Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 2 - Témoignages du 13 avril 2016
OTTAWA, le mercredi 13 avril 2016
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, afin de poursuivre son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
[Traduction]
Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur le développement d'une nouvelle stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est canadien et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.
[Français]
L'un des objectifs de nos réunions publiques est d'étudier la façon de répartir de manière optimale les risques et les bénéfices dans l'ensemble du Canada.
[Traduction]
Nous recevons ce soir deux professeurs du département de sciences politiques de l'Université de Lethbridge, M. Geoffrey Hale et M. Yale Belanger. Nos deux invités ont fait des recherches et publié des essais sur la mobilisation communautaire dans le secteur de l'énergie. Nous sommes heureux de les accueillir pour discuter de leurs constatations.
Je vous invite à présenter vos exposés. Nous passerons ensuite à la période de questions.
Geoffrey Hale, professeur, Département de sciences politiques, Université de Lethbridge, à titre personnel : Honorables sénateurs, je m'appelle Geoffrey Hale. Je suis professeur de sciences politiques à l'Université de Lethbridge. M. Belanger et moi sommes heureux de pouvoir discuter avec vous de l'élaboration potentielle de stratégies visant à gagner la confiance et l'acceptation du public à l'égard des projets de pipeline et d'autres projets d'infrastructure de ressources. M. Belanger vous parlera de la participation des peuples autochtones aux processus décisionnels concernant leurs collectivités.
Dans les pays démocratiques, les politiques publiques visent généralement à assurer l'équilibre entre des intérêts variés afin de servir le bien public en général. Les Canadiens s'attendent à ce que le gouvernement fédéral tienne les rênes dans ce processus, dans les limites de son champ de compétence, mais il est important qu'il laisse place à des consultations publiques continues et qu'il permette à la population de prendre part à l'exercice, en plus de collaborer avec les paliers supérieurs de gouvernement.
Les études contemporaines sur l'acceptation sociale des projets d'exploitation des ressources et de développement des infrastructures connexes — on parle aussi parfois de permis social — laissent croire qu'un tel engagement est important tout au long de ces projets, et pas seulement lors des étapes de la planification et de la construction.
Cependant, je dois préciser d'emblée que bien que l'acceptation sociale soit importante, il incombe aux gouvernements de traduire différentes notions du bien public en règles juridiquement exécutoires dans le cadre de leurs champs de compétence constitutionnels. Différents groupes d'intérêt peuvent contribuer à ces débats, mais au bout du compte, la liberté et la sécurité des Canadiens dépendent de l'application uniforme de la primauté du droit.
La grande question qu'on nous a demandé d'aborder ce soir est comment le gouvernement fédéral pourrait favoriser l'acceptation sociale du transport du pétrole brut, et probablement d'autres marchandises, compte tenu des conséquences pour la sécurité publique et la protection de l'environnement.
Les controverses entourant l'exploitation des ressources et le développement de l'infrastructure portent généralement sur trois types d'enjeux qui touchent des collectivités en particulier et leur milieu environnant : la sécurité publique, y compris la préparation aux situations d'urgence et la gestion des mesures d'urgence; la protection de l'environnement; et la reconnaissance des intérêts locaux et régionaux par rapport à l'élaboration et à l'exploitation de certains processus.
Il est de plus en plus courant pour les promoteurs de solliciter la participation des collectivités potentiellement touchées par leurs activités en vue de la préparation de leurs demandes aux organismes de réglementation, comme l'Office national de l'énergie. Des jugements de la Cour suprême ont en effet rendu obligatoires les consultations préalables auprès des Premières Nations qui risquent d'être touchées par le projet, et ce, en vertu de la notion d'« obligation de consulter », dont M. Belanger va vous parler.
Il est tout à fait raisonnable pour l'Office national de l'énergie d'établir des règles relatives à la qualité pour agir qui privilégient les personnes ou les groupes « susceptibles d'être directement touchés » par les projets ou « pouvant posséder des renseignements pertinents ou une expertise appropriée » dans ce contexte. La gestion des grandes consultations publiques est probablement plus efficace lorsqu'on exige des promoteurs de projet de démontrer qu'ils ont sollicité la participation des collectivités locales et d'autres intervenants à différentes étapes du projet proposé, et d'indiquer comment la proposition a été conçue ou modifiée en fonction de ces consultations.
Un exemple tiré de nos recherches est la notion de « coalition de corridor », qui veut que les promoteurs sollicitent la participation des collectivités, y compris les Premières Nations et d'autres collectivités autochtones, afin de cerner les inquiétudes potentielles et les occasions de maximiser les avantages des développements proposés. Cette approche a été employée pour le projet du Pacific Trails Pipeline dans le nord de la Colombie-Britannique, et par la BNSF Railway aux États-Unis, concernant l'intensification de ses activités sur sa ligne principale reliant Chicago et la côte du Pacifique.
Cependant, les processus réglementaires axés sur les projets sont, de par leur nature, souvent inappropriés pour aborder les questions relatives aux effets cumulatifs sur l'environnement — qu'il s'agisse de questions environnementales locales ou régionales ou de questions plus vastes comme celle des changements climatiques. Ils risquent de ne pas être très efficaces non plus dans les grandes régions métropolitaines où les effets cumulatifs ont des répercussions plus larges encore et qui débordent du cadre du projet, pouvant toucher l'utilisation du terrain, l'environnement, la sécurité publique, la gestion de la circulation, et cetera.
Il est alors nécessaire, et c'est vraiment nécessaire, de collaborer avec les gouvernements provinciaux à la création d'un cadre de législation et de réglementation permettant la coordination avec les municipalités, et une coopération efficace entre elles, sans risquer indûment de créer des impasses décisionnelles en raison de droits de veto multiples. Le projet fédéral des portes d'entrée, lancé par le gouvernement Martin et maintenu par le gouvernement Harper, a mis en place ce qui semble être un cadre efficace de collaboration intergouvernementale et de consultation avec les collectivités concernant la planification des transports et des infrastructures connexes dans les grands centres urbains de l'ensemble du pays.
En dehors des grands centres urbains, différentes organisations sociales s'inquiètent de la pertinence des inspections fédérales, de même que des processus de surveillance et d'application de la réglementation régissant l'intégrité opérationnelle et la sécurité des infrastructures de transport et énergétiques. Ses inquiétudes portent tant sur les pipelines que sur les activités ferroviaires et le fret routier.
Le Canada est un grand pays et ses principaux réseaux de transport s'étendent sur de grands territoires peu populeux. Pour des raisons de sécurité et pour éviter les effets environnementaux causés par leur défaillance, les activités ferroviaires et l'exploitation des pipelines doivent être assurées de manière responsable sur les plans juridique et financier. Ce n'est cependant pas tout ce qu'on peut faire pour atténuer les répercussions des défaillances périodiques, qu'elles soient attribuables à des causes naturelles, à des erreurs humaines ou à des perturbations intentionnelles.
L'exigence adoptée récemment par l'Office national de l'énergie, voulant que les entreprises exploitant des pipelines publient en ligne leurs plans d'intervention en cas d'urgence, est un geste surtout symbolique qui sera néanmoins utile pour gagner la confiance du public. Par contre, pour consolider cette confiance, le gouvernement du Canada pourrait premièrement négocier des protocoles avec les gouvernements provinciaux pour permettre aux organismes provinciaux autorisés d'intervenir en cas d'accident ou de défaillance des systèmes sur les chemins de fer de compétence fédérale ou les emprises de pipeline; et deuxièmement, exiger que soient communiqués au préalable tous les plans et protocoles pertinents en matière d'intervention d'urgence aux organismes provinciaux concernés et aux premiers intervenants municipaux, de même qu'il soit possible d'obtenir en temps opportun des renseignements pertinents sur le transport de matières dangereuses qui s'effectue sur leur territoire.
