Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 10 - Témoignages du 1er février 2017
OTTAWA, le mercredi 1er février 2017
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 46, afin d'étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.
Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, ce soir, le comité poursuit son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre premier témoin, M. Carlos Murillo, dont la participation a été proposée par la sénatrice Unger. Il s'agit d'un économiste du groupe responsable des tendances économiques industrielles de la Division des prévisions et des analyses du Conference Board du Canada.
Monsieur Murillo, veuillez commencer votre exposé de cinq minutes. Les sénateurs pourront ensuite vous poser des questions.
Carlos Murillo, économiste, Prévisions et analyses, Tendances économiques industrielles, Le Conference Board du Canada : Je vous remercie de votre introduction.
Honorables sénateurs et membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, au nom du Conference Board du Canada, je veux profiter de l'occasion pour vous remercier de nous avoir invités à contribuer à l'étude.
Le Conference Board du Canada travaille sans relâche pour fournir aux Canadiens et aux principaux décisionnaires les connaissances et les perspectives nécessaires en matière de prévisions économiques, de politiques publiques et de résultats organisationnels. Nous le faisons en adoptant une approche fondée sur des données probantes et des recherches appliquées, tout en restant objectifs et impartiaux sur le plan politique.
Le Conference Board du Canada comprend bien l'importance du secteur de l'énergie pour l'économie du Canada et du rôle joué par les pipelines dans ce contexte. Il comprend aussi qu'investir dans l'infrastructure est essentiel à la prospérité à long terme du Canada. Le transport du pétrole brut est un secteur dans lequel nous avons réalisé un certain nombre d'études par le passé, principalement afin d'examiner l'incidence économique des projets pour le Canada. Nous comprenons aussi que les pipelines constituent le moyen le plus sûr et le plus efficace de transporter le pétrole brut vers les marchés. Nous nous concentrerons donc sur ces aspects dans les données que nous fournirons au comité pour l'aider dans cette étude.
Enfin, nous fournirons quelques conseils et idées dans les domaines qui, selon nous, pourraient mériter un examen plus poussé, dans le contexte des questions au cœur de cette étude.
Pour commencer, j'aimerais parler de l'importance du secteur énergétique canadien. Ce secteur génère environ un dixième de la production économique nationale, rivalisant ainsi avec le secteur manufacturier.
Le secteur contribue aussi de façon importante aux économies canadienne et provinciales. Il emploie des centaines de milliers de travailleurs partout au pays et offre certains des salaires les plus élevés du secteur industriel. Il s'agit d'une source importante d'investissement non résidentiel des entreprises. Il s'agit aussi d'un des principaux exportateurs canadiens, et il contribue donc de façon importante aux activités des divers ordres de gouvernement grâce aux taxes payées et aux redevances versées. Les industries de l'extraction du pétrole et du gaz représentent la majeure partie du secteur énergétique canadien.
Pour que le secteur continue de réussir et de contribuer positivement à l'économie canadienne à long terme, nous croyons qu'il faudra relever trois défis principaux : premièrement, rester compétitif sur le plan des coûts dans un contexte où les prix des produits de base sont bas; deuxièmement, réussir à construire l'infrastructure nécessaire pour avoir accès à de nouveaux marchés, et cela inclut les oléoducs de transport du pétrole brut; et, troisièmement, réussir à bien gérer l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Étant donné les niveaux prévus d'investissement dans le secteur, les volumes de production résultants et les augmentations des quantités disponibles pour l'exportation, au moins deux des trois projets d'oléoducs d'exportation de pétrole brut seront requis au cours des prochaines années.
Sans nouveau projet d'oléoduc, le pétrole brut exporté sera transporté par train, ce qui exercera une pression à la baisse sur les prix du pétrole brut canadien et aura une incidence sur les attentes en matière de revenu et de profit des producteurs, les investissements, la production, les niveaux d'exportation et les répercussions financières à l'échelle du Canada.
Le deuxième enjeu que je veux soulever, c'est l'impact économique des oléoducs de pétrole brut. Le Conference Board du Canada a réalisé un certain nombre d'études visant à évaluer les retombées économiques du projet Énergie Est et du projet d'agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain, et elles révèlent que les bénéfices seront importants dans les régions et pour les industries et que les projets seront bénéfiques pour le pays pendant des décennies. L'activité économique accrue et l'augmentation des niveaux d'emploi connexes ne découleront pas uniquement directement de la construction et de l'exploitation de ces projets; elles se matérialiseront aussi par l'intermédiaire des chaînes d'approvisionnement et des vecteurs de revenu à l'échelle de l'économie.
Les répercussions ne se limiteront pas non plus au développement et à l'exploitation. Par exemple, de meilleurs prix pour les producteurs canadiens entraîneront une augmentation des recettes publiques et de meilleurs profits pour les entreprises, profits qui, par ailleurs, pourront être réinvestis dans de nouveaux projets ou versés en dividendes aux investisseurs. Une augmentation des exportations à l'étranger générera aussi des activités accrues dans les installations portuaires.
Pour terminer, il y a un certain nombre de domaines qui, selon nous, doivent être examinés de façon plus approfondie. Premièrement, nous croyons que l'expression « acceptabilité sociale » doit être mieux définie, balisée et mesurée dans le contexte du renforcement du soutien envers les projets d'oléoducs. Ce qui est peut-être plus important encore qu'atteindre l'acceptabilité sociale, c'est de s'assurer que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de leadership en s'assurant de mettre en place un processus réglementaire clairement défini, factuel, indépendant, précis, normalisé et transparent et à même de servir l'intérêt des Canadiens à long terme.
Il faut s'efforcer de déterminer si la confiance du public à l'égard du processus réglementaire et des institutions connexes a été ébranlée de façon permanente et, au besoin, apporter les correctifs nécessaires. Enfin, nous croyons que les risques et les avantages des projets d'oléoducs sont déjà bien communiqués à l'échelle du Canada et au peuple canadien.
Merci beaucoup de m'avoir donné la parole. Voilà qui met fin à ma déclaration préliminaire.
Le vice-président : Merci, monsieur Murillo. Avant de commencer à poser les questions, je veux rappeler à mes collègues qu'il y a beaucoup de personnes autour de la table actuellement. Je vous encourage donc — en fait je vais y voir — à poser une question, suivie d'une question supplémentaire. Nous passerons ensuite au prochain intervenant. Si nous avons du temps pour une deuxième série, vous aurez l'occasion de poser une autre question.
Le sénateur Doyle : Merci, monsieur Murillo, d'être là.
Je vais commencer par une brève question. Dans ma province de Terre-Neuve-et-Labrador, nous possédons une importante industrie pétrolière malgré notre petite taille, et il y a aussi, dans la province, un certain nombre de personnes qui croient que nous participons un peu à polluer la planète, si je peux m'exprimer ainsi. La plupart ne seraient pas d'accord. Cependant, le pétrole peut être considéré, bien sûr, comme quelque chose de précieux et de dangereux à la fois. Selon vous, aurons-nous trouvé un substitut parfait au pétrole, disons, dans 30 ans?
Je vous demande de regarder dans votre boule de cristal et de me dire si, dans 30, 40 ou 50 ans, nous aurons trouvé un substitut parfait au pétrole sur la planète, grâce aux nouvelles technologies ou je ne sais quoi d'autre.
M. Murillo : Pour commencer, merci de l'invitation. Merci à tous les membres du comité et merci de la question, sénateur Doyle.
Nous avons tendance à nous tourner vers l'une des entités les plus respectées en matière de prédiction énergétique, l'Agence internationale de l'énergie. J'ai beaucoup réfléchi à cette question, et la réalité à laquelle il faut s'attendre à l'avenir, c'est que la demande en pétrole continuera de croître au fil du temps. Les deux principaux domaines où il n'y a toujours pas de carburant ou de matière première pouvant remplacer le pétrole, ce sont les secteurs des transports et de la pétrochimie. Ce sont deux secteurs où la demande continuera d'augmenter, parce que nous n'avons rien pour remplacer le rôle joué par le pétrole dans ce domaine.
Nous reconnaissons qu'il y a des défis environnementaux en raison de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre. En outre, il y a beaucoup d'autres manières dont la pollution peut survenir lorsqu'on produit, transporte et utilise du pétrole, mais la réalité, c'est que la transition vers une économie faible en carbone prendra du temps. C'est ainsi que nous voyons les choses.
Le sénateur Doyle : On entend beaucoup parler de nos jours des voitures électriques et des piles à combustible à hydrogène. Quel pourcentage du pétrole est utilisé actuellement dans le secteur des transports? Si quelqu'un trouvait un substitut propre et abordable au moteur à essence, quel serait l'impact sur la planète?
M. Murillo : Je n'ai pas les chiffres à portée de main, mais environ les deux tiers du pétrole utilisé le sont sous forme de différents types de carburants utilisés dans le secteur des transports. Par exemple, si l'on pense au nombre de véhicules sur la route aujourd'hui qui ne contiennent pas d'essence, de diesel ou un autre genre de carburant dérivé du pétrole, je crois que le pourcentage est petit.
Je reconnais que ces technologies ont le potentiel de changer l'industrie et de changer la demande en carburant de transport à long terme. Cependant, la réalité, c'est que, vu la quantité d'infrastructure et le nombre d'automobiles sur les routes actuellement, il faudra du temps pour y arriver.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Murillo, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de nous consacrer de votre temps ce soir, au nom du Conference Board du Canada.
Votre mémoire met beaucoup l'accent sur les retombées économiques, sur le potentiel du marché, sur la vente et sur l'exportation du pétrole. C'est, bien sûr, un domaine où le risque zéro n'existe pas, comme dans bien d'autres domaines, mais c'est aussi un domaine qui nécessite des mesures compensatoires pour contrer les impacts négatifs sur l'environnement.
Je n'ai pas trouvé dans votre mémoire des éléments qui démontreraient le coût négatif et sa prise en compte dans l'analyse économique des coûts liés à l'indemnisation environnementale. Pouvez-vous m'éclairer davantage à ce sujet?
[Traduction]
M. Murillo : Je vais répéter la question pour m'assurer de bien comprendre. Vous me posez une question au sujet du risque lié au développement et au transport et la façon...
La sénatrice Saint-Germain : La gestion du risque, si vous tenez compte des coûts liés aux réparations et à l'indemnisation associées aux répercussions environnementales négatives du pétrole.
M. Murillo : Vous voulez parler de réglementation?
La sénatrice Saint-Germain : Je parle d'économie. Il y a un coût associé à l'indemnisation découlant des répercussions négatives sur l'environnement de l'utilisation du pétrole, de son transport et ainsi de suite. J'aimerais savoir où, dans votre analyse économique, vous avez pris en considération ces risques et les coûts connexes et où vous en tenez compte.
M. Murillo : C'est une très bonne question. Dans une analyse économique standard, nous ne tenons pas nécessairement compte de ces risques précis. Si nous parlions, par exemple, d'une analyse coûts-avantages, c'est un exercice dans le cadre duquel on quantifie ces risques. Encore une fois, lorsqu'il est question d'extraction — prenons le cas des sables bitumineux dans un endroit comme l'Alberta —, les entreprises doivent mettre un certain niveau de fonds de côté de façon à ce qu'elles puissent assumer leur responsabilité environnementale si un problème survient.
On peut faire la même chose pour l'Office national de l'énergie et les projets d'oléoduc, et il y a des processus en place pour que l'on puisse s'assurer que les entreprises auront suffisamment d'argent pour couvrir leurs responsabilités environnementales. Cependant, pour ce qui est de savoir de quelle façon ces risques environnementaux sont pris en considération au sein de l'économie, le fait de ne pas comptabiliser ces coûts est l'un des grands échecs. Les choses comme les dommages à l'environnement et l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, c'est ce que nous appelons généralement des facteurs externes, et c'est la raison pour laquelle les intervenants d'un peu partout au pays créent différents types de réglementation pour essayer d'en tenir compte, que ce soit au moyen de systèmes de plafonnement et d'échange des droits d'émission ou de la tarification du carbone. Ce sont des façons de tenir compte de ces choses. Toutefois, actuellement, dans le cadre d'une évaluation classique des incidences économiques, on ne tient pas nécessairement compte de ces répercussions sur l'environnement et on ne les quantifie pas.
La sénatrice Saint-Germain : Ne croyez-vous pas qu'il est important de connaître ces répercussions et d'en quantifier le coût?
M. Murillo : Oui, c'est très important, mais je vois que c'est très difficile à faire. Il y a de nombreux facteurs, et il y a beaucoup de services environnementaux auxquels on peut attribuer une valeur. De quelle façon évalue-t-on ces choses? C'est très difficile de le faire.
