Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 14 - Témoignages du 11 avril 2017
OTTAWA, le mardi 11 avril 2017
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour poursuivre son étude des questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, ce matin, notre comité poursuit son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
[Traduction]
Nous recevons aujourd'hui deux groupes de témoins. Pour le premier groupe, nous recevons Kevin LaRoche et Robert Love, avocats et associés chez Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.
Borden Ladner Gervais est l'un des plus grands cabinets d'avocats au Canada et a publié l'an dernier un rapport sur les véhicules autonomes.
[Français]
Merci d'être avec nous. Je vous invite à commencer votre présentation.
[Traduction]
Kevin LaRoche, avocat et associé, Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. : Je vous remercie de m'offrir la possibilité de vous faire part de nos idées et de nos observations à propos des enjeux liés à l'arrivée sur les routes des véhicules connectés et automatisés. Je sais que le comité s'est penché sur la question. J'ai pu lire certains des témoignages que vous avez entendus. J'espère que nous pourrons les compléter ou à tout le moins répondre à certaines de vos questions.
Comme vous l'avez dit, mon collègue Robert Love et moi sommes avocats au sein du cabinet Borden Ladner Gervais. En ce qui concerne votre étude, je suis plutôt spécialiste de la propriété intellectuelle et de la cybersécurité, et Me Love est spécialiste de la responsabilité du fait du produit.
Nous avons entrepris la rédaction du livre blanc à la fin de l'automne 2015. Nous souhaitions décrire, à l'intention du bassin de clients très diversifié du cabinet, l'incidence probable de l'arrivée des véhicules autonomes. Les réactions à ce document ont été très nombreuses. Nous avons été surpris par le nombre de requêtes Internet, de demandes des clients, d'invitations à titre de conférenciers pour divers groupes comme les associations de camionneurs ou les associations d'urbanistes, ou d'appels des municipalités qui s'intéressent à ce sujet ou qui souhaitent obtenir notre avis.
Nous n'avons pas cherché à examiner de façon détaillée un sujet en particulier. Nous nous centrons surtout sur l'incidence de ces technologies sur l'ensemble de la société et de l'économie plutôt que dans le contexte d'un secteur économique en particulier.
C'est du moins mon champ d'intérêt. Je suis plutôt généraliste. Je m'intéresse aux répercussions sociales et économiques globales des véhicules autonomes. Quant à lui, Me Love, que je vous présente maintenant, a une approche un peu plus ciblée. Je vais lui laisser le soin de vous l'expliquer.
Robert Love, avocat et associé, Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. : Merci beaucoup. Je suis moi aussi très heureux d'avoir été invité à témoigner devant le comité.
Selon moi, l'aspect essentiel de l'avènement des véhicules autonomes est et devrait être le renforcement de la sécurité des Canadiens qui circulent sur nos routes, notamment les occupants des véhicules, les piétons, les cyclistes et les motocyclistes.
Il ne faut pas négliger les autres avantages des véhicules connectés et autonomes, mais ils sont secondaires par rapport à l'objectif principal, à savoir réduire le nombre de blessures et de décès.
Il s'agit d'un changement de paradigme : au lieu de réduire la gravité des blessures en cas de collision, on réduit la probabilité de la collision elle-même. Étant donné que 94 p. 100 des collisions sont imputables à un choix humain ou à une erreur humaine, et que les décès causés par des accidents de la route touchent 5 Canadiens sur 100 000, nous devons nous efforcer d'appuyer l'élaboration et le déploiement de cette technologie, à condition, bien sûr, que ce soit fait dans un souci de sécurité.
À cette fin, il faudra entreprendre un volume sans précédent d'activités de coordination et de collaboration dans les divers secteurs industriels, mais aussi — et c'est sans doute le plus important — dans tous les organismes gouvernementaux et à tous les ordres de gouvernement, tant au Canada qu'aux États-Unis et dans le reste du monde. Cela appelle un leadership proactif.
À l'échelle gouvernementale, ce leadership devrait se concrétiser par des énoncés de politique et des règlements clairs. Par exemple, aux États-Unis, la National Highway Transportation Safety Administration a publié sa politique fédérale sur les véhicules automatisés en septembre 2016, et propose maintenant d'apporter des changements aux normes fédérales sur la sécurité des véhicules à moteur, qui exigeraient des fabricants d'origine qu'ils intègrent la technologie de communication entre véhicules dans tous les nouveaux véhicules légers, afin de recueillir des données sur la vitesse du véhicule, la direction dans laquelle il circule et l'état de ses freins, et de les transmettre aux autres véhicules se trouvant dans un rayon de 300 mètres. La période de déploiement graduel pourrait débuter en 2021 et cette technologie serait obligatoire d'ici 2023. De nombreuses consultations auprès des représentants des gouvernements et de l'industrie sont déjà en cours.
Le véritable défi qui se présentera d'ici environ 10 ans ne tient pas aux véhicules autonomes et à leur technologie, mais à leur interaction avec les véhicules non autonomes et les infrastructures qu'on n'aura pas mises à niveau pour qu'elles soient compatibles avec les véhicules autonomes. C'est pourquoi la règle proposée aux États-Unis relativement à la technologie de communication entre véhicules est si importante, car elle aura une incidence positive à très court terme, et sera très peu coûteuse.
Je suis de plus en plus préoccupé par les véhicules autonomes de niveau 3, qui seront entièrement automatisés dans la plupart des situations. Le conducteur devra prendre le contrôle du véhicule dans certains cas, mais il n'aura pas à surveiller constamment la route. On attend du conducteur qu'il réagisse de façon appropriée aux demandes d'intervention, mais je ne suis pas certain que ce soit une attente réaliste, et cela risque de placer les conducteurs en situation d'échec.
Il est intéressant de noter que le nombre de collisions semble être en hausse, y compris avec des piétons. Même si l'on mène encore des études à ce sujet, on peut se demander si ce n'est pas le fait de conducteurs distraits et de piétons distraits. Il se peut que les véhicules de niveau 3 ne fassent qu'exacerber ce problème. Il faut faire des études plus détaillées avant d'autoriser des véhicules de niveau 3 sur nos routes.
Les possibilités créées par les véhicules autonomes ont attiré un grand nombre de nouveaux acteurs sur ce marché. Puisque ces nouveaux intervenants ne connaissent pas nécessairement très bien les processus de conception, de fabrication, d'assemblage et de distribution des véhicules à moteur, il faut veiller à exprimer clairement ce qu'on attend d'eux et les normes qu'ils devront respecter. Étant donné que Transports Canada assume la responsabilité de la sécurité des véhicules à moteur, cette tâche lui revient.
De nombreux autres domaines du droit seront touchés par l'avènement des véhicules autonomes, mais en raison de notre structure constitutionnelle et de la division des pouvoirs, il sera difficile de créer un cadre juridique homogène. Il ne semble pas possible d'adopter des lois nationales applicables à tous les enjeux, mais en encourageant les divers ordres de gouvernement à collaborer, on facilitera sans doute grandement l'adoption d'une approche plus uniforme.
Je sais que le comité étudie aussi l'incidence des véhicules autonomes sur les divers secteurs et industries; je vais donc vous parler d'un secteur que je connais bien, celui de l'assurance. C'est sur ce secteur que les véhicules autonomes auront probablement la plus grande incidence.
En 2013, les primes directes d'assurance automobile ont totalisé 21 milliards de dollars, ce qui exclut les assureurs appartenant à un gouvernement. Cette même année, les compagnies d'assurance privées canadiennes ont versé 15,1 milliards de dollars aux automobilistes en paiement net de réclamations. Une réduction du nombre de collisions fera baisser le nombre de réclamations et, du même coup, le montant des primes. En l'absence de nouveaux marchés, le secteur de l'assurance pourrait accuser un recul important au cours des 10 à 15 prochaines années et plus.
Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, maître Love. Vous soulevez un grand nombre de questions. La sénatrice Saint- Germain sera notre première intervenante.
La sénatrice Saint-Germain : Je vais m'exprimer en français.
[Français]
Je dois vous dire, de façon très sentie, que j'ai été impressionnée par la qualité de votre travail et par le fait que vous débordez de la stricte interprétation de la loi et de la vision juridique à court terme. En ce sens, votre contribution aux travaux de notre comité sera remarquable, et je vous en remercie.
Vous avez publié récemment dans la revue Options politiques que, lorsqu'on parle d'automatisation, on ne parle pas du remplacement, mais de la désuétude des emplois. Vous avez souligné que, selon les données du recensement de 2011, les modèles d'affaires élaborés pour les véhicules autonomes pourraient compromettre l'emploi de plus de 1,1 million de Canadiens en raison du remplacement qui sera nécessaire et de la désuétude des emplois. Selon vous, quels sont les secteurs qui devraient connaître les effets les plus marquants du remplacement et de la désuétude des emplois, et quelles sont les mesures qui pourraient être prises en prévention de ces pertes d'emplois ou de leur recyclage éventuel, et qu'on pourrait concevoir dès maintenant?
[Traduction]
M. LaRoche : Je crois qu'il est fort probable qu'au fil de l'accroissement de l'autonomie des véhicules, nous nous retrouverons rapidement dans une situation où le transport local est autonome. Je crois que dans les cinq à sept prochaines années, si ce n'est avant, nous allons tous sortir de cette pièce et embarquer dans un taxi sans chauffeur. C'est à l'échelle locale. Cela ne se fera pas dans toutes les villes et certainement pas dans ma ville natale de Fernie, en Colombie-Britannique, mais dans certaines régions, on atteindra très rapidement ce niveau d'autonomie.
Le transport local et le transport longue distance courent un risque immédiat. Ce risque atteindra sa maturité dans les 5 à 10 prochaines années, dans 12 ans maximum. Dans notre livre blanc, nous présentons des statistiques sur le nombre d'emplois qui peuvent être à risque aux États-Unis. Je ne connais pas ces chiffres par cœur, mais on parle de centaines de milliers d'emplois à risque. Ce sont de bons emplois relativement stables.
Il y a toutefois du positif : au fil de l'évolution de la technologie, d'autres types de compétences seront nécessaires. Comme vous l'avez fait valoir, il faudra alors se demander comment transformer la base de connaissances actuelle en une base de connaissances utile pour l'économie.