Grâce aux technologies actuelles et aux applications électroniques, il est possible de transmettre ces renseignements en temps réel à des destinataires autorisés et de les protéger par mot de passe. Cela implique peut-être de revoir les pratiques en matière de cybersécurité, mais ce sont des mesures qui facilitent la collaboration et favorisent l'établissement d'un lien de confiance entre les sociétés exploitant les grandes infrastructures et les collectivités locales.
Je serai disposé à répondre à vos questions après l'exposé de M. Belanger.
Yale Belanger, professeur, Département de sciences politiques, Université de Lethbridge, à titre personnel : Je suis heureux de pouvoir discuter avec vous de l'élaboration potentielle de stratégies portant sur la confiance et l'acceptation des peuples autochtones à l'égard des projets de pipeline et d'autres infrastructures d'exploitation des ressources.
Je tiens aussi à reconnaître les premiers peuples du territoire et à souligner que nous exploitons actuellement des terres généralement reconnues comme des terres algonquines non cédées. Il est devenu courant au Canada ces dernières années de rendre hommage à l'histoire des peuples autochtones lorsqu'on discute de questions les concernant.
Il ne s'agit toutefois pas que d'un hommage symbolique. Le premier ministre Justin Trudeau présente le Canada comme un pays qui souhaite faire des peuples autochtones des partenaires et établir des relations de nation à nation avec eux.
Nous entrons ainsi dans une ère nouvelle de développement, dans laquelle les peuples autochtones du Canada ont de plus en plus d'influence sur l'évolution industrielle du pays.
Mais il demeure toutefois incertain comment on définira cette influence. Ma mission aujourd'hui consiste simplement à mettre en lumière des préoccupations clés, tout en tâchant de répondre à la question suivante : comment faciliter la participation des peuples autochtones aux processus décisionnels concernant le transport du pétrole brut.
Alors que les médias continuent à cataloguer les peuples autochtones comme les premiers écologistes, étant prédisposés à rejeter le développement industriel, on nous parle également du capitalisme autochtone. Pensons aux exemples suivants : à l'heure actuelle, 19 des 634 Premières Nations du Canada sont des collectivités productrices de pétrole. Une coalition de corridor réunissant 28 collectivités des Premières Nations et collectivités métisses en Colombie-Britannique a négocié une participation financière au projet d'expansion proposée du pipeline Northern Gateway, pour une part estimée à 800 millions de dollars, ou environ 10 p. 100 du projet. En Colombie-Britannique toujours, 300 accords de partage des avantages et des revenus, d'une valeur de 6 milliards de dollars, ont été négociés avec les Premières Nations par le gouvernement provincial et des sociétés privées. Et quelque 8,3 p. 100 de tous les emplois autochtones au pays sont liés directement à des projets d'exploitation des ressources naturelles.
L'Assemblée des Premières Nations, dans son rapport intitulé Instaurer un changement positif et important, fait la promotion de meilleures relations publiques-privées avec les peuples autochtones, quoique toujours animées par des protocoles novateurs reconnaissant aux peuples autochtones un statut qui va au-delà de celui de simples intervenants. Ils doivent être vus comme des parties prenantes au projet. Au lieu d'être considérée comme une barrière potentielle au développement, la part des peuples autochtones ne doit pas être celle de simples consultants.
Du point de vue des Autochtones, cette vision est rationnelle, puisque la responsabilité des terres a été confiée aux peuples autochtones. Comme gardiens, nous sommes tenus de veiller à la santé et au bien-être du territoire. Cette responsabilité sacrée et historique se traduit par le terme « propriété », de façon à ce que ce soit clair et à ce qu'on puisse concevoir pourquoi il peut être perçu comme insultant d'être consulté par des inconnus, quand on est en fait des cogestionnaires potentiels.
Que des inconnus dictent le rôle des peuples autochtones dans un projet qui vise à exploiter les terres qu'ils protègent depuis toujours vient perpétuer les doctrines de la Loi sur les Indiens et miner l'autonomie gouvernementale des Autochtones dans les réserves représentant uniquement une portion de leurs terres ancestrales — des terres qui jouent encore un rôle vital dans les économies politiques, sociales et spirituelles autochtones, et que le Canada reconnaît symboliquement depuis des années à titre de territoires autochtones.
Plusieurs décisions judiciaires importantes viennent clarifier l'importance de la participation financière des peuples autochtones, confirmant des droits légaux notables, et il en va de même pour les gestes posés récemment par certains chefs d'entreprise. Pensons, par exemple, aux termes employés dans les contextes suivants : les représentants gouvernementaux sont tenus de consulter de « bonne foi » les peuples autochtones et de leur offrir des mesures d'accommodement dans le cadre de projets qui sont susceptibles d'avoir des répercussions sur les terres ancestrales. Sur les terres pour lesquelles les titres autochtones n'ont pas été abolis, la propriété revient aux revendicateurs originaux. Cela a une incidence dans la majeure partie de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick, des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon, du Québec et du reste des provinces de l'Est. La notion fictive de terra nullius oblitérée par la décision Tsilhqot'in a dilué toute tentative ultérieure du Canada d'invoquer un titre territorial absolu d'après la notion de découverte. Il est à noter que les dirigeants du secteur privé voient l'obligation de consulter et d'offrir des mesures d'accommodement comme principe normatif, et non pas comme une obligation légale ou une barrière à abattre.
L'histoire nous rappelle que la terminologie associée aux titres autochtones et aux droits de traité sur les terres est fluide et toujours appelée à changer. Cela donne aussi du pouvoir aux dirigeants autochtones qui, pendant plus d'un siècle, ont consolidé la certitude de leurs droits de propriété en assurant de façon continue l'intendance de leurs territoires.
Cette certitude a toutefois été contestée, notamment par le refus de l'Office national de l'énergie d'évaluer si l'obligation de consulter avait été respectée par les demandeurs ou la Couronne aux fins de l'approbation réglementaire, ou encore par le refus de la Colombie-Britannique de garantir l'obligation de consulter et d'offrir des mesures d'accommodement; il y a ainsi lieu de réfléchir aux exemples de résistance de la part des peuples autochtones, qui ont entre autres recouru aux tribunaux pour clarifier l'essence des droits autochtones et des droits issus de traités; interdit l'accès à leurs collectivités; installé des barrages stratégiques et réoccupé des terres traditionnelles afin de stopper ou de retarder des projets; forgé des partenariats avec des groupes environnementaux et des acteurs du mouvement social; pratiqué la « politique de la honte » par l'entremise de campagnes médiatiques; et finalement eu recours à des confrontations armées.
Cette résistance n'est toutefois pas seulement attribuable à une question de principe ou à la crainte de voir les terres ruinées. D'après mon analyse de 24 mois des médias et de la littérature, la résistance autochtone tire davantage sa source d'approches consultatives bâclées. C'est-à-dire que les dirigeants autochtones veulent être plus que des cogestionnaires ou des consultants. Ils cherchent à obtenir un mandat économique et politique prenant la forme d'une participation qui se traduit par un pouvoir supérieur en matière d'évaluations environnementales.
