de la paix, la dernière fois en 2009. On l'a encore fait en examinant toutes les missions, et, après avoir validé les missions, le déploiement et le retour, on a encapsulé ces leçons. Comment on protège les civils? Comment on s'assure que la conduite de nos soldats est fidèle aux valeurs et aux intérêts du Canada?

C'est une formation stricte sur le code de déontologie et sur les onze règles connexes de l'éthique des Forces armées canadiennes qui imprègne le métier des armes. Tout cela fait maintenant officiellement partie du programme de formation.

Notre régime de formation est aussi beaucoup plus complexe. Nous travaillons à partir d'un plan qui est ensuite encapsulé dans une orientation militaire. C'est comme cela que nous avons intégré les leçons retenues. Un travail d'introspection nous a permis de faire des progrès et de mieux remplir le mandat dont le gouvernement nous charge.

Le président : Chers collègues, permettez que je donne suite ici.

Est-ce qu'il faut comprendre, pour que tout soit clair, que la doctrine de l'armée mise à jour jusqu'en 2002 et après, que les principes convenus dans l'armée ne sont pas négociables du point de vue de notre déploiement dans une autre tribune internationale? Autrement dit, est-ce que les Nations Unies ou d'autres institutions ne peuvent pas nous demander de modifier ce que nous estimons être dans les prérogatives de notre personnel dans certains cas si les choses dérapent?

Mgén Lanthier : Oui, tout à fait, monsieur. Le droit des conflits armés en général, c'est-à-dire les protocoles de La Haye et de Genève, n'est pas négociable. Ce sont des principes reconnus à l'échelle internationale, et nous y adhérons.

C'est un fait unique que le code de déontologie des Forces armées canadiennes est clairement enchâssé dans notre doctrine. L'ONU a son propre code de déontologie, et le nôtre est certainement aussi strict, et parfois plus strict. Et il est rigoureusement appliqué.

Le président : Je tiens à parler de cela, parce que c'est très important. On nous dit qu'il y a des règles, et ensuite on apprend que des incidents survenus dans d'autres pays ont entraîné des difficultés importantes à cause de personnes représentants les Nations Unies qui ne font pas nécessairement ce qu'elles sont censées faire selon les règles.

Donc ma question est celle-ci : quelles sont les règles applicables? Est-ce que ce sont les nôtres ou celles de l'ONU? Et ensuite qui est responsable?

Mgén Lanthier : Les règles des Forces armées canadiennes s'appliquent aux Forces armées canadiennes. Les règles des Nations Unies s'appliquent à tout le contingent. La norme la plus stricte est toujours celle qui est appliquée.

Pour ce qui est de la mauvaise conduite d'un pays en particulier, si on parle, par exemple, d'exploitation sexuelle, les résolutions des Nations Unies fournissent des paramètres très clairs qui définissent nettement les comportements acceptables et les mesures et répercussions qu'entraîne le non-respect des règles. Donc, si un contingent ne respecte pas ce code, il y a des mécanismes permettant de retirer tout le contingent, et ces mécanismes relèvent des règles de l'ONU qui garantissent la conformité à ce code de déontologie.

Le président : Il y aurait encore à dire, mais je vais passer la parole à la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de votre exposé. Est-ce que vous pourriez me donner quelques éclaircissements avant que je pose mes questions? Le Centre Pearson n'existe plus. Est-ce que c'est la raison pour laquelle vous faites affaire avec les États-Unis?

Mgén Lanthier : Non, les deux mandats sont très différents. Le CFSP se concentre sur l'aspect tactique de la formation. Le Centre Pearson s'intéressait aux aspects stratégiques et opérationnels et offrait des cours non agréés par l'ONU. Une des raisons pour lesquelles le Centre Pearson a fini par disparaître en 2002 quand on a fait la vérification est qu'on ne formait pas de personnel canadien à l'époque et que le centre formait surtout du personnel étranger avec un budget canadien. C'est pour cela, entre autres, que le Centre Pearson a fini comme il a fini.

Donc tout est différent : les mandats, les perspectives et les exigences.

La sénatrice Jaffer : Pourquoi est-ce qu'on ne formait pas de Canadiens?

Mgén Lanthier : En 2002, ce n'était pas obligatoire. Le CFSP s'occupait d'une partie de la formation. On utilisait d'autres institutions pour donner de la formation, et donc ce n'était pas une exigence. À partir de 2002, on a commencé à s'intéresser à l'Afghanistan, et cela a duré jusqu'en 2014.

La sénatrice Jaffer : Vous voulez dire qu'on travaillait plus avec l'OTAN qu'avec l'ONU?

Mgén Lanthier : L'Afghanistan a été, en fait, l'axe principal de nos efforts. Vous avez raison.

La sénatrice Jaffer : C'est pour cela qu'on ne travaillait pas avec le Centre Pearson, c'est cela? Maintenant que nous nous intéressons de nouveau aux opérations de paix, on a besoin de quelque chose comme le Centre Pearson.

Mgén Lanthier : On a besoin de quelque chose, oui, mais je ne saurais pas dire ce que le centre de soutien de la paix offrait.

J'ai participé à une conférence hier au ministère des Affaires mondiales. L'honorable Gareth Evans et l'honorable Roméo Dallaire discutaient des puissances moyennes et des opérations de soutien de la paix. Ce qui est clair, c'est qu'on a besoin d'un endroit où les différents partenaires, comme la police, l'armée, les ONG, d'autres organismes ou le secteur privé, parfois, puissent avoir une doctrine commune, une doctrine non partisane, nationale, qui tienne compte des forces de chacun, du fonctionnement de chacun, et que tout le monde puisse contribuer à l'édification d'une approche globale pour régler un problème.

Les opérations en Afghanistan en disent long sur la question. On avait des relations remarquables avec le MAECI et avec l'ACDI. Le conseiller en matière de politiques et le conseiller en développement faisaient partie des opérations, et on a eu ce genre de relations étroites pendant presque 10 ans. Quand la campagne d'Afghanistan a pris fin, les relations ont été de plus en plus rares parce qu'il n'y avait plus l'élan associé aux opérations.

Quand la prochaine mission viendra, il faudra relancer les choses et réapprendre certaines leçons apprises à la dure. Je crois qu'il faudrait une tribune pour permettre à tous les secteurs du gouvernement de collaborer et de se connaître. Ce n'est pas une partie improvisée. Ça doit être une approche assez délibérée pour maximiser les objectifs que nous poursuivons.

La sénatrice Jaffer : En Afghanistan, et tout le monde le sait ici simplement parce qu'on a des observateurs, notre participation est passée par l'OTAN, pas par l'ONU.

Mgén Lanthier : C'est une mission de l'OTAN dès 2006.

La sénatrice Jaffer : Nous avons reçu beaucoup de témoins auparavant et dans les derniers jours qui nous ont dit que le Canada n'est pas prêt à entreprendre des opérations de soutien de la paix, et ce, pour plusieurs raisons. Il y a la doctrine de l'ONU, les aspects politiques et diplomatiques de la mission, les compétences en négociation et en médiation, et cetera. Je sais que vous vous préparez avec soin, et vous avez donc sûrement entendu dire ça. Est-ce que nous sommes prêts?

Mgén Lanthier : Mon point de vue est différent de certains autres. Je suis chargé de la formation pour les opérations terrestres. La façon dont on prépare nos troupes passe par un long cycle de trois ans. Je suis désolé de vous amener sur le terrain des rouages de nos activités, mais c'est important de comprendre pourquoi nous faisons ce que nous faisons et pourquoi je crois que nous sommes prêts à faire ce que le gouvernement nous demandera de faire.

Essentiellement, pendant une année entière, une brigade et une division, donc environ 10 000 personnes, se préparent et suivent tous les cours de formation individuelle et de formation collective en groupe serré pour finalement faire un exercice de brigade, en mai, au Centre canadien de l'entraînement aux manœuvres. On entraîne donc environ 5 000 personnes pour l'ensemble des missions, y compris les opérations de combat, et c'est ce qui leur permet ensuite de participer à n'importe quelle mission.

Quand on a une mission définie sur un « théâtre d'opérations » — et qu'on connaît donc la géographie et la culture du pays, le mandat exact à remplir et les règles d'engagement applicables à l'utilisation de la force —, on passe à ce qu'on appelle « l'entraînement propre à la mission sur le théâtre d'opérations ». Ça prend en général quelques semaines, et ça permet d'orienter précisément la formation, qui est au départ très globale, en fonction d'une région pour que nous soyons prêts et capables de réagir aux situations imprévisibles. Il faut garder un seuil très élevé en tout temps pour être capable de réagir rapidement. Sinon, on ne sert à rien.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Lanthier, j'aimerais revenir à ce que vous appelez les « connaissances internationales pour la préparation des militaires ».

Je sais qu'il peut être difficile de répondre à cette question, mais avez-vous une idée du nombre de militaires qui ont acquis ces connaissances internationales pour participer à des missions de façon efficace? Sommes-nous en mesure de participer à des missions à plus d'un endroit à la fois, étant donné qu'il est nécessaire de déployer ces militaires sur plusieurs territoires?

Mgén Lanthier : Pour répondre au premier volet de votre question, nous entraînons environ 5 000 personnes chaque année afin qu'elles soient prêtes à une grande disponibilité opérationnelle, de sorte qu'avec l'ajout d'un seul volet d'entraînement spécifique à la mission, nous soyons prêts à les déployer.

Cette connaissance ne disparaît pas après cette année d'entraînement. Les militaires demeurent en haute disponibilité pendant un an et sont prêts à être déployés. En général, il y a toujours 5 000 militaires prêts à intervenir, 5 000 qui viennent de compléter l'entraînement et 5 000 en période d'entraînement. Tout cela tient compte également des différentes expériences au sein de plus petites missions. Puisque l'armée canadienne contribue au Congo, au Soudan, en Irak et au Koweït, ces connaissances sont appliquées partout. Une des caractéristiques de l'armée canadienne, c'est d'être agile, alerte et en mesure d'échelonner sa contribution.

En ce moment, notre contribution est importante en Irak. Du point de vue de l'armée, c'est un peu plus limité, mais en Irak, nous avons une cellule de renseignement toutes sources qui soutient les opérations. Nous sommes présents en Ukraine avec l'opération UNIFIER. Nous sommes aussi présents au sein de l'opération REASSURANCE, une opération de l'OTAN en Pologne.

Notre empreinte est donc assez large. Le problème lié au soutien logistique est souvent le facteur limitatif, mais en ce moment, les engagements que nous avons peuvent être maintenus.

Le sénateur Dagenais : J'aimerais revenir sur ce qu'a mentionné la sénatrice Jaffer. Plusieurs ex-militaires nous ont parlé de la formation, et vous avez mentionné que la formation était adéquate. Mais un autre élément qui ressort, c'est l'équipement. On dit souvent que les gens sont bien formés, qu'ils sont prêts, mais qu'ils n'ont pas l'équipement nécessaire.

Dans vos différentes missions, avez-vous eu des problèmes liés au renouvellement de l'équipement? On a même mentionné que, parfois, pour prendre une décision au sujet d'un char d'assaut ou d'un blindé léger, il fallait mettre 10 ans. Je ne pense pas que 10 ans sont nécessaires pour construire un blindé léger.

Concernant l'équipement, croyez-vous que vous avez l'équipement nécessaire pour effectuer les missions ou croyez-vous qu'il y aurait lieu d'en avoir davantage ou, du moins, de mettre à jour l'équipement?

Mgén Lanthier : J'ai été directeur des ressources en besoins terrestres de 2007 à 2009, et j'étais responsable de définir les besoins. Bien que ce ne soit plus mon domaine de responsabilités, je vais faire appel à mon expérience.

Nous avons introduit plusieurs nouvelles flottes de véhicules. Vous avez peut-être entendu parler du véhicule blindé léger 6.0, un véhicule à la fine pointe de la technologie, qui fait l'envie de plusieurs, qui offre une protection contre les explosifs et des systèmes de visée absolument hors pair. Nous avons introduit le véhicule de patrouille blindé léger, et 500 exemplaires sont en cours d'acquisition. Nous venons de recevoir les premiers véhicules à Gagetown.

Nous avons modernisé nos systèmes de communication et nos systèmes de visée en milieu nocturne. Donc, il y a de l'équipement. Oui, c'est long, car il y a quatre étapes à réaliser au sein des projets, il y a tout le système de soumission, il y a l'interaction avec Travaux publics. Il faut une bonne coordination pour être en mesure de traverser, selon la taille du projet, le processus du Conseil du Trésor. Il y a une bureaucratie qui est pesante.

Cependant, lorsque des besoins opérationnels immédiats sont définis, nous pouvons faire très rapidement l'acquisition de véhicules. Je pense aux véhicules RG-31, véhicules à l'épreuve des mines; c'est une question de mois pour les acquérir. Mais ce sont des véhicules qui ne demeurent pas nécessairement dans l'inventaire après la mission, parce qu'on n'a pas forcément les moyens d'entretenir ces parcs de véhicules.

Nous avons donc une certaine flexibilité, et je suis persuadé que, avec les nouvelles acquisitions qui sont en cours, nous sommes très bien équipés.

Le sénateur Dagenais : Quand vous dites qu'ils ne demeurent pas dans l'inventaire, qu'est-ce que vous voulez dire? Ils s'en vont ailleurs?

Mgén Lanthier : Certains équipements sont achetés spécifiquement pour une mission et notre financement à long terme n'inclut pas les frais nécessaires à leur entretien, à leur mise à jour. Ces équipement sont alors vendus — par exemple, à d'autres pays, et dans certains cas, ils peuvent même être donnés au pays hôte —, ou encore, bien souvent, pour être honnête, après la mission, les équipements sont en fin de vie, et il n'y a pas de valeur utile à les maintenir; c'est le cas plus souvent qu'autrement.

[Traduction]

Le sénateur Day : Je comprends très bien ce que vous nous dites tous les deux.

Général, vous êtes le commandant du Centre de doctrine et d'instruction de l'armée canadienne. Est-ce qu'il y a un centre de doctrine pour la Marine et pour l'Armée de l'air et est-ce que c'est vous qui êtes chargé de la coordination? Pourriez-vous nous expliquer comment ça marche?

Mgén Lanthier : Chaque environnement, qu'on parle de l'Armée de l'air, de la Marine ou de l'Armée de terre, a son propre centre de doctrine, qui produit une doctrine spécifique. Le tout se rejoint dans une doctrine commune, qui sert de référence quand plusieurs services contribuent à une mission.

Le Centre de guerre des Forces canadiennes est l'endroit où s'élabore la doctrine commune. Les rudiments de cette doctrine sont au cœur de tout le reste. C'est là que tout est unifié pour qu'on ait une vision commune et cohérente.

À mon niveau, j'ai le centre d'intégration air/terre à mon quartier général, parce que l'Armée de terre et l'Armée de l'air collaborent étroitement. On ne peut pas obtenir les résultats souhaités sans la contribution de l'Armée de l'air. Donc il faut avoir une doctrine commune air-terre. Voyez-le comme un diagramme de Venn, avec beaucoup de cercles superposés.

Le sénateur Day : Où se trouve le centre de doctrine de la guerre?

Mgén Lanthier : À la baie Shirleys, monsieur.

Le sénateur Day : Près d'Ottawa. Donc, quand on passe à une formation plus spécifique des opérations de soutien de la paix, vous êtes une sorte d'interagence, et vous avez les trois avec vous à Kingston?

Lieutenant-colonel Brian Healey, commandant du Centre de formation pour le soutien de la paix, Défense nationale et Forces armées canadiennes : Dans mon état-major, j'ai des représentants de l'Armée de terre, de la Marine et de l'Armée de l'air. Quand on donne de la formation, on invite des gens, par exemple, du Comité international de la Croix-Rouge, du service de police de Toronto et d'autres organismes de l'ONU qui sont disponibles pour donner les cours. C'est ce qu'on veut dire par « interagence », parce qu'on combine tout pour fournir la formation qui permettra à nos soldats de produire les résultats que le gouvernement attend de nous.

Le sénateur Day : Vous avez un certain nombre de formateurs. Vous avez parlé de 5 000 stagiaires par an pour l'Armée de terre. Je suppose que c'est de là que vient ce chiffre. Mais on parle surtout de Wainwright ou de l'exercice qui a lieu en Alberta durant l'été. Combien est-ce qu'il y en a en permanence et combien de temps est-ce que quelqu'un resterait à Kingston pour faire toute la formation qu'on donne là-bas?

Lcol Healey : Notre cours distinctif, les experts militaires des Nations Unies en mission, dure 20 jours. Les gens viennent à Kingston suivre leur formation, et ils retournent ensuite dans leurs unités d'origine pour suivre une formation administrative complémentaire.

C'est notre cours le plus long — 20 jours —, mais, du point de vue des opérations de soutien de la paix, c'est 20 jours.

Le sénateur Day : Concernant la formation et la sensibilisation à l'égalité des hommes et des femmes, à la langue et tout ça, c'est impossible en 20 jours. Comment est-ce que vous faites? C'est une partie extrêmement importante des opérations de soutien de la paix.

Lcol Healey : Le cours des experts militaires des Nations Unies en mission correspond à ce que l'ONU appelle sa formation de base prédéploiement. On intègre à notre programme de formation tout ce que le programme de l'ONU prévoit concernant l'égalité des sexes et les enjeux transversaux comme les droits de la personne ou l'exploitation et la violence sexuelles.

Comme l'a expliqué le général Lanthier dans ses remarques préliminaires, notre cours est agréé par l'ONU depuis la fin des années 1990. Le processus de certification recommence tous les cinq ans. Nous venons d'obtenir une nouvelle certification du cours. Ça veut dire que la formation que nous donnons est conforme à toutes les exigences de l'ONU, y compris en ce qui concerne l'égalité des sexes, la paix et la sécurité, et l'exploitation et la violence sexuelles.

Mgén Lanthier : Vous avez raison de dire que, si ça ne fait pas partie du programme jour après jour, on n'obtient pas tous les avantages utiles. Donc le CEMD a publié une directive sur la formation sur l'analyse comparative entre les sexes au début de l'été 2016, pour l'Armée de terre. On est en train de donner cette formation, qui s'appelle ACS+, à différents niveaux de l'ensemble des Forces canadiennes. Dans mon organisation, par exemple, tous les chefs, jusqu'au niveau des instructeurs, tout le personnel chargé d'élaborer des politiques et des programmes de formation, tous doivent suivre ce programme. Donc on élabore la formation avec ça à l'esprit.

J'ai dirigé des formations, pas seulement à Wainwright, mais toute l'année, sur toutes sortes de situations auxquelles les gens font face, comme des membres d'autres pays qui ont des comportements inacceptables, comme l'exploitation sexuelle ou la violence des forces locales à l'égard des détenus. Tous ces incidents font partie des situations envisagées au cours de la formation. Comme ça, on peut élaborer une base, et les gens qui suivent la formation peuvent vraiment comprendre ce qu'il faut faire et comment juger ces actions selon le code de déontologie.

Le sénateur Day : Est-ce que tout ça relève de la formation pour le soutien de la paix ou est-ce que c'est séparé?

Mgén Lanthier : C'est un seul bloc. Tout ce que nous faisons est pris en considération.

Le sénateur Day : Ça ne se fait pas dans les 20 jours dont on parlait avec le colonel?

Mgén Lanthier : On en parle plus précisément dans ce cours, mais ça fait partie de tout ce que nous faisons.

Lcol Healey : Je voudrais ajouter que, quand des Canadiens font le cours d'experts militaires des Nations Unies en mission, on doit envoyer une certification à l'ONU pour confirmer que la personne a suivi toute la formation conformément aux exigences des Nations Unies. C'est là que l'ONU peut décider qu'une personne ne sera pas acceptée pour d'autres raisons, et ils ont le dernier mot. Comme je l'ai dit tout à l'heure, notre formation correspond à leur formation de base obligatoire.

Le sénateur Day : Pour notre groupe, pourriez-vous nous dire le nom de l'organisme de l'ONU qui s'occuper de la certification?

Lcol Healey : Ça passe par le personnel de formation international, qui fait partie du Département des opérations de soutien de la paix.

Le sénateur Day : Général, vous avez parlé de l'Université Queen's et d'autres universités, mais vous n'avez pas parlé du Collège militaire royal, et ça se passe ici à Kingston. Est-ce qu'il n'y a pas de synergie entre votre organisation et le collège militaire?

Mgén Lanthier : Pas beaucoup. Je pense que Walter Dorn, au collège militaire, est en contact direct avec le Commandement de l'armée canadienne et le Collège d'état-major...

Le sénateur Day : M. Dorn était ici il y a quelques jours.

Lcol Healey : Les universités dont nous avons parlé dans les remarques préliminaires ont approché le CFSP parce qu'elles veulent contribuer à former certains de leurs diplômés avec mention et de leurs étudiants de deuxième et troisième cycles, et elles veulent tirer parti du fait que le Centre de formation pour le soutien de la paix se trouve justement à Kingston. Donc, on est en contact avec le Collège militaire royal, mais beaucoup plus avec d'autres universités parce qu'il y a une procédure en place.

Le sénateur Day : Mais j'imagine que, avec les futurs officiers qui sortiront du collège militaire, plus vous les sensibiliserez tôt à certains aspects du travail de soutien de la paix, aux enjeux de l'égalité des sexes, et cetera, mieux ça vaudra. Quand est-ce qu'ils suivent cette formation?

Lcol Healey : Il faut considérer le Collègue militaire royal comme une université civile. Au cours de l'année scolaire, ils font des études civiles. Tout le reste de la formation se fait, en réalité, durant l'été, quand ils retournent dans leurs environnements respectifs.

Par exemple, je suis un officier d'infanterie. Si j'étais au collège militaire, j'irais à Gagetown pour l'été. Tous ces enjeux interculturels, transversaux, comme les droits de la personne, l'exploitation et la violence sexuelles, ils vont l'apprendre dans le cadre de leur formation spécifique.

Dans les autres universités, ce qui se passe, c'est que leurs professeurs nous consultent et qu'on partage des idées en réfléchissant aux moyens de préparer au mieux nos soldats aux opérations de soutien de la paix.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs. Je suis toujours ravie, quand je suis dans ma circonscription, de voir combien de Canadiens suivent les réunions du comité de la sécurité nationale et de la défense à la télévision, et je pense que c'est parce que c'est une question qui intéresse tout le monde actuellement. À chaque réunion, avec chaque témoin, on apprend quelque chose. Merci beaucoup. Je ne me rendais pas compte de l'ampleur de votre travail.

Quand nous déployons des troupes à l'étranger, est-ce qu'il y a des exigences militaires précises dans le cadre de la doctrine qui doivent être remplies avant le départ? Est-ce que vous pourriez nous en parler?

Mgén Lanthier : Je ne suis pas sûr de vous donner une réponse directe, mais revenez à votre question, s'il vous plaît, si je ne le fais pas.

Nous définissons très précisément les exigences de formation dans ce qu'on appelle le Plan d'opération de l'armée. Ce sont les exigences générales qui nous permettent de déterminer si nous avons obtenu le niveau de professionnalisme et d'expertise technique dont nous avons besoin. Ensuite, quand il y a une mission précise, je fais circuler, au nom du commandant de l'armée, les directives sur la disponibilité opérationnelle élevée. On appelle ça les normes d'aptitude au combat. C'est une liste complète de ce dont nous avons besoin pour être préparés, selon telle ou telle norme, et qui indique quelle norme doit être respectée. Ensuite, on a des niveaux de confirmation différents.

Par exemple, je m'occupe, au nom du commandant de l'armée, de certifier et de confirmer les niveaux de brigade. Dix unités, 5 000 personnes. Un brigadier-général qui commande une division confirmera les groupes de combat. C'est comme ça qu'on respecte les exigences de formation expressément formulées. Pour une mission précise, j'irai jusqu'à la langue, la culture, le contexte politique et socioéconomique. Tous les aspects qui forment une nation seront présentés et enseignés.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup. Très intéressant.

Lcol Healey : Je voudrais ajouter que notre formation est conforme aux exigences de formation prédéploiement de l'ONU. Nous y ajoutons de l'information spécifiquement canadienne, comme les premiers soins, les moyens de guérir de la maladie mentale et le comportement à adopter en cas de capture. Ces exigences s'ajoutent à la formation de base prévue par l'ONU et permettent de mieux préparer nos soldats.

Le président : J'aimerais ajouter un mot à ce sujet avant qu'on quitte le sujet des instructeurs et de l'expertise concernant la culture et le contexte politique des pays où on pourrait déployer des troupes. Les gens qui donnent la formation, est-ce qu'ils viennent des pays en question et est-ce qu'ils fournissent des détails et des nuances sur ce qui se passe exactement là-bas?

La raison pour laquelle je pose la question est que nous avons entendu des témoins nous dire que nous envoyons parfois nos soldats dans des endroits dont ils ignorent complètement les doctrines politiques et religieuses et qui ne comprennent donc pas les dangers auxquels nos hommes et nos femmes sont exposés tous les jours quand ils arrivent sur ces théâtres d'opérations. La question est donc : est-ce que vous avez effectivement des gens qui le comprennent et qui le vivent et qui pourront donner des conseils aux officiers qui suivront cette formation?

Mgén Lanthier : Si on parle d'expertise interne au CFSP ou dans les Forces armées canadiennes, c'est assez limité. Nous comptons bien sûr énormément sur notre attaché et sur notre réseau pour obtenir une partie de ces renseignements, mais nous sommes aussi en relation avec le ministère des Affaires mondiales, où il y a des spécialistes.

Je vais demander au colonel Healey de continuer, parce que c'est lui qui s'occupe de ça au nom de l'armée et des Forces canadiennes.

Lcol Healey : Nous sommes en relation étroite avec le ministère des Affaires mondiales. Ils ont des spécialistes en sensibilisation culturelle. Pour chaque cours que nous donnons, si on connaît le secteur de déploiement prévu, ils nous envoient ces spécialistes, qui nous donnent tous les détails dont vous avez parlé pour donner aux soldats une idée du climat dans lequel ils vont se retrouver.

Le président : Mais je ne crois pas que vous ayez répondu directement à ma question. Je vais préciser.

Je viens du Yukon, à trois fuseaux horaires d'ici. On a des gens à Ottawa qui sont chargés du Yukon et des divers aspects de la vie là-bas, mais ils ne vivent pas là-bas, et, bien souvent, ils ne comprennent pas.

Alors je voudrais savoir, si vous déployez des troupes au Mali ou dans un endroit comme cela, très dangereux, vous avez dit que, si on décide d'aller dans un pays comme cela, il vaut mieux comprendre ce qui se passe tous les jours là-bas.

Est-ce que vous avez effectivement des gens de ce pays pour donner aux soldats ou aux officiers une idée de ce qui se passe, au lieu de compter sur quelqu'un qui, peut-être, a lu un livre sur ce pays?

Lcol Healey : Pour une Rotation 0, c'est très difficile à faire. Dans ce cas, on s'adresse à nos partenaires de confiance, à nos alliés, qui ont déjà déployé des troupes dans ces zones et on les invite à donner de la formation au Canada.

Après un certain nombre d'itérations, on fait ce qu'on appelle une TAV inversée, une visite d'aide technique inversée. Nous invitons des commandants qui sont déjà allés sur le terrain, qui ont eu des interactions avec la population locale et qui ont peut-être de l'information sur certains lieux de friction. Ils reviennent et alimentent la formation qui est donnée.

Le président : Je pense que cela répond en partie à ma question.

Le sénateur White : Merci à vous deux d'être parmi nous. Excusez-moi de mon retard.

