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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 3 - Témoignages du 18 mai 2016


OTTAWA, le mercredi 18 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 19 heures, pour poursuivre son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

[Traduction]

Ce soir, le comité poursuit son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.

Nos témoins de ce soir sont les cofondatrices de Safe Rail Communities, Helen Vassilakos et Patricia Lai. J'invite Mme Vassilakos et Mme Lai à faire leur exposé. Les sénateurs auront, ensuite, des questions à leur poser.

Eleni Helen Vassilakos, cofondatrice, Safe Rail Communities : Bonsoir à tous. Nous voudrions vous remercier de nous avoir invitées à participer à votre discussion importante sur les stratégies d'acheminement du pétrole brut vers les marchés. Nous sommes conscientes du rôle essentiel que le pétrole brut joue dans notre économie nationale. Nous ne sommes pas contre le pétrole, contre les chemins de fer ou contre les pipelines. Nous sommes pour la sécurité du public.

Safe Rail Communities a été fondé en mars 2014, après la tragédie de Lac-Mégantic. Il s'agit d'un mouvement de citoyens ordinaires qui éprouvent de vives inquiétudes à l'égard du transport des marchandises dangereuses, et surtout du pétrole brut volatile, par chemin de fer. Notre exposé d'aujourd'hui sera centré sur le transport du pétrole par voie ferrée.

Je suis Helen Vassilakos, cofondatrice de Safe Rail Communities, une initiative que j'ai lancée avec ma voisine, Patricia Lai. Notre rue est parallèle à la voie principale du CP qui traverse le centre de Toronto. Nos maisons sont situées à quelques mètres de la voie ferrée. La tragédie de Lac-Mégantic a été, pour nous, le signal d'alarme. Jusque-là, nous ne nous étions pas trop souciées de ce qui traversait le voisinage. Nous trouvons étonnant qu'il n'y ait pas encore eu d'enquête judiciaire sur la catastrophe qui est probablement l'une des plus désastreuses de l'histoire du Canada.

J'exploite une garderie à domicile et Patricia a trois jeunes enfants. Nous sommes très inquiètes lorsque nous voyons des longs trains transportant du pétrole brut volatile pendant que nous sommes dans notre mini-parc avec les enfants. Notre quartier n'est pas le seul dans cette situation. Il y en a des milliers d'autres dans l'ensemble du pays. Patricia et moi avons commencé à étudier la sécurité ferroviaire afin d'avoir une bonne compréhension du problème. Nous avons été alarmées par ce que nous avons appris.

Premièrement, le Bureau de la sécurité des transports avait averti, depuis plus de deux décennies, que les wagons- citernes DOT-111 utilisés pour transporter les marchandises dangereuses comme le pétrole brut volatile et l'éthanol étaient défectueux et non sécuritaires.

Deuxièmement, le transport par chemin de fer de pétrole brut volatile a énormément augmenté. En 2009, seulement 500 de ces wagons-citernes sillonnaient le Canada. En 2014, leur nombre avait atteint environ 140 000.

Troisièmement, le public ne reçoit pas les renseignements essentiels concernant le transport de marchandises dangereuses par chemin de fer.

Quatrièmement, l'industrie n'est pas suffisamment assurée pour couvrir le coût réel d'un déraillement catastrophique dans un secteur à forte densité démographique.

Cinquièmement, en présentant, en janvier 2015, au Bureau du vérificateur général, une pétition en matière d'environnement à laquelle nous avons obtenu une réponse en juin 2015, nous avons découvert que le gouvernement du Canada n'avait pas effectué d'étude ou d'examen des risques qu'une augmentation importante des expéditions de pétrole brut pouvait présenter pour la santé publique et l'environnement. Nous estimons que l'industrie poursuit ses activités selon un modèle d'affaires désuet et expose le public à une grande partie du risque. On nous demande d'assumer les risques sur le plan de la sécurité et des finances publiques pendant que l'industrie réalise des profits.

Après deux années de recherches et de consultations intensives avec des experts, nous avons établi une liste de recommandations raisonnables.

Premièrement, établir une norme de sécurité, basée sur la pression de vapeur saturante, pour la volatilité du pétrole brut.

Deuxièmement, veiller à ce que toutes les marchandises dangereuses soient bien classifiées.

Troisièmement, imposer une responsabilité absolue illimitée aux transporteurs et expéditeurs ferroviaires de marchandises dangereuses. Les transporteurs et expéditeurs doivent avoir une assurance suffisante pour couvrir le coût total d'un déraillement dans un secteur à forte densité démographique. Ce coût peut atteindre 6 milliards de dollars américains selon le résumé provisoire de l'étude d'impact de la réglementation de la Pipeline and Hazardous Material Safety Administration.

