Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 8 - Témoignages du 14 novembre 2016
OTTAWA, le lundi 14 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 h 5, en séance publique, pour étudier les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement, puis à huis clos, pour étudier un projet de rapport.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du lundi 14 novembre 2016. Avant de commencer, j'aimerais présenter les personnes ici présentes. Je m'appelle Dan Lang, je suis sénateur pour le Yukon. À ma gauche se trouve le greffier du comité, Adam Thompson.
Je demanderais aux sénateurs de se présenter et de préciser la région qu'ils représentent, à commencer par ma droite.
Le sénateur White : Vern White, Ontario.
La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, Ontario.
Le sénateur Day : Joseph Day, de la merveilleuse province du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, de la région de Montréal, dans la province de Québec.
[Traduction]
Le président : Merci, chers collègues.
La réunion d'aujourd'hui va durer quatre heures. Au cours des deux premières heures, nous allons poursuivre notre examen des questions relatives à l'Examen de la politique de défense, puis nous allons poursuivre à huis clos pour étudier un projet de rapport.
Pour notre première table ronde, dans le cadre de notre examen des questions relatives à l'Examen de la politique de défense, nous accueillons M. David Perry, analyste principal à l'Institut canadien des affaires mondiales. M. Perry est un chercheur et un commentateur bien connu. Ses solides travaux de recherche et d'analyse relativement à l'approvisionnement et aux dépenses militaires du Canada ont aidé à faire la lumière — exercice utile s'il en est un — sur le fonctionnement du ministère de la Défense nationale.
Monsieur Perry, soyez le bienvenu. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire à présenter. Nous avons une heure pour cette table ronde.
David Perry, analyste principal, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité à témoigner devant vous. Je suis heureux que nous ayons réussi à nous coordonner, car cet examen de la politique de défense marque un moment très important. Je me réjouis de vous voir examiner ces questions.
On m'a invité à parler précisément des lacunes en matière de capacité de l'armée canadienne et de l'Aviation royale canadienne, et je vais donc m'attacher à celles-ci dans ma déclaration préliminaire. Cela dit, certaines des questions préparées en vue de la séance d'aujourd'hui m'amènent à penser que vous êtes peut-être intéressés à ratisser un peu plus large, et je serai heureux d'aborder ces autres choses.
Tout d'abord, j'aimerais circonscrire de façon générale les enjeux entourant l'armée et l'aviation que je vais aborder plus en détail dans un moment : je vais vous parler de quatre lacunes générales des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale sur le plan des capacités qui sont source de préoccupations dans le cadre de cet examen de la politique.
Premièrement, nous manquons toujours de personnel, pour deux raisons. Nos forces armées manquent de personnel. On autorise et on finance 68 000 postes militaires au Canada, mais l'effectif actuel se situe à peu près à 66 000. En outre, selon le Rapport sur la transformation 2011, il fallait que les Forces armées canadiennes créent plusieurs milliers de postes supplémentaires, au-delà des 68 000, pour combler des lacunes dans les capacités touchant la cyberdéfense, l'espace et le renseignement, entre autres. Vous noterez qu'il ne s'agit là que des lacunes relevées il y a cinq ans; je crois que le déficit au chapitre du personnel s'est en fait accru depuis cette époque.
Deuxièmement, le ministère de la Défense nationale accuse des lacunes sur le plan de l'infrastructure, car ses biens immobiliers sont de plus en plus vétustes. En effet, beaucoup trop de ceux-ci remontent aux années 1950 ou même plus loin. Cela résulte en partie d'un sous-financement et d'un sous-investissement chroniques dans l'infrastructure de défense existante. En même temps, je crois que les forces armées doivent étendre leur présence dans certaines régions du Canada, particulièrement dans l'Arctique canadien. Vu l'évolution du contexte de menace suscitée par la modernisation militaire russe dans cette région, il faut aménager des installations supplémentaires qui pourraient fournir un soutien logistique aux opérations maritimes et aériennes dans le Nord.
À l'heure actuelle, pratiquement toutes les capacités militaires canadiennes pouvant être utilisées dans l'Arctique doivent y être déployées temporairement à partir de bases situées dans le sud du Canada et soutenues par un nombre très modeste d'emplacements d'opérations avancés très rudimentaires. Nous avons besoin de soutien logistique additionnel dans l'Arctique.
Troisièmement, il y a une lacune persistante sur le plan de la disponibilité opérationnelle. Pour composer avec les compressions budgétaires subies après 2010, on a réduit fortement le financement destiné à l'approvisionnement national, c'est-à-dire le poste budgétaire à partir duquel on finance l'entretien, la réparation et la remise en état de l'équipement ainsi que l'achat de pièces de rechange. En conséquence, le budget d'approvisionnement national pour certaines flottes aériennes a chuté de jusqu'à 25 p. 100, et l'armée a cessé d'utiliser la moitié de ses véhicules de type B. Même si les niveaux de financement globaux pour l'approvisionnement national sont largement retournés à peu près aux niveaux de 2010, les forces armées continuent de subir certaines des répercussions persistantes des activités d'entretien, de réparation et de remise en état qui avaient été reportées, faute de financement.
La quatrième lacune est la plus criante : dans le cadre des plans budgétaires actuels de la défense, les Forces armées canadiennes accusent des lacunes énormes au chapitre des biens d'équipement. Selon les documents publics, les investissements relatifs aux plans des biens d'équipement nécessaires pour veiller à ce que les politiques de défense se traduisent par une capacité militaire effective se situeraient entre 20 et 40 milliards de dollars, au moins, au cours des 20 à 30 prochaines années. À mon avis, la plus grande question à régler dans le cadre de l'Examen de la politique de défense maintenant en cours est de financer ce déficit, qui correspond à au moins 2 ou 3 milliards de dollars par année de financement supplémentaire pour les biens d'équipement. Si les lacunes à l'égard des biens d'équipement ne sont pas comblées et qu'on maintient le statu quo au chapitre du financement, les Forces armées canadiennes n'auront pas les moyens de maintenir la diversité de biens d'équipement sur laquelle elles comptent actuellement.
Cette situation s'applique tant à l'armée canadienne qu'à l'Aviation royale canadienne, car elles font toutes deux face à plusieurs besoins en biens d'équipement non financés qui deviendront des lacunes en matière de capacité dans l'avenir si la Défense nationale n'obtient pas des moyens financiers supplémentaires pour l'achat d'équipement. Cela comprendrait plusieurs projets de communication et de commandement et contrôle de l'armée, ainsi que de multiples projets d'équipement de soutien technique et logistique pour l'armée.
Quant à l'ARC, ces besoins non financés, lesquels deviendront également des lacunes en matière de capacité s'ils ne sont pas comblés, comprennent le remplacement ou la prolongation de la durée de vie de ses flottes d'aéronefs de patrouille maritime, d'hélicoptères de recherche et sauvetage et d'hélicoptères tactiques.
Je vais maintenant vous faire part de mes observations à l'égard des capacités opérationnelles du Canada par rapport à ses priorités stratégiques. Au sujet de notre capacité de mener des opérations terrestres, cela tient largement, selon moi, aux ambitions du Canada plutôt qu'à un besoin stratégique particulier. De façon générale, je crois que nous sommes relativement bien placés pour maintenir le niveau d'activités terrestres que nous avons eues au cours des dernières années, grâce à l'accroissement de l'effectif de l'armée canadienne au milieu des années 2000 et à la mise à niveau effectuée au cours de la dernière décennie.
Une source de préoccupations serait le fait que la capacité de l'armée canadienne de mener des opérations contre d'autres pays au sens traditionnel du terme, comme la Russie, n'est peut-être pas au niveau requis, étant donné que notre armée s'est attachée aux opérations anti-insurrectionnelles au cours des 10 dernières années et aux opérations de maintien de la paix au cours de la décennie avant cela.
Quant à la capacité du Canada de contrer des menaces aériennes et spatiales, je crois que nous affichons plusieurs lacunes sur le plan des capacités opérationnelles qui devraient être corrigées. La première concerne les missiles balistiques.
À l'heure actuelle, le Canada n'a aucune défense contre les missiles balistiques. La Corée du Nord s'affaire à perfectionner cette technologie depuis plusieurs années et en est maintenant à travailler au lancement de ces missiles à partir de sous-marins. Les États-Unis ont mis au point un système terrestre de défense à mi-parcours contre ces missiles et a invité le Canada à y participer, mais le Canada a décliné leur offre vers le milieu de la première décennie des années 2000 et n'a jamais officiellement revu cette position. Cette décision devrait être étudiée à nouveau dans le cadre de l'Examen de la politique de défense. Nous devrions discuter de la possibilité que le Canada se joigne aux initiatives de défense antimissiles balistiques, et si les conditions de notre adhésion sont favorables, nous devrions officiellement participer aux activités.
Un autre aspect affichant des lacunes sur le plan des capacités opérationnelles, selon moi, concerne les missiles de croisière lancés par les Russes à partir d'un avion ou de la mer. Les forces armées russes ont fortement accru leurs capacités aériennes et navales au cours des dernières années, et elles continuent de le faire. Au cours des deux dernières années en particulier, les Russes ont démontré que ce nouvel équipement est efficace et qu'ils sont disposés à l'utiliser afin de promouvoir leurs propres intérêts en Europe de l'Est et au Moyen-Orient.
En Syrie, les forces russes ont utilisé avec succès une nouvelle catégorie de missiles de croisière classiques ultra- perfectionnés, lancés à partir d'avions ou de la mer, qui offrent une portée fortement améliorée, qui sont difficiles à observer et qui permettent de désigner des objectifs de précision. Ce fait nouveau est problématique pour trois raisons. Premièrement, ces armes ont des applications nucléaires et classiques; deuxièmement, elles peuvent être transportées par les aéronefs de patrouille à long rayon d'action ainsi que par les sous-marins les plus récents et les plus performants de la Russie; troisièmement, vu la distance accrue à partir de laquelle ces nouveaux missiles peuvent toucher la cible, et vu la faible visibilité de ceux-ci, les arrangements actuels pour la défense de l'Amérique du Nord, fondés sur le NORAD et le Système d'alerte du Nord, doivent être mis à niveau pour que nous puissions les contrer efficacement.
À cause de cette activité russe accrue autour de l'Amérique du Nord, nous devons également accroître notre capacité de surveiller nos trois voies d'approche côtières, surtout du côté de l'Arctique canadien. Les Russes mènent depuis 2007 des patrouilles à long rayon d'action vers l'espace aérien de l'Arctique canadien et ils le font de façon à indiquer qu'ils sont enclins à relier cette activité à des confrontations stratégiques avec le Canada ailleurs dans le monde. De même, la présence de patrouilles sous-marines russes dans l'Atlantique a atteint des niveaux jamais vus depuis la guerre froide. Nous avons donc besoin d'un ensemble plus étendu de plateformes de renseignements, de surveillance et de reconnaissance à l'égard des activités aériennes et navales.
Enfin, nous devons maintenir notre capacité de réagir à des menaces aériennes en Amérique du Nord. Comme la Russie continue de moderniser sa Force aérienne, le Canada doit suivre la cadence des améliorations technologiques de ce pays. En conséquence, nous devons rapidement nous doter d'une flotte d'avions de chasse capables de détecter les appareils russes les plus modernes et de communiquer cette information au reste du système de défense nord-américain.
Sur ce, je vous remercie, et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Perry.
La sénatrice Beyak : C'était un excellent exposé, merci. Vous avez déjà répondu à la plupart de mes trois questions. Cependant, à la lumière du résultat des élections aux États-Unis et des discussions relatives à l'OTAN, pourriez-vous expliquer aux gens qui nous regardent, ainsi qu'aux membres du comité, pourquoi l'engagement du Canada est inférieur à 2 p. 100 du PIB? Est-ce que nous pouvons nous attendre à subir beaucoup de pressions pour faire passer nos dépenses à 2 p. 100?
M. Perry : Je crois que le gouvernement du nouveau président désigné des États-Unis, lorsqu'il aura été formé, exercera beaucoup de pression sur nous afin que nous augmentions notre contribution à l'OTAN. Pratiquement tous les gouvernements américains ont fait des pressions en ce sens. Assurément, si le président désigné Trump, au moment de son entrée en fonction, fait ne serait-ce que la moitié de ce qu'il a déclaré au sujet de cette alliance et des contributions insuffisantes d'un certain nombre de membres — notez que le Canada se classe 23e sur 28 États membres pour ce qui est de sa contribution en proportion de son produit intérieur brut, laquelle se situe sous la barre du 1 p. 100 du PIB —, nous allons subir des pressions beaucoup plus fortes et énergiques pour que nous en fassions davantage.
Je ne dirais pas nécessairement que ces pressions seraient limitées précisément à notre contribution à l'OTAN. Le Canada en général et l'Amérique du Nord tirent parti d'une foule de programmes différents auxquels nous travaillons en collaboration avec les États-Unis, et ce pays assume le gros de la charge financière pour ce qui est des ressources humaines.
Pour mettre à niveau l'infrastructure de défense américaine, comme je l'ai signalé, dans le passé, les États-Unis ont assumé des parts variables du fardeau, mais dans tous les cas, la majorité du financement pour ces efforts précédents est venue des États-Unis. Je crois certainement que le gouvernement qui s'en vient exercera beaucoup plus de pression sur nous pour que nous en faisions davantage sur le plan tant de notre contribution générale à l'alliance que de ce que nous faisons au Canada pour contribuer à la défense de l'Amérique du Nord en particulier.
La sénatrice Beyak : La tâche première d'un gouvernement est de protéger ses citoyens. Selon vous, à quel point notre premier ministre et le ministre des Finances Bill Morneau accorderont-ils de l'importance au financement de ces choses? Si vous dites vrai, nous les sous-finançons sans conséquence depuis des années. Est-ce que le temps est venu pour nous d'assumer nos responsabilités?
M. Perry : Je serais tout à fait d'accord avec cela. Je crois que le sous-financement de la défense est le fruit des efforts des deux grands partis; cela remonte à des décennies, du moment où vous jugez que la situation est apparue, mais il est certain qu'elle existait avant l'élection du gouvernement actuel et du gouvernement précédent, représentant les deux grands partis politiques.
J'espère que cet examen de la défense sera différent de certains autres qui ont été menés dans le passé. Le ministère de la Défense nationale a consacré beaucoup d'efforts à l'amélioration de ses pratiques de planification et à ses méthodes de constitution d'ensembles de capacités et de présentation des coûts connexes. Je crois que l'un des avantages de cet examen de la défense est que le ministère de la Défense nationale jouit d'une capacité améliorée d'articuler de façon détaillée les répercussions des différentes décisions en matière de dépenses et les différents postes budgétaires éventuels.
De toute évidence, le gouvernement est sur le point de se faire dire, comme je l'ai laissé entendre, que le maintien du financement de la Défense nationale à son niveau actuel va mener à l'abandon de diverses capacités par les forces armées, car elles n'auront pas l'argent requis pour les offrir.
Il y a toute une foule de raisons strictement nationales d'accroître le financement consenti au ministère de la Défense nationale afin que nous puissions, à tout le moins, conserver le large éventail d'activités menées par nos militaires et songer à les élargir dans certains domaines. Si ce financement n'est pas consenti, alors, pour nos seules fins nationales, nous aurons des forces armées moins capables. Et dans le contexte international, je crois que les États-Unis vont certainement exercer des pressions considérables sur le reste des intervenants dans l'alliance afin qu'ils en fassent davantage.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.
