Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 4 - Témoignages du 14 juin 2016
OTTAWA, le mardi 14 juin 2016
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.
Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, ce matin, le comité poursuit son étude de l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.
Aujourd'hui, la séance se divise en deux parties. Au cours de la première heure, nous entendrons une chercheure de l'Université d'Ottawa et, pendant la deuxième, un représentant de l'Assemblée des Premières Nations.
Le premier témoin est Monica Gattinger, de l'École d'études politiques à l'Université d'Ottawa. Elle dirige également l'Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique. Son champ de compétence englobe la politique énergétique et la gouvernance.
Ces derniers jours, nous avons dû modifier notre programme, et je tiens à remercier Mme Gattinger de son obligeance à cet égard. Je l'invite à présenter son exposé. Les honorables sénateurs auront ensuite des questions à lui poser.
Monica Gattinger, professeure agrégée, École d'études politiques, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci. Comme on l'a dit, je dirige l'Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique. Je préside aussi à l'université une initiative, Énergie positive, dont je parlerai dans un instant.
Comme directrice de l'Institut, je dirai qu'un de ses domaines de compétence et d'intérêt est la prise de décisions fondées sur des faits probants, et je félicite le comité sénatorial d'avoir entrepris cette étude très importante pour examiner les faits relatifs à ces enjeux clés pour l'avenir énergétique du Canada.
C'est un honneur de comparaître. Merci beaucoup de cette invitation. Je ferai mon exposé en anglais.
[Français]
Si vous avez des questions en français, je serai heureuse d'y répondre dans la langue de votre choix.
[Traduction]
La présentation s'intitule, comme vous l'avez vu, « Confiance du public dans le développement de l'énergie au Canada : Évidences, moteurs et cibles faciles. » Et elle a en anglais un sous-titre inhabituel : « Elephants, Horses and Sitting Ducks ». Je reviendrai dans un instant sur ce sous-titre qui s'inspire d'une métaphore relevée dans nos recherches, et qui est utile à la réflexion sur certains enjeux qui se rapportent à la confiance du public dans le développement de l'énergie.
Le contexte de la présentation est le projet Énergie positive, dont je vais parler dans un moment, après quoi je vais aborder directement la question de la confiance du public en examinant certains des facteurs qui jouent sur cette confiance avant de commencer à réfléchir à un diagnostic. Pourquoi des difficultés apparaissent-elles sous forme d'opposition sociale au développement de l'énergie? Et c'est là qu'intervient la métaphore animalière des éléphants, des chevaux et des canards. Je terminerai en proposant quelques idées pour renforcer la confiance du public.
Énergie positive est une initiative de l'Université d'Ottawa qui met à profit le pouvoir mobilisateur de l'université pour réunir des joueurs clés dans le secteur énergétique afin de renforcer la confiance du public, et ces joueurs, ce sont les autorités responsables des politiques, les organismes de réglementation, l'industrie, des ONG environnementales, des groupes autochtones et le milieu universitaire. Mais nous ne faisons pas que convoquer ces joueurs. Nous allons plus loin, car nous utilisons aussi les résultats de la recherche appliquée axée sur les solutions pour informer le dialogue et l'action.
Mon exposé d'aujourd'hui s'inspire d'un document-cadre que je suis en train de rédiger sur la confiance du public. Il sera publié dans les prochaines semaines. Essentiellement, ce document vise à établir des liens pour relever le défi de la confiance du public dans le développement de l'énergie. Il fait appel aux recherches réalisées jusqu'à maintenant et à celles qu'entreprennent diverses organisations actives dans cette sphère. Un résumé de ce document, une version abrégée, a servi de document de travail la semaine dernière à Winnipeg, à la veille de la Conférence des ministres de l'Énergie et des Mines.
Le grand message, mon grand message d'aujourd'hui, c'est que la confiance du public, le renforcement de la confiance du public dans le développement de l'énergie, sont un défi qui présente de nombreux aspects. L'écheveau est complexe, les éléments sont mobiles et il existe un besoin vraiment important et très étendu de collaboration et de coordination entre l'action des gouvernements, la politique et la réglementation.
Qu'est-ce qui motive la confiance du public? J'en suis à la cinquième diapositive. Trois facteurs principaux influencent la confiance du public et ont une incidence sur elle. Les gouvernements, les politiques et la réglementation, bien sûr, mais aussi l'industrie et notamment sa performance dans le secteur énergétique et, enfin, la société. Les gens se tournent vers le discours des ONG sur le développement énergétique. Quelles sont les réactions des collectivités locales ou autochtones au développement de l'énergie? Et bien entendu, les gens écoutent ce que disent leurs amis et réfléchissent à la faveur de leurs discussions avec leurs amis et voisins, lorsqu'il s'agit d'établir leur niveau de confiance dans le développement de l'énergie.
À la sixième diapositive, nous nous intéressons au diagnostic. Pourquoi observons-nous ces derniers temps une opposition aussi vive au développement de l'énergie? Il importe de souligner que cette opposition ne vise pas exclusivement les combustibles fossiles. Certes, les pipelines et l'exploitation pétrolière et gazière sont souvent des éléments déclencheurs de l'opposition sociale au développement énergétique, mais des projets d'exploitation des énergies renouvelables sont également ciblés. Les grands aménagements hydroélectriques et les parcs d'éoliennes ont récemment donné lieu dans bien des cas à une opposition sociale.
Au cours de la présentation, nous verrons un certain nombre de facteurs imbriqués qui nous aident à comprendre l'opposition sociale et la perte de confiance du public dans le développement de l'énergie.
Dans le cercle de l'extérieur se trouve le changement de la société et des valeurs. Ce changement touche tous les secteurs, mais il a certainement un impact sur le développement de l'énergie. En passant dans le cercle énergétique, nous pouvons voir les lacunes des politiques, dont je parlerai dans un instant. Les pouvoirs publics, qu'il s'agisse des décideurs ou des autorités qui réglementent l'énergie, réagissent à ces lacunes. Enfin, il y a, bien sûr, les pratiques des promoteurs de projet.
Au cours de mon exposé, je vais en rester aux trois premiers cercles : le changement de la société et des valeurs, les lacunes des politiques et les réactions des pouvoirs publics.
Et voici où intervient la métaphore animalière. J'en suis à la septième diapositive, qui porte sur le changement de la société et des valeurs. Il faut se représenter ces enjeux comme des chevaux qui ont quitté l'écurie. Des changements fondamentaux sont survenus dans la société et dans les valeurs sociales au cours de l'après-guerre. J'en signalerai cinq qui ont une grande incidence sur la confiance du public dans le développement de l'énergie.
Dans les démocraties industrialisées de l'Occident, nous observons une diminution de la confiance envers les institutions, qu'il s'agisse des gouvernements ou de l'industrie et un moins grand respect pour l'autorité et les experts. L'une des conséquences, c'est qu'on fait moins confiance aux faits, qu'ils soient présentés par les gouvernements ou des organismes regroupant des scientifiques spécialisés, par exemple. Moins de confiance dans les faits, donc. C'est là une difficulté pour le développement de l'énergie.
Deuxièmement, on souhaite une plus grande participation du public à la prise des décisions. Les citoyens veulent avoir leur mot à dire dans les décisions qui les touchent, mais l'une des conséquences, ce sont des tensions plus vives entre la démocratie participative et la démocratie représentative, la première étant celle où les gens veulent participer aux décisions dont les conséquences les touchent et la deuxième celle où des représentants élus finissent par devoir prendre les décisions.
Troisièmement, nous observons une évolution qui tend à substituer les valeurs individuelles aux valeurs communautaires. On se préoccupe de plus en plus du niveau de l'individu plutôt que de celui de la localité, de la région ou de la nation. L'une des conséquences, c'est que les appels à l'intérêt national sont de moins en moins efficaces.
Quatrièmement, des valeurs qu'on peut concevoir comme hostiles aux sociétés s'affirment davantage. On fait donc moins confiance aux grandes entreprises et on préfère souvent les projets modestes au niveau local aux projets d'envergure proposés par les « grandes sociétés ».
Enfin, il y a une diminution de la tolérance au risque. On fait donc moins confiance aux gouvernements ou à l'industrie pour cerner correctement les risques du développement de l'énergie et les atténuer.
En somme, nous ne sommes plus dans le Kansas des années 1950. Cette époque-là est bien révolue. Le changement de la société et des valeurs est une nouvelle réalité pour la prise de décisions en matière énergétique.
Que dire des éléphants? Que représentent-ils dans cette métaphore? Ce sont les lacunes des politiques qui ont un impact sur la confiance du public dans le développement de l'énergie. Dans le document, nous utilisons cette métaphore pour dire que, sur bien des plans, il y a des évidences dont personne ne parle. Je vais en énumérer trois.
La première, ce sont les changements climatiques. En l'absence, aux yeux de bien des gens, d'une évolution conséquente et de tribunes satisfaisantes pour s'attaquer aux changements climatiques, nous commençons à voir une opposition plus intense à des projets énergétiques individuels pour des raisons qui tiennent plus à la politique sur les changements climatiques qu'aux projets eux-mêmes.
La deuxième, ce sont la réconciliation et les préoccupations des Autochtones à l'égard du développement de l'énergie. Comme nous le savons, un grand nombre de ces questions débordent largement le secteur de l'énergie. Il y a l'approvisionnement en eau potable, les logements convenables, l'éducation, les femmes autochtones disparues ou assassinées. Nombre de ces problèmes se retrouvent mêlés à des propositions de projets énergétiques.
Enfin, il n'y a pas de mécanismes qui permettent de tenir compte des effets cumulatifs des projets énergétiques successifs ou de faire une planification régionale autour des projets. Un grand nombre de ces lacunes des politiques sont exacerbées par les cloisonnements à l'intérieur des gouvernements et entre eux. C'est pourquoi j'ai parlé en début d'exposé d'un appel à une plus grande coordination entre les gouvernements.
Quel est l'impact? C'est là qu'interviennent les cibles faciles, les canards. Dans ce contexte de changement de la société et des valeurs, et des lacunes des politiques, les processus de prise des décisions en matière énergétique ont été, à un certain niveau, des cibles faciles. Comme on peut le voir sur la neuvième diapositive, beaucoup de ces questions de politique non réglées commencent à jouer dans le processus de réglementation de diverses propositions de projet énergétique. Certaines des réactions des pouvoirs publics à cet égard, qu'il s'agisse d'essayer de réduire la participation citoyenne aux processus de réglementation ou d'abréger la durée de ces processus, ont pour effet de miner davantage la confiance du public.
Que faire dans ce contexte? C'est là-dessus que la présentation va se conclure.
Je voudrais signaler quatre éléments principaux. Le premier est d'accepter les chevaux, c'est-à-dire les moteurs de changement, d'accepter que le changement de la société et des valeurs signifie que nous sommes aujourd'hui dans un contexte fort différent, pour le développement de l'énergie, de celui des années 1950, par exemple. Dans le secteur des pipelines, la dernière fois que nous avons eu autant de propositions de pipelines importants, soit à l'état de projet, soit à l'étude devant les organismes de réglementation, c'est dans les années 1950. À l'époque, une commission royale a été chargée d'étudier les moyens de gérer ces diverses questions. Mais nous nous retrouvons en 2016, dans un contexte très différent à cause du changement de la société et des valeurs. Impossible de revenir en arrière. Nous devons réfléchir sérieusement à la façon d'aborder la question énergétique dans ce contexte.
