Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 18 - Témoignages du 31 mai 2017
OTTAWA, le mercredi 31 mai 2017
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, en séance publique et à huis clos, pour poursuivre son étude des questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
[Traduction]
J'ai le plaisir de vous présenter notre premier groupe de témoins composé de David Adams, président des Constructeurs mondiaux d'automobiles du Canada, et de Stephen Beatty et Dave Nichols, de Toyota Canada.
[Français]
Messieurs, je vous invite à faire votre présentation. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.
[Traduction]
David Adams, président, Constructeurs mondiaux d'automobiles du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président et honorables sénateurs. J'apprécie l'occasion qui m'est donnée de revenir devant votre comité. Vous avez mon mémoire en main et je ne vais pas vous parler de l'association en tant que telle, préférant m'attarder à mon mémoire plutôt que de m'étendre sur qui nous sommes, ce qui devrait sauter aux yeux à la lecture de ce document.
Nous apprécions donc cette occasion de témoigner devant vous sur ce sujet important. Nos membres suivent les travaux de votre comité et nous avons cru comprendre que vos membres entretiennent certaines préoccupations qui sont sans doute communes à celles de la majorité des Canadiens en ce qui a trait aux technologies des véhicules branchés et des véhicules automatisés.
Il est notamment question : de la capacité des conducteurs à comprendre et à utiliser les technologies équipant ces types de véhicules; de la protection des renseignements personnels des conducteurs, quand leur véhicule est relié à l'Internet des objets; de la répartition de la responsabilité civile en cas d'accident de véhicules automatisés; de la sécurité des véhicules branchés et de la possibilité de pirater de tels véhicules; des défis entourant l'interface homme-machine dans un véhicule automatisé; des problèmes que pose la coexistence, sur la route, de véhicules automatisés et de véhicules non automatisés, ainsi que de la transition d'un type à l'autre; des coûts d'automatisation des véhicules quant à leur incidence sur le bouleversement du marché du travail découlant de l'automatisation et des coûts d'infrastructure dus à des niveaux accrus de connectivité entre les véhicules et les infrastructures routières; et, enfin, du régime réglementaire nécessaire pour faciliter et encadrer la mise en service de véhicules automatisés et de véhicules branchés.
Mon association est d'avis que les premiers principes alimentent le choix de définitions appropriées pour les termes « véhicule automatisé » et « véhicule branché ».
Un véhicule automatisé, du point de vue de l'industrie automobile, n'est pas un véhicule « autonome » ou « sans chauffeur », mais plutôt un véhicule qui présente différents degrés d'automatisation en vertu de la norme J3016 de la Society of Automotive Engineers, laquelle définit six niveaux de véhicules automatisés.
Je crois que d'autres témoins vous ont parlé de ce que signifient ces divers degrés d'automatisation.
En général, les véhicules branchés appartiennent à deux catégories. La première concerne le confort des passagers et l'infodivertissement déterminés par le fait que le véhicule est relié à Internet; il s'agit de véhicules branchés à l'Internet des objets ou V2X, au sens large du terme.
La deuxième catégorie de connectivité concerne la communication de véhicule à véhicule et de véhicule à l'infrastructure qui ne dépend pas forcément d'Internet, mais plutôt de l'utilisation d'un système de communications spécialisées à courte portée, ou CSCP, utilisant une bande passante de spectre défini, dans la gamme des 5,9 gigahertz. Grâce à un tel système, les véhicules peuvent communiquer entre eux et avec des infrastructures pour réduire, voire pour éliminer le risque d'accident, pour limiter la vitesse d'un flot de véhicules, pour maximiser la capacité d'accueil des axes routiers et pour améliorer la fluidité de la circulation. Il est aussi possible de signaler les accidents et les incidents routiers survenus au-delà du champ de vision et d'améliorer la consommation globale des véhicules.
Mon association est d'avis que les problèmes liés aux progrès soutenus des véhicules automatisés et des véhicules branchés ne sont pas d'ordre foncièrement technique, bien qu'il y en ait, mais qu'ils sont plutôt d'ordre réglementaire, éthique, informatique et juridictionnel.
Il est essentiel de parvenir à une uniformité réglementaire tant au Canada qu'à l'échelle internationale afin de s'assurer que les véhicules automatisés et les véhicules branchés pourront franchir sans encombre les frontières interprovinciales et internationales. En outre, les protocoles d'essai et les exigences en matière de conformité devraient être compatibles d'un pays, d'un État ou d'une province à l'autre.
Il importe notamment de veiller à ce que les véhicules peu rapides soient soumis à leurs propres exigences réglementaires étant donné que, dans presque tous les cas, ces véhicules ne respectent aucune norme de sécurité prescrite pour les véhicules à moteur au Canada, cela pour garantir le même type de protection aux occupants que ce qui est exigé pour des véhicules légers.
S'agissant des communications V2V et V2I, il est important que le gouvernement conserve la bande des 5,9 gigahertz, qui a été réservée, en Amérique du Nord, à des communications de qualité entre les véhicules et les infrastructures grâce à la technologie CSCP que je viens de mentionner.
Jusqu'ici, c'est la meilleure technologie qui soit étant donné sa faible latence, soit sa capacité à reconnaître et à transmettre des données en quelques millisecondes, sa fiabilité ainsi que sa capacité à permettre l'authentification des messages. Aux États-Unis, le spectre des 5,9 gigahertz est actuellement convoité par les entreprises de télécommunications étant donné la faible amplitude de la bande passante disponible.
La technologie des véhicules automatisés évolue rapidement, trop rapidement pour permettre l'élaboration de normes ou de règlements fondés sur des hypothèses encore mal connues ou non éprouvées. Cette situation risque de bloquer malencontreusement l'innovation. Il sera important, pour le Canada, de maintenir la collaboration avec les centres de R-D participant à la mise au point de véhicules automatisés et de véhicules branchés, tout autant que d'appuyer la recherche et le développement ici, si le Canada compte miser sur ses forces et ses capacités dans ce domaine et continuer d'acquérir des compétences dans ces technologies, maintenant et dans un proche avenir.
Je vais m'arrêter là et je serai heureux de répondre plus tard aux questions. Merci beaucoup.
Stephen Beatty, vice-président, Entreprise, Toyota Canada Inc. : Monsieur le président et honorables sénateurs, au nom de Toyota, je vous remercie de nous donner l'occasion de vous faire cet exposé. Je tiens à vous féliciter pour le travail très important que vous accomplissez. Vous avez affaire à des questions à la fois importantes et complexes qui exigent précisément le type d'attention que vous apportez au dossier.
Avant d'entamer mes remarques officielles, je tiens à vous parler un peu de Toyota. Notre compagnie détient davantage de brevets dans le domaine des technologies de véhicules automatisés que tout autre fabricant, tant dans le secteur de l'automobile que dans d'autres industries. Au Canada, Toyota est maintenant le fabricant qui produit le plus de véhicules, et nous jugeons donc important de participer à des études comme la vôtre afin de contribuer à la formulation de bonnes politiques publiques.
Nous sommes évidemment favorables aux avancées technologiques, car elles apportent de nombreux avantages sociétaux. Elles peuvent éliminer les collisions, fluidifier la circulation et procurer des avantages environnementaux significatifs. Toutefois, nous en sommes encore loin. En effet, les scénarios possibles dépassent largement la compétence des machines. Il faudra encore de nombreuses années de recherche et développement et des milliers de kilomètres d'essai pour concevoir des véhicules entièrement autonomes offrant des performances et une fiabilité acceptables.
Pour y parvenir, nous avons un certain nombre de requêtes initiales que je vais vous présenter dans mes propos liminaires. Mais tout d'abord, permettez-moi de faire le point sur nos travaux en ce qui concerne les véhicules branchés et automatisés.
