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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 2 - Témoignages du 12 avril 2016


OTTAWA, le mardi 12 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

Le président : Le comité entreprend aujourd'hui une étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada. Les oléoducs sont de loin le principal mode de transport pour l'exportation de pétrole brut. Depuis quelques années, les exportations par oléoduc ont bondi, et les exportations par train sont également en hausse.

[Français]

L'un des objectifs de nos réunions publiques est d'étudier la façon de répartir de manière optimale les risques et les bénéfices dans l'ensemble du Canada.

[Traduction]

Nous recevons aujourd'hui deux témoins : Sean Speer, agrégé supérieur de recherche à l'Institut Macdonald- Laurier, ainsi que Mike Cleland, ancien président de l'Association canadienne du gaz. Les deux ont publié récemment des articles sur le sujet, et nous sommes heureux qu'ils viennent nous présenter leurs conclusions.

Monsieur Speer, nous commencerons par vous.

Sean Speer, agrégé supérieur de recherche, Institut Macdonald-Laurier : Merci, honorables sénateurs, de m'avoir invité à participer à la séance d'aujourd'hui. Je vous félicite d'avoir choisi de mener cette étude et de votre volonté d'établir une portée ambitieuse pour votre enquête. Comme vous le savez bien, ces enjeux sont complexes et comprennent de multiples facettes.

La réflexion sur l'exploitation des ressources et la construction d'oléoducs englobe des sujets aussi divers que la macroéconomique, la politique fiscale, le fédéralisme, la réglementation environnementale, l'infrastructure de transport et le rôle des peuples autochtones. Toute étude qui tenterait d'isoler l'une de ces questions aux dépens des autres serait incomplète et du coup, serait de peu d'utilité. Ce n'est pas un sujet qui se prête aux solutions simplistes. Il compte beaucoup. Il compte pour l'économie canadienne. Il compte pour les finances publiques du Canada. Il compte pour les millions de Canadiens qui travaillent dans le secteur des ressources naturelles et il compte pour les peuples autochtones qui voient l'exploitation des ressources comme une occasion de changer la donne.

Je félicite donc le comité et ses membres de reconnaître qu'il faut voir grand pour étudier la myriade de questions de politique publique qui sous-tendent l'exploitation des ressources en général et la stratégie à élaborer afin de permettre le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique, en particulier.

Je suis sensible au fait que je dois bien planifier mon temps de parole aujourd'hui. Je sais que vous entendrez plusieurs observateurs politiques de renom et d'autres intervenants pendant votre étude, donc je propose d'axer le reste de mes observations sur le potentiel que l'exploitation des ressources offre aux peuples autochtones et les progrès qui s'observent dans l'établissement de partenariats économiques avec les sociétés exploitantes de ressources.

Si je pouvais changer une mauvaise perception au Canada, ce serait celle selon laquelle les communautés autochtones seraient hostiles à l'exploitation des ressources par principe et les entreprises rejetteraient, négligeraient ou regarderaient de haut les considérations autochtones. Il y a certes eu divers problèmes dans l'histoire. Bien sûr, on pourra toujours trouver des communautés autochtones qui s'opposent à l'exploitation des ressources et des sociétés exploitantes qui ne mettent pas suffisamment à contribution les communautés touchées ou qui ne les consultent pas assez.

L'histoire méconnue des dernières années, parce que les médias d'information mettent beaucoup l'accent sur la confrontation et que les gouvernements ont du mal à proposer des solutions politiques, c'est qu'il y a quelque chose d'extraordinaire qui est en train de se passer. Les communautés autochtones et les sociétés exploitantes ont commencé à établir des partenariats économiques, grâce à des projets expérimentaux et de la coopération selon un processus ascendant.

Les exemples récents en sont nombreux. Suncor Energy a conclu une entente avec la Première Nation Aamjiwaang en juillet 2015, contre une participation à 25 p. 100 dans un projet éolien. D'ailleurs, les Premières Nations qui ont le statut de partenaire actionnaire dans le projet potentiel de Northern Gateway sont parmi ses plus puissants promoteurs.

Il y a également un nouveau projet de coentreprise entre Encanto, une société de Vancouver, et la Première Nation Muskowekwan, en Saskatchewan, afin d'ouvrir la première mine de potasse sur le territoire d'une réserve au Canada, qui générera 2,8 millions de tonnes de potasse par année et créera environ 100 000 emplois. Ce ne sont que quelques exemples des partenariats que nous observons un peu partout au pays. La plupart des Canadiens n'en entendent tout simplement pas parler.

L'exploitation des ressources est déjà une source d'emplois directs et indirects de premier plan pour les communautés autochtones, mais ce n'est que la pointe de l'iceberg de tous les avantages potentiels. Ce pourrait être le moteur, comme nous l'écrivons abondamment dans nos articles à l'Institut Macdonald-Laurier, du développement économique et de la stratégie d'autosuffisance à long terme des Autochtones.

Il y a actuellement plus de 300 ententes sur les répercussions et les avantages entre des groupes autochtones et des sociétés minières seulement. Ces ententes proposent des solutions gagnantes tant pour les groupes autochtones que pour les entreprises. Imaginez-vous que les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont plus de 250 organisations de développement économique autochtone et détiennent des actifs de plusieurs milliards de dollars. Ces entités seront parmi les plus grandes sociétés commerciales au Canada d'ici quelques années, mais l'on en entend encore peu parler dans les médias et dans les journaux.

Les revenus autonomes, ceux qui ne viennent pas du gouvernement fédéral mais de l'activité économique des communautés, représentent une part grandissante des budgets des Premières Nations. En 2013-2014, les Premières Nations ont enregistré 3,3 milliards de dollars en revenus non gouvernementaux. Pour mettre les choses en perspective, c'est plus que les revenus autonomes de l'Île-du-Prince-Édouard, des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Nunavut réunis. Il y a toutes les raisons de croire que ce n'est qu'un début.

Ressources naturelles Canada prévoit des investissements potentiels de 675 milliards de dollars dans des projets d'exploitation des ressources au cours des 10 prochaines années au Canada. Chacun de ces projets est situé sur des territoires traditionnels autochtones ou à proximité.

Les partenariats économiques avec ces communautés ne sont donc pas optionnels. C'est la seule façon de nous donner accès aux avantages économiques que présentent les richesses naturelles du Canada. Ils pourraient également opérer un effet transformateur sur les groupes autochtones touchés.

La question que doivent donc se poser les législateurs, les sénateurs, c'est comment on peut créer des conditions favorables pour ce genre d'expérience et de coopération ascendantes, non seulement pour qu'elles se poursuivent, mais pour qu'elles prennent de l'ampleur pour donner lieu à un plus grand nombre encore de partenariats économiques un peu partout au pays.

Il y a d'abord le serment d'Hippocrate de ne pas faire de mal. La politique publique ne devrait pas devenir un obstacle au progrès lent mais constant entre les communautés autochtones et les exploitants de ressources.

Il faut ensuite réfléchir à des options pour faciliter ces partenariats. Ottawa devrait jouer un rôle stimulateur dans cette dynamique, plutôt que de microgestionnaire. Il doit ainsi établir un cadre national régissant les accords de partage des revenus tirés des ressources, afin d'aider les communautés autochtones à acquérir des parts dans les projets d'exploitation des ressources et d'autoriser davantage la prise de décisions locales relativement à la gestion des terres. Ce genre de mesures favorables devrait faire partie d'une stratégie générale sur le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.

On sent un vent de pessimisme dans la majorité des commentaires sur l'interaction entre les sociétés qui exploitent des ressources et les groupes autochtones. Je ne partage pas ce point de vue. Les Premières Nations ne veulent pas d'ententes à court terme. Elles veulent des effets durables à long terme. Les projets énergétiques peuvent et doivent être le fondement d'un nouveau partenariat canadien et du premier véritable partage de la prospérité dans l'histoire canadienne.

Honorables sénateurs, il y a quelque chose d'excitant qui se passe. J'espère que votre étude, qui porte sur tout un éventail d'enjeux liés à l'exploitation des ressources naturelles du Canada et à la construction d'infrastructures énergétiques, fera ressortir cette histoire fort stimulante et s'accompagnera de recommandations pour la réalisation de progrès futurs. Merci beaucoup.

Mike Cleland, agrégé supérieur de recherche, Institut de recherche sur la science, la société et la politique, Université d'Ottawa : Merci, beaucoup, monsieur le président, merci également à vos collègues de m'avoir invité à comparaître. C'est très apprécié.

Je fais écho à la réaction de mon collègue, au début de son exposé, et je vous félicite d'entreprendre cette étude importante, qui tombe à point. Nous aurons fort à faire au cours des prochaines années pour rétablir la confiance envers nos systèmes décisionnels, et vous pouvez y contribuer de façon importante.

