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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 17 - Témoignages du 16 mai 2017


OTTAWA, le mardi 16 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour poursuivre son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, le comité poursuit ce matin son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.

[Traduction]

Nous recevons ce matin Denis Gingras, qui est professeur au Laboratoire en intelligence véhiculaire de l'Université de Sherbrooke, ainsi que Tony Zhijun Qiu, qui est aussi professeur, mais à la Faculté de génie de l'Université de l'Alberta. L'année dernière, quand les membres du comité sont allés visiter l'Université de l'Alberta, c'est M. Qiu qui les a accueillis. Je tenais à vous remercier du fond du cœur.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue. J'invite M. Gingras à faire sa présentation, et je donnerai ensuite la parole à M. Qiu.

Denis Gingras, professeur, Laboratoire en intelligence véhiculaire, Université de Sherbrooke, à titre personnel : Honorables sénateurs et sénatrices, je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir invité et de me donner l'occasion d'exprimer mon opinion à ce sujet.

Comme vous le savez, la mobilité est extrêmement importante et est fondamentale pour le développement de notre société et pour notre civilisation. Tous seront d'accord là-dessus. Toutefois, paradoxalement, le système de transport routier tel qu'on le connaît aujourd'hui est passablement inefficace, et c'est un peu surprenant. Mais si on en examine les différents paramètres, on s'aperçoit que c'est un système extrêmement inefficace. Pensons d'abord au modèle d'affaires et au système économique qui est basé sur la propriété individuelle des véhicules; il y a définitivement trop de véhicules sur les routes. Je pense que les agences de transport routier sont toutes d'accord à ce sujet. Ensuite, il y a la croissance démographique et la concentration urbaine. Il en découle donc une surcharge et une surcapacité de nos infrastructures routières.

De plus, le transport des marchandises est passé du chemin de fer aux infrastructures routières pour répondre à la demande « juste à temps » à l'aide de camions et de trains routiers, ce qui a pour effet d'augmenter la surcharge de nos infrastructures routières.

Les véhicules et les voitures sont toujours en occupation individuelle jusqu'à concurrence d'environ 80 pour 100, ce qui fait que la charge utile dans un véhicule est de l'ordre de 5 p. 100 par rapport au poids total d'un véhicule. Ce n'est donc pas vraiment efficace. Les véhicules sont en moyenne utilisés une heure par jour; 23 heures par jour, ils sont stationnés. Ils ne servent à rien et ils rouillent. Les véhicules sont toujours équipés de moteurs à combustion qui fonctionnent avec de l'essence et des combustibles fossiles et qui ont une efficacité de l'ordre de 25 à 35 p. 100. Ce n'est vraiment pas bon. Aussi, les véhicules sont toujours conduits par des êtres humains qui sont la cause d'environ 90 p. 100 des accidents sur nos routes.

Depuis 100 ans, soit depuis l'invention de l'automobile, des améliorations incrémentielles ont été apportées, mais il n'empêche qu'aujourd'hui encore, pour la majorité du parc automobile, les voitures sont toujours passablement inconscientes, stupides et aveugles. Heureusement, nous vivons une révolution technologique depuis environ deux décennies; moi, je travaille dans le domaine depuis 35 ans.

J'aimerais vous parler de trois axes. Le premier a trait à l'électrification des systèmes de propulsion. Cela touche essentiellement l'aspect écologique, mais cela ne change pas le paradigme de notre mobilité terrestre. Le deuxième axe a trait à l'automatisation de la conduite, et le troisième axe majeur concerne la connectivité.

En termes de développements technologiques, nous avons la possibilité pour ces trois axes principaux de développer de nouvelles solutions qui permettront, espérons-le, d'améliorer l'efficacité de notre mobilité terrestre. On voudrait que l'automatisation de la conduite mène ultimement vers des véhicules totalement autonomes afin de pouvoir migrer éventuellement d'un système de propriété individuelle vers un modèle de services de mobilité. Cela nous permettait de réduire passablement le nombre de véhicules qui se trouvent sur nos routes.

Ensuite, pour des raisons de sécurité routière, cela permettrait d'éliminer le conducteur dans l'équation et de réduire ainsi le nombre de collisions et de fatalités.

Des impacts majeurs se produiront, pas seulement sur le plan technologique, mais aussi en ce qui a trait aux compagnies d'assurances, à la législation, au marché après-vente, à la maintenance, ainsi que pour les habitudes de vie au quotidien, telle la nécessité d'obtenir un permis de conduire, l'immatriculation des véhicules et ainsi de suite. Cela va changer considérablement nos habitudes de vie.

Cela favorisera aussi la « solution du dernier kilomètre » qui permet de favoriser une meilleure intégration des différents modes de transport et d'améliorer l'efficacité de l'interface des systèmes de transport différents qui, actuellement, travaillent plutôt en silos et en autarcie l'un par rapport aux autres.

Pour en arriver aux véhicules complètement autonomes, toutefois, il y a d'énormes défis à relever qui sont loin d'être réalisés. La sécurité avec un véhicule autonome est basée essentiellement sur deux paramètres principaux : la robustesse et la fiabilité. Ce sont deux choses totalement différentes. En ce qui touche la robustesse, un véhicule autonome est un robot sur route et il opère dans un environnement ouvert, et ce, non seulement à cause de la mobilité. Typiquement, pour un véhicule qui roule à 100 kilomètres-heure, l'environnement du véhicule change toutes les trois secondes. C'est déjà énorme et cela demande donc des applications et des systèmes en temps réel qui sont très performants, et qui ont des temps de réponse très rapides.

De plus, il y a un grand nombre de paramètres comme la météo, les conditions de trafic et les conditions routières. Tout cela mène à de nombreux scénarios de conduite qu'on ne peut pas tous prévoir ni envisager. On ne peut pas programmer un véhicule autonome de la même façon qu'on programme un système traditionnel tel qu'on le connaît aujourd'hui. Cela exige un système extrêmement robuste pour faire face à toutes ces variantes.

Ensuite, entre en jeu la complexité des systèmes. Typiquement, aujourd'hui, un véhicule contient plus de 40 000 pièces et composantes. On retrouve plus de 100 millions de lignes de code et une centaine de microprocesseurs. Cela nécessite alors des méthodes de validation et de test encore une fois complètement différentes de ce qu'on fait habituellement. Cela demande des techniques basées sur des algorithmes qu'on appelle stochastiques, des méthodes par échantillonnage, un peu comme on en retrouve dans de grandes industries comme la microélectronique, par exemple. On ne peut pas faire de validation déterministe et systématique de toutes les possibilités du système. Il faut y aller par échantillonnage et, au mieux, ce qu'on obtient, c'est une idée de la performance du système sur une base probabiliste.

Cela nous amène à un défi majeur, soit l'intelligence artificielle. Depuis un an et demi, vous avez peut-être remarqué que les grands constructeurs automobiles investissent des milliards et des milliards de dollars spécifiquement dans le domaine de l'intelligence artificielle. Ce n'est pas une surprise, parce que les défis technologiques les plus importants concernent cet aspect. On est loin d'avoir des robots qui ont des capacités cognitives, des capacités de perception et de conscience, ainsi que des capacités de décision équivalentes à celles d'un être humain. Les ordinateurs sont forts en vitesse, en logique et en calcul combinatoire, mais l'être humain peut faire des choses qu'une machine n'est toujours pas en mesure de faire. La preuve, c'est que, lorsqu'un être humain naît, il lui faut des années pour développer ses capacités motrices, ses capacités cognitives, ses capacités de perception, de prise de conscience de soi-même et de son environnement. C'est pour cette raison qu'on donne un permis de conduire seulement à un jeune adulte qui a au minimum 16 ans; on ne donne pas de permis de conduire à un enfant de 5 ans.

Voici quelques observations en ce qui a trait à la connectivité. La connectivité permet en gros l'échange d'information. Cet échange d'information peut servir à deux niveaux : premièrement pour améliorer la redondance des informations disponibles dans les véhicules intelligents et, deuxièmement, pour fournir des informations complémentaires à celles qui sont disponibles dans les véhicules intelligents. La redondance est importante parce qu'elle permet de valider des informations que nous avons déjà, d'augmenter notre niveau de confiance par rapport à ces données, et donc d'améliorer la probabilité de bonnes prises de décisions lorsque survient une situation de conduite quelconque, par exemple lorsqu'il s'agit d'éviter une collision ou un obstacle.

La complémentarité de l'information permet d'avoir une perception étendue, à savoir que certaines informations peuvent être obtenues au moyen des communications qui vont au-delà de la distance à laquelle nos propres capteurs embarqués dans notre véhicule peuvent percevoir les choses. Typiquement, les capteurs embarqués dans un véhicule ont une perception d'une distance d'environ 100 mètres ou 200 mètres au mieux. Avec les télécommunications, on peut aller chercher des informations qui, elles, proviennent de sources qui sont à des distances beaucoup plus grandes.

