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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 6 - Témoignages du 27 septembre 2016


OTTAWA, le mardi 27 septembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Notre comité poursuit ce matin son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Je souhaite la bienvenue à notre témoin. Ross McKitrick est titulaire de la chaire de recherche en énergie, écologie et prospérité au Frontier Centre for Public Policy. M. McKitrick est également professeur d'économie et chaire du commerce durable à l'Université de Guelph, où il se spécialise en économie environnementale. Il s'intéresse particulièrement à la relation entre la croissance économique et la pollution ainsi qu'à la relation entre les différents aspects de la science et la politique publique.

Veuillez commencer votre exposé, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Ross McKitrick, titulaire de la chaire de recherche en énergie, Frontier Centre for Public Policy : Bonjour tout le monde. Comme vous l'avez entendu, je suis professeur d'économie à l'Université de Guelph, où je me spécialise dans l'économie de la politique environnementale, y compris dans les questions liées à l'énergie et au changement climatique. Je suis également titulaire de la chaire de recherche en énergie, écologie et prospérité au Frontier Centre for Public Policy.

J'aimerais faire valoir trois points fort simples dans mon exposé d'aujourd'hui.

Tout d'abord, c'est par hasard que les pipelines forment un goulot d'étranglement dans la voie qui relie les produits pétroliers au marché. Ce n'est toutefois pas une raison d'employer le processus réglementaire des pipelines afin d'édicter des règlements environnementaux de facto qui n'ont pas été approuvés par la voie législative normale.

Deuxièmement, la discussion sur les aspects environnementaux des projets de pipelines s'inscrit dans le contexte d'une réduction énorme de la pollution atmosphérique liée aux véhicules qui a été observée ces dernières décennies, même si la consommation de carburant a augmenté de façon constante.

Enfin, le temps n'est pas à l'avantage du gouvernement dans cet enjeu. Les tendances économiques du Canada et du monde entier ne sont pas encourageantes, et plus le problème empire, plus il causera du tort à notre économie et à notre unité nationale.

En ce qui concerne mon premier point, dans la plupart des secteurs de l'économie, la distribution d'un produit chez les détaillants est assurée par un secteur du transport compétitif qui compte de nombreux petits joueurs et de nombreux itinéraires. Personne ne songerait à adopter une politique environnementale consistant à ériger des barrages routiers ou à saboter des camions. En plus d'être fondamentalement inefficace, une telle solution serait inutile puisque les produits atteindraient tout de même le marché par d'autres moyens de transport et d'autres itinéraires.

Or, le transport des carburants dépend de pipelines pour au moins une partie du trajet. Le fait que le parcours de distribution du produit se limite à un seul canal à un moment donné ne signifie pas que le blocage de ce canal soit un moyen efficace ou raisonnable d'atteindre des cibles environnementales. C'est simplement attribuable au fait que la technologie des pipelines engendre ce que les économistes appellent un « monopole naturel ». L'expression désigne toute situation où les économies d'échelle sont supérieures à la taille du marché, de sorte qu'un seul fournisseur finit par dominer. Dans des situations semblables, y compris dans le cas des pipelines, il est logique de créer un organisme de réglementation qui surveille le développement de la capacité et la tarification.

Permettez-moi d'insister : si vous discutez des pipelines, c'est justement parce qu'il s'agit d'un monopole naturel. Il ne peut y avoir qu'un seul fournisseur, et ce monopole doit être réglementé.

Les règlements environnementaux sont édictés indépendamment. Ils sont le fruit du processus législatif démocratique ordinaire, et sont en fin de compte soumis à l'approbation de l'électorat. Les délibérations sur le bien-fondé de ces règles devraient prendre la forme d'argumentations et de votes. Or, permettre aux activistes de tirer parti du monopole naturel des pipelines afin d'imposer un programme environnemental qui n'a pas été approuvé à la suite du processus d'élaboration des politiques environnementales porte atteinte à l'intégrité de notre mécanisme d'élaboration de règlements.

En bref, la surveillance réglementaire des pipelines devrait se concentrer sur les aspects qui touchent directement et expressément l'intérêt public, à savoir la sécurité, la rentabilité et la tarification. Les cibles environnementales entourant les émissions atmosphériques polluantes, y compris les gaz à effet de serre, doivent encore être régies par le mécanisme d'élaboration des règlements environnementaux. Ceux qui sont mécontents de la combinaison actuelle de règlements environnementaux peuvent faire valoir leurs arguments sur les tribunes où de tels règlements sont discutés plutôt que de bloquer la construction et l'exploitation de nouveaux pipelines.

En deuxième lieu, certaines personnes qui s'opposent à la construction de nouveaux pipelines semblent avoir la conviction que la pollution atmosphérique canadienne liée aux hydrocarbures est élevée, est en hausse et doit être réduite. Les données démontrent toutefois que ce point de vue est sans le moindre fondement. Voici quelques faits saillants sur les émissions atmosphériques canadiennes liées au transport motorisé.

Entre 1990 et 2014, la consommation nationale de carburant est passée de 2,5 à 3,5 millions de mètres cubes par année, ce qui constitue une augmentation de 40 p. 100. Pourtant, les émissions de particules des véhicules à moteur ont chuté de 150 à 60 mégatonnes par année dans le même intervalle, ce qui représente une baisse de 60 p. 100. Au cours de la même période, les émissions d'oxyde d'azote, ou NOx, des véhicules automobiles, un gaz qui contribue à la formation de smog, ont chuté de près de 50 p. 100, et les émissions de monoxyde de carbone, de 70 p. 100.

La diminution des concentrations de contaminants dans les villes canadiennes prouve d'ailleurs que cette amélioration est réelle. Environnement Canada conserve des archives nationales détaillées sur les contaminants atmosphériques urbains grâce au programme du Réseau national de surveillance de la pollution atmosphérique, ou RNSPA. J'ai tracé la courbe de l'ensemble des données du RNSPA pour chaque ville canadienne, et les graphiques sont publiés sur le site web YourEnvironment.ca. Les données montrent clairement que, malgré la forte augmentation de l'utilisation des véhicules, les concentrations atmosphériques de polluants liés aux véhicules, comme les particules de carbone, le NOx et le monoxyde de carbone, ont chuté au cours des dernières décennies et atteignent aujourd'hui leurs plus bas niveaux historiques.

