Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 21 - Témoignages du 20 septembre 2017
OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour poursuivre son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte.
[Traduction]
Excusez-moi, monsieur Beghetto. Nous devons prendre quelques instants pour discuter des travaux du comité avant de vous céder la parole. Je sais que, le mercredi soir, il y a des sénateurs qui souhaitent partir tôt. Je vais donc régler la question tout de suite.
On m'a dit que le projet de loi C-23 sur le précontrôle doit être renvoyé à notre comité. Comme vous le savez, nous devons également recevoir les projets de loi C-48 et C-49. Nous savons que 82 témoins ont comparu au sujet du projet de loi C-49. Nous voulons faire paraître notre rapport. Il est évident que notre comité est très efficace. C'est la raison pour laquelle il reçoit tant de travail. Aux Communes, c'est le Comité de la sécurité publique et nationale qui s'est occupé du C-23.
Si vous en avez la possibilité, parlez-en à vos directions respectives en soulignant que nous voulons publier notre rapport et que nous croyons important de le faire assez tôt. Nous savons que nous aurons des difficultés lors de l'étude des projets de loi C-48 et C-49. Nous prenons du temps à notre comité parce que le Comité de la sécurité nationale ne veut pas s'occuper du projet de loi. C'est le ministre de la Sécurité publique qui en est responsable. Si vous le pouvez, demandez à vos comités respectifs d'intervenir parce que je ne veux pas retarder ce rapport. Nous savons déjà qu'il y aura une seconde étape.
Le sénateur Eggleton : Souhaitez-vous que le projet de loi C-23 soit renvoyé à un autre comité?
Le président : Je voudrais qu'il aille à la Sécurité nationale, où il est censé aller. Nous sommes occupés, et certains de nos membres ont de l'influence.
La sénatrice Saint-Germain : Je suis membre du Comité de la sécurité nationale. Vous l'êtes aussi.
Le sénateur Mercer : Avez-vous déjà parlé à quelques personnes?
Le président : Je dis en public que nous sommes soumis à une certaine pression.
Je suis heureux de présenter notre témoin, Marco Beghetto, vice-président aux Communications et aux Nouveaux médias, Alliance canadienne du camionnage. Je ne sais pas si notre second témoin, M. Picard, viendra ou non parce que son vol est retardé. Nous allons entendre M. Beghetto tout de suite.
[Français]
Monsieur Beghetto, la parole est à vous.
[Traduction]
Je m'excuse, mais je dois aborder une autre question. Nous avons reçu un document en anglais seulement, mais il nous vient d'une organisation privée. Je ne suis donc pas particulièrement troublé par le fait qu'il soit unilingue anglais, pourvu que mes collègues acceptent qu'il soit distribué. Êtes-vous d'accord?
[Français]
Il n'est disponible qu'en anglais, mais il s'agit d'une organisation privée. Ce n'est pas comme un ministère. Vous êtes d'accord?
[Traduction]
La sénatrice Saint-Germain : Oui.
Le président : Mes excuses. Nous pouvons maintenant commencer.
Marco Beghetto, vice-président, Communications et Nouveaux médias, Alliance canadienne du camionnage : Bonsoir, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'accueillir ce soir. Je m'appelle Marco Beghetto. Je suis vice-président aux Communications et aux Nouveaux médias à l'Alliance canadienne du camionnage. L'alliance est une fédération d'associations provinciales du camionnage, représentant quelque 4 500 transporteurs pour compte d'autrui de tous les coins du pays.
Comme vous pouvez le voir dans les notes distribuées, nos membres exercent une influence assez considérable sur le marché du travail et l'économie du Canada. Nous employons près de 150 000 travailleurs et répondons à 70 p. 100 des besoins de transport routier de marchandises du pays. Notre secteur engendre des recettes annuelles de plus de 65 milliards de dollars. Au niveau du PIB, le secteur des services de transport représente 4,2 p. 100 de la production économique totale, soit 53 milliards de dollars. L'industrie du camionnage a créé 400 000 emplois directs au Canada, dont 300 000 emplois de chauffeurs de camion.
Depuis quelque temps, nous entendons tous parler de l'avènement des véhicules autonomes et de ce qu'on appelle les camions sans conducteur, qui déplaceraient inévitablement des centaines de milliers de chauffeurs professionnels de véhicules commerciaux. Je suis venu ce soir pour dissiper ce mythe. Si j'ai un message à vous transmettre ce soir, c'est que le chauffeur de camion ne disparaîtra pas de sitôt. En fait, l'ACC veut surtout demander à votre comité de recommander au gouvernement, dans son rapport final, de résister à la tentation de qualifier d'« autonomes » ou de « sans conducteur » les camions de demain et d'opter plutôt pour l'expression que nous préférons dans l'industrie, celle de « systèmes avancés d'aide à la conduite ».
Pourquoi préférons-nous cette appellation? Pour nous, le mot-clé, c'est « conduite ». Le nouveau camion moderne de haute technologie apportera de nombreux changements dans notre industrie, mais le conducteur gardera toute son importance, même si son rôle évoluera avec la technologie.
L'avenir n'est pas au camion sans conducteur. Nous envisageons plutôt l'intégration de chauffeurs professionnels bien formés dans un habitacle caractérisé par une technologie innovatrice.
Pour moi, l'évolution du camionnage est semblable à celle que l'aviation a connue depuis des décennies. Le premier pilote automatique a été introduit en 1912 et voilà que, plus de 100 ans plus tard, nous avons encore des pilotes humains. Je suis prêt à parier qu'en grande majorité, le public est très satisfait de la situation actuelle. À mesure que la technologie des systèmes avancés d'aide à la conduite évoluera dans le cas des véhicules commerciaux, les chauffeurs continueront à jouer un rôle clé, comme dans le domaine de l'aviation.
Les chauffeurs de camion ont bien plus à faire que de tenir le volant de leur véhicule. Ils doivent, entre autres, contrôler l'accès au véhicule, veiller à la sécurité, équilibrer les charges, arrimer les cargaisons, gérer le transport des marchandises dangereuses, communiquer avec les premiers intervenants, procéder aux vérifications nécessaires avant le départ, s'acquitter de certaines tâches mécaniques en route, avoir des contacts avec les clients et s'occuper d'innombrables processus lorsqu'ils franchissent des frontières.
Avec l'avènement des systèmes avancés d'aide à la conduite, ou SAAC, nous aurons de plus en plus besoin d'une nouvelle génération de conducteurs d'équipement hautement qualifiés et d'une grande expertise technique. Les programmes d'éducation et de formation, tels que la formation obligatoire des débutants actuellement imposée en Ontario, alliés aux SAAC, augmenteront considérablement la sécurité de la conduite. Les avantages des SAAC au chapitre de la sécurité sont évidents. La leçon à tirer des données recueillies, c'est qu'il faut, pour renforcer la sécurité des véhicules commerciaux, insister en priorité sur le comportement et la formation des conducteurs. À mesure que les SAAC se généraliseront dans l'industrie du camionnage, il sera important de coordonner la réglementation et les politiques provinciales et fédérales afin de maximiser les avantages de cette technologie d'une manière sûre et efficace.
De plus, pour veiller à ce que le Canada suive le rythme de l'innovation et de l'adoption des SAAC dans le monde, nos gouvernements devraient chercher à encourager les entreprises qui adoptent rapidement les nouvelles technologies tout en accélérant l'élaboration de normes de sécurité des véhicules compatibles avec celles des États-Unis. Il est également essentiel que l'ACC et ses partenaires de la chaîne d'approvisionnement se maintiennent à l'avant-garde pour ce qui est d'aider le gouvernement à développer un cadre national des technologies avancées d'aide à la conduite.
Il n'y a pas de doute que l'avènement des SAAC va changer la donne en matière de sécurité et de productivité dans l'industrie du camionnage. Je crois, en toute franchise, que les possibilités sont infinies. Toutefois, il faut cesser d'attribuer une quelconque crédibilité à la notion propagée par les médias et par certains groupes d'investissement que le camion de l'avenir se substituera aux chauffeurs de camion du pays. Essayons plutôt de veiller à ce que la nouvelle génération de conducteurs de notre industrie soit aussi fiable et professionnelle que la génération actuelle et reçoive une formation adéquate dans cet environnement en évolution rapide.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'ai lu un article, non pas scientifique, mais qui a paru dans les médias en 2015 et qui parlait de « truck hacking ». On a mené une expérience sur un autobus scolaire et sur un camion lourd, que l'on a réussi, à distance, à « hacker », à immobiliser et, en quelque sorte, à kidnapper.