Deuxièmement, il faut amadouer les éléphants. Il y a un certain nombre de lacunes dans les politiques que les gouvernements feraient bien de combler, notamment, comme je l'ai déjà dit, en matière de changements climatiques et de réconciliation, et concernant les effets cumulatifs et régionaux de l'exploitation des ressources énergétiques.
Troisièmement, les canards, les cibles faciles. Il faut les rendre moins faciles. Comment pouvons-nous renforcer les processus de prise des décisions et accroître la confiance à l'égard de la prise des décisions en matière énergétique? Et il ne s'agit pas seulement de la teneur des décisions. Il faut aussi veiller à ce qu'elles soient prises d'une façon qui semble équitable, à ce qu'elles soient fondées sur les meilleures données disponibles. Il faut encore mettre l'accent sur le processus de prise des décisions en matière énergétique, en veillant à ce qu'il y ait un accès pour ceux qui veulent y participer et à ce que l'information soit disponible pour ceux qui s'y intéressent, qu'il s'agisse de particuliers, de groupes ou de collectivités. Il faut qu'ils puissent participer à la prise de décisions et il faut que les processus soient perçus comme représentatifs.
Je terminerai en disant que je suis d'un optimisme prudent. Je crois qu'une occasion extraordinaire s'offre au Canada pour passer à la fine pointe dans ce domaine. Notre démocratie est aux prises avec ces défis, comme beaucoup d'autres démocraties industrialisées de l'Occident qui sont dotées de riches ressources naturelles. Le Canada a une possibilité très réelle de réfléchir sérieusement à la façon de prendre les décisions en matière énergétique au XXIe siècle.
Le vice-président : Merci de votre exposé, professeure. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Doyle : Merci de votre exposé, qui était très intéressant.
Au cours de ses audiences, le comité a entendu parler bien des fois de permis social pour les projets de pipeline. Selon l'interlocuteur avec qui on discute, cette notion peut vouloir dire n'importe quoi, comme des consultations véritables avec des groupes intéressés et touchés qui peuvent fort bien avoir un droit de veto à l'égard d'un projet. Et au milieu de tout ça, il y a les intérêts nationaux. À votre avis, y a-t-il un lien étroit entre ces deux notions? S'excluent-elles mutuellement?
Mme Gattinger : Merci beaucoup de la question.
Dans les milieux de l'énergie, on a beaucoup discuté de l'utilité, de la valeur, du caractère approprié de la notion de permis social. Il est important de reconnaître que cette notion a émergé dans le secteur minier; il s'agissait d'un permis d'exploiter, et il s'appliquait et s'applique toujours exclusivement aux minières en particulier et à leurs activités dans le cadre d'un projet donné.
Certains des défis du domaine énergétique devenant plus évidents, des gens ont cherché une notion qui nous aiderait à penser ces problèmes et on a fini par appliquer cette idée de permis social ou d'acceptabilité sociale au secteur énergétique également. À mon avis, son application dans ce secteur ne s'est pas nécessairement faite de façon utile à la tenue d'échanges productifs au sujet de ces défis parce que, au lieu de l'appliquer exclusivement aux pratiques d'une société donnée, on en a étendu l'application à l'ensemble des processus de prise de décisions, aux décideurs et aux responsables de la réglementation.
Poussée à l'extrême, cette notion donne précisément les résultats dont vous avez parlé, sénateur. Je vous remercie de la question. On pourrait envisager cette idée comme une façon d'accorder un veto à toute personne ou à tout groupe qui s'oppose à un projet énergétique particulier. Je ne crois pas que nous devions nous engager dans cette voie. Ce à quoi nous devons réfléchir, dans un contexte démocratique, c'est aux moyens d'équilibrer la démocratie participative, avec la participation citoyenne, et la démocratie représentative, où les gouvernements, qu'il s'agisse d'organismes de réglementation ou d'hommes et de femmes politiques, doivent prendre des décisions.
Nos efforts doivent viser surtout à renforcer la confiance dans le processus de prise des décisions en matière d'énergie. Dans nos travaux, nous avons très consciemment exclu la notion de permis social précisément pour cette raison. Nous avons parlé soit de la confiance du public, comme je l'ai fait aujourd'hui, ou de l'acceptabilité sociale et du soutien pour l'énergie.
Le sénateur Doyle : Nous avons aussi entendu dire que certains projets de pipeline ont obtenu une adhésion considérable de groupes dans le territoire desquels un pipeline pourrait être installé. À votre avis ou selon votre expérience, qu'est-ce que l'adhésion? Cela comprend-il un partage des revenus provenant des ressources et des emplois liés au pipeline ou même des consultations longtemps après l'achèvement de l'infrastructure?
Mme Gattinger : Cela se rapporte encore tout à fait à ce que j'ai dit tout à l'heure dans mon exposé : le changement de la société et des valeurs et le fait que les individus veulent avoir leur mot à dire dans les décisions qui les touchent et le fait que l'intérêt est axé sur le niveau local.
Pour ces grands projets d'infrastructure linéaire, il est très important de penser non seulement à l'aspect que prennent les processus de prise des décisions sur ces projets, en donnant aux personnes en cause de bonnes occasions de participer, en veillant à ce que le public fasse confiance aux processus de décision, mais aussi de réfléchir sérieusement. Nous avons amorcé des travaux à ce sujet et nous essayons de voir la conception que nous pouvons nous faire de l'équité au XXIe siècle.
Aux États-Unis, certaines administrations qui exploitent le gaz de schiste avec un recours assez considérable à la fracturation hydraulique ont commencé à réfléchir à la façon de répartir les avantages et les coûts de l'exploitation de cette ressource pour que cette répartition soit perçue comme équitable non seulement au niveau de l'État, mais aussi au niveau local.
Dans certains cas, cela s'est traduit par l'attribution de taxes de séparation, qui sont en gros l'équivalent des redevances dans le contexte canadien, aux localités de façon très directe pour qu'elles puissent voir les avantages directs qu'elles tiraient de cette exploitation. Ce sont là certains des équilibres à chercher dans le contexte actuel.
La sénatrice Unger : Merci beaucoup de votre présentation, madame Gattinger. Je viens de l'Alberta, où les problèmes de cette nature ne manquent pas.
Je reviens à votre diapositive sur les facteurs qui motivent la confiance du public. Vous dites que l'industrie a un rôle à jouer. Que pensez-vous du comportement de l'industrie à cet égard? Je veux parler de l'industrie des hydrocarbures.
Mme Gattinger : Il serait difficile de donner une réponse générale à cette question. Comme vous le savez pertinemment, il y a beaucoup de sociétés différentes qui ont chacune leur culture, leur histoire et leurs pratiques propres.
L'un des défis qui se posent à nous actuellement — je n'en ai pas parlé dans mon exposé, mais il est important d'en prendre conscience —, c'est que, à cause de la « révolution du schiste », nous voyons les marchés de l'énergie en Amérique du Nord se transformer. Il y a des changements dans les modes de production, les orientations, les destinations, les lieux de production et les lieux de consommation. Tout cela a entraîné d'importantes transformations dans l'infrastructure énergétique, pipelines compris.
Comme je l'ai dit il y a un instant, au Canada, il faut remonter aux années 1950 pour voir autant de propositions de grands pipelines en projet ou à l'étude dans les organismes de réglementation. Les pipelines attirent une attention qu'ils n'ont pas eue depuis bien des années et cela, je le répète, dans un contexte social fondamentalement transformé.
Comme je l'ai déjà dit, nous nous préoccupons de plus en plus des changements climatiques. C'est ainsi que beaucoup de projets de pipeline sont contestés non à cause des projets eux-mêmes, mais à cause des préoccupations pour le climat. Des pipelines passent, ou on propose de les faire passer, à des endroits où il n'y a jamais eu de pipeline — et, je le dis encore, dans un contexte où on se préoccupe davantage des droits des peuples autochtones et de la réconciliation avec eux.
L'industrie essaie de trouver comment elle doit fonctionner dans ce contexte très différent.
J'imagine que vous avez entendu des témoins vous dire, à propos de la performance du secteur des pipelines, que 99,999 p. 100 du temps — ajoutez autant de 9 que le secteur pipelinier peut en calculer —, l'industrie peut acheminer le produit en sécurité et sans aucun incident. Ce que nous remarquons, cependant, c'est que le moindre incident reçoit énormément d'attention.
L'industrie se débat avec ces problèmes et essaie de réfléchir aux moyens de relever le niveau de confiance dont elle jouit, là encore dans un contexte où le changement de la société et des valeurs est tel que les gens se rappellent plus souvent une fuite d'un pipeline que les 99,999 p. 100 du produit qui arrivent à destination sans incident.
La sénatrice Unger : Je dirai simplement, à propos de l'Alberta et des sables bitumineux, que plus de 1 700 Autochtones ont un emploi permanent dans l'exploitation de cette ressource. Au cours de 14 dernières années, des entreprises autochtones ont réalisé des gains de plus de 8 milliards de dollars grâce à leurs relations de travail avec ce secteur d'activité. En 2011 et en 2012, les sociétés qui exploitent les sables bitumineux ont apporté plus de 20 millions de dollars à des collectivités autochtones de la région. L'Alberta a extrêmement bien travaillé avec les Autochtones.
Mais ma question porte sur autre chose. Il s'agit de l'Office national de l'énergie. Dans un résumé du livre blanc dont vous avez été l'un des auteurs, une recommandation propose de modifier la Loi sur l'Office national de l'énergie pour faire en sorte que celui-ci ait toute liberté pour prendre les règlements appropriés et que son mandat et ses décisions aient la confiance du public. Je suis certainement d'accord. Pourriez-vous expliquer en quoi l'office est actuellement soumis à des contraintes et dire quelles modifications au juste vous estimez nécessaires pour le libérer de cette controverse?
Mme Gattinger : Je vous remercie des renseignements que vous me transmettez sur les collectivités autochtones et les avantages que de nombreuses collectivités autochtones tirent de l'exploitation des hydrocarbures. Nous entendons souvent parler des aspects négatifs et pas nécessairement des aspects positifs. Je vous en remercie donc.
En ce qui concerne le livre blanc, comme vous l'avez dit, et j'ai été l'un des auteurs d'un livre blanc sur le « permis social » dont la School of Public Policy de l'Université de Calgary a été le fer de lance. Il importe de signaler que le document a été l'œuvre de nombreux universitaires. Ce fut une expérience passionnante, mais je crois qu'il est précisé dans le document que ce n'est pas une œuvre de consensus. Comme pour de nombreux enjeux, dont celui-ci, il y a bien des niveaux de débat sur le bon diagnostic et sur les remèdes à apporter. Je tenais à faire cette mise en garde relativement longue pour bien préciser que ce que je vais vous dire correspond à mon opinion personnelle et que cela ne reflète pas nécessairement celles des autres universitaires qui ont contribué à la rédaction du document.
Pour revenir encore à l'exposé que je viens de faire, l'une des raisons pour lesquelles le processus de réglementation attire tellement d'attention et suscite tellement la controverse tient moins à la réglementation et aux règlements sur l'énergie en soi, qu'aux lacunes des politiques — à ces évidences dont j'ai parlé dans ma présentation. Il est important que, dans notre réflexion sur les modifications à apporter aux régimes de réglementation, notamment à l'ONE, nous nous efforcions de faire un diagnostic exact au lieu de nous concentrer exclusivement sur un domaine précis.