Toyota explore deux pistes de recherche pour améliorer ses véhicules avec des technologies de mobilité autonome. Nous les appelons « Gardien » et « Chauffeur ». Dans un véhicule Toyota ou Lexus, les technologies « Gardien » sont constamment activées. Elles surveillent le véhicule et son environnement, et interviennent uniquement quand la situation l'exige.
La fonction de freinage d'urgence automatique de Toyota en est un bon exemple. Ce système fait partie de la suite Toyota Safety Sense, un équipement de série que l'on trouve sur la plupart des modèles commercialisés par Toyota cette année. La gamme Lexus bénéficie du même équipement.
Les technologies « Chauffeur », d'un autre côté, se substituent au conducteur humain et prennent entièrement les commandes. Entre autres avantages, ces technologies permettront d'offrir une plus grande liberté de mouvement aux personnes incapables de conduire.
Les technologies « Gardien » et « Chauffeur » utilisant le même matériel et les mêmes logiciels, l'approche qui consiste à explorer deux pistes en même temps permet à Toyota d'introduire de nombreux systèmes de sécurité perfectionnés sur ses modèles actuels, afin de sauver des vies dès aujourd'hui. Cela permet également à Toyota de suivre un itinéraire d'évolution ininterrompu en vue de développer un jour des véhicules entièrement autonomes.
Qu'elles améliorent les aptitudes de conduite ou qu'elles se substituent entièrement aux conducteurs, ces technologies sont conçues pour sauver des vies. Toyota a donc mis en place un ambitieux programme d'essais afin de mettre à l'épreuve ces systèmes, dont certains sont déjà offerts aux automobilistes canadiens.
Compte tenu de notre vaste expérience dans le lancement de nouvelles technologies — des systèmes de sécurité aux véhicules hybrides —, nous avons quatre requêtes à formuler au comité. Tout d'abord, Toyota exhorte toutes les parties prenantes à utiliser un vocabulaire commun pour toutes les politiques relatives aux systèmes automobiles automatisés.
Comme l'ont fait ressortir nos recherches, tous les Canadiens n'ont pas la même idée des possibilités et des limites de la technologie de voiture autonome. Avant d'aborder les avantages et les inconvénients associés à ces technologies, il est important de s'assurer que nous partageons une compréhension commune du sujet qui nous intéresse. Tout comme nos collègues des Constructeurs mondiaux d'automobiles du Canada, nous sommes portés à adopter la norme de la SAE.
Deuxièmement, Toyota a un certain nombre de demandes à formuler concernant la réglementation. Nous avons besoin d'une série de lignes directrices nationales fortes. De fait, dans le contexte nord-américain, des lignes directrices élaborées dans le cadre de la prochaine renégociation de l'ALENA aideraient les constructeurs automobiles à développer et à essayer des technologies de véhicules autonomes sur tout le continent. Cela vaudrait mieux qu'une mosaïque incohérente de politiques provinciales ou infranationales.
Il faudra peut-être réviser, voire éliminer, les exigences techniques actuelles si elles sont incompatibles avec un véhicule hautement automatisé qui ne respecte pas les règles de la conception traditionnelle, comme un véhicule sans volant.
Nous encourageons les décideurs politiques à réglementer uniquement lorsque c'est vraiment indispensable. La technologie des véhicules automatisés évolue très vite. L'élaboration prématurée de règlements sur la base d'hypothèses inconnues ou non vérifiées constituerait un obstacle à cette évolution.
Troisièmement, nous vous demandons d'autoriser les entreprises ayant des antécédents reconnus dans le développement et les essais de technologies de sécurité automobile à mener des essais dans des conditions réelles, notamment sur la voie publique.
Le défi pour les décideurs politiques consiste à créer un cadre réglementaire qui ne soit pas contraignant pour les fabricants responsables ayant créé des technologies de sécurité automobile, comme Toyota, tout en mettant en place les garanties appropriées à l'intention des entreprises moins expérimentées dans ces domaines. L'évaluation des meilleures pratiques et des expériences d'autres pays devrait permettre de trouver un juste équilibre.
Depuis des décennies, les constructeurs automobiles sont autorisés à expérimenter leurs technologies sur la voie publique, ce qui a profité à tous les usagers de la route. Nous vous demandons de maintenir cette pratique pour les technologies de véhicules autonomes.
Notre quatrième requête concerne le partage et la confidentialité des données. Avant d'adopter une politique sur le partage des données, nous demandons que toutes les parties prenantes puissent travailler ensemble afin de ne pas retarder délibérément l'innovation et de ne pas compromettre la sécurité.
Le partage des données nous aidera à développer des technologies plus efficaces, et le jeu en vaut la chandelle. En revanche, les données mal interprétées pourraient décourager le développement. Par exemple, les ingénieurs pousseront intentionnellement un système jusqu'au point de rupture pour tirer les enseignements de la défaillance et améliorer sa robustesse. Cependant, l'utilisation de ces données pour évaluer l'efficacité d'un système pourrait encourager les développeurs à assouplir les conditions de leurs essais dans le dessein de rassurer le public.
C'est pourquoi nous devons préciser quelles données peuvent être partagées, veiller à ce que la source des données soit anonyme, et déterminer qui pourra accéder à ces données — et à quelles fins.
Pour résumer, je dirais que Toyota est optimiste quant aux avantages que les technologies de véhicules autonomes peuvent apporter aux consommateurs canadiens. Mais nous sommes aussi conscients des nombreuses difficultés qui restent à régler à la satisfaction des parties prenantes pour profiter pleinement de ces avantages.
C'est pourquoi Toyota est ravie que le comité ait accepté de tenir ces audiences. Je vous remercie, et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et à vos commentaires.
Le président : Je tiens à rappeler aux sénateurs que, mercredi, Toyota organise une démonstration de véhicules alimentés à l'hydrogène sur la Colline et je les invite à y participer s'ils le peuvent.
Cela étant posé, quand vous dites que le vocabulaire est créé en cours de route, c'est la première fois que j'entends les mots « Gardien » et « Chauffeur » dans ce sens, mais je pense que c'est tout à fait approprié.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Adams, dans vos remarques liminaires — et vous avez dit à peu près la même chose, mais différemment, monsieur Beatty —, vous avez indiqué que la technologie des véhicules évolue très rapidement, beaucoup plus rapidement en fait que les normes ou les régimes réglementaires qui sont encore fondés sur des hypothèses ou des raisonnements non éprouvés, ce qui risque de ralentir l'innovation.
Nous ne voulons certainement pas entraver l'innovation. Nous comprenons tout à fait le problème, et d'autres nous ont dit qu'il était temps que le gouvernement se mette au parfum plutôt que de toujours adopter des lois après coup. Nous sommes là pour conseiller le ministre des Transports qui nous a demandé de nous pencher sur ce dossier et de lui faire part de nos recommandations.
Que pourriez-vous recommander de particulier? Vous avez parlé d'un équilibre, monsieur Beatty. C'est très bien, mais nous voilà pris entre les deux pôles d'une même réalité. Disposons-nous des bons règlements en place en vue d'accueillir toute cette nouvelle technologie ou allons-nous nous retrouver en train de réagir?
M. Beatty : Je pourrais peut-être commencer par répondre à la première partie de votre question.
Jusqu'ici, quand nous mettons de nouvelles technologies sur le marché, nous travaillons en étroite collaboration avec Transports Canada en respectant les protocoles administratifs tout autant que les exigences réglementaires. Comme nous sommes un équipementier automobile, nous pouvons tester nos véhicules sur les routes canadiennes. Nous le faisons en vertu d'un ensemble très strict de protocoles que nous établissons pour garantir la sécurité du public.