Ce que vous dites sur les programmes de formation est intéressant. On dirait que vous avez un bloc de base, que vous modifiez selon ce que vous savez de la situation. Mais il faut identifier la capacité et les lacunes à mesure. Comment est-ce que vous renvoyez cela à Ottawa? L'autoroute n'est pas toujours si rapide. Comment renvoyer tout cela à Ottawa pour expliquer que, bon, on a l'intention d'aller en Afrique ou au Mali, ou peu importe, et on pense qu'il y a des problèmes? Est-ce que vous dites simplement : « nous, c'est l'armée ». Comme l'a dit quelqu'un hier, « on est l'organisation qui dit toujours que oui, c'est possible ». Comment faire pour vous assurer que ces capacités et ces lacunes sont prises en considération le mieux possible?

Mgén Lanthier : Je vais vous répondre à l'échelle d'une armée. Quand on reçoit directive, on identifie les paramètres et les exigences de la mission. Ensuite on cartographie le tout en fonction de nos capacités à tous les niveaux : est-ce que nous avons la doctrine qui convient, le matériel dont nous avons besoin, la formation utile, et les installations, les armes et les munitions nécessaires? Ce qui est dans l'ordre du possible, nous le faisons. Pour le reste, nous cernons les lacunes et les stratégies d'atténuation.

C'est un processus itératif. Est-ce que les stratégies d'atténuation proposées sont valables? Est-ce qu'il existe un risque résiduel acceptable pour Ottawa et, bien sûr, pour le gouvernement du Canada? C'est ce qui va faire évoluer le mandat ou les paramètres de la mission jusqu'au seuil des risques acceptables. On ne peut pas éviter tous les risques, mais on déploiera toujours des troupes en comprenant les paramètres et les capacités pour que les deux correspondent.

Le sénateur White : Merci beaucoup de ces explications. Je comprends que vous essayez de réduire ces écarts. Notre collègue est du Yukon, et on sait que le travail effectué dans des collectivités isolées est du même ordre. On finit par se heurter aux mêmes lacunes dans certains secteurs.

Il y a un certain nombre d'années, en Afghanistan, on se posait des questions au sujet de la CIVPOL de l'ONU, le versant policier, en dehors de la zone protégée, et on se demandait s'ils avaient reçu le même niveau de formation que les militaires dans les mêmes conditions. En fait, ils ne recevaient pas du tout la même formation. Je sais que, à l'époque, le MAECI, l'équivalent des Affaires mondiales d'aujourd'hui, s'était demandé s'il fallait modifier la formation.

Quand on pense aux missions à venir, est-ce que vous faites aussi participer les organismes de police pour vous assurer qu'ils reçoivent la formation que vous donnez, pour combler les écarts au maximum, ou est-ce que vous les invitez directement aux cours de formation?

Mgén Lanthier : Quand on donne une formation, on invite nos alliés et d'autres organismes. On envoie des conseillers en matière de politique. On envoie les partenaires habituels.

Concernant la police civile, à moins que la formation porte sur un théâtre d'opérations particulier et non de la formation générale, il n'y a pas de mécanisme pour cela, à aucun niveau. Je n'ai ni les ressources ni le mandat pour faire cela. Je ne peux pas vous répondre à un plus haut niveau, malheureusement, pour vous donner une idée de la perspective à ce sujet.

Lcol Healey : Monsieur, si vous permettez, nous avons d'excellentes relations avec le service de police de Toronto. Dans le cadre du cours d'experts militaires des Nations Unies en mission, il faut procéder à des enquêtes, des interrogatoires et à des suivis. Le service de police de Toronto nous fournit des instructeurs qui viennent ici. Grâce à ces relations, ils se familiarisent avec la formation que nous faisons, et il y a donc des échanges. Nous avons aussi des relations avec le centre de formation de la GRC.

Il y a tous ces échanges, mais il faut trouver de meilleurs moyens d'engager l'ensemble du gouvernement.

Le sénateur White : Je comprends très bien, mais, quand le service de Toronto vient ici, le but est de renforcer la capacité. Ma question est plutôt de savoir s'il y a un renforcement de la capacité pour ces services de police. Il n'y a pas que la GRC. Plus de la moitié des policiers qui se rendent sur des théâtres d'opérations actuellement ne sont pas des agents de la GRC. En fait, environ 65 p. 100 n'appartiennent pas à la GRC.

Est-ce qu'il serait possible de nous remettre un exemplaire de programme qui nous montrerait comment se déroule la participation des services de police? Je suis un peu inquiet, actuellement, de ce qui se passe quand les policiers reviennent. Au printemps dernier, nous avons eu des discussions avec le ministre Goodale au sujet des nombreux services de police qui récupèrent des agents souffrant de différents problèmes et du fait qu'ils ne sont pas pris en charge par le ministère des Affaires des anciens combattants du point de vue médical de la même façon que les agents de la GRC. Est-ce qu'il serait possible d'avoir un programme pour voir s'il y a suffisamment de liens? Parce que je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. Sauf votre respect, car je respecte ce que vous faites, Messieurs.

Mgén Lanthier : Si nous constatons une lacune, on en revient à une de mes remarques précédentes : nous n'avons pas cette tribune ou, disons, cette capacité à donner une formation collective pour que tous ceux qui sont déployés aient une formation commune et une compréhension commune de la doctrine. Je ne sais pas si on peut vous fournir quelque chose parce que je ne sais pas, à mon niveau du moins, si cela existe.

Lcol Healey : Nous donnons de la formation sur les environnements dangereux. Cela s'adresse aux fonctionnaires civils parce que nous avons une entente de service avec Affaires mondiales. Donc nous avons de la formation pour préparer les civils. Est-ce que cela pourrait être intégré pour mieux préparer les policiers? Je pense que c'est une bonne question, monsieur, et nous nous en occuperons.

La sénatrice Jaffer : Le président vous a posé une question sur la connaissance de la région. Je connais bien le Mali. J'y ai passé du temps. Un de vos principaux atouts, et je suis sûre que vous avez simplement oublié de le signaler, ce sont nos agents du service extérieur qui ont travaillé des années au Mali et qui savent énormément de choses. Le Mali n'est pas un territoire nouveau pour nous, parce qu'on y parle le français. Nos agents du service extérieur ont passé des années là-bas, et nous avons de solides connaissances sur ce pays. Je suis sûre que vous y aurez accès.

Je voudrais revenir au Centre Pearson. J'ai regretté qu'on le ferme parce que j'y ai travaillé. Je sais qu'il permettait de rejoindre les civils et qu'il vous aidait, vous, à vous familiariser avec les relations avec les civils et les opérations de soutien de la paix. Par quoi est-ce qu'on l'a remplacé?

Mgén Lanthier : Cela ne fait pas partie de mon mandat. C'est un mandat à l'échelle du gouvernement. Mon mandat est de donner une formation au niveau tactique pour le succès des missions au niveau tactique. C'est vraiment ce que fait le CFSP dans le cadre de la stratégie globale de formation. C'est un peu en dehors de mon domaine, madame.

La sénatrice Jaffer : J'ai une dernière question. Quand j'ai vu les hommes et les femmes extraordinaires avec lesquels vous travaillez sur le terrain, j'ai vu que vous faites beaucoup avec assez peu de soldats sur le terrain, mais grâce aux conseils stratégiques que vous fournissez. Par exemple, au Darfour, j'ai remarqué que vous donniez des conseils stratégiques sur l'Union africaine aux hommes et aux femmes. Je crois que votre force, c'est la formation, l'expertise que vous apportez, le haut niveau de nos hommes et de nos femmes, des Forces armées canadiennes, mais j'ai un préjugé favorable, bien sûr, puisque je suis Canadienne. C'est votre force, n'est-ce pas? Est-ce que je me trompe? Ce n'est pas le nombre de troupes qui sont envoyées. C'est la compétence et le savoir que vous partagez dans le cadre des opérations de soutien de la paix.

Mgén Lanthier : Je pense que nous avons énormément approfondi nos connaissances et notre capacité à faire du renforcement de capacité des forces de sécurité. C'est important à savoir. Cela peut se faire, et on le fait très bien au niveau tactique.

J'ai été envoyé à Kandahar pour la première fois en 2006, pour donner de la formation à une brigade, un bataillon, des forces afghanes, le 205e Corps. Ensuite, quand j'ai été déployé pour une année complète, en 2011-2012, c'était pour faire la même chose, mais au niveau stratégique, pour faciliter la création du ministère de l'Intérieur et du ministère de la Défense des forces afghanes.

Ce que je veux dire, je crois, c'est que nous avons englobé tout le spectre. Si on ne développe pas le niveau de la gouvernance, si on ne réforme pas le secteur de la sécurité au plus haut niveau, si on ne s'occupe pas de cela, du point de vue économique, du point de vue de la justice, du droit, du point de vue constitutionnel, si on ne s'attaque pas à tout cela en même temps et qu'on ne donne pas suite jusqu'au niveau tactique , eh bien, c'est la durabilité du succès de la mission qui est compromis. Cela doit être un effort vraiment global, à l'échelle du gouvernement et à travers tout le spectre des capacités.

La sénatrice Beyak : Vous venez juste de répondre à la plupart de mes questions, mais il y a quelque chose que vous avez dit tout à l'heure qui en soulève une autre. Vous avez dit qu'on a besoin d'un endroit où les différents partenaires peuvent forger une doctrine commune. Je me demandais si vous pensez qu'on aurait besoin d'un nouveau centre Pearson ou si vous avez assez de fonds pour concrétiser les buts et objectifs du gouvernement en matière de formation pré et post-déploiement de nos alliés dans les pays en développement qui envoient des soldats pour les missions de l'ONU?

Mgén Lanthier : Comme il n'y a pas de centre reconnu et officiellement financé, avec des priorités claires, on travaille selon la capacité de chaque organisation. Les Forces armées canadiennes sont un cas unique au sens où toute notre vie est vouée à la formation pour les éventualités. Affaires mondiales Canada et les autres services ou organismes de police n'ont pas de capacité de formation. Leur tâche quotidienne consiste à remplir un rôle précis en fonction d'objectifs précis.

Tout ce que nous faisons est plutôt ponctuel et adapté à la situation, selon le caprice du parti du jour pour tel ministère ou tel organisme. On a besoin de créer cet espace pour donner de la formation et que ce ne soit pas une équipe de fortune qui se présente, mais bien une équipe qui aborde de la même façon les opérations de stabilisation ou les opérations de soutien de la paix. D'après moi, il y a une certaine lacune à ce sujet, et il faudrait que cela prenne une forme quelconque. Un endroit? Une tribune? Une série d'orientations et de directives? Il faudrait y réfléchir, je crois.

La sénatrice Beyak : Merci, c'était très instructif.

Le sénateur Day : Cela pourrait être utile de noter au dossier l'endroit aux États-Unis où se trouve le Centre de formation aux opérations de paix.

Mgén Lanthier : Nous en prenons note, monsieur, et nous vous reviendrons avec l'information.

Le sénateur Day : Pas de problème. Ce serait bien. Comme cela, on le notera au dossier.

Lcol Healey : En fait, j'ai de l'information promotionnelle que vous pouvez consulter à votre guise. C'est en ligne.

Le POTI ne remplace pas le Centre Pearson. Le POTI, c'est l'Institut de formation aux opérations de paix, qui est un organisme caritatif situé aux États-Unis. Il nous permet de regrouper les apprentissages pour tirer parti de certains éléments d'information de l'ONU. Leur programme est fondé sur le système interne de l'ONU, et ils proposent des scénarios et de petits sketches, qu'on utilise pour compléter notre formation. C'est un moyen, pas une fin. Cela ne remplace pas le Centre Pearson.

Le président : J'aurais un mot à dire à la suite de la question du sénateur White, et cela concerne la doctrine de l'armée et son application à tous les militaires. On nous a dit que les réservistes sont traités un peu différemment dans bien des cas par rapport aux militaires de l'armée régulière. On nous a raconté bien des choses, pas seulement durant ces audiences, mais depuis plusieurs années.

J'imagine que la doctrine de l'armée s'applique de telle sorte que tous les militaires soient traités de la même façon. Donc, si c'est le cas, pourquoi est-ce que les réservistes et d'autres sont traités différemment, par exemple sur le plan médical ou sur le plan de la formation? Est-ce que vous pouvez nous expliquer cela? Et, si la doctrine n'énonce pas ce principe, quelle en est la raison?

Mgén Lanthier : Pour ce qui est de la doctrine, elle s'applique à tous sans distinction dans ce que nous essayons d'accomplir. C'est le principe directeur qui guide nos opérations et nos activités, et il s'applique de façon égale.

La différence, c'est que les militaires de la Force régulière font cela à temps plein. Les réservistes le font à temps partiel, quelques soirées et un week-end par mois. Donc, le niveau et la norme qu'on peut atteindre durant la même période sont différents, et les attentes en matière de formation sont donc différentes aussi.

Pour les déploiements, la norme est exactement la même. C'est pour cela que le lieutenant-colonel Healey a dit qu'on n'emploie pas de réservistes dans les Rotations 0, parce que ce genre de déploiement, souvent, ne permet pas aux réservistes de rattraper le niveau et la norme de préparation nécessaires. Nous sommes conscients de cette lacune.

Le président : Nous approchons de la fin de notre séance. Je suis sûr qu'on l'a dit ici, mais je rappelle que même pour les réservistes qui partent à temps plein, il y a des différences de traitement au final. Je crois que c'est à cela que le sénateur White faisait allusion également. Je suis convaincu que c'est une cause de souci pour vous aussi du point de vue des prestations et autres avantages applicables.

Cela dit, je veux remercier nos témoins pour leur comparution.

Honorables sénateurs, voici notre deuxième groupe de témoins, il s'agit de : Petra Andersson-Charest, directrice des programmes, Centre parlementaire et de Paul LaRose-Edwards, directeur exécutif, CANADEM. Soyez les bienvenus.

Je rappelle que le Centre parlementaire est une organisation non gouvernementale internationale créée en 1968, qui a son siège au Canada. Elle offre aux parlementaires du monde entier des services d'experts dans le domaine législatif, social et économique. Son énoncé de mission actuel tourne autour d'un plan stratégique triennal visant à améliorer la gouvernance et la participation des citoyens au processus démocratique. Ses activités couvrent notamment la formation des parlementaires à la prévention des conflits et au maintien de la paix.

CANADEM est une organisation non gouvernementale à but non lucratif établie en 1996 par M. LaRose-Edwards. Son principal objectif est d'aider à mobiliser et à préparer des experts qui peuvent apporter une contribution à la paix et à la sécurité internationales. Elle compte aujourd'hui parmi ses collaborateurs plus de 25 000 experts dans les domaines militaire, de la gouvernance et de la réaction aux crises humanitaires.

Monsieur LaRose-Edwards, je vous en prie, allez-y.

M. Paul LaRose-Edwards, directeur exécutif, CANADEM : Sénateur Lang et membres du comité, merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous. À l'instar du sous-ministre adjoint Gwozdecky, dans son témoignage, je me centrerai sur les opérations de paix de l'ONU dans leur acception la plus large et sur la contribution dans le domaine civil que peut apporter le Canada.

À peu près à mi-chemin de mon parcours de 35 ans dans la fonction publique internationale au service de l'ONU et d'autres organismes, j'ai pris définitivement conscience du fait que le changement systémique est impulsé par des individus capables d'innovation, qui introduisent de petits changements dans leur environnement de travail immédiat. Ces individus mettent en place des solutions pratiques et font bouger les choses en dépit des obstacles organisationnels et, quand il existe une masse critique d'individus capables d'innovation qui font bouger les choses, alors le changement systémique à l'ONU se produit miraculeusement.

Donc, en 1996, dans le cadre de la contribution du Canada au renforcement des opérations de l'ONU sur le terrain, les Affaires étrangères nous ont accordé un financement pour créer CANADEM, la réserve civile du Canada. Il s'agit d'un outil visant à recenser les Canadiens travaillant dans la fonction publique internationale afin de trouver les moyens de les intégrer au processus de recrutement de l'ONU pour les postes allant du niveau P2 aux niveaux D1 et D2, à savoir le grade diplomatique. Nous sommes fiers de renforcer l'ONU en recrutant un expert après l'autre.

Cela demeure notre rôle principal, que l'on remplit grâce à notre réservoir de 14 000 Canadiens et 15 000 autres non-Canadiens. En cours de route, les gouvernements canadien et britannique, l'ONU et d'autres organismes nous ont financés pas seulement pour trouver les experts dont ils avaient besoin, mais pour les engager et les déployer dans le cadre de missions de l'ONU sur le terrain, notamment des experts en matière d'urgence humanitaire, des observateurs d'élection et de cessez-le-feu ou des experts dans le domaine de la gouvernance et des droits de l'homme.

L'une des contributions les plus importantes que le Canada puisse apporter aux opérations de paix, selon moi, pourrait bien consister à faciliter le recrutement d'individus qui conviennent spécifiquement à ces opérations. Même prises au sens étroit, les opérations de maintien de la paix ne sont pas, d'abord et avant tout des opérations militaires. Notre intuition nous suggère le contraire, d'autant que, dans la plupart des opérations de paix de l'ONU, les effectifs militaires sont largement supérieurs aux effectifs civils. Mais comme vous le savez, le commandant des forces militaires relève du chef de mission qui est un civil, invariablement le représentant spécial du secrétaire général. En matière d'opérations de paix, la solution n'est jamais militaire. Les solutions durables relèvent de la politique, de la primauté du droit et de la société civile.

Cela a encore été confirmé récemment par le groupe de travail indépendant de haut niveau sur les opérations de paix, en 2015. Selon lui, le respect de quatre grands principes détermine le succès des opérations de paix. Le premier est valable pour toutes les opérations de paix :

La politique doit avoir la primauté. Les solutions politiques doivent toujours inspirer la conception et le déploiement des opérations de paix de l'ONU et l'élan politique doit être maintenu.

En raison de l'importance des civils dans les opérations de paix de l'ONU, c'est là sans doute que le Canada peut apporter la plus grande contribution à ces opérations. Comme vous le savez, le facteur coût limitera toujours l'importance de la contribution militaire du Canada. Par opposition, la participation de civils canadiens aux opérations de paix n'entraîne pratiquement aucuns frais pour le Canada de sorte qu'il lui serait facile d'accroître considérablement la proportion de civils canadiens qui y prennent part.

Normalement, les opérations de paix engagent directement leurs personnels civils, il s'agit donc uniquement pour le Canada de veiller à ce que des candidats canadiens triés sur le volet soient pris en compte dans les procédures de recrutement de l'ONU. Les opérations de maintien de la paix emploient à elles seules plus de 19 000 civils, les missions politiques plus de 3 000 et il y a encore d'autres types d'opération de paix. L'ONU paye leurs salaires de sorte que le Canada peut accroître sa présence dans les opérations de paix sans bourse délier.

Mais le processus de recrutement de l'ONU connaît des dysfonctionnements. Permettez-moi de nouveau de citer le groupe de travail :

Il n'est guère de sujet qui suscite autant de frustrations sur le terrain à tous les niveaux du personnel. Les procédures existantes pour le recrutement et l'installation du personnel sont lourdes et lentes... les opérations de paix ont également besoin de souplesse pour qu'il soit possible de s'adjoindre les services d'individus dotés de compétences spécifiques et d'une expérience pertinente pour remplir un mandat particulier ou répondre à une situation particulière, pour une période donnée, et pour se séparer ensuite d'eux.

Ce dysfonctionnement de longue date en matière de recrutement à l'ONU offre au Canada la possibilité d'apporter son soutien. En mettant en lice nos meilleurs candidats, plus de Canadiens seront embauchés, la participation canadienne aux opérations de paix de l'ONU s'en trouvera renforcée. Cela peut se faire pratiquement sans frais pour le Canada et ne pas en profiter serait se priver d'une excellente opportunité. Ce serait « perdre » une occasion, parce que pendant une décennie le Canada a su en profiter, puis il l'a laissée s'échapper en 2007. On trouvera en annexe à ce mémoire une explication plus détaillée de cette recommandation « Refonder le partenariat Canada ONU : le volet recrutement ».

J'aborderai brièvement les opérations humanitaires de l'ONU et leur mécanisme de partenariat activable à la demande en cours de renforcement ainsi que ses ramifications du point de vue des opérations de paix.

Une trentaine environ d'organismes dans le monde sont financés par des gouvernements pour recruter des experts qui sont détachés au service des opérations humanitaires de l'ONU. L'ONG à laquelle j'appartiens, CANADEM, fait partie des 10 premières de ces 30 agences. Nous recevons un financement de 5 millions de dollars de la part du gouvernement britannique et de 1,5 million de dollars du gouvernement canadien. Il ne s'agit donc pas d'une option gratuite, mais c'est un mécanisme important pour les opérations sur le terrain de l'ONU dans le secteur humanitaire, qui permet de recruter les experts voulus, au moment voulu, pour la durée voulue.

Je signale ce mécanisme parce qu'il est maintenant question de l'appliquer également aux opérations de paix de l'ONU. Nous recommandons, lorsque cela se fera, que le Canada s'efforce de fournir directement l'assistance d'experts civils aux opérations de paix.

Je vais sauter mes commentaires concernant les missions sur le terrain de l'OSCE parce que cela ne présente sans doute pas un intérêt immédiat pour vous, mais je me ferai un plaisir d'y revenir et de parler des 50 Canadiens qui participent en Ukraine à la mission spéciale de contrôle de l'OSCE.

Afin de renforcer encore l'impact de la participation des civils canadiens aux opérations de paix, permettez-moi de présenter deux recommandations sur la façon d'aider les Canadiens non seulement à entrer au service de l'ONU, mais aussi à réussir dans le cadre du service international, chose peut-être plus importante encore. Dans un cycle vertueux, une meilleure performance des Canadiens se traduit par un impact plus grand des opérations de paix, un avancement plus rapide des Canadiens et donc de meilleures possibilités pour eux d'accroître l'impact de l'ONU et, par extension, du Canada. De même que l'armée canadienne bénéficie de la formation et de la direction sur le terrain, de la gestion sur le terrain, de la planification opérationnelle, et cetera, de même les civils canadiens pourront tirer parti de la formation sur le terrain, notamment en ce qui concerne la façon de maximiser leurs activités de promotion des opérations de l'ONU. Nous recommandons que le Canada se dote d'un organisme de formation des civils sur le modèle du Centre Pearson pour le maintien de la paix originel.

En second lieu, nous recommandons la création d'un corps civil canadien. Diverses missions pourraient lui être confiées, notamment celles de promouvoir le recrutement de Canadiens dans la fonction publique internationale, de donner aux Canadiens déjà au service de la fonction publique internationale une association qui puisse faciliter leur service international et qui renforce les liens d'Affaires mondiales Canada avec les milliers de Canadiens qui travaillent dans la fonction publique internationale. On trouvera également cette recommandation en annexe au présent document.

Nous souhaitons enfin apporter notre soutien au plan d'action du Canada pour la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité. Nous trouverons en annexe notre recommandation demandant que le Canada se fasse le champion de la réforme au titre de la résolution 1325, en encourageant la candidature de personnalités féminines fortes dans le service international partout à l'ONU, y compris dans les opérations de paix. CANADEM présentera des personnalités féminines fortes comme candidates au recrutement à l'ONU, mais c'est l'ONU qui engagera et paiera ses personnels, ce qui ne coûtera rien au Canada. Il pourrait s'agir là, je crois, de la plus grande contribution que puisse faire le Canada.

Permettez-moi de conclure mes remarques d'ouverture sur ces mots; je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le président : merci

Madame Anderson-Charest.

Mme Petra Anderson-Charest, directrice des programmes, Centre parlementaire : Merci beaucoup, monsieur le président et membres du comité, d'avoir donné au Centre parlementaire la possibilité de se présenter aujourd'hui devant votre comité.

Comme l'a signalé le président, le Centre parlementaire est un organisme à but non lucratif et non partisan qui, depuis une cinquantaine d'années déjà, soutient les pratiques de bonne gouvernance au niveau national, sous national et régional. Nous avons contribué à renforcer la capacité d'environ 120 législateurs à mieux s'acquitter de leur rôle de surveillance de la législation et de représentants, en travaillant en étroite collaboration avec l'ensemble des institutions et acteurs en matière de gouvernance, notamment de la société civile et des médias. Nous travaillons au niveau international, mais il peut être intéressant de préciser que nous sommes nés en tant que centre de soutien pour le Parlement du Canada dans le domaine des affaires internationales, du commerce et de la défense.

J'essaierai de montrer, dans mes remarques, pourquoi, selon le Centre parlementaire, le gouvernement doit adopter une méthode d'ensemble d'approche des opérations de paix qui ait pour pivot la bonne gouvernance afin de renforcer la sécurité et de construire une paix durable.

Comme vous le savez, le Canada est l'un des pays qui se sont engagés en faveur du programme de développement durable à l'horizon 2030. Ce programme reconnaît qu'il ne peut y avoir de développement durable sans paix et sécurité et qu'il ne peut y avoir de paix et de sécurité sans développement durable. Pour notre part, l'expérience nous a enseigné qu'il ne peut pas non plus y avoir de développement durable sans bonne gouvernance.

On peut se représenter la bonne gouvernance comme le système immunitaire qui assure la stabilité, la fiabilité et la prévisibilité nécessaires pour garantir la primauté du droit, la sécurité des citoyens et la mise en place d'un climat des affaires favorable à l'investissement et à la prospérité nationale. Elle permet d'atténuer les conflits et la fragilité de l'État. La bonne gouvernance fournit le meilleur processus possible de prise de décision, à la fois inclusif, transparent et responsable, en même temps qu'équitable et significatif à tous les niveaux. Elle offre également aux pays le moyen le plus efficace de s'approprier leurs propres efforts en vue de réaliser le développement durable et la paix.

Comme on nous l'a dit, les opérations de paix exigent une volonté politique et des moyens adéquats. Bien souvent, le seul moyen de régler ou de prévenir les conflits consiste à faire en sorte que les différentes parties prenantes s'entendent sur la façon de mettre en place un modèle de gouvernance stable et efficace. Construction de la paix et bonne gouvernance sont indissociables. L'une ne va pas sans l'autre.

Il convient donc de considérer le soutien accordé à la mise en place d'institutions fortes et efficaces comme l'un des outils d'une vaste panoplie à la disposition du Canada pour aider à la prévention des conflits, à la construction de la paix et à la reconstruction dans la période d'après conflit. Nous partageons et défendons l'idée qu'il convient de mettre en œuvre toute une panoplie d'outils et une variété d'acteurs aux différentes étapes des opérations de paix. En outre, pour en revenir aux remarques du président un peu plus tôt, les outils doivent être adaptés aux spécificités historiques, culturelles et politiques de chaque pays.

Les interventions du Canada dans les opérations de paix doivent reposer sur une approche globale de type holistique reposant sur la coopération et la coordination entre les différents acteurs comme les forces militaires, la police, le corps diplomatique, les experts civils et les organisations comme la nôtre qui travaillent au développement de la démocratie, dans le domaine de l'aide humanitaire et des secours d'urgence.

Les ressources disponibles pour les opérations de paix au Canada et ailleurs n'augmenteront sans doute pas aussi vite que les défis de sécurité un peu partout dans le monde : le Canada devra faire davantage avec moins, et savoir innover pour faire face à ces défis.

C'est pourquoi le Centre parlementaire est partisan d'une approche globale du gouvernement. Une coordination plus étroite entre les ministères des Affaires mondiales, de la Défense nationale et de la Sécurité publique sera indispensable pour identifier les lacunes et éviter les chevauchements entre les activités.

