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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 7 - Témoignages du 21 octobre 2016


HALIFAX, le vendredi 21 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 28, pour étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications poursuit son étude sur l'élaboration d'une stratégie visant à faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada. Nous avons entamé cette étude en mars dernier en vue de trouver un meilleur moyen d'acheminer vers les marchés les produits pétroliers canadiens.

Permettez-moi de vous présenter nos premiers témoins : représentant l'Assemblée des Premières Nations, le chef régional Morley Googoo, de Terre-Neuve et de Nouvelle-Écosse; du Bureau de négociation Kwilmu'kw Maw- klusuaqn, Twila Gaudet, agente de liaison pour les consultations, Initiative des droits des Micmacs, et Melissa Nevin, agente de recherche pour les consultations, Initiative des droits des Micmacs; et, au nom de Sipekne'katik, James Michael, procureur, et Jennifer Copage, coordonnatrice des activités de consultation.

Nous allons commencer par l'exposé de Mme Copage, suivi de celui du chef Googoo, puis des questions que souhaiteront leur poser les membres du comité.

Jennifer Copage, coordonnatrice des activités de consultation, Sipekne'katik : Mesdames et messieurs, bonjour. Je m'appelle Jennifer Copage. Je suis coordonnatrice des activités de consultation de Sipekne'katik. Je suis ici avec mon collègue James Michael, procureur de Sipekne'katik.

Nous nous trouvons actuellement sur le territoire des Micmacs. Soyez les bienvenus sur les terres traditionnelles non cédées des Micmacs. Je remercie le Comité sénatorial permanent des transports et des communications de nous avoir invités à prendre la parole.

Sipekne'katik est une communauté micmaque d'environ 2 600 personnes, dont la moitié habite la réserve d'Indian Brook. Outre la Première Nation d'Indian Brook et Dodd's Lot dans le comté de Hants, Sipekne'katik comprend Wallace Hills et Shubenacadie Grand Lake dans le comté de Halifax, et les terres de réserve Pennal et New Ross dans le comté de Lunenburg. Outre les territoires autochtones non cédés, la bande a avancé un certain nombre de revendications territoriales dans diverses régions de la province.

En mars 2013, Sipekne'katik s'est retiré de l'Initiative des droits des Micmacs lancée en Nouvelle-Écosse, et entamé son propre processus de consultation et de négociation, et il s'est, en janvier 2016, retiré de l'Assemblée des chefs micmacs de Nouvelle-Écosse. Sipekne'katik s'attache aujourd'hui à instituer un processus de consultation communautaire fidèle aux valeurs et aux principes de nos membres.

Je tiens à préciser que c'est sur court préavis que nous avons dû répondre à l'invitation du comité, et que nous n'allons donc pas pouvoir nous exprimer pleinement sur notre sujet. Malgré maintes demandes, le gouvernement fédéral refuse toujours à la bande de quoi financer ce processus de consultation, la province nous ayant, de son côté, accordé un modeste montant. Cela étant, permettez-nous de vous faire parvenir ultérieurement un exposé écrit. Cela permettra à nos membres de prendre part aux discussions portant sur ce sujet extrêmement important.

La jurisprudence fait clairement ressortir que Sipekne'katik doit avoir son mot à dire dans toute décision concernant le transport de pétrole brut. Ce transport fait en effet peser des risques sur les droits et titres de nos nations, qu'ils aient été ou non revendiqués ou confirmés en justice. La bande rejette tout effort en vue de ranger ces consultations dans la même catégorie que celles des autres parties intéressées.

Le paragraphe 35(1) de la Constitution confirme les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones. Aux termes de cette disposition, la Couronne est tenue à cet égard d'agir honorablement. C'est ce qu'a établi l'arrêt Haida. Cette obligation de consulter Sipekne'katik, et de prendre ses intérêts en compte tient à l'honneur de la Couronne et doit être interprétée libéralement. La bonne foi est l'élément essentiel de véritables consultations dès que l'on prend conscience de l'existence éventuelle d'un droit ancestral auquel il pourrait être porté atteinte.

Là où une action envisagée est susceptible d'atteindre à un droit, la Couronne est tenue au respect de certaines limites juridiques et constitutionnelles. La Couronne ne doit donc pas tarder à participer avec bonne foi et sérieux à cette consultation. Il lui faut en effet trouver les moyens d'éviter toute atteinte à nos droits et à nos titres, réduire au maximum les impacts, et prendre en compte les intérêts de la bande. L'honneur de la Couronne ne saurait pas autrement être préservé, car sans cela le processus de consultation devient non pas une consultation, mais une simple notification. Il ne peut, à toutes fins utiles, pas y avoir de consultations si l'une des parties craint que la chose soit décidée avant même que soient entamées les consultations.

La région de l'Atlantique va peut-être bientôt se voir obligée d'ajuster ses programmes d'aide sociale afin de les aligner sur les taux et les lignes directrices de la province. Or, ce processus semble pour l'instant interrompu. Si cela se réalise, cependant, un nombre croissant de Micmacs exerceront leurs droits afin de mieux pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, et ils auront alors davantage recours aux ressources que leur offre la terre. Cela veut dire que les projets qui pourraient être envisagés risqueront encore plus de porter atteinte à nos ressources et donc à notre peuple. Le risque de voir porter atteinte à nos ressources alimentaires ajoute un caractère d'urgence au contexte dans lequel s'inscrit cette consultation.

Étant donné les enjeux, la Couronne va devoir instaurer une procédure rigoureuse qui assure que tout projet d'infrastructure des transports fera l'objet de consultations en amont menées avec bonne foi et sérieux.

Cela étant, et compte tenu du fait que les Micmacs ainsi que d'autres tribus s'étendent sur le territoire de plusieurs provinces, il est essentiel d'adopter une stratégie nationale qui permette d'intégrer les réalités régionales et provinciales. Il y a des bandes et des réserves de Micmacs à Terre-Neuve, à l'Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et au Québec. Les tribunaux ont appliqué, sur l'ensemble du territoire national, les mêmes critères et les mêmes exigences juridiques, et toute stratégie nationale doit refléter cette réalité.

Une stratégie nationale devrait par ailleurs incorporer des pratiques exemplaires quant au moyen d'éviter les malentendus, les objections et les conflits. Un élément clé de cette stratégie serait l'engagement de consultations préalables sérieuses à chaque fois qu'il existe un risque d'atteinte à un droit ou titre ancestral. Or, la capacité des bandes à prendre part à d'authentiques consultations va dépendre non seulement des objectifs et des priorités des diverses bandes, mais des ressources et des moyens dont elles pourront disposer.

Sipekne'katik revendique le droit d'être consulté en l'espèce et de voir ses intérêts pris en compte. Sipekne'katik espère que l'honneur de la Couronne sera préservé et qu'il sera invité à faire ultérieurement parvenir par écrit un mémoire sur la question. Je vous remercie.

Le chef régional Morley Googoo, Terre-Neuve et Nouvelle-Écosse, Assemblée des Premières Nations : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, chers collègues, bonjour. Soyez les bienvenus chez les Micmacs, sur le territoire non cédé du peuple micmac. Je suis heureux d'avoir l'occasion d'échanger avec vous un savoir, des connaissances et une sagesse que nous tenons de nos aînés, de nos chefs et du peuple dont nous faisons partie. Je suis heureux de cette occasion de comparaître devant vous et de faire état du besoin que nous éprouvons de voir instaurer une stratégie nationale pour faciliter le transport du pétrole brut.

Je précise que nos chefs de Nouvelle-Écosse viennent de rencontrer la ministre Jody Wilson-Raybould. La relation de nation à nation envisagée par le premier ministre a suscité chez nous un grand enthousiasme. S'il est clair qu'au cours des 150 dernières années, cette idée de rapports de nation à nation est essentiellement restée pour nous à l'état d'espérance, nous nous félicitons de l'occasion que nous avons ce matin de prendre part à la manifestation de cette nouvelle attitude. Il est particulièrement important à nos yeux de trouver la bonne voie compte tenu notamment des lettres de mandat envoyées par le premier ministre aux membres de son cabinet, chacun devant s'attacher à promouvoir une amélioration des rapports avec les peuples autochtones. C'est donc avec plaisir que je prends la parole devant vous.

J'interviens ici en tant que chef régional. Je représente la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. Je suis, par ailleurs, en charge, au niveau national et pour ce qui est de la jeunesse, des sports de la récréation, de la langue, de la culture et des arts des Appels à l'action de la Commission vérité et réconciliation. Je siège également au sein du comité de gestion. Je représente tous les chefs de Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. Je suis membre de l'Assemblée des chefs micmacs de la Nouvelle-Écosse, assemblée qui représente 11 des 13 communautés établies en Nouvelle-Écosse. C'est nous qui, collectivement, formulons des instructions à l'intention de nos techniciens du Kwilmu'kw Maw-klusuaq. Ce n'est pas facile à prononcer, mais cela veut dire recherche d'un consensus. Le KMK s'appelle également Initiative des droits des Micmacs.

Je suis accompagné de deux représentants de notre bureau KMK, le bureau du Kwilmu'kw Maw-klusuaq, Twila Gaudet, et Melissa Nevin, une de nos agentes de recherche pour les consultations.

Nous sommes fiers d'avoir engagé en Nouvelle-Écosse, un processus de consultation unique au Canada. Les Micmacs sont partie à des traités existants reconnus à l'article 35 de la Constitution, et le processus que nous avons mis en place traduit cette réalité. Ce processus que nous avons instauré en Nouvelle-Écosse se déroule dans le respect de nos droits. Nous nous attachons, dans le cadre de ce processus, à trouver les meilleurs moyens d'assurer la mise en œuvre de nos droits ancestraux ainsi que des droits que nous tenons des traités.

Les trois parties — la Nouvelle-Écosse, le Canada et les Micmacs — ont par ailleurs convenu, dans le cadre de ce processus propre à la Nouvelle-Écosse, de s'en tenir au cadre de référence applicable aux consultations. Ce cadre prévoit très clairement les différentes étapes des consultations entre la Couronne et les Micmacs.

Le cadre de référence applicable au processus de consultation Micmacs/Nouvelle-Écosse/Canada a été ratifié le 31 août 2010. Il nous offre la possibilité de relever les atteintes qu'une décision ou un acte de la Couronne pourrait éventuellement porter à un titre ou droit des Micmacs, nous permettant ainsi d'en atténuer les incidences et de défendre les intérêts des Micmacs.

En 2008, le gouvernement canadien a fait savoir à l'ensemble des ministères fédéraux que les consultations donnent les meilleurs résultats lorsqu'elles sont entamées bien avant que soient prises les décisions en cause. Ajoutons que les plus hautes juridictions canadiennes ont reconnu que l'obligation, pour la Couronne, de consulter les Premières Nations et de tenir compte de leurs intérêts et de leurs points de vue, qu'est envisagée une décision susceptible d'avoir une incidence sur les droits autochtones et les droits issus de traités.

Nous rappelons cela afin de souligner l'importance qu'il y a, pour la Couronne, de procéder effectivement à de telles consultations. C'est en effet le seul moyen d'assurer la participation des peuples autochtones aux décisions portant sur le transport du pétrole brut. Il est essentiel de se pencher sur les incidences que cela peut avoir sur les titres ancestraux, et nos peuples autochtones doivent être consultés, les points de vue et intérêts des peuples des Premières Nations devant entrer en ligne de compte.

Notre équipe de consultations appelle à des consultations avec Ressources naturelles Canada alors que les décisions en matière réglementaire sont actuellement prises par l'Office national de l'énergie. Nous reconnaissons que l'Office national de l'énergie n'est pas tenu de nous consulter bien qu'il s'agisse d'un organisme de la Couronne. Nous avons pu constater la lourdeur et la complexité des procédures de l'ONE, procédures qui soulèvent elles-mêmes des difficultés.

Lors des discussions que nous avons eues au sujet des nécessaires consultations, nous avons toujours insisté sur le fait que les délais législatifs nous paraissent trop restrictifs et que des consultations sérieuses entre la Couronne et les Micmacs exigent davantage de temps. Nous avons, par le passé, pu voir adopter en vitesse des projets de loi omnibus qui n'ont procédé à aucune consultation, sans parler d'un dialogue sérieux avec les peuples des Premières Nations du Canada.

On demande notamment aux témoins d'aujourd'hui, comment accroître la confiance qu'a le public en la procédure d'examen du pipeline envisagé. Du point de vue des Premières Nations, cela va en effet être très difficile. Les Micmacs n'ont jamais renoncé au titre ancestral qu'ils ont sur leurs terres et sur leurs ressources. Ils n'ont jamais cédé ou vendu ce titre. Les terres, les eaux et les ressources sont le fondement même de notre identité. Nous sommes le premier peuple de ces terres, et l'avenir de notre territoire traditionnel nous inspire une passion très profonde. Nous nous inquiétons des conséquences du développement sur la protection de notre environnement et sur la gestion des ressources, non seulement en Nouvelle-Écosse, mais dans l'ensemble du pays.

Les membres de notre communauté veulent être entendus comme commence à être entendue la voix des Premières Nations dans le pays tout entier. Les peuples autochtones ont pour priorité la protection des terres et des ressources qui nous sustentent depuis des temps immémoriaux.

Les recherches que nous avons entreprises nous apprennent qu'au cours des six dernières années, il y a eu 14 fuites de pipeline qui ont, selon l'ONE, entraîné pour l'environnement, des conséquences néfastes. On ne sait toujours pas, pour bon nombre de ces fuites, quelles sont les quantités de pétrole qui se sont répandues. Sept de ces incidents ont eu lieu en 2015.