Quatrièmement, renforcer la supervision gouvernementale du système de gestion de la sécurité et augmenter le nombre d'inspecteurs ferroviaires sur le terrain.

Cinquièmement, renforcer les activités gouvernementales de surveillance et d'application des limites de vitesse des trains.

Sixièmement, accroître la transparence et la reddition de comptes en fournissant, aux premiers intervenants, des données en temps réel sur les expéditions de marchandises dangereuses et en fournissant au public des données historiques ainsi que des analyses des itinéraires ferroviaires et des évaluations des risques relatifs à l'expédition de marchandises dangereuses par chemin de fer.

Septièmement, mettre immédiatement hors service les wagons-citernes non sécuritaires. La norme la plus récente s'appliquant à ces wagons permet aux chemins de fer de continuer à transporter le pétrole brut dans des wagons- citernes DOT-111 et CPC 1232 non sécuritaires pendant encore 10 ans.

Huitièmement, rendre obligatoire la technologie de sécurité ferroviaire incluant notamment le système de commande intégrale des trains, l'inspection automatisée des voies, les détecteurs de pièces traînantes et la surveillance automatisée des wagons.

Neuvièmement, mettre en œuvre une analyse des risques indépendante de tous les facteurs susceptibles de contribuer à un déraillement catastrophique des wagons transportant des marchandises dangereuses.

Nous sommes fermement convaincues que ces mesures contribueront largement à assurer au public que les marchandises dangereuses sont transportées de la façon la plus sûre possible et que les Canadiens n'auront pas à payer le prix de tout déraillement futur. Nous croyons aussi qu'il incombe à notre gouvernement d'établir les normes que l'industrie doit respecter pour assurer la sécurité du public.

Malheureusement, près de trois ans après la tragédie de Lac-Mégantic, il reste encore beaucoup à faire pour permettre aux familles de croire qu'elles peuvent vivre, travailler et jouer en toute sécurité dans leur quartier. Il ne suffira pas de modifier quelques rouages. Nous avons besoin de modifications importantes pour apporter des changements significatifs. Merci.

Le président : Merci beaucoup pour votre exposé.

Le sénateur Doyle : Vous avez mentionné, dans votre déclaration, qu'il n'y a pas eu d'enquête judiciaire sur la catastrophe de Lac-Mégantic. Quelle en est la raison, selon vous? Pourquoi pensez-vous qu'il n'y a pas encore eu d'enquête?

Mme Vassilakos : Nous n'en sommes pas certaines. Comme de nombreuses autres catastrophes ont fait l'objet d'une enquête judiciaire par le passé, on se serait attendu à ce qu'il y en ait une. Il y a tellement de questions auxquelles le public serait en droit d'obtenir des réponses. Je ne pense pas que toute la lumière sera faite sur ce qui s'est passé à moins qu'il n'y ait une enquête judiciaire ou un examen plus approfondi que les rapports du Bureau de la sécurité des transports.

Le sénateur Doyle : Plus concrètement, estimez-vous qu'un trop grand nombre de lignes ferroviaires traversent les collectivités que vous représentez ou passent à proximité? Votre organisme a-t-il une politique précise à suggérer en ce qui concerne la proximité des habitations, dans le contexte du transport ferroviaire du pétrole et des marchandises dangereuses? Avez-vous des politiques à nous recommander?

Mme Vassilakos : Voulez-vous dire à l'égard des nouveaux lotissements?

Le sénateur Doyle : Oui.

Mme Vassilakos : Nous ne sommes pas des planificateurs urbains. À notre connaissance, la norme actuellement en vigueur à Toronto prévoit un retrait de 35 mètres. Telle est la norme avec laquelle les urbanistes de la ville travaillent. Nous sommes de simples citoyens et nous ne travaillons pas au service d'urbanisme. Nos maisons se trouvent à quelques mètres des voies, car un grand nombre de quartiers ont été bâtis autour des voies ferrées, il y a bien des années.

Nous voudrions voir ce qu'il est possible de faire pour rendre le transport des marchandises dangereuses le plus sûr possible pour les personnes qui résident à proximité des voies ferrées. Les municipalités devraient en tenir compte lorsqu'elles font leur planification.

Le sénateur Doyle : À votre avis, le gouvernement du Canada assure-t-il une inspection satisfaisante des installations ferroviaires et des pipelines qui traversent votre communauté ou celles que vous représentez?