Grâce aux outils que nous avons actuellement, nous pouvons analyser les retombées économiques à l'échelle de l'économie, mais nous ne pouvons pas nécessairement définir ces risques, et les répercussions ne sont pas facilement quantifiables. Cependant, c'est assurément un domaine où, selon nous, on est en train d'en faire plus.
Le sénateur Mercer : Monsieur Murillo, merci d'être là. Vous êtes un économiste du groupe responsable des Tendances économiques industrielles, Prévisions et analyses du Conference Board du Canada. Dans le cadre de vos analyses et de vos prévisions, avez-vous examiné l'incidence, positive ou négative, qu'auraient les oléoducs sur les retombées pour les Canadiens en fonction d'un seul facteur, soit que, si nous exportions le pétrole grâce à des oléoducs à partir d'une des deux côtes, nous pourrions obtenir les prix en vigueur à l'échelle mondiale, plutôt que les prix de référence du brut West Texas, un prix réduit que les Américains payent pour nos produits?
M. Murillo : Oui. C'est l'une des choses que nous avons tenté de quantifier dans l'un des rapports, plus précisément celui sur le projet d'agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain. Dans ce rapport précis, une analyse a été réalisée par une société d'experts-conseils américaine dans le cadre du processus réglementaire. Kinder Morgan a présenté l'analyse. La société a constaté que, une fois un accès accru aux marchés obtenu, les prix du pétrole canadien pourraient augmenter environ de 2 à 3 $ par baril.
Nous avons récemment effectué quelques calculs rapides à la lumière d'une demande des médias. Si on définit certains chiffres à ce sujet et qu'on se reporte en 2020, cela pourrait facilement se traduire en une augmentation des profits annuels de 4 milliards de dollars supplémentaires. Encore une fois, ces profits sont soit réinvestis dans de nouveaux projets, soit versés en dividendes. S'ils sont réinvestis dans de nouveaux projets, on génère des impôts sur les sociétés et des redevances. Si les profits sont versés en dividendes, l'argent sera dépensé à titre de revenu ou sera imposé lui aussi. Il y a différentes façons de quantifier ces choses, mais c'est le mieux que nous pouvons faire en ce moment.
Le sénateur Mercer : Merci beaucoup. Vous êtes l'une des rares personnes à avoir fourni certains chiffres pour répondre à la question, et c'est très utile.
Je veux changer de sujet. Mes collègues ne seront pas surpris. Est-ce que le Conference Board du Canada a réalisé une analyse des avantages liés au fait de ne pas arrêter l'oléoduc Énergie Est à Saint John, mais de le poursuivre plutôt jusqu'au détroit de Canso, en Nouvelle-Écosse?
M. Murillo : Je crois savoir que c'est un des enjeux qui vous intéressent. J'ai lu le rapport provisoire. Nous ne l'avons pas fait. Nous avons cependant inclus le terminal maritime au Nouveau-Brunswick dans le cadre du processus. Pour ce qui est d'évaluer les retombées économiques liées au fait de poursuivre l'oléoduc jusqu'en Nouvelle-Écosse plutôt qu'au Nouveau-Brunswick, c'est quelque chose que nous pouvons faire, mais nous ne l'avons pas fait pour l'instant.
Le vice-président : Permettez-moi d'intervenir une seconde. Nous vous encourageons à le faire.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Murillo, bienvenue et merci pour votre exposé qui était très clair. J'aurais deux questions à vous poser. Premièrement, avez-vous fait des études sur les hypothèses de transfert de l'utilisation des énergies fossiles vers des énergies vertes? À quel moment les pays industrialisés — le Canada, entre autres — feront-ils cette transition, où la majorité des énergies seront vertes et non fossiles? Est-ce qu'on parle d'un horizon de 10, 20 ou 30 ans, ou d'un demi-siècle?
M. Murillo : Merci de votre question.
[Traduction]
C'est l'une des questions que nous nous posons dans une étude que nous menons actuellement. Nous allons publier, au cours des prochains mois, un rapport qui s'inscrit dans la foulée des questions liées à l'énergie de transition. Je ne peux pas vous en parler en détail parce que je ne travaille pas sur ce dossier, mais je sais que certains de mes collègues se penchent sur cette question. Ce processus de transition, si vous voulez présenter les choses ainsi, prendrait au moins deux ou trois décennies.
Si l'on prend l'électricité, nous sommes déjà l'un des plus grands producteurs d'électricité renouvelable, si l'on tient compte des importants projets hydroélectriques dans le monde entier. Encore une fois, un des plus importants défis concerne des choses comme les flottes de transport.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Lorsqu'on parle de tout ce qui est matière synthétique, tels les plastiques ou les vêtements qu'on porte, il faudra trouver des substituts au pétrole pour produire ces matières. On envisage un horizon de 30 à 40 ans plutôt qu'une décennie.
L'autre question que j'aimerais vous poser porte sur les coûts liés à l'utilisation des matières vertes. Beaucoup d'écologistes aimeraient qu'on entame la transition vers les énergies vertes, mais on sait qu'actuellement, les personnes qui utilisent des énergies vertes, soit pour le chauffage ou le transport, ce sont surtout les gens les mieux nantis. Une voiture électrique peut coûter 100 000 $ par opposition à une petite voiture à essence qui pourrait coûter 8 000 $ ou 9 000 $. Les personnes qui seraient les plus pénalisées par la transition aux énergies vertes seraient les citoyens à faible revenu, car l'énergie verte est difficilement accessible.
Avez-vous mesuré, dans votre étude, l'impact que pourrait avoir sur la classe moyenne ou la classe plus pauvre la transition des énergies fossiles abordables vers les énergies vertes, qui sont plus dispendieuses?
[Traduction]
M. Murillo : Je ne crois pas que nous avons examiné ces choses, mais c'est assurément un dossier sur lequel, selon nous, il faut s'attarder. Je suis d'accord avec vous : l'incidence sera différente au pays selon les tranches de revenu. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait qu'il y a certains domaines où les carburants renouvelables ou les carburants qui ne produisent pas d'émissions font déjà suffisamment de progrès pour nous permettre de nous diriger vers une économie plus verte, et ces percées se font dans des secteurs comme celui de l'électricité. Il est possible que nous constations une bonne transition au cours des prochaines années.
Dans des domaines comme celui des carburants de transport, il reste beaucoup à faire, et il faudra du temps. Comme vous l'avez dit, certaines des technologies d'utilisation ultime n'existent pas encore. Nous devons produire des véhicules électriques à un niveau de prix abordable pour remplacer les véhicules qui sont sur nos routes actuellement, et il faudra du temps, là aussi, pour y arriver, mais il ne fait aucun doute que l'impact sera différent en fonction des groupes de revenu.
La sénatrice Unger : Merci, monsieur Murillo, d'être là, ce soir.
J'aimerais revenir sur deux ou trois commentaires que vous avez formulés. Le fait de remettre en question le caractère légitime du processus réglementaire actuel est une des tactiques juridiques qu'ont utilisées les personnes qui s'opposent à certains projets, mais on ne sait pas exactement si la confiance du grand public est minée. C'est une notion dont, si je ne m'abuse, personne n'a parlé devant le comité. J'aimerais donc que vous nous en disiez un peu plus là- dessus.
Ma deuxième question concerne la dernière page de votre mémoire. Vous dites : « À notre avis, les risques et les avantages des projets de pipeline sont déjà grandement répandus à l'échelle du Canada. » Pouvez-vous aussi nous en dire plus à ce sujet?
M. Murillo : Oui. Pour commencer, merci de l'invitation que vous m'avez lancée aujourd'hui. Je crois savoir que c'est à cause de vous si je suis ici aujourd'hui. Merci beaucoup de l'avoir fait.
Pour ce qui est de la première question, les enjeux qui se trouvent à la fin du rapport sont les sujets sur lesquels nous ne nous sommes pas beaucoup penchés, mais ce sont ceux au sujet desquels nous avons formulé certaines idées en ce qui concerne notre contribution.
En fait, dans le premier addenda que nous avons ajouté à notre rapport — et je sais que vous n'y avez pas tous accès —, nous avons examiné six sondages réalisés au cours de la dernière année, et un seul de ces sondages abordait la question de savoir s'il y a un déficit de confiance à l'égard du processus réglementaire au sein de nos institutions. Il semblait bel et bien que la majeure partie des répondants affichaient un certain manque de confiance, mais il y avait tout de même beaucoup de gens au milieu pouvant faire pencher la balance d'un côté comme de l'autre.
Pour ce qui est des sondages, nous n'avons pas trouvé une réponse définitive à cette question. Je dirais même que vous en savez probablement plus que nous à ce sujet parce que vous avez probablement réalisé plus de recherches dans ce dossier que nous. C'est le principal commentaire que nous voulons formuler à ce sujet.
L'autre volet de mon commentaire, c'est que, parfois, nous avons constaté qu'on est peut-être plutôt en présence d'une minorité qui fait beaucoup de bruit et qui peut sembler être la voix de la majorité. C'est ainsi que nous voyons les choses. Cependant, de toute évidence, les intervenants au sein du gouvernement en savent plus au sujet des résultats des sondages et des chiffres avancés. C'est essentiellement ce que nous avons à dire à ce sujet.
Le dernier point sur le fait que nous croyons que les risques et les avantages ont déjà été partagés, la principale raison pour laquelle nous croyons que c'est le cas, c'est que nous nous rappelons les répercussions économiques et l'importance du secteur de l'énergie et l'importance aussi des oléoducs dans l'ensemble de l'économie, et c'est de cette façon que certains des risques sont partagés. Ce sont des questions déjà abordées dans le cadre des processus réglementaires grâce aux processus réglementaires liés à l'exploitation des ressources naturelles des provinces.
Le dernier point important à cet égard — le partage des avantages —, c'est que nous bénéficions tous d'une façon ou d'une autre de l'accès à l'énergie, qui nous permet d'avoir le niveau de vie dont nous bénéficions et d'avoir accès aux choses que nous avons. C'est essentiellement ainsi que nous abordons cette question.
La sénatrice Unger : Merci.
Le sénateur Lang : Pour commencer, je veux formuler un commentaire : en raison du processus réglementaire et de ce qui est en place actuellement, nous semblons être paralysés; on ne semble plus capable de prendre des décisions. Et je me reporte à la région que je représente. Le gazoduc de la route de l'Alaska... il y avait des occasions à saisir dans le cadre de ce gazoduc précis, et le projet aurait pu être faisable, mais l'occasion est perdue, à cause du temps qui s'est écoulé. Par la suite, il n'y a évidemment pas eu de décision à prendre, et le gazoduc n'a jamais été construit.
C'est la même chose pour le projet gazier Mackenzie. Des audiences se sont tenues pendant environ 20 ans, période durant laquelle, selon moi, beaucoup de personnes se sont enrichies si elles étaient des comptables, des avocats et des militants écologistes. Au bout du compte, tous ont convenu qu'il devait y avoir un gazoduc, mais l'occasion était aussi perdue, car le projet n'était plus viable sur le plan économique.
Et maintenant, nous avons été témoins d'un certain nombre d'autres corridors d'oléoducs possibles, Northern Gateway, notamment, qui a été une possibilité, puis il y a ceux dont on parle actuellement, vers les côtes du Pacifique et de l'Atlantique.
La sénatrice Unger a mentionné les commentaires de votre mémoire relativement au processus réglementaire et à la façon dont les choses se font actuellement, le fait que, d'un point de vue législatif, selon moi, il y a un processus clair et concis en place permettant d'écouter ce qu'ont à dire les différents groupes d'intérêt et les experts, de façon à ce que des décisions puissent être prises compte tenu des considérations scientifiques, sociales et économiques.
Qu'est-ce que les législateurs peuvent faire pour rendre le processus plus transparent que ce qui est déjà en place, et obtenir ce que vous appelez une « acceptabilité sociale », sauf si les gens ne veulent pas respecter la loi ni le processus, la façon dont les choses se passent? Qu'est-ce qu'il faut changer?
M. Murillo : La voilà, la question à 1 million de dollars.
Le sénateur Lang : C'est la raison pour laquelle vous êtes payé.
M. Murillo : Oui, c'est juste. C'est une très bonne question. Nous comprenons le processus entrepris par l'ONE et l'ACEE. Je crois que c'est une façon de renforcer le niveau de confiance à l'égard du processus lui-même. Je crois qu'il faudrait peut-être procéder à un examen interne de la raison pour laquelle le processus ne fonctionne pas d'une façon précise ou des domaines où il fonctionne.
