Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 8 - Témoignages du 1er novembre 2016
OTTAWA, le mardi 1er novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.
Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.
Aujourd'hui, nous recevons Vivian Krause, chercheuse et commentatrice sur les questions de politique publique canadienne. Elle se joint à nous par vidéoconférence à partir de Vancouver, en Colombie-Britannique.
J'invite Mme Krause à présenter son exposé. Ensuite, les honorables sénateurs pourront lui poser des questions. Madame Krause, vous avez la parole.
Vivian Krause, rédactrice, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et bonjour à tous depuis Vancouver.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à votre comité aujourd'hui. Selon ce que je comprends, le comité élabore une stratégie pour assurer l'exportation du pétrole brut canadien vers des marchés outre-mer et recueille des avis à cet égard.
En gros, monsieur le président, je crois que pour être efficace, la stratégie doit veiller à ce que l'industrie réponde aux attentes élevées des Canadiens en matière de rendement environnemental. C'est nécessaire bien sûr, mais ce n'est pas suffisant. Monsieur le président, je crois aussi qu'il faut aborder la question de l'activisme anti-pipeline et qu'elle ne doit pas être ignorée. Les fausses informations doivent être réfutées de manière efficace et il faut s'occuper des grands bailleurs de fonds qui financent l'activisme anti-pipeline à hauteur de plusieurs millions de dollars.
Je crois qu'il faut aussi accroître la transparence et la reddition de comptes de certaines parties du secteur caritatif.
Comme je l'ai expliqué dans le Financial Post et ailleurs, il est clair à mes yeux que l'activisme anti-pipeline auquel nous assistons aujourd'hui s'inscrit dans une campagne internationale plus vaste financée principalement par des fondations de bienfaisance américaines. Depuis 2009, la Tides Foundation, à elle seule, a versé plus de 400 paiements totalisant 35 millions de dollars. Ce sont au moins 400 virements télégraphiques ou chèques qui ont été faits à divers groupes anti-pipeline au Canada, aux États-Unis et en Europe par la Tides Foundation de San Francisco.
Selon mes observations, pour contribuer de manière importante à l'élaboration d'une stratégie sur les pipelines, le comité doit désigner les grands bailleurs de fonds de l'activisme anti-pipeline et comprendre leurs motivations. Je peux vous en parler en fonction de ce que j'ai lu dans les documents de stratégie, les subventions et ainsi de suite, mais de nombreuses questions demeureront sans réponse tant que les bailleurs de fonds américains — le Rockefeller Brothers Fund, par exemple, et d'autres — n'auront pas à s'expliquer ou à témoigner. J'espère que le comité pourra faire participer ces bailleurs de fonds à la conversation.
Toutes les grandes propositions présentées aujourd'hui se heurtent à un ardent activisme anti-pipeline. Or, ce n'est pas l'activisme des années 1990 organisé par des volontaires non payés. L'activisme anti-pipeline moderne est mis en scène et orchestré par des professionnels pour faire la une des journaux et dominer la nouvelle. Comme le dit le document de stratégie d'une campagne anti-pipeline, le but est d'assurer une mauvaise presse constante aux pipelines. C'est exactement ce que font les groupes anti-pipeline.
Je peux laisser le soin au conseiller principal de la campagne de lutte contre les sables bitumineux — un homme de la Colombie-Britannique qui s'appelle Jason Mogus — le soin de décrire ce nouveau type d'activisme organisé par des employés rémunérés. M. Mogus est le directeur d'une société qui s'appelle NetChange, anciennement Communicopia, dont le siège social est à Salt Spring Island. Depuis 2012, on le paie pour orchestrer la campagne anti-pipeline. Selon ses propres mots, son travail consiste à créer l'apparence d'un mouvement.
L'entreprise de M. Mogus offre des services de rédaction anonyme et fournit un soutien à plus de 60 Premières Nations et groupes environnementaux qui participent à l'activisme anti-pipeline. C'est ce que dit une offre d'emploi publiée par M. Mogus pour engager un nouvel employé.
En ce qui a trait à l'organisation des manifestations contre Keystone, M. Mogus a dit qu'elle comportait d'importantes activités de relations publiques, une analyse quotidienne des médias et un travail de presse conjoint. Il a fait valoir que tout dans la campagne était calculé et se jouait de l'intérieur. Ce n'est pas ce que j'appelle de l'activisme amateur non coordonné.
Il ne fait aucun doute que les employés qui participent à l'activisme anti-pipeline et qui organisent des manifestations, et les dizaines de milliers de Canadiens qui ont signé des pétitions, sont des citoyens préoccupés. Ce sont des Canadiens comme vous et moi, mais la grande campagne de plusieurs millions de dollars et les bailleurs de fonds responsables des quelque 400 paiements eux ne le sont pas.
À mon avis, le problème avec cette campagne, c'est l'intention. Selon son document de stratégie original, la campagne visait à gêner le Canada, à faire fuir les investisseurs, à décourager l'investissement en capital au Canada et à retarder les projets de pipelines ou à les bloquer indéfiniment.
Comment sortir de cette impasse? Le public canadien n'appuiera pas une industrie s'il craint qu'elle puisse créer des catastrophes écologiques. Il va donc sans dire que l'industrie doit agir correctement, surtout lorsque les choses tournent mal, comme nous l'avons vu en Saskatchewan cet été.
Je crois qu'il faut aussi aborder la question de l'activisme organisé et financé. Tout d'abord, comme je l'ai dit plus tôt, l'industrie doit réfuter ces fausses affirmations. J'ai trop souvent entendu les représentants de l'industrie dire qu'ils ne voulaient pas donner de l'attention aux activistes en reconnaissant ce qu'ils disent, mais lorsque ces activistes font les nouvelles du soir ou les manchettes des journaux, cette approche s'avère être une erreur coûteuse.
Depuis de nombreuses années, plus d'une vingtaine de groupes environnementaux affirment que la production de pétrole en Alberta cause des émissions de carbone qui sont trois ou quatre fois supérieures à celles du pétrole traditionnel. Comme nous le savons, il y a une part de vérité à cela; une partie du pétrole extrait des sables bitumineux cause des émissions plus élevées que le pétrole conventionnel, mais elles ne sont que 10 ou 20 p. 100 plus élevées et non pas de 300 à 400 p. 100. Malheureusement, ces affirmations n'ont pas été remises en question et les groupes d'activistes n'ont pas eu à justifier cette information incorrecte qu'ils perpétuent et cette fausse impression que le pétrole canadien est nettement plus sale que les autres formes de pétrole.