Nous nous appuyons sur une culture de longue date et sur un ensemble de pratiques communes à l'industrie et à Transports Canada qui nous permettent de réaliser nos essais de façon contrôlée et efficace. Je reconnais cependant que beaucoup d'entreprises ne sont pas habituées à ce genre de structure, que cela est nouveau pour elles. Beaucoup d'entreprises de haute technologie, par exemple, éprouveront de la difficulté à comprendre ces protocoles. Nous devons donc trouver une nouvelle façon de ratisser plus large, si l'on peut s'exprimer ainsi.
M. Adams : Vous venez de poser une question tout à fait valable que j'apprécie. Personne ne préconise un système à la va-comme-je-te-pousse, mais, comme nous l'avons tous deux indiqué dans nos remarques liminaires, il faut éviter de freiner l'innovation.
Comme je le disais et comme le disait aussi M. Beatty, je crois, il est possible, à partir de ce qui se fait aux États- Unis, de « canadianiser » le travail déjà réalisé.
L'automne dernier, par exemple, le gouvernement américain a produit un ensemble de lignes directrices pour les véhicules automatisés qui s'articulent autour de 15 principes. Les fabricants sont invités à les consulter avant d'installer des systèmes automatisés à bord de leurs véhicules. Je pense que ce genre de démarche est tout à fait sensé. Voilà une chose à quoi nous devrions travailler en collaboration avec les Américains.
Comme d'autres témoins vous l'ont dit, le Conseil de coopération en matière de réglementation Canada-États-Unis sur les véhicules branchés a déjà entrepris un travail à cet égard, travail qu'il conviendrait de poursuive.
Je vais m'arrêter là pour le moment.
Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de vous poser une autre question. Vous avez parlé de l'expérience américaine et il se trouve que nous sommes un peu au courant de ce qui se passe chez notre voisin. Êtes-vous au courant de tendances particulières qu'il vaudrait la peine de suivre plus que d'autres ou, au contraire, que nous devrions éviter?
M. Adams : Pour en revenir à ce que nous disions, il est important d'appréhender la réglementation sous un angle pancanadien plutôt que de façon fragmentaire, province par province. Aux États-Unis, 39 États envisagent d'adopter des règlements, chacun de leur côté, et 13 d'entre eux, je crois, l'ont déjà fait. Je crois qu'il s'agit là d'une catastrophe annoncée parce que les Américains ne parviendront pas à l'homogénéité en travaillant ainsi.
Le sénateur Eggleton : Il faut adopter une approche nationale?
M. Adams : Bien sûr. Et c'est Transports Canada qui doit prendre les rênes en main.
Le sénateur Eggleton : Il arrive souvent, à ce comité, que des témoins nous parlent de la technologie des véhicules électriques comme si elle allait naturellement de pair avec les véhicules automatisés et les véhicules branchés.
Est-ce en partie ce que vous envisagez à Toyota? Voyez-vous un lien entre les deux?
M. Beatty : À l'évidence, on constate une évolution sur les deux fronts, en ce qui concerne les technologies de propulsion et l'automatisation des véhicules, mais les deux ne sont pas liées.
Nous équipons chacun de nos véhicules de dispositifs de connectivité et d'automatisation, ce qui explique pourquoi, comme je l'ai dit dans mon exposé, la plupart des véhicules que nous vendons aujourd'hui sont munis de dispositifs de sécurité automatisés qui font partie de notre gamme de produits Toyota Safety Sense. Il s'agit d'un ensemble de dispositifs en évolution constante, que nous faisons toujours progresser.
Il convient de retenir que nous équipons déjà nos véhicules de multiples capteurs, en prévision de l'automatisation future, de sorte que nous disposerons a priori de tous les détecteurs voulus dans l'avenir à un coût abordable pour le consommateur.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup pour votre exposé qui a été très intéressant. Nous étudions ce sujet depuis quelques mois déjà et nous commençons à nous en faire une meilleure idée. Je m'interroge à propos du rythme différent auquel sont mis au point les différents éléments nécessaires pour que le projet devienne réalité.
Les progrès et la pénétration de ces véhicules sont exponentiels. Tout se déroule à une rapidité effarante. Cependant, on nous a parlé des infrastructures nécessaires, c'est-à-dire des lieux où ces voitures pourront circuler, et certains affirment qu'elles fréquenteront les mêmes axes routiers que les autres véhicules. D'autres disent le contraire, faisant remarquer qu'elles auront besoin de feux de circulation et d'accessoires différents pour le contrôle de la circulation.
Sur un plan purement pratico-pratique, entre Québec et Montréal, par exemple, il n'existe que quelques postes où de tels véhicules peuvent se brancher et recharger leur batterie. Si les infrastructures n'évoluent pas au même rythme que les véhicules eux-mêmes et si les infrastructures nécessaires ne sont pas en place, alors qui va acheter et conduire ces voitures? Pour quel type de clients va-t-on construire ces véhicules? Les gens pourront-ils se les offrir?
Pouvez-vous m'éclairer par vos réflexions sur ce que l'avenir nous réserve?
M. Adams : Je vais commencer et je laisserai Stephen continuer.
Vous venez de soulever une question importante. S'agissant de véhicules automatisés, on en revient aux propos de M. Beatty, soit qu'il faut définir exactement ce dont on parle.
Dans le cas des véhicules automatisés, on se trouve en présence de deux écoles de pensée. Je veux dire par là que les acteurs de l'industrie automobile, comme M. Beatty l'a souligné, automatisent de plus en plus leurs véhicules, génération après génération. Leur intention est évidemment de produire des véhicules qui pourront emprunter les mêmes routes et autoroutes qu'aujourd'hui.
L'autre école de pensée, à l'extrémité du spectre, est celle de compagnies comme Google avec sa voiture électrique sans chauffeur et sans le reste. Il s'agit de deux écoles en matière d'automatisation. Nous verrons peut-être de tels véhicules sans chauffeur, mais sur des routes balisées par des systèmes géoenvironnementaux, plutôt que de nous retrouver avec une circulation mixte, constituées de véhicules construits par les fabricants traditionnels et présentant différents degrés d'autonomie.
Voilà, selon moi, ce à quoi il faut s'attendre. À un moment donné, on en arrivera peut-être à un stade où tous ces véhicules fréquenteront les mêmes axes routiers, mais je crois qu'il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
M. Beatty : Je suis d'accord avec cela. Quand on pense à la longévité d'un véhicule construit aujourd'hui, d'un véhicule qui fréquente notre réseau routier, on peut supposer que celui-ci sera encore là dans une bonne dizaine d'années. De nos jours, un véhicule au premier degré d'autonomie qui est mis en marché sera encore là dans de nombreuses années.
Ainsi, des véhicules obéissant à des philosophies de conception différentes finiront par se côtoyer sur la route. C'est pour cela que l'industrie estime que l'autonomie complète n'est pas encore pour demain, sauf dans des géoenvironnements clos ou le long de voies réservées sur les autoroutes, parce que les véhicules conduits par des êtres humains ne peuvent pas facilement cohabiter avec ceux qui sont conduits par des ordinateurs. Nous déterminerons comment adapter nos processus en fonction de l'évolution du réseau de transport.
La sénatrice Galvez : À propos des véhicules entièrement automatisés, vous avez parlé de « géoenvironnements clos ». C'est un nouveau jargon. Est-ce que les municipalités vont payer pour ce genre d'infrastructures? C'est ce que se dit l'industrie automobile? Et est-ce que le gouvernement fédéral devra s'occuper des autoroutes? Qui va payer pour tout cela?
M. Adams : C'est une bonne question. Permettez-moi de revenir à l'une de vos remarques initiales au sujet des infrastructures et de ce qui sera nécessaire.
