Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 4 - Témoignages du 31 mai 2016
OTTAWA, le mardi 31 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30 pour examiner les nouvelles questions liées à son mandat et aux lettres de mandat des ministres.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : honorables sénateurs, le mandat du comité consiste en partie à examiner les questions émergentes liées aux transports et aux communications. Nous sommes heureux d'accueillir parmi nous deux ex-membres du groupe d'examen de la Loi sur les transports au Canada.
La révision de la loi a commencé en juin 2014 et s'est terminée en décembre 2015. Un rapport a alors été remis au ministre des Transports par l'honorable David Emerson. Ce rapport portait sur le système des transports au Canada et sur le cadre juridique et la réglementation qui le régissent.
Pour nous parler de ce rapport, nous avons ici ce matin l'honorable David Emerson, ex-président, et Murad Al- Katib, ex-conseiller auprès du Comité d'examen de la Loi sur les transports au Canada.
L'honorable David Emerson, C.P., ex-président, Comité d'examen de la Loi sur les transports au Canada, à titre personnel : Merci beaucoup, je suis heureux d'être de retour.
C'est vraiment un plaisir pour moi d'être ici. Comme vous le savez probablement, la Loi sur les transports au Canada fait l'objet d'un examen environ tous les dix ans, et un groupe de six personnes a été formé en 2014. Je pense que vous connaissez les noms de tous les membres du groupe. À ma droite, mon collègue Murad en est l'un des principaux membres. Quant à moi, j'étais à la tête du projet. Nous avons passé environ 18 mois à rédiger le rapport. Nous nous étions donné une date d'échéance très difficile en décembre de l'année dernière pour mettre la dernière main au rapport et le remettre au ministre.
Ce matin, je voudrais commencer par vous donner une idée de ce que nous avons jugé particulièrement important dans les conclusions que nous avons tirées de l'examen. Je pense que cela peut se résumer en axiomes regroupés sous le thème : les vérités que nous croyons évidentes.
La première est que le Canada a toujours été, continue d'être et sera probablement toujours, tant que nous serons là, une petite économie ouverte. D'après les normes internationales, le Canada a une petite population, mais une immense superficie comprenant des zones extrêmement diverses et parfois inhospitalières. Cela entraîne donc une deuxième vérité fondamentale : les transports sont le fil conducteur, si j'ose dire, indispensable à la société canadienne et à son économie. La prospérité et le bien-être des collectivités de l'ensemble du pays dépendent absolument d'un bon réseau de transport.
Quand on pense compétitivité économique de nos jours, on sait depuis quelques décennies que le succès dépend de ce qu'on appelle les chaînes d'approvisionnement globales, que certains appellent les chaînes de valeur globales et qui sont, pour l'essentiel, les réseaux de transport et les réseaux logistiques nécessaires à la circulation des personnes et des marchandises. L'efficacité et la fluidité du fonctionnement de ces chaînes sont indispensables à la compétitivité économique.
La quatrième vérité évidente, bien sûr, est que le Canada fait partie de l'Amérique du Nord. Ce continent est vraiment notre cadre global le plus immédiat et il est crucial au regard de la gestion environnementale, de la gestion de la sécurité, des moyens de transport, des dimensions économiques et d'autres aspects de la vie. L'Amérique du Nord doit absolument faire partie de la configuration d'une stratégie des transports.
Quand on examine ces chaînes d'approvisionnement globales du point de vue de la logistique et des transports, on constate qu'il y a des réseaux dans le monde entier et que ces réseaux comportent des chaînes ou couloirs de transport de personnes et de marchandises à circulation et vitesse élevées. Cela s'applique aussi bien aux chemins de fer qu'aux routes maritimes ou aux voyages aériens. Il y a des artères ou couloirs absolument essentiels qui, dans le monde entier, relient les pays par des passerelles ou des plaques tournantes — en anglais « hub » — où les modes de transport se rejoignent généralement dans un contexte urbain important.
Voyons plus loin. Quand on pense aux collectivités les plus éloignées ou secondaires du pays, elles sont le plus souvent reliées à ces artères centrales par le biais de ce qu'on appelle des systèmes d'alimentation. Il peut s'agir de chemins de fer locaux, de vols de correspondance, de routes de liaison, et cetera. Il y a tous ces couloirs à circulation et vitesse élevées dans tous les modes de transport, et puis les systèmes d'alimentation qui permettent aux zones éloignées du pays et aux petites collectivités d'être reliées au marché global et aux réseaux qui, en fin de compte, recouvrent la planète.
Ce sont là des vérités immuables auxquelles nous, comme groupe, devons réfléchir quand on envisage de modifier une réglementation ou une politique. Si on n'a pas cela très nettement à l'esprit, on tombe très vite dans un trou à rats ou un problème quelconque.
Je ne vais pas vous donner tous les détails de l'examen, mais on nous avait demandé de considérer les 20 ou 30 années écoulées et de nous demander : qu'est-ce qu'il faut faire du côté des politiques de transport pour être prêts à affronter le monde des 20 ou 30 prochaines années? C'était une perspective à long terme.
Dans le cadre de cette perspective, il fallait absolument s'assurer que les transports et le commerce soient reliés de façon systématique et réfléchie au sein de l'économie globale d'aujourd'hui. La plupart des gens ne le savent pas, mais, franchement, les problèmes liés aux transports et à la logistique ont en fait bien plus d'importance que les obstacles traditionnels au commerce comme les tarifs, les quotas et tout cela.
Il y a différents moyens d'y arriver, mais, dans le secteur forestier, par exemple, les frais de transport et de logistique peuvent représenter 30 p. 100 ou plus du coût du produit livré, et c'est un facteur important.
L'examen a été en quelque sorte précipité par la crise des céréales en 2013-2014. Notre mandat nous invitait à examiner la situation des transports et de la logistique dans une perspective bien plus large que le secteur des céréales uniquement, et c'est ce que nous avons fait. Nous avons également conclu que le système est tellement complexe et que la situation évolue de façon si radicale et rapide qu'un cadre de réglementation fondé sur des règles ne suffirait pas. On ne pourra jamais rédiger et faire appliquer assez de règles pour corriger tous les maux du système. C'est aussi l'une des prémisses fondamentales de nos recommandations.
Nous avons effectué plus de 500 consultations et nous avons reçu des rapports de différents groupes et spécialistes, et il y a beaucoup de recommandations spécifiques dans notre rapport. Je dirais que, si on devait régler une chose, et la chose en question est une série ou un ensemble de choses, ce serait la gouvernance et le processus décisionnel.
Dans le secteur canadien des transports, on a besoin d'un bien meilleure cadre décisionnel qui serait alimenté par des données et des faits et qui se caractériserait par la transparence et l'imputabilité sous tous les aspects de la gouvernance. Quand je parle de « gouvernance », je parle d'élaborer une politique gouvernementale, une réglementation et un système de gouvernance dans certaines des entités fournissant des services comme les ports, les aéroports, et cetera.
Murad Al-Katib, ancien conseiller, Comité d'examen de la Loi sur les transports du Canada, à titre personnel : Merci beaucoup. Je m'appelle Murad Al-Katib et je vais vous parler en tant que conseiller auprès du groupe d'examen de la LTC, qui a terminé ses travaux en 2015. M. Emerson m'a demandé plus précisément de considérer, au cours de l'examen, le secteur des céréales et les ressources naturelles comme la potasse, l'uranium, le pétrole et le gaz, notamment dans le couloir de l'Ouest canadien.
Je vous propose une perspective en tant que conseiller du groupe d'examen de la LTC, mais aussi que chef de la direction actuel d'une entreprise d'exportation de produits agricoles et d'aliments en pleine expansion de la Saskatchewan. Mon entreprise, qui s'appelle AGT Food and Ingredients a été créée en 2003 et elle est rapidement devenue un exportateur de lentilles, de pois, de pois chiches et de fèves d'une valeur de 1,7 milliard de dollars. Elle est devenue un exemple de succès économique au Canada. Notre superficie de culture a considérablement augmenté au cours des dix dernières années. En 2016, les agriculteurs canadiens sèmeront 10 millions d'acres de lentilles et de pois dans l'Ouest canadien, soit une augmentation de 26 p. 100.
Je vais vous parler un peu de l'état d'esprit et de la perspective du groupe chargé de réviser la LTC. Nous avons tenu compte de principes importants :
S'il y a une conclusion que les Canadiens d'un océan à l'autre devraient tirer [...] c'est que le rendement de l'économie, mais aussi la santé et à prospérité des collectivités, sont étroitement liés au rendement du système de transport.
Les auteurs du rapport rappellent que le système des transports constitue « la chaîne d'approvisionnement [dont] dépendent toutes les autres chaînes d'approvisionnement » et que toute nouvelle politique devrait tenir compte de son rôle « en tant que moteur clé du rendement de toutes les industries canadiennes ».
