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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 9 - Témoignages du 16 novembre 2016


OTTAWA, le mercredi 16 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour poursuivre son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

[Français]

Victor Senna, greffier suppléant du comité : Honorables sénateurs, il y a quorum. En tant que greffier du comité, il est de mon devoir de présider à l'élection de la présidence.

Je suis prêt à recevoir une motion à cet effet.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : En l'absence du vice-président, je propose que le sénateur Mercer assume la présidence.

M. Senna : Y a-t-il d'autres propositions?

L'honorable sénateur Eggleton propose que l'honorable sénateur Mercer assume la présidence du comité.

Vous plaît-il, mesdames et messieurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

M. Senna : Je déclare la motion adoptée. J'invite l'honorable sénateur Mercer à assumer la présidence.

Le sénateur Eggleton : Bien fait.

Le sénateur Doyle : Vous devriez être Président de la Chambre.

Le sénateur Terry M. Mercer (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Merci, mesdames et messieurs, de ce vote de confiance massif. La démocratie se porte très bien.

Ce soir, le comité poursuit son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos premiers invités. M. Gaétan Caron est membre exécutif de l'École de politique publique de l'Université de Calgary. Il a été président et premier dirigeant de l'Office national de l'énergie de 2007 à 2014, et il a présidé des audiences publiques régionales tenues dans le cadre d'évaluations de projets de pipelines et de prospection pétrolière et gazière extracôtière.

Nous accueillons également M. David Core, président et chef de la direction de la Canadian Association of Energy and Pipeline Landowner Associations. Il se joint à nous par vidéoconférence. Son organisme représente des groupes de propriétaires fonciers directement touchés dans le cadre de négociations d'ententes commerciales avec des compagnies de pipelines et de transport d'électricité partout au Canada.

Il a été demandé à chacun des témoins de faire une déclaration d'ouverture de cinq minutes. J'aimerais inviter M. Caron à commencer son exposé, qui sera suivi de celui de M. Core. Ensuite, les sénateurs auront des questions.

[Français]

Gaétan Caron, membre exécutif, École de politique publique, Université de Calgary, à titre personnel : Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de m'entretenir avec vous au sujet du transport du pétrole. Mon argument principal ce soir est que le pétrole sera acheminé aux marchés dans la mesure où nous permettrons à nos institutions publiques de faire leur travail. Je crois que nous possédons des institutions appropriées pour ce faire. Les éléments fondamentaux sont déjà en place.

[Traduction]

En réponse à vos questions précises : première question, quelles initiatives entreprendre pour faciliter l'acceptation sociale des projets de transport du pétrole brut? Je crois que l'expression « acceptation sociale » est bien inutile, puisqu'elle est utilisée à toutes les sauces par différentes personnes, à des fins diverses. Je recommande de revenir à la formule de l'« intérêt public ». L'intérêt public suppose qu'un intérêt supérieur peut être atteint par l'intermédiaire de certaines actions et reconnaît que certaines personnes seront incommodées par ces actions ou qu'elles s'y opposeront fermement, et qu'elles feront grand bruit de leur opposition.

Deuxième question : comment accroître la confiance du public à l'égard du processus d'examen des pipelines?

J'estime que trois facteurs principaux entraînent l'érosion de la confiance du public dans le processus. Premièrement : les audiences de l'ONE ont été la voie principalement adoptée par les personnes insatisfaites des progrès en matière de changements pour tenter d'exprimer leur point de vue. L'ONE a fourni ses propres raisons fondées sur son analyse de la preuve pour justifier sa décision de ne pas aborder les émissions de GES en amont et en aval dans sa revue de projets de pipeline en particulier. Cela a entraîné de la frustration de la part de ceux qui cherchent à faire des progrès relativement à cette vaste question de politique.

La deuxième raison : dans le projet de loi C-38, le Parlement a demandé à l'ONE de modifier son processus d'audience. Il a imposé des limites de temps. Il a précisé que l'ONE doit, durant ses audiences, accorder son temps aux personnes directement touchées. L'ONE a religieusement mis en œuvre les souhaits exprimés par le Parlement dans le projet de loi C-38, et, ce faisant, il a dû essuyer des critiques injustes.

La troisième raison : je pense que les processus de l'ONE ont été indûment politisés. Des partis de tous les côtés ont critiqué l'ONE, sans vraiment donner de renseignements précis sur les erreurs que ce dernier aurait commises lors de la mise en œuvre de son mandat, à l'exception de quelques cas pour lesquels l'ONE lui-même a rapidement adopté des mesures correctives.

La confiance du public dans le processus de réglementation pourrait être améliorée si chacun des trois éléments susmentionnés trouvait écho dans la prise des mesures suivantes.

Premièrement, améliorer les débats de politique publique en matière de changements climatiques. Le gouvernement a déjà amorcé ce processus lorsqu'il a pris une position de leader à Paris, et qu'il a ensuite lancé des initiatives de collaboration avec les provinces et les territoires.

Deuxièmement, apporter des modifications à la Loi sur l'ONE pour revenir aux dispositions d'avant le projet de loi C-38, au besoin, ou d'autres dispositions législatives. C'est exactement ce que fera la nomination récente de groupes d'experts pour mener un examen du processus réglementaire.

Troisièmement, dépolitiser le dialogue public entourant les systèmes réglementaires — une tâche plus difficile, je vous le concède. Le processus politique fédéral sur les pipelines est censé commencer par la réception d'un rapport final de l'ONE. C'est à ce moment que les mérites du projet et les questions de principe plus générales, comme les changements climatiques, feront l'objet de discussions.

Votre troisième question : comment faciliter la participation des peuples autochtones au processus décisionnel concernant le transport du pétrole brut? À mon avis, la clé est de mettre en œuvre des pratiques exemplaires bien connues, mais parfois très mal mises en œuvre. L'École de politique publique mène actuellement une recherche générale visant à mieux recenser et faire connaître ces pratiques. Pour n'en mentionner que quelques-unes : un, la mobilisation précoce et fréquente des peuples autochtones; deux, la prestation de ressources pour l'évaluation des propositions; trois, l'alignement des intérêts économiques par l'intermédiaire d'une participation financière dans le projet, comme l'approche mise en œuvre pour le Projet gazier Mackenzie.

Votre quatrième de cinq questions : si une stratégie nationale est nécessaire, quels en sont les éléments clés? J'ai six éléments à vous proposer rapidement.

Un : continuer de se fier aux forces fondamentales du marché — le secteur privé sait mieux que quiconque quand et où investir dans les projets énergétiques.

Deux : réglementer ces forces du marché à l'aide de politiques et de cadres réglementaires appropriés et prévisibles, dont vous disposez déjà dans une large mesure selon moi, sous réserve d'améliorations.

Trois : revenir à la notion de base de l'intérêt public au lieu de tomber dans le piège de « l'acceptation sociale ».

Quatre : dépolitiser le processus réglementaire.

Cinq : reconnaître le rôle primordial des provinces dans le développement des ressources naturelles.

Six : reconnaître les dimensions internationales. Tandis que nous nous dirigeons vers l'objectif de changement climatique de 2 degrés Celsius, réaffirmé à Paris en décembre dernier pour le monde entier, le monde aura encore besoin de quantités croissantes d'hydrocarbures jusqu'en 2040 et après. C'est une réalité. Une réussite au regard des changements climatiques suppose nécessairement une longue transition. Le Canada est le pays le mieux placé pour contribuer à remplir cette exigence de façon responsable, grâce à ses valeurs, à ses systèmes réglementaires, à ses processus démocratiques et à leur transparence, à la liberté de presse, à la primauté du droit et à son bilan enviable en matière de sécurité et d'environnement.

Votre dernière question : comment répartir largement les risques et les avantages du transport du pétrole brut dans les régions canadiennes et chez les peuples autochtones du Canada?

Un : reconnaître que, de par sa nature même, une infrastructure linéaire répartit de manière inégale les avantages et les inconvénients. C'est dans la nature même des projets d'infrastructure linéaire d'inclure un déséquilibre entre les avantages et les inconvénients. Les avantages sont habituellement nationaux et régionaux, tandis que les inconvénients sont principalement locaux. L'on n'y peut rien.

Deux : compenser l'inégalité des avantages au moyen de mesures fiscales et de péréquation.

Trois : minimiser ou compenser les inconvénients locaux en faisant les choix idoines lors de la conception et en adoptant des pratiques opérationnelles judicieuses, en prenant des mesures d'atténuation et en versant des indemnités.

Quatre : dans le cas des peuples autochtones, partager les bénéfices encore une fois en leur accordant une participation financière dans le projet, comme on l'a fait dans le cas du Projet gazier Mackenzie.

Voilà mes remarques préliminaires, mesdames et messieurs.

Le président suppléant : Merci, monsieur Caron.

Monsieur Core, vous avez la parole.

Dave Core, président et chef de la direction, Canadian Association of Energy and Pipeline Landowner Associations : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. J'aimerais commencer par vous remercier de m'avoir invité à vous entretenir aujourd'hui de ce sujet très controversé — les pipelines. Je ne prendrai pas le temps de présenter mon organisme de nouveau. Quelqu'un l'a déjà fait.