La communication permet d'envisager et de concevoir des solutions de mobilité où l'intelligence serait distribuée et non plus concentrée seulement dans les véhicules. On peut, à ce moment-là, échanger de l'information entre les infrastructures routières et les véhicules. Par exemple, si une ville comporte des intersections où le risque d'accident est plus élevé qu'à d'autres endroits, on peut instrumentaliser ces intersections, les rendre intelligentes et, du coup, donner une chance aux véhicules, parfois un peu plus stupides, d'obtenir les informations et de prendre des décisions adéquates pour éviter les accidents.

Voici quelques recommandations qui sont proposées : tout d'abord, je crois que nous devons élaborer des stratégies, au Canada comme ailleurs, parce qu'il s'agit d'un problème international et non uniquement canadien. Avec la participation des gouvernements, des constructeurs automobiles, des agences de transport routier et des établissements de recherche, il faut mettre en place une stratégie globale de développement et de déploiement qui s'apparente au concept des cités intelligentes.

Sur le plan économique, la fusion du secteur automobile avec les technologies de l'information ouvre la porte à de très nombreuses occasions d'affaires pour les entreprises canadiennes, pour le développement d'une nouvelle génération d'entreprises, d'entreprises en démarrage, de PME, qui seront de nature multidisciplinaire et qui combineront les technologies de l'information avec le contexte de la mobilité.

Enfin, en tant que professeur, je crois que le cursus de nos systèmes d'éducation doit faire l'objet d'une réforme majeure tant au niveau collégial, professionnel, qu'universitaire, afin que nous puissions former une nouvelle génération de professionnels et une main-d'oeuvre hautement qualifiée qui seront en mesure de faire face aux défis des systèmes complexes et à des problèmes multidisciplinaires.

Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Gingras.

[Traduction]

À votre tour de nous faire profiter de vos lumières, monsieur Qiu.

Tony Zhijun Qiu, professeur, Faculté de génie, Université de l'Alberta, à titre personnel : Merci de m'avoir invité. Je suis très content d'être ici pour vous présenter notre travail et vous donner notre avis sur les véhicules branchés et automatisés.

J'aimerais commencer par définir, techniquement parlant, ce que sont les véhicules branchés et automatisés. Dans le cas des véhicules automatisés, c'est on ne peut plus clair : il s'agit de technologie véhiculaire. Pour ce qui est des véhicules branchés, il règne parfois une certaine confusion, parce que nous ne savons pas toujours de quoi on parle exactement.

À mes yeux, les véhicules branchés, c'est comme si on tentait de numériser l'infrastructure pour la rendre compatible avec les changements technologiques véhiculaires.

Jusqu'ici, nous parlions plutôt d'intégration des technologies véhiculaires. Selon moi, il s'agit d'une appellation adéquate, car il y a différentes raisons de vouloir convertir un véhicule branché.

Nous pouvons voir comment il est possible d'utiliser les TIC, ou technologies de l'information et des communications, pour numériser l'infrastructure. Dans un véhicule branché, la première étape consiste à y appliquer les TIC de manière à le rendre intelligent.

En septembre dernier, lorsque vous êtes venus visiter mon laboratoire, nous avons passé une quarantaine de minutes à observer un véhicule de démonstration, à Edmonton. Comme je l'avais prévu, le véhicule automatisé et branché cherchait à créer une plateforme intégrée, ouverte et fondée sur des données pour un futur système de transport. Par exemple, certaines municipalités se retrouvent dans une impasse, car le conseil municipal reçoit plusieurs propositions — transport en commun, camions de pompier, véhicules pour l'entretien hivernal —, mais les traite séparément, parce qu'il est beaucoup question d'infrastructure.

Quand je parle aux fonctionnaires, ils se demandent tout le temps pourquoi ces choses sont autant contestées. Ils sont incapables de les intégrer.

C'est ce que font les véhicules branchés. Ensuite, on doit numériser l'infrastructure et essentialiser la gestion afin que les différents véhicules soient tous branchés à la même plateforme. Voilà pourquoi on dit de cette plateforme qu'elle est intégrée, ouverte et fondée sur des données. Les véhicules branchés nous permettent aussi d'utiliser efficacement l'infrastructure actuelle. Nous pourrons y revenir pendant la période des questions.

Les véhicules automatisés et branchés permettent aussi de se servir du boom technologique et de l'industrie automobile comme effet de levier.

Chose certaine, ils visent à réduire les erreurs commises par les êtres humains.

À Edmonton, depuis 2012, l'Université de l'Alberta, celle de la Colombie-Britannique et la Ville d'Edmonton ont uni leurs efforts. Nous avons installé 30 équipements routiers et un certain nombre de véhicules afin de développer cette technologie et de voir comment elle pourrait aider les gouvernements fédéral et provinciaux à mieux gérer la circulation.

Si vous n'étiez pas là l'an dernier, venez nous voir la prochaine fois que vous serez à Edmonton, et nous vous montrerons tout ce que nous faisons.

Je terminerai en disant que les véhicules automatisés et branchés doivent être adaptés à la réalité canadienne. Le climat froid est bien évidemment un énorme facteur à prendre en considération. Je ne sais pas comment font les autres pays. À Edmonton, nous avons testé nos prototypes à -30 degrés. Nous ne nous sommes jamais rendus à -40, mais l'an dernier, nous avons fait des tests à -30, ce qui nous a permis de recueillir d'excellentes données pour les futures politiques et les études connexes. L'hiver est long au Canada, alors les conditions y sont uniques.

La circulation est surtout urbaine au Canada par rapport aux autres pays développés, ce qui crée des situations qu'on ne voit nulle part ailleurs.

J'aimerais parler en terminant des investissements dans l'infrastructure de transport en commun. Le Canada consacre énormément d'argent aux routes, mais il lui reste beaucoup de chemin à parcourir pour utiliser les infrastructures de manière plus efficiente. Les véhicules automatisés et branchés pourraient par exemple contribuer à augmenter la capacité. Présentement, elle est de 1 800, mais les véhicules automatisés et branchés pourraient la faire passer à 2 100 et même à 2 400. Nous devons dépenser notre argent de manière plus judicieuse.

Pour ce qui est des prochaines étapes, la réglementation sur les véhicules branchés arrive évidemment tout en haut de la liste. Nous avons aussi besoin d'une politique sur les fréquences radio, avec l'approbation de l'Association canadienne de normalisation, parce que notre infrastructure est maintenant numérique. Nous devons obtenir l'autorisation de l'association.

Nous devons plaider, de manière appropriée et raisonnable, en faveur des véhicules automatisés, parce que, depuis quelques années, c'est l'industrie qui mène le bal, mais sur le plan des politiques publiques, quel est le rôle du gouvernement? Nous devons aussi trouver le moyen d'améliorer notre infrastructure afin qu'elle soit compatible avec le changement technologique qui s'en vient.

Il me reste une seule chose à dire, mais c'est peut-être la plus importante de toutes : le Canada est-il positionné de manière à tirer parti du marché que représentera l'industrie des véhicules automatisés et branchés?

Certains s'inquiètent pour la création d'emplois, craignant que les véhicules automatisés ne fassent disparaître des emplois. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter outre mesure, selon moi. Les gens ont déjà craint que les ordinateurs ne fassent disparaître tous nos emplois, mais au final, l'informatique a créé d'autres types d'emplois.

Comme le disait Denis, nous devons réfléchir dès maintenant à la manière dont nous devrons adapter le réseau scolaire de manière à pouvoir former la prochaine génération, celle qui s'occupera de notre infrastructure. Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci et félicitations à vous deux. Vous êtes des témoins qui nous apportent un contenu de grand intérêt.

Professeur Gingras, vous avez parlé de l'importance des stratégies globales, des stratégies d'ensemble. Vous avez mentionné notamment l'importance de revoir les cursus. Ma première question sur les stratégies d'ensemble est en lien avec votre référence à la « solution du dernier kilomètre ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de l'harmonisation que vous envisagez entre le transport individuel et le transport public et la planification nécessaire pour y arriver?

M. Gingras : C'est une très bonne question. C'est intéressant parce que, justement, au cours des dernières semaines, on a vu apparaître des nouvelles dans les médias concernant des ententes qui ont eu lieu entre certaines municipalités et la compagnie Uber, pour ne pas la nommer, visant à trouver des solutions de rechange pour les petites municipalités, notamment en matière de transport public. Les méthodes traditionnelles de transport public par bus sont parfois trop coûteuses pour les petites municipalités.

Un des problèmes importants, c'est le problème du « dernier kilomètre ». J'ai travaillé près de 10 ans à l'Institut national d'optique, à Québec, dans le domaine de l'optique photonique, soit avec des applications dans le domaine du transport, mais avec le développement de la fibre optique. Nous nous penchions aussi sur la façon de résoudre le problème du « dernier kilomètre » pour favoriser le transfert des données générales jusqu'aux résidences.

On a un peu le même problème dans un contexte de mobilité physique. Je pense qu'actuellement, les véhicules Uber sont une forme de service de mobilité offert qui peut être moins cher que les services de mobilité conventionnels comme le taxi. D'ailleurs, le covoiturage devient de plus en plus important, surtout chez les jeunes générations.

