Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 20 - Témoignages du 13 juin 2017
OTTAWA, le mardi 13 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour poursuivre son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je déclare la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte. Ce matin, le comité poursuit son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous allons entendre deux groupes de témoins. Permettez-moi de souhaiter la bienvenue aux deux personnes qui composent le premier, soit M. Patrick Patterson, président de Carillon Information Security Inc., et M. Nolan Bauerle, directeur de recherche chez CoinDesk.
Monsieur Bauerle, comme il vous est souvent arrivé de venir écouter ici les exposés d'autres témoins, vous savez que vous devez limiter à cinq minutes vos commentaires préliminaires. Nous vous écoutons.
Nolan Bauerle, directeur de recherche, CoinDesk : J'ai eu l'occasion de collaborer à la fois avec le Blockchain Research Institute, l'entreprise de Don Tapscott à Toronto, et avec le Centre for International Governance Innovation, le CIGI, ainsi qu'avec les universités de Waterloo et Wilfrid Laurier lorsque j'ai participé à des tables rondes sur l'innovation en gouvernance. J'ai également pris la parole lors de plusieurs conférences à travers le monde devant des responsables de la réglementation, des législateurs et des gens d'affaires intéressés par cette technologie.
Depuis que je me suis impliqué dans ce secteur d'activité, j'ai essentiellement travaillé pour CoinDesk, une société implantée à Manhattan, dont je suis le directeur de recherche. CoinDesk est le leader mondial de la cryptomonnaie bitcoin, des chaînes de blocs et des registres distribués, et de façon plus générale des nouveautés et de la recherche en la matière. Nous avons organisé la plus importante conférence dans le monde traitant de cette technologie. Il y a trois semaines, nous avons accueilli à Times Square 3 000 conférenciers, parmi lesquels une liste impressionnante des esprits les plus brillants dans ce domaine d'activité, y compris des représentants du Toyota Research Institute qui ont profité de notre conférence pour faire quelques-unes de leurs annonces, et que vous avez entendus il y a environ deux semaines.
Nous devons, dans une large mesure, notre réussite dans notre domaine de spécialisation au travail de notre équipe de rédaction. Nous sommes en effet le leader mondial pour attirer l'attention sur des nouvelles bien rédigées dont le contenu a été vérifié comme il se doit. Cette équipe, composée d'un nombre de collaborateurs trop important pour pouvoir tous les citer ici, est dirigée par notre rédacteur en chef, Peter Rizzo. Les nouvelles que nous publions traitent à la fois de cryptographie, de finances, de droit, de comptabilité, de politique, de technologie, et bien sûr de la façon dont nous entrevoyons le futur.
L'un des sujets qui retiennent le plus mon attention chez CoinDesk, et auquel je me reporte parfois pour guider mes recherches, est l'histoire de la cryptographie. Plus précisément, c'est l'histoire des personnes qui, pour leur propre compte, ont cherché à saisir toute la puissance de la cryptographie, qui se révèle être au cœur des problèmes que vous étudiez ici concernant la sécurité des véhicules connectés. On doit en effet se demander comment assurer la sécurité des communications, des données et des connexions, comment échanger des secrets tout en assurant la protection des données et en se protégeant des oreilles indiscrètes et des personnes qui voudraient nous nuire?
Après la Seconde Guerre mondiale, et le décryptage par Alan Turing de la machine Enigma des nazis, les gouvernements ont pris conscience de l'utilité de la cryptographie et de la nécessité de contrôler sa prolifération. Les techniques regroupées sous ce vocable sont alors apparues comme des armes ou des munitions et les gouvernements ont fortement limité leur développement commercial. Dès lors, l'utilisation de la cryptographie a été réservée aux militaires et, pour l'essentiel, à la National Security Agency, la NSA.
L'avènement de l'ère numérique a contraint à abandonner l'assimilation de la cryptographie à des munitions. Cette approche n'était plus tenable et il devenait nécessaire de déployer ces techniques dans le domaine commercial pour permettre aux gens d'utiliser les ordinateurs.
Certaines personnes qui ont tout particulièrement contribué à faire évoluer cette approche jouent toujours un rôle essentiel dans le secteur des cryptomonnaies. On peut citer ici en particulier M. Adam Back, le PDG de la société montréalaise Blockstream, l'une des plus importantes dans notre secteur d'activité.
Les clés de chiffrement, ou cryptographiques, sont passées du statut de munitions à celui d'outils commerciaux, mais pour y parvenir, la cryptographie a dû emprunter une voie de contournement. Lors de toute transaction, au sens large, il faut en effet se poser une question fondamentale : Qui êtes-vous? On veut savoir si on échange avec la bonne entité. Dans le domaine du concret, la réponse est simple. Dans le monde numérique, la réponse à cette question est moins évidente. Cette question et la réponse à y apporter sont devenues des cas pratiques importants pour l'ensemble du secteur des outils cryptographiques.
Au lieu de s'exercer eux-mêmes à l'utilisation des clés privées, les utilisateurs échangent le nom de jeune fille de leur mère ou celui de leur chien plutôt que de telles clés. Ce sont les banques et les autres prestataires de services d'information qui gèrent pour nous nos besoins de cryptographie.
Cette façon de procéder fait maintenant l'objet de vives critiques. Un grand nombre des atteintes à la vie privée dont vous entendez parler et tous les piratages à grande échelle ont été rendus possibles par des vulnérabilités imputables à la simple introduction d'une tierce partie dans nos modalités d'authentification cryptographique.
Pour parvenir à nous authentifier, nous n'avons d'autre choix que de partager l'intégralité de nos vies. Satoshi Nakamoto, le créateur mythique des bitcoins, nous a prévenus que les banques et les prestataires de services doivent être las de leurs clients, car ils sont tenus de recueillir plus de renseignements privés que nécessaire pour être en mesure d'exécuter des transactions. On se retrouve dans une situation qui fait penser à une épidémie dans le domaine de la santé publique.
La technologie des bitcoins a résolu ce problème d'authentification en confiant les clés cryptographiques aux utilisateurs et aux personnes. La possession d'une clé cryptographique revient à la possession de bitcoins. Dans le cas des bitcoins et des autres cryptomonnaies, la possession de la clé témoigne de la propriété de la cryptomonnaie. C'est là le développement le plus récent dans l'histoire de la cryptographie : en passant d'une munition à un service fourni en échange du nom de jeune fille de votre mère, les clés cryptographiques se trouvent enfin dans les mains des personnes.
Les implications de ce changement constituent en elles-mêmes une révolution. Les clés et la sécurité sont en effet dorénavant dans les mains des utilisateurs. L'apparition des bitcoins a également favorisé une innovation majeure dans la sécurité matérielle des clés cryptographiques. Les premières personnes à avoir adopté cette cryptomonnaie ont en effet réalisé qu'elles devaient gérer leurs propres clés, et on a alors vu se développer un marché pour les portefeuilles numériques qui entreposent et génèrent des clés cryptographiques. Ce marché a favorisé l'apparition de portefeuilles surprenants qui sont excellents pour assurer la protection des renseignements personnels, et de micro puces dotées d'un cryptage fiable qui permet de conserver les clés dans un appareil sans qu'il soit jamais possible de les exposer à une connexion Internet.
Alors que l'industrie progresse dans le domaine des voitures connectées, la gestion sécuritaire des clés et les transactions de clés cryptographiques résidant sur un dispositif constituent des atouts importants pour ces véhicules. Même s'il y a plusieurs autres innovations intéressantes dans ce domaine, c'est précisément celle-ci qui a un rôle majeur à jouer dans le cas des voitures connectées.
Les appareils et les capteurs connectés dans les voitures ne pourront pas communiquer le nom de jeune fille de la mère pour être authentifiés par une tierce partie. La seule solution pour l'avenir est d'appliquer à plus grande échelle la logique utilisée pour l'authentification des bitcoins. Tout comme la possession des clés atteste de la propriété des bitcoins, la possession des clés cryptographiques constituera en soit l'authentification des appareils et des dispositifs connectés dans les voitures elles-mêmes. En résumé, ces capteurs pourraient bien finir par ressembler passablement à un portefeuille de bitcoins.
La technologie des chaînes de blocs et des bitcoins a abouti à ce qu'on appelle la « protection de la vie privée dès la conception ». De par sa nature même, celle-ci est conforme aux exigences de la législation sur la protection des renseignements personnels. Ce sont les utilisateurs qui conservent les clés cryptographiques et il n'est pas nécessaire d'exiger de tierces parties qu'elles partagent une trop grande quantité de données. Cela réduit l'étendue des domaines susceptibles de faire l'objet d'attaques par des personnes voulant nous nuire. Je vous remercie.
Patrick Patterson, président, Carillon Information Security Inc. : Bonjour, mesdames et messieurs. Je tiens à remercier les membres de votre comité de me fournir ainsi l'occasion de m'adresser à vous pour aborder l'importance de la cybersécurité dans le cas des véhicules autonomes et connectés. Je suis au service de Carillon Information Security Inc., une société montréalaise qui œuvre depuis 16 ans dans le domaine de la normalisation des politiques de gestion de l'identité pour le secteur de l'aérospatiale et pour le gouvernement des États-Unis.
Nous avons été impliqués très étroitement dans toute la chronologie ayant abouti à ce qu'on appelle les avions informatisés. Nous disposons déjà de véhicules autonomes et connectés. Ils volent actuellement au-dessus de nos têtes.
Nous sommes confrontés dans une large mesure aux mêmes défis qui se posent aujourd'hui aux voitures et aux autres types de véhicules autonomes. Je suis, convaincu que nous devrions élargir la question et nous pencher sur divers sujets connexes comme, outre les avions, les navires, les trains et d'autres moyens de transport autonomes parce qu'ils commencent tous à fonctionner de la même façon. Ils commencent tous à envoyer et recevoir des données numériques et à récupérer les informations concernant leur signalisation de façon complètement numérique. Nous commençons à faire des choses comme transmettre des logiciels d'un fabricant vers un véhicule. Je ne vais pas vous parler des voitures, mais plutôt de véhicules génériques, parce que nous sommes confrontés actuellement aux mêmes problèmes dans pratiquement tous les secteurs du domaine des transports.
Comme M. Bauerle vous l'a rappelé, la clé de la cybersécurité est l'identité. Si nous ignorons à qui ou à quoi nous parlons, nous ignorons également si nous devrions faire confiance à cette personne ou à ce système et écouter les messages qu'il ou elle nous adresse ou utiliser le logiciel qu'il ou elle nous envoie.
L'autre élément important est l'intégrité de la transmission. Nous devons nous assurer que le logiciel parti du fabricant ou le message adressé par le centre de signalisation parvient au bon véhicule, qu'il a été décodé comme il convient et que nous pouvons lui faire confiance en ayant la conviction qu'il n'a pas été altéré pendant la communication.
Comme je l'ai déjà dit, parmi les domaines dans lesquels ces préoccupations s'appliquent, on peut citer la mise à jour des logiciels. Nous avons été étroitement impliqués dans la sécurité des mises à jour de logiciels à bord des avions. Maintenant, si nous élargissons la question en nous intéressant au domaine des voitures autonomes, et même des voitures semi-autonomes : voyons comment les choses se passent dans des entreprises comme Tesla, qui transmet déjà directement des logiciels vers votre voiture. Si vous êtes propriétaire d'une voiture de cette marque, lorsque vous montez dans celle-ci le matin, un message peut s'afficher vous disant : « Bonjour. Vous avez reçu cette nuit une mise à jour du logiciel. » C'est un peu comme avec le système Windows, et cela peut vous inquiéter.
C'est ce que nous faisons aujourd'hui avec les avions informatisés. Nous pouvons prendre un logiciel qui provient du fabricant, ou de qui que ce soit qui a écrit ce logiciel et l'a transmis au fabricant d'équipement d'origine, qui que soit le fabricant de cet avion, qui est ensuite transmis à son exploitant qui va lui-même le télécharger à bord de son avion. Une fois cela fait, un technicien peut monter à bord, appuyer sur un bouton et voir le témoin virer au vert, du moins on l'espère, et avoir alors la certitude que ce logiciel n'a pas été trafiqué et provient d'une source fiable, comme celle de la version originale qui a franchi toutes les étapes d'assurance de la qualité de la chaîne de contrôle.
L'autre élément important est de s'assurer que les communications se font avec des sources fiables. Lorsque nous parlons de trains, de navires, d'avions et parfois de voiture, ces véhicules recevront des signaux de divers éléments d'infrastructure le long de leur route. Cela se produit d'ailleurs dès aujourd'hui dans certains cas sans authentification. C'est un phénomène qui ne cesse de s'étendre dans le secteur de l'aérospatiale parce que nous abandonnons les communications vocales en les remplaçant par des transmissions de données. Un pilote n'aura bientôt plus à écouter un contrôleur de la circulation aérienne s'adressant à lui; il recevra un message qui dit : « Bonjour, avion ABC, grimper à 10 000 pieds et mettez le cap aux 2-1-3. » Il faudra alors qu'il ait la certitude absolue que le message provient bien d'un centre de contrôle de la circulation aérienne. Il en ira de même pour les trains et les navires.
La situation sera un peu différente dans le cas des voitures. Il se peut en effet que vous receviez des messages provenant d'équipements en bordure de la route et vous disant : « Bonjour, la vitesse maximale autorisée dans ce secteur n'est pas de 90 km/h comme votre GPS vous l'indique, mais plutôt de 70 km/h parce que des travaux y sont en cours. » Un tel système pourra également vous prévenir de n'importe quel autre type de danger ou vous transmettre des instructions précises. Là aussi, il faudra être en mesure d'authentifier l'origine de ces messages.