En ce qui concerne le sujet à l'étude, nous devons définir l'« acceptabilité sociale », un terme qui n'appartient pas au vocabulaire juridique ni à notre tradition démocratique libérale au Canada. Si « acceptabilité sociale » s'entend d'un vaste appui populaire, alors, comment mesure-t-on cette acceptabilité et comment vérifie-t-on son authenticité?

Évidemment, il est toujours bon que les grands projets de développement industriel et les sociétés promotrices et leurs partenaires gagnent un large appui du public, mais nous avons déjà une tradition de relations publiques bien établie, et les sociétés et leurs partenaires, comme les propriétaires fonciers, peuvent gagner la faveur du public sans que l'État n'ait à intervenir.

Si, par « acceptabilité sociale », on entend un certain type de soutien politique, alors, je soutiendrais que c'est exactement du contraire dont nous avons besoin. Les pipelines sont devenus trop politisés, et nous devons les dépolitiser.

Si, par « acceptabilité », on entend « permission », la seule permission dont les projets urgents de transport d'énergie ont besoin émane des propriétaires des biens-fonds sur lesquels passeraient les pipelines. Cette permission fait partie des droits immobiliers. Lorsque les droits immobiliers sont respectés, les fermiers, les éleveurs et les autres propriétaires fonciers directement touchés et peut-être leurs voisins ainsi que les collectivités environnantes directement touchées sont parfaitement capables de négocier ce que nous, à la CAEPLA, appellerions des ententes commerciales « gagnantes-gagnantes » qui protègent nos familles, nos demeures, nos entreprises, notre sécurité et nos responsabilités de gérance environnementale.

Si le gouvernement veut aider à susciter l'acceptabilité sociale, il peut commencer par protéger les droits immobiliers et aider à dépolitiser le processus. En dernière analyse, l'acceptabilité sociale est un concept politique, et nous devons dépolitiser les pipelines.

Si le gouvernement veut aider à susciter l'acceptabilité sociale en facilitant l'approbation publique de projets énergétiques d'envergure, il peut le faire en informant la population au sujet des ententes que les propriétaires fonciers ont conclues avec l'industrie pour assurer le respect de normes de sécurité et de normes environnementales.

Si la population était mise au courant de ces ententes et du fait qu'elles sont appuyées par des gens qui vivent avec leurs familles et travaillent en tout temps avec des pipelines dans leur arrière-cour, une tranquillité d'esprit extraordinaire pourrait être créée.

Cela contribuerait largement à accroître la confiance du public à l'égard du processus d'examen des projets de pipeline. Les sociétés de pipelines ont souvent affirmé que les propriétaires fonciers constituent la première ligne de défense. À vrai dire, nous sommes aussi la première ligne de défense du public. Les collectivités agricoles rurales se préoccupent plus que quiconque de la sécurité, de la qualité du sol et de l'eau et de l'abondance des sources d'énergie.

Si les droits de propriété de propriétaires fonciers sont restreints, ce qui veut dire que le gouvernement n'intervient pas pour procéder à des expropriations durant les négociations, nous pouvons parvenir très rapidement à des ententes qui procureront à la population la tranquillité d'esprit dont je parle.

La sécurité des pipelines et le respect de l'environnement viennent de la première ligne, de la base. Cela ne peut pas venir « du sommet vers la base », du gouvernement, qui est trop souvent pris dans des conflits politiques et des conflits d'intérêts liés au fait qu'il est un expropriateur et qu'il a un intérêt financier dans les projets puisque ceux-ci sont susceptibles de lui rapporter des recettes fiscales.

J'aimerais souligner que les véritables solutions aux défis environnementaux viennent de la base et ne sont pas communiquées à partir du sommet. Une dame que vous entendrez sous peu, Mme Kelcie Miller-Anderson, vous en donnera un bon exemple. Nous avons été très heureux de publier un article à son sujet dans le dernier numéro de notre revue trimestrielle nationale, le Pipeline Observer. Kelcie et son entreprise, MycoRemedy, sont la preuve vivante que la science et l'entrepreneuriat sont des clés de l'innovation dans le domaine de l'environnement. Cet article a suscité énormément de réactions de la part de propriétaires fonciers.

L'industrie a fait beaucoup de chemin au chapitre de la sécurité et des technologies environnementales. Les propriétaires fonciers sont les mieux placés pour juger de ce qui fonctionne le mieux sur le terrain. Nous disons donc que le gouvernement, et en particulier l'Office national de l'énergie, doit s'écarter et permettre que des ententes interviennent dans le cadre d'un processus qui doit partir de la base et qui jouira de la confiance de la population et lui procurera la tranquillité d'esprit qui vient du fait de savoir que les normes de sécurité et les normes environnementales les plus exigeantes sont garanties par ceux qui ont le plus à perdre — encore une fois, les propriétaires de pipelines qui vivent et travaillent avec des infrastructures énergétiques tous les jours.

Je ne prétends pas avoir une connaissance particulière des collectivités des Premières Nations, et je ne prétends pas m'exprimer en leur nom ni faire valoir leurs intérêts, mais, au fil des décennies, j'ai eu l'occasion de discuter avec de nombreux Autochtones et Métis. Je peux vous dire qu'ils veulent presque tous ce que nous voulons : des droits de propriété individuelle et une occasion de participer au développement économique, par exemple, dans le cadre de projets de transport d'énergie, et d'être respectés.

Nous pensons que les membres des Premières Nations ne sont pas très différents des autres Canadiens. Ils s'intéressent à l'environnement et à la sécurité, mais ils s'intéressent également aux occasions économiques. Ils se distinguent uniquement du fait qu'ils possèdent encore moins de biens que la plupart des autres Canadiens et ils ont davantage besoin d'occasions économiques. Je pense que, pour obtenir l'appui des Premières Nations à des pipelines, il faut court-circuiter les administrations locales indiennes et autonomiser la base des Premières Nations en leur conférant des droits immobiliers individuels.

Les administrations locales indiennes sont à peu près équivalentes à des administrations municipales. À notre avis, aucune administration locale indienne ou municipale ne devrait avoir de droit de veto sur le développement énergétique national. Nous sommes également d'avis qu'aucun individu, membre d'une Première Nation ou autre, ne devrait voir ses intérêts pris en otage par des politiciens et des bureaucrates.

Peut-être qu'au niveau des administrations locales indiennes et municipales, l'approbation d'un pipeline pourrait faire l'objet d'un vote pour permettre à la base, autochtone ou autre, d'être entendue.

Nous croyons que la seule stratégie nationale en est une qui, encore une fois, dépolitise le développement économique. Nous avons besoin d'une stratégie nationale qui sauvegarde les droits immobiliers et écarte les organismes de réglementation des négociations commerciales et permet aux agriculteurs, aux éleveurs et aux autres propriétaires fonciers, les gérants du territoire, de conclure des ententes qui favorisent la sécurité, l'intégrité environnementale et la prospérité économique.

Le Canada construisait des pipelines longtemps avant que nous en fassions la micro-gestion et que nous en fassions l'objet de conflits politiques. La stratégie nationale dont nous avons besoin devrait consister à libéraliser le secteur de sorte que ses participants — compagnies et propriétaires fonciers — puissent travailler ensemble afin que les pipelines soient construits d'une manière sécuritaire et respectueuse de l'environnement. Nous pouvons avoir un processus paisible fondé sur la coopération et les ententes volontaires.

En conclusion, à la CAEPLA, nous sommes d'avis qu'un statu quo a paralysé l'industrie des pipelines. Les organismes de réglementation n'ont jamais respecté les droits immobiliers des propriétaires fonciers, et, en permettant que le régime réglementaire soit détourné soit par l'industrie ou, aujourd'hui, par des militants anti-énergie, anti-pipelines, des droits immobiliers sont encore niés. Lorsque l'industrie ne peut pas construire, non seulement a-t-elle perdu ses droits immobiliers, mais les propriétaires fonciers qui souhaitent fournir des terres pour ces importants projets se voient encore nier leurs droits immobiliers : le droit d'agir comme partenaires dans le cadre de projets énergétiques.

Merci.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Core. Nous avons apprécié votre exposé.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, en commençant par le sénateur Eggleton, s'il vous plaît.

Le sénateur Eggleton : Merci pour vos exposés.

Monsieur Caron, vos années d'expérience sont très utiles et assez évidentes dans ce document. Il y a de bonnes suggestions. J'aime tout particulièrement votre troisième suggestion concernant la participation des peuples autochtones. Je pense que vous avez mis en plein dans le mille.

Vous mentionnez également ce qui aiderait ici. Les audiences de l'ONE attirent beaucoup de gens qui veulent parler de questions liées aux changements climatiques et qui se servent de ces audiences pour faire entendre leur voix. Vous avez dit qu'il devait y avoir un autre mécanisme, c'est-à-dire qu'il fallait engager des débats politiques améliorés sur les changements climatiques comme tels. Je peux comprendre cela.

Toutefois, j'aimerais vous interroger au sujet de votre commentaire selon lequel « [l]'ONE a fourni ses propres raisons fondées sur son analyse de la preuve pour justifier sa décision de ne pas aborder les émissions de GES en amont et en aval dans sa revue de projets de pipeline en particulier. » Je ne suis pas très au courant de cela. Pourriez-vous expliquer cela, s'il vous plaît?