Nous devons redéfinir notre compréhension de ce que signifient les intérêts des Autochtones sur les terres. Toutefois, un principe sous-jacent demeure, et c'est celui de l'intendance autochtone des terres et les obligations connexes. Dans ce contexte, deux grandes catégories de collectivités autochtones se distinguent : celles qui résistent aux projets externes par principe, ce qui est le résultat des confrontations passées et qu'il sera difficile à surmonter; et celles qui seront ouvertes à l'idée de négocier des ententes pour en récolter des avantages économiques, tout en mettant à l'épreuve la déférence des gouvernements et des acteurs du secteur privé à l'égard des protocoles d'intendance des terres. Ces projets de développement tiennent compte des principes traditionnels et historiques d'intendance des terres et des avantages mutuels, des principes inhérents aux théories politiques autochtones.
Donc, si vous souhaitez favoriser la participation des peuples autochtones aux processus décisionnels relatifs au transport du pétrole brut, il faut d'abord reconnaître les modèles autochtones d'intendance des terres et éviter de voir les Autochtones comme des obstacles au développement et à la croissance.
Pour renvoyer au rapport préliminaire soumis en 1993 à la Commission royale sur les peuples autochtones, je note que le temps semble être venu d'accepter les peuples autochtones à titre de partenaires de la Confédération et d'assumer les responsabilités afférentes de façon à assurer le développement durable à l'échelle nationale.
Le président : Merci, monsieur. Je rappelle à tout le monde au passage que la séance est télévisée.
[Français]
Je voudrais commencer par présenter le sénateur Boisvenu, du Québec, et le sénateur MacDonald, qui vient de la Nouvelle-Écosse.
[Traduction]
Le sénateur Black, de l'Alberta; le sénateur Eggleton, de Toronto, en Ontario; le sénateur Mercer, de la Nouvelle- Écosse; le sénateur Greene, aussi de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador; la sénatrice Unger, de l'Alberta; le sénateur Runciman, de l'Ontario; et un nouveau sénateur se joint à nous ce soir, le sénateur Pratte, qui a été assermenté hier. Bienvenue, sénateur Pratte. Comme je vous l'ai déjà dit, les membres du comité ont la priorité, mais vous aurez certainement la chance de poser vos questions à la fin du premier tour.
Le sénateur Mercer : Merci, messieurs, d'être ici. Vos commentaires sont les bienvenus et j'ai bien aimé vos exposés.
Monsieur Hale, comment est-ce que le maire de Montréal cadre avec le modèle de la coalition de corridor?
M. Hale : C'est une très bonne question, mais pour quelqu'un ayant une longue carrière politique, c'est un défi qu'il faut relever en faisant preuve de jugement. La création d'un...
Le sénateur Mercer : Et qui a dit que ce n'était pas un politicien?
M. Hale : Je crois qu'il y a deux éléments à prendre en compte dans ce cas-ci. Il y a notamment le processus de mobilisation des intervenants, ceux qui ont des intérêts directs dans le projet, et les collectivités situées le long du parcours proposé pour le développement des infrastructures.
Souvent, ce qui peut poser problème avec les peuples autochtones, c'est qu'ils estiment être des titulaires de droits, et pas que de simples intervenants, comme M. Belanger le mentionnait, et les sociétés d'exploitation des ressources et l'ONE doivent gérer cela avec grande prudence. Une façon de procéder est de recourir à un projet à deux niveaux.
Mais pour revenir à la Ville de Montréal, je crois que cela revient à la difficulté de gérer les développements dans les grands centres urbains et leurs alentours. Ce serait utile pour le gouvernement fédéral de collaborer avec ses homologues provinciaux pour veiller à ce qu'un cadre juridique clair soit en place lorsque les municipalités de cette province risquent gros, surtout dans les centres urbains très populeux, afin que les principaux intéressés aient la possibilité de se faire entendre, tout en respectant les dispositions pertinentes des lois provinciales relatives à l'aménagement du territoire.
Montréal cadrerait davantage avec un modèle de district régional, à la manière de Vancouver. Ce qui complique entre autres les choses avec le pipeline Trans Mountain, c'est que le gouvernement provincial n'avait pas de cadre législatif clair en place pour composer avec la situation avant que cela ne dégénère, et Trans Mountain a dû traiter avec des municipalités qui tentaient d'intervenir dans des secteurs qui débordaient de leur champ de compétence direct.
La troisième chose à faire serait de revoir le mandat des ports ou des portes d'entrée qui impliquerait le développement des terres industrielles le long des cours d'eau. Ce n'est peut-être pas une solution universelle pour les pipelines, mais s'il est question des raffineries de l'est de Montréal, cela pourrait s'appliquer. Avoir un interlocuteur fédéral désigné, suivant le modèle du Port de Montréal ou du Port de Metro Vancouver, qui aurait le mandat clair de négocier les questions relatives à l'aménagement du territoire et aux mesures d'accommodement des collectivités dans le cas de grands projets de développement, d'après moi, cela aiderait grandement.
J'ai eu le privilège, grâce à la Région économique du Nord-Ouest du Pacifique — une organisation publique-privée réunissant trois provinces canadiennes, deux territoires et cinq États américains —, de visiter le Port de Metro Vancouver il y a quelques années. Je voulais savoir comment on s'y prenait pour interagir avec les collectivités de 18 municipalités et de 3 Premières Nations dans le district régional du Grand Vancouver. Je ne pense pas avoir rencontré des employés du secteur public qui avaient autant de compétences et de connaissances en matière de mobilisation communautaire. Je crois que cela en dit long sur leurs talents de réussir à composer avec les intérêts commerciaux, les intérêts fédéraux et les intérêts provinciaux, tout en assurant la gestion du port.
Ce sont là certains modèles qui pourraient être envisagés. Je ne crois pas qu'il serait approprié pour le gouvernement fédéral d'instaurer une relation directe avec les municipalités sans aussi engager la province. Il y a des compétences constitutionnelles à respecter, et nous avons tous vu ce qui se passe lorsque les gouvernements provinciaux mettent l'épaule à la roue dans des secteurs qui leur appartiennent. Cela peut être aussi bénéfique d'obtenir le concours des Premières Nations lorsqu'il s'agit de traverser leur territoire.
Le président : Monsieur Belanger, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Belanger : Non.
Le sénateur Mercer : Merci pour votre réponse très détaillée. Je pourrais débattre avec vous de la gestion des terres par le Port de Montréal, entre autres choses. Je serais bien plus à l'aise avec cela qu'avec la gestion des terres par le Port de Vancouver; l'administration n'arrive pas à gérer adéquatement la circulation dans le port à Vancouver. Bref, c'est une discussion qu'on pourrait avoir une autre fois.
Monsieur Belanger, j'ai bien aimé vos commentaires sur le rôle des peuples autochtones et la façon de le respecter dans ce processus. Si ces projets de pipeline voient le jour, les infrastructures vont traverser leurs terres. Pendant trop longtemps, on a ignoré le fait qu'on se trouve sur le territoire algonquin, ce que M. Hale a souligné avec raison, et nous ne devons jamais oublier que ces terres n'ont jamais été cédées.
La participation des peuples autochtones... on ne parle pas que d'un seul groupe, mais de plusieurs. Cela va faire grimper les coûts. Y a-t-il un chiffre recommandé ou une estimation du pourcentage suffisant pour que les groupes autochtones acceptent de prendre part au processus?
M. Belanger : Non, je ne crois pas. Dans les dernières années, nous avons constaté que certaines collectivités vont, par principe, refuser de négocier. La collectivité de Kanesatake est probablement la figure de proue de la résistance autochtone en ce moment, invoquant l'indifférence, les confrontations passées et différents enjeux pour justifier leur position. Le chef Simon a très clairement fait savoir que peu importe le montant qu'on pourrait leur offrir, rien ne les ferait accepter une incursion dans leur territoire ou les terres avoisinantes.
