Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 16 - Témoignages du 10 mai 2017
OTTAWA, le mercredi 10 mai 2017
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 46, afin d'étudier les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Ce soir, le comité poursuit son étude des questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
J'ai le plaisir de vous présenter notre groupe de témoins. Nous avons, de l'Institut du véhicule innovant, M. François Adam, directeur général, et M. Frederick Prigge, directeur, Recherche et développement. Nous avons également M. Ata Khan, membre du conseil d'administration de l'organisme ONE-ITS, Département de génie civil et environnemental de l'Université Carleton.
Messieurs les témoins, soyez les bienvenus. Je vous invite à commencer vos exposés de cinq minutes. Ensuite, les sénateurs vous poseront des questions. Nous commencerons par M. Khan.
Ata Khan, professeur, membre du conseil d'administration de l'organisme ONE-ITS, Département de génie civil et environnemental de l'Université Carleton, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. Je représente la société de recherche ONE-ITS. ITS est l'acronyme de « intelligent transportation systems », autrement dit, de « systèmes de transport intelligents ». J'ai écrit des articles et présenté des exposés sur les véhicules autonomes et connectés, que j'appellerai VAC. D'un point de vue sociotechnique, la RAND Corporation (États-Unis) m'a demandé en 2013 de procéder à un examen avant publication de son rapport intitulé Autonomous Vehicle Technology : A Guide for Policymakers.
Je suis heureux d'être ici. Mon mémoire est en trois parties que je vous résumerai rapidement, en moins de cinq minutes.
Partie 1 : Il semble qu'au cours des 18 derniers mois, l'industrie des VAC ait opéré un virage. Elle n'en parle pas beaucoup, mais après quelques accidents qui se sont produits à cause de véhicules autonomes expérimentaux et risqués, elle prend un peu de recul. Elle se concentre à présent sur le niveau d'automatisation 4, puis elle passera au niveau 5, après que le niveau 4 sera au point. Au niveau 4, il y a encore un conducteur. Le véhicule est donc équipé d'un système avancé d'aide à la conduite.
Autre changement, on semble s'orienter vers des véhicules autonomes partagés afin d'offrir un service de mobilité.
Aujourd'hui, les constructeurs automobiles en Amérique du Nord, en Europe et ailleurs ont ajouté à leur portefeuille et à leur propriété une entreprise qui cherchera comment proposer un service de mobilité. Ils ne se contentent plus de construire des voitures, ils veulent fournir ce que nous appelons un service de mobilité.
Autre observation sur le changement de direction, ils se sont aperçus que les facteurs humains sont primordiaux. Nous devons comprendre comment les gens réagissent à l'automatisation. Par ailleurs, quand ils conçoivent leurs véhicules, ils souhaitent y intégrer, autant que possible, l'intelligence artificielle et des caractéristiques cognitives. Ils se soucient aussi beaucoup de la fiabilité et veulent arriver à des véhicules le plus fiables possible. Peut-être qu'ils ne le sont pas encore assez. Nous en parlerons un peu plus tard.
En outre, pour donner aux gens plus qu'un moyen de se rendre du point A au point B, ils fournissent une plateforme de services de STI. À l'intérieur de la voiture, on peut avoir toutes les caractéristiques que demandent généralement les conducteurs, comme le guidage routier, la réservation d'une place de stationnement, et cetera.
Nous parlons d'évolution du paysage des transports. Ce sera bien plus que des transports.
La partie 2 de mon exposé porte sur la R-D et les démonstrations nécessaires pour atteindre des objectifs sociétaux, y compris des produits commercialisables. N'oublions pas que tous les pays avancés qui ont les capacités nécessaires pour mettre au point des véhicules cherchent à se tailler une part de marché. Alors, pourquoi pas le Canada? Nous devrions certainement avoir notre part. Les figures 1 et 2 de mon mémoire, et le tableau 1, décrivent les défis de la R-D et des démonstrations.
Partie 3 : Les défis en matière de politiques publiques et le rôle du gouvernement. Nous ne parlons pas d'un marché uniforme, mais de deux types de marchés différents. Un marché sera très compétitif : Volkswagen contre Mercedes contre Ford, et ainsi de suite. La concurrence sera rude sur ce marché qui sera un marché de masse pour les véhicules et les principales pièces.
Ensuite, nous avons un marché à faible concurrence où les gouvernements doivent aménager des infrastructures intelligentes pour que ces véhicules puissent circuler et fonctionner. Le rôle du gouvernement sur ce marché est couvert au tableau 3.
Quelles seront les répercussions? Si nous voulons un déploiement, nous allons changer le décor pour ce qui est du fonctionnement des villes, du mode de vie de la population, et ainsi de suite. Ce sont les répercussions que j'expose au tableau 4.
Je ferai, en résumé, plusieurs observations que je vais vous lire une par une. Il y en a 11 en tout, et je serai rapide.
Un, les VAC ont plus à offrir qu'un simple moyen de transport.
Deux, nous avons besoin de politiques multidimensionnelles. Nous ne sommes plus dans une optique linéaire où s'il y a un problème, il existe une solution. Ce n'est pas le cas. Il faut regarder autour de soi. Si nous réglons ce problème-ci, est-ce que cela en entraînera un autre ailleurs? Il nous faut des politiques multidimensionnelles.
Trois, les politiques devraient logiquement dépendre du degré d'automatisation et du contexte du marché. Un véhicule qui se conduit tout seul est certainement très différent d'un véhicule qui a un conducteur.
Quatre, pour accroître l'automatisation, il faudra un cadre stratégique systématique et global, ce qui veut dire qu'il faut préciser la concertation de différentes politiques. Il est important que ce cadre s'appuie sur une méthodologie parce que nous devons essayer les politiques et, pour finir, les mettre en œuvre. Le département des Transports des États-Unis a défini à ce stade des politiques en 15 points applicables aux véhicules automatisés, et il espère en ajouter d'autres par la suite.
Cinq, le secteur public, autrement dit les gouvernements, devrait se préparer au déploiement. On ne peut pas déployer les VAC dans l'environnement routier actuel.
Six, la réglementation actuelle suffit-elle pour le niveau d'automatisation 4? Au niveau 4, le conducteur intervient encore. La réglementation actuelle suffit-elle pour le niveau d'automatisation 4? La réponse est que nous ne le savons pas.
Sept, il est très probable que nous aurons besoin d'une capacité juridique supplémentaire pour le niveau 5, celui de l'automatisation complète. Il faudra en tout cas consulter. Les intervenants devront se parler et ainsi de suite.
Huit, il se peut que les conducteurs ne soient pas à l'aise avec des véhicules entièrement automatisés. Il ressort d'une étude réalisée par Deloitte aux États-Unis que les trois quarts des conducteurs ont peur de rouler à bord d'un véhicule entièrement autonome. Ils ne monteront pas à bord. En revanche, l'American Automobile Association constate dans une étude que les conducteurs dont le véhicule actuel est un peu automatisé sont plus à l'aise. Nous devons donc procéder à beaucoup d'essais et de démonstrations.
Neuf, la plupart des conséquences du déploiement des niveaux d'automatisation 4 et 5 sont positives, et s'il existe des conséquences potentiellement négatives, il est possible de les éviter avec des instruments politiques. J'aimerais dire qu'il y a beaucoup de spéculation. Certaines personnes n'hésitent pas à déclarer des choses qui n'ont rien à voir avec le sujet. Nous devons donc être prudents dans la lecture de la documentation à mesure qu'elle paraît.
Dix, la priorité de l'aide publique à la R-D devrait être déterminée par la rentabilité. L'efficacité devrait être liée à des objectifs stratégiques, y compris la mise au point de produits qui ont une valeur commerciale. La rentabilité, c'est en fait utiliser les ressources de manière optimale.
Enfin, onze, nous devrions avoir des recherches objectives de qualité. Soyez conscients de la poussée technologique. Si nous allons dans le sens de la poussée technologique, nous aurons des véhicules sans volant. Sans pédales. S'il arrive quelque chose, il faudra faire venir une grue pour les emporter quelque part. Les décideurs doivent donc faire bien attention. J'entends par là que nous devons être conscients de la poussée technologique.
Il nous faut des recherches objectives et il faut élaborer des politiques avant que nous commencions à mettre en œuvre la technologie.
Je vous remercie.
Le vice-président : Merci, monsieur Khan.
Monsieur Adam?