Mme Vassilakos : Il ressort du rapport du vérificateur général et de celui du Bureau de la sécurité des transports que ce n'est certainement pas satisfaisant. Des gens nous envoient des documents montrant que des ponts ont besoin d'être examinés. Nous ne pensons pas que l'inspection soit suffisante. Il n'y a pas suffisamment d'inspecteurs sur le terrain, comme le vérificateur général l'a mentionné dans son rapport. Nous voudrions qu'il y ait davantage d'inspecteurs sur le terrain pour voir ce qui se passe vraiment sur place au lieu de vérifier sur dossier les systèmes de gestion de la sécurité.

Le sénateur Doyle : Avez-vous des observations à émettre au sujet du transport du pétrole brut par chemin de fer ou par pipeline? Votre organisme a-t-il une opinion quant à la méthode la plus sûre pour vos communautés? Quel est le meilleur moyen de transporter ce pétrole?

Mme Vassilakos : Nous ne sommes pas les experts en la matière.

Le sénateur Runciman : Merci à vous deux de témoigner devant le comité ce soir. Je l'apprécie vivement.

J'ai vécu à Toronto, à temps partiel, pendant 29 ans et je connais donc bien la ligne du CP qui traverse la ville. Vous avez, bien entendu, les deux principales lignes de chemin de fer à Toronto, le CN au sud et la ligne du CP.

Avez-vous fait des recherches au sujet du nombre de trains de marchandises qui traversent la ville, sur les deux lignes, au cours d'une journée ou d'une semaine?

Patricia Yuen Yee Lai, cofondatrice, Safe Rail Communities : C'est une chose que nous aimerions savoir, mais nous n'avons pas les ressources voulues pour surveiller le trafic ferroviaire toute la journée. Nous avons toutes les deux des emplois à plein temps. Nous ne passons pas beaucoup de temps à regarder passer les trains.

Nos maisons sont si proches de la voie qu'il n'est pas difficile de savoir quand les trains passent, mais nous n'avons pas fait de recherches comme telles quant au nombre de trains qui passent. C'est une chose que nous aimerions savoir. Nous pensons que les collectivités en bordure des lignes ferroviaires devraient savoir combien de trains passent près de leurs maisons.

Le sénateur Runciman : Avez-vous posé la question au CP?

Mme Lai : Oui.

Le sénateur Runciman : Et le CP a refusé de vous dire combien de trains de marchandises passent?

Mme Lai : Oui. Pour une question de sécurité, nous a-t-on dit, en ce qui concerne la nature des marchandises qui passent près de nos maisons, à quelle fréquence et quand.

Le sénateur Runciman : À qui vous êtes-vous adressées pour faire valoir votre cause? Comment menez-vous votre lobbying à l'égard de la sécurité ferroviaire?

Mme Lai : Nous sommes un organisme sans but lucratif. Nous travaillons de façon entièrement bénévole. Comme je l'ai dit, nous avons toutes les deux un emploi à plein temps.

Néanmoins, notre initiative est nationale. Nous savons que les chemins de fer sont du ressort du gouvernement fédéral. Nous avons fait tout en notre pouvoir pour faire connaître nos inquiétudes aux élus, à notre député local et à toutes les collectivités du pays que cette question préoccupe.

Le sénateur Runciman : À part un député local, avez-vous rencontré des représentants du gouvernement fédéral?

Mme Lai : Oui. Nous avons eu la chance de pouvoir entrer en contact avec Transports Canada, avec le ministre en personne. Il était à Toronto au cours de la Semaine de la sécurité ferroviaire. Nous avons pu lui parler à l'occasion d'une table ronde, à Toronto, cette semaine-là.

Le sénateur Runciman : Avez-vous examiné si la longueur des trains, des trains de marchandises, est un facteur important lors des déraillements? Savez-vous de quoi je parle?

Mme Lai : Oui, nous pensons que c'est le cas. Vu l'état de l'infrastructure ferroviaire, le fait que ces trains sont beaucoup plus lourds n'améliore certainement pas les choses. Un grand nombre de collectivités et de citoyens qui vivent le long de la ligne nous envoient des photographies d'un chemin de fer en très mauvais état.

Mme Vassilakos : Le rapport de la Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration, des États-Unis, que j'ai mentionné, parlait de la longueur des trains. Dans ce rapport, la longueur des trains est jugée préoccupante. C'est le seul document d'évaluation des risques que nous ayons pu trouver; aucune évaluation de ce genre de risques ne figure dans un document quelconque, ici, au Canada. Le rapport mentionnait la longueur des trains comme un facteur de risque.

