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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 44 - Témoignages du 27 mai 2019


OTTAWA, le lundi 27 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 11 heures, pour l’étude du projet de loi.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je demanderais aux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, votre présidente.

Nous poursuivons aujourd’hui l’étude du projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Nous allons commencer par notre premier groupe. M. Christian Leuprecht, professeur au Département de sciences politiques et d’économie du Collège militaire royal du Canada, se joint à nous par vidéoconférence. Nous accueillons également le lieutenant-colonel à la retraite Jean-Guy Perron et le lieutenant-colonel à la retraite Rory Fowler.

Monsieur Leuprecht, vous avez la parole.

Christian Leuprecht, professeur, Département de sciences politiques et d’économie, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Merci de me donner l’occasion de comparaître au sujet de cet important projet de loi.

[Français]

Il me fera plaisir de répondre à vos questions dans les deux langues officielles.

[Traduction]

La plupart des personnes qui comparaissent ici sont des avocats de formation, mais je ne pense pas que le droit militaire devrait être le fief exclusif d’avocats militaires ou d’avocats en tant que tels. Alors, permettez-moi de présenter un peu de sociologie du droit applicable au système de justice militaire, puisque j’ai au moins eu l’occasion de la voir en pratique au Collège militaire royal et ailleurs. J’aimerais formuler quelques remarques générales, puis quatre remarques spécifiques en ce qui a trait au projet de loi.

La première est la tentation, au sein de la chaîne de commandement, de recourir parfois à des mesures administratives correctives ou punitives qui ne sont peut-être pas optimales, du moins aux yeux de certains d’entre nous, de l’extérieur. Je le signale, car toute modification touchant la justice militaire doit ultimement jouir de la confiance de la chaîne de commandement, sinon, ou s’il semble que cela puisse éroder la confiance, on risque peut-être de recourir à ce type de mesures. De manière inhérente, il y a compromis chaque fois que nous apportons des modifications au système de justice militaire.

Parallèlement, certains des changements apportés ici limiteront davantage la chaîne de commandement, ce qui risque de miner une partie de cette confiance. Vous l’avez peut-être constaté, en particulier dans le cadre de l’opération Honour et d’autres mesures relatives au harcèlement sexuel, par la façon dont la chaîne de commandement se sent parfois entravée et supprime une partie du pouvoir discrétionnaire dans le traitement et l’application de ces questions. Je ne fais que signaler ces compromis.

Beaucoup de choses dans ce projet de loi se font attendre depuis longtemps afin que le système de justice militaire devienne plus pertinent pour le monde moderne. Signalons que la création de la capacité de donner un ordre de s’abstenir de communiquer avec une victime était attendue depuis longtemps.

Par la même occasion, j’attire l’attention sur le fait que certaines des solutions proposées par le projet de loi sont déjà utilisées de manière efficace dans la pratique, notamment la possibilité d’invoquer l’article 276 du Code criminel. En effet, les victimes dans le système de justice militaire bénéficient déjà, dans la pratique, des mêmes protections que les victimes devant les tribunaux civils. Les déclarations des victimes sont un autre exemple.

En ce qui concerne les quatre remarques spécifiques portant sur le projet de loi, puisque vous pouvez vous joindre aux Forces armées canadiennes à 16 ans et que la plupart de mes cadets de première année ne seraient pas majeurs, je crains que le projet de loi ne prévoie une condamnation au criminel pour des actions spécifiques qui ne se retrouvent que dans les forces armées : acte d’insubordination, querelles et désordres, absence sans permission, ivresse et comportements préjudiciables au bon ordre et à la discipline.

Premièrement, ce ne sont pas des actions pour lesquelles un adolescent de 16 ou 17 ans pourrait se retrouver avec une condamnation au criminel dans la vie civile normale à l’égard des mêmes types d’infractions. C’est pourquoi il est nécessaire de prévoir une disposition permettant d’invoquer la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans le cas des personnes qui n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité, mais qui peuvent être passibles de ces peines, même si le nombre de personnes touchées serait faible.

Deuxièmement, un certain nombre de moyens de dissuasion sont déjà en place, particulièrement en ce qui concerne la libération obligatoire. Quiconque serait libéré au titre du motif 1, inconduite, ou du motif 2, service non satisfaisant, serait déjà sanctionné. Si nous ajoutons à cela une condamnation au criminel pour une personne de 16 ou 17 ans qui a peut-être fait un choix imprudent, ce serait peut-être une peine cruelle et inusitée pour une telle condamnation.

Le système de justice civile s’occupe des infractions de nature purement criminelle. La victime ne peut pas dicter le déroulement de la poursuite. Les actions des responsables de l’application de la loi et des procureurs sont distinctes de celles de l’employeur, mais le Code de discipline militaire peut potentiellement interdire le comportement qui ne s’assimile pas à un comportement criminel. Dans le système fermé des forces armées, la chaîne de commandement dispose donc d’un plus grand éventail d’outils pour lutter contre les inconduites perçues.

Bien que je sache que la proposition sera controversée, une façon de donner véritablement aux victimes le pouvoir d’agir consiste à leur offrir la possibilité de ne pas laisser le système de justice militaire porter des accusations dans les affaires liées au Code de discipline militaire qui ne sont pas de nature criminelle. Si la chaîne de commandement estime qu’elle doit poursuivre et que la victime décide de ne pas poursuivre, la chaîne de commandement devra alors engager des poursuites devant une cour martiale, étant donné que, dans ce cas, la victime n’aurait pas son mot à dire quant à la poursuite. Ainsi, on pourrait en arriver à un équilibre intéressant et novateur entre les intérêts de l’institution et ceux de la victime dans un contexte où le devoir de signaler les incidents peut souvent laisser les victimes dans des situations où elles exercent très peu de contrôle sur le processus. C’est quelque chose dont j’ai été moi-même témoin.

Troisièmement, je rappelle les préoccupations soulevées précédemment en ce qui concerne d’éventuelles contestations au regard de la Charte liées à des accusés qui risquent maintenant d’être condamnés à une peine plus sévère en vertu d’un seuil de déclaration de culpabilité moins élevé, qui passe du procès par voie sommaire à la déclaration de culpabilité par procédure sommaire et de la preuve hors de tout doute raisonnable à la prépondérance des probabilités.

Ma quatrième remarque porte sur deux articles qui ne figurent pas actuellement dans le projet de loi, mais que le comité devrait prendre en considération. L’alinéa 98c) et l’article 126 ont tous les deux trait à la simulation; dans un cas il s’agit de l’automutilation, et dans l’autre, du refus d’immunisation.

L’un des défis est que les problèmes de santé mentale, d’automutilation et d’idées suicidaires sont essentiellement des affections qui devraient être traitées et non pas punies. Le défi consiste à discerner l’intention. Nous devons nous fier au jugement humain pour savoir si des personnes ont voulu se faire du mal simplement pour éviter un déploiement ou se soustraire à un ordre particulier.

Dans la plupart des cas, ce ne serait pas la raison principale en ce qui concerne la santé mentale, l’automutilation ou d’autres types de problèmes. Le risque est que tout enquêteur dans les forces armées entame une discussion en envisageant peut-être la présomption d’intention précisément à cause de ces articles.

Les forces armées ont déjà d’autres moyens de remédier à ce type de problèmes. Les forces armées voudront peut-être envisager de supprimer ces articles si elles considèrent que les personnes actuellement traitées comme les auteurs d’une infraction devraient peut-être être traitées davantage comme des victimes, en particulier dans le contexte du programme du gouvernement en matière de santé mentale et de bien-être au sein des Forces armées canadiennes.

[Français]

Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Lieutenant-colonel à la retraite Rory Fowler, à titre personnel : Madame la présidente, mesdames et messieurs, je suis reconnaissant de l’occasion qui m’est offerte de comparaître devant vous pour discuter de cet important projet de loi.

Dans ma déclaration liminaire, je souhaite mettre l’accent sur trois questions particulières : premièrement, la définition de la justice militaire donnée dans le projet de loi C-77; deuxièmement, le déroulement d’une audience sommaire; et, troisièmement, les répercussions potentielles des récents appels interjetés conjointement dans les affaires Stillman et Beaudry qui ont été entendus devant la Cour suprême du Canada.

Tout d’abord, la définition de justice militaire est pertinente pour le rôle du juge-avocat général, ou JAG, qui exerce son autorité sur tout ce qui touche l’administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes en vertu du paragraphe 9.2(1) de la Loi sur la défense nationale.

Selon la sagesse populaire, la justice militaire est limitée au Code de discipline militaire ou synonyme de celui-ci. Cela exclurait d’importantes questions de justice, comme les griefs et autres processus décisionnels administratifs importants, de l’autorité exercée par le JAG.

À mes yeux, cela n’a jamais eu de sens. La prise de décisions concernant les griefs, les recours et d’autres décisions administratives peut avoir une incidence égale voire plus importante sur la carrière et la vie d’un membre des Forces canadiennes. Cela s’avère particulièrement lorsqu’on semble recourir de plus en plus à de telles décisions administratives plutôt qu’au Code de discipline militaire.

Je dirais que c’est précisément ce qui se passe dans le cadre de l’opération Honneur. En vertu de la Loi sur la défense nationale en vigueur, assimiler la justice militaire au seul Code de discipline militaire est erroné et limite artificiellement les responsabilités du JAG au détriment d’une nouvelle appréciation de la justice militaire. Il serait tout aussi problématique d’enchâsser l’interprétation actuelle dans le projet de loi C-77.

Je suggère plutôt que l’autorité sur tout ce qui touche la justice militaire habilite réellement le JAG à veiller à ce que la primauté du droit soit respectée dans l’administration générale des affaires des Forces canadiennes, y compris le Code de discipline militaire, mais également au-delà.

L’application actuelle des politiques dans le cadre de l’opération Honour fournit un critère décisif utile pour établir si le JAG exerce réellement son autorité en matière de justice militaire au sens large.

La définition de justice militaire proposée dans le projet de loi C-77 serait ainsi libellée :

[...] tout ce qui touche la mise en œuvre du code de discipline militaire [...]

Cela équivaudrait essentiellement à assimiler la justice militaire, qui est l’un des termes de l’art juridique en vertu de la Loi sur la défense nationale, au Code de discipline militaire, un terme distinct de l’art juridique au sens de la Loi sur la défense nationale. La définition limiterait le rôle du JAG de veiller au respect de la primauté du droit dans le rôle décisionnel légal au sein des Forces canadiennes.

À la lecture de la modification proposée de la Loi sur la défense nationale, ma réaction immédiate a été de me demander pourquoi. Pourquoi enfin définir ce terme de l’art après 20 ans? Je rappelle aux sénateurs que le rôle qui consiste à exercer l’autorité en matière de justice militaire a été introduit dans les modifications de 1998 touchant la Loi sur la défense nationale. Pourquoi le définir essentiellement au moyen d’un terme différent et distinct en vertu de la Loi sur la défense nationale?

La démarche me semble un peu malhonnête. On dirait également qu’elle tente de corriger rétroactivement une interprétation toujours problématique de la Loi sur la défense nationale.

Il ne serait pas exagéré de prétendre que la justice militaire est pour l’armée ce que la justice est pour la société au sens large. Comparez l’article 9.2 de la Loi sur la défense nationale au paragraphe 4 de la Loi sur le ministère de la Justice :

Le ministre est le conseiller juridique officiel du gouverneur général et le jurisconsulte du Conseil privé de Sa Majesté pour le Canada; en outre, il :

b) exerce son autorité sur tout ce qui touche à l’administration de la justice au Canada et ne relève pas de la compétence des gouvernements provinciaux;

Je reviens à ma question précédente. Ne serait-il pas plus simple de modifier tout bonnement le paragraphe 9.2(1) de la Loi sur la défense nationale pour qu’il soit ainsi libellé : « Le juge-avocat général exerce son autorité en ce qui touche toute l’administration de tous les aspects du Code de discipline militaire au sein des Forces canadiennes? »

Pourquoi le législateur ne souhaiterait-il pas que le JAG et ses conseillers juridiques exercent leur autorité sur tous les aspects de la justice militaire plutôt que simplement sur le Code de discipline militaire?

Au bout du compte, cette question porte sur la mesure dans laquelle le législateur envisage que les Forces canadiennes, comme entité gouvernementale, soient régies conformément à la primauté du droit plutôt que selon le principe de l’arbitraire, de l’impunité et du caprice.

J’en viens maintenant au processus d’audience sommaire proposé. J’ai été étonné d’entendre certains critiques virulents des procès par voie sommaire se féliciter du processus d’audience sommaire proposé. À mon avis, le processus proposé est fondamentalement problématique, et ce, davantage que les procès par voie sommaire.

Je souhaite mettre en évidence un élément systématiquement omis par certains critiques du procès par voie sommaire. Aucun juriste ou homme de loi raisonnable ne laisserait entendre que le processus de procès par voie sommaire prévu par le Code de discipline militaire comporte toutes les caractéristiques d’équité que l’on peut voir devant un tribunal civil de juridiction criminelle. Je ne le ferais certainement pas.

Il n’y a pas de droit à un avocat, bien que cela ne soit pas interdit. Les règles de la preuve sont considérablement assouplies. Il n’y a pas de transcription officielle. Fait peut-être le plus important, l’officier président, qui est à la fois le juge des faits et la personne qui contrôle le processus, n’est pas constitutionnellement indépendant et, à de rares exceptions près, n’a pas de formation approfondie en droit.

Bien qu’il existe des règles de divulgation, d’équité procédurale et de charge de la preuve au pénal dans un procès par voie sommaire, ce ne sont pas les facteurs qui rendent le processus conforme à la Charte. Je ne saurais trop insister sur le fait que le seul avantage du procès par voie sommaire réside dans le droit de l’accusé de choisir une cour martiale et de bénéficier ainsi de toutes les garanties propres à une défense pleine et entière; d’une représentation par un avocat qualifié, ce qui est gratuit, pourrais-je ajouter; d’une défense pleine et entière devant un juge constitutionnellement indépendant; ainsi que de règles de preuve claires.

S’il existe une lacune dans le procès par voie sommaire, et je pense que c’est le cas, elle a trait aux cinq infractions prévues en vertu des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes 108.17 dans certaines situations qui ne comportent pas le droit présomptif de choisir un procès devant une cour martiale. À mon humble avis, c’est ce qui doit être changé.

Voyons ce que propose l’audience sommaire. Contrairement aux infractions prévues dans le processus de procès par voie sommaire, les manquements ne sont pas établis en vertu de la loi. Ils le seront, nous dit-on, en vertu de règles encore inconnues. L’ensemble du processus sera établi en vertu du règlement, et on présume que le processus d’audience sommaire n’offrira pas plus de garanties que le processus de procès par voie sommaire.

De plus, le fardeau de la preuve sera réduit, passant de la norme pénale à la norme civile. Ce qui est peut-être le plus déroutant de tout, c’est que l’accusé n’aura pas le droit de choisir plutôt un procès devant une cour martiale. Si la chaîne de commandement souhaite avoir recours à ce processus beaucoup moins rigoureux pour punir les accusés — et retenez mes mots, mesdames et messieurs, il s’agit d’une punition —, les accusés n’ont alors aucun mot à dire, absolument aucun quant au processus utilisé.

Je pourrais décrire les divers facteurs à l’appui de la conclusion selon laquelle le processus d’audience sommaire demeure un processus pénal ou punitif. Cependant, je ne peux pas améliorer sensiblement l’examen approfondi et complet offert par mon collègue, le lieutenant-colonel à la retraite Jean-Guy Perron.

Je recommande cet examen au comité, ainsi que l’examen proposé par le Barreau du Québec, présidé par mon collègue et ami, Pascal Lévesque.

Ce que je dirai au sujet du processus d’audience sommaire et de son fardeau de la preuve réduit, c’est que les principaux décideurs au sein des Forces canadiennes ont déjà démontré qu’ils ne possèdent pas une compréhension uniforme de l’application du fardeau de la preuve au civil dans un régime de droit public coercitif.

Comme il est expliqué dans le rapport du Barreau du Québec, le fondement probatoire de ce fardeau exige toujours que la preuve soit claire et persuasive. On nous dit que le processus d’audience sommaire proposé représente un régime réglementaire administratif professionnel, semblable à celui utilisé par des organismes de réglementation provinciaux.

Voyons maintenant ce que la Cour suprême du Canada a déclaré à l’unanimité dans l’arrêt F.H. c. McDougall, en 2008. Le jugement, rédigé par le juge Rothstein, juriste reconnu en matière de droit administratif, soulignait ce qui suit :

Suivant les décisions ontariennes rendues en matière de discipline professionnelle, la norme de la prépondérance des probabilités exige que la preuve soit claire et persuasive et qu’elle se fonde sur des éléments solides.

Pourtant de nombreuses décisions importantes sont prises dans l’administration des affaires des Forces canadiennes en fonction de cette norme de preuve, bien au-delà de ce qui est prévu dans le Code de discipline militaire. Les décideurs légaux des Forces canadiennes omettent systématiquement d’appliquer la norme avec diligence, en particulier dans le cadre de l’opération Honour.

J’estime que le comité doit se préoccuper de la prise de décisions administratives afférentes à l’opération Honour. Malgré les statistiques présentées par le chef d’état-major de la Défense, l’intervention administrative tend à l’emporter sur l’intervention disciplinaire dans le cadre de l’opération Honour. Cependant, le projet de loi C-77 exclurait une telle décision administrative de l’autorité exercée par le JAG sur ce qui touche la primauté du droit.

Le concept imparfait du processus d’audience sommaire justifie à lui seul que le législateur refuse d’adopter ces parties du projet de loi C-77. Toutefois, les incertitudes actuelles quant à la compétence du Code de discipline militaire à l’égard d’infractions pénales graves constituent une autre raison impérieuse de s’abstenir.

Le 26 mars de cette année, la Cour suprême a entendu les appels interjetés conjointement dans les affaires Beaudry et Stillman. Ceux-ci concernent la compétence du Code de discipline militaire, en particulier des cours martiales, d’instruire des poursuites liées à des infractions criminelles graves autres que celles qui sont déjà exclues par la loi.

Le jugement n’a pas encore été rendu. Bien que je ne souhaite pas formuler d’hypothèse quant à l’issue, je ne serais pas étonné par un jugement qui ne soit pas unanime. J'ai personnellement observé l’audience tenue devant la Cour suprême. Cela pourrait même aboutir à une décision marquée par la pluralité plutôt qu’une décision rendue à la majorité. Franchement, ma plus grande préoccupation est une décision vague de la Cour suprême dans les affaires Stillman et Beaudry.

La présidente : Je me demande si vous pourriez conclure. Nous avons légèrement dépassé le temps.

Lcol Fowler : Ce jugement pourrait avoir des effets très profonds sur le Code de discipline militaire. Au lieu de ce qui est proposé dans le projet de loi C-77, il serait beaucoup plus utile que le législateur apporte une correction beaucoup plus simple au processus de procès par voie sommaire et veille à ce que le droit de choisir la cour martiale soit appliqué à toutes les infractions d’ordre militaire.

[Français]

Je peux aussi répondre aux questions en français.

[Traduction]

La présidente : Merci.

[Français]

Lieutenant-colonel à la retraite Jean-Guy Perron, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. J’ai débuté ma carrière militaire à titre d’officier d’infanterie au sein du Royal 22e Régiment et du premier commando du Régiment aéroporté du Canada. J’ai étudié le droit et j’ai ensuite débuté ma carrière d’avocat militaire. J’ai eu l’honneur de commander l’Unité nationale de contre-ingérence des Forces canadiennes, et j’ai été nommé juge militaire en 2006. J’ai quitté les Forces armées canadiennes en 2014.

[Traduction]

Je concentrerai mes commentaires sur les audiences sommaires et les dispositions connexes du projet de loi C-77. Je vous ai fourni des documents contenant mon analyse du projet de loi et quelques annexes pour vous aider à comprendre certaines données sur la justice militaire au procès par voie sommaire.

Comme je l’ai indiqué dans les documents, une rétrogradation et une privation de la solde et des indemnités constituent une véritable conséquence pénale. L’incarcération à bord d’un bateau ou la consigne aux quartiers, en raison de son effet extrêmement restrictif sur la liberté d’un délinquant, est également une véritable conséquence pénale.

Dans la procédure actuelle de procès par voie sommaire, un accusé ne peut être jugé par une cour martiale pour cinq infractions mineures si l’officier président décide qu’il n’imposera pas une peine de détention, une rétrogradation ou une amende excédant 25 p. 100 de la solde mensuelle de base.

Si l’on suppose que les manquements d’ordre militaire, comme il est indiqué dans le projet de loi C-77, pourraient être très similaires à ces cinq infractions mineures, le projet de loi C-77 permet désormais à un officier président d’imposer une rétrogradation ou une privation de la solde et des indemnités pouvant aller jusqu’à 18 jours. Sa conclusion serait fondée sur la prépondérance des probabilités.

Ainsi, si les manquements d’ordre militaire étaient identiques ou similaires aux infractions mineures d’ordre militaire, un accusé pourrait se voir infliger une peine plus sévère reposant sur un seuil de déclaration de culpabilité inférieur, sans avoir la possibilité de choisir d’être jugé par une cour martiale. Le projet de loi C-77 prive l’accusé des protections dont il dispose actuellement.

Sur la période de 10 ans allant de 2008-2009 à 2017-2018, environ 70 p. 100 des procès par voie sommaire ont eu lieu sans offre ni choix de cour martiale. Au cours de cette même période de 10 ans, les 5 infractions mineures et la désobéissance à un ordre légitime ont représenté environ 94 p. 100 des chefs d’accusation jugés par procès par voie sommaire.

La peine, en ce qui concerne celles les plus souvent infligées, était une amende, dans environ 60 p. 100 des cas, ou la consigne aux quartiers, dans environ 24 p. 100 des cas. La détention n’était imposée que dans 2 p. 100 des cas, et une rétrogradation, dans moins de 1 p. 100 des cas.

Compte tenu de ces statistiques, pourquoi faut-il créer de nouvelles infractions punissables par procédure sommaire et un nouveau processus disciplinaire visant à aider le commandant à appliquer la discipline au sein de son unité?

Une personne reconnue coupable d’une infraction d’ordre purement militaire peut avoir un casier judiciaire. Les conséquences d’un casier judiciaire sont importantes. Souhaitons-nous réellement imposer à un ancien combattant un casier judiciaire lorsqu’il a commis un manquement d’ordre militaire qui n’a peut-être pas d’équivalent dans notre système de justice pénale ou dans la société canadienne?

Une étude approfondie et exhaustive du système de justice militaire canadien est absolument nécessaire. Tout débat sur le sujet de la discipline et de la justice militaire doit commencer par une compréhension de base du caractère unique des Forces armées canadiennes et de leur rôle particulier dans la société canadienne.

La justice militaire n’est qu’un aspect de la discipline. Elle constitue en fait le dernier recours lorsque tous les autres aspects de la discipline ont échoué. Le système de justice militaire n’est pas synonyme de discipline militaire. Toute réforme majeure du système de justice militaire doit faire l’objet d’un débat public. Un comité parlementaire pourrait écouter les citoyens, les universitaires, les avocats et les membres des Forces armées canadiennes. Il disposerait de l’indépendance et des ressources nécessaires pour procéder à un examen approfondi et à la création d’un système moderne de justice militaire qui permettra de trouver un équilibre efficace entre les besoins en matière de discipline et les droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés.

La présidente : Nous passons maintenant aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités. Mes questions s’adressent à M. Leuprecht.

Monsieur Leuprecht, plusieurs victimes sont des femmes et elles peuvent intégrer les Forces armées canadiennes à l’âge de 16 ans. Est-ce qu’une victime de cet âge possède les connaissances et l’expérience qui font en sorte qu’elle peut demander elle-même les services d’un agent de liaison?

Est-ce qu’un agent de liaison devrait être disponible pour la victime? Les services d’un agent de liaison devraient-ils être disponibles à sa demande?

M. Leuprecht : Avec votre permission, je vais répondre en anglais, afin d’être plus précis dans ma réponse.

[Traduction]

C’est quelque chose, bien sûr, en tant que professeur et avec mes étudiants, que nous vivons réellement. Comme nous le savons, les adolescents ne sont généralement pas très conscients de leurs droits, devoirs et privilèges. Surtout dans un environnement hiérarchique, associé à une culture institutionnelle profonde et hermétique, il peut être tentant de retenir ou de ne pas communiquer volontairement certains types de renseignements pouvant être profitables pour la victime ou l’accusé.

Toute disposition offrant une visibilité maximale, en particulier pour les personnes de l’âge que vous avez mentionné, contribuera dans une large mesure à garantir que les personnes disposent des renseignements complets sur les options à leur disposition ainsi que sur les conséquences de ces options.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Leuprecht, pourriez-vous nous parler de la dynamique des pressions que la chaîne de commandement a tendance à exercer? Est-ce que les agents de liaison pour les victimes, qui seraient nommés par la chaîne de commandement, ne risquent pas d’être sous l’influence du commandant, qui déciderait de l’identité de l’agent de la victime?

M. Leuprecht : Je crois qu’il y a un véritable effort de la part de chaîne de commandement pour faire de son mieux afin de traiter la victime avec le plus grand respect possible. On parle malgré tout d’une profession et d’une institution où on a l’habitude de placer la culture institutionnelle et la cohésion avant l’individu, peu importe s’il s’agit de la victime ou de l’accusé. Donc, le risque que vous mentionnez existe toujours relativement à la culture institutionnelle et à l’importance de la cohésion. De la même façon, un risque existe en ce qui a trait à la situation actuelle dans certains cas, par exemple en ce qui concerne le harcèlement sexuel, pour lequel on met peut-être un peu trop l’accent sur la victime au détriment des conséquences pour l’accusé. Donc, on devrait peut-être viser un meilleur équilibre pour assurer une justice équitable dans le contexte que vous abordez.

Le sénateur Dagenais : Dois-je comprendre que, malgré toute la bonne volonté qui existe, l’institution sera toujours considérée avant les victimes?

M. Leuprecht : Je crois que la chaîne de commandement peut se trouver actuellement dans des circonstances difficiles pour ce qui est de trouver un équilibre entre les individus et la cohésion institutionnelle. Il y a certainement des individus pour qui la carrière ou la loyauté à l’institution passent avant les personnes qui servent l’institution, aussi je crois que le risque que vous évoquez existe, malgré les meilleures intentions de la majorité des membres de la chaîne de commandement.

Ce risque dont vous faites mention, qui suppose de privilégier l’institution et la cohésion, existe certainement chez certains officiers. Selon mon observation personnelle, ce type de pression apparaît de temps en temps, et tout un chacun ne fait pas forcément preuve tout naturellement du jugement le plus équitable qui soit en ce qui a trait à cet équilibre.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, rappelons simplement que nous avons six sénateurs et que nous disposons de 25 minutes. Je vous demande de poser des questions succinctes, et j’invite les témoins à répondre de la même manière.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, de vos présentations. Monsieur Perron, dans la documentation que vous nous avez fournie, vous faites référence au modèle australien. Comment le Canada se situe-t-il comparativement à d’autres pays comme le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, en ce qui concerne la reconnaissance des droits des victimes d’une infraction d’ordre militaire?

Lcol Perron : Je ne peux pas vraiment vous répondre. Je n’ai pas vraiment étudié l’aspect des droits des victimes.

Le sénateur McIntyre : Pouvez-vous nous parler brièvement du modèle australien?

Lcol Perron : En Australie, il y a un système de justice militaire similaire au système canadien en ce qu’il présente l’équivalent de nos procès par voie sommaire par des cours martiales. Ce que les Australiens ont fait, c’est qu’ils ont également instauré dans leur législation un processus que l’on pourrait qualifier d’administratif, par lequel la loi indique clairement quelles infractions sont ciblées et quelles peines peuvent être infligées. On vise les infractions très mineures, car les peines sont relativement légères comparativement aux peines infligées dans des procès par voie sommaire.

Il s’agit d’un système où on a légiféré; tout est dans la loi, pas dans les règlements. La question est légiférée par le Parlement, afin de donner la possibilité d’adopter un système disciplinaire plus léger, plus rapide, qui n’a pas de conséquences pénales du point de vue d’un dossier criminel ou d’un dossier dans le système militaire. Les Britanniques ont aussi un système administratif qui est différent, mais qui vise un processus et un but similaires.

Le sénateur McIntyre : Je comprends que, d’après vous, le projet de loi C-77 ne va pas assez loin dans la réforme des procès par voie sommaire. Alors, comment expliquer l’élimination des procès par voie sommaire et leur remplacement par des audiences sommaires dans le cas de manquements d’ordre militaire mineurs?

[Traduction]

Autrement dit, quelle est la raison du remplacement proposé des procès par voie sommaire par des audiences sommaires?

Lcol Perron : Lorsque le projet de loi a été présenté à la Chambre des communes, j’ai entendu dire que c’était pour donner à la chaîne de commandement, aux commandants, un moyen plus rapide et meilleur de traiter les problèmes de discipline au sein de leurs unités.

[Français]

Cela dit, je ne comprends pas où est le problème. Les statistiques que j’ai prises dans les rapports annuels du juge-avocat général nous indiquent clairement que les infractions mineures sont principalement traitées au sein des unités. Si vous regardez les statistiques, ce sont les officiers qui sont au grade de major, soit le niveau le plus bas dans notre système de discipline militaire, qui ont jugé environ 80 p. 100 des cas au sein de l’unité, et ils ont prononcé des peines relativement mineures; on parle d’amendes et de consigne au quartier, et non de détention, selon les pourcentages. Personnellement, je ne comprends pas le besoin de changer le système. Deuxièmement, changer le système avec ce qu’on nous propose dans le projet de loi C-77 réduit le seuil de culpabilité à une prépondérance de la preuve, tout en gardant les mêmes peines que celles que l’on avait dans un système qui était, au-delà d’un certain niveau, un système pénal. Je ne comprends absolument pas. Pour moi, c’est tout à fait injuste envers nos soldats.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Lieutenant-colonel Fowler, brièvement, voulez-vous commenter?

Lcol Fowler : Je vais être franc, sénateur. Le nouveau système facilitera la condamnation des personnes pour des manquements. Nous voyons déjà que la chaîne de commandement, lorsqu’elle est amenée à prendre des décisions selon la prépondérance des probabilités, interprète cette possibilité non pas comme un mécanisme probant qui comporte une preuve claire et persuasive, mais comme une formule qui lui offre la souplesse nécessaire pour conclure que la personne est coupable parce que la chaîne de commandement n’a pas à fournir une preuve hors de tout doute raisonnable.

Mesdames et messieurs, j’estime que l’objectif du projet de loi est de faciliter la condamnation des personnes en raison de l’exigence troublante relative au fardeau de la preuve au criminel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. La semaine dernière, les forces armées ont rendu public un rapport sur la victimisation dans ses rangs. La situation ne s’améliore pas du tout; à certains égards, elle a même régressé. J’étais avec des militaires en fin de semaine et je leur ai demandé si la Charte allait avoir un impact sur le nombre de victimes dans le système militaire. Ils m’ont répondu que non à l’unanimité.

Je vais discuter avec le ministre cet après-midi, parce qu’il y a des éléments dans ce projet de loi qui m’apparaissent relativement faibles.

Monsieur Leuprecht, en ce qui concerne la nomination des agents de liaison qui seront, pour les victimes, au centre de leurs rapports avec les forces armées lorsque ces victimes seront prêtes à dénoncer, il y a deux éléments qui m’interpellent. D’abord, la nomination des agents et l’obligation pour les victimes de travailler avec un agent de liaison. Est-ce que le processus de nomination des agents de liaison vous apparaît assez indépendant, afin que la chaîne de commandement n’ait pas une influence quant à ce choix et en ce qui a trait au travail professionnel qui sera fait ensuite? Deuxièmement, le lien entre les victimes et l’agent de liaison vous paraît-il assez indépendant, afin que la victime se sente à l’aise de traiter obligatoirement avec un agent de liaison si elle veut dénoncer plutôt qu’avec une personne qui n’appartient pas aux forces armées? J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

[Traduction]

M. Leuprecht : Les processus de compromis liés aux procédures, à l’administration et aux coûts reposent sur de bonnes intentions, mais il y a des conséquences s’ils sont mal appliqués ou que des victimes se retrouvent dans une situation où elles auraient peut-être préféré ne pas se retrouver si on les avait mieux conseillées.

Vous avez relevé deux problèmes.

La présidente : Je suis désolée de vous interrompre. Toutes mes excuses. Il y a un sifflement de votre côté; nous allons devoir interrompre la connexion et essayer d’améliorer le son pour mieux vous entendre.

Je demande aux sénateurs de poser des questions aux deux autres témoins pour l’instant.

Le sénateur Pratte : Vous avez critiqué le processus d’audience sommaire proposé. Certains témoins que nous avons entendus se sont montrés très critiques à l’égard des procès sommaires. Je pense, par exemple, à Joshua Juneau, qui travaille avec Michel Drapeau. Il a affirmé que, à l’heure actuelle, les membres des Forces canadiennes qui subissent un procès sommaire peuvent perdre leur liberté et avoir un casier judiciaire sans possibilité de se faire représenter par un avocat, sans règle habituelle du ouï-dire et sans transcription des audiences.

N’est-ce pas un problème avec les procès sommaires actuels? Si on modifiait quelque peu les audiences sommaires, ne seraient-elles pas un moyen de résoudre ces problèmes?

Lcol Fowler : Je reconnais que les procès sommaires ne prévoient pas ces mesures de protection. Comme je l’ai mentionné plus tôt pendant mon exposé, un soldat ou un membre des Forces canadiennes accusé d’une infraction au Code de discipline militaire peut opter pour un procès devant la cour martiale, sauf dans cinq cas auxquels il faut remédier.

Il n’est pas interdit de retenir les services d’un avocat. En fait, j’ai régulièrement des clients qui sollicitent mes services pour des questions de procès sommaire. Je reconnais que le procès sommaire ne prévoit pas toutes les mesures de protection d’un processus pénal. Comme je l’ai dit auparavant, ce qui constitue la planche de salut, c’est la possibilité pour le membre de choisir un procès devant la cour martiale. Dans un système sommaire, vous ne disposerez jamais de toutes les mesures de protection qu’aurait un juge.

Lorsque mon collègue le lieutenant-colonel Perron était juge militaire, il était constitutionnellement indépendant. Vous n’obtiendrez pas ces mesures et vous ne les obtiendrez certainement pas avec le processus d’audience sommaire. Le fardeau de la preuve est moins lourd, dans ce qui demeure un système pénal et punitif.

La meilleure protection en ce qui a trait au système de procès sommaire, c’est le droit d’opter pour la cour martiale. Comme mon collègue l’a déjà souligné, nombre des infractions reprochées sont celles pour lesquelles on ne peut opter pour un procès en cour martiale. Je pense que c’est ce qu’on devrait corriger.

[Français]

Lcol Perron : La réponse à votre question prend plus de 15 ou 20 minutes. Cependant, il faut commencer avec un bon point de départ, qui est le suivant : qui sont les Forces armées canadiennes et de quels outils ont-elles besoin pour accomplir cette tâche pour la population canadienne?

Lorsqu’on parle de discipline et de justice militaires, notre système de justice militaire comporte des procès par voie sommaire et des cours martiales. Nous devons comprendre pourquoi il y a des procès par voie sommaire. Dans un contexte purement civil, ici à Ottawa, au palais de justice, cela n’a aucun sens, mais le procès par voie sommaire existe en Afrique et dans le cas de toute opération où nous devons nous assurer que la chaîne de commandement dispose de tous les outils nécessaires pour maintenir la discipline, puisque celle-ci est un élément clé du succès de nos opérations. C’est là où se situe le début de la conversation; il ne suffit pas de dire que le système actuel ne fonctionne pas, parce que ce n’est pas comme pour un procès au civil. Il faut vraiment comprendre le contexte pour discuter de la situation.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Monsieur Fowler, vous avez dit durant votre exposé que la chaîne de commandement utilisait déjà des processus administratifs et des sanctions administratives plutôt que le système de justice militaire pour « punir » les membres des forces.