Le sénateur White : Ma question porte sur le déploiement éventuel de ressources canadiennes au Mali en particulier et sur notre capacité, selon vous, de mener une mission de maintien de la paix de 500 personnes au Mali à ce point-ci, vu les engagements que nous avons déjà pris en Lettonie et les ressources qui sont déjà déployées au Moyen-Orient.
M. Perry : De façon générale, je crois que nous aurons la capacité voulue — du moins, pour une rotation initiale, peut-être deux —, tout dépendant de la durée des rotations. Cela va dépendre en grande partie du type exact de mission et du type d'actifs que nous déployons. Je dis cela parce qu'il y a eu beaucoup de conjectures au sujet de la possibilité que la mission repose davantage sur une force de développement des capacités et d'aide à l'instruction que sur un groupement tactique ou un bataillon. Ces types de missions reposent davantage sur des officiers subalternes, des sous- officiers supérieurs; du moins, c'est ce qui s'est produit dans le passé, lorsque nous avons déployé ce genre de mission en Afghanistan.
Même si les ressources requises dans l'ensemble ne sont pas aussi importantes qu'elles le seraient si le Canada déployait une formation d'attaque plus classique comme il l'a fait par le passé, cela exerce une pression considérable sur le nombre relativement faible de titulaires de ces types de postes de leadership sur le plan de l'instruction, car nous avons besoin de ces mêmes ressources à la maison. Si nous lançons cette mission et qu'elle est de la taille décrite par le gouvernement, nous participerons alors à trois missions relativement importantes : la nouvelle, en plus de celles en Europe de l'Est et au Moyen-Orient que nous menons actuellement. Le maintien de trois lignes d'opérations mettrait à l'épreuve nos capacités de soutien logistique, ce qui aurait selon moi des répercussions sur deux plans.
Premièrement, les forces deviendront stressées si trois lignes d'opérations de cette envergure sont maintenues pendant une bonne période, car c'est en réalité le roulement qui est difficile à maintenir. Deuxièmement, avec ces trois lignes d'opérations, si le ministère de la Défense nationale ne reçoit pas un financement supplémentaire pour compenser ces coûts additionnels, il sera pas mal difficile pour le ministère d'assumer le coût de ces opérations dans le respect de son budget. Par conséquent, j'ose espérer que le gouvernement va consentir un financement complémentaire correspondant à l'accroissement de l'impact opérationnel.
Le sénateur White : Merci beaucoup. Le deuxième volet de ma question au sujet du Mali, c'est qu'il s'agira probablement d'une mission à prédominance francophone. Est-ce que cela influe sur ce que vous venez de dire? Est-ce que cela compliquerait la rotation, vu qu'on s'appuierait principalement sur une grande unité?
M. Perry : Eh bien, je crois que cela reste à voir, car nous avons de solides règles relatives au bilinguisme dans nos forces armées. Par conséquent, je pense que ce serait un peu plus facile si on ne songe pas à envoyer des unités préconstituées, mais, certes, il serait plus difficile de pouvoir compter sur des gens possédant les compétences linguistiques requises que si nous comptions envoyer seulement les soldats du Royal 22e. Parmi les autres régiments, par contre, tout dépendant du type exact de forces en présence qu'on recherche, et selon la durée prévue de cette présence ainsi que sa configuration, nous pouvons probablement trouver assez de titulaires de poste bilingues pour répondre aux besoins, mais cela dépend vraiment de la durée.
Le sénateur White : Ma dernière question — du moins, pour l'instant — concerne l'aviation, et vous en avez brièvement parlé. Selon des discussions que nous avons eues avec certains pays présents au Mali, par exemple, l'impact sur l'utilisation des hélicoptères a baissé de façon spectaculaire et très rapide. À votre avis, avons-nous la capacité de mener une mission de cinq ou six ans avec les aéronefs que nous avons actuellement, les hélicoptères en particulier, ou faudrait-il que nous nous engagions à en acheter d'autres?
M. Perry : Encore une fois, cela dépendrait de la taille et de la portée des opérations.
Le sénateur White : Huit hélicoptères.
M. Perry : Mais il faudrait déterminer exactement quelle est l'empreinte du déploiement. Si le déploiement s'annonce largement statique et est censé se trouver à proximité d'un aéroport-pivot, cela exercerait beaucoup moins de pressions sur le plan du transport aérien entre les théâtres d'opérations.
Le sénateur White : Mais si, par exemple, on l'utilisait principalement pour l'évacuation médicale, vous seriez d'avis que leur capacité de continuer baisserait de façon spectaculaire?
M. Perry : Oui. Cela va faire baisser la demande. Lorsque les discussions relatives à cette mission passeront de la théorie à la pratique, il sera beaucoup plus facile de répondre. À mon avis, ces genres de considérations expliquent en partie tout le temps qu'on a mis pour assurer une planification judicieuse des opérations. D'autres pays qui ont déployé des forces ont assorti leurs missions d'une composante aérienne pour de très bonnes raisons, et je m'attendrais à ce que nous fassions la même chose.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Perry, je vous remercie de votre présentation. En ce qui concerne nos troupes — rien n'est parfait, bien sûr —, souvent, les politiciens prennent des engagements sans trop savoir si les troupes ont la capacité d'agir. Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur certaines des lacunes de l'armée canadienne à ce chapitre, notamment en ce qui concerne l'Aviation royale canadienne et la Marine royale canadienne? Les capacités de nos troupes sont-elles toutes liées à l'enveloppe budgétaire ou y a-t-il d'autres lacunes qui ne seraient pas nécessairement liées à l'enveloppe budgétaire?
[Traduction]
M. Perry : Ce serait un peu des deux, mais, du moins à long terme, nous faisons face à un problème d'ordre budgétaire à l'heure actuelle. Dans le cadre des changements apportés par le Conseil du Trésor — au cours des 10 dernières années environ — à la façon dont la Défense nationale effectue sa planification, le ministère peut seulement planifier l'acquisition de choses lorsqu'il possède les fonds requis ou peut démontrer une source de financement. Auparavant, il jouissait d'une plus grande souplesse et pouvait décider, essentiellement, de planifier des choses advenant le cas où des fonds seraient mis à sa disposition dans l'avenir. Il y a beaucoup plus de contraintes et de limites aujourd'hui, puisque le ministère ne peut lancer un projet que lorsqu'une source de financement est établie. Par conséquent, nous avons toujours eu des problèmes de manques à gagner, particulièrement à l'égard des biens d'équipement, mais les politiques actuelles du gouvernement du Canada qui permettent à la Défense nationale de passer à l'action et de planifier des choses sont reliées plus fortement à la disponibilité des fonds, pour un grand nombre de bonnes raisons, selon moi. Mais à cause de ces changements, la source de financement est d'autant plus cruciale. Il est toujours important d'avoir l'argent, mais autrefois, on pouvait au moins pousser la planification beaucoup plus loin qu'à l'heure actuelle, sans avoir cerné une source de financement, au lieu d'attendre que des fonds deviennent disponibles. Il y a des limites très strictes maintenant, et cela limite fortement la capacité de planifier des choses sans avoir établi une source de financement.
Je mets l'accent sur l'argent, alors je suppose que ma réponse est que l'argent est effectivement la chose la plus importante. À mon avis, toutefois, il sera de plus en plus difficile de trouver du personnel pouvant accomplir le travail dans des domaines particuliers. Les forces manquent de personnel depuis quelques années maintenant. Elles ont du mal à revenir à l'effectif complet pour lequel elles touchent du financement. Les mêmes problèmes s'appliquent à la Réserve, qui manque de personnel et n'affiche pas l'effectif autorisé qu'elle est censée avoir. On déploie un effort en ce sens à l'heure actuelle, et je trouve cela fort admirable, mais les forces armées auront énormément de mal à augmenter le nombre de femmes dans leurs rangs. Cette expansion semble modeste, dans l'ensemble, mais si vous regardez les chiffres, vous verrez que les forces doivent consacrer d'immenses quantités de temps et d'efforts pour accroître la présence de femmes dans les forces armées d'un point de pourcentage par année.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aimerais connaître votre point de vue sur le type de calendrier que le gouvernement devrait envisager sur une période de 10 ou 15 ans afin d'éviter de perdre ses acquis en ce qui a trait aux capacités actuelles. Vous avez mentionné qu'il y a beaucoup de postes vacants, donc je crois que le gouvernement devrait prévoir un calendrier pour ne pas perdre les capacités qu'il a acquises. Quel serait votre point de vue à ce sujet?
[Traduction]
M. Perry : Selon moi, nous devons en venir à une entente — entre plusieurs partis, de préférence, sinon entre les deux grands partis — sur le fait de vouloir donner aux forces armées des capacités beaucoup plus fortes que celles que nous cherchions à établir dans le passé. Je crois qu'il existe actuellement un consensus assez solide — au moins dans les deux grands partis — quant à la nécessité de remplacer les capacités de notre marine et de remplacer le gros des capacités de nos forces armées. Je pense qu'il y a un appui prometteur, contrairement à ce qu'on pourrait croire en lisant les manchettes. Nous devons songer au type de forces armées que nous souhaitons avoir à long terme, puis recenser les capacités requises. Ensuite, nous pourrons décider si nous allons les financer ou pas.
Ma préférence marquée serait d'accorder un financement adéquat, mais si la classe politique n'est pas disposée à consentir le financement qu'il faudrait pour conserver ces types de forces armées, elle devra alors convenir des capacités auxquelles nous allons renoncer et planifier en conséquence, au lieu de simplement réagir à l'évolution des choses.
La situation actuelle est la suivante : comme le financement existant est insuffisant, nous sommes sur le point de perdre des capacités particulières parce qu'elles sont vétustes, et non parce que nous avons pris la décision stratégique d'y renoncer à la lumière de l'argent que nous sommes disposés à dépenser. Si vous adoptiez une vision à long terme et pouviez obtenir un consensus parmi les partis, vous pourriez recenser les différents domaines de capacité afin qu'on puisse, le moment venu, prendre les décisions qui s'imposent et tenter d'établir un certain cadencement prévisionnel et de calibrer la capacité du gouvernement du Canada de faire l'acquisition de l'équipement.
L'un des problèmes auxquels nous avons dû faire face au cours des dernières années concerne le fait, après plusieurs décennies de dépenses inadéquates, de tenter de faire du rattrapage; or, le système de gouvernement actuel ne permet tout simplement pas de faire passer suffisamment d'équipement et de matériel par ce système d'approvisionnement pour qu'on y arrive.
Alors nous continuons de reporter des acquisitions pour lesquelles l'argent avait été affecté plusieurs années auparavant. Le besoin d'effectuer ces acquisitions ne disparaît pas, mais il y a toujours de nouveaux besoins qui se profilent à l'horizon, et il faut les combler, faute de quoi il y aura des retards.
On assiste donc à une accumulation des besoins, et ceux-ci ne disparaîtront pas; il faut que le gouvernement du Canada renforce sa capacité de combler ces besoins. Il faut donc assurer une planification à long terme et respecter cette planification en prévoyant des ressources financières suffisantes, d'une part, et une capacité humaine suffisante au gouvernement du Canada, d'autre part, pour réussir à mener à terme un projet de cette envergure.
Le sénateur Day : Monsieur Perry, pourriez-vous nous parler plus en détail de ce que vous venez de dire au sénateur Dagenais au sujet des fonds inutilisés? On nous dit souvent, dans le document budgétaire publié au printemps, que tout cet argent sera utilisé pour acquérir telle pièce d'équipement, puis lorsque tout est terminé, on constate que beaucoup de cet argent n'a pas été dépensé. Les crédits sont périmés. Cependant, d'après ce que je comprends, cet argent doit être demandé à nouveau l'année suivante. Il n'attend pas qu'on l'utilise. Ai-je raison de dire cela?
M. Perry : Vous avez raison. Il y a tout un débat sur la question. Le ministère de la Défense nationale essaie de présenter la chose sous un angle favorable. À mon avis, l'idée que des fonds demeurent inutilisés à la fin de l'exercice est déplorable, peu importe les règles ou les concepts comptables sur lesquels on s'appuie.
La péremption de fonds introduite autour de 2005 dans le cadre de la comptabilité d'exercice signifie que si l'argent n'est pas dépensé à la fin de l'exercice, il est beaucoup plus facile, au lieu de perdre cet argent pour toujours, de reporter les crédits et de les appliquer à des exercices ultérieurs afin que le ministère de la Défense nationale ne les perde pas.
Si l'équipement n'est pas acheté conformément au calendrier, l'argent est perdu. Le pouvoir d'achat lié à ces fonds est diminué, puisqu'il n'est pas indexé selon l'inflation. Si les fonds sont reportés, on les conserve, mais c'est l'argent d'hier au taux d'intérêt de demain, de fait, alors il y a une baisse du pouvoir d'achat. Vous ne remplacez pas l'équipement selon le calendrier établi, alors l'équipement que vous tentez d'entretenir jusqu'au remplacement prend de l'âge et devient plus coûteux à utiliser, puis viennent les problèmes de calendrier.
Les forces avaient sérieusement besoin d'une mise à niveau vers 2005. Le gouvernement Martin, puis le gouvernement Harper ont augmenté le capital consenti de façon importante, à hauteur de plusieurs milliards de dollars, à la Défense nationale. Mais la capacité d'utiliser cet argent n'est pas là. Si un projet prend du retard durant un exercice et qu'un autre projet est censé commencer l'année suivante, si vous perdez une année d'un projet, vous vous retrouvez de fait avec un besoin qui s'ajoute à un autre.
Il y a un certain nombre de problèmes. Le ministère de la Défense nationale ne perd pas l'argent comme c'était le cas autrement, mais le fait de ne pas mettre en œuvre un programme conformément au calendrier a des répercussions énormes, même si la situation est légèrement préférable, du point de vue comptable, à ce qu'elle était auparavant, c'est- à-dire à l'époque où le ministère perdait l'argent qui n'était pas dépensé au plus tard le 31 mars. Il conserve l'argent maintenant, mais il y a beaucoup d'incidences.
Le sénateur Day : Je vous entends dire que ces fonds inutilisés sont essentiellement le résultat d'une politique d'approvisionnement médiocre. Les cyniques diront qu'elle a été adoptée à dessein afin de permettre à un gouvernement d'annoncer toutes les choses qu'il va faire, puis de ne pas les faire. Vous ne souscrivez pas à cette vision cynique des choses?
M. Perry : On peut envisager la situation de différentes façons. Une autre façon de voir les choses est qu'il y a des problèmes structurels dans notre système d'approvisionnement et que le ministère va continuer de perdre les fonds inutilisés chaque année si ces problèmes ne sont pas réglés. Pour ce qui est de la possibilité qu'une telle chose ait été intentionnelle, il est impossible de le savoir sans avoir accès aux discussions du Cabinet. Il y a des problèmes de capacité, et il y a certainement eu des problèmes liés au processus.
Nous avons instauré, au cours des six ou sept dernières années, de nombreux processus qui ont forcé le ministère de la Défense nationale à se plier à des exigences supplémentaires avant d'acquérir quelque chose. La demande continue de s'accumuler, et l'effectif a baissé pendant longtemps, puis est resté à ce niveau réduit.
