Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 7 - Témoignages du 17 octobre 2016


MONTRÉAL, le lundi 17 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

[Traduction]

Daniel Charbonneau, greffier du Comité : Honorables sénateurs, j'ai le devoir de vous informer de l'absence inévitable du président. Étant donné que le président n'est pas là, je dois présider à l'élection d'un président suppléant pour la journée. Je suis prêt à recevoir des motions.

Le sénateur Doyle : J'ai l'immense plaisir de proposer la nomination du très distingué sénateur Mercer.

M. Charbonneau : L'honorable sénateur Doyle propose que le sénateur Mercer assume la présidence du comité aujourd'hui. Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

M. Charbonneau : La motion est adoptée.

Le sénateur Terry M. Mercer (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Merci à tous de votre confiance.

Au nom du comité, je tiens à souligner que nous sommes ravis d'être ici à Montréal. Nous poursuivons ce matin notre étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Nous avons commencé cette étude en mars dernier, et son objectif est de trouver une meilleure façon de transporter les produits pétroliers canadiens vers les marchés. Notre présence à Montréal nous rappelle les tragiques événements qui se sont produits à Lac-Mégantic il y a trois ans. Tout au long des réunions sur le sujet, nous gardons à l'esprit cet horrible événement et les victimes.

Le fauteuil que j'occupe actuellement est normalement occupé par le sénateur Dennis Dawson de Québec. Malheureusement, le sénateur Dawson suit actuellement un important traitement médical à Québec. Nous lui souhaitons prompt rétablissement et lui transmettons nos meilleurs vœux, mais je vous assure qu'il surveille nos faits et gestes. C'est ce qu'il m'a dit; soyons irréprochables. Il nous a à l'œil.

Avant de présenter notre témoin, j'aimerais demander au comité de permettre l'enregistrement des audiences publiques à Montréal, à Saint John et à Halifax par les médias électroniques. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président suppléant : Je demanderai aux sénateurs de bien vouloir se présenter, en commençant par les sénateurs à ma gauche.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve.

Le président suppléant : J'aimerais présenter notre premier témoin; il s'agit de M. Yves-Thomas Dorval, président- directeur général du Conseil du patronat du Québec.

Je vous invite à commencer votre exposé, et les sénateurs vous poseront ensuite des questions.

Yves-Thomas Dorval, président-directeur général, Conseil du patronat du Québec : J'aimerais tout d'abord offrir mes condoléances à l'honorable sénateur qui ne peut pas être parmi nous aujourd'hui en raison d'une mortalité dans sa famille.

[Français]

Alors, mon nom est Yves-Thomas Dorval. Je suis président-directeur général du Conseil du patronat du Québec (CPQ). Je vais faire ma présentation en français, mais si vous voulez que je réponde à des questions en anglais, je pourrai le faire également.

Au sujet du Conseil du patronat du Québec, c'est une organisation qui représente plus de 70 000 employeurs qui ont des activités au Québec; pas des employeurs de l'extérieur du Québec, au Canada ou dans d'autres pays, mais qui ont des activités au Québec. Nous sommes une confédération d'associations également, c'est-à-dire que des associations de tous les secteurs peuvent être membres chez nous lorsqu'ils sont des employeurs ayant des activités au Québec.

Nous représentons donc des employeurs du secteur des ressources naturelles, que ce soit les mines, les forêts, l'énergie, la transformation manufacturière et, également, les services. Puisque ce sont des employeurs, ce ne sont pas que des employeurs d'entreprises, ils peuvent être des employeurs également des secteurs parapublic et péripublic.

Alors, bien sûr, vous comprendrez, messieurs, que le Conseil du patronat ayant plusieurs membres, nous ne prendrons pas ici d'initiative pour parler davantage des oléoducs, par exemple à l'égard du transport maritime. Ce sont tous des membres du conseil, que ce soit le transport maritime, le transport ferroviaire, le transport par camion ou le transport par oléoduc. Alors, nous ne ferons pas de comparaison entre les différents modes de transport.

Nous n'avons pas non plus préparé un mémoire spécifique pour les audiences de ce matin, puisque nous avions préparé un mémoire d'envergure pour le projet d'oléoduc de TransCanada. Nous vous avons transmis, ce matin, la version en français de notre mémoire sur ce projet, à l'intérieur duquel vous allez retrouver quand même les considérations générales qui nous animent au niveau des oléoducs, de façon plus particulière.

Alors, en tant qu'acteur socioéconomique de premier plan, le CPQ intervient afin d'encourager les projets propices à la prospérité du Québec. C'est notre mission, favoriser les meilleures conditions possibles pour prospérer dans un contexte de développement durable, et donc, d'équilibre entre les trois piliers : l'économie, le social et l'environnement.

Dans le cadre de projet de pipeline, comme dans bien d'autres projets, le défi principal qui se pose, c'est de trouver, justement, cet équilibre, c'est-à-dire comment favoriser des projets ayant des retombées économiques intéressantes, tout en assurant une équité sociale et une protection adéquate des milieux naturels et des écosystèmes. J'aborderai donc surtout l'aspect économique des pipelines, qui est au cœur de notre mission. Mais je tiens à souligner que les volets sociaux et environnementaux sont également pour nous des préoccupations de premier plan.

Rappelons que, historiquement, le développement de l'infrastructure énergétique du Canada, dont font partie les oléoducs, a favorisé la croissance économique, la diversification industrielle et l'accroissement du niveau de vie des Canadiens.

Nous estimons que, de la même façon, des projets comme celui de TransCanada Est ou comme nous l'avons fait également dans le cas d'Enbridge pour le renversement de la ligne, sont susceptible d'accroître le développement économique du Québec et du Canada.

La première retombée pour nous, c'est d'abord que de tels projets puissent assurer une sécurité et une autonomie énergétiques plus grandes auxquelles aspirent le Québec et le Canada. On peut définir la sécurité énergétique comme étant la capacité de la chaîne d'approvisionnement de répondre de manière continue à la demande finale des consommateurs, telle qu'elle se manifeste, à des prix normaux et sans interruption soudaine ni choc de prix. Le concept de sécurité énergétique prend tout son sens lorsqu'on évoque des situations exceptionnelles, comme un conflit commercial, politique, militaire, un accident industriel ou une catastrophe naturelle qui peuvent se produire à l'occasion à travers la planète.

Le Canada, selon nous, a besoin de nouveaux pipelines afin de développer des marchés existants et d'en créer de nouveaux. Actuellement, en raison d'un manque de pipelines, les producteurs canadiens sont principalement limités au marché américain. En outre, 2,5 millions de barils de pétrole brut canadien sont vendus chaque jour à des clients aux États-Unis à un prix bien inférieur au prix du brut sur le marché international.

Une capacité accrue de pipelines est également nécessaire pour transporter le brut de l'Ouest canadien vers l'Est du Canada. À l'heure actuelle, les raffineries de l'Est du Canada doivent importer une bonne partie de leur pétrole brut à un prix supérieur sur le marché international à ce que le Canada reçoit pour ses propres exportations. Nous parlons de 20 à 30 p. 100 d'écart. Des analyses de la Banque CIBC et de la Banque de Montréal, faites en 2012, ont indiqué que le Canada subissait des pertes annuelles de plusieurs milliards de dollars, faute d'accès à d'autres marchés d'exportation de pétrole brut sur les marchés internationaux.

Tout le monde souhaite une réduction des besoins en matière de pétrole pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce matin, si vous avez circulé pour venir ici à cet hôtel, vous avez vu, tout comme moi, qu'on est encore loin du moment où l'essence et les carburants seront complètement éliminés du marché.

Sans pipelines, et ce, même s'il y a une réduction significative des besoins en matière de pétrole, il faudrait transporter de grandes quantités de pétrole brut jusqu'aux raffineries, plus de 3 millions de barils par jour au Canada, en utilisant d'autres modes de transport, comme des camions-citernes, des bateaux-citernes et des wagons porte-rails. Le transport par camion de 3 millions de barils par jour signifie plus de 15 000 voyages par camion additionnels sur de longues distances chaque jour sur les autoroutes canadiennes, ce qui aurait des incidences, bien sûr, sur l'entretien des routes, le bruit et les émissions de gaz à effet de serre.

Les études continuent de confirmer que les pipelines représentent un moyen adéquat de transporter les hydrocarbures et, dans la plupart des cas, le pétrole et le gaz sont transportés de manière sécuritaire au Canada. Les pipelines assurent à 99,9996 p. 100 le transport des liquides sans déversements.

Il y a plusieurs retombées, monsieur le président, messieurs les sénateurs. Je pourrai répondre à vos questions, mais nous pourrions les regrouper de la façon suivante. La construction de projets peut avoir des retombées importantes en matière de PIB et d'emplois. Simplement avec le projet TransCanada Est, nous parlons de plus de 3 000 emplois directs et indirects et de plus de 3,9 milliards de dollars en valeur ajoutée pendant neuf ans. Bien sûr, ce n'est pas à long terme, mais neuf ans, pour n'importe quel État, ce sont des données qui sont extrêmement importantes pour l'économie.

Dans le contexte économique actuel, je crois que ce sont des choses qu'on doit considérer, tout en regardant également les questions environnementales et sociales. Mais c'est plus important encore pour des régions comme Montréal, et c'est probablement la même chose pour les Maritimes ou le Nouveau-Brunswick, car le secteur du raffinage pétrolier est majeur. Ces raffineries sont responsables, à Montréal, de plus des deux tiers des exportations québécoises en énergie. Nous n'en parlons pas suffisamment. C'est deux fois plus que les exportations d'électricité.

Les exportations de produits raffinés figurent parmi les premiers produits d'exportation du Québec. Il convient, par ailleurs, de souligner que les achats à l'étranger représentent plus de 50 p. 100 des approvisionnements des raffineries de l'Est du Canada. L'industrie du raffinage constitue un actif industriel majeur, en employant une main-d'œuvre hautement qualifiée, bien rémunérée, et en effectuant des achats considérables en biens et services.

Il y a aussi d'autres industries dont nous ne parlons pas. Nous parlons beaucoup des émissions de gaz à effet de serre, parce que les carburants sont importants, mais l'industrie pétrochimique est devenue aussi un élément très important dans l'économie de l'est de Montréal. Or, nous ne faisons pas que produire des biens traditionnels; il y a aussi de l'innovation qui se fait de ce côté. Le secteur pétrochimique de l'est de Montréal représente plus de 2 000 emplois directs et 2 500 emplois indirects. Les secteurs du raffinage et de la pétrochimie représentent certainement une chaîne de valeurs, un écosystème industriel unique au Canada qui crée plusieurs synergies. Au Québec, 511 établissements du secteur de la plasturgie comptent plus de 20 000 employés et réalisent un chiffre d'affaires de plus de 5 milliards de dollars, sans compter également d'autres volets, comme les recettes fiscales que de tels projets génèrent pour les États.

Alors, je vais terminer ma présentation, qui a été probablement plus longue que le temps qui m'avait été accordé, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Dorval.

Le sénateur Doyle posera la première question.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Les commentaires du maire de Montréal piquent ma curiosité; il a dit : « Nous nous opposons à l'oléoduc dans l'Est du Canada. » Je me demande ce qu'il entendait par cela. Est-ce tout le Québec qui s'y oppose? Compte tenu de l'état de l'économie, je ne peux m'empêcher de me demander s'il parlait d'une minorité bruyante ou si la population du Québec en général s'y oppose.

[Français]

M. Dorval : C'est une excellente question, et j'y répondrai de la façon suivante : la première chose, c'est que les maires des municipalités concernées ont tout à fait le droit de consulter leur population et de se pencher sur les préoccupations de leur population locale. Il est clair que la question d'un pipeline qui traverse plusieurs cours d'eau, qui alimente des raffineries et qui transporte du pétrole, non seulement vers les raffineries de Montréal, mais à l'extérieur du Québec également, est une question légitime que les maires doivent examiner.

La question, c'est que, d'abord, il faut revoir le dossier d'une façon plus globale, et déterminer quels sont les impacts et les retombées pour le Québec et le Canada. Or, ils sont multiples, et il ne faut pas nier qu'il y a des préoccupations légitimes au chapitre environnemental et social.

Cela dit, si je regarde les impacts sur le plan industriel, par exemple, il y a plus de 200 manufacturiers québécois qui ont déjà fait part de leurs possibilités, de leurs capacités et de leur intérêt à produire et à livrer des biens et services. En ce qui concerne les manufacturiers, il s'agit de biens par rapport à la construction d'un projet comme celui de TransCanada Est. Ces employeurs, ces manufacturiers sont à l'échelle québécoise. Si on parle de plus de 9 000 travailleurs de la construction, ils ne viennent pas tous de la région de Montréal; ils viennent de plusieurs régions du Québec.

Encore, il y a un grand intérêt à faire en sorte de créer ces emplois. C'est sûr que si vous regardez les emplois à long terme, l'exploitation d'un pipeline ne crée pas autant d'emplois qu'une usine de transformation, par exemple. Mais, avoir plus de 3 000 emplois pendant une période d'environ neuf ans, il me semble que c'est considérable.

Cela dit, peut-être qu'il y avait, dans ces commentaires, un état de situation qui était contextuel à ce moment-là. Le promoteur devait faire un meilleur travail pour expliquer le dossier et consulter les différentes parties prenantes. Ce travail n'avait peut-être pas été fait de la meilleure manière au tout début, ce qui n'est pas incompréhensible, puisque les promoteurs qui arrivent de provinces de l'Ouest, où la présence des hydrocarbures est très importante, vivent dans un environnement et dans un contexte connus.