Je ne suis pas certain de bien comprendre. Pourriez-vous nous en dire davantage? Est-ce une sorte de processus parallèle? Est-ce de cela que vous parlez?

Lcol Fowler : Oui, essentiellement. Vous pourriez peut-être regarder les statistiques qui ont été recueillies dans le cadre de l’opération Honour. Aucune leçon n’a été tirée de cette opération, mais il existe certaines statistiques. Le nombre de décisions administratives, comme les libérations obligatoires pour motif de punition, dépasse largement le nombre de procédures au titre du Code de discipline militaire entamées pour des infractions liées à l’opération Honour. Ces renseignements viennent des statistiques du chef d’état-major de la Défense.

Durant les premières années de l’opération Honour, les décisions administratives importantes étaient environ cinq fois plus nombreuses en ce qui a trait au counseling, à la probation et à la libération obligatoire, par rapport au nombre total d’infractions jugées par procès sommaire et en cour martiale. En vertu de ces processus administratifs, le fardeau de la preuve était la prépondérance des probabilités. On propose la même chose pour les audiences sommaires.

D’après mon expérience de militaire et, maintenant, de représentant des membres des Forces canadiennes, la façon dont le fardeau est imposé à la chaîne de commandement est grossièrement déficiente. Je vais vous donner un très court exemple.

Lorsque des décisions sont prises par le directeur de l’Administration des carrières militaires pour la libération obligatoire, elles sont souvent prises en fonction non pas d’un rapport complet de la police militaire, mais d’un résumé de cinq pages qui est grandement caviardé; les noms des témoins sont notamment caviardés. Cela est considéré comme une preuve, même si le rapport de police militaire comprend en fait les déclarations des personnes. Ce document est utilisé pour justifier la libération obligatoire dans un processus où il n’est pas possible de présenter une défense pleine et entière.

C’est à cela que nous pouvons nous attendre avec le processus d’audience sommaire.

Le sénateur Gold : Monsieur Leuprecht, nombre des points intéressants et précieux que vous avez soulevés dépassaient quelque peu la portée du projet de loi C-77, mais il ne fait aucun doute qu’ils pourront être utiles à notre réflexion.

Mes questions s’adressent principalement à M. Perron et M. Fowler. Comme vous le savez, nous avons reçu des témoins qui ont expliqué avec passion pourquoi le fait de remplacer les procès sommaires par des audiences sommaires serait un pas dans la bonne direction. Mon collègue les a cités, donc je ne le ferai pas.

Je sais que vous n’êtes pas d’accord, mais les témoins ont également souligné que le projet de loi en soi dit qu’il ne s’agit pas de procédures pénales, qu’aucun casier judiciaire n’est créé et que les sanctions prévues seront moins sévères qu’actuellement pour les infractions d’ordre militaire jugées au titre du processus de procès sommaire. En fait, 90 p. 100 des infractions d’ordre militaire sont jugées par procès sommaire, et seulement 10 p. 100 par les cours martiales.

Je comprends que vous êtes d’avis que le projet de loi ne devrait pas être adopté, du moins pas avec les dispositions législatives en matière de procès sommaire ou d’audience sommaire en place; toutefois, il pourrait très bien être adopté. Il comprend la Charte des droits des victimes ou la déclaration des droits, qui est morte au Feuilleton lors de la dernière législature et que certains considèrent comme un pas dans la bonne direction.

Si le projet de loi est adopté, vous pourriez peut-être nous aider à comprendre quelles améliorations pourraient être apportées selon vous dans le cadre du processus de réglementation, car, comme vous l’avez souligné, beaucoup de choses seront décidées par règlement, notamment la définition des infractions considérées comme des infractions mineures et la portée des sanctions.

Nous demanderons à des avocats spécialisés en droit militaire qui connaissent bien la Charte d’examiner attentivement la question et d’assurer la conformité du régime avec la Charte. Quels conseils leur donneriez-vous pour faire en sorte que les procédures, à supposer que le projet de loi soit adopté, soient équitables dans le cadre du processus d’audience sommaire?

[Français]

Lcol Perron : Les peines sont pratiquement les mêmes que celles ce que nous avons à l’heure actuelle. On élimine la détention. Comme on le voit actuellement, il y a 2 p. 100 des causes qui mènent à la détention dans des procès par voie sommaire. La détention n’est donc pas vraiment utilisée. C’est un outil important, par contre. On augmente le montant des amendes. On ne les appelle plus des « amendes », mais j’oublie le terme en français. Pourquoi les augmente-t-on? Actuellement, une amende est calculée par rapport à la solde mensuelle. On augmente le montant des amendes parce qu’on ajoute la solde mensuelle et les allocations reçues. Donc, on augmente la sévérité de la peine en ayant recours à une amende. J’ai présidé des procès par voie sommaire et j’ai été accusé, donc j’ai subi un procès par voie sommaire lorsque j’étais officier. J’ai vécu au sein du système. C’est un système disciplinaire, oui, mais on ne peut pas comparer les Forces armées canadiennes à l'Association du Barreau canadien ou à des corps policiers. C’est totalement différent.

Je présente la consigne au quartier dans mon document; si on conserve les mêmes normes, il y aurait un potentiel de 21 jours, soit 21 jours où on est confiné sur une base et où on ne peut pas rentrer chez soi pour voir sa famille, ce qui n’est pas très différent de la détention. Pour quelqu’un qui subit un emprisonnement conditionnel et qui vit chez lui, on parle quand même de détention, il s’agit bien d’un emprisonnement selon le droit canadien. Une consigne au quartier signifie qu’on ne peut même pas aller chez soi. Il y a un débat autour de cette disposition pour déterminer si c’est une question d’ordre pénal. Mon opinion est que c’est effectivement une question d’ordre pénal, si l’on se base sur notre jurisprudence.

Le sénateur Gold : On ne sait pas maintenant jusqu’à quel point les infractions vont entraîner des sanctions administratives. Il y a des avocats qui vont travailler là-dessus au sein du système afin de créer des règlements. Avez-vous des recommandations qui feront en sorte que la consigne au quartier, et je suis d’accord pour dire —

[Traduction]

— que c’est une restriction de la liberté. Cela concerne la Charte. Recommanderiez-vous que le règlement énonce clairement que certaines sanctions ne sont pas offertes dans le cadre du processus d’audience sommaire, précisément pour des considérations relatives à la Charte ou d’autres considérations concernant l’application de la loi?

Vous direz peut-être que nous ne pouvons rien faire pour améliorer le projet de loi, mais je sollicite votre aide, car le règlement n’a pas encore été créé. Comment pouvons-nous garantir que les audiences administratives tenues à des fins disciplinaires légitimes sont équitables?

Lcol Perron : On ne peut pas les changer au moyen du règlement. C’est dans la loi.

Le sénateur Gold : La loi énonce les sanctions possibles maximales, mais le règlement établira la procédure et viendra étoffer la loi, n’est-ce pas?

Lcol Fowler : Sénateur Gold, deux éléments sont énoncés dans le projet de loi proposé : le fardeau de la preuve et l’absence de choix d’être jugé par la cour martiale. On ne peut pas corriger cet aspect au moyen du règlement. Ce sont deux des problèmes fondamentaux.

Je ne pense pas qu’on puisse les corriger, et je ne pense pas qu’on le fera. Je vais être franc. Voici ce qui se passera : si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, il pourrait y avoir des contestations fondées sur la Charte fructueuses. J’ai entendu les préoccupations des membres du comité au sujet des victimes. Le comité se fait beaucoup de souci pour les victimes, et c’est compréhensible. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, je dirais que les victimes seront déçues, car il y aura des contestations fondées sur la Charte fructueuses à l’égard du processus d’audience sommaire, et le tribunal invalidera ces dispositions.

Le sénateur Richards : On a répondu à ma question. J’étais inquiet au sujet des audiences sommaires et des procès sommaires. Ces aspects ont été abordés par le lieutenant-colonel Perron et le lieutenant-colonel Fowler; je vais donc permettre à la sénatrice McPhedran de prendre la parole.

La sénatrice McPhedran : Nous avons un document de M. Leuprecht.

M. Leuprecht : Je voulais simplement me prononcer sur les remarques du sénateur Gold. Je pense que l’aspect sociologique est important.

La présidente : Monsieur, nous éprouvons les mêmes difficultés. Pour une raison ou une autre, aussitôt que vous commencez à parler, le bruit vous enterre. Je vais devoir céder la parole à la sénatrice McPhedran. Je suis désolée.

La sénatrice McPhedran : Merci à tous les témoins. Je pense que les réponses que vous avez données au sénateur Gold répondaient également à ma question.

Je vais simplement vous demander d’être patients avec moi pendant que je confirme mon interprétation de vos réponses. Selon votre point de vue, aucune exigence minimale ne pourrait être intégrée au règlement pour combler les lacunes que vous avez relevées à l’égard du nouveau processus d’audience sommaire proposé.

Lcol Fowler : C’est juste, sénatrice.

Lcol Perron : C’est exact.

La sénatrice McPhedran : Monsieur Leuprecht, qu’avez-vous à dire?

La présidente : Nous éprouvons toujours des difficultés. Pouvez-vous nous entendre, monsieur?

M. Leuprecht : Oui.

La présidente : Avez-vous entendu la question de la sénatrice McPhedran?

M. Leuprecht : Je ne l’ai pas entendue. Je suis désolé. Nous n’étions pas connectés.

La sénatrice McPhedran : J’ai demandé qu’on me confirme si j’avais bien compris les préoccupations générales concernant les nouvelles audiences sommaires. Les témoins dans ce groupe, y compris vous-même, arrivent à la conclusion qu’il n’existe pas réellement de manière de combler les lacunes touchant les audiences sommaires au moyen du règlement.

M. Leuprecht : Je ne peux me prononcer sur l’aspect juridique. Pour répondre à l’observation du sénateur Gold, vu la structure démographique des Forces armées canadiennes et la façon dont les jeunes sont surreprésentés, je tiens à souligner que ces personnes, de par leur nature, sont plus susceptibles de commettre des erreurs. Elles ont moins d’expérience de vie et manquent de jugement, que quelqu’un les conseille ou non au sujet de leur indépendance dans le contexte de la chaîne de commandement. Ces personnes sont plus manipulables et ont peut-être une plus grande influence dans le contexte d’une culture institutionnelle rigoureuse.

Les observations de mes collègues sont extrêmement importantes. Ces dispositions touchent de manière disproportionnée des gens qui comprennent peut-être moins bien les choses que les Canadiens dans leur ensemble, lesquels peuvent être plus matures et un peu plus âgés et avoir un peu plus d’expérience de vie dont ils peuvent tenir compte au moment de prendre des décisions dans les circonstances difficiles dans lesquelles ils peuvent se retrouver, que ce soit comme victimes ou comme accusés.

La présidente : Vous aurez de la difficulté, car il est enterré par le son. Les interprètes n’arrivent pas à l’entendre à l’heure actuelle. Il se trouve en fait à l’étranger. Nous sommes heureux d’avoir eu l’occasion de l’entendre lorsque c’était possible.

À tous les témoins et au nom de tous les sénateurs, permettez-moi de vous remercier d’être ici et d’avoir passé l’heure avec nous. Nous vous en sommes grandement reconnaissants. Il est important pour nous de connaître votre point de vue.

Nous avons maintenant l’honneur d’accueillir Harjit S. Sajjan, C.P., député, ministre de la Défense nationale. Le ministre est accompagné du commodore Geneviève Bernatchez, juge-avocate générale; du lieutenant-général Charles Lamarre, commandant du Commandement du personnel militaire; du commodore Rebecca Patterson, directrice générale, Équipe d’intervention stratégique des Forces armées canadiennes sur l’inconduite sexuelle; et de Denise Preston, directrice générale, Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, tous les quatre du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes.

Monsieur le ministre, je crois comprendre que vous êtes avec nous pour environ une heure, puis les fonctionnaires resteront pour répondre à d’autres questions. La parole est à vous.

L’honorable Harjit S. Sajjan, C.P., député, ministre de la Défense nationale : Mesdames et messieurs les sénateurs, c’est un plaisir pour moi d’être ici. Comme il a été mentionné, je suis en compagnie de la juge-avocate générale et d’autres membres de notre équipe de la Défense pour discuter du projet de loi C-77 et des changements importants que nous proposons d’apporter à la Loi sur la défense nationale. Je suis heureux que ce projet de loi ait reçu un soutien unanime lorsqu’il a été présenté à la Chambre des Communes.

Le projet de loi C-77 propose d’apporter un certain nombre de modifications à la Loi sur la défense nationale. Une mesure législative semblable a été présentée à la fin de la 41e législature, mais elle n’a pas été adoptée.

Le projet de loi de notre gouvernement, déposé pour la première fois en mai 2018, va plus loin en renforçant notre système de justice militaire et en garantissant qu’il est conforme aux valeurs de justice et d’égalité.

Notre personnel est au cœur de ces modifications. Les hommes et les femmes de nos Forces armées canadiennes font de grands sacrifices tous les jours au service de notre pays. Nous avons la responsabilité de veiller à ce que les règles qui régissent leur conduite soient transparentes, équitables et justes.

Ils méritent un système de justice militaire qui veille à ce que les victimes reçoivent du soutien, qui favorise une culture axée sur le leadership, le respect et l’honneur, qui reflète le contexte actuel et qui s’harmonise aux valeurs canadiennes ainsi qu’au système civil de justice pénale.

Une bonne partie de ce qui se trouve dans le projet de loi C-77 constitue un prolongement du travail auquel le gouvernement du Canada s’attelle déjà dans le but de mettre en place une approche de la justice axée davantage sur les victimes et de poursuivre dans la lignée du projet de loi C-65, la mesure législative fédérale contre le harcèlement au travail, qui a reçu la sanction royale en octobre dernier.

Le projet de loi vise à renforcer le processus de vérité et de réconciliation avec les Autochtones vivant au Canada, à changer la culture militaire et à faire en sorte que les Forces armées canadiennes soient un milieu de travail respectueux pour tous les Canadiens.

Le projet de loi C-77 donnera aux victimes une voix plus forte et modifiera notre Loi sur la défense nationale de quatre façons notables. Premièrement, comme c’est le cas dans le système de justice pénale civile, ce projet de loi inscrira dans la loi des droits importants pour les victimes en y ajoutant la Déclaration des droits des victimes. Cette déclaration reflète la Charte canadienne des droits des victimes, qui renforce et oriente la façon dont nous soutenons les victimes dans le système de justice pénale civile.

En termes simples, le projet de loi établit et accorde des droits aux victimes dans quatre domaines précis : le droit à l’information, le droit à la protection, le droit à la participation et le droit au dédommagement.

Afin de pouvoir profiter de ces dispositions, les victimes auront le droit de bénéficier du soutien d’un agent de liaison de la victime. Les agents de liaison de la victime travailleront conjointement avec les gestionnaires de cas du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle afin de fournir des services complets aux victimes.

Les agents de liaison de la victime pourront guider les victimes tout au long du processus. Ils seront en mesure de leur expliquer comment les accusations relatives aux infractions d’ordre militaire sont portées et comment elles sont traitées et jugées au titre du Code de discipline militaire. Ils aideront les victimes à accéder aux renseignements qu’elles ont demandés et auxquels elles ont droit. Ils demeureront aussi disponibles pour aider les victimes tout au long de leurs interactions avec le système de justice militaire.

Ces nouveaux changements donneront également aux victimes le droit à la sécurité et à la vie privée en tout temps dans le système de justice militaire ainsi que le droit de présenter une déclaration de victime et de partager leurs points de vue sur les décisions qui touchent leurs droits. En fin de compte, cette disposition fera en sorte que les victimes comprennent parfaitement chaque étape du processus et reçoivent un soutien pour s’y retrouver dans le système de justice militaire.

Deuxièmement, le projet de loi apportera un changement important qui touche la façon dont nous traitons les infractions d’ordre militaire et les manquements d’ordre militaire motivés par des préjugés ou de la haine fondés sur le sexe. Le projet de loi reprend les dispositions du Code criminel en proposant des peines plus sévères pour les infractions d’ordre militaire et des sanctions plus sévères pour les manquements d’ordre militaire motivés par des préjugés ou de la haine fondés sur l’identité ou l’expression de genre.

Nous avons la responsabilité de veiller à ce que tous les membres des Forces armées canadiennes se sentent bienvenus et acceptés. Nous savons que nous n’avons pas toujours appuyé nos membres LGBTQ2 aussi bien qu’ils le méritaient. Cette modification reflète notre engagement et aidera les forces armées à continuer de faire des progrès dans la promotion de l’inclusion.

Depuis que notre premier ministre a présenté des excuses officielles aux fonctionnaires fédéraux et aux membres de la GRC et des Forces armées canadiennes de la communauté LGBTQ2 pour les décennies de discrimination institutionnelle et de harcèlement, nous avons pris des mesures pour indemniser les personnes touchées afin de reconnaître les injustices historiques et de saluer leur résilience, leur bravoure et leur sacrifice.

Les Forces armées canadiennes appliquent une politique de tolérance zéro à l’égard de toutes les formes de discrimination. Toutes les femmes et tous les hommes qui portent l’uniforme militaire canadien, ainsi que ceux et celles qui travaillent et vivent à leur côté, doivent se sentir bienvenus et respectés en tout temps.

Troisièmement, j’aimerais mettre l’accent sur la façon dont les changements que nous proposons d’apporter au système de justice militaire permettront de tenir compte davantage de la réalité des injustices historiques subies par les peuples autochtones. Comme notre premier ministre l’a dit à maintes reprises, aucune relation n’est plus importante pour notre gouvernement et pour le Canada que celle que nous entretenons avec les peuples autochtones.

Dans le système de justice pénale civil, le Code criminel oblige les juges à accorder une attention particulière à la situation des délinquants autochtones pendant la phase de détermination de la peine de leur procès. Le projet de loi C-77 consacrerait ces mêmes principes dans le système de justice militaire. Le projet de loi étofferait le principe selon lequel, dans tous les cas, la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

Quatrièmement, ce projet de loi propose la réforme des procès sommaires. Cela renforcera la capacité des Forces armées canadiennes à maintenir un processus disciplinaire rapide, juste et efficace. Notre projet de loi prévoit l’adoption d’un processus d’audience sommaire non pénal et non criminel pour remplacer le système de procès sommaire actuel. Cela permettra de traiter efficacement les contraventions mineures au Code de discipline militaire tout en maintenant l’équité de l’ensemble du système.

Les contraventions plus sérieuses au Code de discipline militaire continueront d’être jugées par le système des cours martiales. Ces changements sont importants pour la modernisation du système de justice militaire et le maintien de sa capacité à traiter les contraventions au Code de discipline militaire.

Notre premier ministre m’a confié le mandat d’établir et de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement et de discrimination. C’est pourquoi je suis très fier d’être ici aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-77.

Le projet de loi C-77 fera en sorte que les membres des Forces armées canadiennes soient soutenus par un système de justice militaire qui évolue au même rythme que le droit canadien et que les victimes soient entendues.

Avant de conclure, j’aimerais prendre quelques instants pour parler du rapport de Statistique Canada sur l’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes qui a été publié la semaine dernière. Je suis extrêmement déçu de constater que les progrès relatifs à cette importante priorité ont été lents. Bien que les chiffres soient alarmants, je peux vous assurer que je suis déterminé à faire des Forces armées canadiennes un environnement sécuritaire pour tous ses membres. Nous n’avons aucune tolérance à l’égard de l’inconduite sexuelle, quelle qu’elle soit, dans les Forces armées canadiennes, mais les mots ne veulent pas dire grand-chose sans résultats.

Je peux vous assurer que notre approche est axée sur les résultats. Mme Preston vous parlera de son travail et de celui du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle. Je vous félicite pour le rapport que vous avez déposé récemment sur l’inconduite sexuelle dans nos forces armées. J’ai lu le rapport, et mon ministère l’examinera en profondeur pour s’assurer qu’il reçoit l’attention qu’il mérite.

Le projet de loi C-77 n’est qu’une partie de notre plan de lutte contre l’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes. En collaboration avec les membres de l’Équipe de la Défense, nous prenons également d’autres mesures. Il s’agit notamment du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, ou CIIS, qui est accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et du Programme d’examen des cas d’agression sexuelle, notre modèle ouvert et transparent d’examen des cas d’agression sexuelle qui avaient été désignés à tort comme non fondés par le passé.

Ce printemps, le CIIS commencera à fournir des services de gestion de cas aux membres des Forces armées canadiennes qui ont été victimes d’inconduite sexuelle. Par-dessus tout, l’équipe met l’accent sur le soutien aux personnes touchées par l’inconduite sexuelle. Je remercie Mme Preston, directrice du CIIS, qui est parmi nous aujourd’hui, du travail exceptionnel de son équipe.

Nous comprenons les défis auxquels nous faisons face pour éliminer l’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes, et nous savons que nous devons en faire davantage. Nous en ferons plus.

J’attends avec impatience l’examen et l’analyse complets du projet de loi C-77 par le comité. Ces modifications apportées à la Loi sur la défense nationale sont essentielles pour amplifier la voix des victimes, lesquelles doivent être entendues, et pour renforcer notre système de justice militaire.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci, monsieur le ministre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre.

Le contenu de ce projet de loi sur les droits et la protection des victimes d’infractions d’ordre militaire dans les forces armées se trouvait déjà dans le projet de loi C-71 en 2015. Je vais m’écarter un peu du sujet principal, parce que nous parlons des droits des victimes et des personnes visées par des accusations.

Si l’on considère les droits de chacun, j’aimerais que vous nous expliquiez pourquoi, puisque vous êtes ici, vous vous opposez à la réinstallation du vice-amiral Mark Norman, qui a été libéré des accusations qui avaient été portées contre lui. À moins que vous n’ayez changé d’idée depuis votre déclaration du 8 mai, où vous avez répondu à une question à ce sujet que les forces armées avaient déjà un vice-amiral en poste depuis la suspension douteuse du vice-amiral Norman. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

M. Sajjan : Merci, sénateur, de poser la question. D’abord, je tiens à préciser que, en 2015, ces changements ne se trouvaient pas dans la Loi sur la défense nationale. Les changements que nous apportons avec le projet de loi C-77 sont très importants pour nous assurer d’adopter une approche axée sur les victimes au sein du système de justice militaire semblable à celle en vigueur dans le système civil et d’accroître l’efficience du système de justice pénale en faisant en sorte que la majorité des infractions graves soient jugées dans le système des cours martiales au moyen d’un processus d’audience sommaire plutôt que d’un procès sommaire. Nous devrons nous assurer de maintenir un processus disciplinaire très rapide qui sert à traiter moins d’infractions graves. Cela nous permettra d’y arriver.

En ce qui a trait à votre question au sujet du vice-amiral Norman, comme je l’ai dit, c’est le chef d’état-major de la Défense qui procédera à sa nomination. Une décision sera prise à la suite d’une discussion. À l’heure actuelle, oui, il y a un vice-chef d’état-major de la Défense. Lorsque les discussions auront eu lieu par l’entremise du chef d’état-major de la Défense, on décidera où travaillera le vice-amiral Norman.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vais vous poser une autre question, avec la permission de la présidente. Malgré les promesses qui ont été faites au cours des quatre dernières années, on sait qu’il y a encore des représailles à l’endroit des victimes d’infractions dans les Forces armées canadiennes. Êtes-vous en mesure de nous donner des chiffres sur le nombre de cas qui ont été portés à votre attention, et quelles sont les actions que vous avez vous-même posées pour remédier à cette situation?

[Traduction]

M. Sajjan : Monsieur le sénateur, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, nous sommes extrêmement déçus par les chiffres. Je suis heureux que nous ayons enfin une idée réaliste de la situation, et nous travaillons de manière ouverte et transparente.

Des renseignements exacts nous permettent de mieux agir. Le CIIS et les changements que nous y avons apportés sont des pas dans la bonne direction. Nous nous assurons que la police militaire dispose des ressources nécessaires pour réaliser des enquêtes. C’est quelque chose que nous prenons très au sérieux. Nous faisons également en sorte que les policiers reçoivent la formation appropriée.

Lorsque nous prenons la situation dans le contexte de l’opération Honour, il se passe beaucoup de choses. À l’avenir, nous voulons prendre des mesures dynamiques à l’égard de tout ce que nous faisons, mais nous voulons nous appuyer sur des renseignements exacts. C’est l’une des raisons pour lesquelles les renseignements que nous fournit Statistique Canada nous permettent de prendre des décisions judicieuses.

Nous nous assurerons que toutes les ressources sont en place pour éliminer complètement ce type de comportement. Il reste encore beaucoup de choses à faire, mais nous voulons créer un organisme qui pourra évoluer avec le temps également.

Nous devons nous poser la question suivante : comment en sommes-nous arrivés là? Lorsque nous en aurons une meilleure idée, cela nous permettra d’éliminer ce comportement et de faire en sorte qu’il ne se reproduise jamais au sein des Forces armées canadiennes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En terminant, force est de constater que le Sénat du Canada devra étudier le projet de loi C-77 à toute vitesse et dans un contexte de fin de session, alors que ce travail devrait être effectué méticuleusement; n’êtes-vous pas d’accord avec moi?

[Traduction]

M. Sajjan : Monsieur le sénateur, le projet de loi C-77 n’est pas la solution à l’ensemble du problème auquel nous faisons face. Je vous remercie tous d’aborder cette étude avec autant de passion. Peu importe l’appartenance politique, nous sommes tous d’accord pour dire que nous voulons nous assurer que les Forces armées canadiennes offrent à tous un environnement approprié et propice à la réussite.

Le projet de loi permet en partie d’assurer une plus grande efficience et de soutenir les victimes. Le problème de l’inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes est un problème beaucoup plus large, comme en témoignent votre rapport et les recommandations connexes. Il faut examiner le problème de manière beaucoup plus approfondie. Le travail doit se poursuivre, et je suis résolu à y prendre part.

J’ai déjà donné comme instruction à mon ministère de prendre des mesures pour offrir des conseils judicieux et travailler avec chacun de vous, comme nous le faisons avec d’autres parlementaires.

Le projet de loi C-77 n’est pas la solution à l’ensemble du problème. Il représente une partie de ce qu’on peut faire. Nous devons offrir un meilleur soutien aux victimes. Nous devons inscrire ce soutien dans la loi. Nous devons nous assurer que le processus disciplinaire se déroule beaucoup plus rapidement au sein des Forces armées canadiennes, d’où les changements touchant le système de procès sommaire.

Vous devez poursuivre votre travail, mais le projet de loi C-77 aborde une petite portion du vaste problème que nous devons régler.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie, monsieur le ministre, vous et vos collaborateurs, d’être des nôtres aujourd’hui. Merci de votre dévouement à tenter de trouver un moyen de donner des droits aux victimes pour accroître l’équité générale du processus.

Je suis réellement perplexe. Je suis déconcertée par la nouvelle section 1.1 sur la Déclaration des droits des victimes. En ma qualité d’avocate spécialisée en droits de la personne, je la regarde, et j’aime bien la façon dont elle est présentée. Elle contient une disposition qui précise que le droit à l’information fait partie du cadre. D’autres dispositions portent sur le droit à la protection, à la participation et au dédommagement.

Toutefois, je suis tout à fait perplexe à la lecture de la disposition sur le droit à l’information. Convenons du fait que la connaissance, le fait de savoir, est une étape absolument essentielle à la capacité de revendiquer un droit ou de s’en prévaloir. Sans la connaissance, toutes les autres dispositions contenues dans le cadre de la section 1.1 pourraient en réalité ne rien vouloir dire si les victimes ne sont pas au courant.

Ce qui me déconcerte, c’est que seule la disposition sur le droit à l’information prévoit une restriction à l’égard de ce droit, de sorte que les articles 71.02 et 71.03 et le paragraphe 71.04(1) de cette section confèrent un droit, sur demande.

Pourriez-vous m’aider à comprendre? Il me semble qu’il ne s’agit pas réellement d’un droit s’il est ainsi restreint.

M. Sajjan : Madame la sénatrice, je veux vous assurer que nous voulons garantir que les victimes obtiendront tous les renseignements nécessaires. Il s’agit là de l’objectif du projet de loi. Pour ce qui est de la question juridique, c’est ce que nous tentons d’accomplir et d’aborder dans le libellé du projet de loi.

Commodore Geneviève Bernatchez, juge-avocate-générale, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Comme on l’a déjà déclaré, il importe de se rappeler que la Déclaration des droits des victimes vise à s’harmoniser complètement avec ce qui existe déjà dans la CCDV, la Charte canadienne des droits des victimes. Elle contient des dispositions semblables rendant certains droits conditionnels au désir des victimes de s’en prévaloir.

Comme nous l’avons indiqué, l’approche est très centrée sur les victimes et a pour but de nous faire respecter et prendre en considération les désirs des victimes. Les victimes ne veulent pas toutes être abordées proactivement par l’autorité responsable, quelle qu’elle soit. Elles ne veulent pas toutes se prévaloir de ces droits. Peut-être que Mme Preston, du CIIS, pourrait vous donner plus de détails à ce sujet. Il s’agit de son domaine d’expertise.

Certes, d’un point de vue juridique, l’inscription de cette déclaration dans la loi crée une obligation positive pour l’institution d’accorder ces droits aux victimes. Par ailleurs, elle rend l’institution et ses intervenants responsables d’accorder ces droits lorsque les victimes veulent en bénéficier.

Denise Preston, directrice générale, Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle : Je serais heureuse de répondre à la question. Il est vrai que la Charte canadienne des droits des victimes contient la même disposition prévoyant l’octroi du droit sur demande. Certes, d’après mon expérience au sein du système de justice pénale fédéral, elle a fait l’objet de contestations ou de litiges dans bien des cas.

Toutefois, le commodore Bernatchez a raison. Nous tentons d’établir un équilibre entre un certain nombre de questions impérieuses touchant la fourniture de renseignements. Le but est manifestement de les fournir le plus tôt possible et de façon continue. En même temps, nous voulons aborder ce droit d’une manière qui est centrée sur la victime et qui tient compte des traumatismes.

Parallèlement, nous voulons éviter dans la mesure du possible d’imposer à la victime le fardeau de faire les démarches et de demander cette information; nous voulons également respecter son choix, accroître son autonomie et ne fournir que les renseignements qu’elle consent à recevoir.

Nous devons établir un équilibre au chapitre de la protection des renseignements personnels et de la confidentialité également. Je peux vous donner un exemple à ce sujet. Nos données montrent qu’environ 45 p. 100 des signalements sont effectués par des tiers. Le Bureau du vérificateur général a souligné très clairement dans son rapport que de nombreuses victimes étaient contrariées par le fait que des tiers se manifestent pour signaler leur situation en leur nom parce qu’elles n’étaient pas prêtes à le faire et qu’elles ne voulaient pas être entraînées dans un processus officiel.

Le problème se poserait si des tiers se manifestaient et effectuaient le signalement dans 45 p. 100 des cas. Par exemple, si le CIIS ou l’agent de liaison de la victime abordait directement la personne pour lui dire : « J’ai entendu dire que vous étiez une victime; puis-je vous fournir des renseignements? », cela pourrait accabler et frustrer davantage les victimes ou porter encore plus atteinte à leur vie privée.

La sénatrice McPhedran : Ma prochaine question et mon prochain commentaire ne devraient aucunement être interprétés comme une remise en question de votre dévouement ou de votre bonne volonté. Toutefois, nous avons un énorme défi à relever parce qu’un très grand nombre d’éléments seront réglés à l’étape de la réglementation, et il ne semble y avoir pratiquement aucune consigne ni aucun principe directeur clairs concernant l’élaboration du règlement.

Pour répondre rapidement à l’hypothèse formulée par Mme Preston, le règlement pourrait en fait protéger les victimes et les victimes présumées de bien d’autres manières que celles qui existent déjà. Comment diable pouvons-nous inscrire dans la loi l’option de ne pas fournir des renseignements parce qu’une victime — à un moment qui est habituellement marqué par une vulnérabilité et une confusion incroyables pour de nombreuses personnes — n’en sait pas assez pour poser des questions au sujet de ce qui est possible? Pourquoi ne donne-t-on pas tous les renseignements et tout le soutien possibles pour permettre aux victimes de faire des choix éclairés au sujet de l’exercice de leurs droits?

Ma plus grande préoccupation concerne le fait que la voie d’accès vers l’octroi réel des droits, de sorte que ce ne soit pas seulement un élément théorique dans la loi, est en majeure partie bloquée, parce qu’il n’incombe aucunement aux forces armées de fournir tous les renseignements. Il incombe à la victime d’en savoir assez pour faire la demande. Ce n’est pas suffisant, à mon humble avis, que de simplement reproduire ce qui a été prévu dans la Charte canadienne des droits des victimes de 2015. Elle devrait être considérée comme le seuil, pas le plafond, aux fins de l’élaboration du projet de loi.

Monsieur le ministre, je suis très consciente du fait que vous avez employé le terme « auront le droit de ». Vous devez faire preuve d’un leadership très clair à l’égard du règlement et des principes directeurs de sorte que le règlement corrige certaines des lacunes, en particulier dans la disposition sur le droit à l’information.

M. Sajjan : En ce qui concerne le règlement, comme je l’ai dit, les paroles ne veulent pas dire grand-chose si on n’y joint pas le geste. Non seulement un leadership direct sera exercé à cet égard, mais il est entendu qu’une fois que le règlement aura été rédigé, son libellé ira dans le sens des mesures que nous voulons prendre.

Au bout du compte, ce sont les résultats qui comptent. Nous voulons nous assurer que le règlement donnera les résultats attendus.

Je peux vous assurer que les dirigeants des Forces armées canadiennes et les gens qu’on a fait intervenir ne ménageront aucune ressource pour s’assurer que les choses sont bien faites. Vous avez notre engagement à cet égard.

En ce qui concerne l’accès à l’information, des agents de liaison de la victime ont été ajoutés par l’armée. Ils ont reçu une formation adéquate pour pouvoir s’assurer que les victimes comprennent tous leurs droits et qu’elles ont pleinement accès à l’information. Si elles le souhaitent, elles peuvent obtenir cet accès. Elles n’auront pas à fouiller pour dénicher les renseignements par elles-mêmes. Les agents de liaison de la victime s’assureront qu’elles sont guidées tout au long du processus, qu’elles comprennent leurs droits et qu’elles savent ce que signifie l’accès à l’information. Elles disposeront d’une personne qui pourra les orienter tout au long de ce processus.

Je crois que cela n’existe pas dans le système de justice pénale civil. Cette mesure nous permet d’offrir plus de soutien aux victimes.

La sénatrice McPhedran : Le projet de loi risque-t-il de mourir au Feuilleton?

M. Sajjan : Je dirais que c’est une possibilité, oui. Je vous implore tous de l’adopter. Beaucoup de travail a été investi dans le projet de loi. Comme je l’ai déclaré, il ne s’agit pas de la solution au problème en entier. Il nous reste beaucoup de travail à faire. La solution ne viendra pas d’une seule personne ni d’une seule organisation. J’ai hâte de veiller à ce que mon ministère travaille avec vous tous sur beaucoup des recommandations que vous avez formulées dans votre rapport. Je collaborerai avec les parlementaires également à la Chambre des communes.

Il est extrêmement important de s’assurer que les victimes reçoivent du soutien. Le fait de garantir que nous pouvons établir un processus d’audience sommaire plus efficient permettra aux dirigeants de prendre des mesures plus importantes. Il ne s’agit là que d’une partie de la solution globale sur laquelle nous devons travailler. Je suis très fier du travail qu’a accompli l’équipe, et surtout du travail de Mme Preston et de son équipe.

Je vous implore de ne pas considérer le projet de loi comme l’ajout d’éléments qui viennent tout régler, car il nous reste beaucoup de travail à faire à cet égard. Je serai heureux de vous en dire plus à ce sujet également.