Encore une fois, tout dépend de ce dont on parle. Si vous parlez des véhicules branchés, ce n'est pas la même chose qu'un véhicule automatisé ou hautement automatisé. Un véhicule hautement automatisé peut évoluer dans quasiment n'importe quel environnement, sans qu'il soit nécessaire de dépenser dans les infrastructures. De nos jours, les véhicules automatisés exigent un marquage très visible sur la chaussée et ce genre de chose. Mais encore une fois, c'est là un problème que nous devrons régler dans l'avenir à cause de nos hivers et autres.
Pour ce qui est des véhicules branchés, c'est totalement différent. Il va falloir veiller à ce que les feux de circulation, par exemple, soient synchronisés à l'approche de tels véhicules et il faudra donc investir dans les infrastructures. Qui va payer pour de telles modifications?
Pour ces véhicules, on parle d'un cycle de vie prolongé et les infrastructures seront construites pour 30 ou 40 ans, de sorte qu'il faudra envisager des améliorations en cours de route.
Stratford est un bon exemple de localité où le réseau sans fil est excellent et la ville est devenue un centre d'essai dans le Sud-Ouest de l'Ontario pour les véhicules branchés.
Le sénateur Mercer : Merci, messieurs, pour vos exposés.
La sénatrice Galvez a dit que les choses se précisent. Je ne suis pas certain d'être d'accord avec elle. Je pense que tout cela est encore nébuleux, mais j'ai apprécié deux ou trois déclarations de M. Beatty qui est le premier à dire des choses comme : « Les scénarios possibles dépassent largement la compétence des machines. » Voilà des paroles de mise en garde que nous n'avions pas entendues jusqu'ici. Tout le monde est très enthousiasmé par cette technologie.
Cela étant, je suis assez vieux pour me rappeler l'arrivée sur le marché des magnétoscopes privés, qui étaient de deux types, en fonction des deux types de bandes qui existaient, et ce n'est qu'après un long affrontement qu'une des deux technologies a fini par l'emporter. À l'instar de nombreux Canadiens, bien des gens dans le monde ont dépensé beaucoup d'argent pour acheter des magnétoscopes Beta qui étaient sans avenir.
J'espère qu'à un moment donné, quand nous commencerons à produire ce genre de véhicules en masse, nous nous serons d'abord entendus sur une seule technologie de base pour que je ne me retrouve pas avec un véhicule qui ressemblera à un magnétoscope Beta au bout de deux ans. Je n'ai finalement pas acheté de magnétoscope Beta parce que j'ai voulu attendre que le marché fasse un choix, et c'est sans doute ce que je vais refaire dans ce cas.
Monsieur Beatty, vous avez dit que vos technologies « Chauffeur » se substituent au conducteur humain et prennent entièrement les commandes. Vous avez ajouté qu'entre autres avantages, elles permettront d'offrir une plus grande liberté de mouvement aux personnes incapables de conduire. Qui sera aux commandes? Imaginez qu'on se retrouve avec des milliers et des milliers de véhicules sur l'autoroute dont beaucoup appartiendront peut-être à la catégorie « Chauffeur » de Toyota — puisque ce nom vous appartient et qu'il est bon — et que quelqu'un pirate le système. Vous avez maintenant des milliers de véhicules dans cette situation. Non seulement il y a ces milliers de conducteurs normaux, mais il y a aussi énormément de personnes en même temps sur la route qui ne savent pas conduire parce qu'elles ne peuvent pas conduire. Qui « tient le volant » dans ce cas-là?
M. Beatty : Je vais essayer de décortiquer tout cela, sénateur. Soit dit en passant, merci de me donner la possibilité de réagir à ce sujet.
Comme vous pouvez l'imaginer, il est important de redonner aux aînés, surtout dans une société comme le Japon où la population est rapidement vieillissante, et aux personnes à mobilité réduite la possibilité de se déplacer à leur gré. Toyota et d'autres compagnies ont donc effectué tout un travail au Japon et ici en Amérique du Nord pour évaluer dans quelle mesure l'intelligence artificielle pourrait permettre de faire rouler des véhicules en toute sécurité, dans ce que nous appelons le mode « Chauffeur ».
D'un autre côté, il faut parcourir des millions et des millions de milles pour vraiment tester un système quand on ne dispose pas d'un corpus complet de données communes échangées pour tout le réseau de transport et quand on n'utilise pas l'intelligence artificielle pour tester les scénarios et les capteurs individuels. Nous avons investi des milliards de dollars pour parvenir à définir quel genre de machine intelligente il faut mettre au point afin d'assumer le rôle de chauffeur et c'est pour cela que, selon nous, nous sommes encore plus loin que ne le pensent les plus optimistes de voir des véhicules entièrement autonomes sur la route.
Nous pensons peut-être ainsi parce que nous sommes des fabricants d'automobiles, habitués à raisonner de façon prudente et à penser à la sécurité du public.
Permettez-moi de reprendre votre question. L'année dernière, aux États-Unis, je crois qu'on a enregistré 35 000 décès sur la route. Cela correspond à un scénario de risque dû au fait que des êtres humains sont au volant. Sous l'angle de l'ingénierie sociale, nous tolérons ce genre de décès. Nous n'en acceptons pas la réalité, mais nous comprenons que le fait d'avoir des êtres humains au volant comporte un risque.
Voilà la question que je poserais : quel nombre de blessés ou de morts serait acceptable dans le cas des voitures pilotées par l'intelligence artificielle? Je me risquerais à dire que la réponse sera « zéro ». Ainsi, pour lancer des systèmes automatisés, le seuil de sécurité à respecter est, d'entrée de jeu, beaucoup plus élevé que s'il fallait mettre en service un nouveau véhicule ne présentant pas un tel niveau d'automatisation. Voilà pourquoi, selon moi, je crois que l'évolution consistant à équiper progressivement les véhicules de nouveaux systèmes de sécurité et de systèmes automatisés sera la solution pour parvenir à une pleine automatisation en bout de course.
Voilà pourquoi, dans notre progression vers l'automatisation complète des véhicules, nous allons devoir régler de très sérieux problèmes sociaux et éthiques.
Le sénateur Mercer : Je ne vous contredirai pas, mais vous avez parlé des 35 000 décès sur la route aux États-Unis et vous vous êtes demandé ce qui était acceptable. Tous les ans, aux États-Unis, des milliers de personnes sont tuées par arme à feu et personne n'a hâte d'imposer un contrôle sur la vente de telles armes dans ce pays, qui en aurait pourtant bien besoin.
Je comprends deux choses. Vous avez tous deux parlé de choses différentes et vous avez formulé des recommandations qui nous seront très utiles. Je vais d'ailleurs m'arrêter sur l'une d'entre elles qui présente aussi des avantages pour les Canadiens sur le plan politique. Il convient, a priori, d'adopter un ensemble solide de lignes directrices nationales. D'ailleurs, en Amérique du Nord, les lignes directrices en question seront élaborées à la faveur des prochaines négociations de l'ALENA. Cela étant, il est sûr que ces négociations s'éterniseront.
Donc, j'en reviens à ma question ou plutôt à mon commentaire. J'entends déjà d'ici un des négociateurs parler de technologie bidon dans ce cas.
Mais pour rester sérieux, je dirais que vos recommandations sont effectivement importantes. Je vous invite notamment tous les deux, après que vous en aurez terminé avec nous, à me transmettre d'autres suggestions éventuelles par l'intermédiaire de la greffière parce qu'il est important pour nous de recueillir vos avis d'experts.