Je ne suis pas un expert dans ce dossier, qui concerne les institutions et leurs processus réglementaires. En tant que Canadien informé, je crois que le processus réglementaire est juste et suffisamment solide pour qu'on puisse tenir compte de toutes les choses importantes nécessaires et je fais confiance au processus réglementaire et aux gens qui en sont responsables. Cependant, ce n'est pas nécessairement le cas de tous les Canadiens.
Je crois de plus qu'il faut essayer de déterminer si les gens sont mal informés au sujet du fonctionnement du processus réglementaire ou si c'est simplement qu'ils n'y croient pas. Cependant, je ne sais pas quelle est la meilleure façon de corriger le tir, parce qu'il n'y a peut-être rien à réparer.
Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre sur la question de ceux qui comparaissent dans le cadre des processus réglementaires, que ce soit d'une façon officielle ou autre.
De toute évidence, il est devenu très clair au cours des dernières années que des millions de dollars — pas des centaines de milliers de dollars, mais des millions de dollars — sont dépensés par des intérêts étrangers, des intérêts internationaux, afin que ces organisations comparaissent à l'occasion d'audiences tenues dans le cadre de notre processus réglementaire. La plupart des Canadiens ne savent pas que des intérêts étrangers financent ces organisations.
Ne croyez-vous pas — peut-être, encore là, pour accroître la transparence — que toute organisation qui est financée par des intérêts externes, des intérêts internationaux, devrait le dire publiquement, dans le cadre de tribunes officielles, afin que tout le monde sache qui les paye, plutôt que de les laisser se draper dans le drapeau canadien alors qu'ils sont payés par des intérêts étrangers?
M. Murillo : Je crois qu'on en revient à la question de la transparence quant à l'identité de ceux qui participent au processus. Selon moi, cela ne rendrait pas nécessairement le processus plus transparent, mais c'est un bon point que vous soulevez, et ce serait une façon de rendre le processus plus transparent du point de vue des participants. Encore là, s'il est question du processus et s'il s'agit d'un problème qu'il faut régler, ce qu'il faudrait faire, c'est de définir — dans le cadre du processus et dans la réglementation — qui peut participer et qui est directement touché. Ce sont des choses qu'il faudrait mieux définir. La réponse est peut-être là, parce que c'est là, selon moi, que se trouve le défi.
La sénatrice Griffin : En fait, une bonne partie de ce dont on parle revient, à mon avis, à la question posée par le sénateur Lang. Je vais revenir à la question de l'acceptabilité sociale. J'aime bien la façon dont vous avez abordé cette question dans votre mémoire et le fait que vous ayez parlé de l'industrie minière et du rapport Black sur la façon d'obtenir l'acceptabilité sociale. Cependant, au bout du compte, ça reste quelque chose de très subjectif. Comme vous l'avez déjà souligné, une minorité qui travaille comme il faut peut sembler être une majorité.
Dans quelle mesure croyez-vous que la question de l'acceptabilité sociale doit être éclipsée par des arguments concernant le fait de faire des choses qui sont dans l'intérêt public général, le plus grand bien pour le plus grand nombre, selon le principe de John Stuart Mill?
M. Murillo : Pour commencer, permettez-moi de dire que j'ai eu cette conversation avec M. Desrochers plus tôt; M. Desrochers est votre prochain témoin, et il abordera tout ce qui touche l'acceptabilité sociale, mais je vais répondre à certaines des questions.
Une partie des renseignements qui ont été fournis au sujet de l'acceptabilité sociale remontent en fait à certains des travaux que nous avons réalisés pour Transports Canada il y a de cela un certain nombre d'années.
Si vous revenez à ce que nous avons fait, nous tentons de trouver une façon de quantifier les choses, afin que vous puissiez vous en inspirer dans le cadre d'un processus fondé sur des données probantes, parce que c'est essentiellement la façon dont nous abordons ces choses. Cependant, nous continuons de croire que la notion d'acceptabilité sociale n'est pas très bien définie. Elle n'est pas directement définie dans la réglementation ni dans la législation. Il n'y a pas une définition claire de cette notion dans la jurisprudence. Par conséquent, différents groupes peuvent l'interpréter de nombreuses façons différentes. Il est là, le principal problème. Encore une fois, nous en revenons à certaines des constatations qui figurent déjà dans le rapport provisoire.
Comme M. Gaétan Caron l'a dit déjà, nous devrions peut-être délaisser la notion d'acceptabilité sociale au profit de celle d'intérêt public. Avons-nous une définition de l'« intérêt public »? Si nous devons abandonner un terme au profit d'un autre, faisons-le de façon à savoir que la notion précise est bien définie et comprise par tous, afin que nous puissions tous nous entendre sur une notion précise. Qu'est-ce que cela signifie pour le gouvernement du Canada et les Canadiens? Selon moi, c'est ce que nous devons mieux définir.
Nous pouvons déterminer si nous jouissons ou non d'une acceptabilité sociale, si oui ou non, nous avons le soutien du public dans le cadre d'un projet précis; je crois que cette question est plus importante. Il est préférable de définir d'emblée les notions qui peuvent être facilement mal interprétées ou utilisées de façon différente et subjective plutôt que de le faire au moment de prendre des décisions de politique publique.
La sénatrice Griffin : Vous soulevez un bon point. Vous nous avez aussi dit que, personnellement, vous croyiez au processus réglementaire. Je crois qu'il y a beaucoup de membres du public qui soit ne connaissent pas le processus réglementaire, soit estiment qu'une entreprise est prête à promettre n'importe quoi afin d'obtenir l'aval pour un projet. Puis, une fois le projet en cours, elle tourne les coins ronds ou, plus tard, procède à un entretien déficient.
Par conséquent, selon moi, au bout du compte, la confiance du public à l'égard du processus réglementaire doit être justifiée et être bien réelle.
M. Murillo : Oui. Ce n'est pas le cas seulement pour le processus réglementaire; ça l'est aussi pour l'énergie en général. Selon moi, soit il y a un segment de la population qui ne veut pas connaître ces choses, soit il n'y a tout simplement pas suffisamment de renseignements accessibles afin que tout le monde puisse comprendre. D'où vient l'énergie? De quelle façon l'utilise-t-on? Quels sont les coûts? De quelle façon contribue-t-elle à nos niveaux de vie?
Puis, de quelle façon transforme-t-on une molécule de gaz naturel ou de pétrole brut tiré du sol qui est ensuite utilisée dans nos domiciles? Dans quelle mesure l'ensemble du processus est-il réglementé, depuis les provinces qui s'occupent de leurs ressources naturelles, de leur exploitation et des questions environnementales, jusqu'à, disons, cette molécule qu'on transporte au-delà des frontières provinciales et qui est destinée aux services publics, lesquels, au bout du compte détermineront par réglementation combien il en coûtera aux consommateurs?
Il y a beaucoup d'étapes complexes entre les deux que les gens ne comprennent peut-être pas nécessairement, mais je crois vraiment que nous possédons certains des meilleurs et des plus stricts processus réglementaires du monde, surtout lorsqu'il est question de protéger les consommateurs au niveau des utilisations finales, lorsqu'il est question de transporter des matières dangereuses entre des provinces ou au sein des provinces et lorsqu'on parle de l'exploitation des ressources d'une façon logique et dans l'intérêt de la province visée et des Canadiens de façon générale.
Le sénateur Runciman : Merci. Vous êtes ici en tant qu'économiste, mais vous avez soulevé un certain nombre d'autres questions. Je me demande si vous avez tenu compte, dans vos hypothèses liées à l'incidence du projet Énergie Est et au besoin de réaliser un tel projet, de l'impact de la construction de l'oléoduc Keystone. Un décret exécutif a maintenant été signé par le président Trump, et TransCanada présente une demande. En quoi cette situation influe-t- elle sur la viabilité du projet Énergie Est? Avez-vous eu l'occasion de vous pencher sur cette question?
M. Murillo : Nous avons discuté à l'interne de ce sujet... si on regarde cet oléoduc de façon globale, si on envisage le projet de remplacement de la canalisation 3, l'agrandissement du réseau de Trans Mountain, le projet Énergie Est, le projet Keystone XL... Ces projets donneront tous le même résultat, soit d'accroître l'accès aux marchés. Cependant, leurs résultats en matière de sécurité énergétique seront différents. Par exemple, si on compare le projet Énergie Est et un autre projet d'oléoduc différent, ou si l'on réfléchit à la question de la diversification des marchés au moment de comparer le projet Énergie Est et le projet Keystone XL...
Le sénateur Runciman : Au bout du compte, vous ne croyez pas que la réalisation du projet Keystone aura une incidence sur la viabilité du projet Énergie Est?
M. Murillo : Je ne sais pas si c'est nécessairement vrai. Ce que nous avons constaté dans le cadre de notre analyse, c'est que nous aurons besoin d'un maximum de trois importants oléoducs de pétrole brut au cours des deux ou trois prochaines décennies, et tous ces projets d'oléoducs se livrent concurrence dans le même cadre temporel. Par conséquent, je ne dirais pas nécessairement qu'un pourrait influer sur la viabilité de l'autre, mais il y a d'autres considérations. C'est la même entreprise qui nous propose les deux projets, mais nous ne savons pas si l'un est mieux que l'autre. Je crois que ce sera aux responsables du processus réglementaire et aux investisseurs de déterminer quel oléoduc il faut construire en premier.
Le sénateur Runciman : Vous avez parlé de votre confiance à l'égard du processus réglementaire. Vous avez peut-être un point de vue à nous communiquer, peut-être pas. Vous connaissez probablement mieux le processus que moi, mais le fait qu'il faille tout recommencer le processus lié au projet Énergie Est, le processus de l'ONE, au bout de deux ans me laisse perplexe.
Je me demande si vous avez un point de vue quant à savoir pourquoi il faut tout recommencer ce processus une autre fois. Selon moi, toutes les données recueillies avant cette réunion douteuse devraient être valides, et le fait d'avoir à recommencer le processus depuis le début me semble curieux, c'est le moins qu'on puisse dire. De plus, il y aura à coup sûr des conséquences économiques pour le pays.
M. Murillo : Oui, je comprends pourquoi il faut tout recommencer.
Le sénateur Runciman : Depuis le tout début? Vous comprenez?
M. Murillo : Je comprends, mais je ne dis pas que je suis d'accord ou en désaccord. Ce que je peux vous dire, c'est que du point de vue d'un investisseur ou de quelqu'un qui planifie un projet, on devient hésitant parce que les règles changent en cours de route. C'est l'une des répercussions du fait de procéder de cette façon. Que je sois d'accord ou en désaccord, c'est une question d'opinion personnelle, mais c'est une situation qui a certainement une incidence sur la confiance des investisseurs à l'égard du processus réglementaire, si on regarde les choses de cette façon.
Le sénateur Runciman : J'aimerais qu'on m'explique pourquoi les données probantes recueillies avant la réunion sont invalides. De toute façon, merci.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup d'être là. J'ai récemment été nommée. Dans mon esprit, il faut tenir compte de trois points de vue lorsqu'on analyse ces projets : il faut réfléchir sobrement au projet. Il faut y réfléchir à long terme. Nous sommes ici pendant de nombreuses années, alors on peut possiblement examiner un dossier, pas dans 4 ans, mais dans 20 ans. Et nous devons aussi représenter les minorités.
J'ai assisté à beaucoup d'exposés au sujet des oléoducs. J'ai lu des analyses économiques produites, par exemple, par Deloitte. Selon moi, il y a quatre aspects dont on n'a pas tenu compte de façon appropriée en ce qui concerne la différence entre la réalisation d'une analyse économique portant sur des oléoducs qui seront construits aux États-Unis, comparativement à des oléoducs qui seront construits au Canada.
Nous avons des situations précises. Très rapidement, il y a la question de l'hydrogéologie et la question du pergélisol. Il y a des activités sismiques d'un côté comme de l'autre, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis. Très souvent, des modèles économiques seront appliqués aux mêmes oléoducs sans qu'on tienne compte de ces choses.
Ensuite, on parle du pétrole non conventionnel, ce qui est très différent du pétrole qui nous arrive du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Nous parlons ici de bitume dilué. Si j'avais des verres, ici, et que je les brassais, les produits se ressembleraient tous, mais le bitume dilué se sépare immédiatement en deux couches, une couche très épaisse, et le diluant. Le niveau de diluant s'élève parfois à 70 p. 100, et donc nous transportons plus de solvants, qui sont très volatils.
Le code utilisé au Canada pour la construction des oléoducs est très similaire à celui utilisé aux États-Unis. Le pétrole que nous transportons ici est très différent du point de vue des opérations et de la friction à l'intérieur des conduites, en raison de la présence de chlorure et de soufre, qui produisent plus de frictions. Vous avez déjà approché d'un oléoduc qui transporte du bitume dilué?