Viennent ensuite les problèmes de communications entre véhicules. Quantité de technologies assurant l'autonomie d'un véhicule ont besoin que votre voiture prévienne les autres en leur disant « Je suis ici. Je roule à la vitesse de tant de km/h dans cette direction. » Les personnes ou les véhicules se trouvant proches de vous sauront alors exactement ce qui se passe.
Maintenant que les avions sont équipés de systèmes de surveillance dépendante automatique en mode diffusion, ou ADS-B, l'avion, au lieu d'être représenté sous forme d'un vecteur sur un écran radar, dispose de son propre système d'évitement des collisions. Le système ADS-B, lui, va émettre un message disant : « Je vole au cap XXX à 30 000 pieds au- dessus du point YYY à la vitesse de ZZZ km/h. »
Tous ces exemples posent exactement le même problème. Il faut donc que nous l'abordions d'une façon complètement holistique. Il ne suffit pas que Transports Canada énonce un ensemble de règles pour les avions, un autre pour les trains, un autre pour les navires et un autre pour les voitures. Nous obtiendrons de meilleurs résultats si nous disposons d'un ensemble commun de normes ou au moins d'un ensemble commun de principes.
Dans le secteur aérospatial, on dispose déjà de toute une série de façons de faire cela, d'utiliser des normes qui ont été élaborées à cette fin. Cela fait maintenant 16 ans que nous travaillons sur ces questions et nous nous efforçons de normaliser chacun de ces secteurs particuliers. Nous avons collaboré avec l'AISA, la FAA, l'IATA, l'OACI, Transports Canada, ou si vous préférez avec tous les responsables de la réglementation dans le monde, afin que lorsque vous avez un avion de la C Series fabriqué ici, au Canada, par Bombardier ou un avion Airbus ou encore Boeing, tous utilisent le même mécanisme et la même méthodologie.
Cela vous permet de résoudre les problèmes qui se posent en franchissant la frontière ou en passant d'un pays à l'autre. Si nous les abordons en adoptant un point de vue canadien « isolationniste », nous n'irons nulle part. Pour réussir, nous n'aurons d'autre choix que de nous placer dans le contexte mondial. Les fabricants d'automobiles ne seront pas intéressés à fabriquer des voitures destinées uniquement au Canada, pas plus que les fabricants d'avions ne fabriqueront des avions ne pouvant voler que sur notre territoire. Nous allons vouloir disposer de systèmes vraiment utilisables au-delà de nos frontières.
Nous devons également tout faire pour inciter Transports Canada à ne pas émettre de directives à large portée. Ces directives doivent être consacrées à des sujets précis. C'est une situation que nous avons vécue au cours des 16 dernières années dans le secteur de l'aérospatiale, alors que ses directives comportaient couramment des énoncés comme : « Dans ce domaine, vous devriez tenir compte des considérations en matière de cybersécurité. » C'est très bien en ce sens que cela nous amène à y penser, mais cela n'aide en rien à résoudre le problème ni à y apporter une solution normalisée. Les directives du ministère devraient plutôt dire : « Nous devons résoudre ce problème. Pour cela, nous allons devoir tenir compte de tel et tel élément et appliquer les mesures X, Y et Z. » Nous avons besoin de normes très précises que nos solutions devront respecter.
Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie, monsieur Patterson. Nous allons maintenant passer à la période de questions et de réponses.
Le sénateur Runciman : Merci à vous deux, messieurs. Au sujet des questions de protection des renseignements personnels et de la cybersécurité, vous nous avez dit souhaiter l'adoption de normes précises au lieu de nous en remettre à des lignes directrices à large portée. J'aimerais demander à M. Bauerle de plus amples détails sur la cryptographie parce que je ne suis pas sûr d'avoir très bien saisi l'intérêt de cette question pour le sujet que nous étudions. Peut-être pourriez- vous nous fournir des détails un peu plus concrets pour nous permettre, alors que nous ne sommes pas des spécialistes en la matière, de mieux comprendre les répercussions de cette technologie et de mieux appréhender les recommandations que vous souhaitez que notre comité transmette au gouvernement.
La vulnérabilité au piratage des véhicules autonomes est une question qui m'intéresse. Pourriez-vous nous parler de leur vulnérabilité éventuelle au piratage informatique par des tierces parties non autorisées et nous expliquer comment nous devrions nous y prendre pour faire face à ce risque précis.
M. Bauerle : La première question portait sur les normes et la seconde sur les vulnérabilités.
Le sénateur Runciman : C'est bien ça.
M. Bauerle : Lorsque les voitures communiquent entre elles, elles le font dans la bande des 5,9 GHz. Les représentants du Toyota Research Institute vous en ont parlé en détail en vous précisant que quantité d'autres utilisateurs voudraient, en Amérique, pouvoir utiliser cette partie du spectre des radiofréquences. Il faut donc s'assurer que l'utilisation de la bande des 5,9 GHz reste réservée aux voitures.
Les normes que nous avons élaborées en la matière supposent qu'une tierce partie gère l'authentification cryptographique et que le gouvernement lui-même devienne l'administrateur de la clé racine. Il se trouve au cœur du problème. Il recueille les données pour identifier ces machines, qu'il s'agisse ou non de détecteurs implantés dans les équipements.
L'affirmation voulant que le bitcoin élimine le recours aux banques comme tierces parties signifie en réalité que cette cryptomonnaie élimine le besoin de tierces parties pour assurer la cryptographie permettant de procéder aux échanges. La même logique s'applique aux voitures. L'une des idées que j'espère que ce comité transmettra au gouvernement est qu'il ne faudrait pas qu'il tienne dans tous les cas à être le responsable de la certification parce que la simple introduction d'une tierce partie dans le processus d'authentification fait apparaître la possibilité du piratage des voitures.
C'est ainsi que le FBI a publié une liste de « chapeaux blancs ». Ce sont des personnes au service d'universités ou d'autres organismes qui essaient de tester ces équipements jusqu'à leurs limites. C'est à des fins d'assurance que la télématique embarquée actuellement dans nos voitures prend la forme d'équipements connectés. En théorie, votre compagnie d'assurance va réduire le montant de votre prime si elle observe que vous freinez à temps et que vous n'avez pas l'habitude de dépasser la vitesse permise. Le problème est par contre que ces équipements permettent de cibler les voitures qui se trouvent sur la route. Nous savons maintenant qui en est responsable. Cette compagnie d'assurance qui ne s'intéressait qu'à l'assurance a dû, tout d'un coup, se doter de techniques cryptographiques aussi importantes que celles utilisées par les banques. Elle a dû adopter des processus à la toute pointe de la technologie en la matière. La cryptographie est un domaine encore peu répandu. Il est facile de proposer des solutions qui fonctionnent, mais on ne peut vérifier leur validité qu'en recourant à leur antithèse, soit en s'assurant que les pirates informatiques ne parviennent pas à pénétrer le système. Cela n'est ni évident ni facile et n'offre pas de garantie absolue.
L'un des volets intéressants du fonctionnement des bitcoins est qu'il élimine l'authentification par des tierces parties. Ce processus n'implique absolument aucun coût pour sécuriser le réseau et il n'a encore jamais été piraté. Il est doté d'un mécanisme qui combat sa propre fragilité. Vous pouvez visualiser la cybersécurité traditionnelle et la sécurité cryptographique comme des couches d'un oignon. Vous pouvez ajouter des couches de sécurité, mais l'information est toujours centralisée. Elle se trouve toujours à un endroit précis, ce qui en fait une cible.
Il suffit d'un seul point faible. Les pirates informatiques et les cryptographies ne se battent pas à armes égales pour assurer la sécurité de votre information. Vous pouvez concevoir un système magnifique qui semble presque parfait sur papier, mais il suffit qu'il y ait un seul petit point faible pour que les pirates parviennent à y pénétrer et à s'accaparer toute l'information qui s'y trouve.
La technologie du bitcoin répartit ce risque sur une grande surface de façon à ce que les attaques contre le réseau n'aient pour effet que de le rendre plus résistant. Plus de gens s'y attaquent et plus il devient résistant à de telles attaques. C'est un phénomène bien différent de celui auquel nous nous étions habitués pendant toutes ces années dans le domaine de l'authentification cryptographique.
Le message que je veux vous transmettre, et auquel j'espère que vous et les autres ministères allez réfléchir, est qu'il y a lieu de s'interroger sur le réflexe d'un gouvernement de tenir à être le responsable en matière de certification. Je ne dis pas nécessairement que, dans ce cas précis, il faudrait retenir une autre solution. C'est une idée qui mérite d'être mise à l'essai et appliquer à toutes sortes de développements. Au fond, on sait maintenant que ces communications sécurisées peuvent se faire entre deux machines, tout comme les échanges de bitcoins qui se font entre deux personnes sans que qui que ce soit d'autre soit impliqué. Aucune banque n'intervient, personne n'a accès aux communications sécurisées entre ces deux clés cryptographiques. Il n'y a aucune raison de faire appel à une tierce partie.
Le sénateur Runciman : Je suis un peu préoccupé par l'analogie que vous faites avec les bitcoins. Dans le cas des véhicules autonomes, nous parlons de sécurité publique et d'utilisation éventuelle à des fins terroristes. Ce sont donc là des questions dans lesquelles, à mes yeux, le gouvernement n'a d'autre choix que de s'impliquer sérieusement.
M. Bauerle : Ce que je peux vous dire est que si le gouvernement est impliqué dans l'authentification, le simple fait qu'il s'insère avec insistance dans les lignes sécurisées de communication revient à ouvrir un vecteur permettant les attaques. Comme avec la technologie des bitcoins, il appartient à leurs détenteurs de contrôler la sécurité de leurs propres clés. Cela a favorisé l'apparition d'un secteur d'activité qui s'est développé par lui-même et qui, jusqu'à maintenant, n'est relié que de façon théorique aux voitures connectées. Des entreprises en démarrage se sont attelées à cette tâche et il y en a, par exemple, qui collaborent en ce sens avec Lockheed Martin.
Le sénateur Runciman : Comme nous ne disposons que de peu de temps, auriez-vous la bonté, monsieur Patterson, de réagir brièvement à cet énoncé? Êtes-vous du même avis?
M. Patterson : Pour moi, je vois les choses un peu différemment. Je conviens tout à fait que l'insistance du gouvernement à être toujours impliqué dans ces processus n'est pas nécessairement une bonne chose. Au sein du secteur aérospatial, les entreprises ont adopté leur propre cadre de gestion des authentifications et des identités en veillant à ce qu'il soit fiable et compatible avec les normes des divers gouvernements qui ont adhéré au même régime de gestion des identités. Ces gouvernements laissent toutefois l'industrie mettre en place ses propres moyens d'authentification et d'émission des clés et ses propres mécanismes de protection de l'intégrité.
Par contre, en ce qui concerne l'infrastructure à clés publiques, l'ICP, je ne partage pas l'avis de M. Bauerle, car je pense qu'elle a un rôle à jouer, au moins dans une partie de l'équation. Lui et moi pourrons peut-être débattre plus tard pour déterminer si cela fonctionne ou non pour les communications de véhicule à véhicule. Cela dit, j'affirme de façon catégorique que le rôle du gouvernement est de produire la réglementation, mais qu'il doit laisser l'industrie s'occuper des infrastructures qui émettent et gèrent les clés dans la vaste majorité des cas.
Quant à la question du piratage, elle nous ramène, monsieur le sénateur, à l'architecture retenue. Il faut donc savoir quels sont les systèmes que nous relions les uns aux autres. Un article excellent sur cette question a été publié il y a environ un an et demi. Si je me souviens bien, cela concernait Jeep. Quelqu'un s'est aperçu qu'en transmettant un signal numérique en modulation de fréquence à un véhicule de la marque, il pouvait en fait, en passant par la radio, accéder aux commandes du véhicule. Maintenant, tout ingénieur qui concevrait un tel système destiné à un avion se verrait probablement lynché, et il est certain que l'organisme de réglementation n'en autoriserait pas l'utilisation. C'est à Transports Canada qu'il incombe de décider s'il est tolérable qu'il y ait des communications bidirectionnelles complètes entre les systèmes d'infoloisirs d'un véhicule et le système embarqué de commande et de contrôle ou si ceux-ci doivent emprunter des réseaux complètement distincts. La décision ne doit en aucun cas relever du fabricant d'automobiles ou de quiconque fabricant de tels systèmes.
Je sais fort bien que vous voulez disposer de l'information sur la vitesse de votre véhicule pour pouvoir exploiter les capacités de votre GPS. Il doit toutefois y avoir une façon de concevoir cette architecture comme on le fait à bord d'un avion lorsqu'on affiche sur le système d'infoloisirs la position et l'altitude de l'avion. Les données proviennent du cockpit, mais passent par un canal très étroit et hautement protégé qu'il est impossible d'utiliser à rebours.
Au fond, il faut que nous veillions à avoir des flux de données distincts. À bord des avions, il y en a trois en vérité. Il y a le réseau du cockpit, celui de la cabine, qui est utilisé par l'équipage, et le réseau des passagers. Aucun de ces trois réseaux ne permet d'échanger des données avec l'un des deux autres. Il est même impossible de passer de l'un à l'autre. Il faut que l'architecture des voitures autonomes soit conçue de cette façon.
