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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 15 - Témoignages du 2 mai 2017


OTTAWA, le mardi 2 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, pour poursuivre son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, ce matin, le comité poursuit son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules intelligents.

[Traduction]

Aujourd'hui, nous accueillons deux groupes de témoins. Je souhaite la bienvenue à M. Todd Litman, directeur général du Victoria Transport Policy Institute, qui fait partie du premier groupe.

[Français]

Merci d'être avec nous. Je vous invite à faire votre présentation et, par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.

[Traduction]

Todd Litman, directeur général, Victoria Transport Policy Institute : Je viens d'une petite ville lointaine appelée Victoria, dont vous avez peut-être déjà entendu parler. Comme je suis arrivé à trois heures du matin en raison des retards, je ferai donc mon possible pour vous livrer un message cohérent.

Je vais aborder une question fort intéressante : dans combien de temps les automobiles rouleront-elles toutes seules et quand pourrez-vous congédier votre chauffeur? Depuis quelques années, j'étudie l'incidence des véhicules autonomes sur les politiques de transport, notamment en ce qui concerne les besoins en matière de construction de routes et de stationnements et de financement du transport en commun; je me penche également sur le rôle que joueront ces infrastructures dans l'avenir. Enfin, je fais un examen critique de leurs répercussions, leurs avantages et leurs coûts sur les déplacements et tente de prédire dans combien de temps les véhicules autonomes arriveront sur le marché à prix abordable et feront partie intégrante des parcs de véhicules.

Vous avez peut-être appris, par le biais de multiples reportages, que les véhicules autonomes sont à nos portes; de nombreux constructeurs ont fait savoir que leurs véhicules autonomes avaient déjà parcouru des milliers, voire des centaines de milliers de kilomètres et certains grands constructeurs ont annoncé qu'ils allaient bientôt les offrir sur le marché. Il serait avisé d'accueillir avec prudence et un peu de scepticisme la nouvelle que nous aurons bientôt une flotte de véhicules autonomes.

Les répercussions des véhicules autonomes font l'objet d'une incertitude considérable. Selon leurs défenseurs, les avantages seront nombreux, mais leur coût sera élevé. Ces véhicules devront être pourvus d'équipement additionnel et les coûts d'entretien et de réparation ajouteront probablement des centaines ou des milliers de dollars au coût annuel par véhicule; de plus, nombre de leurs avantages restent encore à démontrer.

D'importants obstacles techniques et économiques devront être abolis avant que la plupart des foyers puissent utiliser un véhicule autonome pour leurs déplacements quotidiens. Conduire un véhicule sur les routes publiques est une opération très complexe à cause de la fréquence des interactions, souvent imprévisibles, avec divers objets rapprochés tels que véhicules, piétons, animaux et nids-de-poule. Si les modèles de déploiement de cette technologie ressemblent à ceux des technologies automobiles précédentes, les premiers véhicules autonomes seront coûteux et imparfaits.

Au cours des années 2020 à 2030, ces véhicules seront vraisemblablement chers et leurs conditions d'utilisation seront limitées; par exemple, il sera impossible de les utiliser en présence de neige et de glace. La technologie qui permettra aux véhicules autonomes de rouler dans la neige n'a pas encore vu le jour. Il reste encore trop d'obstacles techniques à surmonter. Dans quel pays vivons-nous? Au Canada. Y a-t-il de la neige et de la glace? Oui.

Il faudra probablement attendre les années 2040 ou 2050 avant que les familles à revenu moyen puissent se permettre de posséder un véhicule sans conducteur qui pourra rouler de façon sécuritaire dans toutes les conditions, et encore plus longtemps avant que les véhicules autonomes d'occasion deviennent abordables pour les ménages à faible revenu.

Certains automobilistes préféreront conduire eux-mêmes, un peu comme ceux qui choisissent une boîte de vitesses manuelle, ce qui créera de nouveaux problèmes de gestion routière. L'un des principaux défis se posera lorsque la flotte routière sera mixte, avec un mélange de véhicules autonomes et de véhicules avec conducteur, un cas de figure qui risque de perdurer durant des décennies. Il faudra attendre longtemps avant que les autorités soient en mesure d'interdire les automobiles avec conducteur et d'achever la transition vers des véhicules autonomes. D'ici là, il y aura de nombreuses complexités à régler.

Les innovations dans le domaine de l'automobile tendent à s'implanter plus lentement que les autres changements technologiques à cause de leurs coûts élevés, du taux de roulement ralenti du parc automobile et des exigences rigoureuses relatives à la sécurité. Une automobile coûte en moyenne 50 fois plus cher et dure 10 fois plus longtemps qu'un téléphone portable ou un ordinateur personnel, de sorte que les consommateurs achètent rarement un nouveau véhicule simplement pour se doter d'une nouvelle technologie. Il faudrait d'importantes augmentations des achats de véhicules neufs ainsi que des taux élevés de mise à la ferraille pour que la majorité des véhicules soient autonomes d'ici 2050. Voyons donc les choses sous cet angle : pour passer à une flotte uniquement composée de véhicules autonomes, nous devrons, au cours des prochaines décennies, prendre la décision d'envoyer à la casse un nombre considérable de véhicules en parfait état de marche dans le simple but de les remplacer par des véhicules autonomes.

L'utilisation d'un véhicule autonome réduira probablement de 20 à 40 p. 100 les coûts du taxi, ce qui permettra aux foyers d'acheter moins de véhicules. Cependant, de nombreux automobilistes préféreront posséder leur propre automobile pour des questions de prestige et par souci de commodité. En conséquence, le partage de véhicules autonomes devrait réduire le nombre de voitures compactes dans les zones urbaines multimodales, mais il aura peu d'effet en banlieue et en région.

Les défenseurs des véhicules autonomes en exagèrent peut-être les avantages nets, en omettant de prendre en compte les nouveaux coûts et risques qui y seront associés. Par exemple, il est amplement démontré, et les chercheurs en sécurité le savent pertinemment, que lorsque les automobilistes ou autres usagers de la route se sentent plus en sécurité, ils ont tendance à conduire plus vite et à prendre un peu plus de risques; en outre, bon nombre des stratégies de sécurité mises en place pour réduire le nombre de collisions ne donnent pas les résultats escomptés en raison de ce que nous appelons le comportement de compensation ou les effets de rebond. Lorsqu'ils savent que les automobilistes autour d'eux sont vigilants et conduisent de manière sécuritaire, les piétons, cyclistes et automobilistes ont alors tendance à prendre plus de risques. Les avantages sur le plan de la sécurité, dont la réduction de certains risques, pourraient alors être annulés par l'augmentation de nouveaux risques.

Un autre enjeu crucial est que, même si la conduite autonome réduira forcément certains types de risques dus à des erreurs humaines, elle posera vraisemblablement une série de risques nouveaux, comme les défaillances techniques et le piratage. La dernière fois que votre téléphone mobile ou votre ordinateur n'a pas fonctionné comme prévu, c'était quand? Avec les véhicules autonomes, nous aurons les mêmes incertitudes.

De plus, un risque généralisé pourrait se poser si les instances gouvernementales, les législateurs et les planificateurs décidaient de réduire une partie de nos services conventionnels, par exemple les investissements dans le transport public. Les gens qui n'ont pas les moyens de se payer un véhicule autonome pourraient être les grands perdants.

Les professionnels du transport — planificateurs, ingénieurs et analystes des politiques — ont un rôle important à jouer en matière de mise au point et de déploiement de véhicules autonomes. Nous pouvons soutenir la mise au point et les essais et établir des normes de rendement auxquelles les véhicules devront se conformer pour circuler légalement sur les voies publiques.

Si ces véhicules fonctionnent correctement et gagnent en popularité, ils pourront avoir une incidence sur les décisions de planification relatives à l'approvisionnement, à la conception et à l'exploitation du réseau routier, des parcs de stationnement et des solutions de transport en commun. Par prudence, il serait préférable de modifier les infrastructures seulement lorsque les avantages des véhicules autonomes, leur accessibilité économique et leur acceptation par le public auront été clairement établis. Cela peut aussi varier. Les véhicules autonomes pourront avoir un impact plus fort sur certaines routes et certaines collectivités que sur d'autres.

On a notamment beaucoup entendu dire que les véhicules autonomes contribueront à réduire la congestion routière, mais presque tous les modèles semblent indiquer que ce sera le cas uniquement sur les routes dotées d'une voie qui leur est spécialement réservée. Il est peu probable que la congestion routière diminue dans les villes, du moins dans un proche avenir. Il sera important de préciser sur quels genres de routes certains de ces avantages se feront sentir.

Un autre enjeu de taille est l'impact que les véhicules autonomes auront sur l'ensemble des déplacements automobiles et sur les coûts externes que ceux-ci entraînent. En augmentant la commodité et le confort du transport, et en permettant les déplacements sans conducteur et la circulation sur les routes pour éviter des frais de stationnement, ces véhicules pourraient accroître le trafic de façon importante, mais pourraient aussi faciliter l'autopartage, une pratique qui réduit le nombre d'automobiles que possèdent les ménages et, partant, le nombre total de leurs déplacements.

Mon étude tend à démontrer que les véhicules autonomes contribueront probablement à l'augmentation du nombre total de déplacements et des coûts externes liés à la congestion routière, aux accidents et à la pollution de l'air, à moins que leur utilisation soit assortie de politiques appropriées, par exemple de droits de péage pour l'utilisation du réseau routier et des espaces de stationnement.

Il importe également de s'interroger sur l'ampleur des avantages dont nous bénéficierons lorsqu'une partie seulement des déplacements se fera par véhicules autonomes. Il y aura des avantages certains, par exemple la mobilité accrue des non-conducteurs nantis, propriétaires de véhicules autonomes rares et coûteux, mais de nombreux avantages se feront sentir seulement lorsque la plupart, voire la totalité, des véhicules seront autonomes. Il semble peu probable, par exemple, que la densité du trafic et la congestion routière soient grandement réduites, que les voies de circulation deviennent plus étroites, que le nombre de places de stationnement diminue de façon importante ou que les feux de circulation soient éliminés avant que la totalité ou presque des véhicules fonctionnent de manière autonome sur ces routes.

Un autre enjeu de taille en matière de politiques publiques est la mesure dans laquelle cette technologie peut léser les personnes qui n'utiliseront pas les véhicules autonomes; il faut également se demander si l'augmentation de la vitesse et des flux de circulation seront préjudiciables aux marcheurs et aux cyclistes, si les services traditionnels de transport en commun seront réduits ou si l'utilisation de véhicules traditionnels sera limitée. Ces questions donneront probablement lieu à de vifs débats sur les mérites et l'équité de l'utilisation de véhicules autonomes.