Il est clair, à la lecture du rapport, qu'il faut intégrer ces politiques dans un cadre stratégique national qui permettra de développer et d'optimiser ce système au cours des 20 à 30 prochaines années.
Dans le secteur des céréales, les entreprises de production, de transformation et de manutention sont toujours convaincus qu'il y a un déséquilibre entre les chemins de fer et les utilisateurs de ce moyen de transport. Les auteurs du rapport sur la LTC ont recommandé un certain nombre de mesures visant à « uniformiser les règles du jeu » et à faciliter une solution commerciale axée sur le marché et valable aussi bien pour les utilisateurs que pour les fournisseurs du service. Il arrive trop souvent que la chaîne d'approvisionnement en céréales se contente d'accuser le chaînon qui la suit ou la précède au lieu de penser à régler ses problèmes.
Nous avons tenté d'organiser des consultations très larges avec les producteurs, les sociétés ferroviaires et d'autres fournisseurs de services, et je peux vous dire que, même s'ils ne sont pas tous d'accord avec nos recommandations, aucun d'eux ne pourra dire qu'il n'a pas eu la possibilité de participer au processus. J'ai passé personnellement 83 jours à discuter en face à face avec des représentants du secteur. De nombreuses consultations en Saskatchewan, au Manitoba, en Alberta, en Colombie-Britannique et dans l'est du pays, notamment dans les Maritimes, ont permis à tous les groupes de participer au processus.
Les principales recommandations que je juge très importantes sont les suivantes : L'examen effectué par l'Office des transports du Canada a révélé que, effectivement, les principaux moyens de garantir que le système donne des résultats positifs sont de l'ordre du marché, mais que les déséquilibres de pouvoir continueront d'être une source de friction qui devra être gérée. C'est ce qui a donné lieu à des recommandations visant à moderniser l'Office des transports du Canada par la consolidation de son mandat, un choix d'instruments de meilleure qualité et d'une capacité de réglementation et de législation pour pouvoir travailler dans l'intérêt des Canadiens et les aider à affronter les défis des 20 à 30 prochaines années de transformation globale.
Plus précisément, les recommandations prévoient une modification de la loi visant à conférer à l'Office des pouvoirs d'enquête, le pouvoir d'agir de son propre gré et en l'absence d'une autre partie, ainsi que le pouvoir d'agir concernant des enjeux d'ordre systémique et de rendre des ordonnances générales. Actuellement l'Office n'a pas ce genre de pouvoirs.
Il faudrait créer, au sein de l'Office, une plateforme de données intégrées et un tableau de bord de données multimodales, ainsi qu'une expertise ferroviaire et, bien entendu, lui fournir les ressources financières nécessaires à l'exécution de son mandat.
Outre la réglementation relative à l'Office, nous avons recommandé de modifier l'article 5 de la Politique nationale des transports pour y énoncer l'importance des transports pour le commerce international et pour notre aptitude à faire concurrence sur les marchés internationaux.
En plus de toutes ces mesures de réglementation, nous voulions aussi encourager l'investissement dans les réseaux ferroviaires. Dans le rapport, on rappelle que les sociétés ferroviaires ne portent pas à elles seules la responsabilité des immobilisations et des réseaux ferroviaires et que les expéditeurs font aussi des investissements importants liés aux opérations de chargement, de déchargement, d'entreposage et de manutention. Mais on y précise que, « à défaut de changements, les compagnies de chemin de fer continueront vraisemblablement leurs activités à leur pleine capacité ou presque, avec des zones tampons minimales pour la demande inattendue ». Certains diront que c'est tout à fait raisonnable compte tenu de la répartition de leurs capitaux.
Pour encourager l'investissement, les auteurs du rapport recommandent de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu et son règlement pour veiller à ce que les catégories d'actif des sociétés ferroviaires restent alignées sur les niveaux en vigueur aux États-Unis du point de vue des stimulants fiscaux. Nous recommandons aussi une extension des stimulants fiscaux aux clients du premier et du dernier mille du réseau ferroviaire pour permettre le traitement de la déduction pour amortissement accéléré pour les investissements liés aux opérations de chargement et de déchargement.
Nous avons aussi recommandé un programme de crédit fiscal pour les chemins de fer locaux n'appartenant pas à la classe I, qui est un élément très important reliant le réseau national aux zones plus régionales, dans le même genre que le programme de crédit fiscal 45G aux États-Unis. En général, il est très important pour notre économie de suivre l'évolution des chemins de fer aux États-Unis.
Pour ce qui est des obligations des sociétés ferroviaires, les auteurs du rapport ont recommandé de modifier les dispositions de la Loi sur les transports au Canada concernant le niveau de service pour tenir compte des expéditeurs et de leurs besoins collectifs dans le cadre d'un rendement optimal du réseau ferroviaire. Nous avons aussi recommandé des modifications aux dispositions de la loi portant sur le règlement des différends et sur les ententes de niveau de service.
Des modifications ont également été recommandées au sujet des arbitrages qui relèvent actuellement de l'article 169 de la loi. Nous avons notamment recommandé que les ententes sur le niveau de service contiennent, entre autres paramètres, des dispositions de réciprocité pour les expéditeurs. Nous voulions que la réciprocité se traduise par le fait que les expéditeurs et les sociétés ferroviaires aient le droit de s'entendre sur le niveau de service quand il y a réciprocité, avec conséquences et pénalités financières, pour veiller à ce que des solutions commerciales puissent être obtenues.
Concernant les mesures relatives à l'agriculture, l'examen a révélé que le gouvernement fédéral réglemente les tarifs de transport des céréales et d'autres aspects depuis 1897. Notre gouvernement joue ce rôle depuis de nombreuses années. Les auteurs du rapport rappellent cependant que, pour les expéditeurs de produits agricoles, la possibilité d'avoir accès aux marchés globaux et de rester concurrentiels dépend du service ferroviaire.
Les auteurs du rapport font remarquer que les échecs antérieurs sont dus en partie à la faible visibilité de la capacité et du rendement de la chaîne d'approvisionnement et à l'incapacité des services ferroviaires de faire face aux effets saisonniers extrêmes et à la pression exercée sur l'équilibre entre service et exigences financières pour favoriser un usage optimal de leurs actifs.
C'est un problème de ne pas avoir une idée de la récolte avant la moisson. Il est très difficile de prévoir la capacité.
Les auteurs du rapport ont proposé que les dispositions de la loi relatives au revenu admissible maximal pour le transport de céréales par train soient progressivement éliminées et que, à court terme, des changements soient apportés pour régler un certain nombre de questions d'ordre technique et stratégique et permettre la modernisation du principe du revenu admissible maximal. Nous avons recommandé de moderniser le principe du revenu admissible maximal en prévision de son élimination complète dans un délai de sept ans, à mesure que le système de transport et de manutention des céréales de l'Ouest canadien évoluera vers un cadre plus commercial.
Cette modernisation devrait comprendre, sans s'y limiter, l'exclusion de la circulation des céréales en conteneurs. Les céréales n'étaient pas transportées en conteneurs auparavant, et nous recommandons par conséquent de les exclure de cette formule pour permettre la création d'une capacité d'appoint dans le système.
Nous recommandons de permettre aux sociétés ferroviaires de réserver au maximum un tiers de leur parc de wagons, pour lesquels les expéditeurs pourraient payer des primes de fret leur garantissant un service et un approvisionnement. Les expéditeurs nous ont dit que le problème n'est pas toujours le coût, mais plutôt la fiabilité. Ils sont disposés à payer plus pour avoir un service garanti. Ces primes seraient exclues des revenus admissibles maximaux des sociétés ferroviaires.
Nous avons recommandé d'exclure les revenus d'interconnexion, les coûts comptabilisés et le tonnage du calcul du revenu admissible maximal et de réformer la méthodologie de ce calcul pour permettre d'attribuer des investissements individuels à l'amélioration de la capacité et créer des stimulants pour des investissements généraux dans du nouveau matériel.
De nos jours, quand une société ferroviaire investit, chacune des deux sociétés en profite. Si le CN investit, CP en profite aussi. Nous avons donc recommandé de modifier le système pour la société ferroviaire qui investit en tire tout le profit. Voilà le genre de mesures de modernisation que nous proposons.
En résumé, nous avons au Canada un système de classe internationale. La réglementation est un instrument puissant qu'il faut utiliser avec précaution. L'excès de réglementation est un risque qui peut entraver les mécanismes du marché dans l'intérêt du système. En fin de compte, nos recommandations sont générales et de grande envergure, et nous avons tenu compte d'un horizon à long terme, parce que l'infrastructure de la réglementation des transports a une portée générationnelle pour les Canadiens. Nous dépendons des échanges commerciaux et nous devons prendre les mesures qui conviennent.