Des efforts ont été déployés pour l'accroître. Le ministère de la Défense nationale essaie d'embaucher plus de gens pour les activités d'approvisionnement. Il a mis des années à embaucher des gens. Malheureusement, nous sommes dans une situation où les processus gouvernementaux accusent un certain nombre de problèmes différents, et l'un d'eux concerne les ressources humaines. Nous sommes dans une situation où on a mis plusieurs années à embaucher quelques centaines de personnes pour rattraper le retard au chapitre de l'approvisionnement. Un certain nombre de processus sont très problématiques.
Pour ce qui concerne l'intention, la meilleure façon d'envisager la chose, c'est que si le gouvernement actuel veut dépenser cet argent, il doit prendre des mesures énergiques et décisives. S'il ne le fait pas, l'argent continuera de rester inutilisé à la fin de l'exercice.
Le sénateur Kenny : Monsieur Perry, je tiens à vous remercier du travail que vous faites. Vous êtes un témoin fantastique, vous avez une maîtrise incroyable de vos dossiers, et vous êtes en train de devenir le témoin modèle. Continuez comme ça.
Pour faire suite au commentaire du sénateur Day au sujet du problème lié au fait d'embaucher des gens pour aider à faire l'acquisition d'équipement, de quel côté réside le problème, du côté du ministère de la Défense ou du côté du CEMD, ou les deux? Où devrions-nous exercer des pressions pour faire bouger les choses?
M. Perry : Le problème est du côté du ministère comme des FAC. Le groupe auquel je faisais allusion est le Groupe des matériels relevant du sous-ministre. Il essaie d'embaucher des gens, et je demande continuellement quel temps de verbe est appliqué à « essayer d'embaucher » — s'ils ont effectivement embauché, s'ils sont en train d'embaucher ou s'ils ont l'intention d'embaucher —, et la démarche a pris beaucoup de temps.
Il faut que nos forces armées accordent plus d'importance à l'approvisionnement et à certains de ces problèmes de gestion des ressources et enjeux stratégiques qu'elles ne l'ont fait dans le passé. Nous continuons d'affecter des gens à des postes liés à l'approvisionnement, d'établir les exigences et de procéder à la mise sur pied d'une force sans pour autant prévoir de formation et d'instruction pour l'aider à réussir. Nous affectons les gens à ces postes et espérons que, grâce à d'autres types de formation au commandement et à d'autres types d'expérience dans les forces armées, ils vont réussir et bien se tirer d'affaire malgré l'absence complète de préparation.
Il y a certainement un besoin d'accroître la capacité du côté du ministère comme des Forces armées canadiennes.
Le sénateur Kenny : On dirait que le financement lié aux problèmes de sécurité nationale vient facilement après un événement fâcheux; ensuite, la volonté et l'intérêt des gouvernements s'effrite, et 10 ans plus tard le gouvernement ne se rappelle plus l'événement fâcheux, ce n'est plus le même gouvernement, et la population n'applique plus autant de pression.
Si nous attendons la prochaine grande vague pour faire passer l'acquisition d'une grande quantité d'équipement dans le système, cela ne fonctionnera pas, selon vous, parce que les gens qu'il faut pour faire bouger les choses ne sont pas là.
À mon avis, c'est plus que ça. Cela revient à ce que le sénateur Day disait : un manque d'intérêt de la part de la plupart des gouvernements à dépenser de l'argent pour la défense et la sécurité nationale. S'il n'y a pas d'événement fâcheux, il incombe au ministre et au ministère ainsi qu'aux membres des Forces canadiennes de décrire ce qu'ils font et en quoi leurs activités pourraient s'avérer utiles pour un gouvernement futur à un moment que personne ne peut clairement prédire.
Quelle est votre opinion sur ce qui manque? Pour ma part, je pense qu'il y a clairement une absence de volonté du gouvernement d'en faire une priorité, et il y a un manque de détermination de la part du ministère de la Défense pour ce qui est de prendre la parole et d'expliquer en quoi il est utile.
M. Perry : Je suis d'accord avec vous. Juste pour ajouter à votre point, on accuserait un retard important maintenant. Si vous évoluez actuellement dans un cycle d'approvisionnement de 16 ans, la capacité de réagir à cela... ce n'est pas que vous obtiendriez cette capacité après l'événement suivant le premier événement qui vous a donné l'impulsion; à ce moment-là, vous vous compterez chanceux si vous l'obtenez au-delà du deuxième ou du troisième événement suivant celui qui vous a poussé à faire un achat.
Le ministère essaie toujours de dépenser les importantes ressources budgétaires supplémentaires consenties par le premier ministre Martin. Cela remonte à plus de 10 ans.
L'un des points que vous touchez au sujet de l'information est qu'il y a un manque de connaissances considérable et que les politiciens, dans une certaine mesure, mais aussi le grand public même des gens travaillant dans l'administration autour d'Ottawa ne le savent pas. Dans le passé, la Défense nationale ne pouvait pas, même si elle le souhaitait, communiquer aussi efficacement qu'elle le peut aujourd'hui au sujet de l'incidence de dépenser ou de ne pas dépenser l'argent affecté à un programme donné.
C'est vous, le politicien, il faudrait que vous me disiez à quel point la volonté changerait si on exposait plus clairement l'impact de la décision de financer ou de ne pas financer quelque chose, ou de maintenir l'investissement à la même proportion du PIB qu'à l'heure actuelle, c'est-à-dire moins de 1 p. 100, ou si nous pouvons passer à un chiffre plus raisonnable — 1,2 ou 1,3 p. 100 — entre temps. Le chiffre de 2 p. 100 est une bonne cible, mais vu les limites structurelles actuelles au sein du gouvernement du Canada, il nous faudrait beaucoup de temps pour arriver au point où nous serions effectivement capables de faire bon usage d'un budget aussi important. Si nous fixions pour l'instant une cible de 1,2 ou 1,3 p. 100 du PIB, ce qui correspondrait à une augmentation de notre budget d'environ 6 milliards de dollars, ce serait un pas dans la bonne direction, et je crois que le ministère de la Défense nationale serait en mesure d'absorber une telle somme si le gouvernement était intéressé et disposé à faire cela.
Il faudrait également que le gouvernement fasse comprendre au reste de l'administration qu'il ne s'agit pas seulement de mettre l'argent dans la vitrine, de faire une annonce, puis de le retourner dans les coffres de l'État à la fin de l'exercice. Il faudrait que cet argent soit effectivement versé et qu'on puisse faire l'achat d'équipement et financer les forces armées elles-mêmes, et faire en sorte que l'argent inutilisé ne soit pas perdu à la fin de l'exercice.
Le sénateur Meredith : Merci, je vous suis vraiment reconnaissant de votre présence aujourd'hui. Le comité vient tout juste de revenir de New York, où nous avons entendu parler des capacités de renseignement et de reconnaissance et de surveillance, qui sont cruciales à toute mission. À votre avis, estimez-vous que le Canada effectue l'investissement nécessaire dans ces domaines, comme ce devrait être le cas?
M. Perry : Je pense qu'il s'agit d'un domaine dans lequel nous devrions tenter d'en faire plus. C'en est un des plus complémentaires et qui chevauche le plus les missions traditionnelles de base qu'a entreprises le Canada dans le passé. Les capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance sont applicables à la surveillance et à la défense du Canada par nos propres moyens et contribuent à la défense de l'Amérique du Nord ou à tout type de mobilisation internationale, que ce soit par l'intermédiaire de l'OTAN ou à l'extérieur de cette organisation, avec l'ONU ou avec toute autre organisation.
En raison de notre situation géographique unique, nous avons davantage besoin d'améliorer le type de ressources de RSR dont nous disposons actuellement et d'étendre ces ressources. Cela nous donnerait également quelque chose qui est souhaitable pour les opérations de coalition, comme celles à laquelle nous participons actuellement au Moyen- Orient, les opérations précédemment menées en Libye et ailleurs. Ces types de ressources de RSR et de spécialisation des fonctions habilitantes sont souvent ceux qui manquent le plus aux coalitions. Je pense qu'il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles nous devrions consacrer plus d'argent à ces types de choses.
Le sénateur Meredith : Une très grande quantité de technologies canadiennes est mise au point dans le but d'améliorer les capacités militaires, comme les UAV et ainsi de suite. Où en sommes-nous à cet égard, du point de vue des dépenses spatiales et de ces genres d'investissements? Recommanderiez-vous que ce soit un domaine sur lequel nous devrions également nous concentrer au moment où nous examinons la politique générale?
M. Perry : Je pense que c'est le cas. Nous devrions envisager un mélange de ressources spatiales et de diverses plateformes aériennes pilotées et sans pilote. Je pense que le bon mélange dépend du type exact de technologie qu'on veut acheter, lequel devrait être fondé sur le type de choses sur lequel nous voulons obtenir des renseignements et sur les types de surveillance auxquels nous voulons prendre part. Je ne pense pas qu'il y ait un genre unique de système que nous devrions rendre prioritaire par rapport à un autre. C'est une question d'avoir le bon mélange.
Actuellement, toutefois, nous nous occupons presque exclusivement de la capacité satellitaire, qui est limitée, mais qui s'améliore, et de la capacité pilotée. Au pays, je pense que nous ne tirons pas assez profit des progrès technologiques relatifs aux véhicules aériens sans pilote. L'armée et la marine s'en servent de façon opérationnelle, mais nous ne puisons pas dans ce type de capacité, au pays.
Le sénateur Meredith : Vous parlez de l'espace du point de vue des satellites et ainsi de suite. Pourquoi y a-t-il eu un manque d'investissements dans ce domaine, compte tenu des mécanismes de suivi qui sont maintenant accessibles et de ces systèmes qui permettent de voir qui est l'ennemi? Pourquoi n'avons-nous pas fait ces genres d'investissements?
M. Perry : Pour être clair, nous faisons des investissements dans ces domaines. Je pense seulement qu'il s'agit d'un domaine où il est dans notre intérêt, au pays — et de plus en plus, étant donné l'environnement stratégique changeant —, que nous investissions davantage. Une grande part de la situation se résume à la concurrence pour le financement. Dans toutes les branches des forces armées — ainsi que dans les forces interarmées, dont l'espace ferait partie —, même si la Force aérienne est la championne au chapitre des capacités, elles sont toutes en concurrence pour des ressources trop limitées dans tous les domaines.
Ce que le ministère a tenté de faire, c'est de rationaliser le mieux possible l'argent disponible par rapport aux énormes besoins concurrents, qui dépassent largement la quantité d'argent disponible. On observe un sous- investissement effectif dans tous les secteurs qu'on examine par rapport à ce que laisserait supposer l'orientation stratégique attribuée à l'armée, compte tenu des politiques que les gouvernements précédents ont décrites. Les capacités dont on a besoin dépassent largement le financement. Il s'agit en réalité d'une question qui porte sur les limites du financement, lesquelles rationnent l'argent qui doit être consacré à tout domaine particulier qu'on pourrait examiner. L'espace en fait partie. C'en est un que le ministère a désigné comme un domaine de croissance, car on reconnaît la nécessité d'en faire plus.
La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. Je voulais revenir à la question des fonds non utilisés selon les prévisions, et j'ai deux questions précises à poser.
La première concerne le manque de capacité. Vous avez parlé du besoin d'une meilleure formation du personnel d'approvisionnement, plus particulièrement dans les FAC, mais vous avez aussi évoqué le problème au sein du MDN lié à l'arriéré d'embauche pour plus de 200 postes. Avez-vous une idée des difficultés liées à l'embauche? S'agit-il des autorisations de sécurité, d'une pénurie de candidats qualifiés ou d'un moral bas qui décourage les gens de vouloir travailler au sein du ministère? Quelles sont les difficultés qui doivent être surmontées, et comment procéderiez-vous pour éliminer l'arriéré afin de renforcer les capacités?
M. Perry : Les deux qui sont les plus importantes sont le fait que nous semblons avoir un processus conçu pour embaucher les gens de façon équitable, mais pas nécessairement pour embaucher les gens possédant le type d'ensembles de compétences très recherchées dont les possibilités d'application sont énormes dans le secteur privé. Nos processus actuellement établis pour pourvoir des postes d'administration publique génériques sont mal adaptés pour l'embauche des personnes à qui on voudrait idéalement confier la direction de programmes d'approvisionnement de plusieurs milliards de dollars. Dans le secteur privé, ces personnes n'ont pas beaucoup de difficultés à trouver un emploi.
Si, au gouvernement du Canada, le processus permettant de pourvoir ces postes dure 12 ou 18 mois, il faut compter sur le patriotisme des gens aux dépens de toute autre incitation rationnelle ou structure pour faire franchir la porte à des gens comme cela. Actuellement, le ministère tente dans une bien plus grande mesure d'établir une passerelle pour faire venir des étudiants, car il s'agit d'un mécanisme d'embauche qui peut faire franchir la porte à une personne qu'on peut espérer former dans un délai raisonnable. Toutefois, il ne s'agit pas d'une approche très stratégique de gestion des personnes possédant des ensembles de compétences spécialisées qui font l'objet d'une forte demande.
Pour ajouter une autre réflexion à la discussion sur les capacités, actuellement le ministère fait face à une situation où le rythme auquel il obtient des approbations par l'intermédiaire du Conseil du Trésor diminue constamment d'année en année, à cause de cet arriéré cumulatif de projets et du fait que l'on a ajouté tout un tas de processus dans l'ensemble du gouvernement du Canada. On est maintenant dans une situation où, si le Conseil du Trésor ne commence pas à tenir plus souvent des réunions visant précisément à traiter les dossiers de la défense, cet arriéré ne va pas être réduit. On a trop de demandes à faire passer par le système, et, s'il n'y a pas plus de fenêtres pour les faire passer, effectivement ces multiples projets cumulatifs ne pourront cheminer dans le système, même si on augmente les capacités, car le Conseil du Trésor ne se réunit que tant de fois par année.
La sénatrice Lankin : Ma deuxième question porte sur les processus d'approvisionnement. Il y a un problème lié à l'arriéré que vous venez tout juste de mentionner ainsi qu'à la rapidité des approbations. Vous avez fait allusion au plus grand nombre d'obstacles qui ont été intégrés dans le système au cours d'une certaine période. Normalement, cela se produit dans les gouvernements lorsqu'il y a des événements déclencheurs, comme le fait qu'un gouvernement a été critiqué pour des échecs relatifs à l'approvisionnement. Y a-t-il eu des événements particuliers qui ont donné lieu à ce que d'aucuns appelleraient une réaction impulsive de resserrer les choses?
Je m'y intéresse particulièrement parce que j'ai eu l'occasion, quand le ministre Baird était au Conseil du Trésor, il y a de nombreuses années, de présider pour lui un groupe d'experts qui étudiait l'administration des accords de subventions et de contribution au sein du gouvernement et tentait d'éliminer la paperasse. Un tel examen du processus d'approvisionnement a-t-il été mené à l'échelle du gouvernement ou relativement à la défense, précisément? Sinon, s'agit-il de ce qu'il va falloir faire pour tenter de simplifier l'approvisionnement afin d'obtenir une bonne optimisation des ressources, l'équité sur le marché concurrentiel pour les fournisseurs et des décisions prises en temps opportun?