Mme Lai : Pour revenir à votre première question, nous avons déjà comparu devant votre comité ainsi que le comité permanent de la Chambre des communes, mais c'était sous le gouvernement précédent.

Le sénateur Runciman : Juste quelques chiffres. Je ne sais pas s'ils sont vraiment à jour, mais c'est ceux que j'ai trouvés. Jusque dans les années 1990, le train de marchandises moyen mesurait environ 5 000 pieds, soit 1,54 kilomètre et pesait 7 000 livres.

Il mesure maintenant 12 000 pieds en moyenne et est donc nettement plus long. De toute évidence, cela présente de nombreux avantages pour la compagnie ferroviaire. Cela réduit notamment ses frais de main-d'œuvre de 30 p. 100.

C'est certainement une question que nous examinons, mais j'espère que vous pourrez le faire également.

L'augmentation est due en partie au manque de pipelines pour transporter le pétrole. C'est un des problèmes, et même le principal problème que nous examinons.

Je voudrais savoir si vous avez exprimé une opinion à ce sujet aux autorités à qui vous avez parlé et même aux autorités ontariennes, par exemple qui se sont opposées à ce que l'oléoduc Énergie Est traverse la province. Cela réduirait la quantité de pétrole brut transporté par chemin de fer. Si c'est une chose que vous n'avez pas examinée, vous devriez peut-être le faire afin d'exprimer également votre opinion à ce sujet.

Mme Vassilakos : D'après ce que nous avons compris, même si l'on construit rapidement des oléoducs, demain, on aura encore besoin des chemins de fer pour transporter une grande partie de ce type de pétrole brut vers les marchés. Apparemment, les petits marchés ont besoin du chemin de fer pour acheminer le pétrole brut jusqu'au pipeline transcanadien. Je suppose que cela réduirait un peu la pression, mais d'après ce que nous avons compris, même selon les chiffres du secteur pétrolier, le transport du pétrole brut par chemin de fer doit tripler d'ici 2018.

Nous voulons donc vraiment insister pour rendre le transport du pétrole brut le plus sécuritaire possible par chemin de fer. Cela reste notre principal objectif. Nous espérons qu'il sera également expédié de la façon la plus sécuritaire possible par pipeline.

Le sénateur Manning : Je vous remercie des exposés que vous nous avez faits ce soir.

J'aurais d'abord quelques questions exploratoires. Safe Rail Communities a été fondé en mars 2014. Pouvez-vous nous fournir quelques précisions au sujet de votre organisme? Avez-vous des membres? Regroupez-vous des gens des quatre coins du pays? Comment communiquez-vous? Donnez-nous une petite idée de votre organisme.

Mme Lai : Nous formons une communauté très solidaire, dans laquelle nous vivons, et un de nos voisins est tombé sur un article — je pense que c'était en février 2014 — selon lequel le train qui avait déraillé à Lac-Mégantic était passé par Toronto.

Lorsque nous fréquentions le mini-parc à proximité des voies, nous avions commencé à remarquer, depuis un certain temps, une augmentation du nombre de trains noirs DOT-111 qui passaient tout près de nos maisons. Nous trouvions bizarre qu'il y ait autant de wagons-citernes portant des sigles assez peu rassurants.

Nous pensions néanmoins que tout allait bien. Par conséquent, quand nous avons appris que cette ligne était celle que le train de la catastrophe avait suivie, nous nous sommes inquiétés très sérieusement. Nous nous sommes réunis à plusieurs pour réfléchir à ce que cela signifiait. Comme Helen l'a mentionné, nous avons commencé à faire des recherches et nous avons été alarmés par ce que nous avons appris.

Très rapidement, quand nous nous sommes rendu compte que les chemins de fer étaient du ressort du gouvernement fédéral, nous avons contacté notre députée, qui était Peggy Nash, à l'époque. Nous avons demandé des conseils pour créer notre première pétition fédérale et nous avons commencé par sensibiliser le public au sujet de ce que nous avions appris, en demandant plus de garanties et plus de transparence au sujet du transport du pétrole brut par chemin de fer.

Notre initiative a continué à prendre de l'ampleur. Nous n'avons pas de membres. Nous sommes enregistrés comme organisme sans but lucratif. Nous avons un conseil d'administration, mais c'est surtout pour assurer les contacts avec les autres collectivités, les autres organismes communautaires, les autres groupes qui se soucient de cette question et partagent notre objectif qui est d'augmenter la sécurité et la transparence du transport du pétrole brut par chemin de fer.

Le sénateur Manning : Merci beaucoup et félicitations pour vos efforts. Il est toujours intéressant de savoir ce qui vous motive.

