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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 9 - Témoignages du 21 novembre 2016


OTTAWA, le lundi 21 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour étudier afin d'en faire rapport, les politiques, les pratiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense (sujets : harcèlement à la GRC; les réserves).

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense aujourd'hui, du lundi 21 novembre 2016.

Avant de commencer, j'aimerais présenter les personnes assises autour de la table. Je m'appelle Daniel Lang, je suis un sénateur du Yukon. Juste à ma gauche est assis le greffier du comité, Adam Thompson.

J'aimerais maintenant inviter les sénateurs à se présenter et à préciser la région qu'ils représentent.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, Ontario.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le président : Nous allons entamer une réunion de trois heures au cours de laquelle nous allons poursuivre notre étude sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense, en particulier en ce qui a trait à l'armée et aux réserves, en compagnie de représentants de l'Agence spatiale canadienne et du ministère de la Défense nationale. Nous allons également faire le suivi du rapport que nous avions présenté en 2013 au sujet du harcèlement sexuel à la GRC, à la lumière des excuses historiques et du règlement qui ont été annoncés il y a quelques semaines.

Dans le cadre de notre étude sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense, nous avons le plaisir d'accueillir notre premier groupe de témoins de l'Agence spatiale canadienne, composée de Sylvain Laporte, président; Luc Brûlé, vice-président; Éric Laliberté, directeur général, Utilisation de l'espace; et Eric Veilleux, gestionnaire, Planification et gestion des ressources financières.

Monsieur Laporte, je crois que vous souhaitez faire quelques observations préliminaires. Je vous prie de commencer. Nous disposons d'une heure en compagnie de ce groupe de témoins.

Sylvain Laporte, président, Agence spatiale canadienne : Merci, monsieur le président.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de l'invitation de venir m'adresser à vous aujourd'hui et à répondre à vos questions sur les activités de l'Agence spatiale canadienne, l'ASC, et discuter du rôle stratégique de l'espace et des technologies spatiales en appui à la défense et à la sécurité du Canada.

À l'intention des nouveaux membres du comité, permettez-moi tout d'abord de vous expliquer brièvement ce qu'est l'ASC et la nature de son rôle.

L'ASC a été créée en 1989 avec le mandat de promouvoir l'exploitation et le développement pacifiques de l'espace, de faire progresser la connaissance de l'espace par la science et de faire en sorte que les Canadiens tirent profit des sciences et des technologies spatiales, tant sur le plan social que sur le plan économique.

L'ASC relève du portefeuille du ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, l'ISDE, et à ce titre elle soutient le ministre Bains dans la coordination des politiques et des programmes spatiaux du gouvernement du Canada. Pour ce faire, elle planifie, administre et met en œuvre des programmes et des projets liés à la recherche spatiale de nature scientifique ou industrielle et au développement et à l'application de technologies spatiales.

[Français]

Depuis sa création, il y a 26 ans, et au fil du développement rapide des technologies et des applications dérivées des systèmes spatiaux, l'ASC a vu croître rapidement le nombre d'utilisateurs de l'espace au sein du gouvernement fédéral. Aujourd'hui, environ une vingtaine de ministères et d'organismes du gouvernement fédéral utilisent des données d'observation de la Terre, des satellites de communication et des techniques de géolocalisation et de navigation dans le cadre de leur mandat et de leurs activités quotidiennes, y compris, bien entendu, les principaux responsables de la défense et de la sécurité du Canada, soit les Forces armées canadiennes, la Garde côtière canadienne et Sécurité publique Canada.

[Traduction]

Lors de ma présentation devant vous en avril, j'ai eu l'occasion d'aborder le rôle capital que se sont taillés l'espace et les technologies spatiales dans la vie des Canadiens, qu'il soit question de développement économique, d'environnement, d'affirmation de la souveraineté canadienne ou de la défense et de la sécurité du Canada. J'aimerais maintenant vous offrir une brève mise à jour sur les activités de l'ASC depuis notre dernière rencontre.

Dans le dernier budget fédéral, le gouvernement a annoncé que le Canada prolongerait sa participation à la Station spatiale internationale jusqu'en 2024 et a accordé à l'ASC un financement additionnel de 379 millions de dollars destiné à maintenir sa position de partenaire clé dans la SSI. Le Canada est responsable du fonctionnement des systèmes robotiques constitués de Canadarm2 et Dextre, les icônes technologiques qui ont permis de construire la station et qui jouent aujourd'hui un rôle important dans son entretien et dans les procédures d'amarrage des véhicules spatiaux qui la réapprovisionnent.

Cet engagement important ouvre aussi des possibilités additionnelles de recherches importantes pour les scientifiques et les ingénieurs canadiens dans des domaines comme les sciences de la vie et leur permet de faire des démonstrations de technologies qui stimuleront l'innovation et généreront des retombées tangibles sur terre. Grâce à cet engagement, les astronautes canadiens auront aussi l'occasion de faire de nouveaux vols spatiaux.

[Français]

En mai, le ministre Bains a annoncé que l'astronaute canadien David Saint-Jacques participerait à une mission de six mois à bord de la Station spatiale internationale (SSI), à partir de novembre 2018. Il s'agira du 17e vol spatial pour le corps d'astronautes canadiens, qui en aura ainsi effectué plus que n'importe quel autre pays, à l'exception des États-Unis et de la Russie.

En juin, le ministre Bains a, par ailleurs, lancé la quatrième campagne de recrutement d'astronautes du Canada, qui doit permettre à l'ASC de former la prochaine génération d'explorateurs spatiaux et d'être prête pour d'éventuelles futures missions. Nous avons reçu un total de 3 772 candidatures de partout au Canada. Le processus de sélection avance bien et les 160 candidats encore en lice commencent maintenant l'étape des tests physiques et psychologiques. Les noms des candidats retenus devraient être annoncés l'été prochain.

[Traduction]

Toujours en juin, le microsatellite de surveillance maritime et de messagerie, connu sous le nom de M3MSat, a été lancé avec succès. Il permettra d'améliorer les capacités du Canada en matière de détection de navires et de gestion du transport maritime depuis l'espace. Fruit d'une collaboration entre l'ASC et Recherche et développement pour la Défense Canada, M3MSat est désormais placé sur une orbite polaire à une altitude de 505 kilomètres et survole les eaux canadiennes environ 10 fois par jour. Cette mission est un excellent exemple de collaboration et de partenariat entre le gouvernement, l'industrie et le monde universitaire.

Je suis aussi fier de vous faire part du lancement réussi cet été de la mission OSIRIS-REx de la NASA, qui consiste à visiter un astéroïde circumterrestre nommé Bennu. L'engin devrait atteindre sa cible en 2018, prélever un échantillon et revenir sur terre en 2023. La contribution du Canada à cette mission consiste en un altimètre laser qui permettra de cartographier la surface de l'astéroïde. Il s'agit d'une mission particulièrement importante, car elle contribuera à répondre à des questions fondamentales sur la formation de notre système solaire et sur l'origine de la vie.

[Français]

Le ministre des Transports et premier astronaute canadien, l'honorable Marc Garneau, a annoncé, le mois dernier, qu'une entreprise du Québec, Carré Technologies (Hexoskin), avait obtenu un contrat de 2,4 millions de dollars de l'ASC en vue de continuer d'améliorer la technologie Astroskin, un système novateur de biosurveillance destiné à la Station spatiale internationale. Astroskin est constitué d'un maillot intelligent et d'un logiciel de surveillance de l'état de santé à distance. Le tout permettra d'enregistrer des données scientifiques précieuses sur les signes vitaux des astronautes, la qualité de leur sommeil et leur niveau d'activité en cours de mission.

L'astronaute de l'ASC, David Saint-Jacques, mettra Astroskin à l'essai lors de sa mission en 2018. Astroskin pourrait avoir de nombreuses applications sur Terre en permettant, par exemple, de surveiller à distance l'état de santé de personnes confinées à leur résidence par leur maladie, de personnes vivant en région éloignée où l'accès aux soins est limité, de personnes travaillant dans des environnements dangereux ou de militaires déployés sur des théâtres d'opérations. Il s'agit là d'un exemple de plus de technologies spatiales qui permettent d'améliorer la vie sur Terre.

[Traduction]

Les défis posés par la géographie du Canada — deuxième pays du monde par la taille, à la morphologie et aux conditions thématiques très variées, bordé de trois océans — l'ont poussé à devenir un chef de file mondial des technologies d'observation de la Terre par satellite. Le Canada a été parmi les premiers à saisir les avantages pratiques et économiques de l'observation de la Terre depuis l'espace. Les satellites d'observation de la Terre RADARSAT nous permettent ainsi d'obtenir des images de la planète de jour comme de nuit, peu importe les conditions météorologiques, en faisant fi du couvert nuageux, de la fumée ou du brouillard.

RADARSAT-1 a été lancé en 1995 et a été actif pendant 17 ans. En 2007, il a été suivi de RADARSAT-2 qui est encore en fonction et est utilisé par plus de 20 ministères dans le cadre de leur mandat. Les données tirées de la mission ont été mises à profit de différentes manières, du soutien terrestre des troupes canadiennes à l'exploration des ressources naturelles, en passant par l'agriculture de précision.

L'ASC prépare actuellement la mission de la Constellation RADARSAT, la MCR, qui doit être lancée en 2018 et devrait être en fonction jusqu'en 2025. La configuration de trois satellites de la MCR offrira une couverture répétée quotidienne du vaste territoire canadien et de ses approches côtières, de même qu'un accès quotidien à plus de 90 p. 100 de la surface du monde.

[Français]

La MCR représente un avantage stratégique qui donnera au Canada une capacité révolutionnaire de surveillance maritime, de gestion des catastrophes et de surveillance des écosystèmes. Le ministère de la Défense nationale est un partenaire important du projet de la MCR et contribue à la conception tant des procédés de fabrication du système que de l'infrastructure au sol qui appuiera la mission.

[Traduction]

En terminant, je suis très heureux de l'annonce faite la semaine dernière à Ottawa par le ministre Bains, à l'occasion du Sommet de l'aérospatiale canadienne organisé par l'Association des industries aérospatiales du Canada au sujet de l'élaboration d'une nouvelle stratégie spatiale canadienne qui doit être rendue publique en juin 2017. Cette stratégie sera préparée en fonction de directives données par le Conseil consultatif de l'espace récemment redynamisé, et de consultations exhaustives auprès des intervenants de l'industrie, du milieu de la recherche et du secteur public. Le succès futur du programme spatial canadien dépendra de notre capacité collective à créer des partenariats solides avec les intervenants à tous les niveaux.

J'espère avoir réussi à vous convaincre aujourd'hui que l'espace occupe une place toujours croissante dans la vie moderne des Canadiens. L'espace n'est pas seulement essentiel pour les activités du gouvernement, il fait aussi partie de l'infrastructure qui soutient l'économie canadienne et l'économie mondiale.

[Français]

Je vous remercie de votre attention. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Avant de commencer, chers collègues, j'aimerais vous demander de me dire si vous avez l'intention de poser une question, afin que je puisse vous inscrire sur la liste, pour me permettre de faire mon travail de président de la séance.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Laporte, pour votre présentation. J'ai eu le privilège de visiter l'Agence spatiale canadienne à Saint-Hubert et de voir le fameux bras canadien. C'était très impressionnant. J'ai beaucoup apprécié cette visite.

Vous avez parlé de l'augmentation considérable de l'occupation de l'espace par des entreprises technologiques, qui ne cessent d'inventer toutes sortes de choses. Ce trafic que l'œil humain ne voit pas nécessairement risque-t-il d'accroître la vulnérabilité du Canada en ce qui concerne la sécurité et sur le plan militaire?

M. Laporte : Quand vous parlez d'augmentation de trafic, vous faites référence aux dangers liés aux débris?

Le sénateur Dagenais : On sait que des débris circulent dans l'espace. L'augmentation des technologies dans l'espace ne risque-t-elle pas de rendre le Canada plus vulnérable pour ce qui est de l'information ou sur le plan militaire? L'espace est un lieu très occupé aujourd'hui.

M. Laporte : Votre question sort un peu de mon champ d'expertise. L'Agence spatiale canadienne ne vise qu'une utilisation pacifique de l'espace. Votre question découle davantage du domaine de la défense. Il serait plus approprié de la poser aux personnes responsables de la défense.

De notre point de vue, le danger augmente à cause du nombre d'engins qui se déplacent dans l'espace et des débris naturels qui viennent de l'espace ou qui sont issus de collisions entre satellites. Le Canada, comme bon nombre d'autres pays, observe ces engins, en fait un inventaire et s'assure que les informations soient transmises afin d'éviter les collisions. En matière de sécurité, nous contribuons aux efforts visant à prévenir les collisions. C'est une démarche exclusivement pacifique.

Le sénateur Dagenais : Les débris peuvent représenter un danger pour l'Agence spatiale canadienne, car les gens utilisent l'espace, mais ne nettoient pas tout avant de partir.

M. Laporte : C'est exact.

Le sénateur Dagenais : Quelles seraient vos recommandations pour le comité? Qu'aimeriez-vous que notre rapport contienne pour améliorer la participation de votre agence aux grands enjeux technologiques, comme vous l'avez dit, de façon pacifique? Y a-t-il des points en particulier que vous souhaiteriez retrouver dans le rapport?

M. Laporte : Dans le contexte de l'examen de la défense nationale?

Le sénateur Dagenais : Entre autres.

M. Laporte : Pour l'agence en particulier?

Le sénateur Dagenais : Tout à fait, oui.

M. Laporte : Dans le contexte de l'examen de la défense nationale, nous collaborons étroitement avec le ministère.

Nous avons collaboré à des missions, entre autres pour l'envoi d'une application dans l'espace. Nous avons toujours contribué aux efforts de la Défense nationale pour déterminer si elle pouvait ajouter quelque chose ou si nous pouvions ajouter quelque chose. Son succès et le nôtre sont interreliés. Il y a tant à faire en matière spatiale, que ce soit dans le domaine des communications, dans le Nord ou ailleurs, pour l'observation de la Terre du point de vue environnemental ou pour assurer la réussite des missions. Notre appui en vue d'améliorer la capacité d'utilisation de l'espace du ministère est toujours bien accueilli, et c'est réciproque.

Le sénateur Dagenais : J'aimerais revenir sur l'occupation de l'espace. Si vous deviez nous aider à visualiser l'espace, que pourrait-on faire en parallèle, selon la perspective du passé par rapport à aujourd'hui? Dois-je comprendre que l'espace aujourd'hui est très occupé ou passablement occupé? Y a-t-il de la place pour de nouvelles technologies?

M. Laporte : L'espace est quand même très occupé. Plusieurs milliers de satellites sont en orbite autour de la Terre. Toutes proportions gardées, les nouvelles technologies représentent un énorme potentiel. Tous les pays mettent l'accent sur les innovations ayant une valeur ajoutée. Les nouveaux satellites dans l'espace ont une valeur ajoutée encore plus grande que par le passé.

La technologie permet de miniaturiser beaucoup de satellites. Un satellite qui jadis était de la grosseur d'un autobus scolaire a aujourd'hui la taille d'un classeur à deux tiroirs. On parle de nanosatellites, qui ont environ deux fois la taille d'un cube Rubik. Ces petits cubes contiennent de nombreux dispositifs technologiques. On voit donc une accessibilité accrue à l'espace. Grâce aux innovations commerciales, il est plus facile d'envoyer des choses dans l'espace. La miniaturisation favorise une plus grande prolifération.

Il y a encore beaucoup à faire pour utiliser l'espace pour notre bien-être, ici sur Terre.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, monsieur Laporte. L'exposé que vous venez de présenter m'a fourni les réponses à la plupart des questions que je pouvais me poser au sujet du financement et des nouvelles initiatives, mais je me demande si vous pourriez nous parler un peu du Rapport Emerson. Ce rapport intitulé Vers de nouveaux sommets : Les intérêts et l'avenir du Canada dans l'espace recommandait d'accorder à l'Agence spatiale canadienne un financement de 10 millions de dollars chaque année au cours des trois prochaines années. Savez-vous si cette recommandation a été respectée? En avez-vous parlé?

M. Laporte : Tout à fait. Cette recommandation particulière du rapport concernait un de nos programmes qui consiste à élaborer et faire l'essai de nouvelles technologies. Il s'agit du Programme de développement des technologies spatiales.

Quand le rapport est paru, le PDTS dépensait de 8 à 10 millions de dollars par an et l'objectif était d'augmenter ce budget de 10 millions de dollars par an par la suite. Nous avons maintenant doublé le budget du PDTS qui dispose actuellement d'une vingtaine de millions de dollars par année et notre objectif est de maintenir ce niveau de financement jusqu'à ce que nous recevions des fonds supplémentaires. Par conséquent, je peux vous répondre qu'en effet nous nous sommes intéressés à l'augmentation du budget dans ce domaine.

La sénatrice Beyak : Au cours de l'étude sur les questions de politique de défense, le comité s'est fait dire que le Canada devrait renforcer et étendre ses capacités de défense spatiale. Quelles seraient les recommandations que vous pourriez faire en vue de renforcer les capacités de défense spatiale du Canada?

Vous avez dit que vous êtes en communication avec eux et que les choses vont bien.

M. Laporte : Absolument. Pour le moment, la collaboration s'exerce dans deux secteurs clés. Le premier est l'amélioration des communications dans le Nord, secteur prioritaire pour eux et il est clair que nous pouvons atteindre cet objectif de plusieurs manières différentes. Une des avenues envisagées actuellement consiste à faire appel à de nouveaux satellites de communication qui tourneraient en orbite au-dessus du Nord pendant des périodes suffisamment longues pour être utiles pour les opérations militaires.

L'autre consiste à améliorer l'observation terrestre. Plus nous pourrons fournir d'images aux commandants sur le terrain, en appui aux opérations ou pour soutenir les efforts de gestion des catastrophes, plus cela sera utile pour la défense.