D'autres collectivités ont eu des demandes intéressantes, comme d'investir dans la collectivité de façon à ce qu'elles ne soient pas considérées comme des parties prenantes en tant que telles, et à ce que les entreprises de l'extérieur ne soient pas traitées en intruses. On invite les entreprises à faire une offre et à investir dans la collectivité, et à partir de là, on peut entreprendre un dialogue. Dans cette optique, des entreprises ont bâti des écoles et réaménagé les réseaux d'aqueduc.
Je suppose que l'essence de la question est que chaque communauté se considère comme autonome, en dépit du fait que l'Assemblée des Premières Nations joue un rôle de premier plan en essayant de coordonner un dialogue et d'améliorer les relations. Chaque communauté doit être abordée individuellement.
En soi, l'intérêt économique d'une communauté du nord de la Colombie-Britannique qui est légèrement touchée n'est peut-être pas aussi marqué que celui d'une communauté du sud de la province qui pourrait demander une somme considérable devant faire l'objet de négociations.
À ce stade-ci, je propose que nous fassions abstraction des Autochtones en tant que groupe homogène et que nous les considérions plutôt comme un ensemble hétérogène de nations individuelles, comme ils le souhaitent.
Le sénateur Black : Merci beaucoup, monsieur le président. Merci à vous deux, messieurs les professeurs, d'être ici et de nous avoir présenté une analyse intelligente, utile et honnête de la question. Vous êtes tous les deux de dignes représentants de vos excellentes universités, et je vous en remercie.
Monsieur Hale, j'ai une question pour vous. Notre défi consiste à élaborer — ou aider à élaborer — une stratégie pour atteindre les objectifs présentés ici. Vous avez indiqué — ce que je trouve très intéressant — que vous aimez le processus en cours pour l'oléoduc Northern Gateway, mais aucun oléoduc n'a été construit et rien ne permet de croire qu'il s'en construira un à court terme.
Pouvez-vous nous aider, s'il vous plaît, à comprendre quels autres éléments les gouvernements — les promoteurs — devraient prendre en considération pour trouver une solution?
M. Hale : Je ne pense pas qu'il y ait d'approche universelle possible compte tenu de certaines des raisons données par M. Belanger. Sauf erreur, le Bureau de gestion des grands projets, qui a été mis sur pied par le gouvernement précédent pour tenter de coordonner les approbations réglementaires et les enjeux relatifs aux processus internes au sein du gouvernement fédéral, avait adopté une approche individuelle des projets étant donné que les considérations juridiques, environnementales et, à vrai dire, politiques sont susceptibles de varier d'un projet à l'autre. En toute honnêteté, j'ai été un peu consterné par la décision du tribunal inférieur en Colombie-Britannique qui a affirmé que l'oléoduc Trans Mountain n'est pas un projet national aux fins de la délégation de responsabilités entre le gouvernement de la Colombie-Britannique et l'Agence canadienne d'évaluation environnementale.
Je pense que le gouvernement devrait envisager l'élaboration d'un critère relatif aux projets nationaux, plutôt que d'exclure les provinces, comme certaines personnes ont laissé entendre que ce serait le cas.
[Français]
Les sénateurs du Québec connaissent bien ce problème. Ce n'est pas la question spécifique, mais c'est le potentiel de l'abus de pouvoir.
[Traduction]
Je pense qu'un critère relatif aux projets nationaux pourrait être élaboré en tenant compte du fait que, sur le plan réglementaire, « national » désigne de plus en plus souvent une coopération fédérale-provinciale. Je crois que ce serait une étape utile. En ce qui a trait à une approche universelle globale, je pense qu'il faut examiner les obstacles — réels ou potentiels — et songer à d'éventuels mécanismes pour éliminer chacun d'eux, en reconnaissant que dans notre grand pays diversifié, il n'y a peut-être pas de solution universelle.
Le sénateur Black : D'après ce que je comprends de ces explications, nous n'oublions rien; nous devons seulement poursuivre nos démarches.
M. Hale : Il s'agit de franchir les différentes étapes. J'ignore si quelqu'un ici a déjà fait de la gestion de projets, mais l'idée est de continuellement réaliser des gains d'efficience en améliorant sans cesse les processus. C'est la même chose pour ce qui est des relations communautaires. Tous les promoteurs vous diront que la réalisation d'un projet, que ce soit dans une ville de taille moyenne ou une grande ville, a beaucoup changé au cours des 20 dernières années.
Le sénateur Black : Monsieur Belanger, je dirais que j'abonde dans le même sens que votre analyse. Je pense que nous devons comprendre — comme c'est de plus en plus le cas à mon avis — que les Premières Nations se considèrent comme des fiduciaires générationnels des terres et des eaux. D'ici à ce que nous comprenions parfaitement et reconnaissions cette réalité, aucun projet ne sera réalisé. C'est mon point de vue, et je vois également ce que vous voulez dire. Je pense que nous sommes d'accord.
Ma question pour vous est donc la même que j'ai posée à M. Hale : omettons-nous quoi que ce soit dans nos délibérations, nos discussions et nos échanges avec les Premières Nations?
M. Belanger : Je ne sais pas comment répondre. Quand on examine la coalition du corridor négociée en Colombie- Britannique, qui regroupe 28 collectivités et Enbridge...
Le sénateur Black : Parlez-vous de l'oléoduc Gateway?
M. Belanger : Oui, je parle de l'oléoduc Gateway. Ces communautés ont accepté le projet. Il a fallu beaucoup de temps — environ de 18 à 24 mois —, et cela a été couronné de succès. Il y a 45 communautés dans ce corridor. De toute évidence, ce n'est pas tout le monde qui est d'accord à ce stade-ci, mais je pense que l'idée était de lancer le projet en voulant expressément considérer les Premières Nations comme des partenaires plutôt que comme des intervenants.
À première vue, la nuance entre « intervenant » et « partenaire » peut sembler difficile à saisir — elle ne semble peut- être pas très claire —, mais du point de vue des Premières Nations, d'après ce que j'ai compris à ce stade-ci, et selon les chefs à qui j'ai parlé et moi, il est vraiment très insultant de se rendre dans une communauté à la troisième ou à la quatrième étape d'un projet pour demander l'opinion des gens.
J'ai constaté qu'un des concepts omniprésents dans la philosophie autochtone est celui de l'avantage mutuel et du respect mutuel, l'idée étant que, en tant que partenaires de la Confédération — comme le fait valoir John Ralston depuis un certain temps déjà —, les Autochtones s'attendent, comme nous, à contribuer à la société et à la croissance du Canada en tant que pays. Ils veulent participer au processus, mais pas à partir de la quatrième ou de la cinquième étape. Il faut leur dire sans différer qu'un projet est en jeu, que nous envisageons de passer par leurs terres et que nous voulons qu'ils soient nos partenaires, pas des intervenants. C'est essentiel. Je sais que la nuance semble subtile, mais, à ce stade-ci, il est absolument essentiel d'établir une distinction entre « partenaire » et « intervenant ».
Le sénateur Black : C'est très utile. Merci.
La sénatrice Unger : Merci, messieurs, merci beaucoup. Ma première question est pour vous, monsieur Belanger. J'aimerais obtenir une précision sur le commentaire suivant : « [...] les dirigeants autochtones veulent être plus que des cogestionnaires ou des consultants; ils cherchent à obtenir un mandat économique et politique prenant la forme d'une participation qui se traduit par un pouvoir supérieur en matière d'évaluations environnementales. » Pouvez-vous vous me dire ce que vous entendez par « pouvoir supérieur »?