La plus grande crainte que l'on puisse avoir, au moment où des véhicules sont pilotés par ordinateurs, via Wi-Fi surtout, c'est que ces signaux puissent être utilisés à des fins criminelles. De quelle façon envisagez-vous le rôle du gouvernement à ce moment-ci? Il faudra éventuellement préparer des lois pour assurer une sécurité maximale à ceux qui acquerront de tels véhicules lourds ou automobiles. La sécurité optimale n'existant pas, il faut miser sur la sécurité maximale. Quel rôle le gouvernement doit-il jouer sur ce plan? Devrait-on laisser cette responsabilité à l'entreprise privée ou sera-t-elle toujours du domaine public?
[Traduction]
M. Beghetto : Je vous remercie de votre question. Le secteur public a évidemment un rôle à jouer. Comme vous l'avez mentionné, différentes émissions d'actualité — comme nous en avons tous vu ces dernières années — ont attiré l'attention sur le fait que des voleurs de voitures peuvent pirater à distance des véhicules connectés. Dans une ère de véhicules dits autonomes ou automatisés, il est clair que nous avons besoin de moyens de protection pour empêcher le piratage à distance non seulement de véhicules commerciaux, mais de toutes sortes de véhicules du secteur des transports.
La protection la plus évidente, c'est le conducteur. Il faut veiller à ce qu'il y ait dans le véhicule une personne qui accompagne la cargaison, quelle qu'elle soit. Il peut s'agir de produits dangereux. La première ligne de défense, c'est le conducteur humain qui a fait l'objet d'une enquête de sécurité et qui se conforme à tous les protocoles qui existent déjà dans le secteur des transports. Je dirai que c'est la première ligne de défense. Oui, c'est une autre raison pour laquelle le conducteur ne disparaîtra pas.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Nous avons entendu des témoins hier qui nous disaient que, en ce qui concerne le développement des technologies, le mouvement est beaucoup plus rapide qu'on l'aurait cru il y a cinq ou dix ans. Ce qu'on croyait arriver dans cinq ou dix ans est pratiquement sur le marché, ce qu'on attendait en 2030 sera ici en 2020 ou 2025. Cette accélération de la technologie fait en sorte que le mouvement est beaucoup plus rapide.
Pour ce qui est des camions lourds, on estime que jusqu'à 40 p. 100 des véhicules seraient vulnérables au piratage. Le gouvernement du Canada est-il en retard par rapport aux autres pays? Le gouvernement ne devrait-il pas hâter le pas pour éviter un jour d'être dépassé par les événements?
[Traduction]
M. Beghetto : Je ne sais pas à quel rythme le gouvernement canadien se maintient au niveau technologique des organisations ou des entités criminelles qui voudraient pirater un véhicule.
Cela dit, je dirai, pour répondre à votre question, que le gouvernement du Canada a sûrement un rôle à jouer dans ce domaine. Pour ce qui est de la rapidité de l'évolution technologique, il est clair que les organisations criminelles s'efforcent de maintenir une certaine avance sur les autorités. Je n'aurais jamais imaginé, il y a 15 ou 20 ans, que j'aurais dans la poche un dispositif essentiellement plus puissant que les ordinateurs d'il y a une vingtaine d'années. Il est évident que la technologie évolue rapidement et que cela nous impose de garder une certaine avance sur ceux qui voudraient accéder à ces véhicules à des fins illicites, soit pour les voler soit dans un autre but, dans l'environnement engendré par les attentats du 11 septembre 2001.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Peut-on affirmer qu'il y aura toujours un conducteur dans les véhicules et camions? Entrevoyez-vous un jour l'absence de chauffeur pour certains types de camionnage? On peut penser à des circuits plus courts ou à des camions qui ont des charges moins volumineuses, où le risque est moins élevé quant à la circulation. Entrevoit-on la possibilité un jour de ne pas avoir de conducteurs dans les camions et que tout soit automatisé à 100 p. 100?
[Traduction]
M. Beghetto : On ne peut jamais rien exclure. Je dirai cependant que c'est le marché ainsi que le gouvernement, les perceptions publiques et la réaction générale des gens qui conditionneront dans une grande mesure ce qui se passera.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Prenons le cas, dans un certain cadre syndical, où une entreprise vit des problèmes avec ses conducteurs automobiles, et qu'elle a à sa disposition une flotte complète de véhicules automatisés. Ces entreprises ne seront-elles pas tentées, pour rationaliser les salaires et les conditions de travail, d'automatiser une partie de la flotte sans conducteurs? Vous comprenez le sens de ma question?
[Traduction]
M. Beghetto : Absolument. Je crois que vous dites qu'il y a des secteurs ou des environnements dans lesquels de telles mesures sont possibles.
Le sénateur Boisvenu : Comme des robots.
M. Beghetto : Oui. Cela dit, nous ne savons pas ce que nous réserve l'avenir. Nous avons une pénurie de chauffeurs. Si elle reste aussi aiguë qu'elle l'est actuellement, certains marchés connaîtront des pressions favorisant l'adoption d'un plus grand nombre de véhicules automatisés. De toute évidence, le rendement de l'investissement maintiendra un certain équilibre. Nous n'avons aucune idée du moment où cela se produira.
Comme je l'ai mentionné dans mes notes, un véhicule automatisé ne pourra pas, par exemple, s'équiper lui-même de chaînes pendant l'hiver pour circuler à Prince George. Il ne pourra pas répondre aux questions d'un douanier américain. Or les camions exploités pour le compte d'autrui participent en grande majorité au commerce international.
Nous avons vu, par exemple, que des projets pilotes de circulation en peloton ont été réalisés. C'est évidemment un environnement automatisé dans lequel il y a un chauffeur en tête du peloton. Il y a des corridors, peut-être entre Montréal et Toronto ou Montréal et Windsor, où je crois que nous commencerons à voir des projets pilotes dans les 5 à 10 prochaines années. Encore une fois, je pense que le public dictera la vitesse à laquelle cette technologie évoluera. Oui, les entreprises seront intéressées. Je ne suis pas un expert en analyse des marchés. Je ne sais pas à quel moment nous parviendrons à un certain équilibre. Oui, cela est possible dans quelques secteurs, mais, à mon avis, ce ne sera pas dans l'avenir prévisible pour la plupart des secteurs, compte tenu de la demande actuelle de chauffeurs de camion et de la multiplicité des tâches dont ils doivent s'acquitter.
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie.
Le sénateur Mercer : Je vous remercie de votre présence et de l'exposé que vous nous avez présenté.
Je suis membre du comité depuis 13 ans. Dans mes premières années, j'ai entendu des représentants d'associations comme la vôtre et d'autres membres de l'industrie parler de la pénurie de chauffeurs. Nous avons eu de nombreuses discussions au sujet de cette pénurie et des solutions possibles liées à l'immigration. Nous avions reconnu que les chauffeurs de camion canadiens doivent avoir des compétences très particulières qu'on ne peut probablement trouver que chez des gens venant du nord ou de l'est de l'Europe, où les conditions météorologiques sont comparables à celles du Canada.
J'ai été très déçu de voir dans les notes que vous avez présentées ce soir que vous prévoyez qu'il nous manquera 34 000 chauffeurs d'ici 2024. Nous n'avons donc fait aucun progrès. Il me semble que nous n'avons pas pris les mesures voulues pour que la conduite d'un camion constitue un emploi attrayant pour de jeunes Canadiens. Nous devons trouver un moyen d'y parvenir. Il s'agit d'emplois bien rémunérés qui revêtent une grande importance parce qu'ils contribuent à la livraison des produits canadiens ou des produits importés à leur destinataire. Je crois que c'est un problème auquel nous devons remédier.
Cela étant, j'ai l'impression que la nouvelle technologie constitue l'un des moyens possibles de réduire le nombre de chauffeurs dont nous avons besoin. Est-ce que cette technologie atténuera la pénurie ou bien ne fera-t-elle que compliquer la situation?
M. Beghetto : Ma réponse aura deux volets. Pour ce qui est d'attirer une nouvelle génération de travailleurs dans l'industrie, je crois que la technologie contribuera beaucoup à améliorer la situation.
Nous avons affaire à une génération de milléniaux ou à une génération encore plus récente. De toute évidence, elle se compose de travailleurs d'un genre différent, qui ont grandi dans un environnement différent. Quand on parle de SAAC et d'autres progrès technologiques, je crois que les jeunes des nouvelles générations seront plus enclins à s'intéresser au camionnage dans cet environnement moderne qui exige des travailleurs qui se servent davantage de leur imagination et qui sont plus portés sur la technologie. Je crois que nous réussirons à attirer un bassin d'employés potentiels que nous n'aurions pas pu atteindre dans le passé.