À mon avis, il faut apporter des modifications au régime de réglementation. Il est absolument essentiel de renforcer la confiance du public dans ce régime. C'est une condition nécessaire mais non suffisante lorsqu'il s'agit de renforcer la confiance du public dans la prise des décisions en matière énergétique, pour toutes les raisons que j'ai déjà énumérées il y a un moment.
Nous devons examiner de près la relation entre les décideurs et les responsables de la réglementation et, encore une fois, réaffirmer le rôle important que le processus de réglementation joue dans une évaluation des divers projets fondée sur des éléments probants, neutre, objective et faisant appel à des spécialistes. Cela pourrait fort bien dire qu'il faut réfléchir aux moyens de mieux assurer, dans ce processus, l'information, l'accès et la représentation.
Si nous ne tenons pas compte des évidences que personne ne veut voir, en ce qui concerne le renforcement de la confiance du public dans le développement de l'énergie, nous ne pourrons pas aller au-delà d'un certain stade dans les modifications du régime de réglementation.
Le sénateur Mercer : Merci de votre présentation, qui était très intéressante.
Je voudrais tirer au clair un terme que vous avez utilisé, car ceux qui suivent les délibérations ne le comprennent peut-être pas. Et je ne suis pas sûr de le comprendre moi-même. À propos du changement de la société et des valeurs sociales, vous avez parlé d'un passage des valeurs « communautaires » à des valeurs individuelles. Que veut dire « communautaire »?
Mme Gattinger : Une façon plus facile de le dire est « valeurs collectives ». Au lieu de penser à la société en général et à ses intérêts, nous avons commencé ces dernières années et ces dernières décennies à nous préoccuper davantage des intérêts individuels. C'est le point de mire, lorsqu'il s'agit de réfléchir au soutien pour un projet énergétique donné ou aux cadres de la politique énergétique. On accorde une attention beaucoup plus grande à l'individu et au niveau local plutôt qu'au groupe. Et le groupe, ce peut être la société, la région, la province ou le pays.
Le sénateur Mercer : L'un des problèmes que je perçois, c'est que nous n'abordons pas la question dans une perspective nationale. Dans ma province, la Nouvelle-Écosse, nous le faisons. Nous parlons d'y recevoir le pétrole et le gaz de l'Alberta et de la Saskatchewan. L'une des raisons principales, c'est qu'il faut acheminer le pétrole de ces deux provinces vers les côtes pour que nous puissions l'exporter à des prix supérieurs à celui que nous obtenons des Américains, puisque, évidemment, les Américains ont droit à un escompte. Voilà le problème.
Je passe à votre autre rubrique : que faut-il faire? Vous dites qu'il faut aider les cibles faciles, renforcer la confiance dans la prise des décisions en matière d'énergie, et vous ajoutez qu'il faut assurer l'équité, prendre des décisions fondées sur des données probantes et ainsi de suite. Comment peut-on s'y prendre?
Mme Gattinger : Voilà une question difficile. Merci de la poser.
Nous avons entrepris des sondages d'opinion. Comme vous le savez sans doute, lorsqu'on les interroge sur leur degré d'appui au développement énergétique, qu'il s'agisse de pétrole et de gaz ou d'énergies renouvelables, la majorité des Canadiens appuient l'exploitation du pétrole et du gaz, appuient l'exploitation des énergies renouvelables et appuient même un développement plus poussé dans ces secteurs, y compris celui du pétrole et du gaz. Ce que nous constatons, cependant, c'est que les Canadiens recherchent aussi un équilibre entre l'économie et le respect de l'environnement et se tournent notamment vers le gouvernement fédéral pour ce qui est des changements climatiques et des mesures à prendre pour les combattre.
Alors que ce niveau de soutien existe plus ou moins dans l'abstrait, il s'effondre parfois pour des propositions concrètes de projets. On dirait que les gens pensent avec deux parties différentes du cerveau. D'un côté, ils se préoccupent de l'intérêt du pays en général de façon quasi abstraite, de l'autre, lorsqu'ils sont en présence d'un projet qui aura un impact sur leur collectivité, que l'infrastructure la traverse ou y aboutisse, ils s'intéressent plus aux intérêts locaux et individuels.
Au niveau national, nous devons réfléchir aux moyens de mettre en place un cadre qui inspire confiance et qui donne des résultats pour l'économie et la société et l'environnement en général, mais qui soit aussi perçu comme équitable lorsqu'il s'agit de répartir les avantages et les coûts dans l'ensemble du pays. Je pense que les infrastructures linéaires, pour en revenir à la question énoncée par le sénateur Doyle en début de séance, sont particulièrement difficiles à cet égard, vu la répartition des coûts et avantages de ces projets. Comment se présente l'« équité » au XXIe siècle? Nous allons devoir y réfléchir sérieusement.
Le sénateur Mercer : Je comprends. Je crois au fond qu'un de nos problèmes, c'est que les Canadiens ne tiennent pas compte des retombées que les exportations de brut de l'Alberta et de la Saskatchewan peuvent avoir au centre de Toronto. Ils ont oublié la leçon d'économie qui dit que ce qui est bon pour l'Alberta est bon aussi pour Toronto.
Comment faire ressortir ce lien? La sénatrice Unger a essayé de mettre en évidence un lien avec la collectivité autochtone, dont nous entendrons des représentants un peu plus tard aujourd'hui. Nous devons montrer comment l'exportation du bitume de l'Alberta est bonne pour tout le monde au Canada. Comme nous le disons dans le Canada atlantique, la marée soulève tous les bateaux. Il s'agit ici d'une importante marée haute.
Mme Gattinger : Effectivement. Et dans ce contexte, il est d'autant plus important de trouver les causes du manque de confiance dans ces projets et les facteurs qui motivent l'opposition à ces projets. Les recherches que nous avons réalisées à ce jour donnent à penser — j'en ai parlé dans ma présentation, mais j'y reviens pour répondre à cette question — que différents facteurs motivent le soutien et l'opposition. Certains peuvent être de nature économique. Où est l'avantage pour ma collectivité? Oui, une leçon d'économie s'impose peut-être. Toutefois, d'autres préoccupations tiennent beaucoup plus à la façon dont les ressources sont exploitées et à l'impact sur l'environnement. Dans ce cas, il s'agit de l'exploitation du pétrole et du gaz, mais plus précisément du pétrole.
Pour en revenir aux données des sondages, nos recherches ont montré que les Canadiens ont l'assurance que le Canada peut exploiter ses ressources énergétiques dans le respect de l'environnement. Ce qui a manqué jusqu'à maintenant, c'est un plan. Comment allons-nous nous y prendre? Quel aspect cela prendra-t-il?
D'après les données que je connais de sondages réalisés par d'autres organisations, les Canadiens souhaitent une transition vers un avenir énergétique plus propre. Ils pensent peut-être que cette transition peut se faire plus rapidement que ce n'est le cas en réalité sur les plans économique et environnemental et du point de vue des marchés, par exemple. Néanmoins, si nous mettons en place une sorte de cadre qui montre aux Canadiens que leur pays évolue vers un avenir énergétique plus propre, les pressions qui s'exercent sur certains projets pourraient peut-être s'alléger.
Le sénateur Mercer : Si on accepte tout cela, à qui revient la responsabilité de bâtir la confiance des Canadiens.
Mme Gattinger : Je voudrais bien pouvoir dire qu'une entité unique peut le faire avec une relative facilité. Comme je l'ai dit au départ, le message principal de mon exposé, c'est que le renforcement de la confiance du public est un défi aux facettes multiples. Il faut beaucoup de collaboration et de coordination entre les gouvernements.
Une occasion propice se présente en ce moment, et je suis d'un optimisme prudent. C'est qu'un certain nombre de processus de prise de décisions se déroulent en ce moment. Il y a une réunion des premiers ministres sur le climat. C'est une excellente occasion de montrer que la position de notre pays évolue dans ce dossier important.
Nous avons la réunion du Conseil de la fédération qui porte sur l'élaboration d'une stratégie canadienne de l'énergie. Le gouvernement fédéral a été invité à s'associer à ce processus. Si tout cela peut déboucher, ce sera une merveilleuse occasion d'étudier l'aspect que prendra l'avenir énergétique du Canada.
Troisièmement, il y a le processus des ministres de l'Énergie et des Mines qui, cette année, met l'accent sur le thème principal de la confiance du public. C'est une occasion d'étudier les mesures qui peuvent se prendre pour renforcer la confiance à ce niveau de réglementation et les enjeux qui relèvent des mandats des ministres de l'Énergie et des Mines.
Tout cela pour dire que de multiples acteurs doivent travailler de concert, de façon stratégique et coordonnée.
Le sénateur Runciman : Dans le cadre de ce processus, il est agréable d'entendre que vous êtes prudemment optimiste, car je ne le suis pas. Pourriez-vous parler des conséquences de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones? Il y a un ou deux éléments que j'ai remarqués.
Voici une note qui ne remonte pas très loin dans le temps. C'était ce mois-ci.
[...] 130 Premières Nations, sous la conduite de l'Alliance Yinka Dene, ont signé la déclaration Sauvez le Fraser en Colombie-Britannique, s'opposant directement au pipeline Northern Gateway [...] « Les pipelines sont exclus, a déclaré Stuart Phillip, grand chef de l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique... »
Il a été arrêté relativement au projet du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan.
Puis, l'ONE a approuvé le doublement du pipeline Trans Mountain, qui existe déjà. Automatiquement, les gens s'indignent, y compris le maire de Vancouver, qui est venu à Ottawa la semaine dernière pour demander au gouvernement de ne pas approuver ce pipeline, même s'il a été approuvé par l'ONE, qui a imposé à l'entreprise plus d'une centaine de conditions, je crois.
Je vous demande donc d'abord votre réaction à la Déclaration des Nations Unies et à la résistance apparemment sans compromis de tant de membres des collectivités autochtones. Ensuite, je voudrais aborder une autre question avec vous.
Mme Gattinger : Cet optimisme prudent tient en partie à ma personnalité, peut-être.
Cela dit, il est certain que la tâche sera difficile. Il ne fait pas de doute qu'il y a divers défis à relever. Certaines des lacunes des politiques dont j'ai parlé à propos du climat de la réconciliation, des effets cumulatifs et de la planification régionale sont vraiment difficiles à aborder.
Il reste à voir comment le gouvernement appliquera la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Pour en revenir à une observation liminaire du sénateur Doyle, l'une des questions qui se posent est la suivante : sera-t-elle appliquée de façon à conférer un veto aux peuples autochtones? Dans l'affirmative, il pourrait être très difficile de réaliser l'ensemble de ces projets. Le gouvernement fédéral a du pain sur la planche s'il veut réfléchir aux modalités d'application de cette déclaration.
Quant aux enjeux plus généraux, il y a une occasion d'agir. C'est sûrement le cas dans les relations fédérales- provinciales. Après 1980 et le Programme énergétique national, il était relativement difficile pour les provinces de se réunir pour collaborer en matière d'énergie au lieu de se concurrencer et d'entretenir des conflits. Nous avons observé une importante évolution sur ce plan grâce à la Stratégie canadienne de l'énergie. Si le gouvernement fédéral peut s'y engager de façon productive, des avenues peuvent s'ouvrir, mais il faudra une réflexion importante et prudente au sujet des enjeux clés à aborder, des participants dont la présence s'impose, des secteurs où il risque d'y avoir des tensions entre la démocratie participative et la démocratie représentative et de la façon dont les gouvernements cerneront des points d'équilibre entre les tensions que nous observons de plus en plus.