Monsieur Adams, dans votre exposé, vous avez parlé du coût de l'automatisation des véhicules sur le plan de la désorganisation du marché du travail à cause des coûts de l'automatisation et des infrastructures. Cela préoccupe beaucoup les législateurs. Le secteur de l'automobile est un secteur important et vous avez d'ailleurs déclaré que Toyota est le plus gros fabricant d'automobiles au Canada, et cetera. Tout cela me laisse plutôt perplexe parce que je suis assez vieux pour savoir que, quelque part dans un coffre de Gillette ou de Schick, se trouve la formule pour une lame de rasoir qui n'a pas besoin d'être aiguisée ni d'être remplacée. Ces compagnies ont acheté le brevet pour le mettre sous clé et elles ont payé quelqu'un des millions de dollars. Pourquoi met-on au point des technologies qui risquent de ne jamais voir le jour à cause de l'aspect sécurité et des limites qu'on pourrait leur imposer, et du fait qu'elles ne présenteraient pas d'obsolescence programmée? C'est ainsi que vous faites votre argent, en me vendant des véhicules à répétition.
M. Adams : Je vais commencer par réagir et je laisserai éventuellement M. Beatty intervenir également. Je pense qu'il faut plutôt voir notre véhicule, du moins dans un scénario d'avenir, comme votre téléphone intelligent. Ainsi, les mises à jour technologiques des véhicules — qui concernent essentiellement les logiciels — se feront par le sans-fil. Votre véhicule sera automatiquement équipé de toutes les dernières caractéristiques disponibles.
En revanche, si vous ne faites pas vos mises à jour, tout comme c'est le cas avec votre téléphone intelligent, vous vous retrouverez avec un système désuet. Cela vient ajouter à la complexité que M. Beatty a décrite. Que faire dans le cas de personnes qui ne mettent pas à jour leur véhicule? Peut-être pourrait-on les prévenir que, tant qu'elles n'auront pas mis leur véhicule à jour en actualisant les logiciels de bord, elles ne seront pas autorisées à le conduire. Ces problèmes sont concrets tout comme la désorganisation du marché du travail. Le premier métier masculin dans le monde est celui de chauffeur : chauffeur de taxi, chauffeur de camion de livraison, et cetera. À chaque changement technologique, un emploi traditionnel disparaît et d'autres sont créés. Rappelons-nous le passage de la calèche à l'automobile.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Merci d'avoir formulé ce que vous appelez des requêtes, qui sont aussi des recommandations au comité. Je m'intéresse particulièrement aux questions liées à la réglementation gouvernementale. Je vous dis d'emblée que je suis quelqu'un qui n'aime pas la surréglementation. Cela dit, dans le domaine des transports, la sécurité et l'intérêt public font souvent l'objet de la réglementation.
Monsieur Beatty, vous dites que vous encouragez les décideurs politiques à réglementer uniquement lorsque c'est indispensable. On comprend qu'il s'agit des échelons fédéral, provincial et municipal. Pouvez-vous nous donner un exemple d'enjeux ou d'objets de réglementation qui, selon vous, ne seraient pas indispensables?
[Traduction]
M. Beatty : Permettez-moi de revenir sur ce qui s'est passé au cours des dernières décennies. Je suis rentré dans le secteur de l'automobile à la fin des années 1990 et, à cette époque, quand on parlait de véhicules autonomes, on envisageait des véhicules hautement dépendants de l'infrastructure bâtie. On envisageait d'incruster des balises dans la chaussée pour guider les véhicules ou de jalonner les routes avec des poteaux pour envoyer des signaux de navigation. Le coût de création d'un réseau pour véhicules autonomes dans ces conditions aurait été exorbitant et nous aurions énormément dépendu des gouvernements pour l'établissement de normes, pour la construction d'infrastructures et pour l'instauration de conditions destinées à permettre aux véhicules de circuler.
Entretemps, les gouvernements du monde entier n'ont plus les moyens de lancer ce genre de mégaprojets pour apporter le changement, et même les transports en commun ont pris du regard durant cette période. La technologie à bord des voitures n'a pas pour autant marqué le pas, d'une part sous l'effet de la concurrence avec le secteur des hautes technologies et, d'autre part, à cause de tout ce que nous voulons mettre à la disposition de nos clients. On voit maintenant des véhicules capables de se géopositionner par rapport à d'autres véhicules sur la route, de se repérer aussi dans l'espace grâce à des capteurs qui leur permettent de détecter des obstacles sur la route et d'adapter la conduite en fonction des conditions routières et d'adhérence qui sont changeantes; autant de systèmes que nous avons mis au point en l'absence de toute réglementation prescriptive.
Les fabricants de véhicules sont absolument tenus de veiller à ce que leurs produits soient sûrs, d'où les tests très stricts que nous effectuons et le fait que nous travaillons en étroite collaboration avec les organismes de réglementation gouvernementaux et avec les organisations de l'industrie, cela pour établir des protocoles d'essai ainsi que des démarches de commercialisation de nos produits. Il n'est pas dans l'intérêt des fabricants automobile de mettre sur la route des véhicules qui ne soient pas sûrs et si nous agissions différemment, nous sonnerions le glas de notre industrie.
Pour parvenir à notre objectif, il nous faut travailler dans les limites du cadre réglementaire actuel en matière de sécurité. Nous sommes d'avis que, dans 10 ans d'ici, un grand nombre de ces problèmes auront été réglés et que la réglementation aura permis d'adopter des pratiques et des normes fonctionnelles.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Je crois comprendre que l'infrastructure technologique rendra les véhicules assez performants. Vous les concevez afin de minimiser l'adaptation aux infrastructures publiques. L'adaptation aux infrastructures publiques sera-t-elle minimale?
[Traduction]
M. Beatty : Le coût de l'adaptation des infrastructures publiques diminue d'année en année et les véhicules, contrairement aux infrastructures, comportent de plus en plus d'éléments « intelligents » à bord.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Adams, en ce qui concerne la réglementation, vous dites qu'il est primordial de veiller à ce que les véhicules à faible vitesse continuent d'être réglementés séparément, car, dans la quasi-totalité des cas, ils ne sont conformes à aucune des normes du règlement canadien. Donc, deux types de réglementations seront nécessaires?
[Traduction]
M. Adams : Au Canada, deux types de réglementations sont nécessaires pour les véhicules lents, et il ne faut pas oublier qu'il existe différentes exigences de sécurité pour les véhicules lents par rapport au reste du trafic routier.
Le problème est le suivant : dès que vous envisagez l'évolution de l'automobile et de ce qui définit qu'un véhicule est en état de rouler, vous constatez que les gens ne s'entendent plus sur ce qu'est un véhicule lent ni même sur ce qu'est une voiture. On peut penser à des véhicules qu'on croise déjà sur la route, qui ressemblent à une voiture, mais qui ne correspondent pas aux normes de sécurité imposées à une voiture, ce qui peut donner un faux sentiment de sécurité aux consommateurs. Comme ça ressemble à une voiture et que ça a quatre roues, il faut que les mêmes normes de fabrication soient appliquées que celles exigées pour des véhicules légers. Il faut veiller à ce que ces filières demeurent distinctes l'une de l'autre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je reste un peu sur ma faim. Je croyais que vous alliez nous annoncer de grandes nouvelles ce soir, en nous disant que serait pour demain. À vous écouter, ce sera dans un demi-siècle. Donc, je ne verrai pas cette nouvelle technologie, ce qui me chagrine beaucoup. L'homme a déjà connu la conduite automatisée. On se souvient qu'au XVIIIe siècle, l'homme montait dans sa charrette qui était tirée par son cheval pour se rendre en ville. En un seul coup de fouet, son cheval le ramenait à la maison.
Premièrement, dans votre mémoire, vous faites référence au besoin de mettre en place des lignes directrices nationales. À l'heure actuelle, l'État joue-t-il un rôle actif dans le cadre du développement de cette technologie? Je parle non seulement de la réglementation, mais aussi du développement, soit pour accompagner les entreprises en matière financière ou au chapitre de la recherche.