L'autre aspect, comme vous l'avez mentionné, c'est le niveau de professionnalisation de l'industrie du camionnage. À l'heure actuelle, la conduite d'un camion n'est pas considérée comme un métier spécialisé. À cet égard, nous avons fait un travail préliminaire en Ontario en vue d'établir une formation obligatoire des débutants, qui a relevé le niveau de professionnalisme et a modifié l'attitude de l'industrie envers les chauffeurs de camion. À cela s'ajoute un avantage accessoire : la création d'un bassin de recrues potentielles qui n'auraient pas autrement envisagé un emploi dans l'industrie du camionnage.
Le sénateur Mercer : Je suppose qu'il y a tant de chansons « country » sur les chauffeurs de camion qu'il est difficile d'envisager le métier autrement.
Vous avez mentionné dans votre exposé — et j'en suis bien content — l'importance de la sécurité que les chauffeurs de camion apportent à l'industrie.
M. Beghetto : Oui.
Le sénateur Mercer : Au cours des discussions que nous avons eues ici, nous avons entendu à plusieurs reprises que lorsque nous aurons atteint le point où nous verrons des camions automatisés sur les routes, ces véhicules ne rouleront pas séparément : ils se déplaceraient en caravanes de plusieurs camions. Cela signifie qu'il n'y aurait pas un conducteur dans chacun. Il n'y en aurait qu'un pour trois ou cinq véhicules. S'il y a un accident impliquant un gros camion, surtout s'il fait partie d'une caravane qui roule sur une importante autoroute, les conséquences pourraient être graves. Est-ce que l'industrie a commencé à penser à cette question? Que vous souhaitiez ou non emprunter cette voie, vous devez envisager la possibilité d'être obligés de le faire.
Y a-t-il des travaux ou des études à ce sujet? Comment pouvons-nous rassurer les autres usagers de la route quant à la sécurité de ces caravanes?
M. Beghetto : Je ne suis pas un expert de cette technologie dont je ne connais pas vraiment les détails. Je sais que beaucoup de travail se fait de l'autre côté de la rivière de concert avec des entreprises et des constructeurs qui font des essais sur des systèmes de circulation en peloton. Je crois que c'est à ces systèmes que vous pensez.
Pour revenir à votre question, je crois qu'il faudra, dans tous les cas, mettre la technologie à l'épreuve et la tester dans toutes les conditions possibles pendant une longue période. Nous pouvons constater, en naviguant sur Internet, qu'il arrive aux voitures Tesla dites autonomes de perdre le nord et d'aller percuter des barrières en béton et d'autres obstacles, en dépit du fait qu'elles sont à l'essai depuis des années.
Nous devons être sûrs de la fiabilité de la technologie. L'ACC insiste constamment sur le fait qu'indépendamment de la nature du problème, nous devons toujours rechercher des solutions conçues au Canada. Toute technologie doit non seulement fonctionner, mais être adaptée aux conditions canadiennes. Elle doit pouvoir marcher dans nos conditions opérationnelles et climatiques très particulières. Les capteurs sont vulnérables aux conditions météorologiques et à d'autres facteurs. Tout cela prendra du temps.
Le sénateur Mercer : Il ne sera pas facile de former les gens et de perfectionner la technologie pour que tout fonctionne bien dans notre environnement. Je me rappelle la fois où j'avais décidé de rendre visite à des parents qui vivaient en Caroline du Nord. Parti en voiture, j'avais passé la nuit à Rona. Le lendemain matin, quand j'ai repris le volant, j'ai vu qu'il avait neigé. Je ne me suis pas inquiété parce que c'était l'hiver et que ma voiture était équipée de pneus à neige. Ayant pris l'autoroute, je roulais assez bien, mais pas à la vitesse que j'aurais voulue compte tenu des conditions. Arrivé dans un virage, j'ai commencé à dépasser des camions. Je me disais qu'ils étaient bien lents, mais, après les avoir examinés, je me suis rendu compte qu'ils n'avançaient pas du tout. Leurs roues patinaient dans la neige parce que les chauffeurs ne connaissaient rien de la conduite en hiver et ne disposaient probablement pas de l'équipement nécessaire.
Je crois qu'il est nécessaire de souligner votre commentaire relatif à une solution conçue au Canada parce que nos conditions sont exceptionnelles et ne se retrouvent pas uniformément partout dans le pays. En particulier, la Colombie- Britannique a un climat qui se prête beaucoup plus à la conduite que celui d'autres régions du pays telles que les Prairies, le Québec ou l'Ontario.
J'aimerais être sûr que l'industrie prend cela au sérieux et consacre des ressources à la réalisation d'études et à la production de recommandations à l'intention des gouvernements provinciaux et du gouvernement national sur la façon de s'attaquer aux problèmes. Je reviens encore aux 34 000 chauffeurs dont nous aurons besoin en 2024. Ce besoin ne disparaîtra pas.
M. Beghetto : La formation doit évoluer avec la technologie. Nous ne pouvons pas nous contenter d'un système de formation stagnant. La formation doit être uniforme et cohérente partout dans le pays. À mesure que cette technologie est adoptée, il faudra former des chauffeurs pouvant l'utiliser.
Le sénateur Mercer : Les collèges communautaires sont ceux qui réagissent le plus rapidement. À Halifax, les Chantiers Maritimes Irving avaient décroché un contrat de 30 ans pour la construction d'un grand nombre de navires pour la Marine.
Dès le lendemain, le Nova Scotia Community College a commencé à repenser ses programmes pour s'adapter à la situation. Il avait un programme de formation en soudage plus ou moins inactif. La direction ne lui accordait pas une grande importance, mais, du jour au lendemain, il est passé en tête de liste.
Ces choses doivent se produire rapidement, mais il faut disposer d'un contexte. Ce n'est pas une question que je vous pose. J'essaie juste de vous encourager.
Le sénateur Eggleton : Nous nous faisons tous une certaine idée du chauffeur de camion moyen. Cette idée va-t-elle changer bientôt? Lui faudra-t-il acquérir un nouvel ensemble de compétences? S'il ne conduit plus autant un camion qu'il ne s'acquitte de tâches liées davantage à la sécurité, il devra sans doute acquérir de nouvelles compétences axées sur une technologie avancée. Conviendrait-il encore de l'appeler chauffeur de camion? Aura-t-il besoin d'un diplôme universitaire?
M. Beghetto : Je ne sais pas s'il aura besoin d'un diplôme universitaire, mais je pense que vous avez raison. Le chauffeur évoluera avec la technologie. Il est impossible de prévoir avec certitude ce qu'il fera ou ne fera pas, mais l'idée qu'on se faisait du chauffeur de camion dans le passé sera probablement dépassée à mesure que cette technologie se répandra sur le marché.
Comme je l'ai dit, la technologie plaira sans doute aux milléniaux et à la nouvelle génération de chauffeurs qui utiliseront davantage leurs facultés cérébrales et seront plus portés sur les questions techniques. Les systèmes avancés auront un prestige que les jeunes pourraient trouver attrayant. Ils n'auront peut-être pas besoin d'un diplôme universitaire. Je ne suis pas trop sûr à ce sujet.
Le sénateur Eggleton : Peut-être un diplôme collégial ou de cégep.
Qu'en est-il de la rémunération? Pensez-vous qu'elle évoluera? Augmentera-t-elle? Diminuera-t-elle? Ces chauffeurs n'auront pas à se tenir constamment au volant de leur véhicule.
M. Beghetto : De toute évidence, c'est le marché qui dictera les conditions de travail. Il ne faut pas perdre de vue les différences sectorielles. Dans certains secteurs, le chauffeur restera toujours au volant pour conduire le véhicule. Vous pensez à un environnement plus automatisé. Dans ce cas, le chauffeur sera peut-être appelé à s'acquitter de différentes tâches. Il aura peut-être à faire du travail administratif, à s'occuper du service à la clientèle ou à se charger de fonctions de cette nature. Bien entendu, la rémunération dépendra des tâches accomplies.
Le sénateur Eggleton : Certains des véhicules autonomes les plus avancés seront en fait des ordinateurs sur roues. Les chauffeurs auront donc besoin de compétences en informatique pour les faire fonctionner.
Les témoins qui ont comparu devant le comité nous ont parlé de voitures et même de minibus sans conducteur. Nous avions aujourd'hui un véhicule complètement autonome sur la Colline parlementaire. Ceux d'entre nous qui étaient là ont pu faire un tour à bord. Je trouve difficile de comprendre pourquoi cette technologie ne pourrait pas s'appliquer aux camions à un moment donné.