M. Murillo : Non.
La sénatrice Galvez : C'est très chaud comparativement aux autres.
Je suis ingénieure. Je suis sûre que cela aura une incidence sur la vie utile, la longévité de l'oléoduc. Il faut en tenir compte lorsqu'on établit les coûts.
M. Murillo : Oui.
La sénatrice Galvez : Certains des sénateurs ont parlé des situations d'urgence. Ce pétrole, malheureusement ou heureusement, n'est pas de l'eau. C'est une substance dangereuse, et les entreprises à qui appartiennent ces oléoducs peuvent déclarer faillite. Les fonds qu'ils ont réservés en cas d'accident ne seront peut-être pas facilement accessibles. Il peut s'agir d'une note de crédit ou de quelque chose du genre.
M. Murillo : Oui.
La sénatrice Galvez : Pour terminer, au sujet de l'acceptabilité sociale, les gens veulent savoir ce qui restera dans leur ville. Tenez-vous compte de ces facteurs dans votre analyse?
M. Murillo : Non, on ne tient pas compte de telles choses dans une analyse économique. Cependant, si on examine le processus réglementaire, tous les aspects techniques de l'endroit où l'oléoduc est construit et ce qu'il servira à transporter, eh bien, toutes ces choses sont prises en considération.
Pour ce qui est des autres aspects, comme tenir compte des minorités et ce genre de choses, c'est aux entreprises qui interagissent avec ces communautés qui doivent s'en charger. S'il est question, par exemple, d'une communauté autochtone, il y a une obligation de consulter, mais tout cela fait partie du processus réglementaire. Ce n'est pas nécessairement quelque chose qui est abordé directement dans une analyse économique.
La sénatrice Galvez : Il y a un exemple très proche lié à l'analyse économique qui a trait au déversement dans la rivière Kalamazoo. Il y a beaucoup de données sur les milliards de dollars qu'il a fallu dépenser pour restaurer la rivière...
M. Murillo : Oui.
La sénatrice Galvez : ... cela peut être utile.
M. Murillo : Vous soulevez un très bon point, parce qu'on en revient à certaines des questions qui ont été soulevées précédemment, et il faut peut-être revoir notre façon de réaliser des analyses économiques ou les élargir d'une façon ou d'une autre. Et puis, encore une fois, certaines des analyses économiques réalisées par le Conference Board du Canada ont en fait été déposées dans le cadre du processus réglementaire de l'ONE. Cela signifie que ces analyses respectent les normes établies par l'ONE. C'est peut-être aux responsables du processus réglementaire d'évaluer les répercussions d'un effet environnemental directement dans une analyse économique en tant que telle. Ce serait l'une des façons de procéder.
La sénatrice Bovey : Je suis très préoccupée par le coût des risques. J'ai vécu dans diverses régions du pays, depuis les zones où il y a des tremblements de terre jusqu'aux zones des Prairies, et je crois bien que je m'appuie sur cette expérience.
Le vice-président : Avant de procéder à une deuxième série de questions, monsieur Murillo, je veux vous interroger au sujet de quelque chose que vous avez soulevé lorsque vous avez parlé des trois oléoducs traversant le pays. De toute évidence, vous croyez qu'il y a de la place pour les trois, et il y a un argument économique qui le justifie. Je crois que je suis d'accord avec vous. Si une telle situation se produit, bien sûr, elle permettrait au Canada dans une large mesure d'éliminer tout le pétrole étranger de l'équation. Il n'y aurait plus de pétrole lourd qui arrive au Canada dans les cales des pétroliers, qui passent par les provinces maritimes et dans les eaux de la Nouvelle-Écosse. Il y a un excellent avantage environnemental à une telle situation qui permet d'éliminer beaucoup de risques.
Quel genre d'incidence cela aurait-il... ou une telle situation aurait-elle une incidence sur le prix canadien du pétrole? Pourrait-il y avoir un prix canadien du pétrole qui serait relativement équitable à l'échelle du pays pour tout le pétrole qui est transformé et produit au pays?
M. Murillo : C'est déjà le cas. Le principal problème, c'est que les prix à l'échelle mondiale, peu importe la région du globe dont on parle, sont généralement déterminés par deux ou trois niveaux de référence utilisés dans le monde entier. C'est le Brent, en Europe ou en Afrique, ou le West Texas Intermediate, en Amérique du Nord. Puis, tous les prix, qu'on parle du pétrole léger, comme le léger Edmonton dans l'Ouest du Canada ou le Western Canadian Select, sont établis en fonction de ces types précis de pétrole brut.
Si nous ne recevons plus d'importations sur la côte de l'Atlantique, et le prix de ces importations est habituellement défini en fonction des prix du Brent... tandis que le prix de notre pétrole brut est habituellement établi en fonction du WTI. Pour ce qui est des coûts, les coûts seraient peut-être plus bas, mais pour ce qui est de l'établissement de prix de référence à l'échelle du Canada, c'est quelque chose qu'on fait déjà.
La question à se poser est plutôt la suivante : quel sera l'impact d'un accès accru aux marchés sur les prix de référence canadiens? La réponse, c'est que l'écart se réduirait, parce que ce serait non pas moins cher, mais plus efficace par rapport aux coûts de transporter du pétrole d'un bout à l'autre du pays. Pour ce qui est de créer un genre de prix de référence canadien, nous avons déjà de tels points de référence. En fait, c'est peut-être parce qu'on ne voit pas ces prix de référence du brut de l'Ouest canadien payés dans les raffineries de l'Est canadien en ce moment.
Le vice-président : Effectivement.
M. Murillo : On ne le voit pas parce que les gens achètent du pétrole brut dont le prix est établi en fonction du Brent, c'est donc un prix différent, et la principale raison pour laquelle c'est le cas, c'est que nous n'avons pas d'oléoduc permettant de transporter du pétrole brut d'un point à l'autre du pays.
Le vice-président : Ensuite, actuellement, la différence de prix entre le Brent et le prix du West Texas est très petite. Selon vous, y aurait-il un changement ou une incidence sur l'écart de prix si nous pouvions transporter tout notre pétrole vers les marchés, sans beaucoup d'écart?
M. Murillo : Pas nécessairement. Si on regarde la relation historique entre le prix du WTI et du Brent, les prix sont très similaires depuis longtemps. C'est principalement parce qu'ils sont de qualité très similaire. Les deux principales composantes liées à la qualité qui influent sur les prix de référence sont les niveaux de soufre, par exemple, et la viscosité ou la densité du pétrole brut. Les deux sont très similaires sur le plan de la densité et des niveaux de soufre.
Je ne crois pas que la situation changerait nécessairement si nous avions plus d'oléoducs. Nous avons vu l'écart se creuser entre le prix du WTI et le Brent au cours des deux ou trois dernières années, mais l'écart commence à se refermer. Cependant, cette situation était davantage liée à des contraintes du marché sur la côte du Golfe du Mexique, aux États-Unis. C'est ce qui causait ces problèmes. À long terme, la situation devrait se rétablir, et ils devraient, essentiellement, s'échanger à des prix similaires.
Le sénateur Mercer : Vous m'avez dit durant la série de questions précédente que le Conference Board du Canada n'avait pas réalisé une étude quant à savoir si l'oléoduc Énergie Est devait se rendre au détroit de Canso ou à Saint John. Cependant, si, déjà, vous parlez du projet Énergie Est, c'est évidemment que vous avez jeté un coup d'œil à la baie de Fundy et vous avez considéré cet endroit en tant que terminal de l'oléoduc Énergie Est dans un tel système. Comme vous le savez, le sénateur MacDonald et moi voulons à tout prix parler du détroit de Canso.
Cependant, dans cette analyse, avez-vous réalisé une analyse environnementale des difficultés éventuelles liées à un déversement catastrophique dans la baie de Fundy? La différence, comme l'un de mes collègues l'a mentionné, c'est la nature du produit transporté là-bas. Nous transportons non pas du pétrole raffiné, mais du bitume, et c'est une substance beaucoup plus difficile à disperser, d'après ce que j'ai compris, comparativement à des produits raffinés.
La raison pour laquelle je vous pose la question, bien sûr, c'est que la baie de Fundy, qui est très sensible d'un point de vue environnemental, héberge une pêcherie très fragile ainsi que des aires de reproduction fragiles pour plusieurs espèces de baleines, comparativement au détroit de Canso, qui donne sur l'Océan Atlantique, où l'impact environnemental, même s'il était important, ne le serait pas autant et où les activités de dispersion seraient un peu plus faciles du fait que le bassin est plus grand. Avez-vous réalisé une analyse de l'impact environnemental d'un déversement catastrophique dans la baie de Fundy?
M. Murillo : Non, nous n'avons pas réalisé une telle analyse. C'est la réponse courte à votre question.
Le sénateur Mercer : Revenons à votre titre. Vous êtes économiste, Prévisions et analyses, Tendances économiques industrielles. Dans le monde d'aujourd'hui, l'analyse des tendances économiques industrielles suppose assurément une analyse environnementale, mais je ne vois pas une telle analyse.
M. Murillo : Oui.
Le sénateur Mercer : À mon avis, vous devriez en faire une, parce qu'une telle analyse serait très utile aux organismes de réglementation et à ceux qui sont favorables ou défavorables au projet.
M. Murillo : Je suis d'accord avec vous : on peut mieux faire les choses en incluant ces risques environnementaux. C'est assurément une des leçons que nous tirerons de la réunion.
Le sénateur Mercer : Nous serons ravis de vous inviter à nouveau lorsque vous aurez réalisé une telle étude.
M. Murillo : Bien sûr. J'aimerais soulever un dernier point à la lumière de ce que j'ai dit plus tôt. Lorsque nous avons réalisé ces analyses des retombées économiques de ces projets d'oléoduc précis, nous l'avons fait selon les directives de l'ONE. Encore une fois, on pourrait exiger dans le cadre du processus réglementaire que les évaluations ou les études sur les retombées économiques tiennent compte des risques potentiels sur l'environnement.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'aimerais faire suite à la question que je vous ai posée tantôt. En ce qui a trait à la période pendant laquelle on verra une diminution progressive de l'utilisation du pétrole pour basculer vers des énergies vertes, on parle d'un horizon de 30 ans. Les gens s'entendent pour dire que les pays industrialisés passeraient à des énergies plus vertes vers 2050.
On se retrouve donc devant deux possibilités. La première est de continuer à importer, pendant 30 ans, du pétrole provenant de pays dont les normes environnementales se situent en deçà des normes canadiennes. L'importation du pétrole signifie aussi sortir une masse de l'économie du Canada; on parle de 20 à 30 milliards de dollars, selon le coût du pétrole.
La deuxième possibilité pour le Canada est la consommation de ses propres richesses naturelles, qui sont exploitées selon des normes environnementales très strictes. Cela aurait un impact économique important quant à la capacité de générer ces recettes au Canada pour ensuite les investir dans les programmes sociaux et dans l'éducation.
Selon vous, laquelle de ces possibilités est la plus souhaitable pour les Canadiens?
[Traduction]
M. Murillo : La réalité, c'est que si on vend la production au Canada ou aux États-Unis ou encore ailleurs, ce sont quand même des entreprises locales qui en tirent des revenus, et l'argent revient au Canada d'une façon ou d'une autre. La différence consiste à déterminer si on tente de réaliser certains objectifs de politique publique, comme la sécurité énergétique, et là, on obtiendra un résultat différent. On pourrait ne plus vouloir importer de pétrole d'un pays précis ou d'un autre. C'est là où la question change, et il y a aussi la question de savoir si ces importations minent notre économie. C'est là où cette question se pose.
Pour ce qui est d'utiliser une plus grande partie de notre production, ce serait idéal. Puis, l'élimination de ces importations de pétrole le serait encore plus d'un point de vue économique. Cependant, encore une fois, l'enjeu principal actuel, c'est d'obtenir la meilleure valeur possible pour nos ressources. En ce moment, nous n'obtenons pas la valeur maximale en raison des contraintes touchant les oléoducs. La situation changera si nous avons plus d'oléoducs pour transporter le pétrole ou si l'on facilite le transport par oléoducs.
La sénatrice Unger : J'ai une petite question à vous poser au sujet des gens dont les activités de lobbyisme sont financées par d'autres pays qui n'ont assurément pas l'intérêt du Canada à cœur. Ne devrait-on pas interdire la participation de tels groupes?
Nous avons déjà accueilli un témoin qui, au sujet de cette notion nébuleuse d'acceptation sociale, a déclaré que chaque personne au Canada qui veut comparaître devant l'ONE devrait pouvoir le faire, d'un extrême à l'autre. Au moins, cette personne représentait un groupe canadien. Ces personnes ne représentent personne, à part ceux qui leur donnent leur chèque de paye. Devrait-on leur interdire de se prononcer?
