Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 15 - Témoignages du 3 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour poursuivre son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Ce soir, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications poursuit son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.

[Traduction]

Ce soir, nous avons deux témoins. Pour la première partie, j'aimerais accueillir M. Barrie Kirk, le directeur général du Centre d'excellence des véhicules automatisés du Canada, qui est un expert de ce domaine.

Monsieur Kirk, la parole est à vous.

Barrie Kirk, directeur général, Centre d'excellence des véhicules automatisés du Canada : Merci beaucoup de l'invitation à comparaître au comité.

J'ai plusieurs messages clés à vous transmettre au cours des prochaines minutes. Tout d'abord, la première génération de véhicules autonomes est déjà parmi nous; deux raisons me permettent de faire cette affirmation. Premièrement, vous pouvez déjà aller chez un concessionnaire et acheter un véhicule semi-autonome équipé de dispositifs d'assistance à la conduite : régulateur de vitesse intelligent, maintien au centre de la voie, stationnement automatique, détecteurs de piétons, aide au freinage, et cetera. Deuxièmement, des véhicules complètement autonomes, conçus pour des applications à basse vitesse sont déjà utilisés dans le secteur du commerce. Des démonstrations ont été organisées en France et ailleurs, notamment en Amérique du Nord. Soulignons qu'un autobus-navette électrique à basse vitesse complètement autonome sera en montre dans les rues de Montréal dans environ deux semaines.

Le deuxième message est que les véhicules complètement autonomes utilisés sur les voies publiques seront sur nos routes à partir de 2020 environ. Certains parlent de 2019, tandis que Ford évoque 2021, mais quoi qu'il en soit, ce seront des véhicules complètement autonomes, disponibles sur le marché et conçus pour des applications commerciales, notamment les taxis sans conducteur.

Les véhicules autonomes ont deux avantages réels; ils sont notamment plus sûrs. Une étude que nous avons menée en collaboration avec le Conference Board du Canada a démontré que les véhicules autonomes pourraient réduire 80 p. 100 des collisions et des décès dans des accidents de la route. Ce n'est pas 100 p. 100; la technologie améliorera considérablement le bilan, mais elle n'est pas parfaite.

Deuxièmement, le potentiel commercial est énorme, à l'échelle mondiale, en particulier dans le secteur de la technologie. La société américaine Morgan Stanley estime que le marché potentiel à l'échelle mondiale pourrait atteindre les 10 000 milliards de dollars par année.

L'industrie et les universités canadiennes font un excellent travail dans ce domaine. Vous avez sans doute entendu parler des principaux joueurs, comme BlackBerry QNX, GM, Ford et d'autres. Le gouvernement du Canada a fait des progrès considérables en matière de véhicules ACE. J'applaudis le premier ministre pour ses visites aux sociétés BlackBerry QNX, GM et Ford, ainsi que pour ses efforts visant à faire mieux connaître l'industrie. Je suis aussi heureux de voir que des fonds sont alloués à l'établissement d'un cadre réglementaire fédéral.

Mais lorsque je regarde le G7 — il y a toujours un « mais » —, je constate que le Canada est toujours bon dernier parmi les pays du G7 quant à sa préparation pour tirer parti des avantages des véhicules autonomes, et ce, pour diverses raisons. L'une d'entre elles est le cloisonnement. Les activités d'Innovation, Sciences et Développement économique Canada visant à favoriser le développement de cette technologie représentent l'accélérateur, tandis que les activités de Transports Canada, qui sont ciblées sur les aspects liés à la sécurité, représentent la pédale de frein. Le gouvernement tente malheureusement d'aller de l'avant en appuyant simultanément sur l'accélérateur et la pédale de frein.

Le Royaume-Uni a adopté une approche totalement différente afin d'éliminer le cloisonnement. Pour ce faire, il a créé un organisme unique où les deux aspects sont intégrés. Le cadre réglementaire du Royaume-Uni est beaucoup plus souple. Au Royaume-Uni, les essais des véhicules autonomes peuvent se dérouler sur toutes les voies publiques du pays sans permis. Au Canada, les essais sont autorisés en Ontario, mais y nécessitent un permis, et aucune autre province ou aucun territoire ne permet de tels essais.

Le gouvernement du Royaume-Uni est un meneur très en vue qui fait la promotion de l'image du Royaume-Uni comme le pays par excellence pour la R-D et les essais de véhicules ACE.

Je vous exhorte à inclure deux recommandations dans votre rapport. La première est une réorganisation de l'appareil gouvernemental visant à éliminer le cloisonnement et à aider l'industrie et les universités à tirer parti des importants débouchés.

Deuxièmement, j'ai maintes fois affirmé, depuis 2015, que les véhicules autonomes auront une incidence considérable sur le transport en commun et les infrastructures de transport, un point de vue que partagent la plupart des leaders d'opinion. Lorsque j'examine les diverses estimations des dépenses fédérales futures pour les nouveaux projets d'infrastructure, j'en arrive à me demander si ces sommes seront utilisées à bon escient. Depuis 2015, je recommande que le gouvernement du Canada exige, pour toutes les demandes de financement fédéral de nouvelle infrastructure de transport, y compris le transport en commun, une étude de l'incidence des véhicules autonomes sur la rentabilisation et la conception du projet. Cette recommandation, bien que vieille de deux ans, est encore valable aujourd'hui. Je sais que les gens m'ont entendu, mais cela ne s'est pas encore concrétisé.

C'était mon exposé, monsieur le président. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Kirk, merci beaucoup pour votre présentation. L'évolution de l'intelligence artificielle me fascine. Lorsqu'on parle de véhicules autonomes et semi-autonomes, il s'agit vraiment de l'intégration de l'intelligence artificielle dans nos moyens de transport. Cela nous rejoint partout. L'intelligence artificielle est en train de modifier nos comportements sur le plan sociologique, physique et économique. C'est phénoménal. On est à l'aube de cette révolution-là. Je ne sais pas si vous vous souvenez du film Le Sixième sens.

[Traduction]

Je pense que le titre anglais est The Sixth Sense.

[Français]

Dans ce film, on voit des taxis voler dans le ciel. Dubaï a comme objectif d'avoir des drones autonomes pour 25 p. 100 de ses taxis. Le secteur des transports vient d'aborder une autre dimension où la révolution sera beaucoup plus qu'une révolution terrestre. L'automne prochain, au Canada, des drones porteurs humains seront vendus et serviront seulement là où il n'y a pas de circulation routière, comme les plans d'eau. Si on se concentre uniquement sur les véhicules autonomes du point de vue terrestre, on oublie peut-être un grand volet du développement qui se fera aussi avec des technologies qui sont en train de révolutionner le transport aérien. Dans le fond, cela définira le transport individuel et non le transport collectif. À l'heure actuelle, c'est surtout le transport collectif qu'on connaît. Notre réflexion serait-elle trop étroite quant aux routes, aux autoroutes, et cetera, alors que d'autres dimensions sont en train de se développer dont on ne peut estimer la capacité?

[Traduction]

M. Kirk : C'est une excellente question, sénateur. Cet enjeu est certes préoccupant. Il se passe beaucoup de choses, en effet. Je souligne que j'ai fait une présentation de 45 minutes sur ce sujet précis au cours de la conférence sur les véhicules autonomes qui a eu lieu à Toronto il y a deux semaines.

Certains les nomment les STAP, pour systèmes de transport aérien personnel. Comme vous l'avez indiqué, ils seront commercialisés et utilisés à Dubaï cet été. Airbus travaille activement à la mise au point de deux versions, dont l'une permettrait de transporter plusieurs passagers plutôt qu'un seul. Donc, essentiellement il y aura des arrêts d'autobus pour les véhicules aériens. Airbus les nomme « air bus », ce qui est très approprié. La société a comme vision des véhicules électriques pour passagers multiples qui feraient des arrêts dans des héliports.

Je dirais, respectueusement, que je ne suis pas de votre avis quant à une utilisation limitée aux endroits inaccessibles par véhicule routier. La société Uber a annoncé publiquement son intention de devenir un joueur important de ce secteur. Elle a publié un rapport de quelque 90 pages et s'est concentrée, dans un premier temps, sur une liaison entre San Francisco et San Jose. L'entreprise estime qu'un taxi volant pourrait faire le déplacement en 15 minutes, comparativement à deux heures par voie terrestre. Uber estime qu'à terme, ce mode de déplacement sera moins coûteux que le service par véhicule routier.

Vous savez tous que l'aviation est de compétence fédérale. Je pense qu'à l'avenir, cela pourrait changer. Le gouvernement fédéral souhaitera-t-il vraiment conserver cette compétence et gérer ce genre de chose, à échelle réduite, lorsque les entrées des gens serviront de plateforme d'atterrissage? La question se posera dans l'avenir, mais c'est un point très valable. Cela aura certes des effets très perturbateurs.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma prochaine question sera très pointue. Dans le cadre de la présente étude, peut-on se soustraire à cette nouvelle réalité, soit la composante aérienne et terrestre en ce qui concerne les véhicules autonomes? En nous limitant au transport terrestre, ne croyez-vous pas que nous risquons de négliger une autre dimension qui est en voie de nous rattraper rapidement?

[Traduction]

M. Kirk : Je suis d'accord avec vous là-dessus. Je vous recommande d'inclure cet aspect. Fait intéressant, le ministère des Transports de l'Ontario a créé un groupe de travail chargé d'examiner les perspectives d'avenir du transport dans le Sud ontarien à l'horizon 2050, avec la possibilité d'aller jusqu'en 2070. J'ai participé à l'un des ateliers, et j'y ai évoqué l'idée des taxis volants, une technologie qui occupera une grande place dans les prochaines décennies. Je vous recommande fortement d'inclure cet aspect.

Le sénateur Mercer : Merci de votre exposé.

La question des emplois me préoccupe beaucoup, notamment les emplois dans le secteur de l'automobile, plus particulièrement en Ontario, où ce secteur emploie beaucoup de gens. À mon avis, nous voulons certainement assurer le maintien de ces emplois spécialisés bien rémunérés en Ontario.