Je dirais que pour le moment, ce sont les deux secteurs qui bénéficieraient le plus d'une multiplication des efforts dans ce domaine.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour votre exposé. J'aimerais parler de la fragilité des satellites. Après votre témoignage précédent devant notre comité, je suis arrivée à la conclusion que les satellites sont indispensables à notre défense. Ce qui m'inquiète, c'est qu'une avarie mineure qui avait interrompu le fonctionnement d'un seul satellite Anik F2 a provoqué la panne totale de toutes les communications cellulaires au Nunavut, empêché les avions de recevoir les instructions appropriées, et la liste continue. Étant donné que la santé, la sécurité et le bien-être économique de tant de Canadiens dépendent des satellites, je me demande pourquoi nous ne considérons pas les satellites comme des éléments d'une infrastructure essentielle, comme nous le faisons pour d'autres infrastructures telles que les barrages?

Luc Brûlé, vice-président, Agence spatiale canadienne : Merci pour votre question. Nous avons vu ce qui est arrivé avec Anik F2 et c'est vrai que cette avarie a rendu la vie difficile pour les habitants du Nord. Au moment de la conception de plateformes comme celle-là, les risques de panne sont pris en considération. Généralement, les engins spatiaux sont dotés d'équipements en double, si bien qu'en cas de panne, nous pouvons reconfigurer l'engin. L'important ici est de prévoir de l'équipement redondant et d'être en mesure aussi de prévoir la résilience de notre infrastructure.

Quand nous parlons d'infrastructure, il est en fait question de redondance et de résilience. Il est risqué de n'avoir qu'un seul satellite pour certaines applications clés. Il faut bâtir un système comportant plusieurs éléments. De nos jours, on commence à voir apparaître des constellations de satellites. En cas de défaillance de l'un d'entre eux, d'autres peuvent prendre la relève. Notre infrastructure doit être suffisamment complète pour pouvoir répondre à de telles éventualités.

La sénatrice Jaffer : Merci pour votre réponse. Quelles sont les leçons que nous avons apprises de cette dernière défaillance et avons-nous mis en pratique les leçons que nous en avons tirées?

Ceci n'a rien à voir avec la première question que je vous ai posée, mais je crois savoir — et en passant, vous êtes les experts — qu'il y a beaucoup d'autres satellites dans l'espace. Vous parlez de grappes d'autres satellites qui, si j'ai bien compris, ne relèvent pas de votre contrôle. Que faisons-nous pour les réglementer tous?

Ce sont deux questions que je vous pose.

M. Brûlé : Parlons d'abord des leçons que nous avons tirées de la panne qu'a connue Anik F2 il y a quelques années. La réparation avait pris un peu de temps. Lorsque cela s'est produit pour une deuxième fois, notre opérateur commercial, Télésat, est parvenu à reconfigurer rapidement les systèmes, si bien que la panne a duré moins longtemps que la première fois. La redondance de la configuration de nos infrastructures essentielles nous permet de régler ce genre de problème.

Pour ce qui est de la réglementation, nous relevons du portefeuille d'ISDEC. Nous collaborons avec un groupe chargé de la coordination des fréquences, ainsi que de l'attribution des licences pour les satellites. Ce sont des problèmes dont il faut parler au moment de l'octroi des licences aux opérateurs, afin que nous puissions comprendre le plan de remise en état, au cas où une panne se produirait.

La sénatrice Jaffer : J'aimerais clarifier un point. Vous avez dit que la première fois, il a fallu un certain temps pour faire la réparation. Combien de temps les pannes ont-elles duré la première fois et la deuxième fois?

M. Brûlé : Je vais vous répondre de mémoire, mais je pense que la première fois, la panne a duré plus de 24 heures et la deuxième fois, une dizaine d'heures.

La sénatrice Jaffer : Très bien. Merci.

La sénatrice Lankin : J'aimerais si possible poser une question complémentaire et ensuite ma question personnelle.

La sénatrice Jaffer a commencé en vous demandant pourquoi ce n'était pas considéré comme une infrastructure essentielle, bien que vous ayez mentionné que ce l'était dans le contexte de l'Agence spatiale canadienne. Est-ce que cette désignation a un sens particulier dans une perspective nationale? Est-ce qu'une telle désignation vous serait d'une certaine utilité en ce qui a trait à votre capacité ou pour disposer d'une redondance ou d'un autre avantage dont vous ne bénéficiez pas actuellement? J'ai peut-être manqué quelque chose, mais je n'ai pas vraiment entendu de réponse à ce sujet.

M. Brûlé : C'est une question intéressante dans le sens que c'est en définissant les besoins opérationnels et les solutions que nous devons mettre en place pour répondre à ces besoins, que nous sommes en mesure véritablement de déterminer s'il s'agit d'une infrastructure essentielle ou non. Pour que l'infrastructure soit considérée comme essentielle, il faut prendre une décision stratégique.

À l'ASC, nous présentons des propositions et nous collaborons avec le ministère afin de trouver la solution. Nous appuyons l'idée de conférer à un grand nombre de nos satellites le statut d'infrastructure essentielle. Je pense que nous parvenons à communiquer et à expliquer la criticité de cette désignation. La panne qui avait touché Anik F2 montre bien que le satellite était d'une importance cruciale pour le bien-être des habitants du Nord. Avec le temps et grâce aux investissements nécessaires, nous serons en mesure d'atteindre ce niveau de fiabilité dans nos systèmes.

La sénatrice Lankin : Merci. Je voulais poursuivre un peu la discussion que vous aviez entamée au sujet du PDTS. Si le comité est axé essentiellement sur la défense et la sécurité, je m'intéresse personnellement à l'incidence de votre travail et de vos partenariats avec le secteur privé en matière d'innovation et de développement économique. En donnant son appui au programme de développement et en s'intéressant même à une structure qui vous amène à travailler en partenariat avec le secteur privé, le gouvernement fédéral a certainement acquiescé et donné son appui aux objectifs gouvernementaux en matière d'économie.

Je sais que d'autres régions du pays s'y intéressent, mais étant de l'Ontario, je peux dire que ma province et le Québec disposent d'une capacité importante dans le domaine de l'aérospatiale. Les deux provinces ont des stratégies de développement économique qui comprennent des stratégies sectorielles et des stratégies de grappes pour l'aérospatiale et il y a beaucoup de grandes sociétés comme Spar et le Canadarm ou la CAE, ainsi que des entreprises de technologie de simulation.

Dans votre perspective opérationnelle, que signifie ce partenariat et quelle est l'utilité de cet objectif pour appuyer le développement économique et l'innovation, et en quoi cela modifie-t-il le fonctionnement de votre agence, par opposition à un organisme qui serait uniquement intéressé par la capacité fonctionnelle dont nous avons besoin dans l'espace?

M. Laporte : Excellente question. Je vais clairement montrer mes couleurs, étant donné que ma réponse sera celle de quelqu'un qui relève du portefeuille d'ISDEC.

Nous avons déjà parlé du PDTS, plutôt sous l'angle des subventions qu'il accorde et qui sont de l'ordre de 20 millions de dollars, mais le gros du budget que l'agence consacre à l'industrie vise à s'assurer que nous faisons des progrès dans le secteur de l'innovation. Par conséquent, le PDTS est peut-être un petit programme secondaire, mais tous les contrats que nous accordons à l'extérieur visent à encourager l'industrie à développer de nouvelles technologies, à faire avancer la science et la technologie afin de nous permettre d'accéder au palier supérieur.

Désormais, nous dépensons des centaines de millions de dollars et l'ASC ne fabrique plus rien à l'interne. Nous investissons dans l'économie, puisque nos commandes encouragent la croissance économique et le renforcement des capacités, car nos activités incitent l'industrie canadienne à innover, mais nous investissons également dans le milieu universitaire, car nous travaillons beaucoup avec les scientifiques. Nous recherchons les possibilités de collaboration avec les universités. Par conséquent, tout ce que nous faisons pour répondre au mandat du gouvernement en matière d'utilisation de l'espace se traduit également par un investissement dans l'innovation.

La sénatrice Lankin : Avez-vous une idée des effets multiplicateurs sur l'économie que représentent ces investissements, ces marchés?

M. Laporte : Les effets multiplicateurs sont de deux ordres. Pour nous, il y a un effet d'entraînement lorsqu'une entreprise à qui nous avons octroyé un contrat est en mesure de s'appuyer sur ce qu'elle fabrique pour nous pour vendre d'autres produits dans un contexte commercial. Parfois, les besoins pour lesquels nous faisons appel à l'extérieur sont si précis que l'effet d'entraînement est relativement faible et ne s'élève en moyenne qu'à 1,2. Mais dans d'autres cas, par exemple pour le Canadarm, l'effet multiplicateur est de l'ordre de 20. Cependant, on peut dire que l'effet multiplicateur moyen est de trois environ.

Afin de nous conformer au mandat gouvernemental, nous œuvrons dans deux mondes où nous sommes vraiment spécialisés et ciblés. Les applications commerciales ne sont peut-être pas très nombreuses, mais lorsque nous avons une application commerciale comme l'Astroskin dont j'ai parlé dans mon introduction, on peut s'attendre à ce que les effets indirects soient extraordinaires. Par conséquent, on peut dire que l'effet multiplicateur moyen est de 3 à 1,2, mais il atteint parfois 30 dans le cas de grandes découvertes technologiques que nous sommes en mesure de réaliser.

[Français]

Le sénateur Pratte : J'aimerais revenir à la question des infrastructures critiques. Quels sont les risques liés aux infrastructures spatiales? Est-ce que la redondance est la seule mesure de protection?

M. Laporte : En matière de risques, il y a d'abord un risque inhérent. L'espace est un milieu très risqué étant donné les écarts de température, les météores et les débris. Tous ces éléments représentent des risques.

Dans un contexte plus vaste de défense, tout est inventorié, tout est à risque et tout peut servir de cible pour un agresseur quelconque. Certaines ententes internationales prévoient une bonne collaboration dans l'espace et adaptent ce qui a bien fonctionné pour tout le monde. On alloue des fréquences et des orbites spécifiques afin que tous soient en mesure d'opérer de façon sécuritaire dans l'espace.

Les risques de radiation sont considérables. Les satellites qui présentent le plus de risques sont équipés d'un dispositif de propulsion. D'autres sont lancés et vont orbiter jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent et s'écrasent sur Terre. Toutefois, le système de propulsion des satellites que nous souhaitons conserver plus longtemps permet d'éviter un débris ou un météore, et de le repositionner d'une façon ou d'une autre. Ce système permet d'augmenter la durée de vie des satellites.

À l'Agence spatiale canadienne, nous sommes plus près de la notion de survie dans l'espace comparativement à nos collègues du ministère de la Défense nationale qui, eux, sont davantage du côté militaire et de la défense.

Le sénateur Pratte : Le satellite représente pour vous une infrastructure. Donc, certaines de vos infrastructures qui sont destinées à la défense pourraient être la cible d'attaques. Cela n'est pas complètement exclu. Elles ne sont pas protégées au même titre qu'un barrage ou qu'une centrale nucléaire. Ce type de protection n'est pas en place parce qu'il n'est pas nécessaire ou parce que ce n'est pas réalisable?

M. Brûlé : Il y a des conventions pour l'utilisation pacifique de l'espace. Nos satellites sont plutôt à vocation pacifique et scientifique. On a beaucoup parlé de redondance. On a discuté de la possibilité d'avoir des constellations satellites, ce qui serait très utile.

Dans les domaines un peu plus militaires, les technologies qui sont à bord peuvent résister à certaines attaques. Il peut y avoir des attaques avec des radars puissants vers les satellites, mais ces derniers sont équipés pour faire face à ces situations. À l'Agence, nous préconisons l'utilisation pacifique.

Durant mes 25 années d'expérience, aucune attaque n'a été menée sur des satellites pacifiques ou sur des satellites d'observation de la Terre. Selon nous, les plus grands risques sont liés au fait que nous sommes dans un environnement très dangereux. En présence de débris, nous avons des façons de manœuvrer.

Le Soleil, même s'il nous garde au chaud, est un astre qui contient de nombreuses particules qui se dirigent vers nous. Il faut que les satellites soient construits pour faire face à de telles conditions. Jusqu'à maintenant, c'est le cas et cela fonctionne bien.

M. Laporte : La collaboration dans l'espace est excellente. La plupart des satellites, surtout les infrastructures critiques, comme les satellites de télécommunications, sont utiles à de nombreux pays. Vouloir attaquer de telles infrastructures aurait des conséquences désastreuses.

Cette collaboration sert aussi de protection parce que nous sommes tous dans le même bateau. Il y a des exceptions, notamment la Chine qui a tendance à agir seule, mais d'autres pays collaborent étroitement. Un pays qui prendrait des mesures rigoureuses, sachant que ses citoyens vivraient une interruption des communications satellitaires, serait devant une situation délicate.

[Traduction]

Le président : Avez-vous une question complémentaire? Sénatrice Lankin?

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. Je comprends ce que vous voulez dire en matière d'intérêts multiples et partagés des États nations et des conventions que nous devons observer.

Cependant, devrions-nous nous préoccuper des risques d'actes de terrorisme tels que des menaces de rayonnements, de perturbation des communications ou de menaces à d'autres infrastructures essentielles rendues possibles grâce à ces satellites? Qu'en est-il à ce sujet et ces technologies inoffensives jouent-elles dans ce cas un rôle dans le renseignement antiterroriste et/ou la défense militaire? Est-ce là un aspect que nous devrions explorer avec vous?

M. Laporte : Il est clair que nous abordons là le domaine de la Défense nationale, car si une organisation terroriste parvenait — c'est la grande question — à lancer un engin spatial malveillant, elle pourrait faire beaucoup de dégâts. Par conséquent, l'objectif est de faire en sorte de prendre au sol les mesures nécessaires pour éviter que cela se produise.

La sénatrice Lankin : Dans un avenir prévisible, certaines organisations terroristes auront-elles la capacité d'utiliser la technologie de l'impulsion électromagnétique ou d'autres mesures, plutôt que de chercher à lancer des engins spatiaux ou d'autres missiles dans l'espace?

M. Brûlé : Je regrette, mais les personnes susceptibles de pouvoir répondre à votre question sont les experts du ministère de la Défense nationale.

Dans le cadre de nos missions, nous ne faisons pas appel aux impulsions dont vous parlez. Nos systèmes ont une raison d'être pacifique. Je crois que certains satellites militaires sont conçus pour parer à certaines de ces éventualités, mais ce n'est pas dans notre domaine d'activités.

La sénatrice Jaffer : En complément des questions que j'ai posées un peu plus tôt et que la sénatrice Lankin a également abordées, ai-je bien compris que vous avez demandé une politique sur l'infrastructure essentielle? Vous en avez parlé, mais la décision de politique ne vous appartient pas évidemment et le défi se trouve au niveau de l'infrastructure essentielle, n'est-ce pas?

M. Brûlé : De manière générale, l'espace est un domaine très nouveau. Le Canada s'y intéresse depuis une cinquantaine d'années maintenant. L'idée de le considérer comme une infrastructure essentielle prend du temps à mûrir. La plupart des premières missions avaient uniquement des buts scientifiques. Il a fallu démontrer leur utilité, mais cela prend plusieurs missions avant que les gens en soient convaincus. Nous devons faire beaucoup de sensibilisation et expliquer l'utilité de nos missions. Avec le temps, les gens finiront par comprendre que c'est une infrastructure essentielle pour le Canada. Nous sommes sur le point de faire accepter que l'espace est une infrastructure essentielle pour le Canada et pour le monde entier.

La sénatrice Jaffer : Deuxièmement, comment pouvez-vous contribuer à la multiplication des satellites? Vous avez dit dans d'autres rapports que certaines petites entreprises créent des satellites. Comment entrevoyez-vous votre rôle dans le développement des satellites et pour encourager la fabrication de satellites? Dans l'Analyse des risques du RPP de 2016-2017, vous expliquez que les petits satellites sont un facteur important et vous poursuivez :

[...] l'ASC appuiera le développement de petits satellites afin de répondre de façon rapide et rentable aux besoins du gouvernement...

Où en sommes-nous?

M. Laporte : Nous construisons des satellites ou nous implantons la technologie dans l'espace. C'est notre mandat. Pour ce qui est d'un satellite lui-même, nous avons l'option de fabriquer un satellite autonome ou d'apporter la technologie canadienne à un satellite fabriqué ailleurs.

Nous faisons les deux à l'échelle internationale. Nous ne sommes pas les seuls à agir de la sorte. Peu importe combien de satellites sont lancés dans l'espace ou combien de satellites sont mis en orbite par le Canada. L'essentiel est de savoir comment utiliser la technologie dans l'espace au profit de la Terre. Par conséquent, je ne mesure pas notre succès au nombre de satellites que nous avons lancés. Je m'efforce plutôt de respecter les mandats que me donne le gouvernement en vue d'améliorer la qualité de vie des Canadiens.

Nos systèmes technologiques équipent autant les satellites des autres pays que les nôtres. Nous allons continuer à l'avenir à saisir ce même type d'opportunité. Est-il préférable pour nous d'équiper entièrement un satellite avec de la technologie canadienne ou de partager cette technologie avec d'autres pays? C'est une question de coût. C'est une question de capacité. C'est également une question de collaboration internationale. Par conséquent, nous appuyons les deux côtés de la même équation en répondant aux besoins particuliers du Canada.

La mission de la Constellation RADARSAT, MCR, est canadienne à cent pour cent, tout comme le M3MSat. Dans le cas d'OSIRIS-REx, dont l'objectif est de prélever un échantillon de l'astéroïde Bennu, nous avons fourni un des éléments les plus indispensables de l'engin spatial, soit l'altimètre laser. Nous sommes fiers de ces deux missions que nous accomplissons en conformité de nos mandats.

La sénatrice Jaffer : Ma question ne portait pas tant sur la quantité que sur le soutien que vous accordez au développement de la technologie des petits satellites.

M. Laporte : Dans le monde de l'industrie spatiale, il y a trois ou quatre grandes entreprises et le reste sont des PME. Nous encourageons les PME de plusieurs façons, dont l'une par l'intermédiaire de notre PDTS, le Programme de développement des technologies spatiales, qui les aide à faire la démonstration de nouvelles technologies, mais également par l'intermédiaire d'autres programmes qui nous amènent à collaborer avec des sociétés plus grandes que nous incitons à engager les PME canadiennes dans la réalisation de leurs divers contrats.