M. Perry : J'aborderai le dernier élément en premier. En ce qui concerne la paperasse, oui, il y en a. Le problème tient au fait qu'un effort unique a été déployé à l'interne, au sein du ministère de la Défense nationale, en 2012 et que, à ma connaissance, il y a une ou deux semaines, il ne s'agissait pas encore d'une politique en tant que telle. C'est appliqué exclusivement à l'intérieur de la Défense nationale. On s'efforce de tenter de simplifier le processus d'approbation des projets, dans le cas de ceux qui sont visés par le pouvoir d'approbation du ministre de la Défense nationale. Le vice- amiral Donaldson était le VCEMD quand ce projet a été amorcé, et il est à la retraite, à Victoria, depuis trois ans. Le projet n'a pas encore été mis en œuvre officiellement.
Un deuxième effort plus vaste — pangouvernemental — qui a été déployé dans le cadre de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense qu'avait adoptée le gouvernement Harper en février 2014. Je n'ai aucune idée des répercussions concrètes ou des résultats qui ont découlé de cet effort visant à simplifier l'ensemble du gouvernement. S'il y a de bonnes nouvelles qui restent cachées, j'attends avec impatience qu'elles soient révélées, car aucun résultat concret de ce processus qui a été amorcé il y a près de trois ans n'est accessible au public. Cette stratégie avait été conçue pour être effectivement conforme aux divers types de politiques qui ont été adoptées au cours des deux ou trois dernières années.
Comment pouvez-vous faire avancer les choses d'un point de vue juridique et dépenser de l'argent sans suivre les processus qui, dans le passé, se déroulaient de façon séquentielle, au lieu d'étudier les types de choses qui peuvent être faites en parallèle ou de suivre un processus d'approbation de type uninominal majoritaire à un tour, tant que vous demeurez dans les limites de certains paramètres : votre calendrier, vos coûts ou vos besoins restent dans un écart de 10 ou 20 p. 100? Vous n'êtes pas tenu d'obtenir une nouvelle approbation si quelque chose change, parce qu'il arrive souvent que les choses changent, et il s'agirait d'une approche plus logique qui permettrait aux gens d'obtenir l'approbation une fois et, pourvu qu'ils demeurent dans certaines limites attendues, ils n'ont pas à obtenir de nouvelles autorisations, car cela peut vraiment exiger beaucoup de temps.
En ce qui concerne le processus, il y a assurément eu des éléments déclencheurs que je vais aborder dans une minute. Beaucoup de ces éléments sont les conséquences de la Loi fédérale sur la responsabilité et des modifications apportées lorsque le premier ministre Harper a pris le pouvoir. Pour de nombreuses bonnes raisons, il a tenté de mettre en place des politiques rigoureuses concernant la gestion financière, alors, cela a suscité le besoin d'effectuer une planification des investissements à long terme. Voilà à quoi je faisais allusion plus tôt au sujet du fait que la Défense est dans une situation très différente, maintenant, puisqu'elle ne peut même pas commencer à effectuer la planification efficacement à l'égard de certains projets, si l'argent n'est pas accessible et que les projets ne font pas partie d'un plan d'investissement à long terme.
La rigueur qui est venue avec ces politiques et la façon dont elle a été interprétée au sein de la Défense nationale, c'est qu'on doit passer par de multiples instances au cours de la durée d'un projet d'approvisionnement, où on établit les coûts pour voir s'il y a de la place ou non dans le plan d'investissement. Si tout type de modification est apporté, à mesure qu'on suit les étapes de l'approvisionnement, on établit de nouveau les coûts pour voir si le projet a toujours sa place dans le plan.
Vers 2009, le gouvernement a modifié son approche de gestion de projet. Cette politique a eu l'avantage de retirer le filtre strictement axé sur l'argent pour déterminer si un projet devait être approuvé quand le Conseil du Trésor ou si le ministre de la Défense nationale pouvait l'approuver. Elle a fait passer l'accent sur une façon de faire fonder sur la complexité et le risque du projet, ce qui présentait un avantage, mais, auparavant, si un projet répondait à ces critères, il y avait un filtre facile pour déterminer s'il se rendait au Conseil du Trésor ou si le ministre s'en chargeait, c'est-à-dire combien il coûtait. Maintenant, les projets doivent suivre un processus d'évaluation qui nécessite pas mal de temps afin que l'on évalue le risque et la complexité qui s'y rattachent. L'avantage de cette façon de faire, c'est que, s'il s'agit d'un projet à faible risque, le ministre peut l'approuver, et ce processus est plus court que si l'on doit passer par le Conseil du Trésor, mais l'inconvénient, c'est qu'il est très laborieux de procéder à cette évaluation à chaque fois, pour chaque projet, alors que le ministère compte au total près d'un millier de projets, et que cela exige beaucoup de ressources. Ce changement d'approche a précédé beaucoup des événements déclencheurs.
Tout ce qui aboutit dans un rapport du vérificateur général dans un contexte négatif a tendance à entraîner des répercussions négatives. Il est certain que les rapports portant sur le projet précédent d'acquisition de l'avion d'attaque interarmées a eu d'énormes répercussions négatives et a miné la confiance à l'égard de ce que faisait la Défense nationale et de la façon dont elle formulait les besoins, ce qui a entraîné d'autres changements, comme la création d'un comité d'examen indépendant chargé de se pencher sur les besoins de la défense à l'intérieur de la Défense nationale en conséquence directe de ce projet.
Certaines des modifications qui ont été apportées au chapitre de l'établissement des coûts sont également issues de ce rapport particulier du vérificateur général et de celui qui portait sur les projets d'hélicoptère Chinook et Maritime. Ce sont trois gros rapports qui ont eu des répercussions importantes et qui ont mené à certains des autres changements : les perceptions améliorées des besoins et du fait qu'ils sont adéquats ou non, ainsi qu'un accent plus intense sur l'établissement des coûts, ce qui est bon et finira par être avantageux.
Encore une fois, il n'est pas facile d'embaucher des gens qui possèdent les compétences nécessaires pour établir des coûts à long terme dans un environnement hautement complexe, quand le processus dont on dispose est conçu dans le but de pourvoir de façon équitable des postes administratifs, et c'est le genre de dynamique avec laquelle on travaille.
La sénatrice Beyak : Je dois me faire l'écho des commentaires du sénateur Kenny : vous êtes le modèle d'excellence, très équilibré et impartial, et vous jetez le blâme équitablement. Cela me mène à ma question sur les pays dont j'ai entendu parler, qui ont établi un comité d'approvisionnement militaire impartial, lequel survit aux changements de gouvernement et a toujours une stratégie et un plan en place afin de ne pas faire ces dépenses inutiles encore et encore.
Connaissez-vous ces pays, et savez-vous si ce système fonctionnerait, ici, au Canada?
M. Perry : Le modèle le plus évident est celui de l'Australie, qui adopte une approche bipartite. Le dernier livre blanc qu'ont publié les Australiens contenait un plan d'investissement à long terme dont les coûts étaient assurés de façon indépendante. Lorsqu'on parle de modèles d'excellence, au moment où nous procédons à notre examen de la politique de défense, ce devrait être le modèle par excellence. Mon attente quant à ce qui ressortira du processus d'examen de la politique de défense mené au Canada, c'est que l'on se dote d'une stratégie qui décrit les intérêts dans le monde, qui établit les priorités, qui souligne les types de capacités générales qui devraient être acquises. Ensuite, on a établi un plan sur 20 ans, dont les coûts ont fait l'objet d'une vérification indépendante, qui exposait non seulement les projets précis, mais les bandes très étroites relativement aux coûts et qui les exposait de façon séquentielle au fil du temps, au moment où elles devaient se produire. Il s'agit assurément de ce que nous devrions viser.
Le sénateur Day : Je vais me faire l'écho des propos de la sénatrice Beyak et du sénateur Kenny. Vous avez évoqué beaucoup de choses très intéressantes qui nous sont très utiles, monsieur Perry, et je vous en suis reconnaissant.
Je vais essayer de me concentrer sur deux éléments précis, quoique je voudrais poursuivre la discussion concernant l'établissement du budget et l'approvisionnement à un certain moment. Vos commentaires relativement à l'achat de l'avion d'attaque interarmées ont attribué un qualificatif à cet avion, c'est-à-dire qu'il est capable d'intercepter. Vous évoquiez la présence possible des Russes dans le Nord, puis la communication de cette information à nos alliés. Voudriez-vous mentionner tout autre besoin qu'il est nécessaire de combler, selon vous? Si vous vous sentez à l'aise de le dire, d'après vous, lequel des aéronefs répondra probablement à ces besoins?
M. Perry : Cet été, quand le gouvernement du Canada a diffusé un questionnaire à l'intention de l'industrie, mon interprétation de ce questionnaire a été qu'il exprimait clairement une préférence et un désir que, quelle que soit la solution qui sera fournie, elle soit construite en Amérique du Nord. Cela signifie qu'il y a effectivement deux candidats, et cela comprenait le Super Hornet ou l'avion d'attaque interarmées. Concernant tout autre candidat potentiel, selon mon interprétation des questions que posait le gouvernement, en raison de préoccupations relatives à l'interopérabilité et à la capacité de communiquer l'information et de contourner la classification du renseignement, cela signifie qu'il faut qu'elle soit nord-américaine, effectivement.
Il ne fait aucun doute que le F-35 va être de loin l'aéronef le plus apte. Le gouvernement pourrait avoir un certain nombre d'autres priorités, y compris l'avantage économique national, et je pense que le F-35 et le Super Hornet présentent des avantages et des désavantages potentiels.
Concernant la question des coûts, comme je l'ai étudiée très attentivement au fil du temps, beaucoup des renseignements sur les coûts dans le domaine public sont bons à jeter aux poubelles. La seule manière efficace dont le gouvernement du Canada peut faire le meilleur choix — lequel, je l'espère, serait un approvisionnement offrant le meilleur rapport qualité-prix, pas seulement la recherche de la soumission conforme au coût le moins élevé — consisterait à tenir un concours et à voir quel serait le meilleur mélange de coûts, d'avantages et de retombées économiques nationales et de capacité, et à suivre un processus et simplement établir les paramètres. Le gouvernement devrait décrire clairement le produit qu'il veut se faire livrer, préciser le type de rendement relatif aux capacités qu'il envisage, et puis voir qui présente la meilleure soumission.
Le sénateur Day : Certaines personnes ont suggéré cette façon de procéder — un concours ouvert —, mais elle n'a pas encore eu lieu.
Pour être réalistes, nous n'allons pas augmenter nos dépenses de 6 milliards de dollars durant la première année, jusqu'à 1,3 ou 1,5 p. 100 du PIB. Cette augmentation va se faire lentement. Vous avez parlé de la lacune au chapitre du personnel et du besoin réel d'un certain équipement. Quelqu'un va devoir faire ce choix. Voulez-vous nous adresser une recommandation quant à l'endroit où l'argent supplémentaire devrait aller? Si nous pouvons convaincre le gouvernement d'injecter plus d'argent, ce ne sera pas suffisant.
M. Perry : Je pense que l'accent devrait être mis sur les biens d'équipement à long terme. Durant l'intervention en Afghanistan, nous avons constaté que le personnel est plus concentré dans les opérations terrestres. Nous en avons besoin pour tous les types d'opérations militaires. Il faut conserver une capacité technique, qui est difficile à activer et à désactiver rapidement, mais c'est dans les immobilisations que l'on doit continuellement investir au fil du temps, et ces investissements doivent être plus importants que ceux que nous avons faits.
En guise de mesure de ces investissements, à divers moments au cours des dernières décennies, le ministère de la Défense nationale a établi diverses cibles relativement à la quantité d'argent qu'il consacrera aux biens d'équipement. Essentiellement, ces dépenses vont de pourcentages approchant les 30 p. 100 à une cible d'investissement minimal de 20 p. 100, au titre de la Stratégie de défense Le Canada d'abord.
Depuis les six ou sept dernières années, notre moyenne se situe entre 12 et 14 p. 100. Si nous continuons d'affecter théoriquement le même genre d'argent que celui dont nous disposons et que nous n'utilisons pas selon les prévisions dans la même mesure, nous allons descendre bien en dessous de ces cibles et n'allons pas réinvestir. Je pense que la plus grande lacune est du côté des immobilisations, et il s'agit de celle qui est bien plus difficile à rajuster rapidement et à faire réagir aux crises.
Il est possible d'embaucher certains genres de personnes très rapidement. Actuellement, nous sommes dans un cycle d'approvisionnement de 16 ans pour les acquisitions d'immobilisations majeures. On ne peut pas ouvrir et fermer ces robinets très rapidement. Ce dont il est question, en ce moment, c'est de tenter de rattraper au moins une décennie — si ce n'est plus — de dépenses trop modestes en immobilisations. Il est tout simplement impossible de modifier le système pour faire cela. J'espère que nous pourrons améliorer le système et le rendre plus souple, mais je ne pense pas que vous puissiez vous attendre à ce qu'il devienne aussi souple qu'il le serait afin de pouvoir accueillir quelqu'un si votre système de RH était efficace. Vous pouvez former les gens afin qu'ils fassent certains types de choses dans deux ou trois ans. Vous ne pourrez acheter de pièces d'équipement complexes dans un délai qui se rapproche de celui-là, même si nous améliorons le système.
Le sénateur Day : Nous allons résister à la tentation d'appeler les 10 dernières années « une décennie d'obscurité ».
Le sénateur White : Ce dont on se plaint le plus dans tous les pays de l'OTAN, c'est l'approvisionnement en équipement. Qui s'en tire le mieux?
M. Perry : Je ne pense pas qu'il y ait un pays qui ait totalement réglé ce problème. Je continue toutefois de chercher d'autres exemples de divers pays qui ne peuvent pas dépenser l'argent dont ils disposent, et il s'agit d'un élément comparatif que je n'ai pas encore trouvé. Vous pouvez examiner, chez nombre de nos alliés, beaucoup d'aspects différents à améliorer de diverses manières, mais aucun d'entre eux n'a ce problème qui, d'après ce que mes recherches m'ont permis de constater, est unique au Canada. Nous faisons également face à un manque d'argent, que j'espère avoir exposé clairement, mais nous sommes aussi dans l'incapacité d'utiliser celui dont nous disposons, ce qui est bizarre.
Une voix : Demandez-lui qui le fait de la pire façon.
Le sénateur White : Oui, qui le fait de la pire façon? C'est exact. Ce pourrait être nous; voilà le problème.
Le président : Je voudrais revenir sur deux ou trois questions afin que nous puissions les faire figurer au compte rendu. Concernant la question des réserves, vous avez affirmé qu'on n'y affectait pas suffisamment de personnel. Manifestement, cela se reflète dans le budget. Cela se reflète sur notre personnel et sur notre capacité de fonctionner en tant que force militaire dans le monde.
Pouvez-vous expliquer davantage le fait qu'on n'y affecte pas suffisamment de personnel?
M. Perry : Je crois que le gouvernement précédent a mis en branle — et c'est toujours le cas — une augmentation dans les réserves, où le nombre d'employés est passé, si je ne m'abuse, de 27 000 à 28 500, plus ou moins. Je crois savoir que la Force de réserve actuelle — et il y a diverses manières de la calculer — est bien inférieure à 20 000. Ainsi, il s'agit d'une lacune assez importante. Dans le passé, dans le cadre d'opérations majeures, une proportion allant jusqu'à 20 ou 25 p. 100 des rotations en déploiement étaient dotées par des réservistes. Alors, si nous nous situons à quelque 50 ou 60 p. 100 de la capacité autorisée pour la Force de réserve, cela va être très difficile.