J'ai pris quelques notes à propos de votre exposé. D'après ce que vous nous avez dit, en 2009, environ 500 de ces wagons-citernes, les wagons-citernes DOT-111, sillonnaient le Canada. En 2014, leur nombre atteignait environ 140 000, n'est-ce pas?

Mme Vassilakos : Oui.

Le sénateur Manning : Des wagons-citernes DOT-111?

Mme Vassilakos : Oui.

Le sénateur Manning : En l'espace de sept ans.

À propos de ce que vous avez dit, par exemple : « La norme la plus récente s'appliquant à ces wagons permet aux chemins de fer de continuer à transporter du pétrole brut dans des wagons-citernes DOT-111 et CPC1232 non sécuritaires pendant 10 années de plus. » Alors qu'ils ont été jugés non sécuritaires, on autorise leur utilisation pour transporter ce pétrole pendant 10 années de plus, c'est bien ce que vous avez dit ou ai-je mal compris?

Mme Lai : Oui, c'est exact.

Le sénateur Manning : Après que le Bureau de la sécurité des transports les a jugés non sécuritaires?

Mme Vassilakos : Oui, depuis 20 ans. Le Bureau de la sécurité des transports a averti, depuis les années 1990, que ces wagons-citernes sont non sécuritaires et ne conviennent pas au transport des marchandises dangereuses. En fait, ils sont défectueux.

Le sénateur Manning : Au cours de vos recherches, de vos exposés ou de votre lobbying, vous a-t-on dit pourquoi c'était le cas?

Mme Vassilakos : Pourquoi le Bureau de la sécurité des transports les a jugés non sécuritaires?

Le sénateur Manning : Non, pourquoi ils ont été autorisés? J'essaie de comprendre pourquoi. Les personnes à qui vous avez parlé vous ont-elles expliqué pourquoi l'utilisation de wagons jugés non sécuritaires a été autorisée pendant 10 années de plus?

Mme Lai : Non, c'est la question que nous nous posons.

Le sénateur Manning : Je peux vous comprendre.

Je croise beaucoup de camions quand je conduis chez moi, sur les routes de Terre-Neuve-et-Labrador, et un grand nombre de ces camions ont des autocollants ou étiquettes indiquant qu'ils transportent du propane, du pétrole ou autres marchandises. Nous n'avons plus de chemin de fer à Terre-Neuve-et-Labrador, soit dit en passant. Le transport se fait par camion. La plupart de ces camions ont un étiquetage quelconque indiquant les marchandises dangereuses qu'ils transportent.

Dans votre deuxième recommandation, vous dites : « ... veiller à ce que toutes les marchandises dangereuses soient bien classifiées. » Pourriez-vous nous dire ce qui vous préoccupe à cet égard? Vous avez dû trouver quelque chose d'inquiétant à propos de la classification des marchandises. J'aimerais que vous nous expliquiez cela en détail.

Mme Vassilakos : Le Bureau de la sécurité des transports avait effectivement mentionné dans son rapport que ce produit n'était pas bien classifié. Le pétrole brut très volatile ne se comporte pas de la même façon que le pétrole brut ordinaire. Le pétrole brut ordinaire n'explose pas. Le pétrole brut extrêmement volatile n'était pas bien classifié en ce qui concerne son conteneur.

La classification se rapporte au genre de produit dont il s'agit et au conteneur dans lequel il doit être transporté. Cela nous inquiète, parce que le Bureau de la sécurité des transports a également exprimé des inquiétudes à ce sujet.

À notre connaissance, Transports Canada travaille actuellement avec les Américains à la reclassification de ce pétrole brut très volatile.

Le gouvernement n'avait aucune idée de ce qu'il y avait dans ce pétrole brut. Il ne l'avait pas classifié avant d'autoriser qu'il soit expédié dans ces conteneurs et c'est pourquoi il en fait maintenant la classification. Il est en train de le faire.

Le sénateur Manning : Le gouvernement est en train de le classifier?

Mme Vassilakos : Oui.

Le sénateur Manning : Ai-je bien entendu que vous avez eu l'occasion de parler au ministre pendant qu'il était à Toronto à l'occasion de la Semaine de la sécurité ferroviaire? Vous avez bien dit que vous aviez eu l'occasion de participer à une table ronde avec lui?

Mme Vassilakos : Oui.

Mme Lai : C'était une table ronde fermée. Nous avons été invités à y participer.

Le sénateur Manning : A-t-il été question, au cours de la discussion, de la classification des marchandises dangereuses?

