Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 2 - Témoignages du 20 avril 2016
OTTAWA, le mercredi 20 avril 2016
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour poursuivre son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte.
[Traduction]
Le comité se réunit aujourd'hui pour poursuivre son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.
[Français]
L'un des objectifs de nos réunions publiques est d'étudier comment répartir de manière optimale les risques et les bénéfices dans l'ensemble du Canada.
[Traduction]
Je souhaite la bienvenue à Alan Ross, associé du cabinet Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. M. Ross est associé du bureau de Calgary et auteur conjoint d'articles sur la question qui nous intéresse ainsi que sur d'autres liés aux pipelines.
Monsieur Ross, à vous la parole. Après votre exposé, les sénateurs auront des questions pour vous.
Alan Ross, associé, Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. : Bonjour. Je m'appelle Alan Ross et je suis associé du cabinet juridique canadien Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L., maintenant nouvel associé gestionnaire du bureau de Calgary. Appelé au Barreau il y a plus de 20 ans, je me suis spécialisé, pendant le plus clair de ce temps, dans le droit administratif et réglementaire axé plus particulièrement sur le secteur de l'énergie.
Histoire de mettre les choses en contexte, j'ai notamment travaillé pour des sociétés de pipelines ou sociétés intermédiaires, y compris à l'approbation d'infrastructures énergétiques et à la réglementation des taux. J'ai comparu à de multiples reprises devant l'Office national de l'énergie, ainsi que devant des organismes de réglementation provinciaux partout au pays.
[Français]
En 2013 et 2014, j'ai été détaché auprès du gouvernement de l'Alberta où j'ai occupé un poste de sous-ministre. Dans le contexte des relations fédérales-provinciales, j'étais chargé de l'élaboration des politiques sur l'accès aux marchés de l'énergie et de la mise en place d'une stratégie canadienne en matière d'énergie, ce qui comprenait notamment les questions de changement climatique, l'évaluation environnementale des projets et les relations avec les peuples autochtones.
[Traduction]
C'est un honneur que d'être présent aujourd'hui. C'est en réponse à l'invitation du Sénat que je comparais, à titre individuel, sans que mon exposé soit fait au nom d'un client ou d'une autre organisation.
Mes remarques liminaires s'attachent à la notion d'acceptabilité sociale pour les grands projets de développement généralement parlant et, plus particulièrement, les nouveaux pipelines énergétiques au Canada, notamment les stratégies pour faciliter le transport du pétrole brut à un port de mer.
[Français]
Les trois principaux éléments qui se rapportent directement aux questions d'infrastructure, aux ressources naturelles et au transport de l'énergie sont les suivants. Tout d'abord, que signifie l'expression « acceptabilité sociale »? Ensuite, pourquoi la question d'acceptabilité sociale est-elle pertinente lorsqu'il s'agit de faciliter l'expansion des infrastructures énergétiques au Canada? Enfin, quel est le rôle du gouvernement fédéral dans la concrétisation de l'accréditation sociale dans le cas des nouveaux projets de pipeline et du transport du pétrole?
[Traduction]
En ce qui a trait à la première question, soit de savoir ce que signifie l'expression « acceptabilité sociale », je dirais que l'acceptabilité sociale est essentiellement la nécessité pour le secteur des affaires de respecter les exigences et les attentes issues des voisinages, des groupes environnementaux, des Premières Nations, des collectivités et d'autres membres de la société civile environnante. On parle parfois de permis social, mais il ne s'agit pas de permis proprement dit. C'est plutôt une métaphore pour la somme des valeurs, des activités et des idéaux que doivent embrasser les sociétés, ainsi d'ailleurs que les gouvernements, au sein de la société afin de fonctionner avec succès.
Les questions d'acceptabilité sociale font désormais partie de la stratégie de gestion de risque de toute société un peu sophistiquée. Ce besoin d'acceptabilité sociale est encore plus important pour l'exploitation dans des secteurs où les activités sont hautement visibles, où on a des horizons à long terme, où on est fortement exposé à la mondialisation, ainsi que ceux où existe une large gamme d'intéressés souhaitant influer sur les affaires. Le secteur des pipelines satisfait chacun de ces critères.
[Français]
Bien entendu, d'importantes critiques sont formulées à l'égard de la notion d'accréditation sociale. Entre autres, on soutient que l'expression est mal définie, qu'elle n'est pas prise en charge par une loi ou un règlement, et qu'il s'agit tout simplement d'une tactique pour gagner du temps. Bien franchement, il n'existe aucun bureau d'acceptabilité sociale.
[Traduction]
Ceci m'amène à ma deuxième question, soit de savoir pourquoi la question d'acceptabilité sociale est pertinente lorsqu'il s'agit de faciliter l'expansion des infrastructures énergétiques au Canada. Traditionnellement, les organismes de réglementation fédéraux ou provinciaux prenaient des décisions en matière de projet de pipeline en utilisant le critère de l'intérêt public spécifié dans les lois habilitantes. Les sociétés voulant développer des pipelines pouvaient compter sur ces décisions réglementaires favorables comme étant toute l'acceptabilité voulue pour aller de l'avant avec leurs projets. Du moins était-ce le cas quand j'ai commencé ma carrière, il y a 20 ans. Je dirais que c'est resté le cas jusqu'à il y a quatre ou cinq ans, jusqu'à l'expérience du Northern Gateway et de l'Office national de l'énergie.
Plus cela va, plus se multiplient les groupes d'intervenants dressés contre les projets de développement de pipelines, y compris les groupes d'intérêts spéciaux ou des entités non directement touchés. Parmi ces intervenants, nombreux sont ceux qui suggèrent qu'un permis réglementaire traditionnel ne suffit plus; qu'il faut aussi obtenir une acceptabilité sociale octroyée par un groupe d'intéressés plus large, avant de pouvoir construire un pipeline au Canada.
Le résultat? Certains projets de pipelines ayant obtenu un permis juridique ne se concrétisent pas du fait de l'absence d'une acceptabilité sociale. À quoi tient le phénomène de l'acceptabilité sociale pour les pipelines? Essentiellement, au manque de confiance grandissant de la population envers la capacité des autorités gouvernementales à réglementer le secteur privé. Et c'est là qu'il y a interaction entre la quête d'une acceptabilité sociale par les entités souhaitant développer des pipelines et la politique gouvernementale, là qu'est mis en valeur le rôle du gouvernement dans le débat sur l'acceptabilité sociale.
[Français]
Je vais maintenant aborder le troisième volet de cette présentation, soit le rôle du gouvernement fédéral dans la concrétisation de l'acceptabilité sociale dans le cas des nouveaux projets de pipeline et du transport du pétrole.