Comment les constructeurs comme Chrysler, General Motors et Ford se comparent-ils à BlackBerry QNX, Apple, Uber et tous les autres acteurs qui ont investi dans ce secteur et qui n'y étaient pas auparavant? Quelles seront les répercussions sur l'infrastructure industrielle de la fabrication de véhicules, qu'il s'agisse de véhicules aériens ou de véhicules terrestres sans conducteur?

Dans le cadre de notre étude, nous entendons constamment parler d'une augmentation du parc de véhicules partagés. Savez-vous ce qui va se produire? Si j'ai une automobile à propriété partagée avec le sénateur Eggleton, cela signifie que l'un de nous ne sera pas propriétaire d'un véhicule, ou encore qu'aucun de nous ne possédera une voiture. Donc, dans ce cas, aucune de nous deux n'aurait acheté un véhicule. Mon véhicule est de marque Chrysler; le sénateur Eggleton conduit peut-être un véhicule de General Motors. Pour ces entreprises, cela fait deux véhicules de moins de vendus, ce qui a une incidence sur les emplois en Ontario, ou ailleurs, et cela s'applique à l'ensemble des principaux constructeurs automobiles.

Voici ce qui me pose problème : nous savons tous qu'il existe une lame de rasoir qu'on n'a jamais à aiguiser et qui ne s'émousse jamais. La raison pour laquelle on ne peut en acheter, vous et moi, c'est que les fabricants de rasoirs ont acheté le brevet et le conservent dans un coffre-fort, quelque part, car ils ne veulent pas vendre ce produit. Ils veulent plutôt vendre une lame qu'il faudra remplacer à quelques semaines d'intervalle, voire chaque semaine.

Je suis surpris que les quatre grands constructeurs ne soient pas intervenus et n'aient pas acheté cette technologie pour la reléguer aux oubliettes afin que nous n'y portions pas intérêt. Je suis préoccupé par le sort qui attend l'infrastructure industrielle du secteur de l'automobile avec l'arrivée de ces nouveaux joueurs. Actuellement, ce ne sont pas d'importants fabricants d'automobiles, mais ils pourraient très bien le devenir s'ils s'assurent la mainmise sur cette technologie.

M. Kirk : Tout d'abord, cela me préoccupe également. Je souligne que vendredi, dans deux jours, je serai à Windsor pour prononcer une allocution dans le cadre d'une conférence organisée par le Conference Board du Canada. Il s'agit d'une conférence de la Société de développement économique de Windsor-Essex. J'y aborderai le sujet précis que vous venez d'évoquer, sénateur.

Je vois trois grandes tendances. La première, comme vous l'avez mentionné, c'est qu'on observera en 2020 une baisse du nombre de véhicules fabriqués et vendus. On ne dit pas que vous aurez, messieurs, un véhicule partagé. On parle plutôt de taxis sans conducteur qu'on appellera avec une application sur un téléphone intelligent. Cela ne satisfera pas à tous les besoins en matière de transport, mais il y aura une tendance, en particulier au début, avec les milléniaux, les personnes âgées et les personnes handicapées. C'est une des grandes tendances. Les constructeurs automobiles savent qu'ils fabriqueront et vendront beaucoup moins de véhicules dans les années 2020.

Mme Mary Barra, la PDG de General Motors, a indiqué publiquement — au moins à deux reprises — que l'industrie de l'automobile évoluera davantage au cours des 5 à 10 prochaines années qu'elle ne l'a fait au cours des 50 dernières années. Ce sera très perturbateur.

La deuxième tendance est que des sociétés comme Ford, GM et d'autres ont pris conscience que l'avenir réside essentiellement dans le marché des services de transport. Ford a indiqué publiquement que l'offre de services de transport, à l'aide de taxis sans conducteur, représente un marché deux fois plus important que la fabrication et la vente d'automobiles. L'avenir est là.

La troisième tendance est liée au rôle de la technologie. Si vous achetez une voiture aujourd'hui, la valeur de la technologie dont elle est équipée représente environ 5 p. 100 de la valeur du véhicule. D'ici le milieu des années 2020, ce pourcentage sera de 40 à 60 p. 100. On a donc une tendance considérable vers une utilisation accrue des technologies, ce qui représente autant d'occasions pour les entreprises de technologie, pas seulement pour des entreprises comme BlackBerry QNX, mais aussi pour de petites entreprises. Une entreprise nommée Neptec établie à Kanata fabrique des lidars pour les drones; elle cherche à adapter cette technologie aux véhicules sans conducteur.

Le sénateur Mercer : Dans votre exposé, vous avez également indiqué que le Royaume-Uni aspire à devenir le chef de file mondial du secteur des véhicules autonomes. En quoi est-ce à son avantage? Ai-je manqué quelque chose?

M. Kirk : Pour eux — et pour nous également, si nous acceptons de relever le défi —, le principal avantage est d'obtenir une plus grande part du marché mondial de 10 000 milliards de dollars, ce qui ne sera pas possible en restant à l'écart.

Le sénateur Mercer : Est-ce le marché de la fabrication?

M. Kirk : Non, le secteur des services de transport. Cela englobe la fabrication et les services de transport. C'est ce qu'on appelle le marché de la mobilité.

Le sénateur Mercer : Aidez-moi à comprendre. Je comprends le secteur de la fabrication. Tout véhicule doit être fabriqué, qu'il s'agisse d'un véhicule volant ou d'un véhicule sans conducteur. Qu'en est-il des services connexes?

M. Kirk : Il y a deux éléments. Le premier est que le véhicule est utilisé pour offrir un service de taxi sans conducteur. Actuellement, le véhicule personnel moyen est inutilisé pendant 95 p. 100 du temps, tandis qu'un véhicule taxi génère des revenus pendant 30, 40, et 50 p. 100 du temps.

L'autre maillon important de la chaîne économique est la chaîne de valeur. Il y a quelques semaines, j'ai assisté à une réunion, à Washington. Un des constructeurs automobiles a estimé que la valeur des données recueillies par l'ensemble des capteurs d'un véhicule est trois fois plus élevée que la valeur du véhicule, ce qui représente une manne considérable.

Pourquoi croyez-vous que Google a tant investi dans les véhicules autonomes? L'enjeu n'est pas le transport, mais les données. À l'échelle mondiale, Google est mieux placé que quiconque pour la collecte de ces données, pour faire l'analyse des mégadonnées et cibler la publicité pour chacun d'entre nous avec une plus grande précision. La valeur croît en fonction de la précision avec laquelle on peut cibler la publicité. C'est en quelque sorte la poule aux œufs d'or, que cela nous plaise ou non.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'aimerais revenir un peu plus sur terre. Le succès de ce genre de véhicule exigera sûrement des investissements importants dans les réseaux routiers. On sait que les gouvernements d'ici ont de la difficulté à bien entretenir le réseau routier. Vous n'avez qu'à emprunter nos routes, particulièrement dans la région de Montréal, pour voir qu'on ne parle pas du 375e anniversaire de Montréal, mais du 375e nid-de-poule, qu'on essaie d'éviter.

Ce véhicule pourra-t-il être utilisé dans ces conditions? Nos routes doivent être reconstruites, car elles ont été laissées longtemps en décrépitude. Qui financera l'infrastructure pendant que l'industrie automobile réalisera des profits en vendant des véhicules automatisés? Il ne faut pas oublier que les routes sont en mauvais état. Comment tout ce projet fonctionnera-t-il?

[Traduction]

M. Kirk : Il convient de diviser les dépenses en infrastructures en deux catégories. La première est la réfection évidemment nécessaire des infrastructures existantes.

Parlons des nouvelles infrastructures. Il y a environ un an, M. Anthony Foxx, qui était à l'époque secrétaire aux Transports dans l'administration Obama, a écrit un article qui a été publié dans un magazine consacré aux transports dans lequel il indiquait que la technologie des véhicules automatisés et branchés nous permettrait de multiplier par un facteur de cinq la capacité de circulation sur les infrastructures existantes.

Cependant, avec tout le respect que je dois au secrétaire Foxx, je n'en crois pas un mot. Cela dit, même si nous pouvions accroître la capacité de circulation du réseau routier actuel de 50 p. 100 ou même le doubler, il conviendrait alors de déterminer combien de ces projets de transport en commun et de transport sont vraiment nécessaires. Voilà pourquoi je vous invite fortement, dans la déclaration écrite que j'ai fournie, à recommander que toutes les demandes de financement de nouvelles infrastructures de transport en commun et de transport comprennent une étude de l'incidence des véhicules autonomes sur la rentabilisation et la conception du projet.

Je vais vous donner un exemple. J'ai mentionné que je serai à Windsor-Essex vendredi. Comme vous le savez, un processus pour la conception et la construction d'un nouveau pont international est en cours. La mise en service du pont coïncidera presque avec l'arrivée de camions autonomes et, à ma connaissance, l'aménagement de voies réservées aux camions autonomes sur ce pont international n'a pas été prévu. Que fera-t-on à la frontière, pour les camions autonomes sans conducteur? Les enjeux de ce genre ne sont pas pris en compte, mais ils sont intimement liés au rôle de la région de Windsor-Essex dans l'économie canadienne.

Le président : Le sénateur Mercer et moi-même faisions déjà partie du comité à cette époque lointaine où on nous a promis que le pont allait ouvrir dans le courant de l'année. La loi a été adoptée depuis, mais nous attendons encore ce pont. On peut bien affirmer telle ou telle chose, mais il n'est pas toujours possible de les réaliser.

La sénatrice Bovey : J'ai trouvé vraiment intéressant votre commentaire au sujet du cloisonnement. Différents groupes sont venus nous dire qui faisait ceci et qui faisait cela. Je me demande toutefois qui coordonne et dirige le tout. Vous avez parlé de cette agence qui a été créée dans le but de mettre fin à ce cloisonnement. Je me demande si vous ne pourriez pas nous en dire plus long à ce sujet, car il faut tenir compte à la fois des enjeux sécuritaires, économiques et sociaux, sans oublier les perspectives de l'industrie, si l'on ne veut pas se retrouver, comme vous l'indiquiez, à appuyer en même temps sur l'accélérateur et la pédale de frein.