En juillet de cette année, le pipeline de Husky Energy a déversé dans une rivière de la Saskatchewan jusqu'à 250 000 litres de pétrole. Après des mois, ce déversement n'a toujours pas été assaini complètement. Il y a deux semaines, dans le nord de l'Alberta, un déversement s'est répandu sur une zone de trois hectares comprenant des zones humides. Or, les zones humides revêtent une importance non seulement sur le plan de l'environnement, mais également sur le plan de notre utilisation traditionnelle des terres et des ressources. La destruction de telles zones est tout à fait inacceptable. Les zones humides ont une valeur inestimable pour l'environnement, l'écologie et la vie sociale. Il s'agit de terres qui, sur le plan de la biologie, possèdent un caractère unique.

Il est évident que le transport du pétrole crée un risque pour l'environnement. Personne ne peut le contester. Or, qui souffre le plus d'un éventuel déversement? C'est nous qui en subissons les conséquences. Il nous faut en outre nous demander combien de déversements ne sont pas signalés. Il est donc difficile de restaurer la confiance du public en un secteur industriel et une procédure si manifestement défectueux.

Ainsi, cette année, après plusieurs déversements sur son réseau d'oléoducs, Apache Canada Ltd. a plaidé coupable à une double accusation d'exploitation fautive de ses pipelines. Devant le tribunal, Apache a reconnu avoir installé sur son pipeline des soupapes de pression de taille inadaptée et n'avoir pas examiné comme elle aurait dû le faire les rapports sur leur fonctionnement.

Il est évident que les amendes que leur imposent les tribunaux ne suffisent pas à réformer le comportement d'entreprises qui pèsent des milliards de dollars. Si nous voulons que le public ait confiance en la construction de pipelines et en la procédure d'examen applicable aux travaux, confiance que nous souhaitons nous aussi éprouver, les vérifications auxquelles les promoteurs sont actuellement soumis doivent être entièrement revues.

Le plus important se situe au niveau des efforts visant à prévenir les déversements. La prévention est en effet essentielle. Il faut instaurer une procédure rigoureuse de veille environnementale. Il faut donc, avant même que les travaux ne commencent, mettre en place un plan de prévention des déversements et des mesures d'intervention.

Les pipelines plus anciens créent des risques particuliers et devraient être remplacés. Toute fuite devrait être obligatoirement réparée sur-le-champ. Il est clair également qu'il va falloir améliorer les communications avec le public, et faire un effort de pédagogie qui ne soit pas uniquement inspiré par les promoteurs. Le gouvernement doit s'investir dans de tels efforts, et l'on doit pouvoir faire état de résultats probants.

Toute approbation d'un projet de construction de pipeline, et des nécessaires infrastructures, doit être soumise à une procédure claire et transparente. La participation des citoyens doit être assurée. Un des moyens d'y parvenir serait d'adopter une nouvelle procédure de nomination des commissions d'examen, et de prévoir la participation de représentants des peuples autochtones.

On relève sur la question des points de vue très divers, et ces différents avis doivent être entendus, et reconnus. Les décisions en ce domaine ne doivent plus être prises de façon unilatérale. Nous avons vu les soulèvements qui risquent de se produire lorsque le public n'est pas informé et que sa participation n'est pas assurée.

Il nous faut un processus public plus équilibré. C'est ce que souhaite d'ailleurs l'ensemble des Canadiens. Il nous faut manifestement pour cela une stratégie nationale comportant un certain nombre de mesures absolument indispensables. Nous devons nous assurer que le pétrole brut est transporté en toute sécurité. Nous reconnaissons qu'avec les pipelines les déversements sont moins fréquents, mais les déversements provenant d'un pipeline entraînent néanmoins des incidences graves et durables sur l'environnement et l'économie d'une région. Personne n'ignore les effets dévastateurs de ce genre d'incident. On ne peut jamais rétablir entièrement l'environnement et lui rendre sa pureté. Il nous faut donc nous entendre sur les moyens d'éviter les déversements. Or on ne pourra y parvenir que par un dispositif assurant une surveillance constante des infrastructures.

Chaque mode de transport doit être soumis à une évaluation du risque afin de repérer les failles du dispositif et d'identifier les solutions possibles. Nous sommes tous conscients de l'importance essentielle du secteur pétrolier au Canada, mais il faut en même temps assurer la sécurité des opérations.

Il nous faut réfléchir aux conséquences environnementales et écologiques des décisions que nous prenons aujourd'hui, et songer aux incidences qu'elles auront sur les sept générations à venir. Il est absolument essentiel, dans le cadre d'une stratégie nationale, de prendre en compte les conséquences, à long terme, que ces décisions peuvent avoir sur la santé.

Quels que soient les travaux entrepris, il nous faut privilégier l'environnement et la santé de nos populations. Depuis des générations, les communautés autochtones ont dû accepter des décisions contraires à leurs intérêts. Nous ne devrions pas avoir à combattre chaque jour pour obtenir de l'eau potable et un environnement qui ne soit pas pollué. Nous sommes pourtant contraints de lutter. Il est désormais en notre pouvoir de mettre fin à cela.

Même avec le meilleur équipement et la meilleure formation les choses peuvent mal tourner. Il nous faut être persuadés que l'on fait tout ce qu'il est possible de faire pour éviter les incidents malencontreux. En Nouvelle-Écosse, les efforts en ce sens doivent être menés en collaboration avec les Micmacs qui, en ce domaine, ont un rôle à jouer.

Depuis la signature de nos traités, la protection de nos droits est pour nous une préoccupation primordiale. C'est pour cela que nous éprouvons tant d'inquiétude au sujet des permis sociaux d'exploitation. Ces permis sociaux ne permettent pas en effet de protéger nos droits. La priorité de l'Assemblée des chefs micmacs de Nouvelle-Écosse et de tous les Micmacs de Nouvelle-Écosse ne cessera jamais d'être la sauvegarde de nos droits et titres ancestraux.

Nous espérons que l'exposé que nous vous avons présenté vous aide à bien saisir combien les préoccupations dont nous faisons état sont ancrées dans les traditions, la vie et la culture de notre peuple.

Il nous appartient de veiller à bonne gérance de l'environnement, et cette responsabilité se transmet de génération en génération. Au nom des chefs micmacs de la Nouvelle-Écosse, je suis heureux d'avoir eu cette occasion de vous faire part de nos préoccupations.

Je voudrais, pour terminer, souligner l'importance des efforts que nous entendons poursuivre. Leur échec risque de mettre nos peuples en péril. Le Canada tente actuellement d'effectuer une réconciliation. Le pays a besoin de se développer. Notre peuple souhaite échapper à la pauvreté. Nous avons été marginalisés. Nous lançons un appel à la transparence. Nous souhaitons avoir notre mot à dire tant au niveau réglementaire que sur le plan financier. Notre peuple, et l'ensemble des Canadiens seront aux avant-lignes et les erreurs qui pourraient être commises risquent d'envenimer nos relations. Il se peut qu'il y ait des actes de violence et que les efforts de réconciliation tournent mal.

Je vous demande de tenir compte de ces considérations. Le Canada aura bientôt 150 ans. Notre participation au processus d'approbation environnementale inspirera confiance à nos populations vivant dans les diverses régions du pays. Je vous remercie.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous savons gré du temps que vous nous avez consacré, reconnaissant par là même que le préavis a été un peu court. Nous vous invitons à nous transmettre un exposé écrit. N'hésitez pas à en remettre un exemplaire à notre greffier qui le distribuera aux membres du comité.

Mme Copage : Je vous remercie.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie de votre exposé. Vous avez évoqué un certain nombre de points négatifs, mais vous êtes en même temps ouvert à l'idée de voir les acteurs de ce projet se réunir avec les représentants du peuple micmac dans le cadre d'un dialogue honnête, ouvert et réaliste.

Je reproche notamment à TransCanada, l'entreprise de construction de pipelines, de tarder, justement, à entamer ce dialogue. Or, il faut du temps pour établir une relation. Dans certains cas, il a fallu des siècles. C'est un aspect important de la situation. Nous le savons et l'avons fait savoir aux représentants de l'entreprise, mais bien sûr, ce n'est pas en son nom que nous nous exprimons ici.

Vous avez parlé de l'emploi, et de la pauvreté. Si je vous comprends bien, car je ne voudrais pas me tromper sur ce que vous venez de nous dire, vous ne rejetez pas catégoriquement la construction de pipelines. Selon vous, des consultations en bonne et due forme, des mesures de protection et de prévention adéquates, des dispositions qui prévoient des interventions efficaces en cas d'urgence, ainsi que des possibilités d'emploi permettraient d'établir des relations fructueuses entre le peuple micmac et les promoteurs du pipeline.

M. Googoo : Je vous remercie de votre question et du commentaire dans le cadre duquel elle s'inscrit. Il y a quelques semaines, j'ai participé à une réunion organisée au sein de notre communauté. J'étais assis à côté d'une femme de mon âge, une mère de famille. Elle a évoqué l'opposition à la construction de gazoducs. Elle m'a demandé ce que j'en pensais. Je lui ai répondu que je comprenais fort bien les sentiments exprimés et, après quelque temps, elle a dit être du même avis. J'ai expliqué que les groupes se partagent, selon moi, entre trois points de vue. Un groupe estime qu'il faut s'opposer au développement, quelles qu'en soient les conditions.

Un autre groupe dit ne pas s'opposer au développement, mais exige la tenue de consultations en bonne et due forme. Les conditions actuellement présentées ne prévoient pas, de notre part, une participation suffisante, puisqu'on refuse de l'écourter et ce groupe-là entend s'allier avec le premier groupe pour rejeter le projet. Et puis il y a les groupes qui sont favorables au développement, qui sont moins exigeants. Les deux autres groupes les accusent de reniement.

Cette opposition ne peut être surmontée que par la réconciliation et la pédagogie, afin que la population du Canada devienne consciente de nos droits. Nous ne sommes pas simplement des protestataires. Nous ne souhaitons pas nous opposer au développement. C'est pour nous une première étape, alors que les enfants commencent à s'initier à notre culture, à nos origines. Il faut qu'ils prennent conscience du dénuement de nos communautés. Il faut que les Canadiens reconnaissent dans leur ensemble le lien qui existe entre nos droits et nos terres ancestrales.

La pédagogie du public revêt autant d'importance que les accommodements que l'on demande aux entreprises. Ce n'est pas tellement compliqué à comprendre. Nous pouvons, ensemble, parvenir à une solution gagnant-gagnant. Mais si nous n'en faisons pas l'effort, quels que soient les règlements, les politiques ou les nouvelles dispositions législatives adoptés, nous ne parviendrons à rien. La méthode qui consiste à tout décider d'en haut et à donner des autorisations sans que nous ayons été consultés va devoir changer.

Le sénateur Mercer : Je tiens à bien comprendre ce que vous nous dites. Vous avez décrit trois positions possibles. Si j'interprète correctement ce que vous nous avez dit, vous vous situez, vous, dans le deuxième groupe et non dans le premier. Mais s'il n'y a pas de consultations, vous rejoindrez le premier groupe. Est-ce bien cela?

M. Googoo : Oui.

Le sénateur Mercer : Entendu.

Le sénateur Greene : Je tiens, d'abord, à vous féliciter de votre exposé honnête, ouvert, égal et équilibré. Je suis entièrement d'accord avec ce que vous nous avez dit.

Avez-vous des recommandations précises à formuler quant à la manière dont les Micmacs pourraient être associés aux bienfaits économiques découlant de ce projet?

M. Googoo : Je vais vous répondre brièvement avant de passer la parole à mes deux collègues qui souhaitent peut- être ajouter quelque chose. Lorsqu'un projet tel que celui-ci est conçu, des consultations devraient avoir lieu dès que possible afin de solliciter notre apport. Il faut que s'établisse entre nous la confiance. Il ne s'agit pas d'installer un espion au sein des pourparlers et de tout étaler sur la place publique. Non, il s'agit de collaborer de bonne foi.

Nous savons fort bien que le Canada a besoin d'exploiter ses ressources, mais, voyez-vous, nous estimons que ces ressources sont en même temps les nôtres. Nous ne voulons pas que l'on continue à nous regarder de haut, à nous considérer comme une charge pour le contribuable. Nous avons le sentiment que la prospérité du Canada repose sur des ressources qui proviennent de nos terres. Il n'y a aucune raison pour que nos communautés autochtones se trouvent dans l'état où elles sont actuellement. Il faut donc que, dès le départ, ce genre de projet se déroule sous le signe de la transparence et de l'inclusivité. Lorsqu'un projet est lancé sous l'égide du gouvernement fédéral, et même lorsque sont initialement accordés les permis, il faudrait que l'Office national de l'énergie engage sans tarder des consultations avec les comités autochtones de développement. C'est à ce prix qu'on obtiendra à confiance.

Nous ne pouvons pas nous contenter de quelques emplois, rajoutés à un poste budgétaire afin de pouvoir dire qu'on a tenu compte de nos intérêts. Nous voulons sortir de la pauvreté et il nous faut pour cela assurer à notre population un accès à l'emploi égal à celui des autres Canadiens. Ainsi que l'a affirmé notre chef national, il nous faut parvenir à combler l'écart. Ce n'est pas nous qui avons choisi l'emplacement des réserves des Premières Nations. Il nous faut, pour échapper à la pauvreté, des projets qui assurent notre développement économique.