Mme Vassilakos : Oui, ainsi que de leur stabilisation. Le ministre nous a également invitées à revenir pour parler au directeur général de la Sécurité ferroviaire et au directeur général du Transport des marchandises dangereuses. Nous avons également eu une rencontre avec eux la semaine dernière.

Le sénateur Manning : Avez-vous le sentiment que nous faisons des progrès sur le plan de la classification du pétrole brut dangereux qui est expédié?

Mme Lai : Nous attendons de voir les résultats, car pour l'instant, ce sont seulement des discussions. Nous n'avons encore rien vu de concret.

Le sénateur Manning : Vous avez donc soulevé la question et vous n'avez pas encore reçu de réponse.

Vous dites notamment ici : « Le public ne reçoit pas les renseignements essentiels concernant le transport de marchandises dangereuses par chemin de fer. » Comme je l'ai dit tout à l'heure, de nombreux citoyens seraient d'accord sur ce point.

Êtes-vous satisfaites des renseignements que vous avez obtenus au sujet du transport des marchandises dangereuses en général? Si vous faites partie de cet organisme, je suis sûr que vous recueillez plus de renseignements que le citoyen ordinaire. Vous y consacrez du temps et des efforts et comme je l'ai dit, vous méritez des félicitations.

Obtenez-vous davantage de précisions au sujet des marchandises dangereuses qui sont transportées?

Mme Lai : Je dirais simplement que non.

Le sénateur Manning : J'allais vous demander comment vous transmettez ces renseignements aux autres personnes intéressées, mais si vous ne les obtenez pas, vous ne pouvez pas vraiment les transmettre, n'est-ce pas?

Mme Lai : Non.

Le sénateur Manning : En ce qui concerne votre collecte de renseignements, vous avez mentionné les gens à qui vous avez parlé au gouvernement. Quand vous vous êtes adressées au CP ou à une autre compagnie ferroviaire pour obtenir des renseignements, comment cela s'est-il passé? Vos demandes ont-elles été fructueuses et, dans l'affirmative, dans quelle mesure? Donnez-nous quelques précisions à ce sujet, s'il vous plaît.

Mme Vassilakos : Nous avons écrit aux deux principales compagnies de chemin de fer, le CN et le CP, en leur posant des questions au sujet des évaluations des risques, de leurs plans d'intervention en cas d'urgence et du montant de leur assurance-responsabilité civile.

Elles nous ont répondu qu'elles ne nous fourniraient pas ce renseignement. Le CN a révélé qu'il avait une assurance-responsabilité civile de 1,24 milliard de dollars. À part cela, les compagnies n'ont divulgué aucun autre renseignement.

Nous avons également adressé cinq demandes d'accès à l'information à Transports Canada et les deux compagnies ont été priées de nous fournir leurs plans d'intervention en cas d'urgence, mais ces renseignements ne nous ont pas été divulgués non plus, pas plus que leurs évaluations des risques.

Le sénateur Manning : Compte tenu des renseignements que vous obtenez, j'ai l'impression que votre quête d'information doit parfois être très décourageante.

Compte tenu des renseignements que vous possédez, que vous les ayez obtenus du gouvernement, des chemins de fer ou par vos propres moyens, quelle serait, selon vous, la mesure que le gouvernement du Canada devrait prendre en priorité pour rendre le transport du pétrole plus sûr et plus écologique?

Mme Vassilakos : Ce serait la stabilisation du pétrole brut sur place, la consolidation du système de gestion de la sécurité et de la réglementation ainsi que la transparence.

À l'heure actuelle, les citoyens n'ont pas suffisamment de renseignements pour prendre des décisions éclairées. Des gens achètent des maisons dans notre rue ou quittent notre rue parce qu'ils ont peur, d'autres rachètent immédiatement leurs maisons ou s'installent dans notre quartier sans avoir les renseignements leur permettant de prendre une décision éclairée.

Le sénateur Manning : Merci beaucoup.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup et félicitations pour vos efforts. J'ai une petite question. Pouvez-vous nous fournir vos sources pour cette phrase : En 2009, il n'y avait que 500 de ces wagons-citernes alors qu'en 2014, leur nombre atteignait environ 140 000?

C'est tellement étonnant que nous pourrions vouloir le mentionner dans notre rapport. Pour ce faire, nous avons besoin de vos sources. Pourriez-vous nous les fournir?

Mme Vassilakos : Nous pouvons certainement vous les fournir. Ce sont les chiffres de l'Association des chemins de fer du Canada. L'Association canadienne des producteurs pétroliers a également des documents à cet effet. Au départ, on prévoyait que le nombre de wagons atteindrait 510 000 avant 2016. En raison du ralentissement de l'économie du pétrole brut, les prévisions sont tombées à environ 182 000 d'ici la fin de 2016. Vous pouvez certainement obtenir ce renseignement de ces deux sources.