Cette amélioration est attribuable à l'élaboration de technologies comme les convertisseurs catalytiques et les moteurs efficaces, qui nous permettent de continuer à utiliser des carburants fiables et peu coûteux tout en allant plus loin et en diminuant continuellement les émissions du tuyau d'échappement. La dissociation de l'utilisation des véhicules automobiles et de la pollution atmosphérique urbaine est l'une des grandes réalisations intellectuelles et techniques de l'après-guerre. C'est une façon judicieuse de voir le développement durable qui a eu des retombées considérables au Canada, notamment sous la forme d'un assainissement de l'air et de nombreux avantages sur les plans de l'économie et de l'emploi, en raison du transport peu coûteux et de l'accès sécuritaire à des sources énergétiques nationales.

En revanche, le blocage de projets d'exploitation des ressources et de pipelines n'est une façon ni judicieuse ni durable d'atteindre les cibles environnementales. Les produits pétroliers parviendront tout de même au marché, vraisemblablement par des moyens plus coûteux et moins respectueux de l'environnement.

Le coût de gestes semblables ne sera pas réparti équitablement au pays, ce qui m'amène à mon troisième et dernier point. Le temps n'est pas à l'avantage du gouvernement. Plus l'Ouest canadien attend de pouvoir exploiter ses ressources et les vendre aux cours mondiaux, plus les occasions manquées coûteront cher, et plus le ressentiment sera profond, d'autant plus que l'Alberta connaît déjà de grandes tensions économiques en raison du ralentissement dans le secteur pétrolier.

En outre, le monde occidental s'enchevêtre dans une longue stagnation économique qui risque davantage de provoquer une nouvelle crise financière, notamment en raison du niveau élevé de la dette improductive du système bancaire chinois, de l'insolvabilité possible de la Deutsche Bank, et de la probabilité d'une nouvelle crise qui nécessiterait un renflouement dans les pays périphériques de l'Union européenne. Par conséquent, un projet de pipeline qui relierait l'Alberta à une côte majeure serait une initiative raisonnable et respectueuse de l'environnement alors qu'on a grand besoin de création d'emplois.

Le nouveau gouvernement canadien bénéficie d'un fort appui de la population. Mais quel est l'intérêt de tout cet intérêt s'il n'est pas utilisé là où on en a besoin? La construction d'un pipeline interprovincial renforcerait l'unité nationale et le développement économique, et ce serait tout à fait conforme à la stratégie judicieuse axée sur la technologie en matière de gestion de l'environnement que nous appliquons avec succès depuis des dizaines d'années.

Le vice-président : Nous allons commencer par le sénateur Mercer.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie d'être ici. Vous avez dit que le temps n'est pas à l'avantage du gouvernement, mais j'aimerais parler du fait que la consommation de carburant est passée de 2,5 à 3,5 millions de mètres cubes par année. C'est une hausse de 40 p. 100, mais il y a eu une réduction des polluants au cours de la même période. Pouvez-vous nous dévoiler la source de ces données?

M. McKitrick : Les sources sont citées dans les notes de bas de page. La consommation de carburant se trouve au tableau 134-0004 des archives du Système canadien d'information socio-économique CANSIM de Statistique Canada. On y publie des données mensuelles sur la consommation de carburant. Aussi, les données sur les émissions se trouvent sur le site web d'Environnement Canada, et elles sont recueillies au moyen de l'Inventaire national des rejets de polluants, ou INRP, dont je vous donne le lien ici. Les archives du RNSPA sont distinctes. Je n'ai pas repris ces données précises, mais les archives du RNSPA sont en ligne sur le site d'Environnement Canada, et j'en ai aussi tracé la courbe sur le site web YourEnvironment.ca.

Le sénateur Mercer : Ne pensez pas que je remettais en question vos données. Je voulais simplement que leur source figure au compte rendu, car les gens se demanderont où vous avez pris ces chiffres lorsqu'ils vous entendront à la télévision. Maintenant, je le sais, et tout le monde le sait, y compris le public.

Curieusement, les médias ne reprennent pas ces chiffres et ne rapportent pas l'information de cette façon. Ils prennent toujours un angle plus négatif.

Vous dites ensuite que plus l'Ouest canadien attend de pouvoir exploiter ses ressources et les vendre aux cours mondiaux, plus les occasions manquées coûteront cher.

Proposez-vous au gouvernement de court-circuiter le processus d'approbation des pipelines et de prendre une décision en faisant fi de certaines mesures actuellement en place?

M. McKitrick : Vous employez l'expression « court-circuiter », ce qui sous-entend de contourner les procédures. Je ne proposerais rien de tel, mais un certain pouvoir discrétionnaire peut être exercé quant à la longueur du processus d'approbation et au nombre d'étapes à y ajouter.

Le sénateur Mercer : Vous proposez donc de raccourcir le processus?

M. McKitrick : Oui, car il faut comprendre que certaines circonscriptions ne seront jamais convaincues; si vous prolongez le processus dans l'espoir d'obtenir l'unanimité, vous ne réussirez jamais.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à tous mes collègues sénateurs à la fin de ce bel été. Il a fait très beau dans l'Est du Canada. Je ne sais pas si dans l'Ouest, il a fait aussi beau.

Bienvenue, monsieur McKitrick. On sait que le premier ministre Trudeau a annoncé récemment son intention de signer un accord de libreéchange avec la Chine. On connait les besoins de la Chine en matière d'énergie, surtout en matière de pétrole. Lorsqu'on regarde la croissance rapide de la vente automobile en Chine, on sait que ce pays aura besoin de beaucoup de ressources pour fournir à sa flotte de véhicules.

Croyez-vous que, sur le plan des discussions entre le Canada et la Chine, les ressources naturelles soient des éléments importants dans un projet de libre-échange?

Ma deuxième question est la suivante : croyez-vous qu'une des conditions pour la signature d'un traité de libreéchange avec la Chine, quant à l'accès aux ressources, serait l'obligation de construire un pipeline, autant dans l'ouest que dans l'est du pays?