Nous voulons avoir, au Canada, le statut d'associé, avec voix au chapitre du développement économique et un meilleur avenir pour nos jeunes. Notre taux de natalité est le plus fort du pays. Nous avons également le taux le plus élevé de décrochage scolaire. Le fait que nos jeunes sachent qu'ils peuvent aspirer à une vie meilleure et qu'ils ont des chances de réussite provoquera une réaction en chaîne. Cela les encouragera à parfaire leur éducation. Leurs parents, aussi, les encourageront en leur disant « Écoute-moi, ces occasions, moi, je ne les ai pas eues, mais les choses ont changé et je te demande de ne pas quitter l'école ». Si j'en crois mon expérience, on s'ennuie à l'école lorsqu'on ne sait pas ce que l'on veut faire plus tard. On ne s'inscrit pas aux bons cours. Avant, il n'y avait que les universités. J'ai été heureux de voir naître les collèges communautaires. Si les jeunes savent à peu près le métier qu'ils peuvent envisager, ils pourront se perfectionner davantage en langues, en mathématiques ou dans les diverses autres matières qui les prépareront le mieux au métier qu'ils envisagent. Ce sont là des choses auxquelles il faut songer très tôt, et c'est pourquoi nous voulons être considérés comme des partenaires et non pas simplement comme un poste budgétaire.

Twila Gaudet, agente de liaison pour les consultations, Initiative des droits des Micmacs, et Bureau de négociation Kwilmu'kw Maw-klusuaqn : Le chef Googoo a insisté sur l'importance qu'il y a à nous amener très tôt à participer à un projet en préparation. Permettez-moi simplement d'ajouter que ces grosses entreprises tirent leurs bénéfices des ressources qu'elles exploitent, et que les Premières Nations et les peuples autochtones devraient eux aussi en tirer profit à condition que la sécurité des travaux soit assurée et l'environnement respecté. J'insiste sur l'importance d'une réglementation renforcée et d'une veille environnementale rigoureuse, assurée de concert avec les peuples autochtones.

M. Googoo : Quelque chose vient de me venir à l'esprit. Vous pourrez me dire si l'on vous a consultés à cet égard. J'ai vu, hier soir, aux actualités, un responsable de l'entreprise Irving qui évoquait les milliards de dollars investis, en vue du transport de pétrole brut de Saint John vers l'étranger. Je n'ai pas très bien compris quelles étaient ses fonctions, mais il a dit qu'on allait construire un pipeline. Il a annoncé cela comme ça, sans vraiment réfléchir. Il a ajouté qu'Halifax était en pleine expansion, et que ce n'est plus le cas de l'Alberta. Il a prédit l'essor de la province.

Or, ce genre de déclaration, en l'absence de dialogue, détermine à l'avance ce qui va se passer. Il est, à nos yeux, essentiel que les entreprises prennent conscience des objectifs qui sont les nôtres avant même que ne soient accordés les permis et les autorisations. Nous tenons à participer en amont.

Le sénateur Greene : Je voudrais vous poser une question hypothétique. Projetons-nous 10 ans en avant : le pipeline est construit et fonctionne depuis plusieurs années déjà sans la moindre fuite. Tout va très bien et tout le monde est heureux.

Êtes-vous, vous-même, satisfait? Comment envisagez-vous l'avenir? À supposer que le pipeline donne entière satisfaction, quels sont les avantages que vous souhaiteriez en retirer dans 10 ans?

M. Googoo : Avant même de parler de ce pipeline hypothétique, il y aurait une ou deux choses à régler. Il faudrait, en effet, un processus qui prévoit une beaucoup plus grande participation de notre part afin que nous ne soyons pas les derniers à savoir ce qui se passe.

Le sénateur Greene : Je comprends.

M. Googoo : Aidez-nous à vous aider à réaliser ce projet, car nous voulons le voir sortir de terre. Nous espérons que, dans 10 ans, nous aurons négocié des accords de nation à nation, et instauré avec le gouvernement une nouvelle relation financière au point où nous touchons des revenus de plusieurs sources au lieu de compter sur une entente de contribution et les crédits qui nous sont octroyés dans le cadre de divers programmes. La population estime en général que nous vivons aux frais du contribuable : « C'est nous qui payons pour les Indiens, pour les loger et tout le reste. »

Or, le partage des ressources donnera lieu à des revenus. Lorsque nos populations n'auront plus besoin de recourir à l'aide sociale, et pourront prétendre à un meilleur niveau de vie, les investissements que nous pourrons faire avec les revenus que nous tirerons du partage des ressources contribueront à notre développement économique et nous permettront de profiter d'occasions économiques qui ne se limitent pas au seul secteur pétrolier. Je voudrais qu'un jour nous en arrivions là, que notre argent soit investi dans la pêche ou dans divers autres secteurs d'activité.

J'entendais, plus tôt, également rappeler qu'il nous faut prêter davantage attention aux communautés installées dans les territoires où se pratiquent traditionnellement la pêche et la chasse. Nous voudrions qu'on nous précise les mesures de protection qui seront mises en œuvre en cas d'urgence, à l'occasion, par exemple, d'une fuite dans les régions où nous nous livrons depuis toujours à la pêche et à la chasse.

La pluie a provoqué une inondation au Cap-Breton. J'ai rencontré, ici à Halifax, M. Goodale, et à Sydney je l'ai entendu dire à un résident du Cap-Breton : « Ne vous inquiétez pas; les secours sont en route. » On a annoncé, après cela, l'octroi d'une aide de 10 millions de dollars.

Quatre mille six cents personnes habitent Eskasoni. La province évaluait à l'époque les dégâts qui s'étaient produits à Sydney, afin de décider qui pouvait bénéficier des dispositions sur l'état d'urgence. Or, nos réserves n'ont pas accès à ces mesures de secours. Eskasoni est à 35 minutes de route. M. Goodale aurait dû s'y rendre tout de suite après pour nous dire « Nous allons également épauler cette communauté des Premières Nations. » Voilà le genre d'égalité que nous revendiquons. Il en va de même des emplois et du développement économique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je tiens à remercier nos invités, ce matin, et le Grand Chef Googoo. Vous savez, notre comité n'est pas un comité décideur; c'est un comité qui fait des recommandations au gouvernement. J'espère que nous pourrons le faire avec la même sagesse que vous avez démontrée dans votre présentation. Je tiens à vous féliciter. J'aurais quelques questions pour le Grand Chef.

Je pense que vous avez bien qualifié les positions des gens, aussi bien dans le domaine de l'exploitation des ressources que dans celui du transport des ressources. Il y a des gens qui s'opposent totalement. Il y a des gens qui sont prêts à des compromis, et il y a des gens qui sont ouverts à toutes formes d'exploitation. Si j'avais à me servir de votre sagesse pour rallier ceux qui s'opposent à ceux qui sont ouverts à toutes formes d'exploitation... D'ailleurs, on sait que, même au sein de votre communauté, vous ne partagez pas tous les mêmes points de vue. Au niveau des provinces non plus. On le voit au Québec. Il y a plus d'opposition au Québec que dans d'autres provinces.

Quelle serait votre stratégie pour obtenir l'adhésion sociale à ce projet-là, aussi bien en ce qui concerne l'exploitation des ressources que le transport des ressources? Bien des gens s'opposent au pipeline, parce qu'ils s'opposent aussi à l'exploitation du pétrole. Beaucoup de gens associent les deux fonctions, soit l'exploitation et le transport. Alors, quelle serait votre stratégie pour rallier les deux groupes?

[Traduction]

M. Googoo : Je suis heureux que vous me posiez la question. Il y aura, quelle que soit la situation, des gens qui seront, disons, plus en pointe que d'autres. Ceux qui, cependant, ont sur la question une position intermédiaire peuvent être ralliés à certaines conditions.

Prenons l'exemple du projet de construction de la centrale de Muskrat Falls. Lorsqu'on a vu se durcir le mouvement de protestation, on a compris qu'en procédant à des coupes à blanc et en ne prenant pas en compte les recommandations qui avaient été formulées, l'entreprise n'a fait qu'envenimer les choses. Nous sommes bien tenus de soutenir nos populations. Il faut maintenant prendre le temps de réfléchir.

Au lieu de forcer les barrages routiers, d'appeler la police en renfort et de demander à la justice de rendre des injonctions, ne serait-il pas préférable, au cours des trois ou six prochains mois, voire au cours de l'année qui vient, de prendre un moment pour réfléchir ensemble à la situation, pour formuler de nouvelles recommandations, et examiner à nouveau les arguments avancés de part et d'autre, car il paraît clair que les consultations qui ont été menées ont fait l'impasse sur un certain nombre de choses. Si les gens ont l'impression qu'on n'écoute pas ce qu'ils ont à dire, ils tenteront, même par des mesures peu réalistes, de se faire entendre.

Votre comité sénatorial pourrait peut-être formuler des recommandations quant à ce qu'il conviendrait de faire en pareille situation. Vous, ou quelque organisme réglementaire, devriez vous pencher à nouveau sur l'ensemble du dossier afin de voir quelles sont les préoccupations légitimes, sans avoir à passer par les tribunaux. En l'occurrence, l'entreprise pense pouvoir jouer la carte de la force en faisant appel à la police. Or, une telle approche fait du tort non seulement à l'entreprise, mais aussi à la Couronne, aux services de police et aux relations avec la population.

Une telle approche n'aboutit qu'à mettre quelqu'un en prison, à déposer quelques accusations et nuire aux relations publiques. L'entreprise devrait au contraire marquer un temps d'arrêt afin que l'on puisse procéder à un examen indépendant des préoccupations exprimées et voir lesquelles sont légitimes.

C'est comme cela qu'il conviendrait de procéder. On aura de meilleures chances de succès si on a le sentiment qu'on nous a écoutés et qu'on a tenu compte de nos inquiétudes. Or, à l'heure actuelle, on continue des deux côtés à s'obstiner. Personne n'y gagne. Même ceux qui, au départ, avaient une attitude plutôt conciliante ont changé d'avis vu l'animosité qui s'est installée. Or, nous souhaiterions éviter ce genre de choses et parvenir à des compromis gagnant- gagnant.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais vous poser une question, Grand Chef Googoo, et peut-être que vous n'aurez pas de réponse, mais je vous demanderais d'imaginer que avez une boule de cristal. On a parlé beaucoup cette semaine, même dans les autres rencontres de consultation qui ont eu lieu, de l'adhésion sociale au projet. Il semblerait que c'est une espèce de facteur principal pour que le projet se déroule bien, soit qu'il y ait une adhésion sociale de tous les partenaires possibles. Par rapport à votre communauté, et par rapport à vos communautés cousines, d'autres communautés autochtones, comment évaluez-vous cette adhésion sociale, dans le cadre d'un tel projet?

[Traduction]

M. Googoo : On ne peut pas, je pense, ignorer le principe même de l'adhésion sociale. L'octroi, si l'on peut dire, d'une licence sociale d'exploitation doit se faire, cependant, au vu d'un certain nombre de principes. N'oubliez pas que même si, dans telle ou telle région, un secteur de la population ou une communauté qui y trouve avantage, donne son adhésion à un projet, les droits en cause appartiennent non seulement à eux, mais à la population tout entière. Or, la licence d'exploitation sociale ne s'applique pas toujours à l'ensemble du territoire. Nous devons donc nous assurer que l'octroi d'une licence d'exploitation sociale est ancré dans des principes de base qui en sont une partie intégrante. Si nous ne procédons pas ainsi et que nous acceptons de voir diluer les principes, nous craignons de les voir tomber en désuétude. C'est du moins mon avis. Y aurait-il quelque chose à ajouter?

Mme Gaudet : Non, je ne le pense pas. On ne peut pas, comme vous venez de le dire, parler d'adhésion sociale sans parler en même temps de nos droits. Il est fréquent que dans l'idée d'adhésion sociale qu'il retient, le promoteur confonde acceptation à approbation. Ce n'est très certainement pas notre cas en l'occurrence. Il faut, dans le cadre de consultations, entamer un dialogue qui permette d'évoquer les incidences que ce projet pourrait avoir sur nos droits, et de répondre aux objections soulevées.

Le vice-président : Avant le deuxième tour, j'aurais moi-même quelques questions à poser. N'hésitez pas à intervenir.

Vous avez parlé, chef Googoo, de l'ONE et de la manière dont cet organisme remplit sa mission. J'ai l'impression que, selon vous, les communautés autochtones n'ont pas été suffisamment consultées. J'aimerais obtenir quelques précisions à cet égard afin de mieux comprendre ce qui s'est fait.

Une communauté autochtone a-t-elle envoyé à l'ONE une pétition? A-t-elle contacté l'ONE pour lui présenter des doléances, et l'ONE a-t-il refusé de les entendre? Je serais curieux de savoir.

Mme Gaudet : La procédure devant l'ONE revêt un caractère quasi judiciaire et nous n'avons donc pas sollicité le statut d'intervenant. Aux termes du mandat applicable en Nouvelle-Écosse, c'est plutôt à Ressources naturelles Canada que nous devons nous adresser. Nous avons demandé à présenter nos arguments par écrit et nous sommes effectivement en train de préparer un exposé pour l'ONE.

Le vice-président : Bon. Dans un même ordre d'idée, plusieurs de nos témoins ont relevé le peu d'occasions qu'ont les communautés autochtones de participer à l'octroi de permis et aux évaluations environnementales. Pourriez-vous expliquer un peu ce qui fait, au juste, que les communautés autochtones n'ont pas les moyens de participer aux procédures d'évaluation.

Comment le gouvernement fédéral pourrait-il renforcer la capacité des communautés autochtones à participer aux évaluations? Qu'il nous soit permis de poser la question. Devrait-on, dans un premier temps, prévoir la participation directe des populations autochtones au sein de l'Office national de l'énergie?

M. Googoo : Permettez-moi de répondre brièvement, avant de passer la parole à Twila qui voudra peut-être ajouter quelque chose. Nous allons devoir faire appel à des scientifiques. Nous avons d'ores et déjà les moyens d'effectuer des recherches sur certains de ces projets.

Nous voulons participer à la rédaction des nouveaux règlements portant sur nos droits et titres ancestraux, tels que le droit de prendre du poisson. Nous ne voulons pas qu'on nous transmette ces textes après coup avec l'assurance qu'ils répondent à nos préoccupations. Nous voulons pouvoir participer à leur rédaction.