[Traduction]
Dans la conjoncture actuelle, ce sont les sociétés qui sont généralement jugées responsables d'obtenir l'acceptation sociale permettant de concrétiser les projets de pipelines. On perd parfois de vue le rôle du gouvernement dans ce débat. Toutefois, les gouvernements, aussi bien en tant qu'entité de réglementation qu'en tant que bénéficiaires d'une partie des redevances de ressources, ont un rôle important à jouer.
D'où vient le rôle du gouvernement fédéral et celui des gouvernements provinciaux dans la question de l'acceptation sociale? De leur capacité à exercer un contrôle raisonnable sur les personnes et les biens relevant de leur compétence, en matière de sûreté, d'environnement, de santé, de sécurité et de bien-être, entre autres.
Le gouvernement fédéral peut influer sur l'acceptabilité sociale en améliorant les processus de réglementation existants, afin d'assurer la confiance de la population. D'autre part, les lois, les politiques ou le souci d'assurer la confiance de la population dans les institutions sont des façons pour les gouvernements et les organismes de réglementation de faciliter l'acceptabilité sociale et de permettre l'appui de la population à de nouveaux projets d'infrastructures énergétiques. Citons, parmi les choses que peut faire un gouvernement pour faciliter l'acceptabilité sociale : rendre obligatoire la responsabilité sociale d'entreprise ou renforcer la crédibilité du critère d'intérêt public pour la concrétisation de projets.
En conclusion, l'acceptabilité sociale en tant que concept de réglementation reste encore à mettre à l'épreuve, mais on peut y voir une forme de réglementation inspirée par les forces du marché et les normes qui encouragent certains types de comportements.
[Français]
Il est très intéressant que les tribunaux canadiens et certains organismes de réglementation de l'énergie au Canada fassent rarement référence à la notion de l'acceptabilité sociale. Pas encore.
[Traduction]
Cela n'en reste pas moins une forme de réglementation dans la pratique, vu qu'il y a des conséquences si on n'obtient pas l'acceptabilité sociale, dont l'atteinte à la réputation, les retards, voire la possibilité de concrétiser un projet d'exploitation de ressources naturelles. Sans constituer une nouvelle exigence juridique ou réglementaire, l'acceptabilité sociale peut élargir le champ des exigences existantes, dont le critère d'intérêt public de l'Office national de l'énergie.
Le gouvernement fédéral a donc manifestement un rôle à jouer dans le débat sur l'acceptabilité sociale. Ce qu'il faudra, c'est une interface productive entre la réglementation et l'acceptabilité sociale. Ainsi, on évitera peut-être qu'une société de pipeline obtienne un permis de l'Office national de l'énergie, mais soit incapable de construire et d'exploiter le pipeline ainsi autorisé.
De plus, cela peut éviter que le Canada comme pays reste à jamais une superpuissance énergétique en devenir, où les sociétés voulant développer des pipelines se heurtent à des difficultés tenant à l'incompatibilité des questions sociales et réglementaires.
Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre à vos questions, si vous en avez.
Le président : Merci, monsieur Ross. Avant de laisser la parole au vice-président du comité, je voudrais présenter les autres membres du comité.
Le sénateur Boisvenu, du Québec; le sénateur Runciman, de l'Ontario; le sénateur Eggleton, de Toronto; le sénateur Mercer, de Nouvelle-Écosse; le sénateur MacDonald, également de Nouvelle-Écosse.
[Français]
Monsieur Pratte, qui est le nouveau sénateur du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Unger, de l'Alberta; le sénateur Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador; et le sénateur Tannas, de l'Alberta.
Le sénateur MacDonald : Merci de votre exposé, monsieur Ross.
Vous dites que le gouvernement fédéral peut promouvoir l'acceptabilité sociale en améliorant les processus réglementaires existants, afin de regagner la confiance de la population. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Auriez-vous des recommandations ou des suggestions pour le gouvernement fédéral? Y a-t-il une chose qui devrait être faite et qui ne se fait pas actuellement, pour remédier au problème?
M. Ross : Il me semble qu'il faudrait notamment se pencher sur quatre domaines de base. Tout d'abord, j'envisagerais un élargissement de la notion de responsabilité sociale de l'entreprise et une possibilité de la faire respecter dans le cadre d'un système de réglementation. Ainsi, l'Office national de l'énergie a récemment pris une décision rendant obligatoire le dépôt des portefeuilles d'intervention en cas d'urgence d'une société. Selon moi, cette augmentation des exigences en matière de responsabilité sociale des entreprises, au niveau réglementaire, cadrerait bien avec l'évolution que l'on constate dans les conseils de direction de sociétés.
En effet, plus cela va, plus on constate l'existence de plus hauts niveaux de responsabilité sociale de l'entreprise dans les conseils de direction, où siègent désormais des personnes ayant ce type de bagage. Je pense donc qu'il pourrait y avoir une convergence des exigences réglementaires avec l'évolution de la gouvernance des sociétés. C'était un premier domaine d'action.
Deuxièmement, redéterminer ou réviser le critère d'intérêt public utilisé par l'Office national de l'énergie serait sans doute utile. Ce critère est stipulé par l'article 58 notamment et, plus généralement, par la partie 3 de la Loi sur l'Office national de l'énergie.
Il y a beaucoup de confusion quant à la notion d'intérêt public et ce qu'elle recouvre. La clarifier serait selon moi utile pour déterminer l'acceptabilité sociale.
Troisièmement, si on se penche sur certains des changements apportés au cadre réglementaire entre 2012 et 2015, on constate qu'il y a eu, sans doute dans l'intention louable d'essayer de faciliter le développement de pipelines et la concrétisation de grands projets, une réduction de la capacité des parties à être entendues — le principe bien juridique de audi alteram partem — on constate notamment une rationalisation du processus d'approbation de l'Office national de l'énergie, avec une réduction du nombre de parties susceptibles d'être entendues, seules celles directement affectées pouvant témoigner. C'est pourquoi j'estime qu'un élargissement de la gamme des parties pouvant au moins être entendues dans le cadre du processus serait utile.
En quatrième et dernier point, je suggérerais l'examen d'un élément du cadre législatif actuel, mis en place là aussi entre 2012 et 2015, soit la mise en place d'un processus d'approbation par le conseil des ministres de bien des projets de pipelines, notamment les plus importants. Sauf erreur de ma part, c'est une politique qu'a maintenue le nouveau gouvernement libéral.