Ici, au Québec, la majorité de la population et des élus n'ont pas été beaucoup exposés aux questions d'exploitation ou de production, ou même de transport des hydrocarbures, de façon générale. Donc, il y a certainement de l'inconnu. Le promoteur doit faire ce travail, et les organisations réglementaires doivent arbitrer.

Vous savez, un projet de renversement de ligne comme celui d'Enbridge a suscité aussi beaucoup de questions. L'organisation réglementaire canadienne a, dans ses autorisations, exigé qu'il y ait de nombreuses précisions, des changements, et que des procédures soient adoptées, et cetera, pour rendre le projet viable.

C'est l'objectif d'une organisation d'autorisation. Il n'y a pas de doute que, encore une fois, au niveau de l'organisation, elle devra examiner les préoccupations légitimes des gens, que ce soit au niveau environnemental ou social, et demander au promoteur de mettre en œuvre une série de mesures qui répondront aux besoins pour protéger l'intérêt, la santé et l'environnement.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Avez-vous l'impression que l'opposition exprimée par le maire était un message pour nous dire qu'il faut probablement redoubler d'ardeur et s'asseoir avec les administrations municipales pour en discuter ou qu'il fermait complètement la porte au projet?

M. Dorval : C'est ce que nous croyons. Nous avons eu des audiences publiques sur l'acceptabilité sociale au Québec. L'acceptabilité sociale est un enjeu important. Si vous le voulez, je peux vous faire parvenir les commentaires que nous avons faits devant l'Assemblée nationale en ce qui a trait à la démarche d'acceptabilité sociale. C'est un aspect sur lequel nous devons nous pencher.

Un maire est élu pour représenter ses citoyens, sa population. Si l'acceptabilité sociale des projets industriels pose problème, nous devons nous assurer de faire tout en notre possible pour adopter une approche qui ne nous permettra pas nécessairement de faire l'unanimité, mais qui permettra au moins de mettre en place des pratiques exemplaires en vue de discuter de l'acceptabilité sociale de manière équilibrée.

[Français]

Le sénateur Pratte : Monsieur Dorval, j'aimerais poursuivre sur cette lancée, et suivre les questions du sénateur Doyle.

L'opposition à ce projet au Québec est très importante. Il y a peut-être une partie de cette opposition qui est circonstancielle, comme vous le dites, et que des changements au projet, des conditions additionnelles qui seraient imposées par l'Office national de l'énergie, par exemple, ou par le gouvernement, pourraient modifier.

Il y a une opposition. Je pense, par exemple, à l'opposition de plusieurs Premières Nations qui semblent déterminées à s'opposer au projet, quelle que soit la forme du projet. Vous et votre organisation, qui avez beaucoup travaillé et beaucoup songé à l'acceptabilité sociale, comment voyez-vous cela? Parce qu'il demeure que le gouvernement, s'il approuvait le projet, se retrouverait dans une position très difficile dans la mesure où il y a, effectivement, une opposition très déterminée au projet, quelle que soit sa forme, parce que le projet encouragerait l'exploitation des sables bitumineux et que beaucoup de gens se prononcent contre une telle exploitation.

M. Dorval : Monsieur le président, la première des choses, c'est qu'on doit catégoriser les différents types d'interventions qui ont eu lieu.

Je crois que le sénateur Pratte vient justement d'en souligner une. En ce qui concerne la question des hydrocarbures, des énergies non renouvelables, des énergies qui alimentent principalement des processus de combustion qui génèrent des émissions de gaz à effet de serre, il y a une entente internationale visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, donc l'utilisation des hydrocarbures, surtout que c'est une ressource naturelle non renouvelable.

Or, le CPQ y participe également. D'ailleurs, nous travaillons très étroitement avec des groupes écologistes pour trouver des solutions à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, il existe, de façon pragmatique et réelle, une consommation d'hydrocarbures qui est très importante au Québec, mais aussi dans l'ensemble du Canada, et qui le sera encore longtemps, même si elle doit être réduite.

La question fondamentale consiste à déterminer quels sont les plus grands avantages pour le Québec et le Canada. C'est d'abord d'avoir, quand on en a la possibilité, une production domestique, parce que cela nous libère de l'insécurité de s'alimenter ailleurs, compte tenu de notre consommation. Et, en ayant une production domestique, cela nous permet également de mettre en place des règles, des façons de faire qui seront les meilleures par rapport à nos préoccupations.

La plupart des gens qui critiquent les hydrocarbures utilisent un principe bien connu qui s'appelle la diabolisation — demonization en anglais. Tout projet qui a trait aux hydrocarbures sera donc diabolisé sur la place publique, afin d'appuyer une démarche qui vise à éliminer les hydrocarbures.

Encore une fois, nous participons à l'objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et nous proposons des solutions avec plusieurs groupes. Cependant, la réalité est telle qu'aujourd'hui, il est impossible de le faire. Comme nous aurons à consommer et à utiliser encore des hydrocarbures pendant très longtemps, nous préférons avoir une production domestique, si possible, et qu'elle soit accessible pour faire en sorte que tant les consommateurs que les industriels puissent avoir accès à ces produits à un prix raisonnable. De plus, il s'agit de faire en sorte de maximiser les retombées économiques pour l'ensemble de ceux qui y contribuent.

Alors, nous pouvons envisager le dossier de cette façon. Mais, essentiellement, si je pose la question à des communautés comme Lac-Mégantic, à savoir si elles auraient préféré avoir un pipeline plutôt que du transport par train, probablement qu'il serait facile de trouver la réponse.

Il n'y a pas de solution miracle. Il n'y a pas, d'ailleurs, de moyen de transport avec zéro risque, cela n'existe pas. Mais, actuellement, le niveau d'acceptabilité sociale n'est pas élevé pour les hydrocarbures, c'est clair.

La réalité, c'est que les mêmes personnes, pas nécessairement les groupes militants, mais la plupart des Québécois qui, dans un sondage, peuvent dire quels sont les enjeux par rapport à la production d'hydrocarbures, soit la très grande majorité des Québécois, utilisent des hydrocarbures dans leur transport quotidien.

Le sénateur Pratte : Je veux revenir sur le cas particulier des Premières Nations, parce qu'il y a notamment des Premières Nations qui ont conclu une alliance entre elles, les Premières Nations de tout le Canada avec des Premières Nations des États-Unis aussi. Les Premières Nations ont des droits très clairs qui sont reconnus par les tribunaux. Elles ont exprimé une opposition très ferme au projet Énergie Est.

C'est un cas particulier. Ce n'est pas juste une opposition idéologique. Les Premières Nations ont des droits reconnus. Comment, encore une fois, le gouvernement et les autorités peuvent-ils gérer cette opposition? Parce que c'est une opposition très déterminée.

M. Dorval : Alors, je n'ai pas la prétention d'être un spécialiste des relations avec les communautés autochtones. Je sais que les communautés autochtones ont des enjeux particuliers à ce chapitre. Je vais laisser aux spécialistes constitutionnels le soin de trouver les meilleures voies.

Ce que je peux vous dire, c'est que mon âge me permet de me rappeler ce qui s'est passé à l'époque du développement de la baie James où il y a eu, pendant très longtemps et même par la suite, des contestations, même devant les Nations Unies, de la question de l'aménagement des rivières sur les territoires autochtones. Le gouvernement du Québec, à l'époque, a réussi à obtenir une paix sociale en concluant des ententes, par exemple, l'entente de la Baie-James et ainsi de suite.

Il est certain que les préoccupations des communautés autochtones peuvent être légitimes, et elles le sont. Maintenant, cela reste une préoccupation liée à des groupes avec lesquels les gouvernements doivent traiter.

À un certain moment, il faut regarder aussi l'ensemble de l'œuvre, comme je l'ai mentionné tantôt, en ce qui concerne la sécurité nationale d'un pays, et il faut revoir ensemble, avec les différentes parties prenantes, y compris les Autochtones, quelle est la meilleure façon de procéder.

Malheureusement, je ne peux pas répondre aux questions d'ordre spécifique en ce qui concerne les relations avec les Autochtones et la Constitution, mais je peux vous dire que, comme dans n'importe quel dossier, le dialogue social peut aboutir quand même à des ententes. Nous l'avons vu dans le passé avec l'hydroélectricité. Aujourd'hui, parmi les partenaires du développement hydroélectrique, il y a les communautés autochtones. Donc, je pense que l'histoire peut nous démontrer qu'il est possible d'arriver à des ententes.

Le sénateur Smith : Qui va jouer le rôle de rassembleur dans ce portrait? Parce que nous avons divers groupes qui ont des intérêts, c'est évident. Mais qui va jouer le rôle de ramener les gens et de les rassembler? Est-ce que nous parlons de trois ans, cinq ans, dix ans avant que nous puissions trouver une solution à cette situation, ou est-ce qu'il y aura toujours des groupes spécifiques qui s'y opposeront?

Comment envisagez-vous cela? Parce que, si je comprends bien, le rôle du Conseil du patronat, c'est de regarder le portrait, d'examiner les pour et les contre, de faire des études et de communiquer les renseignements aux gens. Mais comment allons-nous faire avancer ce fameux projet, non seulement pour le Québec ou Montréal, mais pour le Canada?

M. Dorval : Le deuxième document que j'ai transmis tout à l'heure présentait les commentaires du CPQ concernant l'initiative de développer au Québec une approche permettant de favoriser une meilleure acceptabilité sociale.

Je dirais que le CPQ a été créé, il y a près de 50 ans, justement pour représenter les employeurs dans divers contextes de dialogue social. C'est notre modèle. Donc, pour nous, le travail de dialogue avec différents groupes fait partie de notre ADN, de nos gènes. Il y a d'autres groupes comme le nôtre aussi, nous ne prétendons pas être le seul groupe. Mais, nous l'avons fait. Nous l'avons fait aussi avec des groupes environnementaux. Alors, au lieu de regarder seulement les problèmes, de notre côté, nous avons commencé à regarder, avec nos membres, comment faire partie des solutions. Par exemple, lorsqu'il s'agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre, nous avons coprésidé deux comités avec des groupes environnementaux et d'autres groupes : un sur l'écofiscalité et un sur la transition énergétique dans le domaine du transport.

Actuellement, le CPQ a mis sur pied un important comité. Nous sommes à faire une importante recherche sur le transport des marchandises et sur la façon dont le transport des marchandises peut contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Donc, nous le faisons à notre modèle. Nous le faisons en dialogue avec les parties prenantes. Cela dit, nous ne faisons pas un choix entre une énergie plutôt qu'une autre. Il y a des avantages et des inconvénients à chaque type d'énergie. Il faut regarder cela d'une façon pragmatique, voir la réalité, ce qui se passe. Dans la réalité, il faut tenir compte des utilisateurs également. Alors, autant il faut convaincre les utilisateurs à réduire la consommation d'hydrocarbures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, autant il faut aussi être réaliste. Le réalisme concret, c'est de prendre conscience qu'il y a encore une utilisation très forte.

Nous pouvons travailler au niveau du dialogue social, au niveau de l'information. Par exemple, nous avons mis en place une campagne pour la prospérité inclusive du Québec : pour tous, par tous et avec tous. Il s'agit donc de valoriser le travail des entreprises, mais en tenant compte du niveau de vie et de la qualité de vie des citoyens. Cela fait partie d'une question de qualité de vie, ici, mais aussi de niveau de vie. Il ne faut pas nier l'un ou l'autre. Mais, en dernier lieu, il revient au gouvernement de faire les arbitrages nécessaires.

Le gouvernement du Québec a choisi de développer une approche en matière d'acceptabilité sociale. Ce que nous trouvons intéressant dans cette approche, c'est d'avoir un processus prévisible et clair lorsqu'un promoteur veut présenter un projet, afin de déterminer les étapes selon lesquelles il doit procéder. Je pense qu'on devrait avoir, au niveau fédéral, une approche aussi prévisible et aussi claire, quand un promoteur arrivera avec un projet, afin qu'il sache quelles sont les étapes à suivre. La meilleure façon, d'abord et avant tout, c'est d'être transparent et de communiquer les renseignements, dans la mesure du possible, dès le début d'un projet. Parce que, de toute façon, les groupes de pression, de façon très légitime, devront obtenir toute l'information à un moment ou l'autre. Pour un promoteur, ce n'est pas facile, parce qu'on n'a pas toutes les réponses aux questions au début d'un projet. Lorsqu'on est en situation d'avant-projet, on n'a donc pas toutes les réponses.

Mais je regarde ce qui se fait dans le cadre d'un autre projet majeur à Montréal, qui est le Réseau électrique métropolitain (REM), le projet de transport rapide par train automatisé. Ce qui est intéressant dans ce projet, c'est qu'on n'avait pas toutes les réponses aux questions en commençant. Mais, au fur et à mesure que les audiences publiques se déroulent, le promoteur tient compte des préoccupations des groupes et il n'attend pas à la fin. Il arrive tout de suite avec des propositions pour répondre aux besoins. Alors, c'est une démarche d'acceptabilité sociale très intéressante.

En conclusion, c'est au gouvernement de faire les arbitrages. Et le développement durable se décline en trois piliers, soit le pilier économique, le pilier social et le pilier environnemental. C'est au gouvernement de faire la réconciliation et c'est à ses organisations réglementaires de faire les recommandations nécessaires pour autoriser un projet. Donc, ultimement, il revient au gouvernement de faire cet arbitrage. Il y aura toujours des groupes qui seront contre des projets de développement.

Au final, c'est le rôle d'un élu de prendre ses responsabilités en minimisant les impacts environnementaux et sociaux. Mais, également, ce qui est malheureux, c'est que pour la plupart des projets de nos jours, non seulement au Canada, mais à beaucoup d'endroits sur la planète, les retombées économiques ne sont pas nécessairement prises en considération autant que d'autres préoccupations qui sont tout à fait légitimes. Alors, c'est l'arbitrage, et les trois piliers sont très importants. Nous ne pouvons pas parler de développement durable sans parler également du développement économique.