Il faut renforcer la collaboration avec nos équipes économiques afin de voir les bienfaits que l'on peut attendre à brève échéance. Nous ne voulons pas que les avantages que ces projets pourraient éventuellement nous apporter soient traités comme quelque chose d'accessoire. Le problème est, justement, que l'on nous a toujours accordé une importance secondaire et que l'on ne tient compte de nos préoccupations que lorsqu'un incident risque de se produire, voire lorsqu'il s'est déjà produit. C'est alors qu'on vient nous voir pour dire « Voici ce que nous vous proposons. » Ce n'est plus comme cela que nous entendons traiter.

L'Office national de l'énergie, qui de son côté a éprouvé un certain nombre de difficultés, tente actuellement de rétablir la confiance. Je ne peux pas parler pour le reste du pays, mais si l'Office comprenait des représentants autochtones, nous serions plus confiants que nos arguments et nos intérêts sont pris en compte.

Le partenariat n'est pas une simple question de belles paroles. On ne peut tout simplement pas arriver quelque part et se contenter de dire qu'on est très heureux de se trouver sur le territoire non cédé des Micmacs ou des Algonquins alors que nous ne sommes nous-mêmes appelés à jouer aucun rôle dans le développement des ressources provenant de ce territoire. On ne peut pas seulement parler; il faut aussi agir. Je constate avec satisfaction que certains représentants du monde politique affirment vouloir désormais donner davantage de substance aux discours.

Le vice-président : J'aurais une autre question à vous poser. Pourriez-vous m'expliquer quelque chose? Vous avez dit tout à l'heure que vous représentez 11 groupes sur 13. Qu'en est-il des deux autres groupes? Qui sont-ils et pourquoi ne font-ils pas partie de votre regroupement?

M. Googoo : J'ai pris la parole devant vous au nom de l'Assemblée des chefs de la Nouvelle-Écosse et mon exposé correspond à la position de cette assemblée. Je représente en fait 14 des chefs de Terre-Neuve et tous les chefs de la Nouvelle-Écosse. Il s'est tenu, à Ottawa, le 28 juin dernier, une réunion au sommet à laquelle ont pris part des chefs et des députés. Deux des chefs se sont retirés de l'initiative KMK, nos règles de procédure prévoyant effectivement le retrait lorsqu'un groupe n'est pas d'accord avec notre manière de procéder. Ils se sont donc prévalus de cette possibilité.

Cela dit, je précise qu'en tant que chef régional je représente l'ensemble des chefs. Je ne suis lié à aucune organisation. Je suis, ès qualités, membre de toutes les organisations, cependant, et je suis donc au courant de ce qui se dit, et des problèmes dont les chefs peuvent faire état. Je vous ai présenté mon exposé au nom de l'Assemblée des chefs de la Nouvelle-Écosse, mais, en tant que chef régional, je suis le représentant de tous.

Le sénateur Mercer : Vous avez cité la Nation algonquine. L'autre jour, j'ai lu dans le journal un article portant sur une question dont nous sommes tous conscients. Lorsque nous nous rendons au travail à Ottawa, nous nous rendons sur le territoire traditionnel des Algonquins. Nous savons tous que la Colline parlementaire se trouve sur le territoire traditionnel des Algonquins.

Je tiens à cultiver une attitude positive. Vous avez parlé du chômage et de la pauvreté. Ce sont, d'après moi, deux aspects d'un même problème. Rien n'est certain, mais le projet en question pourrait très bien offrir des occasions d'emploi. Or, il sera peut-être trop tard pour en profiter si l'on attend que le projet soit prêt à démarrer.

Avez-vous consulté le Collège communautaire de la Nouvelle-Écosse, qui, avec ses nombreux campus installés dans les diverses régions de la province, pourrait peut-être assurer la formation de jeunes de vos communautés? Si le projet de pipeline est effectivement autorisé, il serait regrettable de ne pas profiter de l'occasion de faire participer ces jeunes aux négociations et aux consultations entre vous et les entreprises concernées.

M. Googoo : Je sais que dans certaines régions, les collèges communautaires ont effectivement étudié les occasions qui pourraient se présenter, mais on pourrait à cet égard en faire davantage. Je tiens, à ce sujet, à évoquer une autre question importante. J'entends par cela l'écart qui existe. Je vais donner de cela un exemple pris dans ma communauté. Avant d'être élu chef régional, j'ai été, pendant 19 ans, chef de la Première Nation Waycobah.

Il y avait, à environ 11 kilomètres de la réserve, une mine de gypse. Après négociation, j'ai convenu, avec la compagnie, que 25 p. 100 des emplois seraient confiés à des membres de notre communauté. On voit bien, en s'y rendant, que la mine est effectivement située tout près. Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu, mais à l'époque, l'entreprise avait convenu d'un certain nombre de choses. Elle avait notamment convenu d'engager des chauffeurs de camion et de recruter des employés pour la mine. Des occasions d'approvisionnement étaient en outre prévues pour les Autochtones et si nous avions eu des réserves de carburant nous aurions pu alimenter les engins de la mine.

Toutes ces occasions étaient prévues d'un commun accord. J'avais essentiellement dit à l'entreprise que si elle me voulait comme allié, je pourrais convaincre les membres de ma communauté qui s'opposaient au projet, de s'y rallier à condition que l'entreprise m'aide en engageant 15 familles pour travailler à la mine, une certaine partie des revenus de l'entreprise étant donc réinjectée dans la communauté. J'ai dit à l'entreprise que, sans cela, je ne m'impliquerais pas. J'ai ajouté que si des membres de notre société des guerriers demandaient à s'entretenir avec ses représentants, je n'interviendrais pas. Je ne pouvais, en effet, pas convaincre les membres de ma communauté d'accepter le projet si l'entreprise ne m'offrait rien dont je puisse faire état devant eux.

Ce que nous avons négligé de faire, par contre, c'est d'avoir sur place quelqu'un pour vérifier, chaque année, si 25 p. 100 des emplois étaient effectivement offerts à des gens de notre communauté. Si ce n'était pas le cas, nous aurions ainsi pu faire ce qu'il fallait pour rectifier la situation. Il ne faut pas que l'entreprise concernée se contente de dire qu'elle va nous réserver un certain nombre d'emplois, si c'est pour nous dire après coup que ce n'est pas de sa faute si elle n'a en fin de compte pas pu faire ce qu'elle s'était engagée à faire. Il nous faut donc avoir quelqu'un sur place pour demander pourquoi nous n'avons pas obtenu les emplois prévus, et pour prendre les mesures nécessaires pour corriger la situation.

Le vice-président : Le problème était-il en partie dû à la formation?

M. Googoo : Oui, c'était en partie une question de formation, mais c'est aussi, malheureusement, que la production de la mine était en baisse.

Le sénateur Mercer : Si j'ai évoqué tout à l'heure le collège communautaire, c'est parce que je me suis rappelé quelque chose dont j'ai souvent l'occasion de parler. Les habitants de la Nouvelle-Écosse se souviennent peut-être de l'époque où le gouvernement a annoncé l'octroi d'un contrat de construction navale au chantier Irving, ici à Halifax.

Le même après-midi, ou le jour suivant, je ne me souviens plus exactement, le collège communautaire de la Nouvelle-Écosse a commencé à revoir ses programmes afin de s'assurer qu'ils répondaient bien aux besoins des chantiers navals. C'est un fait que le collège a rétabli plusieurs programmes de formation de soudeurs, car ce métier n'était, jusqu'alors, pas très recherché. La construction navale exige, bien sûr, un grand nombre de soudeurs et le collège communautaire s'est adapté à ce nouveau besoin.

D'après moi, plus les consultations seront engagées tôt, mieux ce sera. Si l'entreprise convient de réserver un certain nombre d'emplois aux membres de la communauté, on peut espérer qu'à l'issue de consultations, le collège communautaire sera en mesure d'assurer aux jeunes la formation dont ils ont besoin pour remplir les emplois qui leur seront confiés.

Je n'accepte pas qu'une entreprise réponde qu'elle n'a pas pu trouver de personnes qualifiées. Si c'est effectivement le cas, il n'y a qu'à les former. Il y a, dans votre communauté, de nombreux jeunes qui ont l'intelligence et les capacités nécessaires. Je sais pertinemment que c'est le cas, et nous pouvons, en l'occurrence, faire en sorte qu'ils reçoivent la formation voulue.

M. Googoo : Faute de mieux, je vais qualifier la personne dont j'ai parlé tout à l'heure, d'agent de mise en œuvre. Lorsque ces occasions d'emploi se présentent, il y a, à Halifax, des gens, et je ne parle pas des Autochtones, qui souhaitent naturellement en profiter. Il y a toujours une foule de candidats à un emploi. Or, dans nos communautés, nous n'avons pas l'habitude de voir autant d'occasions d'emploi se présenter en même temps. Celui qui compte depuis assez longtemps sur l'aide sociale va ainsi se heurter à un certain nombre d'obstacles. Celui qui, habitué à des travaux saisonniers, entend se trouver un emploi permanent peut effectivement éprouver des difficultés, que ce soit au plan des soins à domicile, des transports ou même au niveau de la gestion de ses finances.

Un agent de mise en œuvre s'apercevrait de ces obstacles et pourrait apporter un soutien à ceux qui veulent changer d'orientation. Ne nous faisons pas d'illusions, certains réussiront, mais d'autres non. Or, il nous faut savoir quels sont les obstacles auxquels les gens se heurtent. Nous pourrons ainsi profiter des occasions qui s'offrent à nous.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Grand Chef Googoo, on a écouté des intervenants cette semaine. Vous êtes Grand Chef de Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. Cependant, le pipeline s'arrête au Nouveau-Brunswick. On nous a recommandé, cette semaine, d'examiner la possibilité que le tracé final se rende jusqu'en Nouvelle-Écosse, particulièrement à Port Hawkesbury. Quelle est votre position par rapport à cela? Je vais sortir un peu de votre présentation en termes d'adhésion pour parler maintenant de l'aspect technique. Quelle est votre position par rapport au tracé final de ce pipeline?

[Traduction]

M. Googoo : Il s'agit, encore une fois, d'avoir dès le départ la possibilité de participer à ce qui se décide, et de communiquer de part et d'autre, mais je vais laisser à Twila le soin de répondre, car c'est un sujet qu'elle connaît mieux.

Mme Gaudet : Nous savons que le tracé proposé suscite un certain nombre d'inquiétudes quant à l'augmentation du trafic maritime et le transport du pétrole. Tout déversement aurait, c'est clair, des incidences dévastatrices sur la pêche. Or, toutes les communautés pratiquent la pêche dans cette région.

La plupart des inquiétudes actuelles concernent les incidences que ce projet pourrait avoir sur l'habitat marin, l'habitat du poisson dans la baie de Fundy.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, si je comprends bien votre réponse, s'il y avait deux hypothèses de tracé, un qui aboutirait en Nouvelle-Écosse dans le détroit de Canso et l'autre, à la baie de Fundy, vous auriez privilégié le détroit de Canso?

[Traduction]

Mme Gaudet : Nous ne nous sommes pas encore prononcés en faveur de ce tracé. Nous n'y avons pas encore réfléchi, mais je pense que, même si ce tracé devait passer par Saint John ou Port Hawkesbury, nous nous inquiéterions tout de même de l'augmentation du trafic maritime et des incidences qu'un déversement pourrait avoir tant sur les terres que sur le milieu marin.

Le vice-président : Monsieur Michael, souhaiteriez-vous ajouter quelque chose?

James Michael, procureur, Sipekne'katik : L'exposé qu'a présenté Jennifer peut être pris de plusieurs manières. Disons, pour l'instant, que nous avons répondu à toutes les questions, tout expliqué à fond. Comprenons bien cela, même s'il ne nous a pas été possible de discuter de tout.

Permettez-moi de faire quelques observations de caractère général. La bande procède actuellement à ses propres consultations, et devrait bientôt engager ses propres négociations. Millbrook est l'autre Première Nation à s'être retirée du processus engagé en Nouvelle-Écosse. Je ne suis pas certain qu'elle se soit retirée de l'assemblée, mais la bande, elle, s'en est effectivement retirée.

M. Googoo : En effet.

M. Michael : Sipekne'katik estime que tout cela aurait pu être en grande partie évité si le Canada s'en était simplement tenu à ce que prévoit la loi. La loi impose en effet des consultations à chaque fois qu'un projet envisagé risque de porter atteinte à un de nos droits ou titres ancestraux.

Nous avons, ici en Nouvelle-Écosse, de nombreux exemples de projets qui ont été lancés sans que nous soyons préalablement consultés. On se contente d'envoyer à la bande, avec un très court préavis, une invitation à prendre part à des consultations. Or, pour la bande, il ne peut pas y avoir de consultations si le premier coup de pioche a déjà été donné. Disons, à tout le moins, qu'il ne peut pas y avoir de consultations véritables si aucun effort n'est fait pour prendre nos intérêts en compte afin d'éviter, ou de réduire autant que possible, d'éventuelles atteintes à nos droits et à nos titres.

On a évoqué, ce matin, l'existence de deux ou trois groupes différents. Certains sont favorables à ce projet, d'autres s'y opposent. Mais il existe également une troisième ou quatrième solution possible et c'est celle-là que la bande tente actuellement de retenir. Nous tentons de mettre en place notre propre processus de consultation. Disons, de manière générale, que lorsque les chefs prennent une décision touchant les droits de la communauté, ce qui a été décidé fait petit à petit son chemin dans l'esprit de la population.

Or, il s'agit, en l'occurrence, de nos droits communaux. Cela étant, à qui appartient-il de décider? La décision appartient à la communauté tout entière. Celle-ci va formuler un certain nombre d'objectifs, et se fixer des priorités. Il se peut que la communauté s'oppose au projet, ou qu'elle lui donne son aval, mais c'est à la communauté qu'il appartient de se prononcer dès le départ, et non après que tout ait été décidé.