Vous avez clairement dit qu'il ne fallait pas y penser, qu'il n'y aura pas de camions sans conducteur. Vous avez parlé de systèmes avancés d'aide à la conduite. Cela signifie-t-il que votre industrie résistera à toute tentative de mettre en service des véhicules sans conducteur? J'essaie de comprendre en quoi un camion se distingue d'une voiture ou d'un minibus. Les gens pensent à toutes sortes de véhicules qui pourront rouler sans conducteur, mais vous dites que les camions sont à exclure.
M. Beghetto : Nous n'écartons pas l'idée. Pour répondre à votre question, non, nous ne résisterons pas activement à l'évolution de la technologie. C'est le marché qui dictera à quel point celle-ci se généralisera.
Comme je l'ai dit, on ne peut jamais rien exclure, mais, pour l'avenir prévisible, la conduite d'un véhicule commercial nécessitera une intervention ou une surveillance humaine pour différentes tâches dont un chauffeur de camion devra continuer à s'occuper dans la majorité des secteurs.
Le sénateur Eggleton : Je voudrais revenir à la circulation en peloton. L'idée d'un convoi de camions est réalisable, d'après ce que vous avez dit, mais aurions-nous alors besoin d'un chauffeur dans chaque véhicule, ou bien suffirait-il d'en avoir un en tête du peloton ou peut-être à l'arrière? Ce serait un peu comme un convoi ferroviaire. Comment voyez-vous cela?
M. Beghetto : J'ai participé au programme pilote de Blainville dans le cadre duquel le convoi se composait d'un peloton de trois véhicules. Dans notre cas, il y avait un chauffeur dans chacun, mais ceux des deuxième et troisième véhicules n'intervenaient pas du tout. Le premier chauffeur faisait tout. Grâce à des détecteurs et à des appareils sans fil, les deux derniers véhicules du convoi réagissaient au freinage et à l'accélération du véhicule de tête.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Comme vous en avez bien fait la démonstration, le transport routier au Canada est une industrie très importante. Vous faites valoir un argument exposé dans votre mémoire pour lequel j'aurais besoin davantage d'explications quant à l'enjeu de la sécurité. Cet enjeu de la sécurité a été abordé quelque peu; vous le présentez dans votre mémoire comme étant un enjeu qui pose plusieurs problèmes. Cependant, dans l'une de vos affirmations — à la page 3 de votre mémoire, en ce qui a trait à la sécurité des camions —, vous indiquez que des études ont été faites en Ontario et qu'on démontre ce qui suit, et je cite :
[Traduction]
Sur l'ensemble des accidents responsables impliquant un camion, 90 p. 100 étaient attribuables à une erreur du conducteur, les causes mécaniques n'ayant joué un rôle que dans moins de 10 p. 100 des cas.
[Français]
Cela m'intrigue un peu parce que, selon moi, cet argument est en faveur du développement et de l'investissement de votre industrie dans les technologies pour des raisons de sécurité.
Avez-vous l'intention de faire des travaux ou avez-vous déjà fait des travaux pour analyser et mettre en oeuvre des technologies sous l'angle de l'amélioration de la sécurité?
[Traduction]
M. Beghetto : Absolument. J'aimerais dire très clairement que le SAAC, ou système avancé d'aide à la conduite dont je vous ai parlé, vise exactement cet objectif. C'est un outil pour le chauffeur de camion, un chauffeur qui, nous l'espérons, évoluera pour devenir un conducteur hautement qualifié qui disposera de cet ensemble d'outils.
Nous avons déjà un certain nombre de dispositifs : l'avertisseur de risque de collision à l'avant, l'avertisseur de sortie de voie, le freinage automatique d'urgence, le système de surveillance de la vigilance du conducteur, les systèmes de détection de la fatigue, les systèmes qui déterminent à quelle fréquence le conducteur ferme les paupières, et cetera. Ces choses font partie de la condition humaine et se produisent indépendamment du degré de compétence du chauffeur. Les SAAC contribueraient beaucoup au renforcement de la sécurité.
Alliée au SAAC, une meilleure formation des conducteurs, comme la formation obligatoire actuellement imposée aux débutants en Ontario, aurait des effets positifs considérables.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : J'aimerais vous poser une dernière question.
Je réfère maintenant à la rubrique « What does the industry need from governments? », qui est justement en lien avec ADAS. Vous dites ce qui suit, et je cite :
[Traduction]
Cette technologie semble constituer une occasion idéale pour le gouvernement d'explorer des moyens d'inciter les entreprises à l'adopter rapidement et d'accélérer le développement de la sécurité des véhicules.
[Français]
Vous posez la prémisse suivante, à savoir que vous aurez besoin de subventions ou d'aide financière de la part du gouvernement dans ce contexte-là. Pouvez-vous m'expliquer davantage selon quelles assises ou selon quels arguments vous considérez qu'une industrie comme la vôtre, qui a un chiffre d'affaires et des profits semblables, dans ce contexte, puisse tout de même avoir besoin d'une aide gouvernementale?
[Traduction]
M. Beghetto : Comme nous l'avons déjà dit, nous voulons être sûrs que les technologies qui seront mises en œuvre sur la route dans un environnement automatisé sont parfaitement fiables, ont été mises à l'épreuve et constituent des solutions conçues au Canada. Pour accélérer le développement et se maintenir au diapason de l'innovation technologique, nous devons encourager l'adoption de ces systèmes.
À cette fin, il y aurait peut-être lieu, dans une perspective de sécurité, de prévoir des incitatifs pour amener certains transporteurs à adopter des éléments de ces technologies dans certains secteurs.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : J'ai entendu beaucoup de choses liées à ce que je veux savoir. Je vais donc essayer de voir si j'ai bien compris. Il est clair dans un monde en évolution constante que, pour n'importe quelle entreprise, la planification stratégique des opérations futures est absolument critique. L'un des éléments essentiels de cette planification consiste à faire une analyse de la conjoncture dans son domaine et dans les domaines connexes.
Sur le marché du travail, cela se traduira évidemment par un changement des descriptions de fonctions. L'une de mes questions est la suivante : sur quelle période votre organisation se fonde-t-elle pour déterminer l'évolution de ces descriptions?
Une fois les fonctions décrites, nous devons penser à l'intégration professionnelle et aux qualifications nécessaires. Vous avez déjà abordé le sujet, mais pour mieux explorer les domaines connexes de la sécurité et de la formation, j'aimerais en savoir un peu plus sur la nature de la formation et sur les établissements qui peuvent la dispenser, s'il ne s'agit pas d'universités. La formation serait-elle donnée en cours d'emploi ou bien dans un collège communautaire? J'aimerais savoir ce qui a été fait à cet égard.
Une fois les gens engagés, il faudra aussi se soucier des moyens de les garder. C'est à ce niveau que la question du sénateur Eggleton relative à la rémunération devient vraiment intéressante. Dans votre planification opérationnelle et stratégique, voyez-vous la rémunération augmenter ou diminuer?
Je voudrais enfin revenir à la question posée par la sénatrice Saint-Germain. Quel rôle le gouvernement fédéral peut- il jouer dans l'élaboration des règlements, des lignes directrices ou des scénarios correspondant à votre planification opérationnelle et stratégique?
M. Beghetto : Je vous remercie de cette série de questions.
D'abord et avant tout, il faut former les conducteurs. Nous avons besoin d'une formation obligatoire des débutants, qui n'existe pas actuellement dans la plupart des administrations du pays. N'importe qui peut demander un permis de conduire commercial et l'obtenir en se soumettant à un examen de conduite, sauf en Ontario, qui impose une formation obligatoire des débutants. L'ACC travaille avec les associations provinciales pour qu'elles incitent leurs ministères respectifs à adopter des programmes semblables. Bref, il est essentiel de commencer par donner une formation aux chauffeurs de camion.
La sénatrice Bovey : Une formation dans quel domaine?
M. Beghetto : À l'heure actuelle, il faudrait leur apprendre à faire plus que réussir à l'examen de conduite : vérifications préliminaires, sécurité et compétences avancées. Je n'ai pas une connaissance détaillée des programmes d'études de l'Ontario, mais ils sont beaucoup plus complets que ce qui existait auparavant.
La sénatrice Bovey : Je suppose que l'informatique ferait partie de ces programmes.
M. Beghetto : À mesure que nous adopterons un environnement de SAAC, nous voudrons veiller à ce que la formation évolue avec la technologie. Il sera donc nécessaire de donner certaines connaissances en informatique ou en traitement de l'information.