Je pense aux véhicules autonomes de forme petite navette, par exemple, qui peuvent contenir un certains nombre de personnes, un peu comme dans les pays en voie de développement, où il y a des taxis collectifs qui peuvent prendre, dans un même véhicule, de cinq à dix personnes. Ces navettes font des trajets essentiellement locaux sur une distance de quelques kilomètres. Je pense que ce genre de solution offre une bonne flexibilité et permettrait de résoudre en bonne partie le problème du « dernier kilomètre », afin d'amener les gens à des points d'accès au réseau de transport public conventionnel, par exemple, les trains de banlieue, les métros, les réseaux d'autobus express, et cetera.

Je pense que la technologie des véhicules autonomes va jouer un rôle important à ce chapitre, ce qui entraînerait, du coup, une réduction importante du nombre de véhicules sur nos routes parce que, de ce fait, il y a un grand nombre de personnes qui ne sentiraient plus la nécessité de s'acheter un véhicule, surtout dans les grands centres urbains.

La sénatrice Saint-Germain : Professeur Gingras, vous mentionnez avec pertinence l'exemple d'Uber. Vous êtes dans le milieu universitaire; la préoccupation qu'on a ici, c'est la planification et la prise en charge de cela. On a l'impression qu'il y a plusieurs recherches, plusieurs équipes, plusieurs bons coups isolés, mais en termes d'utilisation pertinente dans une stratégie d'ensemble en matière de transport public, à l'échelle du Québec, mais également à l'échelle du pays, y a-t-il un projet pilote qui est mis en oeuvre quelque part? Sinon, qu'est-ce qui pourrait être fait?

M. Gingras : Effectivement, la réalité nous rattrape sur cet aspect. Je fais partie d'un atelier avec le ministère des Transports du Québec qui étudie aussi la question. Je ne suis pas un expert dans tous les domaines, mais j'ai beaucoup appris en ce qui a trait à la complexité des infrastructures organisationnelles et des agences de transport municipales, publiques et privées. Ensuite, il y a ceux qui s'occupent des segments d'autoroute, il y a les ponts au palier fédéral, et il y a le ministère des Transports provincial. Habituellement, ces organismes en sont encore au point où ils ne s'échangent pas d'information. Nous en sommes encore à l'étape où les banques de données ne se parlent pas entre elles, où l'optimisation du trafic avec les infrastructures routières actuelles n'est pas réalisée de façon globale, parce que l'infrastructure routière est segmentée et relève de la compétence de plusieurs entités. Pour l'instant, on est rendu à cette étape.

Il y a une volonté politique en ce moment pour essayer de résoudre ce problème, mais on est encore très loin d'une solution globale, d'une planification bien structurée du déploiement de nouvelles technologies comme les véhicules autonomes. Je pense que la construction de véhicules autonomes exigera la mise en oeuvre d'une législation fédérale et d'une concertation avec les provinces, les États-Unis, les municipalités et les agences responsables de l'infrastructure routière, parce que je suis persuadé que, pour arriver à des solutions de mobilité intelligente, il faudra distribuer l'intelligence des infrastructures aussi bien que dans les voitures. C'est vrai que les voitures, idéalement, devraient être complètement autonomes, mais avant d'en arriver à cette étape, qui pourrait prendre 20, 25 ou 30 ans, il faudra trouver des solutions beaucoup plus rapidement pour résoudre nos problèmes dramatiques de transport routier.

Le sénateur Boisvenu : Je voudrais tout d'abord m'excuser de mon retard.

Ma question s'adresse à vous, professeur Gingras. Je suis très heureux, comme Estrien, de parler à quelqu'un de l'Université de Sherbrooke. Je rappelle à mes confrères que si l'on peut utiliser cela aujourd'hui, c'est grâce aux travaux de recherches de l'Université de Sherbrooke, qui a inventé cette fameuse puce qui se retrouve maintenant dans de nombreux cellulaires aujourd'hui. Je tiens à féliciter l'Université de Sherbrooke, parce que je connais bien ses antécédents en matière de recherches et de formation de nos cerveaux québécois.

Ma première question concerne la cohabitation entre ce qui est traditionnel et ce qui est nouveau, ce qui s'en vient. Est-ce que, dans les recherches que vous faites, vous êtes strictement axés sur les nouvelles technologies, en laissant de côté la façon dont cette nouvelle technologie va cohabiter avec le transport traditionnel? Je pense que, lorsque nous sommes passés du cheval à la voiture, cette transition ne s'est pas faite du jour au lendemain, mais bien sûr plusieurs décennies. Est-ce que vous réfléchissez à la façon dont cette technologie va s'harmoniser avec une phase relativement longue de transition?

M. Gingras : Oui, on y pense beaucoup. On essaie de trouver des solutions. Le problème se pose à plusieurs niveaux. Il y aura éventuellement un trafic hybride dans le sens où il y aura une majorité de véhicules qui seront encore conduits par des êtres humains, alors que, de plus en plus, on va intégrer des véhicules qui seront en mode de conduite automatisée ou qui seront complètement autonomes. On n'a pas encore de réponses claires à cette question.

Une des approches en matière d'intelligence artificielle que j'examine personnellement dans mon laboratoire, c'est le test de Turing, parce que l'une des questions fondamentales à laquelle on n'a pas bien répondu, c'est comment on va définir les métriques de sécurité en rapport avec les véhicules autonomes. Est-ce qu'on va accepter socialement qu'un véhicule autonome soit déployé massivement sur les routes parce que le nombre d'accidents par million de kilomètres est inférieur au nombre d'accidents liés à la conduite humaine? Est-ce que c'est du nombre d'individus décédés par million de kilomètres dont il faut tenir compte? Est-ce que c'est avec des métriques probabilistes ou mathématiques que le niveau de fiabilité du système global sera défini? Vous voyez qu'il y a plusieurs façons de définir une métrique en rapport avec la sécurité routière.

Donc, une approche qui est davantage reliée à l'intelligence artificielle, c'est le test de Turing. Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler. Un film a été réalisé sur Alan Turing, l'inventeur des ordinateurs durant la Seconde Guerre mondiale. C'est lui qui a déchiffré le code secret de la machine allemande, et cetera. Dans les années 1950, il a inventé le test de Turing au début de l'ère des ordinateurs. Dans les années 1960, un programme appelé ELIZA a été développé, qui disposait d'un interrogateur humain qui posait des questions et discutait avec une boîte noire à l'intérieur de laquelle on ne savait pas s'il y avait un être humain ou une machine. Cette boîte noire imprimait des réponses à partir desquelles l'interrogateur devait déterminer si c'était un être humain ou une machine. S'il n'arrivait pas à voir la différence, la machine était considérée comme étant intelligente. C'est le principe de base du test de Turing.

Maintenant, pour l'adapter aux véhicules complètement autonomes, il faut comparer le comportement dynamique des véhicules conduits par des êtres humains au comportement dynamique des véhicules conduits par un système artificiel, complètement autonome, soit par une machine intelligente. Si on n'arrive pas à distinguer de différence majeure au niveau du comportement dynamique des véhicules, l'un par rapport à l'autre, on pourrait alors considérer que les véhicules en conduite autonome automatisée seraient équivalents à ceux qui sont conduits par un être humain. C'est une avenue dont on discute très peu. C'est encore un dossier de recherche assez chaud. On essaie de déterminer comment on pourrait intégrer de façon harmonieuse des véhicules autonomes dans une circulation composée principalement de véhicules conduits par des humains. On se penche sur des problèmes comme la rage au volant, et cetera. Évidemment, un ordinateur n'a pas ce genre de comportement, mais il comporte d'autres types de problèmes.

Le sénateur Boisvenu : C'est celui qui l'utilise qui peut poser problème.

M. Gingras : C'est le passager qui peut devenir enragé, éventuellement.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Messieurs, je vous remercie d'être venus nous parler aujourd'hui.

La sécurité des véhicules constitue une autre grande source de préoccupation pour nous, mais aussi pour les gouvernements en général, surtout dans le contexte de la transformation mixte. La sécurité routière, c'est une chose, mais il faut aussi penser à la sécurité des données recueillies.

Aux États-Unis, le Sénat et la Chambre des représentants sont chacun saisis d'un projet de loi. Celui au Sénat s'appelle « SPY Car Act of 2017 », alors que celui à la Chambre des représentants porte plutôt le nom de « SPY Car Study Act of 2017 ». Comme vous le voyez, il n'y a qu'un mot de différence. Dans les deux cas, il est question des normes de cybersécurité que doit respecter l'industrie concernant la collecte des données, de leur valeur pour les fabricants et de la possibilité que ces dispositifs n'empiètent sur la vie privée des gens. On y recommande une série de normes, autant sur la cybersécurité que sur le respect de la vie privée. Connaissez-vous ces projets de loi? Qu'en pensez- vous?

M. Qiu : Depuis quelques années, les constructeurs automobiles consacrent beaucoup d'argent à la recherche. GM est le premier à produire un véhicule modulaire, le Cadillac CTS 2017. Nous collaborons justement avec GM, qui envoie ses véhicules à Edmonton pour que nous les branchions au véhicule que nous avions préparé.