Je viens de dire que le gouvernement s'y prend trop tard pour négocier. Il nous arrive à nous aussi, Micmacs, de venir nous asseoir trop tard à la table parce que nous devons consulter la population. Ce que nous voulons, c'est faire participer les gens dès le début pour éviter ce genre de situation. S'il y avait dès le début de véritables consultations bilatérales continues, on réduirait beaucoup de ces problèmes au minimum.

Je ne pense pas que la bande Sipekne'katik se soit jamais opposée au développement. Il s'agit de protéger l'environnement et nos droits et titres. Il s'agit du respect de ces droits et titres, de la préservation de l'objet de nos droits et titres pour les générations futures et, avec tous les autres Néo-Écossais et tous les Canadiens, de la protection de l'environnement.

Pour ce qui est d'obtenir l'approbation sociale, je ne suis pas certain que la bande soit tout à fait d'accord parce qu'il semble qu'il y ait un mouvement. Je l'ai lu dans la correspondance des gouvernements fédéral et provincial. Il semble y avoir un mouvement quand ils disent qu'il faut parler ou dialoguer avec la bande Sipekne'katik et avec d'autres intervenants, ou qu'ils doivent parler avec les Micmacs et d'autres intervenants. C'est presque comme s'ils nous mettaient dans le même panier que les autres. Si nous sommes à la table, c'est parce que cela fait 10 000 ans que nous sommes là. Dans notre introduction, nous nous opposons à ce que la province et, dans certains cas, le fédéral essaient de nous mettre dans le panier que les autres intervenants parce que nous ne sommes certainement pas comme les autres.

Nous apprécions le respect et le soutien des intervenants parce que beaucoup d'entre eux partagent les mêmes objectifs que nous. À ce stade-ci, je ne pense pas que ce soit juste et je trouve que cela banalise les droits constitutionnels de la bande Sipekne'katik quand vous parlez d'approbation sociale, à moins que j'aie mal compris.

Comment améliorer la confiance du public dans le processus d'examen du pipeline? En un mot, par la transparence. Cela vaut pour tout. Si des accords, des négociations ou des discussions se font derrière des portes closes, il n'y aura pas de transparence. Cela veut dire que vous aurez des manifestations. Je simplifie à l'extrême, mais je suis parfois un homme simple. Personne n'aime être tenu à l'écart de pourparlers. Si on est tenu à l'écart, on imagine le pire.

Comment faciliter la participation des peuples autochtones à la prise de décisions? Là encore, il s'agit d'obéir à la loi, d'obéir à la Constitution du Canada. Dès lors que vous envisagez quelque chose, parlez aux Premières Nations concernées par le projet ou qui peuvent l'être. Une fois les travaux commencés, il n'y a pas de consultation véritable. Si le gouvernement n'a pas la possibilité de modifier ou de déplacer ou encore, dans certains cas, d'arrêter, est-ce qu'il s'agit vraiment de consultations ou de notification?

Nous avons tous mentionné une stratégie nationale. Les Micmacs sont présents dans cinq provinces et dans l'État du Maine. Il nous faudra donc une stratégie nationale. Certains ont les mêmes traités que nous. Ils ont tous des droits et des titres ancestraux. La Cour suprême du Canada a un ensemble de règles. Il faut avoir été ici au moment de la souveraineté. Ils doivent être exclusifs. Je ne vais pas entrer dans les détails juridiques, mais ces règles s'appliquent à l'échelle nationale, à tout le pays.

Pour ce qui est d'une stratégie énergétique nationale, il faudra qu'elle s'applique à toute l'entreprise à l'échelle nationale, régionale et locale. Il se peut que seule la bande Sipekne'katik soit concernée par certains aspects, mais bien souvent, les bandes voisines seront elles aussi concernées. La partie continentale peut être concernée. La province, l'Atlantique ou la région peuvent être concernés. Tant que vous n'aurez pas de processus qui tienne compte de la façon dont les Micmacs veulent être consultés, vous aurez toujours des conflits. Au minimum, vous aurez une incompréhension et le soupçon qu'on ne donne pas à nos droits et titres tout le poids prévu par la Cour suprême du Canada. Je vous remercie.

Le vice-président : Pour répondre à quelques éléments évoqués ce matin, Mme Copage, vous avez mentionné que vous souhaitez nous présenter un mémoire, ce que vous pouvez évidemment faire. Nous l'attendrons et nous en tiendrons compte dans nos délibérations. Nous l'incorporerons et l'examinerons.

Mme Copage : Je vous remercie.

Le vice-président : Je siège au comité de l'énergie depuis cinq ou six ans avec des personnes qui connaissent bien le sujet et qui veulent bien faire. Ce que j'ai appris, entre autres, au fil des ans, c'est qu'on évite beaucoup de problèmes en faisant entrer les gens par la grande porte dès le début. Il ne s'agit pas seulement de dire à quelqu'un « tenez, voilà votre part du gâteau » pour lui dire plus tard « et voilà de l'argent ». Tous les intervenants se portent mieux s'ils participent au processus d'entrée de jeu.

Il me semble que vos références à la transparence sont importantes. Si on participe dès le début et qu'on fait partie du processus tout du long, il est difficile de se plaindre ensuite de ne pas avoir été consulté. Il est dans l'intérêt de tous d'adopter cette approche et je pense que nous en sommes tous conscients.

Je tiens à mentionner une chose à propos de la carrière à l'extérieur de Whycocomagh. Je me souviens de l'époque où on se préparait à l'exploiter. Morley a raison de dire que 20 ans après, on voit des choses qu'on aurait dû faire. À l'époque donc, j'étais tout à fait partisan d'y installer un embranchement de voie ferrée. Nous nous apercevons maintenant, avec le mal que nous avons à garder la voie ferrée au cap Breton, qu'il aurait été bon que ce matériau soit transporté par cette voie ferrée ces 20 dernières années, étant donné qu'il nous faut du volume. Il y a toujours des choses qu'on aurait pu faire si on avait su. Nous essayons d'apprendre avec le temps. Voulez-vous dire quelque chose, chef, avant que nous terminions?

M. Googoo : J'ai un dernier commentaire sur la réconciliation dans mon portefeuille. Nous soulignons toujours que nous sommes sur un territoire micmac non cédé. Aussi, peut-être qu'à des audiences futures du Sénat comme celle-ci, nous arborerons également un drapeau micmac et nous serons accompagnés de quelques-uns de nos aînés. Nous avons des traducteurs micmacs aussi. Je pense qu'ils se sentiraient plus à l'aise s'ils pouvaient s'exprimer dans leur propre langue. Je tenais simplement à vous le dire.

Le vice-président : Si des personnes comparaissant devant nous se sentaient plus à l'aise si elles s'exprimaient en micmac et qu'elles ont besoin d'un traducteur, je crois que nous pourrions leur en fournir un. C'est ce que nous ferions. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue au témoin suivant, le capitaine Sean Griffiths, qui est chef de la direction de l'Administration de pilotage de l'Atlantique.

Veuillez commencer votre exposé, capitaine Griffiths, et ensuite, les sénateurs vous poseront des questions.

Capitaine Sean Griffiths, chef de la direction, Administration de pilotage de l'Atlantique : Vous trouverez à la première page de mon exposé un bref survol de ce qu'est et de ce que fait en vérité l'Administration de pilotage de l'Atlantique. Nous commencerons par le fait que nous couvrons 17 zones de pilotage obligatoire dans l'ensemble du Canada atlantique, soit environ 32 000 kilomètres de littoral de ce côté du pays.

Vous pouvez voir dans la composition de notre personnel de pilotage et des ressources que tous les ports sont répertoriés. Par exemple, à droite de ce tableau, il y a 13 pilotes dans l'Est de Terre-Neuve qui couvrent trois ports et 9 au cap Breton, où nous avons trois ports. Dans certains districts importants, comme Halifax et Saint John, qui couvre la plupart des affectations, nous avons 13 pilotes et 9 pour chaque port.

Cela nous donne un instantané des ports que nous couvrons. Ce que cela ne montre pas, c'est un petit bout du Québec. En fait, nous couvrons cinq provinces. De nouvelles installations qui s'ouvrent actuellement dans la baie des Chaleurs feront partie de notre territoire, si le secteur devient aussi une zone de pilotage obligatoire. C'était un aperçu de qui nous sommes et de nos secteurs.

Comment les pilotes montent-ils à bord des navires? Ils continuent de faire comme il y a bien des années. C'est une des manières les plus sûres de procéder. Vous voyez sur cette photo comment ils font. Nous avons des règlements, des procédures et de l'équipement de sécurité obligatoire pour garantir l'embarquement et le débarquement du pilote en toute sécurité dans tous nos secteurs.

Comment un pilote monte-t-il à bord d'un navire? Nous avons dans tous nos secteurs des bateaux-pilotes très modernes et solides pour emmener nos pilotes jusqu'à la zone d'embarquement et les ramener ensuite. Il y a des plates- formes stables et très efficaces par mer agitée. Ces embarcations sont rapides et manœuvrables. Elles sont équipées d'appareils de navigation intégrés et d'un système d'homme à la mer très efficace que vous pouvez voir en bas à droite de la page. Notre flotte en compte 9 à l'heure actuelle et nous entendons en acheter deux autres pour en avoir 11. Nous avons également, en plus de cela, 13 contrats de service de bateaux-pilotes pour le Canada atlantique.

Ensuite, vous avez un aperçu de nos 10 dernières années. Nous avons eu 90 600 affectations de pilotage dans l'ensemble du Canada atlantique, dont 99,93 p. 100 sans incident et 99,1 p. 100 dans les délais pour nos clients. Dans les cas où les délais n'étaient pas respectés, le retard moyen pour nos clients est de 2,2 heures. Il est bon de souligner qu'aucun polluant n'est rejeté dans les eaux navigables et qu'il n'y a eu aucun blessé dans les incidents qui sont survenus.

Sur la côte Est du Canada, nous avons toute une gamme de transports maritimes. Nous avons les navires de marchandises diverses, les porte-conteneurs rouliers et les navires de transport d'automobiles que nous voyons généralement ici, à Halifax. Tout le long de la côte, nous avons aussi des pétroliers navettes locaux et en partance pour l'étranger. Nous avons une saison de croisières très occupée sur la côte Est du Canada avec l'escale majeure au port d'Halifax. On compte quelque 160 paquebots de croisière par an et une flotte active de pétroliers caboteurs qui naviguent dans toutes les provinces le long du Canada atlantique.

Juste pour vous donner une idée du type de navire dont nous nous occupons du plus gros des très gros transporteurs de brut, ou TGTB, avec environ 2 millions de barils de brut à bord, aux méthaniers qu'on voit généralement à Saint John, au Nouveau-Brunswick, en passant par les navires de croisière. Il y en a beaucoup et ils deviennent de plus en plus gros. Il y a les pétroliers caboteurs que je mentionnais plus tôt qui ont différents propriétaires. Les pétroliers caboteurs des plates-formes en mer ravitaillent notre côte aussi. Des tas de navires de transport de voitures arrivent à Halifax. La saison nautique devient plus active dans tout le Canada atlantique. À Halifax, la majeure partie des navires sont des porte-conteneurs et des vraquiers locaux et en partance pour l'étranger qui font escale dans nos ports.

Passons à la partie pétroliers de nos activités. Vous voyez au graphique de la page suivante que les pétroliers représentent le gros du trafic maritime en Canada atlantique, soit presque 40 p. 100. Les recettes constituent la moitié environ de ce que nous rapportons à l'Autorité. À droite, vous voyez les porte-conteneurs, les navires de marchandises diverses, les vraquiers et tout le reste. Il est très évident que les pétroliers sont nos premiers clients. Pour aller encore plus en détail, nous pourrions voir les affectations à des pétroliers par zone de pilotage obligatoire rien que l'an dernier.

Regardons 2015. Nous avons au total 3 200 mouvements de pétroliers en Canada atlantique. Cela représente environ 40 p. 100 de nos affectations. C'est à Saint John que nous en avons le plus, soit 1 116 mouvements. Vient ensuite, avec 882 affectations, la baie Placentia, où un terminal de transbordement actif assure le service des installations en mer et des marchés internationaux. Nous avons même des terminaux pétroliers à Louisport, à Corner Brook, à Stephenville, à Sydney, à Miramichi, à Restigouche et à Charlottetown. Il s'agit dans tous ces cas de mouvements actifs pour les pétroliers.

Pour avoir une meilleure idée de qui supporte le poids des mouvements de pétroliers au Canada atlantique, vous voyez sur le graphique à droite et dans les chiffres à gauche que Saint John se classe manifestement au premier rang aussi, avec la baie Placentia au deuxième rang, puis Halifax et Canso qui se disputent les troisième et quatrième places. On voit bien que beaucoup de ports participent au trafic des pétroliers dans tout le Canada atlantique, pour fixer un objectif pour les autres ports.

J'ai des données intéressantes au sujet de l'Administration de pilotage de l'Atlantique, l'APA. Nous avons des affectations de pilotage sur des pétroliers qui transportent quelque 2,3 millions de barils de brut. Il s'agit, encore une fois, du type de navire TGTB que nous voyons à Saint John, au Nouveau-Brunswick, et dans le détroit de Canso. Cela équivaut à environ 64 millions de tonnes ou 458 millions de barils de pétrole par an. Nous convoyons sur cette côte plus de pétrole que partout ailleurs au Canada.

Nous assurons des services de pilotage sur des pétroliers dans 13 des 17 ports du Canada atlantique. Les affectations qui concernent des ports situés dans des zones de pilotage non obligatoire visent généralement des navires en route vers un port situé dans une zone de pilotage obligatoire. C'est pourquoi nous les signalons ici.