La sénatrice Bovey : Excusez-moi, je suis peut-être très naïve. Qui définira les besoins à cet égard? Est-ce l'Association du camionnage, les collèges communautaires, les spécialistes des technologies de l'information ou les gouvernements? Compte tenu du fait que les programmes d'études universitaires relèvent des universités, qui relèvent elles-mêmes de la compétence provinciale, compte tenu aussi du fait qu'à mon avis, nos camions continueront à faire des transports transfrontaliers, qui va se charger de coordonner tout cela?
M. Beghetto : C'est une bonne question. C'est aussi une conversation que l'ACC serait très heureuse d'avoir avec vous tous ainsi qu'avec vos homologues provinciaux. Cette conversation, si elle existe, en est encore à ses premiers balbutiements dans la plupart des provinces. Les discussions dont vous parlez n'ont pas encore eu lieu pour la plupart. Nous serions enchantés de discuter de la façon dont ces technologies pourraient être mises en œuvre.
La sénatrice Bovey : Je m'excuse. Connaissant bien la planification stratégique, je sais que tout cela est un peu illusoire. Vous avez parlé de la façon dont vous espérez que ce domaine évoluera. Je dirai pour ma part que j'espère qu'une organisation ou un groupe s'occupera sérieusement de définir les enjeux stratégiques et de réunir les éléments stratégiques de ce casse-tête.
Cela est essentiel. Nous sommes en présence de nombreux éléments, mais je suis un peu confuse aujourd'hui parce que j'ai l'impression, d'une part, que nous avons parcouru beaucoup de chemin et, de l'autre, que je traîne moi-même de l'arrière.
La sénatrice Griffin : Nous nous entendons sur un point : la formation sera beaucoup plus étendue et beaucoup plus intensive qu'elle ne l'a été dans le passé. Bien sûr, à mesure que le travail évoluera, il y aura des gagnants et des perdants. Malheureusement, les travailleurs actuels de l'industrie ne seront pas tous disposés à y rester ou capables de suivre la formation exigée, s'ils sont déjà là. Je suppose que la plupart des nouveaux chauffeurs seront déjà familiarisés avec les techniques de ce genre depuis leur petite enfance. Je ne m'inquiète donc pas beaucoup pour eux. Je suis d'accord avec le sénateur Mercer pour dire que les collèges communautaires constituent l'endroit le plus logique pour donner cette formation.
Ma plus grande préoccupation tient au fait que le niveau général de littératie n'est pas très élevé au Canada. Compte tenu de l'argent que nous consacrerons à nos écoles publiques, je trouve que nous avons encore beaucoup trop d'analphabètes fonctionnels dans le pays. Il sera donc difficile de déterminer qui, à l'avenir, sera en mesure de satisfaire aux normes.
J'ai quelques questions à poser. En ce moment, qui suit la formation obligatoire des débutants en Ontario?
M. Beghetto : C'est évidemment une politique gouvernementale. L'Ontario travaille avec les écoles de formation, de sorte que les écoles doivent maintenant adopter un programme d'études agréé. Ce n'était pas le cas auparavant. Dans le passé, il suffisait d'aller dans un bureau du ministère ou dans un centre d'examen de conduite, de prendre rendez- vous et de subir l'examen. Il y avait des écoles qui apprenaient aux gens ce qu'il fallait pour réussir à cet examen, mais aujourd'hui, ces établissements doivent enseigner un programme prescrit.
La sénatrice Griffin : Il s'agissait donc essentiellement d'écoles de formation de chauffeurs de camion. Je sais de quoi il s'agit parce que je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, qui avait ces écoles, de même que la Nouvelle-Écosse. Ce n'étaient pas encore des écoles ou des collèges techniques. Elles étaient spécialisées dans la formation des chauffeurs de camion, n'est-ce pas?
M. Beghetto : Pour la plupart, oui.
La sénatrice Griffin : Je conviens avec le sénateur Mercer que la nature de ces écoles évoluera.
Vous avez mentionné que vous avez des consultations avec les provinces. Avez-vous pris contact avec l'ensemble des provinces et des territoires? Bien sûr, c'est un tout nouveau domaine quand on en vient au Nord canadien, à cause des grandes distances et des conditions climatiques.
M. Beghetto : Pour la formation obligatoire des débutants, c'est bien le cas. L'ACC a communiqué sa politique à chacune des associations provinciales de camionnage membres. Ces associations ont entamé des discussions avec les responsables de leur gouvernement provincial. De toute évidence, le degré d'avancement de ces discussions varie avec les provinces, mais nous avons au moins l'exemple de l'Ontario. Beaucoup de provinces ont adopté une approche attentiste, préférant voir d'abord les données quantitatives et qualitatives qui découleront de l'expérience. Le programme ontarien de formation obligatoire des débutants n'a démarré qu'en juillet dernier. Dès que des données auront été produites, il est probable que d'autres provinces commenceront à agir à leur tour.
La sénatrice Griffin : Cela serait très utile.
M. Beghetto : Absolument.
La sénatrice Griffin : Je vous remercie.
Le président : Nous attendons toujours des nouvelles de M. Picard. Nous n'avons pas encore reçu un appel de sa part.
Le sénateur Eggleton : La question que j'avais oubliée portait sur le genre de carburant qui serait utilisé dans les véhicules futurs. Je vois qu'un projet pilote sur la circulation des camions en peloton a eu lieu il y a un an à Blainville. D'après les renseignements que j'ai ici, il a été possible de réaliser d'importantes économies de carburant. En fait, lorsque la technologie de la circulation en peloton a été essayée en combinaison avec des dispositifs de remorque aérodynamiques, ces économies avaient atteint 14,2 p. 100.
Que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Pourriez-vous aussi nous parler d'électrification? Quand il s'agit de voitures, de véhicules de transport en commun, de minibus ou autres, les technologies avancées semblent comprendre l'électrification. Croyez-vous que votre industrie pourrait adopter des camions électriques?
M. Beghetto : Nous avons beaucoup parlé de sécurité aujourd'hui. Cette technologie présente aussi des avantages environnementaux. Les économies de carburant jouent un grand rôle à cet égard. De nouvelles normes de rendement énergétique doivent très bientôt entrer en vigueur partout au Canada.
Qu'il s'agisse d'électrification, de gaz naturel ou de dispositifs complémentaires, comme les systèmes anti-ralenti, les dispositifs aérodynamiques et d'autres appareils de même nature, je crois que les progrès découleront d'une combinaison de facteurs. Il n'y a rien de tel qu'un camion type. Certains de ces dispositifs et de ces technologies seront plus efficaces dans certains marchés que dans d'autres.
Le sénateur Eggleton : J'ai une dernière question à poser. Vous avez dit que nous devrions cesser de parler de camions sans conducteur pour envisager plutôt des systèmes avancés d'aide à la conduite. Nous recommandez-vous de dire dans notre rapport qu'il faudra toujours avoir un conducteur dans les véhicules commerciaux? Je pense aux grands camions plutôt qu'aux petits. Les grands véhicules sont assez complexes et sont donc vulnérables à toutes sortes de problèmes et de pannes, qui peuvent se produire même si le véhicule est entièrement autonome.
Défendez-vous la thèse qu'il faudrait toujours avoir quelqu'un dans les véhicules commerciaux? Faudrait-il en faire une exigence obligatoire?
M. Beghetto : Je dis qu'en commençant à établir un cadre, nous devons tenir compte de la réalité actuelle. Cette réalité, c'est que nous n'aurons pas des camions sans conducteur dans un avenir prévisible. Nous devrions par conséquent concentrer nos efforts sur la technologie dont nous disposons actuellement, celle des SAAC, et en faire un outil plutôt qu'une chose pouvant servir à remplacer les chauffeurs de camion.
Le sénateur Eggleton : Hier, un des témoins qui ont comparu était d'avis que nous pourrions accéder au niveau 5 d'ici cinq ans. Si j'ai bien compris, le niveau 5 est celui de l'automatisation complète. Pour votre part, vous n'envisagez pas la possibilité de camions complètement autonomes dans un avenir prévisible.
M. Beghetto : Dans les cinq prochaines années?
Le sénateur Eggleton : Peut-être pas cinq, peut-être 10 ans ou quelque chose de cet ordre.
M. Beghetto : Tout cela dépend beaucoup de ce que pensent les personnes présentes dans cette salle et de ce que pense le public. Il y a encore bien des obstacles à surmonter.
Le sénateur Eggleton : Très bien, bonne réponse.
Le sénateur Mercer : Votre article de juin 2017, qui a paru sur le site web de l'Alliance canadienne du camionnage, dit que votre association est en train d'établir un comité consultatif sectoriel sur les véhicules automatisés. J'ai deux questions pratiques à poser. Où en est le projet de comité consultatif et à quoi doit-il servir?