M. Murillo : C'est une question tendancieuse.
La sénatrice Unger : Faites comme vous l'entendez.
M. Murillo : Je crois que c'est dans le cadre du processus réglementaire qu'il faut déterminer qui a le droit de participer ou non. Je crois que c'est au responsable du processus réglementaire de trancher.
Je ne crois pas que tout le monde devrait être invité. Je crois que tout le monde devrait avoir le droit de formuler des commentaires. C'est une composante d'un processus démocratique et d'un processus qui est plus transparent. Cependant, si on décide d'aller dans l'autre direction et qu'on limite la participation aux personnes qui vivent le long du corridor de l'oléoduc ou quelque chose du genre, pour présenter les choses d'un point de vue très étroit, beaucoup de personnes feraient valoir que ce n'est pas non plus nécessairement le bon processus.
Il faut trouver un juste équilibre entre la détermination des intervenants qui peuvent participer ou non tout en s'assurant que le processus reste efficient afin d'éviter que se reproduisent des situations comme celle de l'oléoduc de la vallée du Mackenzie ou du gazoduc de la route de l'Alaska. Cependant, je ne crois pas que c'est à moi de déterminer qui devrait pouvoir participer au processus ou non ou ni si ces gens ont l'intérêt du Canada à cœur ou non. Selon moi, c'est au processus réglementaire de définir clairement ces limites afin d'éviter cette situation, si c'est le cas.
Le sénateur Lang : Je vois que l'heure avance, mais j'aimerais porter à l'attention des membres du comité — car là d'où je viens, nous sommes voisins de l'Alaska — qu'il y a un oléoduc pétrolier en Alaska qui a été construit au début des années 1970. Il surmonte tous les obstacles possibles que présente le territoire de l'Alaska et celui de l'Amérique du Nord en fait. L'oléoduc passe du pergélisol à des zones montagneuses en passant par la toundra et traverse des zones sismiques.
Cet oléoduc précis offre depuis maintenant près de 40 ans — et continue d'offrir — aux gens de l'Alaska une assise socioéconomique importante. En fait, il s'est agi du plus grand producteur de pétrole pendant des années, mais il a perdu du terrain.
Pour ce qui est de la question des risques et des avantages, les risques ont été quasiment négligeables, sauf pour l'incident de l'Exxon Valdez, qui nous a appris beaucoup de leçons, que les Alaskiens ont apprises, tout comme les Américains et les Canadiens aussi.
Je veux revenir à la question de votre thèse ou de la prémisse de votre rapport ou peut-être parler de ce que vous ferez à l'avenir dans de prochains rapports. Ce que je ne comprends pas bien, c'est que vous n'avez pas souligné l'importance de la sécurité énergétique, comme quelqu'un en a parlé plus tôt, pour le Canada, de façon à ce que nous puissions prendre nos propres décisions et que nous ayons accès nous-mêmes à nos côtes et puissions assumer nous- mêmes nos responsabilités, plutôt que d'attendre que des présidents prennent des décisions pour nous, comme dans le cadre du projet Keystone. On dit que c'est intangible, mais ce ne l'est pas, parce qu'il y a un prix qui y est associé, et le temps joue contre nous dans ces dossiers. Si nous avons de tels amis qui reportent des décisions si longtemps, ce ne sont pas nos amis.
M. Murillo : Je comprends le point que vous soulevez. Lorsqu'on tente de quantifier une telle chose. Nous n'en avons pas nécessairement tenu compte parce que c'est davantage un objectif de politique publique et nous pourrions avoir l'air de promouvoir quelque chose, mais nous ne tentons pas de défendre un projet précis plutôt qu'un autre. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles nous ne choisissons pas un gagnant ou un perdant parmi les différents oléoducs.
La sécurité énergétique est un objectif formidable à atteindre, si nous voulons avoir accès à nos propres ressources partout au pays. C'est très important. Cependant, en tant qu'organisation non partisane qui s'appuie sur des données probantes, nous devons avancer avec prudence quant au type d'évaluation que nous réalisons afin de ne pas avoir l'air de préférer un projet précis plutôt qu'un autre. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous n'abordons pas ce thème.
Le vice-président : Merci, monsieur Murillo. Notre temps est écoulé. Je vous remercie de votre participation aujourd'hui.
Nous poursuivons notre étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut. Je suis heureux de présenter notre prochain témoin, M. Pierre Desrochers, professeur agrégé au Département de géographie de l'Université de Toronto. Merci de participer à notre réunion, monsieur Desrochers. Veuillez commencer votre exposé de cinq minutes. Les sénateurs pourront ensuite vous poser des questions.
Pierre Desrochers, professeur agrégé, Département de géographie, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup. Mon exposé est fondé sur les quelques articles que j'ai publiés dans le passé et qui sont accessibles gratuitement en ligne, de pair avec un article plus étoffé qui vous a été envoyé, mais qui n'a pas été traduit. Afin de ne pas dépasser cinq minutes, je crois que nous devrions passer quelques images que je vous ai envoyées en revue. Je vais vous présenter mon point de vue personnel et celui de ma collaboratrice et collègue, Joanna Szurmak. C'est une analyse de haut niveau ou, peut-être, pour être plus exact, une critique du point de vue de l'acceptabilité sociale nécessaire au moment de construire des oléoducs.
Si vous regardez la première image, c'est un dessin humoristique qui résume le principal problème lié à la notion d'acceptabilité sociale. Le point de vue humoristique, c'est que la notion d'acceptabilité sociale n'est pas définie et est illimitée. La vraie blague, c'est qu'il n'existe rien de tel qu'un formulaire d'acceptabilité sociale. Personne ne sait ce dont il s'agit ni de quelle façon on peut l'appliquer.
Comme vous le savez peut-être, la notion d'acceptabilité sociale a été créée dans le contexte d'économies moins développées, où les institutions ne sont jamais à la hauteur des normes que nous avons ici, au Canada. Cependant, de plus en plus, au cours des dernières années — si vous regardez la quatrième diapositive —, la notion d'acceptabilité sociale est essentiellement devenue, dans les économies avancées, une permission accordée à ceux qui nient les avantages du carbone pour arrêter tout développement économique. L'argument que j'essaie de présenter dans mon exposé, c'est que le principal problème lié à ce point de vue, c'est qu'on tient ces avantages pour acquis. Les avantages qu'on peut seulement attribuer aux combustibles carbonés ne peuvent pas être tenus pour acquis.
Si on veut se rappeler le bon vieux temps — l'image suivante — ce qu'on voit là est une peinture de la dernière famine survenue en temps de paix en Europe, qui a sévi en Finlande, pas en Irlande. Vous pouvez voir des gens qui pratiquent une agriculture sur brûlis, qui essaient essentiellement de produire des aliments dans un environnement similaire aux Laurentides, ici. Vous pouvez voir la fille dans le milieu, et constater à quel point elle semble heureuse. L'idée, c'est que les gens pauvres, avant l'arrivée des combustibles carbonés, pouvaient causer beaucoup de dégâts à l'environnement. C'est quelque chose que nous avons oublié de nos jours. Nous ne comprenons pas les avantages environnementaux des combustibles carbonés.
Une autre façon de comprendre la situation, c'est de regarder la prochaine image, qui présente un groupe de baleiniers hollandais qui montent au Nord vers la Norvège afin de produire, au bout du compte, de l'huile de baleine, la meilleure source d'éclairage à l'époque. Cependant, comme vous pouvez le voir sur la peinture, ils récoltent toute la biomasse qu'ils peuvent, et cela inclut un baleinier hollandais qui essaie de tuer un ours polaire à l'aide d'un bâton. Je présume que le peintre n'avait pas accompagné les baleiniers et qu'il ne comprenait pas de quoi ont l'air les ours polaires. Essentiellement, avant les combustibles carbonés, nos ancêtres éloignés exploitaient les ressources de la planète. Ce n'est pas parce qu'ils étaient pauvres et peu nombreux qu'ils n'ont pas eu un impact environnemental majeur.
La diapositive suivante porte sur les millions de personnes qui continuent de mourir aujourd'hui parce qu'elles n'ont pas accès à des combustibles carbonés. On parle ici de vrais décès, pas de décès générés dans des modèles informatiques. De 3 à 5 millions de personnes meurent par année après avoir brûlé toutes sortes de biomasses de piètre qualité dans leur maison, et des millions d'autres souffrent de maladies chroniques après avoir respiré de la fumée produite par des carburants de piètre qualité; il s'agit surtout de mères et de jeunes enfants.
La prochaine diapositive concerne les conditions de vie avant les voitures propulsées par des combustibles carbonés. L'image en haut à gauche représente un balayeur de rue à New York qui ramasse les excréments produits par l'un des dizaines de milliers de chevaux de trait qui arpentaient les rues de New York. L'image à droite représente un embouteillage à Londres. Essayez d'imaginer l'odeur d'urine et les épidémies de choléra qui étaient liées au fait de vivre dans de telles conditions. Alors oui, les voitures ne sont pas parfaites, mais si vous regardez ce qu'elles ont remplacé, on parle d'un progrès important.
Les diapositives qui suivent décrivent la transition entre ce qu'on a appelé l'ère des énergies renouvelables et l'émergence des combustibles carbonés au XIXe siècle. On parle ici des États-Unis, et le message que je veux vous communiquer, c'est que l'humanité n'a pas simplement procédé à un changement qualitatif en passant de la biomasse aux combustibles carbonés; il s'agissait aussi d'un changement quantitatif en ce qui concerne la quantité d'énergie à laquelle les êtres humains avaient accès. Il n'y avait tout simplement pas suffisamment de biomasse pour créer le monde moderne. L'humanité devait extraire des combustibles fossiles du sol.
L'un des avantages que nous tenons pour acquis concerne, entre autres, les transports modernes. Je suis géographe de formation. Je devais bien intégrer une carte quelque part. Si vous regardez la carte, vous verrez en blanc les seules routes commerciales qui étaient rentables à l'âge de la voile. Il fallait donc composer avec les vents et les courants océaniques, et on pouvait seulement aller à quelques endroits. Puisque les navires étaient fabriqués à partir de biomasse, du bois, ils avaient une taille maximale.
Le 19e siècle est arrivé et, avec lui, les combustibles carbonés et les navires en acier. Soudainement, c'est tout le monde qui s'est ouvert, et l'humanité a donc pu spécialiser la production dans les meilleures régions du monde. La productivité a augmenté, et, entre autres, les famines ont disparu. Les combustibles carbonés et les transports modernes ont mis fin aux famines parce que, historiquement, lorsque la plupart des sources d'alimentations étaient locales, comme c'était le cas avant l'âge des combustibles carbonés, deux mauvaises récoltes de suite entraînaient une famine.
Nous vivons maintenant dans un monde où nous sommes nés, entourés de produits synthétiques. Nous vivons entourés de tels produits et nous mourons entourés de tels produits, et beaucoup de personnes voient là une dépendance. Cependant, j'aimerais faire valoir que, en fait, la situation s'apparente davantage à celle à notre relation avec des aliments nutritifs. Nous ne sommes pas dépendants du pain complet, de l'eau potable, de toutes ces bonnes choses qui ont permis à l'humanité de prospérer.
Voici une diapositive sur l'espérance de vie. Il y a environ 200 ans, lorsqu'on a commencé à utiliser du charbon, l'espérance de vie moyenne dans les économies avancées était environ de 32 ans. Aujourd'hui, nous en sommes à environ 80 ans. Pour inculquer cette idée à mes étudiants, je leur dis de regarder la personne à leur gauche et la personne à leur droite. Je leur souligne que, s'ils étaient nés en 1750, seulement l'un des trois serait vivant aujourd'hui. Il y a des avantages au développement économique.
Ce n'est pas tant que nous sommes plus nombreux et que nous vivons plus longtemps que nos ancêtres : nous sommes aussi physiquement différents. Un certain nombre de démographes et d'économistes ont souligné que nous sommes beaucoup plus grands et beaucoup plus en santé que nos ancêtres.
Vous connaissez peut-être ces avantages, mais je vais conclure en parlant de certains des avantages environnementaux que nous tenons pour acquis. La prochaine diapositive est une image produite en 1861, alors qu'on commence à utiliser du pétrole, et vous pouvez voir un groupe de cachalots célébrer l'arrivée du pétrole. Pourquoi? C'est parce que le kérosène est le premier produit tiré du pétrole et, évidemment, ce qui est arrivé à l'époque, c'est que l'humanité a commencé à remplacer les ressources qu'elle exploitait à la surface de la planète par des ressources souterraines.