En combinant les connaissances de notre personnel hautement qualifié du secteur militaire et des forces de police avec celui des organisations et des experts canadiens, nous obtiendrons une valeur ajoutée pour nos opérations de paix. Il est important que cette action combinée soit efficace, efficiente et axée sur les résultats. Il faut qu'elle repose sur une compréhension commune de ce en quoi consiste une opération de paix réussie et qu'elle obéisse à des critères bien définis pour pouvoir déterminer les progrès et mesurer les résultats.

Pour s'assurer que la bonne gouvernance devienne réellement le pivot permettant de renforcer la sécurité et de construire une paix durable, il faut remédier aux lacunes en matière de soutien par rapport aux besoins. On a tendance à privilégier de plus en plus les projets de développement internationaux en matière de gouvernance et le programme modernisé des opérations de paix et de stabilisation des Affaires mondiales aidera à cela, mais les processus exigeant des délais d'approbation longs constituent un obstacle à un engagement efficace, pertinent et à propos.

Lorsqu'on travaille avec des pays et des États fragiles s'efforçant de progresser dans la voie d'un développement durable, le facteur temps est toujours déterminant, et tout comme le Canada dispose d'un mécanisme pour répondre aux désastres naturels ou d'origine humaine avec son équipe de soutien en réaction aux désastres, le Centre parlementaire recommande qu'un mécanisme semblable soit mis en place pour assurer une réponse rapide lorsque la défaillance des systèmes de gouvernance se traduit par une aggravation des défis sécuritaires. Il pourrait suivre le modèle du mécanisme de réaction rapide du Royaume-Uni applicable à tous les secteurs du gouvernement, qu'on appelle Fonds de sécurité et de stabilité pour les conflits. Le Centre parlementaire est l'une des organisations qui ont été présélectionnées pour participer à ce cadre.

En conclusion, le Centre parlementaire souhaite souligner que pour garantir le succès des opérations de paix du Canada, on ne saurait sous-estimer la bonne gouvernance.

Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité, d'avoir permis au Centre parlementaire d'être ici et j'attends avec impatience vos questions.

Le président : Merci à tous les deux pour vos présentations.

La sénatrice Jaffer : Merci à tous les deux d'être venus ici aujourd'hui et également pour le travail que vous faites. Je commencerai par M. LaRose-Edwards.

Vous l'avez peut-être mentionné et cela m'a échappé, je sais que vous envoyez également des observateurs aux élections et je sais que beaucoup de Canadiens participent aux activités de CANADEM dans le cadre de nombreuses élections où vous êtes observateurs. Est-ce que je me trompe? Vous faites bien cela, n'est-ce pas?

M. LaRose-Edwards : C'est exact. En fait, nous avons des gens qui reviennent aujourd'hui de Russie. Ils ont été observateurs aux élections de la douma, il y a même quelqu'un de Whitehorse. Nous travaillons très dur pour nous assurer que nous avons un personnel représentatif de l'ensemble du Canada, des jeunes, des personnes plus âgées. Je crois que 55 p. 100 des participants sont des femmes, nous essayons d'avoir une représentation équilibrée.

Le président : Voilà qui vous rend d'autant plus sympathique à mes yeux.

La sénatrice Jaffer : Je sais également que vous avez milité en faveur de la résolution 1325 des Nations Unies. Dans votre soumission, vous dites que CANADEM a renforcé sa « capacité au titre de la résolution 1325... en vue de rétablir la fonction de réforme de l'ONU »... Vous avez dit — tous mes collègues m'ont regardée lorsque vous l'avez dit — que vous incluiez des femmes. Cela m'est doux à l'oreille, mais je voudrais savoir plus précisément comment sont incluses les femmes.

Je suis impressionnée de voir comment vous les incluez dans vos activités d'observation des élections, mais à l'ONU, que faites-vous, en particulier pour promouvoir les femmes aux postes de décision, pas simplement pour en augmenter le nombre?

M. LaRose-Edwards : Comme vous pouvez le déduire de mes commentaires, je crois vraiment dans la force des individus qui veulent faire la différence et qui, collectivement, ensuite atteignent une masse critique.

Pour changer la culture de l'ONU, il vous suffit d'avoir plus de femmes. Pas seulement des femmes aux postes appropriés, mais soyons réalistes. Quand on voit les problèmes des femmes, les problèmes liés aux enfants là-bas, les femmes ont une compréhension plus intime des défis auxquels sont confrontés les réfugiés, les personnes déplacées, les personnes en situation de crise, de sorte que plus vous avez de femmes à l'ONU, mieux c'est. Cela doit être le cas à tous les niveaux. Il faut des gens qui entrent au niveau P2 et qui dans 15, 20 ans seront D1 et D2, et il vous faut également pourvoir les niveaux plus élevés aussi.

Le président : Pourriez-vous nous dire ce qu'est un D1?

M. LaRose-Edwards : D1 est le premier échelon du grade diplomatique. Il n'y a pas de P1. Il y a des P2, 3, 4, 5, et puis, ils deviennent diplomates; diplomate D1, 2, 3.

Le président : Seulement pour permettre aux téléspectateurs de comprendre ce dont nous parlons.

M. LaRose-Edwards : Donc, les postes de diplomate sont extrêmement importants. Nous visons également à faciliter l'accès des femmes à la carrière.

Je ne suis pas sûr que vous avez relevé ce que j'ai dit; oui, je voudrais promouvoir de fortes personnalités féminines canadiennes, mais nous avons aussi une liste de fortes personnalités féminines, du tiers monde, de l'Afrique et du Moyen-Orient en particulier. Nous avons quelque 16 000 noms dans notre répertoire à l'heure actuelle, parmi lesquels un grand nombre de femmes.

Les mécanismes onusiens ne sont tout simplement pas très efficaces en ce qui concerne le recrutement des femmes. Je connais beaucoup de gens qui veulent engager des femmes et qui disent : « Vous voyez, on nous a présenté 15 candidats; il n'y avait que 3 femmes et elles n'étaient pas très qualifiées. »

La sénatrice Jaffer : Travaillez-vous avec ONU Femmes?

M. LaRose-Edwards : Oui, nous travaillons avec toutes les agences de l'ONU.

La sénatrice Jaffer : Non, ONU Femmes.

M. LaRose-Edwards : Pas à l'heure actuelle. Nous ne recevons plus de financement pour faire ce travail en fait.

La sénatrice Jaffer : D'accord.

M. LaRose-Edwards : Ce qui est un peu un défi pour nous comme ONG. On peut faire d'autres choses en parallèle, et nous les faisons.

La sénatrice Jaffer : Ma prochaine question s'adresse au Centre parlementaire. Cela fait 16 ans que je suis ici, et lorsque je suis arrivée j'ai beaucoup travaillé avec le Centre parlementaire. J'étais très fière du travail que vous faisiez au Kenya, en Tanzanie, au Ghana et au Sénégal. Je connais votre travail de première main. Je tiens à vous remercier pour le travail que vous faites et j'espère que vous continuerez.

J'observe à distance, parce que, dernièrement, je n'ai pas pu participer directement, le travail que vous avez fait en Indonésie, la façon dont vous avez inclus les femmes dont vous avez renforcé leurs capacités, et c'était très bien. Mais je voudrais vraiment que vous m'expliquiez comment vous mettez en œuvre la résolution 1325, en particulier avec les femmes. Comment créez-vous les capacités? Je sais que vous travaillez dans de nombreux pays en Afrique également, ce serait donc utile de savoir comment vous associez les civils aux activités et comment vous pouvez soutenir nos opérations de paix en incluant les civils.

Mme Andersson-Charest : Les femmes ont toujours été au centre de nos programmes partout dans le monde et, comme vous l'avez dit, en Afrique en particulier.

Nous nous sommes toujours efforcés de travailler avec les femmes en particulier pour leur permettre d'occuper des postes de décideurs pas seulement de travailler au sens traditionnel et également, pour ainsi dire, dans des comités traditionnels, mais aussi comme membre du comité de la défense, du comité des finances, et cetera, pour qu'elles puissent avoir un véritable impact sur leur pays.

Je vous donnerai quelques exemples. Cela remonte à quelque temps déjà, avant le tremblement de terre à Haïti. Nous avions un programme important pour former des femmes qui voulaient devenir députées, pour les aider à se présenter aux élections et à savoir quoi faire une fois élues, ce qui est rarement le cas lorsque les femmes arrivent au Parlement. Elles n'ont que très peu de formation préalable — les hommes et les femmes en fait —, c'était donc un des principaux axes de travail de notre programme.

Nous avons travaillé avec le Parlement de la CEDEAO où nous avions mis en place une stratégie en matière de genre. C'était rattaché au volet de prévention et gestion des conflits dans le cadre d'un programme d'ensemble visant à renforcer le Parlement régional dans ce domaine.

Dernièrement, nous avons travaillé avec des parlementaires femmes de Birmanie, ou du Myanmar, et nous avons réuni les députées et les sénatrices des deux chambres et du niveau régional avec leurs homologues canadiennes, et également leurs homologues régionales du Cambodge et du Népal, pour parler de leurs intérêts communs et voir comment elles pourraient collaborer en dépassant leurs différences politiques dans l'intérêt des femmes.

La sénatrice Jaffer : Je voudrais saisir l'occasion de remercier formellement M. Miller, qui a dirigé le Centre parlementaire pendant de nombreuses années. Si vous avez l'occasion de lui parler, dites-lui que le Parlement du Canada a vraiment apprécié le travail qu'il a fait pour le Centre parlementaire et pour les Canadiens et qu'il est bon de voir que vous poursuivez son œuvre. Merci.

Mme Andersson-Charest : Je lui ferai passer le message

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai deux questions à poser, une qui s'adresse à M. LaRose-Edwards et l'autre à Mme Andersson-Charest.

Monsieur LaRose-Edwards, un témoin nous a dit hier qu'une mission de paix était, selon lui, essentiellement une mission politique. Vous en avez parlé un peu dans votre introduction.

À partir de votre vaste expérience acquise à plusieurs niveaux d'intervention, pouvez-vous nous dire qui mène une mission de paix sur le terrain? Est-ce le politique ou le militaire?

[Traduction]

M. LaRose-Edwards : C'est tout à fait l'aspect politique. Je sais que le rapport du groupe de travail sur la paix est un pavé, de lecture parfois difficile, mais je le recommande vivement. Il martèle cette idée que pour important que soit le rôle des militaires et de la police, c'est le programme politique de la mission et l'action politique pas seulement au sein de la mission, mais au sein de la société civile locale, du gouvernement local et de la région qui est à la base de tout. Et le Congo est un bon exemple : « On va juste envoyer les troupes qu'il faut et le problème sera réglé. » Non. L'OTAN elle-même n'a pas assez de troupes pour régler le problème du Congo. S'ils ne trouvent pas eux-mêmes une solution politique, rien ne se réglera.

C'est la politique qui est à la base de tout, et c'est pourquoi nous devons redoubler d'efforts pour intégrer des civils solidement formés dans ces opérations qui comprennent la problématique politique et savent la gérer.

Vous, sénatrices et sénateurs, êtes bien placés pour comprendre l'importance de la politique. Alors non, il n'y a pas de solution militaire. Les militaires jouent un rôle fondamental, irremplaçable, de facilitateurs, mais la solution ne dépend pas d'eux.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Est-ce qu'on pourrait faire une mission de paix efficace sans le soutien des militaires?

[Traduction]

M. LaRose-Edwards : Absolument pas. D'ailleurs, il y a des opérations de paix qui sont de pures opérations civiles, mais dans les grandes opérations dans les zones compliquées où il y a conflit ou un risque de conflit, le rôle des militaires est extrêmement important. Je ne veux pas le minimiser. C'est comme dire nous avons besoin aussi de logisticiens et de gens qui pilotent les avions pour les civils. Mais la solution consistera à donner à la société locale, au gouvernement local, les moyens de définir un règlement politique des problèmes qui se posent à eux et à nous retirer.

Alors, non, nous avons besoin de l'armée. On a désespérément besoin des militaires pour prendre clairement conscience de la problématique politique dans laquelle ils s'insèrent, et c'est là peut-être une faiblesse à l'heure actuelle. Leur importance est capitale, mais ils ne sont pas le moteur du succès.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Andersson-Charest, j'avais également une question à vous poser. C'est une question simple, mais votre réponse pourrait grandement nous aider.

Qu'est-ce que le Canada ne fait pas aujourd'hui et qu'il pourrait faire aisément pour être plus efficace dans la prévention des conflits?

[Traduction]

Mme Andersson-Charest : Je pense que le principal problème à l'heure actuelle, c'est que de nombreux départements ne travaillent pas ensemble. Ils sont compartimentés, il n'y a pas de coopération, de coordination au Canada. Et cela n'est pas vrai seulement au niveau des ministères, c'est aussi le cas des organisations. On voit aussi la même chose lorsqu'on travaille dans différents pays.

Le Centre parlementaire a toujours eu pour approche de rechercher des partenaires et des collaborateurs et d'intervenir en renfort des efforts existants. C'est vraiment l'approche à suivre et c'est pourquoi j'ai parlé d'approche pangouvernementale et d'approche holistique. C'est la seule façon d'obtenir des résultats dans nos opérations de paix.

Lorsqu'on tire parti des atouts d'organisations comme CANADEM et qu'on les combine avec d'autres organisations qui travaillent également avec les organisations sur le terrain, c'est alors que l'on peut avoir une compréhension complète de la situation dans un pays.

Nous ne dirons jamais que nous sommes les experts dans les pays où nous travaillons. Nous comptons sur nos partenaires locaux pour qu'ils nous montrent vraiment quelles sont leurs conditions, et ces conditions varient.

Je vous donnerai un exemple. Nous avons juste lancé un projet au Burkina Faso. On sait que le Burkina Faso et l'ensemble de la région connaissent une forte instabilité depuis quelque temps. Mais la raison pour laquelle le Burkina Faso n'est pas en conflit maintenant, c'est parce qu'il a une volonté politique, une société civile forte et la volonté de renforcer ses institutions de gouvernance.

Nous travaillons directement avec l'assemblée nationale du pays. Notre première intervention a consisté à faire une évaluation des besoins de toute l'assemblée. Quels sont les besoins des députés, du personnel et de l'institution dans son ensemble? Ce n'est qu'à partir de là que notre intervention peut commencer.

Mais pour savoir cela, il nous faut aussi travailler avec nos partenaires locaux pour qu'ils puissent nous aider à comprendre les différences culturelles entre les différentes représentations et à comprendre les différences culturelles et religieuses profondes. Le Burkina Faso a fait de gros efforts pour dépasser la problématique religieuse, et cetera, et c'est la raison pour laquelle c'est un pays plus fort qui pourrait jouer un grand rôle dans les missions du Canada dans la région.

Le sénateur White : Merci à tous de vous être déplacés.

La discussion concernant une opération de paix en Afrique est un exemple. Nous avons entendu beaucoup de témoins dire qu'il ne s'agissait pas de maintien de la paix, mais que d'une opération de paix, ce qui fait, à mon sens, une grande différence.

Monsieur LaRose-Edwards, pourriez-vous nous dire comment votre organisation soutient ces efforts, en partant de l'élaboration des techniques de règlement des conflits, jusqu'à la gouvernance, en passant par le volet non militaire des opérations? Pourriez-vous nous guider le long du processus qu'il conviendrait de suivre, si l'on devait se retrouver au Mali, par exemple?

M. LaRose-Edwards : Notre premier rôle est de constituer une source d'expertise canadienne. Actuellement, la moitié des 26 000 inscrits sur notre répertoire ne sont pas des Canadiens, et nous pouvons faire appel à ces experts pour proposer leur candidature à ceux qui travaillent réellement sur le terrain.

Je vous donnerai un exemple tiré du secteur humanitaire. En cas d'urgence humanitaire, tout d'un coup, un service de l'ONU, de l'UNICEF, de l'OMS ou autre a besoin d'un expert particulier. Il prend contact avec nous et, grâce aux 5 millions de dollars de financement que nous ont donnés les Britanniques ou au million et demi de dollars de financement canadien, nous engageons l'expert que veut ce service et nous le détachons en l'espace de quelques jours. Nous sommes une source d'experts capable de réagir rapidement, d'assurer nous-mêmes la rémunération de l'expert parfois, ou de dire simplement d'autres fois : « Voici ses références et ses coordonnées de contact. Si vous le voulez, allez-y, embauchez-le directement vous-mêmes. »

Nous sommes une source d'experts pour l'armée canadienne dans le domaine de la formation. Pour les Affaires étrangères quand il s'agit de monter une opération sur le terrain. Le Foreign & Commonwealth Office est sur le point de nous engager pour les aider à recruter des experts d'Afrique et du Moyen-Orient pour leurs équipes itinérantes.

Notre répertoire de collaborateurs nous permet de le faire, nous avons sans doute l'un des meilleurs répertoires au monde. C'est la raison pour laquelle les Britanniques font appel à nous, parce que nous avons un répertoire leur donnant accès à des experts sur lesquels ils ne parviendraient pas à mettre la main. Nous sommes une source d'experts, un à un. Le renforcement de l'ONU et de la communauté internationale un expert après l'autre, c'est l'une de nos devises.

Le sénateur White : Pour ce qui est des besoins spécifiques, vous êtes en mesure d'utiliser votre répertoire, et comme viennent de nous le dire deux officiers de l'armée qui étaient ici, d'essayer d'accroître les capacités et de combler les lacunes?

M. LaRose-Edwards : Oui. Dans deux cas, concernant le volet police, le mécanisme en place à la GRC rendait difficile l'envoi d'experts de la police à Haïti. Alors, nous avons fait deux rotations, l'une de 25, la suivante de 20, et nous avons engagé des policiers retraités, équipés, armés, pourvus d'uniformes, et nous les avons envoyés là-bas et attachés à la mission de l'ONU sur place. De même en Afghanistan, nous avons installé une équipe de police là-bas en 2002 quand personne d'autre réellement ne souhaitait prendre ce risque. Nous avons dit, « Nous pouvons le faire. Nous sommes une ONG. Nous pouvons le faire. »

Nous avons également monté des opérations sur le terrain, mais en général il ne s'agit pas d'opérations autonomes, mais d'opérations attachées à un mécanisme existant.

Le sénateur White : Alors, dans un contingent de la GRC et une mission CIVPOL de l'ONU, vous pouvez avoir 10 de vos officiers à Haïti, par exemple?

M. LaRose-Edwards : Oui.

Le sénateur White : Ils sont là en tant que Canadiens ou représentants de Canadem?

M. LaRose-Edwards : Difficile à dire. Le gouvernement canadien fait appel à nous parce que pour une raison ou une autre, il lui est compliqué d'engager et de déployer des gens par le biais d'un mécanisme gouvernemental et de les équiper avec des armes, comme dans cet exemple. Il nous a fallu le faire à nous seuls. Il nous a fallu passer par les Américains pour trouver les armes et ce genre de choses. C'est une longue histoire.

Parfois une ONG nous dit : « Voici l'argent; trouvez la solution. » Si vous échouez, nous n'y serons pour rien. On leur donne juste de l'argent pour qu'ils essaient de le faire.

Il nous arrive parfois, cela dit sans prétention, d'être en mesure d'intervenir à un moment où il est difficile pour une agence de l'ONU ou le gouvernement canadien de le faire

Le sénateur White : Merci beaucoup pour cela. J'apprécie.

Le sénateur Day : Monsieur LaRose-Edwards, je feuillette votre présentation et je vois que vous n'avez pas du tout parlé de votre rapport avec l'OSCE, et vous parlez aussi des observateurs en Russie. Est-ce que c'est vous qui avez trouvé tous les observateurs à partir de votre répertoire et qui les avez ensuite prêtés à l'OSCE? C'est comme ça que ça marche?

M. LaRose-Edwards : Exactement. Permettez que je vérifie que j'ai les bons chiffres.

Dans le seul cadre des missions d'observation des élections de l'OSCE, nous avons déployé 730 Canadiens sur 69 missions différentes. C'est ce que nous faisons actuellement en Russie. Le gouvernement canadien doit encore décider s'il souhaite ou non poursuivre ces missions. C'est, je pense, une option peu coûteuse permettant à un groupe de Canadiens d'avoir un contact avec ce qui se fait sur la scène internationale. Ils en parlent dans leur communauté lorsqu'ils rentrent chez eux, et c'est une bonne chose.

Indépendamment de cela, nous avons reçu des fonds du gouvernement du Canada pour insérer 50 Canadiens dans la mission de surveillance spéciale de l'OSCE en Ukraine. C'est une contribution précieuse à la mission de l'OSCE actuellement en cours.

Le sénateur Day : Il s'agit de personnes de votre répertoire qui travaillent sous la direction de l'OSCE?

M. LaRose-Edwards : Oui. Nous les envoyons en détachement et ils exercent le contrôle et le commandement au jour le jour.

Une chose intéressante sur l'OSCE.

Le président : Pour mémoire, pourrions-nous définir l'OSCE?

Le sénateur Day : L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Le président : Juste pour que nos téléspectateurs comprennent ce dont nous parlons.

M. LaRose-Edwards : L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe est une structure créée à l'époque de la guerre froide par les pays du Pacte de Varsovie et de l'OTAN pour tenter d'abaisser la tension. Elle a survécu à la guerre froide et son nom n'est plus adapté. On ne l'appelle plus que l'OSCE. L'une de ses composantes s'appelle le BIDDH, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme. Il joue un rôle essentiel dans l'observation des élections. C'est un très bon outil.

L'OSCE a d'autres opérations. Elle emploie 3 000 civils dans 19 opérations sur le terrain en Europe de l'est et dans le Caucase. Et sur ces 3 000 civils, 17 seulement sont canadiens. Ils ne coûtent pas un sou au Canada. Ils servent en qualité de volontaires, et tous leurs coûts sont couverts par l'OSCE. On pourrait facilement porter leur nombre à 100 ou 200 sur 3 000, mais nous n'en avons que 17. C'est un domaine où ce serait vraiment utile, je pense. Je sais que vous pensez aux opérations de paix de l'ONU, mais c'est un type d'entité similaire et un type d'activité similaire, la paix et la sécurité

Le sénateur Day : Madame Andersson-Charest, pourriez-vous nous dire d'où vous vient votre financement?

Mme Andersson-Charest : Il est mixte. Nous sommes une ONG, notre financement est entièrement axé sur le projet. Nous n'avons pas d'autres ressources. Mais maintenant, notre financement provient pour environ 60 p. 100 du gouvernement canadien et pour 40 p. 100 d'autres donateurs, y compris le Royaume-Uni et l'UE. Il est donc très panaché.

Le sénateur Day : Y a-t-il des contraintes liées aux 60 p. 100 de financement du gouvernement canadien?

Mme Andersson-Charest : Le financement est directement lié à un projet. Nous n'avons aucun financement de base.

Le sénateur Day : Voilà ce que je cherchais. Il vous faut donc négocier chaque projet, puis déterminer si vous pouvez le lancer sur la base du financement disponible.

Mme Andersson-Charest : Oui, ce qui n'est pas facile pour une organisation comme la nôtre parce que cela ne nous donne aucune possibilité de prévoir où et quand intervenir en fonction des besoins.

Le sénateur Day : Vous vous présentez comme une ONG, et je comprends maintenant. Avez-vous un répertoire de spécialistes qui sillonnent le monde pour venir en aide aux différents pays dans les domaines de la gouvernance et du processus législatif?

Mme Andersson-Charest : Oui. Ce n'est pas un répertoire formalisé comme celui de Canadem. Nous tirons parti de l'expertise de députés et sénateurs en activité et d'anciens parlementaires. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Association canadienne des anciens parlementaires et des experts des différents domaines.

Lorsque nous avons un besoin particulier — Je vous donne un exemple. En Ukraine, votre collègue, le sénateur Andreychuk faisait partie d'un groupe qui s'est rendu sur place, avec l'Honorable David Pratt, le Major-Général à la retraite Charles Sullivan et un expert international du nom de David pour discuter avec leurs homologues de la supervision parlementaire du secteur de la sécurité et de la défense en Ukraine. Ils ont saisi l'occasion de réunir les différentes parties prenantes en Ukraine pour la première fois. Ils n'avaient pas abordé ce sujet ensemble. La réunion visait à faciliter l'échange d'expériences — parce que nous sommes des partisans convaincus des échanges entre pairs. Rien n'est aussi efficace.

Le sénateur Day : Vous avez trouvé David Pratt, un ancien parlementaire, et le sénateur Andreychuk, un parlementaire en activité?

Mme Andersson-Charest : Oui, il est sénateur.

Le sénateur Day : C'est une ressource pour vous. Nous sommes tous parlementaires autour de cette table aussi, je suppose.

Mme Andersson-Charest : Oui, et nous cherchons toujours à collaborer avec nos députés et nos sénateurs.

Le sénateur Day : Mon collègue du Yukon souhaite savoir s'il lui faut s'inscrire ou si vous allez prendre contact avec lui?

Mme Andersson-Charest : Nous avons un répertoire de CV, alors n'hésitez pas à nous envoyer le vôtre et je veillerai à ce qu'il soit pris en compte pour nos futures opérations.

Le sénateur Day : Je voudrais poser une question à M. LaRose-Edwards, concernant le financement une fois de plus. Vous avez parlé d'un financement de 5 millions de dollars du Royaume-Uni et de 1,5 million ou 1,3 million de dollars du Canada. C'est un financement de base ou bien un financement en fonction des projets?

M. LaRose-Edwards : Comme le sait Petra, les ONG canadiennes ne reçoivent jamais de financement de base. En 20 ans, nous n'en avons jamais eu. Le financement est toujours axé sur le projet, ce qui complique un peu les choses, mais cela reste faisable. Je ne me plains pas. Ce serait agréable de recevoir un financement de base, mais c'est un luxe que nous ne connaîtrons jamais.

Le sénateur Day : Vous parlez de moyennes quand vous citez ces chiffres? C'est la moyenne pour cette année?

M. LaRose-Edwards : La moyenne pour cette année sera d'environ 5 millions de dollars de provenance britannique. En raison de l'augmentation du coût des opérations pour le stationnement de personnel en Ukraine et des autres activités pour le gouvernement du Canada, cela se chiffrera à presque 4 millions de dollars cette année. Notre principal bailleur de fonds est le gouvernement britannique. Nous sommes en négociations avec le gouvernement par le biais d'ECHO, l'organisme de l'Union européenne qui se charge des questions humanitaires, dans le cadre d'une autre de nos initiatives dans ce domaine.

Le sénateur Day : Quand vous recevez 5 millions de dollars du Royaume-Uni, par exemple, je suppose qu'on attend de vous que vous employiez les gens inscrits à leur répertoire ou les gens du Royaume-Uni inscrits sur le vôtre, plutôt que des Canadiens.

M. LaRose-Edwards : Non, c'est cela qu'il y a de bien avec les Britanniques à cet égard. Quand on reçoit une demande d'une agence de l'ONU, de l'UNICEF, par exemple, à la recherche de tel expert, bien souvent ce sont des experts venant des pays en développement d'Afrique ou du Moyen-Orient qu'on leur envoie parce qu'ils sont à la fois branchés et compétents. Le gouvernement britannique est tout à fait partisan de cela. Il arrive qu'on engage un Britannique — nous ne les excluons pas —, mais ce n'est pas un de leurs critères de financement.

Le sénateur Day : Nous procédons actuellement à un examen de notre politique de défense et des initiatives élargies lancées par notre nouveau gouvernement en matière de maintien de la paix. Si, dans notre rapport, nous disions que le genre de travail que vous faites vaut la peine, cadre avec ce rôle élargi en matière de maintien de la paix au niveau international et le complète et justifierait un financement de base, vous n'y verriez pas d'objection.