D'ailleurs, mes collègues et moi de l'Université d'Ottawa et de la Canada West Foundation venons tout juste de publier un rapport provisoire dans le cadre de notre étude sur la confiance du public envers les décisions en matière énergétique et le régime réglementaire. Vous avez reçu copie de mon jeu de diapositives. J'y ferai référence pendant mon exposé. Je suis conscient que nous voulons également avoir le temps d'en discuter ensemble.

L'équipe de recherche est présentée à la page 2 : le projet Énergie positive de l'Université d'Ottawa et le Centre de politique sur les ressources naturelles de la Canada West Foundation. Nous travaillons ensemble à ce projet depuis environ huit mois. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, mais je vais vous dire où nous en sommes.

À la page suivante, nous essayons de comprendre le monde selon quatre groupes d'acteurs qui influencent le développement dans le secteur de l'énergie et des ressources : les organismes publics, les partisans du projet, les communautés locales, puis la société civile et les organisations non gouvernementales.

Prenons la page 4. Cette étude ou ce projet vise à étudier le monde des décisions énergétiques — c'est-à-dire les décisions prises par les organismes publics en matière d'énergie — vu par les communautés locales. À ce jour, nous avons effectué un examen en profondeur de la littérature scientifique et avons interviewé des leaders parmi tous les acteurs et partout au Canada.

La prochaine étape comportera six études de cas. Ces études de cas sont présentées à la fin du jeu de diapositives. Elles sont en cours, et nous nous attendons à ce qu'elles nous procurent des points de vue intéressants sur la situation.

La page suivante s'intitule « Comprendre les communautés ». Quelques concepts de base émergent de la littérature et des entrevues que nous avons menées. Le concept fondateur concerne l'équité. Nous venons de publier un rapport intitulé Fair Enough, qui expose ce qui est considéré juste pour répondre aux besoins des Canadiens et leur donner confiance que les processus décisionnels sont raisonnables. Il y a à la fois l'équité de fond et l'équité procédurale, je pense qu'il ne faut pas l'oublier. Comment les perceptions concernant l'équité influent-elles sur la confiance?

Nous croyons qu'il y a quatre notions de base importantes. Il y a d'abord le contexte : quelles sont les caractéristiques de la communauté? S'agit-il d'une communauté informée en matière d'énergie et d'exploitation des ressources? S'y connaît-elle en la matière? Est-ce une communauté qui a accès à beaucoup de possibilités d'emplois ou peu? Il est absolument essentiel de comprendre toutes ces caractéristiques pour déterminer comment une communauté accueillera un projet.

Il y a ensuite les valeurs, les intérêts et les attitudes au sein d'une communauté. Comment les processus décisionnels relatifs aux ressources et à l'énergie en tiennent-ils compte? Qu'est-ce qui est négociable et qu'est-ce qui ne l'est pas? Que faut-il pour que la communauté sente que le projet est dans son intérêt?

Au sujet de l'information et de la capacité, il est absolument essentiel de rendre l'information accessible. On pourrait en faire plus à cet égard en matière de politiques publiques. La capacité est également importante. Comment la communauté locale traite-t-elle l'information?

Enfin, y a-t-il des possibilités d'engagement et de participation? Il y a un modèle pour améliorer le processus décisionnel.

La diapositive suivante porte sur le système décisionnel lui-même. Nous utilisons le terme « complexe politique- réglementation ». Il n'y a pas que l'ONE ou un organisme de réglementation ou plusieurs. C'est tout le régime politique qui donne le ton, et il y a toutes les conditions dans lesquelles les organismes de réglementation prennent leurs décisions. Les sphères de compétence et les institutions sont multiples. Elles fonctionnent parfois en symbiose, mais pas toujours. Elles font parfois extrêmement bien leur travail (la plupart du temps, en fait), mais il arrive qu'elles échappent le ballon. Il y a parfois des doublons, des chevauchements ou des contradictions. Inévitablement, cela crée de la confusion chez le public. Je ne sais pas s'il y a une solution facile à cela. Cela fait partie de la complexité de la vie moderne.

Permettez-moi maintenant de vous présenter nos conclusions préliminaires, à partir de la page 7. On entend dire que le système décisionnel et l'ONE sont « brisés ». C'est loin d'être le cas, à tout le moins selon les données probantes. Beaucoup de décisions sont prises sans comporter de coûts faramineux ni susciter de la controverse. Je souligne l'observation de Sean, un peu plus tôt, sur l'efficacité des interactions entre les promoteurs des projets et les communautés locales. Cela se répercute souvent sur la façon dont les organismes publics abordent les questions qui leur sont soumises. Les gens évoluent, ils apprennent. Ils trouvent des nouvelles façons de faire, mais nous avons encore du pain sur la planche pour respecter les quatre notions dont je vous ai parlé.

La diapositive suivante présente d'autres conclusions préliminaires, dont probablement la plus importante : les problèmes commencent souvent par des politiques malavisées. C'est particulièrement le cas en matière de changement climatique et, de façon plus générale, pour tout ce qui concerne la façon dont les Autochtones au Canada peuvent bénéficier de l'exploitation de nos ressources et y participer. Nos politiques en la matière sont malavisées, tant pour ce qui est du fond que de la procédure. Il faut réformer le système réglementaire, mais ce sera loin de suffire pour améliorer la façon dont ce genre de décision est pris.

La conclusion suivante porte sur l'aspect procédural mentionné à la diapositive précédente. Il n'y a pas suffisamment de forums adéquats où le public peut se faire entendre, et l'information est souvent inadéquate et inaccessible. Une grande partie de la frustration qui s'exprime pendant le processus réglementaire est une conséquence directe de l'absence de forums adéquats et du manque d'information en amont du processus réglementaire. Encore une fois, c'est par la voie politique que nous devons intervenir.

Il y a ensuite la quatrième conclusion, à la page 10. Encore une fois, cela fait partie de la vie. Le système est mal compris. Il est mal compris, même par les participants actifs au débat. Il faut faire quelque chose pour remédier à cela. Il y a effectivement place à la réforme, notamment pour que tous comprennent bien quels sont les rôles des différents acteurs institutionnels. Quel est le rôle des organismes de réglementation? Quel est le rôle des législateurs? Quand interagissent-ils? Comment interagissent-ils? Que faisons-nous pour rétablir la confiance du public envers les processus réglementaires et le convaincre qu'ils sont aussi indépendants qu'ils sont censés l'être?

Comme je l'ai mentionné, nous avons déjà fait beaucoup de progrès, mais il nous reste fort à faire pour rétablir la confiance du public. Il faut en faire plus, notamment mieux expliquer le système, et cela ne se fera pas sans heurts. Il faudra des investissements publics pour rendre la chose possible.

Enfin, les communautés elles-mêmes ont du pain sur la planche si elles veulent contribuer de manière efficace et constructive au processus décisionnel. Elles devront investir dans leurs propres capacités pour comprendre, se mobiliser et agir dans l'intérêt public. La plupart devront probablement comprendre à partir de quel moment un ordre de gouvernement supérieur doit trancher. Un moment donné, dans l'intérêt national ou provincial, selon le cas, il vient un temps où les communautés locales, après s'être exprimées, doivent prendre du recul. C'est difficile, politiquement, mais cela ne peut pas fonctionner si nous ne comprenons pas comment la Confédération canadienne fonctionne.

Nul besoin de vous exposer en détail nos prochaines étapes, mais je vous rappelle que nos six études de cas sont en cours. Nous pourrons en parler, si vous le souhaitez. Nous espérons publier un rapport final d'ici la fin de l'été. Merci, monsieur le président.

Le président : Comme premiers témoins, vous avez vraiment fixé la barre haut. Nos prochains témoins devront se démener pour nous présenter des témoignages d'aussi grande qualité. Je vous remercie de ces excellentes présentations.

Le sénateur Black : Vous me permettrez de commencer en vous félicitant et en vous remerciant tous deux, de même que vos organisations, de votre travail d'aujourd'hui, mais également de tout le travail que vous faites depuis quelques années. Pour travailler en étroite collaboration avec vous, monsieur Cleland, depuis 10 ans, de même qu'avec l'Institut McDonald-Laurier depuis trois ou quatre ans, je vous suis reconnaissant de poursuivre votre contribution éclairée aux enjeux d'importance nationale, particulièrement dans le domaine de l'énergie. Je tiens à commencer par vous remercier infiniment.

À titre de sénateur de l'Alberta, j'aborde la question avec un sentiment d'urgence. Dans ce contexte, monsieur Cleland, et compte tenu de l'exposé réfléchi que vous venez de nous présenter, croyez-vous que les propositions, le régime et le processus actuels, qui ont été établis par le gouvernement du Canada pour évaluer — et approuver, on l'espère — les projets Énergie Est et Trans Mountain répondent aux objectifs que vous fixez?

M. Cleland : Je pense qu'ils sont probablement beaucoup plus adéquats que la plupart des gens le croient. Je travaille d'assez près avec mes collègues de l'Office national de l'énergie et le gouvernement fédéral. Je connais les réformes qu'ils ont entreprises. En fait, le régime fait déjà une grande partie de ce qu'on veut qu'il fasse.