[Français]
François Adam, directeur général, Institut du véhicule innovant : Honorables sénatrices et sénateurs, je vais d'abord vous mettre en contexte afin de vous aider à cerner le type de questions auxquelles on peut répondre.
L'Institut du véhicule innovant est un centre collégial de transfert de technologies. Au Canada, il existe un réseau qui s'appelle Tech-Accès Canada pour les centres d'accès à la technologie, qui est composé d'une trentaine de centres. On fait partie de ce réseau dont le mandat principal est d'aider les entreprises, surtout les PME, à accélérer leur innovation. On travaille avec les entreprises. On les aide à développer de nouveaux produits et à arriver plus rapidement sur le marché avec de nouvelles technologies.
Notre spécialité technologique est le transport avancé. Depuis 1996, on travaille au niveau de l'électrification des transports, et depuis maintenant deux ans, grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), on développe notre capacité à innover dans le domaine du véhicule autonome hors route, soit des applications en matière d'agriculture, de manutention industrielle et de transport de personnes sur des terrains privés.
Pour ce qui est des véhicules autonomes, il est important de comprendre que les véhicules aujourd'hui accumulent déjà certaines données. Les manufacturiers qui s'intéressent aux véhicules autonomes accumulent énormément de données, parce que celles-ci serviront à créer des réseaux neuronaux qui seront mis en place dans les véhicules qui deviendront autonomes. Ces données sont essentielles pour réussir à créer des algorithmes qui conduiront les véhicules de demain. Ces données peuvent être très intéressantes dans le cas des accidents ou pour apprendre à comprendre ce qui se passe avec les flux de véhicule. Il pourrait être intéressant pour les autorités d'avoir accès à ces données, et une loi qui permettait d'avoir accès à certaines catégories de données pourrait être à envisager.
Nous sommes des spécialistes sur le plan technologique. Nous utilisons différentes technologies, notamment la fusion de capteurs. Nos propos seront plus intéressants pour vous sur les questions de technologie. Il est important de savoir qu'au fur et à mesure que les véhicules deviendront autonomes, le pourcentage de véhicules autonomes sur les routes atteindra un jour 100 p. 100, et ce sera un moment charnière en matière de réglementation de la sécurité routière.
Présentement, les véhicules qui roulent sur nos routes sont construits pour réduire les risques de blessures en cas d'impact, ce qui coûte très cher. Les véhicules sont lourds. Ils ont beaucoup d'équipement de sécurité, comme des coussins gonflables. Ces dispositifs ne seront plus nécessaires lorsque tous les véhicules seront autonomes. Le fait de réduire le besoin de réglementation pour la sécurité automobile aura un impact important sur le coût des véhicules. Cela rendra la mobilité plus accessible financièrement, mais aussi au point de vue de l'énergie. En ce moment, nous croyons que ces véhicules sont lourds par rapport à ce qu'ils font, soit transporter des personnes. Il y aura un bien moins grand besoin d'énergie pour déplacer les véhicules qui auront une construction plus légère.
Cela conclut les principaux points que je voulais soulever à ce moment-ci.
Frederick Prigge, directeur, Recherche et Développement, Institut du véhicule innovant : Monsieur Khan a parlé des niveaux d'automatisation, soit les niveaux 4 et 5. J'imagine que certaines personnes vous en ont déjà parlé lors des rencontres précédentes. Je vais quand même les résumer pour bien comprendre.
Le niveau 1 se trouve actuellement dans nos voitures, et ce sont les avertissements. La voiture émet un signal lorsqu'on dévie de la voie ou qu'on se trouve près d'un obstacle. Au niveau 2, on ne tient plus le volant, mais on regarde encore la route. C'est ce que Tesla appelle « auto pilot ». Il ne s'agit pas du tout d'un pilote automatique, mais Tesla le désigne ainsi. Les Mercedes de classe S ont ce genre de capacité. Au niveau 3, on ne regarde plus la route. On peut être en train de texter ou de lire un livre. Toutefois, à l'intérieur de 10 ou 15 secondes, le conducteur doit être en mesure de reprendre le contrôle de la voiture. Au niveau 4, on peut être en train de dormir. Le véhicule est capable de se ranger et de se stationner s'il voit une situation qu'il ne comprend plus. Au niveau 5, il n'y a plus de volant, ni de pédale, ni de conducteur à bord.
Je réfléchissais à quelques points en me rendant à cette réunion. Notre pays est très vaste. La moitié de la population se trouve en région rurale. On pense beaucoup aux villes, mais les véhicules autonomes serviront dans ces endroits en premier lieu. Les défis de navigation autonome sont moins grands en campagne. On voit moins de choses qui bougent, les routes sont plus claires, souvent la qualité des lignes et du pavé est meilleure. Beaucoup de facteurs créent des avantages. Cela peut permettre à des municipalités plus petites d'offrir du transport public avec, par exemple, des minifourgonnettes autonomes.
Cela peut permettre aussi de réduire le coût du transport des marchandises dans les villes éloignées. Le coût du transport des marchandises est énorme au Canada. Des camions pouvant rouler sur l'autoroute pendant plusieurs heures pendant que le chauffeur dort aideront à réduire les coûts. Je rappelle que nous vivons en ce moment, au Canada, une pénurie de camionneurs . Le problème se situe principalement dans le secteur forestier. Il y a du bois qui ne sort pas de nos forêts, parce qu'on ne trouve pas de camionneurs pour conduire les camions. Pourtant, il s'agit de routes privées, où il y a peu de circulation, qui pourraient potentiellement être automatisées. Je ne veux pas que l'on pense uniquement aux véhicules automobiles qui transportent des passagers, mais à l'ensemble des véhicules, que ce soit des tracteurs de ferme ou autres.
Le dernier point auquel j'aimerais toucher est le suivant. Le Canada n'est pas une île. Il fait partie d'un continent. Qu'on le veuille ou non, les véhicules autonomes et connectés s'en viennent ou sont déjà là, dans une certaine mesure. Il faut donc s'arranger pour avoir un cadre législatif intelligent qui nous permettra de les accueillir en sécurité. Il est trop tard pour dire, à ce point-ci, qu'on ne veut pas de véhicule connecté. Toutes les voitures achetées depuis les trois dernières années ont, à leur bord, un modem cellulaire et un service connecté. On ne peut plus revenir en arrière sur cet aspect. Il suffit maintenant de l'encadrer à notre goût.
Il y a deux aspects auxquels nous devons réfléchir. Un véhicule n'a pas besoin d'être connecté pour être autonome. On parle beaucoup d'infrastructure. Toutefois, si on veut un véhicule qui circule comme on le fait en ce moment, sans connaissance de ce qui se passe quatre kilomètres plus loin, il doit pouvoir agir exclusivement selon sa perception environnementale immédiate. Il ne faut pas se leurrer. Avec la taille de notre pays, on ne pourra pas avoir des télécommunications sur toutes les routes canadiennes. Il faudra que nos véhicules fonctionnent très bien partout, même quand ils n'ont accès à aucun réseau. Le véhicule doit donc être pleinement autonome.
Il faut aussi réfléchir à l'impact sur la population vieillissante au Canada. Avoir accès à des véhicules qu'on n'a pas besoin de conduire lorsqu'il fait noir, ou dans de mauvaises conditions météorologiques, ou pour se rendre à l'hôpital et dans d'autres situations du genre présente un avantage. Ces véhicules aideront à améliorer la qualité de vie des personnes qui ne sont plus aptes à conduire, du moins dans certaines circonstances.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, messieurs, de vos exposés. Nous allons passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Khan, vous avez parlé brièvement de soutien financier à la recherche de la part du gouvernement. On sait que, dans le budget de 2017 on parle d'une somme d'environ 950 millions de dollars d'ici cinq ans, ce qui fait 200 millions par année pour créer une grappe industrielle dans ce domaine. Comparons le Canada à d'autres pays, soit les États-Unis, l'Allemagne ou la Hollande, qui nous devancent en termes de développement de cette technologie. Avec l'argent que nous investirons au cours des cinq prochaines années, le Canada fait-il figure de parent pauvre, ou l'effort devrait-il être plus grand pour rattraper ou, du moins, maintenir notre niveau actuel de connaissances et de développement?
[Traduction]
M. Khan : Le Canada a de la chance d'avoir son voisin, indépendamment de ce qui se passe en ce moment. Nous avons ici même, à Ottawa, un espace réservé aux essais de véhicules autonomes, et le service de développement économique de la Ville d'Ottawa veille à ce qu'il soit aménagé à cet effet.