M. Kirk : Avec plaisir.

Il y a certes un cloisonnement, surtout entre ISDE et Transports Canada. Pour les gens de Transports Canada, la sécurité est prioritaire. C'est une préoccupation qui leur tient beaucoup à cœur et ils sont plutôt allergiques au risque. À certains égards, je crois qu'ils exagèrent un peu.

Au Royaume-Uni, on a créé une nouvelle agence gouvernementale, le Centre pour les véhicules connectés et autonomes. Ce n'est donc pas une entité privée, mais bien un organisme du gouvernement. On a ainsi réuni au sein de la même agence le groupe responsable des politiques au sein de l'équivalent britannique de Transports Canada et le même groupe au sein de l'équivalent d'ISDE. Les gens chargés d'élaborer les politiques peuvent ainsi voir les deux côtés de la médaille, soit l'aspect développement économique et innovation, d'une part, et l'aspect sécurité, d'autre part. On obtient ainsi une approche plus équilibrée.

La sénatrice Bovey : Est-ce que les enjeux liés à la protection de la vie privée sont également pris en compte? Je frémis rien que de penser qu'en me rendant à l'épicerie ou en conduisant quelqu'un du point A au point B, je produis des données dont la valeur est trois fois supérieure à celle de mon auto. Je n'ai pas la prétention de croire que les données me concernant valent trois fois le prix d'une voiture, mais pouvez-vous nous dire si vous intégreriez l'aspect sécurité à cette nouvelle agence qui est censée abattre tous les silos?

M. Kirk : J'intégrerais assurément ces considérations dans le contexte des véhicules connectés et autonomes, et ce, même si les enjeux liés à la protection de la vie privée sont loin de se limiter à ce seul aspect. Dans le même ordre d'idées, il faudrait aussi penser à la cybersécurité.

La sénatrice Bovey : Est-ce que vous feriez aussi une place pour les provinces?

M. Kirk : C'est incontournable.

J'aime bien le modèle en place aux États-Unis. Le département américain des Transports a pris l'initiative de concevoir des cadres réglementaires dont les États peuvent s'inspirer. La structure de base est la même, et on espère que les États vont adopter ces cadres modèles. J'aimerais beaucoup voir Transports Canada faire la même chose pour les provinces.

Je vis au Canada depuis 48 ans. Je connais donc bien les enjeux fédéraux-provinciaux. Peut-être pas aussi bien que vous, sénateurs, mais tout de même assez bien. Nous ne pourrons pas nous permettre une approche fragmentée à ce chapitre.

Le sénateur Duffy : Monsieur Kirk, concernant cette possible approche fragmentée, on pourrait dire que toutes les mesures que nous allons prendre devront s'harmoniser avec celles de nos voisins américains, car il y a tous les ans des millions de véhicules qui circulent de part et d'autre de la frontière sur nos réseaux routiers.

Vous parlez des véhicules connectés. Le gouvernement fédéral a mis en œuvre le programme Un Canada branché pour que l'Internet haute vitesse soit accessible même dans les régions rurales les plus éloignées du pays. Est-ce qu'une connexion semblable sera nécessaire pour que ces véhicules puissent fonctionner? Nos initiatives visant les infrastructures ne devront-elles pas comprendre la mise en place de celles qui sont nécessaires pour que ces véhicules puissent communiquer entre eux ainsi qu'avec l'entité qui les commande?

M. Kirk : C'est une bonne question, sénateur Duffy. La technologie des véhicules autonomes n'a pas la même signification pour tout le monde.

Je pense ici à une technologie conçue aux États-Unis, la communication dédiée à courte distance, qui est également mise à l'essai au Canada, soit en Alberta et en Colombie-Britannique. Il s'agit notamment de permettre aux véhicules de « se parler » pour éviter une collision. C'est donc un exemple.

Pour les véhicules autonomes, il sera important d'offrir la connectivité requise pour télécharger tout ce qu'il y a de plus récent en matière notamment de logiciels, d'algorithmes pour la conduite, de cartes routières et d'information météo. Il existe quelques options à ce chapitre.

Il y a d'abord les réseaux sans fil de type Wi-Fi. Bien des gens ont à la maison un tel réseau qui est bien évidemment connecté à l'Internet à grande vitesse. Je ne voudrais certes pas que mon véhicule autonome télécharge un nouveau logiciel et se réinitialise au beau milieu de l'autoroute 417, mais je n'ai aucun problème à ce qu'il le fasse dans mon garage pendant la nuit.

La technologie de cinquième génération est l'autre élément qui pourrait changer bien des choses. Vous avez entendu parler des téléphones mobiles de troisième et quatrième générations. La cinquième génération est en cours de développement par différentes entreprises à l'échelle planétaire, y compris trois ici même à Kanata. Elle permettra des communications à très grande vitesse. Les fournisseurs de services de téléphonie mobile comprennent très bien à quel point cela peut représenter un progrès important.

La question de la connectivité des régions rurales et éloignées est un enjeu distinct à l'intérieur de la même problématique. C'est aussi important, mais je dois vous avouer que je ne m'y connais guère en matière d'accès à l'Internet en milieu rural.

Le sénateur Duffy : Si nous nous dirigeons vers la cinquième génération, c'est aussi à prendre en considération.

J'ai une dernière question concernant les infrastructures, est-ce que l'on verra apparaître des câbles ou des capteurs sur les autoroutes? Seront-ils fixés aux poteaux de téléphone ou aux lampadaires? Comment est-ce que cela va fonctionner? Devrait-on prévoir de tels aménagements dès maintenant pour les autoroutes à reconstruire?

M. Kirk : Le premier commandement pour les véhicules autonomes est : « Nouvelles infrastructures tu n'exigeras point ». Ainsi, toute la technologie et toute l'intelligence artificielle nécessaires se retrouveront au sein même du véhicule, car il serait extrêmement onéreux d'installer des capteurs et du câblage sur toutes les portions d'autoroute au pays, à un point tel qu'aucune organisation n'aurait les moyens de le faire, même en collaboration avec d'autres. Il faut donc que les dispositifs d'intelligence artificielle et les capteurs soient installés directement dans les véhicules.

Le sénateur Duffy : Comment le véhicule peut-il savoir qu'il arrive à un signal d'arrêt?

M. Kirk : Dans l'état actuel des choses, la cartographie GPS à haute définition est l'un des prérequis. Des efforts sont actuellement déployés par Uber, Google, GM et d'autres entreprises pour produire de telles données cartographiques à haute définition qui seront stockées dans les véhicules. Ceux-ci disposeront ainsi de toute l'information dont ils ont besoin.

C'est le mode de fonctionnement pour l'instant. À l'avenir, le perfectionnement de l'intelligence artificielle fera en sorte que cela ne sera plus nécessaire. Les systèmes d'intelligence artificielle pourront voir la route et les autres véhicules de la même manière que nous le faisons actuellement, et dirigeront le véhicule en conséquence.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Bienvenue, monsieur Kirk. Votre présentation a été fort intéressante et mobilisatrice, disons-le ainsi.

En parlant de votre présentation; vous y dites, au troisième point :

[Traduction]

Le marché mondial des services de mobilité est estimé à 10 000 milliards de dollars américains, et les secteurs canadiens de la technologie et de l'automobile sont bien positionnés pour gagner un segment notable de ce marché.

[Français]

En deuxième page, à la première puce :

[Traduction]

Je vous conseille vivement d'inclure dans votre rapport des recommandations quant au fait que le gouvernement du Canada doit s'organiser pour profiter de cette occasion très favorable et qu'il augmente considérablement son soutien à l'industrie.

[Français]

Pouvez-vous nous préciser la nature du soutien dont l'industrie aurait besoin, et pourquoi elle aurait besoin d'un soutien gouvernemental dans le contexte du marché potentiel que vous avez décrit?

[Traduction]

M. Kirk : Il y a deux éléments à considérer, sénatrice. Il va être beaucoup plus facile d'intéresser l'industrie si on lui propose un environnement réglementaire souple et convivial pour les tests nécessaires. Cela nous ramène à ce que je disais tout à l'heure. Il faut décloisonner le tout de telle sorte que le cadre réglementaire s'harmonise aux objectifs en matière d'économie et d'innovation.

Le second élément est purement financier. Le gouvernement du Royaume-Uni, auquel je fais référence sans cesse, a investi 400 millions de livres sterling aux fins des tests et des activités de recherche et développement. Le gouvernement du Canada s'est engagé à verser 100 millions de dollars à Ford, mais une partie seulement de ces fonds vont servir pour les véhicules autonomes; il y aura aussi d'autres utilisations, notamment pour les véhicules électriques. Le gouvernement britannique offre donc à son industrie un soutien financier nettement plus senti que celui que le gouvernement du Canada s'est engagé à fournir.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Est-ce que vos études économiques actuarielles vous permettent d'estimer un échéancier de retour sur investissement pour le gouvernement? Est-ce 10 ans, 20 ans, 30 ans? Y aura-t-il un retour, et le cas échéant, dans quelle proportion?

[Traduction]

M. Kirk : La meilleure réponse que je puisse vous donner nous vient du rapport rendu public il y a environ deux ans à la suite d'une étude menée pour le Conference Board du Canada.

La sénatrice Saint-Germain : En 2008?

M. Kirk : Non, en 2015.

La sénatrice Saint-Germain : Je vois.

M. Kirk : Nous avions alors estimé de concert avec le Conference Board que l'économie canadienne bénéficiera de retombées de 65 milliards par année, une fois les véhicules autonomes déployés à la grandeur du pays. Nous l'avons affirmé de toutes sortes de manières, mais personne ne semble avoir vraiment porté attention. Il s'agit pourtant d'un excellent rendement par rapport à l'investissement total. Les gains réalisés sont en grande partie attribuables à la réduction de nombre de collisions et des coûts qui s'ensuivent, mais il y aura aussi des retombées du point de vue développement économique et innovation si nous parvenons à faire en sorte que nos secteurs de l'automobile et des technologies participent concrètement au déploiement en se démarquant sur la scène planétaire.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Ma deuxième question concerne les politiques publiques. Croyez-vous que l'arrivée du véhicule complètement autonome sera un facteur déterminant en ce qui a trait au transport en commun? Par conséquent, les politiques publiques en matière de transport doivent-elles être revues?