[Traduction]

M. McKitrick : J'imagine qu'une des choses qui motive la Chine à conclure un accord avec le Canada serait d'obtenir des dispositions semblables à celles de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, qui comportait un chapitre sur l'énergie, comme vous vous souviendrez peut-être. Ce chapitre empêchait le Canada d'interrompre arbitrairement son approvisionnement aux États-Unis et nous obligeait à lui accorder un accès préférentiel. La Chine cherche peut-être un arrangement semblable. Selon moi, il est peu probable que le pays ajoute une condition qui nous oblige à construire un pipeline. Dans le cadre de négociations commerciales, je pense qu'une telle demande serait considérée comme une intervention excessive dans les délibérations intérieures d'un autre pays.

Comme vous l'avez souligné, la Chine a grandement besoin de ressources pétrolières et énergétiques, et elle est activement en train d'établir des relations d'importation avec d'autres pays. Le Canada serait assurément un fournisseur de choix en raison de sa stabilité et des liens historiques entre les deux pays. J'imagine que ce sera une composante majeure des pourparlers.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il y a deux éléments qui me préoccupent; d'abord, les présidentielles américaines, dont l'un des candidats, M. Trump, a comme objectif de revoir l'ALENA. M. Trump prétend que le libreéchange a eu un impact négatif sur la création d'emplois aux États-Unis. La Chine demande l'accès à nos ressources. Ce sujet sera donc au cœur des discussions avec le Canada.

Le transport du pétrole par train m'inquiète, car il augmente. Croyez-vous que, dans le cadre des discussions avec le Canada, la Chine pourrait imposer comme condition la construction d'un pipeline?

[Traduction]

M. McKitrick : Au lieu que le gouvernement chinois exige la construction d'un pipeline comme condition à la signature d'un accord commercial, il est plus probable que les investisseurs privés chinois demandent que tout investissement futur dans le secteur des sables bitumineux soit conditionnel à l'approbation d'un projet de pipeline. Voilà qui serait logique du point de vue d'un investisseur.

Le gouvernement chinois est libre de demander n'importe quoi dans le cadre des négociations commerciales, mais je trouverais très inusité qu'un gouvernement qui souhaite signer un accord commercial exige que le processus législatif d'un autre pays donne un résultat donné. Une telle demande outrepasse le pouvoir des négociateurs commerciaux. En revanche, les investisseurs pourraient très bien dire qu'ils ne sont pas prêts à appuyer de nouvelles exploitations du secteur pétrolier et gazier de l'Ouest à moins qu'un projet de pipeline ne soit approuvé et que la construction ne soit terminée ou du moins susceptible de l'être, étant donné que le produit n'est pas vendu aux cours mondiaux. L'infrastructure fait en sorte que les investisseurs sont à la merci d'un seul acheteur. Ils peuvent toutefois investir dans d'autres régions du monde en échange d'un approvisionnement en pétrole aux cours mondiaux.

La sénatrice Unger : Merci, monsieur McKitrick. Je viens d'Edmonton, et c'est un vrai plaisir d'entendre vos propos. Je suis tout à fait d'accord. Aussi, la situation de l'Alberta est fort désespérée, et vous en avez parlé.

J'ai deux questions. Nous constatons que la situation économique difficile de l'Alberta est aggravée par des mesures environnementales douteuses. Je pense notamment à la taxe à venir sur le carbone, d'abord en Alberta et ensuite à l'échelle fédérale, à un plafonnement des émissions de gaz à effet de serre pour les sables bitumineux, de même qu'au moratoire sur la côte Ouest, et qui sait comment les choses vont évoluer là-bas.

Pensez-vous que le gouvernement a trouvé le juste équilibre entre l'économie et la protection de l'environnement? Encore une fois, je pense surtout à la première ministre de l'Alberta, qui a imposé ces taxes sans contrepartie pour quiconque. Qu'est-ce que le gouvernement fédéral peut faire pour maintenir l'équilibre entre l'économie et les préoccupations environnementales?

M. McKitrick : Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, j'aurais pu vous inonder de données sur ce sujet. Nous avons amélioré considérablement la qualité de l'air d'un bout à l'autre du pays, y compris dans l'Ouest. C'est attribuable à des décisions politiques historiques, mais aussi au développement de technologies améliorées et de véhicules automobiles propres. Nous avons désormais un ensemble de mesures réglementaires qui représente une gestion tout à fait adéquate du désir de bénéficier d'approvisionnements en carburant et en énergie qui sont fiables et peu coûteux, de préserver la qualité de l'air et de l'eau, et d'atteindre d'autres objectifs semblables.

Je m'inquiète par exemple de la discussion actuelle concernant la taxe sur le carbone. J'ai étudié ce genre de taxes; c'était d'ailleurs le sujet de ma thèse au début des années 1990, bien avant que la plupart des gens y songent. L'argument économique en faveur d'une taxe semblable suppose qu'il n'y a pas déjà un ensemble de mesures réglementaires. Si de telles mesures réglementaires sont déjà en place, il n'est plus logique sur le plan économique d'y ajouter une taxe de plus. Cette taxe n'améliore pas l'efficacité du système, et elle ne fait qu'augmenter le coût de l'ensemble des règlements déjà en place.

Le prix du carbone vise à fixer un plafond sur ce que les émetteurs doivent payer. Chacun doit payer pour ses émissions, mais nous ne voulons pas que ce prix grimpe en flèche. Nous souhaitons qu'il atteigne un plafond.

Pour ce qui est du plafond d'émissions de gaz à effet de serre dont vous avez parlé, certains de mes collègues se sont penchés sur le coût par tonne de réduction d'émissions, et on parle ici d'environ 1 000 $ par mégatonne d'émissions qui sont réduites.

Dans le cas de l'élimination progressive du charbon en Alberta, il y aura évidemment une certaine réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais le coût varie entre 500 et 1 000 $ la tonne. Les objectifs de production de biocarburants sont une autre mesure mise en place à l'échelle fédérale. Il est difficile de chiffrer cette mesure, mais encore une fois, on parle de plus de 300 $ pour chaque tonne de réduction.