Le déploiement de cette technologie n'est qu'une des nombreuses tendances susceptibles d'avoir une incidence sur la demande et les coûts futurs en matière de transport et, partant, sur les décisions de planification, sans pour autant être l'incidence la plus importante. Les répercussions ultimes dépendront de la façon dont cette tendance interagira avec d'autres, comme le recours à l'autopartage. Cela ne changera probablement pas la donne au cours de la plus grande partie de nos vies professionnelles et il n'y a certes pas lieu de parler d'un nouveau paradigme puisque cette technologie ne modifie pas fondamentalement la façon dont nous définissons les problèmes de transport; elle renforce simplement la planification existante des transports orientée sur l'automobile.

Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Litman.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Litman, pour commencer, je vous remercie de votre rapport qui m'apparaît très réaliste. Je pense que les gens que nous avons écoutés à ce jour ont des positions qui varient entre très optimistes et très pessimistes. La vôtre se situe dans une approche très réaliste.

J'aurais quelques questions à vous poser, premièrement en ce qui concerne la transformation du mode de véhicule, passant du véhicule actuel qui est très peu autonome au véhicule automatisé. Quel serait le plus grand défi dans cette transition? Est-ce la technologie automobile ou le transfert des infrastructures? Je pense aux routes, aux recharges, aux passages à niveau, et cetera.

[Traduction]

M. Litman : C'est une excellente question. Ma réflexion repose sur l'hypothèse que les technologues réussiront à mettre au point des voitures automatisées. Un jour, peut-être même dès le début ou la fin des années 2020, voire au cours des années 2030, vous pourrez acheter ce genre de véhicule chez un concessionnaire.

Si la tendance prévue par les technologues se maintient, il y aura cinq niveaux de technologie. Le premier englobe les technologies déjà sur le marché, comme le régulateur de vitesse et autres dispositifs semblables. La technologie du deuxième niveau, qui commence à être offerte, permet aux véhicules de suivre la route même si le conducteur a les yeux fermés. Au troisième niveau, certaines opérations se font automatiquement.

C'est la technologie du quatrième niveau qui permettra à une personne incapable de conduire, parce qu'elle est aveugle, trop jeune ou pour toute autre raison, de prendre le volant. L'auto s'approchera de la personne, celle-ci y montera et l'auto roulera toute seule. Ces véhicules de niveau quatre fonctionneront uniquement dans des conditions favorables, c'est-à-dire par temps ensoleillé, de jour et sur des routes bien cartographiées.

La technologie de niveau cinq repose sur l'hypothèse que les véhicules pourront fonctionner de façon autonome dans toutes les conditions : vous n'aurez plus besoin d'utiliser votre automobile conventionnelle pour emmener vos enfants à leur pratique de hockey et vous n'aurez même pas besoin d'être physiquement présent dans l'auto.

Il est certain que les véhicules des niveaux un, deux et trois seront bientôt sur le marché. Une partie de la technologie du troisième niveau nécessite la mise en place d'une excellente cartographie routière, ou peut-être l'installation de marqueurs ou de capteurs, ainsi que d'un bon système de communication entre les véhicules. Ces dispositifs seront fort probablement en place bientôt; selon moi, le principal rôle du gouvernement ou des décideurs consistera alors à encadrer la transition pour s'assurer qu'elle se déroule de manière aussi sécuritaire que le promet l'industrie.

Selon les prévisions des observateurs optimistes, c'est la technologie du quatrième niveau qui permettra vraiment de réduire la congestion routière, le nombre de parcs de stationnement et les services de transport en commun. Des décisions stratégiques devront être prises afin de planifier des infrastructures adaptées à ce niveau de technologie.

Je pense qu'il faudra jouer un rôle modeste en soutenant et en encadrant la technologie et en en évaluant la performance; dans une optique de stratégie et de planification, ce qui m'intéresse surtout, c'est de savoir dans combien de temps nous pourrons commencer à ralentir la construction de routes ou de parcs de stationnement et à rétrécir les voies? Ma recherche fait ressortir deux points. Le premier, c'est qu'il faut prendre en compte d'autres tendances socioéconomiques, tout aussi importantes, sinon davantage.

Par exemple, l'application Uber ou les services d'autopartage, comme nous les appelons, permettent déjà à de nombreux ménages de réduire leur besoin de posséder un véhicule, en les encourageant à utiliser des véhicules partagés. Cette tendance est déjà là, avec ou sans véhicules autonomes. De la même manière, un grand nombre de familles, surtout parmi les jeunes, souhaitent vivre dans un milieu urbain où il est possible de se déplacer à pied et d'être moins dépendants de l'automobile. Il est démontré que les jeunes adoptent un mode de vie multimodal. Ils ne veulent pas être propriétaires de plusieurs automobiles, préférant plutôt se déplacer à pied, à vélo et en transport en commun.

Ces tendances sont là, quelle que soit l'évolution des véhicules autonomes. C'est pourquoi je recommande de considérer les véhicules autonomes comme une tendance parmi d'autres qui est en train de bouleverser la demande en matière de déplacements ainsi que les besoins futurs en matière d'infrastructures.

Ai-je bien répondu à votre question?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui. Vous avez abordé un problème important, qui est celui de la mise au rancard de véhicules conventionnels en faveur des véhicules autonomes. À ce chapitre, nous risquons de vivre une période où les rebuts entraîneront un réel problème de gestion des matières résiduelles pour nos sociétés. Nous consommons déjà beaucoup de matières résiduelles. Vivrons-nous la même situation que celle de nos téléphones portables ou de nos téléviseurs, que nous devons remplacer tous les deux ou trois ans, parce qu'une nouvelle technologie arrive sur le marché, ce qui crée un problème de gestion des matières résiduelles? Comment pourrons-nous gérer cette masse de déchets qu'entraînera la transition des véhicules conventionnels vers les véhicules automatisés? Avez-vous des pistes de solution?

[Traduction]

M. Litman : C'est exact. Voilà une autre question intéressante. À mon avis, la flotte de véhicules ne se renouvellera pas rapidement. Je pense que la transition vers les véhicules autonomes sera très lente.

Dans le cadre de ma recherche, je me penche sur les technologies automobiles antérieures. Un bon exemple est la transmission automatique. Les boîtes de vitesses automatiques ont été mises sur le marché dans les années 1940, mais ce n'est que dans les années 1970 qu'elles sont devenues suffisamment fiables. Durant les deux décennies qui ont suivi leur commercialisation, elles coûtaient cher et posaient divers problèmes. Ce n'est que dans les années 1980 qu'elles ont commencé à faire partie de l'équipement de base; il n'était plus nécessaire de payer un supplément pour avoir une transmission automatique. Encore aujourd'hui, certains automobilistes préfèrent une boîte de vitesses manuelle. Comme un véhicule fonctionne en moyenne 15 ou 16 ans, il reste encore un grand nombre de véhicules à transmission manuelle dans la flotte.

Mon analyse porte sur des facteurs comme ceux-là. Je doute qu'un grand nombre d'automobilistes se débarrassent de leur voiture pour acheter un véhicule autonome. En fait, pendant quelque 10 à 20 ans après leur mise en marché, ces véhicules seront assez onéreux, tout comme l'a été la première génération de véhicules à transmission automatique. Les riches qui roulent déjà en Mercedes-Benz ou en Cadillac se procureront les versions dotées d'une conduite autonome. Cette fonction leur coûtera 5 à 10 000 $ de plus. Mais les familles qui possèdent une berline de base meilleur marché ou qui achètent des véhicules d'occasion ne se mettront probablement pas à acheter des véhicules automatisés abordables avant les années 2040, c'est-à-dire dans 20, 30 ou 40 ans. Je doute que beaucoup de gens soient prêts à envoyer leur vieux véhicule à la casse pour s'acheter un véhicule doté de caractéristiques qui en fera grimper le prix de plusieurs milliers de dollars.

À mon avis, les principaux problèmes économiques et environnementaux ne seront pas liés à la mise à la casse des vieux véhicules, car c'est bien ce dont nous parlons, de la mise au rebut. Le principal risque sera l'augmentation du nombre total de déplacements automobiles.

Par exemple, une personne bien nantie qui veut acheter une propriété sera peut-être disposée, si elle possède un véhicule automatisé, à en acheter une dans un rayon de 60 à 80 kilomètres. Les manufacturiers d'automobiles commenceront à annoncer que les sièges se transforment en lits. Le matin, vous vous réveillerez, votre auto vous conduira au travail pendant que vous continuerez à roupiller. Les fabricants de véhicules intelligents pourraient même aller jusqu'à proposer des véhicules à deux lits pliables et à en vanter la commodité pour les ébats sexuels sur le chemin du bureau. Ils tenteront de vous persuader que votre nouvelle voiture peut être un lieu de plaisir. J'espère simplement que les vitres teintées seront obligatoires sur ces véhicules.

Ce sont là des préoccupations tout à fait légitimes qui n'ont rien à voir avec la mise au rebut, mais bien avec l'augmentation des déplacements et, partant, de la congestion routière, de la pollution atmosphérique et des accidents susceptibles de se produire si les véhicules autonomes rendent la conduite beaucoup plus facile et abordable.

Le président : Chers collègues, comme la liste d'intervenants est très longue, je demande à chacun de se limiter à une seule question. Monsieur Litman, je vous demanderais également de répondre de façon concise afin que tout le monde puisse intervenir avant que nous passions au deuxième groupe.

M. Litman : Je comprends.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie de votre présentation, monsieur Litman. J'aimerais soulever quelques éléments liés à la responsabilité quant aux accidents. J'ai été policier pendant plusieurs années, et j'ai traité plusieurs accidents où l'erreur humaine était en cause. On avait beau blâmer la route et dire que c'était la courbe de la mort, la véritable cause était la vitesse. Nous pouvons présumer que 90 p. 100 des accidents sont causés par des erreurs humaines. Dans la majorité des cas, deux humains sont en cause et l'un d'eux est responsable, vraisemblablement. Avec les véhicules automatisés, nous pouvons présumer qu'il y aura un être humain en moins, mais il y aura toujours l'autre être humain qui fera partie du décor routier et qui commettra des erreurs de conduite.

Jusqu'à quel point le facteur humain pourra-t-il faire en sorte que l'augmentation de la sécurité reliée aux véhicules automatisés permette réellement de réduire le nombre d'accidents? Avez-vous consulté des compagnies d'assurance sur la question des responsabilités, et sont-elles enthousiastes face à ce projet?