M. Caron : Merci, sénateur. L'ONE a une obligation légale d'examiner les pipelines tels qu'ils sont, un pipeline à la fois.

J'ai siégé lors d'une audience sur le projet Keystone 1, qui, d'ailleurs, a été construit. Le premier segment de Keystone était une de mes toutes premières audiences à l'ONE. Certaines parties disaient que l'on devrait examiner l'amont, et, à l'époque, ils disaient que l'on devrait examiner l'aval de ce pipeline, qu'il soit construit ou non, et penser à la production de gaz à effet de serre en amont et en aval.

Nous avons examiné les faits, et plusieurs commissions à l'ONE ont tiré la même conclusion sur le fondement des faits dont ils étaient saisis. Vous constaterez que la province de l'Alberta ne changera pas le rythme de développement de ses ressources naturelles, peu importe que ce pipeline précis soit construit ou non. Les consommateurs en Ontario et au Québec ne modifieront pas leurs habitudes de conduite ni la température de leurs demeures peu importe que ce pipeline soit construit ou non. Aussi, l'office a conclu que, pour un pipeline, pris un à la fois, la production d'hydrocarbures en amont ou en aval au niveau sociétal demeure essentiellement inchangée. À cause de cela, ces aspects n'étaient pas pertinents au regard de la décision que la commission devait rendre. Il s'agit d'une évaluation technique, mais c'est là son mandat.

Entre-temps, la société canadienne cherchait une tribune pour être vue comme chef de file en matière de changements climatiques, et, jusqu'à récemment, il n'y avait aucune tribune semblable. « L'ONE est en ville, et elle tiendra une audience sur un pipeline. » Cela attirait tous les gens qui voulaient être entendus, avec leurs grandes mesures stratégiques touchant l'ensemble du pays.

Monsieur le sénateur, il y avait, il y a eu, et il y a encore un décalage entre les obligations légales de l'office d'examiner les pipelines un à la fois et les grands choix stratégiques que les gens aiment que vous et les membres de la Chambre des communes ou le gouvernement, dépendant de la branche du gouvernement qui est en cause, fassiez pour trancher ces grandes questions difficiles pour le pays. L'ONE n'est pas le lieu indiqué, ni au plan juridique à cause de son examen « un pipeline à la fois » ni sur le plan de la légitimité des décisions pour le pays sur des questions de cette échelle, comme ce que le Canada a fait à Paris en décembre dernier.

Voilà l'explication, sénateur.

Le sénateur Eggleton : Oui. Permettez-moi de poursuivre sur ce sujet.

Quel rôle utile notre comité pourrait-il avoir dans ses consultations sur cette question étant donné le fait que des pipelines précis sont la responsabilité de l'ONE au chapitre des audiences? Nous parlons beaucoup des différents pipelines — le pipeline de l'Est, l'autre aussi — mais, en fin de compte, c'est l'ONE qui doit s'en occuper. Qu'est-ce que notre comité pourrait faire d'utile sur ce sujet?

M. Caron : Je suis certainement d'accord avec M. Core sur la nécessité de dépolitiser les discussions au sujet des pipelines. Nous y sommes venus depuis des angles distincts, mais nous sommes arrivés à la même conclusion — sans, en passant, répéter nos points clés avant cette comparution, monsieur le sénateur; je peux vous en assurer. Mais il y a de la place pour la politique au sein de la société canadienne pour discuter de ces choses.

C'est peut-être un rêve que j'ai. Tandis que vous discutez entre vous de réforme parlementaire, peut-être que les comités sénatoriaux en particulier — parce que vous avez la capacité d'aller un peu plus en profondeur sur des questions comme celle-ci — peuvent en fait constituer un moyen privilégié de discussion avec les Canadiens, et peut-être avec plus de Canadiens, au sujet de choses qui n'ont jamais commencé et qui n'ont jamais fini, comme des discussions de principe sur les changements climatiques, sur la sécurité des pipelines en général aux niveaux provincial, fédéral et territoriaux. De cette façon, les Canadiens sentiraient qu'il y a des sénateurs qui les écoutent avec sincérité et un véritable intérêt — non pas pour décider qui a raison et qui a tort, mais pour faire rapport aux Canadiens sur ce que le pays nous dit au sujet de grands choix stratégiques pour alimenter le processus législatif. Vous faites déjà cela, mais je parie que bon nombre de Canadiens estimeraient qu'il est difficile de comparaître devant un comité ou peut-être qu'il n'y a aucun moyen technologique qui permette d'avoir un échange électronique avec un comité sénatorial. Je verrais votre comité ainsi que tous les autres comme un lieu où, lorsque vous réformerez le système parlementaire, vous ferez en sorte que davantage de Canadiens se sentiront écoutés, avec respect et sans jugement.

Le sénateur Black : J'ai quelques questions pour les deux témoins. Merci à vous deux d'être ici.

Monsieur Caron, merci pour vos années de service. Vous avez apporté une contribution précieuse et très efficace.

Il y a quelques choses que j'aimerais clarifier avec vous, monsieur Caron, si vous permettez. Vous avez souligné que l'ONE est un organisme créé par la loi, qui peut donc seulement faire ce que la loi l'autorise à faire, et que nous, les Canadiens, ne sommes pas réalistes ni équitables lorsque nous demandons à l'ONE de faire ce qu'il ne peut pas faire. N'est-ce pas? C'est ce que vous dites.

M. Caron : C'est la conséquence de ce que j'ai dit, oui.

Le sénateur Black : Le gouvernement reconnaît cela. Nous avons actuellement un processus suivant lequel des études sont réalisées sur Énergie Est et Trans Mountain relativement aux émissions de gaz à effet de serre, A; et, B, sur la question de consultations additionnelles. Voilà le modèle qui est actuellement suivi. Le rapport de l'ONE est donc un des trois rapports qui seront réunis et présentés au gouvernement. Que pensez-vous de ce mécanisme, dans une perspective d'avenir?

M. Caron : Je vais commencer avec le plus facile.

Le gouvernement a décidé d'investir des ressources additionnelles et de véritablement faire participer les collectivités autochtones, et cela est absolument nécessaire, et les tribunaux l'ont établi depuis longtemps. Puisqu'il est indépendant, l'ONE ne peut pas être la Couronne et dire : « Nous allons vous écouter en tant que représentants du ministre. » Ce serait une erreur en droit que de considérer l'ONE comme un organe du gouvernement, parce qu'il ne l'est pas. Par conséquent, il doit toujours y avoir une consultation additionnelle de la part de la Couronne elle-même.

Dans l'affaire Northern Gateway, si vous lisez le jugement de la Cour fédérale, une bonne part de la consultation durant le processus de l'ONE — de la part de l'industrie, de la part de l'ONE et de la part de la Couronne — a été bien faite, avec une faille critique à la phase 4, du fait qu'après que l'ONE a fait sa recommandation sur la qualité de la consultation que le gouvernement de l'époque avait menée après la recommandation de l'ONE, la Cour a jugé qu'il y avait un vice, et elle a renvoyé la décision au décideur. C'est vraiment une bonne chose que fait le présent gouvernement en investissant dans les ressources naturelles pour mettre en œuvre les lois du pays.

Devrait-on créer des comités pour évaluer comment moderniser le processus d'évaluation environnementale et le mandat de l'ONE, en tant que thèmes généraux? Je dirais que oui, terminons cela, puis passons à autre chose après que la recommandation aura été faite et à des améliorations précises aux lois que vous examinerez. Ce sera une bonne chose, parce qu'en fait d'incertitude, étant donné qu'une promesse politique a été faite de s'occuper de cela, ils s'en occuperont, et, d'ici la fin du mois de mars, nous aurons un rapport public sur la façon de moderniser l'ONE. Certaines de ces suggestions pourraient être vraiment utiles.

Le sénateur Black : Je ne veux pas confondre cela parce que je vais y venir.

Le processus qui est actuellement suivi concernant Énergie Est et Trans Mountain, les trois consultations, est-ce que cela a du mérite? Comme le sénateur Eggleton l'a mentionné, nous cherchons des façons d'être constructifs. Étant donné votre expertise, est-ce une démarche constructive?

M. Caron : Eh bien, à tout le moins, ce n'est pas une contribution négative au débat public. Le public s'attendait à cela. Si vous avez lu le rapport sur Trans Mountain, il disait, oui, nous avons écouté beaucoup de gens et beaucoup étaient mécontents. Certains étaient si mécontents qu'ils estimaient que le processus n'allait pas assez en profondeur; alors ils ont constaté ce que l'ONE avait constaté, à savoir que vous trouverez des gens qui sont opposés.

Le sénateur Black : Je comprends cela.

M. Caron : Mais il y a de bonnes raisons. Je ne dis pas que ceci est une mauvaise chose.

Mon évaluation de cela, monsieur le sénateur, est neutre en ce qu'une promesse électorale a été faite d'améliorer le processus. Trois membres additionnels ont été chargés de faire le travail de l'ONE, en tentant de découvrir s'il y avait des choses que l'office n'avait pas examinées, sans faire de recommandations par la suite, et le gouvernement a maintenant jusqu'au 19 décembre pour prendre une décision. Il n'y a donc eu aucune perte de temps. À cause de cela, je suis neutre, et je suis content que l'exercice ait été mené dans les délais impartis.