M. Beghetto : Je connais quelqu'un qui participe aux travaux du comité consultatif. Je peux obtenir les renseignements nécessaires et les transmettre à votre greffier. Personnellement, je n'ai pas pris part à l'activité de ce comité.
Le sénateur Mercer : Mais l'association s'en occupe.
M. Beghetto : Oui, bien entendu, l'ACC a effectivement établi un comité consultatif.
Le sénateur Mercer : J'espérais pouvoir répondre à l'espoir dont nous a fait part la sénatrice Bovey, mais vous avez réussi encore une fois à écarter cet espoir.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je suis heureux d'être le dernier intervenant, car je crois que tout le monde a eu une longue journée.
Vous dites que l'électrification ne semble pas une avenue très réaliste à cause des charges importantes à transporter. C'est ce que je comprends de votre présentation.
[Traduction]
M. Beghetto : Non, je ne crois pas avoir dit cela.
Le sénateur Boisvenu : Non?
M. Beghetto : Au sujet de l'électrification?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : L'électrification, pour un camion lourd, est sans doute plus complexe et moins réalisable à court terme à cause des charges à transporter, ou est-ce aussi facilement réalisable que pour la voiture automobile?
[Traduction]
M. Beghetto : Encore une fois, je ne suis pas un expert de l'électrification des véhicules. Je sais cependant que l'électrification nécessite d'établir une vaste infrastructure. Je répète qu'à mon avis, nous n'en sommes pas encore là. En ce moment, les marchés essaient différents systèmes de propulsion et diverses technologies, dont le gaz naturel.
Nous venons de voir ce qui s'est produit en Ontario.
Le sénateur Boisvenu : L'hydrogène.
M. Beghetto : L'hydrogène et le gaz naturel liquéfié. En Ontario, le gouvernement a prévu des fonds dans son budget pour favoriser l'utilisation du gaz naturel comme combustible dans les véhicules commerciaux et la mise en place de l'infrastructure nécessaire à cette fin. C'était une première mesure positive, du moins en Ontario. Nous sommes extrêmement favorables aux initiatives de ce genre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Le transport lourd ne se dirige donc pas vers des véhicules complètement autonomes, mais plutôt vers des véhicules semi-autonomes. Déjà, vous avez un problème majeur en termes de recrutement de camionneurs. Même dans un contexte de semi-autonomie, les tâches des camionneurs seront appelées à changer avec le temps, à devenir plus complexes, ce qui exigera davantage de formation. Dans un tel cas, cela ne risque-t-il pas d'aggraver la pénurie de chauffeurs de camion?
[Traduction]
M. Beghetto : C'est une question qui fait constamment l'objet de discussions dans l'industrie du camionnage. Si on rend plus difficile l'accès au secteur en augmentant les niveaux requis de formation et d'agrément, risque-t-on de réduire le nombre de personnes que le camionnage pourrait attirer? Nous ne le croyons pas.
Si nous relevons le niveau de l'industrie en en faisant un domaine spécialisé et en renforçant le degré de professionnalisation, nous attirerons toute une nouvelle génération de recrues possibles qui n'auraient jamais envisagé autrement d'entrer dans ce domaine. Soyons réalistes : c'est un travail difficile, un travail solitaire. L'automatisation et le prestige attaché à cette technologie le rendent plus facile.
J'ai parlé de certains de ces facteurs. Le fait de conduire pendant une période prolongée est vraiment stressant. Quelques-uns des nouveaux dispositifs, comme les avertisseurs de risque de collision et les systèmes de surveillance de la vigilance, peuvent faciliter le travail. En augmentant le confort et en réduisant le stress, on rend la tâche plus facile pour le conducteur. Ces technologies peuvent donc attirer la nouvelle génération de travailleurs qui préfèrent le confort.
Le sénateur Boisvenu : Le conducteur peut se reposer à l'arrière du camion tandis que celui-ci roule tout seul sur la route. Ce serait donc plus facile.
M. Beghetto : Je ne saurais pas vous le dire, mais nous aurions pour le moins tous ces outils et ces systèmes d'aide à la conduite qui peuvent réduire le stress et assurer tout un environnement plus confortable pendant les longues périodes passées au volant.
Le sénateur Boisvenu : La technologie pourrait donc être positive.
M. Beghetto : Absolument.
Le président : Chers collègues, notre prochain témoin n'est pas encore arrivé, mais il est en route. Je peux rester et l'écouter tout seul. Nous pouvons aussi lever la séance et lui demander de présenter un rapport écrit. Je suis à votre...
Le sénateur Mercer : Est-il en route venant de l'aéroport ou de Moncton?
Le président : Il est en route venant de l'aéroport.
Je voudrais tout d'abord exprimer nos remerciements au témoin pour son exposé. Sa présence a été très appréciée. C'est un aspect de notre étude sur lequel nous devrons beaucoup nous concentrer. Le vocabulaire est également important. Vous nous avez beaucoup aidés à cet égard, ce qui sera précieux pour nos analystes lors de la rédaction du rapport. Vous êtes maintenant libre de partir si vous le souhaitez.
Je suis prêt à accepter la décision du comité, quelle qu'elle soit.
Le sénateur Mercer : Je serai heureux de rester pour écouter le témoin suivant.
Le président : Honorables collègues, nous accueillons un représentant de l'Association du camionnage des provinces de l'Atlantique, M. Jean-Marc Picard, directeur exécutif.
Si vous étiez venu en camion, vous seriez peut-être arrivé ici plus tôt, mais vous avez dû prendre l'avion.
Jean-Marc Picard, directeur exécutif, Association du camionnage des provinces de l'Atlantique : Je m'excuse du retard.
Le sénateur Mercer : Nous aimerions tout d'abord savoir sur quel vol vous êtes arrivé.
M. Picard : Voulez-vous deviner?
Le sénateur Mercer : Air Canada.
M. Picard : Vous avez gagné le gros lot. Toutes mes excuses. Nous avons été retardés de 90 minutes pour des raisons de sécurité.
Merci de m'avoir accueilli ce soir. Encore une fois, je m'appelle Jean-Marc Picard. Je travaille pour l'Association du camionnage des provinces de l'Atlantique. La question des véhicules branchés et automatisés est intéressante et constitue aujourd'hui une réalité. J'ai déjà abordé le sujet dans le cadre de quelques conférences. C'est un domaine passionnant parce que l'industrie évolue en fonction de cette nouvelle technologie.
L'Association du camionnage des provinces de l'Atlantique représente évidemment le secteur du camionnage commercial du Canada atlantique. Elle existe depuis une soixantaine d'années et compte près de 320 membres comprenant des entreprises, des transporteurs, des fournisseurs, et cetera. J'occupe mes fonctions depuis près de huit ans. Par conséquent, j'apprends encore, tout comme n'importe qui d'autre.
J'aimerais parler de l'industrie du camionnage au Canada. Il est tout à fait évident que c'est un énorme secteur qui contribue beaucoup à l'économie, au PIB, et cetera. J'aborderai dans quelques instants le point de vue de notre association sur les véhicules automatisés.
D'abord et avant tout, je déteste entendre parler de camions automatisés, autonomes ou sans conducteur. Il s'agit en fait de camions ou de véhicules semi-automatisés parce que c'est là qu'en est actuellement la technologie. Et cette situation se maintiendra probablement pendant de nombreuses années. La technologie ne se substituera pas au conducteur. Elle modifiera ou facilitera simplement ses fonctions. Elle aidera le conducteur à agir d'une manière plus sûre au volant de son véhicule. Il est aussi probable qu'elle incitera des jeunes à devenir chauffeurs de camion, ce qui devrait atténuer la grande difficulté que nous avons à recruter. L'emploi sera différent. Il comportera sans doute plus de défis et permettra aux conducteurs d'utiliser plus de dispositifs de pointe à bord de leur camion.
Certains marchés pourront peut-être utiliser des camions totalement automatisés dans des zones isolées telles que les terrains privés, les chantiers de sables bitumineux ou encore certains parcs industriels. Des équipements sans conducteur sont actuellement essayés à différents endroits, mais nous sommes raisonnablement sûrs qu'il y aura toujours quelqu'un dans la cabine des véhicules utilisés pour le transport à grande distance. À cause des conditions de conduite que nous avons l'hiver au Canada, à cause aussi des zones de construction et de divers autres facteurs, nous aurons toujours besoin de livrer des chargements, de sorte que l'objet fondamental de notre industrie demeurera le même : transporter des biens d'un point A à un point B.
Les nouvelles technologies aident beaucoup notre secteur sur les plans de la sécurité et des économies de carburant. De toute évidence, la sécurité est notre première priorité, et les économies de carburant nous permettent de réduire les coûts et d'augmenter quelque peu le revenu des camionneurs, qui a plus ou moins stagné au cours des dernières décennies.