Le président : Mettez simplement cela en perspective pour les téléspectateurs et pour nous-mêmes. Il est question d'un personnel de 66 000 employés. En plus de cela, nous envisageons l'embauche de 25 000 autres employés, pour un effectif d'environ 80 000 — peut-être 85 000 — pour être pleinement opérationnels. Est-ce exact?
M. Perry : Oui, à peu près.
Le président : Approximativement.
Si je peux revenir là-dessus, vous avez affirmé que vous estimiez qu'on n'affecte pas suffisamment de personnel dans l'armée, en ce qui concerne le personnel permanent, alors pourriez-vous nous donner un chiffre à cet égard? Vous avez dit deux ou trois milles? Pourriez-vous préciser ce chiffre?
M. Perry : Si on regarde seulement quelle est la force actuellement autorisée, il s'agit d'environ 2 000 postes non comblés, par rapport à ce qui est autorisé, et c'est dans l'ensemble des forces armées et dans les limites des postes qu'elles sont autorisées à prévoir à l'effectif. En 2011, le rapport sur la transformation a indiqué qu'il fallait accroître nos capacités dans le cyberespace, dans l'espace et dans les postes axés sur le renseignement, de deux ou trois façons différentes. Les effectifs d'escadrons de la Force aérienne sont insuffisants. Des bataillons de la Force de réserve ne sont pas pleinement opérationnels. Même sans parler du fait que nous aurions besoin ou non — comme je le ferais valoir — de maintenir et d'améliorer notre capacité sous-marine, les domaines sont nombreux et divers. Si nous devions procéder à ces types d'améliorations des capacités dans l'avenir, elles viendraient avec une facture au chapitre du personnel. Essentiellement, nous sommes à court d'effectifs, vu le statu quo, actuellement, et nous continuons de faire le même genre de choses; si vous envisagez d'étendre vos activités dans divers domaines, quels qu'ils soient... Au Canada, d'une certaine manière, nous considérons l'espace comme un nouveau domaine, alors qu'il existe depuis maintenant un bon moment, et nous ne sommes encore pas pleinement opérationnels dans ce domaine. Il en va de même pour le cyberespace. Ce n'est pas vraiment nouveau, mais au Canada, on n'y affecte pas de personnel.
Le président : Je veux seulement me faire une idée des chiffres dont il est question. Avez-vous une idée des chiffres, approximativement?
M. Perry : Je crois qu'on parle de 3 000 à 5 000 postes dans la Force régulière.
Le sénateur Kenny : Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais poser une question complémentaire. La façon dont vous avez formulé votre question... Il y a une différence importante entre la Réserve et l'Aviation royale canadienne, l'Armée de terre et la marine. Pour le compte rendu, peut-être pourrions-nous demander au témoin de préciser qu'il parlait de la milice en particulier, n'est-ce pas?
M. Perry : C'est exact, oui.
Le sénateur Kenny : Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment cela se distingue de la marine et de la Force aérienne?
M. Perry : Oui. Le modèle d'emploi pour la milice au Canada est très différent de celui de la Force aérienne ou de la marine. Je connais mieux le modèle en vigueur dans la marine, même s'il a en quelque sorte évolué pour se rapprocher de celui de la milice. Essentiellement, on a mis en œuvre un concept de marine unique où un personnel divers peut être affecté à n'importe lequel des navires.
D'ordinaire, la milice, d'une part, mène des activités à temps partiel qui se déroulent annuellement et, d'autre part, fournit les gens qui ont été entraînés pour les postes à l'étranger lorsque c'est nécessaire. Incidemment, je crois malgré tout qu'il serait possible d'attribuer à la Force de réserve des tâches un peu plus ciblées ainsi que des domaines désignés de capacités. Par exemple, il y a la garde nationale des États-Unis : les réservistes ou les unités de la garde nationale aux États-Unis se chargent de toutes sortes d'opérations d'aviation qui ne sont pas liées aux combats. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas adopter un type de modèle similaire afin de mener des activités semblables, par exemple le transport stratégique.
Le président : J'ai une dernière question. Je le dis à nouveau pour le compte rendu : notre engagement envers l'OTAN a été mentionné un certain nombre de fois, tout comme le fait que nous devons atteindre, selon l'accord en vigueur, une cible de 2 p. 100. En dollars, combien faudrait-il dépenser pour atteindre cet objectif de 2 p. 100, par rapport à ce que nous dépensons actuellement?
M. Perry : Oui. Ce serait 20 milliards de dollars.
Le président : D'accord, merci.
M. Perry : C'est le montant qu'il nous manque pour atteindre la cible.
Le président : Et combien dépensons-nous actuellement?
M. Perry : Cette année, le budget est de 18,5 milliards de dollars. C'est en supposant que nous utilisons tout le budget, et à dire vrai, je ne crois pas que ce sera le cas. Je suis même plutôt sûr que plusieurs centaines de millions de dollars n'auront pas été utilisés d'ici la fin de l'année, à moins que quelque chose ne change.
Le président : Eh bien, merci beaucoup, monsieur Perry. À nouveau, notre comité a appris beaucoup de choses très intéressantes et très utiles grâce à vous. Nous vous sommes très reconnaissants de ce que vous faites et du travail et des efforts que votre organisation et vous consacrez pour tenir le public et le gouvernement au courant de l'importance des Forces canadiennes et des raisons pour lesquelles il faut investir, autant pour aujourd'hui que pour demain, dans les Forces armées canadiennes. Pour cette raison, je tiens à vous remercier d'être venu témoigner.
Nous poursuivons notre étude sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense avec notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons le lieutenant-général à la retraite André Deschamps, président honoraire national de l'Association de la Force aérienne du Canada, un organisme communautaire national qui s'intéresse à l'aérospatiale et qui s'est donné pour mission de commémorer les nobles réalisations des hommes et des femmes qui ont servi dans l'Aviation royale du Canada depuis sa création, de militer en faveur d'une Force aérienne compétente et bien équipée et d'appuyer les cadets de l'Aviation royale du Canada. Le lieutenant-général Deschamps a pris sa retraite de son poste de commandant de l'Aviation royale canadienne en septembre 2012, après 36 années de service.
Au cours des trois années ayant précédé cette date, il a dirigé l'ARC dans de nombreux contextes : missions de combat en Afghanistan et en Libye; pont aérien humanitaire entre Haïti et le Canada; appui fourni aux organisateurs des Jeux olympiques de Vancouver en 2010; multiples missions de recherche et de sauvetage et toute une gamme de tâches opérationnelles ou concernant l'entraînement.
Monsieur Deschamps, vous avez témoigné pour la dernière fois en 2012, il y a quatre ans, alors que vous étiez commandant de l'Aviation royale canadienne. Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous dans votre nouveau rôle au sein de l'Association de la Force aérienne du Canada.
[Français]
Lieutenant-général (à la retraite) André Deschamps, président honoraire national, Association de l'aviation royale du Canada : Merci beaucoup, c'est un honneur pour moi de comparaître devant vous aujourd'hui en tant que représentant de l'Association de l'aviation royale du Canada pour discuter d'un sujet très important, le potentiel de manque de capacités opérationnelles de l'Aviation royale canadienne.
[Traduction]
Avant de lancer une discussion détaillée sur le sujet, je crois qu'il serait pratique que je décrive l'Association de l'ARC, ses intérêts particuliers et son mandat.
L'Association de l'ARC a été établie en 1948 sous la direction du Cabinet, par suite d'une conclusion du Cabinet. On lui a accordé une subvention annuelle afin qu'elle puisse s'acquitter du mandat dont elle est investie par l'ARC. Essentiellement, l'association est chargée de tenir ses membres au courant des sujets d'actualité concernant la Force aérienne et des exigences dans ce domaine afin que ceux-ci puissent, en retour, tenir le grand public informé des sujets importants. L'association encourageait également les militaires à adhérer aux organisations civiles dans leur collectivité et à participer à la vie communautaire, le but étant qu'ils se fassent connaître et cessent d'être des gens de l'extérieur. En dernier lieu, puisque l'ARC ne disposait pas des ressources nécessaires pour s'établir dans toutes les collectivités, l'association a été chargée de faire valoir les intérêts supérieurs de la Force aérienne dans le plus de collectivités possible.
Au fil des ans, les changements démographiques et technologiques ont modifié certains volets de l'exécution du mandat. Actuellement, on pourrait résumer l'approche en vigueur ainsi : la promotion, soit promouvoir une Force aérienne canadienne bien équipée; les traditions, soit protéger et maintenir les grandes traditions respectées depuis les débuts de l'ARC; les Cadets de l'air, c'est-à-dire soutenir les Cadets de l'Aviation royale du Canada en étroite collaboration avec la Ligue des cadets de l'Air du Canada; la collectivité, soit participer à des programmes communautaires, civiques et locaux sélectionnés par les escadres ainsi qu'à des œuvres de charité et d'autres projets présentant un intérêt national ou local; et l'aviation civile et militaire, à savoir célébrer les réussites civiles et militaires en aviation à la remise des prix annuelle de l'Association de l'ARC.
Donc, on peut résumer le plus simplement le rôle de l'association comme étant axé sur la promotion, les jeunes et les traditions.
L'association compte actuellement environ 6 300 membres dans 58 escadres partout en Amérique du Nord. Nous avons même des escadres au Mexique et aux États-Unis.
Nous en arrivons donc au sujet à l'étude aujourd'hui. Nous tenons à exprimer notre admiration et notre respect indéfectibles envers l'excellent travail accompli par les hommes et les femmes des Forces armées canadiennes et par les membres de l'ARC en particulier.
Au cours des 10 dernières années, le rythme des opérations s'est maintenu à un niveau très élevé, autant au Canada qu'à l'étranger, tandis que, parallèlement, la Force aérienne a dû composer avec d'importants efforts internes de transformation.
Nous remercions les gouvernements précédents de ne pas avoir interrompu les investissements. Ceux-ci ont permis l'achat de nouveaux équipements, par exemple des hélicoptères comme le C-17, le C-130J, le Chinook et le Cyclone. Nous sommes aussi fortement en faveur d'un nouvel investissement dans la flotte de CP-140. Récemment, nous avons accueilli favorablement l'engagement de moderniser 14 de ces aéronefs. Toutefois, compte tenu des problèmes émergents au pays et à l'étranger, l'association est d'avis que tous les autres aéronefs en service devraient être modernisés afin d'offrir au Canada la plus grande marge de manœuvre possible au cours des décennies à venir.
Pendant les 10 dernières années, l'association a publié 34 exposés de position sur un vaste éventail de sujets relatifs à l'état de préparation de la Force aérienne, et nous sommes disposés à faire parvenir ces rapports au comité, si vous le désirez.
Nous devons trouver un système d'approvisionnement moderne et cibler les lacunes potentielles; à ce chapitre, nous demeurons fortement convaincus que le Canada aura encore besoin de chasseurs polyvalents avec pilote au cours des prochaines décennies au minimum.
Nous comprenons tout à fait pourquoi un appel d'offres est habituellement le moyen privilégié pour l'acquisition de ce genre de plateformes. Toutefois, nous vous recommandons de ne pas céder à la tentation d'adapter les exigences opérationnelles en fonction de cette façon de faire. Il va rapidement falloir prendre une décision quant à la voie à suivre, parce que la flotte actuelle atteindra la fin de sa durée de vie dans moins de 10 ans.
Un autre domaine de préoccupation concerne le long processus d'acquisition d'aéronefs sans pilote. Les connaissances relatives à ce genre de système ont beaucoup augmenté au cours de la dernière décennie, mais la technologie ne cesse de progresser, et le Canada, dans sa recherche de la perfection, a endigué de nombreuses fois l'avancement du programme. Nous sommes d'avis que cela doit être étudié de façon éclairée dans le cadre de l'Examen de la politique de défense et qu'il faut prévoir un espace stratégique pour l'élaboration de diverses solutions potentielles. Une seule plateforme ne peut pas répondre à tous nos besoins.
Même si nous avons fait beaucoup de chemin, il nous reste encore beaucoup à parcourir. D'une part, il faut renouveler la flotte de chasseurs, d'appareils pour la recherche et le sauvetage et de plateformes d'entraînement, et, d'autre part, il faut apprivoiser les domaines émergents comme les véhicules aériens sans pilote, l'espace et le cyberespace. Nous nous attendons à ce que l'Examen de la politique de défense tienne compte des problèmes à venir et fournisse un cadre stratégique renouvelé pour le processus d'établissement des plans de défense et les capacités de l'ARC.
Nous accueillons la possibilité de participer à cette importante discussion et serions heureux de répondre à vos questions aujourd'hui. Nous vous remercions encore de nous offrir l'occasion de donner ici une voix à nos membres.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Beyak : Merci. Votre exposé était excellent. J'y trouve toujours des réponses à mes questions, mais je vais devoir vous demander d'entrer un peu plus dans les détails. Selon vous, avec quelles lacunes la Force aérienne doit- elle composer relativement aux capacités lorsqu'il est question de l'instruction des techniciens et des pilotes pour les missions de recherche et sauvetage?
Lgén Deschamps : Dans une grande mesure, je crois que les problèmes qui pèsent sur la Force aérienne au niveau de l'instruction sont les mêmes que ceux qui touchent tous les services, c'est-à-dire la capacité d'attirer des gens, de les entraîner et de leur fournir l'équipement nécessaire pour qu'ils puissent faire leur travail.
Pour l'instant, la Force aérienne s'en sort assez bien, si j'avais à lui donner une note pour ce qui est de maintenir suffisamment de personnel, autant en ce qui concerne le personnel navigant que l'équipe de maintenance, pour assurer la fonctionnalité de nos capacités opérationnelles. Le rythme de nos opérations est élevé, mais nous nous en tirons bien.
La difficulté vient des facteurs démographiques. Beaucoup de personnes partent à la retraite. Dans toutes les sphères de la société, la génération du baby-boom prend sa retraite, et il va sans dire que nous devons donc relever l'imposant défi d'attirer et de recruter de nouvelles personnes pour les postes vacants. À beaucoup d'égards, nous sommes encore en train de nous remettre des départs du grand réaménagement des effectifs du milieu des années 1990. À l'époque, nous avons dû mettre fin à l'emploi de beaucoup de personnes afin de respecter les nouveaux budgets équilibrés. De nombreuses personnes qui avaient de 5 à 15 ans d'expérience sont parties, et maintenant, 10 à 15 ans plus tard, les forces armées ont besoin de cette expérience. Autant à ce moment-là qu'aujourd'hui, nous avons souffert et souffrons toujours un peu de cette pénurie d'expérience.
Heureusement, l'arrivée de nouvelles technologies pour l'instruction nous a permis d'accélérer le processus. En d'autres mots, il fallait auparavant 10 ans, par exemple, pour que les gens atteignent un niveau d'expérience approprié pour jouer un rôle de supervision. Grâce aux nouvelles technologies, le processus est accéléré de façon substantielle. Nous avons ainsi pu combler en partie ce manque d'expérience. Ce qui nous aurait pris auparavant des dizaines d'années à faire nous prend maintenant la moitié du temps. Il est toujours nécessaire de faire connaître aux gens l'environnement opérationnel. On ne peut pas prendre de raccourcis pour ce qui est de l'apprentissage. L'expérience pratique est importante, mais les simulations nous ont permis de mettre davantage l'accent sur l'entraînement afin qu'il soit le plus efficace possible.