M. LaRose-Edwards : Nous en serions absolument ravis.

Mme Andersson-Charest : Permettez-moi d'ajouter que le financement de base peut aussi présenter un danger parce que certaines organisations risquent de céder à la facilité et de ne pas travailler aussi dur.

Ce que l'on recherche surtout, je crois, c'est la prévisibilité, le fait de savoir que lorsqu'on a besoin de nous pour faire le travail que nous faisons, il ne faut pas attendre un an ou deux avant de pouvoir se mettre à la tâche, comme c'est parfois le cas. Entre le moment de la présentation de la proposition et celui de son approbation, il n'est pas rare que l'objectif original de l'intervention ait cessé d'être valide; telle est la réalité d'aujourd'hui. C'est pourquoi je vous encourage à vous inspirer du mécanisme pangouvernemental en place au Royaume-Uni pour regrouper efficacement les organisations et consortia et les présélectionner pour des tâches particulières. C'est une excellente façon de collaborer avec les organisations.

Je vous dirai quelques mots de ce mécanisme. Il a une triple articulation. Il couvre trois domaines thématiques : le premier, la gouvernance, la sécurité et la justice; le second, la prévention des conflits, la stabilisation et l'édification de la paix; le troisième, les services de soutien à la défense. Ils se complètent les uns les autres dans une approche d'ensemble des opérations de paix.

Au cours du dernier exercice fiscal, ce budget équivalait à 1,78 milliard de dollars canadiens. Le processus suivi dans ce cas est celui de la présélection. Quand ils veulent mener une intervention, ils donnent un préavis aux consortia qui ont été présélectionnés. Lorsque le mandat et la description détaillée de l'intervention sont publiés, les consortia ont deux semaines pour préparer leur proposition. Dans les deux semaines, on sait qui a remporté l'appel d'offres. Ce n'est qu'un exemple.

Le sénateur Day : Je vous remercie.

Le président : Chacun de vous a abordé l'approche pangouvernementale, si nous nous déployons ou participons à tel conflit ou théâtre d'opérations dans le monde, de sorte que nous n'aidons pas à mettre en place les institutions civiles indispensables pour que ces populations puissent prendre soin d'elles-mêmes.

On nous demande d'analyser l'examen de politique de défense, mais nombre de témoins ont dit qu'on n'analyse pas vraiment la politique étrangère du gouvernement dans ses rapports avec la politique de défense. Croyez-vous que le Canada doive procéder à un examen de la politique étrangère pour compléter l'examen de politique de défense actuel?

M. LaRose-Edwards : Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pense que les Affaires étrangères ont déjà une bonne idée de ce qui doit être fait là-bas. Vu que le Canada s'est mis quelque peu en retrait, il y a énormément à faire.

J'encourage vivement le gouvernement à aller de l'avant, à commencer à entreprendre des actions et à voir où cela mène. Voilà comment on mène les affaires internationales. Vous faites des plans et puis vous les adaptez immédiatement, car la situation sur place change.

Je ne pense pas qu'il y ait besoin d'un examen. Tout comme je ne pense pas qu'il y avait besoin d'un examen concernant le développement. Le Canada fait cela depuis longtemps et si, à ce stade, nous ne savons pas ce que l'on doit faire, c'est qu'il y a peut-être quelque chose qui cloche. Je ne pense pas que ce soit le cas. Ensemble, nous avons quelques bonnes idées. Alors, allons-y et réalisons-les.

Mme Andersson-Charest : Je suis d'accord sur ce point. Nous avons participé à l'examen de la politique internationale d'assistance et il était plus ou moins calqué sur l'examen de la politique de défense, avec son optique globale ou pangouvernementale. Mais c'est au niveau pratique qu'il faut examiner les choses, je crois, pour éviter de continuer à travailler en vase clos, comme c'est le cas dans les affaires mondiales et d'autres ministères, car cela nuit à l'efficacité des interventions.

Le sénateur Beyak : Ma question est simple, mais la réponse risque d'être longue. Je vous remercie de vos présentations. Vous avez répondu à toutes les questions que je voulais poser.

Pensez-vous que les parlementaires comprennent bien ou pas assez bien encore le travail que vous faites?

M. LaRose-Edwards : La plupart des parlementaires n'ont aucune idée de ce que nous faisons. Nous sommes une petite organisation, dans un sens, même si nous avons 26 000 inscrits sur notre répertoire et si nous faisons beaucoup de choses sur le terrain. Il leur faut, bien sûr, compter sur les fonctionnaires fédéraux, étant donné qu'ils sont notre interface avec les différents secteurs d'activité du gouvernement canadien.

Je suis ravi d'avoir été invité ici et je serais ravi de rencontrer chacun d'entre vous séparément. La réalité sera toujours que nous passons un peu inaperçus, et cela ne pose pas de problème. Nous sommes petits, mais nous allons de l'avant.

Mme Andersson-Charest : Je pense que les parlementaires comprennent le travail du Centre parlementaire mieux que quiconque, bien que députés et sénateurs nous connaissent peu. Cela fait quelques années maintenant que nous n'avons pas travaillé au Canada, alors chaque occasion est bonne pour nous rappeler à votre bon souvenir. Nous vous remercions de nous avoir offert celle-ci.

L'important, je crois, c'est de continuer à faire passer le message, d'expliquer ce que les organisations canadiennes peuvent faire pour compléter les efforts déployés par l'ONU et par d'autres organisations internationales en faveur de cette approche si précieuse. Nous pouvons dire par expérience que nos partenaires nous choisissent parce que nous sommes une organisation bilingue à l'écoute et que nous ciblons notre aide en fonction des besoins patiemment définis avec eux.

Dès lors, le message que nous devons transmettre aux députés et aux sénateurs est de ne pas oublier que nous existons et que nous pouvons utilement compléter le travail des autres.

M. LaRose-Edwards : Brièvement, dans la foulée. J'encourage tous ceux qui sont intéressés à travailler à l'échelle internationale, à s'inscrire auprès de nous. Nous avons sur notre répertoire un certain nombre de sénateurs en activité ainsi que plusieurs anciens parlementaires et sénateurs. L'idée est que si quelqu'un est à la recherche de votre type d'expertise, que ce soit pour une mission de deux semaines, de deux mois ou plus, et que vous êtes la bonne personne, nous vous contacterons. Votre nom ne sera jamais rendu public. En fait, personne ne saura même que vous êtes sur notre liste, sauf si vous dites : « Oui, vous pouvez communiquer mon nom. Mon CV. Voilà ce qui m'intéresse. J'ai toujours voulu aller en République centrafricaine au plus fort des tensions et me tenir en première ligne, alors, oui, je suis partant. » Alors, je vous encourage à vous inscrire auprès de nous.

Le président : Je tiens à remercier nos témoins. Cela a été très instructif et je suis très heureux que nous ayons eu l'occasion de passer cette heure ensemble.

Nous accueillons pour notre troisième groupe d'experts, le général Jonathan Vance, chef d'état-major de la Défense et le lieutenant-général Christine Whitecross, commandante, Commandement du personnel militaire. C'est un plaisir de vous accueillir à nouveau tous deux au comité pour notre exploration des questions liées à l'examen de la politique de défense, aux opérations de soutien à la paix des Nations Unies et, bien sûr, des questions importantes pour les femmes et les hommes de nos forces armées.

Avant que je ne vous invite à faire vos observations préliminaires, au nom du comité, je voudrais vous féliciter, Lieutenant-général Whitecross, pour votre récente promotion à la tête du Collège de défense de l'OTAN à Rome. En tant que notre plus haut fonctionnaire féminin, vous nous remplissez d'une grande fierté et nous savons que vous relèverez les défis de l'OTAN avec la même passion qui vous animait dans l'exercice de votre commandement au Canada.

Je voudrais inviter notre chef d'état-major de la Défense, le général Vance, à faire sa déclaration d'ouverture. Nous avons une heure pour ce groupe d'experts. Vous pouvez commencer, je vous en prie.

Général Jonathan Vance, chef d'état-major de la Défense, la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Je vous remercie de votre présentation, monsieur le président, sénateurs, mesdames et messieurs, et merci de m'inviter une nouvelle fois à parler devant ce comité. C'est un véritable honneur.

Si j'ai bien compris, vous m'avez demandé expressément de parler de l'opération HONNEUR, mais je sais également que les questions peuvent nous amener dans toutes les directions. Je suis néanmoins heureux d'avoir l'occasion de vous présenter un bref compte rendu de nos efforts concernant l'opération HONNEUR.

Vous vous rappelez que ce fut là le premier ordre que j'ai donné aux Forces armées canadiennes en qualité de chef d'état-major de la Défense. L'objectif est d'éliminer les comportements sexuels inappropriés dans nos rangs. J'admets que c'est là un objectif ambitieux, mais je n'accepterai rien de moins.

Je suis accompagné aujourd'hui par le lieutenant-général Christine Whitecross, qui appuie cette opération. Je veux vous faire remarquer que tous les commandants sous mes ordres vont bientôt appuyer activement cette opération, au même titre que tous les militaires des Forces armées canadiennes.

Comme vous, j'aimerais exprimer ma fierté envers le lieutenant-général Whitecross qui vient d'être nommée au poste de commandant du Collège de défense de l'OTAN à Rome, un poste prestigieux. C'est bien pour l'OTAN et c'est très bien pour le Canada.

Je commencerai par quelques points, et je serai heureux de répondre à toutes vos questions par la suite.

Monsieur le président, mesdames et messieurs, nous adoptons des mesures à court et à long terme dans le cadre de l'opération HONNEUR. À court terme, nous appuyons plus efficacement les victimes et nous répondons de manière plus résolue aux incidents. À long terme, nous allons mieux comprendre la culture militaire en lien avec les mauvais comportements et la changer pour s'assurer que tous les militaires sont traités avec le respect et la dignité qu'ils méritent.

Un soutien plus efficace pour les victimes et une direction ferme aideront à créer un milieu qui encourage le signalement des incidents et, idéalement, œuvre à prévenir ces derniers. Cela favorise en retour la création d'une culture plus axée sur le soutien et qui répond mieux aux besoins de ses militaires.

[Français]

Au cours de la première année de l'opération HONOUR, on s'est concentré sur ces mesures immédiates. En ce qui concerne l'appui aux victimes, le Centre d'intervention sur l'inconduite sexuelle fournit à nos militaires du soutien et des conseils confidentiels. Malgré ce que disent les critiques, le centre est indépendant de la chaîne de commandement militaire et se concentre exclusivement sur les victimes.

Nous continuons également à améliorer le soutien que nous offrons. Les responsables de la chaîne de commandement ont reçu de la formation et de l'information sur la meilleure manière de soutenir les victimes de comportements sexuels inappropriés, ainsi que les travailleurs du domaine de la santé, les aumôniers, les policiers militaires et les avocats militaires. Ces soutiens encouragent les anciennes victimes à en parler aujourd'hui. Durant les six premiers mois de cette année, nous avons constaté une augmentation de 22 p. 100 d'incidents rapportés aux services de la police militaire.

[Traduction]

Environ la moitié de ces cas datent d'avant la mise en œuvre de l'opération HONNEUR. Cela me démontre que certaines victimes croient maintenant, peut-être même pour la première fois, que nous allons les écouter et prendre les mesures nécessaires.

Tous les rapports d'une infraction sexuelle, récents ou non, font l'objet d'une enquête par des équipes spéciales du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, ou SNEFC. Ces enquêteurs ont suivi une formation spéciale pour traiter les infractions sexuelles et peuvent déposer des accusations au criminel contre tout membre des Forces armées canadiennes.

Lorsqu'une enquête permet de déterminer qu'une infraction a eu lieu, nous prenons des mesures vigoureuses pour nous occuper des contrevenants. Depuis le mois de janvier, huit personnes ont été déclarées coupables d'infractions relatives à l'inconduite sexuelle. Cinquante-cinq autres ont eu à faire face à des sanctions administratives.

[Français]

Dans les cas les plus graves, j'ai ordonné que des personnes soient relevées de leur commandement, ou je les ai retirées entièrement de nos rangs, parce qu'elles ne sont plus dignes de faire partie de notre organisation.

Honorables sénateurs, je peux vous assurer et assurer tous les Canadiens et Canadiennes que nous prenons des mesures décisives.

J'aimerais maintenant discuter de l'objectif à plus long terme de l'opération HONOUR, notamment, le changement de notre culture. Par le passé, notre institution a pris du temps à reconnaître le besoin de changement, puisque tellement d'éléments de notre culture nous sont chers.

[Traduction]

Tout comme un grand nombre de mes frères et sœurs d'armes, je suis très fier de faire partie des Forces armées canadiennes. Je considère mon service dans l'uniforme de notre pays comme un honneur et un privilège.

C'est grâce à notre culture que nous avons eu la résilience et la force nécessaires pour surmonter les guerres mondiales, la guerre de Corée, les missions de l'ONU et l'Afghanistan. Il y a cependant des aspects de notre culture qui ont causé des comportements sexuels néfastes et qui y contribuent encore. Nous devons cerner ces facteurs et les éliminer.

Nous avons franchi les premiers pas dans cette direction. Au cours de l'été, plus de 40 000 militaires ont participé à une enquête de Statistique Canada portant sur les comportements sexuels néfastes dans nos rangs. Nous compilons actuellement les résultats et ils seront accessibles à la fin du mois de novembre. Comme je l'ai dit il y a quelques semaines, je m'attends à ce qu'ils soient peu rassurants.

Les résultats de l'enquête nous donneront l'information dont nous avons besoin pour réaliser une analyse détaillée de notre culture militaire. Elle touchera à des domaines tels que le recrutement, la formation et l'instruction, la direction et la chaîne de commandement, et l'influence des médias sociaux et du langage, pour n'en nommer que trois.

Pour conclure, monsieur le président, je trouve encourageant les progrès que nous avons réalisés jusqu'à présent. Cependant, des comportements sexuels inappropriés se produisent encore. Cela est inacceptable. Alors, je vais continuer de mener l'opération HONNEUR. L'ensemble de la direction des Forces armées canadiennes et tous les militaires seront tenus de soutenir sa mise en œuvre et nous continuerons nos efforts jusqu'à ce que tous les militaires canadiens soient traités avec le respect et la dignité que leur sont dus.

Je vous remercie de votre temps et je serai heureux de répondre à vos questions maintenant.

Le président : Je vous remercie beaucoup, général. Je veux vous dire que nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir mis au courant des derniers développements dans l'opération HONNEUR et il est évident que vous avez beaucoup progressé dans ce dossier dans les derniers mois.

Avant de débuter, j'aimerais définir le cadre de discussion de la question des déploiements internationaux et de l'examen de la Défense nationale sur laquelle nous nous penchons ces derniers jours. J'ai une question d'ordre général que nous aimerions inscrire au procès-verbal parce que la presse en a largement traité et des fois, elle est fiable, d'autres fois, elle ne l'est pas.

Pouvez-vous nous répéter quels sont les trois pays d'Afrique qui font l'objet d'un examen sérieux en vue d'un déploiement? Pouvez-vous nous indiquer les principaux risques courus par les Canadiens dans ces pays-là? De plus, pouvez-vous nous dire, peu importe le déploiement effectué, quels sont les besoins en termes d'équipement ou de personnel que les Forces armées canadiennes doivent satisfaire pour être en mesure de se déployer et s'il faudra du temps pour mettre en place cet équipement et ce personnel?

Je sais que c'est une série de questions, mais le comité aimerait être mis au courant.

Gén Vance : Je vous remercie, mesdames et messieurs, de me poser la question.

En fait, pour aider le gouvernement à prendre une décision — et, en bout de ligne, je serai en mesure de conseiller le gouvernement — j'examine actuellement toutes les missions courantes de l'ONU et je procède à une évaluation qui obéit à la logique suivante.

Il s'agit d'abord d'examiner la nature du conflit en soi. Donc, qu'il touche la Colombie, le Moyen-Orient, où il y a des missions de l'ONU, ou l'Afrique, il faut examiner la nature du conflit et évaluer ensuite ce qu'il faudrait faire pour transformer la nature du conflit. Après, on examine l'action menée par l'ONU en vertu de son mandat pour transformer la nature du conflit et on détermine s'il y a des vides à combler ou si la mission de l'ONU s'attaque au cœur du problème. Finalement, on examine la contribution possible du Canada à l'une ou l'autre de ces missions pour changer vraiment les choses sur le terrain de manière à affecter directement la nature du conflit, la résolution du conflit ou à prévenir un nouveau conflit.

Je n'ai pas terminé cette étude. Nous en sommes là où je me prépare à examiner les interventions possibles du Canada, à effectuer une évaluation et à donner des conseils sur les actions que pourrait mener le Canada. Il revient ensuite au gouvernement du Canada de décider de ce que nous allons faire.

C'est un processus. Vous avez entendu le ministre parler de ce sujet à plusieurs reprises et, franchement, je lui sais gré de sa sagesse qui a voulu nous laisser le temps d'effectuer une évaluation complète, de l'origine du conflit jusqu'aux modes possibles d'intervention. Je vais soumettre cela au ministre et, finalement, une décision sera prise après que nous ayons établi là où le Canada peut être le plus utile pour faire avancer les choses en tenant compte de la nature du conflit et de l'action de l'ONU.

Vous vous êtes aussi informés des risques. Les risques évoluent et sont différents d'une zone de mission à l'autre et à l'intérieur d'une même zone de mission. Par conséquent, en ce qui concerne l'équipement que nous emmènerions, la formation que nous assurerons, le nombre de militaires qui fourniraient une prestation, que l'on ait un rôle actif sur le terrain ou un rôle indirect de renforcement des capacités, toutes les options quant à ce que le militaire, de concert avec l'ensemble du gouvernement, peut offrir pour réellement affecter la nature du conflit et faire un peu de bien sont sur la table pour le moment. Quand le ministre parle d'évaluation, c'est exactement ça qui se passe actuellement.

Mon personnel et moi travaillons très fort, nous avons accompli un travail de reconnaissance, nous continuerons à faire de la reconnaissance sur le continent africain et ailleurs pour bien comprendre en quoi nous pourrions être utiles. Je vais envisager des options à l'intention du gouvernement en termes de ce qui constituerait notre meilleure contribution.

Je crois que la « situation de départ » des Forces armées canadiennes est très bonne; je parle ici de son expertise sur le plan du renforcement de la capacité, sur le plan technique, des outils pratiques, voire des troupes sur le terrain pour faire face aux défis, encore une fois dans le contexte d'un ensemble plus large et en comptant les efforts de multiples ministères. Je crois que nous sommes très bien positionnés pour accomplir les tâches militaires nécessaires dans certaines de ces zones de conflit.

Je profite de toutes les occasions qui me sont offertes pour rappeler que, la plupart du temps, par rapport à la nature du conflit et à ce que vous pouvez faire à ce sujet, le militaire ne peut intervenir qu'à hauteur de 20 p. 100 et que le reste est fonction des causes premières du conflit, des défis que doivent relever les nations en cause et, peu importe les forces militaires en présence, il est peu probable qu'elles réussissent à éradiquer les causes premières.

Cela étant dit, je suis sûr que les opérations de l'ONU et les Forces armées canadiennes au sein de ces opérations peuvent aider à créer les conditions nécessaires et à assurer des cadres sécuritaires, la protection des civils, l'amélioration des résultats des forces onusiennes, toute une gamme de choses qui contribueront pleinement à ce que les militaires peuvent réaliser. Je dois néanmoins toujours insister sur le fait que le volet militaire ne suffit pas à relever ces défis, lesquels se situent en grande partie dans les sphères sociale, politique et économique.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup pour votre exposé. Avant tout, je veux profiter de l'occasion pour vous remercier, vous et les hommes et les femmes qui sont sous votre commandement, du service que vous délivrez. J'ai vécu personnellement l'expérience de travailler avec vos hommes et vos femmes au Darfour et au Soudan du Sud. Les communautés disaient que pendant la journée, ils travaillaient, et le soir, ils construisaient des orphelinats. Je suis très fière d'affirmer que c'est ça que font nos hommes et nos femmes en uniforme. Je vous remercie donc pour le travail que vous accomplissez.

Gén Vance : Je vous remercie.

La sénatrice Jaffer : Aujourd'hui, dans votre déclaration, vous avez parlé du problème des viols. Je porte une attention particulière à ce dossier et je peux vous regarder franchement dans les yeux et vous dire que vos progrès sont notables, et vous vous êtes certainement attaqué à ce problème. Je vous félicite pour le travail accompli. Sûrement au cours de la dernière année, vous avez réalisé des progrès énormes.

C'est à cet égard que je suis également optimiste quant au fait que vous pourrez appliquer ce que vous avez appris ici, si vous allez sur le terrain, en particulier dans le cadre d'opérations de paix. Nous connaissons les immenses défis auxquels sont confrontés les Casques bleus et la population civile; j'espère donc que ce que vous avez appris vous permettra d'aider autrui à l'apprendre également.

Général Vance, je suis certaine que vous réfléchissez beaucoup à cela quand vous pensez aux opérations de paix, et j'aimerais avoir votre opinion à ce sujet. Je suis très préoccupée de l'impunité existante, pas ici mais chez les Casques bleus à l'étranger, et je partage cette pensée avec vous. J'espère que vous tracerez la voie pour mettre un terme à cette impunité.

Je reviens tout juste d'une zone de conflit et l'une des raisons pour lesquelles les femmes ne croient plus au maintien de la paix, c'est qu'elles ont l'impression qu'ils s'en sauvent. Ce sont les termes qu'elles emploient : ils s'en sauvent, ils agissent en toute impunité. Je partage donc cette pensée avec vous.

Le président a parlé du risque. Je ne peux imaginer une situation plus risquée que celle que vous avez connue en Afghanistan avec la force de l'OTAN. Aucun endroit en Afrique n'est aussi dangereux que l'Afghanistan, donc le risque est présent partout où vous allez.

La grande question, pour vous, a trait au service de renseignements stratégiques, aux connaissances que vous êtes en mesure de fournir. Nous parlons de chiffres, et je vois dans la documentation qu'on nous a fournie qu'en ce moment, environ 103 hommes et femmes sont affectés aux opérations de paix. Je pense que là où le Canada peut en rajouter — et j'aimerais avoir votre opinion —, ce n'est pas dans la quantité fournie, mais sur le plan de la compétence et de la planification stratégique. Vous avez pu le constater et je crois que c'est là où se situe notre force. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

Gén Vance : Je vous remercie, sénatrice.

Je ne vais pas nécessairement réagir à tout ce que vous venez de dire, mais, en gros, je conviens que le comportement des contingents onusiens doit continuer de s'améliorer. Il y a beaucoup de forces onusiennes déployées, et l'ONU en tant qu'organisation et les nations qui fournissent ces militaires méritent que ces derniers fassent preuve d'une très grande compétence et d'expertise dans l'exercice de leurs fonctions et de respect à l'endroit des populations, à défaut de quoi la situation ne pourra que s'aggraver. Je suis donc tout à fait d'accord avec vous. Lorsqu'une force onusienne arrive et est utilisée, les choses devraient s'améliorer à tous les égards, et si ce n'est pas le cas, alors je crois que nous aurions tous un problème.

En ce qui concerne votre remarque sur l'influence que nous pouvons exercer sur le plan stratégique en tant que pays, étant donné les actifs uniques et de grande valeur que les Forces armées canadiennes peuvent faire peser dans la balance, je suis d'accord avec vous. Je crois que nos atouts ne se limitent pas à l'équipement ni aux éléments accessoires, par exemple, les aéronefs, la collecte de renseignements et la capacité de diffusion et nos équipes de déminage et de la C-IED. Tout cela combine les moyens et les personnes.

Je pense que la ressource la plus précieuse que le Canada a à offrir, ce sont ses personnes, des militaires des Forces armées canadiennes et des fonctionnaires qui adopteront la position que j'ai décrite plus tôt, alors que nous comprenons la nature du conflit. Nous comprenons ce qui doit être accompli. Qu'est-ce que l'ONU et les autres organes essaient d'accomplir? Y a-t-il des lacunes? Comment peut-on aider à définir le mandat ou à exécuter celui qui existe? Je crois donc que nous ferons valoir la puissante capacité d'analyse de nos gens et essaierons ensuite d'être utiles sur le plan pratique dans le cadre d'un travail concerté et stratégique, afin de faire une vraie différence.

Je sais qu'il y a des sceptiques, mais moi, je suis un éternel optimiste à bien des égards en matière de recours à la force. Je suis aussi réaliste. Je pense que nous devons être très pratiques quant à ce que nous pouvons faire. Il faut analyser de près les situations pour savoir quel genre de contingent il convient de déployer, et à quel moment il faut le faire pour parvenir aux effets recherchés. On ne peut pas tout résoudre, mais il est possible de faire ce qu'il faut.

Je vois les choses à long terme — comme je l'ai dit à maintes reprises —, car, à bien des égards, le recours à la force militaire consiste d'abord à éviter un conflit. Si ce n'est pas possible, alors il faut en atténuer l'impact. Il est question, ce faisant, d'éliminer les dommages éventuels. Il faut essayer de parvenir à une situation où l'on mettra un terme au conflit. Parfois, cela signifie qu'il faut recourir à la force, parfois à beaucoup de force, mais, à terme, il faut déboucher sur quelque chose. J'espère donc que l'influence du Canada aura pour objet d'améliorer les choses à terme et, pour y parvenir dans des délais raisonnables, nous déploierons toutes les ressources nécessaires, sans oublier qu'au centre de tout cela, nous avons des gens extraordinaires.

Le président : Chers collègues, le temps file. Cinq sénateurs veulent poser des questions et je vais leur demander de limiter leurs préambules. Je demanderais au général... mais je sais qu'il peut être concis.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos témoins. Comme on ne peut pas faire de préambule, je vais passer directement aux questions.

Général Vance, plusieurs témoins cette semaine nous ont dit que les missions de paix, comme celle à laquelle on participerait en Afrique, sont des opérations politiques. Les témoins ont même ajouté que le niveau politique et diplomatique était décisionnel.

Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne? Cette hiérarchie peut-elle parfois mettre en danger nos militaires? D'après moi, ceux-ci sont mieux formés pour évaluer les dangers.

Gén Vance : J'aimerais vous répondre en anglais, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Le sénateur Dagenais : Certainement.

Gén Vance : Vous posez une très bonne question, et je suis plus à l'aise en anglais, je m'en excuse.

Le sénateur Dagenais : Tout à fait.

[Traduction]

Gén Vance : Sénateur, voilà une question importante. Je suis d'avis que des organisations comme les Nations Unies et un certain nombre de coalitions et d'alliances auxquelles nous appartenons cherchent à trouver des façons d'éviter les conflits, d'améliorer la situation sur le terrain, de réduire les effets délétères, d'atténuer les conséquences d'un conflit et de chercher, le plus pacifiquement possible, à les régler, le recours à la force étant destiné à nous protéger pour nous permettre de réaliser les objectifs militaires qui, en fin de compte, facilitent le rétablissement de la paix. C'est une doctrine avec laquelle je suis entièrement d'accord. J'estime d'ailleurs que c'est la doctrine que la plupart des armées occidentales ont adoptée.

Je ne connais absolument aucun chef d'état-major, aucun avec qui j'aurais travaillé ailleurs dans le monde, qui n'essaierait pas d'abord de chercher à prévenir les conflits, à en atténuer l'impact. Le recours à la force ne doit pas être une fin en soi. Cela va de soi, mais parfois, les gens ne savent pas ce que peuvent faire les militaires : les militaires instaurent les conditions nécessaires pour que la situation s'améliore. C'est cela notre intention, c'est l'objectif ultime.