[Traduction]

M. Litman : Je suis tout à fait conscient du coût énorme que les accidents de la route imposent à la société. Nous avons probablement tous des amis ou des proches qui ont été tués ou rendus handicapés lors d'un accident ou qui en ont payé le prix. Cela représente un coût important pour la société. C'est un fardeau financier considérable et toute mesure susceptible d'accroître la sécurité routière est bienvenue.

Il est vrai qu'environ 80 ou 90 p. 100 des accidents sont dus à une erreur humaine. N'oublions toutefois pas que la technologie des véhicules autonomes comporte son lot de nouveaux facteurs de risque; nous ne savons pas encore quels seront les gains nets en matière de sécurité. J'ai entendu de nombreux partisans de la voiture autonome affirmer que l'erreur humaine est la cause de 80 p. 100 des accidents et que les véhicules automatisés permettront donc de réduire de 80 p. 100 le nombre d'accidents. À mon avis, le pourcentage sera inférieur. Nous ne le savons pas. L'expérience le dira. Nous le saurons seulement lorsque ces véhicules seront pleinement opérationnels.

Conduire une automobile sur une route est une opération beaucoup plus complexe que piloter un avion. Un avion peut aller vers le haut et vers le bas, et aussi à droite ou à gauche, mais il ne risque pas d'entrer en collision avec des centaines d'objets à tout moment. La conduite dans le trafic est extrêmement complexe. Même si nous, humains, réagissons plus lentement, nous sommes dotés d'un gros bon sens, contrairement à la technologie. Une machine ne peut anticiper tous les facteurs susceptibles de causer une panne; les humains le peuvent. Je pense que nous découvrirons, à notre grande surprise, que les technologies de conduite autonome peuvent être la cause d'accidents, de diverses manières. Ce sera à nous de voir.

On discute beaucoup, non seulement avec les sociétés d'assurance, mais également parmi les parlementaires et les décideurs, au sujet de l'attribution de la responsabilité. En toute logique, il est clair que, si la programmation faite par un fabricant de logiciels est telle qu'elle influe sur les risques, le constructeur qui achète son logiciel doit être tenu responsable. Il doit y avoir une réflexion approfondie sur la manière de rendre logique l'imputation de la responsabilité, la responsabilité en cas de collision, pour les automobiles sans conducteur de telle sorte que les constructeurs automobiles seront incités à maximiser la sécurité. Je pense que c'est sur cela que vous devrez vous pencher en tant que décideurs. Vous devrez réfléchir à la façon de définir à qui appartient la responsabilité.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Supposons que vous achetez une automobile sans conducteur et que celle-ci est munie d'un cadran portant la mention « vitesse » à une extrémité et la mention « sécurité » à l'autre. Où fixerez-vous l'aiguille? En tant qu'acheteur, vous seriez tenté d'opter pour plus de vitesse, acceptant un peu plus de risques pour gagner du temps. Mais si vous êtes un membre du corps social, c'est-à-dire l'un des autres usagers de la route, vous voudriez que les conducteurs fixent l'aiguille plutôt du côté de la sécurité parce que vous vous préoccupez non seulement des blessures à l'occupant du véhicule, mais aussi à celles que d'autres personnes pourraient subir.

Lorsque les constructeurs produisent des voitures, ils prennent des décisions qui comportent de tels compromis entre la sécurité et la vitesse. Du point de vue des politiques publiques, il importe que leurs décisions soient les bonnes.

J'espère que cette réponse est utile.

La sénatrice Bovey : Tout cela est très intéressant. Je suis intéressée en particulier par l'étape de la transition entre la conduite automatisée et la conduite humaine ou la conduite mixte. Je trouve intéressant que vous pensiez que la société ou les particuliers voudront de ces véhicules. Quelle part de la recherche qui a été menée sur ces véhicules était basée sur les véhicules exploités par une entreprise, plutôt que ceux appartenant à des particuliers?

Vous nous avez conseillé la prudence à propos des modifications à apporter aux infrastructures en prévision de l'arrivée des véhicules autonomes, et cela avant qu'on en connaisse les avantages. Je vous demande en quoi consistent ces avantages. Nous avons beaucoup lu et entendu à ce sujet, et je suis consciente qu'ils pourraient être du domaine de l'imagination.

Une autre question, liée à la précédente, porte sur le rôle du transport en commun. Vous supposez qu'il est en déclin. Je me demande combien des études portées à notre connaissance supposent que l'utilisation du transport en commun augmentera en fait à la faveur d'une automatisation accrue et, par conséquent, se traduira par une diminution du nombre de voitures sur la route.

À tout prendre, qui au juste a l'initiative des politiques dans ce domaine? Nous avons entendu dire que c'est l'industrie et chaque ordre de gouvernement, et cela me préoccupe. Qui est réellement en charge?

M. Litman : Voilà une très bonne question. De toute évidence, c'est la tâche des responsables des politiques. Ils doivent élaborer le cadre dans lequel les fabricants, les entreprises de taxi et les automobilistes fonctionnent. Ce sont des questions très importantes.

Je serais le premier à reconnaître que la situation est un peu floue. Nous ne pouvons prédire l'avenir, et c'est l'une des raisons de mon grand scepticisme à l'égard des prévisions de gens qui disent que nous aurons tous des automobiles sans conducteur d'ici un certain temps. En réalité, nous ne le savons pas. Il existe une grande incertitude.

Pour le moment, nous sommes en transition vers une mobilité partagée. Plusieurs tendances la rendent plus attrayante pour beaucoup de ménages. Ces ménages ne veulent plus posséder autant de voitures. Ils veulent économiser. Ils souhaitent habiter dans un quartier qui soit propice à la marche, bien servi par le transport en commun, offrant un bon système d'autopartage leur permettant de louer une voiture à un taux horaire et des services comme Uber et Lyft, de façon à pouvoir ne conserver qu'une seule de leurs voitures, et même de s'en départir complètement.

Mettons cela en perspective. Mon ménage est, en termes démographiques, une famille moyenne : mère, père, deux enfants. Nous n'avons plus de voiture depuis neuf ans. Si nous pouvons nous en passer, c'est parce que nous habitons dans un quartier propice à la marche. Nous avons pu payer les études universitaires de nos enfants grâce aux économies réalisées en n'ayant pas de voiture. Je puis vous dire qu'il y a des avantages. Aussi, l'économie de partage, la mobilité partagée, offrent des avantages éventuels extraordinaires.

Les taxis en sont une composante importante. Dans la mesure où la technologie de la conduite automatisée rendra les déplacements en taxi plus abordables, c'est une bonne chose. Cela contribue à cette évolution.

Dans les secteurs suburbains où le transport en commun est inefficace en raison d'un faible achalandage, il est tout indiqué d'encourager le partage des technologies de véhicule automatisé.

Je pense qu'à peu près tous ceux qui font plus de 10 000 kilomètres par année — disons tous ceux qui font la navette pour se rendre au travail — voudront posséder une voiture personnelle. Même après l'avènement de la technologie de la conduite automatisée, ils posséderont une voiture personnelle sans conducteur. Pour ceux qui roulent, en gros, plus de 10 000 kilomètres par année, il est moins onéreux d'être propriétaire de sa voiture.

Dans les secteurs ruraux et suburbains, je pense que beaucoup de gens continueront de posséder des voitures personnelles, qu'elles soient sans conducteur ou à conduite humaine. C'est dans les villes que les possibilités de voir la possession d'une voiture personnelle céder le pas aux parcs de véhicules partagés sont les plus prometteuses. C'est là que nous pourrons obtenir des réductions sensibles de la congestion routière, des accidents, de la pollution atmosphérique et des frais aux consommateurs. C'est là que nous pourrons éventuellement réaliser d'importantes économies.

Le conseil que j'adresse aux responsables des politiques est d'insister sur la transition vers des véhicules partagés et plus efficaces sous toutes ses formes, que ce soit le transport en commun traditionnel, un service de taxis plus efficace, Uber et d'autres solutions de cette nature.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie grandement pour votre exposé, ainsi que pour vos travaux de recherche dans ce domaine. Ils nous sont très utiles.

Bien des gens ont décrit les avantages qui, au bout du compte, découleront des véhicules autonomes après automatisation complète, la réduction du nombre d'accidents et les concepts comme la conduite partagée et toutes les choses de ce genre. Tout ça, c'est très beau, mais je suis d'accord avec vous pour dire que la transition prendra peut-être des décennies. Dans certaines régions rurales ou exurbaines, elle pourrait bien être encore plus lente.

Avant longtemps, je pense que nous aurons sur nos routes des véhicules autonomes d'un certain niveau. Peut-être le niveau 3, qui est celui de l'automatisation conditionnelle. Peut-être seulement sur les grandes routes, avec prise en charge par le conducteur humain dans la circulation urbaine parce que, s'il risque d'y avoir, à la longue, beaucoup, sinon plus, de véhicules autonomes, dans les premiers temps, les véhicules traditionnels à conduite humaine seront probablement plus nombreux.

Cela créera beaucoup de complications, surtout aux premières étapes de la transition. Je pense que notre priorité, en tant que parlementaires, en tant que gouvernement, doit être la sécurité. Nous devons déterminer comment nous traverserons les premières étapes de la transition. C'est ce sur quoi nous nous penchons actuellement. La solution définitive pourrait être lointaine. Cependant, les premières étapes, comme celles des véhicules des niveaux 2 et 3, surviendront très bientôt, il me semble, surtout que l'on sait qu'il y a des gens assez fortunés pour acheter l'un de ces véhicules et le mettre sur la route d'ici peu d'années. Nous devons décider du genre de cadre législatif qui est nécessaire, notamment pour tout ce qui touche à la sécurité.

À votre avis, qu'est-ce qui est prioritaire? Quelle devrait être la priorité des parlementaires?

M. Litman : Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il s'agit d'une question de politiques publiques très importante, mais j'en ajouterais quelques autres. Je dirais que nous devons nécessairement être sur un pied d'égalité, mais les questions de l'abordabilité pour le consommateur et l'équité sociale ont une importance similaire.

Je ne veux aucunement donner l'impression de minimiser les avantages éventuels, qui sont très importants, de la technologie du véhicule autonome, et je pense, en effet, qu'il est très probable qu'au cours de la prochaine décennie ou de la suivante des gens fortunés en tireront des avantages considérables. Tout d'abord parce que, s'ils ont à faire de longs trajets, ils achèteront une Cadillac ou une Mercedes-Benz à conduite autonome. Lorsque vous voyagez d'ici à Toronto, ou ailleurs, à votre cabane dans les bois par exemple, la voiture conduira en autonomie pendant que vous êtes sur la grande route, ce qui vous permettra de faire la sieste, de faire du travail ou autre chose, et c'est là un avantage. Il s'agit d'un avantage interne, un avantage pour l'utilisateur.