[Traduction]

M. Kirk : Je dois répondre par l'affirmative à vos deux questions. L'Association canadienne du transport urbain a produit un document d'orientation intitulé « Vision 2040 ». On y indique très clairement que les véhicules autonomes vont avoir un impact considérable sur le transport public au Canada. On exhorte les responsables à en tenir compte dans leur planification.

Ce n'est pas le cas pour l'instant. La plupart des plans directeurs des agences de transport en commun du Canada n'y font pas référence. Je peux vous assurer que j'ai recommandé un changement à ce chapitre.

Il y a une certaine résistance. Le directeur général d'une grande entreprise canadienne de transport urbain a ainsi indiqué qu'il craignait d'abord et avant tout de se heurter à l'opposition des syndicats.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Kirk, je me réjouis de vous revoir.

M. Kirk : Moi pareillement, sénateur.

M. Eggleton : Notre débat au sujet des véhicules autonomes s'articule principalement autour d'un résultat souhaité à pleine maturité où des vies seraient sauvées grâce à la réduction du nombre d'accidents; où l'on aurait besoin de moins de places de stationnement du fait que les véhicules seraient constamment en déplacement; et où les véhicules pourraient être partagés. Vous avez d'ailleurs cité un ancien secrétaire aux Transports qui soutenait que cela pourrait accroître la capacité du réseau routier dans sa forme actuelle.

Je conviens avec vous qu'il ne faudra pas attendre si longtemps pour voir apparaître sur nos routes ces véhicules entièrement autonomes. Au départ, il est possible que seuls les mieux nantis puissent se permettre d'en acheter et que l'on n'en retrouve donc que très peu sur nos routes.

Je pense qu'il faut s'attendre à une période de transition qui pourrait s'étendre sur plusieurs décennies pendant laquelle les véhicules autonomes devront cohabiter avec ceux que nous connaissons actuellement, ou d'autres assez similaires, peut-être équipés d'un plus grand nombre de systèmes connectés, mais toujours conduits par des humains. Il faudra donc voir à coordonner le tout de façon intégrée en déterminant comment cette cohabitation pourra prendre forme. En milieu rural, les gens seront sans doute davantage portés à s'en tenir au mode de fonctionnement actuel de préférence à cette nouvelle solution plus coûteuse et moins avantageuse dans leur situation.

Comment aborder cette période de transition? Quelles questions devra régler le gouvernement pour que la transition se fasse aussi facilement que possible?

M. Kirk : Vous parlez du coût des véhicules autonomes. J'ai l'impression que les années 2020 seront marquées par une tendance à l'utilisation de taxis sans conducteur, si bien que les gens vont seulement payer pour des courses en taxi et n'auront pas à faire l'acquisition d'un véhicule.

Dans cette même étude conjointe avec le Conference Board du Canada dont les résultats ont été rendus publics il y a deux ans, nous avions calculé qu'une famille canadienne moyenne pourrait économiser 3 000 $ par année en ayant recours aux taxis autonomes, plutôt que de posséder son propre véhicule.

Je vous recommanderais donc, mesdames et messieurs les sénateurs, de ne pas accorder trop d'attention au coût d'acquisition d'un véhicule et des systèmes nécessaires.

Il y aura certes une période chaotique pendant la transition. Mon collègue, Paul Godsmark, est ingénieur en sécurité. Sa plus grande crainte est de voir des véhicules conduits par un ordinateur et des véhicules conduits par un humain rouler en même temps sur les mêmes routes.

Le sénateur Eggleton : Sans parler des vélos et de tout le reste.

M. Kirk : D'après ce que l'on a pu constater avec les expériences de Google et des autres mises à l'essai de véhicules autonomes, les conducteurs ont tendance à vouloir tirer parti de la très bonne nature des ordinateurs aux commandes des véhicules autonomes qui ont une attitude très passive. Ils n'hésitent donc pas à leur couper la voie de manière beaucoup plus agressive qu'ils ne feraient avec un autre conducteur. Nous devons lutter contre des comportements semblables. J'ai toujours dit qu'il faudrait que les véhicules autonomes aient la même apparence que les autres, vus de l'extérieur. Nous devons parvenir à les produire en éliminant tous ces capteurs visibles.

Nous devons également déterminer dans quel sens devront évoluer le cadre réglementaire et les infrastructures nécessaires. Tout cela est fort complexe.

Volvo est un excellent constructeur automobile. Je n'aime pas par contre voir cette entreprise faire la publicité d'une voiture à l'épreuve des collisions. Cela n'existe tout simplement pas. Je suis moi-même ingénieur. Je sais que n'importe quelle pièce d'équipement, n'importe quel système peut avoir des défaillances. Même dans cette vision de l'avenir que je vous présentais et qui nous permettrait d'éviter 80 p. 100 des quelque 2 000 décès survenant sur les routes canadiennes chaque année et de sauver ainsi 1 600 vies humaines, il n'en resterait pas moins que 400 personnes trouveraient la mort dans un monde parcouru uniquement par des véhicules autonomes, car il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu. Il faut bien faire comprendre aux gens, aux médias et à l'industrie que la technologie n'est pas parfaite et qu'elle ne le sera jamais.

Il y a une autre question que nous allons devoir nous poser dans un avenir peut-être un peu plus lointain. Supposons qu'en 2030 les ordinateurs de bord ont accès à toutes les données nécessaires et deviennent vraiment de meilleurs conducteurs que les pauvres êtres humains stupides que nous sommes. À quel moment faudra-t-il nous interdire de conduire? Est-il acceptable du point de vue éthique de permettre à des êtres humains aussi stupides de continuer à causer un tel carnage sur nos routes alors même qu'il existe une solution technologique beaucoup plus efficace? On sait bien qu'il faudra un politicien très brave pour proposer une telle mesure, mais reste quand même que c'est une conversation que nous devrons sans doute avoir d'ici une quinzaine d'années.

Le sénateur Eggleton : Les politiciens seront peut-être alors des robots.

Le président : Davantage qu'aujourd'hui?

Le sénateur Eggleton : Non, aujourd'hui nous sommes des sages.

Le sénateur Mercer : Vous nous donnez encore beaucoup de matière à réflexion. Je veux revenir à la comparaison entre secteurs ruraux et urbains. Je peux voir votre vision se concrétiser dans une ville où les gens ne vont pas acheter de voitures, mais plutôt se payer des courses en taxi et ainsi économiser. Je vis en milieu rural. J'habite dans un petit village de quelques milliers d'habitants situé à une quarantaine de kilomètres d'un grand centre, et je ne vois pas en quoi cela pourrait être à mon avantage. Je vais plutôt être pénalisé du fait que je réside dans un secteur rural. Il faudra toujours que je possède mon propre véhicule. Il est possible que ce soit un véhicule qui se conduise lui-même, mais je devrai tout de même en faire l'acquisition. Dans les petites collectivités comme la nôtre, le marché ne sera pas suffisant pour des services de taxi semblables. Chez nous, les gens s'éparpillent dans toutes les directions le matin pour se rendre au travail; il n'y a rien d'aussi structuré que ce que l'on peut observer en ville.

M. Kirk : J'ai deux choses à vous dire à ce sujet, sénateur. Premièrement, je conviens avec vous que le déploiement sera plus lent en milieu rural, exactement pour les raisons que vous avez énoncées. Cela ne fait aucun doute.

Par ailleurs, il y a effectivement des avantages. La mère d'un de mes amis vit à Arnprior dans la vallée de l'Outaouais. C'est une personne âgée aux prises avec une légère incapacité. Il n'y a pas de transport public à Arnprior; la localité est trop petite pour cela. Elle n'a pas les moyens de prendre le taxi, si bien qu'il lui est impossible de se déplacer. Si des taxis sans conducteur pouvaient offrir le service pour à peu près la moitié du tarif exigé actuellement par Uber, notamment grâce à une subvention municipale, ce qui est chose possible, les retraités et les personnes handicapées vivant dans des secteurs ruraux et éloignés deviendraient soudainement plus mobiles. Je pense que ce serait très bénéfique pour ces gens-là.

Le sénateur Mercer : Vous êtes en train de créer un autre problème important pour les municipalités. Si celles-ci doivent maintenant subventionner les transports pour leurs résidants, leur assiette fiscale risque de devenir insuffisante. Je ne crois pas que mon petit village aurait les moyens de subventionner ainsi des services de taxi qui pourraient être offerts aux gens qui ne sont pas nécessairement capables d'en défrayer les coûts.

Il faudra donc considérer également les répercussions sur l'assiette fiscale, car la tolérance des contribuables a ses limites et les retombées doivent être beaucoup plus élevées que ce que l'on a pu observer jusqu'à maintenant.

M. Kirk : Il y a à proximité de Toronto une localité dont j'ai oublié le nom — j'ai laissé mes notes à mon bureau — où aucun service d'autobus n'est offert. Les résidants en réclamaient un. Le conseil de ville a effectué une analyse. Les autorités municipales ont évalué les coûts à engager pour offrir un service d'autobus, même en période de pointe, et ont aussi déterminé combien il leur en coûterait pour subventionner des déplacements avec Uber. Ils en sont arrivés à deux conclusions. Premièrement, en choisissant la solution Uber, on pouvait desservir tous les secteurs de la ville, plutôt que seulement certains circuits. Deuxièmement, il serait moins coûteux pour la ville de subventionner des déplacements avec Uber que de payer pour un service d'autobus traditionnel.

Si le besoin existe et si les gens sont prêts à payer, c'est un modèle qui pourrait fonctionner dans bien d'autres endroits.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Kirk, j'aimerais revenir sur un élément en particulier. Ceux qui construisent des autos depuis des décennies commettent des erreurs en matière de sécurité qui entraînent parfois des rappels massifs. On n'a qu'à penser aux ordinateurs de bord qui ont été ajoutés ces dernières années aux voitures. Plusieurs ont nécessité des rappels massifs.

Peut-on anticiper ce qui se produira avec ces véhicules et leur nouvelle technologie quand un élément ne fonctionnera pas comme prévu?