La présidente : Avant que nous passions au sénateur Pratte, le ministre sera des nôtres pour encore 25 ou 30 minutes, et ses collaborateurs resteront, alors veuillez poser vos questions en conséquence.

Le sénateur Pratte : Monsieur le ministre, avant votre arrivée, nous avons entendu le témoignage d’officiers retraités et d’un juge militaire à la retraite qui étaient extrêmement critiques à l’égard du processus d’audience sommaire proposé par le projet de loi, plus particulièrement le fait que les sanctions sont presque les mêmes que celles qui sont actuellement liées aux procès sommaires. Le fardeau de la preuve est réduit; il passe de l’absence de tout doute raisonnable à la prépondérance des probabilités. L’accusé ne peut pas choisir de comparaître devant la cour martiale. L’audience sommaire est le seul processus auquel il a accès.

Quelle est votre réponse à l’argument selon lequel les audiences sommaires privent en fait l’accusé de certains droits très importants? Pourtant, les sanctions que sont la rétrogradation et la possibilité de consignation au quartier sont presque aussi importantes que les sanctions actuellement prévues dans le cas des procès sommaires.

M. Sajjan : Avant que je laisse la juge-avocate générale intervenir pour répondre à cette question, il importe que vous sachiez que le processus relatif aux procès sommaires est actuellement organisé d’une manière qui permet à des commandants et à des personnes qui ne sont pas qualifiés pour exercer une profession judiciaire de tenir les procès. Dans le cas de ce type de fardeau, le processus en entier ralentit.

Le projet de loi C-77 permet de s’assurer que les affaires d’infractions graves sont instruites devant la cour martiale et que les infractions disciplinaires mineures sont jugées selon la nouvelle façon de faire.

Cette façon de faire allège le fardeau. Elle nous permet d’accélérer le processus. Comme nous le savons, le système de justice militaire a été établi pour une très bonne raison. Il vise à garantir que nous maintenons la discipline non seulement en temps de paix, mais aussi en temps de conflit.

Il s’agit de faire en sorte que notre processus soit bien plus efficient. Les dirigeants pourraient ainsi prendre des mesures plus importantes, et éliminer le fardeau que représentent les infractions graves en les confiant à des personnes qui sont qualifiées professionnellement pour s’en charger.

Cmdre Bernatchez : Je veux expliquer la raison d’être des audiences sommaires et préciser comment elles ont vu le jour. Année après année, le rapport annuel du juge-avocat général déposé au Parlement indiquait une diminution importante du recours au processus de procès sommaire par la chaîne de commandement.

Nous avons dû nous demander pourquoi c’était le cas. Nous avons consulté le bureau du juge-avocat général et les utilisateurs de ce processus, et nous nous sommes rendu compte qu’il était perçu comme excessivement lourd et complexe pour la chaîne de commandement. Elle était qualifiée pour l’utiliser. Elle disposait de tous les outils pour ce faire, mais ce n’était pas son outil de choix.

Nous avons écouté cette explication pour ensuite proposer et créer un système, au moyen du projet de loi, qui ne serait ni pénal ni criminel. Essentiellement, cela signifie que toutes les affaires d’infractions de type criminel seront instruites par la cour martiale, comme tout type de procès criminel se déroulant dans le système de justice pénale civil.

Comme ce système n’est ni pénal ni criminel, il est évident que nous devons adapter les types d’infractions liées au service qui seront incluses. Nous devons être conscients de l’objectif énoncé du processus d’audience sommaire et des types de sanctions qui seront permises ou possibles.

Quand nous parlons de rétrogradation, il s’agit d’une sanction qui pourrait être utilisée dans d’autres organismes professionnels, comme la GRC, dans leurs propres codes de conduite professionnelle. Ce n’est pas considéré comme pénal ou criminel. C’est très grave. Voilà pourquoi c’est en tête des sanctions qui pourraient être imposées. Nous l’avons envisagé de cette manière.

Quant à la consignation au quartier, cette mesure ne figure actuellement pas parmi les sanctions possibles. Celles qui devront être établies par règlement sont des sanctions mineures. Dans l’ordre de progression, si vous pensez que la rétrogradation compte parmi les sanctions les plus graves ou est la plus grave, quand nous arriverons aux sanctions mineures qui n’ont pas encore été établies par règlement, nous serons très conscients du fait que la nature du processus d’audience sommaire doit demeurer non pénale et non criminelle.

Le sénateur Pratte : C’est très important. Dans mon interprétation de la réglementation actuelle, la consignation au quartier est considérée comme une sanction mineure.

Cela signifie-t-il qu’elle pourrait faire partie des sanctions mineures prévues dans le nouveau règlement, ou bien avez-vous déjà décidé que ce ne sera pas le cas?

Cmdre Bernatchez : Je demanderais à tous de faire un peu de gymnastique intellectuelle et affirmerais que le processus de procès sommaire n’existera pas une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale et que ce sera inscrit dans le règlement.

Ce processus entraîne des conséquences criminelles et pénales, et c’est pourquoi certaines infractions donnent lieu au choix d’être jugé devant une cour martiale. Ce serait complètement effacé. Nous commençons un nouveau chapitre où nous mettons en place un véritable processus disciplinaire dont la nature n’est ni pénale ni criminelle.

Lieutenant-général Charles Lamarre, commandant du Commandement du personnel militaire, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Je ferais peut-être une petite déclaration au sujet de l’importance pour nous de disposer de cet outil lorsque nous menons des opérations au Canada.

J’ai fait partie d’une force opérationnelle au Canada et été le commandant d’unités déployées à l’étranger, les deux fois en Afghanistan, et, auparavant, j’ai servi en Bosnie et en Croatie. Souvent, nous rencontrions des militaires d’autres pays qui ne possédaient pas ce genre d’outil. Ils ne tenaient aucune audience sommaire, si on veut, pour trancher les petites affaires qui survenaient.

Le bien-être de la force opérationnelle et la capacité d’agir rapidement à l’égard d’événements qui ont dégénéré sont essentiels. Nous avons vu d’autres pays qui devaient faire venir des équipes par avion depuis leur territoire afin qu’elles règlent les affaires les plus mineures, pas des causes qui seraient instruites devant une cour martiale, mais des questions disciplinaires mineures.

Il est extrêmement avantageux pour nous de pouvoir régler une situation rapidement, non seulement pour l’accomplissement de la mission, mais aussi — et c’est le plus important — pour le moral de l’unité en soi. Les hommes et les femmes qui la composent s’attendent à ce que la chaîne de commandement maintienne la discipline. Il s’agit de l’une des manières dont nous pouvons le faire.

Toutes les unités qui appliquent cette discipline tendent à bien fonctionner. Nous avons prouvé à maintes reprises, au moyen des profils du moral de l’unité et des recherches que nous effectuons, que le maintien d’un bon degré de discipline contribue au moral. C’est un outil important pour nous.

M. Sajjan : Il est question d’inconduite sexuelle. Si nous voulons tenir les dirigeants responsables, nous devons leur procurer les outils nécessaires pour nous assurer qu’ils peuvent imposer des sanctions disciplinaires en cas d’infraction.

Cette façon de faire nous permet d’envoyer les affaires les plus encombrantes et difficiles devant la cour martiale. Elle permet aux dirigeants d’être plus à l’aise d’imposer des sanctions disciplinaires, au besoin.

Il est actuellement très important de veiller à ce que les commandants aient la capacité de corriger les comportements. Quand on regarde ce à quoi nous avons affaire du point de vue de l’inconduite sexuelle et d’autres problèmes auxquels nous faisons face, il faut veiller à ce que les commandants disposent des outils nécessaires. Le projet de loi nous permettra de leur procurer ces outils afin que nous puissions également tenir les dirigeants responsables.

Le sénateur McIntyre : Selon l’Association du Barreau canadien, le projet de loi C-77 est un pas dans la bonne direction pour ce qui est de protéger les droits des Canadiens. Toutefois, selon les membres de cette association, le Parlement doit entreprendre une étude complète du système de justice militaire canadien.

Pourrais-je connaître vos réflexions à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Sajjan : Nous devons examiner continuellement le système de justice militaire canadien, tout comme nous examinons nos autres lois. Les choses évoluent dans les sociétés. La technologie change. Dans l’armée, il y a des générations différentes et des recrues. Nous devons examiner continuellement notre système de justice, et nous le faisons.

Le projet de loi C-77 vise à régler un des problèmes que nous avons soulevés. Nous devons offrir un meilleur soutien aux victimes. Il s’agit là d’un aspect. Comme l’a mentionné le juge-avocat général, le processus de procès sommaire n’était pas bien utilisé. En fait, il empêchait les commandants de prendre des mesures disciplinaires et de l’utiliser aux fins voulues. Voilà ce que nous tentons de faire.

Cela ne signifie pas que c’est la seule mesure que nous envisageons. Nous procéderons également à un examen de la Loi sur la défense nationale dans deux ou trois ans. Le projet de loi nous permet d’examiner non seulement le système de justice pénale, mais aussi la totalité de beaucoup d’autres éléments également.

C’est une discussion continuelle. Nous envisageons diverses modifications, mais le projet de loi C-77 n’est pas la seule mesure que nous étudions. Nous continuerons d’envisager d’autres modifications et d’apporter des changements, au besoin. L’examen de la Loi sur la défense nationale nous donnera cette possibilité.

Le sénateur McIntyre : Comment le Canada se compare-t-il à d’autres pays, comme les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, en ce qui a trait à la reconnaissance des droits des victimes d’infractions liées au service?

M. Sajjan : Je ne ferai que vous donner mon opinion. J’ai servi avec des militaires américains. J’ai aussi rencontré beaucoup de mes homologues et travaillé en très étroite collaboration avec eux. Avant de laisser la juge-avocate générale répondre au sujet des différences entre nos systèmes, je peux vous dire que, quand nos unités sont déployées avec celles d’autres pays, surtout les États-Unis, ces unités étrangères sont toujours très complémentaires à celles que nous fournissons. Nous maintenons notre propre discipline et notre propre système. Nous maintenons une force de combat efficace.

La juge-avocate générale veut-elle donner des détails sur les diverses modifications?

Cmdre Bernatchez : En ce moment même, le système de justice militaire du Canada ne dispose pas de droits inscrits dans la loi pour les victimes. C’est de cela qu’il est question aujourd’hui dans le projet de loi C-77. Cela dit, tout l’effort déployé pour soutenir les victimes au sein des Forces armées canadiennes revêt une très grande importance.

D’un point de vue stratégique, un certain nombre d’initiatives ont été mises sur pied par la police militaire, par le directeur des poursuites militaires ou par les cours martiales dans le but de veiller à ce qu’autant de droits que possible soient accordés aux victimes à l’intérieur du système de justice militaire. Encore une fois, ces droits ne sont pas inscrits dans la loi.

Il s’agit probablement d’une question qui pourrait être posée à l’un de mes experts techniques durant la deuxième heure. Si nous faisions des droits des victimes une partie intégrante du système de justice militaire, comme il est proposé dans le projet de loi C-77, j’affirmerais que nous aurions probablement une longueur d’avance sur un grand nombre de nos alliés pour ce qui est de garantir que ces droits sont prévus par la loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. Je suis critique de ce projet de loi, comme vous le savez. Je suis d’accord avec vous pour dire que le rapport de Statistique Canada sur les crimes à caractère sexuel dans les forces armées est une tache pour le Canada. Ce n’est sans doute pas sous votre gouverne que la situation s’est améliorée. On peut dire que votre gouvernement n’a pas été des plus actifs dans le soutien aux victimes d’actes criminels depuis quatre ans. Je pense, entre autres, à l’exploitation sexuelle des mineurs. Le projet de loi C-452 a été adopté à l’unanimité en 2015. Même votre chef a voté en faveur de ce projet de loi, mais encore aujourd’hui votre gouvernement n’a rien fait pour sauver de jeunes filles de l’exploitation sexuelle.

Je voulais vous corriger. Vous dites que les victimes pourront être aidées par un agent de liaison de leur choix. Non, ce sera un agent de liaison choisi par l’armée. Les victimes n’auront pas le droit de choisir.

Ce projet de loi est incomplet. Tout d’abord, il n’y a pas de processus d’appel pour les victimes si une décision ne leur est pas favorable.

Lorsqu’on parle d’indemnisation, de protection ou de participation, c’est à la discrétion de l’armée. Vous appelez cela une déclaration des droits? Oui, c’en est une. Si vous voulez vraiment que ce soit une charte des droits des victimes dans les forces armées, changez-la de nom. Appelez-la une charte, et non une déclaration. Une déclaration, c’est ce qu’on entend faire.

Avec un projet de loi aussi incomplet, pensez-vous vraiment répondre aux besoins des victimes au sein des forces armées, et quelles sont les victimes que vous avez consultées avant d’écrire ce projet de loi?

[Traduction]

M. Sajjan : Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question ainsi que du travail que vous faites sur ce dossier.

Tous les Canadiens respectueux conviendraient du fait que nous devons faire preuve de sérieux en ce qui concerne l’exploitation sexuelle. En tant qu’ancien agent de police, je peux vous assurer que j’ai travaillé sur ce genre de dossiers. Nous prenions ces situations très au sérieux, tout comme notre gouvernement.

Pour ce qui est de l’agent de liaison de la victime, non. Ce sera le choix de la victime de demander une personne dont elle pourrait vouloir l’aide. Nous voulons nous assurer, par exemple, non seulement que leur choix est respecté, mais aussi que les agents de liaison de la victime reçoivent une formation appropriée afin de pouvoir soutenir les victimes. Dans les cas où la victime choisirait une personne qui n’aurait pas reçu la formation, nous veillerons à ce que cette personne suive la formation afin qu’elle puisse soutenir la victime.

Quand je suis devenu ministre, j’ai envoyé deux lettres à tous les parlementaires et sénateurs au sujet de l’importance de sortir la politique du secteur de la défense afin que nous puissions avoir l’apport approprié. Je suis très ouvert à ce processus depuis le début de l’établissement de notre politique de défense. Comme vous pouvez le voir dans mes notes, je n’ai pas abordé la façon dont le gouvernement précédent l’a fait mourir au Feuilleton.

Au bout du compte, je veux être en mesure de collaborer à cet égard. Nous sommes tous d’accord sur le fait que nous voulons soutenir les victimes. Nous avons travaillé en très étroite collaboration avec le comité parlementaire afin d’obtenir un appui unanime pour aller de l’avant. De fait, de bonnes questions ont été soulevées. Certaines d’entre elles ne peuvent pas être réglées au moyen du projet de loi, mais nous travaillerons là-dessus par d’autres moyens également. Voilà à quoi je m’engage.

Nous nous entendons sur le fait que nous devons soutenir les victimes à l’égard des aspects soulevés. Mon ministère et moi-même faisons preuve de bonne foi, et je continuerai de travailler avec vous tous afin de m’assurer que nous examinons l’ensemble du problème. Je voulais simplement le dire, monsieur le sénateur, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, pourquoi le projet de loi ne reconnaît-il pas le droit des victimes d’en appeler de la décision?

Cmdre Bernatchez : Comme vous le savez, dans le système de justice criminelle canadien, l’enjeu juridique est entre l’État et l’accusé. Lorsqu’une décision est rendue par un tribunal criminel au Canada, la décision d’en appeler revient à l’État, et elle est accordée automatiquement ou selon certains critères élaborés par les tribunaux d’instance supérieure, comme les cours d’appel et les cours suprêmes. Pour ce qui est du système de justice militaire, il faut bien comprendre que...

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que vous avez un discours à nous faire, mais l’article 71.24 prévoit l’absence de droit d’action en cas d’appel. La victime n’a pas ce droit. La victime n’a pas le droit à choisir qui va la représenter. Ce sont les forces armées qui vont choisir qui la représentera en cas d’absence. La victime n’a pas droit à la protection ni à l’indemnisation. Ce sont les forces armées qui en décideront comme bon leur semble. Ce ne sont pas des droits fondamentaux, où l’on reconnaît les droits de la victime. Ne trouvez-vous pas qu’il y a trop de latitude dans ce projet de loi pour les forces armées, qui leur permet de décider à la place de la victime?

Cmdre Bernatchez : Peut-être ai-je mal compris votre question. Est-ce que vous parlez d’un droit d’appel de la décision du tribunal ou d’un droit d’appel s’il y a un déni d’exercice des droits prévus?

Le sénateur Boisvenu : Je parle de la décision du tribunal.

Le projet de loi parle de droit à la protection « [...] si les forces armées », ou alors de droit au dédommagement si... Il y a toujours un « si », et on donne aux forces armées une grande latitude pour décider de l’importance de l’application du droit, alors que ce droit devrait être un droit absolu, comme dans la Charte des droits des victimes qui a été adoptée en 2015.

Cette charte donne aux forces armées beaucoup de latitude dans l’application et la reconnaissance des droits. Voilà la grande faiblesse de cette déclaration.

[Traduction]

La présidente : Monsieur le sénateur, pouvons-nous laisser le témoin répondre à la question? Allez-y.

[Français]

Cmdre Bernatchez : J’aimerais tout simplement remettre l’accent sur le fait que la Déclaration des droits des victimes, dans le système de justice militaire, est pratiquement le miroir de la Charte canadienne des droits des victimes. Rien n’est prévu qui donne plus...

Le sénateur Boisvenu : J’ai écrit cette charte, et ce n’est pas un miroir.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Boisvenu, pouvons-nous lui permettre de répondre à la question?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Qu’ils ne disent pas n’importe quoi, quand même.

Cmdre Bernatchez : Ce n’est pas une charte qui donne plus de latitude aux Forces armées canadiennes que la Charte canadienne des droits des victimes en donne aux autorités canadiennes. Il est important de bien comprendre cela. Lorsqu’on parle de l’agent de liaison pour les victimes, ce que j’aimerais expliquer, c’est qu’il s’agit d’un agent de liaison qui va expliquer la démarche qui se fait dans le système de justice militaire. Cependant, il y a tout un réseau d’information et de soutien qui sera fourni en plus aux victimes d’infractions de nature sexuelle ou d’inconduite sexuelle. C’est un travail de partenariat. Ce n’est pas quelque chose qui va se faire isolément. C’est un complément à tout ce que l’institution va mettre en place pour s’assurer que les victimes sont bien soutenues durant le processus, du dépôt de la plainte jusqu’à sa résolution. Peut-être Mme Preston pourrait-elle parler des projets qui sont envisagés pour soutenir les victimes?

[Traduction]

Mme Preston : L’une des améliorations aux services que nous sommes sur le point d’être prêts à lancer, c’est ce que nous appelons la « coordination de l’intervention et du soutien ». Essentiellement, il s’agit d’un système de gestion des cas. Du premier signalement jusqu’au moment où elle n’a plus besoin de soutien, la victime aura accès à un point de contact unique, un conseiller du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle qui l’accompagnera dans son cheminement, du début à la fin, et lui fournira le soutien dont elle aura besoin.

Si la victime souhaite être accompagnée à des rendez-vous ou devant la cour martiale, recevoir de l’aide pour remplir les documents relatifs au grief ou la déclaration de la victime ou défendre ses droits auprès de la chaîne de commandement, ou bien si elle estime que sa cause n’est pas bien gérée ou que les délais ne sont pas respectés, ce sera un point de contact constant qui suivra la victime du début à la fin.

Comme l’a affirmé le commodore Bernatchez, le titulaire de ce nouveau poste que nous établissons travaillera de façon très complémentaire avec l’agent de liaison de la victime. Les deux travailleront de concert pour ce qui est de fournir de l’information et de soutenir la victime.

Nous nous assurerons également que les agents de liaison de la victime recevront la formation appropriée qui leur permettra de faire leur travail efficacement. Il s’agit non seulement de fournir de l’information sur le système de justice militaire, mais aussi d’avoir une connaissance adéquate de ce que signifie être une victime, des soins tenant compte des traumatismes et des conséquences de la victimisation sur les gens, ainsi que d’acquérir les compétences nécessaires pour travailler auprès de personnes qui sont dans un état de vulnérabilité.

Le sénateur Richards : Dans le cadre des audiences sommaires, la présomption d’innocence est-elle toujours sacro-sainte? Il ne s’agit pas d’un procès, mais cette règle s’applique-t-elle tout de même? Le lieutenant-colonel Fowler pensait que non. Il ne l’a pas déclaré officiellement, mais il se posait des questions à ce sujet. Je me disais seulement que je poserais cette question.

M. Sajjan : Oui, absolument, c’est le cas. Je pense que certaines personnes ont peut-être parlé de leurs propres expériences. Nous devons nous assurer de mettre en place un système approprié afin que les gens soient adéquatement formés pour suivre le processus de façon plus appropriée.

C’est l’une des raisons pour lesquelles le projet de loi C-77 vise également à rendre le système plus équitable et à le simplifier et prévoit que les infractions mineures seront gérées au moyen d’une audience sommaire plutôt que devant une cour martiale. C’est tout un fardeau quand nous l’imposons aux commandants.

La réponse à votre question est oui, et c’est pourquoi le règlement sera très important au moment où nous décrirons comment gérer ces situations. La formation qui sera donnée après sera également cruciale.

La sénatrice Griffin : J’envisage de présenter deux ou trois observations pendant l’étude article par article du projet de loi. Premièrement, je recommanderais au gouvernement d’étudier la possibilité d’offrir gratuitement des conseils juridiques aux victimes, dans le système de justice militaire. La deuxième recommandation serait d’exiger que les Forces armées canadiennes s’assurent du respect des droits des victimes et rendent régulièrement des comptes à ce sujet.

Ce ne seraient pas des amendements, mais plutôt des mesures que le gouvernement devrait prendre.

M. Sajjan : Absolument. Comme je l’ai dit, ce n’est pas tout de faire des recommandations; il faut aussi pouvoir entamer des discussions afin de comprendre l’intégralité de la situation. Ainsi, nous pouvons prendre en considération tout le contexte lorsque nous réfléchissons aux modifications à apporter. Nous avons hâte de travailler avec vous là-dessus.

Mme Preston : J’ai un commentaire à faire à ce propos justement. Nous avons élaboré un projet pilote visant à fournir des conseils juridiques indépendants aux victimes, dans le système de justice militaire. Dans une très grande mesure, nous nous sommes inspirés du projet pilote qui est actuellement mis à l’essai dans trois ou quatre des provinces du Canada. Cette initiative a été lancée conjointement par le juge-avocat général et le Centre d’invention sur l’inconduite sexuelle. Heureusement, notre budget a récemment été approuvé. Nous avons obtenu les fonds nécessaires pour mettre en œuvre ce projet, et nous comptons le faire cette année. Toutefois, ce serait seulement pour des conseils juridiques, et non pour des services de représentation juridique.

Pour ce qui est de surveiller le respect des droits des victimes, je peux vous dire aussi que nous avons récemment élargi le mandat du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle. Notamment, l’une des responsabilités supplémentaires consiste à surveiller, dans l’ensemble, la mise en œuvre de l’opération Honour dans les Forces armées canadiennes.

Cela suppose, entre autres choses, de contrôler chaque cas qui nous est signalé, de recueillir des données afin de cerner les tendances systémiques, de contrôler l’efficacité des programmes et de s’assurer que les droits des victimes sont respectés, exactement comme vous l’avez dit. Ces tâches s’inscrivent directement dans le mandat de notre organisation.

Encore une fois, c’est une responsabilité supplémentaire que nous avons endossée récemment. Nous n’avons pas encore réglé tous les détails, mais, oui, nous devons faire tout cela parce que c’est notre responsabilité.

La sénatrice Griffin : Merci. C’était une réponse très satisfaisante.

Le sénateur Gold : Merci, monsieur le ministre, mesdames et messieurs. Vous avez éclairci un certain nombre de points, et avez situé le projet de loi C-77 dans le contexte des problèmes plus importants que nous tous avons la responsabilité de régler. Merci aussi de nous avoir expliqué le raisonnement sous-jacent aux audiences sommaires, la nature délicate de la question des peines, les modifications relatives à la norme de preuve et tout le reste. Tout cela nous sera utile.

Dans une grande mesure, cela sera régi par règlement. Je me demandais si vous pouviez formuler un peu plus de commentaires à ce sujet. Les sénateurs et les sénatrices le savent : le règlement est exempté de l’examen par le comité parlementaire mixte. Il en a toujours été ainsi. Pour cette raison, il est extrêmement important que vous nous fournissiez des conseils — à défaut de garanties — à propos des aspects que vous allez traiter et intégrer au règlement.

Je pense entre autres à l’agent de liaison de la victime, même s’il y a tout un éventail d’autres questions. Certains ont exprimé des préoccupations à propos de la formation pertinente. Vous en avez déjà parlé, mais j’aimerais que vous nous fournissiez plus de détails sur la façon dont le règlement pourrait prévoir concrètement la formation nécessaire dans toutes les disciplines connexes, sur les crises, les traumatismes, et tout le reste.

Certains se préoccupent aussi du fait que l’agent de liaison de la victime doit être autonome ou indépendant jusqu’à un certain point de l’unité ou de la chaîne de commandement où l’infraction aurait été commise, étant donné que ce serait très peu rassurant pour la victime d’être soutenue ouvertement par une personne en conflit d’intérêts avec la chaîne de commandement.

Va-t-on aborder ce problème dans le règlement? Où en êtes-vous dans votre réflexion sur ces questions? Avez-vous tiré des leçons de ce qui a été fait par les pays du Groupe des cinq et par nos autres alliés et comptez-vous appliquer ces leçons? Par exemple, les forces armées américaines ont créé un organisme indépendant pour la défense des droits des victimes afin d’aider les victimes.

Tout cela reflète bien nos nombreuses préoccupations. Nous sommes en quelque sorte devant une page blanche étant donné que le processus d’élaboration du règlement débute habituellement avant l’adoption du projet de loi. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous allez faire?

M. Sajjan : Beaucoup de vos questions concernent des points dont nous avons aussi discuté à l’interne. Je me suis penché personnellement sur certaines de ces questions. Concrètement, quand nous discutons des infractions qui pourraient survenir, nous demandons toujours au juge-avocat général quels changements nous pourrions faire pour donner aux Forces armées canadiennes de meilleurs outils, sur le plan juridique, afin d’obtenir des résultats à d’autres égards.

Nous avons des échanges réguliers et nous avons aussi tenu de nombreuses discussions à ce sujet. Je vais laisser la juge-avocate générale vous fournir des détails sur certaines mesures qui pourraient être prises. L’objectif final, si le projet de loi C-77 est adopté, n’est pas de rédiger le règlement. C’est de poursuivre la discussion afin de veiller à ce que le règlement donne les résultats escomptés.

Nous devons nous demander: quelles seront les répercussions? Quelle formation doit être donnée? Est-ce que les ressources sont adéquates? Au bout du compte, je veux insister sur le fait que l’objectif, c’est de prévenir les cas d’inconduite sexuelle. Nous avons ici le moyen de veiller à ce que les victimes aient accès à du soutien et à ce que les dirigeants des Forces armées canadiennes disposent des outils nécessaires pour imposer de façon efficace des sanctions disciplinaires.

Je me suis aussi posé beaucoup de ces questions à propos de l’agent de liaison de la victime. Donc, c’est important que la victime puisse choisir son agent de liaison. Ce peut être un membre de son unité ou quelqu’un de l’extérieur de son unité. C’est le choix de la victime. Si la victime choisit une personne de l’extérieur, c’est non seulement approprié, mais c’est aussi son droit.

C’est aussi pourquoi il est très important de s’assurer que la personne nommée, peu importe de qui il s’agit, suive une formation appropriée. Ainsi, on fait en sorte qu’elle soutiendra la victime. Les efforts déployés par le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle englobent cela également.

Je ne vais rien dire à propos des leçons retenues, parce que je sais que l’équipe du juge-avocat général discute davantage avec nos alliés à propos de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.

Cmdre Bernatchez : Absolument. Le système de justice militaire, tout comme le système de justice pénale et le système de justice civile, évolue constamment. Il doit faire l’objet d’une surveillance étroite par l’organe exécutif, l’organe législatif et le directeur du système de justice militaire, c’est-à-dire moi-même. Nous devons veiller à ce que le système de justice militaire se conforme aux obligations prévues dans le droit canadien, aux exigences du droit canadien et aux exigences uniques des Forces armées canadiennes.

Nous devons nous assurer que le système est toujours en conformité avec la loi et qu’il continue de répondre aux besoins. À cette fin, nous devons proposer un bon cadre législatif. Ce cadre doit préciser de façon suffisamment claire les responsabilités qui incombent à l’ensemble des personnes concernées ainsi que ce qu’on attend d’elles. Par exemple, il faut dire comment les exigences prévues dans le Code de déontologie de la GRC ou le Code de conduite de la Police provinciale de l’Ontario sont interprétées dans la réglementation, dans les politiques et dans les directives, ce qui donne une marge de manœuvre suffisante pour les adapter en fonction de l’époque.

Certaines infractions ou peines perdent de leur pertinence avec le temps, parce qu’elles ne correspondent plus à des exigences juridiques données ou à des besoins donnés de l’institution.

Cela dit, nous aurons accès à un outil important pour veiller à ce que la surveillance se poursuive au fil du temps : je parle de l’examen obligatoire de la Loi sur la défense nationale et du système de justice militaire qui est prévu à l’article 273.601 de la Loi sur la défense nationale. C’est un examen septennal. Le prochain devrait être terminé en 2021.

Nous avons écouté le vérificateur général du Canada. Nous avons écouté le Comité des comptes publics. Nous écoutons la Chambre des communes. Nous écoutons également votre comité et vos témoins qui ont comparu afin de veiller à ce que toutes les préoccupations majeures concernant le système de justice militaire seront prises en considération par l’autorité indépendante que l’on va charger de mener à bien cet examen.

Je sais que ma réponse a été longue, mais je voulais veiller à ce que vous ayez l’information. Les agents de liaison de la victime seront formés, au même titre que tous les autres intervenants du processus d’audience sommaire. Leur formation respectera les normes de formation qui seront élaborées sous la supervision du directeur du système de justice militaire, c’est-à-dire moi-même. Dans le cadre de cette formation, nous veillerons à ce que les personnes concernées comprennent leur rôle, leurs responsabilités et les comptes qu’elles doivent prendre.

Lgén Lamarre : Peut-être pourrais-je ajouter deux ou trois choses très rapidement.

Pour revenir à ce qui a été dit sur la chaîne de commandement... Certaines personnes pensent que la chaîne de commandement est corrompue, qu’elle n’a pas à cœur l’intérêt du membre. Pourtant, la chaîne de commandement défend bel et bien l’intérêt de chaque membre d’une unité, laquelle peut compter de 100 à plus de 600 personnes. La chaîne de commandement veut accomplir sa mission, mais sa priorité absolue est de s’occuper des membres, hommes ou femmes. Elle s’occupera d’eux si un incident s’est produit dans la chaîne de commandement ou dans l’unité.

En cas d’inconduite, d’agression, d’incident grave ou d’incident moins grave, la chaîne de commandement va s’assurer de prendre les mesures appropriées pour les personnes concernées. Elle imposera des sanctions disciplinaires au contrevenant et offrira de l’aide à la victime.

Je peux vous dire que la chaîne de commandement est un élément important. D’ailleurs, on propose dans le projet de loi que l’agent de liaison de la victime soit nommé par la chaîne de commandement. Comme cela se fait actuellement dans le régime actuel, si vous voulez un officier désigné, pour une autre affaire, vous avez déjà le droit de demander une personne de l’extérieur de la chaîne de commandement. C’est déjà une possibilité.

Dans la pire des situations, quand nous étions en Afghanistan et que nous devions rapatrier des membres qui avaient été gravement blessés ou qui avaient péri, nous avions des officiers désignés qui avaient été formés pour aider les familles et les membres qui rentraient au pays.

De notre point de vue, la responsabilité est la même. Nous avons des membres à aider. À cette fin, nous allons mettre en place un système pour former correctement les agents de liaison de la victime. La formation ne concernera pas uniquement les aspects juridiques. Comme Mme Preston l’a dit, les agents seront formés correctement pour s’occuper des aspects personnels. Bien sûr, ce sera seulement dans la mesure où les victimes elles-mêmes veulent de l’aide. C’est aussi un aspect important. Je veux qu’il soit très clair que la priorité de la chaîne de commandement est de s’occuper de ses membres.

Le sénateur Oh : J’ai une question complémentaire à propos des agents de liaison. L’agent de liaison est nommé par le commandant de l’accusé, n’est-ce pas?

M. Sajjan : Non, monsieur le sénateur. Je crois que nous l’avons déjà expliqué. La victime a le droit de choisir son agent de liaison. Il peut s’agir d’une personne de l’intérieur de la chaîne de commandement, ou de l’extérieur. Peu importe qui est nommé, nous offrirons à cette personne une formation appropriée afin de veiller à ce qu’elle puisse soutenir correctement la victime.

Cmdre Bernatchez : Dans le projet de loi, il est très clairement écrit « un » commandant, et non « le commandant de l’accusé » ou « le commandant de la victime ». Cela donne une marge de manœuvre; « un » commandant nomme l’agent de liaison de la victime.

De cette façon, on prend véritablement en considération l’autorité du commandant sur le membre nommé. Le commandant doit s’assurer que le membre rend des comptes, qu’il peut accomplir sa fonction sans contraintes et qu’il est formé adéquatement pour cela.

Il n’est pas prévu que l’agent de liaison de la victime doit appartenir à l’unité de la victime, à celle du contrevenant ou l’accusé. Il est écrit « un » commandant.

Le sénateur Oh : Ai-je bien compris que les agents de liaison recevront une formation?

Cmdre Bernatchez : Oui, bien sûr.

Le sénateur Oh : Ce n’est pas un poste permanent d’agent de liaison de la victime.

M. Sajjan : Si vous me permettez de l’expliquer, monsieur le sénateur, cela ressemble aux officiers désignés dont le général Lamarre vient de parler. Peu importe qui est la victime, nous voulons nous assurer qu’elle puisse choisir quelqu’un avec qui elle se sent à l’aise. Puisqu’il faut que quelqu’un, dans la chaîne de commandement, ait l’autorité de veiller à ce que cela se fasse, c’est le commandant qui nomme l’agent.

L’objectif est qu’un grand nombre de personnes suivent une formation d’agent de liaison de la victime, tout comme il y a un grand nombre de personnes qui ont suivi une formation pour être officier désigné. En Afghanistan, par exemple, cela nous a permis de veiller à ce qu’il y ait des personnes pour s’occuper des soldats tombés au combat. Si la personne qui est nommée n’a pas suivi la formation, nous nous assurons qu’elle la suive afin qu’elle puisse soutenir correctement la victime.

Est-ce que cela répond à votre question, monsieur?

Le sénateur Oh : Merci.

La présidente : Monsieur le ministre, je vais profiter de l’occasion pour vous remercier d’être venu témoigner et d’être resté beaucoup plus longtemps que prévu. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je crois que les représentants du ministère resteront pour répondre à d’autres questions. Il y en a encore quelques-unes en suspens.

M. Sajjan : Merci beaucoup du travail colossal que vous avez accompli pour préparer votre rapport. Je l’ai moi-même lu, et je compte le relire très attentivement.

Le but ultime des Forces armées canadiennes à l’égard de ses membres, hommes ou femmes, est qu’ils sachent que nous les soutenons entièrement, et c’est justement ce que démontre le travail formidable que vous faites.

La présidente : Merci, monsieur le ministre.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous accueillons maintenant le colonel Stephen Strickey, juge-avocat général adjoint, Justice militaire, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes. Nous accueillons également le lieutenant-colonel Geneviève Lortie, directrice juridique, Justice militaire - Politiques, ministère de la Défense nationale.

Merci. Bienvenue parmi nous.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse au commodore Bernatchez.

Pour dénoncer, les victimes doivent faire confiance au système en place. Je dirais qu’on propose un concept d’agent de liaison qui n’a pas fonctionné aux États-Unis, et force est de constater qu’il y a un processus où il faut deviner ce qui va se passer avec les règlements.