Le sénateur Runciman : L'autre élément, et je suis sûr qu'il y en a bien d'autres qui me rendent peu optimiste, c'est l'opposition de tierces parties à tout développement dans le secteur de l'énergie, semble-t-il. Le maire de Vancouver s'est fait entendre haut et fort. Le maire de Montréal et d'autres maires qui se rallient à sa position ne veulent pas de pipeline qui traverserait le Québec, même si cette province importe du pétrole de pays qui ont des contrôles environnementaux atroces et un bilan terrible en matière de droits de la personne. Quoi qu'il en soit, c'est leur position.
Des organisations comme le Fonds mondial pour la nature et la Fondation Suzuki ne veulent rien savoir des ressources qui sont extraites du sol. Certaines d'entre elles sont bien financées, parfois par des fonds américains, ce qui est paradoxal, puisque les États-Unis nous ont devancés dans le développement du secteur énergétique, au point qu'ils exportent maintenant du pétrole.
De toute façon, j'ai fait valoir auprès de représentants de l'industrie qu'il faut une approche plus stratégique sur le plan économique également. Vous voyez les publicités. J'ai vu des messages à la télévision sur les impacts économiques larges pour le pays; et nous avons entendu ce genre de témoignage.
Nous avons entendu un témoin qui a parlé d'un ou deux éléments précis dont devraient s'occuper non seulement l'industrie, mais aussi des tiers, comme les chambres de commerce au Canada et les manufacturiers canadiens. Il a parlé d'Algoma Steel à Sault Ste. Marie, qui est sur les genoux, au plan de la production. Il a dit que deux usines de GNL en Colombie-Britannique, qui représenteraient la moitié d'une année de production de la sidérurgie, pourraient la secourir. Le gouvernement l'a déjà renflouée deux fois. Le témoin a parlé de plus d'une centaine d'entreprises au Québec qui dépendent du secteur énergétique.
J'ai demandé à ce témoin s'il était allé à Sault Ste. Marie. Cette région de l'Ontario est représentée par un ministre au Cabinet ontarien, et le gouvernement provincial n'a pas apporté un appui très enthousiaste. Êtes-vous allé là-bas et avez-vous discuté avec les gens de l'endroit pour qu'ils interviennent auprès de leurs députés provinciaux? Êtes-vous allé dans ces villes et localités québécoises? Il faut consentir ce genre d'effort également. On peut bien diffuser de grands messages à la télévision, mais les spectateurs sont pris par la partie de hockey ou autre chose, et le message passe inaperçu. Par contre, si on se rend dans une localité et qu'on dit aux gens qu'il y aura à l'avenir des emplois pour eux, leurs enfants et leurs petits-enfants, ce genre de message peut faire contrepoids aux autres enjeux dont nous avons discuté.
Il faut une approche plus stratégique afin de diffuser le message auprès des Canadiens à un niveau plus familier, si on peut dire, dans les ménages et les localités, au lieu de s'en tenir à des messages généraux. C'est une stratégie qu'il faudrait envisager. Il faut attirer les gens qui profiteront de ces infrastructures — les provinces et les localités —, mais je ne crois pas que cela se fasse encore.
Mme Gattinger : Merci beaucoup de ces observations sur lesquelles je suis en général tout à fait d'accord.
Il y a certainement une place pour des messages plus larges sur les retombées économiques. Bien des choses que nous observons dans nos recherches concordent exactement avec ce que vous dites : l'importance de l'engagement au niveau local et des liens à établir avec les gens là où ils vivent et travaillent et de la prise en compte des impacts des projets énergétiques et autres dans la vie quotidienne.
Il ne fait pas de doute non plus que le débat a eu tendance à être très polarisé. Si on considère les données des sondages d'opinion, on constate que la majorité des Canadiens ne se situent pas aux deux extrémités de la distribution, si on veut, dans ces débats polarisés. La majorité se situe au centre et elle attend de voir un plan quelconque qui leur dira comment le Canada envisage son avenir énergétique.
Il ne fait pas de doute que la question est épineuse, j'en conviens, et les éléments sont là. Nous devons aborder de façon coordonnée cet enjeu complexe. Il n'y a pas de solution magique.
Le sénateur Eggleton : Merci, madame Gattinger, de votre exposé, et merci d'avoir attiré notre attention sur la métaphore des éléphants, des chevaux et des canards.
Vous avez raison de dire que les gens cherchent un plan ou un cadre équilibré. Par exemple, si on veut être plus conciliant pour la construction de pipelines, il faut tenir compte du fait que les gens demandent à connaître le plan de lutte contre les changements climatiques, globalement, et ils veulent savoir comment nous allons réduire notre dépendance aux combustibles fossiles. Vous avez évoqué un large éventail d'enjeux et parlé de nombreux acteurs qui doivent intervenir dans tout ce dossier.
Quant au décloisonnement, il semble que le gouvernement fédéral, en consultation avec les provinces et territoires et avec l'industrie, devra faire beaucoup sur ce front s'il veut obtenir le soutien du grand public et l'amener à comprendre l'orientation que prendra toute cette question du point de vue du développement énergétique.
Je vais essayer de reprendre certains des éléments dont vous avez parlé et d'établir un lien avec ce qui se passe aux audiences de l'Office national de l'énergie. L'office tente de déterminer qui est le mieux placé pour défendre les divers intérêts en cause au cours de ses audiences. Peut-être proposez-vous quelque chose qui serait plus large. Faudrait-il que tous les Canadiens aient la possibilité de participer à l'audience? Évidemment, tout le monde ne peut pas être présent à la table ni siéger comme nous le faisons ici ou comme cela se passe aux séances de l'Office national de l'énergie, mais les médias sociaux et les nouvelles technologies offrent des moyens que nous pourrions utiliser à cet égard. Selon vous, comment l'Office national de l'énergie peut-il jouer un rôle à cet égard, puisqu'il aura un rôle à jouer dans l'attribution de permis et l'évaluation environnementale?
Mme Gattinger : À bien des égards, c'est la question du jour. Nous savons que le nouveau gouvernement fédéral a imposé un certain nombre de conditions et qu'il vient d'amorcer un nouveau processus de consultation après celui de l'ONE. C'est une question difficile. Si je le dis, c'est que l'office a été créé au départ dans la foulée de la Commission Borden, dans les années 1950. Il s'agissait tout à fait de dépolitiser la prise des décisions sur les projets énergétiques. C'est pourquoi nous avons mis sur pied des organes quasi judiciaires et indépendants de réglementation dans le secteur énergétique et dans d'autres secteurs. Les gouvernements établissent la politique générale — c'est-à-dire ce que nous allons faire au sujet des changements climatiques, de la réconciliation, des effets cumulatifs et ainsi de suite — et ils confient à un organisme de réglementation un mandat dans le cadre duquel il approuve, rejette ou approuve avec des conditions divers projets qui lui sont soumis.
L'approche que nous observons en ce moment m'inquiète un peu, je dois dire. Je peux comprendre que le gouvernement veuille donner aux Canadiens une plus grande possibilité de s'exprimer, de donner leur point de vue sur des projets particuliers et qu'il mette en place ces processus de consultation ultérieurs au travail de l'office. Toutefois, et nous verrons bien, si ceux qui participent à ces processus abordent des questions qui ne relèvent pas du mandat de l'office, comme le climat et la réconciliation, je ne vois pas très bien comment cela aidera le gouvernement à prendre une décision sur un projet énergétique donné.
En l'absence de politique générale qui traite de ces questions et dans le cadre de laquelle l'organisme de réglementation prend des décisions sur les projets particuliers, nous nous retrouvons avec un processus à mi-chemin entre la politique et la réglementation. Je vais présenter les choses de façon extrêmement radicale en prenant le climat comme exemple : je ne crois pas que ce soit une bonne idée pour le Canada d'élaborer un pipeline à la fois la politique sur les changements climatiques.
Le sénateur Eggleton : J'en déduis que vous avancez par là que les gouvernements fédéral et provinciaux et l'industrie doivent d'abord se donner une conception équilibrée de cette politique générale avant de s'intéresser aux détails précis de projets particuliers à l'Office national de l'énergie. Autrement dit, pensez-vous que nous avons mis la charrue avant les bœufs en nous précipitant pour consulter l'Office national de l'énergie sur des points très limités avant de nous être saisis de tous ces autres enjeux?
Mme Gattinger : Je ne crois pas que les gouvernements aient eu beaucoup le choix, étant donné le stade où en étaient les démarches concernant un certain nombre de propositions de projet. Cela dit, les gouvernements sont dans une position inconfortable. Il y a des délais à respecter pour certains projets, mais il faudra probablement plus de six mois pour s'y retrouver dans les très grandes lacunes des politiques concernant par exemple la réconciliation et le climat. Il y a des défis à relever de ce côté, assurément, mais je suis généralement d'accord sur la description que vous faites de la situation.
Le sénateur Greene : Merci beaucoup de votre présentation. J'ai raté la première partie, mais elle était excellente. J'aurais bien voulu être ici pour l'entendre, en fait, et ce n'est pas une chose que je dis chaque fois.
Comme vous, je suis d'un optimisme prudent devant l'ensemble du projet et à l'égard de ce que nous faisons. Si je le suis, c'est simplement parce que je crois que ce serait une erreur historique de ne pas acheminer le pétrole vers les côtes par des pipelines.
J'ai vraiment aimé votre expression « bâtir la confiance du public ». Je la préfère certes à celle de « permis social ». Si vous étiez chargée de bâtir la confiance du public, quelles sont, dans l'ordre, les trois choses que vous feriez et qui ne se font pas en ce moment?
Mme Gattinger : Merci de votre magnifique question. Si seulement cela se produisait.
Étant donné le changement de la société et des valeurs que nous avons observé, soit le recul de la confiance à l'égard des gouvernements et de l'industrie ainsi qu'à l'égard des spécialistes et de l'expertise, cela semble nous orienter vers une réflexion sur les moyens d'aborder l'énergie différemment et nous indiquer que le processus même devient extrêmement important. Au bout du compte, la teneur des décisions demeure importante, mais il y a aussi la question de la démarche suivie pour parvenir aux décisions et celle de la confiance des gens dans ce processus.
Quant aux questions plus vastes que le sénateur Eggleton a soulevées, j'ignore si je parlerais de commission royale, mais je mettrai en place une sorte d'instance tierce, une commission indépendante qui serait perçue comme représentative et digne de confiance. Elle compterait des représentants de l'industrie, d'ONG environnementales et des Autochtones. Au niveau local, on ferait appel aux municipalités au lieu de les percevoir comme un problème, comme on le fait souvent en ce moment.
Il faudrait mettre en place un processus qui jouirait de la confiance du grand public et qui permettrait de commencer à voir clair dans les enjeux et à les analyser. Cette démarche pourrait fort bien comprendre de solides processus de consultation et la commande d'études pertinentes pour la prise de décisions sur l'avenir énergétique du Canada. Je parlerais à propos de cette instance d'un groupe d'experts sur l'avenir énergétique du Canada ou de quelque chose de cet ordre.
Cela prendrait un certain temps, là encore, mais nous aurions en place un mécanisme qui commencerait à donner aux Canadiens une certaine confiance, l'assurance que les gouvernements prennent la question au sérieux et l'abordent d'une manière qui est perçue comme représentative, d'une manière qui est digne de la confiance des gens.