Qui essaiera quels véhicules? Nous avons QNX, qui appartient à BlackBerry. L'entreprise est le numéro un mondial des logiciels non piratables. Or, il s'agit de l'ingrédient numéro un. Nous ne voulons pas de voitures qu'on puisse pirater.
Ensuite, Apple a loué l'espace, tout comme Ford. Ils viennent tous à Ottawa, au Canada, pour faire de la R-D et des essais de haut niveau.
Qu'en est-il du gouvernement? Il a des limites et peut-être qu'il ne devrait pas donner trop d'argent aux entreprises parce que le potentiel commercial est assez grand pour qu'elles se débrouillent toutes seules. Un peu d'aide, oui. C'est ce que font les États-Unis et le Royaume-Uni aussi. Ils le font tous.
Où nous situons-nous en comparaison? Je pense que les États-Unis nous dépassent. Ils ont plus de moyens, plus de ressources, et ainsi de suite. Le Canada s'en sort bien. Nous sommes très généreux en ce qui concerne cette nouvelle technologie, à ce que je crois comprendre.
Le Royaume-Uni a adopté une autre approche. Une étude a été réalisée pour la Chambre des lords, une étude similaire à la vôtre. Quelqu'un y demande pourquoi on ne met l'accent que sur les véhicules automatisés pour le transport et pas sur l'automatisation dans d'autres secteurs. Autrement dit, il faut élargir l'horizon. La même technologie pourrait servir à l'automatisation dans l'agriculture, dans l'aviation et ailleurs. Le Royaume-Uni choisit un autre angle, mais il investit aussi de l'argent.
Est-ce que nous faisons ce qu'il faut? La réponse est oui.
Est-ce que nous sommes aussi avancés que d'autres? À certains égards, nous sommes en avance et à d'autres, nous avons du retard.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup. Vos réponses sont vraiment très claires.
Messieurs Prigge et Adam, j'essaie de comprendre le rôle de votre centre et il m'apparaît encore un peu complexe et flou. Vous dites qu'à l'heure actuelle, il se fait beaucoup de cueillette de données. Quelle est la méthodologie pour recueillir ces données?
M. Adam : Les véhicules eux-mêmes sont équipés de caméras, de capteurs qui enregistrent toutes ces données et qui les téléchargent dans d'immenses serveurs. Ces données sont utilisées, par la suite, pour entraîner des réseaux neuronaux qui vont apprendre à conduire comme des humains. Ce qu'il faut comprendre de ce type de technologie, c'est qu'on utilise l'expérience humaine pour entraîner un algorithme qui pourra conduire comme un être humain. Ce type de technologie d'apprentissage profond pourra faire des inférences aussi. Il y aura des millions, sinon des milliards de cas qui lui auront été soumis, donc il sera en mesure de faire des inférences et d'en arriver à des circonstances qui n'auront jamais été soumises à l'algorithme pour le composer, et il sera ensuite en mesure de prendre une décision en lien avec l'expérience vécue.
Le sénateur Boisvenu : Si je comprends bien, ils effectuent de la collecte des données sur le comportement humain pour éventuellement en arriver à des applications robotiques ou intelligentes.
M. Adam : Tous les stimuli que la voiture reçoit et ce que l'humain lui fournit comme commandes pour répondre à la situation sont pris en compte. Ce que le programme cherche à faire, c'est de reproduire ce genre de réponse.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que je fournis, moi, comme consommateur, ces données?
M. Adam : Un des gros manufacturiers qui le fait présentement, c'est Tesla. Ils recueillent énormément de données parmi leurs utilisateurs parce que leurs voitures sont déjà équipées de nombreux capteurs pour recueillir ce genre d'information. Les nouvelles générations de voiture sont équipées de la plupart des capteurs qui peuvent permettre cette cueillette, comme les dernières Chevrolet Volt, par exemple.
Le sénateur Boisvenu : Le conducteur est-il au courant du fait qu'il participe à cette étude? Y a-t-il une quelconque façon de céder nos droits? Est-ce que cela se fait à l'insu du conducteur ou de façon volontaire?
M. Prigge : Notre domaine d'expertise est le véhicule lourd et le véhicule hors route. On touche peu au secteur de l'automobile. Dans le cas de Tesla, je sais que c'est très clairement stipulé dans le contrat de vente. Est-ce que quelqu'un a lu le contrat de vente de 28 pages? C'est une autre question. Pour les autres manufacturiers, je ne sais pas de quelle façon ils procèdent.
Le sénateur Boisvenu : Je vais vérifier cela demain.
[Traduction]
Le sénateur Galvez : Merci beaucoup. C'est très intéressant. C'est comme vivre dans le futur.
Comme nous parlons du futur et que nous devons nous y préparer, j'aimerais savoir combien de temps il se passera entre le niveau l et le niveau 5.
Examinons le problème avec les données. Personnellement, je suis très heureux de donner les miennes si j'y gagne et qu'elles permettent d'améliorer mon niveau 0 parce que je conduis encore. Mais si elles servent à d'autres personnes, je crois que j'aimerais avoir un rabais parce que c'est moi qui produis les données.
Le plus important, toutefois, c'est la responsabilité. Je crains, entre autres, le scénario où j'aurais un accident et que les données se retournent contre moi, c'est-à-dire que quelqu'un vienne me dire que je suis coupable parce que je conduisais mal.
M. Adam : C'est une bonne question.
Tout d'abord, nous sommes déjà au niveau 2 aujourd'hui. On trouve des voitures avec des caractéristiques de niveau 2. Autrement dit, le conducteur est beaucoup aidé, par exemple, pour rester dans sa voie et il y a un freinage automatique. La capacité de supercroisière, c'est un niveau d'automatisation 2.
On n'est pas encore au niveau 3 parce qu'on n'a pas l'expérience pour ce qui est de laisser la voiture se conduire toute seule et vous réveiller quand le moment est venu de reprendre le volant. On peut dire qu'en ce moment, nous sommes au niveau 2.
Quand les autres niveaux seront-ils prêts et est-ce que le client sera vite attiré? Je ne sais vraiment pas. Mais, honnêtement, certaines personnes ont peur de la technologie et il y a des choses que nous devons savoir. Certains s'imaginent que, dans la voiture de l'avenir, on pourra regarder des émissions de télé, allongé sur un sofa. Il faut penser au mal des transports. Certaines personnes sont incapables de lire en voiture parce qu'elles auront la nausée. Ce sera pire dans une voiture où on ne regarde pas vers l'avant et où on essaie de regarder autre chose.
On ne sait pas grand-chose sur les effets sur les humains de longs trajets à bord de ce type de véhicule. On n'étudie pas tellement la question en ce moment. Nous avons peu de résultats à ce sujet. On a beaucoup à apprendre à cet égard.
[Français]
La sénatrice Galvez : La deuxième partie de ma question concerne l'infrastructure nécessaire pour l'application de ces véhicules automatisés. J'imagine que cela passe par l'électrification et non par l'huile ou l'essence; est-ce bien cela?
M. Prigge : On peut très bien faire un véhicule autonome à essence, ce n'est pas un problème. C'est déjà le cas avec beaucoup de produits chez Mercedes ou d'autres fabricants. C'est l'inverse qui est intéressant, parce que le véhicule autonome permet à plus de véhicules d'être électriques. Les considérations d'autonomie, de recharge, de planification de parcours sont plus faciles sur un véhicule autonome, car le véhicule s'en occupe. On peut rouler un peu moins vite, ça ne dérange pas et on a du temps pour faire autre chose. On croit que le véhicule autonome peut permettre une plus grande pénétration du véhicule électrique. Mais un véhicule, peu importe son mode de propulsion, peut être autonome. En ce moment, nos militaires possèdent des camions qui se conduisent seuls. Dans des zones trop dangereuses pour qu'il y ait un pilote à bord, le camion se conduit seul et fait ce qu'il a à faire. Pourtant, ce sont de gros camions diesel qui datent des années 1960.
Vous nous demandiez tantôt à quel moment les véhicules autonomes arriveront sur le marché. Je n'ai pas de boule de cristal et je ne me lance jamais dans des prévisions, parce que je perds toujours. Par contre, aujourd'hui, si vous achetez un tracteur de ferme très moderne, vous êtes au niveau quatre. Vous programmez le parcours de votre champ et le tracteur va le labourer et vous revenir ensuite. Vous n'êtes jamais installé dans le tracteur, et cela se fait par GPS, par radio différentielle et toutes sortes de technologies. Pour les véhicules hors route, on a beaucoup d'avance. Comme il y a beaucoup moins d'humains autour, il y a moins de contraintes légales. En ce qui concerne les véhicules hors route, il y sont déjà.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Merci de vos exposés. Les aspects sociaux de tout cela m'intéressent beaucoup.