La Ville d'Edmonton, elle, doit se demander comment elle peut sécuriser son infrastructure. Lorsque nous passerons à l'étape de la mise en œuvre, il s'agira d'un point crucial... pensez par exemple aux virus informatiques : techniquement, ce n'est pas très difficile. On peut aussi faire la comparaison avec la manière dont on protège nos cellulaires et nos ordinateurs, ou encore nos cartes de crédit contre les virus qui circulent dans les réseaux de la finance et des banques.

Techniquement, c'est simple. C'est de savoir comment se fera la mise en œuvre et à quoi ressembleront les politiques qui est plus difficile. Merci.

M. Gingras : J'ai terminé dernièrement une étude, pour le compte de Transports Canada, sur les répercussions pour le transport routier de la connectivité véhicule-infrastructure et de la communication entre véhicules. Je sais aussi qu'à Washington, le département des Transports et la NHTSA sont en train de rédiger des projets de loi sur les réseaux de communications spécialisées à courte portée, CSCP, afin d'obliger les constructeurs automobiles et les équipementiers d'origine à équiper tous leurs modèles neufs de cette technologie à compter de 2019.

C'est une question de normes, en fait, et j'oserais dire que le Canada n'aura pas le choix, un jour ou l'autre, d'appliquer les normes fixées par le Canada, les États-Unis et l'Amérique du Nord concernant les CSCP.

Ces normes comportent un paquet de sous-normes et de règles régissant la construction des messages de sécurité de base, leur transmission aux véhicules environnants, les canaux utilisés en priorité, ce genre de chose, de même que les structures permettant d'authentifier les messages et de tenir compte de l'identité du propriétaire du véhicule ainsi que de sa destination.

La durée de vie d'un message de sécurité de base est de tout au plus 40 secondes, pour des raisons de mobilité, et quel que soit le scénario, ils sont transmis seulement aux véhicules directement aux alentours.

Ces pistes de solution couvrent aussi la cybersécurité. Il existe deux clés, une publique et une autre privée, qui viennent avec les CSCP.

Ce n'est pas parfait, et aucun véhicule n'en est encore équipé. La première version connaîtra sans doute son lot de problèmes et de défauts, mais il s'agit selon nous d'un bon point de départ pour éviter les cyberattaques et les dommages qu'elles peuvent causer au système.

Le sénateur Eggleton : Parlons maintenant des emplois à créer et de ceux qui risquent de disparaître. Tout à l'heure, monsieur Qiu, vous disiez qu'Internet avait créé beaucoup d'emplois. L'automatisation fait disparaître de très nombreux emplois peu spécialisés. Ce ne sont pas tous les chauffeurs de taxi ou de camion qui peuvent devenir informaticiens, alors c'est un problème.

Quand je vous entends tous les deux dire qu'il faut former une nouvelle génération de travailleurs spécialisés dans ce domaine, j'applaudis. Vous avez aussi dit que c'est sans doute là que le gouvernement pouvait faire quelque chose. Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Qiu : N'oublions pas que la notion d'emploi spécialisé ou non est très relative. Il y a 20 ans par exemple, quiconque était capable d'utiliser un ordinateur était considéré comme un travailleur spécialisé. La technologie change, et c'est ainsi que l'on peut définir ce qui constitue un emploi spécialisé ou non. Les définitions peuvent varier.

Je vous donne un exemple. Nous collaborons présentement avec une chaîne hôtelière de luxe qui veut tenter un projet pilote de château automatisé. L'objectif est de faire en sorte que le chauffeur, quand il travaille — mais il ne travaille pas tout le temps —, travaille seulement deux heures au lieu de sept, comme d'habitude. La chaîne en question veut réduire le coût des ressources humaines, mais elle devra embaucher des techniciens spécialisés pour entretenir les véhicules et faire fonctionner le château automatisé. C'est ce que je veux dire quand je dis que certains emplois disparaîtront, mais que d'autres seront créés.

Cela dit, c'est très facile, pour faire fonctionner l'infrastructure actuelle, de toujours ajouter de nouveaux systèmes, sauf qu'on manque d'employés pour faire fonctionner les systèmes. Nous ajoutons sans cesse de nouveaux composants à l'infrastructure, informatiques ou autres, mais les effectifs demeurent inchangés. Nous n'avons pas les ressources humaines nécessaires pour faire fonctionner notre infrastructure.

M. Gingras : J'aimerais ajouter une chose ou deux. La fusion entre le secteur des technologies de l'information et celui de l'automobile est un bon exemple d'emplois dans un contexte multidisciplinaire. Pour ce qui est de la simulation, des appareils informatiques et des outils de simulation, si on compare avec ce qui se passe dans les secteurs de l'aérospatiale et de l'aéronautique, la virtualisation des systèmes, la modélisation des voitures, les solutions de mobilité et les outils permettant de simuler ces systèmes arriveront tout en haut de la liste des besoins. Ces outils sont essentiels.

La région de Montréal, par exemple, se démarque nettement dans le secteur des logiciels et des outils de simulation. On peut aussi penser à CAE dans l'industrie aérospatiale. Je collabore présentement avec une entreprise appelée OPAL-RT, qui se spécialise dans les calculateurs simultanés et les simulateurs permettant de simuler des systèmes complexes en temps réel.

Du côté des essais et de la certification des véhicules intelligents, PMG Technologies et Transports Canada disposent justement d'installations d'essai à Blainville. Je sais que Franck y est déjà allé. Deux ou trois de mes collaborateurs collaborent justement avec eux.

Maintenant, il ne suffit pas de faire des essais physiques sur une piste d'essai. Il existe trois approches pour valider les véhicules autonomes — ou intelligents — en général. Les essais classiques sur piste constituent la première des trois. Viennent ensuite les essais opérationnels sur le terrain. C'est à ce type d'essais que la flotte de Volvo d'Uber a été soumise, à Pittsburgh. Des ingénieurs s'installent alors au volant et parcourent des centaines de milliers de kilomètres. Les données recueillies sont versées dans une énorme base de données, puis traitées pour en extraire l'information la plus pertinente possible, celle qui permettra de déceler les défauts des systèmes, de déterminer où se sont produits les scénarios de conduite critiques et de compiler des statistiques, ce genre de chose. Ces statistiques sont essentielles pour construire les modèles mathématiques sur lesquelles tout cela repose.

Pour demeurer bref, une bonne partie du travail se situe au niveau des mathématiques, des logiciels, des algorithmes, des simulations et de la virtualisation. Une bonne partie de ce qui se fait dans le secteur de l'automobile pourrait très bien migrer vers là en tirant parti du savoir-faire informatique que nous avons déjà.

La sénatrice Bovey : Ce que vous dites tous les deux m'intéresse au plus haut point, et je vous en remercie.

Je suis emballée par ce qui se fait dans le secteur privé et les universités, autant à l'échelle nationale que provinciale, mais vous disiez aussi que, même si la volonté politique y est, l'information ne circule pas assez entre les différentes instances. Le gouvernement fédéral a pour rôle d'être un rassembleur. J'aimerais savoir ce que vous nous recommanderiez de faire pour réunir toute l'information qui est produite un peu partout.

Dans un autre ordre d'idées, ce que vous avez dit sur le réseau scolaire m'a beaucoup interpellée, même si je sais que l'éducation est de compétence provinciale. Si nous voulons que les recherches qui se font dans les différents établissements d'enseignement, de même que les programmes de formation qui y sont offerts, profitent à l'ensemble du pays, comment peut-on réunir tout ce monde-là sous un même toit? Que peut recommander le gouvernement fédéral alors qu'il s'agit, comme tout le monde le sait, d'un domaine jalousement gardé par les provinces? Il a aussi été question des municipalités. Que devrions-nous faire, selon vous, pour que les règles du jeu soient équitables et qu'elles soient les mêmes d'un bout à l'autre du pays, pour que l'information circule et pour éviter les dépenses en double?

M. Qiu : Quel que soit l'ordre de gouvernement, tout le monde, à mes yeux, doit contribuer à faire circuler l'information et le savoir-faire. Le Canada compte plusieurs groupes s'intéressant aux véhicules automatisés ainsi qu'à l'examen des politiques et des technologies.

Je crois bien que le Défi des villes intelligentes, qui est annoncé dans le budget fédéral, devrait permettre d'améliorer le fonctionnement de notre infrastructure à moindre coût. Ce serait en tout cas une bonne occasion de favoriser l'avènement, ou du moins l'essai, des véhicules automatisés et branchés.

Les trois ordres de gouvernement participent au projet sur lequel nous travaillons présentement, dont la Ville d'Edmonton et celle de Calgary, qui vient de se joindre à nous. Les cinq dernières années nous ont permis de constater que la confiance est très bonne. Pour ce qui est des autorisations et de la compilation des données, GM et quatre autres entreprises se sont jointes à notre groupe cette année. Il s'agit d'un excellent partenariat, les mécanismes d'échange sont très bons et nous nous rencontrons régulièrement.

Je crois qu'avant de penser aux véhicules branchés, il faut penser à brancher les gens. Quand ce sera fait et que les gens se parleront, tout le monde va constater que nous avons besoin de nous rencontrer régulièrement.