Ce sont des cas où on ne peut pas comparer les avantages aux coûts que cela engendre. Par conséquent, la situation que nous avons connue jusqu'à présent, selon moi, représentait un bon équilibre de nos priorités, et les résultats sont très nets, comme je l'ai dit : amélioration de la qualité de l'air et de l'efficacité des véhicules, développement des secteurs pétroliers et gaziers et approvisionnement énergétique abordable pour les ménages, dont la plupart des sources d'énergie sont produites au pays.

Je considère qu'il ne faut pas exagérer au chapitre de la réglementation environnementale, car plus on pousse dans cette direction, moins on obtient d'avantages et plus les coûts sont élevés. Ces coûts sont bien réels, et dans le cas de l'Alberta, ils pourraient alourdir son fardeau, à un moment qui n'est certainement pas opportun, compte tenu des graves conséquences sur l'emploi du déclin dans les secteurs pétrolier et gazier.

Votre première ministre espérait qu'en prenant des initiatives en matière de politiques environnementales hautement médiatisées, l'acceptabilité sociale serait au rendez-vous, comme par magie, mais même son propre parti ne l'a pas appuyée. Et les gens qui s'opposaient aux pipelines il y a deux ans le sont toujours aujourd'hui. Rien ne va les faire changer d'avis. On ne pourra pas obtenir l'unanimité, car il y a de nombreux électeurs qui, quoiqu'il arrive, ne seront jamais favorables à cette idée.

La sénatrice Unger : Merci beaucoup. Je sais que nous ne pourrons jamais obtenir l'appui de tout le monde, mais tout récemment, des chefs des Premières Nations ont annoncé qu'ils uniraient leurs forces pour contester l'exploitation des sables bitumineux en Alberta. Ce regroupement semble presque amorphe. Il a pris de l'ampleur, puis il se fait discret depuis un certain temps.

Comment pourrait-on les faire changer d'avis pour, finalement, en arriver à l'approbation d'un projet de pipeline?

M. McKitrick : J'ai vu ce reportage sur ce regroupement de Premières Nations dont vous avez parlé. J'ai essayé de bien comprendre leurs arguments. Quelles sont les préoccupations qui les motivent à agir ainsi? J'ai eu du mal à les cerner. Il est d'autant plus difficile d'y répondre. S'ils ont des préoccupations précises concernant la gestion des terres ou les émissions atmosphériques, entre autres, on pourrait à ce moment-là leur fournir des chiffres et leur expliquer comment on pourrait remédier à leurs préoccupations. Si, toutefois, ce n'est qu'une question de concept, et qu'ils affirment qu'en aucun cas, ils n'approuveront ces projets, il est évident qu'ils ne veulent pas prendre part à cette discussion. Par conséquent, je ne vois pas ce qu'on peut faire pour en arriver à une solution positive.

Cependant, dans ce même reportage, j'ai vu qu'il y avait d'autres groupes des Premières Nations qui avaient pu bénéficier des avantages de l'exploitation de ces ressources sur leur territoire et à proximité, et ils ont une tout autre histoire à raconter. Ils estiment que des projets leur ont ouvert des débouchés et permis de conclure des ententes avantageuses pour toutes les parties. J'espère que c'est un dialogue qui pourra se tenir au sein des collectivités des Premières Nations et qu'on pourra régler certaines des préoccupations, du point de vue conceptuel, qui ne semblent pas fondées en amenant ces groupes à discuter entre eux des avantages qu'ils ont pu tirer des partenariats et de l'exploitation des ressources sur leurs terres.

Le sénateur Black : Monsieur, je vous suis très reconnaissant de nous avoir présenté cet exposé ce matin. Tout comme la sénatrice Unger, je viens de l'Alberta. Avant d'arriver au Sénat, j'ai fondé l'Institut canadien de politique énergétique. Je peux vous dire qu'au cours des 10 dernières années où j'ai pris part à ce débat, j'ai rarement entendu un discours aussi rationnel, rafraîchissant et ciblé que le vôtre. Merci beaucoup.

Je vous en prie, dites-moi que vous continuerez à transmettre votre message. Je suis ravi que vous soyez des nôtres aujourd'hui. Et surtout, je suis heureux que la séance soit télévisée. Votre point de vue est rationnel et, je dirais même, très équilibré. Par conséquent, dans votre rôle, que ce soit par l'entremise du Frontier Centre ou des bureaux des divers sénateurs — et nous pourrions même vous fournir une tribune pour que vous puissiez exprimer votre point de vue —, vous avez le courage nécessaire pour prendre la parole et nous voulons vous aider à répandre la bonne nouvelle.

M. McKitrick : Je suis heureux que vous ayez trouvé mon exposé utile. Je sais que vous n'avez pas une tâche facile. Je peux concevoir que ce ne sont pas tous les témoins que vous avez convoqués qui sont favorables à l'exploitation des pipelines, comme je le suis. Je suis professeur dans une université publique, et je mets mes recherches à votre disposition. Je vais publier mon exposé d'aujourd'hui sur Internet.

Par ailleurs, vous m'avez demandé si je pouvais exprimer mon point de vue sur d'autres tribunes, et je serais très heureux de pouvoir vous aider.

Le sénateur Black : Nous allons certainement y réfléchir.

J'ai une question également. Votre exposé de ce matin portait principalement sur les pipelines, et nous vous en remercions. Toutefois, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'approbation des projets de gaz naturel liquéfié sur la côte Ouest du Canada?

M. McKitrick : Honnêtement, je ne me suis pas du tout penché sur ce dossier. En principe, il y a des processus réglementaires. Étant donné les procédures bien établies au Canada, je m'attendrais à ce que les organismes de réglementation en matière d'énergie soient très rigoureux et qu'ils analysent convenablement les risques, les avantages et les coûts. Toutefois, il y aura toujours des aspects précis dont il faudra tenir compte, que ce soit la géographie de la côte Ouest ou la circulation des pétroliers, et comme je ne sais pas grand-chose à ce sujet, je préférerais m'abstenir de répondre.