Monsieur Khan, j'ai apprécié que vous disiez qu'il faut faire attention à la poussée technologique et veiller à avoir les essais et les études, et que nous ne savons pas encore comment ce sera de se trouver à bord d'un de ces véhicules. Selon vous, quels services ces véhicules pourront-ils fournir, outre nous emmener du point A au point B? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Pouvez-vous nous dire à quelles dimensions sociales et à quelles préoccupations humaines, par exemple, nous devrions nous intéresser?
M. Khan : J'aimerais d'abord revenir un peu en arrière. L'histoire de l'automatisation des véhicules a commencé, je crois, avec Google qui a démontré que des véhicules peuvent se conduire tout seuls, du moment que vous les programmez pour cela, c'est-à-dire que vous leur fassiez suivre un cours. Après quoi, vous n'avez plus besoin de toucher à rien.
Lui a emboîté le pas une autre entreprise qui produit maintenant des véhicules et qui espère en avoir de presque ou d'entièrement autonomes d'ici un an au prix de 35 000 $. Mais le gouvernement américain ne les a pas approuvés. Ils n'ont pas encore été soumis au processus d'homologation détaillé. On peut les acheter en ayant l'impression que le conducteur sera toujours assis à la place du conducteur, les mains sur le volant.
Ce qui est arrivé, c'est que le président de l'entreprise a annoncé la vente du premier véhicule en déclarant que, si on enclenche le pilote automatique, on peut regarder ce qu'on veut, c'est-à-dire, par exemple, lire le journal. Il y a eu des accidents et des morts. Nous sommes donc revenus, comme l'ont dit mes collègues, à un niveau inférieur à l'automatisation complète.
Nous commençons à progresser et nous demandons qu'on nous autorise à développer la technologie, à faire les essais voulus, à en obtenir l'approbation en bonne et due forme, et à l'offrir aux consommateurs. C'est une dimension.
L'autre est celle que vous mentionniez, à savoir l'aspect social. Je suis d'avis que nous allons vivre une merveilleuse révolution dans la mobilité à bien des égards. Au tableau 1 de mon mémoire, je souligne quelques points.
Il expose les capacités du niveau d'automatisation 4 des véhicules. Le conducteur est toujours là. La première chose que nous remarquons, c'est un accroissement des capacités du conducteur humain. Il est impossible à un conducteur humain de faire ce que peuvent faire un ordinateur et des communications.
L'autre dimension est celle de la sécurité active. Tous les conducteurs ne sont pas alertes tout le temps. On peut être distrait, s'endormir ou que sais-je encore. Il y aura donc la sécurité active qui fera le travail.
D'autres choses sont très importantes à des fins commerciales. Que se passe-t-il si on veut un guidage routier, si un certain pont a un problème ou qu'il y a un accident quelque part? Nous aimerions savoir comment trouver notre chemin dans le réseau routier. Le guidage routier est donc très important. Beaucoup de gens paient pour cela.
Le péage peut être acquitté de l'intérieur du véhicule. On peut réserver une place de stationnement dans un endroit très fréquenté, comme le centre-ville de Montréal ou de Toronto. Tellement de possibilités se présentent maintenant.
Pour ce qui est d'enrichir la vie des conducteurs, il s'agit d'une dimension qui était inimaginable, mais qui deviendra une réalité.
Il existe d'autres capacités. Un véhicule a un problème. Il peut envoyer un signal et quand le conducteur arrivera à destination, quelqu'un sera là pour changer une batterie ou quelque chose d'autre. On parle d'une capacité de diagnostic.
Et s'il arrive un accident et que quelqu'un a un problème cardiaque et a besoin de soins très rapidement? Le système activera une série d'actions qui permettront de porter secours cette personne au bon endroit.
Autrement dit, d'un point de vue social, nous allons avoir une multitude de services et, je l'espère, à un coût peu élevé.
Ai-je répondu à votre question?
La sénatrice Bovey : Vous y avez répondu. Je vous remercie.
M. Prigge : Juste pour que vous le sachiez, la première traversée de l'Amérique à bord d'un véhicule entièrement autonome remonte à 1986, et ce voyage s'est fait à une vitesse moyenne d'un peu moins de 100 km à l'heure. Ce n'est pas nouveau. Le véhicule était un peu sommaire, mais il roulait et il n'a pas eu d'accident.
En ce qui concerne les avantages sociaux, il y a les coûts de santé moindres. La plupart des accidents sont causés par des êtres humains. Évidemment, il y a eu des accidents mortels avec des véhicules autonomes, c'est vrai, et il y en aura d'autres, mais j'espère que nous arriverons à faire en sorte qu'il y en ait beaucoup moins qu'avec les conducteurs humains. Étant donné que le Canada a un système de santé publique, il est dans notre intérêt de veiller sur la sécurité de la population.
Comme je l'ai dit plus tôt, je crois que la population vieillissante gagnera beaucoup à cette mobilité accrue. C'est certainement un avantage social que nous pouvons retirer de ces véhicules.
En ce qui concerne la productivité minière et agricole, l'économie canadienne repose encore pas mal sur le secteur primaire. Nous extrayons des matières du sol et nous coupons des arbres. C'est une grande part de notre économie. Des véhicules autonomes dédiés à ces tâches nous aideront beaucoup à être compétitifs sur le marché international.
Comme on l'a dit, il y a eu un énorme embouteillage sur l'autoroute 13 à Montréal pendant une tempête de neige, il y a six ou huit semaines. Aucune autorité responsable ne savait que 2 000 personnes étaient coincées sur l'autoroute à 3 heures du matin. Cela ne devrait pas arriver avec des véhicules connectés qui enverraient une demande d'intervention d'urgence. Ce serait une bonne chose pour tout le monde sur le plan social.
M. Adam : Permettez-moi d'ajouter que les transports en commun gagneraient à ces véhicules parce qu'on pourrait s'en servir pour conduire des personnes à l'écart du réseau de transport au commun principal jusqu'à celui-ci. Plus de gens s'intéresseront aux transports en commun s'il leur suffit d'appeler un petit widget qui viendra les chercher chez eux pour les déposer à la station de métro ou sur la ligne de bus principale.
En utilisant ces types de véhicules dans les centres urbains denses, on n'aura plus à se soucier du stationnement si on s'en sert comme d'un « service de mobilité ». On grimpe à bord et on descend. Pas la peine de se stationner. Voilà qui est intéressant.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Khan, dans la première partie de votre exposé, vous avez expliqué que l'accent est mis sur des services de véhicules automatisés partagés. Vous avez ensuite parlé de « service de mobilité ».
Cela semble très différent de ce que nous avons à l'heure actuelle. Si nous voulons une voiture, nous en achetons une chez un concessionnaire et la ramenons chez nous. Ce concept paraît différent. Pouvez-vous nous en dire plus?
M. Khan : Les constructeurs automobiles, les équipementiers, comprennent que s'ils n'élargissent pas leur offre, ils risquent de perdre des parts de marché en nombre de véhicules produits. Ils ont donc décidé qu'en plus de vendre un véhicule à une personne ou une organisation, ils veulent avoir des entreprises qui leur sont rattachées et qui fourniront des services qui pourraient être du « premier mille », autrement dit, si vous voulez vous rendre à une gare GO pour prendre le train, on vous y conduira ou on vous en ramènera, on vous conduira chez le médecin ou ailleurs si vous voulez. Ces entreprises combleront le vide entre la voiture privée et les transports publics. Elles fourniront ce qu'elles appellent un « service de mobilité ».
Cela ne s'arrête pas là, en fait. En Europe, ils sont très avancés. Ils sont capables de créer un forfait complet dans lequel ils proposent au client, moyennant paiement, de prendre son vélo, de le laisser à un endroit et de monter dans un de ces véhicules qui le conduira à un endroit donné d'où il pourra aller ailleurs. Ils offrent un forfait multimodal complet, et tout cela est fait par des entreprises du secteur automobile, et ainsi de suite.