Nous avons parlé plus tôt des quatre grands secteurs, à savoir la baie Placentia, Saint John, le détroit de Canso et Halifax. Nous avons dressé un diagramme circulaire à droite avec des chiffres à gauche. Il est évident que le trafic dans la baie Placentia se compose exclusivement de pétroliers. C'est à peu près tout ce dont nous nous occupons dans ce secteur, hormis les navires de marchandises diverses qui se présentent de temps en temps et qui sont ici au nombre de 21.

À Saint John, les pétroliers représentent 60 p. 100 des affectations. Le reste se compose de porte-conteneurs, de navires de marchandises diverses, et cetera. Là encore, les pétroliers constituent la majorité du transport maritime à destination et au départ de Saint John. Dans le détroit de Canso, on passe juste en dessous de 50 p. 100, la majeure partie du trafic maritime se composant d'autres navires de charge transportant, par exemple, du gypse, du gravier ou du charbon. Le pourcentage baisse encore un peu à Halifax, qui est le port le plus diversifié de tout le Canada atlantique pour ce qui est des navires de charge, et le trafic de pétroliers y est un peu moins important.

Au Canada atlantique, nous avons quatre grands terminaux maritimes qui se chargent d'environ 93 p. 100 du volume de pétrole. À Saint John, Irving Oil peut produire autour de 300 barils par jour, ce qui donne environ 40 500 tonnes de produits raffinés. Toujours à Saint John, le terminal de Canaport LNG a accueilli huit navires l'an dernier avec une capacité totale d'un peu moins de 1 million de mètres cubes de gaz naturel liquéfié.

Dans la baie Placentia, nous avons le terminal de transbordement de Terre-Neuve, ou terminal de la NTL, à Whiffen Head. On peut y stocker dans des citernes environ 3,3 millions de barils ou 500 000 tonnes de pétrole brut. Cette capacité devrait augmenter avec Hibernia. C'est là que le projet Hebron entre en scène. La raffinerie de Come By Chance peut ou pourrait absorber par jour quelque 115 000 barils de produits raffinés destinés aux marchés locaux et internationaux.

Revenons au détroit de Canso où nous avons des terminaux NuStar. On peut y stocker dans des cuves environ 7,5 millions de barils ou un peu plus d'un million de tonnes de pétrole brut et de produits pétroliers. Ils expédient environ 60 000 barils par an, ce qui équivaut à un peu plus de 8 millions de tonnes reçues et expédiées par an.

À Halifax, nous avions jusqu'en 2013 la raffinerie qui produisait quelque 90 000 barils par jour. Il n'y a plus qu'un terminal maritime maintenant et vous voyez que le paysage a beaucoup changé au cours des cinq à sept dernières années. Juste à côté, Irving Oil a réactivé récemment son terminal maritime pour stocker du carburant, juste ce mois-ci, en fait, en octobre.

Il est bon de mentionner ici que, dans le Canada atlantique, les navires commerciaux accostent au cœur de nos plus grands centres de population et naviguent dans des zones importantes sur le plan économique et écologique. Nous avons la zone de conservation des baleines noires. Nous avons des zones protégées dans la baie de Voisey. Nous avons une activité de pêche commerciale toute l'année dans tout le Canada atlantique. Il s'agit d'une responsabilité que nous prenons très au sérieux.

En ce qui concerne l'atténuation des risques et les exercices, nous faisons des exercices de simulation. Vous en avez deux exemples ici. Un à Halifax, où nous travaillons avec des intervenants maritimes pour nous préparer en cas d'incident. Le scénario étudié était celui d'un porte-conteneurs échoué près d'un des ponts. Il s'agit d'un exercice grandeur nature et l'idée est de tester les limites de nos processus, de nous demander si nous pouvons les améliorer.

Nous en avons fait un autre dans la baie Placentia où un pétrolier s'échouait. Nous y avons fait participer les intervenants et la collectivité locale aussi. Ce sont des exercices réalistes qui montrent clairement où les mesures ou la communication peuvent être améliorées. Grâce à ces exercices, nous avons pu établir un plan de gestion des incidents. Il s'agit d'un document évolutif qui est constamment réexaminé et mis à jour, et nous ferons la même chose au prochain exercice de simulation.

Il y a deux exemples d'accidents possibles. J'ai parlé de toutes les bonnes choses survenues dans le courant de l'année écoulée, c'est-à-dire en 2015, en ce qui concerne les mouvements de pétroliers, mais le 9 décembre 2015, un pétrolier de brut arrivait dans la baie Placentia pour un de nos clients. Il avait entre 675 000 et 700 000 barils de pétrole à bord et il a eu une panne de gouvernail catastrophique à environ 45 milles des côtes d'Halifax. Ce que je veux dire par catastrophique, c'est qu'il a perdu son gouvernail. Il ne pouvait plus se diriger.

Il dérivait tout simplement, alors nous avons décidé de travailler en étroite collaboration avec le port d'Halifax, avec Atlantic Towing et avec les pêcheurs hauturiers locaux. Nous avons réussi à amener ce navire à bon port, à le mouiller dans le bassin de Bedford, et toute la cargaison a été transférée dans le navire jumeau en moins de quatre jours. Le pétrolier a rejoint le quai à Halifax, où son gouvernail a été réparé, et il sillonne de nouveau les mers comme s'il ne s'était jamais rien passé.

Curieusement, un an à peine après, le British Merlin, un navire de BP, a subi une panne de moteur. Le turbocompresseur ne tournait pas comme il fallait et le navire n'avançait qu'à quelques nœuds de vitesse. La météo n'était pas de la partie. Là encore, en collaboration avec Atlantic Towing, la société de remorquage locale, avec les pêcheurs hauturiers du coin et l'Administration portuaire d'Halifax, l'APA a réussi à ramener le navire au port sain et sauf. Des réparations ont été effectuées. Le navire a repris la mer et navigue aujourd'hui sans problème.

En conclusion, j'aimerais juste dire que l'Autorité a fait ses preuves en matière de sécurité et d'efficacité, ce qui contribue à la confiance du public dans l'industrie maritime canadienne, en particulier dans son transport de pétrole brut vers les ports, les terminaux et les raffineries de l'Est du pays.

Le sénateur Mercer : Capitaine Griffiths, je vous remercie de votre présence ici. Vous nous avez donné un excellent aperçu, de plus bienvenu, des activités des pilotes maritimes dans la région de l'Atlantique. Vous avez parlé de zones fragiles et de zones protégées que vous finissez par traverser. Je suis curieux au sujet du détroit de Canso en particulier. Y a-t-il des zones fragiles ou protégées dans le détroit de Canso ou à proximité?

Capt Griffiths : La pêche commerciale est une des principales activités. C'est un défi parce que nos pilotes accompagnent de très gros navires, mais leurs relations avec la collectivité locale et le fait de savoir où se trouvent les zones de pêche sont très importants pour la bonne navigation des navires de charge, des pétroliers, et cetera.

Pour ce qui est des zones protégées en tant que telles, je ne connais pas leur emplacement aujourd'hui, mais il nous est communiqué régulièrement et nos pilotes savent où elles se trouvent.

Le sénateur Mercer : Vous ne voyez aucun problème et vous n'en rencontrez pas constamment à aller et venir dans le détroit de Canso.

Capt Griffiths : Non.

Le sénateur Mercer: J'aimerais passer à Saint John, au Nouveau-Brunswick, pour quelques instants. Nous savons qu'il existe des zones protégées ou sensibles. La baleine noire y prend ses quartiers d'été.

Capt Griffiths : Effectivement.

Le sénateur Mercer : Ce n'est pas seulement une espèce protégée, c'est un énorme animal. Est-il aussi facile pour vos pilotes d'entrer dans le port de Saint John et d'en sortir que de traverser le détroit de Canso?

Capt Griffiths : La distance de pilotage à Saint John, au Nouveau-Brunswick, est d'environ huit milles. Du point où le navire prend un pilote jusqu'au point de mouillage ou d'amarrage, il y a généralement huit ou neuf milles. Si vous tracez une ligne entre la pointe de la Nouvelle-Écosse et, disons, Grand Manan au début du dispositif de séparation du trafic, par exemple, le navire doit franchir pour atteindre la plate-forme d'accostage dans la baie de Fundy sans pilote un passage d'une soixantaine de milles vers l'intérieur qui lui fait contourner, espérons-le, la zone de conservation de la baleine noire, jusqu'à la station où les pilotes embarquent. Dans le détroit de Canso, c'est un passage d'environ 45 milles et un pilotage de 25 milles de la station de pilotage au quai. Le pilotage dans le détroit est sensiblement plus long. Il faut virer plusieurs fois. La baie de Fundy est pour ainsi dire sans problème en suivant les voies de navigation recommandées aux navigateurs tout du long jusqu'à la plate-forme d'accostage.

Le sénateur Mercer : Vous avez dit, à propos du détroit de Canso, que la pêche commerciale est le problème.

Capt Griffiths : En effet.

Le sénateur Mercer : Vous n'avez pas mentionné la baleine noire dans vos commentaires au sujet de Saint John.

Capt Griffiths : Effectivement. La pêche commerciale, autant le dire, existe partout dans le Canada atlantique. Nous devons composer avec tous les jours. Mais cela ne pose pas de problème du point de vue du pilotage parce que nous entretenons des liens très étroits avec la collectivité et avec les intervenants.

Il n'y a pas de pilote à bord des navires qui traversent la baie de Fundy pour se rendre à la station de pilotage, mais ils sont sous la surveillance étroite des Services de communication et de trafic maritimes, les SCTM. Ils franchissent cette zone de conservation. Ce n'est pas une zone de pilotage. On ne peut pas l'imposer non plus. C'est assez éloigné de la baie de Fundy.

Le sénateur Mercer : Ce n'est pas de votre ressort.

Capt Griffiths : C'est cela.

Le sénateur Mercer : Je vais vous poser une question d'ordre général et, ensuite, je serai plus précis. Parmi les secteurs relevant de votre compétence dans le Canada atlantique, quel est le plus difficile pour les pilotes?

Capt Griffiths : Je vous répondrai qu'ils sont tous difficiles. Ils présentent tous sans exception des difficultés particulières. La météo est différente dans chaque port et district. Les hauteurs de marée sont différentes. La situation, l'emplacement des quais, les installations et l'infrastructure, tout est différent. Ils sont tous uniques. Je ne saurais dire que l'un est plus difficile que l'autre pour les pilotes. Ils sont tous très difficiles par nature chacun à sa façon.

Le sénateur Mercer : Vous avez parlé de hauteurs de marée.

Capt Griffiths : Oui, monsieur.

Le sénateur Mercer : Les hauteurs de marée posent moins de problèmes sur la côte Atlantique que dans la baie de Fundy.

Capt Griffiths : C'est vrai.

Le sénateur Mercer : Quels défis présentent-elles pour les pilotes dans la baie?

Capt Griffiths : Des défis très particuliers, sans parler du fait que la rivière Saint-Jean se jette dans le port de Saint John et, pour finir, dans la baie de Fundy, ce qui constitue un autre défi en soi.

Au printemps, le pilotage peut se révéler très difficile pour nos hommes qui amènent des navires jusqu'aux terminaux maritimes ou à la raffinerie. Les hauteurs de marée n'affectent généralement pas les terminaux extérieurs, comme le terminal de GNL, ou la monobouée. Cela n'a pas autant d'incidence parce qu'on est en eau tellement profonde.

On connaît l'heure des marées. On crée des créneaux pour les navires qui arrivent et qui partent afin de maximiser les horaires de manutention des cargaisons ou, dans le cas de Saint John, les horaires des navires de croisière. Plus le créneau est grand pour l'arrivée et le départ d'un navire, plus les passagers ont de temps pour aller dépenser leur argent à terre et plus on a de temps aussi pour charger et décharger les marchandises.

Le sénateur Mercer : À Saint John, l'autre jour, nous sommes allés à la raffinerie Irving. Nous avons également jeté un coup d'œil à l'endroit où les navires viennent à quai. Ils ne le font pas de la façon traditionnelle dont on a l'habitude dans d'autres ports. En fait, ils s'amarrent à une bouée en mer.

Capt Griffiths : À une monobouée.

Le sénateur Mercer : À une monobouée, c'est cela. Est-ce que cela présente des difficultés particulières pour les pilotes, notamment aux changements de marées et au printemps avec l'arrivée d'eau douce de la rivière Saint John?

Capt Griffiths : Parfois. C'est vrai, mais la grande différence entre un navire qui entre dans la baie Courtenay pour aller à la raffinerie et un navire qui va à la monobouée, c'est qu'il y a beaucoup de gens et d'intervenants qui participent à la deuxième opération. Il y a un capitaine d'amarrage spécialement affecté à chaque navire qui arrive. La marge de manœuvre est bien plus grande, si je puis dire, en cas de degré de changement ici et là. Pour entrer dans la baie Courtenay, il faut suivre un chenal défini. Il est dragué. On est limité dans ses mouvements, comme dans le port intérieur de Saint John, mais avec la monobouée, on a un peu plus de latitude dans l'approche. On peut interrompre la manœuvre au besoin.

Le sénateur Mercer : Imaginons qu'un gros navire arrive sur la monobouée à la raffinerie Irving. Une panne de courant catastrophique se produit à bord. Quelles difficultés cela présente-t-il, en particulier dans la baie de Fundy avec les marées, avec la rivière Saint John et en ayant seulement la possibilité de s'amarrer à une monobouée?

Capt Griffiths : Tout d'abord, le problème, c'est que les navires qui vont s'amarrer à la monobouée sont généralement beaucoup plus gros que ceux qui peuvent aller au port et qu'on a donc un navire plus gros avec plus de brut à bord. Des remorqueurs aident à la manœuvre tout le temps et, en plus, Saint John possède la flotte de remorqueurs les plus robustes qui soient parce qu'ils appuient le terminal de Canaport LNG. Ils sont en attente 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je précise que cela vaut autant pour le port intérieur que pour la monobouée.