En ce qui concerne Énergie Est, je ne sais pas, monsieur le sénateur. C'est un stade précoce, et je n'ai pas d'opinion là-dessus.

Le sénateur Black : Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a nommé un groupe de cinq éminents Canadiens qu'il a chargés de faire des recommandations sur la modernisation de l'ONE. Avez-vous un commentaire au sujet de ce processus?

M. Caron : Ce que j'espère qui en ressortira, monsieur le sénateur, c'est une définition du problème. Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, l'ONE a été critiqué pour avoir mis en œuvre le projet de loi C-38. Le rapport Trans Mountain de la commission était très clair. L'ONE a seulement entendu les témoignages de personnes qui étaient directement touchées. Eh bien, vous leur avez demandé de faire cela, donc cela n'est pas le problème. On ne peut pas reprocher à l'ONE de s'être acquitté des responsabilités qui lui incombent en vertu de la loi.

En ce qui concerne le problème qui, selon le gouvernement, devait être corrigé à cause du fait que les Canadiens avaient perdu confiance dans le processus d'évaluation environnementale, j'en suis encore au stade de la définition du problème. J'espère que ces comités, lorsqu'ils mèneront leur consultation — et ils sont larges et compétents et bien dotés en ressources —, parviendront à définir le problème, et que de là découleront des solutions que j'applaudirai quand je les verrai. Mais j'en suis encore à la définition du problème, monsieur le sénateur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Caron, votre mémoire est des plus instructifs. Il propose des pistes de solutions très intéressantes. À mon avis, le débat actuel sème une grande confusion, volontaire ou pas, entre l'exploitation et le transport.

M. Caron : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Les gens qui ont contesté les décisions de l'Office national de l'énergie sont venus, entre autres, en Nouvelle-Écosse, et ont présenté des mémoires. Or, ils n'ont jamais discuté du pipeline. Ils parlaient d'exploitation.

M. Caron : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Cela m'apparaît comme un mariage presque impossible. Si on veut débattre d'un projet économique comme celui du pipeline et que les gens viennent nous parler de l'exploitation du pétrole, on se trouve devant deux horizons en ce qui concerne la protection de l'environnement.

M. Caron : Vous avez tout à fait raison. Je suis préoccupé par l'état de la société canadienne. Nous sommes très divisés sur des questions fondamentales. On ne veut pas tenir compte des autres points de vue. Je suis parmi ceux qui espèrent qu'on fera progresser le dossier des changements climatiques. Je suis prêt à payer des taxes sur le carbone. Je suis soucieux de l'avenir de mes enfants et de mes petits-enfants. Je suis d'accord avec ces mesures. Toutefois, certains affirment qu'elles ne suffisent pas, que l'on doit arrêter de produire du pétrole immédiatement, que la transition n'est pas nécessaire, de sorte que l'on autorise la production du pétrole dans des pays qui ont des moyens beaucoup moins importants que les nôtres en matière de protection de l'environnement, de sécurité et de protection des droits de la personne.

Par avoir la tranquillité d'esprit, on se dit que, pour réussir sur le plan des changements climatiques, il faut arrêter de construire de la tuyauterie, de telle sorte que les provinces arrêtent de produire des hydrocarbures. Ce dossier relève d'ailleurs de compétences strictement provinciales. La Constitution est très claire en ce qui concerne les responsabilités de chaque province. Le Québec exploite ses propres ressources hydroélectriques, et l'Alberta, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique exploitent leurs propres ressources énergétiques.

Vous l'avez bien illustré dans votre question : nous vivons un dialogue malsain. On semble avoir obtenu un consensus social à Paris, avec la collaboration des provinces et des territoires. L'avenir est prometteur. Or, on soulève à nouveau des préoccupations, car les objectifs énoncés dans l'accord de Paris ne semblent pas suffire. Certains voudraient qu'on arrête immédiatement les projets de construction de pipelines et que la transition soit confiée à d'autres pays. Je trouve que c'est malsain, car on ne participe pas au développement humain en Afrique, en Asie et en Chine.

Le sénateur Boisvenu : On amène ces gens, qui sont tout à fait opposés à un projet d'exploitation, à adhérer à un projet de pipeline à un moment donné. On ne parle pas d'une année ou deux, mais d'une décennie de discussions.

M. Caron : Tout à fait.

Le sénateur Boisvenu : Les besoins en pétrole ne s'inscrivent pas dans l'espace d'une décennie, mais dans le quotidien. Pour ce qui est de la décroissance dans certains pays en matière de production et d'évolution de la consommation, on se situe dans un horizon de cinq ans. Si rien n'est fait d'ici cinq ans, les milliards de dollars investis dans l'Ouest seront considérés comme de l'argent jeté à l'eau. Il y a de fortes chances que ces compagnies se retirent, car le message sera clair.

À mon avis, la solution n'est pas d'exclure ces gens de la discussion.

M. Caron : Je suis d'accord avec vous. Votre argument rejoint la question que me posait le sénateur Eggleton. Comment fait-on pour alimenter un dialogue sain et constructif au Canada? Qu'on soit en accord ou en désaccord, le débat demeure. Il faut avoir le désir d'entendre d'autres points de vue.

Si on réussit à atteindre l'objectif de 2 degrés Celsius à la suite de l'accord de Paris, quelle est la pertinence des pouvoirs fédéraux en termes de pipelines interprovinciaux? Elle est strictement nulle. Dans un tel scénario, ce sont les inquiétudes de M. Core qui représentent un enjeu, et il a tout à fait raison. On parle des propriétaires fonciers, des fermiers, des agriculteurs. On se demande comment faire pour s'assurer que ces pipelines soient bien réglementés, que l'impact sur les terres agricoles demeure minime. On parle aussi de la rémunération des agriculteurs qui doivent assumer les inconvénients d'un pipeline. Cette discussion est intéressante. Toutefois, il s'agit d'un dialogue fédéral sur des pipelines fédéraux. En vertu de la Constitution, les changements climatiques relèvent des provinces, mais ils sont accompagnés d'un objectif fédéral. M. Trudeau a bien affirmé que si les provinces ne font pas ce qu'on leur propose de faire, il y aura une norme fédérale pour chapeauter le tout.

À mon avis, notre nation a un bon état d'esprit pour réussir en matière de changements climatiques. Nous sommes toutefois embourbés dans des disputes sur des pipelines, pour des raisons qui ne sont que des lignes pointillées et non des lignes continues. Cet imbroglio ne contribue pas à l'essor de la société canadienne sur le plan social, environnemental et économique. On se prive d'une optimisation de la qualité de vie au Canada sur ces trois dimensions du développement durable.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Je ne suis pas un membre régulier de ce comité, mais je veux vous remercier tous les deux pour une discussion formidable. Les pipelines existent depuis des décennies; il est attesté qu'ils constituent le mode de transport le plus sûr. Nos avions à réaction militaires et nos navires de guerre ne carbureront à rien d'autre qu'à des combustibles fossiles pendant de nombreuses décennies à venir, même si nous faisons de notre mieux pour trouver d'autres formes d'énergie. Merci pour le débat, et c'est un plaisir d'être ici.

La sénatrice Raine : Je ne suis pas non plus un membre régulier, et j'apprécie votre expertise et votre présence ici.

J'aimerais parler à notre autre témoin, M. Core, au sujet du rôle des propriétaires fonciers dans tout cela. Je comprends ce que vous vivez, parce que vous avez l'industrie d'un côté, la réglementation gouvernementale et l'Office national de l'énergie de l'autre, et vous êtes laissés pour compte. Pourriez-vous élaborer un peu sur ce le rôle que vous pensez que vous devriez jouer dans le cadre d'un Office national de l'énergie renouvelé?

M. Core : J'ai écouté M. Caron parler. Notre organisme a des opinions sur plusieurs choses qu'il a dites. Nous avons passé beaucoup de temps à y penser, et, au fil des ans, nous en sommes venus à la conclusion que nous sommes la solution ici, qu'en réglant les problèmes des propriétaires fonciers, voilà la solution. Qui inspire davantage confiance à la population canadienne que les agriculteurs et les éleveurs dans le paysage rural? Notre responsabilité, c'est la gérance.

J'aimerais répondre à votre question en parlant de l'Office national de l'énergie. Pour être honnête, nous voyons qu'il a effectivement besoin d'être modernisé, que l'Office national de l'énergie est le problème et qu'il est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. J'ai donc rédigé des notes ici à ce sujet.

Je veux commencer par parler de l'Office national de l'énergie. L'« acceptabilité sociale » est mal définie, et elle a le sens que les militants et les politiciens veulent bien lui donner. Si nous la décomposons, l'aspect social devrait renvoyer à un large appui public en général, et seule l'acceptabilité requise devrait concerner uniquement ceux qui sont directement touchés.