Le sénateur Smith : Quand vous parlez des trois piliers et du rôle d'impulsion que doit jouer le gouvernement fédéral, quelle est votre observation par rapport aux élus? Où en sont-ils rendus, maintenant? Et qu'est-ce qu'ils doivent faire pour avancer ou pour passer aux prochaines étapes de cette évaluation?

Est-ce que vous comprenez ma question?

M. Dorval : Non. Pouvez-vous la répéter, s'il vous plaît?

Le sénateur Smith : Oui. Vous avez parlé des trois piliers : l'économie, le social et l'environnement. Vous avez parlé aussi du rôle de leadership du gouvernement fédéral, si je comprends bien. Alors, quand vous regardez le développement des trois piliers, les programmes sociaux, économiques et environnementaux, où en sommes-nous? Et quelle sera l'étape la plus stratégique qu'on pourrait prendre, qui en serait responsable et à quel moment?

M. Dorval : Tout dépend des projets, monsieur le président, parce qu'on peut avoir des projets à portée provinciale et d'autres à portée nationale.

Alors, je ne veux pas viser un secteur plus qu'un autre. La seule chose qu'on dit, par contre, c'est que, lorsqu'il y a un projet de portée nationale, il faut que les processus soient mieux harmonisés, mieux intégrés, parce que c'est trop long lorsqu'on a des processus séparés.

Mais qui doit jouer un rôle de leadership? Tout d'abord, c'est d'abord au promoteur de faire le travail de base. C'est au promoteur, lorsqu'il présente un projet, de l'expliquer, d'être à l'écoute des préoccupations et de trouver des solutions qu'on appelle des mesures d'atténuation. C'est le rôle d'un promoteur. À la fin, l'autorité publique, le gouvernement, doit permettre aux gens, aux parties prenantes d'exprimer leurs préoccupations pour qu'elles soient considérées. En fin de compte, il faut quand même qu'une décision soit prise.

Je vous dirais que les promoteurs ne font pas toujours le meilleur travail en ce sens. Il faut qu'ils s'améliorent. C'est pour cela qu'il y a beaucoup de choses qui se font. Ce n'est pas pour rien que les entreprises ont amorcé des démarches de responsabilité sociale et de développement durable.

En outre, c'est pour cette raison que le gouvernement, en fonction du champ de compétence, doit trouver la meilleure façon de permettre aux voix de s'exprimer et d'analyser le projet. Nous, de notre côté, nous faisons de notre mieux pour essayer de valoriser dans tout cela les impacts économiques qui sont souvent sous-exprimés; ils ne sont pas suffisamment pris en considération. Mais les gouvernements vont aussi au rythme de leur population. Alors, le leadership, c'est une chose, mais il doit être en rapport avec le niveau de compréhension des enjeux de la part de la population.

Vous savez, dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les gouvernements, que ce soit celui du Canada ou celui du Québec, entre autres, se fixent des objectifs très ambitieux avec lesquels nous sommes d'accord. Si on ne se fixe pas d'objectifs ambitieux, on n'y arrivera pas. Cependant, nous manquons d'information au niveau de la pédagogie, parce que les gens qui sont souvent sondés et qui servent d'appui à des politiques n'ont pas nécessairement toute l'information pour comprendre les enjeux. Il est donc important de faire davantage de sensibilisation. Quand nous faisons un sondage, tout le monde veut avoir de la tarte aux pommes, par exemple. Mais, en même temps, il faut être en mesure de la fabriquer, la tarte aux pommes. Il faut être en mesure d'acheter les ingrédients pour la faire, et il faut avoir des gens pour la cuisiner. Alors, si je veux, comme consommateur, avoir de la tarte aux pommes, il ne faut pas que j'oublie qu'il faut des ingrédients et des cuisiniers, et la volonté de la faire. Un jour, je mangerai de la tarte aux pommes.

C'est la même chose dans n'importe quel contexte. Si nous voulons pouvoir nous transporter dans le monde, sur l'étendue du territoire qu'on a à couvrir, il faut comprendre qu'il y a différents moyens. Il y en a qui sont meilleurs que d'autres, et il y en a qu'il faudra développer, parce qu'on ne les a pas encore.

[Traduction]

Le président suppléant : J'aimerais poser quelques questions rapides, mais j'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue au sénateur Boisvenu.

Mes questions visent à déterminer si la société québécoise comprend certains des aspects des projets dont il est question. Par exemple, les Québécois comprennent-ils la situation par rapport aux prix dans laquelle se trouvent les Canadiens?

Nous avons un client. Nous lui vendons un produit, mais nous ne lui vendons pas un produit en fonction des cours mondiaux. Nous le lui vendons en fonction des cours du West Texas, qui sont inférieurs aux cours mondiaux. Si nous arrivons à acheminer le pétrole sur la côte Est, la côte Ouest ou les deux, nous pourrons vendre notre produit en fonction des cours mondiaux. Cela signifiera que la vente de notre produit nous rapportera beaucoup plus d'argent, peu importe nos clients.

La population au Québec en est-elle consciente ou comprend-elle la raison pour laquelle nous voulons acheminer notre produit par oléoduc jusqu'à la côte?

M. Dorval : Monsieur le président, cela dépend des intervenants dont il est question, parce que la population en général n'a pas beaucoup d'expérience dans ce secteur. Si je pose la même question en Alberta, il est probable que les Albertains auront des connaissances plus approfondies des enjeux relatifs à leur secteur de l'énergie. D'un autre côté, je dis cela, mais je n'en suis pas certain, parce que ce n'est pas tout le monde en Alberta qui est touché par l'industrie pétrolière.

C'est un problème. Voilà pourquoi nous devons expliquer les répercussions et les principes économiques qui sont bien réels, parce que les Canadiens ne profiteront pas, au final, des meilleurs prix. Dans l'Est du Canada, nous importons davantage de pétrole que nous en exportons. Le pétrole que nous importons nous coûte plus cher que le prix auquel nous exportons notre pétrole dans l'Ouest du Canada en raison des mécanismes de marché. Voilà pourquoi il est important de discuter d'économie dans un tel cas.

C'est également une question complexe. Nous n'avons pas besoin de nous assurer que tout le monde comprenne chaque principe. Par le passé, nos activités pétrolières ne touchaient ni la production, ni l'exportation, ni la distribution. La région de Montréal, Québec et la Rive-Sud ont une certaine expertise en matière de raffineries. Cela concerne un nombre limité de personnes; ce n'est pas tout le monde.

Il est ici question des produits pétrochimiques. Nous produisons beaucoup de produits comme des plastiques et des vêtements. La majorité des iPhone que tout le monde utilise sont faits à partir de produits pétrochimiques. Les émissions de carbone ne se limitent pas seulement à la combustion; c'est aussi le transport et tout le reste.

Le président suppléant : L'autre aspect — et j'en ai brièvement parlé au début de la réunion —, c'est que je trouve curieux que des gens s'opposent à un oléoduc au même endroit où s'est produite une tragédie comme celle de Lac- Mégantic; cet événement nous a permis de voir les dangers et les risques de transporter par rail le produit.

Je suis peut-être tout simplement un homme simple de la Nouvelle-Écosse, mais je serais porté à croire que ce serait l'un des arguments massue pour vendre un projet d'oléoduc. Nous avons été témoins de la tragédie qu'a causée le transport ferroviaire du produit. Nous ne voyons pas de telles tragédies survenir dans le cas des oléoducs. Bref, les oléoducs sont peut-être une meilleure réponse. Pouvez-vous m'aider à comprendre?

M. Dorval : Chaque mode de transport a ses forces et ses faiblesses. Depuis le début, les membres du CPQ incluent des compagnies de chemin de fer, des compagnies maritimes, des entreprises de camionnage et des sociétés de pipelines. Chacun a sa place en fonction de l'utilisation recherchée, des possibilités et de la meilleure option disponible. Je ne dirai pas que l'un est meilleur que l'autre. Cela dépend de divers facteurs.

Je peux cependant dire que les oléoducs ne sont certainement pas plus sécuritaires que d'autres modes de transport. Les oléoducs sont excellents pour certaines choses, mais cela ne signifie pas pour autant que les autres modes ne le sont pas aussi pour les mêmes choses. Même si vous voulez exporter du pétrole provenant d'oléoducs, vous les utiliserez de toute manière tous les deux.

Au final, le mode de transport utilisé dépendra de l'objectif. Comme je l'ai mentionné, nous savons une chose, et c'est que, si nous voulons augmenter notre production de 3 millions de barils, nous devrons ajouter 15 000 camions sur la route.

Voilà un exemple des avantages des oléoducs.

Le président suppléant : L'autre point important à retenir, c'est qu'il n'est jamais facile de faire comprendre ces mesures à la population. Si nous acheminons tous ces produits par camion, je vous laisse deviner ceux qui devront payer ces routes. C'est la population. Cependant, si le transport des produits se fait par oléoduc et que la construction est payée par des entreprises privées, cela permet de réduire les coûts.

Vous avez souligné un point très intéressant dans votre exposé qui mérite que nous nous y attardions, et c'est la discussion sur le rôle de nos Premières Nations. Je ne crois pas vous avoir entendu parler dans votre exposé des possibilités de formation et d'emploi pour les membres des Premières Nations, et ce sont des emplois à long terme, pas à court terme. Même si la construction est un projet à long terme et que la formation a un certain intérêt, la gestion des oléoducs offre aussi des possibilités à long terme, et il en va de même relativement au partage de la richesse découlant du transport des produits pétroliers.

Pensez-vous que cet argument pourrait faire changer d'idée les Premières Nations du Québec ou, à tout le moins, réduire leur opposition aux oléoducs?

M. Dorval : Je m'excuse, mais je n'ai pas de renseignements pertinents à vous donner en la matière. Je peux seulement vous dire que nous sommes tous interdépendants.

Le président suppléant : Exactement.

M. Dorval : Le Québec en profitera si les provinces des Maritimes vont bien en raison de la stimulation de leur économie et de leur prospérité. Si les États-Unis vont bien, le Canada ira encore mieux.

Du côté municipal, la région de Montréal n'ira pas bien si les autres municipalités au Québec ne vont pas bien, et vice-versa. C'est la même situation qui prévaut pour chaque groupe. Les Premières Nations n'iront pas bien si le reste du Québec ou du Canada ne va pas bien.

Le président suppléant : Vous n'avez pas à vous excuser, parce que c'est une question que je poserai à la majorité des témoins que nous entendrons aujourd'hui. Je cherche quelqu'un qui pourra nous aider à y voir un peu plus clair.

Sénateur Boisvenu, je vous en prie.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur le président. Je tiens à m'excuser de mon retard, le trafic de Montréal n'étant pas sous ma gouverne.

C'est un plaisir de vous revoir, monsieur Dorval. Écoutez, j'espère ne pas être redondant avec mes collègues, parce que je suis arrivé en retard. Je vais peut-être poser des questions qui ont déjà été posées.

Vous parlez beaucoup, dans votre mémoire, du processus de consultation. Vous parlez peut-être un peu moins de votre adhésion ou pas au fameux pipeline de l'Est qui, à mon avis, est le sujet de l'heure.

Moi, j'ai deux questions. D'abord, on observe chez beaucoup d'opposants le fait qu'ils ne s'opposent pas nécessairement à l'objectif de transporter des matières premières, comme le pétrole, mais plutôt à l'utilisation comme telle de la matière première. Donc, la question que je me pose est la suivante : malgré notre transparence, notre crédibilité et notre ouverture à discuter du projet, comment peut-on concilier les préoccupations des minorités qui s'opposent au projet du pipeline de l'Est à l'objectif de sécurisation du transport de cette même matière?

Quelques fois, je me demande s'il y a une possibilité d'harmoniser les deux objectifs, les pipelines qui sécuriseraient énormément le transport du pétrole comme tel.

On l'a vu dans les statistiques. Il y a une dizaine d'années, nous parlions de 4 000 wagons par jour. Nous parlons maintenant de presque 400 000 wagons par jour et nous pensons que cela pourrait doubler d'ici 10 ans. Comment pouvons-nous concilier les préoccupations de cette minorité de gens qui s'opposent à une volonté plus silencieuse qui serait d'accord avec l'usage du pipeline? Si j'habitais à Lac-Mégantic, je pense que je préférerais voir un pipeline passer chez moi au lieu de voir autant de wagons passer dans le centre-ville.

M. Dorval : C'est une bonne question. D'abord, il faut que les groupes et les parties prenantes puissent s'exprimer. Les audiences publiques, par exemple, et le processus d'acceptabilité sociale sont là pour ça. Nous ne pouvons pas nier le droit de chaque partie prenante d'avoir aussi des préoccupations à ce sujet.

Cela dit, je voudrais revenir à votre première intervention. J'ai distribué deux documents tout à l'heure qui n'ont pas été préparés pour la réunion du comité, mais pour d'autres choses. Il y a un mémoire qui explique clairement pourquoi le CPQ appuie le projet TransCanada Est.

Le processus d'acceptabilité sociale, c'est à l'égard d'une initiative prise par le gouvernement du Québec. Cela dit, la première chose, c'est que les organismes indépendants sont nécessaires pour faire l'analyse des projets, toujours en tenant compte des trois piliers : l'économie, l'environnement et le développement social pour essayer de faire l'arbitrage entre tout ça. Il ne s'agit pas de rechercher l'unanimité, car l'unanimité est impossible.