En fin de compte, des recommandations pourraient émaner de cette instance, des recommandations auxquelles les gouvernements auraient du mal à parvenir par les processus intergouvernementaux, mais qu'il serait plus facile d'adopter si elles sont l'aboutissement d'un processus robuste qui inspire confiance au public. Ce serait la première chose à faire, selon moi.
Le sénateur Greene : Très bien. Merci beaucoup. Cette recommandation pourrait figurer dans notre rapport.
Le vice-président : Madame Gattinger, la période que nous avons prévue est terminée. Nous tenons à vous remercier de votre participation.
Le sénateur Mercer : Désolé de vous interrompre, monsieur le président, mais avant que le témoin ne nous quitte... Mme Gattinger a dit qu'elle publiait un document cette semaine. Pourrions-nous en obtenir un exemplaire pour le comité?
Mme Gattinger : Certainement. Il sortira dans les prochaines semaines. Je peux sûrement vous le transmettre.
Le sénateur Mercer : Bien. Merci beaucoup.
La sénatrice Unger : Madame, étant donné que la démocratie participative, ce qui correspond pour moi à l'action des militants qui, comme mon collègue l'a dit, sont financés par des intérêts américains, que, en ce moment, les États- Unis exportent du pétrole vers l'Est du Canada — et bien entendu, ce pétrole provient de pays qui ont un bilan atroce en matière de droits de la personne — et que, lit-on de plus en plus souvent, le Canada est très en retard dans cette course, comment peut-on parler de justice? Est-il possible de jamais rétablir cet équilibre? Les Canadiens veulent une solution équilibrée, et vous avez fait des propositions à cet égard, mais s'agit-il en fait d'une bataille que nous avons déjà perdue? Vous êtes optimiste, et je voudrais bien pouvoir l'être aussi.
Mme Gattinger : Merci de votre question. Il est très important de faire une distinction. En début de présentation, j'ai énuméré un certain nombre de facteurs propres à renforcer la confiance du public. L'un d'eux était la société, y compris les ONG, les collectivités locales, les collectivités autochtones, les amis, les voisins, et ainsi de suite. Il est de la plus haute importance de faire une distinction entre les préoccupations exprimées par les collectivités locales, leurs habitants et les groupes locaux, et celles qui sont abordées et soulevées, notamment en matière d'environnement, au niveau des organisations non gouvernementales régionales, nationales ou internationales.
Nous sommes en train de réaliser des travaux dont le but est de débrouiller ces distinctions. Il est très important de les faire, car certains des éléments les plus polarisants du débat viennent de ces derniers groupes et non des premiers.
La sénatrice Unger : Merci beaucoup.
Le vice-président : Madame Gattinger, je vous remercie de votre participation à notre séance.
Nous poursuivons notre étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut. Je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins suivants. De l'Assemblée des Premières Nations, nous avons Perry Bellegarde, chef national, Craig Makinaw, chef régional de l'Alberta, et William David, analyste principal des politiques, Bureau du chef national.
Chef Bellegarde et chef Makinaw, je vous remercie de votre présence à notre réunion. Je vous prie de présenter vos exposés. Ensuite, les sénateurs auront des questions à vous poser.
Perry Bellegarde, chef national, Assemblée des Premières Nations : Bonjour, sénateurs. Je vais céder la parole à mon collègue, le chef Makinaw, qui présentera notre déclaration officielle. Il va en donner lecture pour qu'elle figure au compte rendu officiel. Je suis ici pour l'assister et l'aider à répondre aux questions. À titre de chef national, je me charge de la distribution des portefeuilles. Quant au chef régional Makinaw, c'est son rôle. Je lui laisse donc la parole en premier. Nous élargirons la participation plus tard.
Craig Makinaw, chef régional de l'Alberta, Assemblée des Premières Nations : Bonjour, sénateurs. Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous faire part de quelques réflexions et perspectives ce matin.
Les Premières Nations, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux étudient tous la question du transport du pétrole vers les côtes. Pour que nous puissions tous aboutir à un régime qui favorise la coopération, nous devons garder à l'esprit plusieurs réalités.
Premièrement, au chapitre de l'exploitation des ressources, les décisions sont prises projet par projet. Les Premières Nations ne sont toujours ni pour ni contre cette exploitation. Nous avons différents points de vue — comme il y en a à l'échelle nationale ou mondiale — sur l'équilibre à trouver entre la protection de l'environnement et le développement économique.
Deuxièmement, les Premières Nations occupent une place particulière dans l'approbation de chaque projet et dans le dialogue élargi par suite de leur compétence inhérente sur ces terres et de leur droit à l'autodétermination.
Troisièmement, aucun gouvernement n'a une compétence absolue. Ni notre compétence inhérente ni la souveraineté présumée de la Couronne n'est absolue. Autrement dit, le système international des droits de la personne reconnaît que le pouvoir des Premières Nations, comme peuples, existe parallèlement à celui de la Couronne, égal et sans subordination.
La Couronne doit reconnaître et respecter le droit de chaque nation de dire « oui » ou « non ». C'est là un aspect de notre droit à l'autodétermination. Comme tous les droits, le droit à l'autodétermination est lié aux droits des autres peuples ainsi qu'aux responsabilités que nous devons assumer, comme humains, envers les terres, les eaux et les générations futures.
Les Premières Nations peuvent choisir de profiter de la production de pétrole et de gaz, et beaucoup le font. C'est là un point critique. Les Premières Nations exportent des ressources pétrolières et gazières parce que la législation canadienne s'inspire du droit à l'autodétermination et doit le respecter.
Certaines Premières Nations ont des préoccupations sérieuses et fondées quant à la sécurité du transport par pipeline et par rail à travers leurs territoires. Les déversements qui nuisent à leurs collectivités et à leur utilisation des ressources de la terre ne sont pas rares. Ces incidents ne font que souligner la nécessité d'avoir des processus d'approbation et de réglementation des pipelines et des mécanismes permettant de réagir aux urgences, de compenser d'éventuels dégâts et de tenir compte des droits et intérêts des Premières Nations.
Je vais maintenant mettre en évidence les défauts de l'actuel régime réglementaire fédéral. Ces défauts peuvent être résumés ainsi : premièrement, les Premières Nations ont été reléguées au second plan dans le processus décisionnel d'approbation et de réglementation des pipelines. Elles sont reléguées au rôle de spectateur. Dans le système actuel d'approbation et de réglementation des infrastructures énergétiques du Canada, personne n'est bien servi. L'une des raisons est que les Premières Nations sont traitées en spectateurs dans tous les aspects de la réglementation liés au transport des produits du pétrole et du gaz.
Le processus actuel d'approbation des pipelines est conçu pour deux interlocuteurs, les sociétés et l'Office national de l'énergie. Ni la Loi sur l'Office national de l'énergie ni la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale de 2012 ne permettent que l'évaluation environnementale tienne compte des droits des Premières Nations. Seuls les effets environnementaux sont pris en compte. À notre avis, la portée et l'étendue des effets environnementaux ne tiennent pas suffisamment compte des droits des Premières Nations.
Sur le plan de la procédure, la seule possibilité pour les Premières Nations de participer à ce processus consiste à invoquer les dispositions générales de consultation du public. Tant les ONG environnementales que les Premières Nations ont mis l'accent sur les graves lacunes qui existent quand on souhaite comparaître aux audiences de l'Office national de l'énergie pour présenter des preuves.
Au terme de ses audiences, l'Office national de l'énergie formule des recommandations à l'intention du ministre. C'est seulement si une proposition est approuvée que le processus réglementaire permet de tenir compte des droits des Premières Nations. En fait, la seule façon pour les Premières Nations d'affirmer leurs droits dans le cadre du processus d'approbation est de contester la validité du processus devant les tribunaux.
Le processus réglementaire de l'Office national de l'énergie impose parfois aux Premières Nations d'intenter des poursuites rien que pour faire valoir leur droit de se faire entendre et, à plus forte raison, de faire respecter leurs droits. Il est établi que l'Office national de l'énergie n'est même pas habilité à effectuer une analyse d'infraction à un traité. De telles lacunes obligent les Premières Nations à contester les approbations qui font abstraction des droits inhérents et des droits issus de traités. Cela donne lieu à un processus juridique distinct entre les Premières Nations et la Couronne, dans lequel le promoteur devient un spectateur.
De plus, le régime actuel permet à la Couronne de déléguer trop de ses obligations aux promoteurs, contrairement aux principes de l'arrêt Nation haïda de la Cour suprême.
Les principes provisoires introduits par le gouvernement actuel ne changent rien au fait que les Premières Nations sont reléguées au rôle de spectateur dans le processus réglementaire d'approbation et que les promoteurs sont également des spectateurs dans le processus de consultation et d'adaptation. Les principes provisoires constituent néanmoins un petit pas dans la bonne direction parce qu'ils permettent de s'assurer que le décideur a en main tous les renseignements pertinents au moment de prendre une décision.
Les Premières Nations doivent être des partenaires de plein droit dans l'approbation et la réglementation des pipelines. Vous avez besoin de notre aide pour repenser le système défaillant d'aujourd'hui.
On peut en dire autant des règles établies en vertu de la Loi sur la sûreté des pipelines. Comme cette loi ne fait aucun cas des droits des Premières Nations, celles-ci font encore moins confiance au processus de réglementation des pipelines au Canada.
Considérez la situation du point de vue des Premières Nations : une société approche une nation en lui disant qu'elle envisage de réaliser un projet. Dans certains cas, la nation voit dans la proposition non un projet, mais un moyen de porter atteinte à ses droits. Parfois, l'atteinte est temporaire ou mineure, mais il arrive aussi qu'elle soit grave et permanente.
Le gouvernement ou le promoteur demandera à la nation d'examiner les possibilités d'atténuer les effets du projet sur ses droits et, dans des cas extrêmes, de renoncer à ses droits. Nous parlons là du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et de la possibilité pour les Premières Nations de dire oui ou non à un projet qui serait autrement inadmissible en vertu de la loi.
De ce point de vue, le consentement constitue vraiment pour les Premières Nations une occasion de dire oui au développement. Au Canada, si elles ne donnent pas leur consentement, elles doivent engager une longue et coûteuse série de batailles judiciaires pour faire valoir leurs droits.
Mais nous constatons que beaucoup d'intervenants de l'industrie concentrent plutôt leur attention sur le non. Qu'est-ce que le non d'une Première Nation signifie? Il signifie qu'elle trouve le projet trop risqué et croit qu'il aura trop d'effets négatifs pour qu'elle puisse lui donner le feu vert. Si un tribunal juge que les effets d'un projet sur les droits des Premières Nations sont trop importants, leur « non » signifie simplement qu'un projet par ailleurs inadmissible demeure inadmissible.
Ce concept n'est ni neuf ni radical. Le consentement est déjà un concept fermement établi dans le droit canadien. Ce que la déclaration ajoute, c'est que le consentement préalable doit être donné librement et en connaissance de cause. Pour le Canada, cela ne devrait pas non plus être révolutionnaire. Bien sûr, le consentement n'est pas valide s'il a été obtenu par la contrainte. Pour les mêmes raisons, le droit canadien reconnaît déjà que la Couronne ne peut pas agir sans consentement préalable.
Le consentement doit être donné en connaissance de cause. Les Premières Nations — et les Canadiens — ont besoin d'un processus réglementaire d'approbation qui leur permette de prendre des décisions éclairées au sujet du développement et qui garantisse que l'information fournie par les promoteurs et la Couronne tient compte des droits, intérêts et aspirations des Premières Nations. Un système qui prévoit l'échange de cette information améliorera les chances d'avoir un dialogue sérieux entre les Premières Nations, les promoteurs et la Couronne et augmentera la confiance des Premières Nations dans le processus réglementaire.