Le sénateur Eggleton : Pour en revenir à vos commentaires, il faut donc que le gouvernement soit impliqué dans les questions de sécurité, de sûreté et de protection des renseignements personnels. Nous essayons de préciser à quel niveau il faut tirer la ligne sur ces questions afin de ne pas nuire aux tentatives d'avancement de la technologie tout en gardant à l'esprit ces exigences de base.
Vous nous avez passablement parlé des bitcoins, mais c'est un exemple pertinent quand on parle de la technologie des chaînes de blocs. Pouvez-vous me dire en termes simples, dans le cas des progrès sur les véhicules automobiles, quels sont les avantages imputables à l'utilisation de la technologie des chaînes de blocs et quels sont les défis auxquels il faut s'attendre en la matière. En d'autres termes, quels en sont les avantages et les inconvénients?
M. Bauerle : Tout d'abord, la décentralisation. La technologie des bitcoins et des chaînes de blocs est une solution élégante à deux difficultés auxquelles on fait face dans le monde numérique. J'ai déjà fait état de la première dans mes remarques préliminaires : Qui êtes-vous? Nous devons connaître la réponse à cette question. C'est l'authentification. Dans l'univers des bitcoins, c'est la possession d'une clé qui vous définit. Vous avez ce bitcoin parce que vous avez la clé correspondante. C'est comme si la clé était attachée à un appareil et la clé fera l'objet de transactions à l'intérieur de l'appareil lui-même sans jamais quitter celui-ci. C'est ainsi que vous êtes identifié.
Le sénateur Eggleton : On a donc une sécurité personnelle améliorée.
M. Bauerle : C'est exactement ça.
La seconde question qui se pose est de savoir si vous êtes autorisé à faire ce que vous voulez faire. Nous avons donc deux questions : « Qui êtes-vous? », et « Êtes-vous autorisé à faire ce que vous voulez faire? ». C'est dans ce domaine que le gouvernement peut intervenir. Dans l'univers des bitcoins, savoir si vous êtes autorisé à faire ce que vous voulez faire est simple. Il suffit d'échanger un petit élément de données numériques. C'est la première fois qu'on a procédé de cette façon et cela fonctionne très bien. C'est parfaitement simple. Par contre, les règles et les paramètres concernant les types de transactions qu'il est possible de faire en recourant à la technologie des chaînes de blocs et à d'autres nouveaux développements peuvent se révéler beaucoup plus complexes. Cela reste toutefois une solution élégante à ces deux questions : « Qui êtes-vous? », et « Êtes-vous autorisé à faire ce que vous voulez faire? ». On parle donc ici d'authentification et d'autorisation.
Dans l'utilisation de la technologie des chaînes de blocs, le gouvernement a un rôle important à jouer en définissant les paramètres de ce qui constitue une transaction valide pour un réseau donné. C'est définitivement un rôle qui lui incombe.
Le sénateur Eggleton : Est-ce cela la cybersécurité?
M. Bauerle : Oui.
Le sénateur Eggleton : C'est donc une solution plus efficace pour se protéger d'une cyberattaque?
M. Bauerle : C'est cet argument voulant qu'il s'agisse d'une loi de la nature. Il y a parfois intérêt à privilégier les choses les plus simples. Dans ce cas, la simplicité de la technologie du bitcoin, et je réalise fort bien qu'elle a l'air compliquée... Si vous l'examinez d'une altitude de 35 000 pieds et la comparez à l'architecture cryptographique traditionnelle, vous avez l'impression qu'il s'agit de quelque chose de confus, d'énorme, qui part dans toutes les directions, et que les clés vont partout, comme lorsque vous voulez acheter quelque chose sur Internet. Si c'est quelque chose que vous pouvez acheter d'un seul clic, et que vous faites marche arrière pour voir ce qui se passe derrière l'écran, tout vous paraît bien emmêlé et confus.
Le sénateur Eggleton : Mais cela ne constitue-t-il pas également une vulnérabilité?
M. Bauerle : C'est certainement le cas. Le fonctionnement des bitcoins finit par ressembler beaucoup à celui d'un distributeur automatique. Vous envoyez tout simplement l'argent. C'est pourquoi les bitcoins sont si importants pour les transactions avec des cartes en plastique, en faisant par exemple la comparaison entre l'argent liquide et les cartes en plastique. Dans ce type de transaction, l'argent est « tiré » d'un compte à un autre. Dans les grandes lignes, vous autorisez une banque à accéder à votre portefeuille, à en retirer de l'argent, à ouvrir le portefeuille de quelqu'un d'autre et à y mettre l'argent. Dans le cas des bitcoins, on procède exactement comme avec de l'argent liquide. Voici l'argent. La transaction est terminée. C'est tout.
Le sénateur Eggleton : Quelles sont les autres difficultés auxquelles on fait face? Le coût en est-il élevé? Est-il probable que le secteur de l'automobile prenne cette voie?
M. Bauerle : Plusieurs entreprises y travaillent déjà. Il y en a une, du nom de Filament, qui a réalisé dès ses débuts dans le domaine de l'Internet des objets qu'il n'existait pas d'équipements pour procéder à des transactions avec des clés. Elle a alors mis au point une pièce d'équipement qu'on peut appeler une cryptopuce qui se fixe sur le processeur principal d'un micro-ordinateur et qui est conçue pour isoler les clés des éléments connectés de l'appareil.
Une autre, Guardtime, a inventé ce qu'on pourrait appeler une infrastructure de signature sans clé dans laquelle elle utilise un fragment d'une clé qui a été « hachée ». La hachure est le cheval de trait de la cryptographie. Pour la visualiser, on peut prendre l'exemple d'une assiette qu'il est facile de casser en plusieurs morceaux, mais dont il est difficile de remettre ensuite les morceaux en place sans pouvoir déceler d'aucune façon les marques de brisure. Ils ont réussi à mettre au point des outils qui parviennent à procéder à l'authentification d'une façon beaucoup plus simple.
Le sénateur Eggleton : C'est donc une technologie qui permet de protéger les renseignements personnels en bloquant l'accès à ceux-ci. Elle vous protège tout simplement des cyberattaques. Cette technologie en est-elle encore à ses balbutiements?
M. Bauerle : Ils n'en sont qu'au tout début.
Le sénateur Eggleton : Qu'en est-il de la question de la protection des renseignements personnels? Va-t-elle profiter de cette technologie où celle-ci va-t-elle lui poser un problème? Nous sommes préoccupés en voyant la quantité de données que tous ces systèmes recueillent actuellement.
M. Bauerle : Vous trouverez dans mes diapositives des commentaires sur les législations pertinentes en matière de protection des renseignements personnels, et en particulier sur le Règlement général sur la protection des données, le RGPD, de l'Union européenne qui doit entrer en vigueur en 2018. Les dispositions de la LPRPDE sont tout à fait compatibles avec celles de ce règlement. Le texte européen considère en effet que pratiquement tous les renseignements qui peuvent être reliés à une personne sont considérés comme des renseignements personnels et que leur utilisation non autorisée peut faire l'objet de pénalités.
Ce texte comporte également deux autres séries de dispositions de la plus haute importance. Il traite en effet de la « sécurité dès la conception ». C'est ce dont il est question à la diapositive ayant pour sous-titre « Très grande portée » que je vous ai fait parvenir. La seconde série de dispositions peut être coiffée sous le titre « Protection de la vie privée par défaut ou dès la conception ». Voici ce que ce texte en dit : « Il faut effectuer les activités de chiffrement et de déchiffrement localement et non au moyen d'un service à distance, car les clés et les données doivent demeurer sous le contrôle du responsable des données afin qu'on parvienne à assurer quelque protection que ce soit des renseignements. »
Cet énoncé est suivi de directives de nature générale qui ont présidé à la rédaction de la législation sur la protection des renseignements personnels. Elles se lisent comme suit : « Si le contrôleur de données assure le pseudonymat des données personnelles au moyen de politiques et mesures internes appropriées, on estime qu'elles sont rendues adéquatement anonymes et ne sont donc pas sujettes aux contrôles et peines » de ce nouveau règlement.
Le fait que le bitcoin soit anonyme et n'utilise qu'un pseudonyme, alors que les autres cryptomonnaies ne sont qu'anonymes, et que l'architecture du système peut être utilisée de façon à rendre les utilisateurs anonymes, en particulier les machines, et que l'authentification vient de leur utilisation des clés, m'amène à estimer que cette technologie se conforme automatiquement à la législation sur la protection des renseignements personnels. C'est là un avantage énorme et c'est la raison pour laquelle je viens plaider devant vous de ne jamais modifier cette caractéristique.
Le sénateur Eggleton : C'est très bien. Permettez-moi de vous interroger encore sur un autre aspect de toute cette question. Y a-t-il des répercussions sur les infrastructures financées à même les fonds publics? Nous parlons ici de connecter des véhicules entre eux. Nous parlons de la possibilité de leur permettre de lire la signalisation routière, les feux de circulation ou quoi que ce soit d'autre qui fait partie des grandes infrastructures mises en place dans les municipalités. Quelles seront les répercussions sur celles-ci? L'ensemble de ce système sera-t-il indépendant ou nécessitera-t-il des investissements en infrastructures dans les services publics?
M. Bauerle : Je ne le crois pas. Je crois que, au bout du compte, les modalités de fonctionnement de cette technologie pourront être dictées par les pouvoirs exécutifs, législatifs et de réglementation, par exemple au niveau ministériel ou au niveau gouvernemental, mais le déploiement de cette technologie pourrait aussi être vu, par exemple, comme une occasion commerciale.
M. Patterson : Indépendamment du type de cryptographie utilisée à la base, qu'il s'agisse d'une infrastructure à clés publiques classique, de celle des bitcoins ou de quoi que ce soit de comparable, le coût de son ajout aux infrastructures sera sensiblement le même.
Si nous en venons maintenant aux modalités précises d'adoption, quels sont, par exemple, les systèmes qui utiliseront la technologie des bitcoins et, du point de vue de la cryptographie, j'imagine très volontiers qu'on trouvera quantité de possibilités d'application aux communications de véhicule à véhicule. Vous voudrez peut-être examiner des modèles plus classiques d'authentification pour des choses comme la signature numérique de logiciels et pour déterminer si un logiciel précis doit ou non être considéré comme fiable pour être téléchargé à bord de ce véhicule, ou pour déterminer si un signal donné provient ou non d'une source faisant foi comme, par exemple, un véhicule de police, un élément d'infrastructure du contrôle de la circulation, ou d'autres sources diverses qui envoient des données vers cette voiture autonome. Au bout du compte, vous aurez peut-être un mélange des deux, la technologie des bitcoins étant utilisée pour les communications de véhicule à véhicule ou, formulée de façon succincte, des chaînes de blocs pour les transmissions de véhicule à véhicule, et pour les communications d'un véhicule à un autre type d'équipement, vous pourrez envisager d'utiliser des méthodes d'authentification plus classiques.
M. Bauerle : Pour illustrer ce point des communications de véhicule à véhicule, je peux même vous dire que quelqu'un dans le secteur des bitcoins travaille à l'application de cette problématique aux véhicules autonomes afin qu'un véhicule qui se trouve dans une voie de circulation paye les voitures qui sont devant lui dans cette voie pour en sortir et poursuivre sa route. C'est un module que quelqu'un est en train de mettre au point. La machine n'a pas besoin de faire appel à une tierce partie, qui négociera alors avec l'autre véhicule pour prendre sa place. Ils vont juste avoir à payer la personne devant eux, pour qu'elle s'écarte de leur chemin, et payer ensuite la suivante pour qu'elle fasse aussi de même. C'est effectivement là un module en cours de développement.
Le président : Eh bien, cela soulève toute une nouvelle série de questions.
La sénatrice Galvez : Je vous remercie de cet exposé fort intéressant. La vision que j'ai des voitures a été modifiée au cours de nos dernières séances. Je commence à les percevoir davantage comme des ordinateurs. Plus vous nous en parlez et plus j'ai le sentiment que nous allons conduire des ordinateurs.
Si je poursuis dans cette direction, je peux appliquer tout ce qui m'inquiète dans le domaine des logiciels à cette situation, et j'ajouterai même à ce que mon collègue le sénateur Eggleton a déjà dit, soit qu'à titre de gouvernement nous devons nous préoccuper de la sécurité, de la protection des renseignements personnels, mais également de la protection des consommateurs. Ce dernier point me préoccupe beaucoup parce qu'on planifie l'obsolescence à grande échelle dans le secteur des logiciels. On y observe vraiment une obsolescence planifiée. Ces logiciels sont construits de telle façon que le consommateur n'a d'autre choix que de continuer à les acheter, et, comme vous venez de le dire, si quelqu'un se trouve devant vous, poussez-le hors de votre chemin.
Nous savons tous fort bien que n'importe quel système peut être piraté à un moment donné. Nous avons été aveugles par le passé, mais ce n'est qu'une question de temps avant que cela se produise. Nous avons des virus et il survient quantité d'autres choses dans nos machines.
Vous nous avez dit que cela concernera un jour ou l'autre ma voiture. On dit que Tesla télécharge déjà des données et des logiciels et cela nous oblige à nous préoccuper des questions d'identification, soit de savoir qui je suis, et si je télécharge bien ce que je veux télécharger. Êtes-vous en train de me dire que, à un moment donné, si je ne télécharge pas le bon élément ou si je ne m'authentifie pas correctement, il faudra que je fasse appel à quelqu'un pour m'aider. Mon collègue nous a raconté l'autre jour ce qui va se passer chez Canadian Tire avec les mécaniciens. Qui va pouvoir m'aider? Faudra-t- il téléphoner à quelqu'un qui va ensuite télécharger l'élément manquant ou suis-je paralysé pendant un certain temps? Pouvez-vous, s'il vous plaît, me rassurer?