Le sénateur Eggleton : Si vous me permettez, j'aimerais vous poser une question au sujet d'un commentaire que vous avez fait à deux reprises. Vous avez dit que le temps jouait contre le gouvernement. Joue-t-il en faveur de l'industrie? L'Office national de l'énergie a été saisi du dossier, et il semble qu'il nage en pleine confusion en ce moment. Je suppose qu'il lui faudra encore plus de temps. Il y a des aspects économiques qui entrent en ligne de compte. Les Américains deviennent de plus en plus autonomes. On est en train d'explorer d'autres façons d'extraire le pétrole et le gaz, par exemple, au moyen de la fracturation. Évidemment, le prix du pétrole ne favorise pas l'exploitation des sables bitumineux à l'heure actuelle, ou plutôt l'exploitation accrue des sables bitumineux, et cela a notamment entraîné un manque de confiance de la part des investisseurs dans le pétrole albertain. Tout cela mis dans la balance, si on tient compte du facteur temps, il ne faut pas oublier que le gouvernement jouit d'un grand capital politique. Il y en a aussi beaucoup du côté des Premières Nations. On a longuement parlé de ces enjeux. Comme on le sait, il y a chez certaines collectivités des Premières Nations une volonté de s'opposer à ces projets. Évidemment, ces collectivités ont non seulement des inquiétudes à l'égard de l'environnement, un peu comme nous tous, mais elles craignent aussi les répercussions sur leurs terres ancestrales ou à proximité.

Lorsqu'on réunit tous les éléments, le temps ne joue-t-il pas contre l'industrie autant qu'il joue contre le gouvernement?

M. McKitrick : Si je comprends bien ce que vous dites, il est possible qu'à l'issue du processus, le gouvernement approuve la construction d'un pipeline, puis que l'industrie ne soit plus intéressée parce que, du point de vue économique, cela ne vaut plus le coût. À cet égard, il se peut que le temps joue contre les deux parties.

Si c'est leur décision, on n'a pas le choix de l'accepter. On ne voudrait pas se retrouver avec un « éléphant blanc » qui coûte plus d'argent que ce qu'il pourrait rapporter.

Si on regarde la façon dont les projets d'exploitation des ressources ont été menés au Canada, à l'époque de l'Institut C.D. Howe et des premiers pipelines, on pourrait dire qu'il n'y a pas eu suffisamment de consultation, mais ce sont des processus qui s'échelonnaient quand même sur plusieurs mois ou quelques années. Aujourd'hui, les processus d'approbation sont excessivement longs, et je peux comprendre que les sociétés soient réticentes à investir dans de tels projets ou à surmonter tous les obstacles qui se posent, alors que tout le monde semble avoir un droit de veto.

Dans la situation actuelle, depuis la crise financière de 2008 dont l'économie américaine ne s'est pas encore remise, on se contente d'un taux de croissance de 1 ou 2 p. 100, qui est en grande partie attribuable aux lourds déficits et à une politique monétaire à taux zéro. Il y a donc très peu de croissance qui découle des entreprises. Si vous suivez l'actualité du côté de l'Europe, avec l'effondrement de l'action Deutsche Bank, on peut s'attendre à ce que le système financier européen éprouve, encore une fois, de graves difficultés.

Je sais qu'on ne veut pas utiliser ce terme, mais je crois que la construction d'un pipeline interprovincial dans une direction, du moins, pour commencer à acheminer cette ressource vers la côte Est une solution incontournable. Nous avons grandement besoin des perspectives économiques qu'offre ce projet.

Le temps ne joue pas en notre faveur, en ce sens que nous avons connu une longue période de faible croissance économique. Tout indique que non seulement la situation ne va pas s'améliorer, mais qu'elle va aussi empirer avant de s'améliorer.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais obtenir une précision. Selon vous, compte tenu des processus actuels à l'ONE et de la confusion qui semble y régner, combien de temps cela prendra-t-il avant que le gouvernement soit en mesure de prendre ce type de décision? Et combien de temps faudra-t-il pour construire un pipeline? Parle-t-on de 5 ans, de 10 ans?

M. McKitrick : Je ne pourrais pas répondre à cette question. La construction d'un pipeline dépend du trajet qui aura été adopté et des difficultés sur le plan géographique. Je sais qu'il y a un projet qui a été approuvé par l'ONE et le gouvernement, et rien ne s'est encore concrétisé au moment où je vous parle.

Si les investisseurs ne peuvent plus se fier aux procédures établies qu'ils ont respectées de bonne foi pour obtenir les résultats escomptés, c'est plutôt à vous de me dire combien de temps va durer le processus d'approbation, puisque ce qui est écrit ne vaut plus rien.

Le sénateur Eggleton : J'ai une deuxième question. Les chiffres que vous nous avez donnés au sujet de la consommation de carburant et des émissions spécifiques sont très impressionnants. Nous savons tous que les moteurs automobiles ont évolué — ils sont beaucoup plus efficaces que par le passé —, mais qu'en est-il de l'augmentation du volume entre 1990 et 2014?

M. McKitrick : Cela s'ajoute à la colonne des avantages. Cela signifie que plus de gens ont accès à du carburant et à des moyens de transport abordables. Si la réduction de la pollution était attribuable à une diminution importante de la consommation de carburant, à ce moment-là, on pourrait dire que les gens ont eu moins accès au carburant et qu'ils étaient moins en mesure de l'utiliser. Le fait que les deux évoluent en parallèle signifie qu'au Canada, nous avons dissocié le transport par véhicule automobile de la pollution atmosphérique en milieu urbain. Malgré une augmentation importante du nombre d'automobiles sur nos routes et du nombre de kilomètres parcourus et une hausse de 40 p. 100 de la consommation de carburant, les émissions d'échappement ont diminué considérablement.

Le sénateur Eggleton : Bien sûr, mais il y a des émissions, et on a plus de véhicules qu'on en avait au début de ces données.

M. McKitrick : C'est pourquoi je dis que le fait que l'on compte plus d'automobiles sur nos routes et que l'on consomme plus de carburant est bénéfique pour les gens. Cela leur offre une plus grande mobilité et leur permet de se déplacer, de se rendre au travail et tout ce à quoi sert une voiture. Si, parallèlement, on constate une importante diminution des émissions polluantes automobiles, c'est parce qu'on a dissocié les deux tendances.

Le sénateur Eggleton : Mais, de façon générale, on a toujours plus d'émissions?

M. McKitrick : Non, on produit moins d'émissions.

Le sénateur Eggleton : Non, mais vous avez plus de véhicules. Vous n'avez pas pris cela en considération.