Un tel processus devrait en outre être considéré comme une étape de la mise en œuvre du droit des Premières Nations à l'autodétermination. Nous devons aller au-delà du oui et du non. Nous avons besoin d'un système qui reconnaisse pleinement la compétence des Premières Nations, une compétence réglementaire d'une valeur égale à celle des autres compétences, qui fait clairement partie du cadre constitutionnel canadien, qui assure la réconciliation en mobilisant les principes de durabilité et de prospérité des Premières Nations et en les associant aux grands principes canadiens tels que la primauté du droit, la non-discrimination et le fédéralisme coopératif.
C'était notre déclaration.
Le vice-président : Merci, chef.
Y a-t-il d'autres observations avant de passer aux questions?
M. Bellegarde : Je vais simplement m'exprimer, en mettant de côté les notes et tout le reste. En ce qui me concerne, quand on commence à parler de transport et d'expédition des ressources pétrolières et gazières vers les marchés... Mon collègue a évoqué l'acceptabilité pour les Autochtones et a parlé de la nécessité de respecter le droit des Premières Nations à l'autodétermination et leur droit de dire oui ou non. Nous avons 634 Premières Nations au Canada. Parmi elles, 130 ont clairement dit non, mais il y en a aussi qui ont très clairement dit oui. Il s'agit donc de trouver l'équilibre et de respecter le droit de dire oui ou non.
Je crois que le plus important est d'avoir des processus et des systèmes permettant au gouvernement fédéral, aux gouvernements provinciaux, au secteur privé et aux gouvernements des Premières Nations d'engager un dialogue pour trouver un terrain d'entente. C'est l'objectif. Nous n'aboutirons jamais à une solution par oui ou par non. Faut-il faire passer l'environnement avant l'économie ou l'économie avant l'environnement? Il faut trouver l'équilibre. Voilà le plus important.
Il faut établir des processus établis pour régler toute cette question qui crée vraiment des divisions. Celles-ci sont nombreuses. Nous devons créer l'espace nécessaire pour trouver l'équilibre, pour engager le dialogue et pour assurer le respect des droits des peuples autochtones tout le long de ce processus.
En ce qui concerne le processus d'examen réglementaire, j'aimerais voir des Autochtones siéger à l'Office national de l'énergie. Je serais ravi de voir des Autochtones siéger à la Cour suprême du Canada. J'ai toujours pensé que, chaque fois que des décisions doivent être prises au sujet des Premières Nations, des droits inhérents ou des droits issus de traités, nos gens doivent être présents. C'est aussi simple que cela. Partout où des décisions sont prises, il faut faire participer les peuples autochtones pour qu'ils puissent se faire entendre et qu'il soit possible de trouver cet équilibre et cet espace. Voilà de quoi il s'agit.
Au niveau international, je crois personnellement que nous dépendons dans une trop grande mesure des combustibles fossiles. Les émissions de gaz à effet de serre, les changements climatiques, il y a tant de problèmes qui se posent. Comme êtres humains, comme membres de la tribu des bipèdes, si vous voulez, nous devons vraiment réduire notre dépendance à l'égard des combustibles fossiles et commencer à faire des investissements stratégiques dans les énergies vertes de remplacement. Je crois que c'est la voie de l'avenir.
Mais c'est une approche progressive. Nous ne cesserons pas demain matin de conduire nos voitures ou de prendre l'avion. Nous ne le ferons pas, mais nous devons adopter une approche progressive planifiée, stratégique, réfléchie pour avancer. C'est ce que je pense comme chef national de l'Assemblée des Premières Nations. C'est essentiellement une question d'équilibre.
Je vais utiliser l'expression « acceptabilité autochtone », qui est vraiment essentielle. À part l'acceptabilité sociale, il y a aussi l'acceptabilité autochtone. C'est un concept clé parce que nous devons dépasser la confiance du public dans l'acceptabilité sociale pour aller jusqu'à l'acceptabilité autochtone, surtout à la lumière du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et de la prodigieuse prise de position du Canada en faveur de l'adoption sans réserve de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Je voulais simplement vous faire part de ce que je pense.
Le sénateur Mercer : Chefs, je vous remercie de votre présence au comité. Nous vous sommes vraiment reconnaissants du temps que vous nous accordez et de votre contribution à notre étude.
Comment réunir tout le monde autour de la table? Comment amener tout le monde à convenir que l'objectif des discussions est de maximiser les avantages pour toutes les collectivités? Dans votre cas, vous voulez évidemment avantager la collectivité autochtone, mais je sais que votre intérêt va au-delà de cette collectivité. Vous voulez aussi que l'ensemble de la société profite des discussions car ce qui est bon pour tous est aussi bon pour vous. Que faut-il faire? Comment amener les gens à s'asseoir autour de la table?
M. Bellegarde : Il faudrait surtout établir des processus intergouvernementaux, que vous pouvez qualifier de bilatéraux ou de trilatéraux. Par exemple, le Conseil de la fédération doit se réunir bientôt. L'année dernière, lorsqu'il a annoncé sa Stratégie canadienne de l'énergie, j'étais le chef national, et j'ai dit : « Quoi? Dites-moi qui, quoi, où, quand et comment. » Nous n'avons pas été associés à l'élaboration ou à la conception de quoi que ce soit. Si vous voulez concevoir une stratégie nationale de l'énergie, vous devez vous assurer d'avoir les bons processus en place.
Le message est simple : avant que le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et l'industrie n'essaient de bâtir quoi que ce soit, ils doivent commencer par bâtir des relations respectueuses avec les peuples autochtones. Voilà ce qui créera la certitude économique.
Vous avez parlé tout à l'heure des groupes d'experts. Pour ma part, j'envisagerais plus volontiers des processus bilatéraux dans lesquels les peuples autochtones participent à toutes les étapes de l'élaboration, de la conception, de la mise en œuvre et de l'exécution de tout programme. Cela peut se produire grâce à l'excellente volonté politique qui se manifeste au niveau fédéral, si elle s'exerce de concert avec le Conseil de la fédération. Nous pouvons concevoir ces processus futurs de façon à trouver l'équilibre recherché entre l'environnement et l'économie. Qu'on les appelle tables ou processus intergouvernementaux, ils devraient être établis le plus tôt possible. Voilà ce que je recommanderais.
Il est également très intéressant de constater que l'Association canadienne des producteurs pétroliers a adopté une chose très fondamentale pour le Canada. Elle aussi a appuyé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cela est très significatif. L'industrie commence à comprendre la situation. Elle commence à concentrer son attention sur des facteurs autres que le profit parce que la planète et les peuples — les trois P — doivent également être pris en considération. Ce sont des gestes puissants qui peuvent créer l'espace et l'équilibre voulus.
Le sénateur Mercer : Associer les peuples autochtones à toutes les étapes semble idéal. Si nous pouvions appuyer aujourd'hui sur un bouton et dire que cela se réalisera, est-ce que le processus serait retardé?
M. Bellegarde : Oui, à juste titre. Encore une fois oui, parce qu'il ne faut rien brusquer. Vous ne voudrez pas faire quelque chose en tenant quelqu'un à l'écart. Nous sommes 1,5 million au Canada, 4 p. 100 de la population canadienne, mais je dis toujours que nous ne sommes pas des minorités ethniques. Nous sommes des Autochtones ayant des droits inhérents, dont le droit inhérent à l'autodétermination, parce que nous avons nos propres terres, nos propres langues, nos propres lois, nos propres peuples identifiables et nos propres formes identifiables de gouvernement. Ces droits doivent être respectés. Personne ne peut les bafouer. Il s'agit de créer un espace afin d'amener tout le monde à la table.
Le sénateur Mercer : Nous pouvons continuer à parler des mauvais exemples ou du manque de bons exemples. Y a- t-il un projet que nous pouvons citer en exemple parce qu'il a été réalisé de la bonne façon? Un projet qui soit passé de l'étape de la conception à celle des résultats avec la pleine participation des peuples autochtones? Y a-t-il quelqu'un qui ait jamais fait quelque chose de bon dans ce dossier?
M. Bellegarde : Parlez-vous des pipelines en particulier?
Le sénateur Mercer : Non.
M. Bellegarde : Parlez-vous de n'importe quelles relations avec l'industrie?
Le sénateur Mercer : Je me demande s'il existe un modèle qui pourrait être adopté dans des discussions sur les pipelines.
M. Bellegarde : Considérons cela du point de vue du secteur privé. Je viens d'une petite réserve du sud de la Saskatchewan, Little Black Bear. Dans le nord de la province, Cameco exploite des mines d'uranium. Un certain nombre de membres des Premières Nations siègent au conseil d'administration de la société. D'autres occupent des postes au niveau d'entrée, ainsi que des postes de cadres intermédiaires et supérieurs. La société partage ses revenus avec les peuples autochtones. En fait, les Autochtones forment 54 p. 100 de son effectif.
Tout cela est attribuable à une simple exigence imposée par le gouvernement provincial avant la délivrance d'un permis quelconque à une entreprise privée qui souhaite avoir des activités dans la province. C'est ce que nous recommandons toujours avant qu'un permis d'exploitation ne soit accordé à une société privée : celle-ci doit avoir un plan concernant ses relations avec les Premières Nations en matière d'emploi, d'approvisionnement et de partage des bénéfices.
Si une entreprise a mis en place ces trois éléments, un permis lui est délivré. Autrement, elle n'obtiendra pas de permis au Québec, en Colombie-Britannique, en Alberta, aux Territoires du Nord-Ouest ou en Saskatchewan. Vous verrez s'établir d'importants partenariats stratégiques. C'est un simple changement de politique à apporter à l'avenir.
Je me suis servi de Cameco comme exemple. Il pourrait y en avoir d'autres. Je ne suis pas expert en opérations industrielles, mais je crois que Cameco mérite des éloges parce qu'elle a choisi la bonne façon d'agir.
Le sénateur Mercer : Voilà une chose à laquelle nous devons réfléchir. C'est un bon exemple. Le secteur est différent, mais le processus est le même.
M. Bellegarde : Lorsque j'étais chef de la nation de Little Black Bear, Tim Cutt était président de BHP Billiton, société de potasse multimilliardaire. L'entreprise envisageait d'agrandir une mine de potasse à Melville, en Saskatchewan, à près d'une demi-heure de ma réserve. Il était venu passer toute une journée avec moi, rendant visite aux aînés et aux membres de la collectivité. Nous avons assisté ensemble à une cérémonie. Il établissait des relations avec nous. C'est un exemple qui montre comment l'industrie peut aller sur place pour nouer des relations. Voilà un autre exemple sur lequel on peut miser. Avant d'essayer de construire quoi que ce soit, il faut établir des relations respectueuses avec les peuples et les gouvernements autochtones.
Le sénateur Mercer : Vous avez parfaitement raison.
Vous avez également dit dans votre exposé que nous dépendons tous d'une façon excessive des combustibles fossiles. Je trouve intéressant que nous parlions maintenant des moyens de faire participer adéquatement et respectueusement les peuples autochtones au processus du pipeline. Nous pouvons également voir, du moins ma petite-fille peut voir la fin de notre dépendance à l'égard des combustibles fossiles avec l'évolution de la technologie. De bien des façons, nous invitons nos peuples autochtones à la table à la fin du processus plutôt qu'à son début.