Or, selon moi, cela entraîne un risque de politiser le processus de l'Office national de l'énergie. Revoir cette approche pourrait bien faciliter l'acceptation sociale. On peut débattre de ce que recouvre ou pas la notion d'acceptabilité sociale, mais éviter que les parties témoignant devant l'Office national de l'énergie aient le sentiment de participer à un processus politisé promouvrait sans doute l'acceptabilité sociale.
Le sénateur MacDonald : Au vu des arguments avancés, je dirais que la plupart des gens qui dressent la question de l'acceptabilité sociale comme obstacle à la construction de pipelines le font pour empêcher le bitume d'être acheminé. Or, le bitume n'en est pas moins acheminé; il est acheminé par train ou par camion et parvient tout de même au marché.
Vous dites que vous avez besoin d'une véritable interface entre la réglementation et l'acceptabilité sociale. Cela pourrait aider à garantir qu'une compagnie de pipeline ne se retrouve pas avec l'approbation de l'ONE pour construire un pipeline tout en étant dans l'impossibilité de le construire et de l'exploiter.
Il y a des pipelines au Canada depuis 75 ans. Si on dispose d'une approbation de l'ONE, pourquoi ne serions-nous pas en mesure d'exploiter et de construire ce pipeline?
M. Ross : D'un point de vue purement juridique, je pense que vous avez absolument raison. Une fois que l'on obtient l'approbation de l'Office national de l'énergie ainsi que toutes les autres approbations nécessaires, soit du fédéral, soit liée à l'environnement, par exemple, ou bien à l'échelle provinciale, c'est-à-dire les approbations environnementales, provinciales ou municipales, vous avez donc l'autorisation légale de construire votre pipeline, de le construire et de l'exploiter, cela ne fait aucun doute.
Toutefois, il y a de plus en plus un effet de ressac de ce que j'appellerais des forces extra-administratives ou extrajudiciaire, qui font partie de la notion d'acceptabilité sociale et qui regroupent toute une série de pressions. Cela peut aller de groupes environnementaux jusqu'aux gouvernements provinciaux, comme a fait le gouvernement de la Colombie-Britannique avec ses cinq exigences concernant Northern Gateway et comme l'ont fait les gouvernements de l'Ontario et du Québec dans une certaine mesure. Ainsi, si diverses parties se mêlent au processus, qu'il s'agisse de manifestants ou de gouvernementaux provinciaux, ils font tous partie de l'opposition, si l'on peut dire, qui essaie de retarder la construction de grands projets.
Je pense que vous avez tout à fait raison du point de vue juridique; on est en mesure de construire et d'aller de l'avant, mais du point de vue opérationnel, en tant que constructeur de pipeline, nous pouvons être bloqués et c'est ce que nous avons vu dans le cadre de divers processus d'approbation de pipeline. Northern Gateway en est un bon exemple. Je pourrais aussi citer Énergie Est. Le projet de canalisation 9 est également touché à certains égards. Il s'agit du projet d'Enbridge en Ontario.
Le sénateur MacDonald : J'ai une observation à ce sujet : le réseau ferroviaire, le canal Rideau et la Voie maritime du Saint-Laurent, pensez-vous que nous pourrions les construire aujourd'hui s'il fallait attendre l'acceptabilité sociale?
M. Ross : Je pense que ce serait très difficile de les construire aujourd'hui. Si on laisse de côté le fait qu'ils ont été construits à une époque différente, je pense qu'on a pu les construire parce qu'ils ont été présentés et qu'on en a fait la promotion comme étant des enjeux d'intérêt national. Je pense qu'aujourd'hui il y a énormément d'intérêts provinciaux, d'intérêts locaux et de groupes d'intérêts spéciaux, mais de moins en moins de personnes qui défendent les intérêts nationaux en matière d'infrastructures de sorte qu'il serait beaucoup plus difficile, voire impossible, de construire ces grands projets d'infrastructures.
Le sénateur MacDonald : J'aimerais soulever un dernier point : vous avez en ma personne un défenseur des intérêts nationaux. Je vous remercie.
Le président : C'est officiel.
Le sénateur Mercer : Merci d'être présent, monsieur Ross. Pour ce qui est des intérêts nationaux, je dirais que l'acheminement d'un produit de l'Alberta et de la Saskatchewan vers un port de mer est dans l'intérêt national. Il importe pour nous que tout le monde puisse être en mesure d'acheminer des produits vers les marchés, sinon c'est comme si nous disions demain que toutes les lentilles resteraient en Saskatchewan parce que nous ne voulons pas qu'elles soient expédiées par train à Vancouver pour être envoyées à l'étranger.
Je n'ai qu'une question, mais au fur et à mesure que vous parliez, j'ai pris des notes. Ma question portait sur l'acceptabilité sociale : pourrait-on réduire les exigences en matière d'acceptabilité sociale si le projet était présenté de façon convenable? Je dirais qu'il est mal présenté. À la suite de la tragédie à Lac-Mégantic, n'avons-nous pas éliminé une certaine partie de l'acceptabilité sociale puisqu'il a été reconnu que les pipelines sont beaucoup plus sécuritaires que les trains, et comme on l'a vu, il ne fallait qu'une tragédie pour le prouver? Malheureusement de nombreuses personnes ont perdu la vie pour cette raison. Estimez-vous que c'est un argument valable?
M. Ross : Je comprends certainement votre argument, mais je pense qu'il y a néanmoins une considérable opposition aux pipelines, en partie pour la raison soulevée par le sénateur MacDonald, à savoir de nombreuses personnes veulent que le pétrole et le bitume demeurent là où il est. Et ils n'en démordront jamais. Je pense que l'opposition aux pipelines demeure très forte et c'est ce que nous avons constaté dans les auditions concernant Énergie Est qui, comme vous le savez, ont débuté; les participants avaient jusqu'à aujourd'hui pour indiquer qu'ils allaient être actifs. Je pense qu'il faut encore beaucoup tenir compte du concept de l'acceptabilité sociale.
Le sénateur Mercer : C'est peut-être la première fois, mais j'ose espérer, non la dernière, que je suis d'accord avec le sénateur MacDonald. Je crois fermement que bon nombre des opposants aux pipelines s'opposent plutôt à l'extraction du pétrole. Il faut apprendre à distinguer les deux éléments.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Ross, je vous remercie de votre présence et je vous félicite pour la qualité de votre français.
Ma première question concerne votre expérience relativement à votre mandat de sous-ministre en 2013-2014. J'ai compris, de votre résumé, que vous avez travaillé dans le dossier des Autochtones. Avez-vous constaté une évolution des mentalités depuis ce temps en ce qui a trait à l'acceptabilité sociale de ces communautés par rapport à l'exploitation ou au transport du pétrole?