Pourquoi avoir choisi un modèle qui ne fonctionne pas plutôt que d’avoir recours à un avocat?

Cmdre Bernatchez : Merci de nous avoir invités pour parler du projet de loi C-77.

Pour revenir à la question qui a trait à l’agent de liaison qui sera fourni aux victimes, il est d’important de comprendre que cet agent de liaison va s’assurer que l’information qui a trait au système de justice militaire est communiquée à la victime, et qui explique le processus qui est suivi à partir du moment où les accusations sont portées jusqu’au moment où la décision est rendue.

Cette personne sera là pour accompagner la victime et donner ces informations. Par contre, elle ne travaillera pas de manière isolée. Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un agent d’information qui fait partie d’un réseau de soutien à la victime qui est beaucoup plus important au sein des Forces armées canadiennes. Bien qu’on parle, dans le projet de loi C-77, d’un agent de liaison qui se spécialise dans le processus de justice militaire, le Centre de ressources aux victimes d’inconduite sexuelle, qui est dirigé par la Dre Preston, aura davantage à offrir aux victimes. C’est peut-être un sujet que la Dre Preston pourrait aborder plus tard.

On a également parlé, durant la première heure, d’un projet qui est élaboré actuellement par l’organisation de la Dre Preston dans le but d’offrir des conseils juridiques aux victimes.

[Traduction]

Mme Preston : Comme je l’ai mentionné au cours de la première heure, nous avons lancé une initiative d’amélioration des services dans le cadre de laquelle toutes les victimes auront accès à des gestionnaires de cas ou à des coordonnateurs de soutien et d’intervention. Cette aide sera offerte, avec le consentement de la victime, du moment où la plainte est déposée jusqu’au moment où la victime n’en aura plus besoin. L’aide offerte par ces personnes sera surtout complémentaire au soutien apporté par l’agent de liaison de la victime.

En passant, le projet pilote que nous avons élaboré pour fournir des conseils juridiques indépendants aux victimes n’est pas une option exclusive. Les victimes n’ont pas à choisir entre un agent de liaison ou des conseils juridiques indépendants. Nous voulons offrir les deux. Nous voulons offrir un éventail de services aux victimes afin qu’elles puissent choisir la solution qui convient à leurs besoins.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai travaillé pendant 39 ans dans le milieu policier, à la Sûreté du Québec. Lorsqu’il y avait des victimes au sein de l’organisation, il y avait une association qui les défendait et qui leur fournissait une liste d’avocats.

Avez-vous pensé à cette solution, soit de dire, dans les cas où il y a des victimes de harcèlement sexuel : « Voici une liste d’avocats à l’externe que vous pouvez consulter et qui seront payés par les forces armées »? La victime se sentirait peut-être plus en confiance, puisqu’elle ferait affaire avec un avocat à l’externe.

Y avez-vous déjà pensé?

[Traduction]

Mme Preston : C’est exactement ce qui est prévu dans le cadre de notre projet pilote. Nous allons dresser une liste des avocats de la collectivité qui pourront offrir des conseils. Comme cela se fait dans les autres projets pilotes mis en œuvre par certaines provinces, nous allons essentiellement remettre un document de crédit aux victimes afin qu’elles puissent communiquer avec l’avocat de leur choix dans leur province ou leur territoire. Les victimes pourront choisir. Ensuite, elles enverront la facture au Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, et nous les rembourserons.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Le sondage de Statistique Canada sur les inconduites sexuelles révèle que, dans plus de la moitié des cas, tant au sein de la Force régulière que dans la Force de réserve, l’agresseur est un pair. Je remarque que le taux des agressions commises par les pairs est plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Il y a donc plus d’hommes victimes que de femmes, et cela est plus significatif dans la réserve.

Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de ces statistiques?

[Traduction]

Mme Preston : C’est vrai qu’il y a plus de victimes masculines que de victimes féminines, mais c’est parce que 85 p. 100 des membres des Forces armées canadiennes sont des hommes. Même si le taux est inférieur chez les hommes, le nombre total de victimes masculines dans les Forces canadiennes est supérieur au nombre de victimes féminines.

Il est donc très important pour nous d’insister sur l’expérience des victimes masculines ainsi, peut-être, que de dénoncer les mythes touchant les hommes victimes d’agressions sexuelles, d’abattre les obstacles qui les empêchent de porter plainte et d’examiner les traitements particuliers dont ils peuvent avoir besoin.

Cependant, nous ne devons pas oublier le fait que le taux d’incidents chez les victimes féminines est quatre fois plus élevé ou même, chez les réservistes, six fois plus élevé que le taux de victimes masculines. Nous ne devons pas oublier le fait que cette infraction vise principalement les femmes. Nous devons donc veiller à offrir un soutien particulier aux femmes également.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous d’être ici aujourd’hui pour répondre à vos questions.

Madame Preston, je crois savoir que le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle a été établi en 2015, dans le cadre de l’opération Honour. À ma connaissance, les activités du centre concernent exclusivement les comportements sexuels inappropriés et dommageables. Les membres qui demandent de l’aide ont le choix de rester anonymes et de recevoir des services confidentiels.

Cela dit, est-il prévu que le centre rende des comptes à la chaîne de commandement ou à la police militaire?

Mme Preston : Non. Le centre a effectivement été mis sur pied en 2015. À cette époque, notre mandat était exclusivement de fournir du soutien aux membres des Forces armées canadiennes qui avaient été victimes de ce qu’on appelait des « comportements sexuels dommageables et inappropriés », une expression provenant des Forces canadiennes.

Au fil du temps, nous avons commencé à utiliser le terme « inconduite sexuelle » dans les documents de politique. En ce qui concerne la confidentialité de nos services, vous avez raison. L’anonymat est aussi une option que nous offrons.

C’est un ajout important aux services offerts aux membres des Forces armées canadiennes; il n’y a nulle part ailleurs dans le système un endroit où ils peuvent parler à quelqu’un dans ces conditions. Tous les membres en uniforme ont le devoir de signaler toute infraction.

Au centre, mes employés sont des civils. En conséquence, ils n’ont pas ce devoir de signaler une infraction lorsqu’une personne va leur parler. Il y a cependant des circonstances où ils doivent le faire, mais ce sont les mêmes circonstances qui sont prévues dans d’autres organisations, par exemple s’il y a un risque imminent d’automutilation ou de préjudice pour autrui, comme un enfant. Sur le plan juridique, il est seulement acceptable de divulguer une infraction dans ces circonstances.

Le sénateur McIntyre : En d’autres mots, la chaîne de commandement n’exerce aucune autorité sur vous ni sur le centre. Vous ne faites pas partie des Forces armées canadiennes.

Mme Preston : Non, nous ne faisons pas partie des Forces armées canadiennes. Le centre a été mis sur pied à la suite de la recommandation de l’examen de l’autorité externe dirigé par Mme Deschamps.

Sa recommandation était de mettre sur pied un centre indépendant de la chaîne de commandement. Elle n’a pas précisé qu’il devait être indépendant du ministère au grand complet. Elle a dit qu’il devait être indépendant de la chaîne de commandement, parce que, selon les témoignages ou l’information qu’elle avait recueillie, les gens éprouvaient une profonde méfiance à l’égard des Forces armées canadiennes. Il était donc très important pour elle qu’il y ait un centre indépendant ne relevant pas de la chaîne de commandement.

Notre centre est indépendant. Nous faisons partie du ministère, mais je relève directement de la sous-ministre.

Le sénateur McIntyre : J’ai remarqué que le projet de loi prévoit d’ajouter un article à la Loi sur la défense nationale afin d’offrir aux victimes d’infractions d’ordre militaire le droit à ce que leur sécurité soit prise en considération par les « autorités compétentes » du système de justice militaire.

Cependant, le projet de loi ne précise pas ce que sont les « autorités compétentes ». En outre, il n’explique pas les mesures de confidentialité qui seraient prises pour protéger l’identité de la victime.

Quelles seraient donc les autorités compétentes, et quelles mesures de confidentialité seraient offertes aux victimes dans le système de justice militaire?

Cmdre Bernatchez : Je vais demander au juge-avocat adjoint, Justice militaire, de répondre. Il pourra vous fournir des détails.

Colonel Stephen Strickey, juge-avocat général adjoint, Justice militaire, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Par « autorité compétente », on entend le grand nombre d’entités de la chaîne de commandement qui pourraient s’intéresser, pour une raison ou pour une autre, au dossier.

Pour répondre à votre question sur la façon dont nous assurons la protection des renseignements personnels de la victime, je vous renvoie aux articles 71.18 et 71.19 du projet de loi. Ils pourraient répondre à un grand nombre de vos questions à propos de la réglementation.

Un membre du comité a déjà cité cet article, disant que les ordonnances, règles ou règlements doivent être interprétés et appliqués de manière compatible avec les droits prévus par cette section.

Pour reprendre ce que le ministre a dit, la réglementation doit être conforme aux Ordonnances et règlements royaux, et il est évident que la disposition prépondérante de cette partie du projet de loi exige que les organismes de réglementation veillent à ce que le ministère ait le mandat, dans la mesure du possible, de faire en sorte que tous les droits soient pris en considération et rendus applicables dans le règlement.

Pour répondre à vos préoccupations à propos de la protection des renseignements personnels, je vous invite à consulter le paragraphe 71.19(2), qui prévoit des exceptions à certaines lois quasi constitutionnelles, y compris la Loi sur la protection des renseignements personnels. Bien sûr, pendant l’élaboration du règlement, il faut prendre en considération les droits établis dans la Déclaration canadienne des droits des victimes. Il n’y a aucune exception possible pour ces droits quasi constitutionnels qui seraient aussi prévus, par exemple, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir sur ce qui arrive lorsqu’une victime porte plainte et que, pour une raison ou pour une autre, elle n’est pas satisfaite de la décision de celui ou celle qui rend cette décision — et on ne sait pas encore qui sera le décideur.

Dans le projet de loi, on indique ce qui suit : « La violation ou la négation d’un droit conféré par la présente section ne donne pas ouverture à un droit d’action ni au droit d’être dédommagé ». Ce sont exactement les mots qui se trouvent de la Charte canadienne des droits des victimes. Est-ce que cela signifie que la victime ne pourra pas porter en appel une décision rendue relativement à ses droits dont elle n’est pas satisfaite?

Cmdre Bernatchez : Il ne faut pas confondre droit d’appel et recours. C’est ce que j’ai cru comprendre plus tôt ce matin. Le droit d’appel a une signification bien spécifique en droit criminel canadien devant les tribunaux d’instance supérieure.

La victime aura un recours si ses droits, tels qu’ils sont prévus dans la déclaration, ne sont pas respectés. Il est important de comprendre que ce mécanisme de plaintes ou de recours devra être établi. Il faudra s’inspirer de ce qui se fait dans les autres juridictions canadiennes. On verra ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné, et on l’adaptera au système de justice militaire. C’est la façon dont on procédera pour s’assurer que les victimes ont voix au chapitre si elles se rendent compte que leurs droits n’ont pas été respectés à leur satisfaction, conformément à ce qu’exige la loi.

Le colonel Strickey a peut-être quelque chose à ajouter?

Col Strickey : Le projet de loi C-77 tisse un lien étroit avec la Charte canadienne des droits des victimes.

[Traduction]

Tout cela pour dire que la juge-avocate générale a tout à fait raison en ce qui concerne le droit prévu par la loi d’interjeter appel, qui existe bien indépendamment des mécanismes internes.

Comme vous le savez très bien, la Déclaration des droits des victimes reflète dans la mesure du possible ce qui est prévu actuellement dans la Charte canadienne des droits des victimes, y compris le mécanisme de recours judiciaire relatif aux plaintes.

Le sénateur Pratte : Donc, le règlement doit-il préciser comment fonctionnera ce nouveau système?

Comme vous l’avez dit, le droit d’appel est quelque chose de très précis. Cependant, il pourrait y avoir un mécanisme de recours pour une victime qui n’est pas satisfaite de la décision prise sur sa plainte. À défaut d’un meilleur terme, appelons cela un appel.

Col Strickey : Ce pourrait être utile d’examiner ce qui est offert actuellement dans le système civil. Comme vous le savez, monsieur, la Charte canadienne des droits des victimes est en vigueur depuis un certain temps maintenant. Je veux qu’il soit clair que je suis loin d’être un expert sur les mécanismes qui existent pour régler les différends.

Cependant, d’après ce que je sais, il existe un Bureau national pour les victimes d’actes criminels qui relève du ministère de la Sécurité publique. Ainsi, les personnes assujetties aux lois fédérales qui souhaitent signaler un incident qu’ils ont vécu peuvent déposer une plainte en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, et cette plainte sera examinée. Encore une fois, je ne suis pas un expert, mais si la personne n’est pas satisfaite, je crois savoir que le dossier peut se rendre jusqu’au niveau équivalent au sous-ministre adjoint, où une décision officielle sera rendue.

Évidemment, nous allons nous inspirer des leçons tirées de l’expérience des autres organisations fédérales pour élaborer le règlement relatif à ce mécanisme. Je pense, par exemple, à la GRC et au ministère de la Sécurité publique en ce qui concerne le système correctionnel et les services frontaliers. Nous allons voir comment ces organismes ont mis en œuvre les mécanismes de traitement des plaintes, en tenant compte de la Charte canadienne des droits des victimes.

Le sénateur Pratte : Pourquoi ce système de traitement des plaintes n’est-il pas décrit dans la loi? Pourquoi va-t-on tout faire dans le règlement?

Col Strickey : Je veux présenter mes excuses au comité, parce que pendant les deux ou trois jours que nous allons passer ensemble, je vais certainement répéter la phrase : « dans la mesure du possible, la Déclaration des droits des victimes reflète la Charte canadienne des droits des victimes », car cela concerne souvent, à raison, le corpus des lois canadiennes.

J’ai souvent eu l’occasion de travailler sur des textes législatifs modifiant le Code criminel où des modifications corrélatives étaient aussi apportées à la Loi sur la défense nationale. Par exemple, lorsque le régime d’empreintes génétiques a été ajouté à la Loi sur la défense nationale, il y avait une disposition très similaire dans le système civil. Même chose pour la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels.

Par rapport au processus dont il est question ici, je ne dirais pas que le processus de traitement des plaintes prévu dans la Déclaration des droits des victimes reflète parfaitement ce qu’il y a dans la Charte canadienne des droits des victimes, mais qu’il la reflète dans la mesure du possible. Il s’écoulera un certain temps entre l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits des victimes et le moment où ce projet de loi recevra la sanction royale et où le règlement sera élaboré, alors nous pourrions vraiment en tirer des leçons pour le règlement, parce que c’est un excellent exemple.

La sénatrice McPhedran : Je ne sais pas si vous avez répondu à cette question, alors je vais la poser de nouveau.

J’ai observé que le règlement est en train de devenir une sorte de baguette magique ici. On répond à un grand nombre de nos préoccupations et de nos questions en disant : « Cela va être réglé dans le règlement. »

Il y a deux ou trois points que je veux éclaircir à propos du processus d’élaboration du règlement. Premièrement, qui sera le premier responsable de l’élaboration, du début à la fin, du règlement, si le projet de loi C-77 est adopté?

Col Strickey : C’est une excellente question. J’ai eu la chance de travailler sur un grand nombre de dossiers sur la réglementation, et ma collègue ici présente, le lieutenant-colonel Lortie, a été responsable de l’élaboration du plus grand dossier sur la réglementation entrepris depuis la refonte majeure du système de justice militaire, laquelle a découlé de l’entrée en vigueur du projet de loi C-15, en 1999. Je vais donc lui demander d’ajouter des commentaires si jamais j’oublie quelque chose.

Dans l’ensemble, comme le ministre l’a dit, c’est le gouvernement — le ministre — qui décide de l’orientation. Moi-même, bien sûr, je reçois mes directives du juge-avocat général, qui est le directeur du système de justice militaire. Ensuite, pour le reste du processus, chaque étape est un effort collaboratif.

Il y aurait des discussions avec des équipes d’avocats, y compris des rédacteurs de règlements du ministère de la Justice, afin d’examiner le grand nombre de préoccupations, de commentaires, de questions et de points qui nous sont transmis par votre comité, un comité de la Chambre des communes, les parties intéressées et la chaîne de commandement. Comme je l’ai dit, il y a aussi des consultations avec les autres ministères à propos des mécanismes de traitement des plaintes. Après, nous devrions préparer les instructions de rédaction, qui sont plus ou moins le cadre du cadre.

Nous travaillerions ensuite en très étroite collaboration avec le ministère de la Justice, dans les deux langues officielles, afin de nous assurer de saisir toutes les subtilités du système que nous voulons créer. Puis, le texte ferait l’objet d’une série d’examens menés par moi-même, par des juristes linguistiques, par le juge-avocat général et par divers experts. Bien sûr, le CIIS, le directeur des poursuites militaires et le grand prévôt seraient eux aussi consultés. Plus d’une partie aurait une voix au chapitre.

Le ministre a d’ailleurs mentionné le rapport de votre comité. Nous consulterions des rapports comme celui-là, ainsi que le rapport d’un comité de la Chambre des communes. Tous ces renseignements seraient réunis pour former un corpus que nous utiliserions pour la suite. Après, nous rédigerions le règlement, puis — nous l’espérons, vu la quantité de travail — ce règlement serait publié avant d’entrer en vigueur.

La sénatrice McPhedran : À ce sujet — et je pose la question à vous tous —, y a-t-il une raison qui justifierait que le règlement n’exige pas que le commandant informe la victime du fait qu’elle peut demander l’aide d’un agent de liaison de la victime? Il n’y a rien à l'heure actuelle dans le projet de loi.

Y a-t-il une raison pour laquelle un agent de liaison de la victime n’est pas nommé automatiquement pour fournir de l’information à la victime dès le début? Pourquoi la victime doit-elle en faire la demande?

Cmdre Bernatchez : Merci de la question. Il est important de savoir que les Forces armées canadiennes ont plusieurs façons de communiquer avec leurs membres — les membres des Forces armées canadiennes — et avec le public pour leur donner de l’information sur n’importe quel sujet : des sites web, des sites Internet, et cetera.

Pour revenir à un commentaire que Mme Preston a fait précédemment, le principal facteur, au moment de déterminer s’il serait préférable de prendre une approche proactive avec la victime plutôt qu’une approche davantage axée sur ce que la victime souhaite, c’est le souhait de certaines victimes que l’on ne communique pas avec elles. Elles ne veulent pas être approchées par une personne en uniforme, surtout si le contrevenant est ou était quelqu’un en uniforme. Cela pourrait être perçu comme une tentative d’intimidation; ce ne serait vraiment pas apprécié. Je crois que c’est ce qu’on veut éviter par-dessus tout.

C’est une des facettes de ce système qui est axé sur la victime. Comme nous l’avons dit, nous voulons nous assurer que les souhaits des victimes sont respectés.

La sénatrice McPhedran : Avant que vous n’alliez plus loin, je dois dire que vous ne répondez pas à ma question. Vous soulevez des points très importants, mais vous ne répondez pas à ma question.

Ma question portait sur la façon concrète dont l’information est communiquée. Je ne vous ai pas demandé si on envoyait quelqu’un entrer en contact avec la victime. Ce que vous avez décrit ne répond pas à ma question. Je veux savoir si le représentant des Forces armées canadiennes, le commandant, a l’obligation ou la responsabilité de fournir tous les renseignements à la victime afin de lui laisser prendre les décisions qu’elle estime justes. C’est la communication de renseignements qui m’intéresse.

À l'heure actuelle, dans l’article concernant le droit à l’information, les renseignements sont communiqués à la victime sur sa demande. Le projet de loi C-77 prévoit que la victime, qui est en train de vivre quelque chose d’extrêmement difficile, se défende elle-même et demande des renseignements généraux à propos de ce qu’elle doit faire et de la façon dont elle peut se prévaloir des droits énoncés dans les autres dispositions de la section sur les droits.

C’est illogique. Y aurait-il une façon d’indiquer dans le règlement que le commandant a la responsabilité de fournir à la victime toute l’information existante sur les options et les processus, y compris à propos de l’agent de liaison de la victime?

Cmdre Bernatchez : Je crois que c’est ainsi pour des raisons pratiques. Au sujet du commandant, il faudrait que nous puissions déterminer quel commandant dans la chaîne de commandement aurait la responsabilité de fournir l’information intégrale.

Si on voulait veiller, de façon centralisée, à ce que cela soit fait automatiquement, si c’était prévu ainsi dans le projet de loi... La victime a le droit d’être informée, ce qui veut dire que l’institution a l’obligation de fournir l’information. C’est une obligation réciproque, et je crois que c’est un des problèmes. Il faudrait préciser dans le règlement de quel commandant il s’agit.

L’autre problème, c’est que le règlement doit être en harmonie avec l’ensemble des droits prévus dans la déclaration. Je vais demander au juge-avocat général adjoint de nous expliquer le processus étape par étape. Je crois que ce sera utile.

Col Strickey : Si je ne me trompe, je crois qu’il faudrait procéder à une sorte d’étude article par article si on voulait remplacer ce qui est prévu actuellement par une obligation proactive et qui exige que le commandant informe la victime de ses droits.

La sénatrice McPhedran : Actuellement, c’est à la demande de la victime.

Col Strickey : Comme vous l’avez bien dit, nous utilisons effectivement l’expression « sur demande » dans presque toute la section sur le droit à l’information. Pour répondre à votre question, un obstacle pour votre comité serait l’effet domino qu’un changement entraînerait. Si vous modifiez quelque chose à propos de l’agent de liaison de la victime à l’article 71.16, alors vous allez probablement devoir modifier également les articles 71.02, 71.03 et 71.04, sans parler de la Charte canadienne des droits des victimes, ce qui soulèverait d’autres problèmes également.

La sénatrice McPhedran : Nous n’avons pas à modifier le code civil. Il est seulement question ici de la réglementation pour les Forces armées canadiennes.

Comme je l’ai dit au ministre, et je crois que je l’ai vu hocher la tête pour signifier son accord, ce qui est prévu pour les civils est votre minimum, pas votre maximum.

Col Strickey : Bien sûr.

La sénatrice McPhedran : Les modifications que vous apportez reflètent votre culture, mais pourquoi est-ce que le droit à l’information est le seul droit conditionnel? Tous les autres droits énumérés dans la section sur les droits ne le sont pas.

Je trouve illogique que le principal mécanisme par lequel une victime peut se prévaloir de tous ses droits ne soit pas automatique. On s’attend à ce que la victime sache d’une façon ou d’une autre ce qu’elle doit demander.

Je m’arrête ici, mais je trouve cela parfaitement incompréhensible. Selon moi, c’est une grave lacune. Ce que je voulais surtout savoir, c’est si nous pourrions régler ce problème au moyen du règlement.

La présidente : Je crois que le commodore et le lieutenant-colonel Lamarre doivent nous quitter. Je sais que nous avons pris plus de votre temps que prévu. Sentez-vous bien à l’aise de partir si vous le devez. Nous poursuivrons la séance avec les autres témoins.

Lgén Lamarre : Merci beaucoup. Nous partirons sous peu.

Cmdre Bernatchez : Madame la sénatrice, pour revenir à votre question, je ne veux pas que vous vous mépreniez quant à la réponse. Je ne dis pas que nous n’allons pas examiner cette possibilité dans le règlement. Comme nous l’avons dit, nous sommes réceptifs à toutes les préoccupations qui sont soulevées et en prenons bonne note pour la suite du processus. Plus qu’autre chose, je réfléchissais à haute voix quand j’ai dit que l’un des obstacles potentiels est qu’il faudra déterminer quel commandant serait responsable de fournir l’information.

Le général Lamarre a eu la gentillesse de me remettre une note qui dit ceci : « Comme commandant, s’il y avait une victime dans mon unité, je le ferais sans me poser de question. »

Pour être clair, je ne dis pas que nous refusons catégoriquement d’envisager cette possibilité, mais le règlement sera élaboré à la lumière de l’ensemble des commentaires et des précisions pertinentes qui ont été recueillis. Je voulais seulement vous faire part de mes réflexions à ce sujet.

La sénatrice McPhedran : Je comprends, mais je veux aussi que nous gardions à l’esprit le fait que nous vivons à l’époque des pages web; nous pouvons accéder à de l’information exhaustive d’un simple clic. Ce ne serait pas un fardeau pour le commandant, peu importe de qui il s’agit.

Cmdre Bernatchez : Je suis d’accord.

Lgén Lamarre : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter que le commandant sera habituellement le commandant de la victime, parce qu’il ou elle aura son intérêt à cœur. Quand une personne qui travaille pour vous vient vous dire : « J’ai un problème » et qu’elle présente les choses de cette façon, vous répondez : « Je vais vous aider. Trouvons une façon de régler le problème », peu importe de quoi il s’agit.

Ici, il est question d’inconduite sexuelle, un comportement dommageable et inapproprié. Dans ce contexte, la victime a accès à énormément d’information. Le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle est l’une des ressources les plus importantes; les victimes peuvent faire un premier appel et recevoir des services confidentiels. Des experts qualifiés sont prêts à prendre les appels 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 afin de donner des conseils et de nommer un agent de liaison de la victime qui défendra ses intérêts, lui fournira de l’information et s’assurera que les lignes de communication restent ouvertes. L’agent de liaison de la victime va interagir avec la chaîne de commandement, la chaîne médicale et notre aumônerie, peut-être aussi avec certaines ressources externes offertes sur toutes nos bases importantes, et avec toutes les autres ressources nécessaires auxquelles les victimes peuvent s’adresser.

L’agent aurait aussi de l’information sur une multitude de sujets. Je sais que nous avons parlé de pages web, mais les agents vont passer par-dessus tous les membres de notre effectif. Tous les commandants et toutes les chaînes de commandement voudront s’assurer que la victime a accès à toutes les ressources existantes afin d’obtenir de l’aide. Selon moi, c’est quelque chose d’important.

Je suis d’accord avec ce que vous dites. En tant que commandant, j’aimerais que nos commandants aient ce mandat. On devrait leur dire : « Savez-vous quoi? Si un signalement est fait, vous allez devoir veiller à ce que des mesures soient prises. C’est votre responsabilité. »

Pour terminer, j’ai une dernière observation : 5 300 Canadiens se sont présentés à nos centres de recrutement pour l’instruction élémentaire. Dès la première semaine d’instruction, nous leur parlons de l’opération Honour. La sensibilisation commence dès cette étape. Le sujet est abordé à deux autres occasions pendant l’instruction élémentaire, et il en est aussi question dans l’ensemble des cours pour les dirigeants.

Nous disposons de certaines méthodes pour veiller à ce que les gens aient la responsabilité de s’assurer qu’une personne qui dit être une victime obtienne de l’aide.

La sénatrice McPhedran : Tout cela nous sera très utile. Si nous voulons que la réglementation soit efficace, elle doit viser les situations où le jugement peut être faussé. C’est pour cette raison que nous avons besoin d’un règlement. Selon le libellé actuel, la responsabilité incombe à la victime, ce qui augmente énormément le risque de mauvais jugement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai quelques questions techniques, mais, au préalable, il faut bien comprendre la portée de la Charte canadienne des droits des victimes et de cette déclaration. Il faut que cette déclaration ne crée aucun espace qui laisse place à l’arbitraire, du genre « dans la mesure du possible ». La Charte canadienne des droits des victimes s’applique aux organismes fédéraux avec lesquels traitent les victimes. Quand le sénateur Pratte dit : « Oui, mais c’est la même formulation pour les deux chartes », c’est parce que, pour les victimes d’actes criminels, les premiers référents, ce sont les provinces. Donc, dans la Charte canadienne des droits des victimes, on ne pouvait pas parler des services offerts par les provinces. Une victime est informée par la province, et non par le gouvernement fédéral. Je parle des citoyens « normaux ». La victime est protégée par la province. Elle va participer au processus judiciaire parce que l’administration relève de la province. Ici, il s’agit d’une Déclaration des droits des victimes dont toute la responsabilité revient au gouvernement fédéral et aux forces armées. Il n’y a pas de deuxième instance qui a une responsabilité dans la charte. Si on incluait, par exemple, dans la déclaration « dans la mesure du possible », parce que ce sont les provinces qui fournissent les services, je serais d’accord. Toutefois, ce n’est pas le cas; cette déclaration s’applique à 100 p. 100 aux victimes des Forces armées canadiennes et la responsabilité de son application relève à 100 p. 100 des forces armées.

Ce n’est pas le cas de la Charte canadienne des droits des victimes, pour laquelle la première responsabilité d’informer, de protéger, de faire participer et de dédommager les victimes relève des provinces; ce n’est pas le gouvernement fédéral qui dédommage les victimes civiles, ce sont les provinces. Donc, le fait d’avoir une charte ou une Déclaration des droits des victimes au sein des forces armées qui comporte un langage approximatif est dangereux. Pour la victime, au-delà des Forces armées canadiennes, il n’y a plus d’autre instance de recours pour lui permettre d’être soutenue et informée et de participer. La seule instance, ce sont les forces armées. C’est pour cela qu’il faut employer un langage précis et clair, sans aucune possibilité d’interprétation, et c’est là la grande faiblesse de cette déclaration, soit l’imprécision des droits résultant de la mention « dans la mesure du possible ». Lorsqu’on dit que vous possédez un droit dans la mesure du possible, quelqu’un, quelque part, va juger de la portée de ce droit.

C’est pour cela qu’il faut bien comprendre la portée des deux chartes. On peut comparer leur formulation, mais pas leur finalité, parce qu’elles sont complètement différentes, et la responsabilité de la déclaration revient exclusivement aux forces armées.

Cela dit, avez-vous des données sur les victimes dans les forces armées qui ont porté plainte et qui ont quitté les forces armées par la suite? Cette charte doit avoir pour objectif final de retenir davantage de victimes dans les rangs des forces armées. Si, dans 10 ans, sur le nombre de victimes qui portent plainte, 90 p. 100 quittent les Forces armées canadiennes, vous aurez raté votre objectif. Il faut que la charte ait pour finalité de retenir dans les forces les victimes qui portent plainte.

J’aimerais que vous me donniez, si c’est possible, le taux de rétention actuel parmi les victimes qui portent plainte au sein des forces armées. Est-ce que ce sont 50 p. 100 qui partent après avoir porté plainte, ou 100 p. 100? Avez-vous des données à ce niveau-là? C’est ma première question.

Ma deuxième question est la suivante : pourquoi, dans cette charte ou cette déclaration — j’ai de la difficulté à choisir entre ces deux termes, et je vais d’ailleurs proposer un amendement, je vous le dis tout de suite, afin d’appeler ce document-là une charte —, n’avez-vous pas inclus de préambule? Je trouve que c’est essentiel; un préambule vient camper l’objectif de la charte pour les militaires. Pourquoi n’y a-t-il pas de préambule?

Enfin, ma troisième question est celle-ci : qui sont les groupes de victimes, ou quelles sont les victimes qui ont été consultées, surtout par rapport au droit à l’information, pour qu’elles acceptent la formulation « dans la mesure du possible »?

Ce sont mes trois questions. Merci.

[Traduction]

Cmdre Rebecca Patterson, directrice générale, Équipe d'intervention stratégique des Forces armées canadiennes sur l'inconduite sexuelle, Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Merci de vos questions. Je peux répondre à votre première question à propos des données sur les membres qui quittent les forces armées ou qui y restent après avoir vécu un incident d’inconduite sexuelle.

Nous n’avons pas de données précises à ce sujet, mais nous essayons de combler cette lacune. Tous les membres qui quittent les Forces armées canadiennes doivent remplir un questionnaire pour expliquer leurs motifs. Même si on ne demande jamais directement à ces membres s’ils ont été victimes d’inconduite sexuelle, certaines questions leur offrent la possibilité de dénoncer ce genre d’incident.

Il y a aussi des entrevues de départ avec la chaîne de commandement. C’est une autre occasion pour les membres de discuter de ces problèmes. Malgré tout, pour l’instant, nous n’avons pas de données concrètes sur les membres qui quittent les Forces canadiennes ou qui décident de rester.

[Français]

Col Strickey : Pour ce qui est de la comparaison entre les mots « charte » et « déclaration », je vais demander à ma collègue, Mme Lortie, de vous répondre.

Lieutenant-colonel Geneviève Lortie, directrice juridique, Justice militaire - Politiques, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : En ce qui a trait à votre question sur le préambule, ce qu’on doit voir relativement à la Déclaration des droits des victimes, c’est qu’elle se trouve à l’intérieur d’autres textes. Elle se trouve à l’intérieur du Code de discipline militaire, qui, lui, se trouve à l’intérieur de la Loi sur la défense nationale. Dans le cas de la Charte canadienne des droits des victimes, qui est une loi en elle-même, le préambule venait expliquer et donner le contexte pour l’ensemble des droits qui y figuraient. Dans ce cas-ci, pour ce qui est de la Loi sur la défense nationale, cette mention n’a pas été ajoutée, puisque la déclaration se trouve à l’intérieur d’autres outils. S’il y avait un préambule, ce serait un préambule à la Loi sur la défense nationale qui viendrait expliquer toute la loi elle-même.

Par contre, même si on a le mot « déclaration », et non le mot «charte », tous les droits sont les mêmes. Les droits que l’on trouve dans la Charte canadienne des droits des victimes se trouvent également dans la déclaration, même si on n’utilise pas le même mot, et cela lui donne également le même statut quasi constitutionnel. Donc, la déclaration se trouve sur le même plan que la Charte canadienne des droits des victimes en ce qui a trait au système de justice criminelle. Dans les dispositions elles-mêmes, la charte serait modifiée par le projet de loi C-77. La Charte canadienne des droits des victimes rappelle qu’il y a d’autres lois quasi constitutionnelles, comme la Loi sur l’accès à l’information ou la Loi sur la protection des renseignements personnels, et la Déclaration des droits des victimes sera ajoutée à cette liste, ce qui lui donnera également un statut quasi constitutionnel.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Merci. Ma première question a trait aux audiences sommaires. Des témoins de notre premier groupe du jour ont critiqué vertement la substitution des audiences sommaires aux procès sommaires. Lorsque nous les avons interrogés à ce sujet, ils ont présenté deux arguments principaux. Je vous demanderais de préciser si vous êtes d’accord avec eux et de réagir à leurs commentaires.

Premièrement, cette modification enlève la possibilité de porter l’affaire devant la cour martiale si c’est ce que la personne souhaite. La plupart des gens choisissent un procès sommaire, mais il arrive quelquefois que la personne choisisse la cour martiale.

Deuxièmement, on a remplacé la norme criminelle de preuve par la prépondérance des probabilités.

Ma deuxième question est plus générale; je vais vous laisser répondre à la première d’abord.

Col Strickey : Je vais d’abord m’attaquer à la deuxième question, la prépondérance des probabilités. Dans l’ensemble, le but du régime d’audience sommaire est de mettre en place un régime disciplinaire non pénal et non criminel. Le gouvernement du Canada a recours à des systèmes similaires. Par exemple, cela ressemble plus ou moins à ce qui existe à la GRC : elle a un tribunal de type administratif pour ce genre d’incidents.

Puisque nous n’imposerons pas des sanctions pénales — étant donné qu’il s’agit d’un tribunal non pénal et non criminel —, la norme appropriée est la prépondérance des probabilités.

Pour répondre à votre deuxième point à propos des personnes qui pourraient choisir d’être jugées devant une cour martiale, vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que, dans le régime de procès sommaire actuel, la très grande majorité des membres qui ont le droit de choisir décident d’être jugés par procès sommaire, même s’ils peuvent aussi choisir la cour martiale.

Par contre, la situation est différente ici. J’insiste sur le fait que nous voulons remplacer un régime disciplinaire pénal et criminel par un système non pénal et non criminel. Sur le plan juridique, il y a une distinction assez nette entre les deux, parce que les infractions concernées sont différentes, tout comme la norme de la prépondérance des probabilités et les sanctions qui peuvent être imposées sont différentes. Comme je l’ai dit, cela ressemble énormément au Code de déontologie de la GRC.