Je reviens à l'idée de la controverse à cet égard et surtout, au fait que nous n'arrivons absolument pas à régler le problème de la politique canadienne en matière de changement climatique. De même, il y a toute une série d'objectifs — qui ne sont pas encore officiels, mais qui sont assurément dans l'air — qu'il sera très difficile d'atteindre compte tenu de la croissance des émissions dans le secteur pétrolier et gazier. Le gouvernement de l'Alberta a clairement fait une déclaration qui nous laisse de la marge de manœuvre pour la croissance dans le secteur pétrolier et gazier, mais encore? Comment peut-on parallèlement réduire nos émissions de 30 p. 100 d'ici 2030?

Je pense qu'il faut être plus réaliste sur ce que nous pouvons accomplir. Ce n'est pas tout le monde qui sera content. Je pense que la plupart des Canadiens seraient prêts à reconnaître que c'est la réalité au Canada. Ainsi, je pense que nous pourrions obtenir l'appui du public dont nous avons besoin.

Le sénateur Black : Merci beaucoup. J'ai une question à poser à M. Speer.

Monsieur Speer, j'ai été fasciné par votre excellent commentaire sur les défis qui nous attendent, mais surtout par la solution que vous proposez pour résoudre les problèmes liés à la participation des Premières Nations du Canada aux projets énergétiques. Auriez-vous l'obligeance de résumer encore une fois, rapidement, la solution à cette énigme, selon vous?

M. Speer : Bien sûr.

Avant de répondre directement à votre question, j'aimerais ajouter une chose en réponse à la question que vous avez posée à mon collègue : ce n'est pas par la voie réglementaire que nous allons régler tous les problèmes. Le processus réglementaire se fonde sur la présomption selon laquelle tout compte fait, l'exploitation des ressources est une chose positive. Elle est souhaitable.

Depuis plusieurs années, faute d'autres forums pour débattre des politiques nécessaires sur des questions comme le changement climatique et la participation des communautés autochtones, et même de questions plus fondamentales comme l'utilité ou le bien-fondé même de l'exploitation des ressources, c'est le processus réglementaire qui donne lieu à ces débats. Il est pourtant mal outillé pour permettre ce genre de discussion.

Encore une fois, il se fonde sur l'idée selon laquelle, tout compte fait, l'exploitation des ressources est dans l'intérêt national, et le processus lui-même ne permet pas de remettre en question les questions fondamentales. Il remet en question les aspects pratiques et techniques de la construction d'oléoducs, pour qu'ils soient conçus de manière sécuritaire et tout. Je suis totalement d'accord avec mon collègue pour dire qu'il y a d'autres enjeux qui font partie du débat public et qui doivent être débattus séparément, hors du contexte de l'ONE, faute de quoi nous sommes condamnés aux retards et à l'inaction.

Pour ce qui est de la participation des communautés autochtones, il y aura sans doute des gens qui viendront vous dire que la situation est désespérée, qu'il n'y a que de la confrontation et qu'on fait très peu de progrès. Je pense toutefois que c'est un portrait incomplet de la situation sur le terrain. Je crois que la politique publique doit stimuler le progrès : il y a des progrès qui s'observent sur le terrain, dans les communautés, mais ils ne découlent pas des décisions d'Ottawa.

La priorité n'est pas d'ériger de nouveaux obstacles ou de nouvelles barrières. Comme vous le savez, le gouvernement se demande comment appliquer concrètement le concept du consentement libre, éclairé et préalable qu'établit la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il y a de véritables questions à nous poser sur la façon d'intégrer ce concept à la politique canadienne, sans pour autant créer de nouvel obstacle au progrès. Ce n'est pas pour minimiser ou rejeter l'intention qui sous-tend ce concept, mais le gouvernement doit réfléchir sérieusement à la façon dont il peut tenir sa promesse sans créer de nouvelle barrière.

Quant à ce que le gouvernement pourrait faire concrètement, je signale qu'il se passe beaucoup de choses intéressantes, monsieur le sénateur, dans votre province et à plusieurs endroits en Colombie-Britannique, où les Premières Nations et des collectivités autochtones participent désormais au capital des projets de ressources naturelles.

Cela comporte deux avantages. Premièrement, il y a les retombées économiques pour ces collectivités. Deuxièmement, lorsqu'une collectivité des Premières Nations est un partenaire économique dans un projet, il est bien sûr raisonnable de croire que l'obligation de consulter a été respectée. Par définition, on peut présumer que la collectivité a été consultée dans la mesure prévue par la loi.

Il y a réellement lieu de s'interroger sur le rôle que pourrait jouer le gouvernement fédéral, par exemple pour aider ces collectivités à réunir le capital nécessaire pour acheter ou acquérir une participation dans les projets. Cela pourrait prendre la forme de garanties d'emprunt, une proposition qui gagne en popularité ici à Ottawa, ou même d'injections directes de capitaux. J'estime que si nous voulons mener à bien de tels projets et faire en sorte que les collectivités autochtones soient de véritables partenaires et non un obstacle à vaincre, Ottawa pourrait et devrait envisager de favoriser leur participation au capital.

Le sénateur Black : Merci.

La sénatrice Unger : Je vous remercie, messieurs, de vos intéressantes présentations, elles nous ont beaucoup éclairés. Je suis d'Edmonton, et je perçois une lueur d'espoir après vous avoir écoutés.

Ma question concerne les opposants à l'exploitation pétrolière. Devrait-on les ajouter à la liste des témoins? Mais alors, ces gens pourraient témoigner devant notre comité, puis donner une conférence de presse avant même que nous ayons la chance d'effectuer notre étude. Je songe à l'Alberta et à la division que la convention semble avoir mise au jour. Cela aidera-t-il notre comité à mieux comprendre les questions entourant l'approbation sociale, ou cela va-t-il au contraire embrouiller les choses? En ce moment, l'approbation sociale semble poser une difficulté majeure. Quels autres obstacles pourrait-on rencontrer?

M. Speer : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Pour ce qui est de l'approbation sociale, je trouve que les observations de mon collègue sur la confiance qu'inspire au public le processus de réglementation sont très légitimes. Je fais une distinction entre nos concitoyens qui veulent seulement s'assurer de la transparence et de la solidité de notre système — ce dont parlait Michael, je crois — et ceux qui s'opposent à l'exploitation des ressources pour des raisons idéologiques. Ces derniers ne seront probablement jamais convaincus, peu importe la direction adoptée par le gouvernement. Cette distinction s'impose, à mon avis.

J'espère que les décideurs la feront également.

Pour être franc, il y a une chose que je peine à comprendre au sujet des opposants à l'exploitation des ressources, et en particulier ceux qui sont acquis à l'idée de la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. Comme vous le savez, le Canada dispose d'un vaste éventail de ressources naturelles, qu'on pense au pétrole brut, au gaz naturel ou aux énergies renouvelables. Je n'ai jamais compris pourquoi les adeptes de la lutte contre les changements climatiques ne voient pas que l'une des contributions du Canada à ce chapitre consiste en fait à exporter nos ressources relativement propres dans des pays qui utilisent à l'heure actuelle des sources d'énergie plus polluantes.

Je songe en particulier à la Chine qui, comme vous le savez, est maintenant le plus grand émetteur de carbone et utilise beaucoup trop de charbon. L'apport du Canada à la lutte contre les changements climatiques ne consiste pas simplement à freiner l'exploitation des ressources sur son territoire. Cela aurait un impact négligeable, voire indiscernable, sur les émissions mondiales. Pour faire réellement sa part, le Canada devra exporter ses énergies ou ressources relativement propres à des pays comme la Chine pour les aider à délaisser progressivement les sources plus polluantes.

Si votre comité entend des témoins qui justifient leur opposition à l'exploitation des ressources par des motifs principalement environnementaux, je pense qu'il pourrait être intéressant de leur demander pourquoi ils ne situent pas le secteur canadien des ressources naturelles dans un contexte plus global.

M. Cleland : Madame la sénatrice, j'aimerais intervenir brièvement au sujet de l'approbation sociale — un terme qui ne me plaît pas beaucoup. Il importe de garder certains points à l'esprit dans notre analyse. Tout d'abord, l'enjeu ne se limite pas aux pipelines. Comme vous le constaterez au cours de votre étude, plusieurs autres ressources énergétiques sont concernées.

La question est donc la suivante : qu'est-ce qui pousse les gens à protester contre la construction d'une ligne de transmission, d'une centrale au gaz ou d'un parc éolien? On ne peut pas tout ramener aux changements climatiques ou au sort des collectivités autochtones. Il est crucial de comprendre ce qui motive les gens à l'échelle locale. Lorsque les répercussions, les retombées, les coûts et les risques touchent les gens près de chez eux, la réponse à cette question n'est pas la même. Si nous analysons un peu ces facteurs, je pense que nous saisirons mieux la véritable nature de l'enjeu.