M. Gingras : C'est très intéressant, comme question, mais c'est énorme en même temps. La réponse se situerait probablement davantage au niveau politique que scientifique. J'ai cependant quelques idées.

Premièrement, nous devons trouver le moyen d'accroître la communication et les interactions entre les différents ordres de gouvernement. C'est une question de mentalité, à mon avis. Il s'agit de problèmes extrêmement complexes, et tout le monde autour de la table devrait comprendre qu'on n'y trouvera jamais de solution si chacun essaie de tirer la couverture de son bord, que chaque partie doit faire sa part, que nous faisons partie d'un réseau mondial et que nous devons travailler main dans la main.

Toutes les organisations sont dirigées par des gens, alors pour changer les mentalités, il faut convaincre ces gens qu'il faut avoir une vision commune. Peut-être alors aurons-nous des chances de réussir.

Maintenant, pour atteindre un tel objectif, comme le disait mon collègue, ce serait sans doute bien d'avoir un ou deux projets pilotes auxquels prendraient part les différents organismes et agences. On peut penser à un genre de consortium ou de réseau dont feraient partie les établissements de recherche-développement, les partenaires de l'industrie et les organismes publics provinciaux et fédéraux. Tous ces gens devraient alors viser un seul et même but. De cette façon, ils pourraient s'acclimater les uns aux autres et trouver des solutions reposant sur une vision commune.

Je pourrais vous donner quelques exemples, mais chose certaine, il faut que les instances se parlent davantage et s'efforcent de développer une vision commune en prenant conscience que, pour trouver une solution, toutes les parties à la table devront y mettre du leur, pour vrai.

La sénatrice Bovey : Les universités diffusent-elles le contenu de leurs programmes d'études au reste du pays? J'ai déjà travaillé dans une université, je sais ce que c'est que d'élaborer des programmes d'études et je sais aussi que, parfois nous les faisons connaître, mais parfois non. Nous avons ici les représentants de deux universités de prestige. Vos établissements diffusent-ils leurs programmes d'études afin de maximiser le potentiel de formation?

M. Gingras : C'est déjà arrivé, oui. Dans l'industrie aérospatiale, par exemple, nous avons créé un programme de maîtrise conjointement avec deux ou trois universités montréalaises. En plus de l'Université de Sherbrooke, il y'avait l'ETS, Polytechnique et quelques cégeps. Ça se passe très bien. Il y a eu d'autres programmes du genre en environnement aussi.

Dans l'industrie automobile, Peter Frise, de l'Université de Windsor, et moi-même avons fondé LEGS D'AUTO21. Je me suis occupé du programme de recherche sur les systèmes et capteurs intelligents durant 15 ans. Nous avons commencé en 2000. C'est drôle, parce qu'à l'époque, quand nous parlions de véhicules autonomes, nous prêchions dans le désert. Personne n'avait jamais entendu parler de nous, et tout le monde pensait que nous étions des fous, des professeurs utopistes qui rêvaient les yeux ouverts. Mais les choses ont changé depuis la démonstration réalisée par Google, en 2008-2009, et maintenant, le téléphone ne dérougit pas.

Je me permets d'ouvrir une parenthèse pour passer un petit message, en même temps. Nous avons le programme des RCE, à l'échelon fédéral, et l'une des règles de base, c'est qu'après 14 ans, le réseau disparaît. Nous supprimons ces programmes après 14 ans. Dans les années 1980 et 1990, j'ai participé aux programmes de recherche au stade préconcurrentiel Iris et j'ai ensuite travaillé durant 15 ans au réseau AUTO21, et je peux vous dire qu'il est très difficile de voir des réseaux de recherche très fructueux et efficaces être supprimés à cause d'une simple règle, sans aucune justification. Le réseau AUTO21 était très efficace. Plus de la moitié du financement provenait de l'industrie, des constructeurs d'automobiles et des entreprises de pointe; pourtant, à cause de cette règle, nous avons éliminé le réseau. Il a été supprimé en avril 2016, et aujourd'hui, nous en avons besoin plus que jamais et nous discutons de ce que nous devrions faire au Canada. Nous détenions une partie de la solution. Nous l'avons supprimée. À mon avis, c'est une règle qu'il faudrait changer dans le programme des RCE. Je ferme la parenthèse; j'ai passé le message.

La sénatrice Galvez : Je vous remercie beaucoup de ces deux exposés très intéressants. J'en conclus que le système de transport actuel est complètement inefficace, principalement parce que nous gaspillons du carburant, que nous utilisons les voitures uniquement durant les heures de pointe et que, le reste du temps, elles restent stationnées. Cette technologie ferait-elle avancer les choses? Une révolution s'opère dans le domaine du transport. Qu'on le veuille ou non, cela se produira de toute façon, et ce sera sur le plan de l'électrification, de l'automatisation et de la connectivité. Ma question porte sur la connectivité.

Ce que je comprends, après avoir lu ces documents, c'est qu'une connectivité à courte portée a permis de réaliser tous ces progrès, mais que la connectivité par satellite permettra très bientôt d'augmenter la perception de ces véhicules automatisés. Nous disons vouloir la participation de tous les secteurs — gouvernement, municipalités, secteur privé —, mais étant donné les récents actes de piratage et les attaques par rançongiciel qui ont ciblé notamment des hôpitaux, je suis très préoccupée par le fait que la vulnérabilité augmente, car nous parlons de programmes qui contrôlent des véhicules sans conducteur qui conduiront beaucoup de gens. Nous ne parlons pas d'un logiciel libre comme Word, que tout le monde pourrait modifier. Je m'inquiète beaucoup au sujet de la sécurité.

Vous avez utilisé le mot « utopiste ». Nous nous imaginons un autobus sans conducteur et tous les gens à l'intérieur qui pourraient être la cible d'un piratage. Quelles mesures pouvons-nous prévoir afin d'empêcher que cela se produise ou de réduire le risque que cela se produise?

M. Qiu : Je songe à la façon dont les ordinateurs et Internet ont changé notre vie. Nous les utilisons depuis un certain nombre d'années. Nous affichons nos photos sur Internet et nous nous servons de cartes de crédit pour acheter bien des choses en ligne. Les nouvelles technologies ont changé notre vie et nous ont beaucoup facilité les choses, mais en même temps, elles comportent beaucoup de risques.

De même, lorsqu'il y aura des véhicules automatisés sur les routes, on pourra également se servir d'une carte de crédit ou de débit pour payer, ce qui fait que nos mots de passe seront en quelque sorte à risque. La question est de savoir comment nous pouvons rendre les véhicules automatisés aussi sécuritaires que les guichets automatiques. L'infrastructure actuelle n'est pas aussi sécuritaire parce qu'il n'y a pas d'accès privé et qu'on ne peut pas utiliser un ordinateur pour y avoir accès. Il n'y a pas assez de personnes qui cherchent à utiliser notre ordinateur afin d'accéder au contrôle et à ce qu'on pourrait concevoir. Lorsque nous saurons comment procéder, nous pourrons mettre à l'épreuve notre infrastructure.

Je pense que cela impose des exigences élevées. Nous utiliserons notre technologie existante pour assurer la sécurité de notre infrastructure. Cela changera notre perception par rapport à l'avenir et à la façon dont nous devons utiliser notre infrastructure afin de faire fonctionner les véhicules sur la route et d'exploiter notre réseau d'information. Je pense que les données feront aussi partie de la solution dans l'avenir. C'est mon avis.

[Français]

M. Gingras : Merci pour cette question très pertinente. La cybersécurité est toujours une question très importante et les gens sont très soucieux par rapport à cela. De façon générale, il ne faut pas oublier que chaque fois qu'il y a l'introduction d'une nouvelle technologie, on peut se servir de cette technologie comme d'un outil qui peut nous aider à améliorer la société ou on peut s'en servir comme une arme. Cela dépend beaucoup de la volonté des individus et, évidemment, des motifs derrière l'utilisation de cette technologie par des personnes bienveillantes ou malveillantes. Quelle que soit la technologie, on ne pourra jamais y échapper complètement.

Cela étant dit, comme je l'expliquais tout à l'heure, les systèmes de communication DSRC sont basés sur des standards développés depuis près de 20 ans qui impliquent des mécanismes de protection des données à l'aide de systèmes de clés privées et publiques doubles, donc des systèmes de cryptographie qui permettent de protéger les données et d'assurer également la validité des messages transmis et reçus par les véhicules. Maintenant, c'est vrai qu'à partir du moment où les véhicules deviennent branchés et où ils peuvent communiquer entre eux ou avec les infrastructures, cela implique une vulnérabilité, dans le sens où on peut prendre contrôle d'un véhicule à distance. Cependant, en ce qui concerne les systèmes embarqués dans le véhicule qui contrôlent la dynamique du véhicule — le freinage, l'accélération, la vitesse, le braquage, l'orientation du véhicule avec le volant et ainsi de suite — tout cela s'effectue par des systèmes isolés, des systèmes de télécommunication. En principe, les systèmes de contrôle ne sont pas couplés directement avec les systèmes de télécommunication. Il y a des pare-feu.