La prochaine diapositive est plutôt dramatique. C'est l'évolution du couvert forestier aux États-Unis. En un mot, vu la faible productivité de nos ancêtres, le couvert forestier américain a été à son plus bas vers les années 1920, mais, depuis, il y a eu d'incroyables améliorations sur le plan de la productivité agricole et de la spécialisation régionale, et on a remplacé la biomasse par des produits venant de sous la terre, ce qui a entrainé une remarquable reforestation des États-Unis et de toutes les économies avancées du monde.
Pour ce qui est de la diapositive sur les changements climatiques, j'y reviendrai plus tard.
Ce que je veux dire, c'est que nous ne vivons pas dans un monde où nous avons dégradé un climat sécuritaire en raison du pétrole; plutôt, nous avons pris un climat qui était très dangereux pour les êtres humains et nous l'avons rendu plus sécuritaire grâce à des infrastructures, de meilleurs aliments, des systèmes d'avertissement précoce et la capacité de déplacer les gens.
Des solutions de rechange existent depuis très longtemps. C'est la dernière diapositive.
La première image vient du début du XXe siècle. On peut pomper de l'eau gratuitement, on peut utiliser le vent, il n'y a pas de coûts, mais les gens utilisent des génératrices au diesel pour une raison. Il y a de réels avantages aux combustibles fossiles qu'il ne faut pas tenir pour acquis.
Je suis sûr de vous avoir fourni suffisamment de matière à réflexion pour que nous puissions avoir une discussion fructueuse. Merci beaucoup.
Le vice-président : Monsieur Desrochers, merci de nous avoir présenté un exposé très intéressant et très judicieux. J'ai trouvé intéressant que vous mentionniez le kérosène. Bien sûr, c'est un produit qui a été mis au point en Nouvelle- Écosse par Abraham Gesner. Il a été le premier à le faire dans le monde.
M. Desrochers : Je m'assure que mes étudiants apprennent des choses à son sujet.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Bonsoir, monsieur Desrochers. Merci de votre travail et de votre présence ce soir. C'est très apprécié.
Vous avez écrit beaucoup sur l'importance des produits dérivés du pétrole dans nos vies. Vous en avez fait mention dans votre présentation, et votre mémoire est très intéressant à ce sujet. Vous précisez que le pétrole est la forme d'énergie liquide la plus fiable que connaisse l'être humain. Une partie de vos travaux porte sur les multiples façons dont le pétrole a contribué à de grandes avancées dans la société. Vous reconnaissez cependant que notre relation avec les produits pétroliers n'est pas sans risque.
Selon vous, quels sont les plus grands risques liés à notre dépendance aux produits pétroliers et quels seraient les meilleurs moyens de les atténuer?
M. Desrochers : D'abord, je m'oppose poliment à la notion de dépendance envers les produits pétroliers. Comme je le mentionnais au début, les produits pétroliers sont apparus parce qu'on manquait de biomasse. Par exemple, il n'y a pas suffisamment de coton sur la terre pour vêtir les gens, il n'y a pas suffisamment de laine ni de combustibles; il n'existe pas d'alternative au pétrole dans le secteur des transports.
Bien sûr, des problèmes se posent. Il se produit parfois des déversements, comme on l'a vu à Kalamazoo et à d'autres endroits. Toutefois, dans l'ensemble, si on considère le progrès comme étant la création d'un problème moins important que ceux qui existaient auparavant, je prétends que, sauf dans certains cas inévitables, le pétrole et le gaz naturel étant des matières dangereuses, des accidents et des déversements sont voués à se produire. On doit donc chercher à réduire ces risques.
À titre de véritable alternative, le pétrole est beaucoup moins dommageable pour nos écosystèmes et nos vies que les autres solutions proposées en ce moment. Évidemment, on doit faire mieux quant à sa production, à son transport et à sa transformation. Cependant, je considère que, dans une perspective qui tient compte des coûts et des bénéfices de toutes les solutions dont nous disposons, il s'agit en général de problèmes techniques que nous devrions pouvoir régler. Je ne vois pas de grands problèmes par rapport aux autres solutions.
La sénatrice Saint-Germain : J'insiste sur le mot « dépendance ». Vous dites que, en termes de solutions, elles sont même plus dommageables et qu'il y en a peu. Je pense aux énergies hydroélectrique et éoliennes. Vous proposez que, d'ici à ce que d'autres solutions plus écologiques et moins dommageables soient trouvées, donc en mettant à l'écart l'hydroélectricité et l'énergie éolienne, nous continuions à développer l'industrie pétrolière, tant pour les importations que pour les exportations. N'est-ce pas là une façon d'accroître notre dépendance et de retarder la recherche et la mise en œuvre d'autres solutions? À la lumière de votre présentation, ne serait-ce pas là justement une façon de faire en sorte qu'on évolue vers une solution à la fois économique, sociale et environnementale plus acceptable?
M. Desrochers : Je ne partage pas votre prémisse à ce sujet, parce que le pétrole n'est pas en compétition avec l'énergie éolienne et l'hydroélectricité. Le charbon et le gaz naturel le sont, mais le pétrole est essentiel dans le domaine des transports et la production de produits synthétiques. L'énergie éolienne et l'hydroélectricité ne produisent que de l'électricité, et non des produits synthétiques comme l'asphalte et les nombreux produits dérivés du pétrole. Il ne s'agit donc pas des mêmes marchés. Si vous voulez mettre de l'avant des solutions de rechange comme l'énergie éolienne et l'hydroélectricité, vous vous tournez vers le charbon et le gaz naturel, et non pas vers le pétrole. Selon moi, il n'y a pas de lien entre les deux.
La sénatrice Saint-Germain : Intéressant. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Unger : Merci, monsieur Desrochers, d'être là.
Dans votre mémoire, vous avez fourni des renseignements intéressants au sujet des origines de la notion d'acceptabilité sociale. Vous avez mentionné précisément que le mouvement visant à obtenir l'acceptabilité sociale vise à perturber ou supplanter des processus établis démocratiquement. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Desrochers : La notion d'acceptabilité sociale a été formulée au départ dans des pays où il y avait des projets d'exploitation des ressources naturelles, surtout des exploitations minières, et où les institutions gouvernementales étaient — disons-le ainsi — de piètre qualité. Au Canada, nous avons bâti beaucoup d'infrastructures au cours des deux derniers siècles, et beaucoup de personnes ont participé. Oui, tout n'était pas parfait, et certains groupes n'ont probablement pas bénéficié du genre de traitement qu'ils méritaient, mais, dans une société démocratique, je crois que les gens qui devraient avoir le dernier mot dans le cadre de tels projets, ce sont les personnes qui seront directement touchées. Selon moi, le problème avec la notion d'acceptabilité sociale, c'est qu'il y a des groupes de personnes qui tiennent les avantages des combustibles carbonés, du pétrole, pour acquis et qui ne reconnaissent pas que, encore une fois, il n'y a pas de solution de rechange. Je ne dis pas que la plupart des gens sont paresseux, mais personne n'aurait pris le temps de mettre au point des produits à base de pétrole s'ils n'avaient pas été au moins un peu moins problématiques que les solutions de rechange concrètes qui existaient avant. Par conséquent, un certain nombre de ces groupes, comme je l'ai déjà dit, refusent de reconnaître ces avantages ou les tiennent simplement pour acquis sans comprendre qu'il n'y a pas de réelle solution de rechange. Ils en sont venus à cette notion selon laquelle leur point de vue est supérieur à tous les autres et qu'ils peuvent en quelque sorte contourner les approches traditionnelles liées au droit de propriété privé associé à ces projets ou même contourner le processus démocratique.
Donc, dans mon article et dans mes travaux des quelques dernières années, j'ai essayé de mettre en lumière quelques faits supplémentaires — des vérités qui dérangent vraiment ou, au moins, de brosser un portrait global de la situation. Je crois qu'il va contre la démocratie de bloquer le progrès et le développement sans comprendre les avantages qui en ont découlé, mais c'est mon opinion personnelle. Ce sont les gens qui sont directement touchés qui devraient avoir le dernier mot par rapport à ces projets. Bien entendu, en tant que société, nous devons pouvoir débattre de ces questions, mais j'ai l'impression que beaucoup de ceux qui s'opposent à ces projets ne veulent tout simplement pas débattre du sujet.
La sénatrice Unger : Merci. Je suis Albertaine, et — bien sûr — quand ces manifestants ont commencé à apparaître d'un bout à l'autre du pays — c'est ce qu'il m'a semblé —, je me suis demandé d'où ils venaient, pourquoi ils étaient ici et d'où ils tiraient leur financement pour pouvoir se rendre ici et là en avion. Une année ou deux plus tard, j'ai appris qu'ils étaient financés par des groupes d'intérêt spécial établis surtout au sud de la frontière. Je voulais savoir si, selon vous, ces gens qui n'ont aucun intérêt direct envers le Canada ou le bien du pays devraient avoir le droit de protester même lorsque, dans la plupart des cas, ils ne sont pas des amis du Canada?
M. Desrochers : Je suis pour la liberté de parole. En tant qu'universitaire, c'est une question qui me tient à cœur ces jours-ci, croyez-moi.
Tout ce que je vais dire, c'est que je n'ai aucun problème à ce qu'ils expriment leurs préoccupations. Après tout, le marché pétrolier est un marché mondial. L'exploitation pétrolière peut se faire en Alberta, mais je n'ai pas à vous dire qu'une grande quantité de pétrole finira aux États-Unis. Donc, je n'ai aucun problème à ce que les gens expriment leurs préoccupations, mais, selon moi, c'est autre chose lorsqu'il s'agit de bloquer les projets en insistant sur le concept vague et mal défini de l'acceptabilité sociale.
Pour être honnête, je ne m'intéresse pas à qui les finance. J'aimerais pouvoir débattre avec eux des idées et examiner avec eux les coûts et les avantages véritables liés aux combustibles fossiles, mais j'espérerais quand même qu'ils respecteront les institutions canadiennes ainsi que le processus démocratique. Ils peuvent être financés par les Américains, les Russes ou les Saoudiens, peu m'importe. Je suis un universitaire; j'aime débattre sur des idées, et je serais prêt à débattre avec eux s'ils le voulaient.
Le sénateur Mercer : Je vous remercie d'être ici. Je ne peux m'empêcher de penser que les étudiants dans votre cours doivent apprécier l'échange d'idées qui a lieu dans votre salle de classe.
M. Desrochers : Ils me disent souvent qu'ils n'ont jamais eu de professeur comme moi.
Le sénateur Mercer : Nous non plus, et je vous en remercie.
À propos de l'acceptabilité sociale — ou l'adhésion sociale —, si vous consultez notre rapport provisoire, vous verrez que nous avons choisi de ne pas utiliser ce concept. Le comité en a discuté et a choisi d'utiliser « l'intérêt public » à la place afin de contourner le sujet comme le fait la notion d'acceptabilité sociale. Je trouve que vous avez fourni une description très intéressante de la vraie nature de l'acceptabilité sociale.
Vous avez mentionné que le taux de mortalité lié à la piètre qualité des combustibles à usage énergétique, entre autres, se chiffrait entre trois et cinq millions de personnes. D'abord, j'aimerais voir des données à ce sujet, parce que ce serait très pratique pour renforcer l'argument selon lequel nous devons continuer d'utiliser des produits pétroliers. Ensuite, vous avez parlé des avancées dans l'utilisation des produits pétroliers et du fait que même si quelqu'un mettait au point une voiture électrique fonctionnelle ou d'autres sources d'énergie utilisables, les besoins pétroliers du monde ne vont pas s'évaporer simplement parce que quelqu'un a mis au point une voiture utilisable et abordable. C'est un sujet dont nous reparlerons après la fin de la présente étude. D'après vous, la demande pour des produits pétroliers va- t-elle persister à long terme? C'est que, comme vous l'avez dit dans votre exposé, beaucoup de régions du monde, contrairement à nous, n'ont toujours pas accès aux avantages des produits pétroliers dont certaines personnes se plaignent.
M. Desrochers : Vous le savez probablement, mais la voiture électrique existe déjà depuis une centaine d'années. Elle représente depuis toujours la solution de l'avenir, et cela fait maintenant plus d'un siècle. À l'aube du XXe siècle, les voitures électriques faisaient compétition non seulement au moteur à combustion interne, mais aussi au moteur à vapeur, au propane ou au kérosène, au Stanley Steamer et tout le reste.