Quant à la question de savoir qui devrait figurer sur votre liste de témoins, elle est fort pertinente. Je pense qu'il est préférable d'être ouvert. Votre comité doit être prêt à recevoir les opposants et même à les accueillir, car ils font partie du tableau et de la discussion. Évidemment, être raisonnable ne garantit pas que les autres le seront en retour. La première ministre Notley s'en est rendu compte cette semaine. C'est une grande vérité.

La politique de son gouvernement sur les changements climatiques était peut-être un « beau risque », comme dirait Lucien Bouchard. Elle était nécessaire pour mobiliser la population et lui faire prendre conscience que, même si elle s'est dotée d'une politique sur les changements climatiques qui n'a rien à envier au reste du monde, l'Alberta n'en fait toujours pas assez. Ce n'est pas chose facile, mais je pense qu'il faut quand même inviter ces personnes et écouter ce qu'elles ont à dire. Si elles se comportent comme vous le décriviez, soit. Elles le feront de toute manière.

La sénatrice Unger : Les choses peuvent paraître si confuses parfois, c'est pourquoi je me réjouis que nous fassions cette étude. Nous en tirerons peut-être du bien. Je vous remercie tous les deux.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie nos deux témoins pour leur exposé fort instructif.

Je poursuivrai sur la même lancée que la sénatrice Unger. Le projet Oléoduc Énergie Est de TransCanada fait l'objet d'un débat important au Québec. Ce débat est marqué par une espèce de clivage entre les groupuscules et, à la limite, entre certains gouvernements au Canada. Or, la position du gouvernement du Québec quant à l'usage des produits pétroliers m'apparaît un peu irréaliste.

Monsieur Speer, dans l'un de vos exposés ou de vos documents, vous mentionnez que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle de promoteur à l'échelle nationale au lieu d'être un simple observateur en matière d'exploitation des matières premières. On constate qu'il y a une interrelation entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, aussi bien pour l'exploitation que le transport de ces matières. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il jouer un rôle de promoteur, alors que le gouvernement du Québec fait pratiquement le contraire? Le Québec n'utilise pas les ressources sur son territoire et manifeste une certaine réticence à l'égard du transport des ressources de l'Ouest vers les provinces ou à l'extérieur du pays. Comment envisagez-vous le rôle du gouvernement fédéral dans un contexte aussi à risque?

[Traduction]

M. Speer : Vous ne vous trompez pas en disant que j'ai déjà écrit que le gouvernement fédéral devait faire la promotion des projets, mais une précision essentielle s'impose. Une fois qu'un projet a franchi les étapes du processus de réglementation et qu'il a été approuvé, je crois en effet qu'il est judicieux de la part du gouvernement d'en faire la promotion, ne serait-ce que pour consolider la confiance des Canadiens à l'égard du processus.

Cela peut sembler paradoxal. Toutefois, le gouvernement fédéral dicte l'orientation du processus auquel chaque projet est soumis avant d'être approuvé par lui, car c'est le cabinet qui décide. Il est donc logique qu'une fois ces étapes franchies par un projet, le gouvernement fédéral en fasse la promotion. Autrement, il pourrait amener la population à douter du processus. S'il ne défend pas la décision qu'il a prise à l'issue d'un processus dont il est responsable, il alimentera la méfiance dont a parlé mon collègue. En règle générale, je ne pense pas que les politiciens devraient promouvoir les projets qui n'ont pas encore franchi ce processus, car cela pourrait également miner la confiance du public.

Si nous voulons créer le climat de confiance qui nous permettra de réaliser les projets, les gouvernements devront mettre le paquet, pour ainsi dire. Ils devraient faire la promotion de chaque projet qui a franchi avec succès le processus de réglementation.

Je sais que cela pourrait entraîner des frictions quant au partage des compétences, et je ne veux pas minimiser ce risque. Mais comme vous le savez, c'est le gouvernement fédéral qui est responsable du processus et, en retour, c'est à lui que reviennent les décisions.

M. Cleland : Je n'aurais pu mieux dire. Cela peut sembler vieux jeu, mais je pense que tout le monde devrait retourner lire la Constitution de 1867 et pas seulement les dispositions sur le partage des pouvoirs, mais également l'article qui garantit en quelque sorte l'existence d'un marché commun au Canada et la libre circulation des biens entre les provinces. Beaucoup l'ont oublié et parmi eux des premiers ministres provinciaux et des maires qui croient que l'article 121 n'est plus en vigueur. Qu'est-il advenu du marché de la Confédération canadienne?

Le sénateur Mercer : Merci d'être ici. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec le sénateur Black lorsqu'il affirme que la question est urgente pour l'Alberta. Elle est urgente pour tous les Canadiens. On pense parfois que seules l'Alberta, la Saskatchewan ou Terre-Neuve-et-Labrador sont touchées, mais en réalité, nous le sommes tous.

J'ai remarqué que, dans vos observations sur le processus et sur la participation des Premières Nations dans ce contexte, aucun de vous n'a évoqué l'une des données concrètes qui parlent le plus aux politiciens et aux Canadiens — les emplois. Combien d'emplois seraient créés grâce à la construction d'un pipeline vers l'est et une fois que le pétrole sera rendu à destination? Quelle serait, à long terme, la viabilité de ces emplois et quel serait, à court terme, l'effet de la construction d'un tel pipeline?

De plus, il y aurait d'immenses répercussions sur l'économie, à supposer que le point d'arrivée soit St. John's, à Terre-Neuve. Je viens de la Nouvelle-Écosse et nous n'acceptons pas que ce soit St. John's. Nous aimons faire visiter le détroit de Canso pour montrer les installations qui sont déjà en place, mais c'est une autre histoire. Il faut commencer à parler des emplois qui continueront d'exister pour de nombreuses années et qui contribueront à la croissance de l'économie dans une région qui a désespérément besoin d'un coup de main.

Vous pourriez peut-être tous les deux commenter la situation de l'emploi. Comme on l'a dit, la nécessité d'un libre marché entre les provinces n'est jamais aussi évidente qu'à la une des journaux quand il est question du pipeline. Il y a le premier ministre du Québec d'un côté et le maire de Montréal de l'autre, et personne ne songe au bien commun. Le bien commun, ce n'est pas seulement ce qui est bon pour Montréal ou les objections exprimées dans certaines régions rurales du Québec, du Nouveau-Brunswick ou de l'Ontario. Il est primordial que nous prenions en considération le bien de la nation tout entière et pas seulement de l'Alberta, de la Saskatchewan ou de Terre-Neuve-et-Labrador.

M. Speer : Je souscris particulièrement à ce que vous dites au sujet du commerce intérieur. Je vous encourage à collaborer avec vos collègues du Comité permanent des banques et du commerce qui, comme vous le savez, procède à une étude en ce moment.

J'ai eu la chance d'assister à l'une des réunions il y a quelques semaines avec mon collègue Brian Lee Crowley, et je trouve que les questions auxquelles vous vous intéressez et la question du commerce interprovincial sont indissociables. Elles doivent être étudiées de concert. Je sais que le Comité des banques et du commerce effectue de l'excellent travail et j'espère que votre comité pourra en bénéficier.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, d'affirmer qu'il ne faut pas amoindrir les effets de l'exploitation des ressources sur l'emploi. Ce n'est pas ce que j'ai voulu faire et je regrette d'avoir pu donner cette impression.

Mon seul commentaire au sujet des collectivités des Premières Nations et de leur participation, c'est que les partenariats qui voient le jour dans plusieurs régions du pays valent bien plus que des emplois, et c'est ce qui est le plus remarquable. Bien entendu, ces collectivités s'ouvrent à des possibilités d'emplois qui n'existaient pas auparavant, auxquelles viennent s'ajouter des bienfaits sociaux et économiques. Mais la mise en valeur des ressources a également des conséquences sur l'autosuffisance économique et la gouvernance des collectivités.

J'ai indiqué que ces collectivités devenaient plus responsables financièrement grâce aux revenus autonomes qu'elles tirent des partenariats. C'est une bonne raison de se réjouir. Comme je le disais, je ne comprends pas pourquoi les médias d'information et d'autres ont tendance à dénigrer le progrès accompli. Certes, il reste du chemin à faire, mais l'exploitation des ressources et la participation des peuples autochtones est un sujet qui mérite notre attention.

J'espère que votre rapport dressera un portrait optimiste de ce qui a été accompli pour l'économie et en particulier en matière d'emploi, et qu'il partira du principe que tout n'est pas mauvais. La question est de savoir comment tirer profit du positif alors qu'on nous répète sans cesse qu'il y a une crise, que les entreprises refusent de faire participer les collectivités, que les gens s'entêtent et qu'il n'y a plus d'espoir.

M. Cleland : J'ajouterais d'abord que vous avez bien fait de préciser que c'est l'intérêt national qui prime. J'espère que votre rapport le soulignera clairement, car on a tendance à l'oublier.