Par conséquent, un de nos objectifs est d'accorder une plus grande place aux PME dans l'industrie spatiale. Au Canada, l'industrie spatiale est encore assez dynamique. Son chiffre d'affaires s'élevait à environ cinq milliards de dollars l'an dernier, dont 60 p. 100 proviennent des exportations, ce qui représente un critère positif supplémentaire.

De nos jours, l'industrie emploie environ 10 000 salariés directs et la plupart d'entre eux sont naturellement des quantistes de la catégorie PHQ, celle du personnel hautement qualifié. L'expansion de cette catégorie est un autre objectif du gouvernement. En demandant à l'industrie de construire des satellites ou même de travailler à leur miniaturisation, on fait appel à de plus en plus d'entreprises, ce qui contribue toujours à faire grossir ces entreprises grâce au développement innovateur, mais c'est aussi une façon d'accroître la demande en personnel hautement qualifié au Canada. Nous faisons pas mal de développement de ce côté-là. Certaines de nos missions se concentrent expressément sur le développement de microsatellites, parce que nous souhaitons que l'industrie canadienne se lance précisément dans ces domaines de la miniaturisation.

La sénatrice Beyak : Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a un vaste auditoire, parce que les Canadiens sont intéressés, surtout lorsque l'Agence spatiale canadienne figure parmi les témoins. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ces deux priorités? Vous avez piqué notre curiosité en parlant du Nord et des troupes au sol. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ces priorités?

M. Laporte : En matière de communications dans le Nord, les priorités relèvent d'abord et avant tout d'une initiative de la Défense qui a des exigences précises à respecter pour appuyer les opérations dans le Nord.

Les communications normales par satellite, les communications sur large bande, permettent de répondre à une partie des exigences opérationnelles de la Défense. Il s'agit du type de satellite de communication qui vous permet à vous et moi, d'utiliser notre téléphone cellulaire ou, si vous habitez Chelsea comme moi, c'est ce type de satellite qui vous permet de recevoir votre signal télé grâce à une parabole. Par conséquent, la large bande est plutôt vouée à des utilisations civiles.

Lorsque la Défense répond à ses besoins dans le Nord, par exemple si elle a besoin d'une large bande, nous nous greffons là-dessus. Nous ne participons pas à la portion de l'initiative qui concerne purement la défense. C'est le travail des opérateurs tactiques au sol. Cela ne se prête pas à un usage civil, mais lorsqu'il s'agit de la large bande, nous cherchons à offrir notre collaboration. Lorsque nous plaçons un satellite de communication en orbite polaire, nous essayons de voir quelles seraient les autres utilités dont on pourrait bénéficier. Les satellites en orbite polaire sont assez rares. La plupart tournent autour de l'équateur, parce que c'est plus payant. Comme les régions nordiques sont moins peuplées, il y a aussi moins de satellites pour répondre à nos besoins. Un satellite en orbite polaire est utile au Canada, mais également à d'autres pays nordiques.

Nous essayons de trouver d'autres utilités à un satellite voué à un programme de défense. Nous cherchons à savoir si le satellite en orbite polaire peut accepter, en plus de ses fonctions de communication sur large bande, une charge utile supplémentaire qui serait d'un certain intérêt pour les scientifiques de Ressources naturelles Canada, d'Environnement Canada ou de Pêches et Océans Canada. C'est là qu'intervient la collaboration entre la Défense et nous et que nous nous assurons de profiter de l'occasion de répondre à leurs exigences pour tirer d'autres avantages utiles aux autres secteurs du gouvernement.

La sénatrice Beyak : Merci.

Le président : J'aimerais poursuivre sur le même sujet et m'arrêter plus précisément à l'Examen de la politique de défense afin de vérifier quels sont les engagements que votre organisme prendra à l'avenir pour collaborer avec le ministère de la Défense afin d'atteindre les objectifs qu'il s'est fixés, tout en réalisant les vôtres.

Combien de crédits sont consacrés à la mission de la Constellation RADARSAT pour 2018 et ces crédits sont-ils en place pour permettre le lancement de ce satellite particulier?

M. Laporte : La mission de la Constellation RADARSAT est composée de trois satellites. Le plan est prévu pour 2018. Le budget initial était d'environ 1,2 milliard de dollars et la Défense y avait elle-même contribué.

La Défense est des plus grands utilisateurs de la constellation sur le plan de l'utilisation des images, mais également et surtout parce qu'en plus de la technologie d'observation de la Terre, le satellite est doté d'une autre technologie de surveillance maritime. Cette fonction est également pratiquement réservée à l'usage exclusif de la Défense.

Le président : Ma question visait surtout à vérifier si les fonds étaient en place pour le lancement de la mission de la Constellation RADARSAT en 2018. Le montant total s'élève-t-il à 1,2 milliard de dollars ou la contribution de la Défense vient-elle s'ajouter à ce montant?

M. Laporte : Non, monsieur; le montant total est de 1,2 milliard de dollars et nous sommes financés à cent pour cent.

Le président : Ces fonds sont-ils engagés?

M. Laporte : Oui.

Le président : Vous avez mentionné ce qui pourrait arriver à la zone polaire du Canada et le satellite dont je parle est PolarSat. Il y a également eu des pourparlers avec Télésat et d'autres organismes à propos du partage des coûts d'un tel programme, afin de déterminer si cela serait utile. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

M. Laporte : Vous avez raison. Il y a cinq, six ou sept ans, on avait envisagé une mission appelée PCW — Polar Communication and Weather, ou Télécommunications et météorologie en orbite polaire.

Le projet n'a pas été poursuivi comme prévu à l'origine et, au fil des années, la technologie et les besoins en matière de défense ayant évolué, il s'est transformé pour prendre la forme de l'initiative la plus récente que je viens de décrire. Nous l'appelons « ESCP ».

Éric Laliberté, directeur général, Utilisation de l'espace, Agence spatiale canadienne : C'est le Enhanced Satellite Communications Project, en français le Projet de communications par satellite améliorées.

Le président : Est-ce un autre nom pour désigner PolarSat?

M. Laporte : Sans la fonction météorologique, et d'autres satellites ont vraisemblablement des charges utiles différentes. Mais même dans le cas du PCW, le projet Télécommunications et météorologie en orbite polaire, la fonction de communication est passée de la bande étroite à une combinaison de la bande étroite et de la bande large; si bien que même l'aspect communication de l'ancien projet PCW a évolué. Il est différent de ce qu'il était.

Le président : J'essaie de me faire une idée des ressources nécessaires. Quels sont les coûts prévus de ce programme?

M. Laporte : La mission n'ayant pas été définie, il m'est impossible de vous citer un coût.

Le président : Tout est strictement théorique. Il n'existe rien sur papier qui vous donne une indication des engagements financiers qui vous incomberaient si vous décidiez d'aller de l'avant?

M. Laporte : Cette portion est plus générique parce qu'elle est intégrée à un satellite de communication civil; nous venons tout juste d'entamer les pourparlers à ce sujet.

D'autres parties de ce programme portent sur les communications dans le Nord et comportent un élément distinct propre à la défense. Je n'ai pas de détail à ce sujet.

Le président : Étant donné que je suis un sénateur du Nord, j'aimerais poursuivre la discussion au sujet de la fonction météorologique que l'on avait recommandé au départ d'inclure dans le programme initial. Êtes-vous en train de me dire que le programme n'offrira plus la fonction météorologique et la capacité à faire les prévisions nécessaires? À l'heure actuelle, vous n'êtes pas en mesure d'effectuer ces prévisions.

M. Laporte : Eh bien, même sur le plan météorologique, les choses ont évolué. Actuellement, en raison de la possibilité de placer un satellite en orbite polaire, nous avons entamé un processus de consultation avec les autres ministères en vue de définir leurs besoins relativement à un tel satellite.

Le président : Cela n'avait-il pas été fait il y a quelques années?

M. Laporte : Les besoins avaient été définis dans le cadre du PCW, mais depuis cinq ans, la technologie s'est tellement améliorée que nous devons repartir à zéro afin de découvrir qu'il existe une tonne de nouvelles exigences en matière d'utilisation de l'espace.

Le président : Quand pensez-vous terminer ce processus pour être en mesure de prendre une décision?

M. Laliberté : Tout cela est intimement lié à l'initiative du MDN; c'est pourquoi l'Examen de la politique de défense est indispensable pour établir le calendrier des opérations. Comme l'a mentionné le président, il faut saisir l'occasion de combiner les besoins par souci d'une plus grande efficience dans l'utilisation d'un satellite.

Le président : Je vois. J'essaie de comprendre où nous nous en allons, de manière à avoir une idée, au moment d'effectuer l'Examen de la politique de défense, des engagements que le Canada prendra à l'avenir pour respecter l'ensemble des engagements que nous devrons honorer.

M. Laporte : Il faut préciser que nous n'avons pas officiellement lancé le programme. Nous sommes à la phase d'établissement des exigences, afin d'exploiter les possibilités. C'est pourquoi nous avons engagé ces discussions avec d'autres ministères. Nous n'avons absolument pas lancé un tel programme. Nous devons attendre d'autres éléments, dont certains résultats de l'Examen de la politique de défense afin de lancer officiellement le programme. C'est seulement une fois que le programme sera lancé officiellement que nous serons en mesure d'établir les coûts et les échéances. D'ici là, nous travaillons à la phase de définition des besoins, dans l'espoir que le projet ira de l'avant.

Le président : À propos du Nord, participez-vous au remplacement du système de détection lointaine? Quel rôle joueront les satellites pour remplacer ce système obsolète?

M. Brûlé : Je peux vous répondre tout de suite que nous ne participons pas au remplacement du système de détection lointaine. Nous n'avons rien à voir avec ce programme.

Le président : Est-ce qu'on ne prévoit pas recourir à des satellites pour remplacer et moderniser ce système lorsqu'il sera devenu obsolète?

M. Brûlé : Il y a tout un réseau d'emplacements radar dans le Nord. Le futur programme continuera peut-être à s'appuyer sur les communications satellitaires qui seront fournies. Le satellite de communication Anik F2 est le pilier du système de détection actuel. Il transmet toutes les données radar du Nord vers North Bay. Voilà comment cela fonctionne. Est-ce que les systèmes futurs utiliseront encore les communications satellites pour transmettre les données radar? À l'ASC, nous n'en savons rien. La Défense nationale serait en mesure de répondre à cette question.

Le président : Avez-vous les capacités techniques pour le faire?

M. Brûlé : À l'ASC?

Le président : Oui.

M. Brûlé : Cela ne fait pas partie de notre mandat.

Le président : Je ne vous ai pas demandé si cela faisait partie de votre mandat. Je vous ai demandé si vous aviez les capacités techniques pour le faire si vous en aviez l'autorisation.

M. Brûlé : Bien sûr que nous avons la capacité technique. Si nous sommes capables de construire un radar qui se déplace dans l'espace, nous pouvons aussi construire un radar de réception au sol.

Le sénateur Kenny : Vous avez parlé de la fonction de surveillance maritime, une fonction qui est financée. Est-ce qu'il est question des centres des opérations de la sûreté maritime TRINITY et ATHENA et peut-être aussi celui de Niagara Falls pour les Grands Lacs?

M. Brûlé : Je ne pense pas que nous soyons impliqués. Est-ce que vous parlez de la surveillance maritime?

Le sénateur Kenny : En effet.

M. Brûlé : Nous avons en orbite un petit satellite appelé M3MSat qui collecte toutes les données provenant des transpondeurs installés sur les navires. Ces données nous permettent ensuite de constituer une image indiquant la position de tous les navires en mer. Nous n'avons aucune participation dans les systèmes de surveillance maritime au sol. Nous exerçons cette fonction depuis l'espace.

Le sénateur Kenny : Je ne peux pas vous dire le nombre d'officiers qui m'ont parlé des renseignements qu'ils s'attendent à recevoir aux centres des opérations de la sûreté maritime. Je suppose que vous parliez de RADARSAT, et c'est tout...

M. Brûlé : Je comprends maintenant la question.

RADARSAT aura à bord un équipement qui captera et recueillera tous les messages envoyés par les navires sillonnant les océans, et nous pourrons transmettre ces données aux centres des opérations de la Marine canadienne.

Le président : Ne faisiez-vous pas cela quand nous étions l'hôte des Jeux olympiques? L'Agence spatiale canadienne ne participait-elle pas aux activités de sécurité quant à l'océan et aux navires s'y trouvant?

M. Brûlé : À l'époque, nous reposions principalement sur RADARSAT-2. Nous avons effectivement fourni des cartes des navires dans la région de Vancouver, au large de la côte Ouest et dans l'océan Pacifique.

Le président : Sénateur, si je peux me permettre de donner suite à votre question, ils tentaient de déterminer exactement la relation en ce qui concerne l'Examen de la politique de défense, vos capacités, vos technologies et toute autre chose que vous avez pour le ministère de la Défense. Nous travaillons tous ensemble et nous tentons de déterminer quels sont vos engagements pour que nous puissions comprendre quels engagements, à partir de maintenant, nous devons faire à votre égard pour que le ministère de la Défense puisse faire ce que nous lui demandons de faire.

De toute évidence, vous participez. Nous venons de le découvrir. Où ailleurs intervenons-nous, pour que nous sachions à l'avenir comment nous pouvons appuyer l'Agence spatiale canadienne et obtenir les budgets requis pour la technologie?

M. Laporte : Je crois qu'en ce qui concerne la relation entre les deux, comme dans le cas de tout autre pays, il y a des exigences propres à la défense au niveau desquelles l'agence spatiale nationale n'intervient pas. Nous avons donc cela au Canada.

Le président : Nous le comprenons.

M. Laporte : Pour tout le reste, nous collaborons intensément de sorte que, si les deux organismes peuvent profiter l'un de l'autre, nous le faisons.

En ce qui concerne, par exemple, le besoin de services à large bande dans le Nord, tout le reste du gouvernement se greffera à une capacité militaire. Dans le cas de la MCR, la Défense a ajouté sa surveillance maritime à la charge utile d'observation de la Terre. C'est ainsi que nous collaborons toujours dans ces domaines.

Dans l'optique de l'Examen de la politique de défense, vous pouvez estimer que l'ASC a un rôle de soutien. S'il y a un besoin militaire qui couvre plus que la défense, si d'autres peuvent en profiter, nous intervenons. Nous coordonnons le reste des organismes gouvernementaux pour pouvoir tirer parti au maximum de l'occasion offerte par la Défense.

Nous avons clairement un rôle de soutien jusqu'au moment où nous déterminons l'initiative et le type de rôle que nous pouvons avoir. Nous n'avons pas un rôle d'avant-plan, actif, en ce qui concerne l'Examen de la politique de défense.

Le président : Chers collègues, le temps passe. J'aimerais remercier nos témoins de leur présence. Leurs exposés étaient très instructifs, et je suis sûr que nous vous inviterons de nouveau. Je ne saurais trop souligner l'importance du rôle de votre agence, au nom des Canadiens. Malheureusement, la plupart des Canadiens ne s'en rendent pas compte. Voilà pourquoi les forums comme celui-ci sont très importants, pour que les Canadiens sachent exactement ce que vous faites. Nous l'apprécions.

Nous accueillons pour la deuxième partie de la journée, tandis que nous étudions les questions se rapportant à la Gendarmerie royale du Canada, Mme Linda Davidson, Mme Janet Merlo et Mme Sherry Lee Benson-Podolchuk.

En 2013, le comité a mené une étude sur le harcèlement sexuel à la GRC, et a présenté un rapport en juin de cette année comportant 15 recommandations, y compris la demande d'un ombudsman à la GRC.

Compte tenu de la récente entente de règlement historique des demandes de recours collectif et les excuses officielles présentées par le commissaire de la GRC, le comité a invité trois anciennes membres à parler des efforts déployés par la GRC pour éliminer le harcèlement sexuel.

Mme Benson-Podolchuk a grandement aidé le comité en 2013, et elle a présenté un mémoire écrit décrivant son expérience d'ancienne agente de la GRC. Elle a été victime de harcèlement aux mains de ses collègues, et a noté que les conflits non résolus empoisonnent le milieu de travail et créent lentement un environnement de travail toxique. Les fréquentes représailles contre les auteurs de plaintes de harcèlement peuvent aussi créer chez les victimes et les spectateurs un sentiment d'impuissance face aux problèmes.

Madame Davidson, madame Merlo et madame Benson-Podolchuk, nous sommes heureux de vous avoir ici aujourd'hui et espérons que vous pourrez nous aider à mieux comprendre les défis auxquels vous êtes confrontées, et nous apprendre comment et où les choses ont changé à la GRC. Je vous invite à présenter chacune une déclaration d'ouverture, si vous le souhaitez. Nous avons une heure pour ce groupe de témoins.

Linda Davidson, à titre personnel : Merci de nous avoir invitées. C'est un honneur.

J'aimerais faire préface aux observations de mes collègues en vous aidant à comprendre où nous en étions, et pourquoi. Cela se résume en cinq points : le recrutement auquel nous avons procédé à l'époque et les finances du moment, la formation, les promotions et le gouvernement nous ont amenés au stade où nous en étions. Il y a un certain nombre de points secondaires à ces cinq points principaux.

Aujourd'hui, nous en sommes au stade d'orchestrer et d'ordonnancer un changement. Le changement aura des répercussions sur les cinq points que je vous ai mentionnés. Là où nous serons à l'avenir dépend de ce qui a été qualifié par Harvard il y a quelques années de « ton aux échelons supérieurs ». Le ton aux échelons supérieurs est le reflet de votre organisation. Notre organisation est le reflet du ton aux échelons supérieurs, c'est-à-dire le gouvernement. Ce n'est pas le commissaire, c'est le gouvernement. Si le gouvernement a la volonté de changer la GRC et ce qui s'y passe, c'est un moyen simple de remédier à la situation. Mais le ton aux échelons supérieurs doit être une volonté d'effectuer le changement. Ce sont là mes observations préliminaires.

Sherry Lee Benson-Podolchuk, à titre personnel : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci beaucoup de cette invitation. Ma perspective est quelque peu différente.