M. Belanger : Dans le contexte des projets existants, il arrive souvent que des gestes symboliques soient posés. Sinon, lorsque la nation a son mot à dire, c'est comme intervenant ou consultant qu'elle présente un aperçu ou un mémoire concernant l'utilisation des terres qu'elle aimerait voir au bout du compte. Dans l'ensemble, parce que les Premières Nations ne sont que des intervenants ou de possibles cogestionnaires, leur point de vue ne compte que pour, disons, un pourcentage de tout ce qui est retenu.
Quand je dis « supérieur », je ne veux pas dire « prépondérant »; je ne parle pas d'un droit de veto. Je pense qu'elles veulent être entendues de manière équitable, de sorte que leur point de vue ne soit pas relégué à l'annexe B du rapport global et du document d'approbation.
M. Hale : Puis-je répondre à la question, madame la sénatrice Unger?
Le sénatrice Unger : Je vous en prie.
M. Hale : Dans le cadre des discussions portant sur le projet de Pacific NorthWest près de Prince Rupert, une des propositions de la communauté pour s'attaquer au problème était d'organiser une table ronde avec des représentants de la communauté et Environnement Canada pour assurer une surveillance et une application adéquates de la réglementation fédérale en matière environnementale. Cela se rapporte au volet opérationnel du cycle de vie, mais c'est un modèle qui pourrait être repris en créant un comité fédéral-provincial chargé des projets qui transcendent les champs de compétence.
Le grand défi à relever dans ce dossier — comme, je soupçonne, le chef Helin l'a constaté avec frustration —, c'est qu'il pourrait y avoir dans la communauté des points de vue divergents formulés par des personnes qui ne reconnaissent pas le droit du conseil actuel de parler en leur nom. Par conséquent, pour régler le problème, il serait probablement utile que toute entente conjointe de surveillance fasse l'objet d'un vote au sein de la communauté pour que ses dirigeants puissent s'exprimer, dans la mesure où cela relève de leur compétence, et pour éviter de leur couper l'herbe sous le pied.
La sénatrice Unger : Merci. Comme vous le savez, il y a deux oléoducs ou projets d'oléoducs qui continuent d'être prometteurs : les oléoducs Énergie Est et Trans Mountain. Nous avons ces deux projets ainsi que le projet d'oléoduc Northern Gateway, qui s'est heurté à un obstacle majeur compte tenu de l'annonce par le premier ministre d'un moratoire sur la circulation des pétroliers le long de la côte ouest de la Colombie-Britannique.
Mis à part le moratoire, je me demande si vous pourriez nous dire quels sont selon vous les oléoducs que les divers groupes d'intervenants sont les plus susceptibles d'appuyer — je ne laisserai pas entendre qu'il pourrait n'y en avoir aucun — ou auxquels ils sont le plus susceptibles de s'opposer.
M. Hale : J'aimerais avoir une boule de cristal pour vous répondre, madame la sénatrice. Tant pour Énergie Est que Trans Mountain, je crois qu'il s'agit de l'un de ces processus qui traînent en longueur et qui nécessitent la consultation des intervenants et des détenteurs de droits. La question des retombées pour les régions et les Autochtones fera certainement l'objet de discussions.
J'ai demandé à un étudiant de rédiger une dissertation sur la question. C'était un peu impudent, mais j'avais remarqué qu'il en avait suffisamment appris sur le fédéralisme pendant le cours pour savoir qu'une province ne pouvait pas en imposer une autre; je crois que c'est un principe que la plupart des gouvernements provinciaux accepteraient. Il faut donc poser la question suivante : s'il y a des incitatifs financiers, comment seront-ils financés? Je soupçonne qu'ils seraient financés par les utilisateurs des oléoducs, pour répondre à une question posée plus tôt.
Ai-je la moindre raison de croire que le projet d'oléoduc Énergie Est ou Trans Mountain atteindra la dernière étape? J'espère que le gouvernement déploie des efforts dans les deux cas, car pouvoir choisir entre différents ports de mer serait extrêmement important pour l'industrie.
Pour ce qui est du projet d'oléoduc Northern Gateway, mes lectures et les déclarations publiques qui ont été faites me laissent croire que la situation contre laquelle M. Belanger nous avait prévenus s'est réalisée. Les gens d'Enbridge se sont rendus dans les communautés et se sont effectivement fait des ennemis tenaces, et il faudra beaucoup de temps pour faire avancer les choses. Il est fort pertinent de se demander si nous serons là pour assister à la réalisation du projet.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Professeur Belanger, professeur Hale, j'apprécie beaucoup votre...
[Traduction]
La sénatrice Unger : Je me demandais si M. Belanger allait intervenir.
M. Belanger : Excusez-moi; j'ai attendu un peu avant de répondre.
À mon avis, deux points importants ont été soulevés ici. Je crois que le projet d'oléoduc Énergie Est causera des ennuis, ne serait-ce qu'à cause de la résistance actuelle des Premières Nations au Nouveau-Brunswick et autour de Montréal. J'ignore s'il y a un modèle que nous pourrions suivre afin d'obtenir des résultats concrets à court terme. Nous en obtiendrons peut-être à long terme, mais nous voulons évidemment accélérer le processus.
Dans le nord de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, un projet appelé Eagle Spirit a été mis sur pied par les frères Helin. Il vise essentiellement la construction d'un oléoduc entre Fort McMurray et Kitimat. À ce stade-ci, ils ont obtenu le consentement de l'ensemble des 22 nations se trouvant le long du corridor de transport concerné. Je crois que c'est un projet de 14 millions de dollars. Il s'agit pour l'instant d'une initiative autochtone, mais c'est à mon avis ce qu'il y a actuellement de plus prometteur en raison du consentement obtenu. L'élaboration du projet a commencé il y a 36 mois. À l'heure actuelle, ses promoteurs cherchent tout simplement des investisseurs, de même qu'à obtenir l'autorisation du gouvernement — bien entendu. À mon avis, c'est un des projets les plus prometteurs.
Des négociations entre l'Assemblée des Premières Nations et les Autochtones de l'Alaska ont donné lieu à un deuxième projet. Il est question de transporter du pétrole par rail entre Fort McMurray et Valdez, en Alaska. Les parties concernées se sont entendues, et, une fois de plus, un consentement unanime a été obtenu.
Ce que nous voyons, ce sont les capitalistes et les propriétaires autochtones qui commencent à jouer un rôle. Étant donné qu'ils sont sur le terrain et qu'ils comprennent les protocoles et les traditions des communautés de même que l'intendance des terres autochtones, nous sommes prêts, de bien des façons, à donner suite à ces projets.
À propos des projets dont vous venez de parler, j'aimerais seulement ajouter que je pense qu'ils présentent une valeur ajoutée et qu'ils mériteraient au moins d'être étudiés à ce stade-ci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je reprends. Merci beaucoup de votre présentation. Je pense que vous abordez un sujet ce soir qui m'apparaît comme l'un des plus grands défis qui attendent le Canada, lorsque nous suivons dans les médias ce que vivent actuellement les communautés autochtones partout au Canada. Il est assez dramatique de voir des communautés laissées à elles-mêmes, alors que le Canada contient des richesses incommensurables, et lorsqu'on dit que le Canada est le deuxième ou troisième pays le plus riche en termes de pétrole. La participation des communautés autochtones à cette richesse aurait dû être résolue il y a 40 ou 50 ans. Je pense que nous traînons un passé assez douloureux à ce chapitre.
Ma question est à savoir si vous pouvez observer une différence dans la qualité de vie des communautés qui se sont engagées à une participation plus active dans l'exploitation des ressources sur leur territoire par rapport aux autres communautés qui ont peut-être moins de ressources ou qui participent moins au développement économique de leur territoire. Est-ce que vous constatez un déséquilibre entre celles qui ont pris l'avenue de participer activement à l'exploitation, au transport des richesses, et celles qui sont en opposition ou en marge du développement économique? Dans vos études, est-ce que vous pouvez faire cette distinction?