Maintenant, les préoccupations peuvent être légitimes. C'est le travail, entre autres, des promoteurs de faire en sorte que ce qu'ils veulent accomplir, les objectifs qu'ils veulent atteindre et la façon dont ils veulent le faire, soient présentés de la façon la plus claire et la plus transparente possible. Mais ce n'est pas facile, lorsqu'on fait face à un climat d'adversité. C'est pourquoi il doit y avoir des processus clairs, pour permettre aux organisations de le faire. Nous ne pouvons pas laisser les promoteurs seuls de leur côté. Il est facile de dire que lorsqu'il y a un promoteur, il y a un intérêt mercantile. On veut faire de l'argent, et on ne s'occupe pas de la population.

C'est pourquoi des groupes comme le nôtre interviennent aussi dans les débats, pour faire valoir les autres aspects de l'impact d'un tel projet, comme les emplois, les revenus fiscaux, et ainsi de suite.

Tout à l'heure, j'ai parlé d'interdépendance quand j'ai parlé des Autochtones et de l'ensemble des communautés qui vivent ici. J'ai parlé des Maritimes. Je n'ai pas eu le temps d'en parler, mais les provinces de l'Ouest sont interdépendantes aussi. Lorsque les provinces de l'Ouest ont une croissance économique intéressante grâce à l'exploitation de leurs ressources naturelles, nous avons des mécanismes de redistribution de la richesse au Canada, comme la péréquation et les transferts fédéraux. C'est bon pour chacun des membres de la communauté. Par exemple, à l'époque, à Terre-Neuve, le pétrole avait un bon prix. Et c'est vrai aussi pour l'Alberta ou d'autres provinces de l'Ouest, la Saskatchewan, et cetera.

Par ailleurs, à la fin, la population sera influencée par ses propres valeurs et son expérience. Au Québec, nous n'avons pas cette expérience de production du pétrole. Pourtant, les Québécois devraient savoir que les raffineries québécoises exportent plus de la moitié des produits raffinés qui sont consommés en Ontario. C'est fascinant. Les Québécois ne savent pas qu'une grande partie des produits utilisés en Ontario, des produits raffinés, sont faits au Québec. Or, ça, c'est une valeur ajoutée incroyable dans l'économie, pas seulement pour les travailleurs dans les raffineries. Mais, vous savez, les raffineries nécessitent énormément d'entretien, par exemple des fermetures pendant lesquelles on doit revoir les processus et moderniser les installations.

Il y a beaucoup d'investissements qui se font dans les raffineries québécoises, mais les gens ne le savent pas. Ce qu'on sait, c'est que c'est plus facile, évidemment, de faire peur aux gens en leur présentant des enjeux, des risques potentiels, que de leur parler des bienfaits économiques de telle ou telle chose. Ce n'est pas facile, et les gens ont le droit d'avoir des opinions. Ils ont le droit d'être contre, et ils peuvent avoir de très bonnes raisons d'être contre.

Par exemple, pour un résidant de l'île de Montréal qui travaille à Montréal, il est plus facile d'avoir accès à un transport en commun pour se rendre au bureau, à certaines heures. Par contre, pour une famille dont les deux parents travaillent, comme c'est le cas le plus souvent aujourd'hui au Québec, et qui habite à l'extérieur de Montréal, la situation est tout autre. Je connais des gens, par exemple, qui restent à Granby. Le mari travaille à Cowansville et l'épouse travaille à Saint-Hyacinthe, mais ils demeurent à Granby. Et, en plus de cela, il y a le transport des enfants à la garderie.

Ce n'est pas vrai qu'actuellement les transports en commun sont très efficaces. De plus, ils ne pourront pas l'être, parce que la densité de la population ne permettra pas d'avoir des transports en commun efficaces. Alors, il est clair que le transport sur de longues distances, c'est encore important compte tenu de la grandeur du territoire que nous avons à couvrir. Tant que les moteurs électriques ne seront pas aussi performants en termes d'autonomie que l'essence, nous aurons besoin d'essence. Les gens qui en utilisent ne s'en rendent pas compte, parce qu'ils en utilisent chaque jour. Cependant, si nous risquons de perdre ce combustible à un certain moment, nous nous en rendrons compte.

Ou encore, si nous payons un prix plus élevé à titre de consommateurs, nous pouvons nous poser des questions. Cela dit, il reste quand même qu'au Québec, nous avons fait le choix d'augmenter le prix de l'essence pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, avec des mécanismes de taxes de carbone, et ainsi de suite.

Alors, je parle de plusieurs choses en même temps, monsieur le président, mais ce que j'essaie de vous dire, c'est que les préoccupations des gens sont légitimes. L'information n'est pas complète. C'est normal qu'il en soit ainsi, puisque nous n'avons pas nécessairement été exposés à tout cela comme citoyens, au cours de nos propres vies.

Il y a un travail à faire de la part du promoteur. Il faut quand même qu'il y ait aussi, au niveau des médias, un travail pour équilibrer l'information. Mais, en même temps, à la fin, je vous dirais que le gouvernement a à trancher, dans le meilleur intérêt de tous, en faisant l'équilibre entre le développement économique et les préoccupations sociales et environnementales.

Le sénateur Boisvenu : Une dernière question. Monsieur Dorval, vous restez au Québec depuis longtemps. Vous êtes impliqué auprès des entreprises depuis longtemps.

Comment peut-on expliquer le manque de visibilité des promoteurs? Quand je parle de promoteurs, ce n'est pas juste celui qui construit le pipeline, mais tout ce qui gravite autour. Cette espèce de déséquilibre entre les opposants et les tenants, comment peut-on l'expliquer? Je n'entends pas parler beaucoup des avantages d'un pipeline au Québec. J'en entends parler, parce que je siège au Sénat.

Le président suppléant : C'est une bonne question.

Le sénateur Boisvenu : Si ce n'était pas le cas, je vous dirais que j'entendrais parler davantage les opposants, même s'ils forment une petite minorité. À l'inverse, quand je parle du pipeline aux citoyens dans la rue, une grande majorité y adhère.

J'essaie de comprendre pourquoi. Est-ce que c'est une question de préjugé favorable des médias par rapport aux opposants? Il y a une raison fondamentale quelque part, j'essaie de comprendre pourquoi il y a ce déséquilibre dans la visibilité.

M. Dorval : Bien, une partie de votre question peut s'adresser à votre collègue sénateur de gauche, le sénateur Pratte, qui a plus d'expérience que moi au niveau des médias.

C'est une très bonne question. Écoutez, les milieux économiques, de façon générale, sont pris avec différentes obligations. Prenez un entrepreneur d'une PME, par exemple. Il faut qu'il fasse vivre son entreprise et, pour lui, sa priorité, c'est de faire marcher son entreprise, de la faire croître. C'est sa priorité. Donc, il travaille beaucoup sur les opérations, sur la commercialisation, et ces choses-là.

Lorsque nous sortons de notre domaine de confort que nous appelons les affaires publiques, pour déterminer où nous en sommes rendus avec les médias, la population, les gouvernements, souvent, les entrepreneurs n'ont pas le confort nécessaire pour le faire. Ce n'est pas pour rien qu'il y a des associations comme la nôtre qui existent. Ces groupes se regroupent dans les associations, et c'est notre raison d'être.

Nous le faisons également avec les moyens que nous avons et de la meilleure façon possible. La réceptivité du message, c'est un autre élément. Vous savez, il est beaucoup plus facile de faire peur et de dire qu'il y a un risque que de rassurer les gens et de dire que tout va bien, surtout quand on sait qu'une activité économique sans risque, ça n'existe pas.

Donc, c'est difficile de la part d'un promoteur de dire n'importe quoi, n'importe comment, parce qu'il doit toujours être responsable de ce qu'il dit. Et s'il ne livre pas son propos d'une façon très équilibrée, il se le fera reprocher très rapidement.

Le sénateur Boisvenu : Donc, vous rejoignez l'adage qu'une mauvaise nouvelle se vend mieux qu'une bonne nouvelle.

M. Dorval : Ça, c'est l'évidence même. J'ai fait 35 ans de carrière en affaires publiques, je peux vous dire que c'est la réalité.

Cela dit, la question est que nous avons un travail à faire quand même. Nous ne pouvons pas blâmer tout le monde. Nous devons nous prendre en main nous-mêmes. Nous devons faire notre travail.

Le gouvernement doit favoriser les meilleures conditions possible pour que ce dialogue puisse s'exprimer. Et les groupes d'intérêts qui s'opposent ont le droit de s'opposer. Ils peuvent avoir d'excellentes raisons de s'opposer. C'est légitime de pouvoir s'opposer. En fin de compte, il faut qu'il y ait quelqu'un qui prenne la décision.

Mais la population en général sera influencée. Par exemple, au Québec, pourquoi sommes-nous les plus grands consommateurs d'électricité par personne? Parce que le prix de l'électricité est peut-être moins élevé qu'ailleurs. Parce que cela fait partie de nos vies, et cetera. Les gens ne savent pas que l'électricité qui est consommée sur le plan domestique est subventionnée par le tarif institutionnel commercial, parce qu'il coûte beaucoup plus cher de distribuer l'électricité à domicile qu'ailleurs.

Pourquoi la population s'oppose-t-elle lorsqu'il y a une augmentation de tarif? Parce que les citoyens sont très sensibles à cela, et c'est normal. Alors, il y a la compréhension, l'éducation, la formation. Nous ne pouvons pas demander à un citoyen de tout connaître. Le promoteur a un travail à faire et le gouvernement doit favoriser ce travail.

Dans les associations comme la nôtre, nous faisons de notre mieux pour essayer d'avoir un dialogue plus équilibré. Les médias aussi ont leur responsabilité. Je peux vous dire que, de façon générale, lorsque mes collègues et moi nous nous adressons aux médias, nous donnons une couverture adéquate de la plupart des propos que nous énonçons. Mais, savez-vous où nous allons retrouver nos propos bien souvent? Dans les pages économiques, mais le citoyen ne lit pas les pages économiques, malheureusement.

Alors, le problème du discours économique de la part des promoteurs et des associations comme la nôtre, c'est qu'il se retrouve dans des émissions ou des sections de médias qui sont importantes, mais qui, malheureusement, ne reçoivent pas toute l'attention nécessaire de la part de la population. Par contre, c'est dans des pages plus politiques, plus sociales, axées sur la santé ou sur la protection de l'environnement que se trouve la position qui les rejoint, qui n'aura pas une meilleure visibilité, en général, mais dont la population s'intéressera davantage à titre d'auditeurs, de téléspectateurs ou de lecteurs.

[Traduction]

Le président suppléant : Il est facile de montrer du doigt le sénateur Pratte et ses anciens collègues. En ce qui concerne le fait que les personnes qui s'opposent obtiennent plus d'attention que celles qui appuient, permettez-moi de citer le premier ministre actuel : « Parce qu'on est en 2016. »

Merci de votre exposé, monsieur Dorval. Vous avez contribué de belle façon à notre discussion. Nous vous en sommes reconnaissants, et nous vous remercions du temps que vous avez pris pour venir nous voir.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre prochain témoin. Il s'agit de Sonia Simard, directrice, Affaires législatives et environnementales, de la Fédération maritime du Canada. Je vous invite à faire votre présentation, laquelle sera suivie par les questions de mes collègues.

[Français]

Sonia Simard, directrice, Affaires législatives et environnementales, Fédération maritime du Canada : Merci beaucoup.

La Fédération maritime du Canada est une association qui représente les propriétaires opérateurs et agents de navires océaniques, donc les navires qui sont impliqués dans le transport du commerce international pour le Canada, qu'il s'agisse des importations ou des exportations.

[Traduction]

Je tiens à préciser deux choses. D'abord, je n'ai pas l'habitude de ce type de format, et j'espère que vous allez me pardonner si je suis un peu nerveuse.

Le président suppléant : Ne vous inquiétez pas.

[Français]

Mme Simard : Malheureusement, nous avons préparé notre exposé en anglais, car nous travaillons principalement dans cette langue. Alors, je vous prie de m'excuser. On pourra par la suite répondre aux questions en français. Encore une fois, toutes mes excuses.

[Traduction]

Nous avons cru comprendre que le comité avait certaines questions en ce qui concerne la sécurité des navires une fois que le pétrole brut atteint les côtes et qu'il est chargé à bord de pétroliers pour être exporté. Nous savons que cela n'est pas l'objet central de votre étude, mais nous avons constaté au cours de ces séances que vous aviez des questions à ce sujet. Nous sommes donc ici aujourd'hui pour vous donner de l'information sur la sécurité des navires dans le contexte d'un transport océanique.

Les navires transportent des quantités énormes de pétrole partout dans le monde. Nous ne cherchons qu'à mettre les choses en perspective. Environ 65 p. 100 de la production mondiale de pétrole est déplacé par bateau; les déplacements par pipeline et par train représentent environ 35 p. 100.

Ce n'est pas exactement le même scénario au Canada. Nous avons environ 100 millions de tonnes de pétrole et de produits pétroliers qui transitent de façon sécuritaire par nos ports, dont la majeure partie par des ports de la côte Est du Canada. Ces ports sont Come by Chance, Port Hawkesbury, Saint John, Montréal et Québec. Des pétroliers circulent également sur les Grands Lacs, sur la côte Ouest et dans l'Arctique, mais en moins grand nombre. Encore une fois, pour vous donner un ordre de grandeur, environ 95 p. 100 des déplacements de pétroliers au Canada se font sur la côte Est. La sécurité de ces déplacements dans les eaux canadiennes est assurée grâce à un régime international et national exhaustif qui a pour fonction d'encadrer tout ce qui a trait aux déversements : la prévention, l'état de préparation, l'intervention et les responsabilités.