M. Ross : C'est une bonne question.
[Traduction]
Je pense qu'il y a eu certains changements relativement à la loi au cours de cette période. Il y a eu notamment, de la part de la Cour suprême, l'arrêt Tsilhqot'in qui renforce la nécessité de consultations. Il faut maintenant tisser davantage de liens avec les collectivités des Premières Nations pour le développement des ressources naturelles au Canada.
Ce qui est nouveau depuis, c'est qu'il y a une nouvelle vision — et j'estime que c'est positif — sur la capacité des Premières Nations à participer au capital et à avoir des liens financiers. Pas nécessairement par le truchement de paiements directs, même si cela en fait partie, ou dans le cadre d'ententes sur les répercussions et les avantages, mais dans le cadre de discussions supplémentaires sur la façon d'associer financièrement les groupes de Premières Nations à la mise en valeur des ressources naturelles.
Dans ce contexte, je dirais que le gouvernement aurait un rôle à jouer pour renforcer la capacité des groupes autochtones de lever non seulement des impôts fonciers, mais également des impôts sur la mise en valeur des ressources naturelles en leur permettant de faire preuve de créativité financière. Par le passé, du moins pour le gouvernement fédéral, on a discuté de façons de rendre le capital accessible aux groupes des Premières Nations et cela remonte à l'expérience de la vallée du Mackenzie et à l'examen du juge Berger dans les années 1970.
Je pense que la capacité d'offrir l'accès ou de faciliter l'accès aux capitaux, possiblement par des ententes de filets de sécurité ou de garanties financières à l'échelle fédérale, a probablement fait l'objet d'un plus grand nombre de discussions au cours des deux dernières années.
En résumé, il y a deux composantes : d'abord, il y a un renforcement, au plan juridique, de la nécessité de consulter et cela découle essentiellement de la décision Tsilhquot'in; ensuite, il y a davantage de discussions sur la façon de créer des possibilités d'investissements en capital, avec ou sans la contribution du gouvernement.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Les relations avec les peuples autochtones sont-elles plus difficiles pour les exploitants ou pour les gouvernements régionaux ou provinciaux? Y a-t-il une distinction à faire entre les relations gouvernement- communautés et les relations exploitants-communautés?
[Traduction]
M. Ross : Je pense que c'est le cas. Ce que je trouve très intéressant, c'est la diversité des points de vue des collectivités de Premières Nations d'un bout à l'autre du pays relativement à la mise en valeur des ressources naturelles. Je tire mon expérience de l'Alberta où les relations entre les exploitants des ressources naturelles et les Premières Nations sont relativement bonnes, voire très solides dans bien des cas.
On a vu par exemple de bonnes ententes sur les répercussions et les avantages ainsi que d'excellents exemples de sous-traitance à des entreprises autochtones. Bien sûr, l'Alberta a l'avantage d'être en meilleure position pour ce qui est de ses obligations découlant de traités en ce qui touche le traité no 8, tandis que d'autres parties du pays, dont la Colombie-Britannique, ne sont pas en aussi bonne position, honnêtement, quant à leurs obligations issues de traités.
Pour répondre à votre question sur la dynamique entre les entreprises, les partis politiques et les diverses régions du pays, les facteurs les plus importants sont probablement les régions et la volonté des Premières Nations de participer commercialement au projet ou à s'y opposer, comme c'est plutôt le cas en Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Avez-vous suivi le débat concernant l'oléoduc Énergie Est au Québec?
[Traduction]
M. Ross : Oui. Non pas d'un point de vue professionnel, mais médiatique. J'ai suivi par exemple ce qui a été proposé pour régler les litiges sur des questions environnementales qui visaient le gouvernement du Québec. J'ai suivi avec intérêt le rôle potentiel du BAPE sur les questions de compétence concernant ce qu'il pourrait faire au Québec et également certains médias relativement à l'opposition du terminal à Cacouna, lequel a ensuite eu des répercussions sur Saint John.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je constate que vous l'avez bien suivi. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il s'impliquer dans ce dossier, alors que le maire de Montréal s'y oppose?
Certains groupuscules s'opposent au projet, mais ils visent plutôt l'exploitation que le transport du pétrole. Leur objection quant au pipeline est un moyen de démontrer leur opposition à l'exploitation des sables bitumineux. Cependant, lorsqu'un maire aussi puissant que M. Coderre s'oppose à la réalisation de ce projet, comment le gouvernement fédéral peut-il s'impliquer dans ce que j'appellerais une espèce de boîte de Pandore? J'essaie de comprendre comment le gouvernement fédéral pourrait participer à ce dossier afin de faciliter l'acceptabilité sociale du projet.
[Traduction]
M. Ross : Le gouvernement fédéral y est naturellement associé. L'Office national de l'énergie a compétence sur un pipeline interprovincial. Par conséquent, le gouvernement fédéral est présent et il doit l'être.
Mais pour répondre plus précisément, il faut savoir dans quelle mesure le gouvernement fédéral devient un meneur de claque ou appuie un pipeline. Nous avons eu une certaine expérience de cela au Canada. Nous l'avons constaté pour ce qui est de Northern Gateway ainsi que pour Keystone XL, même si le contexte était différent et je dirais qu'il est risqué pour le gouvernement fédéral de défendre un pipeline. Il pourrait en effet aller à l'encontre de ses obligations réglementaires à titre d'arbitre, étant donné que c'est lui qui approuve ou non le projet de pipelines par le truchement de l'Office national de l'énergie.
Cela étant dit, je pense qu'il y a certaines choses que le gouvernement fédéral peut faire dans le contexte général des discussions sur les pipelines et nos ressources énergétiques, par exemple en sensibilisant les gens sur les avantages économiques de l'exploitation des ressources naturelles pour l'ensemble de notre pays.
On pourrait également se pencher, par exemple, sur quelque chose comme le…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Croyez-vous que nous sensibilisons suffisamment le public aux avantages économiques qui sont générés par l'exploitation de cette industrie au Canada? J'ai parfois l'impression que le gouvernement fédéral ne joue pas un rôle très important à ce chapitre. Je ne sais pas si ma perception est bonne.
[Traduction]
M. Ross : Le gouvernement fédéral peut probablement en faire plus du point de vue éducatif, en expliquant ce que représentent nos ressources naturelles pour le pays et pour l'économie. Le gouvernement fédéral pourrait aussi présenter les faits concernant les types de protections environnementales que nous avons tant à l'échelle fédérale que provinciale et expliquer qu'il y a des processus rigoureux ainsi qu'un organisme de réglementation et que le Canada, à titre de principal producteur d'énergie au monde, se situe dans les premiers rangs pour ce qui est de protections environnementales, de sécurité opérationnelle et de processus réglementaires rigoureux. Je pense que les gens ne sont pas au courant.