Deuxièmement, nos gouvernements étant très serrés dans leurs budgets, ces nouvelles technologies nécessiteront des investissements énormes en matière d'infrastructures. Puisque vous allez bénéficier éventuellement de la vente de ces voitures, est-il raisonnable, selon vous, que le partage des coûts liés aux infrastructures se fasse entre vous et les gouvernements?
[Traduction]
M. Beatty : Permettez-moi de revenir à mes explications sur le basculement de l'application des technologies qui est passée des infrastructures aux voitures. En l'absence d'investissements dans les infrastructures, les fabricants ont décidé d'installer directement leurs technologies d'automatisation à bord de leurs voitures. Nous allons continuer de réaliser d'importants bonds en avant sur ce plan, mais je ne suis pas aussi pessimiste que vous au sujet des progrès réalisés jusqu'ici. Aujourd'hui, sur la route, vous croisez déjà des véhicules automatisés. En revanche, vous ne croiserez pas de véhicules entièrement autonomes. Nous vivons une évolution rapide qui nous fait franchir des étapes technologiques, étapes qui consistent essentiellement à rendre les voitures de plus en plus intelligentes.
Cela étant, les gouvernements vont avoir un grand rôle à jouer sur les plans législatif et réglementaire : la transmission de données de sûreté et de sécurité vers les voitures et à partir des voitures, élément qui va devenir déterminant.
Pour ce qui est des infrastructures, peu importe où les voitures iront, il faudra qu'elles puissent communiquer avec les autres véhicules et avec les infrastructures, et leurs communications devront être fiables et sécurisées.
Pas plus tard que la semaine dernière, par exemple, Toyota a annoncé un important investissement dans la technologie des chaînes de blocs pour protéger l'intégrité des données qui transitent par les systèmes de bord. Je crois que le gouvernement a un rôle à jouer pour favoriser la recherche dans ce domaine et pour instaurer un cadre réglementaire susceptible de favoriser la transmission de données sécurisées.
M. Adams : Pour aller dans le même sens, vous avez posé une question sur les compagnies et sur les technologies canadiennes. Je vais rejoindre ce que vient de dire Stephen en vous mentionnant l'existence d'une entreprise canadienne appelée TrustPoint Innovation Technologies qui est à l'origine d'une technologie exploitée par le département des Transports aux États-Unis pour favoriser l'échange de communications sécurisées entre véhicules et entre les véhicules et les infrastructures. BlackBerry propose une application dérivée, appelée QNX, du nom d'une de ses filiales également spécialisée dans la connectivité et l'automatisation des véhicules.
Il existe donc, au Canada, des entreprises et des établissements universitaires qui évoluent dans cet univers. Sommes- nous autant branchés que nous le pourrions à tout ce qui se passe dans le reste du monde? Peut-être pas, mais nous avons là une idée du rythme auquel progressent toutes ces activités.
Le sénateur MacDonald : Monsieur Beatty, vous avez parlé de la technologie des chaînes de blocs. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet et au sujet de la technologie dite des données de registre distribuées? Expliquez-nous ce que cela signifie exactement et comment ce sera appliqué.
M. Beatty : Cela nous ramène à la question des messages de sécurité de base qui doivent être envoyés par la voiture à tout véhicule en approche ou à tout élément d'infrastructure. Il faut s'assurer que les messages reçus soient fiables. À partir de là, la question est donc de savoir comment assurer la sécurité des données tout en maintenant l'anonymat de chaque conducteur dans cet environnement.
Nous voulons être sûrs que le système assurera des échanges rapides, garants d'une sécurité accrue, sans porter atteinte à la liberté individuelle ni à la protection des renseignements personnels. C'est ce que permet justement la technologie des chaînes de blocs.
Au Canada, nous comptons d'importants acteurs dans ce domaine. Cette technologie est dérivée de celle mise au point pour les bitcoins, la devise électronique mondiale. Il s'agit d'une technologie parmi bien d'autres dans tout cet univers, mais elle constitue pour nous un important levier dans notre quête d'intégrité des systèmes.
Le sénateur MacDonald : Et les données de registre distribuées? En quoi cela diffère-t-il de la technologie des chaînes de blocs?
M. Beatty : Je vous dirais honnêtement, sénateur, que pour plonger dans ce type de détails, je préférerais m'en remettre à mon personnel technique, mais nous pourrions toujours vous fournir cette information plus tard.
Le sénateur MacDonald : À part Toyota, d'autres fabricants envisagent-ils d'appliquer la technologie des chaînes de blocs?
M. Beatty : Tout à fait. Ce n'est un secret pour personne, dans le milieu, qu'il faut trouver une solution à ce genre de problème fondamental. Partout au sein de l'industrie, nombreux sont les intervenants et les groupes de fournisseurs à s'y intéresser.
En fin de compte, les législateurs que vous êtes doivent être certains que nous parviendrons à nous entendre sur des normes. Nous collaborons avec tout un réseau d'équipementiers automobiles pour produire ces technologies. Même si, bien souvent, nous détenons les brevets, nous en venons rapidement à établir des normes communes au sein de l'industrie.
En ce sens, nous n'avons pas beaucoup de secrets les uns pour les autres. Nous avons une idée générale de ce que font les autres et, bien honnêtement, nous encourageons le meilleur partage possible de la technologie pour parvenir plus rapidement à mettre nos produits en service.
La sénatrice Bovey : Merci. Voilà qui est très intéressant. Vous avez répondu à mes questions au sujet des données et je vais donc passer à ce qu'on appelle la « technologie perturbatrice ou de rupture », surtout dans le cas du marché du travail.
Compte tenu de la rapidité de ces avancées technologiques, comment fait-on pour créer des cursus d'enseignement adaptés pour attirer des jeunes dans un domaine qui change du jour au lendemain? Parlez-nous un peu de ce que vous faites du côté des collèges, des universités, des départements du génie et d'autres, histoire de nous rassurer sur l'existence de nouveaux programmes et de la formation continue.
M. Adams : Je vais essayer de répondre à votre question en vous parlant de la technologie automatisée des véhicules d'aujourd'hui et de ses répercussions sur ce que vous avez soulevé, c'est-à-dire la formation professionnelle et l'information du public.
Cela nous ramène à toute la notion de réparation des véhicules accidentés. Les mécaniciens font cela depuis 30 ans et ils pensent qu'un véhicule est un véhicule, sans plus. Après tout, tous les véhicules sont faits de métal, des mêmes substances. Ils ont un groupe motopropulseur et d'autres systèmes. Toutefois, de nos jours, les mécaniciens doivent composer avec tous les capteurs de bord : dans le pare-chocs, dans les pare-brise et dans les rétroviseurs. Ainsi, que se passe-t-il si un véhicule accidenté n'est pas correctement réparé en fonction des spécifications du fabricant ou de l'équipementier? Voilà le grand changement auquel nous avons affaire dans le secteur de la réparation, pour le moment. Voilà pourquoi beaucoup de fabricants d'automobiles sont en train d'élaborer leurs propres programmes de certification des mécaniciens afin d'avoir l'assurance que les véhicules remis en service fonctionneront comme il se doit.
Vous pouvez imaginer le problème si, après avoir fait réparer son véhicule, un client s'imaginant qu'il peut compter sur les systèmes de bord pour l'alerter d'une sortie de voie ou de la nécessité de freiner, se rend compte que ces systèmes ne réagissent pas parce que la réparation a été mal faite. Ce serait un problème de taille. Voilà pour le premier côté des choses.
Un autre aspect à considérer est qu'il faut amener les universités et les collèges à adopter les nouvelles technologies pour être à jour dans leur enseignement et pour pouvoir suivre le rythme de l'automatisation que la société de Stephen et d'autres intègrent à leurs véhicules.