Le sénateur Eggleton : Vous pensez qu'elles vendront un service qui sera fonction de l'endroit où vous vivez, de vos besoins et de votre accès aux transports en commun. Ce sera une combinaison de choses et elles vous vendront un service par opposition à un véhicule. Mais est-ce que les gens achèteront encore des véhicules? Est-ce que ce sera encore un mélange ou pensez-vous que ce service deviendra prédominant?
M. Khan : Il existe différentes projections. Une chose est certaine : posséder une voiture ne sera pas une caractéristique essentielle. Les gens ne dépendront plus de la voiture comme aujourd'hui. Ils pourront vivre en ville ou en banlieue et appeler un de ces véhicules autonomes qui les emmènera où ils voudront.
Est-ce que ce véhicule pourra répondre aux besoins de 10 ou 100 autres personnes? Ce n'est pas certain parce que, les gens étant ce qu'ils sont, ils veulent de l'efficacité, ce qui veut dire un service en quelques secondes. La voiture est dans le garage. Ils n'ont qu'à grimper dedans, démarrer et filer. Dans quelle mesure pouvons-nous nous rapprocher de cela? Autrement dit, quelle tolérance y aura-t-il à l'idée d'attendre que le véhicule arrive? On ne peut pas avoir un nombre infini de véhicules dans une ville pour répondre aux besoins de tout le monde. Nous devons donc faire des simulations.
À mon avis, on utilisera les voitures autrement. On pourrait les rattacher aux transports en commun, les partager comme cela se fait maintenant. On pourrait les héler comme des taxis. Il y a toutes sortes de possibilités.
Le sénateur Eggleton : Qu'en est-il des personnes qui vivent dans des zones rurales?
M. Khan : J'ai vu des projections ou, plutôt, des spéculations selon lesquelles, grâce aux véhicules autonomes ou automatisés, les gens quitteront la ville pour vivre à la campagne parce que ces véhicules pourront les conduire là où ils doivent aller.
Il s'agit, pour moi, de fiction. Cela ne peut pas se produire pour plusieurs raisons. Ces véhicules coûtent cher et, si on les appelle, ce ne sera peut-être pas aussi cher qu'un taxi, mais ce sera certainement très coûteux. Les gens ne partiront donc pas vivre à la ferme. Il n'y a pas de raison de s'inquiéter. Nous vivrons toujours en ville et les municipalités continueront d'avoir une croissance intelligente, de plus fortes densités, et ainsi de suite.
Les personnes qui vivent en zone rurale peuvent partager, dans un certain périmètre, quelques véhicules autonomes. Par exemple, la Ville de Calgary étudie un projet dans lequel une proche banlieue de Calgary aura quelque chose de ce genre, c'est-à-dire un partage de véhicules. Les habitants n'auront donc pas besoin de transport en commun fixe. Ils auront une autre solution.
Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de demander quelque chose à l'Institut du véhicule innovant. D'après les notes de nos chercheurs, vous avez un projet appelé programme ARION. Vous avez parlé de véhicules hors route, comme les tracteurs. Parlez-moi du programme ARION.
M. Adam : Le programme ARION est celui que j'ai mentionné pour lequel nous avons obtenu une subvention du CRSNG. Plusieurs industriels y participent, car certains souhaitent mettre au point des véhicules pour l'agriculture ou la manutention industrielle et d'autres pour le transport de personnes, en fait, dans des cadres privés.
L'automne dernier, nous avons fait la démonstration de notre premier prototype de tracteur. En fait, ce que nous faisons dans ce programme, c'est créer des algorithmes pour la navigation automatisée des véhicules que nous pouvons utiliser dans différents types d'application hors route. Nous avons fait l'automne dernier avec notre partenaire une démonstration avec un tracteur qui allait tout seul dans un champ.
Le sénateur Eggleton : Ces véhicules ne vont pas sur la voie publique? Ils circulent uniquement dans des propriétés privées?
M. Prigge : En effet.
Quand nous pensons à un véhicule, nous pensons à une voiture. Or, les voitures ne représentent que la moitié des véhicules en circulation. Que fabriquons-nous en fait au Canada? Des autobus, des camions, des chariots élévateurs, des tracteurs et tout un tas de choses. Cela représente beaucoup, mais nous n'y pensons pas.
Les problèmes de navigation dans une usine ne sont pas les mêmes que sur la route. On n'utilise pas les mêmes capteurs et pas les mêmes algorithmes. Ce que nous cherchons à faire, et les résultats sont prometteurs, c'est avoir un système de navigation très général qui peut être adapté à des environnements très différents, car les constructeurs automobiles se concentrent sur une tâche : la conduite sur route. Essayez d'introduire un véhicule automatisé dans une fonderie d'aluminium et ça ne marchera pas. Il ne pourra pas circuler. C'est cela ce que nous faisons, au fond : des choses pour des véhicules autonomes hors route.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Sur le plan technologique, je suis persuadée que ce conducteur technologique intelligent, qui serait entouré d'un habitacle avec des sièges ou du cargo, dans le cas du transport commercial, fonctionnera. Je ne suis pas préoccupée par ce volet.
Là où je vous vois moins progresser dans la planification — et je fais un suivi à la question de la sénatrice Galvez —, c'est sur l'enjeu de l'adaptation des infrastructures. Je comprends qu'il y aura cohabitation sur les routes de véhicules intelligents qui serviront au transport individuel de gens qui auront les moyens de se le payer, au transport en groupe ou au transport en commun, et au transport commercial. Que faudra-t-il ajouter comme amélioration technologique, comme la signalisation? Où en êtes-vous dans la préparation de nos routes à cette cohabitation de multivéhicules plus intelligents que la majorité des conducteurs actuels? C'est ce que je ne vois pas.
M. Adam : En ce qui concerne nos activités, comme nous travaillons uniquement dans le domaine hors route, nous n'avons pas abordé cet aspect dans notre réflexion à l'interne à l'IVI.
La sénatrice Saint-Germain : C'est une réponse facile. Revenez sur terre et sur la route.
M. Adam : À l'heure actuelle, les manufacturiers essaient de développer des véhicules qui pourront travailler en l'absence d'infrastructures particulières. L'automobile apprend à reconnaître son environnement, elle reconnaît les voies, les autres véhicules, les piétons et les cyclistes. Elle reconnaît son environnement et sait comment s'y déplacer. La communication à l'infrastructure sera utile probablement à d'autres niveaux que seulement la navigation, entre autres pour savoir ce qui se passe dans la ville, pour planifier autrement le trajet si le véhicule sait qu'il s'est produit un incident en aval. Cela permettra une circulation plus fluide.
La sénatrice Saint-Germain : Concrètement, dans le cas d'un bus qui partirait de Lévis pour se rendre à Montréal via la 20, à l'heure actuelle, la 20, sans autre modification, permettrait-elle à un véhicule, qu'il soit autonome ou non, de se rendre à Montréal? Est-ce que le véhicule lira tout lui-même?
M. Prigge : Une autoroute comme la 20, c'est l'environnement le plus facile.On monte dans une Tesla à Québec. On actionne le « cruise control », qu'on appelle à tort l'« autopilote », puis on se rend à Montréal sans toucher au volant ni aux pédales.L'infrastructure la plus fondamentale pour les véhicules ce sont des lignes claires peintes sur la chaussée. Il ne s'agit pas de technologie de pointe.
La sénatrice Saint-Germain : Le transport ferroviaire — le premier mode de transport avant l'avion — existe encore. Comment voyez-vous l'adaptation de wagons automatisés et la concurrence commerciale entre le transport public sur les routes avec des véhicules complètement autonomes — je suis rendue au niveau 4 et même 5 — et le train?
M. Prigge : Le train ne fait pas partie des véhicules sur lesquels on a travaillé jusqu'à maintenant.Je suis convaincu qu'il y a des gens beaucoup plus compétents que nous dans ce domaine. Ce sont des entreprises très compétitives qui visent à baisser le coût du kilomètre par cargo. Je suis certain qu'elles le font déjà en ce moment, c'est-à-dire l'auto- aiguillage de wagons.
La sénatrice Saint-Germain : Cela ne fait pas partie de votre étude. Merci.
M. Prigge : Non.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Je remercie les témoins. Le sujet est passionnant.
Vous avez mentionné, monsieur Khan, la peur d'adopter dans un premier temps. Je ne crois pas que vous l'ayez formulé comme cela, mais vous avez dit que les gens auraient peur de monter dans un véhicule qu'ils auraient l'impression de ne pas maîtriser. Les gens ont lu au sujet du programme spatial américain, et le vaisseau spatial original ne devait même pas avoir de hublot parce qu'il était entièrement automatisé. John Glenn a insisté pour qu'on installe un hublot pour que les astronautes aient l'impression de piloter, alors que c'était un ordinateur qui était aux commandes.