Ce qui doit nous préoccuper, c'est que cette grande commodité à la disposition des gens bien nantis, des acheteurs de nouvelle voiture, ait pour effet d'accroître les risques d'accident ou la congestion routière pour les autres conducteurs, puisque les gens moins fortunés n'auront pas les moyens d'acquérir cette technologie avant plusieurs décennies. Il nous faut faire preuve d'une grande prudence à ce chapitre.

L'un des avantages les plus importants sur lequel insistent les défenseurs de cette technologie, soit la réduction de la congestion, ne peut être obtenu en l'absence de voie réservée. La réduction de la congestion ne peut être réalisée dans des conditions de circulation mixte, à tout le moins dans aucun des modèles que je connais. À quel moment le conseil municipal, par exemple, de Toronto ou d'Ottawa devra-t-il décider de réserver ce bien très précieux qu'est une voie routière à l'usage des gens qui ont acheté cette nouvelle technologie fort coûteuse? Cela reviendrait à dire, au fond, que ceux qui ont les moyens de s'acheter une voiture de 40 000 ou 50 000 $ bénéficient en prime de l'utilisation d'une voie de circulation à congestion réduite.

Comme je suis économiste, ma préférence va aux stratégies intelligentes de réduction de la congestion, à savoir une tarification routière plus efficace, des péages routiers et une tarification de stationnement plus efficace. Ces autres stratégies permettent d'atteindre plus rapidement et plus efficacement que la technologie des véhicules autonomes des objectifs comme la réduction de la congestion routière, du nombre d'accidents et de la pollution atmosphérique.

Mes préoccupations au sujet de toute la discussion sur les véhicules autonomes découlent en partie du fait qu'elle distrait bien des gens de l'essentiel. Elle leur permet de dire : « Nous n'avons pas à envisager la tarification routière, la réforme des politiques de stationnement, les améliorations à apporter au transport en commun parce que cette panacée qu'on appelle l'automobile sans conducteur réglera tous ses problèmes sans trop tarder. »

Le sénateur Eggleton : Je suis conscient de cela, mais ma question portait précisément sur la sécurité. Un point que vous avez soulevé est la nécessité de voies réservées. Êtes-vous en train de dire que les véhicules autonomes ne devraient pas être autorisés à rouler avec les véhicules traditionnels dans des conditions de circulation mixte sur les routes de nos villes?

M. Litman : L'avantage souhaité de réduction de la congestion nécessite des voies réservées, à tout le moins dans tous les modèles que je connais.

Le sénateur Eggleton : Est-il dangereux de mêler les deux genres de voitures?

M. Litman : L'idée fondamentale, c'est que les véhicules roulent avec un écart centimétrique entre eux. Ils se mettent en peloton, pour utiliser le terme des ingénieurs. Les véhicules roulent tous très près l'un de l'autre.

Imaginez une voie dans laquelle les véhicules autonomes roulent à quelques centimètres l'un de l'autre à 120 kilomètres à l'heure et supposez que vous être un conducteur pris dans la circulation de la voie non réservée. Supposez encore que vous êtes un jeune écervelé et que vous voyez passer un de ces pelotons. Ne seriez-vous pas tenté de changer de voie pour vous mettre à la file de ce peloton d'automobiles sans conducteur? N'en doutez pas. Comment pourrons- nous empêcher que de jeunes écervelés saisissent l'occasion de filer plus vite? Neuf fois sur 10, ils ne causeront pas de collision; ils tenteront leur chance, parfois avec succès, et en feront un sport.

La circulation mixte comporte des risques que nous ne pouvons probablement pas prévoir. C'est tout ce que je peux dire. Le fait de réserver ce bien très précieux qu'est une voie de circulation à une certaine catégorie d'utilisateurs, tout spécialement s'ils roulent dans des véhicules dispendieux, soulève de très importantes questions d'équité sociale.

Le sénateur Eggleton : Je vous comprends. Merci.

Le sénateur Runciman : De nombreux points importants et intéressants ont été soulevés. La voiture dont vous venez de parler est, je suppose, un véhicule de niveau 4. Ce n'est pas le genre de véhicule que Tesla produit actuellement et dont elle dit qu'il fera le trajet entre New York et Los Angeles d'ici la fin de l'année?

M. Litman : Vous parlez de la réduction de la congestion. Si ces véhicules circulent dans une voie réservée, ils peuvent rouler plus près l'un de l'autre. En fait, ce sont des véhicules de niveau 3.

Le sénateur Runciman : De niveau 3.

M. Litman : Le niveau 3 correspond à la conduite sans conducteur dans certaines conditions.

Le sénateur Runciman : N'est-ce pas le genre de véhicule qui est fabriqué actuellement?

M. Litman : Je crois que la technologie est entièrement opérationnelle. Un volet de cette technologie, c'est le véhicule branché. Je suis certain que vous savez que les véhicules branchés sont ceux qui peuvent communiquer entre eux et qui déterminent ainsi cet écart centimétrique qui les sépare. C'est tout à fait à point.

Tesla offre un très beau véhicule, qui est électrique, et cela est excellent, et qui vous permet de vous reposer pendant qu'il roule. Il vous offre donc un avantage. Cependant, pour déterminer s'il offre un avantage externe, un avantage à la société qui justifierait de créer une voie réservée, il faudrait une analyse beaucoup plus complexe.

Le sénateur Runciman : La question que je voulais vraiment aborder — et vous manifestez un sain scepticisme à ce sujet et j'apprécie hautement que vous ayez porté tous ces points à l'attention du comité — est celle qui entraînera, je pense, un changement complet de la conception de l'infrastructure et ainsi que de l'aménagement du territoire. Je suppose que vous êtes en train de dire qu'il faut veiller à ne pas devancer le public dans ce domaine, mais si les avantages escomptés ne peuvent se concrétiser pleinement sans les modifications de l'infrastructure, cela nous ramène au dilemme de l'œuf ou de la poule.

Il y a concurrence entre les différents gouvernements, notamment aux États-Unis, et je pense qu'il est raisonnable de prévoir qu'ils iront de l'avant assez rapidement dans ce domaine.

Je que je souhaiterais de votre part, c'est une recommandation précise, parce que le comité devra, à un moment donné, présenter un rapport au gouvernement lui proposant la manière de procéder à cet égard.

M. Litman : Certains d'entre vous ont sans doute reçu une copie de mon rapport, qui contient un calendrier des étapes, essentiellement par tranches de 10 ans. Selon mon analyse, au cours de la décennie actuelle et de la prochaine, le rôle principal du gouvernement consistera à établir des normes de vérification de la sécurité et de la fiabilité, puis à déterminer à quel moment les véhicules seront autorisés. La préoccupation principale sera la sécurité.

Au cours des années 2030, il s'agira davantage de repenser l'infrastructure à mesure que ces véhicules seront intégrés au parc de véhicules. Quel pourcentage du parc de devra être constitué de véhicules à conduite avant que vous, en tant que responsable des politiques, puissiez dire : « D'accord, le temps est venu de réserver certaines voies de circulation, certaines voies routières, aux véhicules autonomes »? Est-ce que ce sera 10, 20 ou 30 p. 100 du parc de véhicules?

Le sénateur Runciman : Vous pouvez observer la position prise par différents décideurs et les différentes motivations politiques. Du côté de l'Ontario, par exemple, qui offre une subvention à l'achat de voitures électriques, le gouvernement incite les consommateurs à prendre cette orientation. La situation est donc variable.

M. Litman : La technologie progresse. Il y a certainement des progrès technologiques qui surviennent, quelles que soient les mesures prises par un gouvernement en particulier. L'idée qu'une personne, étant assez fortunée pour s'acheter une voiture à conduite autonome et bénéficier ainsi de la commodité qu'elle offre, s'imposera très probablement, sans égard à ce que les décideurs canadiens pourraient faire. Il se peut que le Canada devienne un chef de file ou qu'il soit un suiveur, mais le développement de la technologie sera achevé à un moment quelconque au cours des 10 ou 20 prochaines années.

Quant à la question de l'infrastructure, je pense que c'est sur ce point qu'il importe beaucoup plus de réfléchir aux avantages sociaux et aussi à l'équité sociale. C'est à ce sujet que la discussion sur l'ampleur des répercussions de ces technologies sur les collisions, la congestion, les accidents, la pollution atmosphérique et la mobilité de base des non- conducteurs prendra une très grande importance. Il ne me paraît pas évident qu'il n'y a que des avantages. Un modeste exemple d'une telle situation est le débat sur l'utilité de conserver ou non les cabines téléphoniques publiques. Les téléphones publics sont-ils une nécessité dans le monde moderne? Examen fait, il semble qu'il y a des situations où les gens en ont réellement besoin. Mais cela nous éloigne quelque peu de notre sujet et je ne poursuivrai pas.

[Français]

Le sénateur Cormier : Vous avez parlé de l'impact de ce virage technologique dans les milieux urbains. Je m'intéresse à l'impact de ce virage technologique dans le milieu rural, car le Canada, étant un grand pays, compte énormément de collectivités rurales.

Par le passé, on a entendu parler des défis liés aux infrastructures et à l'accès à la technologie. En effet, certaines régions n'ont pas accès à Internet; ainsi, il y aura des problèmes en matière d'accès à la formation pour les garagistes qui auront à réparer ces fameuses voitures, et d'autres enjeux linguistiques. Votre recherche vous a-t-elle amené à réfléchir sur la manière dont le gouvernement fédéral pourrait aider les collectivités rurales à se préparer à ce virage technologique afin qu'elles ne soient pas décalées par rapport au milieu urbain?

[Traduction]

M. Litman : Voilà une autre très bonne question. Comme par hasard, j'ai fait, dans un domaine connexe, une recherche étendue sur le transport en commun en milieu rural. Quel est le besoin de transport en commun dans les collectivités rurales? Il existe des raisons qui donnent à penser que les collectivités rurales ont besoin de services accrus de transport collectif et, dans la mesure où les véhicules sans conducteur peuvent offrir un transport en commun quelque peu moins coûteux, je pense qu'ils représentent des possibilités d'avantages considérables.

Par ailleurs, les résidents des secteurs ruraux ont, dans l'ensemble, un revenu plus faible, et il est presque certain que les véhicules sans conducteur coûteront plus cher, surtout durant les deux ou trois premières décennies, en raison de l'équipement supplémentaire dont il faudra les doter.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi Google appuie si ardemment les automobiles sans conducteur? C'est parce que la plupart des technologies vous obligent, pour utiliser votre voiture, de vous abonner au service de cartographie extraspécial de Google. Son soutien au développement de l'automobile sans conducteur est motivé par la nécessité qu'auront les propriétaires de telles automobiles de s'abonner à son service de cartographie à raison de centaines de dollars par année.