M. Beatty : Il y a encore une autre dimension à laquelle il faut penser, celle de la sensibilisation du public. La technologie à bord des véhicules évolue plus rapidement que la capacité des conducteurs à comprendre les changements survenus.
Pour avoir son permis au Canada de nos jours, il suffit d'apprendre une seule fois dans sa vie. On obtient un permis à vie, ou presque, car il peut arriver qu'on doive repasser des épreuves pour le renouveler, sur ses vieux jours. À part cela, il n'y a pas d'actualisation des connaissances des technologies de bord.
Prenons l'exemple très simple de la technologie ABS. Quand les systèmes de freinage automatique ont fait leur apparition, les conducteurs à qui on avait appris, dès le début, à pomper sur les freins ont continué à le faire, ce qu'il fallait justement éviter. Ces nouvelles technologies vont changer notre façon de conduire. À Toyota, nous investissons beaucoup dans l'éducation du public à propos de tous ces capteurs et du fonctionnement des nouveaux systèmes de sécurité qui permettent de faire rouler un véhicule de façon sécuritaire et efficace.
Le sénateur Runciman : Je sais que Toyota est une excellente entreprise citoyenne, mais... Je vais enchaîner sur ce qu'a dit la sénatrice Saint-Germain relativement au rôle de notre gouvernement national à propos de l'étendue du cadre réglementaire qui s'impose.
Monsieur Beatty, pour vous, il s'agit là d'un rôle qui incombe de toute évidence au gouvernement. Cela étant, j'ai des questions sur l'utilité de l'intervention gouvernementale dans les conditions actuelles. Loin de moi l'idée de dénigrer l'industrie, mais, par le passé, nous avons constaté que des entreprises comme Chrysler-Fiat, GM, Volkswagen et Hyundai ont eu de sérieux problèmes. Pour l'essentiel, il ne s'agit encore que de problèmes allégués, mais, dans la plupart des cas, nous avons eu vent de ces ennuis grâce à des lanceurs d'alerte. Voilà qui soulève des questions, surtout quand on en arrive à ce degré d'évolution technologique, à propose du genre de confiance qu'on peut accorder à l'industrie par rapport au gouvernement.
J'ai sous les yeux un rapport rédigé par un sénateur américain, Ed Markey, intitulé Tracking and Hacking. Je vous lis une de ses conclusions :
À cause de pratiques alarmantes de l'industrie, pratiques incohérentes et incomplètes en matière de sécurité et de protection des renseignements personnels [...] il convient de mettre sur pied une administration nationale de la sécurité routière [...], de promulguer de nouvelles normes qui permettront de protéger les données, la sécurité et les renseignements personnels des conducteurs en cette ère moderne où les véhicules sont de plus en plus branchés.
Il continue en dressant la liste de ce qu'il juge nécessaire.
J'aimerais avoir votre avis. L'autre jour, un témoin nous a dit qu'il était plutôt favorable à une intervention plus importante de la part des gouvernements, dans les premières étapes, mais qu'à un moment donné, ceux-ci devraient s'effacer un peu. Comment envisagez-vous le rôle des gouvernements dans l'avenir?
M. Beatty : Merci de me donner l'occasion de réagir à ce propos. Comme je l'ai dit plus tôt, la question de la protection des renseignements personnels et de la sécurité des données est très importante et elle doit incomber au gouvernement.
Nous sommes d'avis qu'il est très important pour nous d'accéder aux données — dont nous avons besoin pour garantir la sécurité du fonctionnement des systèmes et pour tester les véhicules — tout en garantissant la protection des renseignements personnels de nos clients. C'est une des raisons pour lesquelles nous vous invitons à appréhender tout ce dossier du point de vue de l'Amérique du Nord afin que nous parvenions à des systèmes et à des protocoles communs.
Si vous voulez que je vous fasse une proposition tout de suite, la voilà. S'il y a une chose qui m'a toujours irrité au plus haut point, c'est le fait qu'en vertu des lois actuelles du Canada sur la sécurité, les propriétaires peuvent transformer leurs véhicules au point que ceux-ci ne correspondent finalement plus à la certification d'origine. Ils peuvent les surélever ou les surbaisser sur roues, les reconfigurer comme ils le veulent. Ils peuvent faire toutes sortes de choses à la suite de quoi les véhicules ne répondent plus à la certification d'usine. Il est désormais de plus en plus possible d'utiliser des dispositifs fabriqués par des entreprises indépendantes qui permettent de se brancher dans les ports du système de diagnostic de bord. Ces dispositifs offrent le moyen de se brancher de façon détournée à nos systèmes de bord, ce qui est très inquiétant sur les plans de la sécurité des véhicules et de la sécurité du public.
Si vous deviez recommander au gouvernement d'effectuer une refonte complète des normes actuelles, il faudrait notamment demander que tout dispositif fabriqué par un tiers et utilisé à bord d'un véhicule soit testé au regard des mêmes normes rigoureuses que tous les produits d'un équipementier automobile, cela pour ne pas risquer qu'un cheval de Troie soit installé sur nos véhicules.
Le sénateur Runciman : Est-ce que Toyota tient des relevés des cas de piratage?
M. Beatty : Nous effectuons un travail très sérieux à notre niveau pour assurer l'intégrité électronique de nos véhicules. Il existe un certain nombre d'entreprises non affiliées aux États-Unis et ailleurs qui sont en permanence à la recherche de failles potentielles. Des tentatives de pénétration de nos systèmes ont déjà été portées à l'attention du public et d'autres l'ont été à l'intention des sociétés concernées.
Comme nous le faisons pour n'importe quel dispositif électronique, nous cherchons bien sûr à régler tout problème constaté. Nous veillons, en partant, à ce que nos systèmes soient les moins ouverts possible pour éviter que des indépendants n'accèdent à nos systèmes de bord. Notre entreprise est désormais beaucoup plus prudente en matière de connectivité.
Le sénateur Runciman : Je pense que vous venez de me répondre par non. Comme vous collaborez avec d'autres entreprises, vous n'êtes pas en mesure de réagir en temps réel en cas de tentative de piratage.
M. Beatty : Nous n'avons jamais subi de tentative de piratage en temps réel. En revanche, nous avons eu connaissance de scénarios hypothétiques exécutés en conditions contrôlées.
Le sénateur Runciman : Travaillez-vous sur des technologies de surpassement que vous pourriez partager avec les corps policiers?
M. Beatty : Je ne vois pas exactement à quel genre de technologie de surpassement vous pensez dans ce cas.
Le sénateur Runciman : En cas de vol de voiture, par exemple, ou ce genre de chose.
M. Beatty : Vous voulez parler des véhicules actuels qui peuvent être basculés en mode « tortue » ou en mode « dépannage » pour être retirés de la circulation en toute sécurité, mais avec des capacités dégradées.
La sénatrice Griffin : À l'évidence, vous avez mené des consultations dans bien des régions. Avez-vous consulté les gouvernements provinciaux? Ce sont les provinces qui émettent les plaques minéralogiques et qui s'occupent de la plus grande partie des axes routiers au pays.
M. Adams : Mon association est membre associé du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, le CCATM. Je pense que celui-ci a déjà comparu devant votre comité. Ce conseil regroupe toutes les provinces, les territoires ainsi que le gouvernement fédéral. Nous siégeons à son groupe de travail sur les véhicules automatisés. L'an dernier, j'ai donné un exposé au CCATM de même qu'à l'Association des transports du Canada.
Nous tentons de maintenir le contact avec ces organisations, parce que le gouvernement fédéral, comme vous l'avez dit, s'occupe essentiellement de la certification des véhicules et que les provinces les autorisent ensuite à prendre la route. La difficulté consiste à savoir quel genre d'infrastructure est nécessaire, autrement dit s'il faut créer un environnement pour tester les véhicules et ainsi de suite.