Il nous reste encore du temps, mais pas beaucoup. Certains parlent de quatre à cinq ans, d'autres de 10 à 15 ans. Il faudra parler aux jeunes de l'orientation qu'ils doivent prendre, veiller à ce qu'ils puissent obtenir la formation nécessaire et veiller à ce que les diplômés canadiens soient des chefs de file de leur domaine afin qu'ils puissent travailler dans le secteur de la micropuce et qu'ils puissent développer toutes les composantes des véhicules autonomes.
Je crois que l'incidence de cette technologie sera très importante. Je crois que le changement arrivera plus tôt qu'on ne le croie et qu'il sera très important. Je ne voudrais pas être un chauffeur de taxi dans cinq ans.
J'ai parlé avec les représentants de l'industrie du camionnage il n'y a pas très longtemps. Pour une raison quelconque, j'étais en feu ce jour-là; ils ont semblé aimer ce que j'avais à dire. Un homme m'a abordé à la fin de la réunion et m'a demandé ce qu'il devrait faire. Je lui ai répondu qu'à sa place, je ne serais pas là à participer à une réunion. J'irais voir mon banquier pour trouver une façon de refinancer mon entreprise afin de constituer le capital requis pour acheter de nouveaux camions qui se conduiront eux-mêmes sur les grandes autoroutes d'ici 10 ans. Voilà ce que je ferais.
Un homme averti en vaut deux.
La sénatrice Bovey : Merci. J'ai trouvé votre exposé très intéressant et très utile.
Vous savez que nous avons entendu de nombreux témoins nous parler de nombreux volets de la question. Je me demande de plus en plus qui est le responsable. Est-ce l'industrie? Le gouvernement? J'ai été heureuse de vous entendre dire qu'une loi nationale traitant de tous les enjeux ne semblait pas possible et qu'il fallait collaborer.
Qui est responsable de cette collaboration? Vous avez dit que les volets politique et réglementaire devaient être gérés par le gouvernement fédéral, mais qui sera responsable? Avons-nous une approche à plusieurs volets qui vont dans plusieurs directions?
J'aimerais aussi savoir où nous en sommes, à votre avis, en ce qui a trait à la coopération internationale relative à ces enjeux, surtout avec les États-Unis.
M. Love : Je serai heureux de répondre à cette question.
En ce qui concerne la prise en charge du dossier, je crois qu'il faudrait une vision ou un énoncé de politique de la part de Transports Canada, surtout en ce qui a trait à la direction que doit prendre l'industrie afin que nous puissions tous travailler à l'atteinte d'un objectif commun.
La politique fédérale sur les véhicules automatisés des États-Unis en est un bon exemple. Elle énonce une vision des véhicules autonomes. Elle offre des lignes directrices quant aux éléments que les fabricants d'équipement d'origine doivent intégrer à leurs designs afin de travailler ensemble à l'atteinte d'un même objectif, parce qu'on ne veut pas investir massivement dans une technologie en particulier pour se rendre compte que l'organisme de réglementation ne l'acceptera pas.
La grande caractéristique des véhicules autonomes, c'est qu'ils fonctionnent ensemble. On ne veut pas se retrouver dans une situation comme celle de VHS et de Beta. On veut que tout le monde travaille ensemble avec la même technologie en vue d'atteindre les meilleurs résultats possible pour les véhicules autonomes.
En ce qui a trait au responsable, je crois qu'il s'agit de Transports Canada, mais comme le sait le comité, le déploiement des véhicules sur les routes relève des provinces. Voilà pourquoi il faut une collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux de même que des accords relatifs aux véhicules et aux infrastructures, jusqu'aux échelons municipaux.
Ce n'est pas seulement la responsabilité de Transports Canada, parce qu'on parle de véhicules autonomes et de véhicules connectés. Selon ce que je comprends, aucun organisme du gouvernement ne contrôle tous les volets associés aux véhicules autonomes. Il faut donc une intégration et la collaboration des divers organismes, et non pas seulement des divers ordres du gouvernement.
La sénatrice Bovey : Est-ce que toutes les provinces en sont au point de prendre une décision ou est-ce qu'il y a beaucoup d'obstacles?
M. Love : Elles n'en sont pas au même point. L'Ontario est la seule province dotée d'une loi qui permet la mise à l'essai des véhicules autonomes sur ses routes; quelques joueurs ont obtenu une permission à cet égard et procèdent à des essais en Ontario, mais aucune autre province n'en est à cette étape. Je ne sais pas où elles en sont.
M. LaRoche : Je vois les choses selon un angle beaucoup plus large. La question qu'il faut se poser est : que peut faire le gouvernement?
À mon avis, il faut établir une politique générale relative aux véhicules autonomes. La politique doit être sensible à tous les sujets que nous avons abordés. Elle doit reconnaître qu'il faut aborder les préoccupations à court et à moyen terme de même que les enjeux fédéraux et provinciaux et les questions relatives à l'innovation.
La présentation d'une telle politique comme un ensemble d'objectifs permettrait de reconnaître de façon implicite que certains domaines nécessitent une réglementation importante, notamment la cybersécurité. Elle reconnaîtrait aussi que certains domaines doivent être réglementés de façon minimale et que dans certains domaines, le gouvernement devrait tenter d'encourager certaines choses, notamment l'élaboration de normes communes, comme l'a fait valoir mon collègue. Une telle politique pourrait également jouer un rôle dans l'innovation. Les accords relatifs aux véhicules et aux infrastructures seront importants. Ils permettent la communication entre les véhicules et les infrastructures.
Nous sommes présentement à l'ère de la communication entre véhicules. Les véhicules sont très équipés sur le plan technologique et vont coûter très cher. Il y a beaucoup d'équipement et de logiciels. Ce coût baissera à long terme puisque la technologie ne sera plus intégrée à la route, mais bien aux infrastructures le long des routes. C'est à ce moment-là que les coûts privés deviennent un service public. Le coût des infrastructures devient un service public, ce qui réduit les coûts privés, mais c'est un coût subventionné par l'État. Il y a beaucoup d'innovation à faire. Le Canada pourrait peut-être être un chef de file dans ce domaine.
On peut voir que dans un pays comme le nôtre — qui a une grande superficie et dont l'économie a toujours été centrée sur le transport, qu'il s'agisse des commerçants de fourrures ou d'Air Canada —, le transport est un élément essentiel. C'est peut-être un secteur dans lequel nous sommes bons. C'est peut-être un aspect que nous voulons examiner.
Nous sommes également des chefs de file dans les communications, et ce, depuis de nombreuses années. Nous pouvons nous appuyer sur nos forces de longue date. Ainsi, la création d'infrastructures de longue distance et d'innovations en appui aux véhicules autonomes pourrait très bien constituer un secteur dans lequel nous pouvons nous épanouir. Cela pourrait être un choix à faire dans le cadre d'une politique.
Je m'excuse d'avoir parlé aussi longtemps. Je ne veux pas empêcher d'autres membres du comité de poser des questions.
Le président : Il semble que c'est une bonne structure pour notre rapport. Vous avez rédigé notre introduction. Nous allons vous citer à la fin de l'introduction.
Le sénateur Eggleton : L'industrie de la fabrication de véhicules du Canada est liée à celle des États-Unis. J'aimerais que vous me disiez où nous en sommes par rapport aux États-Unis présentement.
Je sais qu'aux États-Unis, le département des Transports a établi une politique en matière de sécurité pour les essais et le déploiement de véhicules autonomes incluant des évaluations de 15 points pour les fabricants de véhicules. Devrions-nous suivre la même voie?
Un nouvel élément entre dans l'équation : le budget. Il a été présenté il y a deux ou trois semaines et des fonds sont prévus pour Transports Canada pour la modernisation de notre réseau de transport. D'autres enveloppes budgétaires sont également prévues pour des choses qui ne sont pas nécessairement directement liées aux véhicules autonomes et branchés; des fonds sont consacrés également à l'innovation et à d'autres éléments liés à des super grappes. Il peut y avoir des répercussions.
J'aimerais que vous me disiez généralement dans quelle mesure nous sommes en retard par rapport aux États-Unis. Devrions-nous suivre leur exemple et est-ce que ces fonds nous aideront à rattraper le retard?
M. Love : Concernant le premier volet de votre question, je crois que le Canada doit suivre la même voie que les États-Unis en ce qui concerne les véhicules autonomes. La NHTSA a déjà présenté sa politique fédérale sur les véhicules automatisés et une politique sur la cybersécurité également. Puis, elle a proposé des changements concernant la communication entre véhicules, comme je l'ai dit.
Les liens entre les industries de l'automobile du Canada et des États-Unis sont tellement étroits que tous les règlements — nous parlons des Federal Motor Vehicle Safety Standards des États-Unis et des Normes de sécurité des véhicules automobiles du Canada — devraient être harmonisés de sorte qu'un véhicule produit au Canada puisse traverser la frontière canado-américaine sans que des changements soient apportés, mis à part, bien entendu, en ce qui a trait aux unités métriques et impériales. Il faut que les échanges commerciaux entre les deux pays se fassent librement.
La NHTSA a présenté une politique fédérale sur les véhicules automatisés, et je ne vois pas pourquoi Transports Canada ne pourrait pas en faire autant et annoncer une mesure qui y correspond, à moins qu'il y ait de bonnes raisons.
La politique sur les véhicules autonomes offre assez de souplesse pour indiquer aux équipementiers la voie à suivre, notre vision pour les véhicules automatisés, et pour indiquer aux intervenants du secteur privé qu'ils doivent proposer la technologie. On peut travailler comme on le veut pour réaliser cette vision, comme on le juge bon. La NHTSA et Transports Canada collaborent maintenant davantage à bien des égards. Je crois qu'ils collaborent sur ce plan.
Pour ce qui est du volet de votre question qui porte sur l'investissement, je savais que cet argent avait été mis de côté dans le cadre du budget à cet égard. Je crois que nous devrions miser sur nos forces. Au Canada, nos forces sont liées à la technologie, à la création de produits qui rendent les véhicules plus légers.