Permettez-nous tout d'abord de vous donner un aperçu des mesures de sécurité qui sont prises pour le déplacement de pétrole par bateau dans les eaux canadiennes. Cela commence par des conventions internationales. Un corpus important de conventions internationales fournit les règles relatives à la gestion de la sécurité et aux opérations connexes pour les navires, les navires qui prennent la mer. Ces normes internationales encadrent la conception, la construction, les exigences en personnel et l'exploitation des navires marchands. Il y a aussi une importante quantité de règlements concernant la prévention de la pollution par les navires.

Une fois que ces normes internationales sont adoptées, elles sont enchâssées dans les lois nationales. En tant qu'État côtier, le Canada a le droit d'exiger que tous les navires qui entrent dans les eaux canadiennes appliquent ces normes internationales. Cette mise en application se fait surtout par l'intermédiaire de ce que nous appelons le contrôle par l'État du port. Ce que cela signifie, c'est que les inspecteurs de la sécurité de Transports Canada procèdent à des inspections à bord des navires afin d'assurer qu'ils se conforment aux normes internationales. En cas de non- conformité, le navire peut-être retenu temporairement, c'est-à-dire jusqu'à ce que le ou les problèmes aient été réglés.

Outre les règlements internationaux et nationaux, il importe de signaler que la sécurité des pétroliers est aussi assujettie à des impératifs commerciaux. Du côté réglementaire, cela se fait par l'intermédiaire des sociétés pétrolières, qui se sont réunies afin de mettre au point un régime très perfectionné pour procéder à l'examen et à l'approbation des pétroliers qu'elles souhaitent affréter.

Il y a également eu d'importantes avancées technologiques — notamment en ce qui concerne la navigation électronique —, qui rendent encore plus sécuritaire le déplacement des navires en eaux canadiennes. Par exemple, tous les navires marchands qui entrent dans les eaux canadiennes doivent être équipés d'un système d'identification automatique, d'un système mondial de localisation et de cartes électroniques.

Grâce à ces outils, les autorités canadiennes et les navires environnants peuvent connaître automatiquement la position d'un navire donné. Les cartes électroniques permettent aux navigateurs de voir en temps réel les renseignements relatifs à la position de leur bâtiment par rapport à d'autres parcours marins.

Cela diffère beaucoup de l'époque où les navigateurs devaient constamment essayer de tracer les parcours sur des cartes en papier. Les cartes électroniques leur permettent désormais d'avoir tous ces renseignements — et une foule d'autres encore — en temps réel.

En plus de ces règlements et de ces technologies, nous avons aussi des mesures pour assurer la sécurité des voies navigables, mesures qui sont mises en œuvre par Transports Canada, la Garde côtière et les ports, pour ne nommer que ceux-là.

Ce dont je parle ici, c'est de pilotage obligatoire pour tous les navires marchands entrant dans les eaux réglementées canadiennes. Au besoin, il y a aussi des escortes brise-glace. Il y a des tracés de circulation, des remorqueurs escortes et des limites de vitesse à certains endroits. Cela vous donne une idée générale du régime de sécurité auquel doivent se plier les navires marchands qui arrivent au Canada.

Nous avons également des mesures particulières pour les pétroliers. Par exemple, tous les pétroliers qui entrent au Canada doivent avoir une double coque. Cela signifie que les côtés et le fond du navire doivent être constitués de deux épaisses membranes d'acier afin d'éviter que l'intérieur du cargo soit endommagé dans l'éventualité d'un échouement ou d'une collision. Il convient ici de mentionner que les deux coques sont séparées par un espace, ce qui permet de fournir cette protection.

Les pétroliers font l'objet d'une inspection lors de leur première visite au Canada, et d'une inspection par an par la suite. De plus, dans certaines régions, les pétroliers doivent se plier au double pilotage. En l'occurrence, on exige que deux pilotes montent à bord plutôt qu'un seul.

En ce qui concerne les remorqueurs escortes obligatoires, il arrive que la navigation diurne soit réduite. Il peut y avoir une restriction liée aux marées. Toutes ces mesures de sécurité changent selon la région où doivent croiser les pétroliers.

Maintenant que vous connaissez les grandes lignes du régime de sécurité, comment cela se traduit-il sur le plan environnemental? Malgré le fait que le volume de pétrole transporté par bateau a beaucoup augmenté au cours des 30 dernières années, nous constatons une diminution marquée des déversements attribuables aux pétroliers.

N'importe qui peut faire dire presque n'importe quoi aux chiffres, mais il existe un organisme sans but lucratif international qui s'intéresse aux interventions en cas de déversement. Les données recueillies à l'échelle mondiale montrent que, depuis le milieu des années 1990, il y a eu 7,8 déversements par année. Or, nous en sommes maintenant à 1,8 déversement par année. Pour ce qui est des quantités déversées par les pétroliers partout dans le monde, je crois que cela représente moins de 0,3 p. 100 de tout le pétrole transporté par navire.

Au Canada, il n'y a pas eu de déversement d'importance en termes d'ampleur depuis que le régime en cas de déversement d'hydrocarbures a été mis en place au milieu des années 1990. Cela dit, je ne pourrais pas être ici sans reconnaître ce qui s'est produit la semaine dernière sur la côte Ouest avec ce remorqueur et ce chaland. Le témoin qui m'a précédé a mentionné qu'aucune activité industrielle n'est exempte de risques. Or, lorsque nous devons parler du niveau de risque acceptable, il importe de garder à l'esprit la feuille de route globale de l'industrie en matière de sécurité ainsi que les mesures qui existent pour réduire le risque au minimum en fonction des régions et pour gérer ce risque.

En ce qui concerne le régime d'intervention pour les navires marchands qui entrent dans les eaux canadiennes, sachez que le Canada a les capacités nécessaires pour répondre au déversement d'un pétrolier. Le régime d'intervention existant peut répondre à un déversement pouvant atteindre 10 000 tonnes métriques. Au moment de pénétrer dans les eaux canadiennes, les pétroliers et les navires marchands doivent disposer à leur bord d'un plan d'intervention d'urgence et, ce qui est très important, d'une entente avec un organisme d'intervention agréé. Le Canada reconnaît quatre organismes d'intervention. Ces organismes ont de l'équipement et des intervenants agréés pour répondre aux déversements. Le régime en cas de déversement d'hydrocarbures est financé par tous les navires; ce sont eux qui en assument tous les coûts.

Étant donné que le trafic a changé depuis 1993, Transports Canada discute actuellement de la possibilité d'améliorer le régime en cas de déversement d'hydrocarbures mis en place dans les années 1990. Le Canada n'a toutefois jamais connu de déversement dépassant les 10 000 tonnes métriques.

S'il y avait un déversement, comment les responsabilités seraient-elles réparties? Je crois que certains d'entre vous se demandent comment les choses vont se passer sur le plan financier s'il y a un déversement, c'est-à-dire comment nous allons nous assurer qu'il y a suffisamment d'argent pour dédommager les parties lésées. Le secteur maritime dispose d'un schème très élaboré en ce qui concerne les responsabilités liées aux déversements de pétroliers. En cas de déversement, il y a trois niveaux d'indemnisation disponibles au Canada, pour une indemnisation maximale de 1,4 milliard de dollars.

Le premier niveau concerne la responsabilité stricte des armateurs et il couvre jusqu'à 160 millions de dollars. Si la réclamation dépasse ce montant, elle passe automatiquement à deux fonds internationaux d'indemnisation en cas de déversement financés par les sociétés pétrolières. Cette indemnisation additionnelle est d'environ 1,14 milliard de dollars. Le gouvernement du Canada a sa propre Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, un fonds additionnel de 161 millions de dollars disponible au cas où le montant offert par les armateurs et les deux fonds internationaux d'indemnisation n'arrivait pas à couvrir la réclamation. Le montant total disponible en cas de déversement d'hydrocarbures est donc d'environ 1,4 milliard de dollars.

Voilà une récapitulation très rapide des régimes en place en matière de sécurité, d'intervention et de responsabilités. Je crois que je vais m'arrêter ici afin de pouvoir répondre à vos questions.

Le président suppléant : Nous allons effectivement passer aux questions et je crois d'ailleurs que je vais m'en permettre une, rapidement.

Dans sa forme actuelle, le projet Énergie Est parle d'un pipeline qui prendrait fin à Saint John, au Nouveau- Brunswick, ce qui signifie que les navires passeraient par la baie de Fundy, qui est très délicate sur le plan environnemental. Y a-t-il des exigences spéciales pour les voies navigables délicates sur le plan environnemental, comme la baie de Fundy?

Mme Simard : On applique une gestion du risque en fonction de la région. Je ne connais pas les conditions particulières pour la baie de Fundy, mais la gestion du risque en fonction des régions débouche souvent sur le recours à des remorqueurs escortes, au pilotage et au double pilotage. Elle s'accompagne aussi de restrictions concernant la navigation diurne ou la navigation nocturne. Je ne connais pas les restrictions exactes qui s'appliquent à la baie de Fundy à l'heure actuelle, mais je pourrais vous trouver cette information et vous la faire parvenir. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il est possible de prendre ces mesures. De plus, nous avons des restrictions pour éviter les collisions avec les baleines.

Le président suppléant : C'est l'un des principaux problèmes là-bas, car c'est un endroit où les baleines noires se retrouvent durant l'été. Les navires sont si gros que les baleines qui les voient venir n'ont pas le temps de s'enlever du chemin; elles sont prises de vitesse. Les navires non plus ne manœuvrent pas assez vite pour s'enlever du chemin. C'est un accident en puissance. Si vous pouviez nous trouver cette information, nous vous en saurions gré.

Mme Simard : Comptez sur moi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Simard, je vous souhaite la bienvenue. Merci pour votre exposé très instructif. J'ai quelques brèves questions à vous poser.

Quel a été l'impact sur votre industrie, dans le transport du pétrole, de tout le développement de l'Ouest canadien? Nous l'avons vu au niveau du chemin de fer, le transport du pétrole s'est multiplié presque par 100. Quel a été l'impact sur votre industrie étant donné que le Canada exploite davantage ses ressources naturelles?

Mme Simard : En ce moment, ce que nous avons comme trafic pétrolier, sur la côte Ouest, nous avons un mouvement d'une centaine de navires pétroliers et de remorqueurs, les tugs and barges. Donc, la quantité de pétrole et de produits pétroliers, sur la côte Ouest, en ce moment, demeure quand même limitée par rapport à ce qui se passe sur la côte Est.

Le sénateur Boisvenu : Sur la côte Est, avez-vous connu une progression aussi fulgurante que le chemin de fer ou cela a été plus réduit?

Mme Simard : Pourriez-vous préciser quand vous dites « aussi fulgurante que le chemin de fer »?

Le sénateur Boisvenu : Bien, nous avons constaté qu'au niveau du chemin de fer, l'augmentation du transport du pétrole, il y a eu une multiplication de presque cent, presque, du nombre de wagons, quotidiennement. Avons-nous connu la même progression par rapport à l'usage du transport maritime?

Mme Simard : À l'échelle internationale et nationale, je crois que nous sommes dans les mêmes proportions, mais le transport du pétrole a doublé au cours des 20 dernières années.

Le sénateur Boisvenu : Par bateau?

Mme Simard : Ici, nous parlons de la quantité transportée?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

Mme Simard : Au niveau de la grosseur des navires? En effet, cela dépend du type de transport dont nous avons besoin. Par exemple, pour Come By Chance, ce sont des gros navires, parce que ce qui se passe, c'est l'importation du pétrole brut. Le pétrole est raffiné à Come By Chance puis exporté avec de plus petits navires. Donc, dans ce cas, nous utilisons de plus grands navires.

Lorsqu'il s'agit du transport pour l'approvisionnement local, nous faisons davantage appel aux navires Panamax et Abrasax. Par exemple, pour le Saint-Laurent, nous avons constaté une augmentation du transport pétrolier. Au niveau de Come By Chance, nous avons constaté aussi une augmentation de la grosseur des navires par rapport au volume transigé, au volume importé raffiné, et dans le cas des navires qui servent les marchés américains.

Le marché du pétrole est en pleine fluctuation en ce moment en raison de ce qui se passe aux États-Unis. C'est donc plus difficile de prévoir l'évolution de la demande canadienne. Mais oui, les navires sont plus gros et plus nombreux. Leur progression est-elle aussi fulgurante que celle des chemins de fer? Malheureusement, je ne dispose pas de données à ce sujet. De toute évidence, nous avons remarqué une augmentation importante.

Si nous revenons à la côte Ouest, ce n'est pas tout à fait le même portrait. Pour Kinder Morgan, si je me souviens bien, on parle de 400 navires de plus; et pour TransCanada, environ 200 navires pétroliers de plus de dimension plus grande.

Le sénateur Boisvenu : Si le pipeline de l'Est est construit, avez-vous mesuré l'impact que cela aura sur l'industrie maritime?

Mme Simard : Il y a deux aspects à cette réponse. Il y a une partie de l'Énergie Est où l'impact se fait au niveau du transport domestique. Le pétrole arrive à Montréal puis est transporté à Québec.

Malheureusement, la Fédération maritime ne représente pas le transport domestique. Donc, je ne pourrais malheureusement pas vous donner précisément des chiffres là-dessus. Il faut examiner la question du point de vue de l'impact sur notre industrie au chapitre des importations. Peut-être que les importations diminuent alors que le nombre d'exportations augmente.

En ce qui concerne Énergie Est, cela va dépendre. À Saint John, ce sera définitivement au niveau des navires pour l'exportation. Nous ne sommes pas ici pour prendre position sur des projets spécifiques. Là où il y a un besoin de transport des ressources pétrolières, les navires peuvent transporter la marchandise de manière sécuritaire.

Le sénateur Boisvenu : Nous savons que s'il y a construction du pipeline — et je dis bien si — il y aura une concurrence directe avec les chemins de fer, ce qui n'est pas le cas pour le transport maritime. Vous devenez en quelque sorte un prolongement du pipeline pour l'exportation?