[Traduction]
M. Belanger : À l'heure actuelle, non, il n'y a pas une grande différence. Une partie du problème, c'est que même si beaucoup d'argent est remis aux communautés en raison de leurs intérêts dans un projet, il arrive souvent que l'infrastructure et le développement au sein de ces communautés accusent un tel retard et soient si insalubres par rapport à ce qu'on voit ailleurs que le projet ne présente aucune valeur ajoutée. Il faut investir dans de nouvelles infrastructures d'approvisionnement en eau et dans de nouveaux logements. Quand on commence à évaluer le montant d'argent que le projet pourrait donner et qu'on le compare à la somme qui doit être dépensée au sein de la collectivité, il arrive souvent que la réponse à la question de s'abstenir ou non soit simple. Ce n'est tout simplement pas assez d'argent pour gérer adéquatement les problèmes auxquels on fait face.
Or, le cas d'Attawapiskat, qui retient actuellement l'attention des médias, est un exemple évident, mais, à ce stade-ci, malgré des investissements de 8 ou 9 millions de dollars dans le logement au cours des 5 ou 6 dernières années, on est bien loin d'avoir une qualité de vie qui correspondrait à environ 60 ou 70 à l'index universel des droits de l'homme des Nations Unies, ce qui signifie que les habitants vivent carrément dans des conditions rappelant le tiers monde.
De nombreux dirigeants des Premières Nations à qui j'ai parlé ont été très clairs : une obligation fiduciaire est ignorée. Elle est négligée et carrément niée à ce stade-ci. Pour entrer dans leurs communautés, nous devrions peut-être veiller à ce que leurs conditions de vie correspondent à celles de la majorité des collectivités canadiennes. Améliorons les réseaux d'aqueduc et les logements. Assurons-nous que les égouts fonctionnent et que les écoles autochtones bénéficient du même financement que celles des autres collectivités. Une fois que nous aurons commencé à régler certaines de ces choses et à améliorer la qualité de vie, nous pourrons peut-être ensuite nous asseoir à la table de négociation. Nous pourrions alors négocier sur un pied d'égalité, du moins plus que maintenant.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Nous sommes devant des centaines de communautés et, sur le plan géographique — je dirais même sur le plan culturel —, nous négocions à la pièce.
Comment le Canada pourrait-il se doter d'une stratégie pancanadienne pour négocier avec ces communautés? J'essaie de voir comment on pourrait se sortir de ce labyrinthe « politique » pour en arriver à un modèle de participation et de négociation qui ferait l'affaire de tous dans ce domaine. Je dois dire que c'est très complexe, et j'essaie de voir comment on pourrait s'en sortir.
M. Hale : Sénateur, je crois qu'il y a un problème de différences entre les cultures politiques avec la création d'un grand système de consultations, d'abord en raison des différences actuelles entre les états économiques et culturels et le développement politique des communautés autochtones individuelles.
Il faut développer une confiance qui soit davantage personnelle qu'institutionnalisée. Puisque nous parlons ici du droit, dans notre culture majoritaire, c'est quelque chose de totalement différent, étant donné qu'il y a un manque de confiance envers les communautés majoritaires et envers les autres chefs. Souvenez-vous de ce qui s'est passé avec le chef Atleo, de la Colombie-Britannique, lorsqu'il était chef de l'Assemblée des Premières Nations. Il y avait des chefs qui avaient un autre programme et qui l'ont répudié auprès de l'assemblée. Donc, lorsqu'il y a un projet au niveau provincial et qu'il existe une culture de bonne foi entre le conseil des chefs et le gouvernement provincial, lorsqu'il y a de la collaboration autant interne qu'externe, on peut régler ces problèmes plus facilement.
Les relations entre le gouvernement de la Saskatchewan et le conseil des chefs provinciaux en sont un bon exemple. Je pense que le Québec aussi a fait du bon travail avec les Cris à la Baie-James. Cependant, sur le plan national, parce que chaque fédération provinciale, chaque communauté et chaque chef sont autonomes au sein de l'Assemblée des Premières Nations, il est très difficile d'en arriver à une stratégie hiérarchique dans un tel contexte. À mon avis, la collaboration entre les sociétés qui veulent promouvoir ces projets et les communautés serait probablement la meilleure stratégie à adopter actuellement.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Au-delà des Premières Nations et des difficultés qui y sont associées pour ce qui est de conclure des ententes et d'obtenir l'acceptation sociale, j'aimerais discuter de votre rapport. Vous avez parlé de deux types d'adversaires : « [...] ceux dont l'acceptation ou l'appui peut être obtenu dans le cadre de consultations efficaces, et ceux qui ne changeront pas leur fusil d'épaule, quoi qu'il arrive. »
Je pense que nous avons tous vu beaucoup de ces adversaires, et pas seulement des Premières Nations; je parle de toutes sortes de groupes et de particuliers, dont certains disposent d'un excellent financement. Vous avez parlé du besoin de mener des consultations, mais que devons-nous faire lorsqu'il s'agit de tactiques dilatoires, lorsque tous les moyens sont utilisés, qu'ils soient juridiques ou autre? Certaines de ces personnes ne seront jamais d'accord. Ils ont rédigé le manifeste Un bond vers l'avant, ou ils l'appuient. Je me demande de quelle façon vous nous proposeriez de composer avec ce genre de situation.
M. Hale : En anglais, la blague bien connue, monsieur le sénateur — vous l'avez probablement déjà entendue —, est que nous sommes passés de NIMBY, ou not in my backyard, c'est-à-dire « pas dans ma cour », à BANANA, ou build absolutely nothing anywhere near anything, à savoir « ne construisez absolument rien où que ce soit », pour arriver à NOPE, ou not on planet Earth, c'est-à-dire « pas sur Terre ». Aucune négociation n'est possible avec des gens qui pensent ainsi.
Nous devons d'abord mettre l'accent sur la primauté du droit. L'approbation sociale ne remplace pas la primauté du droit. Ensuite, nous devons avoir un processus de bonne foi dans le cadre duquel les collectivités et les gouvernements provinciaux — lorsque cela relève de leur compétence — participent de manière officielle aux discussions pour qu'ils puissent gérer leurs propres processus de consultations, comme l'a fait l'Ontario pour ce qui est de certains aspects du projet d'oléoduc Énergie Est. Il faut s'assurer que les collectivités qui pourraient être oubliées en tant qu'intervenants indirects dans un projet aient l'occasion de se faire entendre. Il est d'autant plus possible de soupeser et de pondérer ces choses lorsque le gouvernement est compatissant sur le plan politique. Cela dit, les gouvernements sont élus pour gouverner. Je pense que les maires doivent être consultés, et je sais que le sénateur Eggleton aurait aimé l'être lorsqu'il était maire de Toronto. Cependant, être maire de Toronto ne signifie pas que l'on est premier ministre de l'Ontario. À l'époque, vous avez toujours été conscient de cette distinction.
Il faut atteindre cet équilibre pour que tout le monde ait sa place à la table de négociation. Selon le cadre actuel de la Constitution, personne n'a le droit de sauter cette étape. Je pense que c'est l'équilibre à atteindre.
Le sénateur Runciman : J'ignore si vous vous êtes penchés sur la question dans le cadre de votre étude, mais j'ai pris connaissance d'allégations au sujet de fonds étrangers qui entreraient au Canada.
M. Hale : Lauren Krugel a créé une industrie en en parlant publiquement.
Le sénateur Runciman : Si vous avez eu l'occasion d'analyser la question, j'aimerais savoir à quel point les sommes sont importantes et dans quelle mesure cela a des conséquences.