Pour revenir à votre question sur les défis, si un gros pétrolier à la dérive perd sa propulsion à l'approche de la monobouée, tout est en place, autant que faire se peut, pour atténuer le risque, comme les pilotes, les capitaines d'amarrage, les remorqueurs et les services de trafic maritime. Tous sont prêts à intervenir.

Ce ne serait pas si simple s'il arrivait la même chose à un plus petit navire entrant dans le port de Saint John ou dans la baie Courtenay. Le risque serait nettement plus grand dans ce cas. Les difficultés que présente la monobouée seraient nettement moindres que celles de l'accostage au terminal, mais on a affaire à de plus gros bateaux et à plus de pétrole. Si quelque chose devait arriver, les conséquences seraient évidemment plus lourdes.

Le sénateur Mercer : Prenons le même très gros navire qui approche de la monobouée à la raffinerie Irving à Saint John et faisons-le passer à Port Hawkesbury. Il approche lui aussi du débarcadère pour charger ou décharger. Quels seraient les défis à Port Hawkesbury en cas de panne catastrophique?

Capt Griffiths : L'approche des quais ou du terminal auquel il se rendrait serait plus restrictive qu'avec la monobouée. Cependant, il s'agit d'un port en eau très profonde.

Le sénateur Mercer : Ce serait plus restrictif, mais est-ce que ce serait plus facile?

Capt Griffiths : Je ne suis du tout pas certain que ce serait plus facile. La marge d'erreur serait plus grande pour s'arrimer à la monobouée que pour se mettre à quai. C'est toujours le cas à maints égards. Amener un pétrolier à quai dans la baie Chédabucto ou à Port Hawkesbury présente des difficultés, mais c'est la norme pour nous. La seule monobouée en Canada atlantique est celle de la raffinerie d'Irving Oil. La plupart des affectations sur les pétroliers concernent des accostages et les accostages se font le long de quais dans des eaux congestionnées. Il est difficile de dire que l'un est moins aisé que l'autre. Les défis ne sont pas les mêmes, c'est tout. Le vent et le courant jouent plus quand on accoste que quand on s'amarre à une bouée. Les remorqueurs jouent un rôle plus important dans l'accostage que dans l'amarrage.

Le sénateur Mercer : Je ne l'ai pas vu à Saint John quand nous y étions ou, du moins, personne n'a mentionné qu'il arrive que deux navires se présentent en même temps à la monobouée. Est-ce que c'est parce qu'elle est gérée de manière que cela ne se produise pas?

Capt Griffiths : C'est cela, il ne peut pas y avoir deux navires à la monobouée en même temps.

Le sénateur Mercer : Il ne peut pas y avoir deux navires à la monobouée en même temps. Revenons au détroit de Canso. On pourrait avoir un navire à quai et un dans le chenal.

Capt Griffiths : Au mouillage, oui, c'est possible.

Le sénateur Mercer : Ou même plus d'un dans le chenal.

Capt Griffiths : Ce serait possible, mais le chenal n'est pas loin du quai. Le mouillage est plus éloigné, comme l'amarrage à la monobouée.

Le sénateur Mercer : Je n'essayais pas de créer un embouteillage.

Capt Griffiths : Je comprends.

Le sénateur Mercer : J'essayais juste de voir si nous pouvions avoir plus d'un navire prêt à être chargé ou déchargé à chaque quai.

Le vice-président : Je vous remercie, sénateur Mercer.

Sénateur Boisvenu?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'aimerais que vous me parliez de votre expérience comme pilote. Est-ce que vous avez piloté un bateau? Le cas échéant, à quel endroit avez-vous acquis votre expérience?

[Traduction]

Capt Griffiths : C'est une très bonne question. Je ne suis pas pilote. Je suis capitaine au long cours de métier. J'ai acquis mon expérience dans de nombreux aspects dans l'industrie maritime, des hydrocarbures à la pose de câbles à fibres optiques, en passant par le remorquage, l'appui aux robots sous-marins télécommandés, le transport de passagers et les navires de charge. J'ai pris la mer à 19 ans comme matelot dans la Garde côtière canadienne et j'ai gravi les échelons pour devenir capitaine au long cours à 30 ans. J'ai commandé un remorqueur de haute mer qui avait été converti en navire de soutien pour des robots sous-marins télécommandés. J'ai commandé un navire de ravitaillement des plates-formes pétrolières en Nouvelle-Écosse. Ensuite, je suis revenu à terre et j'ai géré la flotte hauturière pendant quelque temps, j'ai obtenu mon MBA et je suis passé au pilotage il y a environ deux ans et demi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, dans quelles régions du Canada avez-vous piloté? Est-ce que vous avez fait le détroit de Canso? La baie de Saint-Jean? Ce sont des endroits que vous connaissez bien?

[Traduction]

Capt Griffiths : Je connais mieux le détroit de Canso que Saint John. J'ai été officier de navigation sur plusieurs navires dans le détroit de Canso, que ce soit en simple navigation ou même en remorquant des engins de forage. J'ai une plus grande expérience du détroit de Canso que du port de Saint John et de ses approches. Je ne suis jamais entré dans Saint John à bord d'un navire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, quand le sénateur Mercer vous pose la question, à savoir quel endroit est plus difficile à piloter qu'un autre, sur le plan environnemental, quel endroit est le plus sensible? Est-ce que vous le déterminez à partir de votre expérience ou à partir d'échanges que vous avez eus avec des pilotes?

[Traduction]

Capt Griffiths : Je crois que c'est un peu des deux. Pour ce qui est de l'expérience de nos pilotes, nous employons 47 pilotes sur l'ensemble du Canada atlantique. Nous communiquons régulièrement. Nous nous voyons régulièrement. Ils nous font part de leurs difficultés. Souvent, notre directeur des opérations ou moi-même, nous partons en affectation avec les pilotes pour voir par nous-mêmes les difficultés auxquelles ils sont confrontés en sortant des ports ou en y entrant.

Quant à la navigation vers une zone de pilotage, il y en a de plus difficiles que d'autres, mais pour revenir à ce que disait le sénateur, le pilotage lui-même est difficile et toutes les zones présentent leurs propres difficultés. Il est injuste de dire qu'un port de pilotage en particulier est plus difficile qu'un autre.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La baie de Fundy — je me trompe peut-être — est un milieu qui a été reconnu par l'UNESCO comme l'un des habitats très importants et sensibles qu'il faut protéger, n'est-ce pas?

[Traduction]

Capt Griffiths : C'est correct, pour autant que je sache.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je connais un peu la baie, parce que j'y ai fait du tourisme dans le passé, et j'ai visité aussi le détroit de Canso. J'ai de la difficulté quand les gens nous disent que la baie de Fundy, sur le plan environnemental, est moins risquée que le détroit de Canso. J'ai de la difficulté à le croire. Je ne sais pas si mon point de vue est juste à ce sujet. Qu'est-ce que vous en pensez?

[Traduction]

Capt Griffiths : Je peux vous donner un exemple, monsieur. Pour ce qui est du pilotage, la baie Chédabucto est fermée plus souvent que Saint John, la raison en étant que les vents dominants de la région atlantique soufflent en plein tout au long des mois d'hiver à l'entrée de la baie Chédabucto. Il est un peu plus difficile d'envoyer un pilote en hiver pour entrer dans le détroit de Canso ou en sortir, et c'est plus compliqué que d'embarquer ou de débarquer à Saint John. Saint John et la baie de Fundy ont une zone protégée. En fait, le facteur de turbulences, ou le fetch comme nous l'appelons, soit le temps pendant lequel le vent peut forcir en haute mer, est moins important dans la baie de Fundy qu'il ne le serait dans le détroit de Canso. Il arrive très souvent qu'on embarque un pilote à Saint John, mais dans le détroit de Canso, nous sommes davantage exposés aux éléments parce que la baie Chédabucto s'ouvre sur le large.

Le vice-président : Avant de passer à la deuxième série, j'ai quelques questions, capitaine Griffiths. Nous avons parlé de retards liés aux pilotes. Je me demandais si vous pouviez nous en dire plus à ce sujet? Quel serait le retard typique lié aux pilotes?

Capt Griffiths : Le principal retard dû au pilotage se produit quand nous manquons de pilotes. À Halifax, pendant la saison des croisières, par exemple, nous avons plusieurs pilotes et aucun ne prend de congé. C'est une règle tacite. On n'accorde pratiquement pas de vacances jusqu'aux mois de septembre et octobre parce que c'est la saison où nous sommes occupés. Nous avons pour principe d'avoir un nombre suffisant de pilotes toute l'année. Si nous devions employer des pilotes qui feraient des heures de travail normales en septembre et en octobre, nous devrions tripler leur nombre dans certains de nos ports.

Pour arriver à un tarif juste et raisonnable pour nos clients, nous comptons sur le fait que les pilotes qui font des heures supplémentaires reviennent et étirent leurs horaires dans les périodes occupées. Il arrive que nous ne trouvions pas de pilotes en heures supplémentaires ou qu'ils se présentent en retard. Quand il y a tellement de travail dans un port en particulier et que nous avons épuisé toutes les ressources, il arrive qu'un navire doive attendre un pilote deux ou trois heures.

Il peut aussi se produire des retards lorsque nous n'avons pas assez de personnel et que les clients veulent un service à la demande, comme dans la baie Placentia. Il y a deux ans, nous y avons enregistré des retards importants. Nous manquions de pilotes. Nous en avons recruté et formé et maintenant, il y a très peu de retards en comparaison d'il y a deux ans. C'est pourquoi le nombre d'heures de retard moyen pour un navire est de 2,2 heures.

Le vice-président : Est-ce que le fait de tarder à avoir accès à des pilotes compromet la sécurité?

Capt Griffiths : Non. Aucun navire ne rentre sans pilote. Il doit attendre en dehors de la zone jusqu'à ce qu'il en arrive un. Il nous est déjà arrivé de faire faire demi-tour à des navires. Ils attendent juste en dehors de la zone. Ils font du surplace. Ils tournent à vitesse minimale en attendant qu'un pilote monte à bord. Plus cela prend de temps, plus ils brûlent de carburant, plus ils rejettent de gaz à effet de serre et plus ils courent de risques. C'est dans notre intérêt que le pilote arrive toujours à l'heure. Le chiffre baisse d'année en année.

Le vice-président : Je voudrais que vous m'expliquiez. Si on prend le volume et le mouvement de navires dans les différents ports, on a nettement plus de pétroliers qui vont au port de Saint John que dans tout autre, et il s'agit autant de petits que de très gros pétroliers. Les gros pétroliers sont à l'extérieur, évidemment, et les petits entrent droit au port.

Capt Griffiths : C'est exact.

Le vice-président : Une des choses qui ont été portées à notre attention à Saint John quand nous y avons eu nos audiences, c'est l'augmentation de la pression exercée par les pétroliers sur les nouvelles installations d'exportation. Comment décririez-vous cette pression aujourd'hui à Saint John et qu'arriverait-il avec 500 000 ou 600 000 de plus par an?

Capt Griffiths : C'est une excellente question, monsieur. On fait face sans problème à la pression exercée aujourd'hui par les pétroliers dans les deux régions de Saint John et du détroit de Canso. Nos effectifs correspondent au trafic que nous voyons.

Si nous devions construire de nouvelles installations dans le détroit de Canso ou à Saint John, nous ne pourrions pas le faire aujourd'hui. Ce qui est bien, c'est qu'aucun de ces projets ne démarrerait demain. Il faudrait deux ou trois ans avant de voir arriver du pétrole. Cela nous laisserait assez de temps pour embaucher, recruter et former des pilotes de classe A illimitée avant que ces navires arrivent.

C'est le cas pour les deux districts. Autrement dit, on ne peut pas augmenter le personnel de l'un ou de l'autre du jour au lendemain. Cela prend du temps. Il faut deux à trois ans pour former un pilote qui soit capable de diriger ces navires. Entre le moment du premier coup de pelle et l'arrivée du premier pétrolier, nous aurions le temps de former nos pilotes.

Le vice-président : Si un gros navire transportant du pétrole lourd tombe en panne de propulseur, quelle est la dynamique pour le prendre en charge avec les marées et les vents dominants dans la baie de Fundy et, dans les mêmes conditions, dans le détroit de Canso?

Capt Griffiths : Les facteurs environnementaux sont connus dans les deux districts. En cas d'incident dans la baie de Fundy, on saurait aussitôt quel est le courant à cet endroit et vers où il va dériver. Il existe maintenant une modélisation détaillée qui permet de prédire vers où le navire dérivera ou, dans le pire scénario, s'il y a une brèche, vers où le pétrole s'échappera pour le pomper, et on a des ressources à Saint John et dans le détroit de Canso pour intervenir.

À propos des facteurs environnementaux dans le détroit de Canso, on connaît aussi le vent dominant. Le jour où on a le navire, on sait quel est le vent dominant. Ce sont des choses auxquelles pensent régulièrement nos pilotes. Avant même de rejoindre le navire, ils savent quels sont les vents et ce à quoi il faut penser. Où vont-ils aller en cas de problème? Quel est leur plan de secours? Quels sont les plans C et D? C'est comme cela dans les deux districts.

Le vice-président : Dans le détroit de Canso, on vient débarquer du pétrole lourd et on vient en chercher, n'est-ce pas?

Capt Griffiths : Oui.

Le vice-président : Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble qu'à Saint John, la majeure partie du pétrole lourd de la baie de Fundy arrive par la baie de Fundy.

Capt Griffiths : Oui, mais ce n'est pas vraiment du pétrole lourd, c'est du brut léger.

Le vice-président : Du brut léger.