Voilà pourquoi la Force aérienne et ses membres très jeunes font ce qu'ils font dans le monde. Nous avons éprouvé certaines préoccupations en 2010 pendant le lancement parallèle d'une multitude d'opérations. Nous n'étions pas sûrs si nous dépassions les limites en utilisant du personnel opérationnel très jeune pour ces missions. Ils étaient supervisés, mais pas au niveau d'il y a 10 ou 20 ans. Malgré tout, ils s'en sont vraiment très bien sortis. Cela témoigne de la qualité de l'entraînement qu'ils ont reçu et de leurs compétences individuelles.
Le président : En moyenne, quel est l'âge du personnel?
Lgén Deschamps : J'ai peur de ne pas pouvoir vous répondre aujourd'hui, monsieur le président. Il faudrait que je demande au vice-chef d'état-major de la Défense. Malgré tout, l'âge moyen des adjudants, des sous-officiers supérieurs et des militaires du rang a baissé de façon assez considérable. Avant, l'âge moyen tournait autour de la fin de la quarantaine, disons 48 ou 50 ans. De plus en plus — et cela s'est produit assez rapidement — les gens ont le début de la quarantaine. C'est un virage assez marqué, parce que relativement à la structure des grades, cela veut dire que tout le monde est de trois à quatre ans plus jeune; beaucoup de sous-officiers, de militaires du rang, d'officiers et d'officiers subalternes montent en grade beaucoup plus rapidement aujourd'hui. Essentiellement, cette tendance démographique nous oblige à accélérer l'instruction avancée pour ces personnes afin qu'elles soient prêtes à assumer les fonctions de leur nouveau poste et de leur nouveau grade.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vous remercie pour votre présentation, monsieur Deschamps. Les opérations militaires modernes sont efficaces pourvu que nous ayons le soutien de l'aviation qui s'occupe de la surveillance, du soutien aux troupes au sol et du ravitaillement. J'aimerais vous entendre davantage sur les lacunes actuelles liées aux capacités de l'Aviation royale canadienne. Je m'explique : à quels écarts de capacité le Canada pourrait-il être confronté au cours des 10 à 15 prochaines années s'il continue d'être aussi timide dans ses investissements?
Lgén Deschamps : Je vous remercie, sénateur, de votre question. C'est une bonne question. En ce qui a trait à la capacité, je crois que M. Perry en a discuté dans sa présentation. Je l'ai également mentionné brièvement dans mes propos liminaires.
Il y a des lacunes en matière de capacité à l'heure actuelle; autrement dit, on n'a pas l'équipement, point final, ou on a de l'équipement et du personnel, mais pas au niveau nécessaire pour soutenir les opérations adéquatement. Nous sommes fragiles. Le manque de capacité peut représenter un manque complet de capacités ou un bas niveau de capacités en raison des ressources qui sont accordées. Je vais vous répondre dans ces deux contextes.
En ce qui a trait au manque de capacité, nous n'avons tout simplement pas de plateforme pour la surveillance pilotée à distance, et pour remplir les rôles ISR, soit de renseignement, surveillance et reconnaissance, comme on l'a mentionné. Le modèle UAV, dont nous avons discuté, représente un manque opérationnel qui existe depuis quelques années, depuis que le Canada a quitté l'Afghanistan. Nous n'avons pas comblé ce manque en matière de capacités opérationnelles. Certains projets visent à remplacer ou à créer une capacité à ce niveau, mais ils n'ont pas encore été mis en œuvre. Ces projets en sont encore à l'étape de l'étude, et on pense y arriver d'ici la fin de la décennie. Ce trou opérationnel va nous poser des défis, ici et sur la scène internationale. Il s'agit d'un trou béant.
En ce qui concerne le manque de capacité ou la diminution des capacités de l'aviation, nous avons beaucoup de bons équipements qui ont été renouvelés. Côté transports, nous sommes réellement sur la bonne voie. Les ressources sont limitées, mais très efficaces. Nous voulons mettre à niveau notre flotte d'avions de sauvetage, et nous espérons avoir de bons résultats cette année, pour ce qui est du prochain point d'avancement. En attendant, nous avons des capacités suffisantes pour gérer nos missions de sauvetage au pays.
Le problème, c'est le nombre de missions auxquelles nous voulons participer de façon continue ou concurrente. C'est là que nous sommes plus vulnérables et plus fragiles. Le nombre de membres qui sont entraînés et prêts à être déployés ou employés, avec l'équipement nécessaire, est limité. Nous sommes en mesure de faire de petits déploiements ici, avec un certain nombre d'avions et avec le personnel nécessaire, mais la question demeure à savoir combien de temps nous pouvons y consacrer. Il y a une courbe logistique derrière cette mission qui doit nous permettre de régénérer les gens et l'équipement. Ce serait en fonction d'un point défini et il y aurait des coûts. Il faudrait déterminer les lacunes, les manques en termes de préparatifs opérationnels, ou les écarts, si vous voulez. Il y a certains écarts.
Il y a aussi des capacités qui s'amenuisent du point de vue de l'efficacité, car la technologie progresse et il faut renouveler l'équipement. Les avions de chasse en sont un bon exemple. Ils doivent être renouvelés. Certains investissements ont été faits au cours des dernières décennies pour les mettre à niveau, mais il faudra d'autres investissements pour qu'ils soient prêts à être utilisés, au mieux jusqu'à la prochaine décennie. Tout cela pour dire que cette capacité va en diminuant.
Au fil du temps, les avions vieillissent, et comme tous les avions ont un certain âge, les efforts qu'il faut déployer pour les faire voler augmentent. Les frais d'exploitation augmentent. Alors, éventuellement, cela a un impact sur notre capacité de gérer plusieurs missions. Le niveau de compétence des gens ne change pas, et le fait que les avions pourront être pilotés s'ils sont prêts à voler ne changera pas; c'est le niveau de capacité nécessaire pour soutenir les efforts et être efficace dans les différents environnements qui change rapidement.
[Traduction]
Le sénateur Kenny : Bienvenue, général. Pourriez-vous parler au comité du programme JUSTAS, nous expliquer pourquoi il est si défaillant et nous dire ce que nous pourrions faire pour qu'il fonctionne?
Lgén Deschamps : Merci beaucoup de votre question, monsieur le sénateur.
Le président : Vous n'avez pas tourné autour du pot.
Lgén Deschamps : J'imagine que je pourrais vous parler de toutes les politiques sous-jacentes, mais, à nouveau, je dois m'assurer de faire valoir les positions de l'association et non uniquement les miennes à titre d'ancien chef de la Force aérienne. Je vais essayer de trouver un juste milieu dans ma réponse.
Dans ma déclaration préliminaire, j'avais mentionné le fait que le Canada veut une solution parfaite, en ce qui concerne les aspects tant nationaux qu'internationaux. Malheureusement, nous n'avons encore rien trouvé parce que nous demandons des choses différentes des diverses plateformes.
Notre géographie pose un problème colossal. Nous avons probablement le profil géographique le plus difficile du monde, à l'exception de celui de la Russie, qui est aussi très exigeant. C'est pour cette raison que nous avons toujours eu de la difficulté à trouver des plateformes qui peuvent remplir autant des rôles au pays qu'à l'étranger. Par conséquent, nos exigences ont tendance à être plus nombreuses que celles, disons, des Américains. Nous exigeons beaucoup d'une plateforme unique parce que si notre pouvoir d'achat se limite à cela, une seule, alors — bonté divine! — cette plateforme a intérêt à être polyvalente, puisque nous devons essayer d'exécuter le mandat national, lequel suppose habituellement, d'abord, la faculté de parcourir de grandes distances et, ensuite, une excellente durabilité en raison de notre climat rigoureux. En même temps, l'aspect tactique de la plateforme doit pouvoir répondre aux menaces qui sévissent à l'étranger, par exemple lorsqu'il est question d'un travail en coalition qui se déroule en haute mer. Il est difficile de trouver une solution unique qui répond à la fois à ces deux types de besoins. C'est là où le programme JUSTAS a achoppé au cours des deux dernières années. Pour ainsi dire, nous avons eu besoin du programme JUSTAS à cause de la situation en Afghanistan. Les gouvernements successifs ont tenté plusieurs fois de mettre en œuvre ce programme afin de nous fournir un ensemble de capacités.
Le président : Pourriez-vous expliquer aux gens qui nous regardent en quoi consiste le programme JUSTAS?
Lgén Deschamps : Oui. Excusez-moi, monsieur le président. Le programme JUSTAS tire ses origines de la période qui a suivi le 11 septembre 2011 : le Canada renforçait sa présence dans le sud-est de l'Asie, et il est devenu clair que nous devions augmenter nos capacités opérationnelles à l'étranger afin de poursuivre la lutte contre le terrorisme, voyez-vous. Déployer des troupes là-bas supposait de leur fournir de l'équipement adapté à l'environnement.
Une fois en Afghanistan, il est devenu évident que nos militaires ne pouvaient pas compter sur des moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, autant pour la planification de mission que pour le soutien de mission. Nous avons donc procédé à l'analyse pour essayer de cerner les besoins tout en essayant de déterminer ce qui serait nécessaire dans l'avenir. Quand on essaie de planifier quelque chose à long terme, le cycle de planification est de 10 à 16 ans.
Les forces interarmées, si je peux dire, ont examiné les exigences et ont rapidement mis au point le système de drones MALE, une plateforme de moyenne altitude et de longue endurance. Nous avons essayé à ce moment-là de faire imposer une exigence afin de fournir des capacités solides au théâtre d'opérations, mais le processus s'est en quelque sorte englué pendant l'appel d'offres et l'attribution de contrats à fournisseur exclusif.
Dans l'ensemble, le programme s'est immobilisé à cette étape. C'est toujours le cas, dans une certaine mesure. À l'époque, il n'y avait pas beaucoup d'options de plateformes répondant à toutes les exigences fondamentales que les Forces canadiennes avaient cernées, et le gouvernement n'était pas en mesure d'attribuer les contrats à un fournisseur exclusif. Puisque ça ne semblait pas être approprié, nous avons dû examiner d'autres options.
Au bout du compte, l'option qui a été retenue a été de louer une plateforme sans armes pour fournir au moins des services essentiels de renseignement, surveillance et reconnaissance. Nous avons commencé avec nos propres aéronefs que les forces armées avaient achetés pour le système Sperwer. Nous en avions fait l'acquisition au début des opérations à Kaboul, puis nous les avions utilisés à Kandahar lorsque nous nous y sommes déplacés en 2006.
La plateforme était très difficile à utiliser dans cet environnement, et c'est pourquoi nous avons mis sur pied un programme d'urgence afin de trouver un meilleur système pour la campagne en Afghanistan. Nous avons fini par louer le Heron — un aéronef — de MDA Canada.
Entretemps, le programme JUSTAS se poursuivait pour trouver des solutions à nos exigences à long terme, mais il fallait toujours trouver une solution à court terme pour répondre immédiatement à nos besoins opérationnels. Parallèlement, nous voulions faire accepter nos exigences à long terme afin d'amorcer le processus d'acquisition. Nous en sommes toujours à cette étape.
Nous en sommes encore à analyser les options parce que, chaque fois qu'on pense être enfin prêts à mettre en œuvre le programme, un grand nombre de questions sont soulevées à propos des ensembles de capacités et de la militarisation. On a tendance à se remettre en mode étude et à attendre qu'une meilleure solution apparaisse.
Voilà donc où le problème réside dans le programme JUSTAS. On essaie de répondre aux besoins tactiques nécessaires au soutien des forces interarmées sur le terrain. D'ordinaire, il faut un capteur tous temps avec la bonne portée et la bonne endurance. Un autre besoin tactique est la capacité d'être équipés d'armes afin d'assister nos forces.
Parmi les exigences relatives au Canada, il y a la distance, puisqu'il faut surveiller un pays immense ainsi que la haute mer. Il vous faut une plateforme plus grande et plus solide qui est capable de voyager sur de grandes distances, de fonctionner de manière autonome, de recueillir des renseignements de surveillance et de faire parvenir l'information à ceux qui en ont besoin.
Si on peut dire, les ensembles de capacités sont concurrents; on veut une plateforme unique qui peut tout faire maintenant, et ce n'est pas une solution réaliste. Voilà le dilemme auquel fait face le ministère.
Le sénateur Kenny : Voilà une réponse utile, général. Vous avez répondu à la question, mais le problème demeure que le gouvernement et peut-être même les Forces armées canadiennes essaient de trouver une plateforme unique tandis que le bon sens nous dicte que deux ou trois plateformes seront nécessaires pour combler tous nos besoins.
Si vous me le permettez, j'aimerais aborder la question de la recherche et du sauvetage. Le CH-146 est un aéronef petit et peu rapide dont nous dépendons beaucoup, semble-t-il. J'aimerais connaître votre opinion sur l'idée de convertir les VH-71 que nous avons achetés des Américains pour les intégrer à la flotte de Cormorant.
Lgén Deschamps : L'association a d'ailleurs produit un document il y a quelques années afin de proposer cette option au gouvernement et ainsi régler le problème de ressources pour les missions de recherche et de sauvetage par hélicoptère. Le document posait la même question et proposait des possibilités sur la façon dont cela pourrait être fait en fonction des exigences pour le Cormorant; voyez-vous, l'hélicoptère est en service depuis 10 ans et a atteint la moitié de sa durée de vie. Avant qu'on s'en rende compte, il faut mettre en place des projets de modernisation à mi-vie, c'est-à- dire mettre à niveau leur avionique, leur système de navigation, et cetera. C'est le moment auquel on remet la flotte à niveau.
L'association a proposé, pour ces évaluations à mi-vie, d'étudier l'option de prendre ces plateformes et de les modifier pour les intégrer à la flotte commune en adoptant les nouvelles normes pour le Cormorant à la moitié de sa durée de vie. Ainsi, le nombre de plateformes utilisables aurait augmenté, ce qui aurait permis de remplacer les Griffon actuellement en service à Trenton.
Le sénateur Kenny : Est-ce cela que fait la Force aérienne? Nous n'avons pas obtenu de réponse du général Hood. Je ne suis pas au courant de la position de la Force aérienne par rapport à cette question.
Lgén Deschamps : D'après ce que nous savons, ce programme est à l'étude depuis vraiment longtemps. La Force aérienne se penche actuellement sur le cas du Cormorant qui a atteint la moitié de sa durée de vie; elle doit soupeser différentes options afin de garder la flotte fonctionnelle et durable au cours des prochaines décennies, et, bien sûr, il y a aussi le problème des Griffon à Trenton. Elle doit donc étudier les options et les solutions qu'elle peut proposer au gouvernement afin de régler le problème. On s'attendait à ce qu'une solution à court terme soit proposée en attendant la fin des travaux des entreprises qui ont produit le Cormorant. Il fallait améliorer le niveau de son état de service. Donc, ce qu'on veut faire, c'est augmenter le nombre de plateformes utilisables quotidiennement afin de pouvoir, espérons-le, convertir des aéronefs pour les utiliser à Trenton.
Malheureusement, nous en avons perdu l'une des 15 plateformes dans un accident. En conséquence, compte tenu de la disponibilité des pièces de rechange et des travaux de réparation et de remise en état, nous ne pouvions plus mettre en service moins de plateformes que prévu. Avec les cycles de remise en état et de réparation, le nombre d'aéronefs restants ne nous permet pas d'en fournir à Trenton. Voilà le dilemme. Il faut soit ajouter de nouveaux aéronefs, soit trouver d'autres solutions pour soutenir les missions de recherche et de sauvetage de Trenton.