Il faut que cet argent soit investi de sorte que les essais se déroulent au Canada. Les équipementiers décident où ils mettront à l'essai et déploieront les véhicules autonomes, et on veut être à l'avant-plan quant au lieu de leur mise à l'essai, car ils les déploieront au même endroit. Si l'on manque le départ de la course, il est très difficile de rattraper le retard.
La politique offre la souplesse nécessaire, et il faut que les provinces proposent des mesures législatives autorisant les mises à l'essai sur les routes de sorte que les entreprises investissent et viennent au Canada, peu importe où ils veulent faire les essais, et c'est là qu'ils déploieront les véhicules et que des possibilités d'emplois et d'innovation se présenteront.
Le sénateur Eggleton : Cela pourrait commencer par cette politique-cadre du gouvernement fédéral et mener à une collaboration accrue avec l'industrie et les provinces. Voilà probablement le processus par étapes que vous proposez.
M. Love : Oui.
De plus, l'énoncé, même si le gouvernement fédéral ne peut pas empiéter sur les compétences des provinces, peut établir les attentes par la collaboration, mais en indiquant les aspects pour lesquels il y a lieu de collaborer et ceux qui relèvent des provinces. Et on peut établir les choses de sorte que tout le monde aille dans le même sens.
Le sénateur Eggleton : Cela me semble un bon début.
À la fin de votre exposé, vous avez parlé du recul que pourrait accuser le secteur de l'assurance. Encore une fois, il est question des emplois et de ce secteur en particulier. Je crois comprendre qu'à votre avis, une diminution du nombre d'accidents se traduira par une diminution des activités de l'industrie, au bout du compte, bien qu'il soit possible que dans les premières étapes, lorsqu'il y aura sur les routes des véhicules automatisés et des véhicules non automatisés, même...
M. LaRoche : Des chevaux et des buggys.
Le sénateur Eggleton : L'industrie finira par ne plus être très rentable, et accusera un recul important. Est-ce que c'est ce que vous dites?
M. LaRoche : Je vais laisser M. Love vous donner la réponse sérieuse. Pour plaisanter, je répondrais que Warren Buffett aurait déjà dit : « S'il n'y a pas d'accident, il n'y a pas d'assurance. » Or, d'un autre côté, Geico lui appartient, et il mise peut-être de façon contracyclique. Je ne le sais pas.
M. Love : Je prévois une réduction des activités dans le secteur de l'assurance. Je crois que cela prendra un certain temps. À court terme, des véhicules autonomes seront élaborés, pourvu qu'ils puissent rouler sur nos routes. Cela se produira d'ici deux ou trois ans. Or, ceux-ci appartiendront à des équipementiers, par exemple, qui les feront fonctionner; ils peuvent dépenser de l'argent sur un véhicule d'une valeur de 100 000 $ avec toutes les technologies et le faire mettre à l'essai dans une zone géographique circonscrite, comme à Ottawa ou à Toronto.
Un véhicule de niveau 4 d'ici un an et peut-être un véhicule de niveau 5 — sans conducteur — d'ici deux ans, pourraient circuler dans une zone géographique circonscrite. Il ne devrait pas y avoir d'accidents là où ils seront utilisés.
Parce que les véhicules valent 100 000 $, il se peut que les frais d'assurance soient tout de même élevés, mais à long terme, soit d'ici plus de 20 ans, lorsque les consommateurs conduiront des véhicules autonomes, le secteur de l'assurance a beaucoup de temps pour créer de nouveaux produits.
Nul doute qu'à long terme, le nombre de collisions diminuera, ce qui est formidable, car il y aura moins de décès et de blessures sur nos routes, mais les primes seront réduites.
Le président : Comme vous le savez, au Québec, nous avons l'assurance sans égard à la responsabilité, et nous ne savons donc pas si nous rejetterons la responsabilité sur l'ordinateur. Quelqu'un devra se pencher sur la question.
Le sénateur Runciman : Des représentants d'un cabinet d'avocats très prestigieux comparaissent devant nous aujourd'hui. Hier et aujourd'hui, aux nouvelles, il a été question des retards judiciaires et de la suspension des procédures pour une infraction importante. Je me demande si vous pouvez parler de cette question et nous dire en quoi cela pourrait avoir des répercussions sur le droit pénal, les retards judiciaires. Bon nombre de tribunaux se retrouvent avec de nombreuses affaires liées à des accusations de conduite avec facultés affaiblies, par exemple. Je me demande quelles seront les répercussions sur le droit pénal et, je dirais, les ressources policières également, à votre avis.
M. LaRoche : C'est intéressant. Une bonne partie des crimes sont commis au volant d'un véhicule automobile, qu'il s'agisse de conduite avec facultés affaiblies, de conduite imprudente ou de négligence. Dans un monde entièrement automatisé, cela disparaît, et la surveillance policière à cet égard n'est plus nécessaire, ce qui libère des ressources policières pour d'autres activités.
Je ne sais pas de combien d'affaires liées à la conduite de véhicules les tribunaux provinciaux sont saisis, mais j'imagine qu'il y en a beaucoup. Cela devrait disparaître également à long terme.
Nous parlons d'une société dans laquelle les véhicules entièrement autonomes prédominent. Honnêtement, même si j'aimerais vraiment que cela se produise demain matin, je pense que le monde entièrement automatisé apparaîtra probablement dans 15 à 20 ans. Or, nous pouvons avancer petit à petit.
Ce que l'on perçoit très bien dans votre observation — et c'est une chose qui m'intéresse à cet égard —, ce sont les incidences sur des aspects auxquelles nous ne nous attendons pas normalement. Quelles sont les répercussions sur les délais judiciaires? Lorsqu'on y pense, il y a des répercussions sur les délais judiciaires, peut-être pas à court terme, mais à long terme.
Comme nous le soulignons dans le document, il y a des répercussions sur les salles d'urgence. Dans les hôpitaux, une très grande proportion des gens qui se retrouvent à l'urgence ont eu un accident de véhicules à moteur. Nous nous disons que s'il y a moins d'accidents, on a moins besoin de salles d'urgence. Or, il y a des répercussions négatives. C'est un sujet un peu macabre, mais c'est un inconvénient. La plupart des transplantations d'organes ont lieu parce que des gens sont décédés dans des accidents de la route. Ce n'est pas un sujet très agréable et, comme je l'ai dit, il est un peu macabre, mais c'est une répercussion.
C'est la vaste étendue des effets que je trouve des plus intéressante. Je n'avais pas beaucoup réfléchi à votre question, mais je crois que la réponse que j'ai fournie est correcte. Je pense qu'il s'agira de répercussions à moyen et à long terme.
Le sénateur Runciman : Bien entendu, nous ne pouvons pas prédire ce qui se passera. De nouvelles accusations criminelles pourraient découler de la direction qui sera prise également, comme des accusations de piratage, par exemple.
M. LaRoche : La cybersécurité est une question globale qui inquiète profondément les gens. Je suis très préoccupé lorsque je vois que chez nos frères américains, la Chambre et le Sénat ont voté pour une mesure qui fait en sorte que les données numériques qui ont été recueillies dans le cadre de recherches seront accessibles et pourront être vendues. Je ne voudrais pas que mes données numériques soient vendues, d'aucune façon. Dans un monde de véhicules autonomes, les quantités de telles données augmenteront massivement. C'est un monde de données. Les gens sauront — les machines sauront — où une personne se trouvait, à quelle heure, avec qui elle était et à quelle date. On parle d'une quantité phénoménale de données qui doivent être réglementées.
Le sénateur Runciman : J'ai posé la même question à d'autres témoins en ce qui a trait à la cybersécurité, c'est-à-dire que je voulais savoir si les gouvernements devraient exiger, avant qu'un véhicule soit mis en vente, que des mesures de protection soient prises pour le véhicule, le mieux possible, pour protéger les intérêts privés du propriétaire.
M. LaRoche : Il s'agit de sécurité intégrée à la conception, dans le véhicule, et je crois que cela devrait vraiment être pris en considération.
Dans la mesure où nous adopterons rapidement des normes qui seront harmonisées avec celles des États-Unis sur le plan des caractéristiques physiques des véhicules autonomes pour nous assurer qu'ils fonctionnent tous selon les mêmes normes, par exemple, nous devons aussi nous assurer que des mesures de protection des renseignements personnels sont intégrées dans le système
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. À mon avis, je crois qu'il faut nommer un leader canadien dans ce dossier. Selon les gens du gouvernement fédéral, il y a beaucoup de travail qui se fait en silos, mais peu de coordination. Cela m'inquiète, car, comme vous le disiez, si nous manquons les premières étapes, le rattrapage sera très coûteux. Nous pourrions même être dépassés. Je pense que le rapport devrait cerner la personne qui jouera un rôle d'impulsion immédiat dans ce dossier, car nous constatons que certains endroits se développent plus rapidement que nous.
Ma première question est la suivante : comment pourrait-on déterminer qui assumera le leadership dans ce dossier au Canada?
[Traduction]
M. Love : Je crois qu'il faudrait former un organisme ou un comité comprenant différents organismes et administrations, car je ne crois pas que tout doit être mis entre les mains d'une seule personne. Cela nécessite un travail de collaboration. Plutôt que d'avoir des gens qui le font de manière ponctuelle, il pourrait s'agir de créer un comité ou un organisme constitué non seulement de représentants de municipalités, de gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral, mais aussi de représentants d'organismes. Ils pourraient discuter dans un cadre comme celui-ci et s'assurer que tout le monde est sur la même longueur d'onde et a le même objectif. Chacun a ses propres intérêts et ils doivent être soulevés.
Vous soulevez un point important. Nous ne pouvons pas tarder à agir. Nous accusons déjà un peu de retard. Le Canada était considéré comme un chef de file — l'Ontario en particulier, sur le plan des investissements et du développement dans l'industrie automobile. Je pense que nous commençons à prendre un peu de retard. Le Michigan a déjà adopté des mesures, la SAVE Act, qui permettent la mise à l'essai de véhicules autonomes sur la route. Plusieurs autres États ont fait la même chose.