[Traduction]

M. Kirk : Je vais vous répondre en deux volets, sénateur. Le logiciel est l'élément le plus simple. Tous ces véhicules ACE comme je les appelle — pour autonomes, connectés, et électriques — auront la capacité de télécharger de nouveaux logiciels, ce qui devra se faire assez fréquemment au départ, au gré de l'amélioration des algorithmes de conduite. C'est ce que font déjà des entreprises comme Tesla, et cela va continuer. BlackBerry QNX travaille ainsi au développement de solutions de téléchargement en direct des logiciels. C'est la partie facile.

Par ailleurs, s'il y a des défaillances ou des vices de conception du point de vue de l'équipement, nous aurions recours aux mêmes types de mécanismes de rappel qu'actuellement, mais il faut prévoir que les mises à jour des logiciels pourraient permettre de régler la majorité des problèmes.

La sénatrice Bovey : J'aimerais revenir à une autre de vos observations que j'ai trouvée fort intéressante. Vous avez recommandé qu'une analyse des répercussions des véhicules ACE soit intégrée aux initiatives de mise en place des infrastructures de transport financées par le fédéral. Étant donné qu'une grande partie de ces infrastructures sont financées également par les municipalités et les provinces, je dirais que c'est une question qui interpelle les trois ordres de gouvernement. Je me demandais toutefois si d'autres pays avaient imposé une analyse de la sorte. Existe-t-il un modèle des enjeux à considérer dans une telle analyse? Est-ce que quelqu'un a commencé à définir ces enjeux? C'est selon moi un aspect très intéressant dans le contexte de notre planification à court, moyen et long terme.

M. Kirk : Pour vous dire franchement, à ma connaissance, aucun pays n'a mis en œuvre une telle mesure. Je sais que plusieurs d'entre eux envisagent de le faire. Je sais que les États-Unis s'y intéressent tout particulièrement. C'est un travail qui suit son cours, mais, à ce stade-ci, je dirai que non. Il s'agit d'un domaine où, selon moi, une réglementation s'impose, mais rien n'est en place en ce moment.

La sénatrice Bovey : Donc, personne n'a essayé de définir les aspects qui devraient être inclus dans ce genre d'analyse?

M. Kirk : Pas encore, sénatrice. Une des complications, c'est que la plupart des outils de planification dont les planificateurs de transport en commun et de réseaux de transport ont besoin pour faire les analyses ne sont pas encore en place. Ainsi, la modélisation mathématique requise n'est pas encore en vigueur, et c'est là un problème connu que l'on cherche à résoudre. Je sais qu'une entreprise à Paris travaille là-dessus, mais au lieu de s'en tenir à une analyse qualitative, il est vraiment utile de modéliser le tout afin d'examiner la question plus en détail.

Le sénateur Duffy : Nous n'avons pas parlé de la circulation en peloton de camions. Bien des gens trouvent qu'il est plutôt effrayant de conduire sur l'autoroute 401, entourés de camions-remorques roulant à 100 kilomètres l'heure. Comment la circulation en peloton de camions améliorerait-elle la situation? Comment cela fonctionnerait-il? Serait-ce faisable uniquement sur les grandes autoroutes? Qu'en est-il des autres endroits?

M. Kirk : La circulation en peloton de camions fonctionne au moyen de la technologie que j'ai mentionnée tout à l'heure, à savoir les communications dédiées à courte portée ou CDCP. De façon générale, au cours des premières années, il y aurait un conducteur à bord du premier véhicule, alors que les autres véhicules suivraient derrière, en mode asservi, à une distance prédéterminée. En fait, cette technologie existe déjà. Elle a fait l'objet de beaucoup de démonstrations in Europe et, le mois dernier, on en a fait une démonstration à Blainville, au Québec, au site d'essais de Transports Canada.

J'ignore si certains d'entre vous ont entendu le discours du ministre des Transports lors de la conférence. À Blainville, on a mis en circulation trois camions-remorques autour du circuit. En fait, le ministre des Transports se trouvait à bord du camion du milieu, et il a raconté son expérience. La technologie est là, mais elle n'est pas utilisée à des fins commerciales.

Une des particularités de la circulation en peloton et des véhicules autonomes — et cela rejoint l'observation faite par le secrétaire Foxx —, c'est que cette technologie permet aux véhicules de se déplacer de façon plus rapprochée, occupant ainsi moins d'espace sur la route, ce qui est un plus. Cela signifie qu'un plus grand nombre de véhicules peuvent circuler sur la même route. Voilà donc l'un des grands avantages, sans compter bien sûr toute la question des économies réalisées sur le plan des salaires des conducteurs.

Le président : Monsieur Kirk, comme toujours, ce fut un plaisir de vous entendre.

Chers collègues, nous accueillons maintenant Franck Bonny, directeur général, Centre de test et de recherche pour les véhicules motorisés, PMG Technologies.

[Français]

Monsieur Bonny, je vous invite à faire votre présentation. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.

Franck N'Diaye Bonny, directeur général, Centre de test et de recherche pour les véhicules motorisés, PMG Technologies : Je vais faire ma présentation en français. PMG Technologies gère depuis maintenant 21 ans l'unique Centre d'essai et de recherche automobile de Transports Canada. Notre principale activité consiste à faire des tests pour nous assurer que les véhicules qui circulent sur nos routes sont conformes aux normes canadiennes de sécurité. Nous procédons à des tests de conformité. Nous faisons aussi des tests de recherche avec Transports Canada ainsi que des tests pour les aider à établir les normes ou à faire évoluer les normes en matière de transport et de sécurité. Le centre a une vocation de service envers Transports Canada, qui est notre principal client.

Nous avons aussi comme clientèle des industries. Nous aidons les industries qui innovent à s'assurer que les véhicules sont conformes aux normes canadiennes et américaines. Nous sommes l'un des seuls centres en Amérique du Nord qui homologue les véhicules afin qu'ils respectent les normes canadiennes et américaines.

Ce centre est unique pour deux raisons. Tout d'abord, il offre un guichet unique, c'est-à-dire qu'il y a beaucoup de centres en Amérique du Nord, mais très peu d'entre eux disposent d'installations qui leur permettent de faire un tour complet de la sécurité d'un véhicule. Par exemple, on dispose de chambres environnementales pour évaluer le comportement d'un véhicule lorsqu'il y a des écarts de température. On dispose d'un « crash lab » qui est reconnu. On fait des tests de structure. On examine toutes les dimensions, sauf l'aspect qui concerne les émissions.

Le Canada occupe une place unique en Amérique du Nord, parce que les États-Unis n'ont pas de centre semblable. Tous les centres qui sont sur le territoire américain sont des centres privés. Cela est important du point de vue de l'aspect économique des changements dont on parle. Outre cet aspect, depuis quelques années, PMG Technologies a fait des efforts importants pour commercialiser le centre à l'extérieur. De plus, nous avons proposé des investissements à Transports Canada qui, en 20 ans, a fait passer ce centre à un organisme reconnu mondialement. En effet, c'est l'un des centres les plus précis au monde. Il a été primé en 2012 pour le « crash lab » de l'année.

Aujourd'hui, nous faisons des recherches sur le plan des nouvelles technologies. Nous sommes le premier centre d'essai en Amérique du Nord qui a établi des partenariats avec la Chine et les États-Unis. Nous procédons à l'heure actuelle à des négociations avec l'Europe. Nous exerçons un certain leadership, même si le Canada, a priori, est un pays qui n'a pas d'industrie automobile. Nous sommes très en avance aujourd'hui.

J'ai eu l'occasion de prendre connaissance des différentes séances de votre comité. Vous avez eu un bel aperçu de l'autonomie de l'automobile. On devrait être très heureux. C'est magique. Nous sommes à l'aube d'une révolution, mais nous sommes tout de même un peu angoissés. Pourquoi sommes-nous angoissés? On n'arrête pas de parler des technologies qui permettront de diminuer le nombre des décès, d'améliorer l'économie, et cetera. Ce sera merveilleux. Demain, on n'aura plus besoin de s'inquiéter. Notre voiture partira chercher nos enfants et les ramènera à la maison. On pourra être au bureau et regarder depuis notre cellulaire nos enfants en train de jouer dans la voiture pendant qu'ils rentrent à la maison. Il n'y aura plus d'enfants qui monteront dans les autobus. C'est merveilleux, mais pourquoi sommes-nous angoissés? Parce qu'il y a une chose qui manque dans tout ce beau portrait. Comment allons-nous vérifier que ça fonctionne? Quel est le plan? Qui a annoncé un plan pour dire que ça fonctionne? Personne. On nous dit qu'on va faire des villes où les gens pourront circuler.

Les manufacturiers nous disent qu'ils font des essais dans une partie d'une ville, mais quelle est l'approche scientifique à ces essais? Est-ce qu'on pose les questions suivantes : combien d'ADAS y a-t-il? Il y en a 16. D'accord. Combien de systèmes d'alerte y a-t-il en matière de connectivité? Il y en a 25, 26. Comment va-t-on les tester? Est-ce qu'on a la capacité de les tester? Est-ce qu'on a la capacité d'assurer aux gens que ça va fonctionner? Est-ce qu'on a les infrastructures pour faire face aux nouveaux systèmes qui seront mis en marché? D'ici 2020, il y aura encore d'autres systèmes, d'autres alertes qui seront créés, comme les voitures volantes. Est-ce qu'on est prêt à tout cela? Est-ce qu'on s'y prépare? On est comme dans une zone de miracle, et on se dit que les manufacturiers vont faire des essais et que, miraculeusement, tout va bien aller.

Comme on l'a dit tout à l'heure, aujourd'hui, il y a encore des rappels. Depuis combien d'années les véhicules circulent-ils sur les routes? Depuis combien d'années est-on censé avoir une parfaite maîtrise de la situation? Pourtant les véhicules ont encore des rappels. Mais on s'imagine que, tout d'un coup, parce qu'on met des ordinateurs, des systèmes connectés, et cetera, les véhicules n'auront plus de problèmes. Non.