Dans les secteurs ruraux, il y aura probablement des tensions. Les ménages plus fortunés bénéficieront d'avoir une voiture sans conducteur, puisque les résidents en région rurale et suburbaine consacrent beaucoup de temps aux déplacements des non-conducteurs de leur famille. Ainsi, dans une certaine mesure, vous n'aurez plus à conduire votre belle-mère au magasin et chez le médecin, puisqu'elle aura à sa disposition une voiture qui se conduira elle-même.

Pour certains ménages, il y aura un avantage et il n'est pas impossible que les services de transport en commun s'en trouvent améliorés. Plus de collectivités rurales bénéficieront du passage de quelques autobus par jour, ou quelque chose de cet ordre, mais ces déplacements demeureront coûteux.

Je soupçonne fort que les taxis sans conducteur n'offriront jamais un tarif inférieur à environ 40 cents le kilomètre; il variera probablement entre 40 et 50 cents le kilomètre. Pour ceux qui habitent dans un secteur rural, où le magasin le plus proche est à plus de 50 kilomètres, les déplacements ne seront jamais à bas prix. Il n'existe pas de technologie qui permettra d'offrir un transport à prix vraiment abordable à ceux qui font la navette pour se rendre au travail ou aller magasiner tous les jours.

Dans les collectivités rurales, je crois qu'on peut prévoir des avantages, mais je pense que les gens qui en profiteront le plus sont les familles plus riches qui veulent s'installer plus loin, par exemple si vous êtes un avocat ou un homme d'affaires vivant à Toronto. La question est de savoir si c'est une bonne chose. Est-ce que les gens qui vivent dans les zones rurales veulent plus de navetteurs parcourant de grandes distances? Est-ce une bonne chose ou non? On risque de voir se multiplier le nombre de navetteurs parcourant de grandes distances. C'est l'une des choses qui risquent de changer la situation dans les zones rurales.

Je pense qu'on peut trouver des avantages importants à un système de transport en commun plus abordable.

[Français]

Le sénateur Cormier : En ce qui a trait au rôle que doit jouer le gouvernement fédéral dans ce dossier, avez-vous des suggestions à nous faire sur le type de politiques et de projets que pourrait mettre en place le gouvernement fédéral afin d'aider ces collectivités à se préparer à ce virage?

[Traduction]

M. Litman : C'est une excellente question, qui est liée à ma recherche actuelle sur le transport en commun dans les zones rurales.

Si notre objectif est d'aider les gens pauvres et physiquement handicapés des zones rurales, alors ce doit être le modèle à retenir. Le modèle fondamental doit être le transport en commun. Et cela nous renvoie à la question suivante : quelle est la situation du transport en commun dans les zones rurales du Canada?

Il faut comprendre que cela ne relève généralement pas de la politique fédérale. Traditionnellement, le gouvernement fédéral du Canada ne fournit de budgets importants que pour le financement de grands projets de transport en commun, et il n'y a pas beaucoup d'argent pour les réseaux de transport en commun dans les petites collectivités rurales. Il y a des raisons à cela.

Si je me souviens bien, il y a 20 ans, la Colombie-Britannique a changé le nom du ministère des Routes pour l'appeler ministère des Transports, ce qui laisse entendre une perspective multimodale. Cependant, dans la pratique, à l'échelle provinciale, l'administration ne fait pas grand-chose pour financer le transport en commun dans les zones rurales. Il n'existe pas de programme exhaustif qui permette d'y veiller, et, d'ailleurs, il n'y a même pas d'indicateurs utiles. On ne peut pas affirmer que telle collectivité a un niveau de service B ou C. Les ingénieurs et les planificateurs de la circulation abordent cette question selon certaines normes, mais il n'y a pas de normes gouvernementales.

Je suis très inquiet de l'absence de leadership à l'échelle fédérale comme à l'échelle des provinces. Autrement dit, les gouvernements fédéral et provinciaux reconnaissent l'importance du transport en commun urbain, des routes et des aéroports, mais ils ne font presque rien pour la circulation des piétons et des bicyclettes ni pour le transport en commun bien que ces modes de transport émergents soient de plus en plus importants.

Je pense que la réflexion entourant les véhicules autonomes est, en fait, l'occasion de se demander à quoi pourrait ressembler l'utilisation de ces nouvelles technologies et de ces nouveaux services. Le soutien d'Uber et d'autres services de partage de véhicules est un autre exemple de situation susceptible d'engager plus largement les gouvernements fédéral et provinciaux dans une réflexion stratégique.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Vous avez un point de vue très intéressant, qui est assez unique et très éclairant. J'aimerais que vous nous en disiez davantage sur une affirmation que vous avez faite. Vous avez proposé, parmi les recommandations que vous feriez au gouvernement, « to emphasize the transition to more mixed vehicles ».

Je comprends, de votre dernière réponse, que vous conseillez au gouvernement d'examiner la cohabitation des modes de transport, qu'il s'agisse des piétons, des bicyclettes, des véhicules automobiles réguliers ou des véhicules autonomes. Est-ce que, dans l'accélération de cette transition, au-delà des impacts environnementaux dont vous avez parlé, vous voyez d'autres impacts importants, notamment des impacts économiques sur l'emploi? On ne vous a pas entendu beaucoup parler de l'impact éventuel sur l'emploi. Vous avez peu de temps, je le regrette, mais j'aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

J'espère que cette question est difficile, mais utile.

M. Litman : C'est une excellente question. Elle me fait plaisir parce que c'est ce que je fais professionnellement. Ce sont des problèmes qui me préoccupent. Si nous avions toute la journée, je vous ferais une conférence sur la planification multi-objectifs et des choses comme cela. Permettez-moi simplement de formuler quelques remarques, mais je me ferai un plaisir d'approfondir si l'une d'elles vous intéresse plus particulièrement.

Ce serait une erreur grossière que de penser que la circulation à pied, à bicyclette ou en transport en commun, et maintenant dans des véhicules et taxis partagés, est d'abord une initiative environnementale, une façon de concrétiser des objectifs environnementaux. C'est le cas, mais ce qui importe beaucoup plus à la plupart des Canadiens, c'est l'abordabilité.

Aux États-Unis, on fait une importante enquête sur les transports tous les cinq ans. La dernière fois, on y a posé une question intéressante : « Quel est selon vous le problème le plus important pour les utilisateurs du système de transport? Quel est le problème le plus important? » Ce n'était pas les encombrements de la circulation ni les accidents. C'était le coût, l'abordabilité.

Les spécialistes des transports n'ont presque aucun moyen de parler d'abordabilité. L'abordabilité n'est pas un enjeu dans la plupart des discussions. La seule chose dont parlent ces spécialistes, c'est le prix de l'essence ou les tarifs du transport en commun. Mais il faut savoir que 60 à 80 p. 100 des coûts de transport automobile sont des coûts fixes : l'achat d'une voiture, l'assurance du véhicule, l'immatriculation du véhicule et l'aménagement d'un endroit pour le stationner chez soi.

La véritable abordabilité suppose que les ménages puissent réduire le nombre de véhicules qu'ils possèdent, en passant de trois à deux, de deux à un et d'un à aucun. On économise ainsi des milliers de dollars par an.

Pensons à un ménage qui a des difficultés, disons une famille qui arrive tout juste à joindre les deux bouts. La voiture tombe en panne. Les voilà bien en peine. Je peux vous raconter des histoires qui témoignent de la catastrophe qu'est le fait de vivre dans un environnement dépendant de l'automobile alors qu'on ne peut pas conduire pour une raison ou une autre.

La véritable abordabilité suppose de créer des milieux où — je vais vous donner un indicateur — les enfants peuvent aller à l'école sans que leurs parents doivent les y conduire en voiture, où, quand la voiture tombe en panne, on peut quand même se rendre au travail, et où, même si on n'a pas de voiture, on peut faire la navette entre le lieu de travail et le domicile. Il y a bien des façons d'envisager tout cela, mais c'est une combinaison de moyens de circuler à pied ou à bicyclette ou d'emprunter le transport en commun qui permet aux ménages de faire cela, et, désormais, les véhicules partagés feront de plus en plus partie du paysage. Cela a de l'importance dans la réflexion à poursuivre sur ces questions.

Il y a aussi que, actuellement, beaucoup de nos politiques de planification favorisent le taux de motorisation et l'étalement urbain : je parle notamment des codes de zonage. À chaque fois que quelqu'un construit un bâtiment, il faut fournir un stationnement. Il n'y a pas de loi garantissant un logement aux gens, mais il y a des lois garantissant un stationnement pour les voitures. Il y a deux à six espaces de stationnement par voiture à cause de ces codes de zonage.

Je vais digresser un peu, excusez-moi. Une grande partie de mon travail consiste à repenser les priorités de planification afin de mieux répondre aux demandes des consommateurs. On peut aussi tenir compte de la santé publique. Les professionnels de la santé se préoccupent du fait que les gens ne font pas suffisamment d'exercice. Un quartier où l'on peut marcher est essentiel si l'on veut que la plupart des gens fassent de l'exercice, eux et leurs chiens d'ailleurs. Vous voulez que votre chien fasse de l'exercice, n'est-ce pas? Les promoteurs veulent réduire le nombre d'espaces de stationnement nécessaires, et, évidemment, tout le monde veut réduire les encombrements de la circulation. D'après les résultats de mes recherches, les villes où le nombre d'accidents de la route est le plus faible sont celles où les réseaux de circulation à pied et à bicyclette et les réseaux de transport en commun sont les meilleurs.

Si on s'appuie sur un cadre d'analyse exhaustif, on voit mieux la nécessité de faciliter la gestion de la demande de transport, sous la forme de stratégies visant à réduire le nombre d'heures que les gens passent en voiture et à multiplier la circulation à pied, à bicyclette, en transport en commun et en véhicules partagés.

Le président : Nous aurions des questions pendant une heure encore, monsieur Litman, mais un second groupe de témoins nous attend. Merci, encore une fois, d'être venu nous voir.

[Français]

J'aimerais vous présenter Vincent Gogolek, directeur général, et Philippa Lawson, avocate-procureure, qui représentent l'Association pour l'accès à l'information et le respect de la vie privée de la Colombie-Britannique. Monsieur Gogolek, la parole est à vous.

Vincent Gogolek, directeur général, Association pour l'accès à l'information et le respect de la vie privée de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup pour l'invitation. C'est un honneur pour nous de témoigner devant vous aujourd'hui sur une question, somme toute, assez chargée.