Deuxièmement, comme je l'ai déjà dit, je suis d'avis que l'industrie et le gouvernement doivent s'occuper directement des bailleurs de fonds de l'activisme anti-pipeline. Tant que la campagne sera financée à coups de dizaines de millions de dollars, on peut s'attendre à ce que les personnes qui sont payées pour la mener fassent leur travail.
Selon ce que je comprends, les bailleurs de fonds de l'activisme anti-pipeline — les grandes fondations caritatives américaines — visent quatre objectifs principaux, et je crois que nous pouvons être d'accord avec eux au sujet de trois de ces objectifs. Ce sont l'énergie renouvelable, l'efficience énergétique et la sécurité énergétique. À mon avis, les Canadiens doivent s'opposer au quatrième objectif, soit l'interruption de la croissance de l'industrie pétrolière canadienne.
Le problème, c'est qu'il n'y a aucune campagne comparable menée contrer le Texas ou le Dakota du Nord, ou contre n'importe quel autre État où la production de pétrole a connu un essor au cours des dernières années. C'est cette incohérence, cette injustice qu'il faut exposer et combattre à mon avis.
Je serai heureuse de répondre à vos questions en français ou en anglais.
Le vice-président : Merci beaucoup, madame Krause.
Le sénateur Doyle : Bonjour, madame. J'ai trouvé votre exposé intéressant. Je vous en remercie. Je remarque que vous avez publié un article dans l'Alberta Oil récemment — vous en avez publié plusieurs, bien sûr —, qui disait que l'industrie pétrolière et gazière du Canada avait besoin d'une équipe et d'une stratégie politique aussi puissantes et efficaces que celles de la machine verte. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Pouvez-vous nous dire quelle forme prendrait cette stratégie politique et qui y participerait?
Mme Krause : Merci. Oui, avec plaisir. Comme nous le savons, l'industrie fait du lobbying, à l'intérieur du gouvernement. Aujourd'hui, le mouvement environnemental utilise ce qu'il appelle le pouvoir externe, le pouvoir de la masse. Selon Ben Brandzel, un des conseillers pour la campagne, l'important n'est pas tant ce qui se passe à l'intérieur, mais bien ce qui se passe à l'extérieur, étant donné le pouvoir de la masse.
En d'autres termes, le mouvement tente d'influencer les politiciens en utilisant les journaux et les nouvelles. Il tente de rassembler des millions d'électeurs pour qu'ils fassent pression sur les politiciens afin de mettre en œuvre les lois, politiques et règlements que les activistes et leurs bailleurs de fonds souhaitent voir en place.
Le sénateur Doyle : Notre comité a voyagé et a entendu de nombreux témoignages. Bon nombre de personnes nous ont dit qu'elles souhaitaient que le gouvernement fédéral en fasse un peu plus pour rétablir la confiance du public à l'égard des pipelines. Pensez-vous qu'il s'agit d'une critique valide? Que pourrait faire le gouvernement fédéral pour rétablir la confiance du public à cet égard et quelle comparaison peut-on faire avec le transport par rail, par pétrolier et d'autres? Avez-vous une opinion à ce sujet?
Mme Krause : Oui, surtout que j'habite à Vancouver. J'ai participé à certaines réunions du comité de trois personnes chargé d'étudier la décision relative au pipeline Kinder Morgan en septembre et en août. Les responsables du conseil municipal et d'autres fonctionnaires municipaux ont répété deux choses.
Premièrement, on disait que les gens s'inquiétaient d'un manque de planification en cas de catastrophe majeure, de préparation au pire scénario. Qu'adviendrait-il s'il y avait un tremblement de terre, un tsunami ou un accident industriel majeur? Les gens ne croient pas qu'on soit prêt à faire face au pire des scénarios. Deuxièmement, j'entends souvent parler d'un manque de coordination entre les premiers répondants et les autres parties appelées à intervenir en cas de déversement. Par exemple, pour le port de Vancouver, il s'agirait des services d'incendie et des autres groupes. Ces deux points ont été soulevés.
Or, ce que je constate, c'est que du côté des gens qui s'opposent aux pipelines et qui font campagne, il y a des dizaines de personnes qui font des demandes d'accès à l'information et qui font tout en leur possible pour trouver des renseignements qui délégitimeront et discréditeront le gouvernement et les promoteurs de pipelines. Il est évident d'après le financement offert que les bailleurs de fonds tentent de générer une suite ininterrompue de mauvaises nouvelles pour miner l'industrie et le gouvernement.
Il est très difficile pour le gouvernement de s'adapter à cela. Il faut mettre un terme à ces pratiques pour que l'industrie et le gouvernement aient une chance égale. C'est pourquoi il est important de parler aux bailleurs de fonds et de mettre fin à l'activisme unilatéral.
Le sénateur Black : Je vous remercie de votre travail. Je viens de l'Alberta. Je vous suis depuis un bon moment. Votre travail est important et est courageux; c'est pourquoi je vous en remercie.
J'aimerais que vous nous aidiez avec certains points qui orienteront nos recommandations. À mon avis, le Canada ne doit pas interdire l'investissement. Si une organisation américaine souhaite investir dans le lobbying culturel au Canada, ou peu importe, je ne crois pas que nous devions l'en empêcher. Mais je suis tout à fait d'accord avec vous : il faut jeter la lumière sur ces investissements. C'est de cela que je veux vous parler ce matin.
Vous soulevez un point très important et inquiétant, à mon avis. Vous dites qu'un des objectifs des fondations caritatives qui investissent dans l'activisme environnemental canadien est d'interrompre la croissance de l'industrie pétrolière canadienne. Je crois que c'est ce que vous avez dit. Il y avait quatre objectifs, et c'était le quatrième. J'aimerais savoir d'où vous tirez ces renseignements.
Mme Krause : Je pourrais relever de nombreuses utilisations du verbe « interrompre ». De nombreuses subventions visent explicitement l'interruption de la croissance de l'industrie. Je peux vous parler de ce qu'ils appellent la théorie du changement, que l'on retrouve dans le document de stratégie de la campagne.
Le sénateur Black : À qui faites-vous référence lorsque vous dites « ils »?