Comme vous pouvez le voir à partir de mon travail, je m'intéresse beaucoup à l'histoire de la technologie, et je peux vous dire que les gens prédisent la fin du pétrole et du moteur à combustion interne depuis un bon moment. Actuellement, les seules voitures électriques que nous avons sont des jouets de riches comme la Tesla, quelque chose qu'on ne peut pas produire en grandes quantités et qui n'est pas abordable pour la plupart des gens, ou des voitures électriques qui sont produites surtout parce que le gouvernement l'a mandaté, comme c'est le cas en Californie. Selon moi, le marché des voitures électriques se résumerait encore aux jouets de riches sans ces mandats. Voyez-vous, il y a des défauts inhérents aux batteries qui font en sorte qu'elles ne peuvent tout simplement pas concurrencer le moteur à combustion interne. En outre, les gens croient souvent que les grandes sociétés pétrolières ont comploté pour se débarrasser de la voiture électrique il y a 100 ans. Mais les grandes sociétés pétrolières n'étaient pas grandes à cette époque. Les entreprises de charbon étaient beaucoup plus puissantes au début du XXe siècle.
Le moteur à combustion interne a remporté une victoire définitive pour des raisons valides et pratiques, et tant que nous utiliserons la technologie actuelle pour les batteries, il est peu probable que la voiture électrique soit en mesure de l'emporter sur le moteur à combustion interne dans l'avenir.
J'espère qu'on verra cela un jour. Si on peut tirer une chose de l'histoire, c'est qu'on ne sait jamais ce dont l'avenir sera fait; il se pourrait qu'une autre forme d'énergie — comme celle dans Star Trek ou d'autres émissions de science- fiction, peu importe son nom — va être découverte pour remplacer le pétrole. Toutefois, je doute que n'importe quelle forme actuelle de la technologie des batteries puisse remplacer le moteur à combustion interne. En plus, je crois qu'il n'y aurait aucune voiture uniquement électrique sur les routes en ce moment sans subventions.
Le sénateur Mercer : Vous soulevez un point intéressant en disant « sans subventions », parce que si c'était économique et rentable, toutes les entreprises se jetteraient dessus.
M. Desrochers : Ce serait la même chose que pour les cellulaires. Personne n'a subventionné cette infrastructure pour rendre cela possible. Tant qu'il y a un marché, quelqu'un va l'exploiter. Même si on regarde l'histoire de l'industrie pétrolière, beaucoup de gens semblent oublier que le pétrole a remplacé le charbon. Avant, on utilisait le charbon dans le transport ferroviaire, puis le diesel est arrivé. On n'a pas eu besoin de subventions pour aider le diesel à remplacer le charbon. Le diesel était un liquide, il était plus facile à transporter et il brûle plus proprement que le charbon. Aussi, il peut générer plus d'énergie. Pour résumer, si on découvre des technologies supérieures, le marché s'occupera de les rendre accessibles.
Le sénateur Mercer : Sans subventions.
Le sénateur Lang : Vous voudrez peut-être réagir aussi à ce que je vais dire, puisque cela fait suite aux questions du sénateur Mercer. Dans les faits, si les démographes disent vrai, la population de la planète devrait augmenter de deux milliards de personnes au cours des 30 prochaines années, et j'imagine que chacune de ces personnes va vouloir la même qualité de vie que celle dont vous et moi jouissons. Il est donc simple de voir qu'il y aura un besoin pour les combustibles fossiles pendant longtemps, à moins qu'un miracle se produise et mette fin à ce besoin.
Si on garde cela à l'esprit ainsi que ce que le Canada a à offrir, alors nous devrions, aux échelons provincial et fédéral, faire tout en notre pouvoir pour veiller à exploiter nos ressources de façon responsable afin d'en tirer pleinement parti pour tous les Canadiens.
Cela dit, vous avez assisté au témoignage de l'autre témoin ainsi qu'au débat sur le processus réglementaire et ses failles potentielles. En tant que personne éduquée et bien renseignée, avez-vous des suggestions ou des recommandations à faire au comité sur la façon dont le processus pourrait être transformé ou modifié afin de faire en sorte qu'il fonctionne et qu'il réponde aux objectifs souhaités par le grand public?
M. Desrochers : J'ai quelque chose à vous dire à propos de votre commentaire précédent sur la population mondiale. Je tiens à rappeler aux membres du comité qu'avant les combustibles carbonés, il y avait environ un milliard d'êtres humains sur la planète, et ils ne vivaient ni bien ni vieux. Aujourd'hui, nous sommes plus de sept milliards, et même les pauvres vivent plus longtemps et en meilleure santé que nos ancêtres.
J'ai un commentaire à faire sur l'article que je vous ai envoyé, à propos du passage où un journaliste dit que notre dépendance aux combustibles fossiles pourrait entraîner la mort de milliards de personnes si nous n'y mettons pas fin. En vérité, il n'y aurait pas sept milliards d'êtres humains sur terre sans les combustibles fossiles. L'humanité n'en serait pas où elle en est aujourd'hui. C'est quelque chose qu'il faut garder à l'esprit.
Je suis peut-être bien renseigné, mais pour ce qui est des consultations publiques, vous êtes les vrais experts. J'aimerais voir des gens discuter de problèmes précis d'un processus au lieu de les voir répéter, encore et encore, les mêmes choses à propos d'une façon de rationaliser potentiellement le processus lié à certains aspects des projets et demander aux gens d'accorder leurs violons. Notre pays compte assez d'activistes. Vous pourriez peut-être leur demander de rassembler leurs préoccupations et de débattre de questions précises, au lieu d'avoir quelqu'un qui répète encore et encore la même chose. Il y a peut-être une façon d'accélérer le processus. Mais, comme je l'ai dit, je n'y connais pas grand-chose; c'est vous les vrais experts. Je suis sûr que vos idées à ce sujet sont meilleures que les miennes.
Le sénateur Lang : Ce n'est pas nécessairement vrai. C'est pourquoi nous invitons des témoins à venir témoigner devant nos comités. Je veux reprendre une question de la sénatrice Unger. C'est une question qui avait été posée à un autre témoin, à propos du financement direct évident apporté par des groupes d'intérêts extérieurs à des personnes afin que celles-ci puissent intervenir dans le cadre de notre processus réglementaire. Pour être honnête, c'est quelque chose qui me préoccupe parce qu'un grand nombre de Canadiens ne réalisent pas ce qui se passe. Afin de répondre pleinement au principe de transparence, croyez-vous que ce serait une bonne idée de prendre des mesures législatives afin de veiller à ce que tout financement direct ou indirect accordé à une personne par une partie étrangère soit divulgué pendant le processus d'audience? Cela permettrait à tous de comprendre qui paie les violons.
M. Desrochers : Oh, bien sûr. La divulgation est une chose, mais je ne crois pas qu'on devrait les empêcher de...
Le sénateur Lang : Je ne dis pas qu'on devrait les empêcher de faire quoi que ce soit.
M. Desrochers : Il n'y a pas de problème avec la divulgation. Pour être honnête, j'ai déjà été financé par le passé par des fondations et des gouvernements américains. En ce qui concerne la divulgation, je suis de votre avis, bien sûr.
Le sénateur Runciman : C'est un point de vue qu'on n'entend pas souvent, et je voulais savoir... à propos de la liberté de parole, en particulier puisque vous venez de l'Université de Toronto où vous pouvez avoir des problèmes — vous pouvez perdre votre permanence — si vous n'utilisez pas les bons pronoms. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence ici.
Je voulais savoir : quel est, selon vous, votre but. Évidemment, vous avez mis en relief des problèmes à propos de la définition de l'acceptabilité sociale ainsi qu'un certain nombre d'autres questions liées aux avantages des combustibles à base de carbone, de leurs produits dérivés, et cetera. Je serais curieux de savoir comment on vous traite par rapport aux positions que vous avez adoptées à ce sujet et quelle est la réaction, en général, de vos étudiants.
À propos de toute cette affaire de réchauffement climatique et du destin qui nous attend, après avoir écouté certains des points de vue les plus extrêmes, j'aimerais entendre votre opinion.
M. Desrochers : Je vais éviter d'employer un terme technique, mais disons que mes évaluations étudiantes sont très bimodales. Ce que je veux dire, c'est que soit ils m'adorent, soit, ils me détestent. Il n'y a pas beaucoup de personnes neutres, pour répondre à votre question sur la réaction de mes étudiants.
Je me plais à croire que je fournis un point de vue et des arguments qui ne sont pas assez débattus ou étudiés entre universitaires ou dans le public en général. Voilà l'avantage d'avoir sa permanence. Je peux prendre du recul, réfléchir et adopter un point de vue global de la situation.
Selon moi, l'un des problèmes dans le débat actuel sur les questions énergétiques tient au fait qu'un certain nombre de gens semblent oublier qu'on ne choisit pas la réalité. Les combustibles carbonés ne sont pas parfaits, mais je crois que la norme pour le progrès devrait être de créer moins de problèmes que les technologies passées; c'est le message que j'essaie de faire passer.
On n'a jamais vu de transitions radicales à d'autres sources d'énergie dans le passé. Ce genre de choses prend des décennies. Le charbon a été le combustible le plus utilisé au monde jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, ce que le public a tendance à oublier. On a commencé à exploiter le pétrole parce qu'il supposait moins de problèmes et présentait des avantages que le charbon n'avait pas. Malgré tout, je crois fermement qu'il faut éduquer les gens à propos de l'énergie, et je veux que ce soit là ma contribution.
Le sénateur Runciman : En ce qui concerne les préoccupations répandues à propos des changements climatiques — nous utilisons ce terme —, les pressions exercées par rapport à cela ont été d'une certaine aide en matière d'innovation; cela a mené à de nouveaux concepts, à de nouvelles percées et même, à certains égards, à des avantages économiques.
M. Desrochers : Oui. Mon cours sur les changements climatiques vous intéresserait peut-être. Chaque nouvelle génération s'est intéressée aux changements climatiques. Je ne sais pas si vous le savez, mais au XVIIIe siècle, le philosophe David Hume était préoccupé par la déforestation. Il croyait que cela modifiait le climat. Puis, de nouvelles technologies sont apparues. Au début du XXe siècle, beaucoup de gens croyaient que les tirs de canon pendant la Première Guerre mondiale avaient un effet sur le climat. Quand les avions supersoniques sont apparus, les gens ont pensé qu'ils avaient une incidence sur le climat. Puis, il y a eu les essais nucléaires, et les gens croyaient qu'ils influençaient le climat.
Toutes les générations se préoccupent de ce genre de choses. En partie, c'est parce que le climat change tout le temps. Il y a des cycles de refroidissement et de réchauffement, mais, au bout du compte, les préoccupations liées aux changements climatiques peuvent mener à de nouvelles technologies, à l'instar de toutes sortes d'autres problèmes.
Je me répète, mais on n'a pas commencé à utiliser les produits pétroliers parce que les gens étaient préoccupés par les changements climatiques; c'était parce que les gens ont réalisé qu'un combustible liquide possédait un certain nombre d'avantages par rapport à un combustible solide, soit le charbon. Au cours de l'histoire, nous avons assisté à d'incroyables progrès pour toutes sortes de raisons. Cependant, parallèlement à cela, un point de vue excessivement pessimiste pourrait, d'un point de vue stratégique, finir par engloutir des ressources qui pourraient être utilisées à de meilleures fins, comme combattre la malaria ou la pollution intérieure, des choses qui tuent des millions de personnes de nos jours. Plutôt, les ressources sont déployées pour réagir à des scénarios hypothétiques qui pourraient avoir lieu dans l'avenir.
La sénatrice Galvez : J'aime les géographes parce qu'ils sont très bons pour faire des liens entre l'histoire, l'environnement et les problèmes. Je suis d'accord avec le fait que la technologie a évolué. Vous avez dit que la technologie a évolué au fil du temps, que nous sommes passés du charbon au pétrole. Toutefois, à la fin de votre témoignage, j'ai eu l'impression que vous disiez que cela s'arrêterait aux combustibles fossiles. C'est ce que j'ai cru comprendre. Si ce n'est pas le cas, alors tant mieux. Nous poussons la technologie plus loin afin d'améliorer notre qualité de vie et de vivre plus longtemps; même si on commence à prendre un peu de poids parce qu'on ne fait pas assez d'exercice.
Aujourd'hui, nous savons que le gaz carbonique libéré dans l'atmosphère provoque des changements climatiques, le réchauffement du climat. Il y a quelque chose que j'enseigne à mes étudiants :
[Français]
On ne parle pas de changements climatiques; on parle de bouleversements climatiques.
[Traduction]
J'utilise le terme « bouleversements » parce qu'il s'agit de changements extrêmes. Il y a certains endroits du globe où c'est très évident.