Cela étant, j'estime que l'ONU est une institution appréciable par le truchement de laquelle, après une analyse fondée de la situation et l'application adaptée des forces armées, ces forces peuvent contribuer au déblocage d'autres éléments nécessaires sur le plan politico-socioéconomique pour instaurer un véritable changement à long terme.

Pour rassembler toutes ces conditions, il faut parfois beaucoup de temps. Les opérations de soutien de la paix, de maintien de la paix — des opérations qui visent à réduire les dommages occasionnés, à protéger les personnes tout en favorisant la prise de décisions politiques et économiques plus larges —, sont également très appréciables, mais il faut qu'elles soient efficaces et il faut qu'elles débouchent sur quelque chose de concret. Il faut que cela débouche sur de meilleures conditions que l'on s'attaque, à terme, aux raisons profondes, à la source du problème.

Je rejette donc l'idée que ce genre de chose puisse se faire uniquement pour des motifs politiques et que l'on aille mettre nos militaires en danger, dans des régions à risque, pour autre chose que pour mettre à profit la véritable valeur du recours à la force militaire.

Je conclurai ici, monsieur le président, parce que je sais que vous voulez que je sois concis.

Partout où il faut recourir aux forces armées, plutôt qu'à d'autres instruments du gouvernement, on se trouve, par définition, dans une situation risquée. Par définition, il s'agit d'un environnement qui exige beaucoup plus que ce que l'on pourrait faire avec n'importe quel autre groupe de personnes. Le fait qu'un risque existe ne doit pas nous empêcher de nous déployer. C'est un facteur. Il faut savoir atténuer le risque et nous sommes des experts sur ce plan.

Cependant, une mission risquée qui présente toutes les chances d'aboutir peut être une mission dans laquelle nous voudrons nous investir et, dans l'armée, nous prenons des risques. Nous sommes bons pour prendre des risques, à condition que nous puissions les atténuer. Si cela n'est pas possible, et si le risque est disproportionné et que, en même temps, il n'y a aucun espoir de progresser, alors c'est qu'il s'agit probablement du mauvais mandat et, dans une telle situation, je conseillerai le gouvernement de travailler davantage avec l'ONU, avant d'engager des troupes.

Nous nous trouvons donc, actuellement, dans une excellente position pour réfléchir sur le genre de missions à confier à nos forces armées pour que celles-ci puissent, comme il se doit, contribuer au règlement de certains des conflits les plus délicats de notre époque, et c'est précisément là où se situe actuellement l'ONU.

Le président : Sénateur Dagenais, voulez-vous poser rapidement une autre question?

Le sénateur Dagenais : Merci pour votre réponse, général Vance. J'ai une autre question, mais pour le lieutenant-général Whitecross.

[Français]

On parle beaucoup des avantages que les femmes peuvent offrir dans le cadre d'une mission de paix; auriez-vous des exemples à nous donner des effectifs et du rôle que les femmes militaires joueront dans les missions, comme la mission en Afrique?

Lieutenant-général Christine Whitecross, commandante, Commandement du personnel militaire, Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Je répondrai en anglais si vous le permettez.

[Traduction]

Merci pour cette question.

Je dirais que, lorsqu'on déploie des femmes en uniforme, dans le cadre de n'importe quelle opération, on obtient un point de vue radicalement différent de la situation sur le terrain. Dans certains cas, on parvient à instaurer, avec les différents partenaires sur le terrain, des communications qui ne seraient pas forcément possibles d'établir si la mission n'était menée que par des hommes. C'est ce que nous avons, je pense, fort bien appris en Afghanistan. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une question de femmes. Je me risquerais à dire que c'est la même chose avec toute personne de provenance culturelle différente. Cela nous permet de miser davantage sur nos fonctions d'habilitation de la force, si l'on peut dire, sur le terrain.

J'affirmerais, par ailleurs, qu'à bien des égards, les femmes appréhendent les répercussions des conflits de façons différentes, pour ce qui est des aspects touchant davantage à la vie courante, qu'il s'agisse de questions concernant les femmes ou les populations vulnérables, et nous en venons ainsi à améliorer les décisions opérationnelles prises sur le terrain, parce que nous arrivons à appliquer une vision beaucoup plus globale, beaucoup plus exhaustive de la situation.

Gén Vance : Je suis on ne peut plus d'accord. En fait, la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU reconnaît que l'apport des femmes et l'application d'un cadre d'analyse sexospécifique, ainsi que l'ensemble des outils utilisés pour analyser un conflit sont les seules façons d'appréhender une situation dans son ensemble. Dans bien des conflits auxquels nous avons affaire, les hommes sont en première ligne et les femmes sont à l'arrière, mais pour trouver la solution à une tragédie qui se joue au niveau national ou à celui de l'État, il faut faire participer toute la population et pas uniquement les hommes.

Comme je le disais, ce n'est pas forcément quelque chose que l'on peut faire en recourant uniquement aux forces armées. Il faut rechercher un effet holistique. Nous avons adopté les analyses sexospécifiques, comme nombre de nos alliés, pour examiner de façon plus globale la nature des conflits. Cela veut dire que les femmes participent aux opérations et qu'il faut, sur le terrain, opérationnaliser la capacité à percevoir et à modifier les impacts sur les femmes, sur les populations vulnérables et ainsi de suite.

L'initiative sur les enfants soldats que nous administrons s'inscrit en prolongement de tout cela, car elle n'en fait pas véritablement partie.

On ne veut pas simplement intervenir à l'aide d'un instrument contondant pour régler les problèmes constatés et nous cherchons à mieux faire en recourant aux analyses sexospécifiques et en misant sur le rôle des femmes sur le terrain.

Le sénateur Kenny : Bienvenue, général. Ma première question rejoint la première que vous a posée le sénateur Dagenais, soit la protection de la force et la façon d'atténuer le risque. Je cherche des exemples qui vont parler à la population, parce qu'en fin de compte, celle-ci aura son mot à dire dans le genre de mission que nous déciderons d'entreprendre dans l'avenir. J'oserais même dire que le débat qui s'annonce au Parlement va également porter sur cette question. Il serait, selon moi, très utile que vous nous donniez des exemples de la façon dont vous pouvez réduire les risques que courent nos militaires dans le cadre de missions de soutien de la paix.

Gén Vance : Merci, sénateur.

La protection de la force est un élément fondamental auquel nous songeons en permanence, peu importe le genre d'opération que nous entreprenons et peu importe où nous nous retrouvons. Nous adaptons nos forces armées en jouant sur la composition, la formation et le matériel confié aux militaires déployés, ainsi que sur les règles d'engagement à appliquer pour que cette force soit bien équipée afin de faire face aux menaces les plus évidentes de même qu'aux changements de menace qui se produiront.

Plus précisément, s'agissant d'atténuation du risque, j'émets des règles d'engagement, des RE, à l'intention des militaires. Ces règles relèvent de ma compétence. Nos militaires n'interviennent pas en vertu de RE de l'ONU, mais en vertu de RE canadiennes. Je n'ai jamais renoncé à l'exercice d'un commandement canadien sur nos militaires. Jamais les Canadiens n'évoluent en dehors d'un commandement directement exercé par le chef d'état-major. Ils peuvent effectivement recevoir des missions tactiques par des commandants des forces de l'ONU, mais ils appliquent des RE canadiennes.

Nous avons beaucoup appris depuis l'époque de la Bosnie et du Rwanda, notamment qu'il faut toujours avoir un commandement canadien ou de RE canadiennes. À cet égard, je suis en mesure de déterminer le niveau de force suffisante pour atténuer une menace, pour réagir et pour protéger nos soldats. Je m'assure que l'on tienne compte de tous ces aspects au moment de constituer et de déployer la force d'intervention.

Il est évident qu'à l'occasion, l'ONU ne recourt pas à toute la force que nous pouvons juger nécessaire de déployer pour assurer la protection de nos armées. Dans de tels cas, il nous est possible d'apporter une contribution nationale volontaire ou plutôt de modifier la nature de la demande émanant de l'ONU et du DOMP afin d'obtenir le bon ensemble de forces armées sur le terrain si, selon nous, c'est ce qu'il convient de faire.

Je vais vous en donner un exemple. Les Hollandais se sont rendus dans le nord du Mali afin de répondre à la demande qui leur avait été faite de déployer des forces dans cette région pour éviter un bain de sang. Ils y sont allés avec des hélicoptères d'attaque, des patrouilles, des tireurs d'élite et des forces spéciales et ils ont appliqué, pour la première fois dans cette mission, le concept de collecte du renseignement. L'ONU s'en est réjouie parce que c'est le genre d'instrument militaire qu'il fallait pour faire le travail.

Nous allons faire exactement la même chose. Le plus petit commun dénominateur ne consistera pas simplement à nous plier aux desiderata de l'ONU. Nous apposerons le sceau du Canada sur tout ce que nous ferons, où que nous allions. Nous avons appris nos leçons du passé.

Nous avons la capacité de produire d'excellents indicateurs tactiques, opérationnels et stratégiques ainsi que des marqueurs de danger potentiel pour nos troupes, outre que, si besoin est, nous sommes en mesure de fournir instantanément tout le matériel nécessaire sur le terrain et de le changer.

Enfin, je dirais que, peu importe où nous nous retrouverons dans le monde, nous devrons maintenir des éléments de commandement canadien — quelqu'un doit être responsable — à proximité de nos militaires. Il nous faut des hauts gradés aptes à faire une excellente lecture du terrain. Ils ne seront pas forcément intégrés à la chaîne de commandement onusienne, mais ils veilleront aux intérêts des Canadiens. En cas de problème, nous réagirons très rapidement.

Le sénateur Kenny : La dernière fois que vous êtes venu ici, général, nous avons parlé du projet JUSTAS qui ne répondait pas aux attentes. Nous avons maintenant l'impression que rien n'a changé et que rien n'avance. Pourriez-vous conseiller le comité sur la façon dont nous devrions aborder ce problème afin de déterminer ce qui occasionne les retards? Tout ce qui est JUSTAS et UAV, où cela va-t-il dans les forces armées? Pourquoi n'avons-nous pas un programme qui fonctionne? Cela fait une décennie que c'est là et nous ne voyons aucun progrès.

Gén Vance : Sénateur, permettez-moi de vous dire que, même si vous ne percevez pas les progrès, il s'agit d'un projet sur lequel nous travaillons. Nous sommes en train de conduire un examen en profondeur de la politique, examen qui vise à examiner tous les aspects de l'équipement des forces armées dans l'avenir. Vous avez entendu le ministre vous dire que nous abordons globalement tous les systèmes dont nous nous servons. Cet examen de la politique va nous aider à déterminer des priorités et à financer le programme que nous jugeons essentiel pour réaliser cette politique. C'est là où nous en sommes dans le cadre de JUSTAS. Tout cela s'inscrit dans le cadre d'un vaste effort d'examen de la politique.

[Français]

Le sénateur Carignan : Bienvenue. J'écoute les témoins depuis plusieurs semaines, depuis que nous travaillons sur ce dossier, et nous avons entendu et constaté qu'il y avait un sous-investissement en ce qui concerne nos forces armées. Nous nous sommes engagés envers l'OTAN à consacrer 2 p. 100 de notre PIB à nos dépenses militaires. Or, nous avons de la difficulté à y consacrer 1 p. 100.

Nous devons augmenter notre présence dans l'Arctique, sur les côtes, mais nous avons de la difficulté. Nous sommes le pays, dans le monde, qui a le plus de kilomètres de côtes et probablement le plus petit nombre de patrouilles et de bateaux par milliers de kilomètres de côtes. Il y a également des problèmes en ce qui concerne la formation de la Réserve. D'autre part, je vous ai entendu dire que nous devrions avoir un impact, ou à tout le moins faire une différence importante.

Je regarde actuellement ce qui se passe en Afrique; la Chine est omniprésente sur le plan économique. Elle va établir sa première base militaire à l'extérieur de la Chine en campant 10 000 soldats en Afrique. Il y a déjà plus de 100 000 Casques bleus qui sont déployés en Afrique dans différents pays.

Comment le Canada peut-il faire une différence importante en Afrique dans le cadre d'un mandat de maintien de la paix avec les moyens qu'il a, les priorités dont il doit tenir compte et l'omniprésence d'autres pays qui ont des intérêts économiques stratégiques à protéger? Comment peut-on faire une différence significative? Combien de soldats faudrait-il envoyer pour avoir un impact? Qu'est-ce qu'on devrait faire?

Je pense qu'il s'agit d'une mission impossible, qui est symbolique et politique.

[Traduction]

Gén Vance : Sénateur, pour dire vrai, je ne suis pas d'accord quand vous semblez oublier qu'il s'agit d'une mission impossible. Ce que vous avez décrit à propos de notre mission, quant à ce que nous voulons faire dans le Nord, quant à ce que nous faisons dans l'espace maritime, est tout à fait appréciable. J'ajouterai que nous sommes très présents en Europe, que nous maintenons nos efforts dans la région Asie-Pacifique, que nous poursuivons nos missions de défense et de sécurité des Canadiens partout au pays, d'un océan à l'autre, que nous avons la capacité à répondre aux incidents de nature terroriste et que nous continuons à mener des missions aux Proche et au Moyen-Orient. Les Forces armées canadiennes en font beaucoup et elles en sont tout à fait capables.

La nature de notre examen de la politique de défense vise à nous donner une bonne idée de la situation et à permettre au gouvernement du Canada de prendre les décisions nécessaires en fonction de ce qu'il voudra faire dans l'avenir. Au stade où nous en sommes, les forces armées sont déjà entièrement capables de faire ce qui a été annoncé. Sans parler des opérations en Europe et au Moyen-Orient, le premier ministre et le ministre ont annoncé la participation de 400 à 600 Canadiens en uniforme aux opérations de l'ONU, dont une partie ou peut-être la totalité se retrouveront en Afrique. La décision n'a pas encore été prise. Nous avons des engagements dans la durée dans le nord du pays, auprès du NORAD, et nous maintenons nos efforts en Asie-Pacifique.

À la façon dont nous formons nos gens, compte tenu de leurs compétences et du matériel ainsi que du capital humain sur lequel le Canada peut compter, 400 à 600 Canadiens changeront vraiment les choses. Nous le savons déjà, car c'est ce que nous constatons régulièrement. Vous pouvez effectivement déployer un grand nombre de militaires venant d'autres pays, de partout dans le monde, et ils pourront eux aussi faire un excellent travail, mais cela ne retire rien au fait que nous pouvons faire davantage en fonction de la nature des conflits, pour essayer de faire quelque chose de bien.

Je suis en désaccord avec vous sur la façon dont vous avez décrit mes remarques liminaires. Vous m'avez fait dire que nous allions profondément changer les choses. Je n'ai pas qualifié notre action, j'ai dit que nous allions « changer les choses ». Il est question de changer les choses à long terme, dans des endroits comme le continent africain, le Proche ou le Moyen-Orient, bref partout où il y a une opération de l'ONU en cours, parce que c'est important partout. Nous sommes un pays qui forme et qui prépare bien ces militaires et nous avons donc la capacité d'exercer une influence disproportionnée par rapport aux effectifs que nous déployons sur le terrain.

C'est donc une chose à laquelle je crois, mais il faut que nous nous donnions des missions réalistes et rationnelles. Il ne suffit pas d'envoyer des Canadiens pour régler un problème. Comme je l'ai expliqué précédemment, je suis en train d'étudier en profondeur ce qu'il faut faire pour s'attaquer à la nature du problème. Qu'est-ce que les Nations unies pensent faire; et est-ce que ce sera assez? Ou trop peu? Y a-t-il des lacunes que le Canada peut combler, ou est-il nécessaire de transformer complètement le mandat parce qu'on ne vise pas la bonne chose? C'est ensuite que, après avoir fait une analyse rigoureuse et conseillé le gouvernement, nous mettons en œuvre la meilleure solution possible qui, comme nous le savons, ne réglera qu'environ 20 p. 100 du problème de toute façon. Il est peu probable que le problème soit entièrement réglé par les forces armées, mais nous pouvons y contribuer.

Nous allons aussi mettre à contribution le poids de l'analyse de ce que nous pouvons faire comme pays. Quelle est la meilleure chose à faire? Comment y parvenir? Qu'il y en ait 400, 600 ou 10 000, chaque petit détail compte.

J'aimerais signaler que nous avons eu des discussions avec les Chinois et obtenu qu'ils viennent vers nous pour que nous les aidions, que nous collaborions avec eux dans des opérations de maintien de la paix. Nous avons des choses à offrir. Nous avons une expérience opérationnelle et en interventions expéditionnaires à l'étranger qu'ils n'ont pas. À mon avis, il existe des façons par lesquelles quelques Canadiens pourraient aider ces 10 000 soldats à mieux faire. Il n'est pas toujours nécessaire d'être celui qui tient la baïonnette pour que les choses aillent bien. Il y a moyen d'avoir un plus grand impact.

Je crois sincèrement qu'avec 600 Canadiens là-bas, en plus de quelque 400 autres en Lettonie, eux aussi affectés à une importante mission de maintien de la paix destinée à écarter toute agression en Europe, les Canadiens qui essaient de faire du renforcement des capacités au Moyen-Orient et les Canadiens en uniforme qui soutiennent les objectifs du gouvernement en Asie-Pacifique contribuent tous au vaste effort entrepris par le gouvernement du Canada pour soutenir la paix et la stabilité dans le monde; donc, 600, ça compte.

[Français]

Le sénateur Carignan : Le vérificateur général nous a dit que la différence entre les investissements consacrés à la formation des membres de la Réserve et à celle des forces pouvait représenter un risque important — je n'oserais pas dire « significatif » — en termes de formation et de fourniture d'équipement. Je ne veux pas sortir les notes sténo pour savoir ce qu'on a dit, car il ne s'agit pas d'un contre-interrogatoire.

Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez fait ou de ce que vous entendez faire pour donner suite au rapport du vérificateur général, afin de vous assurer que ces lacunes en matière de formation ou d'investissement dans l'équipement n'auront pas de conséquences qui se traduiront par des pertes de vies dans une mission de maintien de la paix?

[Traduction]

Gén Vance : Nous avons accepté le rapport du vérificateur général. On y parle surtout de la difficulté de compiler des dossiers sur la formation des réservistes, laissant peut-être entendre une lacune concernant leur formation et leur équipement.

Je peux vous assurer, ainsi qu'à toute personne que cela intéresse, que nous ne dépêcherons pas des réservistes qui ne seraient pas prêts à intervenir; nous ne ferons jamais cela. Pas du tout. L'historique des opérations que nous avons menées en Afghanistan, où nous avons eu la fierté de déployer jusqu'à 25 p. 100 de nos forces, est très significatif à mon avis. Tous ceux qui sont venus nous visiter en Afghanistan ont pu voir que, vraiment, il n'y a pas de différence entre les Forces régulières et les forces de réserve. C'est parce que nous avons un bon programme de formation qui voit à entraîner et équiper les soldats qui se préparent à partir. Donc, si un réserviste doit acquérir une compétence en particulier, c'est réglé avant son départ.

Cela étant, je reconnais que nous devons examiner la situation générale des Forces de réserve; cela fait partie de notre prochain examen de la politique de défense. Nous devons examiner nos investissements dans ces forces. Nous devons nous assurer que la capacité de base des Forces de réserve canadiennes et leur équipement répondent aux objectifs d'utilisation que nous avons pour elles. Ça, j'en conviens.

Soyez assurés que c'est mon travail, le travail du commandant de l'armée et finalement celui du ministre de la Défense que de voir à éliminer complètement de tels risques en s'assurant que ceux que nous envoyons sont prêts à être déployés. Telle est la façon de faire de la Réserve, en pareil cas. C'est celle que nous avons actuellement et que nous allons maintenir. Il nous faut nous attarder davantage, cependant, au traitement de nos réservistes après leur déploiement, nous assurer que leur réintégration se passe bien et que l'on se soucie aussi bien de leur santé mentale que de celle de la Force régulière.

Je vous remercie de poser la question, car elle me donne une occasion de réfuter cette idée que nous pourrions tout simplement prendre une personne qui n'est pas prête et l'envoyer en zone d'opération. Nous ne marchons pas comme cela. Nous ne travaillons pas de cette façon : nous ne l'avons jamais fait et nous ne le ferons jamais.

La sénatrice Beyak : Félicitations, général Whitecross; vous avez toute mon admiration.

Je tiens aussi à vous féliciter tous les deux pour ce que vous avez fait dans le cadre de l'opération Honneur. Il faut rappeler à la population canadienne que la présence de quelques pommes pourries ne va pas nécessairement gaspiller tout le panier. Les Forces armées canadiennes sont de classe internationale et elles nous font honneur; il faut s'occuper des gestes posés par certains, mais pas au détriment de l'ensemble.

Général Vance, compte tenu de votre expérience dans des missions de paix de l'ONU, pouvez-vous nous dire quels sont les principaux enseignements que vous en avez tirés et ce que vous comptez faire pour éviter les pièges à l'avenir? Vous en avez déjà parlé dans votre réponse au sénateur Kenny.

Personnellement, je crois que le Canada est l'un des seuls pays au monde où le ministère de la Défense nationale n'a pas la mainmise sur les approvisionnements. C'est fait par Travaux publics Canada. Est-ce exact? Je n'ai pas l'impression que ce soit une très bonne idée. A-t-on déjà considéré ramener le tout au MDN, question de réduire la bureaucratie et la grande complexité de ce système d'approvisionnement?

Les Canadiens me demandent toujours : « Pourquoi chaque gouvernement défait-il le système d'approvisionnement de celui qui l'a précédé? » Le renouvellement des contrats coûte très cher, tout comme leur résiliation et le paiement des intérêts. On a l'impression qu'il y a beaucoup de gaspillage.

Gén Vance : Merci, sénatrice.

Pour la question concernant les Nations unies, je pense que nous en avons appris beaucoup en matière d'opérations au cours des dernières décennies, car les choses ont changé. Le monde a changé. Cela a changé lorsque nous sommes passés à un nouveau mode de maintien de la paix à Sarajevo; cela a changé dans les Balkans... et changé encore le 11 septembre. À la base, la nature et le caractère d'un conflit ont des caractéristiques immuables, mais sa façon de se manifester et les gestes que nous posons pour en améliorer l'issue ont changé, et cela change sans arrêt.

Je dirais que la leçon la plus marquante revient pas mal à ce que notre ministre a dit : il faut comprendre la situation. Il faut l'évaluer. On doit comprendre parfaitement ce qu'il peut être possible de faire dans les circonstances et comment la présence militaire qu'on peut apporter pourra s'inscrire dans l'ensemble.

L'avènement de l'approche 3D, c'est-à-dire pangouvernementale et intégrée, est relativement récent. Il signifie que nous reconnaissons que le militaire n'est pas nécessairement la solution, mais qu'il peut entraîner ou créer des solutions qui y mèneront. C'est parfois utile, parfois pas.

Donc, le fait de comprendre quand on doit recourir ou non à la force, quand il faut faire appel à l'armée et quand il ne le faut pas, cela aussi, cela fait partie de l'art et de la science en cause. Une leçon inoubliable aura été, pour moi, de faire en sorte que les résultats visés en valent la peine alors que d'autres n'ont que 50 p. 100 de chances d'être obtenus, compte tenu du mandat et de l'organisation des forces rassemblées.

Il nous faut comprendre que les conflits inextricables demandent parfois du temps. La plupart des conflits auxquels nous faisons face aujourd'hui, là où se trouvent les forces onusiennes, sont longs et inextricables, et nécessitent l'influence stabilisatrice des Nations unies, qui aide à mitiger le conflit et l'empêcher de s'envenimer, à en réduire les effets négatifs, tandis que l'important travail social, politique et économique s'attarde à ce qui est vraiment derrière tout cela, à la nature même du conflit.

En matière d'approvisionnements, je suis plutôt satisfait, quant à moi, du fait que, pour ce qui est des Forces armées canadiennes, soit de mon travail, les exigences sont claires. Je regarde la politique du gouvernement du Canada en matière de défense. Que souhaitez-vous que nous soyons en mesure de faire, dans les forces armées? Combien de temps et dans quelle mesure voulez-vous que nous le fassions? Je tiens compte de tous les facteurs. À partir de là, un certain nombre de procédés différents — et cela se fait en continu — me permet de déterminer comment nous devons faire quelque chose. Y a-t-il un quelconque écart, une différence, entre ce qu'on me demande de faire et ce que je peux faire? À mon avis, la présence de l'armée à cette étape est appropriée.

Pour ce qui est des activités d'approvisionnement dans leur ensemble, il est vrai qu'on y pense beaucoup. C'est réellement nécessaire de le faire. L'affaire est complexe. On parle de la gestion de deniers publics. Il est ardu de faire les bons choix tout en tenant compte d'horizons pouvant aller jusqu'à 40 ou 50 ans quand on achète des biens d'équipement importants.

Je suis plutôt satisfait du processus en place, en vertu duquel la Défense énonce ses exigences. Les activités d'approvisionnement sont en fait un travail plus large, multiministériel, dirigé par le ministère de l'Approvisionnement, mais la Défense y a un rôle. Nous ne sommes donc pas absents du processus.

En tant que CEMD du pays, je suis en mesure de dire quels sont les besoins, et c'est ce qu'il me faut pour pouvoir agir. Oui, il y a toujours place à amélioration. On ne peut pas dire le contraire.

Le président : Merci, général. Nous allons dépasser un peu notre temps, si cela vous va. D'autres personnes aimeraient poser des questions.

Le sénateur Day : Général, devant la diversité des questions, vous pouvez voir qu'il s'agit d'un domaine qui nous intéresse et nous préoccupe grandement.

J'aimerais revenir à votre exposé et au problème d'inconduite sexuelle, pendant que vous êtes ici et que la générale Whitecross est accessible. J'aimerais vous remercier et vous féliciter énormément d'en avoir fait une priorité depuis que vous avez pris la tête des forces armées, et nous allons nous en occuper. Une façon de le faire, à mon avis, passe par la dissuasion et la communication. Voilà pourquoi j'aimerais prendre juste un peu de temps pour bien comprendre vos propos.

Vous avez mentionné que, depuis janvier, huit personnes ont été reconnues coupables de comportement sexuel inapproprié. Ces huit personnes ont-elles maintenant quitté les Forces armées canadiennes?

Gén Vance : Je vais vous revenir là-dessus, sénateur. Je ne sais pas quelle est leur situation en ce moment même. La plupart devraient être incarcérés, soit qu'ils le sont ou le seront, ou ils sont engagés dans un processus. Je vais donc devoir vous revenir quant à l'état actuel de ces huit dossiers.

Le sénateur Day : Je vous remercie.

Vous avez mentionné que 55 autres ont fait l'objet de mesures administratives ayant des répercussions sur leur carrière, puis vous poursuivez en disant que certains ont été relevés de leurs fonctions et que d'autres ont été renvoyés des forces armées. Je trouve important que, du point de vue des communications, nous comprenions exactement quelles mesures sont prises, que l'on traite cela de façon sérieuse.

Dans un certain nombre de passages de votre exposé, vous faites référence à la culture. Vous dites que l'un des objectifs à long terme de l'opération Honneur consiste à changer la culture. Or, est-ce que vous parlez de la culture au sein de l'armée ou de la culture au Canada en général? Avez-vous fait une quelconque analyse et étude comparative entre nos Forces armées canadiennes et, peut-être, celles de l'OTAN ou d'ailleurs, ou avec des amis qui pourraient nous aider à établir s'il s'agit de changer une culture en milieu militaire ou plutôt au Canada?

Gén Vance : Merci, sénateur. Il y a pas mal de questions dans votre intervention.

En fait, je prends note de vous tenir au courant de ce qui a été fait dans la mesure de nos moyens — tout en tenant compte des questions de protection des renseignements personnels liées à ceux qui font l'objet de sanctions — donc le meilleur compte rendu possible de tout ce qui se fait.