Mme Krause : Je vais lire un passage de la stratégie d'origine écrite par Michael Marx. À l'époque, il était le directeur exécutif d'une organisation qui s'appelait Corporate Ethics International et qui avait reçu 3 millions de dollars pour entreprendre cette campagne. C'est la première organisation qui a été financée; on compte aujourd'hui environ 100 organisations
Le sénateur Black : Si vous le permettez, je ne veux pas empiéter sur le temps de parole des autres sénateurs. Pour répondre à ma question, vous dites qu'il y a des preuves concrètes d'une intention d'interrompre la croissance de l'industrie pétrolière canadienne?
Mme Krause : Oui. C'est indéniable.
Le sénateur Black : Si ce n'est déjà fait, pourriez-vous nous transmettre de la documentation à cet effet?
Mme Krause : Oui. Je sais que nous devons passer à autre chose et je ne veux pas m'attarder sur ce point, mais j'ai fourni une série de documents à la greffière, où il est question des paiements. Le comité pourra comparer ce que dit la Tides Foundation dans sa déclaration de revenus à ce qu'elle dit dans les lettres d'accompagnement des paiements du même montant. Vous verrez que les deux versions ne correspondent pas, et je crois que c'est important pour votre étude.
Le sénateur Black : Merci. Cela m'amène à vous poser deux questions : est-ce que vous suggérez un lien entre les fondations qui financent les causes dont nous discutons aujourd'hui et les actions dans les entreprises énergétiques américaines? Est-ce qu'on pourrait de façon plausible suggérer que les intervenants des autres pays auraient intérêt à interrompre le développement au Canada pour des raisons de concurrence? Y a-t-il des preuves à cet égard?
Mme Krause : Je n'en ai pas vu, non.
J'ai toutefois vu des milliardaires philanthropes qui se préoccupaient du bien-être de la population, de l'économie, de la compétitivité économique et de la sécurité énergétique de leur pays. Je ne vois pas d'intérêts commerciaux, comme ceux d'une raffinerie de pétrole qui tenterait de garantir son approvisionnement.
Cela étant dit, plusieurs fiducies appartenaient à des personnes engagées dans l'industrie pétrolière : The Pew Charitable Trusts, Getty Oil et d'autres. Cela ne signifie toutefois pas que ces fiducies représentent des intérêts commerciaux, à mon avis.
Le sénateur Black : Je voulais savoir si vous aviez une opinion à ce sujet.
Ma dernière question porte sur la transparence. Que pourrions-nous faire ou qu'est-ce que le gouvernement du Canada pourrait faire pour veiller à ce que... prenons une société comme Tides, qui contribue grandement à faire avancer la cause. Comment pouvons-nous assurer la transparence complète de ses sources de financement? Est-ce qu'on le fait déjà?
Mme Krause : Non, cela n'existe pas. Je dirais, comme je l'ai suggéré la première fois que j'ai témoigné au Comité sénatorial il y a de cela quatre ans, que le Canada doit simplement s'assurer que les exigences en matière de divulgation de l'ARC sont harmonisées avec celles de l'IRS. Nous n'avons pas à réinventer la roue. Nous devons simplement faire au Canada ce que les Américains font.
Le sénateur Black : Si nous faisions cela, vous pensez que tous les Canadiens comprendraient bien d'où proviennent les fonds pour les détracteurs de l'industrie de l'énergie ou les détracteurs de n'importe quelle cause?
Mme Krause : Ce serait très clair, mais ce serait une énorme amélioration, un premier pas dans la bonne direction.
Si vous me permettez de vous en dire un peu plus, aux États-Unis, on peut examiner les déclarations de revenus d'un organisme de bienfaisance et la taille des dons. On peut voir tout de suite si l'organisme de bienfaisance a un donateur très important ou s'il reçoit des dons de 10 $ d'un grand nombre de personnes —, comment il est financé. On peut ainsi voir si quelqu'un possède de grands intérêts dans l'organisme de bienfaisance.
Pour ce qui est de la transparence, ce qui est également important, c'est qu'il y a quelques années, l'ARC a effectué une série de vérifications. Elle a commencé par des vérifications des activités politiques. L'an dernier, dans le rapport annuel de 2015, l'ARC a annoncé qu'elle avait terminé 21 vérifications et, de ce nombre, elle allait révoquer le statut de cinq organismes de bienfaisance, ce qui est un nombre anormalement élevé. Il est assez inhabituel de vérifier 21 organismes de bienfaisance et de décider de révoquer le statut de cinq d'entre eux. Il est important de savoir ce qui est arrivé à ces vérifications et d'en connaître le résultat final.
Le sénateur Black : Ces cinq entreprises s'opposaient-elles à ces pipelines?
Mme Krause : Les noms des organismes de bienfaisance, conformément au protocole normal, n'ont pas été fournis, mais l'un d'eux, la fondation Tides Canada, en a fait grand cas et a annoncé dans les médias et ailleurs qu'elle faisait l'objet d'une vérification. L'organisme m'a plus tard fait savoir par écrit qu'elle n'avait jamais fait l'objet d'une vérification pour des activités politiques, mais qu'elle avait fait l'objet d'une vérification et que les résultats étaient connus, mais elle ne veut maintenant pas divulguer la raison pour laquelle elle a fait l'objet d'une vérification.
À partir de l'analyse que j'ai effectuée en tant que profane, il me paraît évident que la fondation Tides Canada contrevient à la loi — elle enfreint la Loi de l'impôt sur le revenu en faisant office de bailleur de fonds. Je pense que le comité a en sa possession un document que j'ai rédigé qui décrit en détail un cas mettant en cause une agence de voyages située à Pawtucket, à Rhode Island, et un organisme de bienfaisance canadien enregistré à Mississauga qui a versé 3 millions de dollars à la fondation Tides Canada. Autant que je sache, cet argent a été versé à l'agence à Pawtucket, puis est passé entre les mains de l'organisme à Mississauga, en Ontario, à un organisme de bienfaisance enregistré, puis à la fondation Tides Canada à Vancouver, et ensuite à la fondation Tides à San Francisco, pour ensuite revenir à Pawtucket.
C'est ce qui me préoccupait initialement et, comme nous le savons, notre nouveau gouvernement a mis fin aux vérifications des activités politiques au début de cette année. Mais je pense qu'il est important que les résultats des vérifications qui ont été effectuées soient rendus publics.