Capt Griffiths : C'est cela. Dans le détroit de Canso, on fait venir du pétrole et on en expédie. À Saint John, on en expédie aussi depuis la monobouée et par les installations de la baie Courtenay aussi.

Le vice-président : Je pense que c'est juste et je vous demande de réfléchir avant de nous répondre. Quand on regarde ces deux ports, ils ont tous deux une bonne réputation dans la gestion de l'exportation et de l'importation de pétrole et de produits pétroliers.

Capt Griffiths : Oui.

Le vice-président : Pensez-vous qu'ils disposent de services suffisants aujourd'hui pour ce qui est du pilotage, des systèmes de soutien et de l'activité? Diriez-vous qu'ils sont tous deux plus que capables de traiter un volume plus important?

Capt Griffiths : D'un point de vue de pilote, je crois qu'ils en sont capables.

Le vice-président : Lorsque nous parlions dehors, avez-vous dit que vous aviez d'autres données à envoyer?

Capt Griffiths : Non, c'est tout. Vous avez tout là.

Le sénateur Mercer : Vous avez dit qu'il faut environ trois ans pour former un pilote. Si vous m'embauchiez demain, il vous faudrait trois ans pour me former. Je suis un mauvais exemple. Cela vous prendrait plus de temps avec moi, mais si vous deviez embaucher quelqu'un de jeune, il vous faudrait trois ans?

Capt Griffiths : Cela dépend des compétences, des antécédents de la personne. Quelqu'un qui n'a jamais commandé de navire et qui n'a été qu'officier subalterne peut suivre une formation de pilote. Bien sûr que vous pouvez apprendre. Cela prendra juste plus de temps. On pourrait penser que si on a été commandant sur des pétroliers, des porte- conteneurs, des remorqueurs et des navires de charge classiques, la formation prendrait moins de temps.

La formation des pilotes se fait en deux volets. Il y a tout d'abord la connaissance des réalités locales. La base du pilotage, c'est une connaissance intime et approfondie de ces réalités. Ensuite, il y a les manœuvres sur tous les types possibles de navires qu'on peut avoir dans chaque port.

Prenons nos pilotes d'Halifax, par exemple. Dans une même journée, ils peuvent s'occuper le matin d'un porte- conteneurs à un quai, puis piloter un pétrolier jusqu'à des installations pétrolières en deuxième affectation, et ensuite, prendre en charge un transporteur de gypse jusqu'au bassin de Bedford Basin et le mettre à quai à l'installation de National Gypsum. On s'occupe de tous les types possibles de navires. Les pilotes sont uniques à cet égard. Ils connaissent le coin et ils connaissent les navires.

Le sénateur Mercer : Les manœuvres dans le port d'Halifax ne sont pas si compliquées que cela, mais pas si faciles non plus à cause du passage qui mène au bassin de Bedford.

Capt Griffiths : Oui, c'est la perception qu'on en a aussi. Si on regarde l'entrée du port, elle a l'air ouverte sur l'océan, mais il y a beaucoup de bancs et de petits fonds qu'on ne voit pas. Nos pilotes savent où ils se trouvent. Les voies de navigation sont créées et tracées de manière à les éviter. On ne sort pas directement du port, comme pourraient le penser la plupart des gens.

À Saint John, c'est la même chose. Nous avons des pétroliers qui vont dans la baie Courtenay en empruntant un chenal de navigation bien défini qui est dragué tous les ans. Nous avons des pétroliers qui rejoignent une monobouée. Nous avons des méthaniers qui accostent et nous avons des porte-conteneurs, des navires de charge et des navires transportant du sel.

Le sénateur Mercer : Est-ce que le port de Saint John est dragué tous les ans?

Capt Griffiths : C'est toujours inscrit au calendrier et ça n'arrête pas.

Le sénateur Mercer : On drague continuellement le port intérieur.

Capt Griffiths : Le port intérieur.

Le sénateur Mercer : Je ne sais pas s'il est nécessaire de draguer le détroit de Canso.

Capt Griffiths : Non, ce n'est pas nécessaire, pas plus que la baie de Fundy, d'ailleurs.

Le sénateur Mercer : Mais le port, oui.

Capt Griffiths : Il faut le draguer, en effet.

Le sénateur Mercer : Oui, mais on ne drague jamais le détroit de Canso?

Capt Griffiths : Non.

Le vice-président : J'ai deux ou trois autres questions. Vous êtes de la Garde côtière.

Capt Griffiths : Dans mes jeunes années, oui.

Le vice-président : Comme je vous l'ai dit, j'ai eu trois oncles capitaines dans la Garde côtière au fil des années. Un de nos témoins précédents se disait inquiet au sujet des effectifs et de l'état de la flotte de la Garde côtière canadienne et il a déclaré que régler ces problèmes serait une mesure préventive qui améliorerait la confiance du public dans la sécurité maritime.

Je me demandais juste ce que vous en pensez, ce que vous diriez de cette évaluation et ce que vous recommanderiez.

Capt Griffiths : Mon point de vue personnel n'est pas celui de l'autorité. Je serais d'accord avec ce témoin. Je crois que les ressources sont minces. Nous avons moins d'employés. Dans tout le Canada atlantique, nous travaillons en étroite coordination avec la Garde côtière, avec Transports Canada et avec le Service hydrographique du Canada sur de nombreuses questions qui ont une incidence directe ou indirecte sur le pilotage.

Ce milieu est très soudé. Je sais à quel point on lui en demande. Je vois personnellement et professionnellement combien les pilotes sont utilisés à la limite de leurs capacités et je sais à quel point ils ont peu de ressources. Je serais d'accord avec ce qu'a dit le témoin.

Le vice-président : Avez-vous des recommandations ou voyez-vous des secteurs qui manquent particulièrement de ressources? Je me demandais si vous pouviez nous dire lesquels.

Capt Griffiths: À mon avis, on pourrait augmenter un peu les capacités de brise-glaces. Je crois qu'aucune flotte de brise-glaces n'aurait pas pu nous aider à traverser l'hiver il y a deux ans, si vous vous rappelez combien il a été rude sur la côte Atlantique et dans le Nord aussi.

Le vice-président : Je m'en souviens.

Capt Griffiths : Mais les hivers normaux, le manque de brise-glaces se fait sentir. Si quelqu'un veut démarrer un projet dans un port ou une collectivité, il est difficile parfois de faire venir les ressources nécessaires pour le réaliser. Par exemple, le port de Miramichi au Nouveau-Brunswick est une des zones de pilotage obligatoire. Nous avions une réunion hier où nous avons envisagé la possibilité que ce port fonctionne toute l'année et ce que cela signifierait des brise-glaces aux aides à la navigation, en passant par les relevés de fond. C'est compliqué de tout préparer pour la navigation hivernale parce qu'on manque de ressources.

Le vice-président : Il est intéressant que vous mentionniez les brise-glaces. Le sujet a toujours été un peu conflictuel pour moi. Je me souviens d'avoir parlé avec d'anciens directeurs de la Garde côtière. Est-ce que le Louis S. St-Laurent est toujours le plus gros brise-glaces?

Capt Griffiths : Oui.

Le vice-président : Il se trouve à St. John's maintenant. Si vous deviez trouver un emplacement central pour la flotte de brise-glaces, choisiriez-vous St. John's ou le port de Sydney?

Capt Griffiths : C'est une excellente question. Je ne crois cependant pas avoir de réponse. Cela dépend de la saison, des vents dominants et de l'endroit où la pression des glaces est la plus forte.

Le vice-président : Vous avez mentionné qu'il y a deux ans, la flotte n'arrêtait pas d'aller de St. John's au Sydney sortir le traversier de la glace.

Capt Griffiths : C'est vrai.

Le vice-président : Je me demandais combien cela coûtait. Le Louis S. St-Laurent coûte déjà très cher à exploiter.

Capt Griffiths : C'est vrai.

Le vice-président : Donc, chaque journée en mer coûte très cher.

Capt Griffiths : Effectivement.

Le vice-président : Ce n'est que mon hypothèse, mais je pense qu'elle repose sur des faits, à mon avis, votre flotte de brise-glaces devrait se trouver en tête du champ de glace.

Capt Griffiths : Cela semblerait logique. Marine Atlantique joue un rôle clé dans le transport des passagers et des marchandises vers Terre-Neuve-et-Labrador. Il est impératif que cette ligne reste ouverte. Je comprends donc les pressions dans ce sens. Il y a toutefois eu des jours où les traversiers n'étaient pas les seuls bloqués, les brise-glaces l'étaient aussi derrière eux. Je m'en souviens aussi. Il est très difficile d'assurer un pilotage dans la glace. Nous ne pouvons pas manœuvrer un bateau en aluminium de 60 pieds. Or, s'il est impossible de manœuvrer le Louis S. St- Laurent, nous ne pouvons rien faire.

Le vice-président : Non.

Capt Griffiths : Nous faisons des concessions à nos clients qui ont d'autres points d'embarquement dans des eaux libres de glaces et nous travaillons bien comme cela, mais vous avez raison, il y a deux ans, la lisière de la glace était tout autour de Sydney et en continu.

Le vice-président : Eh oui.

Capt Griffiths : Constamment.

Le vice-président : Il arrive malheureusement que des politiciens décident de l'emplacement de navires.

Capt Griffiths : En effet.

Le vice-président : Ils ne prennent pas toujours la bonne décision.

Capt Griffiths : C'est vrai.

Le vice-président : J'ai encore une question. Je suis curieux au sujet du volume de manutention et des navires. Je suis allé deux fois au canal de Panama. J'ai grandi au bord de la mer et dans une famille qui compte des générations de marins. Alors, je me suis régalé à regarder tous les navires s'aligner. Il y en a à perte de vue qui attendent les uns derrière les autres pour franchir le canal de Panama, tous au mouillage.

Si vous aviez quatre ou cinq gros navires — cela pourrait être plus, évidemment — dans la baie de Fundy à attendre pour charger du pétrole à la bouée flottante et que vous ayez la même dynamique dans le détroit de Canso, comme vous y prendriez-vous globalement pour vous occuper de tous ces navires?

Capt Griffiths : Le détroit de Canso a, en fait, vu plus de mouvements que Saint John il y a bien des années. Plusieurs raffineries sur la côte Est des États-Unis ont fermé, ce qui a entraîné un effondrement du trafic dans le détroit de Canso. Il passait plus de navires par le détroit à son apogée que par Saint John. Alors qu'il était courant de voir de très gros transporteurs de brut, ou TGTB, à Saint John, que ce soit dans le détroit ou dans la baie Placentia, nous en avons vu trois dans les 18 derniers mois dans le détroit de Canso. Cela tient beaucoup aux marchés mondiaux, à qui achète le pétrole qui vient d'où, aux économies d'échelle, et ainsi de suite.

Même aujourd'hui, monsieur, on peut regarder par sa fenêtre à Saint John et voir quatre ou cinq pétroliers au mouillage, alignés prêts à partir. Dans la baie Placentia aussi, on peut regarder à sa fenêtre n'importe quand et voir une demi-douzaine de pétroliers au mouillage ou accostés au terminal à transférer du pétrole. Dans le détroit de Canso, il n'y a pas de volume de trafic visible à sa fenêtre. S'il y a quatre ou cinq navires alignés, c'est bien le tout, mais il y a déjà eu du trafic et ça peut revenir.

Le vice-président : Capitaine Griffiths, j'apprécie vraiment votre exposé aujourd'hui.

Capt Griffiths : Merci.

Le vice-président : Le pilotage et la gestion des navires qui entrent dans le port et qui en sortent sont des choses dont la plupart des gens n'ont pas vraiment conscience.

Capt Griffiths : En effet.

Le vice-président : Quand on grandit dans cette atmosphère, on comprend combien c'est essentiel.

Capt Griffiths : À ce propos, sur tout le littoral, dans toutes nos provinces sur cette côte, on peut toujours voir au moins un pétrolier passer. On y est habitué. C'est la normale pour nous. Quand je dis « nous », je veux dire les Canadiens de l'Atlantique. Cela fait partie de notre vie.

On a à peine parlé de l'Australian Spirit aux nouvelles quand c'est arrivé, par exemple. C'est le gars qui le couvrait avec moi. Pas longtemps après, il y a eu un navire de marchandises diverses au large des côtes de la Colombie- Britannique. Il ne transportait pas de pétrole, mais il y en avait dans ses propres soutes, je crois, environ 2 000 tonnes. Le navire a dérivé au large de Haida Gwaii. Non seulement on en a parlé aux nouvelles nationales plusieurs soirs de suite, mais on en a aussi parlé aux nouvelles internationales.

Je crois que les Canadiens de l'Atlantique sont moins dérangés par le passage des pétroliers. On en voit tous les jours. Comme je le disais plus tôt, c'est nous qui en pilotons le plus au Canada et je crois que l'approbation sociale est là dans le Canada atlantique pour le transport de pétrole.

Le vice-président : Cela a été vraiment intéressant de vous avoir ici et de pouvoir vous interroger un peu. Connaissez- vous les événements entourant l'échouage de l'Arrow dans la baie Chédabucto et le naufrage du Kurdistan au large du cap Breton?

Capt Griffiths : J'ai étudié à l'école l'échouage de l'Arrow au large de l'île Madame, c'est cela?

Le vice-président : Non, c'était à l'ouest.

Capt Griffiths : C'était en 1973 ou 1978.

Le vice-président : En 1970.

Capt Griffiths : Comme je suis né six ans plus tard, je ne peux l'étudier que dans les livres, mais je connais ces événements. Je crois qu'après, la SIMEC a construit une sacrée installation à Mulgrave.

Le vice-président : Oui, nous y étions hier.

Capt Griffiths : Oh, vous y étiez. Bien.

Le vice-président : Au nom du comité, je tiens à vous remercier de votre exposé.

Capt Griffiths : Merci beaucoup de m'avoir reçu.

(La séance est levée.)

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