Les propriétaires de pipelines et ceux qui vivent le long du corridor énergétique, c'est de là que vient l'acceptabilité. Nous sommes ceux qui vivent le long du pipeline, et nous sommes ceux qui doivent composer avec les questions environnementales et les questions de sécurité.

Rallier du soutien pour les pipelines devrait être l'affaire des sociétés et des propriétaires fonciers partenaires. Les propriétaires fonciers ont été laissés de côté depuis des années, mais nous avons maintenant un rôle très important. Je peux en donner un exemple.

Le gouvernement pourrait jouer un rôle d'éducateur, mais il doit se retirer du conflit politique et du conflit d'intérêts qui découlent de l'expropriation et de l'imposition. L'expropriation doit cesser. L'expropriation, c'est essentiellement l'ONE œuvrant dans le domaine de l'achat de terres — en partenariat avec les sociétés de pipelines qui œuvrent dans le domaine de l'achat de terres.

Parlons de l'Office national de l'énergie. À notre avis, il est désuet. Il est temps de le modifier. Il existe depuis 59 ans. Je peux vous dire que des changements ont été apportés à l'Office national de l'énergie du point de vue des propriétaires fonciers, mais dans un sens défavorable. L'ONE continue de nous imposer davantage de responsabilités.

Ce que je veux dire, c'est ceci : l'ONE fonctionnait bien lorsque cet organisme et l'industrie des pipelines étaient hors de vue et que personne n'y pensait. C'était le cas jusqu'à il y a quatre ou cinq ans. Ils étaient hors de vue et personne n'y pensait. Les gens ne pensaient même pas aux pipelines. Ils ne savaient pas qui était l'Office national de l'énergie. Les seuls qui critiquaient l'Office national de l'énergie avant le tollé général auquel nous assistons maintenant étaient les propriétaires fonciers, mais nous ne parvenions pas à nous faire entendre parce que nous ne parvenions pas à rallier un appui suffisant au sein de la population. La population ne comprenait pas le processus. Elle ne comprend toujours pas l'importance de la sécurité des pipelines et de l'environnement. Elle parle seulement de vouloir stopper les pipelines à cause des changements climatiques et des combustibles fossiles. Elle ne parle donc pas de la sécurité des pipelines.

Les seuls qui critiquaient le processus étaient les propriétaires fonciers dont les terres étaient effectivement volées parce que l'ONE œuvrait et œuvre toujours dans le domaine de l'achat de terres pour les compagnies de pipelines.

Avant toute cette indignation — et nous étions avant-gardistes sur cette question — j'ai dit à un comité de la Chambre des communes en 2011 que l'ONE avait été créé avec trois rôles contradictoires. Sa loi et ses règlements en faisaient un facilitateur de pipelines en le faisant œuvrer dans le domaine de l'achat de terres, par voie d'expropriation. Son travail consistait à aider à la construction des pipelines. Mais l'ONE a un autre rôle contradictoire et il est censé être un organisme de réglementation. Ainsi, il tente d'aider la construction des pipelines et il impose des conditions à leur construction, mais il est censé réglementer les mêmes personnes pour lesquelles il achète des terres par voie d'expropriation. La troisième chose qu'il tente de faire, c'est d'être un ombudsman précisément pour les personnes de qui il vole des terres. Il y a ces trois rôles contradictoires, et c'est pourquoi il y a ce fouillis dans lequel l'ONE se trouve aujourd'hui.

Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de place pour l'ONE. Nous avons passé de nombreuses heures à examiner cette question, et nous en sommes venus à la conclusion qu'il y a une place pour cet organisme.

Qui est le plus compromis par ces rôles contradictoires? Ce sont les propriétaires fonciers qui vivent le long du pipeline en permanence, les gérants des terres, les individus qui sont les plus préoccupés par leur sécurité, leur environnement et leur avenir. L'ONE est désuet, et le public voit finalement ce qu'il est.

Pour restaurer la confiance dans le processus d'approbation des pipelines, il faudrait conférer un nouveau rôle à l'ONE. Il y a longtemps que l'ONE a perdu la confiance des propriétaires fonciers et du public. Je peux vous donner de nombreux exemples du point de vue des propriétaires fonciers. Le processus devrait être un processus de négociation directe entre l'industrie des pipelines et leurs partenaires, leurs fournisseurs et leurs locateurs, comme ce serait le cas pour n'importe quelle autre industrie, sans ingérence gouvernementale ni politisation.

La tranquillité d'esprit du public découlera du fait de savoir que les propriétaires fonciers et leur famille vivent et travaillent avec un pipeline dans leur cour arrière en permanence. Ils sont véritablement la première ligne de défense, et l'on peut compter sur eux pour assurer le respect des normes de sécurité et des normes environnementales les plus exigeantes.

Pour étayer mes propos, j'ai remis une lettre à chacun d'entre vous. Je pense qu'elle est datée du 30 septembre et est adressée au ministre Carr. Elle parle du remplacement de la canalisation 3 et de notre appui à cette mesure.

Vous avez demandé à M. Caron de répondre aux trois consultations. Cette consultation additionnelle a miné les propriétaires fonciers et notre sécurité. Vous lirez dans cette lettre, si vous prenez le temps après cette réunion, que nous avons passé deux ans et demi à négocier des questions avec Enbridge au sujet de cette canalisation. Nous menons même des recherches maintenant avec Enbridge sur la cessation d'exploitation et la désaffectation. Nous avons créé une entente de règlement qui établit des normes relatives à des questions environnementales et des questions de sécurité qui sont plus exigeantes que tout ce que l'ONE a jamais envisagé. Nous faisons cela depuis des années. Chaque fois que nous négocions un règlement, nous faisons en sorte que les normes établies soient plus exigeantes que les normes de l'ACN en matière d'épaisseur de couverture et les normes que préconisait l'Office national de l'énergie. C'est nous qui fixons la barre en matière de sécurité des pipelines, et non l'Office national de l'énergie. C'est la CAEPLA, l'association des propriétaires fonciers, qui l'a fait. Nous l'avons fait pour la canalisation 3. Nos propriétaires fonciers veulent que ce pipeline soit remplacé.

Qu'est-ce que le gouvernement a fait? Après que l'ONE a examiné nos éléments de preuve et qu'il a dit qu'il s'agissait d'un projet sécuritaire, le gouvernement a créé un autre processus auquel tout le monde au pays peut participer et donner son avis quant à savoir si ce projet de remplacement de pipeline devrait être réalisé. Nous avons fait le travail nécessaire pour démontrer qu'il devrait l'être, et les propriétaires fonciers que nous représentions voulaient que ce soit fait.

Je suis désolé de prendre tant de temps, mais je sais que je dois vous présenter ces observations. Merci.

Le sénateur Black : Monsieur Core, merci beaucoup. J'apprécie l'information dont vous nous avez fait part aujourd'hui.

J'aimerais comprendre succinctement ce que vous voudriez que nous acceptions. Vous nous avez dit que l'ONE n'a aucun rôle à jouer ou, tout au plus, un rôle très limité, relativement à l'approbation des pipelines. Oui ou non?

M. Core : Je ne pense pas que j'ai dit cela. Nous avons discuté directement avec l'ONE au sujet de notre théorie. Nous disons qu'il y a un nouveau rôle pour l'ONE. Retirez les questions qui concernent les propriétaires fonciers des responsabilités de l'ONE. Le fait que l'ONE puisse procéder à des expropriations et prendre nos terres et que nous ne puissions pas jouer à armes égales et négocier nos préoccupations sécuritaires et environnementales abaisse les normes de sécurité et les normes environnementales relatives aux pipelines.

Nous disons que les propriétaires fonciers devraient être retirés de la loi afin que nous puissions négocier dans un système de libre marché avec les compagnies de pipelines et faire établir des normes plus exigeantes. Le rôle de l'ONE devrait changer en l'écartant du domaine de l'achat de terres pour le cantonner uniquement dans le domaine des préoccupations publiques, et cetera.

Le sénateur Black : Très bien, merci. Je comprends ce que vous dites. Merci pour cette clarification.

Donc, si Enbridge souhaite construire un petit pipeline de Canmore, en Alberta, à Calgary, en Alberta, ou à Estevan, en Saskatchewan, en traversant une ou deux frontières, vous êtes d'avis qu'Enbridge devrait négocier avec chaque propriétaire foncier pris individuellement le long de son tracé projeté sans intervention d'aucun arbitre. Tel serait votre point de vue, n'est-ce pas?

M. Core : Oui, c'est exact.

Le sénateur Black : Qu'arrive-t-il si je ne veux tout simplement pas traiter avec Enbridge? Comment ce pipeline sera-t-il jamais construit?

M. Core : Voilà une excellente question. J'ai parlé à un comité du Sénat en 2013, et l'on m'a posé cette question à cette même occasion.

En fait, j'ai une réponse à cela ici. Avec la technologie de pointe que l'industrie a maintenant développée, elle peut faire des choses incroyables pour contourner ceux qui refusent de conclure un marché.

Les compagnies peuvent également recourir à des stratégies d'assemblage de terres qui leur procurent beaucoup de souplesse en matière de tracé : par exemple, des options d'achat ou certaines parcelles.