Le sénateur Day : Oui. Je comprends cela.

Gén Vance : D'entrée de jeu, je suis cependant d'accord avec vous : une partie de ce qu'il faut faire pour que l'opération Honneur fonctionne de mieux en mieux, c'est d'obtenir les données. Nous n'en sommes encore qu'au début du processus. Il faut obtenir des données, mais aussi les diffuser. Sur ce plan, nous devons faire mieux. Je le signale dans le rapport. J'ai commencé à donner davantage d'information, et à mieux le faire, quant aux mesures punitives qui ont été prises, et j'ai demandé au lieutenant-général Whitecross ainsi qu'à l'équipe qui s'occupe du dossier de le faire.

La dissuasion est une chose. La première année, nous avons privilégié le soutien aux victimes. Nous avons surtout vu à leur donner une voix et à nous assurer que la chaîne hiérarchique accorde la priorité aux victimes dans son approche. De ce côté, les choses s'améliorent de plus en plus, et je dirais que les résultats en témoignent. Il n'en demeure pas moins que je ne céderai jamais sur ce point : le soutien aux victimes toujours et avant tout.

Le sénateur Day : Oui.

Gén Vance : Mais parallèlement, nous voulons tenter de prévenir. La culture changera d'une foule de façons. L'une d'elles consistera à s'assurer que les gens connaissent la distinction entre un comportement admissible et un autre qui ne l'est pas, et un manquement à cette norme conduira à une sanction. Il faut donc que ce soit simple, clair et communiqué correctement. Nous devons faire mieux sur ce plan. Nous nous y mettrons avant le prochain rapport semestriel, mais je suis tout à fait d'accord avec vous : les gens ont besoin de voir les résultats.

En même temps, on parle aussi de mon monde, dans les forces armées. Je dois traiter ces personnes selon la procédure établie, dans le respect de leur vie privée lorsque c'est justifié, et ainsi de suite.

Je veux simplement être sûr que j'ai bien répondu à votre question, là.

Le sénateur Day : Une étude comparative serait en effet utile, si nous savions que quelque chose du genre était en train de se faire.

Gén Vance : Exact.

Je pense que toutes les forces armées occidentales auxquelles je peux penser et que je connais font face à cela d'une façon ou d'une autre. Et je pense que toutes les sociétés, dans leurs autres institutions — qu'il s'agisse des universités ou ailleurs, de même dans les équipes de sport professionnel — sont confrontées à l'une ou l'autre des facettes du problème.

Je me contenterai de dire que, pour les dirigeants militaires, les chefs d'état-major auxquels je parle et évidemment ceux d'ici même, au Canada... les enjeux sont très importants au sein d'une armée, où l'influence négative que cela peut avoir dans les rangs peut nuire au moral des troupes, les détourner de leurs priorités opérationnelles, empêcher des gens à vouloir adhérer aux forces armées, ce qui réduirait gravement notre aptitude à accroître la diversité dans nos rangs, alors que la diversité augmente la force de nos activités militaires.

Ce type de conflit, comme le général Whitecross vous l'a décrit, nécessite un échantillon plus divers de la population. En recrutant plus de femmes dans les forces armées — et je me suis engagé à essayer d'augmenter le pourcentage de femmes dans les forces armées d'un pour cent par année au cours des 10 années à venir — parce qu'en accroissant la diversité, non seulement en recrutant des femmes, mais des Autochtones et des membres de minorités visibles, nous améliorons notre capacité opérationnelle. J'avoue que ces raisons sont un peu égoïstes. Ce n'est pas uniquement une bonne chose à faire; c'est une bonne chose parce que cela nous rend plus efficaces au sein des conflits, c'est pourquoi nous le faisons.

Le sénateur Day : J'ai une question à vous poser au sujet du sondage que vous venez de mener auprès de 40 000 membres des forces armées. Comment allez-vous en utiliser les résultats? Vous allez analyser les comportements sexuels préjudiciables dans les rangs, mais ensuite vous parlez d'une analyse détaillée de la culture militaire. Nous retrouvons ce mot « culture ». Dans cette étude, vous mentionnez plusieurs choses sur lesquelles je n'ai pas le temps de m'arrêter, mais je voudrais savoir si vous allez aussi étudier les taux élevés de suicide dans les forces armées.

Gén Vance : Merci, sénateur.

Nous n'allons pas étudier particulièrement les suicides. Je crois qu'il s'agit d'un projet distinct, et nous nous ferons un plaisir de revenir, si le président nous y invite, pour vous parler spécialement des soins que nous dispensons à nos gens malades et blessés et dans les situations de suicide.

Je suppose qu'il arrive que ces deux événements se recoupent lorsque la vie d'une personne est bouleversée par un comportement sexuel préjudiciable au point où cette personne envisage de se suicider, mais je n'ai pas ces statistiques, et les résultats de l'enquête de Statistique Canada ne nous éclaireront pas nécessairement sur cette question.

Je peux cependant vous dire, très brièvement, que la culture englobe toutes sortes de facteurs différents qui, ensemble, forment notre personnalité. Je peux vous dire qu'en termes généraux, la culture des forces armées est positive. Nous prenons bien soin de notre santé et de notre conditionnement physique. Nous tenons à respecter les règles et les règlements. Nous sommes attachés aux mêmes valeurs que les Canadiens; en fait, nous nous efforçons de représenter efficacement le Canada ailleurs dans le monde. Nous attachons beaucoup d'importance à la discipline. Nous sommes un instrument capable d'user de notre force, mais de façon contrôlée. Nous gérons cela avec beaucoup de soin.

De nombreux aspects de notre culture sont bons, mais parfois, peut-être en exécutant toutes sortes d'autres bonnes choses, il nous arrive de ne pas reconnaître que la nature des conflits a changé très rapidement et que la diversité, le fait de prendre soin de ses semblables et d'être bons les uns envers les autres, se traduira par une meilleure capacité opérationnelle. Les guerriers se traitent bien entre eux. Il en a toujours été ainsi, et cette attitude se maintiendra. Nous traitons bien même les soldats ennemis quand ils se rendent.

Alors je crois que cette attitude est ancrée très profondément. Il va falloir du temps, mais nous pouvons commencer à influencer les comportements.

Le président : Merci, général.

Je crois que le sénateur Kenny voulait aussi poser une dernière question.

Le sénateur Kenny : Général, nous supposons que vous chargerez le COIC de commander et de surveiller les missions de maintien de la paix à l'étranger. Si tel est le cas, pourriez-vous organiser pour notre comité une rencontre avec le COIC et une visite à Star Top pour qu'on nous y donne plus d'information?

Gén Vance : Monsieur le président, je me ferai un plaisir d'inviter dès maintenant le comité à venir au COIC à la date qui vous conviendra. Comme cette visite concerne les opérations de soutien de la paix, je vous recommanderais d'attendre que l'analyse soit terminée, que le gouvernement ait pris les décisions requises et que les travaux précédant les déploiements soient accomplis et que l'on ait décidé de l'ampleur des déploiements. Mais je crois qu'il sera très utile que vous visitiez le COIC pour voir ce qui se déroule et comment les choses évoluent.

Le sénateur Kenny : Je demandais cela dans le contexte du rapport que nous préparons pour le ministre. Quand devons-nous le présenter?

Le président : Dans deux ou trois semaines, en novembre.

Gén Vance : Ah, bon.

Monsieur le président, je me ferai un plaisir d'organiser pour vous une visite de n'importe quelle section des forces armées quand vous le voudrez. Si vous pensez qu'il serait bon que vous visitiez le quartier général du COIC et d'observer le monde au niveau opérationnel, je suis très heureux de vous y inviter.

Le président : Général, avant que nous ne terminions, je vous avais demandé quels sont les trois pays d'Afrique où vous envisagez en priorité de déployer des troupes. Pourriez-vous nous nommer ces trois pays pour que nous comprenions officiellement ce qui se prépare réellement? Toute l'information que nous avons nous vient des journaux.

Gén Vance : Monsieur le président, je ne suis pas encore prêt à le dire. Nous n'avons pas accordé de priorité aux pays. Il n'y a pas de pays prioritaires. Nous examinons l'Afrique de façon globale pour voir où l'ONU effectue des missions. Je regarde en gros où se trouvent les missions de l'ONU, puis nous analyserons la situation comme je vous l'ai décrit tout à l'heure.

Quant à l'idée de pays prioritaires, je n'y pense même pas. Je n'agis pas du tout en fonction de cela. J'examine la situation de façon plus globale.

Le président : Nous comprenons tout à fait. Alors quel échéancier avez-vous établi? S'agit-il de 60 jours de plus? Vous avez probablement un échéancier sur lequel reposent vos décisions. Pourrions-nous recevoir un peu plus de précisions sur ce qui nous attend du point de vue du temps?

Gén Vance : Vous voulez savoir quand le gouvernement décidera des dates des missions? Est-ce que c'est cela que vous me demandez?

Le président : Oui.

Gén Vance : Je ne suis pas très bien placé pour répondre. Vous devriez plutôt demander cela à mon ministre.

Le président : Je vais donc laisser cette question en suspens.

J'ai une autre question plus immédiate sur laquelle vous pourrez peut-être nous éclairer. Nous avons entendu dire qu'en Irak, le ministre de la Défense et le ministre des Finances ont été démis de leurs fonctions et que le ministre de l'Intérieur avait donné sa démission. Cela crée très évidemment une grande instabilité politique. Quel effet ces événements auront-ils sur la participation des troupes que nous avons dans ce pays?

Gén Vance : Certaines de ces démissions ont eu lieu il y a longtemps et nous étions parfaitement au courant de ces faits.

Très brièvement, la situation en Irak est telle que l'élimination de la menace militaire de l'État islamique, qui aura probablement lieu au cours des mois qui viennent, ne représente qu'une partie du grand conflit qui fait rage dans cette région.

Je l'ai dit aujourd'hui, et je vais le répéter : l'armée peut résoudre un ensemble de problèmes secondaires et fixer des conditions. À l'heure actuelle, nos opérations visent à éviter que l'État islamique ne pose un grave danger dans l'immédiat ou qu'il renverse le gouvernement de l'Irak, ce qui jetterait l'Irak et toute la région dans un chaos indescriptible. En fait, nous avons réussi à écarter cette possibilité. L'État islamique va perdre toute sa force militaire, il n'existera plus en Irak.

Cependant, l'Irak est un État unitaire qui progresse avec succès, et nous devrons surveiller les influences qu'il subit à l'interne ainsi que dans ses milieux politiques, économiques et sociaux. À mon avis, le travail que nos armées accomplissent maintenant en Irak ne constitue que le premier pas d'un long cheminement vers la prospérité à venir de ce pays. L'élimination de l'État islamique en Irak et en Syrie ne résoudra pas tous les problèmes de ces deux pays. Nous y éliminons ce qui doit y être éliminé pour éviter que le chaos qui y règne n'empire, mais il y a beaucoup d'autres tâches à y accomplir.

Alors en ce qui concerne les effets de l'instabilité politique, je ne peux pas vous dire si la démission de ces ministres est une bonne chose, une mauvaise chose, ou un simple changement. Mais il est crucial pour la prospérité à long terme de l'Irak qu'on y instaure la stabilité politique, le respect de la loi et des principes démocratiques.

Nous avons évité la calamité qui aurait suivi l'arrivée de l'État islamique à Bagdad, mais il nous reste encore énormément à faire.

Le président : Chers collègues, je tiens à remercier le général Vance et le commandant Whitecross d'être venus cet après-midi. Nous vous remercions de tout ce que vous faites pour nos hommes et nos femmes en uniforme ainsi que pour le public canadien.

Lieutenant-général, une fois de plus, nous vous félicitons d'avoir été nommée à l'OTAN.

Notre quatrième groupe de la journée se compose du commodore Brian Santarpia, directeur général, plans, État-major interarmées stratégique, ministère de la Défense nationale. L'état-major a pour rôle de fournir des analyses militaires, de l'orientation stratégique, du soutien et des conseils au chef d'état-major de la défense des Forces armées canadiennes. L'État-major interarmées stratégique se compose de cinq divisions, et chacune d'entre elles représente un domaine d'expertise bien précis : les opérations, le soutien, les plans, les initiatives stratégiques et la coordination.

Commodore, bienvenue au comité. Vous avez une allocution à nous présenter, alors vous avez la parole, monsieur.

[Français]

Commodore Brian Santarpia, directeur général, plans, État-major interarmées stratégique, Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui des capacités des Forces armées canadiennes dans le cadre des opérations de soutien de la paix.

Avant de commencer, j'aimerais vous expliquer mon rôle. Je suis ici, comme vous l'avez déjà mentionné, pour représenter le major-général Charles Lamarre, directeur d'état-major de l'État-major interarmées stratégique. Cette organisation fournit des conseils et du soutien au chef d'état-major. Je suis le directeur général des plans, et cela signifie que je dirige et coordonne les étapes de planification préliminaire avec les autres ministères gouvernementaux, ainsi qu'avec les Forces armées canadiennes.

Parlons à présent des opérations de soutien de la paix. Je tiens d'entrée de jeu à vous préciser que cette discussion n'a rien de théorique. En effet, le département des opérations de la paix de l'ONU supervise actuellement 16 opérations de soutien de la paix, et 28 militaires canadiens participent en ce moment à cinq missions de l'ONU. De plus, 70 militaires canadiens participent à la Force multinationale et observateurs, une mission de maintien de la paix dans le Sinaï qui ne relève pas de l'ONU, et 5 militaires participent à une mission de l'OTAN en soutien à l'ONU au Kosovo.

Je vais vous parler de notre capacité d'accroître la compétence des forces dans le cadre d'opérations de soutien de la paix. Permettez-moi de vous expliquer rapidement comment j'ai organisé mes observations. Pour commencer, je vous expliquerai la doctrine que les Forces armées canadiennes appliquent aux opérations de soutien de la paix. Ensuite, je ferai le point sur leurs capacités et les besoins des Nations Unies. En terminant, je vous expliquerai brièvement comment ces trois éléments se recoupent.

[Traduction]

Conformément à la doctrine des Forces armées canadiennes, les opérations de soutien de la paix s'inscrivent dans le spectre ou la continuité du conflit. Imaginez une ligne, avec d'un côté la paix et la guerre nucléaire de l'autre. Entre ces deux extrêmes, il y a des conflits qui se chevauchent, par exemple des opérations de soutien de la paix, la contre-insurrection et la guerre conventionnelle. En fonction de la nature du conflit, les opérations de soutien de la paix prennent la forme d'opérations de maintien de la paix traditionnelles non interventionnistes ou d'opérations de guerre traditionnelle dans un cadre d'imposition de la paix. Autrement dit, il se peut que, au début des opérations d'imposition de la paix, le recours aux armes les plus agressives de l'arsenal des Forces armées canadiennes s'impose — des CF-18 aux chars Leopard 2, en passant par les sous-marins. Cela ne veut pas dire que nous y aurons recours dans toutes les missions; cela veut simplement dire qu'il n'existe pas de capacité à proprement parler dédiée aux opérations de soutien de la paix. Nous pourrions utiliser toutes nos capacités dans une mission donnée, selon la nature de celle-ci.

Cela m'amène à la partie moins théorique et plus pratique de la discussion concernant les capacités des Forces armées canadiennes. En résumé, nous avons la capacité : de le faire, de l'exécuter et de l'enseigner.

Premièrement, nous avons la capacité de le faire en mettant sur pied des groupes d'intervention de taille modulable, allant d'observateurs individuels à de grandes formations basées en mer, sur terre ou dans les aires, en passant par des forces opérationnelles spéciales. Ces groupes sont en mesure de réagir à toutes les menaces liées découlant d'un conflit, notamment en menant des opérations de soutien de la paix. Notre système d'instruction prévoit la coordination, d'entrée de jeu, des capacités et des effets. Grâce à cela, nos forces sont capables de se réorganiser rapidement en groupes d'intervention sur mesure pour différentes missions. En outre, notre système d'instruction non seulement enseigne de solides compétences de base à tous les soldats, marins et aviateurs, mais est modulable pour garantir que les dernières étapes de l'instruction axée sur une mission en particulier sont adaptées au théâtre dans lequel nos forces seront affectées. Nous sommes conscients que l'ONU a ses propres critères de validation et nous nous conformerons à ses exigences de présélection et de validation de l'instruction.

Deuxièmement, nous avons la capacité de jouer un rôle élargi dans l'exécution des missions de l'ONU. L'ONU est rarement à court de fantassins pour mener ses missions, mais elle peine souvent à maintenir une masse critique de spécialistes de la logistique et de « facilitateurs ». Ce genre de capacités se trouvent surtout dans les forces des pays développés qui ont le budget et l'expertise technique nécessaires pour : assurer le bon fonctionnement des hôpitaux de campagne avancés; neutraliser les explosifs et les munitions; déployer des hélicoptères et des capacités de transport aérien lourd, ainsi que des anti-engins explosifs improvisés, des détachements de déminage d'itinéraires, des systèmes d'aéronef sans pilote et des capacités de renseignement, surveillance et reconnaissance.

Nous possédons ces capacités. Bien sûr, nos capacités sont limitées et nous devrons peut-être partager le fardeau avec des pays partenaires si nous voulions nous engager dans une mission à long terme, mais ce sont ces capacités qui accroissent considérablement l'efficacité des missions de l'ONU, tout comme les officiers d'état-major très qualifiés qui coordonnent toutes ces capacités pour garantir que la somme d'une force multinationale est plus que l'ensemble de ses parties. Nos officiers d'état-major sont non seulement bien entraînés, mais puisque le Canada est toujours partenaire d'une alliance ou d'une coalition, ils savent comment gérer les difficultés additionnelles qu'occasionne le travail dans un quartier général multinational.

[Français]

Outre leur expérience et leur formation dans le domaine de la coordination des ressources, le bilinguisme des officiers de l'état-major du Canada apporte une capacité additionnelle à la mission. Même si certains officiers de nos pays partenaires sont multilingues, ils ne parlent pas tous couramment l'anglais et le français, les langues les plus souvent utilisées dans les missions de l'ONU. De plus, l'ONU demande constamment que davantage de femmes militaires participent aux missions et, dans les Forces armées canadiennes, les femmes sont représentées dans tous les grades participant aux missions. Non seulement elles sont très qualifiées dans leurs groupes professionnels et emplois respectifs, mais elles peuvent être des modèles à suivre pour les femmes dans les sociétés qui sortent d'un conflit.

Troisièmement, nous disposons de plusieurs moyens pour transmettre nos connaissances liées aux opérations de soutien de la paix. Vous avez déjà entendu parler du Centre de formation pour le soutien de la paix, mais nous disposons d'autres programmes axés sur l'entraînement des forces étrangères. Nous possédons les moyens et l'expérience pour enseigner aux soldats et aux officiers les compétences individuelles, notamment les techniques élémentaires du soldat, la planification d'état-major et les compétences en leadership. Nous pouvons enseigner les compétences collectives à leurs sections, bataillons ou niveaux supérieurs.

Nous pouvons les former aux tâches propres à une mission ou aux tâches de soutien, et nous pouvons le faire au Canada ou à l'étranger, sur les lieux d'une mission ou pour soutenir un pays tiers qui s'apprête à partir en mission. Nous l'avons fait, sans interruption, en Afghanistan et en Sierra Leone, par exemple, et l'avons fait sporadiquement au Niger.

[Traduction]

Cela m'amène aux besoins actuels de l'ONU. Le Département des opérations de maintien de la paix de l'ONU publie des mises à jour périodiques sur l'évolution du contexte des opérations de maintien de la paix et les lacunes répertoriées dans les différentes missions. Ses besoins actuels correspondent aux domaines que j'ai mentionnés lorsque j'ai parlé du soutien. Elle a besoin d'ingénieurs, d'hôpitaux, de policiers militaires, de soldats des forces spéciales, de spécialistes du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance, de systèmes d'aéronef sans pilote, et d'hélicoptères polyvalents et d'attaque.

L'ONU dispose de suffisamment de fantassins capables de patrouiller et de repousser les factions belligérantes. Par contre, elle a cruellement besoin de moyens pour localiser ces belligérants et prévoir leurs mouvements, d'ingénieurs pour que les fantassins puissent patrouiller sans risque de tomber sur des engins explosifs, d'hélicoptères d'évacuation sanitaire pour évacuer rapidement les blessés, d'hôpitaux pour soigner les blessés, et d'officiers d'état-major pour assurer le bon fonctionnement de toutes les pièces du rouage. Le Canada peut répondre à plusieurs de ces besoins.

Que faut-il retenir? Les Forces armées canadiennes possèdent les compétences nécessaires pour garantir le bon déroulement des opérations de soutien de la paix. Leur infrastructure d'entraînement permet de former des unités de n'importe quelle taille ou configuration. Nous avons la capacité d'apprendre aux autres à faire le travail. De plus, nous possédons des capacités spécialisées qui font actuellement défaut dans beaucoup d'autres pays contributeurs.

Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La sénatrice Jaffer : Merci de nous avoir décrit en détail les différents types d'aide que nous pouvons apporter. Ma question ne concernait pas les mille bottes sur le terrain — et d'après ce que j'ai vu, que vous soyez d'accord avec moi ou non, le Canada n'a pas une aussi grande armée que les autres nations —, mais plutôt la planification stratégique et les ressources que nous pouvons amener sur le terrain pour soutenir une opération de maintien de la paix. Je voudrais que vous vous étendiez là-dessus. Envisageons-nous de faire cela, ou prévoyons-nous d'envoyer des soldats sur le terrain?

Cmdre Santarpia : Je peux affirmer que toutes les options possibles sont soumises au ministre, par l'entremise du chef. S'il s'agit d'une mission propre à l'ONU, cette dernière demande à toutes les nations qui y contribuent de fournir toutes les capacités possibles dont elle a besoin et ne se limite pas à un élément particulier pour une nation donnée.

Nous procédons de la façon suivante : nous recevons l'ensemble des demandes, afin de les comprendre et de faire de notre mieux pour les évaluer en fonction des capacités que nous avons et de la mission, en vue de fournir au chef les meilleurs conseils possible. C'est donc dire que nous pensons à la fois au personnel spécialisé désigné comme facilitateur et aux militaires; nous examinons toutes ces options et nous les soumettons à l'attention du chef. Ce dernier transmet ces recommandations au ministre, s'il le juge approprié, et c'est à ce niveau que la décision est prise.

La sénatrice Jaffer : Corrigez-moi si je me trompe, mais nous avons mené une mission différente en Afghanistan, laquelle a, par la suite, davantage pris la forme d'une mission de formation. Il serait utile de savoir, dans les grandes lignes, quelle était la réflexion à l'origine de cette décision et pourquoi celle-ci était-elle meilleure pour nous. Je crois que cela a bien fonctionné pour nous. S'agit-il du genre de choses auxquelles nous pensons pour l'avenir?

Cmdre Santarpia : Si j'ai bien compris la réflexion, et je ne faisais pas partie de l'État-major interarmées pendant la mission en Afghanistan, mais comme nous tous, j'ai suivi la situation de près, c'était ce qu'il fallait à ce moment-là. Au début de la mission, la capacité d'exercer de la force au sein d'une alliance était considérée comme nécessaire. Au fur et à mesure que la mission a progressé, il a fallu, comme nous le disons, constituer une capacité en Afghanistan. C'est comme cela que s'est créée la mission de formation.

La recommandation transmise par le chef d'alors au gouvernement était que, au fur et à mesure de l'évolution de la situation, nous pouvions obtenir plus de succès sur le terrain en adaptant notre contribution aux besoins. Je crois que c'est toujours le cas; chaque chef d'état-major de la Défense souhaite une bonne analyse de la situation sur le terrain, des causes profondes, de la participation, des lacunes et de la façon de mieux utiliser nos ressources et nos capacités en fonction des besoins.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le commodore, pour votre présentation. Je vais revenir au rôle des militaires dans les missions de paix, entre autres en Afrique. Nous sommes tous conscients que les missions de paix en Afrique mobilisent beaucoup de militaires. Nous comprenons aussi que vous avez des engagements dans d'autres pays où des forces sont déjà déployées. Selon vous, ces engagements sont-ils de nature à réduire de façon importante la capacité globale de l'armée? Si oui, seriez-vous prêts malgré tout à faire face à d'autres situations, au pays ou ailleurs? Avons-nous assez d'effectifs en place pour affronter également des situations inhabituelles au pays, telle la crise du verglas?

Cmdre Santarpia : Chaque fois que nos forces sont requises, nous tentons de bien comprendre la demande qui nous est faite. Nous essayons de bien comprendre les besoins spécifiques, non seulement pour les missions, mais également pour toutes les autres demandes que nous recevons.

Avant de conseiller notre chef d'état-major qui, par la suite, conseillera le ministre, nous nous assurons de voir si la décision d'affecter nos forces dans une nouvelle mission ne nuira pas à d'autres missions. Il est très important que le chef d'état-major et le ministre comprennent cela.

Je ne peux pas dire qu'il n'y a jamais d'effet. C'est un choix que le gouvernement doit faire et nous nous assurons toujours que nos chefs et les ministres comprennent les effets de leurs décisions.

Le sénateur Dagenais : Si le gouvernement a l'intention d'élargir son rôle dans différents pays pour répondre aux demandes de l'ONU tout en demeurant actif avec l'OTAN, quels seraient les besoins en nouveaux militaires au cours des prochaines années?

Cmdre Santarpia : Vous parlez des besoins en soldats?

Le sénateur Dagenais : Oui. Le gouvernement a une certaine ouverture d'esprit pour répondre aux demandes de l'ONU et de l'OTAN. Il est beau de répondre aux demandes, encore faut-il en avoir la capacité. Cela impliquera certainement le recrutement de nouveaux militaires au cours des prochaines années. Est-il prévu de faire du recrutement? On connaît la situation difficile concernant les réservistes. Le gouvernement semble très généreux, mais avons-nous la capacité de répondre aux demandes et de former de nouveaux militaires? Il faut les former, ces gens.

Cmdre Santarpia : Nous ne croyons pas que les missions prévues nécessiteront plus de soldats que ceux que nous avons maintenant. Une révision militaire est en cours, nous verrons donc combien de membres des forces nous avons au total.

Si le Canada accepte une mission de l'ONU, cela ne veut pas dire qu'on a besoin de plus de soldats pour assumer cette mission.

Le sénateur Carignan : Le Canada ne pourrait-il pas trouver le moyen d'avoir un impact plus important à moindre risque pour lutter contre le terrorisme ou améliorer la protection en Afrique? Il pourrait y avoir une protection des intérêts canadiens. Je prends l'exemple de la force CTF-150 que vous avez dirigée, avec brio, d'ailleurs. Ne serait-il pas plus utile pour le Canada de continuer à participer dans ce genre de force, ou d'accroître sa participation? Cela ne serait-ce pas plus utile pour le Canada, à moindre risque et davantage à la hauteur de nos moyens?

Cmdre Santarpia : Ce n'est pas aux militaires de déterminer quelles sont les meilleures missions pour le Canada. C'est toujours un choix politique. Nous conseillons les décideurs dans le cadre de chaque demande faite aux Forces armées canadiennes pour les missions de l'ONU, de l'OTAN ou pour les missions domestiques. Les chefs donnent des conseils sur les risques éventuels et les aspects importants de chaque mission, mais le choix revient au gouvernement. Je crois qu'il est très important que ce choix soit celui du gouvernement.

Le sénateur Carignan : Pouvez-vous nous résumer la mission que vous avez menée en commandement dans le cadre de la force CTF-150 et nous parler des ressources qui étaient requises pour atteindre des résultats?