Je vais vous donner un exemple. Certains disent que maintenant, on peut faire des simulations, et que les essais de choc, c'est fini. D'accord, génial. Prenons un véhicule : maintenant, c'est un salon. Parfait. Ce véhicule roule, c'est parfait. Il a un accident, une défaillance du système. Par mégarde, ça arrive, le véhicule entre en collision. Comment les occupants sont-ils protégés? Avant, c'était clair : la personne était assise et portait une ceinture de sécurité, et disposait d'un coussin gonflable. On a réduit de presque 70 p. 100 les dommages liés aux accidents grâce aux coussins gonflables et à la ceinture de sécurité. Maintenant, on change complètement la configuration du véhicule. Qu'est-ce qui va se passer s'il y a un choc? Il n'y aura jamais de choc? Ce n'est pas vrai. Mais qui doit examiner cet aspect? Quel plan a été conçu pour examiner cet aspect? Actuellement, c'est le Far West; c'est le même principe.

La conquête de l'Ouest, c'était simple : tout le monde partait avec son cheval, son traîneau, peu importe. On arrivait quelque part et on plantait quatre poteaux pour dire : « Ça, c'est mon terrain ». En ce moment, c'est ce que nous sommes en train de faire. Tout le monde part et plante des poteaux en disant : « Moi, je suis capable de faire ceci et cela. » Mais à un moment donné, il va falloir que le shérif arrive pour dire : « Écoutez les gars, c'est fini, vous arrêtez de jouer, on va essayer de légiférer un peu votre affaire. » Le problème c'est que, aujourd'hui, il va falloir éduquer le shérif. Ce n'est pas quand on aura des problèmes qu'on va commencer à se dire qu'il faut tout de même qu'on apprenne à évaluer ces véhicules-là et ces technologies-là. Ce n'est pas à ce moment-là qu'il va falloir le faire. C'est maintenant. C'est en prenant en charge l'idée qu'on doit faire surveiller ces nouvelles technologies et déterminer comment les évaluer qu'on pourra réellement faire évoluer l'innovation.

Je parle ici d'affaires, car même si on dirige un centre d'essai, on fait partie des gens d'affaires. Les gens oublient une chose, c'est que l'innovation, ce n'est rien sans les tests. Si vous avez des idées de génie, mais que vous n'êtes pas capable de démontrer que le véhicule fonctionne et qu'il est sécuritaire, le projet restera sur les tablettes, et vous ne ferez pas d'argent. Pour faire de l'argent, il faut qu'il y ait quelqu'un qui, objectivement, démontre que le projet fonctionne. En ce qui concerne les produits sur le marché en ce moment, c'est un « free for all ». Mais à un moment donné, on comprendra qu'il faut absolument faire des tests.

Maintenant, la vraie question qu'on doit se poser, c'est à savoir où le Canada se positionne-t-il dans ce dossier. Est- ce que le Canada veut exercer un leadership ou pas? Si nous voulons le faire, c'est possible, car nous en avons les moyens.

Je vais m'arrêter ici pour répondre à vos questions.

Le président : Vous allez avoir des questions en masse, car nous avons une longue liste; nous avons justement notre shérif à nous, c'est l'« agent Dagenais » de la Sûreté du Québec. Sénateur Dagenais, vous êtes le premier à poser des questions.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup de votre présentation, c'était très intéressant. Il fallait aussi un shérif au Sénat.

Je trouve très intéressant ce que vous avez dit, car, récemment, j'ai eu un problème avec une voiture qui a beaucoup d'ordinateurs à bord. Tout s'est allumé pour me dire d'aller chez mon concessionnaire. Je peux vous dire que je m'ennuyais de l'époque d'il y a 35 ou 40 ans, lorsqu'il y avait une seule clé à tourner. Vous savez, on tournait la clé et on ouvrait la porte. Là, plus rien ne fonctionnait, ni les essuie-glaces ni la transmission. Ils ont appelé en Allemagne, ils ont fini par trouver le problème, et ça a coûté très cher parce que, les ordinateurs, lorsqu'il faut les réparer, ça coûte cher. J'essaie de m'imaginer ceux qui construisent des autos depuis des décennies. Vous l'avez mentionné à un moment donné : c'est un « free for all », et c'est vrai.

On nous confie des autos, et il y en a qui seront autonomes, mais au moment où elles ne fonctionneront pas, que fera-t-on? Sachez que les concessionnaires vont faire de l'argent, parce que ce sont eux qui feront les réparations. J'espère qu'ils seront bien informés, parce qu'actuellement, il y a beaucoup d'ordinateurs dans les autos, et quand ça fait défaut, c'est triste. C'est peut-être ça, nos petits papillons. C'est aussi la facture.

Pouvez-vous me dire si nous serons en mesure d'anticiper ces nouvelles technologies? Lorsqu'une composante des voitures autonomes ne fonctionnera pas, que va-t-on faire?

M. Bonny : Rapidement, une voiture autonome, c'est une voiture connectée. Au lieu d'alerter le conducteur, elle alerte un système. Il est certain que, si on continue de croire que tester une voiture autonome, c'est uniquement la mettre dans une rue, qu'elle réagisse à des feux, qu'elle s'arrête et qu'elle avance, on va y perdre beaucoup. On a une richesse en tant qu'être humain. On a la capacité d'identifier ce qu'on appelle le risque et l'opportunité. Il faut quand même savoir évaluer les risques. Il y a des risques par rapport au fait que ça ne fonctionne pas qui sont sans conséquence, mais il y a d'autres risques qui auront des conséquences. D'ailleurs, ça ne sera pas à la charge des manufacturiers. Est-ce le manufacturier qui a la charge de protéger les citoyens? La question est là. Est-ce son premier rôle?

Je pense que, quelque part, jusqu'à présent, le gouvernement canadien, quand il a décidé d'investir dans le centre d'essai de Blainville, a décidé qu'il allait protéger le citoyen. Il l'a dit haut et fort et il l'a fait. Même si nous ne sommes pas un pays manufacturier automobile officiel, comme la Suède, le Japon, la Chine, la France ou les États-Unis, nous l'avons fait. Comme vous l'avez dit, on doit effectivement continuer dans cette veine-là.

Ce n'est pas parce que c'est une nouvelle technologie; certes, elle est censée amener du bien, c'est vrai. C'est vrai qu'on va vers une amélioration. Mais, par pitié, assurons-nous qu'il s'agira vraiment d'une amélioration. Nous avons la capacité de faire ce virage. Par exemple, le témoin avant moi a cité ce qui se passait dans le monde, mais regardez la Chine ou l'Inde. L'Inde a investi dans six centres d'essai, et la France et l'Allemagne investissent. Les États-Unis ont neuf centres, dont un seul est à peu près l'équivalent du nôtre. La Corée investit. Aujourd'hui, il faut comprendre une chose : l'humanité vit selon les transports. Regardez tous les pays qui ont réussi. Pourquoi ont-ils réussi? Parce qu'ils ont tous une industrie automobile. La Suède, l'Allemagne, la France, la Corée, la Chine, les États-Unis ont tous une industrie automobile.

Aujourd'hui, ce que cette nouvelle technologie apporte, c'est un virage majeur. Nous sommes en face d'une révolution. Certains disent qu'on est passé du cheval à la voiture. Or, ce n'est pas vrai du tout. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, on va lâcher les rênes en tant qu'être humain. On décide que le problème, c'est l'être humain. C'est la première fois qu'on lâche les rênes. Même quand on est passé du cheval à la voiture, l'être humain ne tenait plus les rênes, mais un volant. Cependant, c'était toujours lui qui dirigeait. Maintenant, on lui dit qu'il ne conduira plus. Cela soulève beaucoup de questions et d'éléments importants. C'est pourquoi on doit se pencher sur cette question.

Aujourd'hui, quand on parle de nouvelles technologies, on parle aussi de choses qui ont glissé. Dans quel sens? Il y a 10 ans, le centre mondial de l'automobile, c'était Detroit. Avec la nouvelle technologie, le centre de l'automobile a glissé vers la Californie. La Californie en est maintenant le centre. Il y a toutefois une alternative à la Californie. Il y a ce qu'on appelle la Silicon Valley de l'est de l'Amérique du Nord, qui est un axe Windsor-Montréal. C'est la plus grande concentration d'expertise en matière de nouvelles technologies pour l'automobile. Qu'est-ce que cela signifie? Vous imaginez un peu ce que cela peut générer comme attraction? Qu'est-ce que la Silicon Valley a généré comme attraction mondiale dans le secteur de l'économie? L'axe Windsor-Montréal peut générer la même attraction. Si nous ne démontrons pas que nous avons un plan pour tester nos véhicules, pour aider l'industrie et tester l'innovation, comment voulez-vous que les fabricants s'améliorent? S'ils doivent partir, prendre toutes leurs affaires et aller aux États-Unis, en France, en Suède ou en Angleterre pour faire leurs tests, comment voulez-vous qu'ils soient compétitifs? Plus de 50 universités, entre Windsor et Montréal, travaillent dans le domaine de l'automobile. Si elles n'ont pas d'infrastructure solide et réelle pour faire leurs tests, où iront-elles? Comment les appuie-t-on? On ne les appuie pas.

Pour répondre à votre question, oui, il y a des risques, mais on peut les contrôler. On peut au moins s'assurer que les défaillances soient mineures et non majeures en matière de sécurité.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Monsieur Bonny, je vous remercie de votre exposé intéressant. Vous avez dressé la Californie contre l'autoroute 401, l'axe Windsor-Montréal. C'est un argument intéressant, mais a-t-on omis quelque chose dans ce raisonnement? A-t-on oublié le secteur de l'automobile en Chine et en Inde?

On trouve en Inde une grande société, appelée Tata. Ce sont des gens innovateurs et audacieux. Ils ont diversifié leurs activités. Le virage technologique et le changement du mode de conduite pourraient leur offrir la chance dont ils ont besoin pour s'emparer du marché nord-américain. Nous continuons de ne penser qu'au marché nord-américain, mais cela va beaucoup plus loin.

Je n'ai pas été en Inde récemment, mais j'y suis allé il y a quelques années. C'est un marché renversant. Il s'en passe des choses là-bas, et il y a beaucoup de choix. Comme je l'ai déjà raconté, notre conducteur nous avait dit qu'il faut trois choses pour être un bon conducteur en Inde : un bon klaxon, de bons freins et de la chance.