Le sénateur Black : Merci beaucoup.
Le sénateur Eggleton : Avez-vous communiqué à l'ARC ces transferts de fonds au sein de la fondation Tides?
Mme Krause : J'ai fourni à l'ARC un certain nombre d'éléments d'information qui remontent jusqu'à 2010. Ma préoccupation initiale n'avait en fait rien à voir avec les pipelines. Elle concernait les paiements versés aux entreprises liées à un organisme de bienfaisance faisant partie intégrante de la fondation Tides. Cet organisme de bienfaisance s'appelle la fondation Endswell. Entre 2004 et 2009, l'organisme de bienfaisance n'a financé aucun organisme sauf Tides Canada, et le trésorier, le président et les administrateurs étaient les mêmes au sein des deux organismes de bienfaisance. Essentiellement, ces deux organismes de bienfaisance étaient reliés et l'organisme ne faisait que transférer les fonds de l'un à l'autre.
J'ai déclaré à l'ARC que la Fondation Endswell a versé 8,7 millions de dollars à la fondation Tides Canada, et c'est correct, mais pourquoi a-t-elle dépensé 11,4 millions de dollars en cours de route, et pourquoi un organisme de bienfaisance — la Fondation Endswell — verse-t-il des millions de dollars à des entreprises d'investissements privées, en plus de verser le salaire élevé du président de l'organisme de bienfaisance de quelque 186 000 $?
C'était ma préoccupation initiale, qui n'a rien à voir avec les pipelines. Il est inacceptable de financer une entreprise d'investissement privée.
Le sénateur Eggleton : J'imagine que l'ARC n'a rien relevé de répréhensible car la vérification a été réalisée et l'organisme est toujours un organisme de bienfaisance enregistré en règle.
Mme Krause : Je ne sais pas si ce que vous dites est juste.
Le sénateur Eggleton : J'ai une autre question. Vous parlez d'activisme pour lutter contre les pipelines également, et il y a également des fonds étrangers en cause. L'Association canadienne des producteurs pétroliers verse — nous le voyons tous — des millions de dollars pour des publicités chaque année. Elle a un conseil d'administration et un comité exécutif qui sont composés de différentes entreprises, dont certaines sont canadiennes et d'autres qui appartiennent à des intérêts étrangers, américains et néerlandais. D'autres entreprises appartiennent à d'autres pays également. Vous parlez de la préoccupation entourant la campagne internationale financée principalement par des organismes de bienfaisance américains, mais il existe clairement un lien entre l'activisme en faveur des pipelines et l'argent américain et d'autres capitaux étrangers également.
Mme Krause : Eh bien, il y a une énorme différence, et c'est qu'avant que l'on porte à l'attention du public les fonds versés pour l'activisme de lutte contre les pipelines, personne ne savait qu'il n'y avait qu'une seule grande campagne derrière plus de 100 groupes.
Je suis d'accord avec vous pour dire que le problème a trait à la transparence et à la divulgation des renseignements, et les noms des bailleurs de fonds de cette campagne devraient être communiqués. Par ailleurs, je serais d'accord avec vous si ce que vous dites, c'est qu'en tant que Canadiens, nous devons savoir qui investit dans notre pays et qui sont les investisseurs étrangers. Je suis du même avis que vous si c'est ce que vous dites.
Le sénateur Eggleton : Qui paie pour les recherches que vous faites?
Mme Krause : Personne n'a financé mes recherches.
Le sénateur Eggleton : Avez-vous un autre emploi ailleurs? Est-ce un effort bénévole?
Mme Krause : J'ai commencé à faire cela il y a environ 10 ans, et pour les cinq premières années, personne n'était vraiment intéressé. Cependant, je peux anticiper que ce sera un enjeu d'importance nationale majeure car cela empêche l'une de nos exportations les plus importantes à pénétrer les marchés étrangers, et c'est la raison pour laquelle j'ai commencé à rédiger des articles. De plus, ces dernières années, j'ai été invitée à faire des exposés dans le cadre de conférences, et c'est ainsi que je gagne ma vie depuis quelques années.
Le sénateur Eggleton : C'est votre gagne-pain. Qui paie pour que vous fassiez ces exposés? Est-ce le secteur pétrolier?
Mme Krause : Oui, la plupart de ces conférences où j'ai fait des exposés sont financées par des industries fondées sur les ressources — l'industrie minière, le secteur de l'aquaculture, l'industrie pétrolière et gazière.
Le sénateur Eggleton : D'accord, merci.
Mme Krause : J'ai été franche à ce sujet depuis le début, monsieur. Je pense que c'est le problème. Tout le monde a le droit de gagner sa vie. Il s'agit d'être franc.
Le sénateur Eggleton : Il est également important de donner l'heure juste, et je pense que vous avez insinué beaucoup de choses, mais vous avez peu de faits pour corroborer ces insinuations.
Mme Krause : Veuillez être plus précis.
Le sénateur Eggleton : Eh bien, je fais allusion aux faits que le sénateur Black vous a demandé de fournir. Vous n'avez pas corroboré ce que vous avez dit. L'accusation que vous avez faite à l'encontre de la fondation Tides n'a pas du tout été étayée. Vous ne faites que lancer toutes sortes d'accusations, mais la fondation a fait l'objet d'une vérification effectuée par l'ARC et elle est toujours un organisme de bienfaisance.
Mme Krause : Excusez-moi, monsieur. Avez-vous reçu le document que j'ai remis au comité?
Le sénateur Eggleton : Eh bien, j'ai votre document, oui.
Mme Krause : Celui sur la fondation Tides Canada et l'agence Collette Travel, à Pawtucket, Rhode Island. Avez-vous ce document devant vous?
Le sénateur Eggleton : Je ne pense pas que j'ai ce document sous les yeux. Toutefois, j'ai demandé si vous l'avez présenté à l'ARC, et vous avez dit l'avoir fait, mais il n'y a aucune preuve que c'est vrai.
Mme Krause : Comme je l'ai dit, l'ARC a annoncé qu'elle avait l'intention de révoquer le statut de cinq des 21 organismes de bienfaisance...
Le sénateur Eggleton : Oui, mais elle n'a pas révoqué celui de la fondation Tides. Tides Canada est toujours un organisme de bienfaisance et détient toujours un permis d'organisme de bienfaisance.