D'ici 2030, les revenus de la classe moyenne en Asie vont passer de 21 à 56 billions de dollars. La croissance démographique est réelle, et le Canada est dans une position idéale, puisqu'il est riche de ressources agricoles renouvelables et de ressources non renouvelables comme la potasse, l'uranium, le pétrole et le gaz.
Ne rien faire serait un choix dangereux, car c'est la prospérité économique des Canadiens qui est en jeu. Je suis convaincu que nous tiendrons compte de tout et que nous ferons ce qu'il faut. Merci, monsieur le président.
Le président : J'aimerais vous présenter les sénateurs avant de commencer. De l'Ontario, monsieur le sénateur Runciman; de Terre-Neuve-et-Labrador, monsieur le sénateur Doyle; de l'Alberta, madame la sénatrice Unger; du Québec, monsieur le sénateur Boisvenu; de la Nouvelle-Écosse, monsieur le sénateur Greene; moi-même, de Québec, sénateur Dawson; de la Nouvelle-Écosse, monsieur le sénateur Mercer; de Toronto, monsieur le sénateur Eggleton; et, de l'Alberta, monsieur le sénateur Black.
Le sénateur Black : Je voudrais dire, d'abord, que j'ai passé le week-end à lire votre rapport et que je trouve que vous avez fait un travail extraordinaire. Je pense que, si on applique vos recommandations, vous aurez rendu un grand service au Canada. Merci beaucoup pour cela.
J'ai quelques questions de haut niveau, si vous permettez. Monsieur Emerson, vous avez examiné la situation actuelle de l'infrastructure des transports au Canada dans la perspective d'en faire un moyen de faciliter la réalisation de nos objectifs commerciaux. Quel est votre avis sur la structure actuelle?
M. Emerson : Des organisations internationales ont fait du travail à ce sujet. Je ne me rappelle plus exactement lesquelles, mais elles sont énumérées dans le rapport. Et je crois que notre infrastructure, en termes de compétitivité globale, est classée à peu près au quatorzième rang. En tout cas, nous ne sommes pas dans les cinq premières places.
Je dirais que nous sommes très bons dans certains domaines, comme les aéroports. Depuis la commercialisation dans les années 1990, on a dépensé énormément d'argent dans la construction de notre infrastructure aéroportuaire. Dans notre rapport, nous constatons que les grands aéroports sont là où on en a besoin pour l'essentiel. Il nous manque beaucoup de petits aéroports.
L'Initiative de la porte et du corridor de l'Asie-Pacifique est largement appréciée par ceux que nous avons consultés, qui estiment que c'était le genre d'investissement dans l'infrastructure dont on avait besoin. Le gouvernement du Canada a investi plus d'un milliard de dollars et en a attiré quatre ou cinq fois plus pour un total d'environ 7 milliards de dollars d'investissement dans l'infrastructure.
Ce qu'on nous a dit de plus important au sujet de cette initiative était que les investissements n'étaient pas fragmentaires. Ils ont été faits à la suite d'une analyse minutieuse des priorités de la chaîne d'approvisionnement Asie- Pacifique du point de vue des intéressés. C'était d'une importance cruciale.
Je dirais que la situation dans le Nord du Canada est pathétique. C'est une façon gentille de dire les choses. Et c'est toute l'infrastructure qui est insuffisante, qu'on parle de pistes d'atterrissage, de routes, de chemins de fer ou de transport maritime. Dans le Nord, la situation est lamentable, et le fait que la Garde côtière manque de ressources n'aide pas.
M. Al-Katib : Si on parle de planification à long terme, je pense que les Australiens sont un bon exemple. Ils ont un vaste programme d'infrastructure sur 50 ans relié à leur cadre national des transports.
J'aimerais bien, à mesure que l'économie continuera de prendre de l'expansion et que nous planifierons une passerelle cohérente, que nous arrivions à assumer le leadership national et à élaborer ce genre de document de planification nationale pour obtenir des emprises et inciter les gouvernements provinciaux et municipaux à investir. Ces éléments, qui ne sont pas réactifs, sont essentiels et permettraient de bâtir un Canada apte à offrir une prospérité économique non seulement à nos enfants, mais à nos petits-enfants.
M. Emerson : L'une des lacunes auxquelles se heurtent le gouvernement et d'autres protagonistes au Canada est qu'il n'y a pas de base de données systématique sur l'infrastructure : il en existe partiellement dans les municipalités, au gouvernement fédéral et dans le secteur privé. L'une de nos recommandations concerne la création d'une base de données permettant de circonscrire ce qui existe et l'état dans lequel se trouvent ces éléments d'infrastructure du point de vue de l'entretien et des réparations. À partir de là, on peut commencer à bâtir en fonction des prospectives.
Le sénateur Black : Monsieur Emerson, le travail que vous avez fait est extraordinaire. Qui en est responsable maintenant? Qui est censé mettre en œuvre ou rejeter vos recommandations?
M. Emerson : C'est le gouvernement du Canada. J'ai remis le rapport au ministre des Transports. Je l'ai informé, en compagnie de quelques autres personnes, du contenu général du rapport. Donc, maintenant, c'est vraiment entre les mains du gouvernement du Canada.
Le sénateur Black : Si vous pouvez nous le dire, est-ce qu'il y a une personne en particulier ou pensez-vous qu'il devrait y avoir une personne précisément chargée de cela?
M. Emerson : Pour être franc, quand j'ai remis le document, j'ai dit clairement que j'allais passer sous le radar parce que je ne voulais pas que ce soit perçu comme le rapport David Emerson ou le rapport Murad. Je voulais que ce document soit examiné et utilisé par le gouvernement en fonction de sa valeur propre. Je ne sais pas qui s'en occupe maintenant.
Le président : Le comité s'est senti suffisamment à l'aise pour vous inviter parce qu'il estime que cet enjeu mérite d'être pris au sérieux. Je peux vous dire que les sénateurs Greene, Mercer et moi-même, qui sommes allés dans le Nord sur les ailes de Northern Airport, nous sommes tout à fait d'accord avec vous : il manque de services, d'investissements et d'appuis pour les collectivités du Nord en termes de transports. Le président évite en principe ce genre de commentaire, mais j'ai mon idée là-dessus.
Le sénateur Doyle : Vous parlez d'une politique des transports sur 20 ou 30 ans. Je suis de Terre-neuve et je me demande ce que serait le meilleur moyen et le plus efficace de relier l'île de Terre-Neuve. Je crois savoir que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial examinent la possibilité de creuser un tunnel reliant l'île au continent. Est-ce que, durant votre examen, vous avez envisagé ce genre de projet et examiné les répercussions économiques qu'il pourrait avoir sur tout le nord-est du Canada?
M. Emerson : Pour être franc, la réponse est non. Nous avons essayé d'éviter de nous embourber dans des projets très spécifiques, et, compte tenu du peu de temps que nous avions, nous avons préféré rester à un niveau plus élevé, plus stratégique. Ma propre observation gratuite est qu'un investissement presque n'importe où deviendra un investissement quelque part au bout de plusieurs décennies.
Qu'on parle du Nord, de Terre-Neuve-et-Labrador ou d'un endroit quelconque dans le Nord de la Saskatchewan, si on ne peut pas y aller à partir d'ici, il ne s'y passera rien et personne n'ira y vivre. Mais, si vous faites ces investissements, ils intéressent rarement le secteur privé du point de vue de la rentabilité.
Quant à moi, je suis favorable à des investissements gouvernementaux à long terme pour le développement. L'éventualité d'un lien fixe avec Terre-Neuve ferait partie de ces projets.
M. Al-Katib : J'ajouterais que le seul cadre dans lequel nous aurions envisagé cette possibilité à titre général est celui de la cohérence. Quand on parle de passerelles, on parle beaucoup de la porte du Pacifique, mais nous avons aussi examiné la situation du côté de la porte de l'Atlantique et tenu compte du besoin de développer une infrastructure cohérente pour concentrer l'infrastructure et la connectivité portuaires des différentes régions dans le cadre de ces passerelles. Je pense que cela pourrait aussi s'inscrire généralement dans la recommandation d'une porte de l'Atlantique bien conçue.
Le sénateur Doyle : Est-ce que votre examen des transports au Canada a porté également sur le développement de nouveaux pipelines pour le transport du pétrole?
M. Emerson : Nous avons dû nous intéresser aux pipelines de façon tangentielle parce que le manque de capacité dans ce domaine a entraîné une augmentation importante du transport du pétrole par train dans les dernières années, ce qui a toutes sortes de répercussions, notamment en matière de sécurité. La question des pipelines ne faisait pas partie de notre mandat, et elle ne fait pas partie du mandat de Transports Canada, mais elle relève de nos recommandations sur le transport des marchandises dangereuses, par exemple.