Je crois savoir que la Police provinciale de l’Ontario a adopté un processus similaire dans le cadre duquel les infractions disciplinaires peuvent être réglées de manière équitable et efficiente. Cependant, ce processus ne s’appliquerait pas aux infractions criminelles.

Donc, puisqu’il y a deux systèmes, un système non pénal et non criminel et un système criminel, il n’y a pas à choisir.

Cmdre Patterson : Peut-être pourrais-je ajouter quelque chose. Je crois que cette approche sera intéressante pour les incidents d’inconduite sexuelle en particulier, parce que nous croyons que nous devons prendre en considération tout le continuum, des mauvaises blagues jusqu’aux infractions plus graves. Cette approche nous donne des outils pour agir plus rapidement. Nous pouvons réagir en fonction de la nature de l’infraction. Pour nous, cela a de la valeur.

Le sénateur Gold : À notre connaissance, le projet de loi C-77 prévoit toujours que toutes les infractions d’ordre militaire, selon les arrêts Beaudry et Stillman, y compris les infractions au Code criminel, feront l’objet d’un procès devant une cour martiale. Donc, les infractions graves commises contre une personne, que ce soient des infractions de nature sexuelle ou autre, seront jugées devant une cour martiale.

Le sénateur Pratte : À propos des audiences sommaires, vous avez dit, colonel Strickey, que les sanctions étaient différentes. Des témoins ont exprimé devant le comité leur mécontentement à propos des sanctions, y compris la rétrogradation, étant donné qu’il s’agit d’une sanction majeure qui peut avoir de très graves répercussions sur la carrière d’un officier.

Avez-vous songé à retirer la rétrogradation des sanctions qui peuvent être imposées par audience sommaire?

Col Strickey : Le comité de la Chambre des communes m’a souvent posé cette question, parce que c’est peut-être difficile à comprendre. On parle ici de procès sommaires, d’audiences sommaires, de sanctions et de châtiments, et comme vous l’avez correctement indiqué, ces notions sont parfois très proches.

Pour ce qui est de la rétrogradation, je peux dire, de façon générale, que nous avons prévu pour ce système non criminel et non pénal un examen de tous les corollaires afin de nous assurer que tout se fait en conformité avec un système non criminel et non pénal.

Aussi, à propos de la rétrogradation, je ne veux pas faire trop de comparaisons avec le Code de déontologie de la GRC, parce que les audiences sommaires représentent évidemment un mécanisme distinct. Encore une fois, vous m’excuserez, parce que je ne suis pas un expert du Code de déontologie de la GRC. Je vais souligner, cependant, que le terme « rétrogradation » est effectivement employé dans le régime disciplinaire administratif de la GRC.

Pour ce qui est de comparer les deux, faisons attention. Je ne veux pas établir une comparaison directe entre les deux, étant donné que le système de la GRC est très différent. Il comprend divers niveaux, des comités et d’autres choses, et je n’ai vraiment pas l’expertise appropriée. Cependant, si on les comparait, seulement pour l’exercice, la sanction de rétrogradation que peut imposer un tribunal administratif canadien est un exemple utile, étant donné que cela correspond à une rétrogradation dans les Forces canadiennes.

Le sénateur Gold : Ma deuxième question concerne le projet de loi en général et, en particulier, la Déclaration des droits des victimes. Je vous remercie d’avoir précisé que les titres des déclarations n’ont aucune importance sur le plan juridique. C’est quelque chose de très important que vous avez mentionné.

Qu’est-ce qui pourrait vous préoccuper, si le projet de loi C-77, pour une raison ou pour une autre, n’était pas adopté et mourrait au Feuilleton? Quelles seraient les répercussions sur votre travail et sur les victimes qui seraient, autrement, visées par ce projet de loi?

Mme Preston : À mes yeux, ce projet de loi est important parce qu’il établit un parallèle entre le système de justice militaire et le système de justice pénale canadien. On élimine ainsi l’idée qu’il existe un système à deux vitesses et que dans le système de justice militaire, pour une certaine raison, les victimes ont moins d’importance ou ont moins de droits. Il est important que les victimes soient traitées de la même manière.

Évidemment, il est aussi important d’inscrire ces droits dans la loi. C’est une chose d’inscrire ces droits dans les politiques ou dans les pratiques, et c’en est une autre de les inscrire dans la loi. Cela les renforce.

En ce qui concerne les Forces canadiennes, il y a une critique qui est souvent formulée à l’égard de la loi dans les audits ou dans les travaux des divers comités. Cela concerne le fait qu’il n’y a pas d’obligation redditionnelle et qu’il devrait y avoir une surveillance extérieure ou quelque chose du genre. Ce projet de loi aide à corriger ce problème. On hausse la barre afin que les Forces armées canadiennes soient tenues de faire respecter ces droits.

Cmdre Patterson : J’ajouterais également que, selon Statistique Canada, la confiance envers le système augmente clairement. Cependant, le niveau de confiance est beaucoup plus faible chez les personnes qui ont vécu des incidents d’inconduite sexuelle. Cela est probablement dû à la peur devant le système, à la peur des conséquences, à la peur de ne pas être écouté et à la peur que rien ne change.

Pour revenir à ce que Mme Preston a dit, l’un des aspects du projet de loi qui a le plus de valeur est le fait qu’il inscrit ces droits dans la loi. Cela vient ajouter des facteurs de protection supplémentaire. Nous pouvons dire : « Non seulement vous avez notre parole, mais vos droits sont également inscrits dans un cadre législatif. » Nous espérons que cela nous aidera à faire avancer un grand nombre de nos initiatives visant à établir des liens de confiance afin que les gens se sentent à l’aise de dénoncer un incident.

Encore une fois, pour les Forces armées canadiennes, l’une des priorités est que nous sachions ce qui se passe afin que cela cesse. Nous croyons que ce projet de loi sera un outil très précieux, parmi d’autres, que nous pouvons utiliser pour prévenir les cas d’inconduite sexuelle.

Le sénateur Gold : Nous avons beaucoup discuté de l’importance du règlement et de l’orientation qui, nous l’espérons, sera fournie. Nous espérons également que le règlement lui-même offrira un niveau adéquat de protection et de soutien à tous les intervenants des processus qui sont visés.

Madame Preston, j’aimerais en savoir davantage sur le rôle que vous jouerez. Je sais que vous êtes indépendante de la chaîne de commandement. C’est un aspect important de votre rôle institutionnel. Croyez-vous que vous devrez intervenir dans le processus réglementaire? Selon vous, les contributions de vos collègues sont-elles et seront-elles accueillies favorablement?

Mme Preston : Absolument. Je crois que le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle devrait jouer un rôle central dans l’élaboration de la réglementation. J’ai déjà eu un certain nombre de discussions avec les représentants du bureau du juge-avocat général. Je m’attends à ce qu’on m’invite de bon cœur à participer.

Je crois que ce serait une omission flagrante si je n’étais pas invitée.

La sénatrice McPhedran : Rapidement, j’ai une autre question à poser justement à ce sujet. Comment le règlement pourra-t-il vous empêcher de travailler en vase clos? Qui assure la liaison?

Mme Preston : Par « vase clos », voulez-vous dire les deux rôles dont nous avons parlé en particulier?

La sénatrice McPhedran : Oui.

Mme Preston : C’est une excellente question. Depuis que je travaille au ministère de la Défense nationale, j’ai remarqué que beaucoup de personnes travaillent en vase clos et qu’elles ne communiquent pas toujours entre elles. Quand j’ai commencé ce travail et que j’ai pris la responsabilité du portefeuille des victimes, un de mes avantages était que je parlais à tout le monde, dans les divers portefeuilles, et que j’étais au courant de tous les chevauchements et de certaines redondances. Je savais quelles mesures il fallait prendre pour être plus efficients et plus efficaces.

Mon objectif final, en ce qui a trait aux services offerts aux victimes, est que nous puissions offrir un continuum de soins exhaustifs et fluides dès le moment où la personne décide de signaler un incident. Je ne parle même pas d’une plainte officielle. Dès le moment où une personne signale un incident ou en parle à un ami ou à un collègue, je veux qu’elle puisse être aiguillée vers du soutien afin que le processus, du début à la fin, soit fluide. Je ne veux pas que la victime soit envoyée d’un fournisseur de service à un autre, que son dossier se perde dans le système ou qu’elle obtienne des renseignements contradictoires des personnes qu’elle consulte.

Voilà sur quoi je travaille depuis que j’ai commencé. Pour atteindre ce but, j’ai établi des relations très fructueuses avec tous nos partenaires, et je les ai convaincus que, si nous voulons tous offrir de meilleurs services aux victimes, nous devons travailler ensemble et adopter une approche intégrée.

Je peux vous dire que nous avons déjà convaincu bien des intervenants. Par exemple, en ce moment, nous travaillons activement avec nos partenaires à l’élaboration du système d’aiguillage de notre régime de coordination des interventions et du soutien. Nous travaillons avec la police, les procureurs, les services de santé et l’aumônerie, et il n’y a absolument aucune contestation. Ils veulent tous travailler efficacement et en collaboration afin de défendre les intérêts des victimes.

Nous avons tenu des discussions similaires avec le juge-avocat général à propos des interactions entre les rôles, étant donné que le rôle d’agent de liaison de la victime a été proposé bien avant le lancement de l’opération Honour, la création du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle et la dotation des rôles que nous sommes en train de mettre sur pied. Nous avons bien l’intention d’élaborer un processus fluide.

Donc, s’il y a de l’information particulière relative au système de justice militaire, la victime pourra l’obtenir de son agent de liaison, mais le reste — le soutien, l’information et l’accompagnement — sera offert par le CIIS.

Nous sommes l’organisme autorisé pour les victimes en général. C’est donc mon devoir de cerner les lacunes, les problèmes d’efficacité, les problèmes systémiques et, peut-être, les lacunes en matière de formation afin d’éliminer ces problèmes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie encore une fois nos témoins. J’avais posé trois questions et vous en avez oublié une, soit celle qui concerne la consultation.

Une consultation a-t-elle été organisée auprès de groupes de victimes ou de victimes directes, ou la consultation s’est-elle faite seulement au sein de la chaîne de commandement?

[Traduction]

Cmdre Patterson : Si cette question concerne le projet de loi, je vais demander au colonel Strickey d’y répondre.

[Français]

Lcol Lortie : En ce qui concerne le projet de loi, comme on l’a répété plusieurs fois, puisque l’idée était de créer un miroir de la Charte des droits des victimes, il n’y a pas eu d’autres consultations qui ont été faites. On a utilisé les consultations qui ont été menées par le ministère de la Justice pour arriver aux résultats qui ont été inclus dans la Loi sur la Charte des droits des victimes. Il n’y a pas eu d’autres consultations qui ont été faites après le dépôt des projets de loi C-71 et C-77.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que le ministère de la Justice a consulté des victimes militaires, ou faites-vous référence aux consultations qui ont eu lieu lorsque le gouvernement a adopté la Charte des droits des victimes?

Lcol Lortie : Effectivement, je fais référence aux consultations. Il n’y a pas eu de consultations précises. Je ne faisais pas spécifiquement référence aux consultations menées auprès de victimes militaires, mais bien aux victimes en général.

Le sénateur Boisvenu : Vous me dites que nous étudions un projet de loi sur une Déclaration des droits des victimes militaires, et qu’il n’y a eu aucune consultation menée auprès de victimes militaires? Est-ce que je comprends bien?

Col Strickey : Je crois que c’est exactement ce que le lieutenant-colonel Lortie a précisé. Cependant, j’aimerais ajouter que, après avoir entendu parler des consultations qui ont été faites au comité, nous avons maintenant l’occasion de traiter plus en profondeur les enjeux qui y ont été exprimés, y compris les enjeux soulevés par des groupes de victimes.

Le sénateur Boisvenu : Vous comprendrez que les consultations qui ont été faites au sujet de la Charte des droits des victimes l’ont été avant que le projet de loi soit déposé. Vous me dites qu’on va adopter un projet de loi et qu’on va consulter les victimes militaires après?

Je commence à croire que ce projet de loi a été écrit par la chaîne de commandement, sans faire aucune consultation auprès des victimes.

J’ai parlé avec des militaires, et je ne suis pas sûr que cette déclaration sera un cadeau que vous ferez aux victimes qui se sont manifestées publiquement depuis cinq ou six ans, surtout les victimes d’agression sexuelle.

[Traduction]

Col Strickey : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Ce que je peux dire, à propos des antécédents législatifs, c’est qu’à l’époque où la Charte canadienne des droits des victimes — le projet de loi C-32 — a été présentée, la loi équivalente était le projet de loi C-71. C’était en 2015. Dans la mesure du possible, comme cela est mentionné dans le résumé législatif, ce projet de loi était le miroir de la Charte canadienne des droits des victimes. Toutefois, le projet de loi C-71 est mort au Feuilleton et le projet de loi C-77 a été déposé.

Après avoir étudié le projet de loi et les quatre droits prévus pour les victimes, il est clair que, dans la mesure du possible, le projet de loi a été élaboré pour être le miroir de la Charte canadienne des droits des victimes.

La sénatrice McPhedran : Pour en revenir au règlement, j’aimerais remercier tous ceux qui m’ont aidée jeudi dernier pendant l’appel de consultation. Merci aussi de nous avoir fourni des renseignements supplémentaires aujourd’hui. Le règlement, comme je l’ai dit plus tôt, devrait s’appliquer aux cas d’erreurs de jugement, afin de prévenir ce genre de problèmes et de fournir un cadre d’action et de réflexion pour régler les problèmes de mauvais jugement.

Beaucoup de vos témoignages d’aujourd’hui me rassurent, surtout compte tenu des témoins que nous avons reçus aujourd’hui. Ce règlement ne s’appliquera pas à une seule génération. Il n’est pas adopté seulement pour la génération actuelle de dirigeants. Il doit servir ceux qui viendront après ainsi que ceux qui ont des problèmes en ce moment.

Ma plus grande préoccupation tient au fait que, si je me fie à la façon dont la réglementation sera probablement rédigée, il n’y aura aucun principe directeur clair. J’espère bien me tromper, mais j’aimerais que vous me fournissiez des précisions à ce sujet, s’il vous plaît.

À propos de ce qu’a dit le sénateur Boisvenu, j’aimerais savoir si, pendant l’élaboration du règlement, vous comptez mener des consultations rigoureuses auprès des gens qui ont vécu ce genre d’expérience et qui ont donc une expertise, parce que la majorité des rédacteurs n’ont pas eu à vivre les processus qu’ils essaient d’améliorer grâce au règlement.

Col Strickey : Merci, madame la sénatrice, de votre question et de cette observation. Comme je l’ai dit plus tôt, les instructions de rédaction exposent le principe directeur d’un règlement. Elles sont données à la moitié du processus, environ.

Avant cela, vous avez tout à fait raison. Nous avons besoin de réunir tout le soutien des experts afin de pouvoir rédiger le règlement. Le lieutenant-colonel Lortie et moi-même avons déjà rédigé des règlements, et nous savons que nous ne pouvons pas prendre en considération toutes les possibilités et les conséquences inattendues.

Comme l’a dit Mme Preston, c’est pourquoi il est essentiel, avant de mettre en œuvre ces recommandations, de recueillir les commentaires des experts.

Pour ce qui est de demander l’aide de ces experts, dans une grande mesure, j’aimerais souligner en tant qu’avocat que nous devons veiller à ce que le règlement soit concrètement en harmonie avec la loi et avec ce que le ministre a déclaré. Nous devons suivre ses directives et faire en sorte que le règlement rende possible l’application de la loi au quotidien.

Donc, manifestement, cela supposerait une consultation rigoureuse avec Mme Preston, avec le commodore Patterson et son équipe et avec la chaîne de commandement. Nous pouvons aussi compter sur les commentaires et les questions de votre comité — nous pouvons consulter le hansard —, et nous pouvons aussi nous adresser au comité parlementaire pour obtenir toute l’information possible.

Au lieu de tenir des consultations publiques, nous allons consulter des experts en la matière pour obtenir l’information dont nous avons besoin aux fins de la réglementation. Nous comptons sur le fait que les experts en la matière vont communiquer avec nous afin de présenter leur point de vue et que la chaîne de commandement va présenter ses exigences, non pas en ce qui concerne les victimes, mais plutôt en ce qui a trait aux mesures disciplinaires et aux audiences sommaires.

C’est ce que nous faisons en matière de consultation. C’est ce que nous faisons habituellement. Ces dispositions réglementaires ont beaucoup d’importance. Pour terminer ma réponse avant de céder la parole aux autres témoins, j’aimerais revenir à l’article 71.18 du projet de loi, qui concerne l’interprétation du projet de loi, du règlement et de tout le reste à la lumière d’un principe directeur. Je dirais que, dans le système de justice militaire, nous n’avons habituellement pas de principe directeur aussi clair. Dans le projet de loi, le principe directeur est clair : dans la mesure du possible, les ordonnances, les règles ou les règlements doivent être interprétés et appliqués de manière compatible avec les droits prévus dans la loi.

Vous comprendrez que, à nos yeux et d’un point de vue juridique, c’est un principe clé. À partir de là, nous allons recueillir les commentaires et les conseils d’experts de l’extérieur afin de mener à bien l’élaboration du règlement.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais que le commodore Patterson et Mme Preston répondent toutes les deux à ma question à propos de la consultation auprès des survivants et des survivantes.

Mme Preston : Il y a quelque chose que j’aimerais ajouter. Il y a deux groupes d’intervenants que j’aimerais consulter aux fins de la réglementation. Premièrement, il y a le conseil consultatif externe que nous avons établi. Il y a aussi un ancien membre des Forces armées canadiennes qui siège à notre conseil qui a déjà vécu ce genre d’expérience.

Bien sûr, un certain nombre de victimes ont communiqué avec moi pour me dire qu’elles voulaient participer à l’examen de la réglementation. Je voulais le préciser. Quand je dis que le CIIS participera au processus, je veux dire que nous y participerons en tant que professionnels, en tant qu’experts du domaine et pour représenter nos clients.

Au cours des deux ou trois derniers mois, le CIIS a adopté une stratégie officielle de participation des intervenants, et j’espère pouvoir tirer parti de cette stratégie pendant l’examen de la réglementation. Voyez-vous, jusqu’ici, nous avons tenu des consultations ponctuelles avec des partenaires ou avec des gens qui sont prêts à nous aider.

Bien évidemment, le groupe It’s Just 700 est un élément important de notre groupe d’intervenants. Malgré tout, nous voulons nous assurer que toutes sortes de voix prennent part à la discussion. Le groupe It’s Just 700 ne représente pas nécessairement tout le monde. Nous ne voulons pas mener uniquement des consultations ponctuelles. Nous voulons un processus très systématique. Nous voulons que toutes sortes de voix prennent part à la discussion. Nous avons mis au point une stratégie officielle qui nous permettra de le faire de façon beaucoup plus proactive et rigoureuse.

Pour la suite des choses, j’entends tirer parti de la stratégie pour les intervenants afin d’intervenir sur toutes sortes de choses, y compris la réglementation.

Cmdre Patterson : Compte tenu du mandat ou du rôle élargi du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, la chaîne de commandement a un rôle de soutien, dans ce contexte. Par exemple, ce dossier demeure la première priorité institutionnelle du chef d’état-major de la Défense. Je suis plus ou moins son interprète universelle sur ce sujet.

Donc, que va-t-il arriver pour la suite? Mme Preston a parlé de séances de consultation. Mon rôle consiste à assurer la coordination pour veiller à ce que cette consultation ait lieu. C’est très important pour le chef d’état-major de la Défense. Je sais qu’il va demander à Mme Preston : « A-t-on consulté les personnes qu’il fallait consulter? » Il refusera de faire quoi que ce soit jusqu’à ce que cela soit fait. Je remplis essentiellement un rôle de soutien. Je surveille ce que fait le juge-avocat général afin de veiller à ce que nous ne rations rien, je vérifie s’il y a eu les discussions avec le CIIS, et cetera.

En ce moment, l’une des tâches principales de l’équipe d’intervention stratégique est de mettre fin au cloisonnement et aux vases clos.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’ai deux questions. La première porte sur le projet de loi C-71, qui a été déposé par le précédent gouvernement. Je le regarde rapidement. Je ne m’y connais pas autant que le sénateur Boisvenu — je suis novice dans tout cela —, mais il s’agit d’une déclaration, et non d’une charte. Cela me semble très semblable à ce qu’on retrouve dans le projet de loi C-77.

[Traduction]

Colonel Strickey, y a-t-il des différences notables entre le projet de loi C-77 et le projet de loi C-71 en ce qui touche la Déclaration des droits des victimes?

Col Strickey : Non. Un collègue a préparé ce qu’on pourrait appeler une table de concordance des modifications. Je vais communiquer avec vous après la séance si je me trompe, mais d’après notre évaluation initiale, il semble qu’il n’y ait pas de différence majeure entre les deux projets de loi, mis à part quelques modifications de nature terminologique.

Le sénateur Pratte : Ma deuxième question est un peu plus technique. Certaines personnes ont exprimé des préoccupations à propos du paragraphe 71.04(1), qui prévoit que la victime a le droit d’obtenir des renseignements sur le contrevenant incarcéré dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire. Des témoins ont dit que les renseignements que les victimes auraient le droit d’obtenir sont mal définis.

Je m’interroge également sur ce que vous avez dit plus tôt au sujet du paragraphe 71.19(2), qui énonce les exceptions. J’ai l’impression qu’il dit que la Loi sur la protection des renseignements personnels, comme d’autres lois quasi constitutionnelles, protégerait le contrevenant si on demandait des renseignements qui seraient considérés comme indiscrets, par exemple.

Col Strickey : Vous avez raison, c’est une question technique.

Le sénateur Pratte : Vous m’en excuserez.

Col Strickey : Non, non. Je suis ici pour cette raison. C’est pour nous préparer à l’étude article par article.

Vous avez tout à fait raison. Revenons à l’article 71.18. Les ordonnances, les règles ou les règlements découlant des lois fédérales doivent accorder aux victimes les droits prévus dans la déclaration, dans la mesure du possible. Cependant, les textes législatifs quasi constitutionnels, comme la Loi sur la protection des renseignements personnels, sont exclus.

Je vais rectifier mes propos si je me trompe, mais ma première impression est que, dans la mesure du possible, des renseignements seront fournis à la victime en vertu de l’article 71.04, comme vous l’avez dit, dans la mesure où cela ne contrevient pas à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Pratte : Quel genre de renseignements envisageait-on de fournir, lorsque le projet de loi a été rédigé? Qu’est-ce qui était prévu?

[Français]

C’est le lieutenant-colonel Lortie qui peut répondre à cette question? D’accord. Alors, de quel genre d’information parle-t-on lorsqu’il s’agit, pour la victime, d’obtenir des informations sur l’accusé?

Lcol Lortie : La disposition incluse dans la déclaration sert de miroir à la Charte canadienne des droits des victimes, dans laquelle on parle de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. C’est cette loi qui énumère les différents mécanismes qui servent à déterminer quelles informations peuvent être accessibles à la victime et qui se trouvent dans une autre loi.

Pour les militaires, cette information se trouve dans un règlement, alors que, dans la déclaration, il y a une référence visant à établir les règlements nécessaires pour arriver au même type de mécanisme, sans extrapoler sur ce que l’on peut avoir dans les règlements, bien entendu. Nous allons, bien évidemment, étudier attentivement la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et ce qui se trouve déjà dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Si je peux revenir sur l’exclusion mentionnée dans la déclaration dont nous parlions un peu plus tôt, lorsque le contrevenant va purger une peine dans un pénitencier ou une prison civile, on dit de la victime qu’elle s’est exclue de la déclaration.

En effet, les mécanismes de la Charte des droits des victimes entrent en jeu à ce moment-là. La victime obtiendra des droits grâce à la Charte des droits des victimes lorsque le militaire qui a été inculpé purge sa peine dans un pénitencier ou une prison civile. C’est pour cette raison qu’il y a une disposition, à l’article 61 du projet de loi C-77, qui modifie la Charte. Celle-ci sera modifiée pour mentionner que, dans le cas d’infractions d’ordre militaire, les victimes sont exclues des mécanismes prévus par la Charte des droits des victimes, sauf lorsque le militaire condamné va purger sa peine dans un pénitencier ou une prison civile.

Les deux mécanismes seront réunis pour s’assurer qu’il n’y a pas de lacunes et que, dans les deux systèmes, la victime dispose de toute l’information nécessaire en tout temps.

Le sénateur Pratte : D’accord. Merci beaucoup.

Lcol Lortie : Je vous en prie.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Ma question s’adresse au colonel. Pouvez-vous nous parler rapidement et de façon générale des circonstances particulières des Autochtones?

Je crois que je comprends l’objectif, mais je ne suis pas sûr que les dispositions elles-mêmes soient claires. Est-ce que c’est une politique pour la victime autant que pour l’accusé?

Col Strickey : Pour répondre, très rapidement, je dirais que cette disposition en reflète une autre qui existe à l'heure actuelle dans le Code criminel et qui concerne la détermination de la peine. Cela ne concerne donc pas les victimes.

Au moment de déterminer la peine, un juge doit prendre en considération les circonstances particulières des délinquants autochtones. La plupart des avocats ici présents connaissent l’arrêt Gladue, l’arrêt de la Cour suprême qui a fait jurisprudence. Donc, il s’agit d’un miroir de cette disposition sur la détermination de la peine.

Le sénateur Richards : Ma sœur est juge, alors je connais un peu cette affaire. Merci.

Le sénateur Gold : J’ai une question très technique à poser. À dire vrai, je suis tenté de vous demander à nouveau pourquoi vous croyez que ce projet de loi devrait être adopté, mais je vais me retenir.

En vertu du projet de loi C-77, les victimes ont le droit d’être aidées par un agent de liaison de la victime. Un commandant doit nommer cet agent, à moins que, pour citer le projet de loi, « il n’estime que des raisons opérationnelles l’en empêchent ».

Pour ceux d’entre nous qui n’ont pas fait carrière dans les Forces canadiennes, pouvez-vous nous donner des exemples de raisons opérationnelles qui pourraient justifier qu’un commandant s’appuie sur cette exception pour refuser de nommer un agent? Quel est le raisonnement derrière cette disposition?

Col Strickey : Si vous me le permettez, monsieur le sénateur, j’aimerais répondre à votre question sur le projet de loi, car je n’ai pas encore eu la possibilité de le faire. Bien entendu, je suis ici en tant que fonctionnaire. Je ne défends aucune idée en particulier, mais j’aimerais souligner que j’ai eu le plaisir de travailler, au fil des ans, sur un certain nombre de projets de loi concernant la justice militaire qui ont été présentés à cette chambre, voire à ce comité. Nous avons l’habitude de comparaître devant différents comités.

La réforme du système de justice militaire moderne a commencé en 1999 avec le projet de loi C-25. Peu de projets de loi ont apporté d’importants changements à la Loi sur la défense nationale. Comme l’a mentionné la juge-avocate générale, l’article 273.601 actuel impose un examen indépendant d’un certain nombre d’éléments, notamment la partie III du Code de discipline militaire. Cela faisait partie du projet de loi C-25. En 2003, le juge en chef Lamer a procédé à cet examen et a présenté un rapport.

Les projets de loi C-7, C-41 et C-45 ont été déposés subséquemment devant divers parlements, mais, en raison des élections, entre autres choses, ils sont morts au Feuilleton. Ce n’est qu’en 2013 que le projet de loi C-15 a permis l’examen des changements recommandés par le juge en chef Lamer. Il a fallu attendre l’excellent travail de ma collègue, le lieutenant-colonel Geneviève Lortie, sur les règlements ayant eu une incidence sur ces changements il y a peu de temps.

D’un point de vue historique, il est rare que l’on apporte des changements au système de justice militaire. Je ferai corriger le compte rendu si j’ai tort, mais, si je me souviens bien, le ministre de la Défense nationale de 2014 avait décrit ce projet de loi, même si c’était le projet de loi C-71, comme ayant pour but d’adapter le système de justice militaire au système de justice civil. C’était en avril 2014, et regardez où nous en sommes.

Bien qu’il soit clair que je ne prenne aucune position, j’ai eu l’occasion de travailler au fil des ans sur bon nombre de ces mesures législatives, y compris le projet de loi C-71. Sur le plan historique, il est rare que l’on apporte des changements importants au système de justice militaire. Je voulais soulever ce point, car j’y consacre beaucoup de temps. Je trouve cela très intéressant et fascinant. Je suis certes ravi de faire ce travail.

Le commodore Patterson pourra peut-être faire certains commentaires du point de vue de la chaîne de commandement pour répondre à votre autre question. En tant que conseiller juridique, je peux affirmer que le système de justice militaire est un système portable. Nous allons là où il y a des soldats, des marins, des aviateurs, des aviatrices et des membres des forces spéciales pour la tenue de procès et d’audiences sommaires et pour l’application de l’ensemble du système de justice militaire.

Vous constaterez que des dispositions des Ordonnances et règlements royaux portent sur la nomination d’un officier chargé d’aider un accusé. Le commandant en chef pourrait vouloir nommer un officier en particulier, un militaire du rang, mais, pour des raisons opérationnelles, il se peut qu’il ne puisse le faire. La personne désignée pourrait se trouver dans un autre pays pendant un exercice. Quoi qu’il en soit, elle pourrait ne pas être disponible.

C’est ce qui ressort des dispositions actuelles concernant un officier portant assistance dans le cadre de procès sommaires; un accusé peut choisir l’officier qui l’aidera, parmi une foule de membres, mais cette nomination pose problème compte tenu de préoccupations et de raisons opérationnelles.

Cmdre Patterson : Je n’ai rien à ajouter. Cela résume bien la situation.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais revenir sur votre explication, où vous parlez d’une situation à l’étranger, pour m’assurer que je l’ai bien comprise.

Si une présumée agression se produit à l’extérieur du Canada et que des membres des Forces canadiennes sont impliqués, ils ne sont pas protégés par le projet de loi C-77, dans sa forme actuelle, à moins que toutes les parties soient rapatriées au Canada pour régler la situation.

Col Strickey : J’aimerais apporter des précisions. Si l’infraction a lieu au Canada, cela concerne d’emblée le paragraphe 71.15(2) portant sur le lien avec le Canada:

La victime ne peut exercer les droits prévus par la présente section que si elle remplit l’une des exigences suivantes :

a) elle est présente au Canada;

b) elle est un citoyen canadien ou un résident permanent...

Si j’ai tort, je laisserai le lieutenant-colonel Lortie me corriger. Si vous êtes citoyen canadien et membre des Forces canadiennes à l’étranger et que vous êtes victime d’une agression, vous bénéficiez de la Déclaration des droits des victimes.

La sénatrice McPhedran : Cela s’applique lorsqu’on se trouve à l’étranger ou uniquement si l’on revient au Canada?

Col Strickey : Lorsqu’on est à l’étranger, car on est citoyen canadien.

La sénatrice McPhedran : Ou résident permanent.

Col Strickey : Ou résident permanent, oui, conformément au projet de loi.

La présidente : Je profite de l’occasion pour remercier nos témoins. Ils ont terminé juste à temps. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir passé ce long après-midi avec nous. Merci d’avoir répondu à toutes nos questions. C’est fort apprécié.

Nous avons le plaisir d’accueillir une fois de plus Marie-Claude Gagnon, fondatrice de It’s Just 700, et d’entendre, par vidéoconférence, Diane Crocker, professeure au département de sociologie et de criminologie de la Saint Mary’s University, ainsi que le sergent à la retraite Jessica Miller.

La présidente : Madame Gagnon, voulez-vous prendre la parole en premier?

[Français]

Marie-Claude Gagnon, fondatrice, It’s Just 700 : Je remercie le comité de me donner l’occasion de présenter mes observations aujourd’hui.

[Traduction]

Avant de commencer, j’aimerais souligner que des victimes militaires ont été forcées, au cours des quatre dernières années, de faire face à un système judiciaire qui a tardé à reconnaître leurs droits. L’ébauche de la Déclaration des droits des victimes proposée dans le Code de discipline militaire a été rédigée sans que l’on demande l’avis des victimes d’infractions en milieu militaire. De plus, les contraintes de temps ne nous laissent aucun autre choix que de faire uniquement des recommandations qui seront probablement bien reçues et qui seront modifiées.

Je vous fais part aujourd’hui des principales préoccupations que j’ai au sujet de ce projet de loi, en tant qu’ancienne réserviste navale des Forces armées canadiennes, survivante de traumatismes sexuels en milieu militaire et fondatrice du groupe It’s Just 700, voué aux citoyens canadiens qui ont survécu à des traumatismes sexuels en milieu militaire.

Premièrement, la Déclaration des droits des victimes devrait être renommée. Cet ajout au Code de discipline militaire des Forces armées canadiennes a moins de poids que la Charte canadienne des droits des victimes. Une déclaration est une déclaration, une proclamation ou une annonce officielles. Une charte est un document officiel selon lequel un gouvernement accorde des droits, des pouvoirs et des privilèges à une ou à plusieurs personnes. De plus, ce titre pourrait semer la confusion chez les victimes francophones étant donné que la déclaration portant sur les répercussions sur la victime s’appelle la « déclaration de la victime ».

Deuxièmement, les principes de base énoncés dans le préambule de la Charte canadienne des droits des victimes devraient être inclus dans la Déclaration des droits des victimes proposée. Si cette déclaration doit refléter les droits des victimes canadiennes, elle devrait comprendre les principes de base de la Charte, en particulier l’énoncé suivant :

[...] les victimes d’actes criminels et leurs familles méritent d’être traitées avec courtoisie, compassion et respect, notamment celui de leur dignité

Et cette déclaration :

[...] les droits des victimes d’actes criminels soient pris en considération dans l’ensemble du système de justice pénale;

Troisièmement, la déclaration doit faire en sorte que les victimes soient informées de manière proactive de leurs droits à l’information et qu’un agent de liaison de la victime soit nommé; il faudra pour cela retirer les termes « sur demande » et « à la demande de la victime ».

J’étais âgée de 21 ans lorsque j’ai subi une agression en mer. J’étais une jeune réserviste, facilement intimidée par la hiérarchie et les rangs, et je ne comprenais pas la complexité du processus judiciaire militaire. N’ayant pas accès à Internet ni à personne qui m’aurait pu m’informer des options qui m’étaient offertes et des ressources et du soutien qui étaient à ma disposition, je n’ai rien su de mes droits.

Selon un sondage effectué par Statistique Canada en 2018 sur l’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes, les victimes de violence sexuelle estiment que les valeurs morales de l’Armée canadienne ne sont pas si différentes d’il y a 20 ans. Cette déclaration doit garantir que les victimes sont informées de manière proactive de leurs droits. Les juges militaires devraient également être tenus d’informer les victimes de toute ordonnance rendue en vertu de l’article 147.

Quatrièmement, il faudrait préciser davantage le rôle de l’agent de liaison de la victime et la formation qu’il doit suivre. Selon le Rapport 5 — Les comportements sexuels inappropriés — Forces armées canadiennes présenté par le vérificateur général, la formation offerte par la chaîne de commandement n’avait pas aidé les militaires à comprendre comment intervenir plus efficacement auprès des victimes et à leur venir en aide.

Selon ce même rapport, l’information consignée dans 21 des 52 dossiers a révélé que les victimes avaient ressenti de la peur, de la détresse et de l’inconfort, qu’elles avaient manqué de soutien et qu’elles avaient subi des représailles notamment par leur commandant, de hauts dirigeants, des instructeurs et des collègues ou reçu un blâme.

Comme l’a dit l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels la semaine dernière, le rôle d’un agent de liaison de la victime pourrait être renforcé; il faudrait pour cela indiquer explicitement que l’agent est également responsable de fournir de l’information à la victime, comme je l’ai mentionné dans ma troisième recommandation. Le rôle de l’agent de liaison devrait être élargi de telle sorte qu’il puisse guider la victime tout au long du processus judiciaire, l’informer des documents dont elle peut demander la communication en vertu du projet de loi et l’aider à obtenir ces documents pour lui faciliter la tâche et lui indiquer comment elle peut avoir accès à d’autres services d’aide aux victimes et à des renseignements juridiques.