Nous disposons aujourd'hui de moyens techniques tels que les avertisseurs de sortie de voie, le freinage assisté et les caméras de cabine. Ces moyens apportent une certaine sécurité aux conducteurs et aux entreprises de camionnage et leur permettent d'améliorer leur cote de fiabilité. Si l'ordinateur de bord constate que les feux de freinage du véhicule qui précède viennent de s'allumer, il peut appliquer les freins quelques secondes plus tôt qu'un conducteur humain. Il est souhaitable d'avoir un dispositif de ce genre dans le camion parce qu'il peut sauver une vie. Aux États-Unis, il peut aussi prévenir un procès. Il y a toutes sortes d'avantages. Voilà le genre de dispositifs qui équipent aujourd'hui nos camions, et c'est probablement à ce stade que s'arrêtera l'automatisation dans notre industrie.
Il y a quatre niveaux d'automatisation. Nous en sommes probablement au niveau 2 aujourd'hui. Nous atteindrons peut-être le niveau 3 au maximum. Entre 2 et 2,5, une voiture sera équipée d'un régulateur de vitesse, tandis qu'un camion aura par exemple des dispositifs de maintien dans la voie, d'aide au freinage, et cetera. Ces dispositifs ne feront qu'aider le conducteur, qui sera toujours présent dans le camion. Il n'aura peut-être pas besoin de garder constamment les mains sur le volant, mais il sera là pour intervenir en cas de défaillance des systèmes.
Sur le plan de la main-d'œuvre, la nouvelle technologie ne réglera pas la pénurie de chauffeurs. Il est bien établi que nous aurons besoin de 25 000 à 30 000 nouveaux chauffeurs d'ici 2024. La pénurie s'accentue au point de devenir alarmante, surtout si on tient compte de la reprise économique. Par conséquent, notre industrie est très occupée et a besoin de plus de chauffeurs. Nous insistons sur le recrutement, la formation, le maintien en fonction et les moyens d'attirer des jeunes. Ces nouvelles technologies confèrent à notre secteur une nouvelle dimension vraiment passionnante, mais elles ne modifieront pas notre façon de livrer les marchandises. Elles ne feront que faciliter nos tâches.
Je suis sûr que vous avez entendu mes collègues exprimer des points de vue semblables. Je voudrais cependant dire en conclusion que nous avons différents obstacles à affronter sur le plan législatif. C'est toujours un aspect difficile. Nous encourageons les organismes tels que votre comité à continuer à collaborer avec nous et à nous aider pour veiller à ce que ces technologies fassent ce qu'elles sont censées faire, c'est-à-dire augmenter la sécurité et permettre à l'industrie de mieux remplir son rôle.
Le président : Merci, monsieur Picard.
Le sénateur Mercer : Monsieur Picard, je vous remercie de votre présence au comité. Venant moi-même de la Nouvelle-Écosse, je sais que les vols en provenance du Canada atlantique peuvent facilement être retardés.
Dans l'exposé que vous avez présenté à la réunion d'avril 2016 du Conference Board du Canada sur les véhicules automatisés — réunion à laquelle quelques membres du comité ont assisté —, vous avez soulevé la question de l'entretien des nouveaux dispositifs perfectionnés, car, dans le passé, les nouvelles technologies n'ont pas toutes été très fiables.
Quelle expérience l'industrie du camionnage a-t-elle acquise quant à la fiabilité des technologies de pointe?
M. Picard : C'est une bonne question. Les moteurs de la nouvelle génération nous ont causé d'importantes difficultés. Ils ont beaucoup de câbles et de fils électriques. Il y a 25 ans, le chauffeur pouvait, en cas de panne, lever le capot et faire lui-même des réparations. Aujourd'hui, il n'aurait pas la moindre chance de découvrir le problème.
Vous avez raison, les camions d'aujourd'hui sont dotés d'un grand nombre de détecteurs. Il y en a des dizaines qui, je suppose, permettent de mettre en œuvre cette technologie. Oui, les dispositifs font encore l'objet d'essais. Les résultats sont bons, mais nous avons des conditions difficiles au Canada à cause de l'hiver et de tout le reste. Nous ne connaissons pas la durabilité de ces appareils. C'est pour cette raison que nous en sommes encore au stade des essais visant à connaître la vraie valeur de cette technologie et à déterminer s'il vaut la peine de faire l'investissement nécessaire.
Je crois que c'est le cas. Nous avons beaucoup progressé. Il y a cinq ans, de nombreuses questions restaient sans réponse. Aujourd'hui, les écoles et les collèges communautaires donnent une formation sur cette technologie, ce qui n'était probablement pas le cas il y a deux ans. L'année dernière, nous avons fait des dons à tous les collèges communautaires du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse pour leur permettre d'acheter le nouvel équipement nécessaire pour former les techniciens. Ainsi, ceux-ci ne seront pas complètement dépaysés quand ils commenceront à travailler.
Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. Oui, il y a toujours des préoccupations, mais je suis convaincu que les avantages compensent bien les inconvénients.
Le sénateur Mercer : Comme nous le savons, il y a maintenant beaucoup plus de câbles que ceux des bougies d'allumage. Si un camion emprunte le passage Cobequid, en Nouvelle-Écosse, qui est réputé pour ses accumulations de neige en hiver, surtout sur les fils électriques, on peut se demander comment il arrivera à passer. De quelle façon pouvons-nous tester d'avance les équipements dans de telles conditions?
M. Picard : Ce qui arrive dans un tel cas, c'est que les dispositifs automatiques de cette technologie cessent de fonctionner. Le chauffeur doit alors prendre le relais. Cela se produit déjà aujourd'hui. Si les dispositifs automatiques détectent certaines conditions plus loin sur la route, ils affichent un message disant au chauffeur de prendre le volant parce qu'ils seront désactivés dans les 10 secondes suivantes. La technologie a progressé au point où les dispositifs voient les obstacles d'avance et avertissent le chauffeur pour qu'il reprenne le volant.
Les dispositifs de ce genre sont très importants. Nous avons affaire à des camions lourds qui peuvent circuler dans la neige et le verglas. Les chauffeurs reçoivent maintenant une formation différente. Si la route est enneigée, ils désactivent le pilote automatique. C'est la même chose dans une voiture : on ne se sert pas du régulateur de vitesse pendant une tempête de neige. Le principe est le même.
Le sénateur Mercer : Merci, monsieur le président.
La sénatrice Bovey : C'est un aspect complexe et fascinant de ce domaine. Vous avez dit, dans votre texte préparé, qu'il est impératif que l'industrie du camionnage fasse partie des discussions le moment venu. J'ai bien l'impression que ce moment est déjà là, probablement depuis un certain temps.
Cela m'amène à ma question : qui devrait mener les discussions concernant la sécurité, la réglementation et la cohérence de la formation partout dans le pays? Est-ce le gouvernement fédéral ou les multiples partenaires qui s'occupent de ce dossier? D'un point de vue stratégique, comment les enjeux seront-ils définis et qui devrait prendre l'initiative?
M. Picard : Nous appliquons le Code national de sécurité. Les modifications au code, aux inspections et à tout ce qui est lié à la sécurité dans notre industrie doivent être faites par l'entremise du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé — c'est l'organisme avec lequel nous travaillons — et de concert avec toutes les provinces.
Les choses devront se faire par l'entremise des organismes établis de ce genre. Prenez, par exemple, le cas des dispositifs électroniques d'enregistrement que nous aurons bientôt. Tous les documents techniques ont été rédigés dans le cadre de ces organismes par des spécialistes de l'industrie, des associations comme la nôtre ainsi que par nos membres. C'est ainsi que cette technologie a été développée et qu'il a été possible de produire des rapports sur des aspects que nous ne connaissions pas.
Les efforts déployés seront de la même nature que les efforts faits dans le passé en ce qui concerne les nouvelles technologies. Il ne s'agit pas nécessairement de quelque chose de nouveau. Bien entendu, c'est très nouveau dans le camionnage, mais nous avons été exposés à toutes sortes de choses au fil des ans. Les organismes tels que le CCATM ont joué un rôle de premier plan en vue de coordonner les efforts pour que tout se passe bien lors de la modification des textes législatifs.