Qu'arrivera-t-il après le pétrole et le gaz? Le modèle que vous avez mentionné peut-il être adapté à d'autres industries qui pourraient être développées, peut-être dans le secteur minier? Vous avez pris l'exemple de votre collectivité. Le modèle est-il transférable?
M. Bellegarde : Je vais faire quelques brefs commentaires. Le chef Makinaw en aura peut-être lui aussi. Lorsque nous parlons de relations avec le secteur privé et d'exploitation de ressources naturelles, tout est affaire d'équilibre. Pour ce qui est du pipeline et du transport du pétrole et du gaz, quelques Premières Nations disent non, tandis que d'autres y participent. Nous essayons donc de trouver l'équilibre.
Je connais les chefs qui disent non. Je travaille avec 634 chefs qui sont les détenteurs des droits et des titres. Ce n'est pas l'Assemblée des Premières Nations qui les détient. Ce sont plutôt les chefs et les gens qui se trouvent sur le terrain. Voilà pourquoi nous parlons du droit de dire oui ou non. Certains disent oui, et d'autres non.
Quelques-uns de ceux qui appuient les pipelines sont eux-mêmes producteurs de pétrole et de gaz. C'est le cas de 14 chefs, qui veulent expédier leurs produits vers les marchés. Il y a aussi quelques chefs qui souhaitent posséder une part des pipelines. Certains disent que les pipelines passeront à travers leur territoire traditionnel. Ils envisagent d'exiger une taxe, qui ajouterait aux coûts d'exploitation de l'entreprise, et dressent des plans pour l'avenir. Certains veulent participer au système, et d'autres disent simplement non. Il faut donc trouver l'équilibre tout en respectant le droit de dire oui et le droit de dire non.
Si c'est transférable, nous devons commencer à envisager des investissements plus importants et des technologies d'exploitation propres. Nous devons commencer à faire plus d'efforts pour dépendre moins des combustibles fossiles. Même l'énergie propre, comme l'énergie hydroélectrique, peut avoir des effets sur nos droits. Je vais prendre l'exemple du Site C dans le Nord de la Colombie-Britannique. Le Site C est un grand projet d'aménagement hydroélectrique devant coûter des milliards de dollars, mais qui aura des incidences sur les droits de chasse, de pêche, de piégeage et de récolte. C'est un grand problème.
Même si vous empruntez la voie de l'énergie verte, à moins d'associer les peuples autochtones à chaque étape de ces projets multimilliardaires, vous risquez de porter atteinte aux droits inhérents autochtones et issus de traités. Je vous ai simplement donné cet exemple. Est-ce transférable? Bien sûr, il n'y a pas de doute à ce sujet.
C'est vraiment simple : veillez à associer les peuples autochtones à toutes les étapes de la conception, de l'élaboration et de la mise en œuvre de tout programme ou politique. C'est vraiment simple.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de votre présence au comité. Votre contribution à notre étude est vraiment précieuse.
Je vais peut-être commencer par la déclaration du chef Makinaw selon laquelle les peuples autochtones ne sont que des spectateurs dans le processus. Je pense en particulier au processus de l'Office national de l'énergie et aux moyens de l'améliorer. Le chef Bellegarde a proposé de faire siéger des Autochtones à l'Office national de l'énergie au cours des audiences. C'est un bon point, mais voyons ce qu'il y a d'autre à améliorer dans le processus.
Les responsables de l'Office national de l'énergie disent qu'ils ont élaboré une initiative améliorée de mobilisation et de participation visant à établir des contacts proactifs avec les groupes autochtones qui risquent d'être touchés par des projets nécessitant la tenue d'audiences publiques.
Ils souhaitent également entendre la « preuve traditionnelle orale ». Ils disent que c'est l'un des moyens dont ils disposent pour recueillir de l'information, et qu'ils ont essayé de le faire ou l'ont déjà fait dans le cadre du processus concernant l'agrandissement du réseau de Trans Mountain ainsi que les projets de pipeline Northern Gateway et Énergie Est.
Avez-vous remarqué ces améliorations? Qu'en pensez-vous?
M. Makinaw : Je sais qu'il y a eu en Colombie-Britannique quelques audiences sur Trans Mountain et Northern Gateway, comme vous l'avez dit. Je suis au courant. Ils s'efforcent d'améliorer le processus, mais il faudra du temps pour que les choses changent.
Ainsi, dans le cas de ma bande en Alberta, par exemple, nous avons intenté des poursuites contre le gouvernement fédéral dans les années 1980 au sujet du pétrole et du gaz. Avec la bande de Samson, nous avions retiré notre argent qui était en fiducie, ici à Ottawa. Je connais bien les détails juridiques de la façon dont Pétrole et gaz des Indiens du Canada et le gouvernement fédéral traitent les affaires liées au pétrole et au gaz.
Je suis heureux de voir que des approches différentes sont adoptées et qu'il y a davantage de discussions et de réunions avec nous en vue d'élaborer un meilleur processus. Je suis heureux de cette évolution. J'espère, comme le chef national vient de le dire pour l'année dernière, qu'ils essaieront à l'avenir de travailler avec nous. Je considère que c'est un développement positif, et j'espère que nous avancerons sur cette voie et que davantage de nos gens participeront à toutes les étapes.
Quand cela se produira, je crois que les choses iront mieux pour tout le monde et qu'à l'avenir, nous nous occuperons des problèmes de chaque projet au fur et à mesure. J'espère que nous y travaillerons jusqu'au moment où nous aurons un processus sur lequel tout le monde s'entend.
Le sénateur Eggleton : Tout cela est très bien, mais vous parlez encore comme si les peuples autochtones n'étaient que des spectateurs. Croyez-vous qu'il soit possible de faire quelque chose pour vous faire passer du rôle de spectateur à un rôle plus central, dans lequel vous seriez plus au fait de ce qui se passe et où votre participation vous assurera plus de respect?
M. Bellegarde : À cet égard, sénateur, il est essentiel de respecter la compétence des Premières Nations et de les laisser établir leur propre processus réglementaire d'examen environnemental.
Je pense à la mine d'or Ajax de Colombie-Britannique. Le chef Wayne Christian et les chefs de la région de Kamloops ont mis en place leur propre processus réglementaire d'examen environnemental avec le concours de leurs aînés et des membres de leur collectivité afin de déterminer s'ils allaient permettre qu'une mine d'or soit exploitée à proximité d'un lac. La mine est vraiment très proche. Le processus s'est déroulé pendant deux ou trois semaines. C'était l'exercice du droit à l'autodétermination. Nous ne savons pas quelle décision en découlera, mais l'industrie a participé au processus. C'est une bonne chose : Il faut respecter la compétence des Premières Nations lorsqu'elles établissent leur propre processus réglementaire d'examen, qui s'ajoute à l'autre. Ensuite, vous aurez votre processus réglementaire d'examen qui sera mené par l'Office national de l'énergie. C'est une autre chose.
Le sénateur Eggleton : Il faudrait les intégrer.
M. Bellegarde : Oui, il serait possible de le faire, mais je dis qu'il faut respecter la compétence des Premières Nations dans le processus en cours. C'était un exemple.
Le sénateur Eggleton : Je voudrais vous demander votre avis sur différents moyens de faire participer les peuples autochtones, dont nous avons entendu parler au cours de nos audiences. Puisque vous avez une part des revenus, il pourrait sûrement y avoir des accords de partage des revenus, des accords de collaboration, des ententes de copropriété des projets et ce qu'on appelle les coalitions de corridor, qui semblent comporter à la fois des aspects environnementaux et des aspects de partage des revenus.
Mon collègue vous a interrogé au sujet de sociétés particulières, mais y a-t-il, à votre avis, un modèle qu'il faudrait privilégier?
M. Bellegarde : Je suis favorable à tout ce que vous avez mentionné, sénateur. Il n'y a pas de doute que nous sommes en faveur des accords de partage des revenus et des avantages ainsi que de la copropriété du pipeline. Pour nous, le critère, c'est la sécurité. Les membres des Premières Nations veulent être sûrs qu'en cas de déversement, il y ait des capacités suffisantes pour procéder à un nettoyage rapide. Nous voulons avoir l'assurance que ces capacités existent. C'est un facteur très important.
Les coalitions de corridor pourraient être intéressantes. Quel est le but? Pour travailler collectivement à cette initiative, si elle va de l'avant, il faut revenir encore une fois à la décision par oui ou par non lorsque le corridor passe à travers des territoires traditionnels et des terres ancestrales.
Les trois points clés sont le partage des revenus et des avantages, la copropriété du pipeline et la sécurité qui doit constituer un élément fondamental dans le corridor. Nous savons tous que c'est là le plus important. Ce sont les trois facteurs clés qu'il faut encourager et appuyer.
Le sénateur Eggleton : En ce qui concerne l'approche de l'industrie à cet égard, vos collectivités auront deux interlocuteurs : les proposants eux-mêmes, c'est-à-dire ceux qui vont construire le pipeline, et les producteurs de l'Alberta ou d'ailleurs qui veulent expédier leurs produits vers les marchés. Est-ce que ces producteurs ont des contacts avec vous? Avez-vous vraiment l'impression qu'ils veulent vous associer à leurs efforts et vous consulter au sujet de leurs projets? Vous avez mentionné BHP. Cet exemple se retrouve-t-il souvent dans le secteur du pétrole et du gaz?
M. Bellegarde : Je crois que Greg répondra à la question. J'aurai ensuite quelques observations à ajouter.
M. Makinaw : Du côté de l'Alberta, toutes les bandes de la province ont été consultées sur tous les projets. Par conséquent, cela a été fait. Beaucoup de bandes attendent pour voir ce qui se passera dans le cas de ces pipelines. Bien sûr, les bandes productrices sont particulièrement touchées. Elles ont hâte de connaître la décision qui doit être prise un peu plus tard cette année.
Il y a aussi en Alberta un autre exemple à considérer en ce moment : les projets d'énergie solaire. Des sociétés envoient des représentants discuter du partage des revenus avec les bandes. Ce processus est actuellement en cours. Beaucoup des bandes de l'Alberta considèrent cette énergie de remplacement comme une option. Elles examinent cette possibilité parallèlement aux discussions concernant les pipelines.
M. Bellegarde : La seule autre chose à ajouter, c'est que la vieille tactique consistant à diviser pour régner a été utilisée un peu trop souvent. Les sociétés viennent conclure une entente avec mon camarade ici présent, mais il ne peut pas m'en parler à cause des ententes de confidentialité. Il peut avoir conclu un meilleur marché que le mien. Toute l'industrie se livre dans une certaine mesure à ce jeu, ce qui nous empêche de travailler collectivement.
Pour moi, l'objectif est toujours d'étendre notre champ de compétence au-delà de nos réserves. Il relève du traité nº 6 tandis que je relève du traité nº 4. Nous exerçons notre compétence dans les territoires visés par notre traité et dans les terres ancestrales. Il faut tenir compte de chaque territoire partout au Canada. Si on commence à le faire, il faudrait alors avoir un impôt du traité nº 6 ou un impôt du traité nº 4. Nous avons fait cela à une occasion dans le cas du traité nº 4. Comme un pipeline passait à travers le territoire, les 34 Premières Nations en cause ont toutes reçu une indemnisation.