Nous devons préparer le chemin — sans vouloir faire de jeu de mots — pour la technologie, sa mise à l'essai et sa conception ici, ce qui favorisera la création de nouveaux emplois.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur LaRoche, vous avez dit qu'il faudrait identifier des actions à court et à moyen terme. Selon vous, possédons-nous aujourd'hui assez d'information pour établir clairement ces objectifs? En ce moment, j'ai l'impression que nous gérons une boule de cristal dans laquelle les choses sont embrouillées. Avez-vous assez d'information pour définir à court et à long terme les objectifs du Canada?
[Traduction]
M. LaRoche : J'y réfléchissais justement ce matin. C'est une tâche immense.
Je suis avocat plaidant et je représente des gens dans des procès sur des enjeux technologiques complexes. Je me dis que je ne pourrai jamais maîtriser la situation, qu'il y a trop de questions et trop de témoins. Je me dis que je veux prendre ma retraite et redevenir producteur de poulets à Fernie. Je ne veux plus rien savoir de cela.
Or, comme dans tous les aspects de la vie, on examine la tâche et on la divise en parties réalistes. Il s'agit de déterminer ce qu'on doit faire à court terme, dans l'immédiat et à long terme. Il s'agit de savoir ce qu'on ne sait pas dans la mesure du possible.
Je ne crois pas que nous soyons en mesure à l'heure actuelle d'avoir des réponses même pour le court terme, car je ne pense pas que nous ayons cerné complètement les questions à court terme, mais il est possible de les cerner. Une fois que c'est fait, les responsabilités peuvent être attribuées et les politiques peuvent être élaborées.
Bien que cela semble intimidant, comme toute tâche intellectuelle, c'est gérable si un nombre suffisant de gens se réunissent pour en discuter et classer les choses dans leur catégorie respective. Quelle est la première étape? Quelle est l'étape suivante? Qu'est-ce qui a les pires répercussions? Qu'est-ce qui a les meilleures répercussions? D'où provient l'argent? Voilà en quoi il est difficile d'élaborer des politiques. C'est parfaitement faisable, mais il faut que ce soit fait, et ce, tôt dans le processus.
J'ajouterais à ce qu'a dit Bobby que ce serait une erreur d'élaborer une politique, de suivre le processus que je suis en train de décrire et de ne pas nommer de leader pour mener à bien les choses. L'élaboration d'une politique ne sert à rien, en toute honnêteté, à moins que les moyens de la mener à bien soient énoncés. Il ne s'agit pas simplement de créer un autre comité interministériel ou un groupe de travail. L'entité liée à un projet aussi important doit être constituée, on doit lui confier un mandat et un budget doit être prévu, à mon avis.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Le comité s'est aussi donné l'objectif d'aller à la rencontre d'universitaires et d'entreprises qui font de la recherche et qui produisent déjà ces véhicules. Dans le cadre de nos prochaines visites, quel conseil pourriez- vous nous donner quant à la perspective dans laquelle nous devrions envisager ces projets et ces recherches? Avez-vous un conseil à nous donner pour nous aider à mieux nous documenter et à mieux nous préparer pour définir des cibles à court et à moyen terme?
[Traduction]
M. LaRoche : Je demanderais aux intervenants de sortir des sentiers battus et de vous aider à cerner les questions de politiques sociales et économiques qui découleront de leurs travaux. C'est une question tout à fait pertinente.
Vous pourriez également poser la question suivante : que pouvons-nous faire pour vous aider sans vous octroyer d'argent? Autrement dit, quelles infrastructures doivent être construites et quelles mesures doivent être prises dans l'avenir pour rendre votre produit ou votre service acceptable?
Ici encore, nous ne proposons pas de vous offrir du financement. Nous pourrions le faire, mais c'est une autre histoire. Ce que nous voulons savoir, c'est ce que le gouvernement peut faire pour que le produit soit viable à long terme, et quelles seront les conséquences pour nous? Je pense que c'est une question pertinente.
Le sénateur MacDonald : Je voudrais revenir à certaines questions que vous avez soulevées au sujet des assurances fondées sur l'utilisation, dont la nature intrusive me semble troublante.
Vous avez parlé de la transmission de la durée et de la vitesse à chaque utilisation du véhicule. Or, nous savons que certaines compagnies d'assurances emploient déjà cette technologie pour offrir des rabais en fonction des habitudes de conduite. Cette pratique me semble très intrusive et je me demande dans quelle mesure elle est utilisée. Faut-il obtenir l'approbation de la personne qui contracte l'assurance? Comment détermine-t-on qui conduit le véhicule?
Cette pratique soulève bien des questions. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
M. Love : Bien sûr, avec plaisir.
Un assureur en particulier, au sujet duquel j'ai lu quelque chose récemment — je pense que c'est Aviva —, offre un rabais de 15 p. 100 sur la prime aux personnes ayant un véhicule de niveau 2 d'automatisation, qui est donc doté d'un système de freinage de pointe, d'un aide au suivi de voie et de ce genre de technologie. Les données indiquent déjà que ces véhicules ont moins de collisions que ceux qui ne sont pas équipés de cette technologie. Dans ce cas, il n'y a pas d'intrusion ou de communication de renseignements. Simplement, quand les gens indiquent qu'ils ont acheté un nouveau véhicule, la compagnie leur demande de quel type il s'agit et les informe qu'ils sont admissibles à un rabais en raison des dispositifs automatisés de leur véhicule.
Si on va plus loin et accepte de leur communiquer les données du véhicule, l'assureur peut offrir un rabais sur la prime. Il me semble que les gens peuvent actuellement fournir des renseignements à la compagnie d'assurances en échange d'une prime réduite. Je pense qu'on débat actuellement de la possibilité de rendre ou non cette mesure obligatoire à long terme, puisqu'elle est toujours volontaire et qu'en refusant de communiquer les renseignements et en payant une prime élevée, les gens subventionnent les autres conducteurs. La compagnie d'assurances oblige donc les gens à accepter ses conditions et à leur communiquer l'information.
Que la question doive être réglementée ou non, je pense qu'il faut mettre l'accent sur l'utilisation des données plutôt que sur leur collecte. Les compagnies cherchent actuellement à évaluer le risque. Si ce dernier est faible, certains voudront peut-être se prévaloir de la prime réduite. On se préoccupe surtout de l'utilisation que les compagnies d'assurances peuvent faire des renseignements qu'elles obtiennent.
Le sénateur MacDonald : Inversement, les compagnies d'assurances peuvent utiliser l'information pour déterminer que le conducteur présente un risque supérieur et lui imposer des primes plus élevées.
M. Love : C'est effectivement ce qu'elles font grâce à l'historique des accidents.
Le sénateur MacDonald : Même si les gens n'ont pas d'historique d'accidents, les compagnies d'assurances pourraient tout de même déterminer qu'ils présentent un risque plus élevé, n'est-ce pas?
M. Love : Oui.
Le sénateur MacDonald : Merci.
La sénatrice Griffin : Ma question porte sur le marché secondaire. Je m'intéresse aux ateliers de réparation d'automobile et aux entreprises familiales, particulièrement dans les petits centres ou les régions rurales. Le marché secondaire est une industrie de 21 milliards de dollars; ce n'est pas rien.
Ces propriétaires d'entreprise se préoccupent notamment de la propriété des renseignements que contiennent ces véhicules s'ils tentent de les réparer. Quels règlements ou quelles lois le gouvernement fédéral, ou même provincial, doit-il adopter pour que les entreprises locales de réparation de véhicules puissent continuer de fonctionner?
M. LaRoche : Si je comprends bien la question — et ce n'est peut-être pas le cas —, vous craignez que quand les gens confient leur voiture à un réparateur, ce dernier ait accès à tous les renseignements qu'elle contient.
De façon générale, les renseignements dont il est question ici ne sont pas conservés dans le véhicule, mais communiqués continuellement à la compagnie. La voiture est donc un dispositif de télématique qui est constamment en communication. Elle envoie les données à quelqu'un et ne les conserve pas.
D'après ce que je comprends, un réparateur ne pourrait pas télécharger les données d'un véhicule et ainsi déterminer où le propriétaire se trouvait au cours des 10 derniers jours. Je ne pense pas que ces renseignements se trouvent encore dans le véhicule. D'autres personnes pourraient les obtenir, mais probablement pas le réparateur.
Quant aux réparateurs eux-mêmes, leur avenir s'annonce difficile, puisqu'il y aura moins d'accidents et peut-être bien moins de voitures. Je n'entrevois pas de croissance dans ce secteur.
M. Love : J'ajouterais deux observations. Sachez d'abord que l'expérience et la formation nécessaires pour réparer ces véhicules augmenteront de manière exponentielle. Quand arrive un véhicule doté d'une panoplie de radars, de caméras et de lidars, ce n'est pas pour un changement d'huile. L'avenir sera très différent pour les mécaniciens automobiles.
Au chapitre de l'information, il importe de savoir qu'en ce qui concerne la proposition de communication entre véhicules, on envisage un système fonctionnant indépendamment des autres renseignements conservés dans le véhicule pour qu'ils ne puissent pas être transmis à l'extérieur de ce dernier. Il s'agit d'un système distinct conçu pour communiquer uniquement avec les véhicules se trouvant à une distance de 300 mètres. Les autres renseignements ne peuvent donc pas être transmis et ne pourront absolument pas permettre l'identification du véhicule ou de ses occupants.
Je m'attends à un système semblable sur le plan de la communication entre les véhicules et les infrastructures. Ces dernières ignoreront à qui appartient le véhicule. Elles sauront simplement qu'un véhicule traverse l'intersection.
Le sénateur Mercer : Messieurs, j'ai une observation à formuler avant de poser ma question. Vous avez indiqué que les véhicules automatisés risquent de faire diminuer les dons d'organes. À l'époque où le port de la ceinture de sécurité est devenu obligatoire, j'étais directeur général de la Fondation du rein de la Nouvelle-Écosse, et les patients atteints de maladie rénale étaient les principaux receveurs de dons d'organes faits à la suite d'accidents de voiture. Le nombre de dons a chuté dramatiquement à l'époque. Nous sommes certainement favorables au port de la ceinture de sécurité, mais cette précaution a eu un effet. Les véhicules automatisés auront eux aussi une conséquence non intentionnelle. Ils auront un effet positif, mais aussi des répercussions sur les dons d'organes.