Les agents de liaison de la victime devraient être des avocats militaires; les victimes auraient ainsi accès aux services d’une personne qui connaît bien les droits des victimes et le système de justice militaire, qui est exempte de tout parti pris pour ou contre une unité militaire, qui est indépendante de la chaîne de commandement et qui peut assurer leur confidentialité.

Les victimes devraient être informées de leur droit d’avoir recours à un agent de liaison qui a reçu une formation adéquate et éclairée portant sur les traumatismes et axée sur les victimes. Je suis d’accord avec l’ombudsman que toute personne appelée à jouer le rôle de suppléant devrait posséder un bagage convenu de connaissances de base, d’expérience et de formation, et ne pas être en situation de conflit d’intérêts. La nomination d’un suppléant ne devrait pas être laissée à la discrétion d’un commandant ou de toute personne en situation de conflit d’intérêts. Les motifs du choix du suppléant et du remplacement d’un agent de liaison devraient être clairement consignés.

Je recommanderais que l’on ajoute le rôle additionnel de l’agent de liaison que je viens de décrire dans le paragraphe 71.16(3) proposé, en énonçant clairement les exigences en matière de formation dans le projet de loi ou dans le règlement qui en découlera.

Cinquièmement, et c’est de la plus grande importance, les victimes devraient avoir le droit d’interjeter appel d’une décision ou d’une ordonnance au motif que les droits prévus par la déclaration ont été violés ou niés; aucun motif de poursuite ne devrait être retiré de ce projet de loi.

Le Rapport 5 — Les comportements sexuels inappropriés — Forces armées canadiennes, présenté en 2018 par le vérificateur général, a révélé que, dans 31 des 46 dossiers de l’échantillon soumis à la police militaire étudié, la procédure requise pour assurer le respect des besoins des victimes n’avait pas été suivie. Les victimes ne s’étaient donc pas vu offrir la possibilité de donner leur version officielle des faits, n’avaient pas reçu la documentation sur les services de soutien disponibles et ne s’étaient pas vu offrir des services d’orientation au début de l’enquête.

Voici ce qu’a déclaré l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels :

[...] les appels relatifs aux violations ou aux négations des droits des victimes afin de garantir une surveillance et une application efficaces des droits [...] Les droits des victimes doivent être exécutoires pour que le système de justice militaire soit tenu responsable des droits qu’il aura pour mandat de garantir en vertu de la Déclaration des droits des victimes.

Il faut retirer de la déclaration le passage « la violation ou la négation d’un droit […] ne donne pas ouverture à un droit d’action ni au droit d’être dédommagé », pour que les victimes puissent exercer et faire valoir leurs droits s’ils ne sont pas respectés. La surveillance ne peut être assurée si cet article reste en vigueur.

Avant de conclure, j’aimerais faire deux autres recommandations. D’abord, on devrait examiner l’application de cette déclaration d’ici un an ou après la décision qui sera rendue dans l’affaire Beaudry.

Ensuite, la Déclaration des droits des victimes devrait s’appliquer aux civils, aux employés et aux familles qui doivent passer par le système de justice militaire.

Diane Crocker, professeure, Département de sociologie et de criminologie, Saint Mary’s University, à titre personnel : Je suis professeure de criminologie à la Saint Mary's University. J’ai consacré ma carrière de chercheuse aux thèmes de la violence fondée sur le genre en particulier. Mes commentaires se limiteront à ce domaine et aux victimes de violence sexuelle, de violence conjugale et de violence familiale.

J’ai également beaucoup travaillé sur la justice réparatrice. Mon principal intérêt est de réellement savoir comment nous pouvons assurer la justice pour tous, et ce que cela signifie pour les gens, en particulier quand nous parlons de crimes qui touchent de manière disproportionnée les femmes. C’est particulièrement pertinent dans le contexte militaire actuel, étant donné les quelques problèmes qui sont survenus.

D’après mon expérience, puisque j’ai réalisé des centaines d’entrevues avec des victimes, des délinquants et des agresseurs et avec ceux qui ont travaillé avec ces derniers dans les prisons, dans les organismes communautaires et dans les organismes gouvernementaux... J’ai été étonnée par le déséquilibre entre les attentes des gens en matière de justice et ce que nos systèmes offrent en réalité. Je ne parle pas seulement de notre système de justice ou du système de manière générale. Il en va de même pour les victimes et pour les agresseurs, mais l’enjeu ici, aujourd’hui, ce sont les victimes.

À partir de ce travail et en examinant le travail des autres, j’ai conclu que nos systèmes ont une approche de la justice qui est bien trop étroite, punitive et accusatrice. Nous avons réduit la justice à des sanctions, au principe du juste dû et aux droits, en opposant les droits des accusés, des délinquants et des agresseurs à ceux des victimes.

Mes discussions avec les victimes ont montré que cela n’a vraiment pas bien servi leurs intérêts, même s’il est intéressant de faire appel aux droits.

Les spécialistes et les pétitionnaires de la justice réparatrice en particulier expliquent que le crime cause des préjudices et crée des obligations. Ils ne parlent pas de droits. Le crime cause des préjudices et crée des obligations, mais notre système pénal actuel ne tient compte ni des préjudices ni des obligations. Ce qui me préoccupe dans ce genre de préambule, c’est qu’il présente la Charte des droits des victimes comme un moyen d’améliorer la justice, ou même, dans le contexte militaire, de susciter une sorte de changement de culture quant à ce que vivent les victimes après qu’une infraction quelconque a été commise.

Le spécialiste de la justice réparatrice Dennis Maloney dit que, si l’on marche dans une rue la nuit et que l’on aperçoit une femme dans une allée se faire brutalement agresser, et que ses enfants terrifiés sont témoins de la scène, on l’aiderait. On laisserait l’agresseur fuir. On aiderait cette femme, non pas parce qu’elle a le droit qu’on l’aide, mais parce qu’elle a subi un préjudice et que nous avons l’obligation de l’aider et de la soutenir. Le système de justice actuel structure la justice en fonction des droits, et ne fait pas beaucoup de place à l’aide aux gens.

Si je suis ici, aujourd’hui, c’est en partie, je crois, en raison d’un projet auquel je participe en partenariat avec le Conseil consultatif sur la condition féminine de la Nouvelle-Écosse, une organisation communautaire appelée Be the Peace Institute et une de mes collègues de l’Université Mount Saint Vincent, Mme Deborah Norris.

Nous recueillons les récits liés à des démêlés avec la justice de personnes qui se disent avoir été victimes d’une certaine forme de violence fondée sur le genre. Nous ne leur demandons pas leur avis, pour commencer. Nous leur demandons de nous raconter leur histoire. Nous avons un grand nombre de recherches qui documentent les plaintes que les victimes ont formulées et les terribles expériences qu’elles ont vécues parce qu’elles ont eu affaire à un processus de justice sans avoir commis aucune faute.

Au lieu de leur demander leur avis, nous commençons par leur demander de nous raconter leur histoire. Ensuite, nous tirons de ces histoires, avec elles, les principes de justice qui sous-tendent ce à quoi la justice ressemblerait à leur sens.

Les questions abordées dans la Charte canadienne des droits des victimes ne sont pas soulevées. Les principes qui sous-tendent leur conception de la justice s’articulent autour d’idées sur l’identité, sur la capacité d’agir, sur la dénonciation et sur le soutien nécessaire pour retrouver leur confiance en l’humanité. Plus tard, je pourrais en dire plus, si vous voulez, mais il n’est pas toujours question du système de justice pénale non plus.

Nous n’avons rien à propos de la déclaration sur les répercussions sur la victime dans nos récits. La plupart des femmes à qui nous avons parlé ont parlé de justice ou de la capacité d’agir, de pouvoir prendre elles-mêmes des décisions les concernant, d’obtenir du soutien pour reprendre leur vie en main.

Bien qu’il soit bien intentionné, je ne connais pas pleinement l’intention de cet ajout dans la loi, mais, je ne crois pas qu’il y ait assez d’éléments, sur le plan des principes, pour changer réellement la façon dont les victimes vivent le processus. Je n’ai pas les détails spécifiques qu’a présentés le précédent intervenant. En laissant de côté la question de savoir si une approche axée sur les droits est la meilleure façon d’aider les victimes, il y a ici certaines limites, dans la mesure où les droits énoncés comprennent le droit à la protection, mais n’expliquent pas comment assurer ce droit. Le droit de participation est défini comme le droit d’exprimer ses opinions. Le droit au dédommagement est le droit que les demandes de dédommagements soient prises en compte.

Dans un sens, cela ne donne pas vraiment de pouvoir aux victimes engagées dans le processus. Il leur donne le droit de s’exprimer, de poser des questions, d’obtenir de l’information, mais ne règle en rien les injustices que l’on nous a racontées ni ne nous aide dans les recherches que nous réalisons.

Cela ne permet pas de lutter contre les préjudices. Rien n’oblige l’État, le secteur militaire, la collectivité militaire ou la collectivité dans son ensemble à faire les choses correctement pour les gens qui ont subi des préjudices.

Sergent à la retraite Jessica B. Miller, à titre personnel : C’est pour moi un privilège d’être ici, aujourd’hui. Je remercie le comité d’avoir bien voulu m’accorder le temps de rendre compte personnellement de mon expérience de l’opération Honour.

J’ai servi avec fierté au sein des Forces armées canadiennes pendant près de 22 ans à titre de technicienne médicale. J’ai été déployée en Afghanistan, dans des opérations dans les Caraïbes et pour aider les autorités civiles du Canada, et je suis une survivante d’un traumatisme sexuel en milieu militaire.

Il est important pour moi de dire quelques mots sur ce qui m’amène ici, aujourd’hui. J’ai travaillé pour un auxiliaire médical, à bord du NCSM Toronto, et je croyais qu’il serait un mentor et un guide et m’aiderait à devenir une meilleure technicienne médicale et un chef plus solide. Au lieu de cela, je me suis retrouvée piégée sur un navire avec un homme qui avait décidé qu’il avait le privilège de me taper les fesses, de me saisir les seins, de me passer les doigts dans les cheveux et de me toucher comme il le voulait. Il m’embrassait et me prenait dans ses bras sans ma permission.

Quand je lui disais non, il me suppliait. Il m’a menacée de me donner une mauvaise évaluation si j’en parlais. Il ne m’a jamais appelée par mon nom ou par mon grade. Il m’appelait bébé.

J’ai enduré cela pendant près de 10 mois. Je ne pouvais pas m’adresser à ma chaîne de commandement, puisqu’il faisait partie de ma chaîne de commandement. Je savais quel aurait été le résultat. J’aurais perdu mon poste sur ce bateau et j’aurais été responsable de l’échec de la mission. Il me l’a assuré.

Quand je me suis sentie prête à parler, on m’a demandé de parler à une enquêtrice du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, à Halifax. Je suis entrée dans un immeuble quelconque et j’ai été escortée dans une petite pièce neutre. C’était tout nouveau, intimidant et incroyablement effrayant. J’ai dû parler de ma profonde peine à l’enquêtrice. J’ai dû décrire en détail toutes les fois où il m’a touchée, comment je me suis sentie, et ensuite parler de choses que je n’étais pas prête à même évoquer.

Je suis sortie de cet immeuble seule et tourmentée. Le processus d’enquête venait de commencer, mais c’est là où les choses ont empiré.

Le procureur initial a été remplacé parce qu’il a été affecté cinq mois avant le procès pour des raisons opérationnelles. Le premier procureur avait effectué sa révision postérieure à l’accusation. Il voulait porter quatre accusations, y compris celle d’agression sexuelle. L’intention du procureur initial était d’aller de l’avant dans ce dossier. Il m’a parlé des sanctions qu’il cherchait à obtenir.

Un nouveau procureur a été affecté à mon dossier. Il a reçu mon dossier pour l’examiner. Je dis « il », car j’ignore toujours qui est le second procureur. Il a pris le dossier et a réduit les accusations d’agression sexuelle sans même me rencontrer une seule fois. Je ne lui ai jamais parlé en personne, par téléphone ou même par courriel. Aucune rencontre n’a jamais été prévue. Il n’a même jamais entendu ma voix décrire le traumatisme que j’ai subi.

Au bout du compte, il a ramené le crime d’agression sexuelle à une infraction d’ordre militaire; mon agresseur a plaidé coupable aux accusations prévues à l’article 129. Il a payé une amende de 1 000 $ et il est parti.

Je n’ai eu connaissance des procédures judiciaires et de la décision finale que parce que je les ai cherchées sur Google. Personne n’a communiqué avec moi, personne jusqu’à aujourd’hui, ni le procureur, ni le SNEFC, ni l’agent de la liaison de la victime. Personne n’a fait de suivi pour savoir comment j’allais, pour me dire que c’est fini.

Les Forces armées canadiennes ont instruit une affaire d’agression sexuelle, d’agressions sexuelles multiples, et le procureur n’a jamais pris la peine de rencontrer la victime.

J’ai beaucoup de propositions sur la façon dont nous pouvons régler ces problèmes, mais j’ai dégagé trois points qui représentent de petits changements qui auront de grandes répercussions.

D’abord, le mot d’ordre dans les Forces armées canadiennes a toujours été : transmettre l’information au bon moment. C’est l’un de nos principes directeurs en matière de direction. La communication est la clé de la réussite.

Après l’examen du projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, j’ai trouvé un thème récurrent. Sous les rubriques Renseignements généraux, Enquête et procédures et Renseignements concernant le contrevenant, deux mots doivent être enlevés. En ajoutant « sur demande » tout au long du document, vous imposez le fardeau à la victime. Ce n’est pas juste pour la victime et pour ce qu’elle a enduré. La violation de votre corps est la pire des attaques personnelles. Les victimes de traumatisme sexuel sont, c’est simple, traumatisées.

S’attendre à ce qu’un jeune matelot subalterne, un soldat ou un aviateur sachent à quelle information ils ont droit, c’est une tâche impossible. Tant que vous n’avez pas vécu ce type de traumatisme, vous ne savez pas à quel point il peut être difficile de les dénoncer et, d’abord, d’en parler. C’est que la victime a peur d’avoir des problèmes.

Vous pouvez faire un changement important et significatif qui touchera beaucoup de survivants d’un traumatisme. Donnez le pouvoir aux victimes. Donnez-leur le sentiment qu’elles font partie du processus. Prenez plus de temps pour les rencontrer et leur parler en personne. Ne faites plus d’appels téléphoniques au hasard.

Il faut que le procureur rencontre la victime et qu’il ou elle comprenne par quoi la victime est passée. La première étape de la guérison, c’est de donner aux victimes le droit à l’information, et pas l’information sur demande. Ne faites pas pression sur la victime, discutez avec elle. N’attendez pas d’être en face d’une personne effrayée, tourmentée et traumatisée pour commencer à réfléchir aux questions à poser. Rendons le pouvoir à ceux qui ont été traumatisés. S’il vous plaît, supprimez ces deux mots.

Ensuite, comme je l’ai dit au début, devoir aller dans un bâtiment en dehors de la base pour raconter mes secrets les plus profonds à une étrangère a été une expérience très angoissante. J’étais seule, et mon cerveau n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait durant cette entrevue.

L’article 71.16 dit que l’intention de l’agent de liaison de la victime est de l’aider. Cela aurait été un magnifique atout pour moi, mais ça ne peut pas être une personne nommée au hasard qui a suivi une formation de trois jours. Un agent de liaison de la victime doit connaître parfaitement les situations de droit et le processus procédural, et être en mesure de faire face aux problèmes de santé mentale et de réconforter la victime, au besoin. Ce poste ne peut pas être laissé au hasard. L’agent doit être facile d’approche et faire preuve de compassion.

Je veux que vous sachiez à quel point ce poste est important. Il est presque aussi important que celui du gestionnaire de soins infirmiers que vous rencontrez quand vous quittez les forces.

La partie III du projet de loi modifie d’autres choses. L’alinéa b) protège la vie privée et la sécurité des victimes et des témoins dans les instances concernant certaines infractions sexuelles. Je me demande pourquoi la vie privée des victimes n’est protégée que dans le cadre de certaines infractions? Pourquoi est-ce que ce ne sont pas toutes les victimes d’agression ou de harcèlement sexuel qui peuvent bénéficier de protection et de sécurité, de façon à ce que leur nom ne se retrouve pas dans les médias?

Si j’avais préalablement examiné le communiqué de presse de l’agent des relations publiques, j’aurais demandé à ce que l’on enlève le mot « subordonné ». Si l’agent des affaires publiques était au courant, il l’aurait également retiré, puisque j’étais sa seule subordonnée.

Lorsque les accusations ont été rendues publiques d’un bout à l’autre du Canada, j’ai rapidement été identifiée et j’ai perdu le peu de sécurité qu’il me restait. En vertu de l’alinéa g), dans certaines circonstances, le juge militaire est dans l’obligation de se renseigner auprès du procureur de la poursuite pour savoir si des mesures raisonnables ont été prises pour informer les victimes de la conclusion de tout accord entre l’accusé et le procureur de la poursuite.

Encore une fois, pourquoi est-ce seulement dans certaines circonstances? Quelles sont ces mesures raisonnables? Pourquoi ne daigne-t-on pas communiquer ces renseignements à toutes les victimes d’agression sexuelle? Le juge devrait toujours s’assurer que la victime est informée dans toutes les affaires, et non pas seulement pour certaines.

Dans mon cas, si le juge avait questionné le procureur de la poursuite, il aurait découvert que le procureur qui se tenait devant lui ne savait absolument pas qui j’étais. Les seules choses qu’il connaissait à mon sujet, c’était ce qui figurait dans le dossier. Jamais il n’a entendu ma douleur ni vu le supplice sur mon visage ou constaté à quel point ces événements avaient eu des répercussions sur ma vie.

Voici ma question qui est restée sans réponse : comment se fait-il qu’un procureur fédéral des Forces armées canadiennes arrive à négocier à la baisse un crime civil comme une agression sexuelle qui a été commise sur nombre de mois pendant un déploiement pour que cela devienne une infraction liée au service, tout en plaidant coupable à ces actes odieux? Il a plaidé coupable d’avoir fait toutes les choses que j’ai décrites plus tôt, mais n’a été accusé qu’en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, et toutes les autres accusations ont disparu. On n’a même pas cru bon de présenter la fiche de conduite devant les tribunaux.

Je vous prie de lire la décision judiciaire rédigée par le lieutenant-colonel. Constatez ses écrits misogynes. Voyez de quelle façon il fait l’éloge de mon agresseur et explique que, dans certaines cultures, il est acceptable d’embrasser quelqu’un. Le coupable savait que ce qu’il faisait était mal, mais on ne lui a donné qu’une amende de 1 000 $.

Ces petits amendements au projet de loi auront des répercussions importantes pour toutes les victimes. Le fait de donner à la victime le pouvoir de savoir et de communiquer, de lui permettre de préserver ses renseignements personnels et de lui offrir une aide de liaison bienveillante et compatissante lui permettra de pouvoir compter sur quelqu’un.

J’espère que ces petits amendements pourront être appliqués. Il faudra de nombreuses années de travail acharné et dévoué pour éradiquer l’inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes. Si nous travaillons en équipe et de pair avec les victimes, j’ai bon espoir que mon agression et l’impunité du coupable sonneront l’alarme pour ceux qui font partie de l’Opération Honour.

Les traumatismes sexuels en milieu militaire sont bien réels. Ils ont des répercussions énormes dans l’ensemble des forces. Il est temps de commencer à faire une différence et à protéger les militaires en uniforme afin que nous puissions protéger ceux qui ont réellement besoin de notre aide.

La présidente : Merci, sergent Miller. Nous allons maintenant passer à la période de questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois invités d’être venues. Ma première question s’adresse à Mme Gagnon. Je constate que, de comité en comité, dans le cadre de nos nombreuses études de projets de loi, ce gouvernement croit tout savoir, mais ne veut pas se préoccuper des opinions des gens qui ne pensent pas comme lui. Pourquoi le gouvernement ne vous a-t-il pas consultée lors de la rédaction de ce projet de loi? On dirait que c’est une pratique généralisée du gouvernement en place.

Mme Gagnon : Comme il n’y avait pas d’obligation légale de consulter, on a décidé de ne pas tenir de consultations.

Le sénateur Dagenais : Je pense que les premières personnes qu’il faut consulter lorsqu’on met en branle un projet de loi pour améliorer la sécurité des victimes, ce sont les victimes. En tant que victime, on est en mesure de porter un regard différent de celui des politiciens. À votre avis, quelles sont les plus grandes erreurs du projet de loi, et croyez-vous qu’on pourrait y apporter des amendements afin de faciliter la vie et d’améliorer le sort des victimes?

Mme Gagnon : Selon moi, le point le plus important a trait à la Déclaration des droits des victimes et concerne l’absence de droit d’action.

Selon moi, c’est la partie du projet de loi la plus importante parce que, en ce moment, la Déclaration des droits des victimes n’a pas de mordant. Il n’y a pas de reddition de comptes. On pourrait au moins assurer une reddition de comptes minimale afin que ces droits soient respectés. Selon le vérificateur général, la plupart des procédures mises en place n’ont pas été suivies et n’exigeaient aucune reddition de comptes. On ne peut pas attendre tous les cinq ans pour se faire dire que cela n’a pas fonctionné et faire des promesses, et ainsi de suite. Il faut prendre des mesures plus concrètes afin d’assurer une certaine responsabilité par rapport à la Déclaration des droits des victimes.

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse au sergent Miller.

J’aimerais aborder la question des agressions ou des infractions commises en mission à l’extérieur du Canada. Croyez-vous que ce projet de loi sera significatif pour les victimes comme vous? Vous semblez nous dire que vous étiez sur un bateau ou à l’extérieur du Canada; qu’est-ce que ce projet de loi apportera de plus?

[Traduction]

Sgt Miller : Je crois que cela dépend de l’endroit où l’agression a eu lieu. S’agissait-il d’une agression entre deux militaires canadiens ou bien s’agissait-il d’une agression entre des militaires provenant de pays différents?

Dans mon cas, il s’agissait de mon supérieur immédiat, donc de l’adjoint au médecin à bord. Puisque nous nous trouvions sur un navire au beau milieu de l’océan, on nous a dit que nous relevions théoriquement toujours de l’administration canadienne. Par conséquent, tout était assujetti au droit canadien, car nous nous trouvions sur un navire canadien.

Il a profité du fait que nous nous trouvions dans une zone isolée pour passer à l’acte.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma dernière question s’adresse à Mme Crocker. Dans vos recherches, quelles conclusions tirez-vous du comportement des agresseurs qui sont en position d’autorité, et croyez-vous que le projet de loi C-77 pourra rétablir une forme de justice?

[Traduction]

Mme Crocker : J’ai manqué la première partie de la question. Je m’excuse, je n’ai pas bien entendu.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dans les différentes recherches que vous avez menées, quelles conclusions tirez-vous du comportement des agresseurs qui étaient en position d’autorité, et croyez-vous que le projet de loi C-77 est une solution visant à rétablir une forme de justice?

[Traduction]

Mme Crocker : Merci. Je n’avais pas bien saisi la première partie qui portait sur les personnes en position d’autorité.

Dans les entrevues que nous avons menées, je ne pense pas que la perception de la victime quant à l’attitude des personnes en position d’autorité change compte tenu des droits des victimes énoncés dans ce projet de loi.

Je ne pense pas que cela puisse changer la culture d’incrédulité, ni faire en sorte que les procureurs se sentent obligés de s’asseoir et de communiquer des renseignements, ou que les navigateurs ou les agents de liaison ne soient réellement informés par rapport aux traumatismes. Je ne pense pas que ce genre de choses découlent de la définition des droits.

Les personnes en situation d’autorité qui ont rendu justice aux histoires que j’ai entendues ne faisaient généralement pas partie du système de justice pénale. Il s’agissait d’intervenants externes, notamment de travailleurs sociaux, parfois d’avocats, mais agissant plutôt du côté de la victime, et d’autres réseaux de soutien informels. Voilà les personnes en situation d’autorité qui, dans nos histoires, ont fait en sorte que justice soit rendue aux victimes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

Le sénateur Boisvenu : Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Madame Gagnon, vous n’en êtes pas à votre première comparution ici et vos témoignages nous ont toujours été d’une très grande utilité.

Comme vous n’avez pas été consultée durant ce processus, nous allons tenter de le faire aujourd’hui de notre côté.

Je suis renversé par le fait que le commandement des forces armées a géré ce projet de loi comme il aurait géré l’acquisition d’un sous-marin usagé. Il serait tout à fait normal que ce soit le haut commandement qui prenne de telles décisions. Adopter un projet de loi sans demander aux victimes s’il améliorerait leur sort une fois qu’elles auront dénoncé leur agresseur, c’est tout à fait irrespectueux envers elles. Cela me donne l’impression qu’on a fait du copier-coller avec la Charte des droits des victimes et qu’on est très peu sensible à la situation des victimes d’agressions sexuelles dans les forces armées. Je suis très inquiet de votre avenir, mesdames.

Si ce projet de loi portait le nom de « charte » plutôt que celui de « déclaration », est-ce que cela ne lancerait pas un message clair aux victimes des forces armées, à savoir qu’on leur accorde de l’importance? En effet, une charte et une déclaration, ce n’est symboliquement pas la même chose.

Mme Gagnon : Effectivement, je crois que le terme « déclaration » est plein de bonnes intentions, comme l’a affirmé l’ombudsman fédéral, mais il n’a pas de portée. Ce ne sont que des mots sur du papier. On pourrait utiliser une terminologie équivalente également.

Le sénateur Boisvenu : Si on retirait, dans la mesure du possible, toutes les notions incluses dans le projet de loi, est-ce que cela permettrait de reconnaître les vrais droits des victimes des forces armées?

Mme Gagnon : Je crois que cela ferait une grande différence, parce que le projet de loi manque de mordant en ce moment. Il y a toujours une façon de contourner le système, et ce n’est pas fait nécessairement en fonction des exceptions. Je connais assez les Forces armées canadiennes pour savoir comment les situations peuvent être manipulées d’une certaine façon pour invoquer un bon motif pour ne pas respecter les droits des victimes.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que les victimes devraient recevoir une copie des ordonnances?

Mme Gagnon : Oui, les victimes devraient être en mesure d’obtenir une copie des ordonnances pour être au courant de qui se passe. En raison de nos fréquentes affectations, cela peut être déstabilisant de nous côtoyer dans d’autres fonctions.

Le sénateur Boisvenu : Lorsqu’une victime se fait représenter par une tierce personne, est-ce important que ce soit la victime plutôt que l’état-major qui choisisse ce représentant?

Mme Gagnon : Oui, parce que cela pourrait créer un conflit d’intérêts, notamment lorsqu’une victime désigne une personne par l’entremise de sa chaîne de commandement pour la représenter. Qu’est-ce qui garantit que cette personne ne subira pas de pression ou sera choisie en fonction de sa personnalité ou de sa vision des choses? À mon avis, la victime devrait pouvoir choisir la personne qui la représentera pour avoir une certaine indépendance. Une unité, c’est petit. Dans une ville comme Gagetown, rien n’empêche un commandant de participer à une activité sociale avec un accusé, une victime ou un agent de liaison. Donc, cela crée un genre de cohésion qui peut nuire à une victime.

Le sénateur Boisvenu : Étant donné que cette charte suscite bien des interprétations, serait-il préférable de progresser à petits pas ou de se donner quelques mois de plus pour la bonifier, afin de s’assurer qu’elle respecte la volonté et les attentes des victimes, plutôt que d’y aller rapidement? En précipitant les choses, les victimes risquent d’être déçues. Lorsque les victimes dénoncent, il faut s’assurer qu’elles se sentent protégées afin qu’elles restent dans les forces armées.

Mme Gagnon : D’après la recherche que j’ai menée dans mon groupe, on parle de 7 p. 100 des victimes.

Le sénateur Boisvenu : Croyez-vous que nous devrions nous donner quelques mois de plus pour étudier ce projet de loi, afin de s’assurer qu’il correspond aux attentes des victimes?

Mme Gagnon : Si on parle de quelques mois, je crois que ce serait extrêmement important. Nous attendons depuis quatre ans. Nous n’avons pas été consultés et nous n’avons pas eu la possibilité d’apporter des changements qui pourraient avoir un impact considérable en faveur des victimes. Je crois qu’il serait préférable d’attendre un peu.

Le sénateur Boisvenu : Merci. Vous pouvez considérer que vous avez été consultée aujourd’hui.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Je tiens à remercier Mme Crocker, Mme Gagnon et Sgt Miller d’être ici avec nous aujourd’hui. Il faut plus que du courage pour formuler une plainte. En tant que personne qui a déjà représenté des survivants, je sais qu’il faut beaucoup de courage pour continuer d’avancer lorsque les choses se corsent et pour tenter d’améliorer le sort des autres.

Peut-être étiez-vous ici plus tôt lorsque j’ai demandé au ministre si ce projet de loi risquait de mourir au Feuilleton. Peut-être l’avez-vous entendu répondre qu’il y avait de fortes chances que cela se produise.

En quelque sorte, je vous offre à vous trois l’occasion de vous pencher sur ce projet de loi de la même façon que mes collègues du comité et moi-même le faisons. Vous avez pu entendre de la part de mes collègues d’excellents points par rapport aux amendements. Vous en avez également apporté de très bons. Je suis tout à fait d’accord avec bon nombre de vos points, mais ce projet de loi vaudrait-il la peine d’être adopté tel quel, sans d’autres amendements?

Sgt Miller : Pour être honnête, je ne pense pas. En tant que personne en position de leadership — en tant que sergent—, je me demanderais quelle serait la prochaine étape si de jeunes militaires venaient me parler et me décrivaient ce qui leur était arrivé et que nous cherchions à faire valoir leurs droits.

Qu’est-ce que nous devrions faire? Si j’examine le projet de loi C-77 tel qu’il est rédigé à l’heure actuelle avec quelqu’un qui a été victime d’agression sexuelle, nous serions confus par rapport à ce qui doit être fait, ce que sont les exigences et ce à quoi la victime peut s’attendre pour l’avenir.

L’ensemble du projet de loi est très ambigu, et on y retrouve la formulation « sur demande » presque partout. J’ai lu le projet de loi C-32 portant sur la Charte canadienne des droits des victimes. C’est visiblement similaire; c’est presque une reproduction mot pour mot. Dans le cas d’une institution comme les Forces canadiennes, qui se targue d’être une institution indépendante du public canadien, nous devons avoir notre propre déclaration des droits, dans laquelle il est expliqué étape par étape — afin que tout le monde puisse comprendre — ce qui est exigé de toutes les parties, qu’il s’agisse de la victime ou de n’importe qui d’autre.

À l’heure actuelle, le projet de loi, de la façon dont il est libellé, ne dit pas grand-chose.

Mme Gagnon : C’est une question difficile. Je me suis déjà prononcée sur le fait qu’il valait mieux avoir un projet de loi que de ne pas en avoir du tout. C’est tout de même difficile. Si ce projet de loi est si important, pourquoi avoir entendu à la dernière minute pour le faire adopter?

Je ne trouve pas qu’il y a quoi que ce soit là-dedans à se mettre sous la dent. J’ai changé d’avis depuis la dernière fois. Au bout du compte, je préférerais qu’il n’y ait pas de projet de loi du tout plutôt que d’avoir celui qui est présenté.

Mme Crocker : En laissant de côté mes préoccupations sur la définition des questions juridiques entourant les droits, le projet de loi s’apparente énormément à la Charte canadienne des droits des victimes. L’un des problèmes, c’est qu’il peut entraîner des préjudices en créant des attentes qui pourraient ne pas être comblées.

Je n’en sais pas assez sur le système militaire, mais ce que j’ai entendu de la part du Sgt Miller et de Mme Gagnon m’amène à penser qu’il faut se pencher sur certaines questions procédurales précises par rapport à l’autorité et à l’ancienneté. S’il incite les gens à s’attendre à ce que certaines choses se produisent et que cela n’arrive jamais, le projet de loi entraînera plus de préjudices que de bienfaits.

Dans les histoires que nous entendons, l’une des injustices que vivent les gens, c’est que leurs attentes ne sont pas satisfaites. Ils se sentent trahis par le système parce qu’il leur a présenté certaines choses auxquelles il ne pouvait pas donner suite.

Le sénateur Gold : Je vous remercie d’avoir répondu à cette question difficile. Je suis certain que les réponses le sont tout autant.

Je ne sais pas si vous étiez ici pendant les témoignages qui ont précédé le vôtre. Nous avons posé bon nombre de questions au ministre et aux représentants. Ils ont répondu à bon nombre de questions.

Comme vous le savez, une grande partie de cela sera étoffée dans les dispositions réglementaires. Le ministre et les représentants nous ont avisés qu’un éventail de formations seront offertes aux agents de liaison de la victime. Ils ont clairement expliqué que l’agent de liaison ne sera pas assigné à la victime par le commandant, mais bien que la victime pourra elle-même choisir son agent de liaison. Ils se sont montrés enclins à fournir des commentaires aux intervenants et aux victimes et à en recueillir au fur et à mesure de l’élaboration de la réglementation.

Compte tenu de ce que vous avez entendu sur ce qui sera fait pour donner du mordant au projet de loi, ajouter de la chair autour de l’os, quelle que soit la bonne image, êtes-vous toujours du même avis par rapport au projet de loi? S’il ne pouvait pas être amendé, s’il mourait au Feuilleton ou s’il était adopté et que les dispositions étaient précisées dans la réglementation, comme vous l’avez entendu, seriez-vous toujours du même avis?

Nous aimerions tous avoir une boule de cristal pour voir à quoi ressembleraient les règlements. Je suis conscient de ce que vous avez vécu et je salue votre courage et votre présence ici aujourd’hui. D’après ce que vous savez par rapport à l’échec du système à bien des égards, est-ce qu’il y a quelque chose qui a été dit par le ministre ou les représentants qui arriverait à changer votre perception par rapport aux avantages possibles de ce projet de loi, si nous pouvions simplement imaginer à quoi il ressemblerait à l’avenir?

Mme Gagnon : Je ne sais pas si vous avez entendu parler de l’aide aux victimes d’actes criminels qui était offerte par les Forces armées canadiennes. Ce service était affiché partout sur leur site Internet. Pendant longtemps — c’est ce que l’on m’a dit —, les postes n’étaient pas tous pourvus. Je ne sais pas si quelqu’un a réussi à en tirer un avantage. C’était sur papier, mais cela ne s’est jamais produit.

Voilà ce qui arrive lorsqu’il y a une déresponsabilisation. J’ai souvent entendu des promesses. Une consultation s’est tenue par le passé dans le cadre du tribunal d’appel de la cour martiale, par exemple. On m’a invitée, mais c’est devenu un sujet de discussion qui n’a pas été examiné. Ce genre de choses arrivent bien souvent dans le cadre d’une absence de responsabilisation. Il doit y avoir en place un mécanisme de reddition de comptes.

J’estime que le mieux, c’est que quelques amendements soient apportés au projet de loi. Tel qu’il est, si cela fait une différence pour un certain nombre de victimes, c’est très bien. Cependant, à mon avis, cela ne fera aucune différence pour les victimes. Ce qui fait une différence, ce n’est pas nécessairement le fait de dénoncer. C’est la victimisation accrue. C’est ce qui se passe avec ce projet de loi. Le soutien n’est pas aussi important qu’il devrait l’être, et les gens seront encore plus victimisés.

C’est la raison pour laquelle autant de personnes quittent le service militaire après avoir procédé à une dénonciation. Lorsque cela se produit, cela dissuade les autres personnes de dénoncer, puisqu’elles voient leurs pairs le faire puis quitter les forces. Cela cause du tort aux victimes.