À mon avis, la GRC doit être vue comme un organisme vivant; en d'autres termes, les gens entrent, les gens sortent, et l'organisme grandit. Ce sont les attitudes de la société, quelles qu'elles soient, qui seront les attitudes des agents dans l'organisme. Cela relève en grande partie du recrutement.

Donc, dans un organisme où le milieu de travail est toxique, ce sont les gens accommodants qui ne font pas de vague qui seront promus. Une fois qu'ils sont promus, qui vont-ils recruter? Ils ont tendance à recruter des gens de même mentalité. Et c'est à ce niveau que la GRC, en tant qu'organisme vivant, ne peut simplement changer.

Quant à la poursuite, ce n'est pas la fin; ce n'est que le début. Nous devons examiner les choses continuellement, comme dans le cas des forces au début des années 1990, quand il y a eu une immense enquête en matière de harcèlement sexuel et d'agression dans les forces armées. Elles ont fait une énorme quantité de formation, puis elles ont pensé que le problème était réglé. En 2015, elles se sont rendu compte que non, elles se retrouvaient à la case départ.

L'élimination du harcèlement sexuel et le milieu de travail respectueux doivent être un processus continu, avec de la formation pas seulement une fois au cours d'une carrière, mais en continu. Cette formation ne commence pas simplement avec les nouvelles recrues, mais une fois qu'elles quittent la Division Dépôt, où tout est coupé du monde extérieur, jusqu'au moment où elles arrivent au détachement, et peut-être ensuite une fois par année de sorte que les gens soient programmés à savoir ce qu'est un milieu de travail sain et respectueux. Cela ne s'applique pas seulement à la génération d'aujourd'hui, mais aussi aux générations futures et à la GRC tout entière.

Le président : Merci. Madame Merlo?

Janet Merlo, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée aujourd'hui. J'apprécie beaucoup de pouvoir vous parler.

Il y a six semaines environ, j'étais ici quand j'ai entendu l'annonce de l'entente de règlement, et j'ai ressenti tout de suite l'espoir en ce jour particulier que les excuses du commissaire Paulson étaient sincères et que sa promesse d'assainir le milieu était aussi sincère. Je me suis souvenue de son commentaire il y a deux ou trois ans au sujet du recours collectif. Il avait dit qu'il n'y pouvait rien si des personnes avaient des aspirations qui dépassaient leurs capacités. Cela se rapportait au recours collectif, je suppose.

Cela m'est resté dans la tête pendant longtemps. Nous étions un groupe de personnes qui n'avaient pas la capacité d'être de bons agents de police, et nous n'étions pas un groupe de personnes dont les ambitions dépassaient les capacités. Nous avions beaucoup d'ambitions et beaucoup de capacités. Maintenant, la GRC se trouve dans la situation où elle a la capacité de s'assainir. Elle dispose des lois, des politiques, de tout ce dont elle a besoin pour s'assainir. A-t-elle la volonté de le faire? C'est ce que j'attends de voir.

Toutes les semaines, des personnes me disent encore être frustrées et paniquées à l'idée d'avoir à renoncer à leur carrière parce que l'intimidation persiste. J'attends donc, je suppose, de voir quand le changement commencera.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous trois. Assise ici à vous écouter, je dois dire d'abord que je respecte beaucoup le fait que vous êtes là. Il faut beaucoup de courage pour le faire, et ce n'est pas facile. Vous avez mis votre vie en jeu, pas seulement pour vous, mais pour l'avenir. Ce qui vous est arrivé ne pourra jamais être effacé. Je sais que je parle au nom du comité entier quand je dis que nous vous remercions d'être ici et que nous apprécions votre courage.

Je regarde plus loin, et je vois — j'espère que vous prendrez cela dans l'esprit dans lequel je le pense, respectueusement — une entente de règlement puis, le silence. J'aurais aimé avoir entendu ou que le public ait entendu, pas les détails personnels, mais ce qui est arrivé au sein de la GRC, mais par le fait même de l'entente de règlement, nous ne l'apprendrons pas. Je suis déçue, je dois dire, parce que j'aurais aimé le savoir pour les étapes suivantes.

De mon côté, j'entends régulièrement — et j'ai des parents collègues à vous qui me le disent — que le milieu de travail est toujours malsain, même aujourd'hui. Il y a encore du harcèlement aujourd'hui. Et comme l'entente de règlement du recours collectif s'accompagne de silence, nous n'en entendrons pas parler.

J'aimerais donc que vous trois me disiez ce qui doit se produire immédiatement pour que le harcèlement dans le milieu de travail prenne fin. Je ne parle pas du harcèlement sexuel seulement. Je parle de toutes les formes de harcèlement.

Mme Benson-Podolchuk : Il doit y avoir une volonté. Parfois, il doit malheureusement y avoir des répercussions financières. Je crois que beaucoup de personnes ont parlé et continuent de parler, mais personne n'écoute. C'est là que les personnes qui détiennent le pouvoir au sein d'un organisme doivent être disposées à faire respecter les politiques. Celles-ci ne sont efficaces que si les gens sont disposés à les appliquer. Sinon, la nouvelle Loi sur la GRC et tous les changements qui ont été apportés ne seront que des mots savants sur un bout de papier.

Et donc, dans un détachement de petite ville, il y a toujours la possibilité de... cela dépend du dirigeant. Si vous avez une personne qui continue à rabaisser toute personne « autre » — et ce pourrait aussi bien être des hommes, quiconque est différent —, les cinq autres agents reçoivent clairement le message voulant que l'intimidation est à l'ordre du jour et la chasse est ouverte. La plupart des gens ne diront rien parce qu'ils préfèrent se placer du côté des requins qui chassent férocement plutôt que du côté des petits ménés qui nagent en rond et essaient de parler.

Cela revient à la volonté de faire respecter ces politiques, même si cela ne vous gagne pas un prix de popularité, et de recruter les dirigeants qui ont les bonnes qualités et les gens qui savent communiquer efficacement, qui aiment collaborer, qui sont disposés à essayer les nouvelles choses, qui ont les bonnes compétences de résolution des conflits et qui ne laissent pas leur égo et toute leur identité se fondre dans la GRC de sorte qu'ils soient capables de s'écarter des limites de la GRC et de sa culture, et de voir un meilleur moyen de résoudre les conflits et les problèmes et d'amener tout le monde à participer dans un milieu de travail inclusif.

Mais cela prendra du temps. Je ne vois pas de résolution dans les 10 prochaines années. Cela nécessitera un changement complet de plusieurs attitudes pour que le milieu de travail devienne graduellement tellement inconfortable pour la personne intimidante que même si elle ne change pas sa personnalité, elle cessera simplement d'intimider.

Mme Davidson : Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites. Dans le contexte actuel, il faut avoir la volonté. Comme je l'ai déjà dit, le ton aux niveaux supérieurs vient de notre gouvernement. Il faut avoir la volonté de le transmettre au bureau de M. Goodale, au cabinet du premier ministre, au Conseil du Trésor et jusqu'à la GRC. Il faut que la volonté d'effectuer les changements soit là.

Quand nous recrutons des dirigeants, nous recrutons un ensemble de compétences et cela n'est que le début. En tant qu'organisme, nous avons la responsabilité de les former, de perfectionner leurs qualités de leader, de leur fournir les compétences et les capacités de gestion des ressources humaines, et nous ne le faisons pas. Quelle est la première chose coupée dans un organisme lorsque des contraintes budgétaires sont imposées? C'est la formation qu'on jette par la fenêtre.

Ensuite, il y a les membres les plus anciens qui sont là depuis des années et ont appris à former et à faire les choses d'une certaine façon, et qui transmettent ces aspects aux jeunes recrues. Après, la jeune recrue continue à traîner ce handicap à tous les niveaux, sans aucun changement, et nous ne faisons rien pour changer cela. La culture demeure la même.

Vous voulez changer la culture; vous voulez que les intimidateurs se fassent de plus en plus rares dans l'effectif. Vous n'éliminerez jamais complètement l'intimidation, mais vous pouvez certainement faire en sorte, comme vous l'avez dit, qu'il soit très inconfortable pour eux de faire partie de l'effectif.

Par conséquent, le gouvernement doit agir, doit financer la GRC. J'ai lu la semaine dernière que les augmentations salariales à la GRC sont inexistantes. Voilà l'aspect moral. Où sont les fonds de formation? Il y a aussi l'aspect culture. Ce n'est pas le commissaire. Il a parlé du « poing de Dieu » dans nos discussions précédant le règlement ou l'annonce de celui-ci. Il essaie très fort. De fait, je crois que sa tête est plate d'un côté pour avoir été cognée contre le mur parce qu'il ne dispose pas des fonds pour fonctionner.

Le gouvernement est renommé pour s'adresser à la GRC et dire : « Nous voulons que vous mettiez ceci en œuvre, mais vous n'obtiendrez aucun financement. Vous voulez des augmentations salariales? Financez-les de l'intérieur. » La GRC est en 57e position sur 83 forces policières comparables en ce qui concerne les échelles salariales. Pourquoi? Nous sommes votre force nationale. Nous sommes uniques.

Vous voulez arrêter et changer la culture? Vous voulez empêcher ceci de se reproduire? Financez-le. Donnez-leur l'argent nécessaire pour qu'ils apportent les changements. Permettez-nous de redevenir fiers.

Cela me tient beaucoup à cœur. J'aime mon travail. J'ai aimé la GRC, j'ai aimé ce que j'y faisais, et j'ai quitté bien trop tôt. J'aimerais bien encore y être pour contribuer au changement, mais cela est impossible à cause de ce qui s'est produit dans le passé.

Mme Merlo : Tout est en place maintenant pour que le changement se produise, et je conviens avec vous que l'entente de règlement a mis fin au processus entier que les gens attendaient de voir. Où cela se produit-il? Qui sont les joueurs? Qu'est-ce qui va mal?

Malheureusement, le processus civil était la seule voie qui nous restait, et le processus civil n'aurait jamais mené à cette conclusion de toute manière. C'est une des leçons que je retire de l'entente de règlement, le fait que personne ne sera jamais tenu responsable. Personne ne sera nommé. Personne ne sera accusé; personne ne se verra imposer des mesures punitives quelconques au titre de la Loi sur la GRC. C'est ça qui doit être changé. Les intervenants doivent commencer à appliquer les règles qu'ils ont déjà et depuis bien longtemps, mais une certaine minorité puissante a laissé aller les choses.

Les enquêteurs ont mené une enquête approfondie sur mes accusations de harcèlement, et sont revenus deux ans plus tard déclarer que personne n'avait été témoin de quoi que ce soit. C'est faux. Ces gens étaient des enquêteurs. Je savais qu'il y avait des femmes qui ont fait des déclarations à l'appui de ce qui s'est passé. Où sont passées ces déclarations? Elles ne m'ont jamais été fournies.

Il faut se débarrasser de ces mauvais éléments qui continuent à nier que cela soit arrivé et à repousser les gens qui se plaignent; il faut rétablir une certaine structure au sein de la GRC selon laquelle les gens se sentent d'abord suffisamment à l'aise pour déposer leurs plaintes auprès de personnes en qui ils ont confiance et sont sûrs qu'elles mèneront une enquête précise et reviendraient avec des résultats; ensuite, il faut commencer à punir les délinquants. Il y a à la GRC des hommes qui ont violé des membres femmes, et rien n'a jamais été fait. La victime s'est adressée à la police, à la GRC et a déposé une plainte. Dans un cas, une personne a été promue et transférée, et la victime a vu sa demande d'entrer à la GRC annulée.

Les femmes ne font pas suffisamment confiance au système pour s'exposer, et c'est là la première chose qu'il faut changer. Il faut trouver un moyen d'établir un système selon lequel, tout d'abord, les personnes se sentent confortables et savent qu'elles ne perdront pas leur carrière si elles portent plainte.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai écouté votre témoignage et je comprends très bien votre situation. Alors que j'occupais le poste de président du Syndicat des policiers de la Sûreté du Québec, une politique de harcèlement avait été mise en place parce que des officiers harcelaient des membres féminins.

Madame Benson-Podolchuk, vous avez entièrement raison. Le harcèlement se poursuit dans les détachements, entre autres de la part de lieutenants et de capitaines. Souvent, l'employeur protège l'officier. Notre syndicat a dû représenter et défendre nos employés. Malgré l'aide d'avocats et l'appui du syndicat, cela n'a pas été facile. Malheureusement, vous n'avez pas de syndicat, mais des associations volontaires. Je vous trouve très courageuse. À mon avis, une politique sur le harcèlement avec des règles claires, nettes et précises protégerait davantage l'employé et obligerait l'employeur à prendre des mesures.

J'ai vu M. Paulson verser des larmes tout en s'excusant. Quant à moi, je n'y crois pas du tout. C'était un spectacle. Je ne peux pas croire qu'un directeur de police pleure alors qu'il était pleinement au courant de ce qui s'est passé et qu'il le nie. Les officiers aussi l'ont nié. Il y a une culture chez vous et je la connais très bien. J'ai été membre de l'Association canadienne des policiers provinciaux pendant 30 ans. Je connaissais M. Delisle et une autre personne, dont j'oublie le nom, de l'Ontario, et je peux vous affirmer qu'à la GRC, il y a un changement de culture. Vous avez raison, une politique sur le harcèlement est nécessaire. Les excuses sont arrivées trop tard et ce n'est pas la façon de régler le problème. Il faut plutôt adopter des mesures plus sévères. Les officiers se protègent entre eux.

Croyez-vous aux excuses et au changement de culture? Croyez-vous que cela va arriver? Si oui, je vous trouve très courageuse et très optimiste. Un coup de barre sérieux et solide est nécessaire.

[Traduction]

Mme Benson-Podolchuk : J'ai vu les excuses du commissaire Paulson. Je ne le connais pas personnellement, et je ne peux donc pas me prononcer sur sa sincérité, mais ce que j'ai vu était une personne qui était vraiment préoccupée par la façon dont ceci a terni l'image de la GRC. Je crois qu'il aime réellement, sincèrement, la GRC. Ce dont il ne s'est peut-être rendu compte, c'est que nous l'aimions aussi, mais nous avons été meurtries par d'autres personnes qui l'aiment peut-être, mais qui s'aiment elles-mêmes encore plus.

Merci beaucoup d'avoir partagé cela.

En ce qui concerne un syndicat, nous avons des membres qui sont des représentants de division, mais c'est une affectation temporaire. Ils peuvent être représentants de division pendant deux ans, puis ils retournent à leur poste et s'ils se mettent la direction à dos, qu'est-ce qui va leur arriver?

Je me souviens quand j'ai commencé à me plaindre, il y a des années, ils m'ont dit : « Sherry, ils ne vont rien faire. Qu'est-ce que tu veux que je fasse, ruiner ma carrière? » Et j'ai pensé, un instant, n'ai-je pas voté pour toi? C'est ton travail; tu es censé être ma voix quand moi je n'en ai pas.

Quand j'ai finalement décidé que c'était assez, que je quittais et que j'ai fait mes boîtes et quitté le bâtiment, le représentant de division a dit : « Eh bien, je ne pensais pas qu'ils allaient faire quoi que ce soit pour toi de toute manière; donc ça ne servait à rien que je dise quoi que ce soit ». Essentiellement : « Sherry, ils veulent soit te ruiner financièrement, soit te pousser au suicide », donc pourquoi mettrait-il sa tête sur le billot pour moi?

Même si nous nous retrouvons sans syndicat, nous pourrions peut-être avoir l'appui de membres qui ne proviennent de nos rangs, qui pourraient même être des officiers qui n'ont rien à gagner financièrement ni une carrière pouvant être démolie de l'intérieur de l'organisme. À mon avis, c'est quand même une option.

Mme Davidson : J'aimerais appuyer cela et vous remercier de vos observations.

J'ai cru le commissaire quand il a fait sa déclaration. Il a assumé la responsabilité de présenter des excuses pour les commissaires précédents et les choses qui se sont produites. Que ce soit 20 ans plus tôt ou 10 ans plus tard, ou que ce soit maintenant, c'est la même chose. C'étaient simplement des excuses et elles ne mettront pas fin à ce qui se passe.

Vous avez tout à fait raison. La culture doit changer radicalement. Comment change-t-on une culture? Par la formation. Je ne saurais assez insister sur cela. Il faut éliminer l'indifférence. L'indifférence, c'est « laisse tomber et continue », quand une ancienne recrue forme une nouvelle recrue, qu'ils voient quelque chose se produire et qu'ils n'en poursuivent pas moins leur chemin sans rien faire. Nous savons tous ce que c'est, l'indifférence. Il faut que ça change. Il doit y avoir de la bienveillance, un lien de cause à effet : forme-moi, apprends-moi et je montrerai à quelqu'un d'autre ce que je peux faire.

Merci, monsieur, de vos commentaires.

Mme Merlo : Je suis de plus en plus convaincue que le seul moyen d'arrêter tout cela est de commencer à mener des enquêtes sur les personnes présentement accusées de harcèlement, et de commencer à tenir certaines personnes responsables de leurs actes et à les punir en conséquence, puis de dire : « Bon, qui est le suivant? Quand cela va-t-il prendre fin? »

Quand ils ont tenté de me punir en me transférant loin de mon époux et de mes enfants pour avoir osé me plaindre, je me suis adressée à mon représentant de division et j'ai dit : « J'ai l'impression que tous les droits que j'ai sont en train d'être violés — mes droits civils, mes droits humains, tout. » Il m'a répondu : « Eh bien, la GRC peut violer tous les droits qu'elle veut parce qu'il y a suffisamment de portes de sortie dans la Loi sur la GRC pour qu'elle puisse le faire impunément. » Cela se résumait, essentiellement, à me dire que c'est tout ce qu'il pouvait faire pour moi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En juin dernier, le commissaire Paulson a comparu devant notre comité dans le cadre de l'étude du projet de loi C-7 sur la syndicalisation. Il était d'accord avec le projet de loi, qui prévoyait que les cas de harcèlement sexuel ou d'inconduite soient soustraits du processus normal d'arbitrage, puisque la GRC dispose des fonds nécessaires pour régler ces dossiers à l'interne. Que pensez-vous de sa déclaration?

[Traduction]

Mme Davidson : Non, absolument pas. Je ne suis pas du tout d'accord avec le commissaire. Il faut que ce soit un groupe de personnes indépendantes de l'extérieur qui examinent les comportements répréhensibles.