Nous croyons également qu'avec des règles du jeu équitables, des groupes comme la CAEPLA sont capables de négocier collectivement et d'obtenir des ententes commerciales avantageuses pour toutes les parties, à savoir des ententes qui sont acceptables pour l'industrie et qui répondent aux préoccupations légitimes des propriétaires fonciers en matière de sécurité, de gérance environnementale, de responsabilité, de questions opérationnelles et d'indemnisation.

Nous croyons aussi que pour régler la question de...

Le sénateur Black : Je ne veux pas être impoli, monsieur, mais nous comprenons ce que vous voulez dire. En somme, si vous construisez un pipeline et je m'oppose, vous dites que le pipeline devra contourner mes terres et poursuivre son chemin. Vous convenez avec moi que cela augmentera le prix des pipelines, cela augmentera le prix des péages, et cela augmentera donc le prix pour les consommateurs. Seriez-vous d'accord sur ce point? Je vérifie seulement jusqu'où votre analyse est allée.

M. Core : Je ne tendrais pas à être nécessairement d'accord avec vous sur ce point parce que, premièrement, ce que vous faites, c'est que vous respectez les droits immobiliers de cet individu.

Deuxièmement, il se peut qu'ils doivent payer un prix excessivement élevé pour répondre aux préoccupations de cet homme s'il a besoin que le pipeline soit enterré très creux. Je peux vous dire que le simple fait de forer un pipeline peut augmenter considérablement le prix de ce pipeline.

Je peux vous donner un exemple où l'Office national de l'énergie a approuvé...

Le sénateur Black : C'est parfait. Merci, monsieur. Nous avons compris votre message.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s'adresse à M. Core. Saviez-vous que votre organisme se retrouve sur un site web qui s'appelle Stop l'oléoduc, qui a pour mission de bloquer la totalité des travaux liés à l'oléoduc?

[Traduction]

M. Cole : Je ne le sais pas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous demanderais de vérifier cette information. Votre organisme serait membre du mouvement Stop oléoduc, qui vise à bloquer les travaux de l'oléoduc.

Si c'est le cas, je me demande sur quoi repose votre crédibilité. D'un côté, il semblerait que vous soyez membre du mouvement Stop l'oléoduc et, d'un autre côté, vous venez ici aujourd'hui afin de revendiquer les droits des propriétaires dans le cadre de la construction de l'oléoduc. J'ai de la difficulté à comprendre votre position sur ce point.

[Traduction]

M. Core : Ils doivent formuler une prétention. Nous sommes pro-pipeline, pro-pétrole et pro-gaz. Nous n'avons jamais eu de liens avec cet organisme, alors je ne sais pas comment ils peuvent formuler cette prétention. Nous n'avons jamais formulé cette prétention.

Le président suppléant : Monsieur Core, vous avez parlé de négocier une entente avec chaque propriétaire foncier à mesure que le pipeline avance. Je pense que c'est quelque chose de fondamental qui devrait se produire de toute façon. C'est seulement mon avis.

Toutefois, si cela se produit et un incident survient, l'incident ne sera pas nécessairement confiné aux terres relativement auxquelles des négociations ont eu lieu, ce qui veut dire que cela devient une question d'intérêt public et qui touche les intérêts des voisins de la personne qui a pu signer une entente pour le pipeline. Comment composez-vous avec cela?

M. Core : Voilà une autre très bonne question, parce qu'il s'agit d'une de nos principales préoccupations. Nous n'avons pas été capables de négocier des ententes parce que l'Office national de l'énergie intervient et dit que tout est d'intérêt public. Nous voulons négocier des contrats qui seront jugés acceptables par les tribunaux. Lorsque quelque chose comme cela se produit, dans beaucoup de provinces, nous avons la responsabilité envers les tiers. Si des contaminants sont déversés sur le terrain d'une autre personne, le propriétaire foncier sera responsable.

Ce qui se passe avec les pipelines et les corridors énergétiques, c'est qu'il s'agit d'une servitude et nous demeurons propriétaires du bien-fonds, de sorte que c'est le propriétaire foncier qui est responsable de tout ce qui peut se produire.

La nouvelle loi, la Loi sur la sûreté des pipelines qui a été adoptée récemment, a aidé à répondre à certaines de nos préoccupations relatives à la désaffectation des pipelines et aux responsabilités futures envers nos voisins. Mais le sujet précis que vous évoquez est une des questions les plus importantes que nous avons tenté de régler en menant des négociations individuelles et en négociant pour des groupes de propriétaires fonciers. Nous n'avons jamais été capables de nous faire indemniser intégralement relativement à des choses visées par nos contrats parce que nous n'avons aucun droit ni recours en dehors de la Loi sur l'Office national de l'énergie. Cela l'emporte donc sur notre droit de nous adresser aux tribunaux relativement à une foule de questions. Vous soulevez une question très importante, et il s'agit d'une des choses que nous tentons de régler en négociant.

Une chose que j'aimerais mentionner en terminant, c'est le pipeline XL que le président Obama a rejeté aux États-Unis. En fait, l'Office national de l'énergie l'avait approuvé parce que nous l'avions négocié en 2008 et nous avions alors réglé toutes ces questions. Voilà donc où nous en sommes.

Le président suppléant : J'aimerais remercier M. Caron et M. Core d'avoir participé à nos audiences aujourd'hui. Vous avez ajouté beaucoup à notre étude et vous avez alimenté nos réflexions. Messieurs, merci, et passez une bonne soirée.

Notre prochain témoin, par vidéoconférence, est Kelcie Miller-Anderson. Elle est la fondatrice de MycoRemedy, une entreprise environnementale en démarrage qui assainit des sites contaminés sans intrants à forte consommation de produits chimiques ni d'énergie.

J'invite Mme Miller-Anderson à commencer son exposé de cinq minutes. Par la suite, des sénateurs auront des questions. Je sais que le sujet de la remise en état de sites sans intrants à forte consommation de produits chimiques ni d'énergie suscitera de l'intérêt.

Madame Miller-Anderson, s'il vous plaît, faites votre exposé.

Kelcie Miller-Anderson, fondatrice, MycoRemedy : Merci.

J'ai grandi en Alberta, entourée par la nature. J'ai passé mon enfance à skier dans les Rocheuses, à pêcher dans la rivière Bow et à camper à Kananaskis. Entourée par tant de beauté et un environnement si diversifié, il aurait été presque impossible de ne pas tomber amoureuse de l'environnement et de ne pas vouloir me battre pour le protéger. Je crois que j'ai été une environnementaliste toute ma vie.

Toutefois, je ne suis pas une environnementaliste typique. Là où d'autres voient les manifestations, les boycotts et les rassemblements comme la réponse — la panacée pour protéger notre environnement — je crois que la meilleure façon de provoquer des changements, c'est en faisant quelque chose de concret : en créant des solutions. Plutôt que de consacrer du temps et de l'énergie à m'opposer à des entreprises pétrolières et gazières, je crois que le temps et l'énergie sont mieux employés à nous consacrer à la création de nouvelles solutions et au développement de nouvelles technologies propres à rendre l'industrie plus durable et plus consciente de l'environnement, tout en travaillant à développer de nouvelles technologies propres à faire en sorte que, quand nous serons prêts, nous pourrons amorcer une transition en douceur pour incorporer de nouvelles sources d'énergie.

Ayant grandi en Alberta, j'ai été exposée à l'industrie pétrolière dès un jeune âge. À mesure que je grandissais, j'ai commencé à prendre conscience d'une certaine couverture de presse dont l'industrie faisait l'objet, qui se concentrait toujours sur les aspects négatifs et soulignait toujours les préoccupations environnementales. C'est vers cet âge qu'un après-midi, j'étais dans la ruelle derrière ma maison lorsque j'ai vu un pissenlit qui poussait à travers la chaussée. Il n'est pas rare de voir un pissenlit, mais celui-ci avait quelque chose qui a piqué ma curiosité. Sachant que l'asphalte était fait à base d'hydrocarbures, je suis devenue très curieuse de savoir comment les pissenlits pouvaient pousser dans des environnements qui étaient si toxiques pour la plupart des autres plantes. Avec un peu de recherche, j'ai vite découvert que cela était attribuable à l'accumulation de champignons dans leurs racines.

Depuis cette observation banale il y a sept ans, j'ai développé deux méthodes novatrices et complètement naturelles d'assainissement pour aider à appuyer l'industrie en atténuant certaines des préoccupations environnementales. En janvier de cette année, j'ai fondé ma première compagnie, MycoRemedy, dans le but de changer la façon dont le monde assainit.

La contamination du sol et de l'eau est véritablement une préoccupation mondiale, et le problème est seulement exacerbé par l'absence de technologies actuelles aptes à remédier de manière rentable à cette contamination. Les technologies d'assainissement actuelles tendent à être lentes et coûteuses et à demander énormément d'énergie. Chez MycoRemedy, nous visons à changer cela en transformant la façon dont nous assainissons, en utilisant des techniques faisant appel à des champignons pour restaurer naturellement des sites environnementaux pollués. Nous visons à fournir les solutions les plus rentables, rapides et soucieuses de l'environnement disponibles sans sacrifier des résultats de haute qualité.