M. Bonny : C'est vrai.

Le sénateur Mercer : Ce qui m'inquiète, et j'en ai parlé à notre premier témoin, c'est le risque de perte d'emplois au pays. Vous avez fait valoir un bon argument sur le corridor Windsor-Montréal et l'infrastructure intellectuelle locale qui appuie le secteur de l'automobile sur le plan de la fabrication et de l'expertise. Comment nous y prendre pour miser sur ces atouts et nous assurer que ce n'est pas une société indienne comme Tata qui fabriquera nos véhicules de demain ou, si c'est le cas, qu'elle les fabriquera ici plutôt qu'en Inde?

[Français]

M. Bonny : J'ai aussi eu l'occasion d'aller en Inde — d'ailleurs, j'y vais souvent. Je vais aussi en Chine. On a ouvert un bureau en Chine et un autre en Corée. Il faut comprendre les faits. Je vous parlais de 50 universités et collèges, et plus de 3 000 entreprises de TI. On a le centre de « deep learning » à Montréal qui traite de toute l'intelligence artificielle. Ericsson a établi son plus grand centre de « big data » mondial à Vaudreuil, dans la région de Montréal. En Ontario, je ne parlerai pas de l'attraction, car on sait que GM et Ford y investissent déjà.

On ne cherche pas à attirer les Indiens pour qu'ils viennent manufacturer. On est allé voir les Indiens et les Chinois. Ce qui les intéresse aujourd'hui, c'est la recherche et développement, l'esprit, le génie. En Inde, j'ai rencontré des représentants de Tata et de Mahindra. Ils me disent qu'ils veulent être des leaders mondiaux. Je leur ai alors demandé comment ils pensaient pouvoir être des leaders mondiaux, alors qu'ils ne sont même pas aux États-Unis ni en Amérique du Nord. Ils ne pourront pas utiliser comme prétexte que les normes américaines sont trop élevées. Il faut les défier. Ces gens ont le goût de venir non seulement pour vendre, mais parce que c'est pour eux une nécessité.

Imaginez le Canada de demain. Il y a environ une quarantaine de manufacturiers qui sont du niveau de GM et de Ford à l'extérieur, entre l'Inde, la Chine et la Corée. Si ces manufacturiers installent leur bureau de recherche et développement ici, ce sera comme à Detroit. Demain, le Canada sera Detroit. On deviendra le centre à penser de l'automobile mondiale, même si on n'est pas manufacturier.

Le véhicule d'aujourd'hui, c'est quoi? Ce n'est plus un véhicule, c'est un système. On ne va plus vendre de véhicules, on vendra des systèmes. Parmi les manufacturiers que vous connaissez, plusieurs mourront parce que d'autres naîtront. On ne vendra plus de voitures, mais des systèmes. Pourquoi Apple et Google existent-ils? Ce sont les premiers, mais d'autres arriveront sur ce créneau.

Qu'est-ce qu'on a à voir là-dedans? La clé de la recherche et développement, c'est effectivement l'écosystème, les infrastructures et les expertises nécessaires pour faire les tests. Or, on a l'expertise aujourd'hui. Toutefois, on n'a pas l'infrastructure pour rassembler cette expertise. Voilà le problème aujourd'hui.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Ce sujet m'intrigue. Je vous remercie de votre exposé. Les essais que vous effectuez me paraissent particulièrement intéressants. J'ai bien aimé ce que vous avez dit, à savoir qu'on vendra des systèmes. Cela signifie, évidemment, que vous mettez à l'essai des systèmes.

En ce qui concerne les risques et les possibilités que vous avez mentionnés, l'analyse des risques est monnaie courante dans de nombreux domaines. J'ai commencé à prendre quelques notes pendant que vous parliez de l'éthique et de la question de savoir qui s'occupera des droits des passagers ou des personnes. Appelons cela l'éthique des risques. Comme vous avez dû le constater lors de la première partie de la réunion, j'ai été particulièrement intriguée par le concept d'étude de l'incidence dans le domaine des infrastructures et ce à quoi cela pourrait ressembler.

Allons un peu plus loin. D'après vous, l'analyse des risques ou l'éthique des risques s'imbriqueraient-elles dans une étude de l'incidence pour le financement des infrastructures? Je crois que le facteur de risque est un élément important à inclure dans une telle analyse. Si nous parlons des répercussions relatives au développement des infrastructures, mettez- vous à l'essai les infrastructures également?

[Français]

M. Bonny : Actuellement, nous avons un partenariat avec l'Europe, avec l'Institut français des sciences en Europe. Parce qu'aujourd'hui, il y a une réalité, c'est que le véhicule ne pourra être dissocié des infrastructures, et qu'il faudra effectivement tenir compte de l'évaluation du véhicule et des infrastructures.

Je vous donne un exemple. Aujourd'hui, on parle de mobilité, de véhicule. On est en train d'évaluer la réglementation des véhicules. C'est une bonne chose. On examine la réglementation des véhicules intelligents. Mais je pose la question suivante : qui examine la réglementation des villes intelligentes? Les villes sont en train de développer de l'intelligence. Qu'est-ce qui arrivera si on ne regarde pas la réglementation, l'interaction véhicule-infrastructure? Il se passera quelque chose de très simple : vous allez être à Montréal, et votre véhicule va fonctionner à 60 p. 100 ou à 100 p. 100, et toutes les fonctionnalités seront disponibles. Vous arriverez à Sherbrooke, et le véhicule va fonctionner à 40 p. 100. Pourquoi? Parce que Sherbrooke n'aura pas les mêmes protocoles et n'aura pas pris les mêmes options technologiques que Montréal.

Vous avez vu le plan que je vous ai proposé d'avoir une ville. Il faut un chaînon entre l'innovation et la réalité urbaine. Il faut qu'on examine la question de manière scientifique, à l'aide d'une ville où l'on pourra faire des scénarios réels et simulés, pour déterminer si cela fonctionne et si c'est sécuritaire. Il faut savoir ce qu'on donnera comme recommandations aux villes. Oui, Sherbrooke, vous voulez avoir telle technologie? Parfait, mais il y a telle et telle chose que vous devez mettre dans le cahier de charges, sinon vous pourriez avoir des problèmes.

Prenons un exemple : les citoyens disent qu'ils aimeraient avoir un autre panneau pour indiquer l'arrivée des autobus. L'administration municipale fait ensuite les recherches pour trouver un fournisseur. S'il y en a deux, c'est bien, on fait un prix; s'il n'y en a qu'un, alors c'est le marché. Mais à un moment donné, cela va nous nuire; il faut faire une évaluation scientifique.

On ne peut pas laisser la situation aux miracles. Le gouvernement doit vraiment avoir un plan. Or, je croyais que c'était les ministères qui s'en chargeaient, mais lorsque nous avons fait des études et que nous nous sommes adressés aux ministères, nous nous sommes rendu compte que c'est vraiment sur le plan politique que les choses se passent. Sur le plan politique, on doit annoncer très clairement qu'on va investir pour s'assurer que la mobilité intelligente et durable sera sécuritaire. Pourquoi? Parce que si elle est sécuritaire, elle va rapporter de l'argent longtemps. Il ne s'agit pas de sécurité pour empêcher les gens d'avancer, mais aussi pour s'assurer que le produit sera profitable pendant longtemps.

Le Canada pourrait devenir leader dans ce domaine. Je vous donne un exemple : vous connaissez tous le label « Five Star » aux États-Unis? Pourquoi est-ce qu'on n'aurait pas au Canada le « Five Star » de la nouvelle technologie? Qu'est-ce qui nous en empêche? Aujourd'hui, on a les meilleures personnes en TI. La preuve, c'est que si on ne les avait pas, GM ne viendrait pas ici. Pourquoi GM est-elle venue ici? Pourquoi Ford et tous les manufacturiers américains s'installent-ils au Canada? Parce que nos ingénieurs coûtent 30 p. 100 moins cher? C'est l'argument, non? C'est parce qu'on a des gens qui sont très éduqués et très bons. Google et Apple sont au Canada, tout le monde vient au Canada. Pourquoi? On a la capacité aujourd'hui d'exercer un leadership dans ce domaine. Pourquoi est-ce qu'on ne le prendrait pas? Pourquoi devrions-nous encore rester derrière?

Aujourd'hui, le monde nous regarde. Dieu me pardonne, à cause de la politique américaine, mais aujourd'hui, le monde nous regarde. Au même titre que tout le monde francophone, rejetant la France, regarde le Canada et le Québec en leur demandant s'ils peuvent faire quelque chose pour eux et être les leaders de la francophonie.

Chez moi, il y a un proverbe qui dit : « Quand le Bon Dieu t'applaudit, danse. »

Le président : Cela m'amène à une question sur le rôle de l'État. Vous êtes à Blainville, vous travaillez en collaboration avec le centre de Transports Canada, donc il y a du financement, de la participation. Où dresse-t-on la ligne entre les responsabilités? Ce sera nécessairement dans notre rapport, et on devra indiquer au gouvernement les actions à prendre au cours des prochaines années pour veiller à ce que le Canada devienne l'un des joueurs importants.

Quelle est la part qui vient de l'État et celle qui vient de l'entreprise privée? Comme vous l'avez dit plus tôt, que ce soit dans le corridor Windsor-Montréal ou dans les villes intelligentes, il y a une participation énorme de l'entreprise privée. Quel est le rôle de l'État? S'agit-il seulement du financement ou du partenariat?

M. Bonny : Je dirais que, de mon point de vue, la formule canadienne, par rapport au centre de test, est assez intéressante et originale. Elle est bonne, et je me rends compte que, vue de l'extérieur, elle est très attrayante. Le fait que le gouvernement ait investi dans une infrastructure comme le centre d'essai de Blainville, c'est neutre, vu de l'étranger.

Je vous donne un exemple : un des plus gros centres en Amérique du Nord, aux États-Unis, c'est TRC. C'est la propriété de Honda, et c'est là où est Nash Technologies, l'équivalent de Transports Canada. Moi, je suis un manufacturier indien, et j'ai tout de même quelques scrupules à m'y installer. Je vais donc donner mon argent à Honda, mais je n'en ai peut-être pas trop envie.