M. Patterson : Voici la façon dont j'envisage l'avenir : le fait de les déplacer sur des plateformes plus autonomes est en vérité une bonne chose pour les clients, il suffit pour s'en convaincre de regarder encore une fois comment les choses se passent pour le modèle 90D de Tesla. Vous pouvez mettre à niveau le logiciel de ce véhicule. Tesla envoie des mises à jour à votre voiture. Si vous avez acheté ce modèle il y a quelques années, il n'était pas alors équipé d'un autopilote. Il dispose maintenant de cette fonction, ce qui fait que vous obtenez une caractéristique additionnelle gratuite. Comme les fonctions sont dorénavant commandées par un logiciel, vous n'avez plus à vous rendre au garage pour faire ajouter un module à la voiture. D'une certaine façon, cela revient à prolonger la vie du véhicule. Vous pouvez également obtenir une mise à niveau pour améliorer les performances. Il vous suffit alors de payer un montant additionnel de 2 000 $ et tout d'un coup votre voiture va accélérer de 0 à 60 km/h en quatre secondes au lieu de neuf. On peut se demander si c'est là une chose sécuritaire ou non, mais il y a des gens à qui cela plaît.
Il est vrai que, dorénavant, nos voitures sont bourrées d'ordinateurs et ce n'est pas là une tendance qui va disparaître. C'est grâce à cette technologie que nous allons pouvoir bénéficier de véhicules efficients. Nous ne parvenons pas à construire des systèmes mécaniques permettant d'obtenir l'efficience voulue en ce qui concerne le carburant et les émissions. La consommation de carburant et la production des émissions doivent être régies par un ordinateur à la seconde près et même à la milliseconde. Seul un ordinateur peut faire cela, mais nous allons maintenant nous demander qui peut assurer le service des pièces.
Eh bien, s'il s'agit d'un ordinateur, il suffira de retirer le module concerné de la voiture, pourvu que le fabricant donne accès aux codes de diagnostic qui, j'en conviens, devront pouvoir être consultés par n'importe quel mécanicien dans ce pays. Il sera également nécessaire de pouvoir acheter ce module précis d'ordinateur qui devra fonctionner de façon modulaire. C'est ce que fait déjà l'industrie aérospatiale. Faire voler un avion de nos jours revient à utiliser toute une série d'ordinateurs sous Windows et Linux, aussi intéressant et effrayant que cela puisse paraître. Lorsque quelque chose cesse de fonctionner à bord d'un de ces avions, le mécanicien se rend tout simplement à l'entrepôt pour se procurer une pièce unitaire qu'il va mettre à sa place dans la carlingue. Un employé du service technique décide alors qu'il faut installer 27 logiciels à bord de cet avion. C'est ainsi que les choses se passent. Le concessionnaire va probablement vérifier quels sont les logiciels qui peuvent être installés sur votre avion.
Le mécanicien de Canadian Tire ou le mécanicien de votre quartier ne seront probablement pas en mesure d'ajouter des logiciels à votre place, mais il y aura très certainement une façon de le faire puisque ce module pourra attester qu'il s'agit bien là d'un logiciel certifié par Tesla, ou par Ford ou Toyota dans un avenir proche. C'est facile et cela aura pour effet, comme je l'ai déjà dit, de prolonger la durée de vie des voitures parce que nous aurons accès à ces caractéristiques.
Apple sort un nouveau modèle de téléphone tous les ans. Je suis convaincu qu'ils aimeraient beaucoup que je mette le mien à niveau. Cela fait trois ans que je l'ai, mais j'utilise toujours la dernière version de leur système d'exploitation, ce qui fait que je profite de ces mises à niveau additionnelles. Nous voyons la même chose avec les voitures autonomes, comme nous le voyons bien évidemment avec les avions.
Le président : Chers collègues, je vous rappelle que nous avons un deuxième groupe de témoins.
Le sénateur Mercer : Messieurs, je vous remercie d'être venus.
M. Patterson, j'aimerais revenir sur quelques commentaires que vous venez de faire; vous avez dit que vous ne pensiez pas que le mécanicien du magasin Canadian Tire local pourrait réparer ce genre de véhicule parce qu'il n'aurait pas accès aux logiciels nécessaires. C'est une grave préoccupation. C'est un autre grand secteur d'activités, qui s'exercent principalement dans les régions rurales du Canada ou dans les petites villes. Si vous habitez dans une grande ville, vous avez accès aux concessionnaires, et habituellement, les propriétaires de voiture ne font pas entretenir leurs véhicules par le concessionnaire parce que, dans leur esprit, à tort ou à raison, le concessionnaire pratique des prix supérieurs à ceux du mécanicien d'à côté. Si le mécanicien d'à côté, que ce soit un mécanicien de Canadian Tire ou d'un garage local, n'a pas accès à ces logiciels, cela va créer beaucoup de chômage dans cette industrie, et c'est une industrie importante, en particulier dans les petites villes et dans les régions rurales du Canada.
M. Patterson : Je dirais qu'en pratique, le seul cas où il faudrait peut-être recharger le logiciel serait celui où il faudrait remplacer le module informatique central ou un de ces modules informatiques. Il faudrait bien sûr que le comité veille à ce qu'il y ait des règles qui permettent un accès libre et équitable à ces modules informatiques pour les mécaniciens qualifiés et pour que les fabricants de ces véhicules n'obligent pas leurs propriétaires à se rendre chez leur concessionnaire pour recharger le logiciel. En fin de compte pourquoi cela serait-il nécessaire? Il est aujourd'hui possible de mettre à jour les logiciels par Internet. En théorie, il s'agirait simplement de démonter le module informatique défectueux — et n'oubliez pas que ce n'est qu'un module. Toutes les autres pièces devraient fonctionner.
Le sénateur Mercer : Vous avez prononcé les mots magiques « libre accès ». C'est très facile à dire pour nous qui avons cette discussion en ce moment, mais les gens qui assistent à une réunion du conseil d'administration de la société qui produit les logiciels se disent : « Pourquoi allons-nous donner gratuitement nos logiciels? Pourquoi ne pas demander au mécanicien, Marcel, qui vit dans une région rurale du Canada, de payer quelque chose pour avoir accès à ce logiciel? Il en a besoin, nous l'avons, alors pourquoi ne pas essayer de gagner un peu d'argent de cette façon? » Je crois que le manque d'accès représente un danger très grave pour les petites villes canadiennes et les régions rurales. Vous allez devoir m'aider sur cette question.
Vous avez également parlé plus tôt dans votre exposé de l'adoption de directives générales et cela m'a plu. Vous avez parlé de directives générales, mais vous avez dit que nous avons besoin d'applications plus précises. Il faudrait que les directives soient précises et ne pas se contenter de directives générales. Vous avez exposé les grandes lignes de cette question, mais j'aimerais que vous soyez un peu plus précis. Donnez-nous un exemple de quelque chose qui s'est produit, parce que nous avions des directives générales et non des directives précises.
M. Patterson : Très bien. Une des applications possibles était la transmission d'un logiciel vers un aéronef. Transports Canada et la FAA ont adopté un règlement qui énonce simplement que la transmission d'un logiciel sur un réseau non gouvernemental doit faire l'objet de contrôles de sécurité appropriés pour veiller à préserver l'intégrité et l'authenticité de ce logiciel. C'est le règlement. Il ne dit rien d'autre. On aurait pu dire : « Utiliser les méthodes de l'ARINC, un des organismes qui établit des normes dans le domaine de l'aérospatiale, la norme ARINC 827 et la norme 835 et la directive ATA 42 en matière de gestion des données d'identité pour fournir ce niveau de sécurité ».
Le sénateur Mercer : Ce qui m'inquiète dans tout cela, c'est que les Canadiens sont très intéressés — et certains sont un peu nerveux — par l'avenir des véhicules automatisés, mais je ne sais pas s'ils ont pris en considération le fait qu'ils allaient devoir sacrifier certaines choses pour obtenir ce service, à savoir l'information qui va aller du véhicule au fabricant ou à celui du logiciel. Il y a quelqu'un qui saura ce qui se passe.
Il y a un d'entre vous qui a parlé de vitesse. Si vous circulez régulièrement à une vitesse supérieure de 10 kilomètres à la vitesse permise, cette information est transmise. Votre compagnie d'assurance va dire : « Hé, nous ne voulons pas assurer ce gars. » Les relations avec les compagnies d'assurance sont déjà très difficiles. Personne ne veut avoir affaire à ces compagnies. J'ai trouvé une expression pour définir ce qu'elles font. J'appelle ça de l'« extorsion légalisée ». On ne peut rien faire sans assurance, de sorte que nous sommes obligés d'en acheter une. Nous n'avons pas le choix. On compare les prix, mais ces compagnies savent fort bien que nous n'avons pas le choix et ce marché n'est donc pas concurrentiel. Pourquoi fournir des renseignements au sujet de mon véhicule, si cela risque de modifier mes primes d'assurance, si, par exemple, je roule trop vite?
M. Patterson : Sénateur, est-ce que vous utilisez Google?
Le sénateur Mercer : Rarement.
M. Patterson : J'ai lu aujourd'hui un article qui semble dire qu'avec ces algorithmes AI, Google est en mesure de prévoir avec une exactitude à près de 90 p. 100 si quelqu'un va se suicider. En fait, Google sait tout sur vous. C'est son modèle commercial. Facebook fait exactement la même chose.
Nous avons déjà renoncé aux règles qui protègent la vie privée lorsque nous utilisons nos téléphones — par exemple, combien d'entre vous possèdent un téléphone avec Androïd? Vous donnez déjà à Google les mêmes renseignements télémétriques que votre véhicule transmettrait. Pensez à tout cela avant de dire qu'un véhicule ne peut transmettre aucun renseignement touchant l'identité.
Le sénateur Mercer : Monsieur Patterson, c'est que les Canadiens ne le savent pas. Cela se fait, mais ils ne le savent pas, et ils ne savent pas non plus quelles sont les conséquences. C'est une de mes craintes; nous sommes le Comité des transports et des communications, nous parlons des questions qui concernent les industries des transports et des communications et j'estime que nous avons le devoir de faire savoir à la population que nous allons renoncer à protéger la vie privée, si nous nous engageons dans cette voie. Nous fournirons tous ces renseignements. Vous fournissez des renseignements à des gens qui risquent de les utiliser contre vous. Par exemple, si vous renouvelez votre assurance, la compagnie pourrait vous dire : « Eh bien, étant donné que vous conduisez trop vite, nous allons augmenter vos primes, même si vous n'avez pas eu d'accident depuis 10 ou 15 ans, parce que vous dépassez toujours de 10 kilomètres la limite de vitesse; nous allons donc augmenter vos cotisations. » Et bien entendu, ces compagnies auront les données qui justifient leur décision.
M. Bauerle : Sénateur Mercer, nous venons de dire que le modèle commercial de Google consiste à accumuler et à recueillir des renseignements, mais le modèle économique de nombreuses sociétés de bitcoin et de chaîne de blocs est tout à fait à l'opposé. Il s'agit de négocier ces données en donnant la priorité à la vie privée et en fournissant aux utilisateurs la possibilité de contrôler eux-mêmes les données.
L'annonce que vient de faire le Toyota Research Institute au sujet de la technologie des chaînes de blocs et qui a été mentionnée au cours de notre conférence tenue à New York, il y a trois semaines, portait précisément sur cet aspect. Il s'agit d'une start-up appelée BigchainDB, qui est capable de coordonner ces renseignements pour établir et faire adopter des normes, mais aussi pour anonymiser ces données. Cela permet de ne pas transmettre les renseignements qui ne sont pas nécessaires, et d'éviter de faire exactement ce que vous craignez — communiquer trop d'information.
Ce processus permet de coordonner les renseignements pertinents destinés à ceux qui en ont besoin et est en fait capable d'anonymiser certaines parties de l'opération, tout en laissant la personne qui a besoin de renseignements, un accès à une quantité très limitée d'information, mais tout le reste est occulté. Un des grands objectifs d'un bon nombre de ces sociétés consiste à répondre directement à votre préoccupation, à savoir que vous ne voulez pas que soient diffusés tous les renseignements vous concernant pour simplement accélérer un peu les choses sur les routes.
Le sénateur Mercer : M. Bauerle, ce que je ne comprends pas très bien au sujet du bitcoin est que cette monnaie est intéressante à cause de la sécurité, mais le public devrait se préoccuper de la sécurité. S'il y a une monnaie qui circule dans le monde et que personne ne la surveille, si cette monnaie passe d'une opération légitime ou à une opération illégitime, et ensuite, à une opération criminelle, ou autre, il faudrait que quelqu'un le sache. Mais en assurant le respect de la vie privée, vous ne pouvez pas le faire.