Il y a deux ans, une expérience a été présentée sur le Web mettant en scène une Jeep Cherokee que l'on pouvait contrôler à distance, et deux ingénieurs de l'université Carnegie Mellon ont pris le contrôle à distance de ce véhicule. Tout de suite après, le constructeur américain a modifié et amélioré le design de son système pour éviter ce genre de contrôle à distance. L'expérience a démontré qu'il fallait tout de même des connaissances très avancées pour en arriver à faire ce genre de choses. Ce n'est pas à la portée de tous, c'est vraiment très compliqué de prendre ainsi le contrôle d'un véhicule à distance.

Toutefois, effectivement, la vulnérabilité existe. Pour vous donner une idée de la crainte des constructeurs automobiles quant à cet aspect en termes de responsabilité des constructeurs, des normes ont été développées en 1995- 1996, il y a plus de 20 ans. Je me souviens que, à l'époque, tout le monde disait : « D'ici deux ans, tous les véhicules vont se parler et communiquer entre eux. La technologie existe; avec 5,9 gigahertz, il n'y a pas de problème, on va le faire. » Mais on est en 2017 et on n'a toujours pas de véhicule communicant. La raison en est fort simple : il y avait un problème majeur au niveau de la fiabilité, de la qualité des informations échangées et de la vulnérabilité des systèmes par rapport aux cyberattaques. Les constructeurs ont donc préféré attendre l'atteinte d'une maturité technologique avant de pouvoir déployer cette technologie.

Il y a aussi, en ce moment, une pression gouvernementale américaine de la part de la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) et du Department of Transportation (DOT) pour obliger les constructeurs à déployer cette technologie d'ici 2019-2020, surtout en ce qui a trait aux nouveaux modèles qui seront vendus sur le marché.

J'aimerais ajouter un dernier commentaire à ce sujet. On ne sait pas trop ce qui va arriver, parce que la norme a tout de même un certain âge — plus de 15 ou 20 ans — et que de nouvelles technologies arrivent, comme le 5G, qui est très performant. Les constructeurs sont très embarrassés, parce qu'ils sont pris à devoir intégrer dans leur véhicule une technologie DSRC qui est en train de devenir un peu désuète, alors qu'on a de nouvelles technologies sans fil de type 5G qui arrivent sur le marché et qui pourraient être plus intéressantes à déployer. C'est à suivre, et on ne sait pas encore sur quoi cela va déboucher en termes de décision et à savoir quelle technologie dominera.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : À la page où il est question de la spécificité des véhicules branchés et automatisés pour le Canada, vous pourriez ajouter un élément : les régions rurales et éloignées. On peut dire qu'il s'agit d'un enjeu pour le Canada.

Je viens de l'Île-du-Prince-Édouard. Le pont de la Confédération relie l'île au Nouveau-Brunswick, et à l'autre bout, nous avons un service de traversier entre l'Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse. J'essaie de voir comment nous établirons la connectivité et quelle incidence les véhicules automatisés auraient sur ces deux modes de transport.

M. Qiu : Lorsqu'on parle de véhicules automatisés, je pense qu'il s'agit simplement d'une interprétation générale. Nous devrions peut-être parler de transport automatisé. Il comprendrait différents modes de transport, dont le véhicule et parfois un traversier ou un bateau, comme objet automatisé.

La sénatrice Griffin : Donc, le traversier fera aussi partie du système d'automatisation? Qu'en est-il du pont?

M. Qiu : Je crois que le pont fera partie de l'infrastructure. Nous pouvons rendre le pont plus intelligent; il pourra même parler au traversier, et vice-versa. Nous nous pencherons là-dessus dans les années à venir. Le transport est comme un système. Les piétons, les bicyclettes, les véhicules et les bateaux feront tous partie du système dans son ensemble.

La sénatrice Griffin : D'accord. Cela promet d'être intéressant.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci pour vos présentations. Vous avez bien saisi le fait que nous sommes conscients de la complexité des enjeux touchant la conception des véhicules automatisés.

Ma question s'associe tout à fait à celle de la sénatrice Bovey, sans doute parce que nous sommes tous les deux issus du milieu des arts et de la culture. Nous essayons de trouver des solutions rapides à des problèmes complexes, peut- être, ou l'inverse.

Je vous ramène à la mise en situation suivante. Si vous étiez demain matin responsable de la première recommandation que vous avez proposée, qui est celle de l'élaboration d'une stratégie globale, quelles seraient vos premières actions et qui seraient vos premiers partenaires? Surtout, comment le gouvernement fédéral, qui vous donnerait ce mandat, pourrait-il vous aider, à court terme, à mettre en place cette stratégie globale?

M. Gingras : Quel serait mon salaire?

Le sénateur Cormier : Cela dépendrait de votre proposition.

M. Gingras : Sérieusement, je pense que la première étape serait de déterminer les joueurs les plus importants et d'établir une table de concertation afin d'élaborer un plan stratégique. Plusieurs étapes sont nécessaires. Je pense qu'une des niches, notamment au niveau canadien, est l'aspect de la validation des tests. J'ai parlé plus tôt de l'aspect des simulations, de la virtualisation et de tout l'aspect informatique. Il y a des aspects concernant la législation. Un des volets toucherait la façon de faire la promotion et le développement économique, et un autre volet aurait trait à la façon d'amorcer les premières phases des projets pilotes.

Vous avez peut-être entendu parler de l'idée de faire une espèce de triumvirat dans la région de Montréal avec les villes de Longueuil, de Montréal et de Blainville, afin de roder l'utilisation de véhicules en milieu urbain à Montréal, et de tester et de valider des interactions véhicules-infrastructures routières dans la région de Longueuil, à l'aide d'infrastructures qui seraient instrumentées. Bien sûr, il y a les pistes d'essai à Blainville, un site auquel il faudrait rajouter des briques technologiques de sorte qu'on puisse y valider et y tester des véhicules intelligents, communicants et autonomes. Toute la partie informatique, les ordinateurs parallèles, les simulateurs, tout cela en ce moment n'existe malheureusement pas à Blainville. Cela entraînera des coûts importants, et je pense qu'il devient urgent d'équiper le site de Transports Canada avec ces technologies pour y faire une mise à niveau et afin qu'il puisse devenir compétitif sur la scène mondiale.

Il y a beaucoup de choses à faire; j'ai parlé d'éducation tout à l'heure. On parle davantage d'un plan stratégique qui touchera différents volets. Pour chacun de ces volets, il faudrait définir des sous-comités composés d'experts des différentes provinces, du gouvernement fédéral et de diverses agences, de façon à formuler des recommandations. Cela ne se fera pas en deux semaines. Ce n'est pas quelque chose qui peut se faire à très court terme, mais je suis convaincu que, pour les véhicules autonomes et les véhicules communicants, le taux de pénétration sera beaucoup plus lent que ce que les gens s'imaginent. À ce sujet, je diverge un peu d'opinion avec mon ami Barrie Kirk, du CAVCOE. Beaucoup de gens pensent que nous serons inondés de véhicules autonomes en 2020; je n'y crois pas du tout. Un peu à l'instar des communications dédiées à courte portée (DSRC), tout le monde croyait dans les années 1990 qu'il y aurait des véhicules communicants dans un délai de deux ans et, 20 ans plus tard, nous en sommes encore à l'étape du projet pilote.

Il faut prendre le temps de bien faire les choses, mais il faut agir. Je suis d'accord avec tous les autres témoins qui ont comparu avant moi, la technologie s'en vient. C'est un train qui s'en vient et c'est à nous de le prendre, sinon, il va passer et on ne le prendra pas. Nous manquerions alors une énorme occasion de développer notre économie, notre savoir-faire et notre matière grise au Canada. Je crois qu'il s'agit vraiment d'une occasion majeure à tous les points de vue, par exemple quant aux avantages que cela va apporter à la société. Je n'ai même pas mentionné la perte de temps collective que l'on vit tous les jours dans les bouchons, dans les grandes villes, que ce soit à Toronto, à Vancouver, à Montréal. Les pertes sociales et économiques qu'on subit tous les jours à cause de ce problème sont effarantes, et on investit très peu finalement afin d'essayer d'y trouver des solutions.

Il y a une urgence, ici. On parle beaucoup de la santé, de la sécurité nationale, de la lutte au terrorisme, et cetera. Cependant, en comparaison, combien de morts sont causées par le terrorisme, annuellement, au Canada? Deux? Trois? Sur les routes, c'est de l'ordre de 2 000. Il me semble que l'on doit remettre les choses en perspective. La priorité, pour sauver des vies au Canada, devrait être de tenter de réduire le nombre d'accidents et de mettre en place des solutions pour améliorer notre système de mobilité.

[Traduction]

M. Qiu : Je suis d'accord. Il est urgent pour nous de recueillir des données probantes locales et nationales et de montrer comment les véhicules branchés et automatisés peuvent contribuer à améliorer l'efficacité de nos infrastructures. Comme je l'ai déjà mentionné, il est très facile pour les politiciens de consacrer des fonds aux projets de train léger sur rail et de transport en commun, mais les investissements dans les nouvelles technologies sont très limités actuellement.