M. McKitrick : Il se peut qu'il y ait davantage de congestion, parce qu'on n'a pas construit suffisamment de routes pour le nombre de véhicules, mais on produit moins d'émissions.

J'aimerais soulever un point. Vous vous souviendrez probablement de la qualité de l'air à Toronto dans les années 1960 et 1970. La première station de surveillance de la pollution atmosphérique a vu le jour à Toronto à l'intersection des rues Yonge et St. Clair, si je ne me trompe pas. On a des données qui remontent à 1962. La plupart de ces données n'ont jamais été publiées, mais au milieu des années 1960, le niveau d'anhydride sulfureux à Toronto était d'environ 150 parties par milliard. Aujourd'hui, il se situe en dessous de quatre parties par milliard. La concentration de particules dans les années 1970 à Toronto atteignait 150 microgrammes par mètre cube. Aujourd'hui, elle dépasse rarement 30 microgrammes.

Malgré l'accroissement de l'activité économique et un afflux de gens et d'entreprises dans cette ville, on a réduit la pollution atmosphérique. On obtient donc deux bonnes tendances : on stimule l'économie, on génère des revenus et on respire un air plus pur.

Le vice-président : Avant d'entamer le second tour, monsieur, j'aurais une question à vous poser.

Vous êtes un professeur d'économie. Mes cours d'économie remontent à 40 ans, mais je me souviens de quelques principes, dont celui de la loi des rendements décroissants. Je suis sûr que c'est un principe auquel vous adhérez également.

Vous avez parlé de la taxe sur le carbone et de la réglementation excessive. L'une des choses que j'ai remarquées — et je siège à ce comité ainsi qu'au Comité de l'énergie depuis cinq ans —, c'est que les politiciens partout dans le monde ont tendance à foncer tête première lorsqu'il s'agit de prendre des actifs et de les laisser en plan. Je pense notamment aux centrales alimentées au charbon et au mazout.

J'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Je ne dis pas que nous devrions construire de nouvelles centrales au charbon, mais par exemple, il y a une centrale alimentée au charbon relativement nouvelle en Alberta qui a une durée de vie de 25 ou 30 ans. Nous avons des centrales au charbon en Nouvelle-Écosse qui ont également une longue durée de vie. Comme vous l'avez dit, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en a déjà tenu compte dans ses prix.

Croyez-vous comme moi qu'on semble avoir trop tendance à fermer hâtivement ces immobilisations corporelles parce que le rendement relatif à l'impact environnemental ne vaut pas le coût?

M. McKitrick : J'ai étudié attentivement la décision de l'Ontario. Le gouvernement de l'Ontario fait continuellement référence à une analyse coûts-avantages faite en 2005. À cette époque, seulement 4 des 12 centrales au charbon avaient été rénovées; entre Lambton et Nanticoke, il y a 12 centrales.

Les données relatives aux rénovations ont montré que l'installation du matériel antipollution a permis d'éliminer 95 p. 100 des émissions de particules des cheminées et 70 p. 100 des émissions de NOx. La société d'ingénieurs chargée d'évaluer la qualité de l'air a simulé ce qui arriverait à la qualité de l'air si on fermait les centrales au charbon. Il y aurait de très petites réductions de la pollution atmosphérique parce que les centrales ne contribuent pas beaucoup à la pollution de l'air en Ontario. La société a aussi évalué ce qui arriverait si on finissait les rénovations. Elle a découvert qu'on obtiendrait les mêmes réductions de la pollution atmosphérique juste en terminant les rénovations.

De fait, en remplaçant le charbon par du gaz naturel, on augmente les émissions de NOx puisque les centrales au gaz naturel produisent un peu plus d'émissions de NOx que les centrales au charbon. Dans ce cas-là, on aurait pu améliorer la qualité de l'air à une fraction du coût en terminant simplement les rénovations déjà commencées.

La situation serait la même en Alberta. Comme vous l'avez dit, il y a des centrales récentes qui ont une longue durée de vie. Non seulement le gouvernement se hâte sans cesse de montrer qu'il resserre la réglementation, mais il pose aussi des gestes d'éclat; par exemple, il ferme les centrales au charbon au lieu de simplement terminer ce qu'il avait déjà entrepris : les rénovations majeures. C'est coûteux, mais ce n'est rien comparativement à la Loi sur l'énergie verte, et il aurait obtenu les mêmes réductions de la pollution atmosphérique.

Il y a donc à la fois la tendance de prendre des mesures excessives, mais aussi celle de préférer des gestes d'éclat qui ne donnent pas des résultats intelligents.

Le sénateur Mercer : Je pense que vous avez omis l'avantage politique dont les politiciens tiennent compte lorsqu'ils prennent des décisions sur la fermeture des centrales au charbon. C'est un autre sujet.

Le sénateur MacDonald a souligné que vous êtes économiste. Selon moi, c'est un aspect important dont nous devons parler. Dans la discussion au sujet d'un accord de libre-échange avec la Chine, si vous conseilliez le gouvernement chinois, il me semble qu'il serait pour un accord de libre-échange, mais qu'il tiendrait aussi à ce que nous puissions transporter notre produit de l'Alberta et de la Saskatchewan jusqu'aux ports de mer. Êtes-vous d'accord?

M. McKitrick : Oui. C'est dans son intérêt que l'approvisionnement mondial en pétrole augmente parce que, toutes choses étant égales par ailleurs, cela fera un peu baisser le prix mondial.

Toutefois, la Chine peut obtenir du pétrole n'importe où dans le monde. Pour elle, je pense que la stabilité et la sécurité de l'approvisionnement sont des facteurs importants; à cet égard, le Canada serait un fournisseur intéressant comparativement à certains endroits au Moyen-Orient.

Franchement, je ne connais pas la position de négociation de la Chine, mais pour un produit comme le pétrole brut, les fournisseurs sont nombreux. Je ne pense pas qu'elle serait trop inquiète si le Canada n'arrivait pas à prendre la situation en main.

Le sénateur Mercer : J'ai aussi remarqué que durant votre exposé, vous n'avez appuyé ni le pipeline dans l'Ouest ni celui d'Énergie Est. Vous n'avez montré aucune préférence.