Mme Krause : C'est vrai. Ce qui me semble inhabituel, c'est que la fondation Tides Canada a fait toute une histoire lorsqu'elle a annoncé sur une base volontaire qu'elle faisait l'objet d'une vérification et, maintenant que les résultats sont connus, elle ne veut pas les communiquer. Si elle a été exonérée, alors pourquoi ne le dit-elle pas?
Le sénateur Eggleton : C'est au fruit qu'on juge l'arbre, comme dit le vieil adage, n'est-ce pas? Le fait qu'elle a toujours son permis d'organisme de bienfaisance indique qu'on n'a rien à lui reprocher. Dans ce pays, nous sommes innocents jusqu'à preuve du contraire, et aucun élément de preuve ne permet de reconnaître la fondation Tides Canada coupable d'actes répréhensibles, et elle a toujours son permis d'organisme de bienfaisance. Vous faites des accusations que vous ne pouvez pas corroborer.
Le vice-président : Sénateur Eggleton, le rapport auquel elle a fait référence est ici. Si vous ne l'avez pas vu, nous nous assurerons que vous l'obtenez.
Le sénateur Eggleton : D'accord, il n'a pas été distribué.
La sénatrice Unger : Merci, madame Krause, du travail que vous faites et que vous avez fait. J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt à partir de l'Alberta — je viens d'Edmonton — chaque fois qu'il y avait un article fondé sur les recherches que vous meniez, et je vous en remercie. Quelqu'un essaie d'exposer ce que ces activistes font.
Je dois dire à mon collègue, le sénateur Black, que je ne sais pas comment qualifier cet investissement, car on s'en prend à l'industrie principale en Alberta, une industrie qui est le moteur économique du Canada depuis de nombreuses années.
Ma question allait porter sur le fait que vous deviez vous adresser à l'IRS aux États-Unis pour obtenir des renseignements que notre ARC ne demande pas essentiellement. À votre avis, qu'est-ce que l'agence pourrait mieux faire? Comment pouvons-nous la mettre au défi de ne pas fournir des renseignements qu'elle ne devrait pas divulguer? Je vais m'arrêter là. J'ai une autre question.
Mme Krause : D'accord. Je crois comprendre que le problème, ce n'est pas que l'ARC n'a pas l'information. En fait, je pense qu'elle recueille les mêmes renseignements que l'IRS, mais elle les garde confidentiels. Autrement dit, ils ne sont pas publiquement accessibles.
Par exemple, si vous consultez le site web de l'ARC et de la direction des organismes de bienfaisance, vous pouvez voir les déclarations de revenus de tous les organismes de bienfaisance, dont le nombre s'élève à quelque 80 000. Mais il y a quelques calendriers qui ne sont pas accessibles au public, et je pense qu'il serait bien d'assurer une plus grande transparence afin d'avoir un système d'organismes de bienfaisance plus robuste qui ne risque pas de faire l'objet du type de fraudes que j'ai décrites dans mon document. Ce serait une façon très économique qui contribuerait grandement à rendre notre secteur des organismes de bienfaisance non seulement plus transparent pour les organismes de bienfaisance qui œuvrent dans le domaine de la politique publique, mais à le rendre plus résistant à la fraude.
La sénatrice Unger : Merci. Je me demande également si vous comprenez ou si vous pouvez fournir des renseignements — je sais que nous pouvons les obtenir —, mais le gouvernement Trudeau a mis fin aux vérifications qui étaient effectuées. Pouvez-vous faire d'autres observations là-dessus? Pour ma part, la solution est d'effectuer des vérifications, ce qui permettra d'assurer une transparence entourant toute cette question.
Mme Krause : Oui. Eh bien, nous revenons au point que j'ai soulevé plus tôt, à savoir que dans son rapport annuel de 2015, l'ARC a annoncé qu'elle menait 28 vérifications et que 21 d'entre elles étaient déjà terminées. L'ARC a annoncé qu'elle n'a relevé aucun problème grave concernant les activités politiques, et je ne m'attendais pas à faire cette découverte non plus, mais l'ARC a dit qu'elle a relevé de graves problèmes de conformité. Elle a précisé que l'un des problèmes était des « avantages indus conférés à un individu impliqué dans un organisme de bienfaisance ». Ce sont les mots exacts que l'ARC a utilisés dans son rapport. C'est en ligne. Tout le monde peut le lire.
C'était exactement ma préoccupation initiale il y a de cela six ans, et c'est pourquoi je la soulève aujourd'hui. Comme l'intervenant précédent l'a mentionné, et je suis tout à fait d'accord avec lui, dans notre pays, nous devons appliquer la présomption d'innocence. Les observations que j'ai formulées aujourd'hui sont très sérieuses. Toutefois, six ans plus tard, je pense qu'il est temps. Ces vérifications ont été effectuées. L'ARC a annoncé il y de cela plus d'un an et demi que les résultats étaient connus et que le statut de cinq organismes de bienfaisance serait révoqué.
L'une des choses que le comité voudra peut-être examiner — c'est ce qu'on m'a dit, car je n'ai pas de formation juridique et ce n'est donc pas mon domaine d'expertise —, c'est que si les organismes de bienfaisance décidaient d'interjeter appel de la décision de l'ARC et que le gouvernement laissait tomber l'affaire, il devrait vérifier si c'est la fin de l'histoire et si le public ne saura jamais ce qui s'est passé.
C'est pourquoi je pense qu'il est important de connaître les résultats de ces cinq vérifications. Ces organismes de bienfaisance, avec le changement de gouvernement, s'en tireront-ils indemnes?
La sénatrice Unger : Merci beaucoup.
Le sénateur Runciman : Madame Krause, merci d'être des nôtres aujourd'hui et de vous être levée aussi tôt sur la côte Ouest. Je ne sais pas quelle heure il est, mais c'est une différence de trois heures. Vous vous êtes levée très tôt.
En ce qui concerne les préoccupations du sénateur Eggleton, vous avez cité un document que vous aviez fourni au comité pour mettre en évidence certaines recherches que vous avez effectuées. Pour votre gouverne, le document n'a pas été distribué au comité, et c'est dommage. Lorsqu'il le sera, le sénateur Eggleton pourrait avoir une opinion différente. Qui sait.