Cmdre Santarpia : Cette mission est toujours en cours. On y envoie des membres de la Marine et des forces aériennes. Cette mission se poursuivra cette année avec une autre rotation et le groupe 150 sera responsable de toutes les opérations multinationales dans l'océan Indien de l'Ouest. Cette mission a pour but de faire en sorte que les terroristes ne puissent pas utiliser l'océan pour le trafic de drogues et autres. Le Canada a décidé que c'était une mission utile, pour nos alliés et pour nous-mêmes. On continuera de cette façon. Il ne faut pas un grand nombre de membres des forces pour former un état-major à Bahreïn, où il y a 31 membres des forces, dont 7 proviennent de l'Australie. Ce n'est pas une mission très coûteuse et c'est très efficace. Le gouvernement a dit qu'il poursuivra cette mission cette année. Il serait utile d'avoir des navires qui pourraient passer par cette région.

Le sénateur Carignan : Quel est le coût ou quel est l'aspect de cette mission dont vous êtes le plus fier et qui a eu le plus d'impact en ce qui concerne les interventions que vous avez faites?

Cmdre Santarpia : Le plus important est de travailler avec nos alliés et de maintenir un bon lien avec eux. Il y a 30 nations qui font partie des Forces alliées maritimes. La chose la plus importante est de continuer d'entretenir de bonnes relations avec tous les membres. Ce ne sont pas tous des membres de l'OTAN ou d'autres alliances. C'est un groupe qui inclut le Pakistan et tous les pays de la région du golfe Persique. Il est donc important de maintenir les liens afin de pouvoir travailler ensemble comme il faut.

[Traduction]

Le président : J'aimerais faire un suivi, si possible, au sujet des questions du sénateur Carignan concernant les réservistes. Selon les chiffres qui nous ont été donnés, il pourrait manquer jusqu'à 7 000 postes, si l'on considère le chiffre de 21 000 comme l'effectif optimal de la Force de réserve, alors que nous n'avons que 14 000 réservistes environ, d'une façon ou d'une autre.

Nous avons aussi reçu une indication du vérificateur général qu'il doit soumettre un rapport indiquant que l'armée a de la difficulté à recruter. Du point de vue de la planification stratégique et de vos responsabilités, vous devez être pleinement conscient de cela. Comment cela affecte-t-il votre capacité à vous acquitter de votre tâche, s'il est vrai que la dotation et la capacité de fournir le personnel sont de plus en plus remises en question? Pouvez-vous commenter?

Cmdre Santarpia : Absolument.

Nous sommes conscients de la situation de la Force de réserve, même si elle n'a pas de répercussions dans les faits sur la planification de mon groupe. Ce dernier tente de comprendre en quoi consistent les missions et quelles sont les ressources disponibles, mais uniquement au niveau du déploiement de la force. Les conseils que reçoit le chef concernant la capacité de l'armée, de la force aérienne, de la Marine ou des forces spéciales de déployer les ressources particulières dont il a besoin lui proviennent des commandants de ces éléments et non pas de l'État-major interarmées stratégique.

Jusqu'à maintenant, nous n'avons jamais dû modifier notre planification d'une mission en fonction de la force des réservistes. La milice est dirigée par le commandant de l'armée, qui déploie les forces nécessaires pour répondre à tous les besoins correspondant à notre situation et à notre état de préparation.

Le président : Je n'ai pas l'impression d'avoir obtenu réponse à ma question. Le fait est que, si ces chiffres sont corrects, et je présume qu'ils le sont, il manque 7 000 réservistes pour que nous puissions faire certaines choses. Nous assumons d'autres responsabilités à l'heure actuelle. Nous sommes allés en Lettonie. Nous sommes au Kurdistan et nous envisageons un déploiement en Afrique. Grosso modo, nous parlons de peut-être 1 800 membres du personnel militaire, soit probablement de 3 600 à 5 000 lorsque l'on tient compte du roulement et de tout ce qui se produit d'autre. N'est-ce pas là la situation, dans les grandes lignes?

Cmdre Santarpia : Je dois m'arrêter et penser à la façon dont nous produisons les chiffres.

En ce qui a trait aux réservistes, je crois que nous déployons des réservistes d'une catégorie différente. Il y a les réservistes de classe A, qui défilent chaque semaine et qui suivent une formation régulière dans leurs unités de milice et de réserve. Si nous devons faire appel à eux pour une mission particulière, ils deviennent des réservistes de classe C et travaillent à temps plein. Il n'y a donc pas de problème à les affecter à du service de classe C.

Le président : Je comprends cela, monsieur, mais je reviens à la deuxième partie de ma question concernant la capacité générale de recrutement des militaires. Le vérificateur général nous a indiqué qu'il produira un rapport dans lequel il démontrera qu'il existe des problèmes graves. Est-ce vrai et, le cas échéant, comment cela affecte-t-il votre planification?

Cmdre Santarpia : Je ne suis pas certain que cela soit vrai parce que la responsabilité du déploiement des réservistes appartient aux commandants des environnements : les commandants de l'armée, de la force aérienne et de la Marine. Il serait prématuré pour moi de vous donner cette indication, parce que je ne dispose pas des détails.

Je sais que cela n'a pas de répercussions sur notre planification parce qu'il n'y a pas eu de problème. Lorsque nous avons eu besoin d'un certain nombre de réservistes de classe C pour remplir une mission, cela n'a posé aucune difficulté pour les commandants de service. Il s'agit généralement de petits nombres, qui ne représentent pas une partie importante du total des réservistes de classe A. On fait donc appel à un certain nombre de réservistes pour une mission particulière, mais ce nombre est relativement faible.

Le président : Je comprends cet aspect de la question, mais lorsque nous regardons les chiffres et ce que nous faisons, dans le contexte de l'élargissement de nos objectifs et de nos engagements, nous voulons de toute évidence savoir quel type d'effets cela aura sur vous en ce qui a trait à vos responsabilités.

Je veux maintenant parler d'un autre domaine. Nous menons une étude permanente sur la question des diverses menaces terroristes qui touchent notre pays, de même que des catastrophes qui pourraient survenir. Pensons à la menace d'attaques au moyen d'armes à impulsion électromagnétique par des pays comme la Corée du Nord ou d'autres, ou encore à une tempête solaire, qui pourrait avoir comme conséquence une panne de courant pouvant durer jusqu'à trois semaines. Votre organisation participe-t-elle à la planification de scénarios de ce genre? Si vous participez à ce type de plans, qui d'autre le fait avec vous?

Cmdre Santarpia : Non, nous ne participons pas à cette planification au niveau stratégique. Mon groupe est très axé sur la façon dont les troupes sont déployées et dont nous communiquons ces renseignements au chef. C'est réellement sur cela que s'est consacrée la planification dans mon groupe.

Le président : C'est donc là essentiellement votre responsabilité, alors?

Cmdre Santarpia : Absolument.

La sénatrice Jaffer : J'ai une question au sujet du Centre Pearson. Si je ne me trompe pas, il aurait pu contribuer à faire participer des civils et des services de police. Par suite de la fermeture du Centre, où allez-vous chercher ce type de formation?

Cmdre Santarpia : Je suis certain que vous avez entendu le général Lanthier ce matin. Nous avons un Centre de formation pour le soutien de la paix à Kingston. Jusqu'à maintenant, c'est là que nous avons obtenu notre expertise à ce sujet.

Nous élaborons des plans. En donnant suite à la demande du gouvernement de participer davantage au maintien de la paix, nous tentons de déterminer des façons d'utiliser ce centre et nous envisageons des options pour le déploiement des membres des Forces canadiennes dans d'autres centres de soutien de la paix pour fournir notre aide. Toutes les options sont envisagées, et nous les soumettons toutes au chef pour qu'il les examine.

La sénatrice Jaffer : Si je ne me trompe pas, la formation fournie là-bas est de la formation en ligne assurée par les États-Unis. Nous sommes différents des États-Unis. Je sais qu'il existe beaucoup de similitudes en ce qui a trait à l'armée et au combat, mais le Centre Pearson apportait une perspective différente de celle de la formation en ligne en provenance des États-Unis.

À mon humble avis, ce n'est pas la source dont nous devrions dépendre, parce que nous nous faisons un point d'honneur de faire les choses très différemment, et que le reste du monde nous respecte pour ce que nous sommes. Je crois que nous perdrons cela si nous fermons le Centre Pearson et recevons notre formation d'un centre en ligne basé aux États-Unis.

Cmdre Santarpia : Je ne peux certainement pas vous renseigner davantage que le major-général Lanthier sur la proportion de la formation qui est assurée par nos propres gens et sur ce qui est fourni en ligne. Je suis certain que vous avez été mieux renseignée à ce sujet que je ne l'ai été moi-même récemment. Je crois que nous assurons aussi de la formation en personne à Kingston, et je sais que nous donnons de la formation dans des centres ailleurs dans le monde.

La sénatrice Beyak : Compte tenu des essais nucléaires récents de la Corée du Nord et de la recommandation du comité du Sénat de 2014 concernant la défense antimissile balistique, quel est votre avis quant à la pertinence pour nous de participer?

Cmdre Santarpia : Nous examinons toujours cette question. Comme vous le savez, la politique de défense fait l'objet d'un examen permanent, et il y a eu beaucoup de discussions sur la pertinence d'inclure cela dans les recommandations. Je ne participe pas à l'examen de la politique de défense, et je ne sais donc pas ce qu'il adviendra. Encore une fois, il s'agit d'une question très importante que je suis heureux que les Forces canadiennes et le gouvernement du Canada examinent. Il reviendra au gouvernement du Canada de décider si nous devons participer ou non.

Le président : Chers collègues, je remercie notre témoin et je m'excuse d'avoir dépassé le temps prévu avec nos témoins précédents.

Se joignent à nous pour notre dernier témoignage de la journée le lieutenant-colonel (à la retraite) John Selkirk, directeur exécutif de Réserve 2000 et de l'Institut militaire de Québec, le brigadier-général, à la retraite, Richard Giguère, président.

Messieurs, bienvenue. Sauf erreur, vous avez chacun une remarque liminaire. Veuillez commencer, brigadier-général Giguère, suivi par le lieutenant-colonel Selkirk.

[Français]

Brigadier-général (à la retraite) Richard Giguère, président, Institut militaire de Québec : Bonjour. D'entrée de jeu, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à participer à cette séance. En guise d'introduction, je dirai quelques mots sur l'Institut militaire de Québec.

Le système de perfectionnement professionnel des Forces armées canadiennes repose sur quatre piliers : l'éducation, l'instruction, l'expérience et l'autoperfectionnement. Par autoperfectionnement, on désigne la formation ou les études que suit l'apprenant par lui-même pour perfectionner et développer davantage l'ensemble de ses connaissances, ses compétences intellectuelles ou professionnelles et les aptitudes qui permettent d'améliorer le niveau de compétence souhaité.

En général, l'autoperfectionnement a lieu en dehors des activités officielles de perfectionnement professionnel, et c'est ici que, dans la région de Québec, l'Institut militaire de Québec, fondé en 1929, entre en jeu. Nous proposons un programme annuel de conférences, généralement au nombre de quatre, touchant des sujets reliés à la défense et à la sécurité; des conférences que nous offrons à l'équipe de la défense de la région de Québec, soit la Force opérationnelle interarmées (Est). De plus, nous organisons un colloque, au mois de mars, conjointement avec les Hautes études internationales de l'Université Laval. Cette année, le colloque, intitulé Rencontre internationale Université-Défense, en sera à sa huitième édition et portera sur l'élargissement du concept de sécurité.

Passons maintenant à ma présentation. Il est intéressant de se pencher sur l'élaboration de la nouvelle stratégie de défense du Canada, alors que la réponse à une question aussi simple que « Sommes-nous en guerre? » ne fait même pas consensus ici au Canada et dans les capitales de nos principaux alliés. La réponse à cette question aurait été unanime si nous étions en 1916 ou en 1941. Cependant, aujourd'hui, elle fait l'objet d'un débat, entre autres politique et académique, symptomatique de la complexité de l'environnement sécuritaire contemporain. Les menaces traditionnelles, soit celles de fer et de feu, ne sont pas disparues. Plus de terrorisme ne signifie pas moins de risques traditionnels. Nous ne sommes pas dans un jeu à somme nulle. Comment percevoir les risques émergents et combattre les nouvelles menaces? Voilà la question.

Une adaptation aux réalités contemporaines n'est pas tâche facile. Tout cela n'est pas sans rappeler « la petite guerre », terme désigné pour caractériser la méthode de guerre asymétrique, exploitée entre autres lors des combats en terre d'Amérique, la guerre de Sept Ans et inspirée de la guerre irrégulière amérindienne. C'est une méthode guerrière qui a été souvent qualifiée de barbare et de contraire à l'éthique et à la morale de son époque. Serions-nous à l'époque de « la petite guerre 2.0 »? Les conflits contemporains constituent-ils une tendance lourde qui définira l'avenir, ou tout simplement une anomalie passagère?

Poser la question de la nouvelle stratégie de défense du Canada nous ramène immédiatement à répondre à des questions simples en principe : quoi? où? quand? comment? pourquoi? avec qui? avec quoi? Je dis simples, en principe, car la pratique nous démontre bien que les réponses à ces questions ne sont pas aussi évidentes. Je suis plutôt de l'école qui affirme que, malheureusement, il n'y a pas souvent de réponses simples à des problèmes complexes. Je vais tout de même tenter d'apporter quelques pistes de réflexion en abordant les points suivants : quelles sont, à mon avis, les principales tendances mondiales ayant un impact sur la profession des armes? Quels sont les défis émergents pour lesquels, à mon avis, les Forces armées canadiennes pourraient mieux se préparer? Quels changements seraient souhaités ou souhaitables dans nos politiques et procédures?

En ce qui concerne les principales tendances mondiales, en tout premier lieu et malgré nos veilles stratégiques sophistiquées, il faut noter la spontanéité des crises et leur étalement immédiat dans l'infosphère, ce qui ajoute une pression supplémentaire sur les décideurs. On peut penser par exemple aux incendies de Fort McMurray qui se sont produits en mai ou à l'attentat de Nice en juillet.

L'expérience de l'espace et du temps se compresse. Les crises occupent immédiatement l'infosphère, souvent de manière dramatique et théâtrale. Nos populations en réaction exigent une réponse immédiate, ce qui signifie que les décideurs doivent compter sur des effectifs équipés, entraînés et qui peuvent être déployés rapidement.

L'accélération du temps signifie également beaucoup moins de temps pour la préparation et la montée en puissance de nos outils militaires. Les guerres hybrides sont également d'actualité. Ce sont des guerres où on assiste à la porosité entre guerres conventionnelles et guerres irrégulières. La distinction entre les combattants et les non-combattants est difficile à faire. Le régime légal qui doit s'appliquer n'est pas évident à cerner.

Sommes-nous à une époque de guerre permanente? La plupart de nos cadres de référence s'appliquent à des guerres et conflits plutôt conventionnels, des guerres avec un début et une fin. Il nous faut donc continuer de défricher cette terra incognita, alors que nous sommes continuellement dans l'action, un peu comme s'il nous fallait changer un pneu sur une voiture alors qu'elle roule à vive allure.

Les interventions dans le cadre de coalitions plutôt que les alliances traditionnelles sont également intéressantes à noter et ont deux impacts principaux pour notre pays : quid des institutions traditionnelles, nous les appuyons ou nous regardons ailleurs? Le Canada semble ici avoir fait ses choix, entre autres en déployant prochainement des troupes en Lettonie et en mettant à la disponibilité de l'ONU des effectifs qui seront éventuellement employés comme Casques bleus. Mais ces alliances traditionnelles sont-elles efficaces et efficientes? Sont-elles adaptées aux réalités contemporaines?

L'autre impact est l'influence réelle du Canada dans les coalitions émergentes, comme celle qui est à l'œuvre à l'heure actuelle en appui aux forces de sécurité de la République d'Irak qui combattent Daech. Dans le cadre de ces nouvelles coalitions, nous n'avons pas de réputation historique, comme à l'ONU et à l'OTAN, qui nous permet de jouer dans la cour des grands malgré notre puissance toute relative.

L'ordre westphalien est malmené. L'éclatement des structures éthiques dans de nombreux endroits met en cause la légitimité des interventions. Par exemple, le caractère sacré des frontières est parfois remis en question. Il y a des pseudo-États qui émergent et il y a des forces armées en présence qui sont plus ou moins légitimes. Et qu'en est-il de la responsabilité de protéger?

Finalement, nous assistons à une forte tendance à la déshumanisation de l'espace de bataille. Dans quelle mesure les drones et les robots occuperont-ils l'espace de bataille de demain et quelles seront les conséquences légales et éthiques d'un tel déploiement d'intelligence artificielle?

Concernant l'adéquation de nos forces de sécurité et de défense aux défis émergents, que penser de l'emploi des forces de sécurité et de défense sur notre propre territoire si l'ennemi s'y est déplacé? Il y avait, à une époque, un concept qui parlait de la force du dedans et de la force du dehors. Est-ce que cette distinction est encore valable et utile aujourd'hui? Par exemple, la France et la Belgique ont déployé un important contingent militaire sur leurs territoires à la suite des attentats terroristes qui les ont frappées. Un tel scénario est-il envisageable au Canada? Et si oui, comment?

Nous assistons également à l'élargissement du concept de sécurité qui a traditionnellement toujours été perçu sous sa version militaire. Mais la sécurité d'aujourd'hui est économique et environnementale, elle est sociétale et est politique. Les forces armées ne représentent plus nécessairement la finalité dans les conflits hybrides.

Finalement, il y a un retour aux opérations de soutien à la paix. Nous avons été longtemps, au Canada, l'archétype du Casque bleu. Mais il ne faut pas minimiser les mauvais souvenirs de nos missions onusiennes des années 1990 dans la psyché des militaires canadiens. Nos soldats doivent être pourvus des outils et du cadre légal qui leur permettront de bien réaliser leurs tâches sur le terrain.

Les soldats canadiens se souviennent de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda. Une attention particulière doit être portée aux mandats des missions, au degré d'appui des membres permanents du Conseil de sécurité, aux règles d'engagement qui seront en vigueur et à la composition de la chaîne de commandement, principalement aux échelons opérationnels et stratégiques.

Finalement, en ce qui concerne les changements souhaités ou souhaitables au niveau des politiques et procédures, le processus d'acquisition d'équipement militaire devrait être dépolitisé, de façon à traverser sans remous les changements de gouvernement et à assurer une continuité dans les orientations fondamentales. L'état actuel de notre Marine royale et le remplacement éventuel de nos chasseurs sont des réalités qui sont ici matière à réflexion.

L'approche pangouvernementale devrait être favorisée, parce que les limites de l'intervention militaire sont rapidement atteintes. Il faut encourager le dialogue civilo-militaire. Les batailles se gagnent par les militaires, mais pas nécessairement les guerres. Nous avions connu avec le temps une bonne collaboration entre les ministères dans le cadre de notre campagne afghane.

Il est rafraîchissant de constater le lancement du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix qui, selon le gouvernement, constitue une approche intégrée qui permettra de mieux coordonner les questions de politique étrangère, de défense, de développement et celles liées à la sécurité nationale.

Les militaires peuvent certainement créer un espace sécuritaire dans un théâtre d'opérations, mais la stabilité véritable et permanente viendra avec la gouvernance et le développement, qui sont plutôt l'apanage de nos collègues en civil de l'appareil bureaucratique. Plus que jamais, c'est l'Équipe Canada au grand complet qui doit se déployer.

Envisageons une stratégie axée sur les risques et les menaces. Notre stratégie doit correspondre aux risques et aux menaces envisagés et non aux enveloppes budgétaires disponibles. Il nous faut faire cet exercice à l'abri du carcan des ressources, puis décider par la suite de la priorité des projets.

À mon avis, l'idée de travailler sur une stratégie de défense sans faire un exercice similaire pour notre politique étrangère est quelque peu surprenante. La politique de défense découle-t-elle de notre politique étrangère ou vice versa? Si une révision de notre politique étrangère est également au menu, mais qu'elle est prévue pour plus tard, quels seront les impacts sur la politique de défense nouvellement conçue? Comment arrimer notre politique étrangère, notre politique de défense et notre sécurité nationale sans synchroniser l'exercice? Existe-t-il une hiérarchie des politiques? Le cas échéant, qui mène quoi?

Il est évident que les environnements externes et internes de l'État sont de plus en plus enchevêtrés et que la coupure entre politique intérieure et politique extérieure est de plus en plus floue. Les dangers que représentent la prolifération des armes de toutes sortes, le terrorisme international et domestique, l'espionnage, les risques pour la sécurité économique et la sécurité de l'information, le crime organisé et la corruption à l'échelle internationale mettent au défi un nombre croissant d'organismes gouvernementaux qui ne sont pas nécessairement habitués à travailler ensemble.

La vision classique de la sécurité ne tient définitivement plus la route dans un tel contexte. Je me demandais, à la lecture d'un article rédigé en 2002 dans une publication de l'Université Laval, s'il n'était pas temps de songer, au Canada, à créer un grand ministère de la sécurité englobant toutes les ramifications de ce concept et minimisant l'impact de nos silos traditionnels. Cette question est, à mon avis, encore d'actualité aujourd'hui.

En guise de conclusion, la guerre est un caméléon qui change d'aspect à chacune de ses manifestations, disait Clausewitz. Dans le domaine académique, les experts s'entendent pour affirmer qu'il n'y a pas une, mais plusieurs définitions de la guerre, selon les approches et les niveaux d'analyse. Nous devons donc vivre avec ces ambiguïtés, ces doutes, ces manifestations que la raison a parfois bien de la difficulté à expliquer.

Surtout, il faut être clair quant aux objectifs à atteindre. Pour paraphraser Sun Tzu, celui qui n'a pas d'objectifs ne risque pas de les atteindre. Pas facile pour un dirigeant, dans l'environnement contemporain de sécurité, de définir un état final qui tienne la route; pas facile de répondre à la simple question : « Mais quand allons-nous savoir que nous avons gagné? »

Une adaptation aux réalités contemporaines et futures n'est pas tâche facile et a toujours été un défi pour les générations passées. Les rayons des bibliothèques des grandes écoles militaires sont pleins d'histoires de campagnes, de récits guerriers, où la compréhension de la situation a fait de manière déterminante la différence entre la victoire et la défaite. « De quoi s'agit-il? », demandait le maréchal Foch. Une question toute simple qui aurait avantage à être posée plus souvent.

Posons les bonnes questions, offrons des réponses efficaces et efficientes. Basons-nous en priorité sur l'environnement contemporain de défense et de sécurité, les risques et les menaces. L'adéquation des ressources viendra après, en fonction des décisions prises par nos dirigeants, des décisions qui ont été, qui sont, et qui seront toujours lourdes de conséquences pour nos filles et nos fils qui portent le drapeau canadien sur leur uniforme, qui nous font tant honneur, et qui représentent ce que nous avons de plus cher.

Je vous remercie.

[Traduction]

Lieutenant-colonel à la retraite John Selkirk, directeur exécutif, Réserve 2000 : Merci honorables sénateurs de me recevoir à nouveau.

J'aimerais mentionner tout d'abord que je crois que les réservistes canadiens, et plus particulièrement les réservistes de l'armée sont et se sont montrés d'excellents gardiens de la paix. Toutefois, avant de discuter des mérites de cette prémisse, j'aimerais parler brièvement de l'armée canadienne, au sein de laquelle ils vont œuvrer pour s'acquitter de ces fonctions de maintien de la paix.

L'armée canadienne a fait un travail remarquable en matière d'imposition et de maintien de la paix. À mon avis, et de l'avis de nombre de mes collègues de Réserve 2000, cela vient du fait qu'elle est professionnelle, bien entraînée et dirigée par des officiers ayant de longs états de service et des militaires du rang chevronnés. Elle est entraînée, organisée et équipée pour mener des opérations de guerre intenses, la plus difficile des tâches militaires. Elle apporte donc à toute mission d'imposition ou de maintien de la paix les connaissances, la confiance et les outils essentiels, comme un service de renseignements robuste, des capacités de communication et de logistique et, au besoin, la puissance de feu, pour mener à bien le mandat de la mission.

Toutefois, et c'est ce que je veux souligner, le maintien d'une armée à ce niveau élevé de compétences en matière de combat est coûteux, et je crois que certains au Canada pensent que le maintien de la paix peut se faire à faible coût. Je ne suis pas de cet avis pour les raisons que je viens tout juste d'expliquer, une armée professionnelle étant nécessaire pour faire le travail aussi bien que nous l'avons fait au fil des ans.

Vers la fin du siècle dernier, les réservistes de l'armée ont commencé à jouer un rôle de plus en plus important dans les opérations canadiennes de maintien de la paix. On est parti des petites troupes d'appoint des unités régulières pour passer, au moment des dernières rotations dans l'ancienne Yougoslavie, à des compagnies d'infanterie complètes constituées de réservistes. Elles ont été capables d'assumer ce rôle plus traditionnel de maintien de la paix, en plus de nouveaux rôles, par exemple, à l'intérieur d'équipes de coopération civilo-militaire, une fonction qui est au cœur de l'établissement de la capacité dont le ministre Sajjan vous a parlé un peu plus tôt cette année.

Ces équipes de la COCIM, comme on l'appelle, étaient toutes constituées de réservistes, tout comme d'autres ressources d'activité influentes qui ont vu le jour pendant la campagne afghane.

Du fait de leurs qualités civiles, les réservistes apportent aux opérations de maintien de la paix des compétences que l'on ne retrouve pas nécessairement dans une unité régulière. Les professionnels de l'enseignement, les administrateurs municipaux, les policiers, les agents de prévention des incendies et les spécialistes de la santé communautaire ne sont là que quelques-uns des métiers représentés dans un très grand nombre d'unités de réserves primaires et qui peuvent être énormément utiles pour bâtir un pays.

Nous n'avons jamais manqué de personnes qui souhaitaient s'engager, et il y a toujours eu plus de réservistes que de postes pour eux.

À cet égard, je veux faire cette mise en garde, que j'ai déjà soulevée devant ce comité auparavant, déjà en 2011 je crois, à savoir la diminution du nombre de réservistes. Dans son rapport de mai, le vérificateur général indiquait que la Force de réserve, même si elle avait reçu du financement pour 21 000 postes, au cours de l'exercice 2014-2015, ne comptait que 13 944 soldats actifs et entraînés. Selon le témoignage du commandant de l'armée canadienne devant le Comité permanent des comptes publics de la Chambre, le 7 juin de cette année, seulement 13 243 soldats pouvaient être déployés à ce moment-là, soit une baisse de l'ordre de 700 soldats au cours de cette période. Je ne vois pas ce qui a pu se produire au cours des derniers mois qui aurait pu renverser cette tendance à la baisse.

Le vérificateur général, comme vous le savez sans doute, a déclaré que la Force de réserve a connu une attrition d'environ 5 p. 100 par année au cours des cinq dernières années au moins. Toutefois, les annonces récentes du nouveau commandant de l'armée canadienne permettent d'espérer que les choses vont changer, parce que si elles ne changent pas, le Canada ne pourra pas tirer profit des attributs très positifs que la Force de réserve a démontré pouvoir apporter aux opérations d'imposition et de maintien de la paix.

Cela met fin à mes observations.

Le président : Je veux remercier nos deux témoins.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je suis heureux de vous revoir, monsieur Giguère. Nous nous sommes croisés à Fort Lennox il y a deux ou trois ans, alors que j'accompagnais le premier ministre Harper. Je m'en souviens fort bien. Je vous remercie de votre présentation.