M. Hale : Les sommes sont importantes. Je ne pense pas que les communautés du Lower Mainland de la Colombie- Britannique avaient besoin d'une motivation externe pour faire ce qu'elles font, mais cet argent a sans aucun doute élargi et renforcé leurs ressources.
Le sénateur Runciman : Je n'approfondirai pas davantage la question, mais des fonds auraient servi à élire des représentants municipaux, du moins à appuyer leur campagne électorale.
Le président : À propos de permis municipaux, vous avez la parole, monsieur Eggleton.
Le sénateur Eggleton : Merci à vous deux de vos exposés. Ils étaient excellents. Je vous en suis reconnaissant.
Monsieur Hale, vous avez parlé des consultations menées en Ontario par la Commission de l'énergie de l'Ontario au sujet de l'oléoduc Énergie Est. Elles ont permis de conclure qu'il y a un déséquilibre entre les risques environnementaux économiques du projet et les avantages prévus pour les Ontariens. Selon les médias, des peuples autochtones se sont également dits préoccupés par le projet.
De quelle façon le gouvernement fédéral peut-il s'assurer que les risques et les avantages des projets de transport de pétrole brut sont répartis autant que possible d'un bout à l'autre du pays? Je pense que l'on tient seulement compte du point de vue de l'Ontario; l'oléoduc ne fait que passer par la province. Il y a des risques liés à la sécurité et à l'environnement, mais vraiment pas beaucoup d'avantages directs. Comment établiriez-vous un équilibre entre les risques et les avantages?
M. Hale : Si je me souviens bien du rapport de la Commission de l'énergie de l'Ontario, monsieur le sénateur — et vous pouvez me corriger si je me trompe —, l'une des grandes difficultés économiques était d'alimenter en gaz naturel les entreprises d'utilité publique en Ontario et, je crois, dans la région métropolitaine de Montréal. Ces entreprises sont actuellement approvisionnées grâce à la principale canalisation de Trans-Canada. J'ai remarqué que Trans-Canada vient tout juste de dépenser 13 milliards de dollars pour acheter son principal concurrent dans le domaine de la production de pétrole de schiste, à Marcellus, en Pennsylvanie, afin d'être certain de pouvoir poursuivre l'approvisionnement de ces collectivités. Ce genre d'esprit d'entreprise revient à, disons, joindre l'acte à la parole.
Pour ce qui de partager et de distribuer les avantages, nous devons éviter de retarder l'exploitation des ressources d'une province le temps que d'autres provinces mettent en place un système de ristournes. Je vois que le sénateur Doyle est ici. Je n'aurais pas besoin de lui expliquer quoi que ce soit au sujet du projet de Churchill Falls. C'est une des raisons pour lesquelles Terre-Neuve-et-Labrador tente de financer une ligne de transport qui traverserait le golfe du Saint- Laurent. En même temps, il est parfaitement raisonnable que l'ONE examine tous les risques environnementaux pour voir ce qui peut être fait pour les atténuer de manière satisfaisante.
Lorsque nous nous sommes penchés sur le projet de la ligne 9, qui était considéré comme étant relativement simple, nous avons entre autres constaté que les robinets d'arrêt se trouvaient, dans bien des cas, à une certaine distance des nombreux plans d'eau, y compris certains plans d'eau dans l'ancienne circonscription du sénateur Runciman, Leeds—Grenville, par laquelle l'oléoduc aurait passé. Il faut un robinet d'arrêt à chaque extrémité des plans d'eau traversés. C'est peut-être un peu cher, mais c'est ce à quoi on s'attend de nos jours pour éviter d'avoir de 50 à 60 kilomètres de canalisation sans interruption possible de l'écoulement.
Les normes s'améliorent, et nous pouvons continuer de les améliorer. En ce qui a trait aux avantages économiques, les collectivités d'une région ayant besoin d'emplois doivent faire preuve d'une plus grande volonté et proposer des idées qui pourraient créer des situations où tout le monde est gagnant. J'ai parlé du chemin de fer BNSF aux États- Unis, de la coalition du corridor du Grand Nord qui a été formée pour réaliser la ligne principale. L'envergure de ce projet est semblable à celle du projet d'oléoduc Énergie Est, sauf que c'est une infrastructure existante. On a recruté les gouvernements de tous les États qui devaient accorder un droit de passage afin de déterminer ce qui pourrait accroître le développement économique dans les collectivités et améliorer les liens entre Burlington Northern et les différentes collectivités et différents États concernés, ainsi que pour cerner les problèmes qui devaient être réglés pour avoir des relations plus efficaces avec eux.
Il y a eu une situation semblable en Alberta en 2005. La ligne principale du CN traversait une communauté du nom de Wabamun. Pour une raison quelconque, une dizaine de wagons-citernes se sont déversés dans le lac Wabamun à proximité duquel se trouvaient un village de vacances et une Première Nation. Je me rappelle M. Boutilier, le ministre provincial de l'Environnement à l'époque, bouillir de rage parce que personne ne répondait à ses appels. Ce qui est arrivé par la suite a été très instructif en tant qu'exercice de fédéralisme. La responsabilité d'exécution de l'ancienne réglementation en matière de camionnage a été transférée du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux pour le passage interprovincial des camions réglementés par le gouvernement fédéral, et on l'a appliquée aux chemins de fer. Il existe maintenant une équipe d'intervention environnementale spéciale en Alberta qui interviendra en cas de déraillement de train. Les ingénieurs savent que si une personne qui possède la carte de membre de cette équipe se présente sur place et qu'elle dit, « Saute », la réponse responsable à lui donner est, « À quelle hauteur? ».
Nous pourrions adopter des approches semblables dans le cas des examens de sécurité des pipelines pour que les provinces puissent être propriétaires. Et s'il y a un partage des bénéfices pour couvrir les frais supplémentaires associés au prélèvement des impôts par l'Agence du revenu du Canada, alors tant pis. Si les provinces font le travail, elles devraient être payées en conséquence.
Le sénateur Eggleton : C'est de bonne guerre. Le gouvernement fédéral a annoncé en janvier cinq nouveaux principes liés à l'évaluation environnementale, qui ont attiré beaucoup d'attention. D'après vous, dans quelle mesure ces principes contribueront-ils à améliorer la confiance du public?
M. Hale : La réponse à cette question est la suivante : cela dépend des résultats du premier essai. Les énoncés de principe, comme vous le savez, en tant que dirigeants politiques à l'esprit pratique, ne sont efficaces que si leur mise en œuvre est efficace. Nous avons confiance que le gouvernement fera son travail et joindra le geste à la parole.
Le sénateur Eggleton : C'est juste.
Le sénateur MacDonald : Je vais aborder le sujet du point de vue des autorités fédérales. J'ai entendu des discussions autour de la table au sujet d'analyses effectuées par la province de l'Ontario, de la façon dont elles seront bénéfiques pour nous ou la province et des avantages par rapport aux risques. Je me rappelle toujours et je rappelle aux gens que plus d'un demi-milliard de barils de pétrole traversent les eaux de la Nouvelle-Écosse pour être acheminés aux raffineries dans la baie de Fundy ou la Voie maritime du Saint-Laurent, et personne ne remet en question ce risque. Le pétrole lourd transporté par voie maritime est beaucoup plus risqué que le pétrole lourd dans un pipeline.