Que pensez-vous de la peur du public d'adopter la technologie et, ensuite, de l'interaction entre les pelotons? D'autres témoins nous ont parlé de pelotons de camions. Vous avez, en fait, des êtres humains qui sont terrifiés sur la route et, maintenant, nous allons avoir, tout en même temps, des véhicules semi-autonomes, des pelotons de camions et ces conducteurs terrifiés. Comment est-ce que le problème se règle de lui-même?
M. Khan : L'automatisation se fera progressivement. Autrement dit, on aura d'abord des véhicules capables de détecter une voie et, s'ils s'en écartent, le véhicule le signale. En cas de problème, les freins s'enclenchent automatiquement. Les gens s'y habitueront.
Certains se sont plaints : « Je ne vois aucun problème; pourquoi ce coup de frein? J'ai failli finir dans le pare-brise. » C'est un problème de conception. On peut apporter de petits réglages, de sorte que le véhicule sera plus sensible à ce que ressent l'être humain.
Nous allons inévitablement assister à une automatisation graduelle. Il se peut que 1 p. 100 du parc automobile soit automatisé et 99 p. 100 pas. Que se passera-t-il quand nous arriverons à 50 p. 100? Et à 80 p. 100? Personne ne s'est vraiment penché sur la question autant que la Chambre des lords dans son étude. Elle y a consacré beaucoup d'argent. Sa conclusion est que l'automatisation ne peut pas vraiment se révéler utile si on ne change pas l'intelligence de l'infrastructure.
Pour ce qui est des pelotons de camions sur la route, la R-D suédoise montre qu'avec la technologie des communications, on peut relier un certain nombre de camions. Comme ils sont plus proches et qu'il y a moins de résistance aérodynamique, ils économisent du carburant. Il est donc possible, d'un point de vue technologique, de former des pelotons de transport de marchandises.
Qu'arrivera-t-il si le peloton de camions est très long? Qu'arrivera-t-il aux gens qui conduisent? Auront-ils peur de rouler à côté d'eux? Il s'agit d'un facteur humain dont personne ne s'est encore vraiment occupé. Il faut s'y intéresser. Ce sera progressif. Petit à petit, les gens s'y habitueront.
Laissez-moi poser une question importante à mes collègues du secteur technologique. Si nous avons un bon conducteur — alerte, pas agressif —, est-ce que la technologie peut le remplacer, avec le même niveau d'intelligence, étant donné qu'il pourrait y avoir des millions d'options? Combien de décisions prenons-nous couramment? Est-ce que je me rabats ou pas? Est-ce que je regarde ce conducteur dans les yeux pour qu'il me cède le passage? Et la chaussée? Est-elle glissante? Quelle est la distance? La technologie peut-elle remplacer l'intelligence humaine? Est-ce que c'est possible?
M. Adam : C'est possible. En fait, la technologie a ce pouvoir. La puissance de traitement des ordinateurs dont nous équipons ces véhicules, par exemple, de la carte dont on peut les équiper aujourd'hui, équivaut à celle de 150 MacBook. Elle vérifiera tout ce qui est autour de nombreuses fois par seconde. Vous n'avez pas idée. Aucun humain n'est capable de cela. L'ordinateur de bord est beaucoup plus conscient de son environnement que n'importe quel être humain. Il aura les données sur la traction de toutes les roues en temps réel. Nous ne pouvons pas, en tant qu'êtres humains, être aussi efficaces que cette machine.
Mais cela ne veut pas dire que la machine n'aura jamais de pannes. Elle en aura. Tout ordinateur ou matériel informatique peut tomber en panne à cause de problèmes de fabrication. Il y aura des problèmes.
À l'heure actuelle, 93 p. 100 des accidents de la route sont dus à des erreurs humaines. Si nous réduisons ce pourcentage de moitié, on fera déjà beaucoup baisser la mortalité.
Le sénateur Duffy : Voyez-vous un parallèle entre ce que vous proposez pour les routes et ce que nous avons vu quand Airbus a mis au point l'aéronef à commandes de vol électrique, il y a 25 ans? Les pilotes n'avaient plus de manche pour piloter, mais une manette. Il n'y avait plus de câbles hydrauliques à l'intérieur de l'avion qui tiraient sur les gouvernes de direction, car tout était fait par des servocommandes et des moteurs électriques. Personne n'y pense plus à présent quand on monte à bord d'un avion et qu'on se rend compte qu'il peut, au fond, décoller et atterrir en pilote automatique. On n'a pas envie de le dire aux passagers parce qu'on ne veut pas les rendre nerveux. Est-ce que c'est, pour ainsi dire, ce que nous adaptons aux routes?
M. Adam : En quelque sorte.
M. Prigge : Ces percées technologiques sont toujours effrayantes. Toutefois, les gens n'étaient pas au courant de celle-là.
Quant à la peur des pelotons de camions, les gens avaient les mêmes frayeurs quand on a commencé à voir circuler des voitures. Ils se déplaçaient à cheval et ils voyaient passer une voiture. Ils en avaient peur, mais nous nous sommes adaptés et tout s'est bien passé.
Je ne dis pas que ce sera facile et parfait, mais de fait, si la mise en œuvre des systèmes se déroule bien, qu'ils servent à quelque chose et que nous savons pourquoi ils font ce qu'ils font, nous devrions les utiliser comme il faut. Ce ne devrait pas être un problème.
Vous parlez de ce qu'a fait Airbus. Personnellement, aujourd'hui, je pense à Infiniti qui construit deux modèles de voiture sans colonne de direction. La voiture se dirige avec une manette. Il n'y a pas de lien mécanique avec les roues. Les gens n'ont pas peur que la manette se casse et de se retrouver sans direction parce qu'il y a eu quantité d'essais.
Heureusement, nos voisins du Sud sont très procéduriers, ce qui nous aide. Ceux qui construisent ces véhicules ne veulent pas être traînés devant les tribunaux. Ils font généralement leur travail. Sauf pour les émissions.
Le sénateur Runciman : Je vous remercie de votre présence. Je voulais parler avec M. Khan de l'élaboration des politiques, du rôle du gouvernement par la suite et des recommandations que le comité pourrait faire. Je sais que vous en parlez dans votre mémoire. Nous avons entendu des témoignages sur le cadre juridique, la responsabilité et les procès. Vous parlez également de la rentabilité en tant que politique. L'initiative serait assurément intéressante.
Je voulais consacrer un moment avec vous au rôle de la réglementation. Je n'avais pas entendu parler du programme d'évaluation des nouveaux véhicules, mais peut-être en a-t-il été question lors d'un témoignage pour lequel je n'étais pas présent ou que j'ai manqué.
Vous avez parlé de Tesla qui met des voitures en circulation. Les commercialiser comme étant entièrement autonomes sans l'autorisation des pouvoirs publics, cela me dépasse. Mais nous connaissons des cas, certains récents, où les gouvernements ont semblé partir de l'hypothèse qu'ils pouvaient avoir confiance. Nous l'avons vu avec Volkswagen qui a, en gros, un problème environnemental, mais aussi avec General Motors, qui a coûté des vies, où les problèmes ne sont pas portés à l'attention du public et réglés.
Cela m'inquiète. Je ne suis pas pour tout réglementer. Mais dans un premier temps, alors que nous entrons dans ce domaine où les inconnues sont si nombreuses et que nous parlons de systèmes utilisés par des gens qui pourraient nous vouloir du mal, par exemple, sans compter les problèmes de protection des renseignements personnels. Un témoin a réalisé un sondage à ce sujet. Il en ressort que 75 p. 100 des constructeurs n'ont aucune stratégie pour lutter contre le piratage.
J'aimerais avoir vos conseils les plus éclairés sur l'ampleur de l'intervention du gouvernement, au moins aux premiers stades, pour faire en sorte de protéger les consommateurs et le public en général.
M. Khan : Jamais les personnes qui travaillent pour le gouvernement n'auraient imaginé pareil défi. Voilà un constructeur qui classe un véhicule comme étant entièrement autonome, de niveau 5, ce qui veut dire que vous montez dedans et il prendra soin de vous sans aucun problème. Comment le sait-il? A-t-il réalisé des essais dans toutes les conditions possibles, surtout au Canada où on ne voit pas les marquages des voies sur la chaussée pendant trois ou quatre mois? Il y a des pluies torrentielles ou quelqu'un a volé un panneau et il n'y en a plus, ou le soleil éblouit de l'autre côté et les caméras et le lidar ne peuvent pas fonctionner correctement.