Aujourd'hui, compte tenu des missions de paix qui sont, je crois, essentiellement politiques, mais qui impliquent un soutien militaire, croyez-vous que nous aurions raison de craindre que, parfois, de mauvaises décisions soient prises et imposées aux forces armées afin de faire avancer une certaine image politique du pays ou du gouvernement?

Bgén Giguère : On a appris beaucoup de leçons depuis les années 1990. Je disais, plus tôt, qu'on se souvient des Balkans et du Rwanda. Si la décision est prise de déployer un contingent de militaires canadiens, et qu'on apprend qu'un groupe de près de 600 militaires sera disponible, j'espère que les leçons apprises pendant les années 1990 seront appliquées et qu'on s'assurera de déployer les soldats en fonction d'un mandat réalisable. C'est surtout la question des règles d'engagement qui a été le problème.

Vous voyez, lorsque nous étions en Afghanistan — j'y ai été deux fois —, nos règles d'engagement étaient plus permissives. Les soldats n'en ont pas abusé, mais cela leur a permis de faire le travail.

Dans les années 1990, c'était tout simplement la règle de la légitime défense qui s'appliquait pour les Casques bleus, ce qui a mené aux difficultés que nous avons connues. J'espère que cette fois-ci, dans les nouveaux mandats, les soldats seront équipés de règles d'engagement qui leur permettront de bien faire leur travail.

Les gens diront que l'on apprend beaucoup de leçons, que l'on prend beaucoup de notes à la suite d'exercices. Est-ce que ces leçons sont vraiment apprises et retenues? Je ne peux que le souhaiter, puisque c'est la seule façon dont nous pourrons obtenir du succès sur le terrain, succès qui rejaillira certainement sur le Canada. Il faut faire très attention aux aspects que j'ai mentionnés.

Le sénateur Dagenais : J'aurais une autre question à vous poser, monsieur Giguère. On parle beaucoup de la formation des militaires. Avez-vous l'impression que les militaires sont bien équipés?

Il est beau de faire de la formation, de mener des missions, mais est-ce que vous avez l'impression que l'équipement est adéquat? On sait que, parfois, des achats ont lieu, mais certains témoins mentionnaient plus tôt qu'il était de plus en plus fastidieux d'acheter de l'équipement, en raison des différents intervenants, et qu'il fallait de plus en plus de temps pour obtenir l'équipement nécessaire à la réalisation des missions.

Bgén Giguère : Je crois que la mission afghane nous a laissés avec un stock d'équipement qui était très acceptable. Ce n'était pas nécessairement le cas au début, en 2000 ou 2001, mais plutôt vers la fin, si vous vous souvenez, où des projets d'acquisition ont eu lieu pendant nous étions là-bas. Je crois que la grande majorité de cet équipement, qui nous a bien servi en Afghanistan, peut être très efficace dans le cadre de missions de paix.

Ce n'est jamais parfait, on espère toujours avoir de l'équipement neuf. Pour ma part, j'ai pris ma retraite l'année dernière, et l'équipement que nous avions à ce moment-là dans les forces armées nous placerait en bonne position pour réaliser une mission de paix.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Giguère.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Merci. Ma question est pour le lieutenant-colonel Selkirk.

Nous avons entendu de nombreux témoins au cours des derniers jours, et même avant cela. On dit que, et vous êtes la meilleure personne pour répondre à cela, les réservistes aux États-Unis sont mieux traités et sont mieux armés que les nôtres. Est-ce vrai? Que devrions-nous faire?

Plus précisément, hier, nous avons eu le point de vue du vérificateur général. Je ne sais pas si vous avez entendu ce qu'il a dit, mais essentiellement, il mentionnait que nous ne formions pas de façon appropriée nos réservistes. J'aimerais que vous commentiez cela s'il vous plaît.

Lcol Selkirk : Tout d'abord, je ne suis pas un expert des forces armées américaines.

La sénatrice Jaffer : Non, je veux juste avoir votre point de vue.

Lcol Selkirk : Leur système est assez différent. Je sais qu'elles sont bien équipées et qu'elles ont beaucoup de politiques en place, des politiques touchant le personnel principalement, qui conviennent aux réservistes à temps partiel, lesquels constituent le gros de toute Force de réserve. Autrement, elles ont certainement les ressources, les États-Unis étant plus que capables de consacrer des ressources immenses pour régler tout problème. Il n'est donc pas étonnant que leur capacité soit aussi grande.

En ce qui a trait à notre Force de réserve, et je ne peux que parler de la Force de réserve, nous avons, comme je l'ai expliqué, un manque d'effectif. C'est une situation qui est connue depuis de nombreuses années, et rien n'a réellement été fait. Le nouveau commandant de l'armée canadienne a certainement donné des instructions qui, il est à souhaiter, permettront de régler les problèmes qui ont contribué le plus à la réduction de l'effectif. Le premier problème et le plus important est le système de recrutement, qui ne permet pas d'atteindre les objectifs fixés. Ces objectifs sont trop bas. Le commandant doit modifier la façon dont les quotas de recrutement sont fixés, et l'ensemble du processus de recrutement doit revenir à l'armée et ne plus relever du groupe de recrutement central des Forces canadiennes. Il s'agit d'un pas immense dans la bonne direction.

En ce qui a trait au problème de longue date des sommes qui sont affectées à la Force de réserve, mais qui vont ailleurs, un nouveau système comptable, qui doit être mis en place, fera en sorte que cela ne se reproduira plus à l'avenir. Il s'agit d'une mesure très positive.

Le commandant se penche sur le nombre de jours de formation que les réservistes à temps partiel suivent, ce qui devrait contribuer à leur maintien en poste.

Son objectif est de tenir l'ensemble de la formation des recrues pendant l'année scolaire au cours de laquelle ces dernières se joignent au régiment local à qui appartient l'unité. Cela contribuera énormément à résoudre le problème de l'attrition au moment de la formation, dont le taux se situe actuellement à 50 p. 100 dans la Force de réserve. Si vous engagez 10 recrues, seulement 5 d'entre elles se rendent à l'étape du recrutement, sans parler de l'entraînement qui suit. Ce système a été très efficace pendant de nombreuses années.

Je suis d'avis que ces facteurs, ainsi que les nouvelles missions, encourageront peut-être les jeunes Canadiens à s'engager davantage. Ainsi, grâce à toutes ces mesures mises ensemble, et je suis un éternel optimiste, je crois que nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère, grâce au nouveau leadership.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous préciser s'il vous plaît pourquoi le recrutement centralisé n'est pas efficace?

Lcol Selkirk : Pourquoi était-il inefficace? Je ne sais pas, mais je peux vous parler des résultats. Par exemple, une personne à la recherche d'un emploi à temps partiel dans l'armée canadienne, c'est-à-dire souhaitant devenir réserviste, devait attendre en moyenne 180 jours entre le moment où elle se présentait à son régiment local et disait « Je veux m'enrôler » avant d'être appelée dans les faits. Vous pouvez vous imaginer que les plus brillants des jeunes Canadiens n'attendent pas 180 jours pour décrocher un emploi à temps partiel; ils vont ailleurs. Il ne s'agit là que l'un des aspects. Pourquoi fallait-il autant de temps, je n'en ai aucune idée, mais je crois que je deviendrais riche si je le savais. La situation était mauvaise.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse à nos deux témoins. Nous avons entendu beaucoup de militaires et de personnes témoigner. En fin de compte, j'en retiens que c'est une question politique que de prendre la décision de déployer l'armée en mission de paix plutôt que dans un autre endroit, en Ukraine par exemple, au lieu de choisir de maintenir une présence dans l'Arctique, ici au Canada, ou de participer à d'autres missions. C'est une décision qui est complètement politique.

Les gens de l'armée nous disent qu'ils vont s'arranger pour être prêts, et que s'ils affirment être prêts, ils iront en mission et feront ce qu'ils ont à faire. Mais j'ai de la difficulté à mesurer l'impact de cette décision. Tout le monde fait une différence dans la vie et je suis convaincu que, s'il y a une mission, les soldats canadiens feront une différence. Cependant, s'il s'agit d'apporter une contribution importante, pour le Canada, en termes de décision politique, est-ce qu'il n'est pas plus opportun de privilégier nos engagements envers l'OTAN, par exemple, et de viser à atteindre un investissement qui correspond à 2 p. 100 de notre PIB, qui nous permettra de soutenir nos forces armées, de mieux les équiper, de respecter nos obligations envers l'OTAN, et d'entraîner nos gens pour qu'ils soient prêts à participer à de futures missions au cours desquelles le Canada pourrait apporter une contribution considérable?

Je regarde les statistiques; nous sommes le pays au monde qui a le plus de kilomètres de littoral et nous avons peu d'équipement pour en assurer le contrôle. La présence en Arctique est un enjeu également, et nous allons beaucoup nous frotter à la présence russe dans cet endroit. N'y a-t-il pas d'endroits où le Canada pourrait avoir une présence plus importante compte tenu de ses moyens, et ne devrait-il pas plutôt investir son énergie à améliorer son armée et ses équipements plutôt que d'envoyer 400 ou 500 soldats sur le continent africain, où se trouvent déjà plus de 100 000 Casques bleus, dont 3 000 proviennent de la Chine? Pour l'intérêt canadien, est-ce la meilleure décision? J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet.

Bgén Giguère : À mon avis, les décisions liées au déploiement de militaires, peu importe dans quel cadre, sont toujours politiques. La question qui se pose ici, et j'en ai parlé un peu dans ma présentation, c'est de savoir dans quelle mesure on veut appuyer les alliances traditionnelles qui remontent à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

On a le choix, on voit qu'il y a d'autres choses qui sont en train d'émerger, des coalitions ad hoc, comme on le voit en Irak en ce moment où, à mon avis encore, certainement, le poids du Canada n'est pas le même.

Vous savez, en ce qui concerne l'OTAN et l'ONU, nous profitons du fait que le Canada est membre fondateur de ces deux organisations. En tout cas, en ce qui concerne l'OTAN, nous avons toujours répondu « présents ». Quant à l'ONU, nous avons répondu « présents » jusqu'aux années 1990. À l'heure actuelle, nous effectuons un retour.

La question qu'il faut se poser est la suivante : dans quelle mesure ces deux organisations sont-elles importantes pour notre pays? Si la réponse est qu'elles sont importantes, à ce moment-là, on a le choix. En ce qui a trait aux missions de l'ONU, on peut donner de l'argent, on peut donner des conseils.

Je fais souvent des analogies avec le sport. Quand on joue au hockey, on a deux choix : on est sur la glace ou on est sur le banc. Ceux qui ont le plus d'influence, selon moi, sont ceux qui sont sur la glace. Si on décide de s'investir dans une mission ou si on décide de se réinvestir dans l'ONU, le fait de déployer des soldats sur le terrain ... Je suis d'accord avec vous, sénateur. Qu'est-ce que 600 Canadiens pourraient changer sur un nombre de 120 000 soldats déployés? Peut-être plus qu'on pense, parce qu'on a une réputation qui tient la route avec les Casques bleus canadiens.

Pourra-t-on poursuivre sur cette lancée à nouveau et améliorer ce qui se passe dans les missions des Nations Unies? Peut-être. À mon avis, encore une fois, si on décide de se réinvestir dans l'ONU -et certains diront que c'est pour ravoir un siège au Conseil de sécurité -, l'altruisme a ses limites, même pour un Canadien. Alors, peut-être que oui, peut-être que c'est l'un des éléments qui contribuera à améliorer notre réputation et notre dossier. Cependant, je ne crois pas qu'il s'agit uniquement de cela. Lorsqu'on regarde la composition des forces des Nations Unies en ce moment, et qu'on examine certaines missions qui connaissent de graves problèmes, l'ajout de soldats canadiens ferait une bonne différence.

[Traduction]

Lcol Selkirk : J'aimerais souligner brièvement qu'on peut dire que la plus grande opération de maintien de la paix à laquelle le Canada ait jamais participé a été la formation et le maintien de l'OTAN, et NORAD et le maintien de NORAD. Cela a contribué au soutien de la paix et a probablement sauvé beaucoup plus de vies qu'on aurait pu imaginer. Évidemment, il s'agit d'une opération coûteuse, comme je l'ai dit.

L'endroit où nous envoyons les soldats canadiens est de toute évidence une décision politique, mais je crois que le rôle des Forces canadiennes est de recruter le plus grand nombre possible de soldats, de marins et de pilotes bien entraînés, bien équipés et motivés, et que nous devons respecter un certain budget. C'est pourquoi nous continuons de dire : faisons davantage avec les réservistes, parce qu'ils sont moins coûteux à maintenir en poste.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'aurais une autre question, plus particulièrement sur le fait français. Comment envisagez-vous la présence de militaires francophones en Afrique? On sait que plusieurs pays d'Afrique ont été colonisés par la France, et que plusieurs pays africains ont donc un héritage francophone. La France peut parfois être perçue comme le pays colonisateur et il peut y avoir certaines frictions par rapport à cela, un inconvénient que le Canada ne connaît pas nécessairement. Le fait francophone peut-il être un élément pertinent à une future mission et comment pourrait-on optimiser cet avantage francophone au Canada?

Bgén Giguère : Les commentaires que j'entends à ce sujet, c'est que malgré le fait que nous parlions français, les gens là-bas font une grosse différence entre les soldats canadiens francophones et les Français. J'ai parlé avec plusieurs hommes d'affaires ces derniers temps qui me disaient que les Québécois sont bien reconnus en Afrique. Les gens font la différence. À l'époque où j'étais commandant du secteur du Québec de la force terrestre, les Américains avaient créé le Africa Command; c'était une belle occasion pour déployer des soldats francophones, parce que les Américains sont un peu hors de leur zone de confort en Afrique, alors que nous, nous avons l'habitude de travailler avec les soldats américains tout en étant capables de bien communiquer avec les francophones de l'Afrique. Je nous considérais littéralement comme un trait d'union entre les forces en présence. Je perçois donc le déploiement de soldats francophones dans ces régions comme un aspect positif.

J'aimerais revenir, si c'est possible, monsieur le président, à la question des missions et du recrutement des réservistes. Je vous remercie.

Personne ne saute de joie devant les statistiques de recrutement que nous connaissons en ce moment. Le lieutenant-colonel Selkirk a parlé de la situation des réserves. Il faut se demander pourquoi un jeune âgé de 18, 19 ou 20 ans voudrait joindre les forces armées aujourd'hui. On pourrait être surpris parfois de la réponse.

Au début des années 1980, quand j'ai joint les Forces armées canadiennes, ce qu'on entendait, c'était qu'il y avait une bonne paie tous les 15 jours, et une bonne pension. C'était un peu le discours qu'on entendait. Par contre, j'ai un fils qui a joint les forces et ses raisons sont totalement différentes. Cette génération de jeunes se cherche des défis. Ces dernières années, plusieurs d'entre eux ont intégré les forces armées strictement pour aller en Afghanistan.

Donc, il faudrait absolument trouver le moyen de garder nos effectifs au sein de l'armée. On a parlé tout à l'heure du problème de recrutement; cependant, je crois qu'il est impératif que nous nous penchions sur la question de l'attrition. Il n'est pas payant de perdre un bon soldat après quatre ou cinq ans de service. On les perd après quatre ou cinq ans, parce qu'ils ne s'intéressent plus à ce qu'ils font.

Je ne suis pas en train de vous dire qu'il faut envoyer nos soldats en guerre. Ce n'est pas du tout mon idée, mais le fait de les envoyer dans des missions de formation ou des missions d'entraînement comme on a fait à Kaboul en 2012, ou dans des missions de paix qui sont bien structurées et bien organisées pourrait peut-être avoir un impact positif.

Le sénateur Carignan : C'est intéressant, ce que vous dites. Peut-être que l'armée devrait se poser des questions sur son système de recrutement et d'embauche, et sur ses priorités. Récemment, je suis tombé par hasard sur un livre intitulé Vandoo, de l'avocat René Vallerand, un de mes anciens collègues de classe qui s'est enrôlé dans le 22e Régiment pour aller en Afghanistan, pour relever le défi. Il était probablement âgé d'environ 35 ou 40 ans à ce moment-là. Il y a des gens qui ont cette passion du défi.

Ne trouvez-vous pas que l'armée devrait faire une analyse du marché, pour ainsi dire, et élargir la base de ses critères de recrutement, sans viser nécessairement les jeunes de 18 ou 19 ans?

Bgén Giguère : Vous soulevez un bon point. Maintenant, on recrute des gens un peu plus âgés. À Saint-Jean, il y a eu des cours de recrues où, dans le même défilé de fin d'études, on retrouvait un fils et son père, qui avaient obtenu leur grade ensemble comme simples soldats. Le lieutenant-colonel Selkirk mentionnait plus tôt les compétences extraordinaires que les civils mettent à contribution, par exemple, dans la Force de réserve, comme mécaniciens, électriciens ou policiers. Ils sont capables de faire un tas de choses que nous avons tout intérêt à exploiter.

Un des problèmes que j'ai vécus lorsque j'étais au Québec, et le lieutenant-colonel Selkirk l'a mentionné, était le suivant. Le système de recrutement des réservistes est extrêmement lourd. À une certaine époque, les régiments recrutaient directement. Si vous désiriez vous joindre aux Voltigeurs de Québec, vous alliez frapper à leur porte et on vous donnait un uniforme. Il existait un processus qui était beaucoup plus rapide.

Au cours des dernières années, j'ai entendu des gens dire qu'il faudrait retourner à un système comme celui-là. Ainsi, on éviterait les cas où les gens attendent 180 jours avant d'être appelés. Bien souvent, lorsqu'on les appelle après 180 jours, ces jeunes ont décroché un emploi chez Canadian Tire ou Walmart. On devrait peut-être porter une attention particulière à la possibilité de retourner à une décentralisation du recrutement chez nos réservistes et donner un peu plus de flexibilité aux unités de milice. Je suis persuadé qu'une telle démarche aiderait beaucoup.

[Traduction]

Lcol Selkirk : Monsieur Giguère, c'est exactement là où le nouveau commandant de l'armée canadienne souhaite aller. Il veut que des personnes puissent s'enrôler en quelques jours, et non pas en quelques semaines ou quelques mois. Il va donc dans la bonne direction.

Le président : Laissez-moi faire un suivi à ce sujet, parce que je crois que cela est important aux fins du compte rendu. Vous avez souligné un certain nombre d'initiatives qui doivent être entreprises. La principale que vous avez mentionnée est celle des fonds affectés aux réservistes, qui devraient demeurer dans cette enveloppe et ne devraient pas servir à d'autres aspects militaires. En voilà un.

Lcol Selkirk : Oui.

Le président : La question du recrutement est appelée à changer. La question de la formation interne, dans la mesure du possible, doit faire l'objet d'un suivi, ainsi qu'un certain nombre d'autres initiatives.

Ma question pour vous est la suivante : Quand vous attendez-„vous à ce que ces grands énoncés stratégiques prennent effet?

Lcol Selkirk : Le transfert du recrutement aux unités doit se faire au plus tard le 1Žer avril de l'an prochain, soit en 2017. Il faudra un certain temps pour que ces mesures commencent à faire leur effet et aboutissent. Je parle par expérience. Il faudra un certain nombre d'années pour changer radicalement la situation.

Si nous commençons à voir une augmentation de la force entraînée d'ici six mois, je dirais que ce sera un très bon signe. Toutefois, à l'heure actuelle, comme le vérificateur général l'a mentionné au Comité des affaires publiques de la Chambre des communes, la tendance est encore à l'attrition.

Le président : C'est ce qu'il nous a indiqué hier, et la question du recrutement faisait partie de celles que nous nous posions.

J'ai une question précise pour vous. L'échelle salariale actuelle des réservistes est-elle appropriée? Je crois que c'est un autre facteur.

Lcol Selkirk : Je ne peux pas répondre à cette question parce que je n'ai pas demandé à notre réseau de me renseigner à ce sujet. Je crois qu'elle est appropriée, mais c'est là uniquement mon opinion personnelle, qui n'est fondée sur aucune donnée scientifique. J'ignore donc la réponse.

Je ne sais pas où trouver la bonne réponse. Il faudrait probablement avoir recours à des personnes qui comprennent la génération de Canadiens dont nous parlons et qui examinent les échelles comparables pour le travail à temps partiel. C'est selon moi la seule façon de procéder.

Le sénateur Day : Je veux m'assurer que le recrutement sera délégué aux unités, comme l'a mentionné le général Giguère, plutôt que de se faire de façon centralisée.

Lcol Selkirk : Je n'ai pas la réponse à cela non plus, sénateur. Toutefois, selon ce que j'ai entendu, son intention est de le transférer aux régiments. Toutefois, si un régiment compte trois ou quatre unités, et qu'il existe un processus de recrutement centralisé dans ce régiment, je crois que cela fera l'affaire.

Le sénateur Day : On parle toujours du niveau local.

Lcol Selkirk : Oui.

Les unités les plus mal à point, et vous pouvez voir les statistiques dans le rapport du vérificateur général, sont celles qui ne sont pas situées dans les grands centres urbains. Cela vient souvent de l'éloignement des bureaux de recrutement, ainsi que de toutes sortes d'obstacles de la sorte. Ces unités sont donc réellement mal en point. À notre avis, la répartition actuelle de l'armée de réserve au pays est à peu près appropriée. On la retrouve, après tout dans, je connaissais ce chiffre, la plupart des circonscriptions au Canada. À notre avis, chaque Canadien devrait avoir accès à une unité de réserve, sauf ceux du Grand Nord, notamment.

Selon les statistiques, je crois donc que 90 p. 100 des Canadiens, ce chiffre est bon, vivent à une heure de route d'une unité de réserve. Nous voulons que cela se maintienne parce qu'il n'y a pas de raison que la population de Leeds-Grenville, par exemple, soit privée de ses droits si l'unité de Brockville ferme ses portes. Ce serait dommage.

Le sénateur Day : Le président a mentionné deux des principaux défis. L'un d'eux est le budget et l'assurance que la Force régulière ne s'approprie pas une partie de l'argent réservé initialement, avec pour résultat une réduction du nombre de jours de formation et des répercussions sur le recrutement. Nous avons pris connaissance de cela et vous nous avez éclairés au sujet de certains points. Ainsi, si l'aspect budgétaire est contrôlé, de même que le recrutement, quel est selon vous le défi le plus grand pour l'élément de réserve à ce stade?

Lcol Selkirk : Une partie de la question du recrutement est liée à des quotas de recrutement qui doivent être suffisamment importants pour que les unités prennent de l'expansion. Les&keep; quotas de recrutement des cinq dernières années environ ont été fixés en dessous de ce que l'on prévoyait être le taux d'attrition des unités individuelles, ce qui a amorcé un mouvement à la baisse de toute façon. Ce problème doit être résolu.

Après, les problèmes les plus importants selon moi pour maintenir la vigueur des unités est l'attrition, comme l'a mentionné le général. Dans ce cas, comme je l'ai dit, il s'agit du taux de 50 p. 100 d'attrition des recrues. Cela doit être résolu. Je crois que la formation locale, pendant l'année scolaire, constituera un grand pas dans la bonne direction à cet égard.

Puis, il y a l'attrition des soldats formés par la suite. Oui, leur fournir des emplois stimulants et des choses intéressantes à accomplir fait partie de la solution, mais nous devons nous rappeler que comme les unités comptent un nombre très faible de dirigeants subalternes, il ne faut pas surutiliser ces personnes, parce qu'elles partiront pendant la période de cinq ans environ qu'il leur faut pour devenir des dirigeants subalternes. Cela pourrait coïncider avec le moment où leur carrière civile commence à prendre son envol. Dans une certaine mesure, il faut établir un équilibre entre toutes ces choses, et moins l'effectif est nombreux, plus il est difficile de le faire. La solution réelle consiste à reconstituer l'effectif de ces unités à nouveau.

Le président : Toujours en réponse à la question du sénateur Day, pouvez-vous faire le point sur le programme de leadership civilo-militaire proposé? Où se situe-t-il exactement, et vers quoi se dirige-t-on?

Lcol Selkirk : Sauf erreur, le ministère l'a approuvé par suite de pressions énormes du bureau de l'ancien ministre, soit dit en passant. Je ne crois pas que cela serait arrivé autrement. Au ministère, on semble dire : « Oui, on devrait faire quelque chose ».

Malheureusement, il semble que, dans les services individuels à l'heure actuelle, les choses stagnent. Je crois que la Marine a manifesté beaucoup d'enthousiasme, mais qu'il ne s'est pas passé grand-chose au cours des derniers mois dans l'armée.

Je ne sais pas combien d'autres séances sont prévues, mais je crois que vous devriez appeler comme témoin, M. Rob Roy, qui a mené ce dossier pendant de nombreuses années. Il pourrait vous mettre au fait de la situation.

À mon avis, on a atteint un plateau et on s'est arrêté là.

Le président : Avant de conclure, monsieur Selkirk, souhaitez-„vous des précisions sur certaines des déclarations du vérificateur général en ce qui a trait au déploiement des réservistes outre-mer?

Lcol Selkirk : J'aimerais souligner que j'ai pris connaissance du rapport du vérificateur général de façon très approfondie. Il s'agit d'un très bon rapport du point de vue du bien-être futur de la Force de réserve. Toutefois, il s'est penché sur des questions que je qualifierais davantage d'« administratives », peut-être. Tout ça est important, mais je crois que ce serait une erreur de mettre trop l'accent sur le fait que, par exemple, les unités de réserve ne tiennent pas de bons dossiers au sujet des personnes qui sont formées, du moment où elles l'ont été et de tous ces petits détails. Les dossiers informatiques peuvent être utiles, et nous devrions peut-être nous en servir, mais nous ne sommes pas rendus là. Les unités font face à des problèmes beaucoup plus importants à l'heure actuelle. C'est pourquoi peut-être leur situation laisse à désirer.

Toutefois, à mon avis, on ne devrait pas se demander si les soldats de la Réserve peuvent être déployés dans des missions de maintien de la paix ou tout autre type de mission. Le type de formation dont nous parlons est constitué de compétences individuelles pour l'essentiel, avec certaines compétences d'unité de très faible niveau.

Avant qu'un soldat de la Réserve puisse être déployé dans les Balkans ou, certainement, en Afghanistan, il doit être intégré dans l'unité régulière avec laquelle il sera déployé, et cette unité doit suivre un processus de formation exhaustif, reposant entièrement sur la nécessité de constituer des équipes. Les sections, les pelotons et les compagnies doivent tous travailler ensemble, et l'unité doit travailler dans le contexte de la force dont elle fait partie. Cela prend beaucoup de temps.

Je soutiens que les soldats de la Réserve qui veulent participer à ces missions doivent commencer au premier niveau de ce processus de constitution d'équipe. Ils ont déjà dû franchir un certain nombre d'obstacles en ce qui a trait aux aptitudes individuelles, comme le tir. Il faudra à l'unité quelques mois pour se préparer, habituellement trois mois avant d'aller en Afghanistan. Les dirigeants sauront si ces personnes sont prêtes. Pendant la mission en Afghanistan, certains réservistes n'ont pas été jugés à la hauteur, et ils ne sont pas partis.

Il n'y a pas de problème. J'ai lu un article dans le&italic; Globe and Mail&roman; de ce matin dans lequel le vérificateur général semblait dire que certains soldats de la Réserve déployés sont tellement mal formés qu'ils pourraient se causer du tort eux-mêmes et à leurs collègues, mais je ne crois pas cela. Le commandant de l'unité n'amènera personne avec lui dont il sait qu'il ne peut pas faire le travail.

Le président : Merci d'avoir précisé ce point aux fins du compte rendu.

Je remercie les témoins qui ont comparu aujourd'hui.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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