Notre technologie utilise des champignons, dont une partie est dérivée de déchets agricoles de la production commerciale de champignons. Nous la manufacturons dans nos tapis ensemencés de champignons. Tous les aspects de ces tapis sont complètement naturels, ce qui signifie qu'ils peuvent être laissés dans le sol indéfiniment une fois l'assainissement terminé.

Les premiers essais de notre technologie démontrent que notre technologie est 90 p. 100 moins chère, 98 p. 100 plus rapide et, contrairement aux méthodes d'assainissement traditionnelles qui ne font en fait aucun assainissement, nous assainissons 100 p. 100 des contaminants.

Afin de protéger notre environnement, nous devons d'abord le comprendre et apprendre de lui. J'estime qu'il est important d'appuyer notre environnement et d'assurer sa protection, mais je ne crois pas que nous devions sacrifier notre industrie et notre économie afin d'y parvenir.

Une économie prospère est essentielle à l'innovation, tout particulièrement l'innovation environnementale. Pour appuyer l'innovation, pour appuyer le changement, nous devons appuyer nos industries et les aider à s'adapter afin de nous assurer d'avoir une économie capable de soutenir et de favoriser d'autres innovations.

Je crois que l'absence d'acceptabilité sociale et l'opposition à de nouveaux projets qui permettraient le transport efficace de pétrole brut d'un bout à l'autre de notre pays découlent d'une mauvaise information et d'hypothèses erronées. Beaucoup voient un risque environnemental énorme là où, en réalité, le risque est plutôt négligeable. Ils s'intéressent tout simplement. Ils veulent protéger l'environnement et assurer un environnement sain pour nos générations futures.

Nous devons leur montrer que des innovations environnementales incroyables se produisent dans notre pays — les innovations dans tous les domaines des politiques et des technologies qui nous permettent de relever nos défis environnementaux uniques et de travailler de manière proactive à réduire notre empreinte. Nous devons leur montrer que nous nous attaquons à ces problèmes de manière proactive avant qu'ils se produisent, que nous sommes capables et que nous sommes prêts.

Merci.

Le président suppléant : Merci beaucoup, madame Miller-Anderson. Je craignais, quand vous avez commencé, que vous nous proposiez que nous commencions à cultiver des pissenlits, mais je suis certain que ma cour arrière est un endroit sûr. J'en ai en abondance. Je suis prêt à partir.

Nous allons commencer avec des questions du sénateur Eggleton, s'il vous plaît.

Le sénateur Eggleton : Merci.

Vous nous avez parlé du processus que vous aviez découvert et de la recherche que vous aviez effectuée. Je pense que vous avez dit que votre compagnie est assez jeune. Avez-vous eu de l'expérience sur le terrain, en intervenant dans des situations concrètes de déversements ou d'assainissement?

Mme Miller-Anderson : La compagnie est très jeune. La technologie a été en développement au cours des sept dernières années. Toutefois, la compagnie a été constituée en janvier pour aider à poursuivre le développement de la technologie.

À l'heure actuelle, nous avons fait un peu de travail sur le terrain, pas sur des sites contaminés, durant l'été, et nous entreprenons une phase de recherche intensive en laboratoire durant l'hiver, au cours de laquelle nous travaillerons à tester différents types de contaminants et différents types de sols, ce qui permettra vraiment de répondre à certaines de ces questions. Mais aucun essai à grande échelle sur le terrain n'a été effectué. Nous prévoyons en entreprendre au cours de la prochaine saison d'assainissement, donc à la fin du printemps ou au début de l'été 2017.

Le président suppléant : Si je pouvais poser une question avant que nous passions à d'autres sénateurs, dans le cadre du processus que vous utilisez, il doit y avoir certains déchets qui restent à la fin de l'assainissement. À quoi peuvent-ils servir ou où vont-ils? Il reste quelque chose. Vous avez assaini le sol, mais il reste quelque chose.

Mme Miller-Anderson : Voilà en fait la chose vraiment intéressante qui place cette technologie à part. Beaucoup de méthodes traditionnelles — et une à laquelle vous pensez peut-être est le phytoassainissement, qui est un assainissement au moyen de plantes. Lorsque vous utilisez une plante pour assainir, c'est une méthode de bioaccumulation. La plante absorbe les toxines, les hydrocarbures résiduels, dans la plante. Les contaminants et les toxines sont alors contenus dans cette plante et doivent donc être retirés.

Toutefois, ce que notre technologie présente d'unique, c'est que ce n'est pas ainsi que cela fonctionne avec les champignons. C'est semblable à la façon dont les champignons fonctionnent dans la nature. Ils sont des décomposeurs. Ce qui se passe, c'est qu'ils libèrent des enzymes sous terre. Il y a le mycélium, la composante végétative, qui est un réseau de ramifications sous le sol. Celui-ci libère des enzymes qui décomposent complètement les hydrocarbures et les contaminants en composantes plus petites et non toxiques.

Ainsi, avec cette technologie, il n'y a aucune bioaccumulation ou contamination résiduelle dans les champignons ou quoi que ce soit qui doit être retiré. Vous pouvez les laisser dans le sol indéfiniment.

Les champignons et le mycélium font en fait partie intégrante de tout écosystème en santé. L'idée est qu'en les laissant en place, nous avons déjà démontré qu'ils aident à rétablir les communautés locales de bactéries, et ils favoriseront la réintroduction d'espèces de plantes indigènes.

Le président suppléant : Merci pour cela. Je suis aussi le vice-président du comité de l'agriculture, alors vous m'avez donné un nouvel usage pour les champignons.

La sénatrice Beyak : Nous siégeons ensemble au Comité de l'agriculture, et je suis très impressionnée de voir quelqu'un de si jeune étudier des solutions si novatrices. Avec qui partagez-vous vos renseignements? Avec qui travaillez-vous?

Je serais ravie de voir le Canada à la fine pointe de la technologie permettant de nettoyer les combustibles fossiles — du charbon propre, du gaz propre, du pétrole propre — et que nous devenions les chefs de file des combustibles fossiles, que nous nettoyions ce que nous pouvons, plutôt que d'être dans le même bateau que tout le reste de la planète qui dit que les changements climatiques sont plus importants que le terrorisme ou je ne sais quoi. Je me demande avec qui vous travaillez.

Mme Miller-Anderson : Je suis tout à fait d'accord. Je pense que nous sommes déjà en première ligne de cela. Il y a un travail impressionnant qui se fait, aussi bien dans le domaine des politiques qu'en matière de développement de nouvelles technologies, partout au Canada. J'ai vu des travaux fascinants produits par l'industrie en Alberta. Je crois vraiment que nous serons des leaders en la matière, et nous sommes déjà engagés dans cette voie.

Quant à savoir avec qui je travaille, à l'heure actuelle, je suis en voie de faire breveter ma technologie, et je garde mes renseignements pour moi et au sein de la compagnie. Je viens tout juste de signer des lettres d'engagement. Je travaille avec SAIT et l'Université de Calgary dans le cadre du programme Innovate de Calgary. Mon espace de laboratoire est situé dans le Southern Alberta Institute of Technology. Je jouis également du soutien du programme d'entrepreneuriat eHUB de l'Université de l'Alberta, alors j'ai des appuis là, et j'espère pouvoir profiter également d'autres ressources en Alberta.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

La sénatrice Raine : Merci, et félicitations pour les choses vraiment très novatrices que vous faites.

Je voulais en savoir davantage sur l'usage. Y a-t-il des différences quelconques entre le pétrole lourd, le pétrole des sables bitumineux, ou est-ce que cela fonctionne sur toutes sortes de différents produits pétroliers?

Mme Miller-Anderson : C'est une excellente question.

Les différents produits pétroliers sont essentiellement répartis en différentes fractions. À l'heure actuelle, j'ai fait des essais avec des hydrocarbures F1 à F4, qui sont des pétroles légers à des pétroles relativement lourds aussi. Un des objectifs de la saison de recherche de cet hiver est de faire des essais avec différents mélanges de produits pétroliers et avec des produits pétroliers de différents âges et de différents poids afin d'établir un cas d'utilisation pour chacun.

En théorie, il est très prometteur que la technologie fonctionnera non seulement pour des hydrocarbures et différents types de pétroles, mais aussi pour d'autres contaminants organiques et non organiques. Cet hiver, nous étudierons également des choses comme la bioaccumulation de métaux lourds.

La sénatrice Raine : C'est très intéressant. Beaucoup de ce que vous avez fait jusqu'à présent est théorique, et vous commencez seulement à faire du travail de terrain?

Mme Miller-Anderson : Oui. Tout jusqu'à présent a été fait en laboratoire, dans le cadre d'essais, et il y a eu un peu de travail de terrain cet été. Toutefois, maintenant que nous tentons de commercialiser le produit et de le préparer à une mise en marché le plus tôt possible, nous faisons encore plus de travail de laboratoire pour le valider pour une plus grande variété de types de contaminants et de types de sols, puis pour faire le travail de terrain durant la saison à venir.

La sénatrice Raine : Je regarde l'article intéressant dans la publication Pipeline Observer, et l'on y montre un tapis enroulé qui comporte une partie en plastique. Est-ce que ce plastique se désintègre aussi ou doit-il être nettoyé en quelque sorte?