Je tiens à préciser, aux fins du compte rendu, que nous ne sommes pas tellement sympathiques à l'endroit de l'industrie de l'assurance, que nous ne portons pas dans notre cœur. Elle trouvera des moyens d'exploiter ceux qui ne conduisent pas de véhicule automatisé pour survivre.
La question sur le marché secondaire que la sénatrice Griffin a posée est importante, car ceux d'entre nous qui vivent dans les régions rurales du pays ne se précipiteront pas tout le temps chez les concessionnaires employant des techniciens hautement spécialisés. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent donc s'intéresser à la formation et au recyclage des techniciens qui réparent actuellement des véhicules. Il s'agit d'une industrie de 21 milliards de dollars, comme la sénatrice continue de le souligner, et je suis d'accord avec elle. Le gouvernement devrait-il maintenant se montrer proactif et commencer à déterminer comment on peut restructurer le processus de formation à l'échelle fédérale et provinciale afin d'offrir de la formation?
M. Love : Permettrez-moi de faire une brève remarque sur le moment propice pour agir.
Plus de 30 millions de véhicules sillonnent les routes du Canada actuellement. Chaque année, environ 8 p. 100 d'entre eux sont remplacés par de nouveaux véhicules. C'est un pourcentage substantiel. Il faut approximativement 20 ans pour renouveler la flotte de véhicule du pays. Le pourcentage exact m'échappe, mais environ la moitié des véhicules sur la route ont plus de 10 ans. Nous avons donc amplement le temps d'agir.
Nous savons tous qu'à part vérifier les niveaux d'huile et de liquide lave-glace, il n'y a pas grand-chose à faire sur un véhicule. De nos jours, il faut s'adresser à un mécanicien formé. Il sera plus compliqué de permettre à tous les mécaniciens de tenir à jour leurs connaissances sur la technologie et les changements.
Le sénateur Runciman : Il me semble que c'est M. Love qui a parlé de la zone géographique circonscrite. Je me demandais en quoi cela consisterait. S'agirait-il d'une zone de 10 ou 20 pâtés de maisons? Est-ce qu'une technologie précise serait requise dans cette zone?
M. Love : Oui. Un fabricant pourrait construire un véhicule de niveau 4, dans lequel le conducteur ne conduirait pas. Ce véhicule ne pourrait circuler que dans une zone très précise, à l'intérieur des limites d'une ville, par exemple. En parlant de zone géographique circonscrite, je veux dire que le véhicule communiquerait au moyen d'un GPS et ne pourrait sortir d'une zone donnée.
En quelques années, peut-être même deux ans, les gens pourront appeler un service de transport. Le véhicule se rendra chez eux, mais il n'y aura pas de conducteur. Il pourra mener les gens à destination, tant qu'il reste à l'intérieur de la zone circonscrite.
Le sénateur Runciman : Aucune infrastructure précise n'est nécessaire pour aller en ce sens?
M. Love : Non, car le véhicule vaut peut-être 100 000 $ et est doté de toute la technologie nécessaire pour fonctionner de manière autonome. Mais avant de pouvoir passer à la commercialisation de masse, il faudra que les infrastructures communiquent également avec les véhicules afin de réduire le coût de la technologie dans le véhicule qu'on conduit.
Le sénateur Runciman : De quels investissements est-il question ici? Le montant variera d'une municipalité à l'autre. Comment pensez-vous que la capacité fiscale évoluera?
M. Love : Lentement. Ce sera cher.
Le président : J'aimerais me joindre à mes collègues pour vous féliciter de votre exposé et des excellentes questions et réponses que nous avons échangées. Cela aidera notre comité. Nous espérons que vous serez source d'inspiration pour les prochains témoins. Merci, messieurs Love et LaRoche.
Nous invitons maintenant M. David Ticoll à s'avancer à la table principale.
[Français]
Honorables sénateurs, nous reprenons notre étude avec notre prochain témoin, M. David Ticoll, agrégé supérieur de recherche, Laboratoire des politiques d'innovation, Munk School of Global Affairs, Université de Toronto.
[Traduction]
M. Ticoll a publié un document de travail sur les véhicules automatisés à Toronto, commandé par la Division des services de transports de la Ville de Toronto. Il a en outre fait un exposé sur l'effet de ces véhicules sur le marché de l'emploi à l'occasion de la conférence sur les véhicules automatisés qui s'est tenue à Toronto l'an dernier.
[Français]
Monsieur Ticoll, vous avez la parole.
[Traduction]
David Ticoll, agrégé supérieur de recherche, Laboratoire des politiques d'innovation, Munk School of Global Affairs, Université de Toronto, à titre personnel : Je remercie le comité de m'offrir l'occasion de témoigner à l'appui de votre étude sur les questions liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
Avant de commencer, j'aimerais indiquer, aux fins de précision, que j'ai apporté de menus changements à mon exposé, qui différera donc de la version que vous avez reçue. Je pense que le greffier veillera à ce que vous receviez des exemplaires de la version légèrement modifiée que je m'apprête à présenter.
Je propose aujourd'hui de regarder le tableau d'ensemble et d'examiner la manière dont les véhicules branchés et autonomes changeront la donne au Canada. Ma question est très simple : comment utiliserons-nous l'automatisation des véhicules pour édifier le Canada que nous désirons léguer à nos enfants et à nos petits-enfants?
L'avènement des VBA offre au Canada une occasion d'édifier un pays qui ne se présente qu'une fois par siècle. Nous avons déjà utilisé des initiatives de transport pour édifier notre pays, comme le Canadien Pacifique au XIXe siècle et l'autoroute Transcanadienne au XXe siècle. Ces initiatives ont eu une incidence qui a transformé toutes les facettes de la vie dans notre pays.
Quel moment serait plus propice que l'année de notre 150e anniversaire pour agir de nouveau afin de répondre aux priorités économiques, sociales et environnementales du XXIe siècle?
[Français]
La révolution de la mobilité va au-delà des automobiles, des autobus et des camions autonomes. Elle comprend le transport des marchandises, les véhicules robotisés spécialisés, l'équipement industriel, les véhicules aériens sans pilote, comme les drones, qui transportent des gens et des marchandises, les infrastructures connectées, et ainsi de suite. Plutôt que le matériel lié aux véhicules, les technologies de l'information seront les biens les plus précieux de l'ère des VBA.
[Traduction]
Envisagez le scénario suivant, qui se déroule dans 20 ans : mon nouveau petit-fils a 21 ans. La plupart des consommateurs ne possèdent plus de voiture et utilisent plutôt des taxis électriques automatisés pour leur transport personnel. À ces taxis, qui peuvent pour la plupart accueillir un ou deux passagers, s'ajoutent des véhicules adaptés à un éventail de besoins, que ce soit pour magasiner chez IKEA ou permettre l'accès aux fauteuils roulants.
Le nombre d'accidents routiers ayant diminué de 95 p. 100, les taxis automatisés se sont départis d'une tonne d'armures de sécurité et, par conséquent, jouissent d'une autonomie et d'une efficacité énergétiques accrues.
Les services de mobilité diminuent de moitié les coûts de transport des consommateurs, tout en permettant aux fournisseurs de service de mobilité florissants d'engranger des profits de loin supérieurs à ceux des entreprises de voiture d'aujourd'hui.
Le besoin en stationnement dans les rues a chuté dramatiquement; il y a donc beaucoup de place pour les piétons, les cyclistes et la verdure.
Dans ce scénario, le Canada a réalisé des progrès considérables vers ses objectifs stratégiques, notamment en respectant les engagements de réduction des gaz à effet de serre prévus dans l'accord de Paris, en éliminant les décès et les blessures attribuables aux accidents de la circulation, en favorisant l'innovation, la productivité et la croissance dans divers secteurs de l'économie, et en améliorant la mobilité des aînés, des jeunes, des personnes handicapées et des personnes à faible revenu au Canada. Par exemple, une analyse que j'ai réalisée en me fondant sur les données du recensement prévoit qu'un million de citoyens âgés auront de la difficulté à utiliser le transport en commun en 2030.
Ce scénario semble utopique, mais il est en grande partie réalisable. Ce qu'il faut se demander, c'est ce que le gouvernement fera pour optimiser ces résultats.
La révolution de la mobilité s'accompagne également d'un grand nombre de défis. Par exemple, les fabricants d'automobiles et de pièces d'automobile du Canada doivent s'adapter aux technologies perturbatrices, aux concurrents du secteur de la technologie et à des modèles d'affaires complètement différents. Selon mes calculs, les VBA pourraient provoquer des pertes d'emplois dans des secteurs ou des domaines qui emploient plus de 1,1 million de Canadiens. Ces véhicules se traduiront également par des créations d'emplois, mais il est difficile de prédire si le résultat net sera positif.
Certains des investissements en infrastructure que nous envisageons aujourd'hui, lesquels se fondent sur des postulats pré-VBA, pourraient sembler trop chers ou obsolètes une fois les infrastructures construites. La mobilité automatisée accessible, conviviale et abordable pourrait accroître le volume de déplacements routiers, la congestion de la circulation et le nombre de personnes vivant à l'extérieur des villes, contribuant ainsi à l'étalement urbain.
Si les Canadiens passent de la propriété d'une automobile à la mobilité sur demande, une poignée d'entreprises internationales de mobilité risquent de posséder et gérer la plupart des véhicules se retrouvant dans nos rues et d'ainsi contrôler la totalité des données dont nous parlons aujourd'hui.
Compte tenu de tous ces changements, les gouvernements auraient tout intérêt à revoir leurs hypothèses fiscales et budgétaires.
Afin de maximiser les avantages et de minimiser ou d'atténuer les risques associés à ces complexités émergentes, nous avons besoin d'un leadership lucide, de nouveaux mandats, de nouvelles compétences et de solutions pratiques et acceptables sur le plan politique.
Voici une vision possible. D'ici 2025, le Canada émergera en tant que meneur mondial dans l'adoption des technologies de VBA afin de protéger l'environnement; d'améliorer la santé, la sécurité, l'accessibilité et notre qualité de vie; de revitaliser nos villes et nos collectivités; de bonifier les droits individuels et collectifs en matière d'information; et de bâtir une économie du XXIe siècle qui soit dynamique, équitable et novatrice.