Mme Simard : Oui. Tout à fait.

Le sénateur Boisvenu : J'en suis maintenant à ma dernière question: à l'heure actuelle, comment se situe le transport du pétrole, dans l'Est entre autres, par rapport à nos importations et nos exportations?

Mme Simard : Je devrais le savoir, mais je veux m'assurer de ne pas vous induire en erreur. Je reviendrai sur cette question. À ma connaissance, le volume des importations est plus grand que le volume des exportations.

En fait, je devrais être réticente à dire cela, parce qu'encore là, Come By Chance, qui représente en ce moment une grande partie du transport maritime, facilite le transport du refine/resold. Le pétrole arrive au terminal. Il est raffiné puis exporté dans de plus petits navires. Une petite quantité va au Canada, et un gros volume est exporté.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : J'aimerais revenir à la circulation des pétroliers sur la côte Est. Vous avez parlé des interventions en cas de déversement et de tout le reste. Quelles sont les mesures en place présentement pour intervenir en cas de déversement dans une région comme celle des Grands Bancs, où les eaux sont très agitées?

Devrait-il y avoir un moratoire pour des régions qui sont très délicates sur le plan environnemental, comme celle des Grands Bancs où les poissons fraient et vont se reproduire? Que faites-vous là-bas? Avez-vous un plan spécial pour une région comme celle-là?

Mme Simard : Nous n'avons certes pas abordé la discussion dans la perspective d'un moratoire. Nous avons tenté de comprendre le niveau de risque et de trouver la façon la plus adéquate de gérer ce risque. Cela renvoie aux mesures de sécurité en matière de transport dont j'ai parlé : le pilotage obligatoire et le remorqueur escorte. De plus, la qualité des pétroliers qui entrent au Canada doit être approuvée dans une optique commerciale et les navires doivent être inspectés par Transports Canada.

Pour ce qui est des mesures de prévention et des mesures d'intervention, j'ai parlé des quatre organismes d'intervention agréés au Canada. L'organisme d'intervention qui couvre votre région s'appelle la Société d'intervention maritime, Est du Canada. Aux termes de la loi, cet organisme doit avoir la capacité de répondre à un déversement pouvant atteindre 10 000 tonnes métriques.

Le sénateur Doyle : Donnez-vous suite aux plaintes concernant les pétroliers qui nettoient leurs cales en mer et d'autres choses de ce genre? Beaucoup de pêcheurs voient les pétroliers passer et nettoyer leurs cales en pleine mer. Avez-vous une réponse spéciale pour des comportements de ce type? Faites-vous quoi que ce soit à ce sujet? Cherchez- vous à faire appliquer la loi? Que se passe-t-il?

Mme Simard : Pour ce qui est de patrouiller, Transports Canada a le Programme national de surveillance aérienne. Ses avions sont tenus de survoler ces régions pendant un certain nombre d'heures afin de veiller à ce que les navires se conforment aux lois.

Je peux vous assurer que, de notre point de vue, ceux qui font de telles choses les font illégalement. Nous ne tolérons pas ce genre de comportement. Nous sommes absolument contre de telles choses. La plupart des acteurs de l'industrie sont des exploitants de très haut niveau. Nous insistons sur la mise en application des normes internationales. En tant qu'État côtier, le Canada joue un rôle très important sur le plan des inspections et de la surveillance aérienne. C'est ce que nous percevons de notre côté.

Du point de vue de l'industrie, notre rôle d'association est en effet de promouvoir la conformité. L'industrie a aussi mis sur pied l'Alliance verte, un programme qui permet aux adhérents de mesurer l'empreinte environnementale de leurs navires.

Tant sur le plan national qu'international, la majorité des armateurs s'entendent pour dire qu'il est inacceptable d'avoir des flottes de pétroliers qui ne respectent pas les normes. Ces pétroliers doivent être inspectés avec rigueur et surveillés par avion pour travailler dans l'industrie. Il n'y a pas à revenir là-dessus.

Le sénateur Doyle : Avez-vous des statistiques quant à la fréquence d'incidents de ce type? Gardez-vous quoi que ce soit à ce sujet ou est-ce qu'il s'agit avant tout d'une responsabilité du gouvernement fédéral?

Mme Simard : Il y a de cela 12 ou 13 ans, Environnement Canada et Transports Canada ont modifié la loi pour répondre au problème des oiseaux mazoutés à cause de déversements opérationnels illégaux. Il n'est pas ici question de déversements attribuables à des accidents, mais bien de déversements opérationnels illégaux, de navires qui se délestent illégalement du pétrole qu'ils transportent. Les navires qui veulent faire cela en toute légalité doivent se servir de leur épurateur d'eaux mazouteuses, l'usage duquel est réglementé par des lois internationales. Selon la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, lorsqu'un navire utilise cet épurateur, la décharge résultante est sans danger pour l'environnement.

Le sénateur Doyle : Faites-vous référence au nettoyage des cales?

Mme Simard : Le nettoyage des cales fait partie de l'équation, ainsi que le déversement d'hydrocarbures opérationnels.

Le sénateur Doyle : Ces déversements s'effectuent-ils en mer?

Mme Simard : Eh bien, cette pratique est illégale et ne s'inscrit pas dans les activités normales de navires-citernes.

Le sénateur Doyle : Mais cela se produit.

Mme Simard : Oui. Comme toutes les industries, nous comptons quelques pommes pourries. Environ 16 000 des 55 000 navires qui composent la flotte internationale sont des navires-citernes. Je ne vais pas prétendre qu'aucun d'entre eux ne s'adonne à des pratiques illégales. Je serais incapable de le faire. Je peux toutefois vous dire que l'industrie en général et que la norme internationale adoptée sous l'égide de l'OMI visent à assurer la conformité des activités au droit international. On s'en remet à l'État du pavillon et à l'État côtier pour appliquer ces exigences.

Le président suppléant : Voilà ce qui arrive quand nous comptons parmi nous un membre du comité des pêches. Nous finissons toujours par parler de la pêche.

Avez-vous d'autres questions, sénateur Doyle?

Le sénateur Doyle : J'en ai des centaines, mais j'ai terminé.

Le président suppléant : Madame Simard, au cours de votre exposé, vous avez parlé du système d'identification automatique. C'était fascinant, mais je n'ai pas entendu ce qu'il se passe en cas de panne du système.

Mme Simard : J'ai certainement traité des cartes électroniques et de l'automatisation. Mais ce ne sont pas les seuls moyens de navigation. Les marins sont encore formés pour naviguer avec des cartes.

Le président suppléant : En format papier?

Mme Simard : Les outils de navigation non électroniques sont encore utilisés.

Le président suppléant : Vous avez donné des explications fascinantes sur le fait que si je me trouve sur un navire, je peux déterminer l'emplacement et la trajectoire des autres bateaux. Mais que se passe-t-il si le système tombe en panne? Je m'intéresse à ce que les autres navires font. Comment communiquent-ils avec moi pour me dire ce qu'ils font?

Je reviens à ma question sur la baie de Fundy. S'il s'y trouve plusieurs navires, dont certains sont chargés de pétrole brut et d'autres viennent en chercher, il me semble que le trafic y devient un peu risqué. Que se passe-t-il si le système d'identification automatique flanche?

Mme Simard : Ce n'est pas le seul outil. En fait, on dispose au Canada des Services de communication et de trafic maritimes, qui relèvent de la Garde côtière, l'entité qui gère le trafic. Les navires ne se fient pas uniquement au système d'identification automatique; ils ont l'obligation d'être en communication constante avec les Services de communication et de trafic maritimes. Si un navire éprouve un problème technique au chapitre de la navigation, il en informera ces services, qui prendront alors des mesures pour assurer une navigation sécuritaire.

Il n'y a pas que le système d'identification automatique qui transmet automatiquement la position. Le navire est toujours en communication avec les autorités côtières par l'entremise du service radio habituel et des Services de communication et de trafic maritimes.

Il y a aussi la question des accidents. J'ai examiné les données du Bureau de la sécurité des transports du Canada, qui compile des données sur les accidents de navires. Il s'agit d'accidents maritimes, pas seulement ceux de cargos commerciaux, mais aussi de bateaux de pêche ou d'observation des baleines, et d'autres navires commerciaux.

Les tendances révèlent une diminution du nombre d'accidents. J'ai constaté qu'environ 210 accidents de navires se produisent annuellement. Ces navires peuvent avoir eu une panne mécanique, s'être échoués ou avoir touché le fond. Je ne parle pas d'accidents graves, mais de problèmes mécaniques. Les données montrent que 50 des 210 accidents concernaient des cargos commerciaux. Les autres étaient des bateaux de pêche et d'observation des baleines.

Nous devons certainement discuter de ce qu'il se passe quand les outils de navigation électroniques ne fonctionnent pas, mais je veux vous faire comprendre que le nombre réel d'accidents de navires commerciaux est très faible, et il y a une raison à cela. C'est parce que l'industrie a des recours sur le plan de la sécurité. Si les entreprises ne peuvent transporter les marchandises de manière sécuritaire, elles ont un problème du point de vue commercial et au chapitre de la responsabilité.

Le président suppléant : Il est probablement nécessaire de catégoriser les accidents afin de les rendre compréhensibles, comme vous venez de tenter de le faire. Même quand on parle des accidents de bateaux d'observation des baleines, certains de ces accidents impliquent des baleines. Si vous avez déjà été observé les baleines, vous saurez qu'elles viennent très près des embarcations, plus près que nous le sommes maintenant. Il se produit donc des accidents.

[Français]

Le sénateur Pratte : Votre fédération ou d'autres organismes ont-ils mené un sondage sur la perception de l'opinion publique en matière de sécurité du transport maritime, en particulier du pétrole ou des hydrocarbures?

Mme Simard : Oui, mais ce n'est pas notre organisme. Un groupe qui s'appelle Clear Seas a rédigé un rapport il y a environ un an. Ce groupe a témoigné devant votre comité, qui est un centre d'études et de recherches financé par l'industrie et le gouvernement. Clear Seas a tenté d'évaluer le risque lié au transport maritime. Donc, ce genre d'étude existe en ce moment. Les opinions varient d'une région à l'autre. J'y vais par mémoire. Je vous transmettrai les résultats. J'espère ne pas donner une fausse impression ici, mais si ma mémoire est bonne, la perception du public en matière de transport maritime dans l'Atlantique est positive, car peut-être qu'on prend conscience de l'importance de ce moyen de transport pour l'économie de la région.

Par contre, dans la côte Ouest, l'opinion publique en matière de transport maritime, comme nous pouvons le constater dans les médias, est définitivement moins favorable.

Le sénateur Pratte : L'industrie fait-elle des efforts particuliers auprès de l'opinion pour informer comme vous le faites ici aujourd'hui, mais de façon plus générale?

Mme Simard : Tout à fait. Il y a environ huit mois, l'industrie et les collectivités riveraines du Saint-Laurent se sont rencontrées pour discuter des mesures de prévention et du niveau de préparation en cas de déversement. Ces discussions sont souvent faites sous l'égide d'une association qui s'appelle la Société de développement économique du Saint-Laurent (SODES), qui s'occupe principalement du transport maritime sur le Saint-Laurent. Ce genre d'initiative est mis en route sur la côte Ouest et nous y participons.

En résumé, il y a les associations et les propriétaires de navires qui communiquent directement avec les communautés riveraines, et ainsi de suite.

Sur la côte Ouest, plusieurs séances d'information publiques ont eu lieu. Lors de ces séances, les autorités de pilotage, les associations et les armateurs se réunissent pour entamer des discussions avec les communautés riveraines.

Donc, oui, ce genre d'initiative existe. Je vous ai aussi parlé de l'alliance maritime et du programme de performance environnementale. Tous les résultats de performance environnementale des membres de cette alliance sont rendus publics.

Les résultats concernant les indicateurs de performance environnementale sont accessibles au public. On peut savoir où un armateur se situe, s'il est membre de cette alliance. Donc, oui, un travail est fait à ce chapitre.

Le sénateur Pratte : Si je comprends bien, sur la côte Ouest du pays, malgré une diminution considérable du nombre d'accidents depuis les trente dernières années, il y a, malgré tout, des endroits où l'opinion publique demeure très inquiète ou très sceptique.

Mme Simard : Comme l'a affirmé M. Dorval, le témoin qui m'a précédée, nous avons encore beaucoup de travail à faire pour deux raisons : pendant très longtemps — pas dans les 15 dernières années —, cette industrie n'a pas cherché à faire valoir sa performance sur le plan de la sécurité environnementale.

Donc, nous avons eu beaucoup de travail à faire au niveau de la communication des informations, et ce n'est pas facile. De toute évidence, il est difficile de communiquer des informations aussi techniques et d'obtenir un dialogue plus informé sur ces questions. Nous avons réalisé beaucoup de progrès, mais il y a encore beaucoup de travail à faire.

Je suis d'accord avec vous à cent pour cent. L'industrie en est consciente et elle déploie beaucoup d'efforts.

Le sénateur Smith : Pouvez-vous nous donner vos commentaires sur l'évolution du nord de notre pays en lien avec les changements climatiques, pour rassurer vos membres, et à titre de partage de l'évolution de votre progrès avec vos membres et de l'évolution du transport des marchandises dans le nord de notre pays?

Mme Simard : À l'heure actuelle, il y a deux catégories en matière de trafic commercial. Il y a le trafic d'approvisionnement pour les communautés locales, qui se fait avec des navires domestiques. Au Canada, le transport de marchandises entre deux points locaux, par exemple, de Québec jusqu'aux communautés du Nord, est réservé aux navires domestiques, en vertu de la Loi sur le cabotage.