[Traduction]

La FIPA est un organisme non partisan et sans but lucratif créé il y a un quart de siècle pour faire la promotion et la défense de la liberté de l'information et du droit à la vie privée au Canada. Bien que la FIPA travaille surtout sur les questions concernant l'information et le droit à la vie privée en Colombie-Britannique, elle est également active au niveau fédéral.

En 2015, nous avons publié une étude sur les voitures connectées qui s'intitule The Connected Car : Who is in the Driver's Seat? Je crois que le document a été distribué aux membres du comité. Cette étude a été largement financée par le Programme des contributions du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Mme Lawson était la chercheure principale pour cette étude et est également ici pour vous renseigner.

Nous avons constaté que la télématique et la connectivité sans fil ont transformé les véhicules, autrefois des machines uniquement mécaniques, en des appareils de communication mobile et de transport commandés électroniquement. Ces nouvelles capacités amènent leur lot de préoccupations en matière de protection des renseignements personnels. Les technologies qui rendent les véhicules plus sûrs, plus pratiques et plus divertissants peuvent également recueillir de grandes quantités d'information. Ces données peuvent servir à améliorer les systèmes et les fonctionnalités des véhicules, mais elles peuvent également être utilisées pour faire le suivi et le profilage des utilisateurs en vue d'un marketing ciblé ou d'autres objectifs.

Les données sur le consommateur recueillies par les voitures connectées sont maintenant perçues par les fabricants automobiles et leurs partenaires comme une nouvelle source importante de revenus. La compétition pour l'accès à ces données est si féroce que certains fabricants automobiles ont repoussé publiquement les efforts à cet égard. La quantité massive de données générées par les voitures connectées transite par un réseau complexe d'intervenants de l'industrie comprenant les fabricants, les assureurs, les fournisseurs de services, les fournisseurs de connexion après-vente et les fournisseurs tiers de différents produits et services. La conception des technologies et des systèmes détermine qui aura accès aux données produites par une voiture connectée.

L'accès à ces données est régi par les lois sur la protection des renseignements personnels, ainsi que par les conditions d'utilisation et les politiques de protection des renseignements personnels des différents services et applications. Les fabricants automobiles et les autres intervenants qui collectent, stockent, utilisent ou communiquent les données personnelles à des fins commerciales sont assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques ou la LPRPDE. C'est pourquoi ils doivent obtenir le consentement des personnes avant de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels, sauf dans certaines situations particulières. Ils ne peuvent forcer un consommateur à accepter la collecte, l'utilisation et la communication injustifiée de ses données. La Loi interdit également la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels à des fins autres que celles qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

Malheureusement, notre étude sur les conditions d'utilisation et les politiques de protection des renseignements personnels des voitures connectées a montré que les fabricants ne respectent pas les obligations légales liées à pratiquement tous les principes de droit des lois de protection des renseignements personnels. En 2014, un engagement en matière de protection des renseignements personnels pris par un groupe important formé des principaux fabricants automobiles était loin d'atteindre les exigences des normes juridiques canadiennes sur le sujet. Les problèmes décelés concernaient la transparence, la responsabilité, l'accès par les personnes, la mention de l'objectif, les avis, le consentement, ainsi que les limites relatives à la collecte, à la rétention et à la communication injustifiée des renseignements personnels. L'absence de choix pour le consommateur quant à la collecte, à l'utilisation et à la communication injustifiées des données représente une violation grave du droit canadien en matière de protection des renseignements personnels.

Nous avons formulé un certain nombre de recommandations dans le rapport, et je vais essayer d'en parler en restant bref. La façon la plus efficace de protéger les données est simplement de ne pas les conserver ou, mieux encore, de ne pas en recueillir du tout. L'imposition de limites bien définies en matière de collecte de renseignements personnels devrait être la première étape dans la création de normes en matière de protection des données pour l'industrie. Nous recommandions dans notre rapport de mettre en place des règlements sur la protection des données visant l'industrie des voitures connectées, d'élaborer des normes nationales de protection des données concernant l'assurance à l'utilisation, de recourir à des experts en protection des renseignements personnels dès la conception des systèmes de transport intelligents, y compris des projets de recherche sur les véhicules connectés, d'adopter des principes de protection de la vie privée dès l'étape de la conception et d'outils connexes, dont la création d'un programme de protection des renseignements personnels, de définir et d'éviter les utilisations non voulues, de valoriser l'ouverture et la transparence, de respecter la vie privée des utilisateurs, de collaborer avec les fabricants d'appareils et d'autres parties en vue de l'intégration de contrôles et de techniques de minimisation des données.

Que s'est-il passé depuis la publication de notre rapport? Malheureusement, nous n'avons pas constaté la progression que nous espérions au moment de la publication du rapport. Cependant, il y a espoir puisque le commissaire Therrien a indiqué que le commissariat financera bientôt « un projet de recherche indépendante visant à élaborer un code de pratique pour les véhicules connectés » lorsqu'il est venu témoigner devant vous à la fin du mois de mars.

Je crois que certains d'entre vous étaient présents à la conférence, il y a deux ou trois semaines, où le ministre Garneau a rappelé dans son discours que le gouvernement fédéral doit veiller à la protection des renseignements personnels, à la cybersécurité et à la sécurité en général. Il est très clair que le ministre considère la protection des renseignements personnels comme relevant intégralement du mandat fédéral et, par conséquent, du vôtre.

[Français]

Je vous remercie de l'occasion que vous nous avez offerte de comparaître devant cet honorable comité. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup pour votre présentation, et pour l'étude très intéressante que vous avez réalisée. Vous avez répondu à une première partie de mes questions, à savoir que vos recommandations ne sont pas encore en vigueur.

Le deuxième volet de ma question porte sur la transition en termes de protection de la vie privée et d'accès à l'information. Est-ce que les lois des provinces et les lois canadiennes actuelles sont suffisantes dans leurs dispositions? Est-ce que le problème en est un de sévérité et de vigilance dans l'application? Est-ce que le problème se situe, d'abord et avant tout, à ce niveau-là?

[Traduction]

Philippa Lawson, avocate-procureure, Association pour l’accès à l’information et le respect de la vie privée de la Colombie-Britannique : D'après moi, non. La réglementation canadienne s'appuie sur des principes généraux sans viser particulièrement des secteurs d'activité, comme ce dont on aurait besoin actuellement pour le secteur automobile. C'est pour cette raison que nous avons proposé et recommandé de commencer le travail immédiatement et que nous avons besoin que le gouvernement rassemble les principaux protagonistes pour entamer l'élaboration d'un code de pratique fonctionnel, technologiquement neutre et qui n'entrave pas l'innovation tout en protégeant efficacement les renseignements personnels dans cette sphère.

On a besoin d'un code de pratique sur lequel s'entendent les protagonistes du secteur privé, comme celui sur lequel s'appuie la LPRPDE, notre loi fédérale sur la protection des données. C'est parti d'un code de pratique axé sur le secteur privé. Nous pensons qu'il faudra élaborer une réglementation compte tenu de l'expérience concrète et des signes très clairs que les forces du marché ne garantiront pas la protection des renseignements personnels. Mais il faut commencer par circonscrire et définir les principales protections dans un code de pratique.

La réglementation est très bonne, et bien meilleure que ce qui se fait aux États-Unis, du point de vue de l'énoncé des grands principes, mais nous avons un autre problème à l'heure actuelle, c'est le fait que cette réglementation s'appuie sur le principe du consentement. On suppose que les gens peuvent donner leur consentement éclairé à la collecte, l'utilisation et la divulgation par un tiers de leurs renseignements personnels. C'est tout simplement inapplicable dans ce contexte, et c'est ce que j'ai constaté dans le cadre de mes recherches. Il y a beaucoup trop de protagonistes en jeu, dont des tierces parties qui recueillent des données pour beaucoup trop d'usages indéfinis. Il est tout simplement impossible de donner son consentement.

À l'époque de mes recherches, qui remontent à deux ans maintenant, les modalités de service d'OnStar précisaient clairement qu'OnStar n'assume aucune responsabilité à l'égard de ce que le fournisseur de télécommunications fait de ces renseignements. Bien entendu, tous ces renseignements sont transmis par réseaux de télécommunications sans fil, qu'il s'agisse de AT&T, de Sprint, de Bell, ou peu importe. Tous les fournisseurs de télécommunications canadiens sont associés à des homologues américains à cette fin.

Quand vous ne faites que conduire au Canada, aussitôt que vous êtes relié à un service de voiture branchée, qu'il s'agisse de GM, de Ford ou d'une autre entreprise, il y a de fortes chances que vous deviez lire et approuver les modalités de service du fournisseur distinct, et éventuellement d'autres fournisseurs également. Toutes les applications de tiers auxquelles vous souscrivez constitueront des modalités de service distinctes.

Supposons que vous alliez aux États-Unis en voiture. Je parie que, si vous appliquez les principes de la réglementation canadienne de la protection des renseignements personnels, dès que vous franchirez la frontière, une fenêtre s'ouvrira sur votre écran pour vous demander : « Acceptez-vous les modalités de service d'AT&T aux États- Unis? » Avez-vous vraiment le choix? Vous devez faire ce voyage aux États. Ce n'est pas vraiment un choix.

Le consentement accordé par les consommateurs est, selon moi, une fiction. Il y a donc une faiblesse fondamentale dans la réglementation, et c'est pour cette raison que nous devons imposer des limites minimales incontournables, par exemple, à la collecte de renseignements, à la séparation des renseignements dans différentes parties du véhicule et à l'interdiction de recueillir certains renseignements.

Le sénateur Runciman : Je suis intrigué par deux ou trois choses que vous avez mentionnées. Vous avez parlé de violations importantes au sujet des constructeurs automobiles, de violations de la LPRPDE. Vous n'avez pas mentionné d'entreprise particulière, mais il est évident que vous savez de qui il est question. Est-ce qu'il y a eu des conséquences à ces violations importantes, comme vous les appelez?

M. Gogolek : Pas encore. Nous n'avons pas porté plainte à ce sujet. C'est une question très complexe, qui met en jeu un certain nombre de protagonistes. Comme l'a dit Mme Lawson, nous avons besoin d'une réglementation qui tienne compte de ce que font les constructeurs automobiles et de ce qu'ils sont en train de développer, mais qui respecte également les principes applicables à la protection des renseignements personnels au Canada dans le secteur des voitures branchées.