Le sénateur MacDonald et moi nous sommes donnés pour mission, en quelque sorte, de faire comprendre à tous, durant les séances du comité, que selon nous, l'oléoduc d'Énergie Est ne devrait pas se terminer à Saint John, au Nouveau-Brunswick, mais plutôt dans le détroit de Canso, en Nouvelle-Écosse. C'est là que le pétrole que nous importons entre au pays. Nous avons déjà les grands réservoirs nécessaires pour recevoir le pétrole. Il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas entreposer le produit destiné à l'exportation. C'est très logique de prolonger l'oléoduc au-delà de la raffinerie Irving située à Saint John, pour aller jusqu'au détroit de Canso, en Nouvelle-Écosse.

Le point essentiel à souligner pour tous les opposants aux pipelines, c'est que de cette façon, on évite de construire un terminal dans la baie de Fundy, qui est très fragile sur le plan environnemental. Le détroit de Canso communique avec l'océan Atlantique. On sait déjà qu'il peut servir à expédier des produits.

Vous n'avez pas du tout parlé des deux pipelines. Je me demande simplement pourquoi.

M. McKitrick : Bien, on m'a dit que j'avais seulement droit à sept minutes.

Le sénateur Mercer : Vous êtes un des premiers témoins à tenir compte de cette restriction.

M. McKitrick : Non, je n'ai pas donné d'opinion à ce sujet parce que selon moi, une fois qu'on a répondu à la question conceptuelle concernant le transport du pétrole de l'Alberta aux ports de mer, il revient aux ingénieurs et aux comptables de déterminer quelle méthode est la plus rentable.

Or, c'est logique d'exploiter de l'infrastructure déjà en place plutôt que de tenter de construire de la nouvelle infrastructure. Dans cette mesure, le jumelage avec un pipeline actuel ou l'utilisation de ressources existantes en matière de pipelines, converties à une autre fin, sont des avantages qu'il faudrait prendre en considération. Au bout du compte, c'est possible que ce ne soit pas des facteurs décisifs. Cela dépendrait des particularités du projet.

Le sénateur Mercer : Le sénateur MacDonald souligne toujours qu'il y a déjà un pipeline en Nouvelle-Écosse qui transporte le gaz naturel des champs de l'île de Sable jusqu'aux États-Unis, notre marché principal. Or, il souligne aussi que nous allons probablement épuiser les réserves de gaz dans 18 mois. Ainsi, s'il existe déjà un pipeline, nous pouvons nous en servir.

La technologie est au-delà de mes compétences, mais d'une façon quelconque, nous le renversons. Nous sommes déjà presque rendus au détroit de Canso, et le pipeline passe déjà par le Nouveau-Brunswick pour se rendre au marché américain; le jumeler, l'améliorer, faire ce qui doit être fait, cela correspond exactement à ce que notre témoin a dit au sujet d'utiliser l'infrastructure actuelle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'aimerais parler de la taxe sur le carbone. On sait que le gouvernement veut inciter les provinces à appliquer la taxe sur le carbone. Dans vos présentations, j'ai pu remarquer que vous attribuiez davantage le réchauffement de la planète à un cycle de la terre plutôt qu'à l'industrialisation ou à l'utilisation des hydrocarbures.

Quelle serait l'utilité d'une taxe sur le carbone dans le contexte où vous n'attribuez pas à l'humain l'augmentation des gaz à effet de serre? De plus, quel serait l'impact de la taxe sur le carbone sur le développement des ressources naturelles au Canada?

[Traduction]

M. McKitrick : Je corrigerais votre première observation. Je ne pense pas avoir écrit au sujet des cycles du climat. C'est un sujet précis : les cycles de Milankovitch, les cycles solaires. Je n'ai pas écrit là-dessus et je n'ai pas tenté d'évaluer leur rôle.

Cependant, j'ai écrit au sujet de la comparaison entre l'évaluation des modèles et des prévisions, et les observations. Sur ce plan, ce que mes travaux ont montré, comme ceux de beaucoup d'autres, y compris le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, c'est qu'à l'heure actuelle, les modèles surestiment généralement le taux de réchauffement.

Il y a une hypothèse que certains gaz produisent un effet de serre, mais la question est de savoir si cet effet est grand ou faible. En lisant le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et toute la documentation sur laquelle il s'appuie, vous constaterez qu'il s'agit d'une question ouverte très importante, qui a des répercussions énormes sur l'économie.

À la fin de la semaine, je présenterai un exposé au Groupe d'étude canadien en économie des ressources naturelles et de l'environnement. Nous nous réunissons chaque année. Ce sont mes collègues du domaine de l'économie de l'environnement. Je vais présenter le travail que je fais actuellement sur ce qu'on appelle les coûts sociaux du carbone, la façon de calculer le taux d'imposition adéquat. Lorsqu'on insère les données les plus récentes sur la sensibilité du climat dans les modèles économiques — ce qu'on appelle les modèles d'évaluation intégrée —, l'estimation des coûts sociaux du carbone chute considérablement.

Même si on utilise les données antérieures, on constate que la taxe sur le carbone issue d'un modèle économique n'est pas tellement élevée comparativement au coût de nombreuses politiques déjà adoptées. Toutefois, les dernières données sur la sensibilité du climat montrent que l'estimation des coûts sociaux du carbone n'augmente certainement pas. Au contraire, elle diminue probablement.

Or, c'est un débat plutôt théorique. À ma connaissance, la plupart des discussions concernant la réglementation ne tiennent pas tellement compte de l'estimation réelle des coûts sociaux du carbone. Si c'était le cas, de nombreux règlements qui existent actuellement n'auraient pas été approuvés parce que le coût marginal du consommateur est beaucoup plus élevé que le coût du carbone auquel ils s'attaquent. Vous ne voudrez probablement pas vous lancer dans une discussion aussi vaste, mais cela montre qu'étant donné que nous avons déjà beaucoup de réglementation dont les coûts sont probablement supérieurs aux avantages qui s'y rattachent, ce n'est tout simplement pas logique d'ajouter n'importe quelle forme de taxe sur le carbone.

Le vice-président : J'ai quelques questions supplémentaires, si vous me le permettez, monsieur.