Je comprends l’intérêt d’avoir quelque chose en place dans quelques années, dans la mesure où des amendements sont apportés. En toute honnêteté, je préférerais attendre quelques mois. Je ne sais pas quoi dire d’autre. Nous sommes coincés entre l’arbre et l’écorce.

Sgt Miller : Ce que je pourrais ajouter, c’est que le projet de loi est rédigé de manière très générale. Dans les Forces, on nous apprend et on nous endoctrine dès le début à respecter les règles. Nous suivons la chaîne de commandement.

Si nous n’avons pas de principe directeur et un ensemble complet de règles claires relativement à ce qui est censé se produire, on faillit à la tâche.

Je n’ai pas vu le procureur pendant toute la durée de mon procès. Il a intenté une poursuite en mon nom, et je ne sais même pas qui il est. Ce sont des choses qui devraient être clairement définies. On ne devrait pas supposer qu’un avocat devrait parler à son client.

Le sénateur Gold : Peut-être que ma question n’était pas assez précise, mais je vous remercie de votre réponse.

Le ministre nous a dit, et c’est clairement dans la loi, que les procédures et les définitions des infractions, l’ensemble de l’infrastructure des droits des victimes et la coordination avec les sénateurs indépendants seront précisés dans la réglementation. On peut seulement modifier ces aspects si le projet de loi est adopté.

Je me demandais si cela ne relevait pas de l’imagination ou peut-être d’un acte de foi. Ce cadre, en plus des règlements royaux auxquels vous êtes assujetti à bien des égards, changera-t-il votre opinion du projet de loi, si imparfait soit-il?

Je suis d’accord avec ma collègue. J’adhère à nombre de vos commentaires et recommandations. J’approuve leur intention, leur esprit et leur contenu.

Nous ne disposons pas de trois mois parce que le Parlement s’ajournera. La dure réalité, c’est que nous allons adopter le projet de loi, modifié ou non.

Il se peut qu’il meure au Feuilleton, mais nous n’avons certainement pas trois mois. Il reviendra à la prochaine législature, comme cela s’est fait par le passé, de décider si nous recommencions notre travail au début ou le reprenons là où il a été interrompu.

C’est le défi auquel nous faisons face en tant que législateurs. Je me demande si vos points de vue sont éclairés par les dispositions réglementaires et le travail accompli sur le contenu des règlements.

Sgt Miller : Essentiellement, vous dites que nous devons probablement accepter le projet de loi tel quel, et, dans l’avenir, des modifications seraient apportées à la loi pour clarifier divers points.

Le sénateur Gold : Je ne prétends pas que vous devriez faire quoi que ce soit. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Sgt Miller : Non, c’est ce que je demande.

Le sénateur Gold : Qu’il soit amendé ou non, si le projet de loi est adopté, il faudra alors par la suite élaborer des règlements au sein de l’armée en collaboration avec d’autres intervenants, y compris Mme Preston.

Un certain nombre de témoins ont dit comprendre qu’une grande partie des mesures découleront des règlements, pour le meilleur et pour le pire. Peut-être qu’ils contribueront vraiment à améliorer le soutien aux victimes, ou peut-être que ce ne sera pas le cas, nous ne le savons pas encore. On nous a promis qu’une attention y sera portée.

Je ne veux pas vous placer sur la sellette. Le choix difficile qui s’impose à nous, c’est que le projet de loi, imparfait comme la plupart des projets de loi, doit s’appuyer sur des règlements que nous n’avons pas vus. Même si nous avons beaucoup discuté de ces règlements et des engagements quant à ce qu’ils devraient comporter, nous sommes à la fin d’une législature. La décision que nous allons prendre dans les prochains jours ou les prochaines semaines déterminera si nous aurons quoi que ce soit.

Mme Gagnon : J’ai étudié les sciences politiques à l’université et la façon dont Machiavel apprenait de l’histoire. Lorsque j’examine l’histoire, je ne vois pas de garantie dans ce projet de loi. Au cours des cinq dernières années, on a fait beaucoup de promesses. Je ne sais pas si vous avez lu le rapport d’étape de 2016 et ensuite celui qui n’a jamais été publié. Il a fallu un an et demi alors qu’il devait s’agir d’un rapport trimestriel.

Nombre de promesses ont été faites, mais lesquelles ont été tenues? Je regarde cela et je me dis : « Qu’est-ce qui me garantit que celle-ci sera respectée? » Si je regarde l’histoire, je ne peux pas en trouver beaucoup qui ont été honorées.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Ma question a été répondue, mais je vais la poser encore une fois.

Madame Gagnon, vous avez mentionné un certain nombre d’amendements. Même avec les amendements, pensez-vous que ce projet de loi en vaut la peine? Selon vous, quelles sont les lacunes du projet de loi?

Si vous pouviez répondre encore une fois à cette question, je vous en serais reconnaissant.

Mme Gagnon : Avec les amendements, j’appuierais certainement le projet de loi.

Le sénateur Richards : Vous appuieriez le projet de loi avec les amendements.

Mme Gagnon : Oui.

Le sénateur Richards : Sans les amendements, pensez-vous qu’il s’agit d’un échec?

Mme Gagnon : Oui.

Le sénateur Richards : Pensez-vous la même chose, sergent Miller?

Sgt Miller : Absolument. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Gagnon.

Le sénateur Richards : Madame Crocker, vous parliez de droits par rapport à la justice. Pourriez-vous nous en dire un peu plus là-dessus? Vous avez affirmé que vous ne vouliez pas confondre les droits et la justice.

J’aimerais que vous nous expliquiez cela. Je n’ai pas tout à fait compris ce que vous vouliez dire.

Mme Crocker : Oui. En comparaison des histoires de Mme Miller et de Mme Gagnon, il s’agit plutôt d’un aspect théorique. Vous essayez d’obtenir une meilleure justice pour les victimes et d’améliorer leurs droits. L’argument est le suivant : si on établit un équilibre entre les droits de l’accusé et ceux de la victime, on obtiendra davantage de justice. C’est une façon fondamentalement erronée d’obtenir justice pour les victimes.

Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas fournir de droit à l’information, comme le disait le sergent Miller. Le droit à cette information est juste, mais, selon les histoires que j’ai entendues, ce n’est pas ce que les gens identifient comme leur ayant rendu justice au bout du compte.

Si l’idée, c’est de protéger les droits des victimes dans le projet de loi, le droit à l’information, le droit de participation et le droit au dédommagement sont équitables, mais le projet de loi ne prévoit pas de droit autre que celui à l’information. Il semble que même ce dernier comporte des restrictions, selon l’avis d’autres témoins. Il donne la possibilité d’exprimer des points de vue.

Les victimes qui ont lu la Charte canadienne des droits de victimes pensent qu’elles ont un droit de participation et se sentent lésées par le fait qu’elles n’ont pas vraiment de droit de participer au processus. Elles ont le droit de faire entendre leur voix, mais on n’est pas nécessairement tenu d’en tenir compte ou de l’utiliser à l’audience. À certains égards, elles ont l’impression que cela n’a pas d’importance.

Ce qui m’inquiète de la définition actuelle de certains droits, c’est qu’ils peuvent causer un préjudice en suscitant des attentes. Également, le fait de donner des droits aux victimes ne crée pas un système plus équitable. Cela n’entraîne certainement pas un changement de culture. S’il y a une culture militaire qui appuie certaines des questions sous-jacentes à ces problèmes ou qu’il en fait fi, alors ces droits ne vont malheureusement rien changer à cela.

Le sénateur Richards : Merci.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’aimerais poser une question sur le droit d’appel. On a souligné plusieurs faiblesses dans le projet de loi et cela m’interpelle. Je remarque que toutes ces faiblesses se trouvaient déjà dans le projet de loi de l’ancien gouvernement.

Par exemple, quand on dit « dans la mesure du possible » et « sur demande de la victime », cela se trouvait déjà dans l’ancien projet de loi C-71.

Au fond, le texte de la Déclaration des droits des victimes dans le domaine militaire est connu depuis l’adoption du projet de loi C-71. C’est la même chose. C’est du copier-coller.

Madame Gagnon, lorsque vous avez parlé du droit d’appel, vous avez dit que c’était probablement l’amendement le plus important qu’il fallait faire au projet de loi. Pouvez-vous expliquer votre point de vue? Le projet de loi prévoit déjà un mécanisme de traitement des plaintes. On ne sait pas exactement comment ce mécanisme se traduira. Les fonctionnaires nous ont dit plus tôt que cela se ferait par règlement. Lorsque vous parlez de droit d’appel, comment l’envisagez-vous?

Mme Gagnon : Ce n’est pas seulement le droit d’appel, c’est aussi le droit d’action, qui est particulièrement important dans ce cas-ci. Par exemple, si les droits d’une victime n’ont pas été respectés, on ne peut pas mener une action à ce chapitre. Il y a donc un problème : comment faire en sorte que les droits des victimes seront respectés s’il n’y a aucun recours? Comment peut-on assurer une reddition de comptes si aucun recours n’existe pour une victime et si le système n’est pas responsable?

Selon le rapport no 5 du vérificateur général, une faute peut avoir été commise, mais il n’y a pas eu de reddition de comptes. La situation demeurera la même tant et aussi longtemps qu’on ne changera pas notre manière de faire. Il faut créer un système qui assurera une reddition de comptes.

Ce sont des mots, et rien n’assurera que le système sera responsable si on ne fournit pas des services qui respectent les droits des victimes.

Le sénateur Pratte : Le droit d’action dont il est question dans le projet de loi est un droit d’action légal devant les tribunaux. Il y aura un mécanisme de traitement des plaintes dont les victimes pourront se prévaloir si leurs droits ne sont pas respectés. Il y aura probablement un mécanisme d’appel au sein d’un système de plaintes interne. Il n’est pas question d’aller devant les tribunaux.

Voudriez-vous que les victimes puissent aller devant les tribunaux pour faire respecter les droits prévus par la loi?

Mme Gagnon : Il nous faut un recours. Il ne s’agit pas seulement d’examiner une plainte et de la rejeter par la suite. Il doit y avoir une reddition de comptes. Il faut que ce soit écrit et documenté lorsqu’un droit n’a pas été respecté. Il ne s’agit pas seulement de dire qu’on a pris connaissance d’une plainte et que, finalement, on la laisse tomber.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Sergent Miller, avez-vous des commentaires sur cette question?

Sgt Miller : Parlons-nous d’un appel relativement à une décision, ou faisons-nous référence à un appel relativement aux droits?

Le sénateur Pratte : La question est la suivante : quel type de mécanisme d’appel devrait-il exister si les droits accordés aux victimes dans le projet de loi ne sont pas respectés?

Le projet de loi dit qu’il y aura un genre de mécanisme pour traiter les plaintes, mais ce mécanisme sera défini par règlement. Le projet de loi indique également qu’on ne peut pas aller devant un tribunal pour faire valoir ses droits ou peu importe.

Sgt Miller : Je suis passée par le processus d’appel après la décision rendue relativement à mon affaire à laquelle je n’ai pas participé. La décision ou toutes les conclusions indiquaient essentiellement que les Directives et ordonnances administratives de la Défense ou les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes n’avaient pas été respectés. Rien n’a été fait de la façon prévue dans mon cas. Les responsables ont présenté des excuses et dit essentiellement : « Nous tâcherons de faire mieux la prochaine fois. »

Est-ce que je pense qu’un processus d’appel est un bon mécanisme pour nous? Je ne le crois pas à l’heure actuelle parce que rien n’en est ressorti. Rien n’a changé. Il n’y a pas eu de document écrit indiquant qu’on allait essayer de faire les choses différemment. On m’a pratiquement dit : « Nous allons conserver nos procédures et nous sommes désolés de ce qui vous est arrivé. »

Le sénateur Pratte : La question est de savoir si vous aimeriez disposer d’un droit d’appel, si c’est possible, devant les tribunaux. Il n’est pas facile de comparaître devant les tribunaux. C’est également difficile pour les victimes.

Sgt Miller : Absolument. Je crois que cela devrait se faire au cas par cas. Cela revient à la victime. Je ne peux pas me prononcer pour tout le monde et je ne peux pas dire aujourd’hui que j’aimerais avoir ce mécanisme. Il faut que les victimes aient toutes les possibilités de se sentir bien servies par le processus.

Le sénateur Gold : J’aimerais obtenir un renseignement. Le processus que vous avez malheureusement suivi, était-ce devant une cour martiale ou dans le cadre d’un procès sommaire?

Sgt Miller : Une cour martiale.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi C-71 n’a pas dépassé l’étape de la première lecture à la Chambre des communes en 2015 et, s’il avait été transmis au Sénat, j’aurais fait les mêmes critiques et j’aurais proposé les mêmes améliorations que dans le cas du projet de loi sur la Charte canadienne des droits des victimes.

Il faut se méfier du miroir de la réglementation. J’ai travaillé pendant 30 ans au sein du gouvernement et, lorsque les fonctionnaires et les bureaucrates adoptent une réglementation, celle-ci n’a pas pour effet de rendre une loi plus permissive, mais plutôt plus restrictive. La bureaucratie étant ce qu’elle est, les fonctionnaires, dans leur interprétation de l’application de la loi que les sénateurs et les députés ont adoptée, la rendront souvent encore plus restrictive. C’est pourquoi il est risqué de laisser une grande partie des faiblesses que comporte le projet de loi entre les mains des fonctionnaires, qui ne peuvent pas faire le travail des législateurs que nous sommes. Notre travail, selon moi, est de déterminer si ce projet de loi est bon ou non et, le cas échéant, de l’améliorer. Qu’en pensez-vous?

Mme Gagnon : Je suis d’accord.

Sgt Miller : Oui, je suis d’accord.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais remercier sincèrement nos témoins. Merci, madame Crocker, de vous être jointe à nous et de nous avoir donné votre point de vue. Madame Gagnon, nous sommes toujours heureux de vous recevoir. Sergent Miller, je vous remercie de votre service pour notre pays. Je tiens également à vous dire que votre point de vue a bien été entendu par le comité. Merci beaucoup.

Mesdames et messieurs, pour notre dernier groupe de témoins aujourd’hui, nous recevons, par vidéoconférence, Eric Charland, membre de la Section du droit militaire de l’Association du Barreau canadien; Lindsay L. Rodman, également par vidéoconférence; et Carly Arkell, du ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes.

Maître Charland, vous aimeriez peut-être commencer.

Eric Charland, membre, Section nationale du droit militaire, Association du Barreau canadien : La section du droit militaire de l’Association du Barreau canadien est reconnaissante de l’invitation de témoigner devant vous aujourd’hui concernant le projet de loi C-77 sur les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale.

L’Association du Barreau canadien est une association nationale qui compte plus de 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. Un aspect important du mandat de l’ABC est de chercher à améliorer la loi et l’administration de la justice. C’est dans cette perspective que je témoigne devant vous aujourd’hui.

La section de l’ABC est composée de spécialistes du droit militaire de partout au pays. Pour éviter un conflit d’intérêts réel ou perçu, les membres de la section, qui sont également membre du Cabinet du juge-avocat général, n’ont pas participé à la rédaction de ce mémoire.

Mon exposé aujourd’hui portera sur deux aspects du projet de loi C-77 : l’introduction de la Déclaration des droits des victimes dans la Loi sur la défense nationale et le remplacement du système de procès sommaires par le système d’audiences sommaires.

D’abord, pour ce qui est de l’intégration de la Charte canadienne des droits des victimes à la Loi sur la défense nationale, le système des cours martiales traite souvent des infractions qui ont fait des victimes. Ces dernières devraient avoir droit à un niveau de protection similaire à celui des victimes dans le système civil. Le projet de loi est un pas dans la bonne direction. Il prévoit des droits précis pour les victimes sans ajouter d’obstacles procéduraux au système des cours martiales.

L’article 71.17 indique que la section doit être interprétée et appliquée de manière raisonnable dans les circonstances et d’une manière qui n’est pas susceptible de porter atteinte au pouvoir discrétionnaire pouvant être exercé par toute personne ou tout organisme autorisés à libérer l’accusé ou le contrevenant dans la collectivité, de mettre en danger la vie ou la sécurité d’une personne, ou de porter atteinte aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

Compte tenu de la spécificité du milieu militaire, ces limites sont bien comprises. Nous insistons, toutefois, sur l’importance de protéger les victimes et espérons qu’un équilibre approprié entre des intérêts contraires sera établi lorsqu’on appliquera la Déclaration des droits des victimes.

Nous avons trois observations précises dans notre exposé sur la Déclaration des droits des victimes. La première concerne l’agent de liaison de la victime. C’est un nouveau rôle prévu par le projet de loi. Nous appuyons ce rôle, particulièrement dans le contexte des Forces armées canadiennes. Nous soulignons, cependant, que les agents de liaison de la victime doivent recevoir une formation appropriée. C’est un rôle délicat qu’ils doivent jouer.

La deuxième porte sur le droit à l’information qu’ont les victimes. Nous recommandons que le projet de loi précise l’information qui sera accessible à la victime et confirme si sa divulgation est discrétionnaire ou si c’est un droit.

La troisième préoccupation touche les renseignements sur le contrevenant, lorsqu’il est incarcéré dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire, qui peuvent être fournis à la victime. À l’exception du moment de la mise en liberté du contrevenant, ces renseignements sont généralement protégés par la Loi sur la protection de la vie privée.

La partie principale de mon exposé a trait au remplacement du procès sommaire par le système d’audiences sommaires. Le système de justice militaire possède une structure à deux paliers : la cour martiale et le procès sommaire.

[Français]

Les cours martiales sont des tribunaux militaires officiels présidés par des juges militaires indépendants. Les procès par voie sommaire se déroulent sous l’égide d’un commandant, d’un officier délégué ou d’un commandant supérieur.

Dans le contexte du système actuel, soit les procès par voie sommaire, la personne accusée a le droit d’être entendue par une cour martiale plutôt que de faire l’objet d’un procès sommaire, sauf pour des catégories d’infractions mineures, lorsque la peine envisagée ne dépasse pas un certain seuil. Ce projet de loi propose les changements suivants : il remplace les procès par voie sommaire par des audiences sommaires; il introduit le concept de manquements d’ordre militaire; il change l’approche relative au fardeau de la preuve pour adopter celle de la prépondérance des probabilités, plutôt que le principe « hors de tout doute raisonnable »; et, enfin, il fait en sorte qu’une déclaration de culpabilité à l’issue d’une audience sommaire n’empêche pas que le militaire soit jugé par une cour martiale pour une infraction liée aux mêmes faits.

Le passage d’un système de procès par voie sommaire à un système d’audiences sommaires est un changement fondamental qui modifierait considérablement l’essence même du système de justice militaire. Ce n’est pas seulement un changement de nom.

[Traduction]

L’objectif déclaré de la modification est de remplacer les procès sommaires par un processus d’audiences sommaires non pénal et non criminel pour traiter les infractions mineures d’ordre militaire. Les infractions graves continueraient d’être jugées par une cour martiale.

Le procès sommaire est principalement un tribunal militaire utilisé pour maintenir la discipline à l’échelon des unités dans les Forces armées canadiennes. Le degré moindre de protection constitutionnelle pour l’accusé dans les procès sommaires est compensé par son droit de choisir d’être jugé par une cour martiale lorsque la peine envisagée respecte un certain seuil. Il y a un processus qui suppose un choix.

La refonte importante du système de justice militaire envisagée dans le projet de loi n’a pas donné lieu récemment à un examen public exhaustif du Code de discipline militaire et du droit militaire.

[Français]

Nous recommandons, premièrement, que la transition vers les audiences sommaires qui est envisagée dans le projet de loi C-77 soit différée et, deuxièmement, que le Parlement réalise une étude exhaustive du système de justice militaire canadien et des propositions de réforme du système actuel de procès par voie sommaire.

[Traduction]

La section de l’ABC est reconnaissante de l’occasion qui lui est donnée de faire des commentaires sur le projet de loi C-77 et espère que ses observations seront utiles.

La présidente : Madame Rodman, voulez-vous faire votre exposé?

[Français]

Lindsay L. Rodman, Corps des Marines et vétérane de l’opération Enduring Freedom, à titre personnel : Mesdames et messieurs les membres du comité, merci de m’avoir invitée ici aujourd’hui.

[Traduction]

C’est un honneur pour moi que d’être parmi vous aujourd’hui. Je regrette de ne pas pouvoir témoigner en personne. Je cumule plusieurs fonctions. Je suis directrice des communications et de la stratégie juridique à Iraq and Afghanistan Veterans of America, membre de l’Institut canadien des affaires mondiales et agrégée supérieure de recherches non résidente au Reiss Center on Law and Security de la faculté de droit de l’Université de New York.

Ce qui est peut-être plus pertinent pour vous, c’est que je suis juge-avocate dans le Corps des Marines des États-Unis, au sein duquel je suis major. J’ai été dans le service actif et les réserves et j’ai été déployée en Afghanistan, au Pentagone et à la Maison-Blanche.

Aujourd’hui, je vous parle à titre individuel. Il s’agit de mes propres observations; elles ne reflètent pas celles du Corps des Marines des États-Unis.

Je fais également fièrement partie de la communauté militaire canadienne. Mon époux a pris sa retraite en septembre après 20 ans de service comme officier dans l’Aviation royale canadienne. Nous avons passé les deux dernières années à Ottawa, où j’étais membre du Council on Foreign Relations pour étudier les questions de sécurité nationale et de défense du Canada.

Il était courant dans notre couple de comparer les expériences que nous avons vécues dans l’armée américaine et l’armée canadienne. Le service de mon époux m’a beaucoup appris sur la façon dont nous pourrions mieux faire les choses chez nous, et je témoigne humblement devant vous aujourd’hui pour vous dire ce que les connaissances américaines peuvent offrir aux Forces armées canadiennes.

Lorsqu’on a publié, l’an dernier, les chiffres relatifs aux agressions sexuelles dans l’armée canadienne, je n’en suis pas revenue. Ils étaient presque similaires à ceux de l’enquête de 2012 menée dans l’armée américaine. C’est ce qui a donné lieu à des années d’enquêtes de surveillance de la part du Congrès, à des modifications annuelles de la loi et à un grand nombre de nouvelles politiques qui visaient à enrayer le fléau des agressions sexuelles dans notre armée.

Une de ces politiques, qui a fini par devenir une loi, c’est la création en 2015 d’un conseiller juridique des victimes, ou CJV. J’admets que j’étais tout à fait contre les CJV lorsqu’on a mis de l’avant cette idée.

J’éprouvais trois problèmes importants avec cette proposition. Premièrement, cela heurtait ma notion d’équité devant les tribunaux et pouvait compromettre les condamnations. Deuxièmement, je ne croyais pas que nous avions assez de personnel dans la communauté des juges-avocats pour nous acquitter de cette tâche supplémentaire. Troisièmement, cela me semblait inutile, puisque nous avions déjà en place des mesures de soutien importantes pour défendre les victimes.

J’avais tort. La capacité de notre chaîne de commandement de respecter l’intérêt des victimes s’est améliorée au fil du temps, et nous avons constaté un élan de gratitude et de soutien pour ce programme.

Même s’il n’y a pas de poste équivalent à celui de conseiller juridique des victimes dans le civil aux États-Unis, nous nous sommes aperçus que le contexte unique de l’armée exige ces ressources supplémentaires pour que l’on s’occupe vraiment des victimes au sein de notre système.

En outre, les procureurs peuvent s’en prendre au commandement même dans des situations où les défenseurs militaires des victimes et les travailleurs sociaux civils ne sont pas en mesure ou n’ont pas le pouvoir d’intervenir.

À l’heure actuelle, un certain nombre de membres du personnel sont affectés à une victime qui se manifeste dans l’armée américaine, y compris le défenseur militaire des victimes, un membre du commandement, le représentant de la victime, un travailleur social chargé d’aider la victime à accéder aux ressources dont elle a besoin et le CJV.

Toutefois, il y a des lacunes dans notre programme. Les victimes civiles, qui n’ont aucun lien avec l’armée, par exemple, n’ont pas droit aux services d’un CJV.

Même si je parle des leçons que nous avons tirées de notre expérience, je dois dire à regret que ce que nous avons fait n’a pas fonctionné. Le taux d’agressions sexuelles dans l’armée n’a pas diminué. Les derniers chiffres du département de la Défense sont mauvais et montrent qu’il n’y a eu pratiquement aucune baisse du taux général d’agressions sexuelles dans l’armée.

Même si l’armée prend des mesures supplémentaires pour s’occuper des victimes, nous créons également autant de victimes qu’il y a une décennie.

Il existe de nombreuses façons constructives de comparer les expériences américaines et canadiennes au chapitre de la lutte contre les agressions sexuelles dans l’armée. Aux États-Unis, par exemple, il n’y a pas d’Opération Honour. Même si nous n’avons pas ce programme global, nous avons consacré beaucoup de ressources et nombre d’années d’études pour régler ce problème. Certaines mesures ont connu plus de succès que d’autres. Au bout du compte, cependant, il y a encore un profond problème de culture dans l’armée américaine.

Mes commentaires portaient jusqu’à maintenant sur les efforts déployés pour appuyer les victimes d’agression sexuelle parce que je crois que c’est à cet égard que les deux armées ont grandement besoin de solutions nouvelles et novatrices. Je sais que le projet de loi C-77 contient plus que seulement la Charte canadienne des droits des victimes, notamment des réformes importantes qui visent le processus de procès sommaires.

Après avoir entendu certains des témoignages d’aujourd’hui, et ceux de M. Drapeau et d’autres la semaine dernière, je peux formuler quelques réflexions sur le processus des cours martiales sommaires aux États-Unis. Dans ce mécanisme, on n’a pas droit à un avocat. Les officiers ne peuvent pas avoir accès aux tribunaux sommaires. Des membres de l’armée peuvent perdre leur grade et être incarcérés jusqu’à 30 jours.

Même si nous avons conservé cet outil, il est rarement utilisé. Nous favorisons plutôt l’utilisation de cours martiales spéciales et générales, qui offrent toutes les protections, les garanties et les processus que nous, Canadiens et Américains, associons à des systèmes de justice modernes.

L’analogie entre les procès sommaires de l’armée canadienne et les cours martiales sommaires de l’armée américaine n’est pas parfaite, mais j’espère que les réflexions que je vous ai proposées cet après-midi vous sont utiles.

Je vous remercie de votre attention et j’ai hâte de répondre à vos questions.

Major Carly Arkell, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, à titre personnel : J’aimerais commencer par remercier le comité de m’avoir invitée à témoigner aujourd’hui. J’ai l’intention de parler de mon expérience personnelle de violence sexuelle dans les Forces armées canadiennes après l’Opération Honour, en ce qui concerne le soutien aux victimes et les droits des victimes.

J’ai 21 années d’expérience dans la réserve et le service des Forces armées canadiennes. Entre 1998, année où je me suis jointe à l’armée, et il y a quatre ans, je n’avais pas subi de violence sexuelle. Il y a eu beaucoup d’incidents de harcèlement léger à modéré, de nature sexuelle et non sexuelle, mais je m’étais adaptée à la culture et jugeais qu’il s’agissait de désagréments occasionnels.

Depuis le début de l’Opération Honour en 2015, j’ai été agressée sexuellement par un membre des Forces armées canadiennes. C’était un membre en qui j’avais confiance et qui avait un grade supérieur au mien.

Je voulais faire fi de ce qui s’était produit et prétendre que ce n’était pas arrivé, mais j’ai signalé l’agression dans les deux semaines. Je me sentais obligée de signaler l’incident parce que mon agresseur occupait et continuerait d’occuper des postes investis de grands pouvoirs. J’ai compris que, si cela m’était arrivé, je ne pouvais pas être la première et je ne serais pas la dernière. Je n’aurais pas pu vivre en paix avec ma conscience si je n’avais pas parlé et que j’avais laissé mon agresseur faire la même chose à quelqu’un d’autre.

Je n’ai pas été bien appuyée en tant que victime. Premièrement, on ne m’a pas tenue au courant de l’évolution ou de l’état de l’enquête, malgré le fait que l’enquêteur m’avait promis de me tenir informée.

Deuxièmement, j’ai eu l’impression que je faisais l’objet de l’enquête autant que mon agresseur. L’enquêteur a exercé des pressions sur moi pour que je consente à lui remettre mon dossier médical complet. On m’a rencontrée en entrevue à de nombreuses occasions.

Enfin, lorsque j’ai demandé le soutien d’un agent de liaison de la victime qui était disponible, selon ce qu’on m’a dit, j’ai dû faire de nombreux appels avant de pouvoir m’entretenir avec quiconque. Le seul soutien qu’on m’a offert, c’est de me fournir une liste de centres civils pour les victimes d’agression sexuelle et de viol. C’est la seule fois que l’agent de liaison de la victime a communiqué avec moi.

Le seul appui dont j’ai bénéficié a été celui que j’ai trouvé par moi-même, et c’était du soutien informel par les pairs et un service de consultation offert par les services de santé des Forces armées canadiennes.

Une des valeurs de l’éthique militaire des Forces armées canadiennes, c’est la loyauté. Dans Servir avec honneur : La profession des armes au Canada, on peut notamment lire ceci :

Pour qu’elle dure, la loyauté doit être réciproque et fondée sur la confiance mutuelle.

Dès le premier jour de formation militaire de base, on enseigne aux membres à faire partie d’une équipe, à travailler ensemble et à se faire confiance. C’est essentiel pour l’efficacité des opérations. Peu importe le poste ou l’élément, tous les membres doivent être convaincus que la personne à leur côté fera son travail et sauvera leur vie, peu importe qu’on soit dans les airs, au sein d’une patrouille à pied dans une région hostile ou sur un navire au milieu de l’océan.

L’inconduite sexuelle érode cette confiance. Lorsqu’un membre est agressé sexuellement, cette confiance est brisée instantanément. Je ne suis pas naïve au point de croire qu’on peut éradiquer les inconduites sexuelles. Toutefois, je crois fermement que l’organisation et tous les dirigeants peuvent influer sur la façon de réagir au problème. La réaction de l’organisation au moyen de politiques, de procédures et de ressources est essentielle, mais la réponse de tous les dirigeants et superviseurs est tout aussi importante. L’action ou l’inaction déterminera si la confiance peut être rétablie.

Je pense que les éléments suivants sont fondamentaux au soutien aux victimes. Premièrement, la clarté et la transparence du processus de signalement englobent le processus disciplinaire, y compris le système de justice militaire, et le processus administratif. Le projet de loi C-77 porte sur le processus disciplinaire, mais il n’y a rien encore pour soutenir le processus administratif.

Dans mon cas, l’officier général m’a dit : « Ne comptez pas sur le processus disciplinaire, mais le processus administratif va l’attraper. » Cependant, vu la nature secrète et confidentielle du processus administratif, je n’ai aucun moyen de connaître le résultat de ce processus. Je ne sais même pas si un examen administratif a été effectué conformément aux Directives et ordonnances administratives de la Défense.

Deuxièmement, le soutien et les conseils aux victimes doivent venir d’une personne, qui connaît bien les droits des victimes, le système de justice militaire et les processus administratifs militaires, est en mesure de protéger la victime contre les préjugés favorables aux unités, indépendante de la chaîne de commandement, et est capable de protéger la confidentialité de la victime.

Ces personnes ne devraient pas être membres de l’unité de la victime. Il ne devrait pas s’agir d’une affectation à une tâche secondaire comme c’est le cas des officiers désignés en général. Cela n’offrirait pas le soutien et les conseils nécessaires et traumatiserait probablement encore davantage la victime, ce qui lui causerait plus de préjudices.

Après mon agression, j’ai obtenu beaucoup de soutien de la part de mon superviseur et de la chaîne de commandement. Cela a considérablement modifié la façon dont je voyais les Forces armées canadiennes. Je crois que c’est en grande partie la raison pour laquelle j’ai la force et la confiance nécessaires pour témoigner devant vous aujourd’hui.

Je ne suis pas la seule survivante de traumatisme sexuel subi dans l’armée, mais j’ai la chance de pouvoir m’exprimer ouvertement. Je ne suis que la pointe de l’iceberg. Nombre de membres et d’anciens combattants n’ont pas la capacité ou les moyens de s’exprimer publiquement. Ma confiance dans l’organisation est encore fragile. La façon dont elle répond aux besoins d’autres membres renforcera ou brisera cette confiance fragile.

Il y a quelques années, on m’a demandé si j’avais des propositions à faire sur ce sur quoi pourraient se fonder les Forces armées canadiennes pour mesurer leur succès. Voici ce que j’ai répondu :

Si un membre peut signaler un incident, suivre le processus et conserver sa carrière intacte, alors nous aurons réussi.

Comme j’ai obtenu ma libération pour raisons médicales à la suite d’une agression sexuelle dans l’armée, je suis la preuve que l’approche adoptée jusqu’à maintenant avec l’opération Honour a échouée. On ne peut pas refaire l’histoire. Toutefois, mon expérience peut servir à améliorer les choses. Si quelqu’un d’autre est protégé ou peut bénéficier d’un meilleur soutien et se rétablir, alors quelque chose de positif aura découlé de ma douleur et de mes souffrances et de celles de ma famille.

La présidente : Major, merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma première question s’adresse à Mme Rodman.

Croyez-vous que le projet de loi C-77 n’est qu’un écran de fumée de politiciens? Si tel est le cas, de quel exemple pourrions-nous nous inspirer du côté des Américains pour optimiser les impacts du projet de loi C-77?

[Traduction]

Mme Rodman : Merci, monsieur le sénateur, de votre question. Je ne veux pas dire s’il s’agit ou non d’un écran de fumée de politiciens, mais je dirais qu’il semble que ce soit un pas dans la bonne direction.

L’augmentation des ressources pour les victimes dans l’armée américaine a toujours été perçue comme une bonne mesure.

La question de savoir si le projet de loi va assez loin, c’est autre chose. Si vous, dans votre sagesse, déterminez que c’est suffisant pour que l’on s’occupe de toutes victimes dans le système militaire canadien, je douterais que ce soit le cas, mais si vous pensez que le fait d’étendre les protections qui existent pour les civils au système militaire canadien est un pas dans la bonne voie, je n’aurais aucune difficulté à accepter cela.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci. Ma seconde question s’adresse au major Arkell.

Comment avez-vous trouvé le mode de communication mis en place par le projet de loi C-77? Avez-vous l’impression que cela aurait mieux permis de faire avancer votre cause?

[Traduction]

Maj Arkell : Je pense que le projet de loi, comme il est rédigé, aurait pu être utile dans mon cas.

Toutefois, je m’inquiète précisément des politiques et des règlements qui seraient mis en place pour protéger les victimes.

D’abord, il ne fournit pas de protection si la chaîne de commandement exerce des représailles ou si elle omet de s’acquitter de ses tâches conformément aux directives et aux ordonnances.

Dans mon cas, la chaîne de commandement m’a beaucoup appuyée, mais il n’y a tout de même aucun moyen de garantir que les politiques et les procédures qui seraient mises en place à la suite des amendements au projet de loi fourniraient en réalité les mesures de soutien nécessaires.

Le deuxième aspect, c’est quelque chose qui, à mon avis, est extrêmement important. Quand vient le temps d’informer la victime, le libellé précise « sur demande ». Je suis privilégiée en raison de mon éducation, de mon rang, de mes années de service et de mon expérience de leadership dans les unités opérationnelles, le quartier général et la bureaucratie. J’ai eu du mal à trouver de l’aide et je ne savais pas vers qui me tourner ou quoi dire.

J’ignorais où se trouvait l’information et je ne savais même pas que je pouvais la demander, alors comment pouvons-nous nous attendre à ce que les nouvelles recrues ou les personnes qui ont subi des traumatismes pires que le mien puissent y arriver?