À un moment donné, le gouvernement fédéral a exercé son pouvoir constitutionnel. Vous avez mentionné plus tôt comment les gouvernements provinciaux peuvent faire reculer le gouvernement fédéral lorsqu'il est question d'ingérences dans les affaires qui relèvent des provinces. Mais le gouvernement fédéral a compétence dans ce domaine, cela ne fait aucun doute. La Constitution l'énonce très clairement. À quel moment le gouvernement fédéral se dit et dit aux citoyens ceci : « Nous avons la responsabilité d'agir dans l'intérêt du pays et d'augmenter les recettes pour le pays. »
Au cours des deux dernières années en Alberta, on a déterminé que la baisse des investissements dans le secteur pétrolier se chiffre à plus de 50 milliards de dollars, et ce ne sont là que des investissements. C'est sans compter la perte de redevances au profit de la Saskatchewan et de l'Alberta ou la perte de recettes fiscales au profit du gouvernement fédéral. Nous vivons dans un État-providence comparativement au pays dans lequel vivait la génération de mes parents ou de mes grands-parents il y a de cela 50 ou 60 ans. Les fonds nous échappent. À quel moment le gouvernement fédéral exerce-t-il son pouvoir s'il se retrouve dans une impasse à cet égard?
M. Hale : C'est un jugement politique, sénateur. Dans la mesure où il y a des consultations — et cela revient au même point que le sénateur Runciman a fait valoir il y a quelques minutes —, au bout du compte, une fois que le processus a été mis en œuvre, le gouvernement doit prendre des décisions et rendre des comptes à la population canadienne pour avoir observé la loi dans son champ de compétence.
Le sénateur Pratte : Ce qui me préoccupe, surtout compte tenu de ce qui arrive en ce moment au Québec entourant l'oléoduc Énergie Est, que j'appuie, c'est qu'en raison de certaines erreurs que le promoteur a commises tôt dans le processus, de la tragédie de Lac-Mégantic, des préoccupations concernant les changements climatiques et de quelques observations inutiles, entre autres, bon nombre des citoyens de la province sont devenus des réfractaires qui s'opposent à tous les projets par principe et qui ne sont pas ouverts à entendre des arguments rationnels; ils sont tout simplement contre tous les types de pipelines. Ce n'est pas l'infrastructure. C'est simplement parce qu'il est question de pipelines et de pétrole et qu'ils craignent pour les conséquences possibles. Ils ne voient aucun avantage économique.
Je ne sais pas trop à quel point ils sont nombreux. Si vous avez interrogé les gens il y a cinq ans sur l'idée d'acheminer le pétrole de l'Alberta au Québec, les réponses auraient été très favorables. On regarde maintenant les sondages et les résultats sont très différents.
Croyez-vous que si un promoteur change ses tactiques, les gens peuvent changer d'avis? Pourraient-ils être plus ouverts à entendre les arguments? Si les gens sont campés sur leurs positions, y a-t-il quoi que ce soit que nous puissions faire? Dans ces cas-là, je ferais valoir qu'en principe, il y a une règle de droit. Le gouvernement fédéral a certainement le pouvoir constitutionnel de dire : « Oui, allez-y. » Toutefois, si 50 ou 60 p. 100 de la population d'une province est contre, il est très difficile d'un point de vue politique pour un gouvernement de le faire, même s'il a le pouvoir constitutionnel de donner le feu vert à un projet. Je vous dis cela, car suis très en faveur du projet.
[Français]
M. Hale : C'est une réalité politique; je crois qu'il existe un parallèle entre les nations autochtones et le Québec dans ce domaine. Les gens seraient plus conciliants s'il y avait des porte-parole québécois qui faisaient la promotion du projet et si les élus du Québec en faisaient la promotion en tenant compte des problèmes et des préoccupations des Québécois.
[Traduction]
Il est regrettable que notre pays soit devenu aussi balkanisé. Il est très difficile pour les gens d'une partie du pays de discuter efficacement avec leurs voisins dans d'autres régions du pays.
[Français]
Le Québec n'est pas unique en ce sens; le même défi se pose en Colombie-Britannique et peut-être même ailleurs. C'est une question politique.
[Traduction]
Le sénateur Pratte : Monsieur Belanger, quelle attitude le gouvernement fédéral et les promoteurs de projets d'infrastructure pétrolière devraient adopter avec les nations autochtones qui résistent au projet? Si le projet est réputé être un projet d'intérêt national et que cinq nations disent : « Nous ne voulons pas négocier et nous ne voulons rien savoir du projet », que faites-vous?
M. Belanger : Ce que je pense de l'environnement politique à l'heure actuelle, c'est que les gens de Kanesatake s'entêtent. Ils se sont alliés à Greenpeace pour renflouer leurs comptes bancaires et connaître les mouvements sociaux. Ils ont clairement fait savoir que, par principe, ils vont s'opposer au projet. Nous savons d'emblée qu'une communauté située le long de ce corridor fera tout en son pouvoir pour perturber le projet.
Un deuxième champ d'étude, à mon avis, porte sur les mouvements sociaux, la résistance, les barrages, les occupations, et cetera. Dans ce cas-ci, le chef de la communauté motive les gens, comme ce qui s'est passé à Caledonia ou à Oka, au point où ils décident de résister physiquement. Nous avons vu cette résistance physique à une foule d'occasions différentes partout au Canada. Quand un projet est mis en place aux frontières de votre territoire et que vous essayez d'empêcher les intervenants d'entrer sur votre territoire, peu importe si le gouvernement canadien revendique la souveraineté sur ces terres, des protocoles de gestion des terres sont mis en œuvre à ce moment-là. Les gens n'ont pas peur, lorsqu'ils ont l'impression d'avoir été acculés au pied du mur, de manifester et de résister activement, arme à la main.
Il y a eu 260 barrages, occupations et résistances différents de 1981 à 2000. C'est la seule donnée dont je dispose pour le moment. Cela n'inclut pas les 15 dernières années. La question consiste essentiellement à jauger la communauté et à essayer d'établir combien d'argent elle investira pour résister à un projet, puis à prendre la décision politique d'aller de l'avant ou non. C'est un cauchemar sur le plan des relations publiques.
La crise d'Oka en 1990 portait simplement sur l'agrandissement d'un terrain de golf d'une municipalité sur ce qu'on pourrait qualifier de terres municipales. Les gens d'Oka, ou les Mohawks de Kanesatake, ont décidé qu'ils voulaient revendiquer les terres. L'impasse a donné lieu à des confrontations pendant 79 jours qui ont coûté 550 millions de dollars aux contribuables. En bout de ligne, les Forces armées canadiennes ont dû être mobilisées pour une centaine de personnes qui revendiquaient ces terres à ce moment-là. Il faut vraiment prendre au sérieux les points de vue et les relations publiques.
Nous savons qu'à l'heure actuelle en Colombie-Britannique, des rassemblements sont organisés pour bloquer des projets de construction et d'agrandissement éventuels. Nous savons que c'est aussi le cas en Ontario. Des barrages ont été érigés au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse il y a de cela quelques années pour manifester contre divers projets de gaz naturel. Des voitures de police ont été incendiées. Ces protestations ne sont pas chose du passé; elles ont lieu de nos jours et nous devons vraiment en tenir compte.
Le président : Je tiens à remercier MM. Hale et Belanger de leur participation. Les membres du comité leur sont reconnaissants du temps qu'ils leur ont accordé pour leur faire part de leurs conclusions.
Honorables sénateurs, la semaine prochaine, nous nous réunirons mardi et mercredi. Nous poursuivrons cette étude et nous entendrons les témoignages de Benjamin Dachis, de l'Institut C.D. Howe, de Ken Green, de l'Institut Fraser, et d'Alan Ross, du cabinet d'avocats Borden, Ladner et Gervais. Merci. La séance est levée.
(La séance est levée.)