M. Bauerle : Les accès et les sorties sont assez bien réglementés dans le monde. Lorsqu'on passe de l'argent en espèces à l'argent crypté, on utilise beaucoup le principe KYC, connaître votre client, et toutes les autres méthodes commerciales traditionnelles. Le sénateur a déjà mentionné qu'on pouvait pirater n'importe quel système et vous venez de dire que personne ne surveille le bitcoin. Le bitcoin est surveillé par plus d'un demi-milliard de dollars d'ordinateurs qui se font concurrence pour gagner des bitcoins en renforçant la sécurité du réseau. Ce sont les ordinateurs qui constituent le réseau du bitcoin qui assurent la sécurité. Le bitcoin n'a jamais été piraté et il ne dépense pas un seul centime sur la sécurité, à cause de son modèle commercial. Les ordinateurs sont là en train d'examiner un registre public, qui a fait quelque chose de différent. Il a créé des biens numériques. Il a rendu rare et limité un élément numérique. Auparavant, on pouvait toujours copier et reproduire tout ce qui était numérique. Cela était très facile. Parlez-en à l'industrie de la musique ou à celle du cinéma. Numérique voulait dire éphémère et illimité. C'était un oxymore de dire que quelque chose était limité et numérique, mais tous ces ordinateurs qui sont reliés au réseau — et j'ai même oublié le métrique. Le bitcoin existe depuis sept ans et a attiré une puissance informatique supérieure à celles des 10 000 plus grandes banques prises ensemble, qui représente sept ou huit fois la puissance de Google et c'est tout nouveau. Ces ordinateurs n'ont qu'un seul objectif, assurer la sécurité du réseau. C'est la raison pour laquelle il y a tous ces ordinateurs. Ils surveillent constamment ces renseignements, attendent que des gens appuient sur les clés. Si quelqu'un fait une opération qui n'est pas autorisée, le réseau le découvre immédiatement parce qu'ils se font tous concurrence — la comparaison que je peux faire pour expliquer cela est...
Le président : Je tiens à vous rappeler que nous avons un deuxième groupe de témoins.
M. Bauerle : Je vais en rester là quitte à y revenir plus tard.
Le sénateur Marwah : Ma question s'adresse à M. Bauerle. Je vois que CoinDesk se spécialise dans le bitcoin et la technologie qui en est à la base, la chaîne de blocs. Peut-on affirmer que, si l'on veut que le bitcoin démarre vraiment, qu'il fasse partie d'une monnaie mondiale, il faut le réglementer? Est-ce un oxymore? Comment réglementer quelque chose qui a été conçu pour ne pas être réglementé?
M. Bauerle : Je pense que le bitcoin est déjà réglementé par les mathématiques. Ce sont les mathématiques qui le réglementent.
Le sénateur Marwah : Mais je parle des gouvernements, des banques centrales. Je parle de réglementation. Pensez- vous que les gouvernements devraient jouer un rôle dans ce domaine ou que cela n'est pas nécessaire?
M. Bauerle : En fin de compte, ce sont simplement des clés cryptographiques qui passent d'une personne à l'autre, et je ne vois pas très bien comment cela pourrait être réglementé, à moins tout simplement de dire que l'on peut l'utiliser pour une certaine chose et pas pour une autre. Le gouvernement est absolument incapable d'améliorer un système aussi élégant. Il y a des applications techniques, mais l'idée de réglementer — peut-être la conversion d'espèces en monnaie cryptée, mais cela est déjà réglementé. Cela est réglementé partout, mais il est impossible de réglementer l'utilisation des clés cryptographiques. C'est une clé.
Le sénateur Marwah : Et si on réglementait cela en l'intégrant à notre monnaie nationale? Nous avons le dollar canadien.
M. Bauerle : Ce serait très bien.
Le sénateur Marwah : Comment réglementer quelque chose comme le bitcoin dans un pays comme le Canada. C'est impossible. J'aimerais savoir si vous avez des idées sur la façon de l'intégrer à nos services d'échange nationaux.
M. Bauerle : Le bitcoin est associé à trois technologies. Il y a les clés cryptographiques, le réseau et le programme qui s'occupe d'autoriser les transactions. Ces trois technologies sont coordonnées. Elles sont orchestrées d'une certaine façon.
Pensez un instant à la bicyclette. Lorsque la première bicyclette a été inventée, aucune des pièces n'était nouvelle. C'est leur regroupement qui était magique, l'idée que cette chose qui reposait sur deux roues pouvait prendre de l'élan et avancer. On peut bien essayer de réglementer une telle chose, mais on ne peut utiliser ces technologies de la même façon, avec le même agencement, tout comme l'a fait le bitcoin, parce que personne n'est propriétaire de l'idée de la bicyclette; cette idée existe tout simplement.
Le bitcoin est génial parce qu'il réussit à harmoniser et à agencer le fonctionnement de ces technologies. Il y a eu ceci : « Eh bien, en le faisant de cette façon, cela fonctionne. » Les banques centrales ont donc toute latitude de copier cette structure, et de faire toutes sortes de choses merveilleuses et elles font déjà toutes sortes de choses merveilleuses. La Banque du Canada est en train de faire de nombreuses études sur cette question. Elle a essayé de donner à une partie de la masse monétaire une forme numérique pour l'intégrer à cette masse, mais sans support papier; un élément entièrement numérique. Cela peut servir pour les compensations et ce genre de choses. Les principales banques ont créé leur propre réseau qu'elles appellent le registre distribué, qui est pour l'essentiel identique à celui du bitcoin, mais sans qu'il y ait production de bitcoin.
Ce système peut être déployé, utilisé et copié par tous les gouvernements. Ils peuvent continuer à le faire à l'avenir et le feront. C'est ce que croient les représentants de mon industrie, à savoir que cette harmonisation des outils d'encryptement va continuer longtemps et représentera une véritable révolution dans la façon dont nous utilisons la cryptographie.
Le sénateur Mercer : J'aimerais revenir sur la question de la sécurité du bitcoin et des gens, et je ne parle pas des citoyens, mais des services de police et des autorités de réglementation des banques qui veulent savoir où aboutit cette richesse. Il ne s'agit pas ici de simple information; il est possible de transférer des millions ou des milliards de dollars en bitcoins, et ce, sans aucune surveillance ou véritable réglementation. Ces sommes pourraient être versées à des cartels de la drogue ou versées par eux. Elles pourraient être transférées à des organismes criminels ou terroristes. Les gens s'inquiètent que l'on déplace de grandes quantités de richesse sans que cela soit réglementé. C'est la raison pour laquelle nous avons des banques centrales. C'est la raison pour laquelle nous avons des règlements, pour protéger le bien commun. Le bien commun consiste à nous protéger tous, c'est pourquoi je voudrais que vous m'expliquiez pourquoi il faudrait soustraire le bitcoin à cette protection.
M. Bauerle : À l'heure actuelle, il y a, dans le monde entier, des banques qui ne font que ça. Prenez le Canada et les dispositions du CANAFE. Les banques doivent déclarer toutes les opérations supérieures à 10 000 $. Toutes les déclarations qu'effectuent ces banques, les coopératives et tous ces petits établissements n'ont jamais débouché sur une seule poursuite. Ces opérations sont déclarées et disparaissent dans un grand vide, et c'est ce qui se passe tous les jours.
La police doit faire son travail. Elle doit appréhender les criminels et ceux qui font du blanchiment d'argent, mais nous sommes aux prises à l'heure actuelle avec une épidémie publique reliée aux données privées, et la situation ne pourra que s'aggraver. Si nous relions nos véhicules connectés comme nous l'avons fait pour les opérations bancaires en ligne, nous allons avoir de graves problèmes. Cela ne fonctionnera pas. Nous allons être de plus en plus vulnérables. Se faire voler quelques centaines de dollars à cause de sa carte de crédit est une chose, mais perdre complètement le contrôle de sa voiture sur la route est une chose tout à fait différente.
Bien sûr, la réglementation financière est très importante et il y a des outils qui seront toujours là. Les enquêteurs et les policiers seront toujours là, mais il n'est pas nécessaire d'aller plus loin. Assurer la sécurité d'un tel système en donnant à chacun la possibilité d'appeler les policiers en cas de problème n'est pas la même chose que d'intégrer la sécurité dans la technologie. C'est un moyen que l'on peut utiliser pour certaines des choses dont vous avez parlé, mais surtout, cela protège notre vie privée.
Il faut donc concilier les deux et dans certains cas, il faut même choisir entre les deux. Pas toujours. Il y a beaucoup de situations différentes, mais si vous introduisez un tiers pour être sûr que les déclarations sont faites, cela risque d'amener le système à suivre une voie où il sera très facile de le corrompre. En fin de compte, cela augmente les risques d'attaque, ce qui est extrêmement dangereux.
Le président : Une dernière déclaration, monsieur Patterson?
M. Patterson : Je dirais que, quelles que soient les techniques cryptographiques de base utilisées, qu'il s'agisse de chaînes de blocs ou de PKI, l'aspect que Transports Canada doit examiner et réglementer c'est la sécurité des environnements informatiques de ces véhicules. Si la source d'un logiciel est inconnue, il ne devrait pas pouvoir être exécuté, ce qui veut dire que, même si quelqu'un trouve une vulnérabilité et réussit à charger un logiciel dans votre radio ou dans le système de navigation de votre véhicule, si ce logiciel n'a pas été signé par le fabricant du véhicule ou par l'un des producteurs de logiciel autorisés et désignés, il ne devrait pas pouvoir être exécuté. C'est une technique de sécurité fondamentale qu'il faut appliquer aux véhicules automatisés, tout comme nous le faisons pour les aéronefs et comme nous commençons à le faire pour les trains. Il faut séparer les réseaux et faire en sorte que notre environnement informatique soit sécurisé.
[Français]
Le président : J'aimerais remercier M. Patterson et M. Bauerle de leur présence parmi nous aujourd'hui.
[Traduction]
Nous poursuivons notre étude sur les véhicules branchés et automatisés. J'ai le plaisir de présenter notre prochain témoin, Blake Smith, directeur en chef, Durabilité, environnement et ingénierie de la sécurité, Ford du Canada limitée.
[Français]
Merci d'être avec nous. Nous sommes prêts à entendre votre présentation.
[Traduction]
Blake Smith, directeur, Durabilité, environnement et ingénierie de la sécurité, Ford du Canada limitée : J'aimerais préfacer mes remarques par quelques commentaires généraux. Du point de vue de Ford, les véhicules branchés et automatisés doivent nous permettre d'améliorer les choses pour nos clients et, en fin de compte, améliorer la situation générale. C'est dans ce contexte que je présente mes commentaires. Si ce n'est pas là l'effet de ces recherches, alors elles ne méritent pas d'être faites.
Bonjour et merci aux honorables sénateurs. Il y a plus d'un siècle, Ford a été fondé dans un but très clair; il s'agissait d'améliorer la vie des gens en offrant un moyen de transport accessible à tous et en démocratisant le transport.
Les innovations qui ont été faites par Ford ont permis à des millions de personnes de se procurer un véhicule, elles ont fait progresser l'humanité, elles ont permis aux gens d'être mieux reliés aux autres, d'avoir davantage de possibilités pour vivre, travailler et jouer où ils le souhaitent, et de faire des choix personnels. Cela a révolutionné la façon de relier les citoyens ordinaires entre eux, et ce n'est que tout récemment que nous avons constaté une évolution semblable.
Au Canada, Ford fait partie de la fibre de ce pays depuis 1904. En plus d'un investissement actuel de 700 millions de dollars dans nos établissements industriels, nous avons récemment annoncé un investissement de 500 millions de dollars pour la recherche et le développement. Nous avons ajouté près de 300 spécialistes en logiciels et matériel à notre équipe de mobilité à Ottawa, Waterloo et Oakville. Notre équipe de mobilité est un groupe qui explore d'autres façons de transporter les gens. C'est le lien. Ces gens font partie du monde des véhicules branchés et automatisés.
Chez Ford, l'approche à la conduite automatisée est une approche ascendante, grâce à laquelle nous ajoutons des mécanismes qui automatisent de plus en plus la conduite — pensez au régulateur de vitesse adapté, aux freins d'urgence automatiques, ce sont là des dispositifs qui s'ajoutent aux véhicules que nous connaissons bien — et une approche descendante qui est axée sur l'acquisition d'une grande autonomie pour que le véhicule conduise le conducteur ou la personne qui contrôle le véhicule.
Pour la plupart des gens, les véhicules automatisés sont une idée nouvelle. La confiance est un aspect extrêmement important. Cela fait un siècle que Ford cherche à gagner la confiance des gens. Nous savons comment construire en grand nombre des véhicules sûrs et de qualité, de façon à répondre à tous les besoins de la population mondiale.
Nous utilisons des processus de vérification, de développement et de conception complexes pour que tous nos produits soient de grande qualité et performants. Cela veut dire analyser la fonction souhaitée, identifier l'expérience de l'utilisateur et effectuer des tests de durabilité et de robustesse, notamment en utilisant des modèles ainsi que la conduite sur circuit et sur route.
Les véhicules autonomes devront respecter les normes habituelles, qui sont éprouvées et très exigeantes. Ils possèdent bien sûr des caractéristiques uniques qui appellent d'autres considérations. Dans ce domaine, nous pensons que l'autocertification, qui est la méthode utilisée en Amérique du Nord, est la meilleure solution et nous continuons à travailler avec les autorités de réglementation sur ces types de véhicules.
Nous pourrons également gagner la confiance de la population en lançant des projets pilotes dans des secteurs délimités sur le plan géographique ou cartographique à l'intérieur desquels les véhicules devront demeurer. Nous apprendrons ainsi, ce qui est très utile, comment réagissent les gens de façon à influencer leur perception des véhicules autonomes. Aux États-Unis, notre équipe a établi des partenariats avec un certain nombre de villes pour mettre en œuvre de nouveaux services de mobilité, y compris les véhicules entièrement automatisés. Je suis convaincu que ces services seront offerts au Canada à l'avenir.