Disons que pour 2035, nous pourrions viser des résultats tangibles relativement aux objectifs stratégiques et aux défis que j'ai décrits. L'obtention de tels résultats exigerait que l'on s'emploie activement à dégager un consensus afin de faire participer un éventail d'intervenants partout au Canada dans le cadre d'un effort national d'envergure.
Le moment est bien choisi pour ce faire. L'accent mis par le gouvernement sur les investissements et l'innovation en matière de mobilité et d'infrastructures dans le budget de 2017 fournit des leviers puissants qui permettent maintenant de prendre des mesures qui vont dans le sens de nos priorités stratégiques en matière de véhicules connectés et automatisés. Le gouvernement pourrait notamment se servir de ces fonds pour encourager l'étude de ces technologies aux fins des investissements dans les infrastructures et le transport; stimuler les innovations touchant toute la gamme des objectifs stratégiques dans le cadre de projets pilotes pouvant notamment s'apparenter au programme Smart City Challenge; favoriser l'utilisation des technologies de VBA élaborées et produites au Canada aux fins de ces initiatives; susciter les investissements dans les cadres, les capacités et les infrastructures stratégiques en matière d'information sur la mobilité. Selon moi, les politiques relatives à cette information représentent un nouveau domaine stratégique important pour le gouvernement.
J'ai grand-hâte d'en discuter avec vous ce matin et je me permets de vous inviter à consulter mon mémoire, « Tirer parti de la révolution de la mobilité pour bâtir le Canada que nous voulons », qui propose une réflexion approfondie sur un plan d'action possible pour atteindre ces buts.
Le président : Merci beaucoup. Voilà qui semble certes très intéressant.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Je commence par vous présenter mes excuses pour avoir attribué par inadvertance, dans ma question à nos invités précédents, l'article que vous avez publié dans Options politiques. Vous êtes donc l'auteur de cet article, qui est par ailleurs aussi intéressant que je l'ai dit tout à l'heure.
Ma question porte surtout sur la nécessité de se préparer à la conversion des emplois, ou à la perte de certains types d'emplois, et à la transition vers d'autres types d'emplois lorsque les véhicules automatisés seront progressivement utilisés et de plus en plus disponibles.
Dans votre intervention, vous parlez d'une vision et d'un plan d'action possible. Plusieurs secteurs sont visés, notamment l'environnement et la santé. J'aimerais que vous abordiez davantage le secteur de l'éducation en fonction des éventuels besoins du marché du travail, soit la formation requise pour assurer l'embauche de travailleurs qualifiés, de sorte que le chômage ou la perte de certains types d'emplois aient le moins d'impacts négatifs possible au chapitre humain, social et économique.
M. Ticoll : C'est une très bonne question.
[Traduction]
Il faut savoir que les difficultés que nous devons surmonter en raison de l'automatisation des véhicules ne sont qu'un élément de l'équation. Le phénomène de l'automatisation touche de nombreux secteurs de l'économie. Des emplois de tous les niveaux de spécialisation sont affectés. J'ai indiqué que 1,1 million de Canadiens travaillaient dans ces secteurs, mais je ne voulais pas dire que tous ces emplois allaient être perdus. Je crois toutefois qu'il y aura des pertes d'emploi dans la totalité des secteurs, des sous-secteurs et des professions en raison de l'automatisation des véhicules. On peut toutefois observer le même phénomène dans l'ensemble de l'économie. C'est effectivement un enjeu crucial pour tous les pays industrialisés avancés.
En fait, j'estime que la situation du Canada est plutôt enviable par rapport à celle de bien d'autres nations. Nous avons peut-être quelque 18 millions de travailleurs, ce qui est beaucoup moins que dans des endroits comme les États- Unis, la Chine ou même le Royaume-Uni ou l'Europe. Notre population compte déjà une forte proportion de gens instruits. Nous devons également composer avec le défi démographique que pose le vieillissement de la population. Ainsi, nous avons besoin de gens qui vont travailler afin d'appuyer financièrement ceux parmi nous dont les activités vont évoluer avec l'âge.
Je me dis toujours qu'il est plus facile de trouver une occupation à 18 millions de personnes qu'à 200 millions. Si nous étions aux États-Unis et si nous voulions par exemple nous assurer que la moitié, voire seulement le quart, de notre main-d'œuvre est capable d'occuper des emplois très spécialisés exigeant une formation poussée en informatique, il faudrait former quelque chose comme 50 millions de personnes. Au Canada, ce serait peut-être seulement 4 ou 5 millions de travailleurs, et nous pourrions ensuite exporter une partie de ces compétences, ou tout au moins des fruits du travail de ces personnes.
En mettant concrètement l'accent sur ces questions, le gouvernement actuel s'est montré plus sensible à cet aspect des choses que ceux de bien d'autres pays.
Compte tenu de l'élément démographique et du fait que notre population est relativement petite, nous parviendrons sans doute assez bien à veiller à ce que les gens acquièrent les compétences techniques nécessaires.
Je crois par ailleurs que la demande se maintient pour les travailleurs de métier, comme ceux de la construction. Il n'y aura donc pas uniquement des emplois très spécialisés.
Je pense qu'il nous faut surtout — et je sais que le gouvernement y travaille également — chercher à cerner de façon beaucoup plus précise et ciblée la teneur de la demande à venir en évitant de nous en remettre uniquement aux prétendues règles de l'économie. Nous devons vraiment le déterminer avec une grande exactitude pour le Canada dans sa situation toute particulière, autant au pays qu'à l'échelle internationale, afin d'en informer ensuite les établissements d'enseignement postsecondaire de manière à ce qu'ils puissent offrir les programmes appropriés. Ainsi, les jeunes et leurs parents pourront faire des choix éclairés.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On s'interroge beaucoup. Nous avons un bagage d'information qui nous permet de nous questionner et d'avoir une certaine vision. Je pense à la population en général qui doit faire des choix éclairés. Elle est très loin de ce comité et des gens qui gèrent ce virage technologique.
J'ai une question et une sous-question à poser. D'abord, comment informer le public des choix qui se poseront et qui seront faits? Ce sera une révolution monumentale. Ensuite, qui doit veiller à ce que la population fasse des choix éclairés quant aux moyens de transport? J'inclus les municipalités et les provinces, qui ont une responsabilité en matière de transport en commun.
[Traduction]
M. Ticoll : Je vais devoir vous répondre en plusieurs volets, car l'évolution se manifeste de bien des manières. Les constructeurs automobiles offrent de plus en plus ce qu'ils appellent des systèmes avancés d'aide à la conduite, ce qui correspond au niveau 2 dont parlaient les témoins précédents. Ces systèmes comprennent des fonctions comme le freinage automatisé et le suivi de voie. Ces nouveautés s'immiscent déjà dans notre quotidien.
Je dois avouer que je n'ai pas moi-même une auto équipée de tels dispositifs, mais j'ai des amis qui en ont une. Ils me disent : « Mon auto fait ceci ou cela et c'est extraordinaire, même si je n'avais rien prévu de tout cela. » À bien des égards, les gens commencent à peine à découvrir ce phénomène. Les véhicules automatisés suscitent beaucoup d'enthousiasme, mais également un grand scepticisme chez des gens ordinaires qui n'arrivent pas à s'imaginer qu'ils vont un jour renoncer à conduire eux-mêmes leur véhicule. C'est un changement de culture qui doit se faire tout naturellement. Plus la technologie deviendra digne de confiance et commencera à se concrétiser, plus les gens seront prêts à l'accepter.
Le moment viendra sans doute — et je sais que de nombreux constructeurs y songent — où une flotte de véhicules sera déployée dans une grande ville canadienne pour offrir ces services. Ces véhicules pourraient tout aussi bien appartenir à un grand fournisseur de services de mobilité comme les entreprises de taxi ou Uber, qu'à une entreprise comme Ford, qui s'est engagée à le faire d'ici 2021. Au départ, on offrira simplement ces services dans une zone délimitée par géoblocage. Il y a différents groupes de citoyens qui vont vouloir tout naturellement se prévaloir de tels services, comme les jeunes férus de technologie, ceux qui ne sont pas encore en âge de conduire, les aînés, les personnes handicapées et les petits salariés qui doivent se rendre de leur domicile d'Etobicoke, par exemple, jusqu'à leur travail à Scarborough à 5 heures du matin et qui n'ont pas les moyens de se payer un taxi.
Lorsque les téléphones intelligents ont fait leur apparition, personne ne prévoyait en avoir un jour vraiment besoin. Nous ne savions même pas de quoi il s'agissait. Puis, tout le monde s'est mis à les utiliser et ils sont devenus une nécessité de la vie et causent maintenant des accidents de la circulation.
Ce sera un peu la même chose dans le cas qui nous intéresse, car c'est la manière dont ces nouvelles technologies s'intègrent à la vie sociale. Le besoin de sensibiliser les gens quant à la pertinence ou à l'utilité de ces nouveautés technologiques devrait être le cadet des soucis du gouvernement. Si quelqu'un doit se charger de cet aspect particulier, c'est davantage l'industrie qui veut vendre ces produits.
À ce sujet, le président de Ford a déclaré que sa marge bénéficiaire brute est d'environ 7 ou 8 p. 100 sur la vente de véhicules, alors qu'il prévoit qu'elle atteindra 20 p. 100 pour les services de mobilité. Ces entreprises ont donc tout intérêt à faire la transition.
La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. Nous apprenons énormément de choses aujourd'hui. Je conviens avec vous que c'est l'occasion du siècle pour le Canada et les Canadiens.
Vous avez indiqué qu'il fallait un mandat pangouvernemental avec la participation de plusieurs ministères mais aussi, et je suis tout à fait d'accord, avec la collaboration du secteur privé, des organismes sans but lucratif, des entreprises sociales, et cetera C'est tout à fait logique.
Lorsque vous parlez de ces régions délimitées par géoblocage, je me demande comment nous pouvons nous assurer que tous les Canadiens bénéficient de ces nouvelles technologies. Pouvons-nous vraiment mettre en œuvre une stratégie nationale qui sera profitable tant pour les Canadiens des régions rurales que pour ceux des milieux urbains?