Cela prend des millions d'années pour créer du pétrole. Il faut des bactéries, de nombreux processus et de la pression. Nous, on l'extrait pour l'utiliser dans nos voitures. En outre, vous venez de dire que le pétrole est utilisé dans les médicaments, dans les matériaux, et cetera. Est-ce une bonne idée d'utiliser le pétrole pour nos voitures quand il y a l'électricité, le gaz et d'autres choses?
En plus, peut-on vraiment dire que le pétrole sera la dernière étape de la technologie parce qu'il n'y a pas d'autres solutions de rechange? De mon côté, je crois qu'au Québec et au Canada, nous avons d'autres sources d'énergie : l'énergie solaire, l'énergie éolienne, l'énergie de la biomasse, et tout le reste.
M. Desrochers : Je ne me suis peut-être pas exprimé assez clairement. Plus tôt, je voulais dire non pas que le pétrole est le summum du progrès technologique, mais qu'il n'y a aucune autre technologie actuellement qui pourrait remplacer les produits pétroliers. L'âge de pierre ne s'est pas terminé parce qu'il n'y avait plus de pierres; c'est parce que les gens ont mis au point de nouvelles technologies. La même chose est vraie du pétrole. Cependant, je ne crois pas que nous pourrons le remplacer par ce que nous avons en ce moment. Il faudra que ce soit quelque chose de différent.
À nouveau, je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir, mais je suis assez convaincu, avec tout le respect que je vous dois, que l'énergie éolienne n'est pas la solution.
Un certain nombre de raisons expliquent pourquoi la voiture électrique, qui existe depuis une centaine d'années, ne s'est jamais popularisée, par exemple l'énergie volumique. Essayez de faire démarrer une voiture électrique à moins 30 degrés. Vous venez du Québec. Essayez aussi de trop remplir le coffre avec votre épicerie, et vous venez de réduire la durée de vie de la batterie ou le kilométrage que vous pouvez en tirer. Allumez la climatisation ou le chauffage. Savez- vous combien d'heures cela va prendre pour recharger votre voiture?
Oui, le Québec est riche en électricité, mais malheureusement, l'électricité ne peut pas remplacer les produits pétroliers dans le secteur des transports, du moins avec les technologies dont nous disposons. Peut-être qu'une nouvelle technologie va nous permettre de produire des batteries qui vont invalider ce que je viens de dire. Mais, à nouveau, il y a une raison pour laquelle les produits pétroliers dominent complètement le secteur de transport, et c'est parce que l'électricité n'est pas une bonne solution de rechange. D'accord, il y a le métro de Montréal et les trains de banlieue, mais à part cela, il n'y a simplement aucune véritable place pour l'électricité dans le secteur des transports. Vous ne pouvez pas propulser un jet à l'électricité. Vous ne pouvez pas faire avancer un navire porte-conteneurs à l'électricité.
Malheureusement, l'électricité ne peut pas remplacer les produits pétroliers dans le secteur des transports avec la technologie dont nous disposons actuellement.
Le sénateur Runciman : Vous pourrez être un témoin dans le cadre de notre prochaine étude.
M. Desrochers : J'en serais ravi. Je ne sais pas quel est le sujet, mais...
Le sénateur Eggleton : Vous nous avez parlé des avantages offerts par le pétrole dans un grand nombre de domaines, y compris au fil du temps, mais qu'en est-il des dommages causés à l'environnement? Qu'avez-vous à dire à propos des changements climatiques et des programmes de réduction des émissions carboniques qui sont actuellement mis en œuvre par les provinces et le gouvernement fédéral? Le gouvernement fédéral a signé l'Accord de Paris, ce qui suppose des cibles à atteindre. Comment conciliez-vous vos positions avec cela?
M. Desrochers : Je dirais qu'il y a différentes façons de réduire les émissions carboniques. Avant tout, il faut éviter de fermer les centrales nucléaires, si c'est votre intention. Vous venez de l'Ontario, vous savez donc aussi bien que moi quels pays ont la plus faible empreinte carbonique au monde. Il y a des pays comme la Suède où la moitié de l'énergie vient du nucléaire — du moins, c'était le cas dans le passé —, et l'autre moitié, de l'hydroélectricité.
En outre, un problème que j'ai avec bon nombre de personnes qui souhaitent réduire les émissions carboniques, c'est le fait qu'ils sont réticents à adopter des approches qui fonctionnent. Prenez les résultats respectifs des États-Unis et de l'Union européenne au cours des deux dernières décennies : l'Europe a mis en place des politiques, des crédits de carbone et tout ce genre de choses. Ses émissions n'ont pas diminué.
Les États-Unis ont adopté la fracturation hydraulique, et, comme vous le savez, le gaz naturel, par rapport au charbon, produit environ la moitié moins d'émissions carboniques. De fait, les émissions de gaz carbonique aux États- Unis ont diminué. Pourtant, un grand nombre de personnes qui se préoccupent des émissions carboniques s'opposent aussi à la fracturation hydraulique et au fait de remplacer le charbon par le gaz naturel. Dans le contexte nord- américain, c'est une solution dont l'efficacité a été prouvée. Si nous pouvions laisser un grand nombre d'autres régions du monde adopter la fracturation hydraulique et remplacer le charbon par le gaz naturel, je crois que nous pourrions en tirer de nombreux bienfaits économiques. Cependant, bien peu d'activistes sont de cet avis.
Parallèlement, un grand nombre d'entre eux sont contre l'énergie nucléaire, ou alors ils s'opposent à la construction de nouveaux barrages. À un moment donné, on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Je suis partisan de ce qui fonctionne, et il me semble que ce sont les approches liées aux technologies qui fonctionnent. Du côté des approches liées aux politiques, le bilan est loin d'être reluisant.
Le sénateur Eggleton : Malgré tout, vous ne dites pas qu'il n'y a aucune solution de rechange. Vous avez justement parlé de l'énergie éolienne, par exemple. Vous venez aussi de parler de l'énergie nucléaire et d'autres sources d'énergie, mais vous les avez rejetées parce que, selon vous, les gens n'en veulent pas. Vous n'avez pas pris en considération le fait que ces sources d'énergie pourraient jouer un rôle dans la réduction des émissions carboniques.
M. Desrochers : Le fait est qu'il n'y a aucun pays qui a adopté l'énergie éolienne ou l'énergie solaire à si grande échelle que cela a permis de réduire l'empreinte carbonique, parce qu'il faut, évidemment, avoir une source d'énergie secondaire. Le problème avec l'énergie éolienne, c'est qu'il s'agit d'une source d'énergie intermittente faible. Elle suppose de construire un grand nombre de lignes de transmission à longue distance.
Prenez par exemple le cas de l'Allemagne ou de toute autre administration qui a beaucoup investi dans l'énergie de substitution pour sa production d'électricité. Par rapport à l'Allemagne, vous allez peut-être entendre dire que pour une heure par année, plus de la moitié d'électricité est produite grâce à des sources d'énergie renouvelable. Cependant, on parle de granules de bois, pas d'énergie éolienne. Si vous examinez les statistiques relatives aux émissions de gaz carbonique, l'énergie éolienne ne donne pas des résultats satisfaisants parce que, je me répète, on ne choisit pas la réalité. Il vous faut une source d'énergie secondaire, alors vous utilisez le charbon, un peu plus ou un peu moins, ou alors d'autres sources d'énergie. Les résultats ne sont pas au rendez-vous. Si vous voulez vraiment aller voir de ce côté, au moins, ne vous opposez pas à l'énergie nucléaire et encouragez le remplacement du charbon par le gaz naturel. La plupart des nouvelles sources de gaz naturel vont être produites par hydrofracturation.
Le sénateur Eggleton : Donc, vous dites que nous devons laisser tomber.
M. Desrochers : Ce n'est pas ce que je crois avoir dit. J'ai dit que nous avions besoin de nouvelles solutions. Nous avons besoin de solutions qui fonctionnent, qui nous donnent bonne conscience.
Le sénateur Eggleton : Ça, c'est laisser tomber.
Le vice-président : Je ne crois pas qu'on laisse tomber. Je ne crois pas non plus qu'il faut regarder ce qui se passe en Suède ou en Allemagne. Il suffit de regarder ce qui se passe en Ontario pour voir de nombreux exemples de la façon dont les choses évoluent.
Je m'intéresse à la question du gaz carbonique. Je ne fais pas partie de ces gens qui taxent d'autres d'être des climatosceptiques. Je ne vais pas dire cela de vous. Je me considère peut-être moi-même comme un climatosceptique. Je crois qu'il est possible que le climat soit en train de changer. Il y a d'importantes études scientifiques qui montrent que les glaciers reculent, tout comme les calottes glaciaires du pôle Sud. Il se passe la même chose sur Mars; tout cela arrive aussi sur Mars, et, d'après ce que j'en sais, il n'y a aucune activité humaine produisant du gaz carbonique sur Mars.
J'aimerais que vous vous exprimiez à propos de la production de gaz carbonique. Le Canada produit — c'est quelque chose qu'on nous a dit à de nombreuses reprises — 1,6 ou 1,7 p. 100 du gaz carbonique au monde. Bien entendu, on a voulu nous faire croire qu'il s'agit d'un poison, mais pour les végétaux, c'est un élément nutritif. Il y a environ 78 parties par million de CO2 aujourd'hui dans l'atmosphère terrestre. À une certaine époque, c'était 1 000 ou même 3 000 parties par million. À l'époque où il y en avait 3 000, le pôle Nord était un marécage. S'il fallait qu'on tombe à 34 parties par million, toute vie végétale sur la Terre disparaîtrait. À 78, nous n'en sommes pas loin. La marge est étroite.
Une dernière chose : les forêts du Canada absorbent environ quatre fois la quantité de gaz carbonique que nous produisons. Que pensez-vous de cette obsession pour la taxe sur le carbone, entre autres, et des politiciens qui veulent microgérer ces questions?
M. Desrochers : À nouveau, le but ultime de mon exposé était de rappeler aux gens que les émissions de gaz carbonique ne supposent pas que des problèmes; ils apportent aussi des avantages importants.
Une analogie que je n'ai pas faite tient aux vaccins, par exemple. Disons que les vaccins causent des effets indésirables chez 2 p. 100 de la population. Devrions-nous bannir les vaccins à cause de cela? Si vous portez toute votre attention sur ces 2 p. 100 en faisant complètement abstraction des avantages, alors la réponse pourrait être : « Eh bien, oui, il faut arrêter les vaccins. Regardez ces gens qui souffrent à cause d'eux. »
Je le redis, ma position n'est pas que les produits pétroliers sont parfaits. Cependant, ce que je dis, c'est qu'il faut peut-être prendre en considération la situation plus largement que nous l'avons fait jusqu'ici dans les débats sur les politiques. Même si j'admettais que certains des scénarios qui, à mon avis, exagèrent les coûts liés aux produits du carbone sont vrais, nous ne devrions pas en oublier les avantages. D'accord, nous allons peut-être perdre quelques glaciers, et le niveau de la mer va peut-être monter, mais comme vous le savez probablement, Amsterdam se situe à environ six mètres sous le niveau de la mer. Les gens riches peuvent s'adapter. Les gens riches peuvent vivre à l'aise à Edmonton ou à Singapour.
L'avant-dernière diapositive que j'ai montrée avait pour but d'illustrer que le taux de mortalité lié à des phénomènes météorologiques extrêmes a diminué de façon substantielle tout au long du XXe siècle. Même si notre production de CO2 avait quelques effets néfastes sur le climat, je crois que les richesses que nous pourrions en tirer nous permettraient de nous y adapter et de prospérer en tant que société. À nouveau, si vous prenez en considération les autres avantages, comme l'augmentation de la couverture forestière, une faune plus riche et le fait que le virage écologique dans certaines économies du globe peut être attribué, en partie, à la fertilisation par le gaz carbonique, je crois qu'il est justifié de dire que nous avons de la chance de vivre en 2017, et pas en 1817. C'est quelque chose qu'il faudrait garder à l'esprit plus souvent.
Pour finir, je veux dire que je ne suis pas un scientifique qui étudie le climat. Il y a peut-être des problèmes liés aux émissions carboniques, mais il y a hors de tout doute des avantages aussi, et nous ne devons pas les oublier.
Le vice-président : Monsieur Desrochers, je vous remercie beaucoup d'être venu témoigner ici ce soir.
Je veux dire une dernière chose : Mon meilleur ami est aussi un scientifique, et il dit toujours : « Écoutez, l'industrie pétrolière a sauvé les baleines et la planète. Il n'y a aucun doute là-dessus. »
Mesdames et messieurs, notre séance de mardi prochain se déroulera à huis clos. Avec nos analystes, nous allons nous pencher sur notre étude à venir sur les véhicules à conduite automatisée.
(La séance est levée.)