Nous travaillons également étroitement avec la U.S. National Highway Traffic Safety Administration, NHTSA pour faire plus court, et d'autres parties prenantes pour leur présenter notre point de vue sur les politiques et les données afin d'alimenter leur point de vue sur les véhicules autonomes. Nous appuyons les politiques fédérales de la NHTSA en matière de véhicules automatisés et nous sommes heureux de constater que Transports Canada continue à collaborer avec la NHTSA dans le domaine de l'élaboration de ces politiques.
Ford est heureux de continuer à travailler avec le gouvernement canadien à l'élaboration de politiques et d'un cadre national qui permettent le déploiement du transport à titre de service, en utilisant des véhicules conformes à la norme SAE niveau 4 qui ne contiennent pas de mécanismes de contrôle pour le conducteur. Les États-Unis et le Canada ont le même environnement routier et il est donc logique que leurs approches soient harmonisées. Ce n'est en fait que le prolongement de la façon dont nous fonctionnons depuis très longtemps.
Ford aura beaucoup changé d'ici 5 à 10 ans, s'il réussit à mettre sur la route des véhicules autonomes en 2021. D'après des commentaires récents prononcés par Bill Ford : « Notre société ne devrait pas s'appuyer autant sur l'investissement, elle doit être moins cyclique, plus proche du consommateur et elle devrait aider les villes à régler leurs problèmes. Nous fabriquons des véhicules. C'est ce que nous faisons et nous le faisons bien... Mais la façon dont ces véhicules se comporteront et interagiront, et qui se trouvera à l'intérieur de ces véhicules sera peut-être très différente. »
Notre industrie se trouve à un moment charnière, c'est peut-être le moment le plus important de ces 100 dernières années et nous sommes heureux de le vivre.
Le sénateur Mercer : Monsieur Smith, je vous remercie d'être venu; nous l'apprécions.
Vous avez parlé plus tôt dans votre exposé de votre processus de vérification et de son importance. Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet du processus de vérification que Ford est en train d'étudier et de la façon dont il fonctionne du point de vue de votre société?
M. Smith : Vous pourriez peut-être m'aider un peu. Je peux répondre à cette question de divers angles. Je peux vous parler des niveaux de sécurité; je peux vous parler de la protection de la vie privée. Pour ce qui est du monde des véhicules automatisés...
Le sénateur Mercer : La réponse à ma question devrait englober tous ces aspects.
M. Smith : Très bien. Premièrement et principalement, nous pensons que les données appartiennent à la personne qui contrôle le véhicule. Nous pensons également qu'il faut traiter différemment les données qui sont différentes. Par exemple, aujourd'hui, les systèmes associés au port OBD du véhicule, pour le réglage du contrôle des émissions notamment, sont un port dans lequel les vendeurs peuvent se brancher et entretenir le véhicule. Bien évidemment, ce niveau de sécurité n'est pas suffisant pour d'autres systèmes. Chaque approche est particulière à chaque système. Ce sont des systèmes stratifiés.
Notre approche au contrôle de la sécurité est ce que nous appelons une défense axée sur une technique stratifiée. On isole les systèmes et on les stratifie. De sorte que, s'il est porté atteinte à un système, quelle que soit la raison, cela déclenche un signal. Je ne souhaite pas vous donner trop de détail bien sûr parce que notre processus d'élaboration de nos produits est exclusif. C'est un domaine dans lequel je ne peux pas vous en dire trop, mais je voulais vous donner une idée de la façon dont nous abordons cette question.
Pour ce qui est des différents types de données, je dirais que nous leur appliquerons différentes valeurs pour différentes fins. Bien évidemment, c'est l'individu qui doit avoir le contrôle des renseignements qui sont véritablement personnels. Je décide de la façon dont mon téléphone cellulaire est relié à mon véhicule aujourd'hui. Je fais le choix de me relier, et de charger ma liste de contacts dans le véhicule. C'est un choix. Je choisis de le faire parce que cela me permet ensuite de continuer à faire ce que je fais lorsque je conduis. C'est la même chose avec les messages. Lorsque j'ai terminé et que je rends mon véhicule, je dois avoir la présence d'esprit de supprimer ces données. Elles risqueraient autrement d'être piratées. L'individu a un rôle à jouer, tout comme la société.
Les mises à jour en direct se font, elles aussi, à la suite d'un choix. Le système signale qu'il existe une mise à jour. Vous pouvez choisir d'accepter la mise à jour ou d'attendre et de faire ce choix plus tard. C'est le genre d'approche que nous adoptons. Il faut laisser cette décision au propriétaire des données.
Il y a malgré tout certaines formes de données qui sont reliées au bien public. Si elles sont bien traitées ou anonymisées, par exemple, il y a actuellement des données que l'on pourrait utiliser pour faciliter la circulation, notamment. Lorsque les véhicules sont connectés, le système peut apprendre, avec le temps, à les exploiter de façon plus efficace. Cela est pour le bien de la population. La discussion au sujet de ces orientations doit porter sur la façon dont nous obtenons ces résultats en protégeant la vie privée de l'individu et éviter que la vitesse, l'emplacement ou une autre caractéristique de l'individu soient divulgués, mais il faudrait que cela fasse partie d'un ensemble de données qui puisse être utilisé pour communiquer avec les véhicules automatisés, faciliter la circulation, la rendre plus fluide, éviter les accidents, par exemple.
Le sénateur Mercer : Monsieur Smith, ma dernière question est celle que nous avons posée à un certain nombre de témoins parce que le comité s'est déjà occupé de la question des permis associés aux bandes de fréquences et à leur attribution par le gouvernement. Êtes-vous certain que les efforts que déploie Ford dans ce domaine ne vont pas être gênés par l'absence de fréquences disponibles dont vous auriez besoin pour communiquer avec les véhicules?
M. Smith : Je crois savoir que l'ISDE a pris des mesures pour protéger certaines fréquences ou est en train de libérer les fréquences susceptibles d'être utilisées pour les communications entre véhicules en Amérique du Nord. Je pense que le Canada va dans la bonne direction. Nous continuons à en parler avec le ministère, bien évidemment. Si la communication entre les véhicules est réglementée au Canada, cela deviendra bien évidemment très important.
Le sénateur Mercer : Mais y a-t-il suffisamment de fréquences pour que cette communication soit possible?
M. Smith : C'est une fréquence spécifique et c'est cette fréquence qui est protégée.
Le sénateur Mercer : À l'heure actuelle, la moitié des véhicules en circulation peuvent utiliser cette technique et tout le monde veut communiquer avec tout le monde. Le système est surchargé. En particulier, s'il fallait communiquer à cause des conditions climatiques, des accidents ou d'autres choses, cela pourrait surcharger le système. Je tiens pour acquis que votre recherche porte également sur les processus de gestion du stress lorsque le système subit un stress.
M. Smith : Premièrement, la communication entre les véhicules est un aspect très particulier du monde des véhicules connectés. Les véhicules seront connectés au monde extérieur de différentes façons, c'est ce qui est probable. Aujourd'hui, mon véhicule est connecté au moyen de mon téléphone cellulaire. On peut penser qu'à l'avenir, il n'y aura pas qu'un seul genre de connexion.
Le sénateur Griffin : Il y a un aspect de votre exposé qui m'a fait plaisir; c'était le fait que vous êtes en mesure d'aider les villes à régler leurs problèmes. J'ai été conseiller municipal et j'aimerais savoir comment vous pensez que cela pourrait se faire.
M. Smith : Nous nous dirigeons vers une économie où le partage prend de l'importance et nous adoptons un modèle de partage du transport; si nous voulons réduire les encombrements, il faudra qu'il y ait moins de véhicules sur la route. C'est une réalité que notre société est bien sûr prête à reconnaître et elle estime que c'est un aspect important à long terme.
Les véhicules automatisés peuvent compléter le transport public multimodal. Nous sommes propriétaires d'un service appelé Chariot, qui est en place à San Francisco; c'est une entente de partage de fourgonnettes qui peut remplacer le transport public lorsqu'il n'y en a pas. Ce service est relié au service ferroviaire comme le GO Train ou VIA. Ces différents types de transport vont continuer à évoluer et il serait souhaitable que ces différents systèmes soient capables de communiquer entre eux. Il ne sert à rien que le véhicule du service Chariot arrive 10 minutes trop tôt ou 10 minutes trop tard. Ces systèmes peuvent communiquer entre eux. Cela donne la possibilité d'en renforcer l'efficacité.
Le sénateur Griffin : Dans le cadre de cette planification, je tiens pour acquis que vous avez consulté les municipalités et même les provinces?
M. Smith : Nous en sommes encore au tout début. La discussion a progressé davantage aux États-Unis qu'au Canada et nous avons donc là des possibilités. Nous avons parlé à quelques provinces et à quelques municipalités de ce que pourrait être l'avenir. Ce sera à tous ces intervenants de décider de la façon dont ils souhaitent participer à ce travail.
Le sénateur Griffin : Oui. C'est très important pour leur planification.
Quel sera, d'après vous, le rôle que continuera de jouer le marché des pièces de rechange? C'est-à-dire les magasins Canadian Tires et les garages locaux, en particulier dans les zones rurales.
M. Smith : J'ai écouté certains témoignages. Les gens font souvent référence à ces ordinateurs sur roulette. C'est vrai, mais il y a encore des roues, des pneus, des freins et des systèmes de direction — qui sont tous des systèmes mécaniques. Il est vrai que l'électrification et la composante informatique des véhicules ne font que se développer, mais il y aura toujours des systèmes mécaniques à entretenir. Graduellement, les véhicules sont devenus plus robustes et ils n'ont pas besoin d'être entretenus aussi souvent. Il y a de moins en moins de mécaniciens conventionnels et de plus en plus de techniciens spécialisés qui sont capables de s'occuper des systèmes les plus perfectionnés. Les pneus durent plus longtemps; les systèmes d'échappement durent plus longtemps — tout dure plus longtemps. La qualité des véhicules s'est améliorée sur le plan de la durabilité, et ce qui a réduit d'autant les besoins d'entretien.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Il est très intéressant de vous entendre parler de la durabilité et de la longévité de vos automobiles dans le nouveau contexte. Cela m'amène à vous interroger sur la nature des garanties que vous allez offrir aux consommateurs, donc aux acheteurs de vos véhicules autonomes. Qu'est-ce qui va changer dans l'évolution des garanties que vous fournissez? Par exemple, pour la partie ordinateur, la garantie sera-t-elle plus longue, puisque la durabilité et la longévité seront allongées? Y aura-t-il un volet de la garantie sur l'étanchéité des systèmes? J'entends par là la capacité de conserver la confidentialité des données entrées par le consommateur. Parlez-nous de tout autre élément dont vous devez tenir compte présentement dans l'évolution de vos garanties en conformité avec l'évolution des véhicules.
[Traduction]
M. Smith : La société va jouer un rôle avec sa politique de garantie, mais je crois qu'il est bien trop tôt pour prédire la forme qu'elle pourrait prendre. Les politiques publiques et les autorités de réglementation auront toujours un rôle à jouer dans ce domaine. Les obligations de base de la Loi sur la sécurité automobile nous demandent de faire en sorte que les véhicules n'aient pas de défaut et que, s'ils en ont, ils soient corrigés. Il y a ces sortes d'obligations et il en va de même du côté de l'environnement. Les politiques publiques et les autorités de réglementation interagissent dans ces domaines.
Je pense qu'à mesure que nous améliorons nos connaissances technologiques sur l'automatisation de base, un domaine où les avantages sont évidents, l'autorité de réglementation va certainement établir une norme minimale et l'introduire dans le régime de réglementation. Dans la mesure où ces systèmes touchent les aspects sécurité ou environnement, il y a déjà des règlements. À l'avenir, je suis certain qu'il y aura des discussions au sujet des aspects essentiels à couvrir et des aspects qui sont moins importants pour ce qui est d'une norme minimale de fonctionnement.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Tant dans l'intérêt de la compagnie que du consommateur, vous avez dit ceci :
[Traduction]
Il me paraît prématuré de penser aux garanties.
[Français]
Deviendra-t-il nécessaire que les garanties que vous donnerez à l'achat d'une automobile — qui, aujourd'hui, est essentiellement construite selon la mécanique traditionnelle — soient adaptées à des voitures qui seront semblables à des ordinateurs sur roues? Avez-vous réfléchi à la façon dont vous adapterez les garanties que vous offrirez aux consommateurs pour ce véhicule qui aura un prix beaucoup plus élevé que les voitures de mécanique traditionnelle?
[Traduction]
M. Smith : Nous ne savons même pas en ce moment quel sera le modèle de propriété des véhicules pleinement automatisés. Par exemple, je ne sais pas si la plupart des véhicules autonomes appartiendront à des particuliers ou à des fournisseurs de service. C'est une question intéressante. Faudra-t-il les entretenir? Certainement. Nous apprendrons à mesure quel sera exactement le genre d'entretien nécessaire. Les véhicules seront de plus en plus électriques et contrôlés par des composantes électroniques, ce qui devrait dire qu'il y aura moins d'entretien et non davantage. Il faudra probablement mettre à jour les logiciels de temps en temps et le modèle de service qui permettrait de le faire n'est pas encore très clair, du moins dans mon esprit.