Le sénateur Runciman : Donc, il ne s'est rien passé. Vous parliez d'élaborer un code de pratique, qui, d'après ce que vous avez dit, est essentiellement ce que vous avez fait dans le cadre de l'élaboration de la LPRPDE. Jusqu'à quel point avez-vous confiance? Qu'en est-il des organismes chargés de l'application de la loi? Si cette situation a été portée à leur attention, mais aussi à celle de la population en général, comment se fait-il que rien n'ait été fait et pourquoi le secteur privé ne semble-t-il pas avoir réagi favorablement? Quand les gens téléchargent des applications dans leur téléphone intelligent, ils ont tendance à consentir sans hésiter à partager leurs renseignements personnels. Je me demande si, en fait, la population s'en soucie vraiment.

M. Gogolek : Comme l'a dit Mme Lawson, c'est parce qu'une grande partie de tout cela est opaque et comprend de multiples couches. Il faut vraiment prendre le temps de vérifier les politiques, et, en fin de compte, les gens consentent. La terminologie est très floue et susceptible d'interprétations très larges. « Nous veillerons à recueillir, utiliser ou divulguer vos renseignements à des fins commerciales légitimes. » Qu'est-ce que cela veut dire? « Nous sommes une entreprise et nous pensons que c'est légitime, donc j'imagine que nous respectons la loi, donc la condition est remplie. » Nous devons faire beaucoup mieux que cela.

Le sénateur Runciman : Vous avez parlé de normes de protection des données. Des témoins antérieurs ont parlé de cybersécurité et de technologies de vérification de l'identité et de sécurité qui seraient disponibles actuellement et dont les gouvernements devraient exiger l'installation dans les automobiles avant qu'elles soient mises en vente. Les normes seraient applicables aux voitures. Elles seraient commercialisées, ou non, selon qu'elles respectent ces normes, ou non. C'est le genre de chose dont vous parliez.

M. Gogolek : Tout à fait. Les normes ont changé au fil du temps, qu'il s'agisse des ceintures de sécurité, des coussins d'air, et cetera. Cela fait partie de la réglementation acceptée. Sur le plan de la sécurité, la réglementation gouvernementale sera appliquée. Elle aussi sera modifiée. Et cela se fait en collaboration avec le secteur privé. Les entreprises peuvent-elles faire ceci ou cela? Nous savons qu'elles travaillent sur telle ou telle technologie. Est-ce que c'est quelque chose qu'on peut installer dans toutes les voitures? Il faut comprendre que les voitures coûtent très cher à concevoir et à construire, et il faut que le secteur privé participe à ce processus et l'accepte.

Le sénateur Runciman : La même chose devrait s'appliquer aux mesures de cybersécurité.

Mme Lawson : Je dirais que la vie privée fait partie de la question de la sécurité et qu'il est important de reconnaître que cela va beaucoup plus loin que la sécurité. Nous ne parlons pas simplement de protéger les véhicules contre une cyberattaque. Nous parlons de permettre aux personnes de contrôler l'utilisation qui est faite de leurs données personnelles.

Pour mieux répondre à votre question, sénateur Runciman, il y a plusieurs contextes dans lesquels des normes doivent s'appliquer et il est aussi question de plusieurs normes. Je fonde de grands espoirs sur les codes ou les normes de bonne conduite, peu importe le nom qu'on leur donne, qui pourraient aider l'industrie à développer des systèmes respectant la vie privée des consommateurs et ne présentant aucun danger pour le public. Cela doit constituer notre point de départ.

S'agissant des systèmes publics pour les véhicules connectés, les systèmes de transport intelligents, à la conception desquels participent en ce moment les gouvernements, nous devons nous assurer que ce qui s'appelle le message fondamental de sécurité — soit les informations qui sont automatiquement transmises entre véhicules et entre les véhicules et l'infrastructure — soit aussi sécurisé que possible. La sécurité à 100 p. 100 n'existe pas, mais il faut que cela soit pleinement sécurisé.

Il est établi, dans les propositions soumises à la National Highway Traffic Safety Administration des États-Unis, que les propositions en la matière ne sont actuellement pas assez sécurisées, mais qu'elles pourraient l'être si le gouvernement, par exemple, exigeait le cryptage ou l'utilisation de technologies pour protéger le message.

Dans le contexte que nous examinons dans notre étude, soit dans le secteur privé et dans le cas des systèmes de voitures connectées, des systèmes d'info-divertissement ainsi que des systèmes télématiques présents aujourd'hui dans les véhicules neufs, en particulier les véhicules haut de gamme, les normes auxquelles nous pensons ici — et nous ne sommes pas entrés dans ces détails — consisteraient notamment à exiger que les données recueillies par le système d'info-divertissement soit complètement séparées du fonctionnement du véhicule et des systèmes télématiques. Les unités de contrôle électronique, tous ces mini-ordinateurs, devraient être isolés les uns des autres afin que les informations soient protégées de façon efficace et que, si un pirate informatique, pénétrait le système, il n'entrerait que dans une unité et ne pénétrerait pas automatiquement dans les autres unités. Donc, si quelqu'un recueillait vos données sur un téléphone intelligent connecté à votre voiture, il n'aurait pas automatiquement accès à toutes les données sur votre comportement de conducteur.

Il y a un autre aspect important qui devrait être visé dans ces normes, soit ce qui se passe quand vous rendez un véhicule de location ou que vous vendez votre voiture. Il devrait exister des moyens très simples d'éliminer définitivement l'ensemble de vos données personnelles présentes dans le véhicule quand vous vous en débarrassez, ou même si vous le souhaitez, de façon quotidienne, selon les cas. D'après ce que nous savons — et je n'ai pas étudié les systèmes récemment — ce n'est pas le cas.

Je dois aussi signaler que cette étude est vieille de deux ans. Nous ne savons pas ce que les fabricants de voitures et les autres acteurs du secteur ont fait en coulisses à ce sujet. J'espère et je suppose que la protection de la vie privée les préoccupe — c'est évident — et qu'ils essaient de concevoir leurs systèmes en tenant compte du respect de la vie privée. Ce que nous espérions et qui n'a pas eu lieu, c'est que le gouvernement prenne l'initiative de réunir les principales parties intéressées pour mettre au point ces normes et ces codes de bonne pratique.

Le sénateur Eggleton : Le consentement éclairé. Souvent, lorsque vous utilisez un ordinateur, vous utilisez des services, des produits, des applications et ainsi de suite, qui vous demandent votre consentement et cela prend la forme de nombreuses pages de jargon juridique. Que pouvons-nous faire pour améliorer l'information des profanes, des gens qui ne sont pas juristes? Il pourrait y avoir des résumés, des choses plus informelles, dans un langage plus simple, sauf que je suppose que les juristes diraient : « Oui, mais cela ne vous donnerait pas de protection juridique et cela n'en donnerait pas non plus au fournisseur en cas de litige devant les tribunaux. » Que pouvons-nous faire pour améliorer les choses de façon significative en matière de consentement éclairé?

M. Gogolek : Il s'agit notamment de faire en sorte que les gens qui achètent ou qui louent une voiture soient mieux informés au sujet des divers partenaires. Avec qui partagez-vous vos informations? Parce que, le plus souvent, quand nous envisageons d'aller acheter une voiture de telle ou telle marque, nos informations sont recueillies. La question est de savoir qui d'autre y a accès? Le fabricant de ma minifourgonnette a-t-il des accords avec Starbucks, Tim Hortons ou Burger King? L'écran à l'arrière, sur lequel mes enfants regardent Trouver Doris, sera-t-il utilisé par la télématique pour leur dire : « Le film est presque terminé, est-ce que vous n'avez pas envie d'un Joyeux Festin maintenant? Je peux y conduire papa. » Il peut faire la promotion de McDonald's.

Il faut que ces informations soient davantage disponibles, car on ne dit pas toute la vérité au consommateur actuellement.

Le sénateur Eggleton : Toutes ces informations seront-elles disponibles? Ce n'est pas tout le monde qui pense à ces questions en achetant une voiture. Peut-être qu'à l'avenir il faudra le faire, mais les gens sont davantage préoccupés par la couleur, la conduite, la taille et toutes sortes d'autres choses, et cela ne leur viendrait pas à l'esprit. Comment faire pour qu'ils aient accès à cette information afin qu'il y ait un consentement éclairé sur les systèmes électroniques présents dans la voiture?

Mme Lawson : C'est une question importante et controversée et le commissaire à la protection de la vie privée l'examine de façon plus large, pas uniquement sous l'angle des transports.

Comme je l'ai déjà dit, mes recherches indiquent que c'est en réalité impossible. Il faut travailler sur la transparence. Je dirais que nous pouvons améliorer les choses sur l'aspect éclairé du consentement en faisant quelque chose qui ressemble à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, avec des déclarations de fonds communs de placement et une standardisation de la déclaration. S'asseoir autour d'une table et comprendre ce dont a besoin le consommateur individuel et faire en sorte que cela soit simple pour lui, en utilisant les mêmes termes et le même format pour qu'il puisse comparer les différents choix qui s'offrent à lui.

Il y a des choses à la marge, me semble-t-il, pour lesquelles le consentement peut avoir du sens s'il est conçu correctement et présenté aux consommateurs d'une façon simple et véritablement transparente, mais il y a aussi des domaines pour lesquels vous n'aurez jamais le consentement et où cela pourrait s'avérer inapproprié, pour lesquels nous pouvons peut-être décider en tant que société que certaines informations n'ont tout simplement pas besoin d'être collectées et ne devraient pas l'être et que les risques pour la vie privée et la sécurité sont trop importants et surpassent les avantages qu'il pourrait y avoir. Par exemple, en reliant la télématique au système d'info-divertissement, on peut avoir des voitures dans lesquelles le volume du système d'info-divertissement se règle automatiquement en fonction du bruit du moteur. Est-ce que cela vaut le coup de prendre le risque de piratage ou d'atteinte à la sécurité que ce type de connexion ou de partage d'information rend possible?

Je crois qu'il y a des secteurs pour lesquels nous pouvons établir des limites rigides au recueil de données, sans qu'il y ait ou non consentement. Il y a une clause dans notre droit qui dit : « qu'il y ait ou non consentement », lorsque ce n'est pas raisonnable, alors les informations ne devraient pas être recueillies, utilisées ou divulguées.

Le sénateur Eggleton : Merci.

La sénatrice Bovey : Je vais rebondir sur cette question. Si l'on ne veut pas donner son consentement, est-ce que cela veut dire que l'on ne pourra pas utiliser certains de ces véhicules partagés? C'est un aspect de la question.

Je suis très inquiète — et ce n'est pas la première fois que je dis cela ici. Qui va assumer le leadership de tout ceci? Est-ce le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, l'industrie? Qui va réunir tous ces partenaires et proposer les politiques, les normes et le niveau juste et approprié de consentement et de respect de la vie privée afin que les droits des gens ne soient pas mis de côté s'ils ne consentent pas à voir certaines de leurs données personnelles recueillies? Il y a de multiples aspects à cette question.