Le sénateur Kenny : Mais si nous avons neuf VH-71, on pourrait s'occuper de Trenton à un moment donné après la remise en état de milieu de vie.
Lgén Deschamps : C'est une des options. Mais ce genre de modification n'est pas gratuit. C'est comme comparer un vieux C-130 Hercules aux nouveaux modèles C-130J. Ils sont peut-être identiques à première vue, mais ils sont différents. Les systèmes ne sont pas pareils, les moteurs non plus, et la technologie est différente.
La similitude de l'équipement est importante, tout comme la configuration de la plateforme des VH. La partie arrière au complet n'est pas adaptée aux missions de recherche et de sauvetage. Il faut des rampes, des portes coulissantes, des treuils et tout un tas de choses qui ne font pas partie de la configuration actuelle de l'appareil.
Ce n'est pas rien. Il faudrait essentiellement reconstruire l'appareil au grand complet si on veut qu'il corresponde à la configuration initiale du Cormorant actuel pour les missions de recherche et de sauvetage. Ensuite, il va falloir modifier l'avionique pour qu'elle soit en conformité avec la flotte de Cormorant repensée. Il faut que tous les modèles d'aéronefs, peu importe lequel, soient les mêmes afin que l'on puisse éviter les problèmes liés à l'entraînement, à l'équipement de rechange, et cetera.
C'est certainement une possibilité. C'est une option. Il y aurait un coût à assumer, et cela doit peser dans la décision du gouvernement.
Le sénateur Kenny : Cela nous coûterait-il plus cher d'acheter sept nouveaux CH-149?
Lgén Deschamps : Ce genre d'aéronef n'est plus construit, mais ce serait la même chose. Il faudrait modifier toute la flotte actuelle en fonction de ce qu'il y a sur le marché afin que tous les appareils soient identiques. C'est un problème avec les appareils qui n'ont pas une durabilité assez grande. On ne tient pas compte de l'attrition jusqu'à ce que des problèmes connexes émergent vers le milieu de la durée de vie de l'aéronef. Maintenant, on se demande comment remettre la flotte en état tandis qu'il nous manque de plus en plus d'appareils. C'est un problème qui touche l'ensemble des flottes des forces armées.
Le président : Pourrais-je vous demander d'expliciter? Je ne sais pas si les gens qui nous regardent comprennent vraiment où se trouvent les VH-71 et pourquoi nous les avons achetés. Ça remonte à un certain nombre d'années. Je crois, pour le compte rendu, qu'il faudrait préciser votre réponse afin que tout le monde comprenne parfaitement ce dont nous parlons. Donc, pourriez-vous en dire un peu plus?
Lgén Deschamps : Oui, monsieur le président, bien sûr. Une occasion s'est présentée d'acheter le VH-71 aux Américains, et nous en avons profité. Nous avions appris que les Américains avaient l'intention de se départir de ces plateformes. Le gouvernement des États-Unis avait décidé...
Le président : Quand vous dites « plateformes », parlez-vous d'hélicoptères?
Lgén Deschamps : Les hélicoptères, oui. Il s'agissait d'un programme gouvernemental mis en œuvre dans le seul but d'établir une flotte d'hélicoptères pour le président. Ils ont dépensé plusieurs milliards de dollars dans l'acquisition de cette flotte ainsi que pour la mise en service. Pour toutes sortes de raisons, la classe politique américaine s'y est opposée avec force, et le programme a été suspendu, abandonné et mis au rancart.
Nous avons donc été mis au courant du fait que les Américains voulaient se départir des plateformes. À ce moment- là, il nous fallait trouver des moyens de nous procurer davantage de pièces de rechange. Depuis les débuts de la flotte de Cormorant, nous avons eu de la difficulté à trouver un nombre adéquat de pièces de rechange lorsqu'il faut effectuer des réparations ou des remises en état, que ce soit des transmissions, des moteurs et n'importe quelle autre composante qui fait voler l'appareil. Il a toujours été difficile de trouver suffisamment de pièces de rechange pour mettre assez d'aéronefs en service. Même en travaillant avec l'entreprise, nous avons beaucoup de difficultés à cet égard. C'est pourquoi nous avons saisi l'occasion d'acquérir rapidement de nouvelles pièces de rechange — parce que les appareils ont beaucoup de pièces identiques — pour notre flotte et ainsi de disposer d'un plus grand nombre de plateformes utilisables. Tout s'est déroulé pour le mieux.
Le gouvernement a pu acheter ces plateformes aux États-Unis à un prix très bas. Notre seul objectif était d'acquérir des pièces de rechange pour notre parc de Cormorant actuel, et les pièces acquises ont eu les résultats escomptés. Nous avons pu augmenter de façon substantielle les pièces de rechange à notre disposition. Par conséquent, le parc de Cormorant est maintenant plus stable et plus prévisible en ce qui concerne les appareils en service pour la recherche et le sauvetage. Nous avons bien atteint notre but. C'est une autre histoire pour les questions à long terme. On travaille encore sur un système durable de réparation et de remise en état, un système pour les pièces de rechange. Nous avons acheté ces hélicoptères dans le seul but de régler notre problème de pièces de rechange pour les réparations et les remises en état.
Le président : Je vous remercie de cette précision. Je pense que les gens qui nous regardent comprennent parfaitement ce dont nous discutons maintenant. Je crois que ça en a valu la peine.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'aimerais avoir votre opinion sur le F-35. Que devrait faire le Canada à ce sujet? Le nouveau président américain a émis des opinions plutôt négatives par rapport à ce nouvel appareil. Le projet est trop avancé pour qu'il puisse reculer, mais il y a tout de même des inquiétudes aux États-Unis à ce sujet.
Lgén Deschamps : Merci de votre question, sénateur. Encore une fois, l'association demeure plus ou moins neutre quant au type d'avion qui doit remplacer le F-18 et quant au fabricant. L'association a publié une analyse sur le système d'approvisionnement qui avait créé un contentieux au sujet du F-35. L'opinion de l'association visait surtout à établir les faits quant au F-35, qui étaient plutôt confus. Ce n'était pas nécessairement un endossement de la plateforme, mais une clarification des faits afin que les gens soient au moins informés quant aux options et aux capacités de l'appareil. Le but était de clarifier les différentes opinions qui ont été émises au sujet du F-35 lors de la période de 2011 à 2015.
L'association recommande la compétition afin que le projet puisse avancer. Il a été dit plusieurs fois que le F-18 arrivait à sa limite. Il faut vraiment prendre une décision afin de faire avancer le processus. Le gouvernement envisage de faire un appel d'offres, et l'association applaudit cette décision, pourvu que le concours soit ouvert à toutes les plateformes. Le F-35 doit concourir, bien que certains disent qu'il ne devrait pas faire partie de la compétition. Le processus doit être le même pour tous les concurrents. Il y a eu beaucoup d'information en ce qui concerne la performance et les capacités du F-35. Des comités indépendants ont étudié et vérifié le travail du ministère de la Défense au fil des ans et ont cumulé une multitude de renseignements et d'analyses de capacités. Cela a donné lieu à des rapports, classifiés et non classifiés. On n'a pas vu les rapports classifiés. Il revient au gouvernement d'en faire l'analyse. J'ose espérer qu'il prend au sérieux ce travail qui a nécessité plus de 40 000 heures et qu'il en tient compte, à la base, pour établir l'appel d'offres d'une façon efficace.
Le sénateur Carignan : Quelle est votre opinion sur les délais, parce qu'il commence à se faire tard?
Lgén Deschamps : Le F-35 a été pris entre deux forces opposées, et c'est ce qui a entraîné des retards. La plateforme elle-même a souffert de retards de développement et de déclarations opérationnelles, qui ont entraîné aussi des retards quant au créneau qui devait nous permettre de prendre possession des appareils, si notre choix devait s'arrêter sur cet avion. Tout cela pour dire que les échéanciers ont changé. Le gouvernement a dû réviser sa position pour être en mesure de la défendre sur le plan des bénéfices industriels et des besoins opérationnels.
Pour aller de l'avant, l'effort continu du Sénat et des autres ordres de gouvernement pour réviser la politique de défense devrait se faire de concert avec les militaires, si l'on doit ajouter de nouvelles capacités ou repositionner les besoins opérationnels. Quand l'analyse a été faite de 2008 à 2010, la perspective d'alors était basée sur les menaces, les besoins et les demandes que la politique de l'époque nous demandait de faire. L'exercice de révision doit valider de nouveau ce qui existe en ce qui concerne les missions. Quel niveau de risque le gouvernement est-il prêt à accepter dans les différentes missions? Cela donnerait aux militaires la marge de manœuvre nécessaire pour revoir les besoins opérationnels dans le cadre de l'appel d'offres. C'est le travail qui doit se faire en ce moment si le gouvernement veut faire une compétition.
Le sénateur Carignan : En ajoutant à cela le respect de nos engagements internationaux?
Lgén Deschamps : Tout cela. Il faut respecter les engagements que nous avons déjà pris quant aux missions nationales et internationales. Je ne vois pas de changements importants. Nos obligations envers l'OTAN et envers les Américains n'ont pas changé. Les types de missions et le niveau de risque doivent faire l'objet de discussions au sein du gouvernement afin que celui-ci puisse décider quelles sont les ressources qu'il doit mettre en place pour être en mesure de couvrir toutes les missions.
Le sénateur Meredith : Bienvenue, monsieur Deschamps. Mon français n'est pas très bon, alors je m'adresserai à vous en anglais.
[Traduction]
Merci beaucoup d'être venu témoigner aujourd'hui. J'aimerais qu'on reparle des hélicoptères et du fait qu'il est prévu de les envoyer au Mali. Nous sommes au courant des risques que cela suppose pour la recherche et le sauvetage, advenant qu'un de nos hélicoptères soit endommagé. Vous avez mentionné que nous en avons acheté aux Américains à faible coût. Pourriez-vous nous donner le montant? Combien cela nous coûterait-il de remplacer une plateforme endommagée?
Lgén Deschamps : Merci de me poser cette question. Je ne suis pas en mesure de vous donner une estimation du coût réel. Tout dépend de la plateforme en question. Prenons les Chinook que nous venons d'acheter : nous sommes encore en train de les mettre en état de préparation opérationnelle. Ces plateformes coûtent très cher. Ce sont de très bons appareils qui ont une très grande valeur stratégique, mais c'est un fait qu'ils coûtent plus cher qu'un hélicoptère plus courant.
Le sénateur Meredith : Pourriez-vous me donner un montant approximatif?
Lgén Deschamps : Je ne saurais pas vous donner une bonne estimation. Cela dépend de la quantité qu'on achète. Si vous achetez un lot, vous payez en fonction du volume. Si vous en achetez un seul, le prix est plus élevé. Et cela dépend aussi du lot que vous achetez. Pour revenir au Chinook, nous en avons acheté une version qui, selon ce qui a été pris en considération, va pouvoir répondre à nos besoins dans l'avenir immédiat. L'attrition pose toujours un problème. D'ordinaire, l'approvisionnement en défense ne prévoit pas le remplacement des pertes. Nous n'étudions jamais complètement la question de l'attrition quand il s'agit de faire l'acquisition de plateformes pour la durée d'un programme, parce que tout dépend du type d'aéronef. Cela peut varier d'un modèle à un autre. Pour les chasseurs, on parle habituellement de 7 à 10 p. 100, le même taux que pour les accidents liés à l'entraînement ou aux opérations. L'aviation est un domaine risqué.
Habituellement, la résilience de votre flotte doit vous permettre — espérons-le — de composer avec l'attrition. Avec un peu de chance, le taux d'attrition est assez faible pour vous permettre de rééquilibrer la flotte et de poursuivre votre mission. Mais après une certaine limite, les choses se compliquent.
Grâce au Chinook Foxtrot, l'endurance de la flotte est suffisante pour que le taux d'attrition soit pris en considération aux premières étapes du programme. Mais la situation sera différente dans 20 ou 30 ans, lorsque l'attrition aura fini par gruger les capacités au fil des ans. C'est difficile de pondre des hypothèses à ce sujet, parce que cela dépend de la plateforme, du type de missions et de l'attrition connexe.
En Afghanistan, nous avions six aéronefs — achetés ou détachés des forces armées des États-Unis — afin d'exécuter notre mandat. Nous en avons perdu deux en cours de mission. Cela représente un taux d'attrition de 33 p. 100. L'environnement n'avait rien d'inhabituel. La flotte a été mise hors service. Il s'agissait d'une flotte provisoire; aujourd'hui, nous avons 15 appareils Chinook Foxtrot.
C'est une question importante. Pour chaque mission, il faut savoir dans quelle mesure nous pourrons absorber les pertes, qu'il s'agisse de pertes humaines ou d'équipement endommagé. Notre résilience nous permet-elle de poursuivre la mission si un problème survient? Lorsque le gouvernement décide de s'engager à prendre part à ces missions, il doit investir dans la gestion des risques afin de comprendre les variables en jeu et les risques qu'elles supposent.
Le sénateur Meredith : Savez-vous quel genre de mesures d'urgence sont prévues? Vous avez parlé de la mission en Afghanistan ainsi que de celle en Libye et du fait que nous devons secourir ces personnes ou nos hommes et nos femmes lorsqu'ils sont en situation difficile. Pouvez-vous nous expliquer davantage quelles mesures sont prévues par rapport à l'acquisition des plateformes nécessaires à l'exécution du mandat?
Lgén Deschamps : La meilleure façon, pour parler de façon générale, serait d'examiner nos engagements par rapport aux missions auxquelles on pourrait décider de participer. À cet égard, le gouvernement doit demander à la Défense nationale quelles sont les options et ce qu'il est possible de faire. Le chef et les chefs des armées vont analyser les attentes du gouvernement ainsi que les résultats souhaités afin de déterminer la combinaison nécessaire au sein des forces armées pour atteindre ces résultats.
Dans ce genre de discussion, on détermine le coût matériel et les inconvénients éventuels associés aux options. D'ordinaire, on est en mesure de déterminer les options dans l'éventualité que ceci ou cela se produise. Je peux vous dire que l'attrition n'est pas étudiée dans le détail, même si on dit qu'on s'attend à un taux d'attrition de 20 p. 100 pour une mission donnée.
Ce n'est pas quelque chose qu'on peut prédire. Un grand nombre de missions semblent inoffensives à première vue, jusqu'à ce qu'un problème se présente. Ce niveau d'imprévisibilité ne permet pas de réaliser une bonne analyse comme on le ferait habituellement pour une opération militaire normale contre un ennemi connu, comme c'était le cas avec l'ancienne approche d'analyse pour les missions de l'OTAN, où il y avait des modèles pour prévoir l'attrition.
Cela ne s'applique plus lorsqu'il est question de contre-insurrection. Il n'y a pas vraiment de modèle à appliquer. On doit s'appuyer, en partie, sur son bon sens et sur son jugement pour fournir au gouvernement une analyse d'atténuation des évènements probables et proposer des stratégies militaires. À part cela, le taux d'attrition prévu dans les plans n'est pas directement lié à la nature des missions.
Le sénateur Meredith : Au début de votre exposé, vous avez mentionné les véhicules aériens sans pilote et les dépenses qui doivent être engagées. Pourquoi y a-t-il une réticence par rapport à l'efficacité de la technologie pour l'instruction du personnel? Vous avez également parlé des délais. Pourquoi s'est-on montré réticent à investir dans ces technologies, vu la géographie du Canada et nos obligations internationales?