Nous ne pouvons être notre propre police, pas plus que nous devrions même tenter de l'être. Si le commissaire dit cela, non, je ne suis pas du tout d'accord. Amenez un organe indépendant et laissez-lui, certainement, le soin de s'occuper de la question.

Le sénateur Kenny : Merci d'être venues comparaître devant nous. C'est très utile pour nous d'avoir vos opinions directement.

Le comité a passé beaucoup de temps sur le projet de loi C-7, estimant qu'il était un pas dans la bonne voie, et qu'un syndicat à la GRC serait une étape concrète importante dans le changement de la culture de cet organisme.

Je dois dire que nous sommes surpris de ne pas avoir reçu de réponse du gouvernement sur la série des modifications que nous avons proposées au projet de loi. J'ajoute, aux fins du compte rendu, que nos modifications n'avaient d'autre but que d'amener le contrat de la GRC au niveau de celui de tous les autres services policiers au Canada.

J'aimerais avoir votre opinion sur ce sujet. Pensez-vous qu'un syndicat, tel que modifié par ce comité au printemps, serait un pas dans la bonne voie?

Mme Davidson : Monsieur, dans la plupart des cas, un syndicat est une bonne chose. Il aide les travailleurs.

J'ai peur que le syndicat devienne une façade derrière laquelle les auteurs d'intimidation et de harcèlement puissent en fait se cacher, que maintenant qu'ils disposent des fonds, ils pourront avoir des représentants individuels, des gens qui les protégeront, et cela me fait peur.

Par contre, avoir un syndicat pour parler de nos finances, pour qu'il traite avec le Conseil de la solde au sujet de ces problèmes, oui, certainement. Nous avons besoin d'être là parce que, de toute évidence, nous n'avons pas eu une augmentation de salaire.

Là encore, quand je dis « nous », je continue à me considérer comme faisant partie des membres actifs, ce qui n'est pas le cas; je suis à la retraite. Mais oui, le syndicat a sa place, et je crois que c'est du côté administratif. Je ne suis pas sûre qu'ils doivent procéder à des enquêtes indépendantes sur les activités criminelles, le harcèlement ou l'intimidation. Cela doit être une chose complètement séparée de la GRC.

Mme Benson-Podolchuk : Je crois qu'un syndicat serait très bénéfique, mais là encore, cela dépend des personnes qui occupent les fonctions de direction. Si la personne responsable du syndicat est elle-même une intimidatrice et qu'elle permet l'intimidation, elle protégera donc, de toute évidence, les personnes qui s'adonnent à l'intimidation et commettent des délits criminels.

Tout se joue au niveau de la direction, mais en réalité, je regarde ça de mon point de vue à l'époque, parce que cela ne me concerne plus vraiment, cela concerne les générations futures et ceux qui servent aujourd'hui. Je crois que ça aurait été certainement bien et que ça aurait aidé. Quand j'envisageais de changer d'emploi à cause du stress, j'ai été à la police de Winnipeg et de Regina, et elles ont toutes deux un syndicat. Quand j'ai expliqué les raisons pour lesquelles je voulais quitter, elles ont simplement secoué la tête et dit : « Cela ne se produirait pas ici. » Si c'est vrai ou pas, je n'en suis pas sûre. Je crois que le harcèlement existe dans de nombreux endroits, mais ils ont un syndicat et les gens qui se plaignent bénéficient d'une certaine protection. Une fois de plus, cela dépend de ceux qui occupent les postes de direction au sein du syndicat.

Mme Merlo : Je suis d'accord. Je crois que le syndicat a sa place à la GRC assurément, parce que cela permettrait d'éliminer certains des problèmes, comme celui d'offrir à des personnes au bas de l'échelle des cours que des personnes de niveau plus élevé méritent, et d'invoquer des raisons telles que : « Je ne l'aime pas, celle-là. » Dans notre cas, des cours étaient offerts aux hommes, mais les femmes devaient les mériter. Si elles ne les méritaient pas, elles ne les obtenaient pas. Par conséquent, pour de telles choses, je crois qu'un syndicat aurait sa place.

Pour le harcèlement, cependant, je tends à convenir que tant que celui-ci n'est pas maîtrisé en quelque sorte, il faudra faire intervenir une aide extérieure. Il faudra qu'une autorité extérieure intervienne pour redresser la situation; après, le syndicat pourra prendre la relève.

Pour pouvoir démolir le mur qu'ils ont érigé autour d'eux et commencer à instituer quelques changements, je crois que cela va devoir venir de l'extérieur.

[Français]

Le sénateur Carignan : L'intimidation fait-elle partie de la culture à la GRC, notamment l'intimidation basée sur l'orientation sexuelle ou sur la question du sexe?

Je parle d'intimidation tout court. Dès qu'une situation ne plaît pas à la direction ou à un patron, il y a intimidation. C'est ce que j'ai entendu dans le cas du système d'accréditation. On essaie de créer des obstacles dans le processus de signature de cartes pour l'accréditation. Certaines personnes ont peur et se font menacer. Est-ce que ce sont tous des gestes d'intimidation?

[Traduction]

Mme Davidson : Après le règlement, après que nous ayons eu l'émission en direct, j'ai fait quelques appels à travers le Canada à des personnes qui dirigent des détachements, à des amis et à différents membres, leur demandant quelle était l'opinion au sein de l'organisme au sujet des changements qui seraient apportés au bout du compte. La plupart d'entre eux ont déclaré qu'il y avait eu un courriel du commissaire, mais que c'était tout. Ensuite, il y avait des commentaires comme : nous avons gagné à la loterie; nous allons être riches grâce à ce règlement; les femmes, une fois de plus, ont eu notre peau; elles n'ont pas leur place dans l'organisme, et cetera.

Avec ce type de commentaire qui circule dans les cafés-rencontres à l'échelle du Canada après l'annonce, et après la position de tolérance zéro prise par l'organisme, pouvez-vous croire qu'il y a encore de l'intimidation? Tout à fait, il y a intimidation. Il y a intimidation pour les cours et les promotions.

Nous devons former des gestionnaires qui tiennent leur bout et font ce qu'il faut, des personnes qui ont le courage de déclarer que c'est mal. Avant que nous ayons cela, l'intimidation et le harcèlement à tous les niveaux, les cadres supérieurs inclus, continueront et s'aggraveront.

Mme Benson-Podolchuk : Vous avez tout à fait raison au sujet de l'intimidation. Quand les gens fondent toute leur identité sur leur insigne, sur leur uniforme rouge, sur l'image de la GRC et le prestige — la GRC est reconnue partout dans le monde et est hautement respectée. Donc, si toute votre identité se limite à ça, vous ne dites rien quand vous êtes témoin d'intimidation, parce que vous ne voulez pas que votre propre image soit ternie de quelque façon que ce soit, car si cela ternit la GRC, c'est vous en fait que cela ternit.

Les gens comme ça — et ils sont nombreux — sont disposés à tourner le dos à une chose qu'ils savent criminelle, illégale, immorale, contraire à l'éthique, et ils sont disposés à brouiller les limites et, dans certains cas, à faire disparaître complètement les limites morales et éthiques parce qu'ils veulent protéger leur propre image. C'est là qu'intervient l'intimidation. Oui, cela se produit souvent; quelquefois par le simple fait de leur silence, d'autres fois par leurs actions.

Mme Davidson : Il y a un an ou deux, j'ai petit-déjeuné avec un commissaire — pas celui-ci, mais un ou deux commissaires précédents —, et nous avons parlé du recrutement. Voici ce qu'il a dit : « Oh, Linda, tu es aux ressources humaines. Ne te soucie pas de ça. Les gens entreront à la GRC à cause de l'uniforme ». Je me suis arrêtée, et me suis demandé : « Est-ce qu'il croit vraiment ça? Est-ce que les gens entrent à la GRC à cause de l'uniforme? »

Vous entrez à la GRC parce que vous voulez changer les choses. Vous entrez parce que vous voulez aider vos concitoyens et les Canadiens. L'uniforme est un avantage supplémentaire. C'est quelque chose dont vous pouvez être fier. Je n'arrivais pas à accepter son argument voulant que ce soit l'uniforme qui motive les gens à entrer à la GRC.

Si c'est ce qu'on pense aux échelons supérieurs, dans quelle mesure est-ce le cas aux échelons inférieurs? Ça prendra des générations pour changer cette mentalité.

Je vais prédire quelque chose tout de suite devant ce comité sénatorial. Je déclare que vous reviendrez ici dans les prochaines années pour traiter de cette situation, et d'un ton bien pire. C'est ce que je prédis. J'espère avoir tort. J'espère vraiment avoir tort.

Monsieur le ministre, vous avez mentionné plus tôt avoir été à la tête de la Sûreté du Québec, du syndicat. Vous savez de quoi je parle. Vous savez que nous reviendrons à cette table. Il faut qu'il y ait la volonté de changer. Le gouvernement doit ordonner cette volonté.

Au sujet d'une des choses que nous avons intégrées dans nos poursuites, la GRC nous a dit : « Nous allons essayer de réduire le harcèlement et l'intimidation. » Je ne l'ai pas accepté, et je ne crois pas que vous l'auriez accepté non plus. Nous avons dit : « Tolérance zéro ou retirez-le complètement de la poursuite. » Il faut que ce soit une tolérance zéro. Il faut que ce soit réglé, sinon, je serai de nouveau ici à vous parler probablement dans cinq ans ou peut-être moins, malheureusement.

La sénatrice Lankin : J'apprécie les paroles de la sénatrice Jaffer vous félicitant, au début. Je ne les répéterai pas, mais je les ressens profondément. J'apprécie l'intervention du sénateur Dagenais dans tout cela et son explication de la façon dont il le comprend pour avoir vécu une situation semblable.

J'ai été moi-même une des premières agentes de correction en Ontario à travailler dans un établissement pour hommes. J'étais aussi membre active du syndicat, au comité exécutif, puis j'ai fait partie du personnel syndical dans le domaine de l'égalité des chances pour traiter des situations de harcèlement et d'autres situations de discrimination sexuelle.

La constitution d'un syndicat ne suffirait pas, en elle-même, à régler le problème. La syndicalisation, c'est-à-dire quand les femmes participent au syndicat, déclarent leurs droits et participent au processus de négociation des conventions collectives au sujet du harcèlement, ça nous rapprochera un peu du but. C'est à ce niveau que ce comité a travaillé pour veiller à ce que ce soit une des nombreuses questions non exclues et autorisées dans la négociation collective.

Je suis d'accord avec vous pour votre prédiction, et j'aimerais savoir s'il y a quelque chose que nous puissions faire pour changer cela.

L'an dernier, la juge de la Cour suprême, Marie Deschamps, a demandé et produit un rapport sur les forces armées. Et ce que vous décrivez est vrai dans tout organisme militaire et paramilitaire, que ce soient les forces armées, les forces policières ou les services correctionnels, et ce sont des structures où l'intimidation fait partie du commandement, et où il y a eu traditionnellement une culture très masculine qui a été mise au défi par l'introduction des femmes dans ces rôles.

Un grand nombre de changements s'imposent. Le changement n'est pas facile et ne se fait pas rapidement, mais nous nous y efforçons depuis bien longtemps, et nous faisons toujours face à ces mêmes problèmes.

Dans son rapport, la juge Deschamps a demandé des changements radicaux dans la culture machiste militaire. Elle a dit que c'est une culture qui est hostile aux femmes et qui laisse les victimes d'agression sexuelle et de harcèlement se débrouiller toutes seules. Et c'est ce que nous avons entendu.

Je vous ai écouté attentivement en ce qui concerne ce que nous pouvons faire. Des fonds pour la formation, les questions que vous soulevez au sujet des augmentations salariales dans le secteur public sont, je crois, dans de nombreux autres secteurs, et les problèmes de moral, mais cela n'est pas propre à ce problème particulier. Donc, des fonds pour la formation et une formation axée sur ces problèmes, l'application et la tolérance zéro; qu'est-ce que tout cela signifie et comment le concrétiser dans l'organisme, et qu'en est-il de la responsabilisation? Je ne peux pas imaginer que nous verrons des changements à moins qu'il n'y ait responsabilisation. Ce sont les choses que je vous ai entendue mentionner.

Pouvez-vous proposer des mécanismes? Le ton aux niveaux supérieurs — je vous ai entendue —, vous avez dit que le gouvernement doit ordonner et financer l'étude. Peut-être que cela est effectivement une enquête et traite de la responsabilisation.

J'aimerais savoir quels sont, d'après vous, les instruments réels à ce stade, parce que pour nous, dire simplement qu'il doit y avoir responsabilisation sans dire comment l'atteindre serait simplement d'autres bruits ajoutés aux ondes, sans aucune mesure pratique. J'aimerais que vous me disiez quelles sont les mesures à prendre.

Mme Davidson : Cela revient à notre point de départ. Les choses doivent changer. Vous avez dit plutôt que notre recrutement doit changer. Il doit certainement changer. À l'époque, quand nous recrutions, c'étaient des hommes de 19 ans...

La sénatrice Lankin : Qui voulaient porter l'uniforme, soit dit en passant.

Mme Davidson : « Oui, monsieur, non monsieur, et trois sacs pleins. Je saute dans les airs, je reste dans les airs, monsieur. Dites-moi quand descendre. » Ensuite, il passe dans un organisme qui est pour lui une autre maman et un autre papa. Cet organisme lui dit quoi faire, comment s'habiller, sur quoi enquêter, quoi ne pas faire. Et ainsi, la culture se perpétue. Et dans tout cela, il entre dans les rangs et il a pour mentor le gars qui inculque l'indifférence et lui transmet toutes les mauvaises pratiques de mentorat.

Ensuite, il y a les finances. J'ai parlé de cela déjà. Elles ont un grand impact sur le moral. Je vous parle d'une perspective descendante par opposition à la perspective montante d'une victime de harcèlement. L'équipement doit changer, le financement doit changer. L'ICPR doit changer. Ces choses-là doivent être financées. Ce sont tous là des outils du métier, du leadership engagé.

Ensuite, on parle de la formation. Nous ne produisons pas des leaders. Nous ne fournissons pas aux personnes qui sont dans des postes de direction une formation quelconque sur la gestion des ressources humaines. Ce sont les propagateurs de l'indifférence qui accèdent aux postes. Ils ont appris à arriver là au moyen de l'intimidation et du harcèlement, ils maintiendront cet état de choses pour l'avenir et forment tous leurs subalternes en conséquence. Cela doit changer.

Ce qui nous amène à la question de l'avancement professionnel. La plupart de ceux qui, aujourd'hui, reçoivent de l'avancement ne possèdent pas les qualités d'un chef. Ils sont, pour la plupart, essentiellement attirés par les 2 000 $ de plus qu'ils toucheront à chaque chèque de paie. Ils ont en effet à pourvoir aux besoins de leur famille, à faire face aux dépenses de vacances et aux frais scolaires. Leur dernière augmentation de salaire remonte à plus de 10 ans, et ils cherchent à augmenter leur revenu puisque leur salaire ne comporte plus les petits avantages, les primes et encouragements auxquels ils s'étaient habitués.

Ce sont les chiens fidèles qui reçoivent de l'avancement. Or, cela ne peut pas durer et il va falloir changer les habitudes.

J'ajoute que la GRC n'est pas une entreprise commerciale, mais un organisme de tutelle. Elle n'a pas de but lucratif. Le but, en effet, n'est pas de gagner de l'argent, mais d'en dépenser pour assurer la protection de la population canadienne, pour renforcer le tissu social de nos communautés et, comme l'a lui-même dit le commissaire, pour assurer la sécurité de nos foyers et de nos populations. C'est pourquoi il serait bon que l'avancement aille à des personnes animées par un esprit de professionnalisme et munies des aptitudes et de la formation nécessaires pour exécuter correctement cette mission.

Or, le gouvernement nous annonce que la priorité est désormais à la lutte contre le terrorisme. C'est vrai, mais pour alimenter le budget de la lutte contre le terrorisme, on a volé Pierre pour payer Paul. Où sont les rallonges budgétaires? Une foule de facteurs sont à l'origine de la situation actuelle. Je n'entends pas simplement par cela le fait que j'ai été harcelée ou agressée sexuellement. Il y a tout un ensemble de facteurs à l'origine de l'idée qu'ils se font de qui ils sont et de ce qu'il leur faut faire pour obtenir de l'avancement. C'est une sorte d'engrenage qu'il va falloir briser. Or, pour y parvenir, il faut faire évoluer les choses dans cinq domaines. Il faut, d'abord, que le sommet de la hiérarchie, c'est-à-dire le gouvernement, soit, autant que nous, tenu de répondre de ses actes. Il doit donc être demandé au commissaire d'effectuer les changements qui s'imposent tout au long de la chaîne hiérarchique. Or, pour cela, il faut que le gouvernement ait la volonté d'effectuer ces changements. Ce n'est pas la création d'un syndicat qui permettra d'y parvenir. C'est à nous que cette tâche incombe. Il est pour cela essentiel que nous travaillions ensemble.

Je vous remercie.

Mme Benson-Podolchuk : Si nous voulons que la GRC devienne un lieu de travail équitable sur le plan fonctionnel, il va falloir prendre un certain nombre de mesures précises. Pourquoi, par exemple, la GRC se contente-t-elle de recruter à l'interne les spécialistes de la formation, alors qu'il y a, à l'extérieur, de nombreux experts en règlement des conflits et en transformation culturelle? Pourquoi ne pas faire appel à des ressources extérieures? Dans le cadre de mes études dans le domaine du règlement des conflits, j'ai rencontré une foule de gens brillants. J'ai rencontré, à l'occasion de mes déplacements en tant que conférencière spécialiste du harcèlement professionnel, des gens de tous les horizons, capables de promouvoir les nécessaires changements organisationnels. De telles personnes sont capables de comprendre la situation sans pour autant en faire partie, de favoriser les changements qui s'imposent et de promouvoir une guérison provenant de l'intérieur. Il est clair que cela exige une formation particulière.