Permettez-moi un petit aparté. Souvent quand je vous parle des navires domestiques, c'est le transport domestique entre le point A et le point B, au Canada. Conformément à la loi, c'est réservé à un navire de pavillon canadien.

Deux grandes familles de transport commercial prennent place en ce moment dans l'Arctique : le transport d'approvisionnement par navire domestique pour les communautés locales et le transport de marchandises par navire océanique pour les projets de développement des ressources

À l'heure actuelle, ce type de trafic est plutôt considéré comme un marché de niche. Un certain nombre d'opérateurs, qui ont développé des flottes modernes, sont impliqués dans le transport de ressources premières en Arctique. Leurs navires ont une très grande capacité de brise-glace. Ils sont autonomes du point de vue du transport dans l'Arctique, qui comporte sans aucun doute de nombreux défis.

Nous n'avons pas suffisamment de cartes nautiques pour le transport maritime dans l'Arctique. Selon le gouvernement, 3 p. 100 des cartes de l'Arctique sont sous les normes modernes. Il reste beaucoup de travail à faire au niveau de la cartographie en matière de transport maritime dans l'Arctique.

Nous devons avoir les services en place pour supporter le transport commercial, notamment au niveau de l'escorte pour le déglaçage. Donc, il doit y avoir une quantité suffisante de navires de déglaçage de la Garde côtière canadienne pour assurer l'escorte au Nord et au Sud. De plus, des infrastructures devront être mises en place pour supporter l'inspection de ces navires dans le Nord.

Par contre, nous ne parlons pas encore d'une ouverture du passage du Nord à longueur d'année par tous les navires. Nous ne sommes pas encore là au niveau de la navigation. La navigation dans l'Arctique n'est pas sans obstacle au niveau de la glace complète. Avec le changement climatique, les morceaux de glace qui se déplacent présentent un défi additionnel.

Les opérateurs qui sont là en ce moment sont spécialisés dans les opérations de déglaçage et disposent de navires modernes. L'entreprise Fednav, par exemple, est un opérateur océanique basé ici au Canada. Elle dispose d'une flotte de navires modernes dans l'Arctique. Ses navires sont bien équipés pour le déglaçage, sinon mieux, que ceux de la Garde côtière. Ils ont des pilotes de glace à bord. Elle a développé une expertise en matière de navigation dans les glaces.

Donc, la flotte commerciale, qui est limitée au projet de développement de ressources dans l'Arctique, est assurée par des opérateurs et des navires qui sont dédiés à ce marché.

Le sénateur Smith : Vous parlez du développement des ressources comme les mines, et ainsi de suite?

Mme Simard : C'est ça. Oui. Baffinland.

Le sénateur Smith : Entrer et faire sortir le matériel?

Mme Simard : Oui.

Le sénateur Smith : C'est commercial. Comment sont vos relations avec les ministères gouvernementaux? Quand vous parlez de transport et environnement, faites-vous affaire avec d'autres ministères?

Mme Simard : C'est une question qui est souvent soulevée. De nombreux départements régissent le transport maritime : Transports Canada, la Garde côtière canadienne, Environnement Canada, l'Agence canadienne des services frontaliers — les douanes — et Immigration et Citoyenneté. Les Ressources naturelles aussi ont un lien direct, à l'exception de ce qui touche la réglementation.

Nous répétons souvent que le gouvernement manque de vision cohérente en ce qui concerne le développement du transport maritime, qui est un instrument de soutien pour faire progresser l'économie canadienne. Nous avons besoin d'une approche globale de la part du gouvernement avec les ministères qui sont impliqués dans la réglementation et la promotion du transport maritime. Leur vision manque de cohérence en matière de transport maritime au Canada. L'autorité réglementaire principale en matière de sécurité pour les services aux navires de Transports Canada est la Garde côtière.

Le sénateur Smith : Avez-vous des occasions pour nouer des relations, et ainsi de suite, avec ces ministères afin d'augmenter la capacité et assurer la cohérence du système au Canada?

Mme Simard : Oui. Nous entretenons de très bonnes relations. Je ne veux pas vous donner une mauvaise impression. Nous engageons souvent des dialogues. L'industrie fait partie de la délégation canadienne qui siégera à l'Organisation maritime internationale (OMI) pour discuter des normes internationales.

C'est une pratique qui est courante dans tous les pays. L'industrie travaille étroitement avec Transports Canada pour discuter des mesures à prendre. Il y a une évolution continue. Il ne faut pas se le cacher. Je ne suis pas ici pour vous dire que nous n'avons plus de travail à faire. Il y a toujours une progression au niveau des mesures de sécurité. Nous travaillons principalement avec Transports Canada, mais aussi avec la Garde côtière et l'Agence canadienne des services frontaliers.

Le sénateur Smith : Merci.

[Traduction]

Le président suppléant : Madame Simard, un témoin précédent s'est dit préoccupé par les niveaux de dotation et les conditions de la flotte de la Garde côtière canadienne, et a indiqué que la rectification de ces problèmes constituerait une mesure préventive qui renforcerait la confiance de la population à l'égard de la sécurité maritime. Que pensez-vous de cette recommandation?

Mme Simard : Nous avons une opinion tranchée à propos de l'état de la flotte de brise-glaces actuelle de la Garde côtière canadienne. Le service de déglaçage est essentiel pour assurer la circulation sécuritaire des navires. Or, cette flotte a atteint un âge très avancé, c'est le moins que l'on puisse dire.

L'état de la flotte nous inquiète. Les brise-glaces ont au moins 30 ans en moyenne et font constamment l'objet d'un programme d'entretien, de réparations et de prolongation de la vie utile. Lorsque c'est le cas, la flotte est encore moins nombreuse.

D'entrée de jeu, nous nous demandons si la flotte comprend suffisamment de brise-glaces pour offrir un service adéquat dans le Sud et le Nord. En outre, si ces navires sont dans un état tel qu'ils nécessitent un entretien important et coûteux, ils ne sont pas en service à ce moment-là. Les navires servent le Sud et le Nord à l'année.

Pour être très concret, il faut absolument adopter un plan à court et à moyen terme de renouvellement de la flotte de brise-glaces. Selon nous, la construction d'un brise-glace polaire ne résoudra pas le problème comme par magie.

Le président suppléant : Comme je suis né en Nouvelle-Écosse et que j'ai grandi à quelques coins de rue du chantier naval Irving, je suis d'accord avec vous. En compagnie de certains collègues du Sénat, j'ai visité ce chantier la semaine dernière. J'ai été enchanté de constater que les navires de services destinés au Nord qu'on y construit ont tous une double coque. Ce ne sont pas des brise-glaces, mais ils peuvent naviguer dans des glaces d'une épaisseur pouvant atteindre un mètre, je crois. Cela n'en fait pas des brise-glaces, mais cela leur permet de fonctionner beaucoup mieux que certains de nos bateaux actuels.

Il y a de bonnes nouvelles, mais le gouvernement n'a jamais tendance à agir assez vite.

Mme Simard : Si vous me permettez d'intervenir, sénateur, si le comité souhaitait formuler une recommandation sur le renouvellement de la flotte de brise-glaces de la Garde côtière canadienne, nous serions on ne peut plus favorables à cette démarche.

Le président suppléant : Nous vous en remercions et nous nous pencherons sur cette question.

Merci, madame Simard, de votre excellent exposé. Vous avez suscité un nombre considérable de questions très intéressantes.

Nos derniers témoins de ce matin sont Yvan Grenier, directeur général, et Jean-Yves Gauthier, vice-président, de l'Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec.

Veuillez faire vos exposés, après quoi mes collègues vous poseront une série de questions.

[Français]

Yvan Grenier, directeur général, Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec : Bonjour à tous les membres du Comité sénatorial des transports et des communications. Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous présenter la position de l'Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec (APMLQ) dans le dossier de la construction du pipeline Énergie Est.

Je suis heureux de vous présenter M. Jean-Yves Gauthier, vice-président élu de l'APMLQ et propriétaire de Transport Camille Dionne Incorporée, à Laval.

Pour ma part, je me présente : Yvan Grenier. Je suis directeur général de l'Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec depuis 20 ans.

Fondée en 1966, soit depuis plus de 50 ans, l'Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec regroupe des entreprises spécialisées en transport, en excavation, en terrassement et en déneigement, de même que des propriétaires de grues, de pompes à béton, ainsi que des entrepreneurs en forage. Elle compte 500 membres, principalement des PME régionales et familiales. Son conseil d'administration est composé de quinze membres qui représentent les 10 régions prévues aux règlements de l'Association.

La mission de l'APLMQ, c'est d'informer ses membres des changements affectant l'industrie, d'offrir des avantages et des services qui leur profitent et de défendre leurs intérêts auprès des autorités publiques, ainsi que des donneurs d'ouvrage.

En 2015, le conseil d'administration et l'assemblée générale de l'Association ont adopté une résolution d'appui au projet de pipeline Énergie Est et depuis, l'APMLQ participe aux activités de la coalition en appui à ce projet. Il est à noter que la coalition regroupe des acteurs tant du milieu patronal que du milieu syndical. Sans être des spécialistes en transport de produits pétroliers, l'APMLQ croit que le projet de pipeline Énergie Est se veut l'un des plus grands projets de construction des 25 dernières années, pour le Québec.

Elle croit aussi que le transport des produits pétroliers, par pipeline, demeure le moyen le plus sécuritaire et le plus efficace pour livrer ses produits. Elle ne doute pas que tous les moyens seront pris par les autorités gouvernementales afin d'assurer la sécurité des citoyens et la qualité de l'environnement canadien. Plus précisément, l'APMLQ appuie ce projet pour les raisons suivantes : la création de plus de 3 000 emplois directs et indirects pendant chacune des neuf années de planification et de construction; la création de 300 emplois, pendant chacune des 20 premières années de service du pipeline; des recettes fiscales importantes pour les divers paliers de gouvernement, tant pendant les 9 années de planification et de construction, que pendant les 20 premières années d'exploitation de l'oléoduc; des contrats de construction dans toutes les régions touchées par le tracé du pipeline; le maintien de l'expertise des travailleurs et des entreprises québécoises dans le secteur du génie, de l'industrie de la construction, ainsi que du domaine pétrolier; et, enfin, le raccordement de l'oléoduc aux deux raffineries québécoises, leur donnant une nouvelle source d'approvisionnement canadienne.

Bref, dans le contexte économique difficile de l'industrie de la construction, où les heures travaillées en génie ont diminué de près de 30 p. 100 en trois ans et que celles travaillées dans le secteur industriel ont diminué de 45 p. 100, un projet d'envergure comme celui d'Énergie Est serait le bienvenu pour l'ensemble de nos membres, qui sont des PME régionales et familiales. Un tel projet assurerait un volume de travail des plus intéressants dans toutes les régions touchées par le tracé de l'oléoduc. En cette période de ralentissement économique, cet apport n'est pas négligeable.

Cependant, il sera important de s'assurer que les petites et moyennes entreprises puissent participer au projet. Tout comme la Coalition Énergie Est, l'APMLQ est en faveur d'une transition vers des énergies renouvelables. Toutefois le pétrole restera encore longtemps la principale source d'énergie utilisée au pays.

Afin d'assurer une transition harmonieuse pour le Québec, nous devons faire des investissements sécuritaires, économiquement viables et responsables sur le plan environnemental pour combler les besoins énergétiques de la société. Le pipeline Énergie Est répond à ces critères, de là notre appui au projet.

Pour assurer l'acceptabilité du projet au sein de la population, il est essentiel que le processus de consultation et d'analyse mis en place par les autorités gouvernementales soit empreint de rigueur et de transparence. Le succès du projet en dépend.

Merci de votre attention.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Grenier.

Monsieur Gauthier?

Jean-Yves Gauthier, vice-président, Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec : Bonjour. Je suis ici en tant que vice-président de l'Association. Nous avons tenu des réunions avec nos membres et nos associés à propos d'un projet comme Énergie Est. Nous sommes vraiment en faveur du projet pour nos membres. Nous représentons des petites et moyennes entreprises dans toutes les régions du Québec. Il s'agirait d'une bonne occasion pour elles dans tous leurs secteurs d'activités, autant pour les petites carrières et les petites sablières. Leur expertise en excavation représente aussi un avantage important pour Énergie Est. Un peu partout au Québec dans les projets d'excavation avec de la machinerie lourde, de nombreux membres possèdent une bonne expertise dans leur région, ce qui pourrait aider.

Tous nous disent être d'accord avec ce projet et ils espèrent bien y participer.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Gauthier.

Sénateur Pratte, vous avec la parole.

Le sénateur Pratte : Merci et bienvenue. J'aimerais d'abord souligner le fait que cela va entraîner la création de 3 000 emplois directs, indirects sur une période de neuf ans. C'est un chiffre que nous entendons très souvent, mais qui ne semble pas impressionner beaucoup de gens.

J'aimerais que vous apportiez des précisions. Vous dites que c'est l'un des plus importants projets de construction au Québec depuis les 25 dernières années. J'aimerais que vous nous expliquiez l'importance de ce projet pour vos entreprises membres, sur l'impact et ce que signifie exactement la création de 3 000 emplois. Parce que pour beaucoup de gens, cela semble être comme un peu insignifiant. Les gens ne semblent pas considérer que, finalement, c'est si important que cela.

M. Grenier : Nous ne sommes pas des économistes, remarquez bien.

Le sénateur Pratte : Non, mais ce n'est pas un point de vue d'économiste que je veux avoir.

M. Grenier : Exact.

Le sénateur Pratte : C'est votre point de vue.