Le gouvernement pourrait faire deux choses du point de vue éducatif. D'abord, il pourrait parler davantage du rôle que jouent les ressources naturelles au Canada et ce qu'elles signifient pour les Canadiens, mais il pourrait aussi expliquer davantage les processus qui mènent à leur développement et à leur transport. Dans ce contexte je pourrais mentionner le concept d'une stratégie énergétique canadienne. C'est un concept qui a essentiellement été mis de l'avant par les provinces plutôt que par le gouvernement fédéral. Il expliquait le régime énergétique et la production d'énergie au Canada dans un contexte plus vaste, pour dire que l'énergie ne concerne pas uniquement l'Alberta, les sables bitumineux ou le bitume. La question énergétique tient compte des installations au fil de l'eau en Colombie- Britannique et des matières renouvelables au Québec, par exemple, et qui présente notre économie de l'énergie dans son ensemble pour expliquer que son importance est beaucoup plus vaste et qu'elle ne se ramène pas uniquement au bitume et aux sables bitumineux, ni aux autres composantes liées spécifiquement au développement énergétique.
Le sénateur Tannas : Monsieur Ross, je sais que vous avez passé beaucoup de temps à étudier le concept d'acceptation sociale. Vous vous êtes heurté à cela dès le début et vous avez vu cette idée évoluer. Pensez-vous à ce qui pourrait se produire sans l'acceptation sociale et est-ce que ce serait la fin de tous les pipelines? Pensez-vous que ce soit cela qui fasse dire à ces gens-là que l'acceptation sociale n'existe plus pour transporter le pétrole brut par chemin de fer? Est-ce là un scénario qui vous préoccupe?
À propos de ce concept et de ces questions dans d'autres pays, avez-vous repéré des exemples récents de bonnes ou de mauvaises choses dont vous pourriez nous parler?
M. Ross : Pour répondre à votre première question, ce qui m'inquiète notamment, c'est un peu ce que nous avons remarqué dans les projets existants — et le pipeline Northern Gateway en est un bon exemple — parmi d'autres projets au Canada.
Pour que ce soit clair, le concept d'acceptation sociale ne concerne pas uniquement les pipelines ou le secteur des hydrocarbures. Il s'applique également à l'industrie minière, aux travaux routiers et à toutes sortes de gros projets d'infrastructures et de mise en valeur des ressources.
Par rapport à ce que vous avez dit, ce qui m'inquiète notamment, c'est que la notion d'acceptation sociale a triomphé, car il n'a pas été accepté ni approuvé, et on se demande alors si nos processus fonctionnent ou s'ils vont s'enliser dans les retards. Allons-nous sombrer dans un processus réglementaire dysfonctionnel? Sommes-nous incapables de tirer parti des ressources économiques de notre pays, car nous sommes incapables de construire quoi que ce soit? Pour moi, c'est là que le bât blesse quant à la question d'acceptation sociale.
Maintenant, pour répondre à votre question sur ce que nous remarquons d'intéressant dans d'autres pays, le Canada est un pays unique en son genre, car nous avons tout un éventail d'intérêts différents en jeu. Le Canada est plutôt régional, de par sa nature. Notre système provincial et fédéral repose sur des règles bien précises et nous disposons d'une quantité assez importante de ressources énergétiques et naturelles que nous devons transporter jusqu'à la côte en parcourant d'assez longues distances, ce qui fait en sorte que certains risques et certains avantages sont disproportionnés ou perçus comme tels, à travers le pays; ce qui ne nous facilite pas la tâche quand il s'agit de susciter un solide intérêt national ou de mettre sur pied une initiative pour commercialiser nos ressources.
Un des pays qui a fait un travail intéressant — et cela recoupe ce qu'a dit le sénateur Boisvenu — c'est l'Australie. On y a lancé un certain nombre d'initiatives dans le secteur de l'éducation pour essayer de renforcer ce que signifiaient les ressources naturelles pour le pays. Le gouvernement fédéral australien — et je ne suis vraiment pas un expert en la matière — a fait la promotion d'un grand nombre d'ouvrages et d'études sur la question d'acceptation sociale et a beaucoup travaillé pour faire passer son message.
Si je devais vous donner un exemple d'un pays dont la situation est légèrement semblable à la nôtre et qui a fait du travail intéressant du côté de la sensibilisation et de l'éducation, je donnerais celui de l'Australie et du gouvernement fédéral australien.
Le sénateur Runciman : Le sénateur MacDonald a fait allusion à la Voie maritime du Saint-Laurent. Si le projet était proposé aujourd'hui, je m'y opposerais bec et ongles. Il a causé d'énormes dommages à l'environnement et n'a jamais permis d'atteindre ses objectifs économiques.
Et j'ai plusieurs questions là-dessus. Si je mentionne la Voie maritime du Saint-Laurent, c'est parce que personne, ici, ne souhaite promouvoir des efforts ou des projets qui, d'une certaine façon, nuisent à l'environnement ou à autre chose. Vous avez parlé de la responsabilité sociale des entreprises et des dispositions en matière de mesures d'urgence que l'ONE incorpore désormais, j'imagine, dans son examen de l'intérêt public. J'estime que cela est approprié.
En répondant au sénateur Boisvenu, vous avez parlé du maire de Montréal et d'autres maires de la province, mais le Québec a également dit que le projet n'irait pas de l'avant sans avoir été soumis à une évaluation environnementale provinciale. Cela ferait double emploi. Je ne suis pas certain de ce qui se passe à ce sujet, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'incertitude que cela génère, que vous vous prononciez sur la validité de cette position, en tant qu'avocat.
M. Ross : Il ne fait aucun doute que l'Office national de l'énergie est responsable des pipelines interprovinciaux et, notamment, il est chargé d'accorder ou de refuser l'approbation des pipelines, comme condition préalable.
Dans ce contexte, toutefois, les provinces ont également un certain rôle à jouer — le Québec, ainsi que l'Ontario. L'Office de l'énergie de l'Ontario a d'ailleurs effectué une étude approfondie d'Énergie Est. Il y a certains aspects du dossier qui relèvent des provinces — c'est-à-dire les choses qui se trouveraient en deçà des frontières provinciales — comme la sécurité opérationnelle dans le contexte d'une province précise et des exigences environnementales.