Le sénateur Doyle : Est-ce que les auteurs du rapport ont un avis sur la sécurité du transport du pétrole par pipeline plutôt que par train?
M. Emerson : Les données que nous avons examinées donnent à penser que le pipeline est plus sécuritaire. Je pense qu'à peu près tout le monde le sait aujourd'hui. C'est plus sûr, et sur de longues distances, c'est nettement moins cher. Je crois que le secteur de l'énergie, du moins c'était le cas avant le crash, s'intéresse de plus en plus aux trains à cause du supplément de souplesse que cela peut apporter à la chaîne d'approvisionnement. Par exemple, si du pétrole est envoyé vers un marché, on peut le dérouter par train vers un autre marché, si les conditions économiques l'imposent. C'est l'avantage d'ajouter un élément de souplesse.
D'après nous, ce n'est pas plus sûr, c'est plus risqué.
Nous n'avions pas pour mandat d'examiner la question de la sécurité ferroviaire, mais nous avons dû l'aborder quand même parce que nous pensons que beaucoup des recommandations invitant le gouvernement à faire appel à la technologie et à harmoniser sa réglementation avec celle des États-Unis, par exemple, auront des effets bénéfiques importants, notamment en matière de sécurité. Il suffit de penser au problème des trains à la dérive.
Dans un monde où on peut maintenant imaginer des véhicules autonomes, les trains roulant sur des rails fixes peuvent certainement être contrôlés par une technologie centrale très efficace. Je ne pense pas qu'on ait besoin d'une armée de fonctionnaires pour vérifier si les freins sont mis sur un train stationné. À mon avis, il existe des solutions technologiques qui méritent qu'on y investisse.
La sénatrice Unger : Merci d'être parmi nous ce matin, Messieurs Emerson et Al-Katib. Votre rapport est très intéressant.
L'Alberta est une région enclavée, et nous avons absolument besoin d'expédier nos ressources. Les manifestants et les lobbyistes opposés aux pipelines et cette idée d'accréditation sociale, qui semble aujourd'hui s'appliquer à tout, ont retardé les expéditions.
Aviez-vous anticipé cette situation ou auriez-vous des observations à faire sur ce qui se passe en ce moment?
M. Emerson : Nous n'avons pas parlé d'accréditation sociale en tant que telle, mais nous avons beaucoup parlé de gouvernance et de la nécessité de prendre des décisions fondées sur des données factuelles en temps et lieu et de façon responsable.
D'après moi, le problème est qu'il n'y a pas de définition de l'accréditation sociale, qu'il n'y a pas de base de données et qu'il n'y a aucun moyen de savoir, au sujet d'un projet donné, si on peut ou non obtenir une accréditation sociale et comment l'obtenir. Je ne suis pas favorable à l'idée d'accréditation sociale. Je suis favorable à l'idée d'une bonne gouvernance fondée sur des données factuelles, de bonnes données et un processus décisionnel assumé par des experts. Beaucoup de nos recommandations portent sur l'amélioration de la gouvernance dans ce sens.
La sénatrice Unger : Votre avis, monsieur Al-Katib?
M. Al-Katib : Quand on pense au cadre de référence et aux initiatives stratégiques à l'échelle nationale, je pense qu'il faut réfléchir à la manière de régler la question de l'accréditation sociale. Un plan à long terme cohérent devra équilibrer ces intérêts et veiller à ce que le processus soit transparent et fondé sur des données factuelles. À partir de là, il faudra reconnaître que certains produits doivent plutôt être transportés par train, par camion, et cetera. Certains produits peuvent être transportés par des moyens comme les pipelines; d'autres, non.
Quand on tient compte d'une capacité limitée dans un modèle de croissance économique à long terme, il faut aborder cette question à un moment donné et s'entendre sur un cadre stratégique qui en tienne compte, affronter la question et veiller à consulter les gens, mais il faut qu'il y ait un début et une fin.
M. Emerson : Je ne voudrais pas être cynique, mais, si « l'accréditation sociale » veut dire qu'on va finir par prendre des décisions en fonction de sondages d'opinion, peut-être qu'il faudrait avertir les promoteurs de projets pour qu'ils comprennent que tout ce travail environnemental, technique et scientifique pourra être annulé par le résultat d'un sondage. C'est correct, mais il faut que ce soit dit.
La sénatrice Unger : On a proposé un nouveau couloir énergétique assez récemment. J'ai lu quelque chose à ce sujet la semaine dernière, je crois. Cela traverserait le Nord du Canada. Pourriez-vous nous en parler?
M. Emerson : Comme vous le savez d'après le rapport, nous avons passé beaucoup de temps à nous intéresser au Nord et aux couloirs de transport et de logistique dont on aurait besoin. Nous avons rencontré beaucoup de représentants de Fednor et des gouvernements provinciaux et territoriaux pour discuter des couloirs éventuels. Nous avons également consulté des représentants de la Calgary School of Public Policy, qui est en effet favorable à ce couloir linéaire.
Nous n'avions pas suffisamment d'information pour formuler une recommandation au sujet de ce couloir en particulier, mais il reste que nous estimons que des couloirs sont absolument nécessaires. Ceux qui existent doivent être protégés, et il faut en circonscrire de nouveaux et prendre des mesures pour garantir que les prochaines générations de Canadiens pourront mettre ces nouveaux couloirs au service de l'économie de demain. Je mets cela dans cette catégorie.
Le sénateur Runciman : J'ai des tonnes de questions.
M. Emerson : Pas de problème.
Le sénateur Runciman : J'habite le long de la Voie maritime du Saint-Laurent et je sais que vous en avez parlé durant votre étude. Vous avez dit que certaines recommandations portent sur ce sujet. L'une d'elles propose de réduire l'encombrement et de fournir des moyens plus écologiques de transporter du fret, ce que vous appelez le « transport maritime à courte distance ».
Je suis curieux. Je trouve que la circulation maritime a diminué dans les dernières années. On sait que le canal de Suez et le canal de Panama ont fait l'objet d'une restructuration majeure pour accueillir les nouveaux grands cargos modernes.
Comment voyez-vous l'avenir? Je sais que c'est un enjeu entre le Canada et les États-Unis, mais est-ce que vous avez réfléchi à l'avenir de la Voie maritime du Saint-Laurent?
M. Emerson : Nous avons examiné le couloir tout entier, depuis Thunder Bay jusqu'au golfe du Saint-Laurent. Nous pensons qu'il a effectivement un avenir, mais qu'il y a des obstacles. L'un d'eux est la glace des Grands Lacs. Là encore, je renvoie à mes observations sur la capacité de brise-glace et sur la Garde côtière. À moins de sérieusement améliorer notre capacité de brise-glace dans les Grands Lacs, le couloir qui traverse ces lacs restera saisonnier. C'est un couloir saisonnier, et c'est une contrainte qui l'empêche de devenir un élément important et permanent des chaînes d'approvisionnement globales.
Une fois qu'on est à Montréal, ça va. La voie maritime a besoin d'être considérablement améliorée et élargie pour faire partie d'un circuit global plus vaste. Le transport maritime à courte distance n'a pas vraiment pris son essor dans les dernières années au Canada. Nous pensons qu'il y a du potentiel, mais il faudra investir suffisamment dans l'infrastructure qui permettrait à ces navires d'emprunter la voie des Grands Lacs. Il y a aussi le problème du protectionnisme et de la Jones Act du côté américain et celui du cabotage de notre côté : je pense qu'il faut régler cela.
Je crois que le couloir des Grands Lacs a un avenir, mais il est limité par de graves contraintes. Murad, est-ce que vous êtes en désaccord avec ce que j'ai dit?
M. Al-Katib : Non, je suis d'accord. Nous avons des installations portuaires à Thunder Bay, et des marchandises sont expédiées régulièrement. Mais il va falloir penser au transport toute l'année dans le cadre du développement des chaînes d'approvisionnement globales.
Nous avons aussi recommandé d'examiner les règles applicables au pilotage et les coûts associés à ces couloirs, parce que, quand on tient compte des contraintes imposées à la taille des navires empruntant ce couloir et le barème des coûts, on voit bien que c'est prohibitif comparativement aux expéditions de l'autre côté.
On voit maintenant régulièrement des produits agricoles expédiés à partir de Vancouver et Prince Rupert jusqu'à la région méditerranéenne en passant par le canal. On pourrait certainement utiliser beaucoup plus efficacement ce couloir, surtout pour la Méditerranée, l'Afrique du Nord et le Moyen Orient.
Le sénateur Runciman : Vous parlez d'une voie réservée pour VIA et de la séparer des trains de marchandises. Je suppose que cela fait partie de votre plan sur 50 ans pour les zones urbaines. C'est tout un défi en soi. Est-ce qu'on peut imaginer des solutions à court terme, dans les cinq prochaines années disons, pour essayer d'améliorer la situation?