Au Canada, nous avons développé une expertise reconnue à l'échelle mondiale dans le domaine de l'intelligence artificielle. Nous avons gagné suffisamment de respect au cours des deux dernières années, mais comment la technologie canadienne peut-elle être appliquée aux véhicules branchés et automatisés de façon à accroître les débouchés de l'industrie canadienne sur le marché mondial à l'avenir? Il nous faut plus qu'un projet pilote; pour mettre en œuvre cette initiative, il nous en faudrait au moins trois : un dans l'Ouest, un au centre et un dans l'Est.

Comme je le disais au maire d'Edmonton, Don Iveson, je veux que la mise en œuvre soit faite maintenant, mais il faut que nous puissions faire des essais aux étapes initiales. Si d'autres municipalités et d'autres provinces voulaient prendre cette initiative, je crois que cela permettrait de gagner beaucoup de temps et nous offrirait également de nombreuses nouvelles possibilités.

[Français]

Le sénateur Cormier : Comme la sénatrice Griffin l'a dit, ces projets pilotes sont très importants en milieu urbain, mais nous souhaitons que des projets pilotes soient mis sur pied également en région rurale afin que cette accessibilité soit disponible partout au pays.

La sénatrice Saint-Germain : Ma question s'adresse à vous deux et concerne l'enjeu du financement.

Pouvez-vous me dire si, à l'heure actuelle, la recherche et développement est surtout financée par l'industrie? Dans le cas où il s'agirait de financement public — donc de la part des gouvernements, quel que soit l'ordre de gouvernement —, quelles sont les perspectives de montages financiers qui permettraient un retour sur l'investissement public pour les gouvernements, et donc, pour les contribuables?

M. Gingras : Merci pour votre question qui est très pertinente. Évidemment, l'argent est toujours le nerf de la guerre. Je crois beaucoup au système gagnant-gagnant. Donc, si on retrouve, autour de la table, des gens motivés à trouver des solutions à des problèmes complexes qui dépassent leurs simples compétences locales, et si chacun met la main à la pâte, les répercussions positives de la solution retomberont, à ce moment-là, sur tous, et tout le monde y gagnera au final.

Il faut essayer de développer une vision plus à long terme et des retombées qui vont au-delà d'un seul mandat politique de trois ou quatre ans. La plupart de ces investissements prendront du temps. Il faut du temps pour développer des solutions de cette complexité. Je crois qu'il est important que l'industrie y contribue. Maintenant, cela dépend du rôle et de la contribution de tout un chacun. Il y a plusieurs formules possibles, mais à la base, je crois qu'il est important que chacun y mette du sien. Donc, s'il y a une contribution gouvernementale — fédérale, provinciale, ou municipale —, les entreprises qui participent au projet seront en mesure de développer des gammes de produits, des compétences qu'elles pourront éventuellement exporter. Il faut voir aussi la possibilité d'exporter notre savoir-faire, nos capacités tout en les exploitant bien sûr, ici, à l'interne. Je crois donc qu'il est vraiment important de trouver une solution de ce type pour les contribuables, dont je fais partie.

[Traduction]

M. Qiu : Je pense que c'est intégré en deux phases; l'une est pour un projet pilote, et pour mon projet, le premier est en fait du gouvernement fédéral. Infrastructure Canada a accordé une subvention de 1,3 million de dollars pour le projet pilote, seulement pour réaliser la conception et le plan, puis pour l'installation de l'infrastructure, sur le réseau routier, et la mise à l'essai. C'était en 2014, et cela s'échelonne sur trois ans. Le gouvernement fédéral et Infrastructure Canada ont versé un montant, comme un fonds de l'ACDI, puis une contribution en nature pour la mise en œuvre.

Nous terminerons le projet avant la fin de septembre cette année. En fait, nous avons déjà terminé, et en ce qui concerne la mise en œuvre, la Ville d'Edmonton est prête à investir des fonds.

C'est donc davantage comme la première étape, celle de la mise à l'essai, sur trois ans. Ils envisagent d'intégrer des véhicules branchés à leurs opérations. Ils serviraient par exemple pour le transport en commun, les véhicules d'incendie et les véhicules d'entretien hivernal, et aussi, maintenant, pour leur nouvelle voiture, comme GM. Je pense qu'il est bon que des municipalités ou des gouvernements provinciaux veuillent utiliser leurs fonds de capital de risque pour investir.

La deuxième étape est liée au fonctionnement. Comme je l'ai mentionné, on veut que le véhicule branché soit une plateforme intégrée, ouverte et axée sur les données. C'est une façon d'utiliser pleinement l'investissement. Nous pouvons utiliser la même intersection et n'investir qu'une seule fois, mais nous servir des fonds pour brancher différents véhicules — de transport en commun, d'incendie. Pour le gouvernement, c'est un moyen d'économiser de l'argent.

Voilà comment nous devons réduire les chevauchements. Nous ne voulons pas d'une solution qui propose de prendre isolément chaque élément du système de transport en commun, par exemple le fonctionnement, la mise en œuvre du réseau, et les renseignements aux passagers. Il nous faut une solution intégrée. Le véhicule branché est la façon de favoriser l'intégration.

En ce qui concerne les véhicules automatisés, j'ai parlé à des représentants de la Ville d'Edmonton à plusieurs reprises, ainsi qu'au conseil municipal. Nous avons eu une réunion en mars dernier, et ils ont approuvé le travail réalisé avec l'Université de l'Alberta, et nous voulons entreprendre le projet pilote pour le château automatisé à Edmonton.

C'est une façon pour eux de penser qu'ils ont beaucoup d'argent, des millions de dollars pour le TLR, mais ils se sont demandé quelle incidence cela aura sur la planification actuelle de l'investissement pour le TLR si, dans 10 ou 20 ans, ils disposent déjà de la technologie automatisée.

Il faut un chef de file qui pensera à ces questions de façon proactive.

La sénatrice Galvez : Je réfléchis au problème d'intégration parallèlement au travail que nous accomplissons au Sénat. Voyez-vous, il s'agit d'un problème ou d'un enjeu disciplinaire. Les projets de loi touchent les infrastructures, les communications, l'industrie automobile et la sûreté et la sécurité. Par conséquent, je ne crois pas que, de notre temps, nous arriverons à tout combiner, mais peut-être que nous devons suivre un ordre de priorités quelconque. Ainsi, si nous nous attaquons aux politiques et aux projets de loi, quel ordre devrions-nous respecter, à votre avis, afin de vous suivre, c'est-à-dire l'industrie?

[Français]

M. Gingras : Si je peux me permettre de répondre à votre question, je vois deux ou trois priorités. D'abord, le Canada doit travailler en amont, c'est-à-dire s'impliquer activement dans le développement des normes. Donc, il doit maintenir une présence importante auprès de ses collègues du DOT et de la NHTSA à Washington. Transports Canada l'a déjà fait dans le passé, par exemple avec Intellidrive; Barry Pikilis, un bon ami à moi, a comparu devant vous il y a quelque temps. C'est très important pour le gouvernement fédéral d'être impliqué dans le processus de développement des normes.

Le deuxième point a trait, à mon avis, à la génération des projets pilotes. Je pense que les projets pilotes, c'est un bon départ, surtout lorsqu'il y a une volonté locale. Par exemple, il y a en ce moment le maire de Montréal, Denis Coderre, qui veut faire de la ville l'une parmi les plus intelligentes au monde. Il a un plan stratégique. Récemment, il y a eu des essais avec des navettes autonomes Navya et Keolis. Ces gens travaillent dans ce dossier, et je pense que cela pourrait être intéressant. Pour moi, cela correspond à des occasions où les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux et les entreprises privées peuvent travailler ensemble afin de faire de ces projets pilotes des succès. À partir de ces projets pilotes, on peut gagner de l'expérience et des connaissances, on peut faire progresser le savoir-faire et, après, envisager un déploiement législatif à plus grande échelle.

À court terme, à l'instar de la province de l'Ontario, par exemple, il faudrait peut-être envisager très rapidement de développer une législation fédérale et des lois provinciales de façon à autoriser des projets pilotes impliquant des véhicules connectés et des véhicules en conduite automatisée. Par exemple, au Québec, il n'y a toujours aucune législation par rapport à cela. Chaque fois qu'on veut faire un petit projet pilote, il faut en demander l'autorisation au ministère des Transports du Québec. C'est de la paperasse. Ce serait une priorité à court terme : éliminer les obstacles et favoriser l'élaboration de projets pilotes et de normes. Ce sont les deux choses sur lesquelles on devrait travailler à court terme.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : La Society of Automotive Engineers nous a remis un tableau des niveaux d'automatisation des véhicules. Vous le connaissez probablement. À l'heure actuelle, on se situe probablement au niveau un — aide à la conduite —, où des systèmes contribuent effectivement à la conduite. On se dirige sans doute vers le niveau deux, soit l'automatisation partielle qui s'occupe de systèmes automatisés qui prennent en charge autant la direction que l'accélération et la décélération. Je crois que ce niveau est utilisable en tout temps.