Malgré cette politique de guichet unique qui existe clairement au niveau fédéral, les aspects environnementaux précis qui concernent une province précise seraient assujettis aux règlements provinciaux, mais cela n'empêcherait pas qu'en bout de ligne ce serait le gouvernement fédéral qui donnerait le feu vert final à un pipeline ou à une infrastructure transfrontalière.
Le sénateur Runciman : Au sujet des provinces, je crois que vous avez mentionné la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec. Je me trompe peut-être, mais en ce qui concerne la Colombie-Britannique et Northern Gateway — et je crois que la première ministre Wynne a fait des commentaires à ce sujet — qu'est-ce que cela nous réserve? Que pensez- vous de cette approche et quel effet dissuasif pourrait-elle avoir?
M. Ross : D'un point de vue juridique, certains de ces commentaires sur les avantages qu'on peut en retirer ne sont pas pertinents. Mais ils représentent des pressions politiques bien réelles, surtout si l'approbation fédérale suppose que l'on tienne compte d'un facteur provincial. Les provinces peuvent, d'elles-mêmes, intervenir lors des audiences de l'Office national de l'énergie; elles peuvent certainement intervenir lors des procédures qui feraient suite à un appel. Toutefois, la Loi sur l'Office national de l'énergie ne stipule aucunement que l'ONE doive examiner l'intérêt qu'un facteur pourrait présenter pour la Colombie-Britannique. En fait, d'une certaine façon, ce serait le contraire, à savoir qu'il faudrait examiner la chose sous un angle national plus large, pour voir si un pipeline transfrontalier serait ou non dans l'intérêt du pays.
Le sénateur Runciman : Nous comprenons cela, mais si le gouvernement provincial n'en démord pas, cela pose un problème, j'imagine, et aura une incidence sur la façon de procéder.
M. Ross : Oui, effectivement.
Le sénateur Runciman : Permettez-moi de citer l'extrait suivant de votre blogue qui se rapporte à la situation au niveau fédéral :
Le gouvernement estime que ce n'est qu'en regagnant la confiance des Canadiens envers le processus réglementaire que les projets de mise en valeur des ressources pourront être approuvés.
J'ai dit que vous en étiez l'auteur, mais je me trompe peut-être. Quoi qu'il en soit, cette citation est attribuée à votre cabinet.
M. Ross : Nous avons d'excellents étudiants en stage qui en sont probablement les auteurs.
Le sénateur Runciman : Par rapport à ce qu'envisage le gouvernement pour regagner la confiance des Canadiens envers le processus réglementaire, savez-vous s'il y a eu des études ou des sondages faits sur la question? Savez-vous ce que pense le public canadien au sens large? Je parle ici du fait qu'il y a eu beaucoup d'efforts déployés pour persuader le public qu'il devrait s'inquiéter. Je me demande simplement si l'on a cherché à mesurer la gravité de ces inquiétudes.
M. Ross : Il y en a sûrement eu, mais pas à ma connaissance.
À la défense des organismes de réglementation fédéraux et provinciaux du secteur de l'énergie ou autre, y compris le CRTC, je dirai que nous avons, dans notre pays, de bons systèmes de surveillance et organismes de réglementation. À mes yeux, l'Office national de l'énergie fait un excellent travail. Ses employés sont hautement qualifiés et l'office est doté de processus qui garantissent l'excellence. Il ne fait donc aucun doute, malgré ce que les sondages ou les groupes d'intérêts spéciaux peuvent dire, que nous disposons, dans les secteurs énergétiques et autres, d'excellents organismes de réglementation.
Pour revenir sur le concept d'acceptation sociale, je dirai qu'il y a d'autres éléments en ligne de compte — par exemple, l'Internet joue un rôle certain dans la diffusion d'opinions qui sont plus ou moins justes — je crois qu'il y a ici un véritable virage générationnel qui est en train de s'opérer. Si l'on revient au mouvement Occupy Wall Street, on peut voir qu'il y a une méfiance générale envers le 1 p. 100 des plus riches et tout le reste et cela va à l'encontre des projets des grandes entreprises, en règle générale. Je crois qu'il existe un vaste éventail de facteurs qui font en sorte qu'il y a beaucoup de défis à relever ou qu'il y a beaucoup de personnes qui pensent que le système réglementaire ne fonctionne pas nécessairement pour elles.
Le sénateur Runciman : Je suis d'accord avec ce que vous avez répondu au sénateur Boisvenu, à savoir que le gouvernement ne pouvait jouer le rôle de meneur de claque, mais en ce qui concerne la perception du public, je ne pense pas que le gouvernement puisse jouer un rôle prépondérant pour expliquer l'importance des retombées économiques.
Il me semble que les gens qui ont un intérêt en jeu devraient se concerter et transmettre les messages qui ont été communiqués pendant le débat sur le libre-échange. À l'époque, l'industrie avait joué un rôle crucial dans la campagne électorale pour justement prêcher les bienfaits du libre-échange. J'ai déjà parlé de cette question à ce comité, c'est-à-dire la question du financement étranger. Nous savons que de gros capitaux étrangers sont investis au Canada pour veiller à ce que le pétrole ne sorte jamais du sol. Il me semble qu'il incombe à ceux qui se soucient de notre pays et qui veulent que notre économie soit prospère et qu'elle se développe de faire connaître leur point de vue.
M. Ross : Je crois que vous avez raison. L'exemple du libre-échange est fort judicieux. Je crois qu'il existe d'excellentes associations qui œuvrent dans ce domaine. L'Association canadienne des producteurs pétroliers en est un bon exemple, tout comme l'Association pétrolière et gazière du Québec.
Le sénateur Runciman : Toutefois, elles travaillent chacune de leur côté. Avec le libre-échange, les associations s'étaient réunies.
La sénatrice Unger : Cela est très intéressant mais, je dois l'admettre, c'est tout de même fort déprimant.
Le sénateur Runciman a soulevé une question que j'avais l'intention de poser, à savoir si vous pouviez vous prononcer sur le rôle qu'ont joué les fondations américaines dans le financement des militants environnementalistes et sur les effets dévastateurs que leur campagne a eus sur l'industrie et notamment celle des sables bitumineux.
M. Ross : Cela dépasse probablement la portée du document que j'ai corédigé et qui portait surtout sur la dimension juridique.
S'agissant, pour en revenir à votre question, de l'acceptation sociale et de l'opposition aux projets énergétiques, nous fonctionnons dans un contexte de mondialisation croissante, où les internautes représentant des organisations financières ou autres liées au Jour de la Terre, qu'on a justement vues dehors aujourd'hui, se mobilisent dans différentes régions de la planète. Comme pour beaucoup de choses, nous vivons dans un monde très global. En tant que décideurs politiques, responsables de la réglementation et avocats œuvrant dans ce contexte, nous devons nous rendre à l'évidence que nous ne vivons plus dans notre pays uniquement, quand il s'agit de certaines de ces questions épineuses.