La sénatrice Galvez : Monsieur Smith, je vous remercie d'être venu. Nous savons que les sociétés automobiles continueront à construire les aspects mécaniques du véhicule. Il y a toutefois de nombreuses sociétés qui s'occupent de la sécurité des logiciels et qui proposent d'assurer la communication avec l'Internet des objets. Comme vous l'avez dit, c'est un système stratifié. Il y a l'intérieur du véhicule, la communication entre véhicules, la communication entre véhicules et l'infrastructure et ensuite, la communication entre le véhicule et le satellite pour le positionnement.
J'aimerais avoir votre avis sur cette question. Avec autant d'acteurs qui ont accès à ces données sans les contrôler nécessairement, puisque ce sont eux qui ont élaboré le logiciel, il y aura des failles qui se prêteront au piratage, aux atteintes à la vie privée ou à la fraude. Je vais vous donner un exemple.
L'intervenant qui vous a précédé a dit quelque chose qui m'a troublé. Il a dit que vous avez un véhicule qui peut aller à une certaine vitesse, mais qu'avec une mise à jour, il peut aller plus vite. Si mon véhicule avait la possibilité de le faire mécaniquement, mais qu'en achetant une mise à jour du logiciel, il pouvait aller plus vite, cela m'inquiéterait. Cela m'inquiète que les aspects mécaniques et la capacité du véhicule soient améliorés par un logiciel, mais que le client ne soit pas au courant de tout cela au départ.
Je pensais simplement à ce qui est arrivé à Volkswagen. Cette société avait un problème avec ses émissions et c'était un problème de logiciel. Ce logiciel permettait de contrôler la mesure des émissions selon la vitesse. Il y avait de la fraude.
Que pense Ford du fait qu'il y ait autant de sociétés de logiciel et de différentes strates dans ce domaine; s'il y a un problème, quelle sera la responsabilité que Ford sera prête à assumer?
M. Smith : Premièrement, Ford a le privilège d'avoir été reconnue comme une des sociétés les plus éthiques au monde, huit années de suite. C'est quelque chose dont nous sommes très fiers et que nous prenons très au sérieux. Cela dit, il nous incombe en tant que fabricant d'assumer la responsabilité de ce genre de choses. Dans nos protocoles de développement, nous avons différentes façons d'y parvenir. Nous avons également voté avec notre carnet de chèques, dans une certaine mesure, en ajoutant, en mars dernier encore, 400 ingénieurs d'une autre société, ce qui représente un investissement d'un demi-milliard de dollars. Nous avons acheté les sociétés qui ont construit le système LiDAR. Nous faisons à l'interne ce qui nous paraît être les opérations essentielles. Nous avons depuis longtemps des rapports avec des sociétés comme QNX au Canada, qui nous aident pour les logiciels. Il faut faire en sorte que les rapports commerciaux tiennent compte de ces aspects.
La sénatrice Galvez : Pensez-vous que le gouvernement ait un rôle à jouer dans ce domaine?
M. Smith : Je suis certain que vous avez appris que, par exemple, il existe aux États-Unis des lignes directrices concernant les véhicules automatisés. Elles comprennent 15 principes et il y a toute une série d'interactions avec le gouvernement avant que les véhicules prennent la route. Il est évident que le gouvernement a un rôle à jouer pour veiller à ce que le cadre réglementaire soit adapté à cette technologie. On ne peut pas tout uniformiser; il faut tenir compte de la situation. Cela dépendra des données. Et cela dépendra des données spécifiques.
Idéalement, nous souhaiterions un cadre qui favorise l'innovation. Parallèlement, il faut qu'il y ait un cadre public qui fixe des limites et garantisse à la population que la sécurité ne sera pas compromise et que leur vie privée sera protégée. La prime qu'apporte la technologie de l'automisation touchera la sécurité et l'environnement.
Le sénateur Eggleton : Nous avons beaucoup parlé de l'électrification des automobiles au moyen d'un ordinateur et au moyen des systèmes informatiques qui sont en train d'être mis au point. Il a également été mentionné que cela pourrait propulser les véhicules, qu'il s'agisse de véhicules électrifiés ou de véhicules électriques comme nous les connaissions dans le passé. Est-ce que Ford pense que tout cela va ensemble, et nous allons passer des carburants fossiles à des véhicules électriques dans le cadre de cette électrification générale?
M. Smith : Ce sont des éléments qui se complètent. Ils ne sont pas nécessairement reliés entre eux, mais ils peuvent se compléter. Nos prototypes de véhicules autonomes sont en fait des véhicules électriques parce qu'ils possèdent le genre de batteries suffisamment puissantes pour la technologie des senseurs et le reste. Ils consomment donc pas mal d'électricité pour le moment. Nos prototypes sont hybrides. Idéalement, à court terme, nous aimerions que ce soit des hybrides que l'on puisse brancher, probablement. Il y a une certaine interaction dans ce sens. Encore une fois, étant donné l'électricité que consomme cette technologie, ce qui va probablement évoluer avec le temps, ces aspects sont tout à fait complémentaires, d'après moi.
Le sénateur Eggleton : Voilà qui est intéressant.
M. Smith : Le fait que la connectivité, la communication entre véhicules, puisse faciliter la circulation, renforce également l'efficacité de la technologie électrique, parce que les véhicules ont moins besoin d'accélérer et de freiner. Il y a encore ici une certaine convergence.
Le problème que pose la nécessité d'avoir de grosses batteries est qu'elles coûtent encore très cher, et il faudra attendre encore au moins 10 ans avant d'en arriver au point où les véhicules intégralement électriques seront rentables. C'est donc un voyage et nous pensons que c'est un voyage très important, tout comme les véhicules autonomes, et c'est à nous de décider du calendrier que nous devons nous fixer pour l'avenir.
Le sénateur Eggleton : Dix ans, c'est étonnant. Ces véhicules électriques existent déjà depuis longtemps.
M. Smith : Si vous êtes historien, vous savez peut-être qu'Henry Ford a travaillé pour Edison, et qu'ils étudiaient ensemble la mise au point de véhicules électriques dans les années 1800.
Le sénateur Eggleton : Et nous n'avons toujours pas résolu ce problème.
Je vais vous poser une question au sujet de la cybersécurité, parce qu'il y a des études qui montrent que les fabricants — et il ne s'agit pas particulièrement de vous ou de Ford — ne semblent pas très conscients de cet aspect. Selon l'étude McKinsey & Company, 75 p. 100 des dirigeants interrogés — dans les entreprises de ce secteur ou dans celui des composantes — n'avaient pas adopté de stratégie capable de contrer une cyberattaque. Il y a également l'étude du sénateur américain Ed Markey, qui indique qu'il n'y avait que deux fabricants qui étaient en mesure de diagnostiquer ou de répondre à une attaque en temps réel. Que faites-vous pour lutter contre ce qui semble être soit de l'indifférence, soit simplement de l'incompréhension au sujet des mesures à prendre?
M. Smith : Je ne parlerais pas d'indifférence, et je ne pense pas que ce soit un manque de compréhension. Je crois que la situation évolue très rapidement et que nous participons à un ensemble d'efforts concertés visant à renforcer ce domaine, de sorte que tout se développe très rapidement. En réalité, nous sommes pleinement convaincus que nous serons en mesure de protéger les systèmes.
Le sénateur Eggleton : Vous avez dit dans vos remarques préliminaires que vous pensiez que la meilleure solution était l'autocertification.
M. Smith : Exact.
Le sénateur Eggleton : Je crois que le gouvernement français envisage de créer un label VA sûr. Le Sénat des États-Unis a également proposé un label « cyber tableau de bord ». Ce sont des labels reconnus par les gouvernements qui ont pour but de rassurer la population en indiquant que les systèmes fonctionnent. Vous semblez toutefois affirmer que l'autocertification est préférable.
M. Smith : Permettez-moi de commencer par vous décrire ce qu'est l'autocertification.
Aux États-Unis et au Canada, nous avons un système de certification des véhicules qui est différent de celui adopté par tous les autres pays. Au Canada, les normes de sécurité applicables aux véhicules à moteur ont pour but de protéger le public et ce sont les fabricants qui ont la responsabilité d'affirmer que ces normes sont respectées. Si ce n'est pas le cas, il y a des conséquences, à la fois sur le plan des rappels et sur celui des mesures correctives. Mais à mon avis, nous devons respecter une norme plus élevée que celle que prévoit le système d'approbation dans lequel les autorités gouvernementales examinent des dossiers détaillés et décident s'il est possible ou non de certifier un véhicule. C'est une approche différente, mais qui impose un fardeau très lourd au fabricant.
Le sénateur Eggleton : Une de ces mesures est quand même sur le point d'être prise par le Sénat des États-Unis actuellement.
M. Smith : Je ne peux pas parler du label, et je ne sais pas très bien quelle serait son utilité. Notre société a toutefois fait savoir très clairement qu'il faut établir un partenariat dans ce domaine. Nous pensons qu'il appartient au gouvernement fédéral de fixer le cadre dans lequel nous fonctionnons du point de vue des produits. Les conditions applicables aux conducteurs et en matière d'utilisation relèvent des provinces, c'est pourquoi nous espérons que nous pourrons en arriver à un système provincial basé sur un modèle.
L'Ontario a fait du bon travail pour essayer de fixer les conditions pour l'utilisation d'un véhicule de type VA, et cette province a collaboré sur cette question avec l'État du Michigan. Ce n'est pas surprenant parce qu'il se fait beaucoup de développement dans ce domaine. L'idée de passer par la LCCG, d'en arriver à une approche basée sur un modèle et de laisser ensuite les gens l'adopter me paraît une excellente chose parce qu'elle assure une continuité.
Il y a aussi les municipalités qui doivent décider de la façon dont elles veulent voir fonctionner leur système de transport. Elles font face à de nombreux défis pour ce qui est de l'infrastructure et des coûts d'infrastructure, mais à long terme, il sera plus rentable pour elles que ces systèmes soient mieux utilisés et qu'ils communiquent entre eux. La discussion portera sur la question de savoir quelle est la meilleure façon de faire. Des choses simples. Par exemple, à l'heure actuelle, il n'y a pas de connexion entre le train GO et la TTC.
Le sénateur Eggleton : Exact.
M. Smith : Les autobus ne communiquent pas avec le métro. Tous ces systèmes sont indépendants. À long terme, cela n'est pas logique. C'est là que l'on peut gagner en efficacité et où le progrès technologique qui s'annonce dans ce domaine pourra s'appliquer.
J'aimerais mentionner une autre chose si cela est possible. Nous parlons de véhicules connectés. On a tendance à parler principalement des zones urbaines. Ce n'est pas obligatoire. Il existe de grandes possibilités. Nous fonctionnons en Inde et en Afrique, dans des régions où il y a des communautés très isolées auxquelles il est difficile de se rendre. Si nous réussissons à connecter les véhicules dans ces conditions, cela permettra d'améliorer les soins de santé. Si un véhicule peut communiquer les signes vitaux d'une personne à un hôpital ou à un établissement de soins de santé, il sera alors possible d'améliorer la vie des gens qui n'auraient pas accès à ces soins autrement, ou pour que les gens puissent aller travailler alors qu'ils ne pourraient pas le faire autrement. Cela offre de véritables possibilités et bien entendu, au Canada, nous avons beaucoup de régions isolées. Nous avons tendance à penser que les régions isolées se trouvent au centre de l'Ontario ou en Nouvelle-Écosse ou quelque chose du genre. Ce ne sont pas vraiment des régions isolées. Ce sont dans les régions très isolées que cette technologie offre d'excellentes possibilités.
Le sénateur Eggleton : Merci.
Le sénateur Runciman : J'aimerais poser quelques brèves questions dans le prolongement de celles du sénateur Eggleton et en faisant référence à une de nos notes selon laquelle le gouvernement des États-Unis a publié des lignes directrices non obligatoires sur les bonnes pratiques en matière de cybersécurité pour les VC et les VA. À titre de suivi sur la question qu'a posée le sénateur Eggleton, quelles sont les mesures que la société Ford a prises pour faire de la cybersécurité une priorité organisationnelle? Êtes-vous au courant de ce qui se fait?
M. Smith : Je peux tout simplement vous dire que c'est le cas. Comme je vous l'ai déjà dit, nous sommes membres d'un certain nombre de regroupements qui ont pour but d'améliorer et de continuer à améliorer nos connaissances dans ce domaine. Nous participons à l'initiative Auto-ISAC. Nous sommes membres du consortium VA. Il y a toutes sortes de choses de ce genre.
Il faut admettre que c'est un voyage. Les véhicules autonomes sont différents des véhicules conventionnels qui appartiennent à un particulier. Ils sont conçus pour fonctionner dans un environnement délimité, un espace géographique circonscrit et leur but est de transporter les personnes et les marchandises. Ce ne sont pas des véhicules classiques, du genre que la population souhaiterait acheter. Nous avons annoncé très tôt notre intention de lancer les véhicules autonomes en 2021, parce que nous voulions notamment que le public s'habitue à ces véhicules et qu'ils les connaissent mieux. Nous continuons à élaborer de bonnes pratiques et ces véhicules fonctionnent dans un milieu contrôlé dans lequel il est possible d'apporter rapidement des mises à jour ou des changements, en cas de besoin.