Certains d'entre vous se souviendront peut-être d'un ancien premier ministre au nom très familier qui avait demandé à l'époque : « Qui représente le Canada? » De nos jours, peu de gens parlent au nom du Canada. On défend les intérêts des provinces, des villes et des collectivités locales, mais qui a une vision d'ensemble? Alors je vous remercie.

J'aimerais aussi faire quelques commentaires au sujet de l'emploi. L'argument des emplois est parfois difficile à faire valoir, surtout lorsque les sceptiques abondent et qu'on ne nous croit pas. Ce qui caractérise le secteur de l'énergie, entre autres, ce sont les énormes investissements de capitaux et l'exportation, et son importante contribution au PIB. Il s'ensuit que les emplois sont extrêmement productifs et relativement peu nombreux. C'est ce qu'on a constaté, par exemple, lors du débat sur Keystone aux États-Unis, dont il est ressorti que le nombre d'emplois était relativement peu élevé. Il ne faut pas surestimer l'argument de l'emploi. Il doit être fondé sur une bonne analyse.

Il m'apparaît utile de préciser que je préside par ailleurs le conseil d'administration du Canadian Energy Research Institute, le CERI. Cet institut fait beaucoup de recherche dans ce domaine. Récemment, il a publié un rapport sur l'impact qu'aurait telle ou telle variation des cours du pétrole sur l'économie, y compris sur l'emploi. Je vous encourage à le lire et vous suggère d'inviter mes collègues du CERI à venir vous en parler davantage, car le prix du pétrole est un facteur déterminant.

Le sénateur Mercer : Monsieur Speer, dans votre présentation, vous avez parlé d'une entente entre Suncor et une communauté autochtone dans le cadre d'un projet éolien et avez fait allusion à de nombreuses autres choses positives. Ce serait vraiment bien si ce genre de nouvelles faisait de temps en temps la une d'un journal national comme le Globe and Mail. Il est vrai que nos collectivités autochtones sont aux prises avec de graves problèmes, que de nombreuses réserves vivent des situations fâcheuses. Mais il y a aussi beaucoup de positif et les Autochtones sont les seuls à le savoir parce que personne ne prend la peine d'en parler. Je vous remercie de nous l'avoir dit.

Le sénateur Greene : Je prends conscience que nous aurons un travail colossal à effectuer pour atteindre notre objectif, qui est, de mon point de vue surtout, la réalisation du projet d'oléoduc Énergie Est. Il faudra adopter la bonne politique sur les changements climatiques, mettre en place un accord de réglementation qui sera accepté par toutes les provinces, bâtir un réseau de consultation inclusif, prévoir le partage des recettes et enfin, construire l'oléoduc.

Admettons que nous soyons extrêmement optimistes, combien de temps cela prendra-t-il avant que l'oléoduc Énergie Est ne soit mis en service? Diriez-vous 10 ans, 15 ans?

M. Speer : Monsieur le sénateur, je crains de ne pas être en mesure de vous répondre, mais je vois où vous voulez en venir.

C'est intéressant. Nous discutions tout à l'heure avec vos collègues de la fluctuation des cours du pétrole sur le marché mondial et de la direction qu'elle prendra à plus long terme. Selon certaines prévisions, d'ici 2022, les prix du pétrole devraient se situer environ au même niveau qu'avant leur chute abrupte.

Si je pouvais donner un conseil au comité, ce serait donc de ne pas trop s'attarder aux fluctuations actuelles des cours du pétrole, car comme vous l'avez laissé entendre, les projets comme Énergie Est nécessiteront beaucoup de temps. Est-ce que ce sera 10 ans? Je ne suis pas en mesure d'estimer le temps qu'il faudra.

M. Cleland : Moi non plus, monsieur le sénateur. Je préfère ne pas conjecturer sur le temps qu'il faudra.

Cependant, vous avez soulevé un point crucial : de nombreuses questions très complexes devront être réglées au cours des prochaines années. Or nous ne pouvons pas attendre que tout soit parfait avant de commencer. Rien n'est parfait en ce monde. Ce qui compte, c'est que nos mesures de réglementation font leurs preuves depuis plusieurs décennies. Misons donc sur leur efficacité et continuons de les améliorer lorsque l'occasion se présentera. Tôt au tard, les questions plus fondamentales devront être réglées, mais on ne peut attendre 15 ou 25 ans avant de faire quoi que ce soit.

Le sénateur Greene : Je suis entièrement d'accord. Je crains seulement que nous laissions beaucoup d'argent dans le sol en Alberta et en Saskatchewan.

Depuis quelques semaines, tout le monde parle de la voiture électrique fabriquée par Elon Musk, qui suscite beaucoup d'intérêt. Si cette voiture atteint les marchés avant que l'oléoduc Énergie Est ne soit mis en service, cela changera toute la donne.

Vous avez évoqué tout à l'heure les émissions de carbone de la Chine. La voiture électrique pourrait régler une grande partie du problème. Le marché des combustibles fossiles doit faire de la place à de nouveaux concurrents. Le monde évolue.

Le temps presse et il y a une longue liste de choses qui prendront du temps à régler.

M. Cleland : Si vous me permettez, le monde n'attendra pas après nous. Je pense à l'épisode du gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique. Des occasions peuvent nous filer entre les mains simplement parce que le processus de réglementation n'est pas toujours aussi rapide qu'il pourrait l'être.

En ce qui concerne la demande, ce que vous dites est très important. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais la demande en produits pétroliers va diminuer en Amérique du Nord. En Europe, c'est déjà commencé. La demande ne va probablement pas croître aussi rapidement en Chine et dans d'autres pays que nous le pensions il y a deux ou trois ans. Au fil du temps, la demande s'orientera vers les nouvelles technologies au détriment des produits pétroliers. Cela prendra encore des dizaines d'années, mais le Canada et les autres producteurs de ressources ne doivent pas l'oublier, car dans 40 ou 50 ans, la poule aux œufs d'or aura peut-être cessé d'exister.

Le sénateur MacDonald : J'ai plusieurs questions, mais je vais d'abord en poser deux. La première vous est adressée, monsieur Cleland, car c'est vous qui en avez parlé. Il s'agit de l'approbation sociale, un sujet qui me préoccupe beaucoup. C'est un concept qui semble nébuleux, car on ne sait pas trop où il commence et où il finit, ni ce qu'il signifie concrètement.

Si trois personnes au fond de la salle brandissent des pancartes en chahutant, peut-on conclure qu'il n'y a pas d'approbation sociale? Comment la mesure-t-on?

M. Cleland : Vous mettez le doigt sur l'enjeu central que nous tentons de décortiquer dans nos travaux sur les autorités publiques et dans le cadre de notre étude sur les changements qui devraient être apportés au système de décision.

Je n'aime pas le terme « approbation sociale », précisément parce qu'il donne l'impression que quelqu'un doit dire « oui » pour qu'on puisse procéder. Si nous avons constitué des autorités publiques comme il convient, c'est justement pour qu'elles puissent résoudre ces questions par l'application de la règle de droit et des processus démocratiques judicieusement mis en place. Mais on semble l'avoir oublié. C'est comme si n'importe quelle communauté locale ou n'importe quel groupe non gouvernemental qui en a envie pouvait décider au nom de la société.

Les choses ont complètement changé depuis l'époque, il y a une quarantaine d'années, où les décisions se prenaient en coulisse à coups de billets, comme le disait un autre ancien premier ministre. Cela ne se fait plus de nos jours, mais on semble avoir oublié que les décisions reviennent aux autorités légitimes. Il n'est pas trop tard pour se le remettre en tête, mais à l'heure actuelle, nous sommes en terrain bien étrange.

Le sénateur MacDonald : Premièrement, je trouve un peu artificiels les arguments concernant l'approbation sociale, surtout dans le contexte des municipalités et des autres ordres de gouvernement. Si la municipalité doit obtenir l'approbation sociale chaque fois qu'elle veut faire creuser un égout, à quoi serons-nous réduits? À vider les pots de chambre par la fenêtre du deuxième étage? Je ne vois pas à quoi riment certains de ces arguments, mais je pense que vous et moi sommes du même avis.

Deuxièmement, quand il est question du transport du bitume, tout le monde ne semble s'intéresser qu'aux oléoducs, comme si ce qui arrivait au bitume une fois qu'il est chargé dans la cale d'un navire n'avait plus d'importance; comme si le sol courait un danger, mais pas la mer.

Je vis sur la côte. Le choix du port maritime est très important. Il y a une grande différence selon que le bitume quitte les côtes de l'intérieur de la Voie maritime du Saint-Laurent ou même de la baie de Fundy, ou qu'on l'exporte à partir de Prince Rupert ou de Point Tupper à Cap-Breton. Je me demande ce que vous en pensez. Croyez-vous que cette question reçoit suffisamment d'attention?