Je crois sincèrement qu’on devrait, dans le cours normal des choses, communiquer aux membres et aux victimes leurs droits, et cela devrait se refléter dans les gestes. Ils devraient savoir qu’ils ont le droit de demander le soutien d’un agent de liaison. Il ne faut pas les forcer à parler à un agent de liaison ni le leur imposer, mais ils devraient recevoir l’information afin de pouvoir choisir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Maître Charland, ce sont toujours les commandants qui détermineront si les militaires ont commis des manquements et qui imposeront des sanctions. Est-ce que cet aspect du projet de loi est inconstitutionnel ou conduira à des litiges qui pourraient durer des années?

M. Charland : Je vous remercie de la question.

J’aimerais faire une précision. Vous parlez des commandants qui décideront si des manquements d’ordre militaire ont été commis. Si on parle d’infractions d’ordre militaire, il y a normalement un choix entre un procès par voie sommaire et un procès devant une cour martiale actuellement. Si on parle, avec le nouveau projet de loi, d’une audience sommaire, dans ce cas-ci, oui, ce sont des commandants ou des officiers délégués qui pourront décider. Par contre, la plus grande distinction à faire, c’est que, dans le processus actuel, lorsque l’infraction est d’une telle nature qu’elle peut entraîner une peine assez importante, on donne le choix à la personne accusée de subir un procès par voie sommaire ou un procès devant une cour martiale. Cette distinction est très importante parce que, dans un procès par voie sommaire, il y a des protections vis-à-vis de la procédure qui sont moins importantes que devant la cour martiale. Dans un procès par voie sommaire, c’est un officier, soit un commandant, un officier délégué ou un commandant supérieur, qui préside le procès, tandis que, à la cour martiale, il y a un juge militaire dûment nommé et membre du barreau, un procureur de la Couronne et un avocat de la défense. Ces derniers ont donc les pleins pouvoirs, reconnus de plein droit en vertu de la Charte et d’autres instruments canadiens qui s’appliquent normalement à la justice criminelle.

Le sénateur Dagenais : Vous dites que, à la cour martiale, c’est un juge militaire qui préside, alors que, pour un procès par voie sommaire, ce ne sont pas des militaires?

M. Charland : Exactement. Il n’y a pas de procureur de la Couronne ou d’avocat de la défense. C’est une procédure de nature inquisitoire présidée par l’officier supérieur, le commandant de l’unité ou un officier délégué.

Le sénateur Dagenais : Vous dites que c’est une mesure inquisitoire qui est présidée par un commandant?

M. Charland : Oui; quand on parle de procès par voie sommaire ou des audiences sommaires qui sont proposées dans le projet de loi, c’est le commandant qui a la responsabilité de présider le procès. Il n’y a pas d’avocat ou de juge qui participe au procès. Par contre, avec les procès par voie sommaire que nous avons actuellement, un militaire qui serait mis en accusation pourrait contacter un service d’avocats de la défense, qui sont des avocats militaires. Ils peuvent être rejoints en tout temps pour répondre à des questions. Par contre, cela ne constitue pas une représentation juridique. Il s’agit plutôt de conseils juridiques sur des procédures qui auraient été entamées relativement à un procès par voie sommaire.

Le sénateur Dagenais : Ultimement, ils sont toujours des militaires.

M. Charland : Le service des avocats de la défense peut compter sur des avocats militaires dont le mandat est de représenter les militaires s’ils sont traduits en cour martiale. À ce moment-là, il s’agit d’une représentation juridique pleine et entière.

Si vous me le permettez, pour faire suite à la question que vous avez posée à Mmes Rodman et Arkell, j’aimerais vous dire que je ne crois pas que le projet de loi est un écran de fumée pour la Déclaration des droits des victimes, et ce, pour une raison: actuellement, la justice militaire est complètement exclue de la Déclaration des droits des victimes d’actes criminels.

[Traduction]

La Charte canadienne des droits des victimes ne s’applique pas du tout au système de justice militaire.

[Français]

Si cette partie du projet de loi est adoptée, une protection sera assurée. C’est pourquoi on dit qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction.

Le sénateur Dagenais : C’est un pas dans la bonne direction, mais on n’a jamais consulté les victimes, par contre.

M. Charland : Je comprends votre point de vue.

Le sénateur Dagenais : Merci.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : J’ai une question pour Mme Rodman et une autre pour le major Arkell.

Madame Rodman, merci de l’article qui a été publié dans l’un des principaux journaux du Canada. Je crois que nous l’avons tous trouvé très utile. Dans l’armée américaine, la représentation juridique est maintenant offerte gratuitement aux victimes.

Quelles sont les principales lacunes du système équivalent aux agents de liaison de la victime aux États-Unis? Comment ces lacunes ont-elles contribué à la décision de fournir la représentation juridique qui est offerte maintenant?

Pourriez-vous nous donner un aperçu de notre avenir?

Mme Rodman : Nous avions en réalité une approche hybride. Il s’agissait de deux systèmes de soutien des victimes différents. Le défenseur militaire des victimes et le défenseur des victimes, qui était un travailleur social civil titulaire d’une maîtrise, constituaient une ressource combinée offerte aux victimes avant l’arrivée du conseiller juridique des victimes en 2014 et en 2015.

Comme je l’ai mentionné, je croyais à l’époque que le conseiller juridique des victimes causait de l’obstruction. Ce qu’on disait dans la communauté juridique, c’était que les victimes, même pendant le processus disciplinaire, n’étaient pas représentées adéquatement devant les tribunaux.

Le major Arkell a dit que les procureurs voulaient avoir son dossier médical. Les procureurs et les avocats de la défense voulaient tous deux obtenir les dossiers médicaux, alors les victimes sentaient qu’elles n’étaient pas représentées de manière adéquate devant les tribunaux d’un côté comme de l’autre. Le conseiller juridique des victimes devait intervenir dans les motions lorsque c’était pertinent pour les intérêts de la victime. Le véritable mandat du conseiller juridique des victimes est beaucoup plus vaste que cela.

J’ai été très touchée par le témoignage du major Arkell. Il est étonnant de constater qu’il reflète les histoires de nombreux membres en service de l’armée américaine. La capacité d’être représenté dans les processus administratifs et d’avoir un avocat à ses côtés afin qu’il interroge le commandement et demande l’information nécessaire a été un outil très puissant pour les victimes. C’est quelque chose que les victimes, même par l’entremise du défenseur des victimes et du travailleur social, ne croyaient pas qu’elles pouvaient faire.

Une des raisons pour lesquelles j’étais sceptique, c’était parce que je ne comprenais pas pourquoi les victimes n’obtenaient pas la réponse dont elles avaient besoin. En tant qu’avocate, je n’ai pas toujours senti que j’étais dans une position spéciale où j’allais nécessairement obtenir de meilleures réponses que les victimes.

Je tiens à préciser que je n’ai pas personnellement été conseillère juridique des victimes, mais certains de mes collègues et de mes amis ont rempli ce rôle. Je crois comprendre qu’un avocat obtient beaucoup plus de réponses, même s’il n’agit pas dans le cadre d’une représentation juridique traditionnelle.

Une grande partie du travail du conseiller juridique des victimes n’est pas ce à quoi on s’attendrait d’un avocat ordinaire. Il ne représente pas seulement les victimes devant les tribunaux. Il les guide dans le cadre des processus administratif et disciplinaire afin de s’assurer que leurs droits sont respectés.

La sénatrice McPhedran : Major Arkell, merci d’être avec nous dans le cadre d’une séance publique. J’aimerais également exprimer ma reconnaissance aux superviseurs qui vous ont appuyée et encouragée. Vous nous avez fourni beaucoup de matière à réflexion aujourd’hui.

Un des aspects dont vous avez parlé, c’est votre famille. Un des principaux points que je retiens, c’est qu’on en fait pas assez non seulement pour les victimes, mais également pour leur famille.

Voyez-vous quelque chose dans le projet de loi C-77 qui serait utile ou qui aurait pu être utile également pour votre famille? Y a-t-il quelque chose qui vous a frappé et qui aurait pu, selon vous, changer la donne?

Maj Arkell : En bref, non. Je dirais qu’un meilleur soutien dans mon cas aurait indirectement eu un effet positif sur ma famille. Cependant, je n’ai rien vu dans le projet de loi qui se serait appliqué à ma famille.

Si je me souviens de ce que j’ai lu, on parle d’un représentant qui agirait pour le compte de la victime si elle en est empêchée ou incapable, mais rien ne porte directement sur ce soutien.

La sénatrice McPhedran : Je ne sais pas si vous avez entendu ce qui a été dit ce matin, mais j’ai dit aux fonctionnaires qu’ils se servaient des règlements comme d’un genre de baguette magique.

Il est possible d’accepter l’idée que les règlements puissent en réalité combler nombre de lacunes du projet de loi. Je n’adhère pas nécessairement à cela, mais allons-y avec cette hypothèse. Quels types de règlements pourraient répondre aux besoins des familles des victimes, ou que pourrait-on faire de plus à cet égard? Avez-vous des observations à ce sujet?

Maj Arkell : Je conviens que le projet de loi n’est qu’un seul élément. Je me demande ce qui nous garantirait que les politiques et les règlements qui découleront du projet de loi fourniraient les mesures de soutien nécessaires et qu’ils seraient même appliqués selon les besoins des membres et de leur famille.

Quelles sont les mesures de soutien qui bénéficieraient aux familles? Je ne crois pas que ce soit nécessairement la façon d’aborder la situation. Cependant, si on laisse de côté un moment le projet de loi et qu’on examine le soutien aux membres et aux familles, je pense que les époux, les enfants, les couples et les familles devraient avoir accès à des services de consultation et à des services psychologiques, particulièrement dans le contexte du milieu militaire.

Les Forces armées canadiennes n’embauchent pas de psychologues dans leurs rangs. On retient leurs services comme sous-traitants, ou on envoie les victimes dans la collectivité. Rien ne garantit que ces fournisseurs comprennent l’environnement militaire. Cela peut avoir des incidences sur la qualité des soins.

En outre, cela se limite aux membres ou aux couples; les époux, les enfants ou les familles n’y ont pas accès. Le système actuel comporte beaucoup de contraintes et il peut être amélioré. Un autre élément serait la garde d’enfants pendant les réunions, le procès et les consultations.

Mon époux et moi-même travaillons à temps plein, alors nous devons avoir recours à des services de garde, et nos enfants sont maintenant d’âge scolaire. Toutefois, nombre de membres, particulièrement si le conjoint reste à la maison, n’ont pas nécessairement accès à des services de garde. De plus, ils n’ont peut-être pas de la famille dans la région. L’endroit où se trouve la famille n’a pas d’importance. On peut être affecté d’un bout à l’autre du pays.

L’élargissement des services psychologiques serait un aspect important, au même titre que l’offre de services supplémentaires, comme des services de garde lorsqu’on se prévaut des services offerts, pendant le procès ou à d’autres moments de l’enquête.

Personnellement, ce n’était pas ma situation, mais j’ai accompagné une amie proche au moment où elle a signalé un incident et pendant son entrevue avec le Service national des enquêtes des Forces canadiennes. Je me suis occupée de son bébé de six mois pendant deux heures et demie ou trois heures dans la salle d’attente pendant qu’elle signalait son agression.

La sénatrice McPhedran : Si on vous consultait à propos des règlements, si les Forces armées canadiennes vous demandaient d’aider des victimes si le projet de loi C-77 était adopté, que répondriez-vous à cette demande?

Maj Arkell : Personnellement, j’en serais ravie. Je sais qu’il y a d’autres membres, que ce soit des membres actifs ou des retraités, qui sauteraient sur l’occasion de donner leur avis et d’aider à l’élaboration des politiques et des règlements, ainsi qu’à la rédaction des procédures et à la mise en œuvre des programmes.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à nos invités. Merci, major Arkell, pour votre courage.

Tout d’abord, monsieur Charland, serait-il préférable de voir des agents de liaison qui auraient une formation en droit pour offrir un meilleur soutien légal aux victimes?

Ma deuxième question est la suivante : si ce projet de loi n’est pas adopté par le gouvernement, faute de temps, est-ce que le système de justice militaire aurait l’autorité nécessaire pour émettre une directive qui permettrait d’intégrer une déclaration des victimes dans ses procédures?

M. Charland : Pour répondre à votre première question, une formation en droit pour les agents de liaison pour les victimes pourrait être une bonne idée, mais ce n’est pas quelque chose dont je pourrais vous parler au nom de la section de l’Association du Barreau canadien. Nous n’avons pas analysé cette question en profondeur.

En ma qualité d’ancien avocat militaire et de membre des forces pendant une vingtaine d’années, et d’avocat dans le domaine civil à l’heure actuelle, je peux vous dire que, si un agent de liaison a une formation en droit, il est presque un avocat pour la victime. Actuellement, l’agent de liaison n’est pas un avocat pour la victime, mais il prête assistance à la victime.

Pour ce qui est de votre deuxième question sur la Déclaration des droits des victimes, nous ne l’avons pas analysée en profondeur, et cela reste à confirmer, mais, selon ma compréhension, il y a eu des changements à la Loi sur la défense nationale qui font en sorte que, avec ou sans Déclaration des droits des victimes, que ce projet de loi soit adopté ou non, il serait possible d’invoquer une déclaration des droits des victimes en cour martiale. Selon ma compréhension, et je crois que c’est quand même important, les procès par voie sommaire ou les audiences sommaires qui sont traités dans le projet de loi ne sont pas affectés; il n’y a pas d’impact. Le projet de loi n’apporte pas de changements sur ce plan. C’est ce que j’en comprends, en tout cas.

Le sénateur Boisvenu : C’est comme la Charte canadienne des droits des victimes dans le domaine civil.

Major Arkell, j’ai cru comprendre que vous êtes major et que vous avez déjà été une victime; c’est bien cela?

Maj Arkell : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends également que vous n’avez pas été consultée au sujet du projet de loi C-77?

Maj Arkell : Non, pas du tout.

Le sénateur Boisvenu : Il y a une question qui me préoccupe beaucoup. Lorsqu’une militaire dépose une plainte et que des procédures sont entamées, si elle quitte les forces armées, elle sera obligée de traiter avec les services de la province plutôt qu’avec les services des forces armées, que ce soit pour l’indemnisation, la protection ou autre chose.

Les forces armées vont « larguer » cette personne à une province — excusez le terme, mais c’est un peu cela. Il y a quatre provinces au Canada qui ne fournissent aucun service aux victimes, quatre qui offrent un minimum de services et quatre autres qui fournissent de très bons services. Cela veut dire qu’une victime pourrait — vous me direz si j’ai tort —, à la limite, subir ce type de pression parce qu’elle a déposé une plainte relativement à un haut gradé, et cette pression pourrait l’amener à quitter les forces armées à cause du stress. On va alors automatiquement la larguer, et elle ne pourra plus dépendre des forces armées pour obtenir de l’aide. Est-ce ce que vous comprenez du projet de loi?

[Traduction]

Maj Arkell : Oui. D’après ce que j’ai compris, on n’offre aucun service ni aucun soutien, même dans le projet de loi, qui se prolongerait au-delà d’une date de libération. Je ne connais pas les chiffres, mais je suis certaine qu’il y a des statistiques à ce sujet. Un grand pourcentage de membres font des dénonciations et passent par le processus d’enquête. Qu’ils soient jugés ou non ou qu’ils soient accusés, ils finissent par souffrir de l’expérience et avoir des séquelles psychologiques et, au bout du compte, par être libérés des forces pour des raisons médicales ou parce qu’ils ont perdu confiance et ont besoin de s’éloigner du milieu.

Une fois libéré, à la date de votre libération, vous ne recevez plus aucun service des Forces armées canadiennes et vous êtes pris en charge par les provinces.

Comme vous l’avez dit, cela dépend entièrement des services fournis par les provinces. Ceux-ci varient d’une région à l’autre du pays. La province dans laquelle vous choisirez de prendre votre retraite ou d’être libéré et d’y déménager dictera tout. Il n’y a aucune normalisation ou garantie de quoi que ce soit.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : N’y aurait-il pas lieu de présenter un amendement pour obliger les forces armées à aller au fond du dossier des agressions, afin que les victimes puissent bénéficier d’un soutien psychothérapeutique et, le cas échéant, d’une indemnisation? Même si la victime a quitté ses fonctions, les forcées armées ne devraient-elles pas garder cette responsabilité envers les victimes, étant donné que l’agresseur travaillera toujours dans les forces armées et pourra obtenir une thérapie, alors qu’on largue carrément la victime?

[Traduction]

Maj Arkell : Je parle à titre personnel. Je ne parle pas au nom des Forces armées canadiennes. Je tiens à m’assurer que c’est très clair.

Moi, Carly, je pense que des services et un soutien devraient être offerts au membre tout au long de l’enquête et de tout procès subséquent. À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas, mais je crois que ce devrait l’être.

Je ne vais pas m’engager sur la question de savoir si cela devrait être fait par les Forces armées canadiennes ou par Anciens Combattants Canada ni sur l’aspect de la transition. Je crois savoir que ces services de soutien sont en train d’être renforcés en ce moment même. Il y a beaucoup de travail et d’efforts à faire dans ce dossier.

Les traumatismes sexuels en milieu militaire et leurs répercussions ne se limitent pas à l’aspect juridique. Il y a aussi le côté administratif et le côté médical. Il y a les services de soutien et Anciens Combattants Canada. Cela ne se résume pas simplement au projet de loi.

Je ne pense pas que ce soit réaliste de s’attendre à ce que le projet de loi règle tout. Je ne pense pas que ce soit raisonnable. Ce n’est juste pour personne. Oui, je crois qu’il devrait être possible de recevoir ce soutien et ces services même si un plaignant a été libéré.

Je dirais que les Forces armées canadiennes ont fait quelques progrès au cours des deux dernières années ou de la dernière année et demie. Le CANFORGEN, message général des Forces armées, sur les comportements sexuels dommageables et inappropriés a permis aux membres de choisir de s’identifier et de ralentir ainsi le processus de libération jusqu’à ce que les critères soient respectés. Alors qu’on détermine notamment les processus criminels et disciplinaires et les aspects médicaux, rien ne garantit qu’ils demeureront en vigueur ni n’indique la façon dont ils seront intégrés aux politiques et aux règlements futurs.

L’intention est de fournir du soutien et des services, mais il n’y a pas de cadre à long terme.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour les services que vous rendez au Canada.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre dernier commentaire, car si le projet de loi C-77 était adopté, il s’inscrirait dans un éventail beaucoup plus vaste de lois, de règlements, de politiques, de directives, de services et ainsi de suite.

Je veux m’assurer de bien comprendre. En ce qui concerne la Déclaration des droits des victimes, la définition des victimes est claire : il s’agit d’une personne, militaire ou civile, contre laquelle une infraction militaire a été commise. Aucune limite de temps n’est établie. Même si une victime quitte l’armée, elle bénéficie toujours, en théorie, du même ensemble de droits dans le cadre du projet de loi.

Il se peut qu’il y ait des services qui fassent défaut ou quelque chose du genre, et c’est une vraie préoccupation; toutefois, pour les besoins de notre travail sur le projet de loi C-77, je voulais que ce soit clair.

Le sénateur Pratte : J’ai deux questions.

[Français]

Ma première question s’adresse à Me Charland. Le projet de loi prévoit que les audiences sommaires traitent de tous les manquements d’ordre militaire et de l’imposition d’une série de sanctions. On parle même de rétrogradation, jusqu’à des sanctions mineures qui seront définies par règlement. La rétrogradation est une sanction assez sérieuse dans le milieu militaire. Que pensez-vous de cette liste de sanctions? Est-ce que cela correspond à un processus? Est-ce que ce sujet devrait être traité par les nouvelles audiences sommaires?

M. Charland : Je vous remercie de la question. C’est un élément pour lequel le projet de loi ne donne pas de réponse pour l’instant, parce que les audiences sommaires, les infractions, selon la compréhension de l’Association du Barreau canadien, viendront par règlement. Des règlements seront pris pour définir tout cela. Il y a aussi les infractions et les peines. Par contre, il y a des principes de détermination de la peine qui sont très similaires à ceux qui sont actuellement en vigueur pour les procès par voie sommaire et la cour martiale. Donc, notre section de l’Association du Barreau canadien ne s’est pas penchée là-dessus. Vous avez entendu des témoins, notamment un lieutenant-colonel à la retraite, l’ancien juge militaire Perron. Dans son mémoire, il a fourni des argumentations plus poussées à ce sujet. Même si on dit que ce n’est pas une sanction pénale, quand on parle de rétrogradation, par exemple, cela vient notamment avec une baisse de salaire, et quand tout cela atteint un certain niveau, un certain degré, des gens pourraient penser que cette sanction est de nature pénale.

Une des préoccupations de notre section de l’Association du Barreau canadien, c’est que, pour l’instant, on n’a pas de détails à ce sujet. Ce sont des détails qui viendront par règlement. C’est pourquoi il est difficile de vous donner une réponse très claire. Toutefois, je crois que la rétrogradation pourrait être considérée comme une sanction pénale.

Le sénateur Pratte : Merci beaucoup.

[Traduction]

Major Arkell, merci de partager votre douloureuse histoire avec nous.

Vous avez parlé de quelque chose qui a été mentionné plus tôt par des témoins précédents au sujet du processus administratif. Un témoin qui a comparu devant nous ce matin a dit que la chaîne de commandement, ou quoi que ce soit d’autre, a recours à des processus administratifs plutôt qu’au système de justice militaire, parce que c’est plus pratique ou parce qu’on décide tout simplement de contourner le système de justice militaire.

J’ai été surpris par le fait que des officiers vous aient dit qu’ils traiteraient la question de l’agression sexuelle, qui est une infraction très grave, dans le cadre de processus administratifs. Ai-je bien compris ce qu’ils ont dit?

Maj Arkell : Ce n’est pas quelqu’un qui m’a dit cela. Mon cas faisait alors l’objet d’une enquête du Service national des enquêtes. C’est un général qui me l’a dit pour me rassurer et modérer toute attente que je pourrais avoir. Le processus disciplinaire, le processus juridique militaire, n’était pas nécessairement quelque chose qui me permettrait d’obtenir ce que je voulais ou ce dont j’avais besoin. Toutefois, je pouvais avoir confiance dans le processus administratif; la Directive et ordonnance 50(19) indique qu’un examen administratif devait être réalisé. Cet examen administratif, qui est un processus parallèle, mais distinct, permettrait de régler la situation.

Ce sont les moyens utilisés pour corriger les lacunes quant au rendement, pas nécessairement les actes criminels ou les questions disciplinaires. On peut y avoir recours pour quelque chose d’aussi simple qu’un membre qui, de façon répétée, ne fait pas son travail selon une norme appropriée.

En même temps, le dossier de toute personne accusée d’inconduite sexuelle ou trouvée en possession de drogues illégales fait immédiatement l’objet d’un examen administratif.

Des examens administratifs sont également effectués lorsque vous entrez dans une nouvelle catégorie médicale et que vous n’êtes plus apte à servir. On y avait recours pour beaucoup plus d’aspects que la seule discipline. C’est un processus parallèle, mais c’est le moyen par lequel une personne peut être réformée des Forces armées canadiennes.

Le sénateur Pratte : Dans votre cas, si je comprends bien, à votre connaissance, il ne s’est rien passé sur le plan administratif.

Maj Arkell : Je soupçonne fortement qu’il n’y a jamais eu d’examen administratif. Toutefois, en raison de préoccupations en matière de protection de la vie privée, je n’ai pas le droit de connaître les résultats d’un examen administratif ni d’obtenir l’assurance qu’un examen administratif a été réalisé.

Le sénateur McIntyre : Major Arkell, je me fais l’écho des remarques de mes collègues concernant la terrible situation dans laquelle vous vous êtes malheureusement retrouvée. C’est très troublant, en effet, mais vous vous êtes très bien exprimée.

[Français]

Maître Charland, je comprends que, selon l’Association du Barreau canadien, le Parlement devrait entreprendre un examen approfondi du système de justice militaire canadien.

Pourriez-vous nous donner des précisions, s’il vous plaît?

M. Charland : Oui. En fait, quand on fait l’analyse du projet de loi C-77, on remarque deux choses. Dans le fond, le projet de loi fait partie du plan d’incorporation de la Déclaration des droits des victimes à la Loi sur la défense nationale. Parfois, on a l’impression que cela passe un peu sous le radar, mais on nous dit que, avec une réforme du processus des procès par voie sommaire, qui remplace ces derniers par des audiences sommaires, il ne s’agirait plus d’une infraction en fonction du droit criminel et qu’il n’y aurait donc plus de casier judiciaire.

La Loi sur la défense nationale a subi des modifications majeures au fil du temps, notamment en 1998, à la suite de l’adoption du projet de loi C-25. Depuis ce temps, des révisions quinquennales ont été incorporées à la loi, afin d’y apporter des modifications en fonction de l’évolution du droit canadien.

Dans le cadre de certaines études, nous nous sommes penchés sur les procès sommaires, qui font partie intégrante du système de justice militaire. Cependant, nous n’avons pas noté de défaillance majeure dans le système des procès sommaires.

Je comprends que, de votre côté, vous avez entendu des témoins qui ont parlé de problèmes ayant trait à une disposition d’esprit d’un commandant ou d’un officier qui présidait les procès sommaires. Si j’ai bien compris, on a dit que, dès le départ, on était reconnu coupable. Je comprends qu’il s’agit là d’une perception que l’on peut avoir; cependant, d’éminents juristes se sont prononcés sur certaines questions relatives aux procès sommaires et nous n’avons pas noté de conclusions de cette ampleur. Il n’y a pas eu de contestation judiciaire en ce qui a trait à la constitutionnalité du processus qui aurait pu faire état de ce genre de choses à cet égard.

Toutefois, notre Section nationale du droit militaire au sein de l’Association du Barreau canadien est d’avis que des changements de cette ampleur exigent l’apport d’une révision externe du droit militaire ou des responsabilités des avocats militaires. L’entité qui semble la mieux placée pour faire cela est le Parlement. Vous faites une étude du projet de loi, mais le projet de loi couvre beaucoup de choses; il y a la Déclaration des droits des victimes, ainsi que des modifications majeures aux procès sommaires, qui deviendraient des audiences sommaires. On a gardé beaucoup de choses pour l’étape de la réglementation, et nous ne disposons évidemment pas d’une réglementation associée au projet de loi pour savoir quelle direction nous devrions prendre.

J’espère que cela répond un peu à votre question.

Le sénateur McIntyre : Oui. Merci, monsieur Charland.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Merci à tous d’être ici. Major Arkell, je veux m’assurer que j’ai bien compris votre témoignage.

Si vous aviez eu accès à une ressource de votre choix, comme un agent de liaison de la victime dûment formé et les autres mesures de soutien prévues pour les victimes dans le projet de loi, ai-je bien compris que, dans votre cas, cela aurait pu vous aider, vous et votre famille, à traverser ce que vous avez dû vivre?

Maj Arkell : Dans ma situation, je ne sais pas qui j’aurais choisi comme agent de liaison de la victime. J’ai eu beaucoup de chance que ma vie privée ait été respectée par la chaîne de commandement et que très peu de gens au sein de mon organisation ou de toute autre organisation aient été au courant. Encore aujourd’hui, je suis certaine que mon témoignage ici aujourd’hui sera un choc pour la plupart des gens avec qui je travaille.

Si je tiens pour acquis que c’est semblable à un officier désigné, comme lorsqu’un membre est malade ou blessé et revient d’Afghanistan ou se trouve dans d’autres situations où un officier est désigné pour aider un membre, je ne pense pas qu’un agent de liaison de la victime aurait été très utile pour moi, car mon superviseur a été en mesure de me fournir un peu de tout cela.

Le manque de clarté, les processus, les procédures et la connaissance de mes droits, le cas échéant, étaient des obstacles plus importants. Même mon superviseur n’était pas au courant. Je dois préciser que mon superviseur à l’époque était très haut gradé. J’étais dans une position unique à ce moment-là.

Je ne pense pas que l’agent de liaison de la victime m’aurait été utile, pour être honnête avec vous.

Le sénateur Gold : Votre dernier point est important, à savoir que votre supérieur qui vous soutenait n’a pas été en mesure de vous fournir toute l’information. D’après ce que je comprends du projet de loi et des témoignages, l’une des fonctions de l’agent de liaison de la victime est de fournir l’éventail de renseignements et de ressources dont vous pourriez choisir de bénéficier ou de profiter.

Dans ce cas, n’aurait-il pas été utile qu’on vous donne les renseignements que vous n’avez pas pu obtenir de votre officier supérieur qui autrement vous soutenait?

Maj Arkell : Dans de nombreux cas, il serait avantageux que quelqu’un fournisse les renseignements. Oui, je pense que ce serait extrêmement bénéfique dans la plupart des situations. Je parlais de ma situation particulière.

Comme il a été mentionné dans d’autres témoignages, cela ne remplace pas un avocat. Je pense qu’il est très important d’avoir accès à un avocat. J’ai en fait profité du programme pilote de l’Ontario. Cela m’a été extrêmement utile. D’autres mesures de soutien, politiques et services ont été mis en place depuis mon expérience. Je ne saurais trop insister sur l’importance d’une formation adéquate, du respect de la confidentialité du membre et de l’absence de toute influence exercée par la chaîne de commandement de qui que ce soit, en particulier celle de l’accusé. C’est un problème lorsqu’il s’agit de plus petites organisations de plus petites bases. C’est une petite communauté. En outre, la formation de la personne doit inclure des soins adaptés au traumatisme et des soins axés sur la victime, car c’est là que des efforts bien intentionnés peuvent causer le plus de tort.

Le sénateur Gold : Ma dernière question s’adresse à vous trois.

Plus tôt aujourd’hui, le colonel Strickey nous a rappelé que les examens de la Loi sur la défense nationale et du système de justice militaire ne sont pas réalisés très souvent. Dans le passé, les tentatives n’ont pas été couronnées de succès, du moins pour ce qui est de mener les projets de loi à terme et de les adopter. C’est une réalité que nous avons connue par le passé et c’est ce sur quoi repose ma question.

Les trois témoins ont exprimé un certain appui à l’égard de la Déclaration des droits des victimes dans ce projet de loi. Au nom de l’Association du Barreau canadien, maître Charland, vous avez témoigné qu’il s’agissait d’un pas dans la bonne direction, aussi imparfait soit-il.

Étant donné le temps qu’il faut pour que les révisions du système de justice militaire soient faites et étant donné que nous approchons de la fin de la présente législature, comment évaluez-vous la possibilité que le projet de loi ne soit pas adopté?

Autrement dit, quelle serait votre réaction si, pour quelque raison que ce soit, le projet de loi ne pouvait tout simplement pas être adopté avant que le Parlement ajourne et que, par conséquent, il mourait au Feuilleton?

M. Charland : Si je ne m’abuse, la Charte canadienne des droits des victimes est entrée en vigueur en 2015. Nous sommes en 2019. Les projets de loi relatifs à la justice militaire n’ont pas nécessairement un grand pouvoir, pour ainsi dire, en ce qui concerne l’ordre de priorité.

Je vais maintenant parler d’un point de vue personnel. Je fais partie de la direction juridique, qui relevait alors du lieutenant-colonel Strickey, jusqu’en 2014. J’ai été très heureux lorsque j’ai vu le projet de loi C-15 recevoir la sanction royale, lequel a été le dernier à modifier la Loi sur la défense nationale. Malheureusement, un règlement pour donner suite aux dispositions du projet de loi C-15 est entré en vigueur en septembre 2018, de sorte qu’il y a beaucoup de retard.

En ce qui concerne l’intégration de la Charte canadienne des droits des victimes à la Loi sur la défense nationale, il est préférable de l’avoir plutôt que de ne pas l’avoir à l’heure actuelle. Il vaut mieux que cet article du projet de loi soit adopté. Pour ce qui est de la réforme des audiences sommaires, il n’y a aucun droit de participation de la victime dans cet article de la loi ou dans cette partie du projet de loi. La réponse est différente selon la partie du projet de loi. Oui, bien entendu, je pense qu’il est préférable d’adopter ce projet de loi sur l’intégration de la Charte canadienne des droits des victimes à la Loi sur la défense nationale. Dans l’état actuel des choses, je crois comprendre que la justice militaire est exclue de ce qui s’applique à l’équivalent dans le civil au Canada.

Mme Rodman : Si le projet de loi C-77 était adopté et que le Canada était convaincu que la réforme de la justice militaire permettrait de reconnaître les besoins des victimes au sein du système, cela me préoccuperait. Si le projet de loi C-77 n’était pas adopté et que cela donnait lieu à une sorte d’effort global renouvelé pour bien faire les choses, même si, dans l’intervalle, nous pourrions nous en inquiéter, cela pourrait être un bon résultat à long terme.

Cela dit, je ne voudrais pas sacrifier de bons progrès à court terme seulement dans l’espoir que cela n’entraînera pas de progrès encore meilleurs à long terme.

Maj Arkell : Je dois confirmer la dernière déclaration. Cela m’a déchirée de prendre conscience de la réalité des échéanciers, ayant travaillé à Ottawa pendant un certain nombre d’années. Je connais bien les procédures et leurs répercussions sur les opérations des ministères.

Comme l’a dit le major Rodman, nous devons reconnaître que ce n’est qu’un début. Nous devons faire plus quant à la façon dont nous rédigeons les politiques et les règlements afin d’incorporer le projet de loi. Il y a d’autres aspects. S’il ne s’agit que d’une partie de la solution et non d’une solution globale, alors, oui. Cependant, je lui donne une très mauvaise note.

Il a à peine la note de passage. Je ne suis même pas certaine qu’il réponde à la norme, pour employer un terme militaire, mais beaucoup de progrès ont été réalisés. Je suppose que quelque chose, c’est mieux que rien du tout, mais on ne peut pas se reposer sur nos lauriers. On ne peut pas s’arrêter là.

La sénatrice Griffin : Vous serez heureux d’apprendre, madame la présidente, que j’avais trois excellentes questions, et le sénateur Gold vient de poser la dernière des trois, alors je passe mon tour.

Le sénateur Richards : Ma question sera très rapide. Où que cela se produise, c’est horrible, mais je me demandais si le major Rodman ou le major Arkell pouvaient répondre à ma question.

Existe-t-il des données sur le pourcentage d’agressions commises sur la base ou pendant le déploiement? Y a-t-il une grande différence? Est-ce que quelqu’un le sait? Y a-t-il eu des données à ce sujet au cours des dernières années?

Mme Rodman : Je suppose que je pourrais commencer avec le système américain. D’emblée, je ne connais pas la répartition entre les agressions qui se produisent sur la base. La grande majorité des agressions se produisent lorsque la cohorte des 18 à 24 ans habite les casernes de la base. Vous trouverez là une partie importante. Je sais aussi que les relations sexuelles sont interdites lors d’un déploiement dans l’armée américaine. Il serait tout à fait naïf de ma part de dire que cela aide d’une façon ou d’une autre à empêcher ces agressions de se produire, mais il y a moins de relations qui s’établissent pendant le déploiement. Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas lieu; cela se produit certainement.

Si cela intéresse le Sénat, je peux vous trouver des données très détaillées du Bureau d’intervention et de prévention des agressions sexuelles du Département de la défense des États-Unis et vous y référer. Je serais heureuse de fournir d’autres chiffres plus tard si cela peut vous aider à répondre à certaines des questions.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

Maj Arkell : Je ne sais pas avec certitude quelles sont les statistiques. En fait, j’examinerais probablement l’enquête de Statistique Canada qui a été publiée en 2018, ainsi que celle de 2016. Je vérifierais les données pour voir si on y trouve des précisions.

Toutefois, j’insiste sur le fait que le milieu militaire est distinct du monde civil. La Déclaration des droits dans le milieu civil ne s’applique pas nécessairement aux militaires, en partie à cause de la culture dans laquelle nous évoluons. Nous travaillons, nous vivons et nous socialisons ensemble, de sorte que cela va au-delà de la simple relation de bureau.

La présidente : Je vous remercie, major Arkell, maître Charland et madame Rodman d'avoir été des nôtres aujourd’hui. Nous vous sommes profondément reconnaissants des contributions que vous avez apportées à notre étude.

(La séance est levée.)

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