Vous parlez de transparence, et je suis certainement d'accord avec vous là-dessus, mais dans une chronique que vous avez publiée dans le Financial Post — sur un sujet sur lequel nous nous sommes attardés —, vous faites allusion à quelque chose que nous avons appelé le Fonds des nouvelles entreprises, qui reçoit et transfère des fonds, comme le fait la fondation Tides.
Vous mentionnez également le fait de garder le nom du donateur initial confidentiel. Dans vos remarques initiales, j'avais l'impression qu'aux États-Unis, ce type de renseignements est disponible en examinant les déclarations de revenus, mais vous dites que le nom du donateur initial demeure confidentiel et que l'argent est distribué par l'entremise de divers autres organismes. Pouvez-vous fournir des explications à ce sujet, s'il vous plaît?
Mme Krause : Oui, j'en serais ravie. Les organismes sont financés de différentes façons. Dans certains cas, l'argent change de mains quatre ou cinq fois entre le donateur initial — pouvant aller de la fondation, à Tides Canada, au Fonds des nouvelles entreprises ou à la Fondation des marchés durables —, et un organisme plus important, comme peut-être la fondation Tides Canada, Canards Illimités ou des groupes environnementaux de plus petite taille. Il y a un certain nombre d'études, et il est difficile de suivre la trace de l'argent du début à la fin.
Il y a quelques cas, et je vais vous en donner un exemple. Warren Buffet finance une fondation appelée NoVo Foundation. Il a remis 48 millions de dollars à la Tides Foundation qui, à son tour, finance divers groupes. Il arrive que, dans les déclarations de revenus de la NoVo Foundation — rappelez-vous qu'elle est entièrement financée par Warren Buffet —, on précise qu'une somme de 75 000 $ par année est affectée au mouvement Idle No More. Voilà donc un exemple où on peut voir, dans les déclarations de revenus de la Tides Foundation et de son bailleur de fonds, la NoVo Foundation, que des fonds sont alloués à Idle No More.
Pour répondre à votre question au sujet du New Venture Fund, si on veut retracer qui les finance, il faut examiner les déclarations de revenus des donateurs. À l'heure actuelle, je sais très bien qui ils sont, alors je n'ai qu'à vérifier leurs déclarations de revenus annuelles pour voir s'ils ont versé des subventions au New Venture Fund.
En l'espace de moins de 10 ans, le New Venture Fund est devenu une organisation qui touche presque 200 millions de dollars en revenus. Si je ne me trompe pas, à l'heure actuelle, on parle de 180 ou 190 millions de dollars. Cette organisation compte plus de 200 employés dont le salaire s'élève à 100 000 $ chacun; c'est donc une véritable locomotive du militantisme. Elle appuie de nombreuses causes sociales importantes et nobles telles que l'élimination de la violence faite aux femmes, de l'homophobie, du racisme, de la discrimination, bref, des causes auxquelles nous adhérons tous. Elle finance également la campagne anti-pipeline. Par exemple, le Rockefeller Brothers Fund finance justement le New Venture Fund dans cette optique. Il a financé le New Venture Fund pour mettre fin à la croissance de l'industrie pétrolière en Alberta. Je peux fournir au comité les documents à ce sujet, si cela vous intéresse.
Le sénateur Black : Ce serait très apprécié, monsieur le président.
Le sénateur Runciman : Oui. Le sénateur Black a indiqué — et je suis sûr que nous partageons tous son avis — que ces documents nous seraient très utiles.
Dans cette colonne également, vous concluez en parlant de « protectionnisme économique ». Vous dites qu'ici, on finance des organisations pour empêcher les Canadiens d'exporter le pétrole extrait des sables bitumineux vers des marchés outre-mer, alors qu'aux États-Unis, particulièrement au Texas, la production de pétrole a doublé ces dernières années. Les États-Unis rivalisent maintenant avec l'Arabie saoudite et quelques autres pays pour le titre du plus grand producteur de pétrole au monde. Il convient de mentionner qu'il n'y a pas un sou de cet argent qui sert à lutter contre l'extraction du pétrole aux États-Unis. C'est ce que vous décrivez comme étant du protectionnisme économique.
J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. À première vue, il me semble que c'est quelque chose que le gouvernement canadien pourrait examiner dans le cadre de l'ALENA ou avec l'Organisation mondiale du commerce, par exemple. On pourrait entreprendre une enquête approfondie pour déterminer d'où provient l'argent et quel est le but véritable de ces organismes. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?
Mme Krause : Bien sûr. Je vous remercie de me donner l'occasion d'apporter des précisions. Ce que je dis, et ce que j'ai voulu dire, c'est que le résultat net de ce militantisme équivaut à du protectionnisme économique.
Qu'il s'agisse ou non de l'intention première de ces fondations de bienfaisance d'emprisonner notre pétrole en Amérique du Nord, c'est ce qui se passe concrètement. Elles ont financé des opposants d'un bout à l'autre du pays. Il y a le pipeline du Mackenzie, le pipeline vers la côte Ouest et la création de la forêt pluviale du Grand Ours, qui se trouve à être un obstacle écologique important au commerce. Sur la côte Est, on finance également une dizaine d'organisations au Québec et dans l'est du Canada.
Je ne dis pas que j'ai vu écrit noir sur blanc que leur intention était d'empêcher l'exportation du pétrole canadien. Ce que je dis, c'est que c'est la situation dans laquelle on se trouve actuellement. Il est toujours de plus en plus difficile de mettre en branle des projets de pipeline, qui se heurtent à un ardent activisme anti-pipeline.
Le sénateur Runciman : Dans vos communications avec Tides Canada — vous avez indiqué avoir correspondu avec eux —, vous ne leur avez jamais posé la question à savoir pourquoi il y a un aussi grand contraste au Canada et pourquoi on s'oppose autant à la production de pétrole alors qu'il y a eu une croissance importante de la production aux États-Unis. Pourquoi n'ont-ils pas adopté la même approche ou exprimé les mêmes préoccupations? En avez-vous discuté avec eux pour savoir quels sont leurs motifs?
Mme Krause : J'essaie depuis maintenant neuf ans, mais Tides refuse de me donner des explications.
Je dirais qu'à un certain moment, il y a quelques années, la Tides Foundation avait 2 700 lettres qui accompagnaient ses versements, totalisant plus de 5 000 pages. Ces lettres d'accompagnement étaient des documents PDF consultables. Elles faisaient partie d'un protocole de transfert de fichiers qui n'avait pas de mot de passe. Par conséquent, ces documents s'affichaient tout simplement dans Google. J'ai pu les consulter. Ces documents en ligne étaient accessibles au public. Il y a quelques éléments qui m'ont frappé et qui, à mon avis, pourraient intéresser le comité.