M. Cleland : Monsieur le sénateur, vous me parlez d'une science que je ne prétends pas connaître. Je peux en dire quelque chose, mais je tiens pour acquis que vous recevrez, dans le cadre de votre étude, des témoins qui sont de véritables experts dans ce domaine.

Je ne serais pas étonné si une large part de l'opposition au projet Northern Gateway n'était pas attribuable à l'oléoduc comme tel, mais plutôt aux effets du projet sur l'environnement marin, à cause des pétroliers. Les risques sont réels. C'est sûrement le cas pour Kinder Morgan également. Les gens expriment aussi d'autres inquiétudes, comme le saccage du port de Vancouver.

Comme vous le savez sans doute, et vous en entendrez parler davantage, les normes sur les pétroliers, leur construction, leur exploitation, la façon de s'en servir, avec les câbles et les remorqueurs et les procédures d'intervention d'urgence que cela comporte, sont très différentes de celles qui ont mené au déversement du pétrolier Exxon Valdez en 1990. C'est un monde différent, et je ne pense pas que les gens comprennent très bien.

Après avoir entendu le point de vue des spécialistes, on peut constater que les circonstances dans lesquelles le transport de bitume pose un réel grand risque pour le milieu marin sont probablement gérables et très peu nombreuses. Or, encore une fois, je sors de mon domaine de compétence.

M. Speer : Je crains de n'avoir rien à ajouter, monsieur.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Speer, vous avez dit qu'il pourrait falloir 10 ans avant que nous arrivions au moment de construire ou d'utiliser le pipeline. Parlez-vous de la construction des pipelines en direction tant de l'est que de l'ouest?

M. Speer : La question concernait Énergie Est.

Le sénateur Eggleton : D'accord. Monsieur Cleland, vous avez dit que dans 10 ans, nous pourrions nous trouver dans une situation bien différente quant à l'utilisation des ressources renouvelables, et on ne sait pas quels seront les prix des produits de base et du pétrole.

Quel est le risque que, d'ici à ce que nous procédions, ce soit inutile?

M. Speer : Vous avez raison, monsieur. Il est bon que les décideurs fassent preuve de prudence lorsqu'il s'agit de prédire ce qui se passera. Cependant, nous savons que, selon les spécialistes de ces questions, la demande pour les combustibles fossiles ne touchera pas le fond dans un avenir prévisible. L'AIE prévoit qu'ils demeureront la principale source d'énergie pour encore des décennies. Peu importe si la croissance et la demande stagnent, comme le croit mon collègue, cela ne changera rien au fait qu'assurément de mon vivant — et vraisemblablement durant la plus grande partie de la vie de mes enfants —, les combustibles fossiles seront une source d'énergie importante à l'échelle mondiale.

Je ne pense pas que nous risquons de faire face à un tel problème en ce qui concerne les pipelines dont il est question aujourd'hui. Il est concevable que la situation puisse changer à long terme.

M. Cleland : Je suis d'accord avec lui sur ce point. Je parle de plusieurs décennies. Je conviens qu'il serait productif de s'en remettre à l'Agence internationale de l'énergie. Encore une fois, selon son point de vue, la demande de produits pétroliers — non pas le charbon ou le gaz naturel — diminuera dans les économies de l'OCDE au cours des prochaines décennies. Cela ne signifie aucunement qu'elle disparaîtra. Elle s'accroîtra lentement dans d'autres économies pendant encore un bon bout de temps.

Les véhicules électriques créeront peut-être une révolution rapide dans le secteur des transports. Dans le secteur de l'énergie, on n'assiste pas très souvent à des révolutions. Je ne suis pas certain qu'il y en aura une. Les raisons pour lesquelles le moteur à combustion interne — qui est de plus en plus efficace et qui est installé dans des véhicules de moins en moins énergivores — continuera d'être la proposition économique pendant encore longtemps sont encore beaucoup trop nombreuses. Si on utilise des produits pétroliers dans le monde et que le Canada peut les exploiter de manière durable, je ne vois aucune raison pour laquelle nous ne devrions pas être toujours de la partie.

Des collègues de l'Alberta me disent qu'en faisant leurs calculs, ils se demandent comment ils peuvent composer avec un prix du pétrole fixé à 40 $ le baril. Ces gens-là font des calculs minutieux. Je ne serais pas étonné qu'ils proposent des façons de vivre dans ce monde qui diffère complètement par rapport au monde à 100 $ le baril que nous croyions voir subsister encore longtemps.

Le sénateur Eggleton : Devrions-nous dire qu'il y a une période limitée à l'intérieur de laquelle le processus devrait être complété afin de maximiser les possibilités pour le pipeline s'il devait être construit? D'autres facteurs économiques entrent en jeu, et il se peut que cela ne soit pas faisable si c'est d'ici 10 ans. Peut-on parler d'une période de cinq ou six ans? Il y a aussi les consultations et tous les processus que le gouvernement a mis en place. Est-il préférable de nous en tenir à cela?

M. Cleland : Ce que vous voudrez probablement faire dans le cadre de votre étude, c'est examiner les délais d'études antérieures et de projets récents ou moins récents, examiner les délais qui sont respectés dans des pays concurrents et tenir compte du fait que les délais ne sont peut-être pas les mêmes qu'il y a 20 ans, quand le monde était différent. Or, ils n'ont pas non plus à correspondre aux délais, par exemple, du processus lié au projet de la vallée du Mackenzie qui a traîné en longueur. Il est possible d'avoir quelque chose qui se situe entre les deux, qui est logique et qui correspond aux attentes de la population canadienne et à ce que font nos concurrents, et à ce dont les investisseurs auront besoin, avant qu'ils se retirent.

M. Speer : Cela revient au point que j'ai soulevé sur l'objectif du processus de réglementation. Ce processus, selon sa structure actuelle, est censé évaluer les caractéristiques techniques du projet et les dispositions sur la sécurité. Il ne s'agit pas de s'attaquer à des questions fondamentales sur l'utilité du développement des ressources, par exemple.

Je ne veux pas minimiser l'importance des consultations et de la confiance de la population, et je le dis sincèrement. Il y a de moins en moins de résultats lorsque des individus et des groupes qui veulent qu'il y ait un débat plus fondamental sur le développement des ressources jouent avec ce processus. Il ne s'agit pas de minimiser ces préoccupations. Cela correspond aux choix et aux travaux que vous effectuez, mais il n'appartient pas à l'ONE de poser ces questions.

Je dirais qu'il faudrait faire preuve de prudence concernant l'établissement d'un délai dans le seul but qu'il y en ait un. Le processus devrait comprendre un nombre de consultations approprié permettant de juger de l'efficacité, de la sécurité et des facteurs techniques du projet, et c'est tout. Il y a un véritable risque que le processus ne s'accomplisse pas si on lui demande de faire des choses que sa structure ne lui permet pas de faire ou qui ne sont pas justifiées.

M. Cleland : Si vous me le permettez, j'ajouterais que l'autre but du processus de réglementation, c'est d'évaluer la viabilité économique du projet. C'est cela aux yeux des transporteurs et des investisseurs pour le pipeline. C'est la raison pour laquelle nous avons des marchés. Nous leur demandons d'évaluer la viabilité du projet sur 20, 30 ou 40 ans, en fonction de certaines hypothèses, dont le risque que pose la réussite possible d'Elon Musk. Quel est le risque dans le contexte de ce projet? Encore une fois, ils feront leurs calculs à cet égard. L'organisme de réglementation leur demandera ce que leurs paramètres économiques leur indiquent.

Le sénateur Eggleton : Merci.

Le sénateur Runciman : Ma question a vraiment été lancée par le sénateur MacDonald, en ce qui concerne l'acceptabilité sociale et l'observation quant à savoir qui parle au nom du Canada. Dans votre présentation, il est question de la compréhension de la prise de décision et de la mesure dans laquelle, dans le processus, les décideurs créent inévitablement de la confusion chez le public.

Cela se fonde sur des nouvelles que j'ai entendues — des allégations peut-être —, mais pour ce qui est de l'influence exercée sur le public, dans quelle mesure le financement étranger influence-t-il les groupes et les individus? Il ne s'agit pas seulement ici du processus de l'ONE ou du processus de réglementation, mais aussi, et même, des élections municipales. Selon ce que j'ai entendu, de grandes municipalités ont indiqué être contre le projet de Kinder Morgan, par exemple. Je me demande si vous considérez cela comme un problème et, si c'est le cas, jusqu'à quel point est-il important et comment pourrait-on le résoudre?

M. Cleland : Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner une très bonne réponse à ce sujet, sénateur. Permettez-moi de revenir sur ce que je disais un peu plus tôt sur l'idée de faire une distinction, si l'on veut, entre la question en général — changement climatique et gaz à effet de serre — et la myriade de préoccupations locales sur les déversements, la sécurité et ce genre de choses, et d'arriver au point où nous savons ce qui préoccupe vraiment les collectivités concernant ces questions, et où nous réglons ces problèmes le mieux possible.