La responsabilité est immense et aucune administration ne certifiera que ce véhicule est sûr d'ici bien après 2025, 2035, peut-être 2040.
Revenons en arrière. L'industrie a compris que le jour où un gouvernement approuvera des véhicules entièrement autonomes n'est pas près d'arriver. Elle veut gagner son argent en développant le niveau 4.
Mercedes Benz dit que tout ce qu'on aura à faire, c'est mettre la main sur le volant : « Vous faites le premier geste et nous veillerons sur vous à partir de là. Nous prendrons les virages en toute sécurité, ce qui fait que vous ne quitterez jamais la route. En cas de problème de distraction, nous veillerons sur vous. En cas de problème de traction de la route et si le pneu ne fournit pas de friction, nous veillerons sur vous. Si les voitures sont connectées, elles communiqueront entre elles, ce qui sera une sécurité de plus intégrée. »
Pour ce qui est de la responsabilité des gouvernements en matière de sécurité, elle est sans précédent. On n'a rien connu de pareil avant.
Du point de vue social, on ne peut arrêter la technologie. Elle est toujours là. Elle arrivera. Quelqu'un la construira et quelqu'un l'achètera. Comment se fait-il qu'environ un quart de million de personnes ont versé un acompte sur une Tesla, entièrement autonome, homologuée ou pas? Elles ont signé un papier disant qu'elles feraient attention et qu'elles seraient assises à la place du conducteur. Mais quand elles se rendront compte qu'elles peuvent passer en mode automatisé, elles le feront et oublieront tout le reste.
Le sénateur Runciman : Quel est le processus aujourd'hui? Vous avez mentionné le NCAP. Est-ce qu'il s'agit d'un organisme gouvernemental? Ou pas? Est-ce que c'est un organisme sectoriel?
Il me semble que si ces erreurs, si je puis dire, de grands constructeurs, qui sont dissimulées, ne sont pas repérées à l'étape de l'approbation, nous allons au-devant de problèmes beaucoup plus complexes. On devrait, à mon sens, pouvoir recommander au gouvernement de s'impliquer davantage dans l'approbation de ces véhicules avant qu'ils ne soient mis en circulation.
M. Khan : En effet. Il y a six mois, le département des Transports des États-Unis a dressé, en association avec la National Highway Traffic Safety Administration, une liste d'évaluation de la sécurité en 15 points à l'intention des constructeurs, ce qui veut dire qui si on annonce qu'on a un produit, il doit être soumis à cette liste de contrôle. À quelle étape en est-il? Niveau 2, niveau 3, niveau 4 ou niveau 5? Quelles en sont les caractéristiques? « Montrez-nous vos papiers. Avez-vous fait l'essai de cela? » On est en train de mettre le processus en œuvre.
Ce que je crains, c'est qu'il arrivera que la technologie soit en avance sur la réglementation, qui devra faire du rattrapage, ce qui ne devrait pas se produire. Nous ne pouvons pas vraiment prendre de risque. Les gens pensent que s'ils l'achètent, c'est que le gouvernement l'autorise. Or, ce n'est pas forcément sans danger.
La sénatrice Bovey : Vous travaillez sur de gros véhicules. Est-ce que cela comprend les véhicules d'urgence? Vous avez parlé de la crise à Montréal lors du blizzard, ce qui amène la question suivante : testez-vous cette technologie sur des ambulances, des camions de pompiers et des véhicules d'intervention d'urgence?
M. Prigge : Comme nous travaillons pour les entreprises privées qui nous engagent, nous n'avons pas assez de subventions pour vivre sur cet argent. Nous obtenons des contrats privés. Aucune entreprise spécialisée dans les ambulances ou les camions de pompiers ne nous a demandé de travailler pour elle. La réponse est malheureusement non.
La sénatrice Bovey : Cela pourrait être intéressant.
M. Prigge : Tout à fait.
M. Adam : Plus d'autobus et de camions.
M. Prigge : Surtout dans des situations dangereuses comme en connaissent les militaires, c'est une bonne chose d'avoir un véhicule automatisé.
La sénatrice Galvez : Je m'intéresse à cette technologie, à la propriété intellectuelle et à l'incidence des technologies que vous mettez au point sur l'économie canadienne. Vous avez mentionné le CRSNG, et mon collègue souhaitait savoir si nous investissons assez. Qu'en retirons-nous en tant que Canadiens?
M. Adam : C'était exactement l'objet de ce programme de recherche. En fait, quand nous développions des algorithmes pour la navigation automatisée pour des industriels canadiens, l'idée était de faire en sorte que le Canada puisse se positionner sur ce marché et qu'à long terme, nous ne nous retrouvions pas à utiliser une technologie européenne. Il n'y avait personne dans ce domaine au Québec. C'est pourquoi nous travaillons avec eux pour nous assurer qu'ils auront des produits automatisés dans les prochaines années. Nous avons décidé de conserver la propriété intellectuelle à l'IVI et nous avons accordé des licences à nos partenaires industriels.
La sénatrice Galvez : Ces partenaires industriels sont canadiens?
M. Adam : Oui, tous canadiens.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'ai une question de curiosité, monsieur Adam : comment est-ce que vous fonctionnez? Vous êtes une entreprise privée; fonctionnez-vous par contrat?
M. Adam : Nous sommes un organisme sans but lucratif affilié à un collège. Nous travaillons principalement avec des entreprises privées. Nous faisons principalement de la recherche appliquée sur le développement de produits. En fait, nous avons trois spécialités : la recherche appliquée, l'aide technique aux entreprises et l'information.
Le sénateur Boisvenu : Avez-vous des ressources humaines?
M. Adam : Nous avons une équipe de 25 personnes, principalement des ingénieurs qui travaillent au développement.
Le sénateur Boisvenu : En ce qui concerne la recherche, c'est un domaine en évolution.
M. Adam : Oui, constamment.
Le sénateur Boisvenu : Si l'on va chez vous, est-ce qu'on peut voir physiquement ce que vous faites?
M. Adam : Certainement.
Le sénateur Boisvenu : C'est très intéressant.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Sur la question des logiciels, monsieur Khan, vous avez mentionné QNX et BlackBerry. Vous avez mentionné qu'Apple vient ici. Je suppose que QNX et BlackBerry conçoivent des logiciels à Kanata. BlackBerry, nous le comprenons parce que c'est une entreprise canadienne et qu'elle a des activités ici et à Waterloo.
Qu'est-ce qui incite une entreprise comme Apple de Cupertino, en Californie, à venir travailler sur des véhicules autonomes à Ottawa? C'est bien ce qui se passe?
M. Khan : Je ne suis pas certain de savoir pourquoi QNX a déménagé de Californie à Ottawa quand elle a été rachetée par BlackBerry. Pourquoi ne pas l'installer juste à côté de BlackBerry à Waterloo, en Ontario? C'est peut-être parce qu'Ottawa est le centre de la haute technologie — le centre des technologies avancées.
Le sénateur Duffy : Les personnes qui travaillent dans la haute technologie aiment se parler et avoir une communauté au sein de laquelle elles peuvent échanger des idées, qui forme un noyau.
M. Khan : C'est vrai. Permettez-moi de vous expliquer en quelques mots comment ces choses se réunissent.
Je ne sais pas si vous avez accès à mon mémoire. J'aimerais attirer votre attention sur la figure numéro 2. Elle situera ce qui se passe à Ottawa. La figure 2 présente l'architecture de haut niveau d'un véhicule automatisé. Elle comprend, pour l'essentiel, quatre boîtes. L'une d'elles dit « Système avancé d'aide à la conduite ». L'autre dit « Caractéristiques de conduite avancées », ce qui renvoie, par exemple, à la conduite en peloton et à la conduite collaborative. La troisième est celle de la « Plateforme de services de STI ». La dernière est celle du « Système d'infodivertissement ».
QNX a gagné son argent en mettant au point des systèmes d'infodivertissement. Son produit équipe des millions de voitures dans le monde. Elle s'enorgueillit du fait que son logiciel est impossible à pirater.