Premièrement, sur ces 2 700 paiements, les seuls où l'identité du donateur a été gardée secrète, même pour les bénéficiaires, étaient les paiements versés à la campagne de financement anti-pipeline. Ces paiements renvoyaient à « un fonds », alors que pour les milliers d'autres paiements, le nom du donateur y figurait, ou du moins, on indiquait qu'il s'agissait d'un « donateur anonyme ». C'était inhabituel et, à cet égard, les paiements étaient donc différents des autres programmes de Tides.
Ensuite, j'ai remarqué que les versements d'argent pour la campagne anti-pipeline étaient effectués en bloc. Par exemple, il y a eu une série de 27 paiements consécutifs. Cet argent était destiné à des bénéficiaires en ordre alphabétique, tout d'abord les bénéficiaires américains, puis les bénéficiaires canadiens, tout comme dans les déclarations de revenus. Il m'apparaissait donc évident que tous ces paiements avaient été effectués d'un seul coup.
Les 27 paiements totalisaient 1,92 million, ce qui, comme nous le savons, équivaut à 96 p. 100 de 2 millions de dollars. Nous savons également qu'il y a plusieurs donateurs, comme la William and Flora Hewlett Foundation, ainsi que la Sea Change Foundation, qui ont versé à la Tides Foundation une seule subvention s'élevant à 2 millions de dollars. Selon moi, on a ici affaire à des subventions de plusieurs millions de dollars qui sont distribuées à divers organismes.
Enfin, ce que j'ai remarqué, c'est que le Tides Canada Foundation Exchange Fund, qui est une entité quelconque utilisée entre la Tides Canada Foundation et son organisation mère, effectuait des versements en bloc dans le cadre de la campagne contre l'exploitation des sables bitumineux. Dans un cas — j'ai fourni des extraits des lettres d'accompagnement au comité —, vous prêterez attention à la façon dont ces versements ont été traités. Les sommes versées à des organismes de bienfaisance enregistrés sont passées par le Exchange Fund. Elles n'apparaissaient pas dans les déclarations de revenus américaines de la Tides Foundation, contrairement aux paiements versés à des organisations qui ne sont pas des organismes de bienfaisance enregistrés. Par conséquent, ces deux types d'organisations — organismes de bienfaisance enregistrés par opposition à organismes sans but lucratif — étaient traités différemment.
Voilà ce que j'ai remarqué. Étant donné la façon dont ces versements ont été traités, les sommes que la Tides Foundation a versées aux organismes de bienfaisance canadiens n'ont pas été rendues publiques. On n'aurait rien su à ce sujet si je n'étais pas tombée par hasard sur ces lettres d'accompagnement.
Le vice-président : Merci, sénateur Runciman. Avant de passer à la deuxième série de questions, madame Krause, j'aurais une question à vous poser. En ce qui a trait à ces fondations américaines, croyez-vous que nous devrions les faire comparaître devant le comité pour qu'elles nous expliquent pourquoi elles veulent à tout prix mettre fin au développement des pipelines et à la croissance du secteur pétrolier et gazier au Canada?
Mme Krause : Je suis désolée, monsieur le président, mais il y a eu une interruption. Est-ce que vous me demandiez si vous devriez convoquer les fondations américaines? Était-ce votre question?
Le vice-président : C'était ma question.
Mme Krause : Oui, monsieur. À presque toutes les conférences des associations de l'industrie au cours desquelles j'ai donné un exposé, ces trois ou quatre dernières années, on me disait qu'il fallait absolument entrer en contact avec ces gens pour discuter avec eux, que ce soit dans le cadre d'un dîner, d'une partie de golf, d'un témoignage, et cetera.
Ces fondations travaillent ensemble. Elles disposent de 70 milliards de dollars et dépensent 3 millions de dollars par année. On ne peut pas les surpasser, mais nous avons trois priorités en commun : nous voulons tous davantage d'énergie renouvelable, une plus grande efficience énergétique et une sécurité énergétique. Je pense que nous pouvons trouver des moyens de réunir nos meilleurs cerveaux et d'élaborer une stratégie à l'égard de ces trois priorités communes.
En revanche, j'estime qu'il est tout à fait raisonnable que nous, les Canadiens, disions à nos voisins qu'ils ne peuvent pas s'opposer à la croissance de notre industrie alors que les États-Unis ont connu une croissance notable de leur production de pétrole ces dernières années au point où ils peuvent maintenant en exporter.
Je pense qu'il serait raisonnable de collaborer afin de faire progresser nos priorités communes, mais on ne peut pas accepter que notre secteur soit étouffé alors qu'ailleurs, on fait tout pour le développer. À mesure que l'on prend le virage vers une économie verte, partout dans le monde, il n'est pas juste que certains pays disposent d'un avantage concurrentiel économique indu. Je pense que nous devons insister sur l'importance de l'équité.
Le vice-président : Merci.
La sénatrice Unger : J'aimerais avoir une précision. Quelle est, selon vous, la motivation de ces groupes de donateurs qui s'opposent à l'exploitation des sables bitumineux? Est-ce que ce sont des écologistes, des militants anti-pétrole ou les deux?
Mme Krause : Je dirais qu'ils ont plusieurs motifs. Je pense qu'il faut faire attention de ne pas être trop simplistes ici. Je ne dirais jamais que ce sont des gens qui ne se préoccupent pas de l'environnement. Je suis convaincue qu'ils se soucient énormément de l'environnement. Toutefois, ils ont admis eux-mêmes qu'ils s'inquiètent de la compétitivité économique et de la sécurité énergétique de leur pays. Nous, les Canadiens, devons avoir une vue d'ensemble.
Ici, en Colombie-Britannique, en particulier, nous savons depuis plusieurs années que le mouvement écologique est largement financé par des fondations américaines. Ce qu'on ne savait pas, c'est qu'en même temps que ces fondations finançaient des initiatives de conservation, elles finançaient également des initiatives de sécurité et de politique énergétique à grande échelle. En fait, la Tides Foundation, par exemple, a une organisation sœur appelée le Tides Center. Le Tides Center était la plaque tournante de l'initiative Apollo. Cette initiative a été lancée vers la fin des années 1990 et a réellement été mise en œuvre dans les années 2003-2004. Cela fait déjà 10 ans que ces bailleurs de fonds se sont réunis et ont décidé de s'occuper sérieusement de la sécurité énergétique américaine.