En ce qui concerne l'influence de notre grand monde des communications, la twittosphère, et les effets, comme vous le dites, du financement étranger concernant le Canada en tant que cible très facile pour les activistes du climat, ce n'est qu'une partie du monde dans lequel nous devrons fonctionner. Je ne crois pas que nous changerons cela très rapidement. À mon avis, il serait utile d'accroître la crédibilité de notre politique sur les changements climatiques. Ce que je veux dire, c'est qu'il faudrait concilier nos réalités économiques et nos aspirations quant au climat, mais nous ne changerons pas la situation rapidement. C'est pourquoi je pense que parler aux Canadiens, dans leurs collectivités, et traiter ces questions est du moins quelque chose de productif et cela nous aidera à aller au-delà de ce qui se passe sur la twittosphère. Or, le problème ne se réglera pas pour autant.

Le sénateur Runciman : J'espère que vous avez raison, mais si c'est aussi important que l'affirment certaines personnes, c'est comme si on se battait avec une main attachée dans le dos. Si personne n'a les ressources et le financement pour répliquer et faire ressortir les idées fausses derrière les positions qu'ils adoptent, ce sera un travail pénible.

M. Speer : Mon collègue a montré qu'il connaît bien l'histoire des premiers ministres canadiens et il me fait mal paraître. Permettez-moi de parler de l'histoire présidentielle américaine. Je crois que le premier ministre actuel a le potentiel quant à ce que l'Institut Macdonald-Laurier appelle un moment « Nixon s'en va en Chine ».

Le premier ministre Trudeau et la crédibilité de ce gouvernement sur les questions environnementales et autochtones peuvent constituer les éléments qui permettront de faire avancer le développement des ressources d'une façon qui ne correspond pas à ce qu'a fait le gouvernement précédent, que j'ai servi en même temps que vous, sénateurs, et en même temps que d'autres personnes, pour le meilleur et pour le pire. Nous pouvons découvrir que cela aide à créer les conditions permettant de répondre aux mauvaises perceptions et aux activistes écologiques et d'accomplir des progrès sur ces questions.

Je crois que le sujet que nous éludons aujourd'hui, c'est l'article qu'a écrit John Ivision dans le National Post de ce matin au sujet de l'engagement du gouvernement sur la construction du pipeline. Je crois que nous entrons dans une période intéressante durant laquelle nous verrons des progrès se réaliser, qui seront menés par un défenseur inattendu. Je crois que c'est bon pour le Canada.

Le sénateur Runciman : Merci.

Le sénateur Doyle : Je lisais un peu au sujet du processus environnemental que les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient devoir suivre. Le comité devrait-il examiner une étude environnementale? Il se trouve que les deux ordres de gouvernement mènent des études distinctes. Est-ce une bonne idée que le comité examine cela également?

M. Speer : Oui, sénateur. Je pense que l'idée d'avoir des processus d'examen conjoints a deux avantages. Premièrement, bien entendu, il y a la rapidité : c'est plus vite et plus efficace.

Deuxièmement, je pense que cela aide à créer les conditions pour accroître la confiance du public lorsque les deux ordres de gouvernement participent ensemble à un processus et qu'ils tirent les mêmes conclusions. Je pense que cela ne peut faire autrement qu'améliorer, aux yeux du public, la solidité et la qualité du processus. Je crois que le modèle du comité d'examen conjoint est quelque chose que nous devrions examiner parmi les solutions à adopter à cet égard.

M. Cleland : Je suis d'accord avec vous, mais j'ajouterais qu'il ne faut pas se perdre. Votre priorité, ce sont les pipelines, les travaux et engagements interprovinciaux par définition, à ce que je sache, et par conséquent, relevant de la compétence fédérale, d'abord. La priorité, c'est le processus de l'ONE et, probablement, cela joue cependant contre le processus d'évaluation environnementale canadien.

Ensuite, beaucoup d'autres processus contribuent à cela. Cela pourrait se faire par des examens conjoints plus formels ou par d'autres moyens. Loin de moi l'idée de nier la légitimité des préoccupations des gens de Montréal ou de Vancouver. Il s'agit de savoir comment ces préoccupations sont projetées dans le processus de décision et qui, au bout du compte, doit assumer la responsabilité des décisions, et c'est de toute évidence, le fédéral.

Le sénateur Doyle : Oui. Le gouvernement a tendance à être trop accommodant envers les collectivités. Combien de consultations deviennent trop de consultations?

M. Cleland : Je ne sais pas s'il est possible de répondre à cela. Par rapport aux façons dont on a essayé de gérer la contribution aux processus de réglementation, nous le savons : après un certain temps, on réentend toujours la même chose; on entend une version différente de la même opinion.

À un moment donné, les organismes doivent pouvoir dire : « D'accord, nous comprenons maintenant ce que vous pensez. Nous avons maintenant l'information nécessaire pour aller de l'avant. » Cela cause inévitablement de la friction; nous l'avons vu. Il n'y a pas de réponse claire.

Cela nous ramène encore une fois à l'argument que Sean a bien fait valoir à quelques reprises : décider si nous devrions faire ce genre de chose ou non est une question de politique qui doit être posée en amont du processus de réglementation. Le processus de réglementation se penche sur les données économiques, la sécurité et l'intégrité environnementale, et il finit par produire ce qu'on appelle un certificat de commodité et de nécessité publiques. Ce sont ces questions fondamentales que les décideurs devraient étudier.

Nous n'avons plus confiance en nos mécanismes, et je ne parle pas seulement du public, mais de tout le monde, d'une certaine manière. Nous devons les recentrer.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de votre présence à notre comité. Votre exposé est fort intéressant. On constate que l'exploitation, partout au Canada, fait partie de vos préoccupations principales, particulièrement le transport des matières énergétiques.

M. Cleland, j'ai examiné l'ensemble de vos six projets. Je suis curieux de savoir pourquoi vous ne mentionnez pas dans votre recherche le projet de l'oléoduc de l'Est, qui fait l'objet d'une controverse?

[Traduction]

M. Cleland : C'était simplement une question de choix, monsieur le sénateur. Nous ne pouvions pas tout faire. Je peux vous expliquer le processus que nous avons suivi.

Comme ces études prennent du temps et de l'argent, nous pouvions seulement en faire un nombre limité. Nous voulions examiner tous les types de projets. Nous avons donc les pipelines, les lignes de transport d'électricité, l'exploitation du gaz naturel, ainsi que les projets énergétiques, dont un parc éolien et des centrales alimentées au gaz naturel; nous traitons donc l'ensemble des énergies renouvelables et non renouvelables. Nous voulions aussi une bonne représentation des régions et des différents types de collectivités, y compris les collectivités autochtones et non autochtones. En fin de compte, ces six projets ont été choisis de manière quelque peu subjective.

Autre point important : nous voulions également des projets qui s'étaient rendus à la fin du processus d'approbation officielle. Notre préoccupation était qu'en intervenant dans quelque chose qui n'était pas terminé, nous prenions part au processus. Sur le plan méthodologique, ce n'était pas une bonne chose à faire. C'est une autre raison pour laquelle Énergie Est n'est pas une des études de cas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : En quoi ces projets pourraient-ils être utiles pour notre comité du point de vue de la finalité?

[Traduction]

M. Cleland : Cela dépend de l'échéancier. Je ne connais pas l'échéance de votre étude, mais plusieurs des études de cas devraient être terminées d'ici au début de l'été. Nous prévoyons publier un rapport sur le tout d'ici à la fin de l'été. Nous serons ravis de fournir nos résultats au comité dès que possible.

C'est difficile de savoir ce que nous découvrirons avant d'avoir fait les études de cas. Nous avons formulé la question de la façon décrite dans le document. Ce que nous voulons savoir, c'est si les études de cas confirmeront nos hypothèses. Obtiendrons-nous des informations différentes?

Je le répète, nous avons parlé à 20 spécialistes, y compris des responsables de la réglementation haut placés, des gens qui travaillent dans le domaine de la politique gouvernementale, des groupes environnementaux nationaux bien connus et d'autres encore; ils nous ont donné de bonnes informations. Reste à savoir ce qui se passe à l'échelle des collectivités locales.

Nous menons des recherches qualitatives. Nous nous rendons actuellement dans les collectivités, nous rencontrons les gens, puis nous faisons un suivi au moyen de recherches quantitatives dans chaque collectivité avec notre firme de sondage. C'est difficile de prédire ce que nous découvrirons, mais nous serons ravis de vous faire part de nos résultats une fois que nous les aurons.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si je comprends bien, vous avez surtout étudié l'ensemble du processus de consultation et d'intégration des personnes qui s'y opposent ou de celles qui y sont favorables? Bref, vous examinerez tout le processus de consultation et ferez des recommandations quant aux améliorations à apporter. Est-ce exact?

[Traduction]

M. Cleland : Je dirais que c'est plus vaste que le processus de consultation. La question de la recherche est la suivante : qu'est-ce qui contribue à accroître ou à briser la confiance des collectivités locales dans le processus? Le processus de consultation entre en ligne de compte, mais la façon dont le projet est conçu et accompli aussi.