Je me souviens d'un chef de police qui, après une conférence que j'avais donnée, est venu me dire : « J'ai enfin compris. » Il était responsable de la section des plaintes dans un service de police comprenant une centaine d'agents. Il m'a alors dit : « Je n'avais jamais saisi combien peut dégénérer la violence sur les lieux de travail, comment les gens peuvent être trop intimidés pour se plaindre. » Puis, il a ajouté : « Je comprends maintenant qu'il faut s'attaquer au problème dès le début, avant que la situation s'envenime, avant que l'affaire soit portée en justice, ou que les personnes affectées se suicident ou optent pour la violence. »

Beaucoup dépend de la formation, et du recrutement d'experts possédant les connaissances voulues. Il faut partir de là. Cela va être, pour la GRC, un long cheminement. Nous n'en sommes qu'au tout début, mais je suis, à cet égard, plutôt optimiste. Il y a une quinzaine d'années, personne ne parlait de cela. Or, voyez où nous en sommes. C'est la quatrième ou la cinquième séance consacrée au harcèlement au sein de la GRC. C'est un progrès considérable. Cela représente une profonde évolution même s'il est clair qu'il reste beaucoup à faire.

En tant que victime parvenue à s'en remettre, je crois pouvoir dire que l'organisation parviendra à se transformer de l'intérieur par des programmes de formation en responsabilisation des gestionnaires, animés par des gens ayant les connaissances nécessaires. Cela serait particulièrement utile. Il s'agit, en effet, de ne pas s'en remettre pour cela à des gens qui appartiennent déjà à l'organisation, qui sont donc déjà déformés d'une certaine manière, ou aux yeux de qui le harcèlement n'apparaît pas vraiment comme un problème.

Je vous remercie.

Mme Merlo : Lorsque j'ai décidé de porter plainte pour harcèlement, mon mari — nous avons divorcé depuis — était un employé municipal affecté au service de police. Il était gardien au bloc cellulaire.

Après que j'eus déposé ma plainte, ses collègues venaient chaque jour lui demander où Janet en était. Il répondait : « Je ne suis pas libre de vous le dire. » Ça ne cessait pas; on le harcelait constamment. On venait s'asseoir sur son bureau, poussant son ordinateur de côté et lui disant : « J'aimerais bien savoir ce que fait Janet. » Il leur répondait : « Elle est en rapport avec un avocat et je ne suis pas libre d'en parler. »

C'est alors qu'on lui a dit : « On ne peut pas mettre Janet à la porte, mais toi on peut te renvoyer. Si on t'attrape à quitter cet immeuble en emportant ne serait-ce qu'un stylo bille ou un trombone, on t'accuse de vol et on te limoge sur-le-champ. »

Pendant des mois, chaque jour, avant de quitter son bureau, le pauvre vidait ses poches pour s'assurer qu'il n'avait pas emporté un crayon. Si j'achetais des plateaux-repas de la même marque que ceux qu'on donnait aux détenus, il en faisait une maladie, car il craignait qu'en le voyant prendre son déjeuner, on pense qu'il l'avait volé dans le congélateur. Il se rendait donc à son travail avec son plateau-repas à la main afin que les caméras montrent bien qu'il était arrivé avec. Cela n'a jamais cessé, et aujourd'hui encore, cela continue. Il a conservé le même emploi. Nous avons entretemps divorcé. Je suis allée vivre ailleurs, mais il lui arrive encore de recevoir un fax qui l'avertit : « Hé, pauvre type, on vient te voir; prépare-nous un café. » Et ce n'est pas le plus grave. Après des années, c'est la même rengaine. Et pourtant, nous avons divorcé en 2012.

C'est pourquoi j'en reviens toujours au besoin d'assurer le respect des règles en vigueur. Malgré les programmes de formation, malgré les règles qui peuvent être instituées, rien ne changera si l'on ne fait pas en sorte que les écarts de conduite soient sanctionnés. Il ne sert à rien d'édicter des règles. Or, dans son état actuel, l'organisation ne va pas y parvenir.

Il convient donc, d'après moi, de faire savoir à la GRC que l'on va créer un organisme extérieur chargé des problèmes de harcèlement. Je ne sais pas si cela vous appartient, mais vous ne pouvez pas compter sur la GRC pour prendre les mesures qui s'imposent. La question se posait déjà dans les années 1980, et nous en sommes encore à peu près au même point. C'est pourquoi il faudrait créer un organisme externe, auquel les personnes concernées pourraient s'adresser en toute confiance. Il est, sans cela, impossible de porter plainte étant donné que mon conjoint qui fait partie de l'organisation verra sa vie professionnelle empoisonnée. Vous ne pouvez pas croire le harcèlement et l'intimidation auquel on s'expose.

Le président : Nous avons, dans notre rapport de 2013, recommandé la nomination d'un ombudsman qui serait chargé de recueillir, en toute confidentialité, les plaintes déposées par des membres de la GRC. Nous avons recommandé une telle mesure en raison de ce qu'on nous a déclaré et du fait que les membres de la GRC n'ont personne à qui s'ouvrir en toute confiance des problèmes qu'ils éprouvent, aucun lieu où ils peuvent espérer voir leurs plaintes examinées en confidence. Que pensez-vous de l'idée de nommer un ombudsman à qui les membres de la GRC pourraient s'adresser en cas de besoin?

Mme Davidson : C'est une bonne idée, mais il ne faudrait pas qu'il travaille sous l'égide de la GRC.

Le président : Il faudrait donc qu'il soit indépendant?

Mme Davidson : Oui. Il ne faudrait pas qu'il fasse partie de l'organisation. Il faut que les membres de la GRC disposent d'un recours où ils vont pouvoir, sans être vus, s'exprimer librement en toute confidentialité. C'est une excellente idée.

Mme Benson-Podolchuk : Je suis d'accord. C'est effectivement une bonne idée, mais quels seraient les pouvoirs de cet ombudsman?

Le président : Ce serait à vous d'en décider et de définir ses responsabilités. Mais il s'agirait d'un organe indépendant offrant aux membres de la GRC un recours qui ne les exposerait pas à des actes d'intimidation. Je propose que l'on en fasse une des recommandations de notre rapport.

Il s'agit là de quelque chose de très important étant donné qu'aux termes du règlement qui est intervenu dans votre cas, il était interdit de parler de ce qui s'était passé, comme la sénatrice Jaffer l'a d'ailleurs souligné. Cela pose en effet un problème, car comment aller de l'avant si l'on ne peut pas tirer les leçons du passé.

Est-ce à dire qu'en raison du règlement en question, ceux qui auraient commis des actes répréhensibles, voire criminels, ne seront pas sanctionnés?

Mme Davidson : Janet pourra nous en dire un peu plus à cet égard, mais lorsque je me rends devant le juge pour lui expliquer ce qui m'est arrivé, et que je lui dis qu'en 1977 j'ai rencontré untel, et qu'il s'est produit telle ou telle chose, et que l'on vérifie quelles étaient les personnes en poste dans quatre ou cinq autres détachements afin de s'assurer que je me trouvais effectivement là, et que telle ou telle chose s'est bien produite, personne ne finit par être épinglé pour ce qu'ils ont fait.

À ce moment-là, c'est à moi de décider si j'entends ou non déposer une plainte au pénal. Vais-je identifier mes agresseurs ou non? Dans les six mois suivant le règlement, la documentation recueillie sera entièrement détruite et il n'en restera rien. Et nous sommes censés nous en tenir à cela, comme si rien n'était jamais arrivé.

Janet est pourtant la demanderesse en cette affaire, mais on ne nous accorde aucune considération particulière. Il nous faut aller devant le juge, expliquer pourquoi nous avons perdu notre emploi, qui nous a remplacée, et revivre tous les incidents que nous avons vécus, pour obtenir en fin de compte une maigre indemnisation. C'est injuste, mais c'est comme cela que les négociations se sont déroulées. Je n'y ai moi-même pas participé et je ne sais pas si vous vous trouviez dans la salle lorsque ces négociations ont eu lieu.

C'est à la personne concernée qu'il appartient de décider si elle souhaite ou non nommer son agresseur et déposer une plainte au pénal. Or, dans la plupart des cas, l'état de santé de l'intéressée ne lui permet pas.

Mme Benson-Podolchuk : J'ai écrit un livre, que j'ai intitulé Women Not Wanted. Je l'ai fait pour porter à l'attention du public ce qui m'était arrivé. J'ai, bien sûr, modifié le nom des personnes impliquées, mais j'avais décidé, avant de signer quoi que ce soit, que j'écrirais ce livre et que je le ferais publier. Ceux qui voudraient savoir comment tout cela s'est passé n'auront qu'à le lire.

Il y a 20 ans, Jane Hall a écrit un livre intitulé The Red Wall. Il y a donc des victimes qui ont relaté très exactement ce qui leur est arrivé. Ainsi, même si elles n'ont le droit de rien dire quant au règlement qu'elles finissent par obtenir, elles peuvent lire ces livres et constater qu'il s'agit bien d'un problème systémique. Ces livres confirment les tentatives d'intimidation dont elles risquent de faire l'objet, les répercussions en chaîne des brimades qui leur sont imposées et les conséquences que tout cela entraîne pour leur travail, pour leurs collègues, et pour tous ceux avec qui elles ont affaire, y compris les membres de leur famille.

Mme Davidson : À l'époque où j'ai été agressée sexuellement, j'exerçais, au sein de la Gendarmerie royale, des fonctions d'inspecteur. Je me souviens être rentrée à mon bureau, m'être assise et m'être entretenue avec un collègue de travail, lui disant : « Je ne parviens pas à croire ce qui m'est arrivé. »

Je suis une policière aguerrie, une chef d'équipe, un cadre, mais je ne savais néanmoins pas quoi faire. Imaginez ce que peut ressentir un gendarme qui débute, et qui, après avoir fait ses classes, se retrouve dans ce genre de situation? On peut, je crois, parler de majorité silencieuse.

Le président : C'est un sujet qui mériterait d'être développé, mais hélas, nous allons être à court de temps. Nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler.

La sénatrice Jaffer : J'ai lu votre livre. Ce qui me préoccupe, c'est que les femmes qui souhaitaient se faire une situation au sein de la GRC, ont été contraintes au départ, alors que les hommes responsables des agissements en cause ont reçu de l'avancement. C'est là, d'après moi, que se situe le problème.

Mme Merlo : Tout à fait.

Le président : Je tiens à vous remercier d'avoir pris la parole devant nous. Je vous félicite du courage qui vous a permis de vous manifester et de porter à l'attention du public ce qui vous est arrivé. Il appartient à notre comité de faire en sorte que la question soit débattue en public. J'estime que, depuis 2012, nous ne cherchons pas à éluder la question, mais tentons de comprendre ce qui s'est passé, et, ce qui est plus important encore, de faire en sorte que cela ne se reproduise pas.

Nous accueillons, dans le cadre de notre troisième groupe de témoins, le major-général Paul Bury, chef, Réserves; et le brigadier-général Rob Roy MacKenzie, chef d'état-major de la Réserve de l'Armée.

Soyez, messieurs, les bienvenus. Je crois savoir que vous allez nous présenter un exposé. Nous avons réservé une heure à votre audition. Vous avez la parole.

Major-général Paul Bury, chef, Réserves, Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. Je tiens tout d'abord à vous remercier de me donner l'occasion de m'adresser à vous cet après-midi et de répondre à vos questions concernant le recrutement et l'instruction dans la Force de réserve du Canada.

Je suis le major-général Paul Bury, chef de la Réserve, et je suis accompagné aujourd'hui par le brigadier-général Rob Roy MacKenzie, chef d'état-major de la Réserve de l'Armée canadienne.

La Première réserve est un élément essentiel des Forces armées canadiennes, car grâce à un ensemble très particulier de compétences et de capacités, elle contribue au respect de la priorité de l'organisation : atteindre l'excellence dans l'ensemble du spectre des opérations.

En tant que chef de la Réserve, j'occupe une position unique : je n'appartiens pas à l'un des commandements d'armée. Ainsi, je peux coordonner, au nom du chef d'état-major de la Défense, des projets qui concernent l'ensemble de la Force de réserve, tels que la directive de mise en œuvre du chef d'état-major de la Défense, visant le renforcement de la Première réserve, qui a été signée le 9 octobre de l'année dernière.

La directive comportait une orientation claire visant à répondre à plusieurs besoins, dont l'augmentation de l'effectif de la Force de réserve à 28 500 militaires d'ici juillet 2019, un examen complet de la rémunération et des avantages sociaux des réservistes, et enfin, la poursuite de la professionnalisation de la Force de réserve grâce à la mise à jour constante de nos pratiques de formation, qui permettra de nous assurer que les militaires de la Force de réserve sont formés selon les mêmes normes que celles de la Force régulière.

Les Forces armées canadiennes anticipent des écarts en matière d'expérience entre les deux éléments, mais prévoient de les combler en organisant une formation préparatoire adéquate avant tout déploiement national ou international.

De plus, conformément aux directives du chef d'état-major de la Défense, depuis le 1er avril de cette année, le financement de la Force de réserve est géré à partir d'un compte ministériel unique, ce qui démontre l'importance pour le gouvernement d'investir dans la Première réserve et ce qui permet de réserver ces fonds au paiement de la solde des militaires de la Première réserve ainsi que des frais de fonctionnement et d'entretien de l'organisation.

Nous pouvons affirmer que nous avons réalisé beaucoup de travail au cours de la dernière année, sachant que nous avons dû relever d'importants défis, dont les suivants : résoudre les difficultés de recrutement pour nous assurer que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes qui souhaitent servir leur pays à temps partiel peuvent le faire efficacement et en temps opportun, mais aussi que les unités de la Première réserve disposent du nombre de soldats, de marins et d'aviateurs formés dont elles ont besoin.

Repenser notre méthode d'instruction pour qu'elle permette au personnel d'atteindre son niveau opérationnel de compétence, d'être correctement formé et efficace, d'être prêt plus rapidement, et ce, tout en respectant les normes en vigueur.

S'assurer que le paradigme d'instruction demeure adéquat et accessible pour tous les réservistes, quel que soit leur profil, et veiller à intégrer le personnel à temps plein comme à temps partiel pour être prêt pour les opérations nationales et internationales.

La bonne nouvelle, c'est que le déclin marqué du nombre de réservistes est terminé. Je suis convaincu que les efforts déployés collectivement pour traiter les dossiers des recrues plus rapidement, ainsi que pour leur donner un meilleur accès à des programmes de formation, porteront bientôt leurs fruits.

Les futurs militaires de la Force de réserve doivent recevoir une formation souple, car ils ne peuvent pas tous se permettre de s'absenter de très longues périodes pour suivre une formation. Très souvent, ils doivent concilier leur carrière civile, leurs études et leur vie familiale avec leurs obligations de réserviste.

Nous devons, par conséquent, accepter que les réservistes aient divers cheminements de carrière, et nous devons tenir compte de leur vie civile dans leur parcours de formation et de perfectionnement. De prime abord, cela ne semble pas une méthode efficiente, mais à bien y penser, la Force de réserve a ainsi une occasion unique de tirer parti des expériences professionnelles acquises par les réservistes dans leur vie civile. Ils ont des optiques variées que nous pouvons et devrions utiliser.

Les Forces armées canadiennes voient apparaître de nouvelles technologies, comme la cybernétique, et notre capacité à les maîtriser dépendra de l'aptitude de la Force de réserve à tirer parti des connaissances des réservistes qui exercent des professions scientifiques ou techniques dans le domaine civil ou qui ont fait des études universitaires dans des domaines de pointe. C'est là une excellente occasion de montrer à tous la valeur inestimable des éléments de la Force de réserve et de montrer aux membres de nombreuses collectivités à quel point les réservistes qui travaillent ou vivent à leurs côtés leur ressemblent, eux qui représentent, bien souvent, les Forces armées canadiennes.

Les rôles et les missions confiées à la Force de réserve sont évidemment appelés à évoluer au fil du temps. La Force de réserve accepte volontiers les changements, car elle est un élément adaptable et pertinent des Forces armées canadiennes. Quels que soient les changements à venir, il est essentiel pour la réussite de la Force de réserve que ses processus de recrutement local soient rapides et que son approche en matière de formation envers tous les réservistes demeure dynamique. C'est de cette manière qu'elle pourra réaliser la vision du chef d'état-major de la Défense pour la Force de réserve.

Je cède maintenant la parole au brigadier-général MacKenzie, chef d'état-major de la Réserve de l'Armée canadienne, pour son mot d'ouverture.

Brigadier-général Rob Roy MacKenzie, chef d'état-major de la Réserve de l'Armée, Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Monsieur le président, honorables membres du comité, merci de m'avoir invité à participer à la séance d'aujourd'hui et de m'offrir l'occasion de parler de la Réserve de l'Armée canadienne.

Je suis le brigadier-général Rob Roy MacKenzie et je suis le chef d'état-major de la Réserve de l'Armée, c'est-à-dire que je suis le conseiller de la Réserve du commandant de l'Armée. Permettez-moi de vous donner un aperçu de la Force de réserve de l'armée d'aujourd'hui.

Laissez-moi d'abord vous dire que l'armée considère la Force de réserve comme une partie intégrante de l'Équipe de l'Armée. Au-delà de son rôle opérationnel, la Réserve de l'Armée représente un visage local bien connu de l'armée canadienne dans les diverses régions du pays. En vertu de son infrastructure actuelle, 97 p. 100 de la population canadienne vit à moins de 45 minutes en voiture d'un manège militaire de la Réserve. Étant dispersés dans l'ensemble des communautés de notre grand pays, les réservistes sont une composante essentielle de l'armée canadienne.

Le rôle de la Réserve de l'Armée est celui d'une force professionnelle à temps partiel qui est engagée localement en plus d'offrir une capacité intégrée et réceptive, au pays comme à l'étranger, afin de prêter main-forte aux missions de l'Armée. Puisqu'elle existe à temps partiel, la Réserve est formée en vertu de normes identiques, mais pas au même niveau que la Force régulière. Une instruction préparatoire additionnelle sera toujours nécessaire immédiatement avant un déploiement.