Au départ, l'initiative Apollo avait deux objectifs : la création de bons emplois et l'indépendance énergétique. Au fil des années, ces objectifs ont été remplacés par « de bons emplois et de l'énergie propre ». L'indépendance énergétique a été rebaptisée « l'énergie propre ». Il y a un document qui a été rédigé par le Rockefeller Brothers Fund et l'Aspen Institute intitulé Talking Global Issues with Americans. Vous pouvez le lire, et vous constaterez à quel point on voulait remplacer le terme « indépendance énergétique » par « énergie durable », parce qu'on ne voulait pas créer une mentalité d'opposition entre eux et nous ailleurs dans le monde.
Évidemment, ce que l'on voit, c'est qu'en prônant l'énergie propre, on assure indirectement l'indépendance énergétique, parce que l'énergie propre est intérieure; elle n'est pas importée. Lorsqu'on développe l'énergie propre, on développe l'énergie au pays et on contribue à l'indépendance énergétique.
La sénatrice Unger : Vous disiez qu'il faudrait essayer de savoir quelle est l'identité et quels sont les motifs de ces groupes. Êtes-vous certaine de leur identité et de leur motivation? A-t-on besoin de davantage de documentation?
Mme Krause : Je pourrais vous remettre une liste de certains donateurs; j'en ai au moins une dizaine. Ce serait un bon début.
Les donateurs donnent de l'argent à Tides Foundation qui, à son tour, effectue des versements à des organismes. Je ne peux toutefois pas vous dire avec exactitude à qui est destiné l'argent.
Toutefois, je considère qu'il faut avoir une discussion avec ces donateurs. Il y en a peut-être que je ne connais pas, mais si on prend ceux que je connais, ce serait un bon point de départ, même si on doit commencer simplement par le Rockefeller Brothers Fund, la William and Flora Hewlett Foundation et la Tides Foundation. Outre ces fondations, il y a la Sea Change Foundation, l'Oak Foundation, la Wilburforce Foundation, Brainerd Bullet et plusieurs autres. Nous pourrions commencer par ces fondations puis essayer de voir comment on peut collaborer à l'élaboration d'un meilleur plan énergétique avec nos voisins — qui s'avèrent également d'importants partenaires commerciaux. Nous sommes une famille. Cependant, nous devons maintenant reconnaître que notre plus grand client est en train de devenir notre plus grand concurrent. Nous devons en être conscients.
J'ai bon espoir que nous parviendrons à nous entendre avec ces fondations de bienfaisance. Si elles ne veulent pas trouver un terrain d'entente puis mettre fin à leur campagne, il faudra trouver autre chose.
J'aimerais dire une dernière chose avant de conclure mes observations. Si tout ce qui a été dit de négatif au sujet du pétrole en Alberta — et j'ai dit la même chose lorsque j'ai témoigné il y a quatre ans — était vrai, il serait logique de boycotter et d'interdire l'exploitation des sables bitumineux en Alberta. Le problème, c'est que ce sont des exagérations grossières et des faussetés qui sont à l'origine de la campagne.
Par exemple, les écologistes nous disent depuis des années que l'industrie des sables bitumineux détériore une superficie de la taille de l'Angleterre ou de la Floride. Ce serait épouvantable. Ce n'est pas la réalité. En vérité, on n'utilise qu'un infime pourcentage de cette superficie, qu'on devra ensuite remettre en état. J'ai mentionné plus tôt qu'on exagère grandement le volume des émissions de carbone qui sont associées à l'exploitation des sables bitumineux.
Il faut intervenir dans le débat public et prouver que certaines des prémisses de cette campagne sont fausses et le sont depuis des années. Nous devons nous en tenir aux faits, et ce, dans une optique d'équité. On ne peut pas agir ainsi en Alberta et ne pas le faire au Texas. C'est injuste.
Le sénateur Black : Voilà qui est très utile.
Reconnaissant l'importance du dialogue, avec lequel je suis d'accord, et reconnaissant que ce dialogue pourrait avoir lieu ou non — il n'y a rien qui se passe depuis plus d'une décennie; je pense qu'on peut tous s'entendre là-dessus —, j'essaie de voir s'il n'y aurait pas moyen de s'assurer que les Canadiens comprennent bien ce que vous nous avez dit aujourd'hui.
J'aimerais revenir à ce que vous avez dit un peu plus tôt. Si on exhortait l'ARC à adopter les mêmes principes de divulgation à l'égard de tous les organismes de bienfaisance au Canada qui ont été adoptés par l'IRS aux États-Unis, selon vous, est-ce qu'on se rapprocherait d'un régime de transparence qui pourrait faciliter le dialogue?
Mme Krause : Il est important de faire toute la lumière sur les vérifications de l'ARC parce que — si je puis m'exprimer ainsi — pour autant que je sache, il y a de la corruption et de la fraude fiscale. Les mêmes personnes qui minent notre économie tirent avantage du système, comme je l'ai dit : ils font circuler de l'argent — des millions de dollars — par l'intermédiaire de la Tides Canada Foundation. Il n'y a aucune reddition de comptes...
Le sénateur Black : Je vais vous arrêter ici, parce que je ne suis pas très à l'aise avec ce type d'allégations — c'est plutôt délicat. Toutefois, j'aimerais que vous me disiez si, selon vous, les normes de divulgation et de transparence appliquées par l'IRS — si on les adoptait ici au Canada, est-ce que cela nous aiderait à réaliser les objectifs que vous nous pressez d'atteindre aujourd'hui?
Mme Krause : Ce serait un grand pas dans la bonne direction, mais cela ne nous permettrait pas exactement de repartir à zéro. Il faudrait néanmoins que les mêmes organismes de bienfaisance qui nuisent à notre économie et qui s'adonnent à des manigances fiscales soient responsabilisés.
Le vice-président : Notre temps est écoulé. J'aimerais remercier Mme Krause d'avoir participé à cette séance.
Honorables sénateurs, nous nous réunirons demain, à 18 h 45. Nous allons entendre quatre témoins de Saint-Jean.
(La séance se poursuit à huis clos.)