Je reviens encore à une situation personnelle. Je ne sais pas si c'est lié, mais je crois que cela l'est jusqu'à un certain point. On sait que le nombre d'arrêts des trains de passagers de VIA a considérablement diminué dans les petites collectivités. Dans la mienne, il n'y a plus que deux trajets directs vers Montréal. Je sais que cela touche aussi Kingston, Belleville et Cornwall le long de ce trajet. Est-ce qu'il y a moyen d'atténuer ce problème et de multiplier les arrêts de VIA dans les trajets menant vers des villes comme Montréal ou est-ce qu'on proposera simplement plus de trajets à haute vitesse entre Montréal et Toronto au lieu de desservir certaines de ces petites collectivités?
M. Emerson : Comme je l'ai dit, notre examen ne portait pas sur la situation à court terme. On nous a dit qu'il fallait plus de collaboration entre le gouvernement du Canada, le gouvernement de l'Ontario, le système GO Transit, VIA, CP et CN pour planifier l'utilisation des voies de chemin de fer. Je suppose qu'on pourrait penser à augmenter les investissements dans les voies d'évitement pour atténuer certains des problèmes associés au fait que les trains de marchandises et les trains de passagers roulent sur les mêmes voies.
Le sénateur Runciman : C'est déjà en partie en cours.
M. Emerson : C'est vrai, c'est en partie en cours.
En fin de compte, si on dévie du plan d'utilisation des voies pour une raison quelconque, il va y avoir un retard, soit dans le transport de marchandises, soit dans le transport de passagers. Si des passagers sont en retard, ils pourraient décider de ne plus prendre le train. Si des marchandises sont retardées, il y a d'autres répercussions. Je pense qu'il faudrait, dès maintenant, consulter largement les protagonistes au sujet d'un projet de transition à une voie réservée aux trains de passagers. Je suis convaincu qu'on pourrait, grâce à cette transition, apporter quelques améliorations à court terme.
Le sénateur Mercer : Messieurs, merci pour votre exposé. J'arrive ici avec deux préjugés. Premièrement, je suis sénateur de la Nouvelle-Écosse et je me demande ce que cela va nous apporter, en particulier au port de Halifax et comment cela s'inscrit dans l'ensemble.
Deuxièmement, je suis vice-président du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je reviens sur ce que vous avez dit concernant le transport de légumineuses à partir de la Saskatchewan. Le Comité de l'agriculture reçoit régulièrement des plaintes, et le problème n'est pas nouveau. Je suis le plus ancien membre de ce comité et j'en entends parler depuis le premier jour. Des trains de wagons porte-conteneurs traversent la Saskatchewan pour se rendre à Vancouver pendant que des agriculteurs les regardent passer alors qu'ils ont des produits prêts à l'expédition qu'ils veulent envoyer aussi rapidement que possible. Plus le produit reste longtemps à la ferme, plus sa qualité se détériore.
En avez-vous parlé dans votre rapport?
M. Al-Katib : Oui, absolument. L'une de nos recommandations, du point de vue de l'inclusion de ce qu'on appelle les investissements des expéditeurs pour le « premier mille » et le « dernier mille », visait principalement à proposer une sorte d'incitatif aux expéditeurs pour qu'ils utilisent les conteneurs et les infrastructures vides disponibles.
Par exemple, mon entreprise utilisait le port de Halifax, où des conteneurs arrivent du Royaume-Uni. Le CN, notre partenaire, les achemine à Saskatoon, d'où ils sont envoyés à nos usines, puis retournent à Halifax, avec un temps d'arrêt de peut-être 72 heures pour les conteneurs. C'est ce type de structures d'investissement que nous avons recommandé pour faciliter l'usage de conteneurs et du transport intermodal durant les périodes de pointe. Je pense qu'une meilleure utilisation de tous les couloirs est aussi un thème récurrent de notre rapport.
On ne peut pas faire passer toute la récolte, surtout si elle est importante, à travers la porte du Pacifique en l'espace de quatre mois. Il faut faire un usage efficace de Vancouver, Prince Rupert, Thunder Bay, Halifax et Montréal pour équilibrer le système. Je pense que l'inclusion de Halifax de façon plus concentrée représente un gros potentiel. Le CN a manifesté son intérêt à cet égard.
Le sénateur Mercer : Avez-vous analysé les problèmes syndicaux qui affligent le port de Vancouver, par exemple? Là encore, je dois avouer mes préjugés. Le port de Halifax n'a pas eu de grève importante depuis 1976. Beaucoup de gens ici n'étaient pas encore nés en 1976.
M. Al-Katib : Je suis né en 1976.
Le sénateur Mercer : Et voilà. Je parle de stabilité de la main-d'œuvre, et Halifax est plus près des marchés de l'Inde et de la Chine méridionale, par le canal de Suez.
Est-ce que vous avez parlé de cela dans vos discussions?
M. Al-Katib : En général, la prévisibilité et la fiabilité du système faisaient partie intégrante des recommandations. Il est question de la stabilité de la main-d'œuvre dans le rapport, mais, comme cela ne fait pas partie du mandat de Transports Canada, ce n'est pas une question que nous avons abordée de front.
Disons que, du point de vue d'un expéditeur, la prévisibilité en matière de main-d'œuvre dans les chaînes d'approvisionnement est un élément tout à fait essentiel de la fiabilité.
M. Emerson : Depuis deux ou trois ans, l'instabilité de la main-d'œuvre du côté américain a bénéficié aux ports de la côte Ouest du Canada. Les conventions collectives sont valables jusqu'en 2017-2018 environ. Il sera très important de conclure des ententes sur la côte Ouest pour éviter les problèmes dont parle Murad. S'il y a une autre grève importante sur la côte Ouest, notre réputation sera considérablement entachée alors que nous commençons à peine à nous remettre de certains des problèmes que nous avons eus dans le passé.
Il n'y a pas que la main-d'œuvre. On a une situation pseudo-syndicale avec les camionneurs indépendants de la côte Ouest également, et cela a créé des problèmes du même genre.
Le sénateur Mercer : L'un des moyens d'aider le port de Vancouver est de réduire le nombre des contrats. Le port de Halifax a réussi à regrouper ses contrats. Nous avons maintenant affaire à deux ou trois entreprises et tout le monde s'entend beaucoup mieux. Il semble y en avoir beaucoup trop à Vancouver.
J'aimerais revenir sur les observations concernant la porte de l'Atlantique. J'ai toujours pensé qu'il y avait trop de protagonistes et pas assez de leaders dans la porte de l'Atlantique. On parle tous de faire partie de la porte de l'Atlantique, et parle de Terre-Neuve, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse, mais quand il s'agit de partager la tarte, comme tout le monde veut une plus grosse part, on dirait qu'il n'y a plus de vrai leader.
Je siège à la table du comité des transports, je siège à la table du comité de l'agriculture, et on continue de parler du port de Halifax, et cetera, mais personne ne fait de plan pour intégrer les très bons systèmes du Nouveau-Brunswick, de Terre-Neuve-et-Labrador, de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse. Je pense que le port de Halifax fait partie intégrante de la solution parce que c'est le plus grand port de la région et que tout le monde peut en profiter. Tout le monde y gagnerait.
Avez-vous abordé le problème du manque de coordination dans la planification du couloir de l'Atlantique?
M. Emerson : Il est question dans le rapport du fait que la porte de l'Atlantique est moins efficace que la porte du Pacifique et nous pensons que c'est dû à la fragmentation.
Il semble difficile ou impossible de réunir tout le monde et de désigner un port pour les conteneurs et un autre pour les produits énergétiques et en vrac, ou quelque chose comme cela. Il ne semble pas y avoir de mécanisme permettant d'obtenir une masse critique dans un ou deux ports de la côte Est, et je crois que c'est là que le gouvernement du Canada devrait penser à intervenir fermement. Il en découle des problèmes de liaison ferroviaire, de fréquence du service ferroviaire, de compétitivité des sociétés ferroviaires et tout cela, parce que le port doit aussi être soutenu par une liaison ferroviaire concurrentielle.
Le sénateur Mercer : Je ne suis pas en désaccord avec vous, monsieur Emerson, mais j'ajouterai le facteur politique ici. Il devient difficile pour le gouvernement du jour de mettre cela en œuvre sans prendre le risque politique de choisir le port A de préférence au port B, ou même le port A de préférence au port H, parce que le port H est celui dont je veux parler.
M. Emerson : Tout ce que je peux dire, c'est que nous sommes en train d'ajouter un autre port à Belledune.
Le sénateur Mercer : Si vous en parlez à la plupart des Canadiens de l'Atlantique, en dehors des gens du Nouveau- Brunswick, ils vont vous demander : « Où est-ce? »
Le président : Je ne voudrais pas imposer à M. Emerson de parler politique. Je ne pense pas qu'il le souhaite.