Le sénateur Greene : Je suis sûr que nos greffiers vont le faire. Savez-vous si ces chiffres correspondent à l'expérience américaine?

Mme Lai : Non.

Mme Vassilakos : Les Américains ont leurs propres chiffres. Nous pouvons les faire parvenir au greffier et ils peuvent également les partager avec vous. Les chiffres américains sont différents.

Le sénateur Greene : Je suis certain qu'ils sont différents. Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie toutes les deux pour votre bon travail. Vous dites que vous êtes des citoyennes ordinaires. Je dirais que vous êtes des citoyennes extraordinaires pour avoir pris le temps et la peine de faire ces recherches. Je tiens à vous rappeler ainsi, peut-être, qu'à toutes les personnes autour de la table, qu'une poignée de gens de bonne volonté qui poussent dans la même direction peuvent apporter d'importants changements. J'espère que vous allez nous aider à apporter des changements importants. Merci.

Vous avez lancé votre initiative Safe Rail Communities en février 2016. Je serais curieux de savoir combien de gens ont répondu à votre pétition en ligne et l'ont signée?

Mme Vassilakos : Notre première pétition?

Le sénateur MacDonald : Oui. Les gens ont-ils tout de suite répondu?

Mme Vassilakos : Nous avons reçu des milliers de signatures pour toutes les pétitions que nous avons soumises sur papier. C'était la plupart du temps à l'occasion d'événements, en allant frapper aux portes du Grand Toronto. Nous avons également une pétition électronique en ligne.

Le sénateur MacDonald : Vous recevez encore des réponses?

Mme Vassilakos : Oui, absolument.

Le sénateur MacDonald : Pour ce qui est de votre pétition en ligne, dans quelle mesure pensez-vous que la mise en œuvre de vos recommandations améliorerait la confiance du public dans le transport ferroviaire du pétrole brut?

Mme Vassilakos : Si toutes les recommandations formulées dans notre pétition en ligne étaient adoptées?

Le sénateur MacDonald : Oui.

Mme Vassilakos : Nous croyons que cela contribuerait énormément à convaincre le public que toutes les marchandises dangereuses sont transportées de la façon la plus sécuritaire possible. Nous voulons que le maximum soit fait pour que ce produit soit expédié de la façon la plus sûre possible.

Le sénateur MacDonald : Serait-il présomptueux de supposer que vous partagez mon opinion au sujet du transport des produits pétroliers, à savoir que le pipeline est le mode de transport le plus sûr, le plus efficace et le plus économique? Partagez-vous cette opinion?

Mme Vassilakos : Nous ne sommes pas expertes en la matière. À notre connaissance, ces produits seront expédiés par pipeline et par chemin de fer. Le mode de transport, quel qu'il soit, doit être le plus sécuritaire possible. Nous avons centré notre attention sur les chemins de fer, car cela absorbe la totalité de nos ressources. Nous n'avons pas les moyens d'examiner le transport par pipeline. Nous n'avons vraiment pas les ressources voulues.

Le sénateur MacDonald : Comme vous le savez, pour expédier ces produits par pipeline, il y a un processus public à suivre. S'ils sont transportés par chemin de fer ou par camion, absolument aucune restriction n'empêche de leur faire traverser les frontières des provinces. Vous comprenez cela?

Mme Vassilakos : Oui, nous le comprenons et nous en avons parfaitement pris conscience après la tragédie de Lac- Mégantic.

Le sénateur Runciman : Tout à l'heure, vous avez parlé de transparence. Vous avez dit que des voisins vendent leurs maisons et que d'autres personnes achètent dans le quartier sans être conscientes du danger. Je me demande comment vous envisagez la transparence. On peut supposer que les trains de marchandises vont transporter de l'acide nitrique, de l'ammoniaque, du pétrole brut, du kérosène. Comment voyez-vous le CP traverser votre quartier? Qu'envisagez- vous sur le plan de la transparence?

Mme Vassilakos : Nous devons savoir quels sont les risques réels. Une de nos familles a déménagé un an après avoir acheté sa maison. Elle ne pouvait plus supporter d'y vivre après avoir appris que le transport de ce type de pétrole brut volatile avait énormément augmenté.

Il faut que les gens soient mieux informés pour prendre ce genre de décisions. Si nous vendions nos maisons demain, cela ne réglerait en rien le problème. Il serait toujours là. Il se poserait pour le nouvel acheteur.