M. Gogolek : Une des dispositions du droit est que vous ne pouvez pas fournir un service en exigeant que les gens consentent à un recueil ou une transmission sans réserve de leurs informations personnelles.

Pour ce qui est de savoir qui doit assumer le leadership sur cette question, il semble que le point de vue du ministre est que la vie privée, la cybersécurité et la sécurité sont les trois domaines qu'il estime clairement relever de la juridiction fédérale. Bien entendu, l'importation et l'immatriculation de véhicules neufs relèvent entièrement du fédéral, donc il semble logique de s'assurer que tout véhicule mis en service sur les routes canadiennes soit conforme, pas seulement en ce qui concerne la sécurité, mais aussi en matière de sécurité et de respect de la vie privée pour les informations personnelles qui sont recueillies par ce véhicule.

Mme Lawson : Pour revenir sur la première question, c'est l'une des nombreuses violations que nous avons constatées. Comme l'a dit M. Gogolek, notre droit dit que vous n'êtes pas censés demander aux consommateurs de consentir à quelque chose qui n'est pas nécessaire au service qu'ils ont demandé ou acheté. C'est précisément l'usage que nous avons constaté. Au fait nous n'avons regardé que les politiques, pas les pratiques, simplement ce qui était écrit. C'est donc un vrai problème.

Ce que nous avons constaté avec ces systèmes, c'est qu'il s'agit d'une proposition de type tout ou rien, si vous n'acceptez pas toutes les conditions — qui sont en général très larges — vous ne pouvez pas utiliser le service, vous ne pouvez pas utiliser le système de navigation automatique. Là encore ce domaine doit être soumis à des normes, afin d'appliquer à ce contexte les principes généraux existants du droit et de les formuler de façon à ce qu'ils soient clairs pour les constructeurs automobiles et pour les concepteurs de tous ces systèmes.

En ce qui concerne le leadership, il me semble que cela relève de la responsabilité du fédéral. Ce n'est pas quelque chose qui devrait être laissé aux provinces. Il faut une commission mixte ou un travail en commun des ministères des Transports, de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique; ainsi que du commissaire à la protection de la vie privée. Si l'on réunit ces trois parties pour convoquer les principales parties intéressées, nous avons deux importantes associations de constructeurs automobiles au Canada, nous avons une association qui représente le marché des pièces de rechange, nous avons des associations très utiles qui peuvent représenter les parties intéressées, se mettre autour de la table et commencer à travailler là-dessus, mais pour cela le leadership fédéral est indispensable.

La sénatrice Bovey : Je suis ravie de vous entendre dire cela car il me semble qu'il y a beaucoup de zones grises à maints égards et votre réponse claire me donne espoir.

Mme Lawson : Si je peux poursuivre sur ce point, c'est ce que font les États-Unis. La FTC, la Federal Trade Commission, qui se trouve être l'organisme de réglementation du respect la vie privée aux États-Unis, travaille en partenariat avec la National Highway Transportation Safety Administration sur cette question. Il y aura une séance publique sur ce sujet à Washington, D.C. à la fin du mois de juin. J'espère que certains d'entre vous pourront suivre ce qu'il se dit, voire s'y rendre.

Un projet de loi intitulé Car Spy Act, qui a été soutenu par un sénateur aux États-Unis, est à nouveau sur la table. Il requiert un travail en commun de la FTC et de la NHTSA.

La sénatrice Bovey : L'exemple que vous avez pris dans lequel on passe la frontière et l'on ne consent pas à AT&T est un cas terrible. Il faut donc faire demi-tour et rentrer alors?

Mme Lawson : Exactement.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Je vais probablement simplifier la question à outrance, alors n'hésitez pas à me corriger s'il y a lieu, mais il me semble que, comme vous le dites, la législation devrait être renforcée, surtout afin de faire reposer sur les fabricants, les vendeurs et les opérateurs de véhicules automobiles les exigences en matière de respect de la vie privée. Si cette approche était retenue et était doublée d'une approche visant à informer les citoyens, il me semble que cela simplifierait beaucoup la situation.

Dans cette perspective, est-ce que, au-delà de la loi, nous n'avons pas, présentement, un problème de surveillance adéquate de la mise en œuvre de la loi? Je sais qu'il faut la renforcer, vous l'avez bien expliqué, mais au-delà de cela, est- ce que cette loi est perçue un peu comme un tigre de papier? Parce que dans le domaine de l'automobile, notamment, ceux qui doivent la mettre en œuvre savent très bien qu'il y a peu de surveillance et, surtout, très peu de sanctions.

M. Gogolek : Je suis d'accord avec vous, et je pense que le commissaire Therrien l'est également. Il a fait des recommandations afin que son bureau puisse jouer un rôle plus...

La sénatrice Saint-Germain : Coercitif?

M. Gogolek : Oui, et qu'il bénéficie du pouvoir d'ordonner à des entités de se conformer à la loi...

[Traduction]

... pour se conformer à la loi. Cela entraîne des modifications de la LPRPDE. Ce sont des changements qui ont conduit le secteur privé et le secteur public à activement rechercher des pouvoirs exécutoires.

[Français]

En général, c'est un problème : les lois sont écrites, mais les conséquences ne sont pas évidentes. Certaines entités semblent être enclines à fermer les yeux sur ce problème jusqu'au jour où leur réputation commence à en souffrir. Il n'y a alors pas de ligne nette à ne pas traverser.

[Traduction]

Mme Lawson : J'ai participé à la mise en place de la législation sur la protection de la vie privée au Canada dans les années 1990 et au début des années 2000. Dans les faits il y a eu un compromis avec l'industrie par lequel le gouvernement réglementait, mais légèrement, à la manière d'un ombudsman, sans pénalités lourdes. C'était le compromis à l'époque et c'est le modèle que nous avons au Canada, qui est considéré comme étant bien meilleur et bien plus robuste que celui des États-Unis. Mais aujourd'hui les États-Unis ont à certains égards, un meilleur système d'application de la loi parce que la FTC a beaucoup plus de pouvoir. Nous avons vu des cas où la FTC a sanctionné et a infligé d'importantes amendes.

J'ai témoigné devant plusieurs comités parlementaires sur la question du respect de la vie privée et depuis le début, dès la première étude que j'ai faite au début des années 2000 sur l'industrie du détail pour savoir dans quelle mesure elle se conformait à la LPRPDE, j'ai pu constater que les cas de non-conformité étaient très répandus. Mes collègues et moi-même avons appelé à ce que cette loi soit plus fermement appliquée au Canada, que le commissaire à la protection de la vie privée ait davantage de pouvoirs de contrainte et qu'il y ait peut-être des droits privés d'action, des mécanismes pour rendre effectif cet excellent ensemble de principes dont nous disposons.

Pour revenir précisément à votre question, c'est un gros problème en ce qui concerne les voitures connectées, l'économie dans son ensemble et la protection de la vie privée. Nous avons des grands principes et des règles, mais ils sont largement bafoués et ne sont guère appliqués.

[Français]

Le sénateur Cormier : Vous avez parlé du rôle d'impulsion que doit jouer le gouvernement fédéral en matière de réglementation, mais je suppose que les provinces ont certainement aussi un rôle à jouer en ce sens.

Comment imaginez-vous la relation entre le gouvernement fédéral et les provinces en ce qui touche l'imputabilité ou le dialogue nécessaire pour arrimer les réglementations?

M. Gogolek : C'est essentiellement une question de coordination des approches. Certaines provinces, comme le Québec, ont des lois similaires à la LPRPDE, dont les principes et la façon générale de gérer les questions se ressemblent. Il y a une question de champ d'application — c'est peut-être une question qui est toujours ouverte — qui n'a pas été vraiment clarifiée par la Cour suprême du Canada.

À mon avis, le point primordial pour le gouvernement fédéral est qu'il ait la capacité de réglementer, au point d'entrée sur le marché, toutes ces voitures et ces technologies. Je pense que le gouvernement fédéral a un rôle clé à jouer, mais il y a aussi, évidemment, des lois provinciales qui traitent des voies de circulation, de certains aspects du transport ainsi que de la protection de la vie privée.

[Traduction]

Mme Lawson : De façon générale, je pense que les gouvernements provinciaux intéressés pourraient faire partie de ce groupe de travail, quelle que soit sa dénomination — groupe d'étude, comité de travail — mené par le gouvernement fédéral.

Il y a un domaine dans lequel les provinces sont actrices et ont la responsabilité principale, c'est celui des assurances. Notre rapport a étudié les programmes d'assurance fondés sur l'utilisation, car c'est l'une des applications de la télématique aujourd'hui. Nous avons trouvé que les trois provinces qui l'autorisaient à l'époque faisaient du très bon travail. Les préoccupations relatives au respect de la vie privée étaient bien prises en compte à ce niveau, car il s'agit d'une industrie réglementée, c'est une industrie fortement, prudemment et directement réglementée.

C'est intéressant. Ce qui est en train de se passer avec les assurances fondées sur l'utilisation c'est qu'une application en particulier de cette technologie des voitures connectées est très différente du reste. Le reste n'est soumis à aucune règle et l'industrie est livrée à elle-même pour la prise de décisions, dans un contexte très compétitif, sans directives ni principes clairs de la part du gouvernement.

Cette industrie bénéficierait de ceci. Elle a besoin d'une situation équitable et de directives claires. Faites participer ses représentants et la situation sera en fin de compte bien meilleure pour l'industrie elle-même.

[Français]

Le président : Monsieur Gogolek, madame Lawson, monsieur Litman, vous avez rendu notre avant-midi extrêmement enrichissant. Par contre, je ne pourrais pas dire que vous avez simplifié notre travail, puisque vous élargissez le défi auquel nous faisons face. Cependant, nous avons beaucoup apprécié vos témoignages.

[Traduction]

Chers sénateurs et sénatrices, avant que nous ne partions, je voudrais vous informer que nos missions d'enquêtes à Waterloo et Kanata sont confirmées. Le 29 mai ceux qui veulent participer seront à Waterloo pour des réunions avec les représentants des universités de Waterloo et de Kitchener et le 5 juin nous visiterons le site de BlackBerry à Kanata. Là encore, cela sera très intéressant. Le greffier vous contactera pour les détails.

Demain, nous recevrons deux autres témoins, le Canadian Automated Vehicles Centre of Excellence et PMG Technologies viendront s'exprimer devant nous demain soir.

S'il n'y a pas d'autres remarques ou d'autres questions, je vous dis à demain. Merci.

(La séance est levée.)

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