Je vais prendre l'exemple du projet hydroélectrique Wuskwatim; j'en connais un peu sur celui-là. Dans le cadre du processus de consultation, on a modifié le plan du projet de manière fondamentale : la capacité de ce qui a été construit représente la moitié de celle proposée au départ. Le projet a été considérablement modifié. Souvent, cela a à voir avec les possibilités locales d'emploi ou d'affaires. Cela peut aussi avoir à faire avec la prise de participation aux projets. C'est le processus de consultation, mais c'est aussi les mesures prises pour permettre à la collectivité de croire que le projet est à son avantage, et que les coûts et les risques sont bien gérés.

Le président : J'aimerais rappeler à mes collègues de rester après, car je veux régler quelques questions d'ordre administratif.

La sénatrice Unger : Monsieur Cleland, vous avez dit que le terme « acceptabilité sociale » ne vous plaisait pas. Je ne l'ai jamais aimé non plus. Est-ce qu'un d'entre vous a une suggestion pour le remplacer?

M. Cleland : Les gens essaient sans cesse de nouveaux termes. Nous avons opté pour « confiance du public ». Comme je l'ai déjà dit, le terme « acceptabilité sociale » semble suggérer que la décision vient de quelqu'un à l'extérieur du mécanisme officiel, tandis que « confiance du public », à mon avis, laisse entendre que les promoteurs de projets et les autorités officielles savent ce qu'elles ont à faire et le feront d'une façon légitime dans les yeux du public. Le terme semble convenir.

La sénatrice Unger : Oui, il me convient.

M. Speer : Je n'ai pas de meilleure suggestion, madame la sénatrice.

Le sénateur Mercer : Merci d'être ici, messieurs. J'ai une brève observation. Le sujet que personne ne veut aborder par rapport à ce processus, c'est qu'on revient sans cesse aux voitures électriques et au fléchissement potentiel des besoins en pétrole. Je dirais que le marché du pétrole est peut-être à la baisse en Amérique du Nord et possiblement aussi en Europe de l'Est, mais à l'échelle mondiale, la demande est toujours présente.

D'où l'importance d'acheminer notre produit vers le marché, d'où l'importance des pipelines — nous parlons de celui de l'Est, mais peut-être les deux. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

M. Speer : Oui, monsieur. Cela me rappelle une conversation entre Derek Burney, ancien ambassadeur à Washington, et un fonctionnaire japonais au sujet du fait que la providence avait doté le Canada de riches ressources naturelles, tandis qu'un pays comme le Japon, sans qu'on puisse l'en blâmer, n'avait pas cette chance. Le fonctionnaire japonais regardait M. Burney comme s'il avait deux têtes pendant qu'il lui décrivait les difficultés que l'exploitation des ressources naturelles posait au Canada.

Je pense qu'il nous faut le bon cadre stratégique et la confiance du public. Tous ces volets sont importants. J'espère que les travaux du comité aideront à sensibiliser la population et à lancer une discussion publique générale sur la mise en valeur des ressources.

Avant que nous nous attaquions à cette question fondamentale, les changements de politiques et les mesures du genre ne suffiront pas pour déterminer si c'est quelque chose que nous devrions faire. Je vous félicite pour votre travail et je vous remercie de m'avoir invité. J'ai hâte de lire votre rapport.

M. Cleland : C'est une question de délais, d'après moi. Le problème, tant à l'échelle mondiale qu'au Canada — et je l'ai dit publiquement à quelques occasions —, c'est qu'on dirait que la discussion sur l'énergie et la discussion sur les changements climatiques se produisent sur différentes planètes.

Si vous prenez les perspectives énergétiques de sources fiables, et je dirais que l'Agence internationale de l'énergie est probablement le meilleur choix, vous constaterez une faible croissance de la demande de produits pétroliers à l'échelle mondiale, un fléchissement en Europe et probablement aussi un fléchissement en Amérique du Nord, quoique faible.

Si vous prenez l'objectif de limiter le réchauffement à moins de 2 ºC d'ici 2050, c'est vers les travaux du professeur Ekins du Royaume-Uni que vous devriez vous tourner. C'est une trajectoire très différente. La question est de savoir quelle trajectoire a le plus de chances d'être suivie.

Ce que nous faisons n'a pas tellement d'importance dans le contexte global, mais selon la trajectoire qui sera suivie, la question est de savoir si le Canada devrait se servir de ses ressources pour enrichir les Canadiens et pour fournir des ressources propres au reste du monde. Les nombres sont inconciliables, dans un sens. Je ne sais pas ce qu'on peut fait de tout cela.

Le sénateur Runciman : Y a-t-il un pays occidental qui a adopté les conclusions de M. Ekins?

M. Cleland : Pas à ma connaissance. Je pense que la plupart agissent de façon pragmatique et poursuivent leurs activités. J'ai remarqué que la Norvège produisait encore du pétrole, et c'est un des pays les plus progressifs sur le plan des changements climatiques. Le Royaume-Uni continue aussi à produire du pétrole, quoique de moins en moins. L'Allemagne fait encore brûler du charbon, malgré tous ses investissements dans l'énergie renouvelable. Alors oui, les gens agissent de manière pragmatique. Officiellement, je ne pense même pas qu'un seul pays ne s'en approche.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Speer, et j'invite aussi M. Cleland à répondre, vous avez dit tout à l'heure que c'est important que le gouvernement fédéral se fasse le champion de ces projets, mais seulement après le processus de réglementation. Je ne suis pas certain d'être d'accord avec vous là-dessus.

Je me demande si le gouvernement fédéral devrait poser des jalons au tout début du processus et adopter un rôle de champion plus souple.

M. Speer : Monsieur le sénateur, je suis d'accord avec vous que le gouvernement devrait user de son influence pour plaider en faveur de la mise en valeur générale des ressources, ainsi que pour vanter les avantages économiques et environnementaux que le Canada tire de l'exploitation de ses ressources.

Là où, sauf votre respect, je ne suis pas d'accord avec vous, et peut-être que ce n'est même pas une source de désaccord, c'est sur le plan du rôle du gouvernement fédéral dans des projets précis avant la fin du processus de réglementation. Même si les intentions sont bonnes, l'intervention du gouvernement dans un processus risque de finir par avoir des conséquences juridiques qui contrecarreraient l'intention initiale même de sa participation.

Une conversation nationale sur la mise en valeur des ressources, la sensibilisation des Canadiens sur le fonctionnement du processus, comme mon collègue l'a dit, et sur la participation accrue des collectivités autochtones au processus — je suis aussi d'avis que ce sont toutes de bonnes choses. Je pense que le premier ministre actuel et son équipe sont aussi bien placés que quiconque pour accomplir ce travail.

M. Cleland : Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je pense que cette interprétation est juste : il faut établir le cadre stratégique et le processus, puis respecter le processus jusqu'à la fin.

Le président : Merci. Je tiens à remercier M. Speer et M. Cleland de leur participation. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous avez pris pour nous faire part de vos conclusions.

Mesdames et messieurs, demain soir, les professeurs Geoffrey Hale et Yale Belanger de l'Université de Lethbridge viendront nous parler de la mobilisation de la collectivité dans le secteur de l'énergie.

J'ai deux brèves questions d'ordre administratif à présenter. Lors de notre dernière séance, nous avons adopté un budget de 331 000 $ pour les déplacements aux fins de l'étude. Une erreur administrative s'est glissée dans le calcul; le montant devrait être de 354 000 $. Le comité s'entend pour corriger la motion au Sénat.

Il y a une autre motion, mais je vais la garder pour une autre fois. On m'a dit que le caucus conservateur s'était mis d'accord pour retirer le volet des communications du Comité des transports et des communications. J'espère que le comité aura l'occasion d'en parler. Ce n'est pas que je ne suis pas d'accord, mais je croyais que lorsque nous en avions discuté, la proposition ne faisait pas l'unanimité.

Le sénateur Greene : Je ne me rappelle pas que nous ayons accepté cela.

Le président : J'ai reçu une lettre de la sénatrice Johnson. Tous mes collègues libéraux ont reçu une lettre selon laquelle vous aviez accepté à l'unanimité de retirer le volet des communications du Comité des transports et des communications.

Des voix : Non.

Le président : Il y a une motion à ce sujet actuellement au Sénat. Je voulais en parler en tant que président du comité, mais je cherchais des indications. Cela ne semble pas être le cas. Je vais soulever la question à nouveau et je vais vous envoyer des copies de la lettre au cas où vous ne l'ayez pas reçue.

Le sénateur MacDonald : J'ai aussi lu la lettre.

Le président : Surpris?

Le sénateur MacDonald : Un peu.

Le président : J'étais surpris que vous ne me l'ayez pas dit, vous qui êtes vice-président.

Mesdames et messieurs, notre prochaine séance aura lieu demain, à 18 h 45. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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