M. Ticoll : Vous touchez à deux aspects très distincts de la problématique, à savoir l'utilité pour tous les Canadiens et la question plus ciblée de l'accès en milieu rural.
La sénatrice Bovey : Mais ces gens-là sont inclus lorsque l'on parle de « tous » les Canadiens.
M. Ticoll : Effectivement.
Peu importe sa nature, un changement ne va jamais bénéficier à tout le monde. Malheureusement, nous vivons dans un monde où il y a toujours des gagnants et des perdants. Comme je le disais dans mon allocution, l'objectif est de maximiser les avantages tout en minimisant ou en atténuant les inconvénients. Je pense par exemple aux gens qui vont perdre leur emploi dans ce contexte.
Il y a tellement d'aspects différents à considérer. Il faut essayer de déterminer dans chaque cas quels sont les avantages et les risques. Il convient ensuite de procéder à une analyse démographique et financière pour voir quels avantages doivent être optimisés, où se situent les risques et comment on peut les atténuer.
Prenons l'exemple de l'accessibilité. Comme je l'ai indiqué, les jeunes qui n'ont pas encore l'âge de conduire, les personnes handicapées, les aînés et ceux qui préfèrent ne pas conduire seront les grands bénéficiaires de cette évolution. Il y a toutefois un côté négatif, car cela créera plus de circulation sur nos routes. Les routes seront davantage achalandées et pourraient être plus congestionnées. On ne peut donc pas simplement récolter les avantages sans se heurter à quelques complications.
Je réfléchis beaucoup à la situation en milieu rural, car j'ai moi-même un chalet. Je me demande s'il me sera possible d'utiliser un véhicule semblable pour m'y rendre et comment on pourra rendre cela accessible. Ce n'est pas du tout le même contexte.
Parlons d'abord des collectivités éloignées, des communautés autochtones ou de celles qui ne sont même pas desservies par des routes adéquates. En pareil cas, le recours à des drones pourrait être très utile, surtout pour la livraison de produits et de services. Certains concepteurs, y compris ceux travaillant pour de grands constructeurs aériens, cherchent actuellement à mettre au point un avion sans pilote qui pourra transporter des passagers. Cela pourrait se concrétiser d'ici une quinzaine d'années.
Il nous faut déterminer les modèles d'affaires qui conviennent pour que de tels services de mobilité sur demande puissent être offerts dans les régions rurales. Je pense que l'on peut y arriver.
À la campagne, les gens apprécient tout particulièrement leur camionnette. Je crois qu'ils seront parmi les derniers à opter pour une formule de partage, mais leur camionnette pourrait tout de même être automatisée.
La sénatrice Bovey : Je m'inquiète du sort réservé aux régions éloignées. Nous venons juste de voir la ville de Churchill être privée de lait et de pain pendant plusieurs semaines en raison d'une tempête qui rendait notamment impossible l'accès par la route. Je me demande vraiment comment cela va pouvoir se passer pour ces gens-là.
M. Ticoll : J'estime que c'est l'occasion rêvée pour concevoir une solution authentiquement canadienne que nous pourrions également exporter.
Le sénateur Mercer : Merci beaucoup d'être des nôtres aujourd'hui. Tout cela est très intéressant et nous sommes heureux de pouvoir compter sur votre expertise.
Je m'interroge notamment au sujet de la planification municipale qui sera nécessaire pour l'adoption de cette nouvelle technologie et quant au fait que nous semblons creuser ainsi, comme nous l'ont fait remarquer les sénatrices Bovey et Griffin, un fossé encore plus large entre nos municipalités urbaines et rurales.
Je vis maintenant en milieu rural et je peux comprendre que ces véhicules s'inscriront mieux dans les plans d'aménagement des centres urbains, suivant votre description des scénarios pour 2025 et 2035. En milieu rural, les avantages seront moins considérables. En effet, ceux parmi nous qui vivons dans un secteur rural auront sans doute moins facilement accès que les Canadiens des centres urbains aux services offerts par ces entreprises misant sur une flotte de petits véhicules automatisés.
Comment peut-on réconcilier le tout? J'ai toujours pensé que les politiques gouvernementales devraient être conçues de manière à profiter à tous les Canadiens. Il est difficile d'y parvenir lorsqu'il y a une division aussi claire entre ruraux et urbains.
M. Ticoll : Je dois d'abord préciser en toute justice que la mise en œuvre de cette technologie est vraiment complexe en milieu urbain, notamment en raison de toutes les répercussions possibles. Je vous recommande d'ailleurs de bien analyser toutes les considérations liées à cet enjeu aussi crucial que délicat.
Pour ce qui est de la situation en milieu rural, comme je l'indiquais à la sénatrice Bovey, je crois que les résidents ruraux pourront dans un premier temps simplement utiliser la technologie de conduite automatisée dans leur propre véhicule. Même dans une région de villégiature comme celle où j'ai mon chalet, il y a une véritable structure de classes sociales. Il y a les propriétaires de chalet qui sont plus fortunés, mais aussi les résidents locaux dont plusieurs arrivent difficilement à joindre les deux bouts. Un modèle d'affaires devrait être établi pour venir en aide à ces gens-là au moyen de véhicules accessibles sur demande. Il est bien évident que ces véhicules seront moins nombreux, mais on en a aussi besoin de moins, et il faut s'assurer que le service est accessible.
Il faut simplement faire les calculs nécessaires. Si l'on parvient à déterminer l'endroit où l'on doit déployer ces véhicules, les garder et les rendre accessibles aux gens suivant leurs besoins, je crois que nous aurons un modèle viable pour les services sur demande en milieu rural, tant pour ceux qui habitent au fond d'un rang que, et à plus forte raison, pour ceux qui vivent dans les villages.
[Français]
Le sénateur Cormier : Votre présentation nous fait rêver. Elle nous donne une vision de ce que pourraient devenir nos régions. Mes collègues ont beaucoup parlé des régions rurales. Je suis aussi issu d'une région rurale. Vous avez répondu en partie à la question que je me posais quant à l'impact de l'arrivée des voitures automatisées sur nos régions en ce qui a trait à l'aménagement des infrastructures et à la de politique publique, ainsi qu'à la possibilité pour nos personnes âgées ou à mobilité réduite d'avoir accès à ces véhicules. À votre avis, quelles mesures pourrait prendre le gouvernement fédéral pour préparer ces régions rurales à accueillir ces moyens de transport? Cela touche les politiques publiques aux échelons fédéral et provincial, de même que l'aménagement à l'échelon municipal.
Comme vous l'avez expliqué, c'est très complexe, mais comment pourrait-on travailler en amont pour préparer les régions rurales à accueillir les véhicules automatisés?
M. Ticoll : Merci de votre question. À mon avis, il serait important de mener des expériences aussi tôt que possible. Nous disposons de budgets pour 2017, et peut-être aussi pour les années à venir. Nous avons l'expérience de l'initiative Smart City Challenge qui sera menée pendant plusieurs années. On pourrait peut-être faire des essais dans les régions rurales et celles qui sont plus éloignées des centres. Selon moi, ces mises à l'essai sont beaucoup plus importantes que le développement d'infrastructures ou de technologies, parce que si on fait des expériences...
[Traduction]
Est-ce que vous connaissez le programme Smart City Challenge? Je vais vous en parler brièvement.
Il y a quelques années, le gouvernement américain a lancé ce « défi des villes intelligentes » par l'entremise du ministère des Transports. C'était un concours doté d'un prix de 40 millions de dollars, si je ne m'abuse. Cette somme allait être remise à la ville qui proposerait les initiatives les plus créatives, novatrices et souhaitables. Le programme ne portait pas expressément sur les véhicules automatisés, mais une place de choix était réservée au transport ainsi qu'aux infrastructures connectées, car celles-ci sont de plus en plus présentes.
Les villes candidates devaient réfléchir à la façon dont elles allaient préparer l'arrivée des véhicules automatisés en même temps qu'à toutes sortes d'autres mesures intelligentes qu'une ville peut prendre. On les encourageait à soumettre des propositions traitant d'un large éventail d'enjeux stratégiques, comme l'accessibilité et l'équité sociale, qui sont au cœur de nos discussions d'aujourd'hui.
On préconisait en outre les partenariats avec le secteur privé. On n'avait aucune idée du nombre de propositions qui allaient être soumises. On en a finalement reçu 120, soit sans doute 10 fois plus que ce qu'on prévoyait. Sept finalistes ont été retenus et c'est en fin de compte la ville de Columbus en Ohio qui a été couronnée. Parmi les différentes mesures mises de l'avant par Columbus, il y en avait qui touchait les véhicules connectés et automatisés. Toutes les villes finalistes ont indiqué vouloir aller de l'avant avec une grande partie des initiatives qu'elles avaient proposées même si elles n'avaient pas remporté le concours. Les villes en question ont eu droit à la collaboration de l'industrie à cette fin.
En faisant appel à l'imagination des gens et en leur offrant un certain incitatif financier, on a sans doute mieux réussi à répondre à quelques-unes des préoccupations soulevées par vous comme par d'autres que si l'on avait directement mis en œuvre une de ces nouvelles technologies. Il est extrêmement encourageant que le gouvernement envisage la mise en place d'un programme semblable.
La sénatrice Griffin : Ma question porte sur l'alphabétisation. Le Canada doit malheureusement composer dans certains secteurs avec un taux d'analphabétisme fonctionnel très élevé, et ce, malgré tout l'argent que nous consacrons à l'éducation.
Les témoins précédents ont indiqué que les mécaniciens allaient devoir acquérir des compétences pointues exigeant un niveau élevé d'alphabétisation. Il en ira de même des propriétaires de véhicule, bien que j'apprécie votre hypothèse voulant que les consommateurs soient plus nombreux à renoncer à posséder leur propre auto dans ce contexte.
Pour revenir aux mécaniciens, les adultes possédant un faible niveau d'alphabétisation doivent généralement être déjà en chômage pour avoir accès aux programmes de formation bénéficiant d'un financement, et seuls certains secteurs sont ciblés.
Quelles seraient vos suggestions quant aux recommandations que nous pourrions formuler au gouvernement fédéral en matière de formation?
M. Ticoll : Ce sont les compétences en technologie de l'information qui sont les plus importantes à différents niveaux. Ainsi, les techniciens auront un rôle de plus en plus grand à jouer pour ce qui est de l'entretien.