La sénatrice Unger : La mondialisation a-t-elle intensifié la résistance face à des projets comme celui-là?
M. Ross : Je dirais que c'est fort probable. Ailleurs, dans le monde, on perçoit les projets énergétiques peut-être différemment. Les gens n'ont peut-être pas les mêmes intérêts que nous, ici. C'est peut-être parce que nous voyons les résultats de l'influence étrangère ou c'est peut-être simplement dû à une ouverture du débat international sur ce qui se passe au Canada. Toutefois, il y a peut-être d'autres pays aussi qui voient d'un bon œil, par exemple, notre nouvel engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre ou ce que nous faisons depuis de nombreuses années dans le domaine de la sécurité de l'environnement. C'est peut-être même vrai dans les deux sens.
La sénatrice Unger : J'ai une dernière question sur l'acceptation sociale, car j'y ai beaucoup pensé, en me posant des questions sur son origine et son point de départ. Qu'en pensez-vous? Un témoin précédent nous a parlé de l'énorme défi à relever quand on traite avec les Premières Nations. Le chef Helin, qui appartient au groupe qui propose le tracé du pipeline vers le nord à partir de Fort McMurray pour ensuite traverser les territoires, je crois, jusqu'à la côte, a découvert, à sa grande frustration, qu'il y avait peut-être des voix dissonantes au sein de sa propre communauté, des voix qui ne lui accordaient pas le droit de parler pour elles, en tant que chef. Selon ce même témoin, il serait utile d'avoir une entente de suivi ou de surveillance conjointe, qui serait soumise à un vote préalable, dans la communauté. De la sorte, les dirigeants pourraient s'exprimer sans se voir couper l'herbe sous les pieds.
Cela amène l'acceptabilité sociale à un niveau tel que si j'étais dans le monde des affaires, je dirais : « J'en ai assez; je n'en peux plus. » C'est malheureusement ce qui semble arriver.
M. Ross : En premier lieu, je ne suis pas spécialiste juridique en ce qui a trait aux Premières Nations. Je vous saurais donc gré d'en tenir compte.
J'aimerais en revanche dire que cela rend encore plus complexe la vision que les collectivités autochtones se font du développement des ressources naturelles et des infrastructures.
L'acceptation sociale n'est pas vue de la même manière lorsqu'il s'agit des collectivités autochtones, qui ont des droits constitutionnels. Elles ont également des droits de consultation qui ont été établis par les tribunaux. Ainsi, ce scénario se distingue de l'acceptabilité sociale, qui relève plutôt du domaine extrajudiciaire ou qui relève tout simplement d'un autre domaine de compétence. Cela ne veut pas dire que les intérêts des collectivités autochtones ne s'apparentent pas à ceux d'autres gens soucieux de transparence ou de sécurité ou d'autres facteurs liés à l'acceptabilité sociale. Il convient également de souligner que, dans le droit canadien, les Autochtones jouissent d'exigences en matière de consultation et d'un cadre constitutionnel distinct.
La sénatrice Unger : Et comment peut-on donc remettre le génie dans la lampe?
M. Ross : Remettre le génie de l'acceptabilité sociale dans la lampe?
La sénatrice Unger : Oui.
M. Ross : Je pense qu'on peut le faire de plusieurs façons. Tout d'abord, il faudrait essayer d'examiner attentivement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans notre cadre réglementaire et voir quels en sont les impacts. J'en reviens à ce que j'ai dit au sénateur MacDonald concernant le renforcement des droits, les principes liés à la responsabilité sociale des entreprises et le réexamen de l'approbation du Conseil des ministres. Tout cela pourrait être utile.
Il s'agit également d'un outil pédagogique. Le sénateur Tannas et moi avons parlé de ce que faisaient les autres pays. L'aspect pédagogique ne porte pas seulement sur le fait d'avoir des systèmes robustes, mais également sur ce que notre industrie énergétique signifie pour le Canada aux quatre coins du pays.
Le sénateur Eggleton : Un témoin précédent a dit au comité que des changements récents qui demandaient à l'Office national de l'énergie de tenir compte des émissions de gaz à effet de serre en amont pourraient relever du domaine de compétence fédérale. En revanche, en 2005, en vertu de son pouvoir de réglementer les substances toxiques dans le cadre du droit criminel, le gouvernement fédéral a rajouté six gaz à effet de serre à la partie 1 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.
Tout d'abord, êtes-vous d'accord avec l'hypothèse que ce serait à la limite des compétences fédérales?
Ensuite, en quoi l'inclusion des gaz à effet de serre dans le mandat de l'ONE influe-t-elle sur la notion d'acceptabilité sociale?
M. Ross : Merci, monsieur le sénateur. Je suis tout à fait d'accord pour dire que cela aura une incidence sur les domaines de compétence. Cela fait référence aux règles intérimaires du gouvernement actuel. Si ma mémoire est bonne, elles ont été énoncées le 27 janvier de cette année. Si j'ai bien compris, on y propose de tenir compte non seulement des gaz à effet de serre directs mais également des incidences en amont d'un projet. Je pense que cela pourrait poser problème en ce qui a trait aux champs de compétence. Les projets en amont sont de compétence provinciale. Prenons l'exemple d'un projet d'une usine de pétrole et de gaz en Alberta. L'examen de ce projet relèverait de l'Agence de réglementation énergétique de l'Alberta. Dans ce cas précis, on empièterait très certainement sur certaines compétences.
Le sénateur Eggleton : Même si l'approche relative aux substances toxiques avait été adoptée par le gouvernement?
M. Ross : Comme cela relève du Code criminel, l'approche serait un peu différente.
Le sénateur Eggleton : Mais cela a mené à une modification de la Loi canadienne de protection de l'environnement. Très bien, je voulais tout simplement m'assurer que...
M. Ross : Je pense que le gouvernement fédéral a pu le faire à l'époque parce que cela relevait de ses compétences. Mais l'Office national de l'énergie outrepasserait à mon avis ses droits s'il commençait à examiner les projets d'émissions de gaz à effet de serre en amont qui avaient déjà été approuvés par une agence de réglementation provinciale.
Le sénateur Eggleton : En quoi l'intégration de cette approche dans le mandat de l'ONE influera-t-elle sur la notion d'acceptabilité sociale?
M. Ross : Avant que l'on se pose cette question, l'office se heurtera à mon avis à bon nombre de contestations judiciaires portant sur les domaines de compétence et passera bien du temps devant les tribunaux.