Le sénateur Runciman : Cela fait plus de 20 ans que je conduis une Ford, je suis donc un très grand fan de cette société et je respecte en particulier le fait qu'il y a quelques années, deux des trois grands de l'automobile ont demandé à être renfloués alors que Ford ne l'a pas fait. Cela mérite des félicitations.
J'ai parlé de la question de la confiance du public, aspect que vous avez mentionné dans votre mémoire ainsi que du rôle du gouvernement. Nous avons entendu un des témoins précédents parler du fait que le gouvernement devrait jouer un rôle mineur et j'ai déjà abordé la question de la confiance du public. General Motors, Volkswagen, Hyundai et un certain nombre de constructeurs se sont abstenus de signaler certains problèmes au public — problèmes dont certains font l'objet à l'heure actuelle d'un contentieux et qui ont entraîné des victimes. Je me pose beaucoup de questions au sujet de la confiance de la population. Nous n'apprenons ces choses que lorsque des lanceurs d'alerte les signalent. Je pense qu'au moins pendant les premières 10 années de travail dans ce domaine, nous devrions peut-être demander au gouvernement d'intervenir davantage, en particulier, compte tenu de toutes les menaces potentielles que posent pour la sécurité les véhicules automatisés. Je vous mentionne simplement que toute la question de la confiance de la population soulève de graves questions, compte tenu de la façon d'agir de certains constructeurs importants.
M. Smith : De notre point de vue, nous considérons que ce domaine appelle l'établissement d'un partenariat. La réglementation a effectivement un rôle à jouer dans ce domaine. C'est le rôle qui incombe aux autorités de réglementation, à savoir assurer la sécurité du public.
Le sénateur Runciman : À l'heure actuelle, il est évident que cela n'a pas toujours bien fonctionné et que cela a entraîné des résultats très graves.
M. Smith : Il faut que les systèmes évoluent, c'est évident.
Je ne vais pas faire de commentaire sur les problèmes qui touchent les autres fabricants, mais la solution me paraît devoir consister à mettre sur pied toute une série de paramètres de surveillance et s'il apparaît des lacunes dans ces paramètres de surveillance en raison de l'évolution de la technologie, alors cela posera des problèmes aux autorités de réglementation conventionnelle, parce que la technologie évolue plus rapidement qu'elles. Il faudra adopter d'autres modèles. Je dirais néanmoins que M. Ford, en particulier, a clairement déclaré à plusieurs reprises qu'il fallait adopter des orientations qui permettront à la population d'avoir confiance dans cette nouvelle technologie.
Le sénateur Runciman : Pour ce qui est de la viabilité à long terme de l'industrie au Canada et des graves questions que cela pose, pouvez-vous faire des recommandations à ce sujet pour le Canada? Cette industrie est fortement intégrée et nous le savons. Mais sur le plan législatif ou sur celui de l'élaboration de règlements par opposition à l'octroi de subventions, que pouvons-nous recommander au gouvernement pour que cette industrie soit viable à long terme au Canada?
M. Smith : Si nous parlons du secteur de la fabrication, il est évident qu'il faut que l'environnement soit concurrentiel, et il se pose certains problèmes dans ce domaine à l'heure actuelle.
Le sénateur Runciman : Et vous ne souhaitez pas les aborder aujourd'hui?
M. Smith : Je suis venu pour parler des véhicules automatisés.
Le sénateur Runciman : J'aimerais en apprendre davantage à un moment donné sur ce sujet.
M. Smith : Bien sûr. On peut, bien évidemment, faire des économies dans le domaine de la fabrication lorsque les conditions sont harmonisées et il est également évident que la technologie coûte moins cher au consommateur final lorsque les opérations sont rentables. Je suis, depuis longtemps, partisan d'adopter des conditions strictes, mais également de préparer l'adoption de conditions harmonisées au palier international, et aussi en Amérique du Nord et à l'échelle mondiale. L'harmonisation ne devrait pas être une insulte. Il s'agit de découvrir quelles sont les meilleures règles à adopter et de les intégrer.
L'histoire est le plus grand ennemi de l'harmonisation, je le dis en passant. C'est pourquoi il y a de nouveaux domaines comme l'électrification, les véhicules alimentés à l'hydrogène, les véhicules automatisés, dans lesquels nous partons pratiquement de zéro, ce qui offre la possibilité réelle d'harmoniser les règles entre tous les pays.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci pour votre présentation. Je m'intéresse à l'impact de l'arrivée des voitures autonomes sur le secteur de l'emploi et de la main-d'œuvre. Vous avez dit, d'une part, que les voitures allaient être de plus en plus durables. Vous avez aussi dit que les besoins d'entretien seraient de moins en moins grands. On imagine donc que cela aura un impact sur la production de véhicules.
D'une part, je me demande comment votre plan d'affaires tiendra compte de ces facteurs. Ce qui m'intéresse avant tout, c'est de savoir quel sera l'impact de ces transformations sur la main-d'œuvre. À votre avis, quels seront les principaux impacts? Je pense, par exemple, aux petits entrepreneurs, aux petits garagistes qui travaillent dans les régions. Considérant que les voitures seront plus durables, qu'elles auront moins besoin d'entretien, comment le gouvernement fédéral peut-il aider ce secteur d'activité à se préparer à cette transformation?
[Traduction]
M. Smith : Premièrement, je crois que l'on peut dire qu'à mesure que la technologie de ces véhicules évoluera, que ces véhicules seront plus robustes et dureront plus longtemps, il y aura besoin de moins d'employés dans le secteur de l'entretien. C'est un fait. Il va y avoir un déplacement des emplois.
La question plus vaste est peut-être qu'étant donné que le transport de marchandises va s'automatiser de plus en plus, il va y avoir des pertes d'emploi parmi les chauffeurs de camion, ce qui représente une perte d'emploi très importante. Il est probable que des gens devront changer de métier et il faudra donc réfléchir à la façon d'effectuer cette transition à l'avenir.
Du point de vue de la planification commerciale, il me paraît prématuré d'en parler parce que nous pensons avoir un véhicule entièrement autonome, de niveau d'entrée 4, pour 2021. C'est un échéancier très éloigné pour la planification commerciale. Ce véhicule sera utilisé, comme je l'ai dit, dans un environnement géographiquement limité, de sorte que le premier véhicule ne sera probablement pas capable de transporter un gros volume. Ce sera plutôt un projet pilote pour que le public prenne connaissance de cette technologie, se familiarise avec elle, ce genre de chose. Les répercussions se feront probablement sentir plus tard, du point de vue de la planification commerciale, par exemple, si nous tenons compte de notre empreinte manufacturière.
[Français]
Le sénateur Cormier : Avez-vous des idées sur la façon dont le gouvernement fédéral pourrait aider la main-d'œuvre de ce secteur à prévoir ou à se préparer à cette transition et à cette transformation?
[Traduction]
M. Smith : Je suis optimiste, je crois qu'avec le temps, à mesure que les modèles commerciaux évolueront, le marché du travail perdra un certain nombre d'emplois conventionnels, mais récupérera des emplois moins conventionnels. Je ne sais pas vraiment quelle forme ils prendront. C'est sans doute un domaine que le gouvernement fédéral pourrait surveiller et il en sait certainement davantage que moi au sujet des solutions à envisager.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je voudrais tout d'abord remercier notre invité. Je vais peut-être finir cette ronde de questions avec un peu de philosophie.
Selon les gens qui sont venus témoigner devant notre comité, l'avenir de l'automobile semble très palpitant. Cependant, ma grande crainte concerne tous ces systèmes informatisés qui envahissent notre monde. Par exemple, si on perd son téléphone cellulaire ou l'accès à Internet, on panique. L'homme perd de plus en plus d'autonomie à résoudre les problèmes, parce qu'il est de plus en plus dépendant de l'extérieur pour régler ses problèmes de communication.
Nous sommes déjà dépendants du transport en commun; par exemple, s'il y a une panne d'électricité, le métro ne fonctionne plus, ou il peut y avoir, par exemple, une grève des pilotes d'avion. Nous sommes aussi dans un monde de dépendance aux communications, et l'automobile en dépend aussi. L'homme a toujours recherché l'autonomie dans ses déplacements, et il a toujours recherché l'autonomie pour résoudre des problèmes.
Nous ferons face à un marché de l'automobile où il deviendra presque impossible de faire la moindre réparation à une voiture, par exemple, pour changer une courroie, car tout sera informatisé. Est-ce que l'industrie nous proposera un plan B selon lequel nous ne serons pas obligés de nous fier complètement au mode autonome dans nos déplacements, et de devenir esclaves de notre résidence, dans le fond? Est-ce qu'il y aura d'autres moyens d'être autonomes dans nos déplacements, afin que nous n'en soyons pas complètement dépendants?
Cet aspect m'effraie un peu.
[Traduction]
M. Smith : Je pense que l'adoption des véhicules autonomes ou l'intégration des véhicules autonomes dans les flottes de véhicule prendra un certain temps. Huit pour cent des flottes de véhicule sont renouvelés chaque année, et en moyenne, un véhicule est utilisé au Canada pendant plus de 10 ans. Compte tenu de la durabilité des véhicules existants et de l'arrivée des nouvelles technologies, il est certain que tous les véhicules ne seront pas autonomes dans 10 ans.
La mobilité personnelle est pour moi une chose très importante et conduire est toujours un plaisir pour moi; je suis donc certain qu'il y a d'autres gens comme moi et qu'il y aura toujours un marché pour les gens qui veulent conduire. Tant qu'il y aura un marché pour ces véhicules, nous allons continuer à l'approvisionner.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je regarde les technologies intégrées dans nos voitures. Dans la mienne, il y a des avertisseurs tout autour. Si je fais un dépassement, on m'avertit. Si je touche à une ligne blanche, le volant vibre. Conduire un véhicule, quel qu'il soit, est une pratique centenaire pour l'humain. Nous n'aurons plus besoin de nos réflexes pour conduire notre voiture.
Je répète donc ma question. Est-ce qu'il y aura, dans des situations de dépendance totale, des moyens parallèles qui permettront à l'humain de continuer à se déplacer? Si je m'achète une voiture demain et qu'elle tombe en panne à cause du système informatique, est-ce que je serai coincé ou y aura-t-il des mécanismes dans l'automobile qui feront en sorte que je pourrai la conduire sans devoir dépendre du système informatique?
[Traduction]
M. Smith : Il y a plusieurs niveaux d'automatisation. Le véhicule qui est à un faible niveau d'automatisation, le niveau 2 ou moins, peut fort bien continuer à fonctionner en cas de panne d'un système. Ça ne sera pas le cas si ce sont les systèmes de sécurité essentiels qui sont touchés. S'il y avait une panne dans ce type de système, le véhicule s'arrêterait probablement de lui-même. Mais les pannes électroniques sont relativement rares.
Lorsqu'on parle de niveaux d'automation plus élevés, le véhicule que nous avons l'intention de commercialiser d'ici 2021 n'aura pas de volant, pas de pédale de frein, ni d'accélérateur, de sorte que vous allez le démarrer, en fait, l'activer, comme vous le faites pour votre téléphone ou votre ordinateur le matin. Vous aurez probablement ensuite à inscrire la destination ou lui dire où il doit aller, mais c'est lui qui prendra ensuite en charge le déplacement.
J'aimerais revenir sur quelque chose. Selon les statistiques, l'immense majorité des décès vient d'une erreur de l'opérateur, sous une forme ou une autre. C'est parfois que l'opérateur a été distrait, c'est parfois un problème grave et c'est parfois la vitesse. Il y a toutes sortes de raisons, mais c'est un pourcentage très élevé. Cette technologie va donc renforcer la sécurité et épargnera des vies.
Les technologies réglementées qui sont utilisées aujourd'hui dans les véhicules offrent un grand avantage sur le plan de la sécurité. Transports Canada a été en mesure de dire que telle technologie permettra de sauver un nombre de vies défini. C'est la raison pour laquelle cette question a progressé. Les technologies les plus récentes n'ont pas encore atteint un point où cela peut être démontré, mais il est évident que les compagnies d'assurance suivent de près la situation et cherchent à faire avancer les choses. Aux États-Unis, il existe une entente volontaire sur les freins d'urgence automatisés. Nous verrons ce que fera le Canada.
Ces technologies comportent des avantages. Cela est assez clair pour la technologie de la communication entre les véhicules, si cela est réglementé, le DSRC sera intégré aux véhicules, parce qu'il y a un avantage net pour la sécurité lorsque le système peut dire au véhicule qu'il ne fait pas quelque chose qu'il doit faire pour la sécurité et ensuite, il signalera le problème, ou il interviendra. Vous pouvez donc voir comment la technologie des communications entre les véhicules pourrait fonctionner. J'ai vu des représentations de ce genre.
Un véhicule est en panne au bord de la route et il y a un véhicule qui se trouve entre vous et ce véhicule en panne. Le DSRC pourrait dire qu'il y a un véhicule en panne devant, et dire à l'autre véhicule qu'il doit ralentir ou s'arrêter pour éviter une collision. C'est une intervention où la technologie intervient et empêche une conséquence grave. C'est en réalité le genre de possibilité qui s'offre à nous et il s'agit là d'un niveau d'automation relativement faible. Plus l'automation progresse, plus il y a de possibilités.
Le président : Chers collègues, j'aimerais remercier M. Smith d'avoir participé aujourd'hui à nos débats.
Honorables sénateurs, nous accueillerons à la séance de demain, qui sera la dernière séance de la session, des représentants de la Société des systèmes de transport intelligents du Canada.
(La séance est levée.)