M. Emerson : Ce n'est pas vraiment dans mes cordes, vous savez.
Le sénateur Eggleton : Je pense que vous êtes excellent. Cet examen est très large et très complet. J'espère que vous et vos collègues reviendrez sur votre décision de ne pas faire de suivi avec le ministre. Vous avez consacré un an et demi à cela et vous ne voulez que cela traîne sur les étagères. Beaucoup d'études et de rapports finissent comme cela, et j'espère donc que vous ou vos collègues feront un suivi.
Je voudrais vous poser une question sur le transport aérien, qui fait l'objet d'un des chapitres du rapport.
Vous avez recommandé d'envisager la privatisation des aéroports, comme cela s'est fait au Royaume-Uni et en Australie. Dans les années 1990, comme vous le savez, on a décentralisé la gestion de nos aéroports pour passer à une exploitation locale. À Toronto, c'est l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto qui s'en occupe. Ce sont des organisations sans but lucratif. Beaucoup de gens d'affaires et d'administrations municipales y participent.
Pensez-vous que ce système ne marche pas? Pensez-vous qu'il faudrait aller plus loin et privatiser comme au Royaume-Uni et en Australie?
M. Emerson : Je pense que, si on ne fait rien, cela n'aura pas d'importance pendant quelques années. À mon avis, si on veut envisager sérieusement les 20 ou 30 prochaines années et s'il y a un important déficit d'infrastructure au Canada, ce qui est le cas selon moi, il est très facile de faire quelque chose pour améliorer la structure de gouvernance des autorités, trouver des capitaux pour financer d'autres éléments d'infrastructure sans prendre le risque de la privatisation, qui entraîne, par exemple, la spéculation en bourse, où il faut constamment essayer de réagir aux observations à court terme des analystes, et cetera.
Nous avons recommandé d'envisager et d'adopter une forme quelconque de politique de recyclage des actifs, c'est-à- dire que ces actifs sont mis sous forme commerciale. Ils sont bien capitalisés. Toutes les études effectuées à l'échelle internationale confirment que nous sommes parmi les meilleurs en termes de capitaux, mais cela devient aussi très coûteux. Ces études révèlent également que nos aéroports sont parmi les plus coûteux. D'après nous, il faut probablement retirer une partie des capitaux arrivés à maturité, les redéployer dans le pays pour des raisons de politique gouvernementale et faire participer les investisseurs institutionnels à long terme à l'acquisition des actifs aéroportuaires, qu'ils sont maintenant. Les caisses de retraite canadiennes, comme vous le savez, investissent partout dans le monde, mais pas au Canada, parce qu'il n'y a pas de cadre leur permettant d'investir dans les aéroports canadiens.
Selon moi et selon le rapport, ceux qui investiront à long terme dans les ports et les aéroports peuvent vous donner le meilleur des deux mondes. Cela peut vous donner une perspective à long terme. Il n'est pas nécessaire de vendre la terre en fief simple. Il y a d'autres moyens de restructurer tout cela.
Je crois qu'il faut faire preuve de beaucoup plus de rigueur dans l'attribution de capitaux à certains de ces aéroports. Je crois qu'un investisseur privé enverra ses jeunes loups vérifier dans les caisses de retraite le genre de rendement qu'on obtient dans d'autres investissements en capital, et je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de rigueur là-dedans en ce moment. On se préoccupe plus du sentiment de satisfaction au niveau communautaire, et je pense que, à terme, nous en subirons les conséquences.
Le sénateur Eggleton : À ce sujet, il y a aussi le problème du loyer prélevé par le gouvernement fédéral auprès de ces aéroports, ce qui veut dire qu'ils transmettent toutes sortes de coûts supplémentaires, alors que les aéroports américains n'ont pas à porter cela. Cela devient évident quand on voit des tas de gens passer la frontière canadienne pour partir d'aéroports américains parce que les vols sont moins chers.
M. Emerson : J'ai failli tomber de ma chaise quand nous avons consulté les représentants des principaux aéroports du Canada. Je leur ai demandé ce que nous devrions faire pour consolider leurs activités dans les 20 ou 30 prochaines années. La seule chose qui leur soit venue à l'esprit a été de régler le système de contrôle de sécurité. J'ai parlé de l'accès à du capital de risque : « Non. » J'ai parlé du loyer des aéroports : « Ça va maintenant, c'est réglé. » En fait, j'ai été très surpris qu'on ne se préoccupe pas comme je le pensais du loyer des aéroports.
Là encore, selon moi et selon l'avis des auteurs du rapport, le loyer des aéroports n'est pas prohibitif, et il serait facile d'élaborer un cadre permettant à la caisse de retraite, par exemple, de sortir le bail, d'acheter le bail avec les paiements de loyer et, peut-être, certains autres éléments qui laisseraient les choses intactes pour les titulaires d'obligations, et cetera.
Je pense qu'on pourrait prendre ce genre de mesures, mais, si on s'occupe du loyer des aéroports sans tenir compte des charges sociales et des diverses taxes gouvernementales et FAA, on reste à la surface des choses. Comme vous le savez, les FAA augmentent à un rythme infernal. En vertu des baux, les aéroports peuvent imposer des FAA et les modifier, c'est-à-dire les augmenter, à leur gré.
C'est bien beau, mais les clients finissent par devenir captifs, et il y a un énorme déséquilibre de pouvoir entre les passagers qui passent par l'aéroport de la GRT et ceux qui passent par l'aéroport de Vancouver ou d'ailleurs, et nous avons déjà dit qu'il devrait y avoir un encadrement structuré des aéroports et que les FAA devraient être assujettis à certains principes. Il devrait y avoir un mécanisme d'appel auprès de l'OTC pour se plaindre d'un comportement inopportun des autorités.
Il faut vraiment examiner de près tous ces problèmes pour rétablir la discipline financière à long terme nécessaire et protéger les passagers.
Le sénateur Eggleton : Merci.
Le président : Permettez-moi une question supplémentaire. Comme vous le savez, le comité a terminé un rapport intitulé L'avenir des déplacements aériens au Canada : Poste de péage ou bougie d'allumage où il est question du fait que les gouvernements considèrent les aéroports comme des sources de revenus et non pas des sources d'investissement.
Oui, je peux comprendre que les aéroports soient habitués à payer un loyer sur des bâtiments que le gouvernement n'a jamais payés. Ils paient des taxes sur des dépenses dans lesquelles le gouvernement n'a jamais investi, mais ils se sont habitués. Je comprends aussi leur frustration en matière de sécurité.
Mais ce que vous dites au sujet des grands aéroports soulève une question. Comme vous le savez, nous avons théoriquement un réseau de 26 aéroports nationaux, et je sais que les responsables politiques n'aiment pas avoir à décider si Winnipeg doit être considéré comme un grand aéroport. À quel seuil faudrait-il décider qu'un aéroport doit être privatisé?
Je vous pose la question parce qu'on s'inquiète énormément en ce moment dans les aéroports : y aura-t-il privatisation et comment investir si on apprend qu'il faudra réacheminer vers une caisse de retraite dans trois ou cinq ans? Où tracez-vous la ligne de démarcation?
M. Emerson : Disons simplement que le degré de confort des autorités, des conseils d'administration et des directions est révélateur en soi. C'est très confortable, et il faut vraiment se demander si ce n'est pas en train de devenir trop confortable.
Pour ce qui est de la ligne de démarcation, je dirais ceci : si je m'en occupais, j'examinerais la situation des aéroports susceptibles de vouloir attirer un investisseur à long terme dans un monde où il y a un peu plus de discipline en matière de FAA, pour qu'ils ne restent pas inactifs en se disant qu'ils n'en ont pas besoin et qu'il leur suffit d'augmenter les FAA. Si vous habitez Toronto, vous devez utiliser l'aéroport et payer les FAA, pas de problème.
Je rendrais visite à différents aéroports pour discuter avec leurs responsables et recueillir des récits de réussite. Je sais, par exemple, que Montréal aimerait attirer un investisseur institutionnel. Il y en a peut-être d'autres. Je ne sais pas si cela pourrait intéresser Winnipeg. Cela intéressait Vancouver, mais je ne suis plus sûr que ce soit le cas maintenant.
J'adopterais une méthode cumulative et inviterais les investisseurs institutionnels pour qu'on sache le genre de structure de financement fonctionne pour eux. Cela ne sert à rien de faire une offre quand personne ne s'y intéresse parmi les investisseurs. Il faut le structurer comme il faut. C'est comme cela que je m'y prendrais. Je ferais le tour, je n'essaierais pas de tracer arbitrairement une ligne de démarcation dans le sable.
Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Je suis très heureux que vous ayez pu venir nous voir. J'allais vous poser toutes sortes de questions, comme vous vous en doutez sûrement, sur les aéroports, mais les sénateurs Eggleton et Dawson les ont posées.
Est-ce que, d'après vous, on peut espérer que le gouvernement fédéral abandonne sa politique sur les loyers? Il est évident que cela contribue à désavantager les aéroports canadiens par rapport aux aéroports américains. Et c'est presque une taxe plus que tout autre chose : c'est une taxe sur les consommateurs. Les aéroports ne reçoivent rien en retour des loyers qu'ils paient, et je ne suis pas surpris d'apprendre qu'ils acceptent le système parce qu'ils ont quasiment le monopole là où ils sont. Les consommateurs de la région de Niagara peuvent décider de prendre l'avion aux États-Unis, mais, à Halifax, il n'y a pas de choix, à moins d'aller à Montréal, qui est l'aéroport international le plus proche, ou peut-être même Boston.
Est-ce qu'il y a des progrès de ce côté-là d'après vous?
M. Emerson : J'ai quelques observations à ce sujet. On explique dans le rapport — et cela fait suite aux remarques du président tout à l'heure — que les gouvernements, de plusieurs paliers je crois, considèrent les aéroports comme une source de revenus et non un moteur économique et un moteur de la compétitivité commerciale du Canada. Ils veulent avoir le beurre et l'argent du beurre, mais il y a des limites!
Je voudrais aussi exprimer une certaine inquiétude, sinon vous alarmer, au sujet de certaines personnes auxquelles nous avons parlé et qui, au sujet des consommateurs qui préfèrent utiliser les aéroports américains, nous ont dit : « Pas besoin de s'en faire, le taux de change va s'occuper de cela. » Eh bien si on planifie la compétitivité du Canada pour les 20 ou 30 prochaines années à partir de l'hypothèse d'un dollar à 76 cents, on a un sérieux problème.
Je pense qu'il y a un problème là, mais je pense qu'il revient encore une fois au gouvernement du Canada d'examiner la situation des aéroports, de tenir compte de toutes les taxes et de tous les frais que les autorités aéroportuaires et les gouvernements imposent, dont les taxes provinciales sur l'essence, et cetera, et d'élaborer une nouvelle stratégie susceptible de faciliter les échanges commerciaux et d'améliorer notre compétitivité. Peut-être que tout le monde devra mettre de l'eau dans son vin et redonner quelque chose au consommateur.
Le sénateur Greene : Oui, je suis d'accord avec vous. Nous avons les frais aéroportuaires les plus élevés au monde, je crois, ce qui empêche beaucoup de nos aéroports de devenir de vraies plaques tournantes régionales.
M. Emerson : Exactement.
Le sénateur Greene : À ce sujet, avez-vous consulté les ententes de type ciel ouvert?
M. Emerson : Oui.
Le sénateur Greene : Et qu'est-ce que vous en avez conclu?
M. Emerson : Nos recommandations sont très vigoureuses. Pour l'essentiel, nous recommandons que le Canada se montre plus combatif dans le cadre des accords de type ciel ouvert ou des ententes aériennes bilatérales. Au cours de nos consultations, on nous a dit que les négociations aériennes ont trop à voir avec ce qu'on peut faire pour les transporteurs canadiens dominants plutôt que pour les consommateurs canadiens et l'économie canadienne.
Je voudrais vous parler d'un exemple, mais je ne veux pas qu'il soit considéré hors contexte. Pendant quelques années, il y a eu des tensions avec la compagnie Emirates, et peut-être avec Qatar Airways, parce que le Canada refusait de leur donner suffisamment de droits pour qu'ils puissent offrir un service quotidien sur plusieurs marchés.
Ce que cela a finalement donné à Vancouver, c'est que la compagnie Emirates est devenue une entreprise en pleine expansion et que les habitants de la Colombie-Britannique vont à Seattle sur les ailes d'Emirates. Delta a une plaque tournante à partir de Seattle, et, si on considère la porte de l'Asie-Pacifique et la position de Vancouver, Seattle devient une menace très réelle. Si on fait le voyage de Chine, de Taiwan, de Corée ou du Japon en direction des États-Unis, pourquoi passer deux frontières quand ce n'est pas nécessaire?
Il y a un risque réel ici. Seattle prend de l'expansion et se développe aussi bien du côté maritime que du côté aérien, de sorte que sa compétitivité devient beaucoup plus menaçante. Quand la menace sera telle que les chiffres commenceront à ressembler à une hémorragie, il sera probablement trop tard.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Emerson, je partage le point de vue de mes collègues. Votre rapport est très étoffé et très pertinent, et je suis convaincu qu'il nous sera très utile pour notre étude.
L'un des problèmes liés à la voie maritime est la gestion des eaux. Nous savons qu'il y a une baisse du niveau de l'eau depuis environ deux décennies, ce qui a empêché, dans certains cas, certains vaisseaux d'utiliser la voie maritime. Les changements climatiques poseront donc un défi et une contrainte majeure à l'avenir.
En parallèle avec l'usage de la voie maritime, est-ce que vous avez fait une étude sur la voie maritime du nord? On entend beaucoup parler du fait que, éventuellement, à cause de la fonte des glaces du Grand Nord canadien, l'une des voies qui feraient compétition, par exemple, au canal de Panama, surtout pour l'Europe du Nord, serait la voie maritime nordique.
Avez-vous fait une étude sur ce trajet, monsieur Emerson?
[Traduction]
M. Emerson : Certains de mes collègues ont passé pas mal de temps dans le Nord. Une grande partie du rapport concerne les problèmes maritimes dans le Nord, par exemple le manque de cartes marines, l'infrastructure insuffisante pour le ravitaillement terrestre et le manque de services de pilotage. Nous avons souligné la nécessité d'une politique de pilotage dans les eaux couvertes de glace du Nord.
Nous avons recommandé un certain nombre de mesures pour consolider notre présence dans le Nord et pour renforcer la sécurité et l'efficacité de la navigation parce que les fonds marins de cette région n'ont pas été suffisamment cartographiés.
Dans les voies navigables du Sud, le dragage est un problème depuis plusieurs années. Là aussi, la question transcende les gouvernements parce que le gouvernement du Canada a, dans le cadre de ses programmes de restriction et ses mesures de réduction des dépenses publiques, fait porter la responsabilité de ces activités aux autorités locales et au secteur privé. À dire vrai, je pense que le gouvernement du Canada a l'obligation et la responsabilité d'entretenir ces voies navigables.
Si vous allez à New York et dans le New Jersey, vous verrez qu'ils sont constamment en train de draguer ces zones. C'est effectivement une responsabilité gouvernementale, et je pense que c'est une erreur de s'en décharger sur les autorités locales, parce qu'il s'agit de voies navigables qui nous relient au réseau global. Si ces activités ne sont pas systématiques, on aura un problème.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous parlez de dragage et vous m'ouvrez une porte, parce que j'ai travaillé 10 ans au ministère de l'Environnement du Québec comme cadre supérieur. Or, lorsqu'on parlait de dragage, on avait beaucoup de pression, soit par rapport à la réglementation ou par rapport aux groupes d'écologistes qui percevaient le dragage comme une atteinte à l'environnement.
J'essaie de comprendre. Entre investir en faveur d'une voie nordique ou en faveur du dragage, quelle serait, pour vous, l'approche la plus réaliste?
[Traduction]
M. Emerson : Je suis sûr qu'il existe des techniques de dragage respectueuses de l'environnement, mais je suis sûr aussi qu'aucune ne peut avoir d'impact zéro sur l'environnement, ne serait-ce qu'en termes d'envasement, et cetera. Nous ne sommes pas entrés dans le détail des méthodes de dragage les plus susceptibles de minimiser l'impact sur l'environnement.
La glace est en train de fondre dans le Nord, le permafrost aussi, et les problèmes de construction deviennent un enjeu important, qu'il s'agisse de routes, de ports ou d'installations aéroportuaires. On ne peut guère compter sur le secteur privé. C'est le gouvernement qui devra s'en charger. Les territoires n'ont pas assez d'argent, et c'est donc au gouvernement du Canada de prendre les devants et de financer plus largement la construction, la réglementation, l'établissement de cartes marines et le déglaçage dans le Nord. Si on envisage tout l'éventail des activités et projets nécessaires dans le Nord, on comprend qu'on est devant un énorme défi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Al-Katib, l'image du chemin de fer dans l'Ouest canadien est liée au transport des grains et du blé, historiquement parlant.
Y a-t-il eu, depuis quelques décennies, une réelle transformation de l'usage du chemin de fer? Y a-t-il eu l'arrivée d'une compétition entre l'agriculture et d'autres secteurs, tels que les ressources, qui ferait en sorte que l'un ou l'autre des deux secteurs est pénalisé par cette compétition récente quant à l'usage du chemin de fer?