S'agissant de tenir compte des préoccupations environnementales, il faudrait se demander si les lois visant à protéger l'environnement et à accroître la sûreté — je songe notamment à la Loi sur la sûreté des pipelines adoptée en 2014 et qui mettait l'accent sur un système de pollueur-payeur et des délais de prescription prolongés — ont facilité l'acceptabilité sociale? Je crois que cette question n'a pas encore été tranchée, mais certaines mesures visant à renforcer la protection aux termes de la Loi sur la sûreté des pipelines — loi qui sera maintenue par le gouvernement actuel — devraient faciliter l'acceptabilité sociale.
Le sénateur Eggleton : Je ne me rappelle plus quel gouvernement a mis en vigueur cette loi, je ne sais plus si c'était le gouvernement précédent ou celui d'avant.
Le sénateur MacDonald : Monsieur Ross, j'ai un avis à vous demander. En tant que promoteur d'un pipeline, je sais que le transport du bitume par pipeline fournit des redevances aux gouvernements provinciaux et des recettes fiscales au gouvernement fédéral. Cela génère des emplois et mène à la croissance économique. Je suis certain que vous êtes au courant des discussions qui ont eu lieu dernièrement au sujet des contrats octroyés à l'Arabie saoudite. Cela nous permettrait d'enlever le pétrole saoudien des raffineries canadiennes et de nous rassurer par rapport aux droits de la personne. Ce sont des avantages auxquels je pense en plus de la sécurité qu'offre le transport par pipeline. Avez-vous d'autres facteurs à ajouter? Si vous deviez conseiller le gouvernement fédéral pour que le processus soit accéléré, que leur diriez-vous? Que rajouteriez-vous à cette liste?
M. Ross : Vous venez de souligner des enjeux d'actualité en ce qui a trait aux avantages liés aux pipelines. Comme je l'ai dit, le gouvernement fédéral pourrait mener des campagnes de sensibilisation et de promotion.
À l'échelle fédérale, il faudrait élargir le débat sur l'industrie énergétique, sa réglementation et ses aspects sécuritaires.
Le président : Avant de céder la parole au sénateur Pratte, j'aimerais demander aux membres du comité de rester dans la salle. Nous allons avoir une brève réunion à huis clos afin de parler des travaux futurs et du calendrier des semaines à venir.
[Français]
Le sénateur Pratte : Dans la question de l'acceptabilité sociale, il y a quelque chose que trouve un peu insaisissable, bien que j'en entende parler depuis un certain temps, et c'est la façon de définir exactement la présence ou l'absence d'acceptabilité sociale.
[Traduction]
Il me semble que lorsque l'on conclut rapidement qu'il n'y a pas d'acceptabilité sociale, on pense aux projets qui font beaucoup de bruit et suscitent beaucoup de controverse. Dans le cas des pipelines, il est clair que les groupes écologiques s'y opposent pour des raisons évidentes. C'est leur droit. Nous savons pourquoi ils s'y opposent et ils plaideront leur cause devant l'ONE de façon fort intelligente. Ils convaincront une partie de la population et c'est ce que nous verrons dans les sondages.
Mais est-ce que cela veut pour autant dire qu'il n'y a pas d'acceptabilité sociale? Que signifie la phrase « Il n'y a pas d'acceptabilité sociale? » Est-ce que cela se reflète dans les sondages? Quels résultats dans les sondages nous indiquent qu'il y a ou non une acceptabilité sociale? Est-ce le gouvernement provincial du Québec ou de la Colombie-Britannique qui le définit? S'agit-il de 50 p. 100 plus un, de 30 p. 100 ou encore de 35 p. 100? Ou est-ce le maire d'une grande ville, à Montréal, qui décide qu'il y a ou non acceptabilité sociale? La réponse à cette question est essentielle, car elle modifie le rôle du gouvernement national. En effet, si nous indiquons que seuls les groupes écologiques et le maire d'une ou deux petites villes s'opposent au projet, cela pourrait susciter beaucoup de bruit, mais le gouvernement fédéral pourrait décider que le projet est d'intérêt national et qu'il est en droit de procéder à la construction du pipeline.
Mais si c'est 60 p. 100 de la population d'une province ou de deux provinces, cela change la donne. Donc, quelle est la norme? A-t-on défini une norme qui permette de déterminer s'il y a acceptation sociale ou non?
M. Ross : Sénateur, si c'était aussi simple, alors on pourrait obtenir 50 p. 100 plus 1 ou...
Le sénateur Pratte : Cela pourrait être une norme compliquée, mais existe-t-il une norme quelque part?
M. Ross : Je ne crois pas que les recherches universitaires ou autres aient établi de normes strictes, mais je reviendrai à ce qu'a dit la sénatrice Unger : y a-t-il matière à faire preuve d'optimisme? Je dirais que l'un des éléments révélateurs de l'acceptabilité sociale est lié au fait, que pendant longtemps, au Canada, nous avons eu bon nombre de villes et de collectivités fondées sur les ressources naturelles partout au pays. Au Québec, on compte beaucoup de collectivités minières, en Alberta, malgré la situation économique actuelle, nous avons des collectivités qui entretiennent des relations très positives avec le secteur de la production de ressources naturelles pour ce qui est de leur acceptation globale, dans l'ensemble de la collectivité autour desquelles elles sont bâties. Un aspect de l'acceptabilité sociale consiste à savoir si l'on a des collectivités mobilisées où s'observe une acceptation opérationnelle de ce qui se passe, plutôt qu'une question qui consiste à savoir si l'on a 50 p. 100 plus 1 ou 68,5 p. 100 ou 39,2 p. 100, et cetera. Je pense qu'il se peut bien que ce soit le cas. La situation est plus difficile dans le cas d'un projet linéaire, car on a une ressource à une extrémité et probablement moins de mobilisation ou d'intérêt ailleurs au pays, mais je pense que cette notion plus large d'optimisme quant à la capacité des collectivités d'accepter, tout au moins, des projets, est l'aspect qui selon moi est le plus positif en ce qui a trait à l'acceptabilité sociale, plutôt que de savoir si l'on respecte un certain seuil. Je pense que c'est probablement aussi un élément de l'équation.
Le président : Merci, monsieur Ross. Le comité apprécie que vous lui ayez fait part de vos conclusions. Nous vous remercions de vous être joint à nous.
Sénateurs, j'apprécierais beaucoup de passer à huis clos pour deux minutes. Cela ne prendra que quelques minutes, tout dépendant du temps dont vous aurez besoin pour discuter d'affaires futures.
(La séance se poursuit à huis clos.)