Il y a, au Canada, 123 unités de la Réserve de l'Armée et 10 quartiers généraux de brigade répartis entre 117 communautés. Ces unités de la Réserve de l'Armée sont essentielles à notre présence dans la collectivité et bien que nous ayons l'intention de renforcer le succès de certaines unités où le bassin de population pourrait appuyer une augmentation, nous n'avons nullement l'intention de dissoudre des unités.

J'aimerais maintenant vous présenter un aperçu et une rapide mise à jour des efforts en cours en vue d'appliquer la directive du chef d'état-major de la Défense sur le renforcement de la Réserve, ainsi que sur le travail effectué pour mettre en œuvre les recommandations du Rapport 2016 du Bureau du vérificateur général sur la Réserve de l'Armée canadienne.

Au mois de juin, le commandant de l'armée canadienne a signé une directive exposant le plan d'exécution des tâches spécifiées dans la directive du chef d'état-major de la Défense, répondant en outre à bon nombre des préoccupations dont il est fait état dans le rapport du vérificateur général. En assumant, au mois de juillet, le commandement de l'Armée, le lieutenant général Wynnyk a précisé son intention de réduire les délais de recrutement, de décentraliser autant que possible la formation en la confiant aux divers manèges, et de renforcer l'appui assuré par la Force régulière.

Une des premières tâches que nous avons entreprises a été l'examen de notre modèle de financement. Je suis heureux d'annoncer qu'en date du 1er avril 2016, un compte ministériel distinct a été créé, ce qui accroîtra la transparence au niveau du financement de la Réserve.

Nous sommes également en train d'élaborer un nouveau modèle afin d'assigner du financement aux unités selon leur taille et les résultats escomptés. De plus, afin d'accroître la transparence, le modèle s'assurera également que l'ensemble des unités et des formations de la Réserve de l'Armée comprend bien les tâches qui leur sont assignées.

Vous serez heureux d'apprendre que nous avons pris des mesures concrètes pour aborder les problèmes au niveau du recrutement. Dans le cadre de la directive sur le renforcement de la Réserve, l'armée assumera les responsabilités du Commandement du personnel militaire pour tous les aspects du recrutement de la Réserve à partir d'avril 2017. Cela nous permettra de simplifier les politiques et les processus afin de répondre aux besoins spécifiques de l'armée canadienne pour le recrutement de la Réserve. Le but est de nous permettre d'enrôler de nouvelles recrues en quelques jours seulement, au lieu de semaines ou de mois. Les essais commenceront au début décembre 2016.

L'armée canadienne est fière de l'instruction de calibre mondial qu'elle offre à ses soldats afin d'assurer qu'ils soient bien préparés à une mission. Notre instruction de la Réserve est adaptée pour s'assurer que nos membres de la Réserve peuvent s'intégrer efficacement à leurs collègues de la Force régulière. Bien sûr, une partie de notre capacité à effectuer les tâches qui nous sont confiées comprend le besoin d'avoir le bon équipement pour effectuer le travail.

Voilà pourquoi l'armée canadienne examine l'équipement qu'elle détient actuellement et son emplacement, afin de cerner quelles ressources il faudra acquérir à l'avenir. Il est important de se rappeler que bien que tout l'équipement ne peut être disponible dans chacune des unités de la Réserve pour des raisons financières et pratiques, l'ensemble des unités de la Réserve aura accès à l'équipement nécessaire avant un déploiement.

Pour terminer, j'aimerais rappeler que la Réserve de l'Armée fait partie intégrante de l'armée canadienne, qu'elle est essentielle à son succès continu et que nous sommes pleinement engagés à le maintenir. Je continuerai de travailler avec les dirigeants de l'armée canadienne afin de développer une Réserve de l'Armée pour l'avenir.

Monsieur le président, honorables membres du comité, j'aimerais vous remercier de l'occasion qui m'a été donnée aujourd'hui, ainsi que de votre attention. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président : Je vous remercie. Avant de passer la parole à la sénatrice Jaffer, je demanderais aux membres du comité qui souhaitent interroger nos témoins de bien vouloir l'indiquer à notre greffier.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier des exposés que vous nous avez présentés. Je voudrais maintenant vous poser une question au sujet de la perte de réservistes. Selon le récent rapport du vérificateur général sur l'état de nos réserves, il y aurait un manque à combler. En effet, le budget affecté à la Réserve par l'armée canadienne prévoit 21 000 réservistes, alors que, si je comprends bien, le rapport ne fait état que de 14 000 réservistes actifs et entraînés.

Si je comprends bien, il y a eu des difficultés tant au niveau du recrutement qu'au plan de la formation. Selon le rapport, vous avez perdu chaque année 1 000 soldats. Cette perte nous inquiète, particulièrement lorsque nous songeons à l'excellent travail qu'ils ont fait en Afghanistan, ainsi qu'à l'aide qu'ils apportent à nos communautés. Ainsi que vous l'avez tous les deux rappelé, les réservistes sont une composante essentielle de notre sécurité.

En septembre, lors des séances du comité, plusieurs témoins ont diversement expliqué cette perte. Je vous demanderais, à tous les deux, de nous dire quelles sont, d'après vous, les raisons qui expliquent les pertes constatées par le passé, et comment nous pourrions nous y prendre pour favoriser le recrutement, mais aussi pour parvenir à une réserve qui serait davantage représentative de l'ensemble de la population.

Mgén Bury : C'est, madame la sénatrice, une question qui mérite en effet d'être posée. Permettez-moi de commencer par la perte de nos réservistes. Vous avez parfaitement raison de dire que, comme je l'ai rappelé dans mon exposé, la moyenne des effectifs rémunérés est passée de 25 500 en 2012 à environ 21 349 au 31 mars 2015. Je parle là des effectifs de la Réserve, qui, entretemps, ont d'ailleurs commencé à augmenter. Je pense que nous avons réagi aux problèmes qui se posaient à cet égard.

Parmi les facteurs ayant contribué à ces pertes, citons le changement de rythme des opérations, car, en Afghanistan, la cadence opérationnelle a été, pendant plusieurs années, particulièrement soutenue. Se sont ajoutés à cela la dynamique du recrutement et le parcours professionnel des réservistes.

On distingue, dans la carrière des réservistes, différentes périodes, et on constate un taux de départ particulièrement élevé après 5 ans, après 10 ans et, à nouveau, après 15 ans, alors que les individus concernés traversent les diverses étapes de leurs études. Ils, ou elles, entament une carrière dans le civil, se marient, ont des enfants. Tout cela a, bien sûr, des conséquences sur la vie d'un réserviste et sur sa carrière au sein de l'armée. C'est ainsi que chaque réserviste doit trouver l'équilibre entre sa carrière dans le civil, sa carrière militaire et les exigences de la vie familiale.

Nous comprenons désormais l'influence que ces facteurs exercent sur la vie d'un réserviste. Nous comprenons cela beaucoup mieux maintenant, et dans le cadre d'une stratégie de maintien en poste de nos réservistes, définie au niveau de l'ensemble de l'institution militaire, nous prenons actuellement des mesures destinées à assurer la fluidité du passage entre la Réserve et les Forces régulières. Il s'agit, en effet, de prendre en compte l'évolution des modes de vie et, de concert avec les générateurs de force, c'est-à-dire, l'armée, la marine et l'aviation et les services de santé, d'instaurer une dynamique qui privilégie les carrières à temps partiel plutôt que les emplois d'été pour étudiants.

Nous avons travaillé longtemps sur les divers aspects du problème, et nous sommes maintenant prêts à aborder non seulement la question du recrutement, mais également le problème du maintien des effectifs.

La sénatrice Beyak : Je crois que vous avez, dans votre exposé, traité de la plupart des aspects de la question, mais je pense surtout aux jeunes, et je me demande si vous vous rendez dans les campus du pays afin d'y recruter des réservistes.

Mgén Bury : Nous participons en effet aux foires aux emplois et aux foires des carrières, et nous nous rendons dans les universités, les collèges, et les écoles secondaires pour y faire connaître les possibilités d'emploi. Nous n'entendons rien changer à cela.

Ainsi que je le disais tout à l'heure, nous allons par ailleurs étendre nos efforts de recrutement à un type moins traditionnel de recrue qui pourrait opter pour une carrière militaire à temps partiel. L'idée nous paraît prometteuse.

Permettez-moi d'apporter sur ce point une ou deux précisions. Vous avez évoqué les universités, les collèges, et la dynamique étudiante. Nous avons, par le passé, consacré des efforts considérables à des programmes d'alternance travail-études, l'armée et la marine ayant obtenu d'assez bons résultats en ce domaine.

Nous œuvrons actuellement, de concert avec les universités et collèges, pour instaurer un programme pilote de leadership militaire. Il s'agit d'un programme d'emplois coopératifs qui impliquerait plusieurs universités ou collèges, des unités locales de la Première réserve créant, à l'intention des étudiants et des membres de la Première réserve, de nouvelles occasions de leadership.

La sénatrice Beyak : Un doute plane sur la pérennité de certains régiments. Il y a quelques semaines, à bord d'un avion, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec un jeune réserviste qui m'a dit, en effet, que certains régiments risquent d'être dissous s'ils ne parviennent pas à attirer un nombre suffisant de recrues. Êtes-vous au courant de cela, et si oui, pourriez-vous nous dire combien de ces régiments risquent effectivement d'être dissous? Quelles seraient en outre les mesures prises actuellement pour faire en sorte qu'ils ne soient pas dissous en raison d'une baisse de leurs effectifs?

Mgén Bury : Permettez-moi d'amorcer une réponse, avant de passer la parole au brigadier-général MacKenzie.

La Directive du chef d'état-major de la Défense sur le renforcement de la Première réserve est très claire sur ce point; aucun régiment ne sera dissous et nous ne laisserons aucune unité sans effectif, ce qui veut dire que nous comprenons fort bien que le nombre de soldats, de marins ou d'aviateurs est appelé à fluctuer, mais aucune unité ne sera laissée sans effectif et aucune ne sera dissoute.

Bgén MacKenzie : C'est parfaitement exact, et cela me donne l'occasion de passer, en matière de fidélisation, à la vitesse supérieure. Nous avons réfléchi aux régions qui, du point de vue de la directive du chef d'état-major de la Défense, offrent les meilleures perspectives de développement. L'armée a 950 postes à pourvoir. Nous allons privilégier le développement de 16 unités dans les régions du Canada où le profil démographique est le plus prometteur, c'est-à-dire essentiellement les principaux centres urbains de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec, et nous avons, à cet égard, très clairement précisé qu'aucune unité ne serait dissoute.

Nous avons également dit, cependant, qu'au fil des ans et à une étape ultérieure, lorsque certaines régions auront donné les résultats escomptés, nous aurons l'occasion de réfléchir à la situation des unités qui paraissent moins dynamiques et qui, dans la mesure où elles ont des postes qui demeurent vacants, pourraient effectivement servir à renforcer la dynamique constatée ailleurs. Il ne s'agit donc pas de ponctionner des unités, mais si le profil démographique d'un lieu paraît moins favorable, il peut être indiqué d'affecter nos ressources là où elles pourront être employées au mieux. Voilà les précisions que nous avons apportées.

La sénatrice Beyak : Je vous remercie. La Réserve jouit d'une telle réputation, que je ne voudrais pas que l'on en vienne à cela.

Le sénateur Pratte : Je voudrais m'assurer d'avoir retenu les chiffres exacts. Si je ne me trompe pas, au 30 octobre 2016, la Réserve comptait 18 800 membres, et on entendait atteindre, en juillet 2019, le nombre de 28 500. Est-ce bien cela?

Mgén Bury : Ce chiffre de 18 000 concernait la Réserve de l'Armée de terre.

Le sénateur Pratte : Ah bon, il s'agissait de la Réserve de l'Armée de terre.

Mgén Bury : Par rapport aux 28 500 prévus pour 2019.

Le sénateur Pratte : Quels sont, au total, les effectifs de la Réserve? Où en sommes-nous par rapport aux 28 000 que l'on avait prévus?

Mgén Bury : Au 31 août, on en comptait 21 993.

Le sénateur Pratte : Vous souhaiteriez donc en recruter 7 000 de plus.

Mgén Bury : C'est bien cela.

Le sénateur Pratte : Il faut en outre tenir compte des pertes éventuelles, qui pourraient s'élever à plusieurs centaines, voire à un millier. Vous souhaiteriez donc recruter 7 000 personnes. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à cet égard? Votre objectif demeure ambitieux.

Mgén Bury : Il l'est effectivement et il va être extrêmement difficile de l'atteindre. Le problème provient en partie du fait qu'un certain nombre de réservistes ne participent pas actuellement aux périodes d'entraînement et que les chiffres cités ne tiennent pas compte de cela.

Nous faisons un gros effort de recrutement et nous tentons aussi de rationaliser et d'accélérer le traitement des dossiers de candidature. Nous faisons également beaucoup pour améliorer le taux de rétention. Nous sommes conscients du besoin de retenir ceux qui font déjà partie de la réserve, et des efforts qu'il nous faut faire pour les encourager à y rester. Si l'on veut parvenir à les garder, nous allons devoir faire en sorte qu'ils accordent une plus grande priorité à leur rôle de réserviste.

Le sénateur Pratte : Pourriez-vous nous décrire le profil de la recrue moyenne? J'entends par cela son âge, son niveau d'éducation et son sexe?

Mgén Bury : Les recrues ont en général de 18 à 24 ans, des étudiants pour la plupart. Ce sont, pour l'essentiel, des hommes provenant des principaux centres urbains.

Nous souhaitons diversifier sensiblement le recrutement. Nous voudrions attirer davantage de femmes. Le chef d'état-major de la Défense a fixé comme objectif une augmentation annuelle de 1 p. 100 sur les 10 prochaines années, et nous nous attachons à faire en sorte que la Réserve contribue non seulement à l'augmentation des effectifs, mais également à leur plus grande diversité. Et nous nous attachons beaucoup plus qu'avant à attirer vers la Réserve des personnes appartenant à des minorités visibles.

Les Forces armées canadiennes doivent, en effet, être davantage représentatives de la population et nous œuvrons dans ce sens.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie.

La sénatrice Lankin : Pourriez-vous nous dire comment vous entendez vous y prendre? Vous nous avez dit tout à l'heure que vous entendiez mieux cibler vos efforts de recrutement, mais j'imagine qu'il s'agit de cibler davantage les grands centres urbains où le bassin de recrutement est plus important.

Pardonnez-moi, mais je cherche à préciser le sens de votre pensée lorsque vous parlez de consolider les réussites. Si je comprends bien, il s'agirait de transférer vers les villes certaines unités de réserve situées dans des régions où le recrutement est plus difficile. Cela implique un certain nombre de choses qui mériteraient d'être davantage explicitées.

Vous nous avez dit, tout à l'heure, que les nouvelles modalités de recrutement vont vous permettre d'offrir aux jeunes recrues la possibilité d'effectuer une carrière à temps partiel, mais vous ne nous avez pas dit quelles étaient en cela vos chances de réussite et je n'ai pas très bien saisi la différence entre ce que vous entendez faire désormais et ce que vous avez fait dans le passé.

Je m'intéresse particulièrement à ce bassin de jeunes étudiants qui voient dans la Réserve l'occasion de perfectionner leurs aptitudes, d'acquérir une certaine expérience et, aussi, de se trouver un emploi, mais cela n'équivaut pas à une carrière à temps partiel, et je ne comprends pas très bien le rapport qu'il peut y avoir entre le fait de songer à son avenir et l'idée d'épouser une carrière militaire à temps partiel. Tout cela est sans doute en partie lié à la situation de l'emploi avec une économie qui a plutôt tendance à créer des emplois précaires et à temps partiel alors que la vie militaire peut assurer une certaine stabilité d'emploi.

Il y a bien des aspects stratégiques dans ce que vous nous avez dit au sujet des mesures qui vont être prises. Pourriez-vous nous en dire un peu plus quant à la manière dont vous envisagez la situation et quant aux moyens qui vont vous permettre d'atteindre vos objectifs?

Mgén Bury : Il s'agit, en effet, non seulement d'attirer des recrues, mais également d'améliorer le taux de rétention.

Il est clair que nous allons, à l'avenir, attacher une importance beaucoup plus grande à l'aspect humain de la situation. Nous étions, auparavant, et cela est particulièrement vrai de l'époque récente, essentiellement axés sur les opérations, sur l'appui aux opérations et sur la constitution de forces. Dans l'année qui vient, nous entendons privilégier davantage une approche axée sur l'être humain, en attachant plus d'importance au volet rémunération, et aux avantages divers, afin de rendre la vie militaire plus attirante. Nous allons également mettre davantage l'accent sur la gestion de carrière, le soutien aux familles, la santé mentale, la santé en général, afin que nos soldats, nos marins et nos aviateurs sachent que ces services sont à leur disposition.

Nous allons également nous attacher à fluidifier davantage le passage entre la Force régulière et la Réserve. J'ai dit, en réponse à une question qui m'était posée tout à l'heure, que nous entendons mieux prendre en compte les besoins éprouvés aux diverses étapes de leur vie par nos soldats, nos marins et aviateurs. Dans le passé, nous avons sans doute, à cet égard, été moins souples que nous aurions dû l'être et cela est à l'origine d'un certain nombre de départs. Nous comprenons mieux aujourd'hui que certains membres de la Force régulière souhaitent pouvoir passer plus facilement de la Force régulière à la Réserve. Cela devrait améliorer le taux de rétention et offrir de bonnes perspectives de carrière, que ce soit à temps plein ou à temps partiel.

Bgén MacKenzie : Permettez-moi de répondre aux trois aspects de la question. Il y a, d'abord, le recrutement. Nous avons, dans l'ensemble du pays, repéré 16 unités que nous considérons comme des constituants de base à partir desquels seront formées des sous-unités ou, encore, des composantes de sous-unités.

Jusqu'ici, le processus de recrutement a été à la fois long et lent. Il faut actuellement trop de temps pour recruter un jeune dans les Forces canadiennes. Ils se découragent et vont ailleurs.