Mme Miller-Anderson : Chaque composante du tapis est complètement biodégradable. Il a été conçu de telle sorte qu'il puisse être laissé dans le sol et ne laisse aucun résidu dans le sol. En fait, ce n'est pas du plastique; c'est un plastique biocompostable, de sorte qu'il n'y a rien dans le tapis qui ne laisse aucun résidu ou contaminant ou pollution de quelque nature que ce soit.

La sénatrice Raine : Quand vous dites « dans le sol », est-ce à dire que les tapis sont étalés, puis ils sont recouverts de terre?

Mme Miller-Anderson : Non. Si vous pouvez imaginer comment vous déroulez de la tourbe, ceci est appliqué de la même manière. Nous avons essayé deux prototypes, méthodes d'application, au cours de l'été. L'une est une méthode horizontale, suivant laquelle vous déroulez essentiellement le tapis. Le mycélium, ce réseau de champignons à ramifications, part de l'intérieur du tapis et commence à s'enfoncer dans le sol, où il s'enfoncera de plus en plus profondément au fil du temps.

Nous mettons aussi à l'essai une méthode d'installation verticale, suivant laquelle vous percez essentiellement un trou dans le sol, et vous pouvez insérer un différent type de tapis qui vous permet d'atteindre des niveaux de sol plus profonds plus rapidement.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. C'est très intéressant. Félicitations.

Mme Miller-Anderson : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si j'ai bien compris le travail de votre entreprise, vos recherches portent aussi bien sur les sols contaminés que sur les eaux contaminées.

[Traduction]

Mme Miller-Anderson : Oui. Les premiers essais ont été menés aussi bien sur de l'eau contaminée que sur du sol contaminé. Toutefois, à l'heure actuelle, nous nous concentrons sur du sol contaminé. À l'avenir, je prévois étendre les essais à de l'eau contaminée. Toutefois, il faudrait concevoir la méthode d'application différemment, et ce n'est pas quelque chose sur laquelle nous concentrons nos efforts en ce moment. Mais il y a du potentiel, et la technologie fonctionne également dans des environnements aquatiques.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : L'Ouest canadien fait face à un grand défi en ce qui concerne les eaux usées produites par l'exploitation des sables bitumineux. Une très grande quantité d'eau se retrouve stockée dans des bassins. Une compagnie québécoise expérimente actuellement la décontamination, mais à l'aide d'enzymes. Êtes-vous au courant de telles expériences?

[Traduction]

Mme Miller-Anderson : Oui. La méthode des enzymes est une forme de biorestauration, qui utilise principalement des bactéries. Ce sont toutes les deux des types de biorestauration, mais qui diffèrent un peu quant à leur mécanisme d'action. J'ai travaillé avec certaines des eaux résiduelles, de l'eau traitée, et j'ai eu de très bons résultats pour ce qui est du traitement des hydrocarbures résiduels ainsi que des acides naphténiques contenus dans les eaux résiduelles.

Puisque vous parlez des protocoles enzymatiques, il s'agit en fait de quelque chose sur lequel je travaille durant la saison hivernale en laboratoire, à développer une méthode en laboratoire, en extrayant ces enzymes naturels produits par des espèces de champignons indigènes afin de développer un processus de restauration enzymatique par lequel on pourrait ajouter les enzymes directement au matériau contaminé. Cela vise à obtenir une restauration plus ciblée, que ce soit à des niveaux plus profonds, dans des eaux souterraines, des choses comme cela. Mais cela, c'est en développement, et j'y vois une très bonne synergie avec la technologie de microrestauration actuelle qui a été mise au point.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : À votre connaissance et selon votre perspective dans votre province, pouvez-vous estimer à quel moment il serait technologiquement possible de décontaminer les eaux usées, notamment les eaux usées des sables bitumineux, afin de les retourner dans la nature?

[Traduction]

Mme Miller-Anderson : En fait, je pense que cette technologie est très prometteuse pour la restauration des résidus. C'est pour cela que je l'avais développée à l'origine. Un des grands problèmes avec les résidus, à part l'eau traitée, ce sont aussi les résidus fins mûrs, qui sont une espèce de barbotine, ayant une texture semblable à celle du yogourt, un mélange d'hydrocarbures résiduels et de choses comme cela, mais ayant une teneur élevée en eau. Cette technologie s'est montrée prometteuse pour extraire l'eau de ces résidus, et elle aide donc à consolider le matériel. C'est une des grosses difficultés qu'ils ont, la consolidation. Il n'existe aucune technologie à ma connaissance qui consolide et assainit en même temps.

L'objectif, c'est que j'aimerais être la première technologie prête à être commercialisée pour l'assainissement des étangs de résidus produits par les sables bitumineux de l'Alberta. Toutefois, je m'efforce actuellement de m'établir et de bâtir l'inventaire de technologies et la compagnie pour les sites existants où il y a des lois existantes.

Avec certaines des nouvelles lois qui s'en viennent et les nouvelles politiques concernant la production de résidus et le plan de gestion de résidus, je crois que, probablement au cours des cinq prochaines années, nous verrons des règlements qui exigeront l'assainissement de ces étangs de résidus. Je prévois poursuivre la recherche pour cette application et, lorsque ces règlements entreront en vigueur, être prête à agir là aussi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie et vous félicite pour votre travail.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Si vous permettez, j'ai une dernière question.

Je suis de Colombie-Britannique. Comme vous l'avez peut-être entendu, nous avons eu un remorqueur qui a poussé une barge qui s'est échouée sur la berge et a déversé du pétrole dans un endroit très sensible et cela crée d'énormes difficultés pour les gens de la place. Pensez-vous que vos tapis pourraient être utilisés lors de déversements de pétrole le long des berges de l'océan?

Mme Miller-Anderson : La salinité est très élevée. Or, la technologie a démontré qu'elle fonctionne dans des environnements à haute salinité.

Une autre chose sur laquelle je travaille, c'est le clonage et le travail avec des espèces de champignons indigènes. Il est très important pour moi, peu importe où je travaille, que j'utilise des espèces de champignons indigènes, parce que je ne veux pas introduire d'espèces envahissantes. Une des applications que je pense que cette technologie peut avoir est dans des zones écologiquement sensibles où les solutions d'assainissement traditionnelles ne fonctionneront tout simplement pas. Elles vont détruire l'écosystème sensible, et je pense donc que ceci a une grande application ici. Potentiellement, on pourrait utiliser davantage d'espèces marines de champignons. J'ai fait des lectures sur des études portant sur des espèces de champignons vivant en eau salée qui sont dans ces écosystèmes.

La sénatrice Raine : C'est extraordinaire. Je suis vraiment contente d'entendre cela, parce que c'est très déprimant quand on pense à nous comme des êtres humains qui causent un déversement et mettent l'environnement sens dessus dessous et mettent la source de nourriture des gens à risque. Ce sont de très bonnes nouvelles. Merci beaucoup pour ce que vous faites.

Mme Miller-Anderson : Merci.

Le président suppléant : Madame Miller-Anderson, vous nous inspirez. Les jeunes Canadiens m'inspirent toujours.

J'ai une question, toutefois, à titre de personne inspirée. J'aimerais en savoir un peu sur vos antécédents. Quelle est votre formation? Quelle est votre formation académique?

Mme Miller-Anderson : Je mène actuellement des études de premier cycle à l'Université de l'Alberta. Toutefois, je ne pense pas vraiment que l'âge est un facteur limitant. Souvent, les gens voient quelqu'un qui est jeune et ils voient la jeunesse et ils ne pensent pas nécessairement qu'ils ont le même potentiel de développer ces innovations scientifiques et ces découvertes.

J'ai commencé à faire la recherche quand j'avais seulement 15 ans, et j'ai vraiment appris qu'en science et en innovation, ce n'est pas votre âge ou votre expérience qui importe; c'est votre capacité à regarder quelque chose d'une manière unique. C'est ainsi que nous innovons. C'est ainsi que nous créons de nouvelles solutions.

Je pense que ces types de technologies et de nouvelles innovations environnementales révolutionnaires ne viendront pas seulement de chercheurs ou de professeurs bien établis qui sont dans l'industrie probablement depuis plus longtemps que j'ai été en vie. Je pense qu'elles vont vraiment venir d'un groupe hétéroclite de gens, qu'il s'agisse de citoyens versés en sciences ou de jeunes qui ont simplement une passion pour la création de changements.

Le président suppléant : Tant mieux pour vous, et continuez votre bon travail. Vous avez absolument raison : vous n'avez pas besoin d'être âgé pour innover.

J'aimerais vous remercier au nom du comité d'avoir participé ce soir. Comme je l'ai dit, vous m'avez inspiré et vous avez inspiré mes collègues. Nous avons hâte de prendre connaissance de vos succès à venir.

Mme Miller-Anderson : Merci.

La sénatrice Raine : Et où achète-t-on des actions?

Le président suppléant : Nous ne pouvons parler de cela à cette table, madame la sénatrice.

Nous vous souhaitons la meilleure des chances.

(La séance est levée.)

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