Mais pourquoi s'arrêter à l'infodivertissement, s'est-elle demandé un jour? Pourquoi ne pas passer au système avancé d'aide à la conduite et utiliser la même technologie pour le mettre au point? C'est ce qu'elle fait actuellement.
L'entreprise est venue à Ottawa pour plusieurs raisons, je crois. Il y a d'autres entreprises de haute technologie qui développent la communication G4, G5, et cetera. C'est aussi parce qu'elle est près du gouvernement. Il se peut aussi que le grand patron de QNX voulait venir à Ottawa pour aller skier. Il est intéressant de savoir pourquoi des entreprises de haute technologie sont venues à Ottawa — à cause de la main-d'œuvre, et ainsi de suite.
Le sénateur Runciman : Du temps.
M. Khan : QNX est ici. Apple a décidé de venir. Tous ces groupes du secteur de la technologie qui se retrouvent au même endroit constituent un grand parc.
Le centre en sera BlackBerry, à Kitchener-Waterloo. Ils communiquent par téléconférence, se déplacent, et ainsi de suite.
Une chose est certaine : il y a un noyau de technologies en cours de développement qui n'ont pas leurs pareilles ailleurs. Pourquoi? BlackBerry QNX est très avancée. Ford est très avancée. Apple est très avancée. Toutes ces entreprises se regroupent, elles sont voisines, il en sortira forcément quelque chose de bien.
Ce que craignent les gens, entre autres, c'est que, le jour où des milliers de ces véhicules rouleront sur l'autoroute 401 à Toronto, si une d'elles est piratée, combien d'autres se rentreront dedans à 100 km à l'heure? Un véhicule automatisé ne devrait jamais être piraté. Autrement, c'est une catastrophe.
Qui va-t-on voir? QNX, le premier fournisseur de cette technologie. C'est pourquoi Apple et Ford sont venues ici, et pourquoi d'autres suivront peut-être.
QNX met-elle au point un logiciel très avancé? En tant qu'université, nous avons rendu visite à QNX, qui nous a rendu la pareille. Elle ne laisse pas filtrer grand-chose. Elle se montre très discrète pour ne mettre la puce à l'oreille à personne. Elle compte bien développer la meilleure technologie d'automatisation. Il n'y en aura pas d'autres parce qu'aucune autre société de logiciels n'a son produit dans des millions de voitures dans le monde. QNX a cet avantage.
Le sénateur Duffy : C'est un peu comme Windows qui équipe pratiquement tous les ordinateurs dans le monde. Elle domine le marché à ce point.
D'une certaine manière, ce que vous nous dites aujourd'hui, c'est que la production de véhicules, les usines de voitures d'antan, sont parties dans des pays à plus faibles salaires, mais que nous remplaçons certains de ces emplois ici même, au Canada, par des emplois de haute technologie de l'avenir, bien rémunérés et non polluants. Ce n'est pas un rêve. Cela se produit vraiment.
M. Khan : Nous devons penser à plus long terme. Un jour, tous les véhicules seront électrifiés, ce qui veut dire qu'ils auront des batteries.
Pour ce qui est de la construction automobile, à ma connaissance, on ne produit pas les voitures dans un seul et même endroit. Les pièces viennent d'ici et là, et elles sont assemblées là où le constructeur le juge bon, et ça peut être au Mexique, au Canada, aux États-Unis ou en Europe.
Quel est l'avenir du Canada dans l'industrie automobile, dans le type haute technologie, dans le type automatisé? Si les gouvernements jouent leur rôle, ils adopteront des mesures incitatives et les véhicules automatisés seront fabriqués ici, parce que le cerveau de la technologie de l'automatisation se trouve ici.
Les batteries viendront des États-Unis. Ils ont une grande usine quelque part dans le désert qui en produit des millions et ils sont très avancés, mais ce n'est pas grave. On peut les obtenir dans le cadre du libre-échange.
Les pays à faible niveau de rémunération ont leurs propres problèmes. Il y a un problème de fiabilité. Le Mexique le surmonte à peine. Ils convainquent les autres que leurs travailleurs sont aussi bons que les travailleurs japonais. Peut- être, mais peut-être pas. Le Canada a beaucoup à gagner. La principale raison pour laquelle ils peuvent imposer comme condition qu'ils vous donneront le moteur, autrement dit le logiciel qui conduira le véhicule électrique autonome, c'est si vous installez votre usine ici. Vous pouvez faire fabriquer les pièces ailleurs dans le monde, mais les faire assembler ici.
J'espère que, par vos bons offices, entre autres, vous pouvez gentiment inciter le gouvernement à décider de récupérer les retombées économiques. Nous sommes au niveau où c'est possible. Ça l'est aujourd'hui, mais peut-être que dans 10 ans, ce sera trop tard.
M. Prigge : J'aimerais revenir à la raison de leur présence ici. À ma connaissance, QNX est une entreprise d'Ottawa. Elle n'a pas déménagé ici. Votre analogie avec Windows est parfaite. Microsoft fabrique un système d'exploitation. Il est présent dans des usines du monde entier. Au départ, c'était un système d'exploitation industriel. QNX a transposé le concept aux véhicules.
M. Khan : Si vous permettez, j'aimerais apporter une correction. QNX est une entreprise californienne rachetée par BlackBerry, puis transplantée de Californie à Ottawa.
M. Prigge : Dans les années 1980, elle était à Ottawa. Je ne suis pas si vieux.
Quant aux raisons de venir au Canada, c'est facile. C'est à cause de l'intelligence artificielle, l'IA. L'Université de Toronto et l'Université de Montréal y excellent. Elles sont peut-être parmi les cinq meilleures du monde. Ces algorithmes sont construits avec l'intelligence artificielle. Ce qui a d'abord incité ces entreprises à venir, c'est le fait que Google a donné des fonds à l'Université de Montréal et à l'Université de Toronto. Parce que nous sommes bons en l'intelligence artificielle.
Nous avons également un bassin de personnes formées pendant le boum des télécommunications, à la fin des années 1990. Elles sont toujours là. Elles savent créer de très bons logiciels et fabriquer de l'électronique très solide. Nortel et JDS Uniphase ont peut-être disparu, mais pas ces travailleurs qualifiés.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Quand les véhicules autonomes de niveau 5 seront sur le marché, croyez-vous qu'ils vont s'autofinancer selon le principe de l'utilisateur payeur?
M. Adam : Très bonne question. Je ne suis pas économiste, mais chose sûre, un véhicule autonome de petite capacité qui peut transporter quelques personnes coûtera beaucoup moins cher qu'un autobus pleine taille. Donc, si on l'utilise pour faire, par exemple, du transport en commun dans de plus petites municipalités, il faut savoir qu'aujourd'hui, il y a des municipalités qui offrent un service de transport en commun avec des autobus de 40 pieds qui sont vides. C'est onéreux.
La sénatrice Saint-Germain : Y a-t-il des études, selon vous — je comprends que cela ne se fait pas chez vous, mais peut-être que M. Khan pourrait répondre. Y a-t-il une entreprise, une université, un centre qui étudie les enjeux économiques liés au financement de ce produit commercial et industriel?
[Traduction]
M. Khan : Quand on produit massivement une technologie, le coût baisse évidemment. Le prix des ingrédients de base de l'automatisation baisse. Il était une fois le lidar qui mesure, en gros, la distance, et cetera. Aujourd'hui, on peut en avoir sept ou huit dans un véhicule automatisé pour le prix d'un. Au final, il y aura une augmentation d'environ 10 000 $ par rapport à un véhicule que nous achetons aujourd'hui.
Les véhicules électriques seront subventionnés pendant un temps pour des raisons environnementales, et pour finir, ils se paieront tout seuls.
Je suis certain que, si nous réglons la question de la sécurité, les données économiques seront favorables, pour la simple raison qu'on partagera les véhicules et qu'ils fourniront des services de mobilité. Ils seront renouvelés fréquemment. Il n'y aura donc pratiquement pas de réparations. S'il arrive en fin de vie, on en achète un autre.
Pour ce qui est des enjeux économiques, les études que j'ai réalisées sont résumées dans un article de 2012 que j'ai écrit pour une revue japonaise. Le rapport coût-efficacité est effectivement favorable à l'automatisation.
La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie. Nous allons devoir nous pencher davantage sur la question.
Le vice-président : Je remercie M. Adam, M. Prigge et M. Khan de leur participation ce soir.
À notre réunion la semaine prochaine, nous entendrons des représentants de l'Université de l'Alberta et de l'Université de Sherbrooke.
(La séance est levée.)