Vous avez beaucoup réagi à ces préoccupations et vous avez beaucoup publié à leur sujet. En avril 2016, vous avez déclaré dans un article d'opinion que le permis social est un mythe et que les efforts déployés pour l'obtenir sont un acte de pure folie de la part de l'Alberta et du Canada. J'aimerais des précisions à ce sujet.

M. McKitrick : J'étais en Alberta la première fois que j'ai entendu le terme « permis social ». C'était durant une réunion à laquelle des représentants du gouvernement et des universitaires participaient, et le concept semblait préoccuper les fonctionnaires. C'était la première fois que j'entendais le terme, et je ne comprenais pas vraiment de quoi ils parlaient. Or, avec le temps, l'idée est née qu'il existe un processus d'approbation informel; que ce processus est dirigé par certains groupes, surtout des groupes environnementalistes, mais aussi d'autres groupes alliés; et qu'on peut aller chercher l'appui de ces groupes. Ils peuvent accorder un permis social s'ils obtiennent certaines concessions.

Cependant, si vous cherchez à savoir exactement quel organisme délivre les permis sociaux, je vous souhaite bonne chance. Cela ne semble pas être un groupe identifiable de personnes, et les exigences à satisfaire pour obtenir un permis social ne sont jamais claires. À mon avis, l'expérience du gouvernement de l'Alberta est significative : il a expressément entrepris des initiatives réglementaires plutôt ardues en s'attendant à obtenir l'appui des opposants à la mise en valeur des ressources, mais ce n'est pas ce qui s'est produit. Comme je l'ai déjà dit, la première ministre a présenté des mesures, mais elle n'a même pas réussi à recevoir l'appui de son propre parti.

C'est à la suite de cela que j'ai écrit mon article pour contester le concept du permis social. À mon avis, ce qui rend la notion du permis social préoccupante pour les citoyens ordinaires, c'est qu'il ne s'agit pas vraiment d'un processus démocratique. Il existe des mesures réglementaires. Pour construire un pipeline, dans ce cas-ci, ou n'importe quel autre type d'infrastructure publique, il faut respecter les lois existantes, et tous les citoyens ont leur mot à dire dans l'élaboration des lois. Au bout du compte, le processus d'approbation réglementaire surveillé par le Parlement est sous l'autorité des citoyens. Or, avec le permis social, l'autorité semble appartenir uniquement à la personne qui crie le plus fort ou à celle qui est prête à s'enchaîner à un piquet de clôture ou à empêcher la tenue d'une séance d'un comité. On a alors affaire à une sorte de voyoucratie, d'après moi. Je suis d'avis que nous devrions nous concentrer sur l'application du processus de réglementation prévu par la loi et surveillé par le Parlement sous l'autorité des citoyens. Si les demandeurs ne répondent pas aux critères de ce processus de réglementation, ils ne peuvent pas aller de l'avant. Or, s'ils répondent aux critères, s'ils ont présenté une demande de bonne foi et s'ils ont fait leur travail, on devrait les autoriser à aller de l'avant. Il revient au gouvernement de ne pas permettre aux personnes qui crient le plus fort et qui empêchent le bon déroulement du processus d'obtenir ce qu'elles veulent en vertu du permis social.

Le vice-président : Comme il nous reste un peu de temps, je vais vous poser une dernière question, au sujet de la confiance des investisseurs en Alberta.

En janvier 2016, vous avez cosigné un article pour l'Institut Fraser au sujet de l'effritement de la confiance des investisseurs en Alberta. Je sais que l'argent sort à flots de l'Alberta. Selon l'article, bien que certains investisseurs aient déjà établi la valeur des effets engendrés par les préoccupations sur le transport du pétrole et l'accès aux marchés, la confiance des investisseurs est fortement atteinte. Pouvez-vous préciser votre conclusion sur l'effritement de la confiance des investisseurs en Alberta? Quels facteurs y ont contribué et que peut-on faire pour y remédier?

M. McKitrick : Cet article est né lorsque j'ai demandé à un de mes étudiants de troisième cycle à l'Université de Guelph de faire une étude pour déterminer si les décisions prises dans les dernières années concernant l'approbation des pipelines Keystone XL et Northern Gateway avaient eu des répercussions sur la valeur boursière des grandes sociétés pétrolières et gazières, ainsi que des entreprises de services pétroliers de l'Ouest canadien. Nous nous attendions à trouver un résultat. Nous croyions que le rejet du pipeline Keystone XL par l'administration Obama diminuerait la valeur des sociétés, mais en réalité, la décision n'a pas eu d'incidence sur le marché boursier. Ces décisions n'ont pas eu d'effet sur la bourse, ce qui montre que les investisseurs avaient anticipé les mauvaises nouvelles et qu'ils en avaient déjà établi la valeur. Pourtant, en se fondant sur des données complètement distinctes, l'Institut Fraser avait établi que l'Alberta avait reculé considérablement dans le classement des endroits où investir, selon une enquête internationale menée auprès des investisseurs du secteur de l'énergie.

J'ai donc cosigné un court essai avec M. Ken Green de l'Institut Fraser, dans lequel nous examinions les raisons du classement inférieur. Les conditions du marché ne semblaient pas en être une, selon les données relatives à la valeur boursière. D'après les réponses des investisseurs, la baisse dans le classement semble plutôt attribuable à la modification des conditions liées aux politiques, et la préoccupation de l'Alberta devrait être que c'est difficile de refaire sa réputation après avoir déclaré au monde qu'on n'est pas un bon endroit où investir.

Je pense que l'Alberta va s'en remettre. Ce n'est certainement pas un problème permanent, mais l'effet a été très réel, comme le montre l'enquête sur la confiance des investisseurs partout dans le monde. Ils voyaient l'Alberta d'un œil beaucoup moins favorable que quelques années auparavant.

Le vice-président : Merci beaucoup pour votre témoignage, monsieur McKitrick. La discussion de ce matin était très claire et approfondie.

M. McKitrick : Je vous en prie.

Le vice-président : Mesdames et messieurs les sénateurs, durant la séance de demain, nous commencerons notre discussion sur le rapport final.

La séance est levée.

(La séance est levée.)

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