Le niveau trois est peut-être un grand pas en avant. Il s'agit d'un pas vers l'automatisation conditionnelle : un conducteur est toujours derrière le volant pour réagir adéquatement, au besoin. Je ne sais pas dans combien de temps vous croyez qu'il y aura des véhicules de niveau trois sur les routes. Ce type de véhicule me fait penser au cockpit d'un gros avion commercial où on passe la majeure partie de son temps sur le pilote automatique, mais où on y trouve des humains, juste au cas.

Ensuite, on passe aux niveaux quatre et cinq. Je présume qu'on peut prétendre que, au moment où l'automatisation devient élevée ou complète, il n'y a plus de conducteur, mais bien un passager en tout temps. Par contre, il me semble que, au cours des phases de transition — il faudra sûrement plusieurs décennies avant d'aboutir à des véhicules de niveau quatre ou cinq —, le gouvernement devrait au moins exiger qu'une personne soit aux commandes de la voiture ou qu'elle soit en mesure de les prendre si des problèmes surviennent. Par conséquent, dans combien de temps ce type de changement se produira-t-il? À quel moment le conducteur ne sera plus vraiment nécessaire et qu'il deviendra un simple passager?

M. Gingras : Merci de cette question très intéressante. Nos opinions divergent un peu concernant le niveau d'automatisation atteint jusqu'à maintenant. Si on regarde certains des modèles de Volvo, de Mercedes ou de Tesla qui possèdent des pilotes automatiques, on se rapproche du niveau 2,5, voire du niveau trois, à l'heure actuelle. Il existe déjà des systèmes de prévention des collisions et des systèmes automatiques de freinage de secours. Ils ne sont pas encore parfaits, mais ils sont commercialisés et ils sont offerts sur plusieurs modèles de différents équipementiers automobiles.

Cela dit, je suis d'accord pour dire que le grand pas en avant, c'est la transition entre le fait d'avoir un conducteur responsable et l'absence totale de conducteur. Si je veux faire preuve d'honnêteté et d'indépendance en tant que témoin, je dois dire que, selon moi, les équipementiers automobiles ne sont absolument pas pressés de vendre des voitures qui n'ont pas besoin de conducteur. Il faudrait qu'ils retirent le volant et les pédales, un peu comme tente de le faire Google.

Leur première raison repose sur leur modèle opérationnel. Les équipementiers automobiles existent pour réaliser des profits et vendre des voitures. S'ils veulent vendre des voitures, ils ne veulent pas modifier le modèle opérationnel. S'ils ne veulent pas modifier le modèle opérationnel, ils veulent que le conducteur reste derrière le volant.

La deuxième raison, c'est un problème de responsabilité. S'ils retirent le conducteur de l'équation, cela signifie qu'ils prennent la responsabilité, un peu comme dans la déclaration de Volvo. Si le pilote automatique de la voiture est engagé, la société assume l'entière responsabilité de l'accident. Elle couvre tout, peu importe ce qui arrive. Que la voiture soit en cause ou non, elle s'en occupe. L'entreprise prend le risque parce qu'elle a confiance dans son système. Néanmoins, la plupart des équipementiers automobiles ne sont pas prêts à en faire autant à l'heure actuelle. C'est un énorme problème. Cette situation peut causer de nombreux rappels et d'importants frais d'assurances.

Essentiellement, s'il n'y a plus du tout de conducteur et que la responsabilité est renvoyée au constructeur, soit l'équipementier automobile, celui-ci deviendra aussi une compagnie d'assurances. Ainsi, les équipementiers automobiles ne sont vraiment pas pressés d'adopter cette pratique parce que la majeure partie de l'argent qu'ils font en ce moment provient de la vente d'unités, c'est-à-dire de la vente de voitures. Tant que la responsabilité reposera sur les épaules du conducteur, la situation sera beaucoup moins problématique pour eux. C'est beaucoup moins cher ainsi.

Cela dit, je crois qu'il existe d'autres facteurs. Par exemple, Uber utilise actuellement le niveau trois à Pittsburgh ou à Singapour, à Phoenix, peu importe. Le niveau trois est utilisé dans leur flotte de véhicules. La plupart du temps, il y a deux ingénieurs assis devant. Ils surveillent la voiture lorsqu'elle roule sur le pilote automatique et ils recueillent des données dans les véhicules instrumentés. Les données sont ensuite transférées dans une énorme base de données. Il s'agit d'essais opérationnels sur le terrain.

Dernièrement, nous avons eu accès aux statistiques de l'expérience de Pittsburgh. La flotte de véhicules d'Uber roule entre 10 000 et 20 000 kilomètres par semaine. Il est intéressant de souligner que, au cours de la dernière année et demie, l'entreprise a recueilli dans l'ensemble des statistiques sur des millions de kilomètres. L'humain doit intervenir pour reprendre les commandes de la voiture en moyenne à tous les kilomètres. Par conséquent, on est encore très loin d'un véhicule autonome.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de vous poser une question à ce sujet. Vous parlez des équipementiers automobiles, soit de l'industrie automobile traditionnelle. Tesla est peut-être le nouveau constructeur marginal de l'industrie, mais il y a aussi Google et Uber désormais. Une foule d'acteurs s'intéressent au secteur.

Ces acteurs n'utilisent pas l'analyse de rentabilité traditionnelle. Ils ont un autre objectif en tête : l'extraction des données — des tonnes de données. Le sentiment général est que, à l'avenir, on gagnera plus d'argent grâce aux données et qu'il vaudra mieux offrir un service que de fabriquer et de vendre des voitures comme autrefois. Pouvez-vous insérer cette donnée dans l'équation?

M. Gingras : Je suis d'accord avec vous à ce sujet. Le problème, c'est que cela prendra du temps. Ces personnes ne construisent pas des voitures, et le volume de voitures qu'ils produisent est encore faible. Il existe des alliances entre ces personnes et les équipementiers automobiles traditionnels. La situation évoluera.

La société Volvo dominera-t-elle grâce à une alliance avec Uber ou est-ce Google avec un autre équipementier automobile qui l'emportera? Je persiste à croire que, à court terme — disons d'ici 10 à 15 ans —, si l'une de ces entreprises prévoit un déploiement à grande échelle de véhicules, elle aura conclu une sorte d'alliance avec les constructeurs d'automobiles traditionnels. Il se peut que ce soit avec des entreprises de niveau 1, comme Magna, par exemple, qui produit des véhicules. Cela dépend. Je n'ai pas de boule de cristal, et la situation peut évoluer de différentes façons. Il est difficile de prédire ce qui arrivera dans cinq ou dix ans.

Le sénateur Eggleton : Par contre, il faudra tout de même quelqu'un derrière le volant pendant encore longtemps.

M. Gingras : Oui.

M. Qiu : J'ai peut-être une opinion différente. Dans le domaine des véhicules automatisés, on remarque deux types de groupe. L'un des groupes est constitué de l'industrie automobile traditionnelle et l'autre groupe comprend les géants des TI, comme Uber et Google. Tesla se situe entre les deux.

Google et Uber tentent d'élaborer un nouveau modèle opérationnel afin d'exploiter l'automatisation comme un service. Il s'agit de la façon de penser traditionnelle d'Internet. Les constructeurs de véhicules traditionnels essaient de vendre de plus en plus de voitures. C'est le modèle commercial traditionnel.

Au cours des dernières années, on a remarqué une situation très intéressante, soit qu'un certain nombre de constructeurs de véhicules mènent des essais avec des véhicules automatisés. J'ai discuté avec des représentants de deux constructeurs de véhicules. Ils craignent qu'avec le temps, ils vendront de moins en moins de véhicules. En tant que constructeurs de véhicules, s'ils vendent moins de véhicules, c'est très problématique pour eux. Par conséquent, ils vont maintenant tenter de travailler avec les géants des TI pour construire des véhicules automatisés afin de les offrir comme un service.

Il est si difficile de prédire la technologie. Il y a seulement 20 ans, on ignorait comment les TI et Internet changeraient la vie des gens. Qu'est-ce qui nous guette dans cinq ans? On l'ignore. Peut-être que, sous peu, le transport sera offert sous forme de service, un peu comme Uber a changé la façon d'utiliser le taxi.

Le gouvernement fédéral et les chercheurs doivent trouver une façon proactive de travailler afin de mieux se préparer à l'avenir plutôt que de rester passifs. Peut-être que, plus tard, il faudra dépenser beaucoup d'argent.

Le président : Merci, messieurs Gingras et Qiu, de votre coopération aujourd'hui. Il se peut que nous acceptions votre invitation, monsieur Qiu. Vous nous avez accueillis la dernière fois, alors nous pouvons probablement recommencer. À propos, nous avons dû retarder le voyage à Waterloo en raison d'un problème de participation. Nous le ferons en septembre. Cela dit, puisque des représentants de l'Université de Waterloo témoigneront devant nous le 30 mai, nous obtiendrons tout de même des renseignements.

Demain soir, nous entendrons le témoignage de représentants de l'Association des industries de l'automobile du Canada et de l'Association des fabricants de pièces d'automobile.

(La séance est levée.)

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