Oui, cela se fait. Les sociétés prennent contact parce qu'elles savent qu'elles doivent conclure un partenariat avec nous. Elles savent que la Déclaration des Nations Unies est maintenant en vigueur, que les droits prévus à l'article 35 seront affirmés et qu'une décision a été rendue dans l'affaire Tsilhqot'in. Encore une fois, il y a tout cela, et nous avons aussi le débordement d'enthousiasme concernant le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Pour ma part, je leur dis : « Ne vous inquiétez pas. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête. Tout ce que nous avons besoin de faire, c'est trouver un processus qui nous permette de discuter de tout cela. » « Y aura-t-il un droit de veto? » Je réponds : « Ne pensez même pas au veto. Vous pouvez l'oublier complètement. » « Les Indiens ont un droit de veto et vont continuellement dire non. » Cette affirmation n'est pas favorable au dialogue. Il faut la mettre de côté et créer des processus adéquats pour garantir le respect et trouver un terrain d'entente. Voilà ce que sera l'objectif.
La réponse est donc oui et non. Les sociétés cherchent à établir des contacts, à éviter de diviser pour régner et aussi à envisager les droits collectifs.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie.
La sénatrice Unger : Merci de votre présence, chef Makinaw et chef Bellegarde. Vous avez déjà répondu à beaucoup de mes questions, mais je voudrais commencer par parler de la région des sables bitumineux située dans le Nord de l'Alberta, surtout dans la municipalité régionale de Wood Buffalo. À part les sables bitumineux, on y trouve plusieurs collectivités autochtones. Je crois que vous en avez parlé. Il y a, par exemple, Anzac, Conklin, Fort Chipewyan, Fort MacKay et Janvier, où vivent plusieurs Premières Nations ainsi que des Métis. Plus de 1 500 réunions de consultation ont eu lieu entre les Premières Nations et l'industrie entre 2011 et 2012 au sujet des gisements de pétrole, des pipelines, des forêts et d'autres projets de mise en valeur de ressources. Chef Makinaw, je crois que vous en avez parlé aussi.
J'ai quelques points à soulever au sujet des émissions de gaz à effet de serre. Entre 1990 et 2011, les émissions associées à chaque baril de brut produit dans la région des sables bitumineux ont baissé de 26 p. 100. Ce chiffre vient d'Environnement Canada.
J'ai une autre statistique : le Canada, qui représente 0,5 p. 100 de la population mondiale, produit 2 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre. La contribution des sables bitumineux est de 7,8 p. 100 des émissions du Canada et d'un tout petit peu plus de 0,14 p. 100 des émissions mondiales. Ces chiffres, qui remontent à 2012, viennent d'Environnement Canada et de la Division statistique des Nations Unies.
Je crois qu'il serait faux de dire que les sables bitumineux influent plus sur le changement climatique que, disons, les émissions des véhicules à Toronto ou dans un autre grand centre urbain. Êtes-vous d'accord?
M. Makinaw : Comme vous le savez tous, le gouvernement néo-démocrate de l'Alberta institue une taxe sur le carbone, qu'il commencera à prélever dès janvier de l'année prochaine. Toutes les sociétés s'efforceront de réduire leurs émissions de carbone. Cela touchera particulièrement Syncrude. Il sera intéressant de voir ce que l'industrie fera pour atteindre ces objectifs. Compte tenu des réunions prévues pour cet automne, de la COP22, l'Alberta devra respecter ses objectifs en matière d'émissions. Je considère que cela sera avantageux pour l'environnement.
J'espère que nos gens seront invités à participer tout le long du processus, depuis le tout début jusqu'à ce que tout soit établi. Nous avons beaucoup de gens qui s'intéressent à l'environnement, surtout dans les régions du traité nº 6 et du traité nº 8, à proximité de Fort McMurray, des gens qui ont travaillé dans le secteur des sables bitumineux et qui pourraient profiter de ce que Syncrude fera à l'avenir dans le domaine de l'environnement.
M. Bellegarde : La seule chose que je voudrais ajouter, sénatrice, c'est que, dans le Nord de l'Alberta, par suite de tout ce qui s'est fait dans les collectivités des Premières Nations, beaucoup de gens ont profité sur le plan économique. En même temps, nous apprenons que beaucoup de cancers sont découverts. Les animaux tombent malades. Cela semble indiquer que le développement industriel occasionne des problèmes.
Encore une fois, il ne s'agit pas d'une décision par oui ou par non. Je reviens toujours à mon idée d'équilibre. Nous devons veiller à éviter une évolution négative de la situation. Je ne veux pas de cela, ni pour mes enfants ni pour les vôtres ni pour les générations futures qui ne sont pas encore nées. Nous n'avons qu'un seul monde. Nous avons tous besoin d'air à respirer et d'eau à boire. Oui, nous avons aussi besoin de voitures. Il n'y a pas de solution facile.
La conclusion, c'est que nous avons indubitablement besoin d'une stratégie nationale de l'énergie. Il est également nécessaire que les peuples autochtones participent à toutes les étapes de l'élaboration de cette stratégie. La COP22 aura lieu au Maroc en novembre. Il y aura aussi une réunion fédérale-provinciale en octobre à laquelle assisteront des représentants autochtones. J'espère bien y être moi-même pour mettre en évidence ces questions et préoccupations. Catherine McKenna a formé quatre groupes de travail sur l'environnement. Au cours des cinq prochains mois, nous devrons réfléchir à cette stratégie. Irons-nous vers un système de plafonnement et d'échange? Imposerons-nous une taxe sur le carbone? Allons-nous privilégier la séquestration du carbone? Tout le dialogue tendra à ramener la hausse de la température de 2 degrés à 1,5 degré. Oui, cela aura des effets sur l'industrie. Nous le savons.
Lorsque vous commencez à parler de toutes ces statistiques, je ne les contesterai certainement pas parce que vous ne faites que les lire et que vous avez des preuves. À l'avenir, tout devra être basé sur des données probantes.
Pour ma part, je cherche essentiellement l'équilibre. Je n'essaie pas de nuire à ce qui se fait, mais il faut être sûr qu'il y a une recherche d'équilibre. Je sais en effet que des chefs s'inquiètent avec leurs gens des maladies qu'on découvre. Il y a une chose qui se passe, une chose qui n'a pas été suffisamment étudiée. Encore une fois, il faut chercher l'équilibre.
La sénatrice Unger : En parlant d'équilibre et surtout de cancer du poumon et d'autres cancers, savez-vous si l'Université de l'Alberta a entrepris une étude ou une enquête pour déterminer la cause de ces maladies? Il y a une autre statistique qui n'a été attribuée à aucun facteur particulier : l'Alberta a la plus forte incidence de sclérose en plaques au Canada. Le monde médical s'interroge encore. Il faudrait, je pense, que les milieux médicaux et scientifiques s'intéressent davantage à ce qui se passe, même s'il est impossible à l'heure actuelle de mettre le doigt sur une raison précise. Ces choses se produisent et on se pose beaucoup de questions, n'est-ce pas?
Mon autre question porte sur un domaine différent. Le chef Makinaw a parlé de la taxe sur le carbone qui sera imposée à l'industrie. Les sociétés ont déjà retiré 30 milliards de dollars d'investissements futurs en Alberta. Ne craignez-vous pas qu'à un moment donné, ces sociétés ne disent : « C'est assez. Nous finirons ce que nous sommes en train de faire; ensuite, nous allons tirer notre révérence »?
Déjà, le Canada a sensiblement baissé — j'ai lu des articles à ce sujet — dans le classement mondial des pays producteurs de pétrole ou d'hydrocarbures. Nous sommes à la traîne. La raison est que le Canada n'arrive pas à se décider. Il ne fait qu'étudier et débattre. Je ne dis pas que l'étude et le débat sont mauvais. Ils peuvent donner lieu à beaucoup de bonnes choses, surtout si vous participez au processus. Toutefois, si nous perdons du terrain, dans cinq ans, nous pourrions être encore ici en train de discuter, mais ce sera vraiment sans importance.
M. Bellegarde : Je vous dirai, sénatrice, avec tout le respect que je vous dois, que notre vision du monde, comme peuples autochtones, est simple. Nous ne voyons pas la couleur. En cérémonie, nous appartenons tous à la tribu des bipèdes, pour ainsi dire. Nous respectons nos cousins, les quadrupèdes, de même que ceux qui volent, ceux qui nagent et ceux qui rampent. Nous reconnaissons les quatre directions cardinales des êtres. Nous reconnaissons la mère Terre, le père Ciel, la grand-mère Lune et le grand-père Soleil. Nous sommes reliés. Nous reconnaissons aussi les grands- mères qui protègent les eaux, l'eau de mer, l'eau douce, l'eau de pluie. C'est lorsque les eaux rompent que vient la vie. Nous sommes tous reliés et sommes tous partie du tout.
Vous vous demandez peut-être pourquoi je parle ainsi. Cela me ramène encore à ce qu'il y a d'important : nous n'avons qu'un seul monde. Que laisserons-nous à nos enfants, à nos petits-enfants et aux enfants des sept générations qui viendront après?
Je crois, au fond de mon cœur, de mon esprit et de mon âme, que nous dépendons beaucoup trop des combustibles fossiles. Il y aura beaucoup d'emplois et d'occasions économiques à saisir si nous commençons progressivement à nous orienter vers l'énergie verte et les énergies de remplacement. Je crois sincèrement que les emplois qui seront perdus dans le secteur du pétrole et du gaz seront récupérés grâce à la technologie des énergies de remplacement, pourvu qu'il y ait suffisamment de recherche, de développement, d'innovation et de progrès technologique.
Voilà ce que je crois, parce que nous faisons tous partie de cet ensemble, non seulement au Canada, mais dans le monde. C'est ce que je vois. Même si nous perdons du terrain, où est la stratégie, où est le plan national et international susceptible de nous faire remonter la pente?
Il n'y a qu'à suivre l'argent. Considérez les autres pays du monde qui ont vraiment axé leurs efforts sur l'énergie propre et l'énergie verte. Ils ont créé des millions et des millions d'emplois. C'est de cela que nous devons nous inspirer.
Nous savons que le Canada est riche en ressources. C'est indubitable. Mais nous devons rechercher l'équilibre, l'équilibre et encore l'équilibre. En examinant les choses de près, nous constaterons que l'économie est une filiale à 100 p. 100 de l'environnement. C'est ainsi que je vois les choses. Et c'est l'équilibre que je vise pour l'avenir.
Encore une fois, je ne veux pas laisser à mes arrière-petits-enfants un grand mal de tête parce que je n'aurai pas fait les choses correctement au niveau des politiques, de la législation et de la stratégie. C'est hors de question.
La sénatrice Unger : Vous avez parlé du Conseil de la fédération en précisant que vous avez été écarté des discussions. Vous avez ajouté que vous collaborez maintenant. Est-ce que cela signifie que vous serez à la table aux prochaines discussions?
M. Bellegarde : Avec votre aide et celle de tous les distingués sénateurs, avec des interventions auprès des premiers ministres provinciaux, vous pouvez faire en sorte que les peuples autochtones soient présents, et surtout l'Assemblée des Premières Nations. Nous devrions être là.
La sénatrice Unger : Je suis parfaitement d'accord.
M. Bellegarde : C'est bien. Je vous remercie.
Le vice-président : Cela dit, nous sommes arrivés au terme de notre réunion. Je voudrais remercier le chef Bellegarde, M. Makinaw et M. David de leur présence.
Honorables sénateurs, à notre prochaine réunion, nous entendrons Peter Forrester, de Kinder Morgan.
(La séance est levée.)