Lgén Deschamps : Pour revenir aux véhicules aériens sans pilote et au programme JUSTAS, au début de ce processus, l'accent a été mis sur le soutien aux forces interarmées en Afghanistan. Il s'agissait d'étudier précisément les moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance dont disposaient nos forces en Afghanistan en fonction du terrain difficile et inhospitalier. Voilà l'origine du programme JUSTAS.
Le temps passe, puis les analyses de mission montrent que nous aurons besoin, pour nos besoins futurs, de véhicules aériens sans pilote au pays, par exemple dans l'Arctique. C'est un endroit très vaste, d'où la difficulté de trouver une solution parfaite pour concilier les technologies nécessaires pour couvrir la vaste portée des activités liées à la sécurité intérieure ainsi que les fonctions plus restreintes liées au soutien tactique.
Les choses évoluent rapidement. Il semble qu'on croit depuis toujours que si nous attendons deux ou trois ans, des technologies supérieures vont finir par apparaître. Disons que, parfois, on attend la perfection au détriment de ce qui est satisfaisant.
En outre, le Canada a toujours — je crois — eu de la difficulté en ce qui concerne les méthodes de développement ou d'acquisition en spirale. Cette méthode est employée par d'autres forces armées. Elles savent que la technologie n'est pas au point, mais qu'il faut quand même commencer à l'utiliser, à l'apprivoiser, puis modifier les exigences connexes à mesure qu'elles en savent plus pour que le produit final corresponde à leurs besoins.
Habituellement, l'acquisition ne fonctionne pas ainsi au Canada. Nous voulons comprendre parfaitement dès le départ tout ce qui sera nécessaire pour la durée de vie complète de l'aéronef. Voilà pourquoi le processus d'établissement des besoins est si difficile.
Nous essayons de comprendre les nouvelles technologies tout en essayant de prédire leurs utilisations futures. Selon certaines personnes, on devrait aussi envisager les méthodes d'acquisition en spirale. En d'autres mots, il s'agit d'avoir des capacités satisfaisantes pour l'instant, même si elles ne correspondent pas à l'ensemble des besoins, le temps d'en apprendre davantage avant de faire des acquisitions à long terme. Disons qu'il faut investir de l'argent si vous voulez avoir une connaissance parfaite de la situation, si vous voyez ce que je veux dire.
Les États-Unis utilisent une méthode de développement en spirale pour un grand nombre de leurs flottes. Ils le font aussi pour la technologie. C'est comme cela qu'ils renforcent leurs connaissances et qu'ils modifient ce qu'ils ont. Nous avons un problème au Canada : nous n'acceptons pas la méthode d'acquisition en spirale, ce n'est pas notre mentalité. Nous attendons de trouver quelque chose qui satisfait à peu près à toutes les exigences que nous avons cernées.
Le sénateur Day : Général, je vous remercie de votre présence. J'aimerais revenir à la question de la recherche et du sauvetage, pas nécessairement par rapport aux plateformes, mais plutôt en ce qui concerne le concept général de la recherche et du sauvetage.
À l'étranger, la Force aérienne participe aux missions du NORAD et de l'OTAN. Au pays, toutefois, les missions de recherche et de sauvetage sont le propre de la Force aérienne. Notre comité a rendu visite à de nombreuses occasions à des unités de recherche et de sauvetage. Les techniciens et les pilotes dans ce domaine sont très dévoués et travaillants. A-t-on déjà songé à séparer le budget de la recherche et du sauvetage de celui de la Force aérienne? En a-t-on déjà discuté?
Lgén Deschamps : C'est une bonne question : comment peut-on répartir ces ressources ou en rendre compte? Au cours de la dernière décennie, le ministère a élaboré un cadre stratégique lui permettant de suivre les recettes et le financement des opérations. Le cadre est repensé à mesure que le système de comptabilité opérationnelle évolue. D'ailleurs, le nouveau gouvernement demande ce genre de reddition de comptes.
Nous avons donc étudié, d'une part, la meilleure façon de mener des opérations de recherche et de sauvetage et, d'autre part, le financement utilisé à cette fin. Nous avons plutôt bien réussi à faire la lumière sur la situation. Nous savons combien de personnes participent ainsi que les montants d'argent qui vont à la flotte et aux salaires. Nous avons une assez bonne connaissance des investissements et des programmes d'immobilisations visant le remplacement.
Il serait problématique d'essayer de séparer, disons, la recherche et le sauvetage du volet opérationnel principal de la Force aérienne. Nous utilisons tout le temps les ressources qui sont à notre disposition. Les missions de recherche et de sauvetage sont des activités secondaires pour nos aéronefs, qu'on utilise un Chinook, un Cyclone ou un Sea King. Nous utilisons les ressources que nous avons à proximité du problème pour lancer la mission de recherche et de sauvetage. Grâce à certaines de nos plateformes, nous pouvons tirer parti de capacités très spécialisées pour les missions de recherche et de sauvetage, par exemple pour l'extraction ou l'insertion. D'autres aéronefs sont munis d'excellents capteurs, par exemple le CP-140. Toutes nos flottes peuvent servir aux missions de recherche et de sauvetage. Lorsqu'il y a une situation d'urgence, la Division aérienne doit prendre ce genre de choses en considération. Elle doit déterminer quelles ressources sont les plus près et lesquelles peuvent être déployées le plus rapidement afin de réagir à la situation et d'aider les victimes aussi vite que possible. Ensuite, on envoie les ressources ayant des capacités spécialisées si c'est nécessaire.
On ne ferait que compliquer les choses en établissant un processus séparé du volet principal et en introduisant une autre chaîne de coordination. Les choses fonctionnent très bien actuellement. Nous sommes un chef de file mondial : on vient nous voir pour étudier comment nous menons nos missions de recherche et de sauvetage. Regardez les résultats que nous obtenons par rapport à la quantité de ressources que nous déployons pour les opérations de recherche et de sauvetage : c'est plutôt impressionnant. Je n'ai aucun doute : nous sommes un chef de file mondial à ce chapitre.
Quand quelque chose fonctionne bien, il vaut mieux ne pas y toucher. Je crois qu'il faudrait plutôt veiller à ce que les ressources soient équilibrées. La demande augmente dans l'Arctique, et des ressources y sont nécessaires. À cause des changements climatiques, il y a des gens qui décident de partir en mer ou de piloter un avion dans des conditions inhabituelles; il va donc y avoir de plus en plus d'appels. Nous remettons toujours en question l'emplacement et le nombre des ressources, mais je crois que les systèmes fonctionnent bien en ce qui concerne le commandement et le contrôle et l'attribution des ressources. Je ne crois pas qu'une modification est nécessaire.
Le sénateur Day : Juste pour approfondir la question, vous avez mentionné les autres aéronefs de la flotte des Forces armées canadiennes qui sont utilisables. Dans ce cas, pourquoi y a-t-il eu ce cas où on n'a pas pu utiliser un aéronef pour la recherche et le sauvetage d'une personne qui était perdue dans le Nord? Supposément, il ne restait plus qu'un aéronef, et il fallait qu'il reste à la base, et c'est pourquoi on n'a pas pu l'envoyer aider. La situation aurait été différente si tous les aéronefs de la Force aérienne avaient été utilisables, comme ce devrait être le cas.
Lgén Deschamps : Encore une fois, je ne suis pas exactement au courant de la situation dont vous parlez. Cela ne me dit rien. Habituellement, je crois que d'autres organisations participent à ce genre d'opérations, comme la Garde côtière ou la GRC. Nous pouvons compter sur d'autres ressources; il y en a beaucoup pour réagir à ce genre de situation. Je sais que les centres de coordination essaient toujours de voir quelles ressources peuvent être mobilisées, par exemple des équipes de recherche au sol. Il n'est pas toujours nécessaire d'utiliser les aéronefs principaux de recherche et de sauvetage. En fonction des ressources à proximité et des conditions météorologiques, on ne pourra pas accéder à une zone donnée de la même façon. Parfois, les conditions météorologiques sont si difficiles qu'il est pratiquement impossible de mobiliser des ressources aériennes à cause de la visibilité, des vents ou des précipitations. Parfois, seule une équipe de recherche au sol peut atteindre la cible et évaluer le problème.
Il faut donc examiner chaque situation au cas par cas. Aucune solution n'est parfaite à cause du profil géographique et des conditions météorologiques difficiles, mais on prend toujours en considération les ressources dont on dispose, ce dont d'autres instances disposent, puis on décide logiquement des ressources à utiliser pour atteindre et évaluer le problème.
Le sénateur Day : Pour le compte rendu, je veux préciser que, en ce qui concerne l'aspect aérien de la recherche et du sauvetage au Canada, la responsabilité revient à la Force aérienne.
Lgén Deschamps : C'est exact.
Le sénateur Day : Outre la Force aérienne, les Forces armées canadiennes participent-elles aux missions de recherche et de sauvetage?
Lgén Deschamps : Les gouvernements provinciaux et les administrations municipales sont responsables des opérations de recherche et de sauvetage au sol, par exemple quelqu'un qui est perdu dans la forêt, mais la Force aérienne est quand même avertie. Elle va aider comme elle le peut. Si de l'aide est nécessaire, on communique avec le centre de coordination, et la Force aérienne va fournir du soutien, mais elle ne communique pas dès le départ avec les RCC. Nos centres de coordination de sauvetage mettent avant tout l'accent sur les pertes et les accidents aériens et maritimes.
Le sénateur Day : Je voulais juste que ce soit clair pour le compte rendu.
Le sénateur White : Merci beaucoup, monsieur le président. Général, on se plaint souvent du fait que les forces armées sont au service du ministère des Travaux publics, alors que c'est censé être l'inverse. Je suis curieux, croyez-vous que cela est encore un problème, comme ce l'était à l'époque où vous étiez dans la Force aérienne?
Lgén Deschamps : Merci de me poser cette question. Je crois que M. Perry avait abordé la question du processus. On demande au ministère des Travaux publics de fournir beaucoup de services pour toute une gamme de programmes gouvernementaux. Il faut être juste, le ministère des Travaux publics a ses propres problèmes, vu l'étendue des services qu'il doit offrir, et les problèmes liés à la défense sont particulièrement exigeants. Comme vous l'avez mentionné, il y a environ un millier de programmes d'acquisition dans la filière, dont la taille varie de petit à très grand.
On en revient donc aux questions relatives aux processus, à la reddition de comptes et aux attentes, sans oublier cette triade des politiques, des objectifs et des ressources. Tout va pour le mieux tant qu'il y a un équilibre, ce qui n'est pas le cas depuis longtemps. La difficulté est donc de trouver un juste milieu afin de vraiment répondre aux attentes.
Je crois que le ministère des Travaux publics a surtout de la difficulté quant à l'obligation redditionnelle. En même temps, j'imagine que les demandes du ministère de la Défense, dans une grande mesure, étirent dangereusement les ressources des Travaux publics, vu les processus qui leur sont imposés actuellement. C'est comme ça.
Le sénateur White : Merci beaucoup d'être ici.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Deschamps, j'aimerais revenir rapidement sur le dossier des drones. Vous avez mentionné qu'il y avait une certaine lenteur dans la progression du dossier de l'utilisation des drones. Est-ce que les acquisitions ont tout de même été budgétisées ou est-ce que, pour faire évoluer ce dossier, nous devrons prévoir un nouveau financement dans le cadre du budget de 2017-2018, par exemple? Est-ce là ce qui retarde la progression de ce dossier?
Lgén Deschamps : Les drones font partie des plans d'acquisition du ministère de la Défense nationale. En 2017, il devrait y avoir un renouvellement des activités en faveur d'une décision, de sorte que nous ayons des drones opérationnels en 2020-2021.
Le budget requis pour livrer ces drones est lié aux besoins opérationnels. Les questions que nous devons nous poser sont les suivantes : à quoi s'attend-on? Combien cela coûte-t-il? Où trouve-t-on ces capacités? Est-ce un type ou deux types de drones qu'on doit envisager? Il y a des coûts associés à cela. Aussitôt qu'on décide de créer deux flottes, ça coûte plus cher. Il faut donc décider si on veut essayer de couvrir tous les besoins, domestiques et internationaux, ou si on se limite à ce qu'on peut faire à l'heure actuelle. On avance et on s'assure de créer, à long terme, une capacité qui soit globale, de l'espace, pour donner au Canada des options qui, au fil du temps, seront plus utiles que ce qu'on a en ce moment. Actuellement, nous avons des satellites stratégiques et des aéronefs CP-140 qui ont du personnel à bord, mais il n'y a pas grand-chose qui remplit l'écart entre les deux. C'est ce qu'il faut combler assez rapidement.
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Deschamps.
[Traduction]
Le président : J'aimerais revenir sur un point que vous avez effleuré, soit le système de détection lointaine dans l'Arctique. Peut-être pourriez-vous nous parler, d'abord, du besoin de remplacer le système de détection lointaine dans l'Arctique et, ensuite, de son importance pour défendre le Canada et le reste de l'Amérique du Nord.
Lgén Deschamps : Merci, monsieur le président. L'association n'a pas encore étudié le système de détection lointaine, mais j'imagine que nous allons nous pencher sur la question dans un exposé de position prochain. Pour l'instant, certains commandants supérieurs du NORAD ont déjà témoigné devant votre comité et souligné l'importance de la surveillance de l'Arctique pour l'Amérique du Nord, dont le Canada, bien évidemment.
Il est très difficile de prévoir les besoins futurs en matière d'environnement, à mesure que le climat et les champs de glace changent. Les activités et les tendances dans l'Arctique changent, et cela va également mettre à l'épreuve les technologies qui s'y trouvent actuellement. Cela va sans dire, le renouvellement du système de détection lointaine occupe beaucoup l'esprit des commandants du NORAD. C'est un important programme à long terme qui exige beaucoup d'engagements de la part des deux pays; ils doivent déterminer ce qui est acceptable relativement à ce que le programme suppose pour pouvoir répondre à nos besoins futurs. Il faut également prendre en compte l'évolution des technologies utilisées par les autres acteurs. Ces technologies peuvent nous poser d'importantes difficultés, alors il est clair qu'il va falloir innover et mettre en place des systèmes de détection lointaine.
Actuellement, nous sommes en mesure de couvrir une certaine région, et nous avons aussi un système de détection des intrusions. De nouvelles technologies peuvent essayer de contourner nos systèmes. Nous allons devoir perfectionner nos systèmes de détection lointaine. Les technologies furtives posent un gros problème. C'est une difficulté importante.
Le président : Le Canada va devoir investir de façon importante lorsque viendra le temps de remplacer nos systèmes actuels.
Lgén Deschamps : Je crois que le gouvernement devra étudier avec soin l'avenir de la souveraineté du Canada dans le Haut-Arctique ainsi que nos engagements et nos capacités connexes. Nous allons aussi devoir examiner le rôle que nous voulons jouer — et déterminer s'il correspond à celui déterminé par nos partenaires américains — relativement à la défense de l'Amérique du Nord. Nous allons devoir comprendre leur position et nous y adapter.
Le président : Chers collègues, notre temps tire à sa fin. Je tiens à remercier le général d'avoir pris le temps de venir témoigner ici au nom de son organisation. Je crois que nous avons obtenu grâce à lui beaucoup de renseignements qui nous seront utiles dans nos délibérations futures à propos de l'Examen de la politique de défense qui se poursuit.
(La séance se poursuit à huis clos.)