Dans la classification que j'ai élaborée au fil des ans pour le marché du travail en technologie de l'information, le technicien joue souvent le rôle du négligé. Nous pensons surtout aux concepteurs de logiciels et aux créateurs de nouvelles technologies, par exemple. En fait, les techniciens représentent environ le quart de la main-d'œuvre du secteur des technologies de l'information et des communications.
Il faut commencer à former des gens qui vont pouvoir prendre en charge les nouvelles technologies qui seront au cœur des véhicules autonomes. Il y a l'aspect logiciel, le matériel et la connexion réseau. La formation est le moyen à privilégier pour répondre à la préoccupation que vous exprimez.
Je veux également souligner que je ne crois pas qu'un niveau particulier d'alphabétisation sera nécessaire pour les consommateurs qui utiliseront un de ces véhicules automatisés. La conception de produits conviviaux est devenue l'un des domaines importants du secteur technologique. Il s'agit de faire en sorte que la technologie puisse être utilisée par n'importe qui, comme c'est le cas pour nos autos actuellement. Cet aspect des choses ne m'inquiète donc pas trop.
Le sénateur Eggleton : Pourriez-vous nous donner un bref aperçu des recommandations que vous avez soumises à la ville de Toronto? Ce n'est pas uniquement parce que je vis là-bas, mais aussi parce que je pense que c'est utile pour mieux comprendre la situation dans un contexte urbain. Nous avons parlé un peu de l'aspect rural. Nous devons également nous pencher sur la manière dont les choses pourraient se passer dans les villes.
M. Ticoll : Merci de me poser cette question qui est sans doute la plus difficile et celle à laquelle je m'attendais le moins.
Si la question est difficile, c'est parce que j'ai rédigé ce mémoire de 75 ou 80 pages — et je crois d'ailleurs qu'il est cité dans votre documentation — en essayant de jeter les bases complètes d'un plan d'action stratégique. Il y a toutes ces considérations à prendre en compte, notamment pour ce qui est de l'emploi, de l'urbanisme, des besoins en infrastructures et de l'étalement urbain. La gestion de l'information est un tout nouvel enjeu stratégique. Mon mémoire visait donc notamment à dresser une liste des questions auxquelles nous devions réfléchir. Comme il s'agissait de l'un des premiers documents rédigés à ce sujet au Canada, il était important de proposer ainsi des bases solides en s'appuyant notamment sur des données probantes.
Je dirais que ma principale recommandation était de comprendre la complexité de la question et d'en saisir toutes les dimensions si nous voulons réussir. J'ai créé une proposition d'approche à trois niveaux que la ville pourrait adopter.
Le premier niveau consiste simplement à s'informer, à se préparer et à envisager comment réagir au fil des événements.
En deuxième lieu, il faut agir davantage en amont en essayant d'attirer des constructeurs de véhicules pour qu'ils fassent l'essai de leurs engins à Toronto, de sorte que la ville devienne une sorte de plaque tournante pour les véhicules branchés et automatisés.
Le troisième niveau est encore plus grandiose et consiste à faire en sorte que Toronto devienne un centre mondial. À l'époque, il était question de tenir une exposition universelle à Toronto, de sorte que ce volet pourrait être intégré à une soumission pour l'événement. Il faut voir grand et démontrer que Toronto est un véritable chef de file mondial dans la mise en œuvre de cette technologie, et se servir de l'exposition universelle comme prétexte afin de financer des initiatives qui changeront le mode de vie des gens dans la ville.
Voilà essentiellement de quoi il s'agissait.
Le sénateur Eggleton : Je ne vais pas vous poser plus de questions là-dessus. Je vais lire le document.
Dans votre exposé d'aujourd'hui, vous vouliez que nous envisagions un scénario selon lequel, d'ici 20 ans, la plupart des consommateurs auront abandonné leur voiture au profit de taxis électriques et automatisés pour leur transport personnel. Quelle serait l'incidence d'un tel scénario sur le transport en commun en milieu urbain? D'après vous, comment cette situation se répercuterait-elle sur le transport en commun?
M. Ticoll : Si un tel scénario se produit, il y aura moins de véhicules dans la ville en tout temps. Plutôt que d'avoir peut-être 2 millions de voitures en circulation à Toronto, dont environ la moitié viennent quotidiennement de l'extérieur de la ville, il y en aurait peut-être 800 000 ou moins, dans le modèle maximal. En revanche, il y aura toujours plus de véhicules sur la route étant donné que ceux-ci seront utilisés continuellement. Il faut aussi compter tous les segments de la population qui, auparavant, n'avaient aucun moyen de transport personnel, de sorte que ce sera plus pratique. De même, lorsqu'une voiture déposera un utilisateur, elle se dirigera ensuite vers le prochain client. Il y aura donc plus de véhicules sur la route, et c'est un enjeu politique que nous devons aborder avant même de répondre à la question.
Le modèle comporte deux types de véhicules. Le premier peut transporter deux personnes, et l'autre est un minibus automatisé qui peut compter sept ou huit passagers. En fait, ces minibus pourraient bien remplacer de nombreux autobus. Compte tenu de ces deux innovations, les autobus pourraient être particulièrement touchés étant donné que les nouvelles technologies seront beaucoup plus pratiques et abordables.
En revanche, il y a encore d'excellentes occasions à saisir du côté du transport en commun en ce qui a trait aux voies ferroviaires ou automatisées — et je pense que nous devrions avoir davantage recours à ces technologies, étant donné que leur mise en œuvre coûte moins cher.
Le modèle idéal est multimodal. Il existe un concept de mobilité en tant que service qui fonctionne à partir d'une application sur téléphone mobile. Disons que vous décidez de vous rendre quelque part à l'autre bout de la ville. Sur l'impulsion du moment, vous jugez bon de marcher une certaine distance. Vous choisissez ensuite de faire un bout du chemin en bicyclette, puis vous prenez le métro pour cinq ou six kilomètres. Lorsque vous descendez, vous prenez un autre mode de transport. Tout peut être réservé à partir d'une application, ce qui représente un intérêt économique. Quelque part en cours de route, vous prenez aussi une voiture automatisée, qui fait évidemment partie du modèle. Il s'agit donc d'une vision fort différente du transport urbain.
Voilà le genre de chose qui est en train de se produire. De nombreux pays scandinaves commencent à mettre en œuvre ce système en prévision de l'arrivée des véhicules automatisés. Le Royaume-Uni en fait l'essai. D'ailleurs, les gens en parlent déjà au Canada. Dans le cadre du défi des villes intelligentes, j'espère qu'une ville dynamique lancera un projet pilote de mobilité en tant que service.
Je pense que les autobus sont probablement le mode de transport le plus vulnérable.
Le sénateur Eggleton : Ce sont des concepts intéressants.
Permettez-moi de vous poser une question sur une chose que vous avez dite aujourd'hui. Je l'ai déjà vu dans un mémoire que vous nous aviez soumis précédemment. Vous avez dit :
Selon mes calculs, les [véhicules branchés et automatisés (VBA)] pourraient entraîner des pertes d'emploi dans des secteurs ou des professions qui emploient plus de 1,1 million de Canadiens. Les VBA créeront aussi des emplois, mais il est difficile de voir dans quelle mesure le résultat net sera positif.
Pouvez-vous expliquer la dernière partie de cette affirmation?
M. Ticoll : Regardons les chiffres. Environ la moitié des 1,1 million de personnes sont des conducteurs professionnels quelconques. Ils conduisent des camions, des taxis ou des limousines. Ils assurent des services de livraison et de messagerie. Ce sont des travailleurs qui livrent le courrier et qui sont responsables des services postaux et de messagerie. L'autre moitié occupent d'autres emplois et ne sont pas des conducteurs professionnels. Bon nombre de leurs emplois ne seront plus nécessaires. Nous n'aurons même pas besoin d'automatiser leurs tâches. Par exemple, nous avons parlé des agents et des courtiers d'assurance. Si nous adoptons un modèle de mobilité sur demande, les grandes entreprises qui offrent ces services n'achèteront même plus d'assurance automobile personnelle. Peu importe si les accidents disparaissent. Les entreprises s'assureront elles-mêmes ou feront affaire avec une grande entreprise mondiale à cette fin. Au pays, 66 000 personnes sont des agents et des courtiers d'assurance. Aussi, l'entretien automobile et les ateliers de carrosserie emploient 166 000 personnes.
Ce n'est pas que l'absence d'accidents qui aura une incidence sur ces emplois. Si les véhicules sont électriques, ils n'auront plus besoin de changements d'huile et de bougies. Une bonne partie de l'entretien régulier disparaîtra. Il y aura donc beaucoup de gens qui devront se retrouver un emploi.
Le chômage technologique ne touchera pas uniquement ces secteurs, et il fera bel et bien d'autres victimes aussi.
Lorsque nous avons assisté à des vagues massives de création d'emplois par le passé, qu'il s'agisse de l'industrialisation au début du XXe siècle, ou de l'essor de l'emploi qui a suivi la guerre, nous avions une assez bonne idée de l'ampleur de la demande de main-d'œuvre qui nous frappait comme une immense vague. Je n'arrive toutefois pas à voir d'où une telle vague pourrait venir à l'heure actuelle.
Le sénateur Eggleton : Vous avez parlé tout à l'heure de la question de la sénatrice Griffin, à propos des personnes qui doivent se recycler, c'est-à-dire des personnes qui se forment dans les technologies de l'information. Or, ce n'est pas tout le monde qui est capable d'évoluer dans le secteur des hautes technologies.
M. Ticoll : Ou qui souhaite le faire.
Le sénateur Eggleton : Oui — si j'ai bien compris, la plupart de ces gens font partie de ce qui, selon vous, ne sera pas un résultat très positif, n'est-ce pas?
M. Ticoll : C'est exact. Il y a une incidence sur les emplois, sur la gestion de l'information et sur l'étalement urbain. Les défis à relever sont nombreux.
Le président : Monsieur Ticoll, je vous remercie de votre témoignage. Comme vous l'avez constaté, il y avait un fort intérêt.
Chers collègues, nous allons maintenant nous réunir brièvement à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)