La sénatrice Griffin : Je regarde votre recommandation numéro quatre qui concerne le partage des données et la protection des renseignements personnels, mais j'y vois autre chose. Je pense au secteur des services après-vente, c'est- à-dire aux gens qui réparent nos voitures, aux stations de service locales et aux Canadian Tire. Pensez-vous que tous ces gens-là devraient pouvoir accéder à vos données afin de pouvoir continuer leur travail ou, au contraire, qu'ils sont appelés à disparaître?
M. Beatty : Ce que vous dites doit être analysé au regard du développement des nouvelles technologies et de leur maturation sur le marché. Je soupçonne que, dans le cadre de ce processus, le secteur des services après-vente continuera d'exister et qu'il pourra poser des modules à bord de véhicules accidentés ou de véhicules nécessitant d'autres types de réparations. D'ailleurs, nous transmettons déjà des renseignements détaillés sur les réparations de nos véhicules aux garages non affiliés. Cela s'inscrit dans le cadre d'un protocole appliqué à la grandeur de l'industrie.
La sénatrice Griffin : Je suis heureuse de l'entendre. C'est un vaste secteur.
L'autre chose qui me préoccupe beaucoup — au point où ça en est vraiment gênant — c'est que le taux d'analphabétisme fonctionnel au Canada est très élevé. Compte tenu de ce dont il est question ici, je dirais qu'il faudrait veiller à dispenser une formation et des informations de haute qualité à ceux qui fabriquent les voitures, à ceux qui s'occupent des logiciels et à ceux qui font la réparation ou qui gravitent autour de cette industrie. Je crains que nous ne soyons pas prêts et je me demande si cela ne vous préoccupe pas aussi.
M. Beatty : Quand nous avons introduit la Prius dans notre gamme de véhicules, nous sommes soudainement passés d'une industrie où tout était mécanique à une industrie où tout était électrifié. Le travail sur ce véhicule nécessitait des compétences radicalement différentes de tout ce que nous avions connu avant.
Nous avons exigé de nos concessionnaires, qui allaient vendre ces véhicules, qu'ils disposent d'un effectif de techniciens parfaitement formés, étant entendu que nous assurerions la formation nécessaire pour leur mise à niveau. Et puis, nous avons cherché à recruter différemment pour attirer de nouvelles compétences techniques et veiller ainsi à disposer d'un bassin permanent de main-d'œuvre qualifiée.
Je dirais que nous nous sommes heurtés au fait que le secteur automobile est perçu comme une industrie vieillissante et en déclin. Pourtant, nous sommes une des locomotives du domaine des nouvelles technologies. Nous devons donc déployer des efforts à l'échelle de l'industrie afin d'attirer de nouveaux employés qui soient parmi les plus jeunes, les plus brillants et les meilleurs.
[Français]
Le président : Très brièvement, pour une deuxième ronde de questions. Sénatrices Galvez et Saint-Germain, vous pouvez poser vos questions une à la suite de l'autre, et les témoins pourront y répondre par la suite.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : J'ai demandé à des représentants de la CAA ce qu'ils pensaient de l'évolution de l'assurance automobile. Comme les voitures de demain s'apparenteront davantage à des ordinateurs ou à des téléphones intelligents, plutôt qu'à des objets mécaniques, et que l'être humain sera de moins en moins nécessaire pour les conduire, qui sera tenu responsable en cas d'accident?
M. Adams : Je suis certain d'avoir lu les mêmes articles que vous. Deux ou trois fabricants ont déjà annoncé qu'ils assumeraient l'entière responsabilité en cas de problèmes causés par leurs véhicules automatisés, dont Volvo, mais il y en a d'autres.
Vous venez de soulever une chose intéressante sur le calcul de répartition de la responsabilité. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment un problème dans le cas d'un véhicule entièrement automatisé, puisqu'il sera évident que l'ordinateur est aux commandes et pas un être humain. Pour beaucoup, les choses deviennent plus floues quand la conduite est partagée entre un conducteur et les systèmes de bord. Cela nous renvoie du même coup à la question des données. En cas d'accident, si on risque de ne pas savoir qui était effectivement au volant, pour dire les choses comme ça, il devient d'autant plus logique de communiquer les données sur le véhicule à ceux qui seront appelés à se prononcer sur la question de la responsabilité, du point de vue des assurances.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Ma question porte sur votre souhait que le gouvernement préserve la bande passante de haute fréquence de 5,9 gigahertz. Vous dites que l'industrie de l'automobile en a besoin et que l'industrie des télécommunications s'y intéresse. Quel pourcentage du territoire canadien est desservi? De plus, envisagez-vous un partage des coûts entre les deux industries et le gouvernement, compte tenu de l'utilisation que vous en ferez et des profits conséquents?
[Traduction]
M. Adams : Je commencerais par dire qu'il est important de protéger le spectre de fréquence qui est limité en partant. D'aucuns parlent d'adopter des technologies différentes qui ne dépendront pas de communications à courte portée dans ce spectre réservé. Il semble — mais je ne prétends pas être expert du domaine — qu'on s'intéresse surtout à cette possibilité. Là où je dirais qu'il y a lieu de vraiment s'inquiéter, c'est quand des industries concurrentes viennent nous dire : « Ne vous inquiétez pas. Le fait que nous partagions le spectre avec vous ne va pas vous empêcher de disposer d'un signal fiable et d'envoyer vos données rapidement entre véhicules et entre les véhicules et les infrastructures. » Personnellement, je préférerais ne pas prendre ce risque. Je préfère avoir la garantie que le spectre nous sera réservé afin que nous ne doutions pas que les communications à courte portée seront de la qualité escomptée.
La sénatrice Saint-Germain : Je comprends que vous en ayez besoin, mais y aura-t-il des conditions? Est-ce que cela se fera à coûts partagés?
M. Beatty : Pour y parvenir, il nous faudrait notamment veiller à ce que les données échangées soient payantes. Tandis que nous lançons nos services connectés, la tarification est intégrée à la valeur de nos véhicules, dès le départ, et nous avons en plus prévu un prix d'abonnement.
Cela s'impose pour toute une diversité de raisons. C'est nécessaire pour assurer nos services à nos clients, que l'on parle de divertissement à bord ou d'autres choses. Nous devons continuer de recevoir toutes ces données télémétriques qui nous renseignent sur la santé de nos véhicules et sur le genre d'entretien éventuellement nécessaire. C'est aussi important pour le gouvernement, parce que cela lui permettra d'exercer un contrôle de sécurité sur le fonctionnement du réseau de transport en tant que tel.
Je dirais qu'on peut envisager un partage des coûts. Cependant, et comme toujours, étant donné qu'on a essentiellement affaire à des dispositifs destinés à être utilisés par nos clients, on en revient au fait que ce sont des coûts à leur imputer. Les fabricants de véhicules que nous sommes doivent veiller à ce que leurs services soient concurrentiels, autant que faire se peut, tout en assurant la fiabilité de leurs produits afin de répondre à ces trois catégories de besoins.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Donc, il s'agit du principe de financement de l'utilisateur-payeur. Parfait, merci.
[Traduction]
Le président : Je tiens à remercier MM. Adams, Beatty et Nichols pour leur participation. Je pense que vos contributions vont beaucoup aider notre comité.
Chers collègues, avant que nous ne passions à une brève séance à huis clos, si vous êtes d'accord, je vais demander à toutes celles et à tous ceux qui ne font pas partie de votre personnel de bien vouloir quitter la salle. Est-ce que tout le monde est d'accord?
Des voix : D'accord.
(La séance se poursuit à huis clos.)