M. Grenier : En fait, l'un des avantages d'un projet de pipeline comme celui qui est présenté, c'est qu'il fera participer pratiquement toutes les régions administratives du Québec. Les 3 000 emplois seront répartis un peu partout au Québec, selon ce que nous connaissons d'Énergie Est et de leurs engagements avant d'accorder notre appui à ce projet. Ils s'assureront de répartir les emplois un peu partout au Québec.

Pour nous, cela représente une certaine stabilité. Depuis deux ou trois ans, les heures dans le secteur de la construction sont en baisse. Nos petites PME familiales, régionales peinent à occuper leurs équipements. Un projet comme celui-là viendrait assurer une base pendant neuf ans, ce qui est fort intéressant.

Évidemment, 30 000 est un chiffre plus flamboyant, mais ce serait un projet d'une autre envergure. Mais 3 000, ce n'est pas rien. Ce sont 3 000 entreprises avec des salariés de la construction. Ce sont des emplois de qualité qui feront vivre nos familles. Et cela procure une bonne base de travail pour nos PME.

Le sénateur Pratte : Dans votre exposé, vous dites que vous faites confiance aux autorités gouvernementales pour prendre toutes les mesures requises en matière environnementale et autres afin d'assurer la sécurité des citoyens et la qualité de l'environnement.

C'est une phrase qui m'a fait sursauter un peu, parce que c'est une confiance qui est rarement exprimée. Au contraire, très souvent, les gens manifestent plutôt du scepticisme à l'égard de la capacité des autorités gouvernementales à prendre les bonnes décisions à ce chapitre. Qu'est-ce qui vous amène à manifester cette confiance à l'égard des autorités?

M. Grenier : En fait, le projet est très médiatisé et il y a de nombreux opposants environnementaux et de tout acabit. Nous surveillons tout cela de près autant à l'échelon provincial, municipal que fédéral.

Si un tel projet est autorisé, cela ne se fera pas sur le coin d'une table. Il y aura des consultations avec le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) et l'Office national de l'énergie, ainsi que des débats avec les différents paliers de gouvernement.

Nous croyons pouvoir régler les cas d'opposition en préparant des argumentaires et en démontrant les effets positifs du point de vue de la sécurité et de l'environnement. Je pense que nous ne faisons pas suffisamment ressortir les avantages d'un tel projet. Oui, le transport de pétrole comporte des risques, c'est évident. Mais les avantages l'emportent sur les risques. En comparaison avec le transport par train, par bateau ou par camion, on réduirait de beaucoup la pollution. Il faut transmettre le message au public. Évidemment, cela fait peur en raison du nombre de barils qui sera en circulation, du pétrole et des sables bitumineux. Selon nous, en procédant par étapes, le projet sera d'autant plus sécuritaire. Mais nous ne sommes pas des experts, malheureusement.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, messieurs Grenier et Gauthier, et merci pour votre exposé.

Je vais poursuivre dans la même veine que mon collègue, le sénateur Pratte. Vous êtes présents dans toutes les régions administratives du Québec, à ce que j'ai compris. Selon vous, combien de vos membres seraient impliqués dans l'ensemble des travaux d'infrastructures et d'installation?

Il est question de 3 000 emplois, n'est-ce pas? Ce projet implique diverses manœuvres en termes d'utilisation de la machinerie lourde, et ainsi de suite. Quel serait l'impact d'un tel projet sur vos membres? Avez-vous fait des estimations?

M. Grenier : Pas précisément. On parle de 3 000 employés, les PME que nous représentons. Grosso modo, ce sont de 20 à 25 employés en moyenne.

Alors, on pourrait faire une règle de trois. Mais ce projet n'implique pas seulement nos membres. Il y aura différentes entreprises membres, non membres ou membres d'autres associations. Mais grosso modo, quelques centaines d'entreprises seront visées chez nous seulement.

Le sénateur Boisvenu : Le débat est ouvert dans les médias par rapport au projet du pipeline de l'Est. Évidemment, vous entendez ceux qui n'y sont pas favorables. Nous entendons peu parler de ceux qui sont en faveur de ce projet. Votre association a-t-elle élaboré une stratégie de communication?

Puisque vous êtes présent dans toutes les régions, votre stratégie de communication a-t-elle été adoptée en conséquence? Avez-vous une stratégie pour faire valoir les effets bénéfiques du projet, et ainsi de suite?

M. Grenier : Nous représentons 500 membres au Québec. Nous leur confirmons notre appui au projet lors du congrès annuel et dans nos bulletins d'information.

Cependant, il faut aussi prendre conscience que nous ne sommes que trois employés au sein de notre association de 500 membres : une personne aux communications, un directeur général et une adjointe administrative; ce qui fait que nos moyens sont limités. C'est pour cette raison que nous avons adhéré à la coalition en faveur du projet et que nous participons à ses activités parce que nous n'avons pas les ressources pour faire ce que vous venez de mentionner.

Le sénateur Boisvenu : Pouvez-vous nous parler brièvement de cette coalition? Qui en fait partie?

M. Grenier : Elle réunit différentes associations, dont l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec et l'APMLQ, l'ensemble des chambres de commerce et des syndicats, dont la FTQ et l'International. C'est un regroupement assez diversifié. Neuf membres associatifs font la promotion du projet. Effectivement, nous entendons plus souvent les opposants que les personnes qui sont en faveur du projet. Vous avez tout à fait raison : il y a du travail à faire de ce côté.

Le sénateur Boisvenu : D'autant plus que vous dites que la FTQ, qui est tout de même assez puissante sur le plan des communications — on ne peut dire le contraire — fait partie de ce regroupement. Et, malgré cela, nous n'en entendons pas parler.

M. Grenier : Effectivement.

Le sénateur Boisvenu : J'habite le Québec depuis longtemps et nous entendons parler de ce projet à peu près toutes les semaines ou tous les mois. Mais je ne suis pas sûr d'avoir vu une seule fois un groupe d'hommes d'affaires ou même des syndicats parler publiquement de ce projet.

M. Grenier : Il y a environ un mois, j'ai assisté à une conférence de presse qui réunissait tout le monde, ici, à Montréal. Il semble que le bruit se répand moins quand nous sommes en faveur que lorsque nous sommes contre un projet.

Je ne saurais quoi vous répondre. Je ne suis pas un expert en communications, malheureusement.

Le sénateur Boisvenu : Il faudrait embaucher M. Chevrette.

[Traduction]

Le président suppléant : Il me semble que vous avez touché un point très intéressant. Nous avons eu vent, particulièrement ceux d'entre nous qui ne sont pas originaires du Québec, de l'opposition que le pipeline suscite dans cette province; d'un autre côté, nous avons rencontré d'autres personnes qui, comme vous, appuient fortement le projet. Il n'est pas nécessaire d'avoir un plan de communication très élaboré pour avoir une incidence dans ce dossier.

Le Québec est représenté à Ottawa par 24 sénateurs et députés de quatre partis politiques. Il me semble que vous auriez une influence si les membres de votre association et d'autres groupes favorables à ce projet, sans égard à leurs allégeances politiques, communiquaient par téléphone, par écrit ou par courriel avec leurs députés pour leur faire part de leur soutien à l'égard du projet.

Vous n'avez pas besoin d'un programme onéreux pour demander à vos membres de simplement effectuer un appel ou envoyer une lettre ou un courriel. Un grand nombre d'entre eux connaissent leurs députés et ont appuyé un candidat ou un autre. L'effet de ces communications sur les députés vous étonnerait.

Le seul ici qui a été député, le sénateur Doyle, vous parlera de l'incidence qu'ont les gens lorsqu'ils appellent leurs députés pour leur signifier leur appui à un projet. Vous avez une occasion réelle de soutenir ce projet et d'inciter d'autres organisations à faire de même. C'est ma suggestion.

Sénateur Smith, avez-vous une question?

[Français]

Le sénateur Smith : Au tout début de ma carrière, j'ai travaillé pour Caterpillar, avec Hewitt, puis Camille Dionne. C'était un client assez important. Je comprends les économies d'échelle des fournisseurs.

[Traduction]

Il importe que les membres comprennent que l'industrie de la construction compte un grand nombre de petits acteurs et quelques grandes entreprises. Les projets d'envergure comme celui-ci offrent des occasions vraiment formidables à cette industrie. Rappelons-nous les chantiers de la baie James, des projets colossaux qui se sont traduits par des occasions vraiment extraordinaires.

[Français]

Ils ont créé de nombreuses occasions pour les gens de cette industrie. Il y a une réalité : les petits entrepreneurs qui travaillent dans de petits endroits, avec tout ce qu'il y a de meilleur, soumissionnent aussi pour les projets dans les petites villes.

Donc, il faut assurer un équilibre sur le plan politique dans tout ce que vous dites. Ai-je bien compris la situation?

M. Gauthier : Très bien, monsieur.

Le sénateur Smith : Vous pouvez peut-être que vous pouvez partager cela, juste pour que les membres comprennent. Avec l'économie d'échelle de vos membres, vous avez quelques grands joueurs, mais vous avez beaucoup de petits joueurs et ceux-ci demeurent dans leurs petits coins.

Si tous les maires des petites régions sont contre le projet — et eux ont une influence sur les projets qui sont offerts dans leurs petites villes —ce n'est pas si facile que cela pour les entrepreneurs.

Mais pouvez-vous faire un commentaire là-dessus afin que le Comité puisse comprendre mieux la réalité de la situation?

M. Gauthier : Alors, oui, effectivement, dans les petites régions, les entrepreneurs voient souvent passer des autoroutes, des grands projets, et cetera. Dans le cadre de projets d'envergure à Montréal, il arrive souvent que de gros travaux soient effectués par des multinationales sans qu'il y ait de retombées directes dans les régions. Celles-ci amènent leur équipement et tout sans demander de l'aide aux petits entrepreneurs régionaux. Ils pourraient justement aider les petites régions et inciter les maires à accepter les projets dans leur territoire s'ils savent qu'il y aura des retombées directes. C'est sûr que ce serait bien.

Comme je l'ai dit plus tôt, tous les entrepreneurs régionaux ont l'équipement nécessaire pour réaliser toutes sortes de projets de foresterie, d'excavation, et cetera. Ils ont accès aux matières premières la transformation.

À Montréal, c'est une multinationale qui est chargée du projet d'envergure de l'échangeur Turcot. Cette entreprise a engagé tous les bons opérateurs de la région pour effectuer leurs travaux pendant quatre ou cinq ans. Nous n'avons rien eu et cela nous a beaucoup nui.

Alors, les petits entrepreneurs de régions, c'est la même chose. Ils se posent des questions. Ils nous demandent parfois s'ils peuvent avoir leur part de gâteau. Si le projet Énergie Est passe, on ne veut pas voir une multinationale obtenir le contrat du début à la fin. Sinon, on se retrouve avec absolument rien. Nous avons du monde à faire travailler.

C'est pourquoi il est important que les 3 000 emplois soient donnés aux régions. C'est ce qui préoccupe un peu les membres. Lors d'une réunion, on nous a répondu : C'est sûr que nous voulons avoir des retombées dans les régions et faire appel à l'expertise d'entrepreneurs de chaque région.

Le sénateur Pratte : Puisque vous avez des membres dans toutes les régions, c'est que vous avez des antennes bien placées. Comme le disait le sénateur Boisvenu, comment pouvons-nous convaincre la population d'appuyer un projet comme celui-là alors que les opposants se font entendre en si grand nombre?

Visiblement, des craintes ont été soulevées par rapport à la sécurité. Et ce sont des craintes tout à fait légitimes. Les gouvernements ne peuvent qu'être sensibles à de telles craintes. Comment peut-on convaincre la population d'appuyer un projet comme celui-là, si ces craintes sont tellement répandues?

M. Gauthier : Le pétrole est transporté par bateau, par train ou par camion. Il y a eu quelques incidents malheureux dans les régions.

Je pense que le projet de l'oléoduc est beaucoup plus sécuritaire. Toutes sortes d'informations sont véhiculées selon lesquelles des incidents pourraient survenir avec des milliards de barils de pétrole qui transigeront sur le fleuve.

Il faut conscientiser la population. Ce projet permettra de créer des emplois directs et indirects sur une période de neuf ans. Il permettra de réduire les gaz à effet de serre contrairement au transport par bateau ou par camion. Je pense que c'est le point sur lequel il faut insister. Il faut dire à la population que ce projet est de loin plus sécuritaire. Grâce aux technologies, les fuites seront facilement détectées. On saura exactement où il y a une fuite.

Quant à moi, il faut mettre l'accent sur la sécurité, les créations d'emplois et les effets bénéfiques sur l'environnement, notamment la réduction des gaz à effets de serre. Il faut expliquer à la population comment le pétrole est transporté. Nous souhaitons diminuer les risques d'accident, que ce soit sur la voie maritime, sur les chemins de fer ou sur la route.

M. Grenier : Il faudrait aussi que la population comprenne que ce n'est pas magique. On continuera d'exploiter le pétrole, qui est l'une de nos sources d'énergie les plus importantes. Pourquoi ne pas choisir un moyen de transport plus sécuritaire et plus écologique? Il me semble qu'on peut vendre cette idée-là.

[Traduction]

Le président suppléant : C'est un bon argument. Comme je l'ai indiqué précédemment, je tente d'inciter les gens à communiquer avec leurs députés et leurs sénateurs. Le Québec peut compter sur 102 personnes dont le travail consiste à représenter cette province à Ottawa. Deux se trouvent ici; il ne vous reste donc plus que 100 personnes à joindre. Assurez-vous de leur faire part de votre position dans ce dossier, car cela a une réelle influence.

M. Grenier : Merci de cette suggestion, que nous suivrons certainement.

Le président suppléant : Bien. Je vous remercie tous les deux d'avoir témoigné aujourd'hui. Vous avez beaucoup contribué à notre débat et nous vous en remercions.

(La séance est levée.)

Haut de page