[Traduction]
M. Al-Katib : Concernant la compétitivité ou la transformation qui s'est produite, disons que le secteur de la potasse est intéressant, parce qu'il s'est trouvé dans une situation où la production minière a augmenté considérablement. Il s'est rendu compte qu'il fallait pouvoir compter sur une infrastructure de transport beaucoup plus développé, et, en partenariat avec le Canadien National et CP, il s'est transformé en projet de chaîne d'approvisionnement modèle, où les mines sont aptes à stocker suffisamment de réserves et à répondre à une brusque augmentation de la demande et où il dispose d'une flotte privée de wagons-trémies et de terminaux portuaires extrêmement efficaces.
Dans un environnement entièrement réglementé par des accords commerciaux, et non par le type de réglementation auquel le secteur des céréales est assujetti avec les revenus admissibles maximaux, ce secteur a réussi à innover considérablement dans le domaine des chemins de fer et, chacun a tiré des avantages de ce qu'il avait mis en jeu.
Quand on examine la transformation du contexte des 10 dernières années, on peut voir que certains secteurs ont bougé plus rapidement, mais que des secteurs comme l'agriculture ont encore beaucoup de problèmes. Il y a énormément de points de livraison. Quand on construit une mine, la production est très prévisible. On peut commencer et cesser la production selon les besoins, alors que la production agricole dépend de la pluie et du beau temps.
C'est en tenant compte de ces facteurs qu'il faut envisager d'imposer une réglementation du secteur des céréales et donner obligatoirement la priorité aux céréales par rapport à d'autres marchandises. Je crois que la vision à long terme est une erreur dans ce cas. En fin de compte, c'est un réseau. On n'a pas de réseau agricole, de réseau de la potasse, de réseau d'exploitation forestière à recomposer. Il y a par contre un réseau ferroviaire à optimiser pour le rendement du système.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut inciter tous les secteurs d'activité à utiliser tous les ports disponibles et il faut améliorer notre aptitude à commercialiser nos produits tout au long de l'année et pas seulement durant quatre mois où tout est engouffré dans le système. On ne peut pas fonctionner comme cela.
Regardez ailleurs dans le monde, les autres marchés font bien mieux. En Australie, on commercialise les récoltes toute l'année. J'ai aussi quatre usines en Australie, donc je peux vous dire, d'expérience, que les acheteurs étrangers sont disposés à commander des produits australiens six mois à l'avance, alors que, au Canada, ils veulent un marché « instantané ». Nous avons accepté cette situation. J'ai invité mes collègues de notre secteur d'activité à mieux commercialiser nos produits. Je pense que c'est en train de changer.
Le sénateur Black : Merci beaucoup.
Pour faire suite aux remarques de mes collègues, j'aurais quelques petites questions. Je crois qu'on dit « Visez le sommet ». M. Emerson et moi-même nous en souvenons.
La semaine dernière, à Calgary, le chef de la direction d'Air Canada parlait de ses préoccupations concernant les frais aéroportuaires et d'autres entraves à la compétitivité des aéroports canadiens. Monsieur Emerson, quel est le risque, d'après vous, pour les consommateurs canadiens et, bien sûr, pour les entreprises canadiennes, si le gouvernement du Canada ne règle pas ces problèmes?
Le sénateur Runciman : Vous avez recommandé l'application de frais à la tonne sur les expéditions de marchandises dangereuses, et je pense que c'est ce qu'on a fait pour le pétrole brut après l'accident de Lac-Mégantic.
Vous avez recommandé un certain nombre d'autres mesures, et j'aurais tendance à penser, moi aussi, que cela devrait être fonction des risques. Je sais que vous avez mentionné, entre autres, l'ammoniaque. J'ai fait un jour l'expérience d'être pris dans un nuage d'ammoniaque et de penser sérieusement à sauter du deuxième étage d'un immeuble avant de trouver une poche d'air. Je pense donc que le danger que poserait une citerne d'ammoniaque fissurée en plein milieu d'une zone résidentielle très peuplée est beaucoup plus grave.
Je peux comprendre les réactions à l'accident de Lac-Mégantic, c'est une affreuse tragédie, mais il y a d'autres marchandises plus dangereuses transportées par chemin de fer auxquelles le gouvernement devrait appliquer le même genre de normes. Cela améliore la situation du point de vue des coûts de formation des premiers répondants et cela développe cette réserve de ressources pour réagir en cas d'accident.
Le président : Je tiens à vous féliciter. C'est l'une des meilleures réunions que nous ayons eue depuis longtemps.
M. Emerson : Je voudrais parler des frais d'Air Canada. Je pense effectivement que c'est un risque. Si on revient à mon exemple de Vancouver et de la concurrence de la compagnie Emirates à partir de Seattle, il y aura de plus en plus de détournements de consommateurs vers d'autres transporteurs qui ne peuvent pas entrer sur le marché canadien, et cela finira par faire du tort à Air Canada.
Si je me souviens bien, durant nos consultations, le chef de la direction d'Air Canada a exprimé ce qui, je crois, est un point de vue très limpide sur la nécessité d'engager la compagnie de façon plus large sur le marché international. Si on lit entre les lignes, je pense que cela veut dire qu'il faudra être plus vigoureux dans les négociations bilatérales et autres ententes sur le transport aérien.
Je vais passer la parole à M. Al-Katib, qui va vous parler des marchandises dangereuses.
M. Al-Katib : Pour ce qui est des marchandises dangereuses, nous avons examiné les frais à la tonne et une idée de mise en commun permettant de reconnaître que ces marchandises, dans bien des cas, doivent être transportées. Elles représentent des intrants dans des procédés de fabrication et d'autres choses. Donc, si on examine les choses du point de vue des risques, je suis d'accord pour dire que nous avons besoin d'un système qui permette aux collectivités de savoir où leurs premiers répondants doivent être formés, et tout cela doit être pris en compte.
À long terme, nous avons besoin de nous éloigner des centres urbains. Dans le cadre de beaucoup de projets, les camions contournent les collectivités pour éviter les encombrements et faciliter la vie des consommateurs et des conducteurs, mais on ne parle pas de la nécessité de ce genre de couloirs.
Dans les systèmes de tarification des utilisateurs, autrement dit quand l'expéditeur doit régler les frais de transport, on a un équilibre. Les sociétés ferroviaires sont des transporteurs publics sous réglementation. Elles ont l'obligation de transporter, mais est-ce qu'elles doivent assumer toute la responsabilité du transport de ces marchandises?
Le système que nous recommandons permettrait de mettre les choses en commun dans une certaine mesure et de transporter ces marchandises selon un système de partage de la responsabilité des risques.
Le président : Dernières remarques?
M. Emerson : Je voudrais terminer en vous remerciant de vos questions très intéressantes et de cet échange fructueux. C'était très agréable.
Il y a eu des questions sur la gouvernance des aéroports, mais pas sur les problèmes de gouvernance et de réglementation. Je pense qu'un des gros problèmes que le gouvernement doit régler est le mandat de l'Office des transports du Canada. L'office a le pouvoir de traiter une plainte à la fois, provenant d'un seul plaignant et concernant un seul fournisseur de services. Il n'a pas pour mandat d'anticiper en procédant à des enquêtes et des analyses qui permettraient de circonscrire des problèmes systémiques. Il ne peut pas, disons si la plainte concerne Air Canada ou Westjet, appliquer une solution à l'échelle systémique.
Je pense qu'il faut sérieusement songer à redonner du pouvoir à l'OTC pour qu'il puisse aborder les problèmes d'un point de vue systémique et qu'il ait accès à beaucoup plus d'information en temps réel, un peu comme le Surface Transportation Board des États-Unis. Je pense que la perspective axée sur le marché, adoptée par nos gouvernements successifs en matière de réglementation des transports, est allée un peu trop loin en termes de capacité de réglementation. Je pense qu'il est temps de trouver le moyen de consolider l'OTC.
Quand les consommateurs sont captifs et quand il y a déséquilibre de pouvoir dans un système, on n'a plus d'autre choix que de faire intervenir un organisme gouvernemental. Je pense que l'OTC doit être consolidé et jouir d'un pouvoir accru pour qu'il puisse régler plus efficacement les problèmes systémiques.
Le président : Merci, monsieur Emerson. Comme l'a dit mon collègue, le sénateur Mercer, il y a matière à réflexion plus approfondie.
Je tiens à remercier MM. Emerson et Al-Katib de leurs observations.
Demain, nous entendrons Ken Coates, collaborateur émérite dans les dossiers des Autochtones et du Nord canadien, de l'Institut Macdonald-Laurier.
(La séance est levée.)