Nous voulons la preuve que notre gouvernement fait tout en son pouvoir pour que le transport de ces marchandises que nous utilisons soit le plus sécuritaire possible.

Je vis dans le quartier depuis 20 ans. Je sais que des marchandises dangereuses le traversent. Je veux seulement la certitude que le gouvernement fait le maximum pour que ce soit aussi sécuritaire que possible.

Le sénateur Runciman : J'ai vu d'autres statistiques qui devraient vous rassurer un peu. Le CP a eu, au cours des 13 dernières années, la meilleure cote de sécurité de l'industrie nord-américaine pendant 11 ans. C'est une bonne nouvelle pour vous.

Le sénateur Eggleton : J'ai lu votre déclaration et je vous félicite de tout le travail que vous accomplissez. Je vis à environ trois ou quatre coins de rue de la ligne du CP qui traverse le centre-ville. J'ai vécu à proximité pendant une bonne partie de ma vie et je comprends donc vos inquiétudes, que je partage.

Quand j'étais député à la Chambre des communes, je représentais le secteur que la ligne 9B traverse et qui se trouve aux alentours de l'avenue Finch. Elle passe très près de la ligne de métro. C'est le pipeline qui fait partie du sujet dont nous discutons ces jours-ci.

Je voudrais connaître votre avis au sujet de l'Ordre numéro 36 que Transports Canada vient d'émettre le mois dernier, et qui vise à fournir aux municipalités et aux premiers intervenants davantage de données sur les marchandises dangereuses. Il y a toujours eu une controverse au sujet de la publication de ces renseignements, car on craint de divulguer à des gens mal intentionnés quelles marchandises sont expédiées sur quelle ligne.

Quelle est votre opinion générale à ce sujet? À part les premiers intervenants et les autorités municipales, quels renseignements faudrait-il garder confidentiels au lieu de les rendre publics? Qu'en pensez-vous?

Mme Lai : Les renseignements qui seront communiqués aux municipalités et aux premiers intervenants sont des données historiques. Ce ne seront pas des données en temps réel. Ce ne sera donc pas très utile aux gens qui vont nous aider. C'est sur ce plan, je pense, que cet ordre nous déçoit le plus.

Oui, le public devrait être informé, peut-être pas immédiatement, mais le lendemain. Si nous comptons sur les premiers intervenants pour nous aider en cas de désastre comme à Lac-Mégantic et s'ils ne savent pas ce qui se trouve à bord du train, je ne vois pas comment ils nous aideront avec la rapidité voulue. Voilà ce qui nous inquiète surtout à propos de cet ordre.

Pour ce qui est d'informer le public en général, cela nous ramène à ce qu'a dit Eleni à propos de la transparence. Nous ne demandons pas que le public soit informé à l'avance des marchandises qui seront transportées.

Le sénateur Eggleton : Très bien. Vous acceptez donc que les premiers intervenants et les municipalités, qui assument la responsabilité des premiers intervenants, en soient informés immédiatement et vous pensez qu'ensuite le public devrait être mis au courant?

Mme Lai : Le public a le droit de savoir ce qui passe à côté de chez lui. Je ne pense pas qu'Eleni et moi-même ayons précisé quand il devrait être informé, mais nous ne pensons certainement pas que ce doit être à l'avance.

Le sénateur Eggleton : Très bien. Merci beaucoup.

Le président : Un des sujets que le comité examine est l'acceptabilité sociale du transport de pétrole en grande quantité. C'est une question qui se rapporte davantage à la construction des pipelines. Les promoteurs devraient-ils consulter les parties prenantes telles que vous?

Mme Lai : Je pense qu'ils devraient nous consulter.

Le président : Comment?

Mme Vassilakos : En tenant des assemblées publiques et des discussions auxquelles nous pouvons participer.

Le président : Avez-vous eu l'occasion de participer à certains des débats portant sur le choix entre le chemin de fer et le pipeline?

Mme Vassilakos : Non.

Le président : Merci. Voilà qui termine les questions. J'ai vraiment apprécié votre témoignage. Nous sommes heureux d'avoir pu vous entendre en retardant cette audience et nous apprécions que vous y ayez participé. Merci infiniment.

Chers collègues, notre prochaine séance aura lieu le mardi 31 mai, à notre retour, et nous suspendrons temporairement notre étude sur le transport du pétrole. Nous allons entendre l'ancien ministre, David Emerson, qui a présidé le Comité d'examen de la Loi sur les transports au Canada.

(Le comité s'ajourne.)

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