Donc, en matière d'infrastructure, comme pour toutes les infrastructures qui relèvent de la responsabilité du gouvernement quant à la protection du citoyen, c'est le gouvernement qui doit mettre ses culottes et décider qu'il va protéger ses citoyens et investir pour veiller à leur sécurité, et s'assurer que des gens compétents travailleront dans cette infrastructure.

Maintenant, en ce qui concerne l'innovation et la création de ces infrastructures de test, c'est important, parce que l'innovation relève tout de même du domaine privé. C'est du commercial. Mais là où on peut appuyer le manufacturier, c'est en l'aidant à ne pas être obligé d'aller à l'autre bout de la terre pour faire évaluer ses véhicules.

Au Québec, il y a des manufacturiers qui n'auraient jamais pu sortir s'ils n'avaient pas eu accès au centre d'essai, même Volvo. Si Volvo n'avait pas eu le centre d'essai, cela lui aurait coûté une fortune. Aujourd'hui, elle a développé des véhicules, et on travaille avec elle pour développer des véhicules. Il y a donc ces infrastructures qui sont disponibles pour les manufacturiers, et le test est très important. C'est l'une des clés de l'innovation. Pas de test, pas d'innovation. Il y a juste des idées. Si vous n'avez pas la capacité de tester, vous ne vendrez pas. Par exemple, certains se targuent d'avoir un système qui freine seul. On le sait très bien, on ne va pas citer de noms. Tout le monde dit l'avoir, mais ce n'est pas le même résultat quand on fait les tests; ce n'est pas du tout les mêmes performances. Pourtant, on le voit sur papier et dans les publicités.

Le président : Le sénateur Duffy a posé une question plus tôt concernant la circulation en peloton. Dans sa réponse, le témoin précédent avait mentionné que le ministre des Transports avait participé à l'exercice; est-ce que vous y avez participé?

M. Bonny : Oui, c'était chez nous. Le Conseil national de recherches (CNR) y participait. C'est de cela que je veux parler. Qu'est-ce qui s'est passé avec le test de circulation en peloton? PMG, les gens du CNR, ceux de l'Université Berkeley ont tous collaboré à ce test. On n'a pas vraiment évalué le truc, mais cette collaboration a été possible. Pourquoi? Parce qu'il y a eu une synergie. On a une connaissance des tests. Les gens du CNR ont des connaissances, ils ont un grand potentiel de recherche.

On peut commencer simple, on n'est pas obligé de faire un ministère tout de suite. Mais prenons au moins la décision que le CNR, les gens de PMG et ceux de Transports Canada travailleront ensemble pour examiner tout ce qui est véhicule et créer des programmes pour s'assurer d'avoir les outils nécessaires pour tester les 25 éléments de connectivité et les aides à la conduite automobile. Lorsqu'on aura ces connaissances, on pourra légiférer, et même aider le monde entier à légiférer.

Le président : Qui est le client dans une opération de circulation en peloton?

M. Bonny : Dans ce cas, c'était le CNR qui menait cette opération.

Le président : C'était le CNR qui demandait à votre compagnie de prendre les camions et de les tester?

M. Bonny : C'est ça.

Le président : Vous avez parlé de Volvo. On parle d'autobus, quand on parle de Volvo, à Blainville? Quelle est la part de vos tests qui est faite sur les véhicules à usagers multiples ou pour le transport en commun par opposition à l'utilisation individuelle?

M. Bonny : C'est une bonne question. Incluant le transport et le privé?

Le président : Autobus?

M. Bonny : Le privé et le transport?

Le président : Oui.

M. Bonny : Tout le monde? Je vous dirais que cela augmente, parce qu'aujourd'hui, il y a les Chinois. On a réussi à attirer les manufacturiers chinois qui viennent au Canada faire leurs tests. Les manufacturiers chinois sont ici. Donc, effectivement, la partie autobus augmente, le transport en commun, les véhicules multipassagers, tout cela augmente sensiblement dans nos revenus et notre part de tests.

Je tiens à préciser quelque chose. Quand on est arrivé en Chine il y a trois ans, on était les derniers. Il y a de grands tests comme IDIADA. On ne peut même pas se comparer, parce que ce sont des Goliath et que nous, nous sommes tout petits. Le gouvernement chinois a décidé de faire un partenariat avec nous plutôt qu'avec tous ces grands laboratoires internationaux, juste pour l'Amérique du Nord. C'est pour cette raison que, si je vous dis que c'est possible, c'est parce qu'avant de vous le dire, on l'a fait. On est allé tout petit et on a pourtant montré que même si on était tout petit, on a une originalité.

Au Canada, on a quelque chose que les autres n'ont pas, que le ministre Garneau vous a mis entre les mains, c'est la technologie multiclimatique. Aujourd'hui, on est réputé pour cela. Aujourd'hui, on fait des tests hivernaux dans notre centre, et c'est très important, surtout quand on parle de nouvelles technologies, parce que les gens veulent vendre mondialement.

Dans le nord de la Chine aussi, il y a des régions froides, et il peut être intéressant d'avoir des endroits pour développer des prototypes où il y a les deux climats. Or, la Californie ne peut pas leur offrir cela, alors que nous le pouvons.

Le sénateur Dagenais : Une dernière question, monsieur Bonny. Vous avez un centre qui fait des tests, des essais, tout cela. Mais au début de votre présentation, vous avez mentionné que ce qui fait la force de l'économie d'un pays, c'est le transport, et le transport dépend des infrastructures.

Ce qui a fait la force des États-Unis, c'est leur facilité à se déplacer avec toutes leurs voies rapides, parce que sur les routes, il y a les camions pour le transport des marchandises.

C'est beau d'investir dans la recherche pour la sécurité des véhicules, mais si vous aviez une recommandation à faire au gouvernement, est-ce qu'il y aurait un investissement à faire dans l'infrastructure? Vous savez comme moi que dans les grands centres, actuellement, les gens ont de la difficulté à se déplacer. Il y a des trains électriques, et aux États-Unis, il y a Amtrak qui va partout.

Je vis à Blainville, comme vous. Dans la région de Montréal, on veut faire installer un train électrique. Certaines personnes sont contre, certains ne veulent pas de train électrique, d'autres trouvent que le train électrique ne va pas assez loin. Il faut refaire les ponts et les tunnels.

Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que, en plus de l'importance de faire des tests pour avoir les voitures les plus sécuritaires possible, la sécurité des véhicules dépend de nos infrastructures? À l'heure actuelle, malheureusement, dans la région de Montréal, les infrastructures sont désuètes. Un pont est bloqué parce qu'un camion trop lourd n'a pas vu la signalisation, et la circulation est paralysée pendant des heures. Cela crée beaucoup d'accidents de véhicules.

J'aimerais connaître votre opinion sur les investissements que le gouvernement devrait faire dans les infrastructures, parce qu'investir dans des infrastructures, c'est investir dans l'économie.

M. Bonny : Cela sort un peu de mon champ d'expertise. Je peux vous donner un avis, mais ça reste un avis.

Je dirais qu'effectivement, en ce qui concerne les infrastructures, les gens raisonnent encore au passé. On est encore en train de penser comme hier. On planifie encore des routes aujourd'hui, on planifie des éléments qui risquent de ne plus exister dans 10 ans.

En ce qui concerne la circulation des véhicules autonomes, il y a une réalité vers laquelle on s'en va, comme dans beaucoup de villes — et c'est déjà commencé —, on va fermer les villes aux conducteurs. Il va y avoir des transports multimodaux. Vous allez avoir une carte, vous pourrez l'utiliser pour aller à vélo, prendre un bus, prendre un taxi, louer une voiture, et tout ça, juste avec une carte. Il y aura ce qu'on appelle le transport multimodal. Le conducteur moyen n'aura plus le droit de circuler dans les villes. Au Québec, on est en train de créer un centre de distribution pour que les camions ne passent plus dans Montréal. Ils vont arriver au centre de distribution où ils vont déposer leur cargaison, et les livraisons se feront ainsi. On est dans un autre monde.

Les gens se demandent comment on va faire pour conduire, et cetera. Qui vous dit qu'il y aura encore des feux de circulation dans 10 ans? Il y aura peut-être une petite boîte qui va servir de feu, de stop, qui va envoyer des signaux aux véhicules. Donc, dans ces cas, on n'aura plus besoin de feux, de panneaux de signalisation, et cetera.

Les gens doivent s'asseoir pour repenser l'entretien de nos systèmes, la façon dont les infrastructures doivent évoluer. C'est nécessaire parce qu'effectivement, il y a beaucoup de choses à repenser. On peut réduire énormément les coûts de maintenance, ce qui permettrait d'accorder un peu plus d'argent à l'entretien des routes et un peu moins aux panneaux.

L'idée, c'est qu'il faudrait que les gens des ministères et les administrations municipales se demandent comment utiliser les technologies aux meilleurs frais de fonctionnement. Aujourd'hui, on prend les technologies pour ce qu'elles donnent comme résultats, pas pour ce qu'elles coûtent à entretenir. Il faut que les gens intègrent cela.

Encore plus que dans la voiture, les infrastructures doivent s'ouvrir. Il y a du génie aujourd'hui; quand je parle du génie, c'est dans le sens de génial. Il y a des capacités qui peuvent vraiment changer notre environnement, nos infrastructures, ce qui permettrait de mettre l'argent où on en a besoin et en mettre moins ailleurs. On n'a pas les moyens de tout maintenir, mais aujourd'hui, on a la capacité de réduire les coûts. Si on élimine les panneaux, cela apporte des réductions de coûts. L'information peut arriver aujourd'hui dans la voiture. Est-ce que j'ai besoin d'un panneau? Non. Pourtant, c'est de l'argent.

Le président : J'aimerais vous remercier, monsieur Bonny, de votre participation aujourd'hui, qui a été très enrichissante pour les membres du comité.

[Traduction]

Chers collègues, nous tiendrons deux séances la semaine prochaine : l'une, mardi matin et l'autre, mercredi soir. Pour notre réunion du mardi matin, nous recevrons les représentants de l'Association canadienne des automobilistes et de l'Association pour la protection des automobilistes.

(La séance est levée.)

Haut de page