Dans notre refonte complète de notre façon de fonctionner, nous donnerons aux unités au niveau local le type d'outils dont elles ont besoin pour attirer des gens et nous simplifierons autant que possible. Nous avons beaucoup travaillé au cours des derniers mois dans tout le Commandement du personnel militaire, l'organisation du recrutement et l'armée, ainsi que dans d'autres éléments, pour attirer des gens et commencer à les former plus tôt. Des parties du processus actuel peuvent se faire pendant la formation. Cela nous permettra d'intégrer plus rapidement ces gens plus jeunes. Je pense que ce sera un énorme atout pour les jeunes Canadiens, les milléniaux, qui ne partiront donc pas au bout de quelque temps. Pour un bon pourcentage de gens, nous constatons qu'il faut deux visites, soit un premier contact plus deux visites pour les démarches initiales, pour vraiment commencer à les intégrer dans l'organisation. C'est une nouvelle mesure importante. C'est la vision du commandant de l'armée canadienne et il a l'approbation du chef d'état-major de la Défense, le CEMD, pour aller de l'avant et poursuivre la planification.

Il s'agit d'un élément majeur. Si nous ne parvenons pas à attirer des gens et à commencer la formation initiale plus rapidement qu'aujourd'hui, nous n'arriverons pas au nombre dont nous avons besoin.

Le deuxième point est que, même si le maintien en poste est très important et que nous voulons maintenir en poste et voir une transition plus fluide entre les éléments ou la Réserve régulière et ainsi de suite, je signale qu'une bonne partie, soit 48 p. 100, de la Réserve de l'Armée a cinq ans de service au plus.

Nous voulons garder beaucoup d'entre eux, mais je dirais pour les jeunes au Canada, s'ils sont allés à l'école, à l'université ou au collège technique et que leur situation personnelle change, du point de vue familial ou professionnel, et qu'ils décident de partir, cela ne fait que renforcer notre société que ces jeunes aient eu une expérience initiale dans les forces.

Nous allons redoubler d'efforts à cet égard, mais le fait d'avoir une plus grande cohorte de jeunes qui ont servi sous les drapeaux est, selon moi, une bonne chose pour nous aussi.

La sénatrice Lankin : Vous avez parlé d'améliorer le recrutement et le maintien en poste, mais le recrutement en tenant compte de la diversité, donc, qu'elle soit ethno-raciale ou sexuelle, ce sont toutes des questions à votre ordre du jour. Vous mentionniez tout particulièrement dans votre refonte un recrutement en temps plus opportun, mais il doit y avoir d'autres questions. Avez-vous, par exemple, procédé à une analyse comparative entre les sexes pour mieux comprendre les obstacles au recrutement de jeunes femmes? Avez-vous fait une analyse pour comprendre quels sont les obstacles à surmonter pour toucher des collectivités diverses sur le plan ethnique et racial?

Vous aurez, en tout cas, nettement plus de chances de faire ce genre de recrutement dans les populations auxquelles vous vous adressez, mais quelles sont précisément les mesures que vous avez prises et en vous fondant sur quelle analyse pour avoir une chance de réussir?

Bgén MacKenzie : Une analyse initiale a été faite par le Commandement du personnel militaire, mais pendant une période d'essai, par conséquent, à partir de décembre jusqu'à la fin de l'année prochaine, pendant que nous examinerons des solutions pour intégrer des jeunes, ou des gens de tous âges, nous aurons une période d'essai dans les Maritimes non seulement avec une population importante, mais aussi dans des régions qui sont plus éloignées, afin d'y évaluer les résultats et de voir les enseignements que nous pouvons en tirer sur l'année prochaine.

Nous continuerons de travailler à compter du 1er avril dans tout le pays en faisant ce que nous voulons faire, mais nous examinerons une évaluation plus précise et plus soutenue que cet essai dans l'Est du Canada. C'est la meilleure réponse que je puisse donner à ce stade.

La sénatrice Lankin : Diriez-vous qu'il existe dans l'analyse comparative entre les sexes une méthodologie qui permet de repérer certains de ces obstacles et certaines des choses auxquelles vous devrez peut-être remédier? Je suis certaine que d'autres peuvent vous conseiller en ce qui a trait à la diversité ethnique aussi.

Mgén Bury : Le Commandement du personnel militaire et le Groupe du recrutement des Forces canadiennes savent certainement ce qu'est l'analyse comparative entre les sexes. Je n'ai pas cette information sous la main. Nous prenons note de la question et nous vous ferons savoir quelles mesures ils ont prises exactement pour analyser le problème.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je suis d'accord quand vous dites que c'est une excellente formation pour les jeunes. À l'âge de 16 ans, j'ai été membre du Royal Canadian Hussars, et par la suite, du 2e Régiment d'artillerie de campagne. C'est un privilège de servir dans la Réserve, et c'est une bonne formation de base pour les jeunes qui commencent dans la vie.

Monsieur Bury, afin de répondre aux besoins opérationnels de l'armée, disposez-vous du financement nécessaire pour l'entraînement et l'équipement? Comment envisagez-vous les cinq prochaines années?

[Traduction]

Mgén Bury : Je vous remercie, sénateur, de votre question.

Pour revenir à votre question sur les ressources financières, comme je l'ai mentionné, nous avons ouvert ce compte pour attribuer un portail unique au financement de la Première réserve, pour la paie, le fonctionnement et l'entretien de la Réserve, et il en est rendu compte régulièrement à la haute direction.

Je suis convaincu qu'à ce stade, il n'y a pas de problèmes importants en ce qui concerne le financement affecté à la Première réserve pour sa paie, son fonctionnement et son entretien. Aucun sujet de préoccupation n'a en tout cas été soulevé à l'heure qu'il est.

Pour ce qui est de l'équipement, je soulignerai que chacun des N1, l'armée, la marine et la Force aérienne ainsi que les services de santé, ont des articles d'approvisionnement correspondants.

Je soulignerai et me ferai l'écho des propos du brigadier-général MacKenzie lorsqu'il faisait observer qu'on a accès à des possibilités de formation et à de l'équipement et que cet accès continuera certainement d'exister sur le chemin menant au niveau de préparation élevé, et pour les possibilités de formation collective aussi. Nous déployons beaucoup d'efforts pour que les unités, si elles ne détiennent pas physiquement les ensembles d'équipements, y aient accès pour l'entraînement.

Je suis convaincu que l'accès à l'équipement et les possibilités de se former dessus existent et continueront d'exister en parallèle aux exigences de formation des prochaines années.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur MacKenzie, vous avez soulevé le problème de rétention dans les Forces de réserves. Vous avez mentionné que 28 000 hommes et femmes servent dans la réserve. Combien vous en manque-t-il à l'heure actuelle? Combien vous en coûtera-t-il pour atteindre votre objectif? Est-ce une question de budget qui vous empêche d'aller de l'avant?

[Traduction]

Bgén MacKenzie : Je vous remercie de votre question, sénateur.

Le nombre que nous avons aujourd'hui n'est pas idéal. Nous visons 28 500 militaires, donc plus de 21 000, et nous sommes aujourd'hui à 18 800. Nous allons améliorer notre vitesse de recrutement, mais il nous restera à former les recrues et cela prend du temps.

À l'heure actuelle, d'année en année, nous formons environ 4 000 militaires à différents niveaux de formation. Nous comptons bien pousser non seulement l'instruction de base, mais aussi les qualifications dans leur métier et leur arme, dans l'infanterie, les blindés et ainsi de suite, depuis le manège militaire, dans la mesure du possible, pour aider à former les gens à l'échelle locale. Mais l'argent ne suffira pas à tout régler. Il nous faut du temps pour former ces personnes. C'est ce qui nous prendra un peu de temps pour arriver au nombre voulu. C'est donc plus une affaire de temps que d'argent dans ce cas.

Le président : Pouvez-vous clarifier quelque chose? On nous a parlé plus tôt de 21 993 militaires et maintenant, on nous dit 18 800. Ce n'est pas très clair pour moi.

Bgén MacKenzie : Le premier chiffre que vous donnez, 21 000, correspond au nombre pour lequel nous avons un financement. Et sur ce financement...

Le président : Vous en avez 18 800?

Bgén MacKenzie : C'est exact. Cependant, ce chiffre ne comprend pas seulement les réservistes à temps partiel, mais aussi ceux à temps plein qui soutiennent des unités, des écoles et ainsi de suite. Et cela représente une part très importante de ce budget.

La sénatrice Jaffer : Oui, les 21 000 correspondent au financement. Le vérificateur, si je ne m'abuse, a déclaré que vous en aviez 14 000. J'imagine donc que depuis ce rapport, il y en a 4 000 de plus?

Bgén MacKenzie : J'aimerais préciser que ce chiffre correspond à celui des militaires dont la formation est terminée. Comme je le mentionnais, nous avons en moyenne, d'une année à l'autre, environ 4 000 militaires en formation. Quand je dis 18 000, cela comprend les militaires en formation à plein temps et à temps partiel.

La sénatrice Jaffer : Donc, les 4 000 ne seraient pas prêts à partir, si besoin était? Le nombre de militaires disponibles est de 14 000?

Bgén MacKenzie : Oui, c'est exact.

Le président : Puis-je ajouter quelque chose? J'aimerais être clair sur ce point pour l'Examen de la politique de défense parce que l'objectif est de 28 500 militaires. Si nous avions ces 28 500 militaires, vous n'avez pas pour le moment dans votre budget les ressources financières nécessaires pour payer pour ce nombre? Vous avez des ressources pour 21 900?

Mgén Bury : Effectivement. Il y a une légère confusion entre les chiffres de la Réserve de l'Armée dont parlait le brigadier-général MacKenzie et ceux que je mentionnais qui concernent l'ensemble de la Force de réserve, c'est-à-dire de l'armée, la Force aérienne et la marine.

Le chef d'état-major de la Défense a demandé 28 500 militaires d'ici 2019, ce qui comprend l'ensemble de la Réserve, l'armée, la marine, la Force aérienne, les services de santé et le Commandement - Forces d'opérations spéciales du Canada, ou COMFOSCAN. Le financement existe donc pour ces militaires.

Le président : Voici ma question : pour être en mesure de fournir les ressources nécessaires pour ces postes, sachant que nous avons 21 993 militaires aujourd'hui, quels sont les coûts additionnels à prévoir pour financer de 7 000 à 7 500 membres de plus?

Mgén Bury : Ces coûts seront bientôt définis. Plusieurs solutions de financement seront cernées, comme le renouvellement de la défense.

Le président : Nous nous penchons sur l'Examen de la politique de défense et nous essayons de comprendre quelles sont les ressources et ce qui est nécessaire au-delà pour répondre à ces différentes aspirations que nous avons. Si nous arrivons à 28 500 militaires, pouvez-vous nous dire quels sont les coûts additionnels prévus pour l'armée?

Mgén Bury : Nous vous le ferons savoir.

Le président : Et le plus rapidement possible, s'il vous plaît.

La sénatrice Lankin : Donc, si je comprends bien, je pensais que vous aviez dit que les fonds avaient été trouvés et accordés et qu'il y a un objectif à atteindre d'ici un an. Ou est-ce qu'il y a un déficit de financement pour lequel on n'a encore rien prévu?

Mgén Bury : Non, pour ce qui est de la Directive sur le renforcement de la Première réserve, aucun nouveau financement n'a été mentionné. C'est une réaffectation de fonds dans le cadre du renouvellement de la défense qui le financera. Nous devrons aller en arrière et demander un tout nouveau financement nécessaire.

La sénatrice Lankin : La réaffectation concerne-t-elle seulement vos Réserves ou y a-t-il une réaffectation qui provient d'autres parties de la Défense?

Mgén Bury : Non, c'est de l'ensemble de la Défense.

La sénatrice Lankin : Ces fonds ne sont pas engagés pour l'instant, mais on les cherche?

Mgén Bury : En coordination et conjointement avec l'Équipe de renouvellement de la défense qui étudie différentes initiatives au ministère pour dégager des économies.

Le président : Je comprends votre problème, mais c'est comme boxer dans le vide. Pour trouver cette enveloppe pour les Réserves — et si nous posons ces questions, c'est que nous sommes très inquiets quant à l'avenir des Réserves. Nous comprenons tout à fait l'importance des Réserves. Sans elles, à vrai dire, nous n'aurons pas d'armée de tout premier ordre. Il faut en parler. Pour ce qui est de la suite, je crois comprendre qu'on a pris une très bonne décision il y a quelques mois, à savoir de prévoir une enveloppe financière à part pour les Réserves qui ne pourrait pas être réaffectée si l'armée cerne un renouvellement dans un autre secteur de responsabilité et veut déplacer ces fonds.

Cela dit, pour ce qui est de la sénatrice Lankin et de moi-même, nous voulons nous assurer que nous avons les fonds nécessaires pour faire ce que vous voulez faire maintenant. Nous voulons aussi connaître ce nombre pour pouvoir atteindre les objectifs souhaités.

Mgén Bury : Certainement.

Le président : Cette question s'adresse au major-général MacKenzie et elle concerne les Rangers canadiens. Quel est le nombre optimal pour les Rangers et quelles seront leurs responsabilités?

Bgén MacKenzie : Je vous remercie. Aujourd'hui, nous avons environ 5 000 Rangers. Ils sont, en fait, très près de 5 000 répartis sur l'ensemble du Canada. Nous avons réuni, il y a un mois environ, le groupe de travail national des Rangers canadiens. Il se réunit tous les ans afin de déterminer quelles collectivités du pays pourraient appuyer les patrouilles de Rangers. Ce travail prendra du temps parce que dans les petites collectivités, il peut se révéler difficile d'essayer d'augmenter leur nombre. Il ne suffit pas de vouloir ajouter 100 Rangers ici et là. Nous faisons un véritable examen consultatif dans les groupes de Rangers afin de savoir où il est possible de les augmenter.

Je lui ai également demandé d'examiner cette question sur l'année qui vient, dans le cadre de la lettre de mandat, leurs rôles, ainsi que ce qui est pratique et ce qui est du domaine du possible. Je donnerai un exemple : une opération de recherche et sauvetage au sol n'entre pas dans leur rôle officiel. Cependant, il leur arrive souvent dans tout le Canada d'appuyer la police locale et d'autres organismes dans ces opérations. Nous comptons bien examiner ces types de rôles que jouent les Rangers pour voir en quoi nous pouvons les aider par une formation supplémentaire.

Nous avons proposé deux cours cette année. L'un d'eux était une formation de base aux patrouilles. Il s'agit d'un cours de type endoctrinement militaire pour Rangers, ce que nous n'avions pas auparavant. L'autre était un cours de chef de patrouille pour les aider dans les rôles de leadership et l'organisation. Les Rangers sont considérés comme étant formés lorsqu'ils sont enrôlés et arrivent donc avec ces compétences.

Le président : Pouvez-vous nous fournir cette lettre de mandat pour que nous comprenions de quoi il s'agit?

Bgén MacKenzie : Quand je mentionne la lettre de mandat, je fais référence à la partie de la lettre de mandat du ministre qui concerne l'augmentation du nombre de Rangers. L'énoncé en est très court, mais nous en tirons beaucoup d'hypothèses. Ce n'est pas une simple question de nombre ou de lieu.

Le président : Si je comprends bien, l'idée était de porter le nombre de Rangers à environ 6 000. C'est bien cela?

Bgén MacKenzie : Aucun chiffre n'a été avancé.

Le président : Je pensais que si. Il y a plusieurs années, il était question de 6 000? Il me semblait qu'on en discutait.

Bgén MacKenzie : Je ne suis pas certain de la réponse. Nous avions auparavant un objectif de 5 000, que nous avons atteint. Je ne sais pas vraiment quand il avait été fixé, cependant.

Le président : Chers collègues, je souhaitais aborder la question de la collaboration entre les universités et la Réserve. Plusieurs universités se sont manifestées, à ce que je crois comprendre, afin de contribuer aux unités de la Réserve. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet.

Mgén Bury : Je vous remercie, sénateur. Nous avons travaillé sur le projet pilote civilo-militaire en matière de leadership, qui relie les unités locales de la Première réserve aux universités et aux collèges de leur région. L'Université de l'Alberta propose depuis le 1er septembre 2015 un programme agréé sanctionné par un certificat. Cela ouvre des possibilités de leadership et un mentorat pour les étudiants qui sont membres de la Première réserve, qu'il s'agisse d'officiers ou de militaires du rang, de MR.

Nous cherchons et étudions des possibilités de reprise de cette initiative ailleurs au Canada. En fait, il y a quelques semaines, je suis allé voir l'Université de Calgary, qui est très réceptive à l'idée. D'autres universités et collèges dans tout le pays l'examinent aussi.

Dans sa directive de mise en œuvre, le chef d'état-major de la Défense mentionnait au total cinq endroits dans l'ensemble du Canada, et nous sommes en bonne voie d'atteindre cet objectif.

Le président : C'est une très bonne nouvelle. Avez-vous quelque chose à dire, général?

Bgén MacKenzie : Nous travaillons avec certains collèges techniques dans l'ensemble du pays, par exemple avec l'Institut de technologie de la Colombie-Britannique, l'Institut de technologie du Nord de l'Alberta, le Fanshawe College et d'autres, en vue d'un programme qui donne des crédits pour le service militaire ou une formation en leadership, autrement dit, un programme d'apprentissage avancé avant placement. Les universités et les collèges techniques représentent un autre aspect de la question. De par leurs programmes d'études et leur structure de gouvernance, beaucoup peuvent déjà accorder des crédits pour des cours de leadership militaire. C'est un autre aspect très prometteur pour nous aussi, à mon sens.

Le président : Ce sont d'excellentes nouvelles. Avez-vous engagé dans votre budget les ressources financières nécessaires pour mener ces programmes?

Mgén Bury : Oui. On utilise de l'espace dans les unités de la Première réserve existantes dans la région même et les ressources des universités pour créer le programme. C'est une excellente initiative qui relie les deux, et ce à un coût minimal pour l'armée.

Le président : Je pense que c'est un excellent programme que nous devrions vraiment encourager dans tout le pays. Il est bon de voir le nombre d'universités et d'établissements postsecondaires qui sont prêts à le reconnaître et à le mettre en place parce que ce n'est pas simple à faire de leur point de vue.

Chers collègues, je souhaite remercier les témoins d'avoir comparu. C'était très instructif. J'aimerais que nous poursuivions quelques minutes à huis clos, après que nous les aurons excusés. Une fois encore, merci beaucoup de votre exposé instructif.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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