Le journal de bord électronique est un exemple parfait. Nous travaillons encore pour changer le document technique qui a paru. Nous nous interrogeons par exemple sur ce qui arrive si un chauffeur épuise les heures autorisées, mais qu'il ait besoin d'une demi-heure supplémentaire pour se rendre au relais routier le plus proche. Doit-il s'arrêter sur le bord de la route ou bien faut-il lui accorder un peu de souplesse? Lorsqu'on conçoit un ordinateur, on ne pense pas à des choses de ce genre, mais des organismes comme le nôtre, nos membres et le CCATM peuvent donner leur avis. Il est important que tous les intervenants soient présents à la table. Je recommande personnellement que le CCATM joue un grand rôle à cet égard.
La sénatrice Bovey : Je sais qu'il y a actuellement une pénurie de chauffeurs. Avec l'évolution de leurs fonctions et des technologies qu'ils doivent connaître et compte tenu du changement des conditions du marché et du fait qu'il leur faudra davantage de formation, j'aimerais savoir si vous convenez que la croissance de l'économie entraînera une augmentation de la pénurie de chauffeurs.
M. Picard : Oui, je le crois.
La sénatrice Bovey : Qu'arrivera-t-il aux salaires? Que ferez-vous pour garder ces gens?
M. Picard : J'aimerais bien que les salaires évoluent dans le même sens que la technologie. Nous exerçons des pressions pour établir une formation obligatoire dans notre industrie. Aujourd'hui, il est possible d'obtenir un permis de conduire commercial et d'avoir un emploi le lendemain en se soumettant simplement à un examen de conduite. Je trouve cela très inquiétant. La formation devrait être obligatoire. Ces hommes et ces femmes ont beaucoup de responsabilités et en auront encore plus avec l'évolution de la technologie. Ils doivent recevoir une formation adéquate. Mieux ils sont formés, plus ils auront d'instruction et plus élevée sera leur rémunération. Je n'y vois aucun inconvénient.
Si certains des membres de l'association ne sont pas d'accord, je suis prêt à leur répondre. Ce sont des gens qui travaillent fort et qui font souvent des semaines de 60 heures. J'estime qu'ils devraient être bien payés, mais tout commence par la formation.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie.
La sénatrice Griffin : Quel est l'âge moyen des chauffeurs de camion du Canada atlantique?
M. Picard : C'est 50 ans.
La sénatrice Griffin : Ils sont donc plus jeunes que les prêtres catholiques et les agriculteurs, mais pas de beaucoup. S'il y a plus de technologie, il faudra une formation plus complète. J'estime qu'il y aura deux groupes. Dans le cas de ceux qui sont déjà là, l'adoption de nouvelles normes nécessitera une formation en cours d'emploi. Certains ne voudront pas s'adapter à la nouvelle technologie. Comme dans la plupart des cas de changement de la nature du travail, il y aura des gagnants et des perdants. Pour moi, il sera plus facile de former de nouveaux chauffeurs, qui seront au départ probablement plus portés sur la technologie que nous ne le sommes à notre âge.
À votre avis, où la formation se fera-t-elle? À l'heure actuelle, nous avons des écoles de formation de chauffeurs de camion un peu partout dans le Canada atlantique. Pourront-elles s'acquitter de la tâche ou bien faudra-t-il recourir aux collèges communautaires?
M. Picard : Au Nouveau-Brunswick, il y a un collège communautaire qui a créé deux programmes de formation de chauffeurs de camion dans les dernières années, un en français et un autre en anglais. Le collège a pris contact avec nous et avec d'autres membres de l'industrie pour savoir ce que devrait comprendre le programme d'études. Cela est encourageant. Jusqu'ici, cette initiative a eu beaucoup de succès.
Au Canada, toutes les entreprises qui ont du succès donnent chaque année une formation complémentaire à leurs chauffeurs, soit pour les familiariser avec de nouveaux équipements, soit pour s'assurer qu'ils sont hautement compétents sur la route. Chaque entreprise fait donc du recyclage et confie plus de responsabilités à ses chauffeurs, notamment au chapitre de la consommation de carburant et de la conduite agressive. Les chauffeurs obtiennent ainsi un boni s'ils arrivent à économiser telle ou telle quantité de carburant dans le mois ou s'ils n'ont aucun accident et aucune contravention.
Nous trouvons ces initiatives encourageantes parce qu'elles améliorent l'industrie et permettent de garder les chauffeurs. Nous sommes tous en concurrence pour les avoir et ne voulons donc pas les perdre. Par conséquent, il est bon de bien les rémunérer et de leur accorder à l'occasion de petites récompenses.
La formation est essentielle. Nous assistons déjà à une certaine évolution dans les écoles. Les journaux de bord électroniques sont en place, et chaque chauffeur a sur son téléphone une application qui lui permet de voir ses heures de service. Différents dispositifs sont utilisés, et l'assistance routière recourt à un plus grand nombre d'ordinateurs.
Une importante entreprise du Nouveau-Brunswick qui emploie quelque 2 000 chauffeurs a décidé de les équiper tous d'un journal de bord électronique. Beaucoup d'entre eux ayant dit qu'ils quitteraient leur emploi, on leur a répondu qu'ils étaient libres de le faire. Aujourd'hui, tous les chauffeurs sont enchantés de cette initiative. Ils peuvent mieux planifier leur semaine. Ils savent à quel moment ils pourront rentrer chez eux, pour combien d'heures ils seront payés et combien d'heures il leur reste à faire au volant. Ils n'ont aucune incertitude à ce sujet. Toutes les données sont dans l'ordinateur. C'est beaucoup mieux pour l'industrie.
Vous avez raison de dire que la formation sera essentielle et qu'il y aura à changer beaucoup de choses. Il y a aussi le fait que nous manquons beaucoup de mécaniciens. Comme les camions changent d'une année à l'autre, je suppose que la situation s'aggravera.
La sénatrice Griffin : Probablement. Je m'inquiète cependant d'une chose. La situation est assez mauvaise partout au Canada, mais elle l'est particulièrement dans le Canada atlantique : il s'agit du niveau élevé d'analphabétisme parmi les adultes. Cela donnera lieu à de grands problèmes dans tous les secteurs, mais je suppose que ce sera particulièrement le cas dans votre industrie. Examinez-vous le système ontarien de formation obligatoire des débutants?
M. Picard : Oui. Nous faisons des efforts. C'est plus facile à dire qu'à faire quand il s'agit des gouvernements provinciaux. Nous avons cependant réussi à avancer quelque peu. Comme je l'ai dit, il faut d'abord déterminer qui va s'en charger : le service des véhicules automobiles, le ministère des Transports, le ministère de l'Éducation? Personne ne veut prendre l'initiative. Voilà pourquoi j'essaie de manœuvrer auprès des différentes provinces.
Nous avons réalisé d'importants progrès. L'industrie continue à appuyer le principe d'une formation minimale de 12 semaines. Nous encourageons nos transporteurs à s'abstenir d'engager des chauffeurs sans formation. Je dirai que la plupart évitent de le faire, mais il y a toujours ceux qui ont désespérément besoin de quelqu'un et qui engagent quand même des personnes n'ayant pas une formation suffisante.
Nous essayons de mettre de l'ordre dans l'industrie. Nous exigeons vraiment une formation obligatoire. Si la conduite d'un camion avait été considérée comme un métier spécialisé, il aurait été plus facile de convaincre les gouvernements provinciaux. Nous essayons d'avancer dans ce domaine aussi. Nous cherchons à faire modifier le code pour que les chauffeurs soient considérés comme des travailleurs qualifiés. Nous nous efforçons de rendre la formation obligatoire. Toutes ces choses assureront à notre formation et à notre secteur la structure nécessaire. Nous pourrons ainsi nous débarrasser des mauvais chauffeurs et rehausser le niveau de l'industrie.
Les compétences essentielles des chauffeurs ont considérablement évolué dans un sens positif, je crois. Ils doivent avoir un certain niveau de compétence en lecture et en écriture. Aujourd'hui, ils doivent aussi avoir un certain niveau de compréhension de dispositifs techniques tels que l'iPad et l'iPhone. Ce sont des choses qui leur sont fournies par leur employeur. Bref, les compétences essentielles changent, de sorte que les écoles de conduite doivent comprendre qu'il leur faut donner une formation adéquate.
Il n'est pas facile de travailler avec des écoles privées, mais nous devons affronter ce problème aujourd'hui. Comme je l'ai dit, si nous arrivons à faire reconnaître les chauffeurs comme travailleurs qualifiés et à établir la structure voulue de formation, nous serons en très bonne voie. C'est ce que nous voulons.
Le sénateur Eggleton : Nous parlons de camions commerciaux qui parcourent de grandes distances. Qu'en est-il des petits camions qui font de petits trajets? Croyez-vous quand même qu'ils ont besoin d'un conducteur? Nous entendons parler de voitures, d'autobus et même de minibus sans conducteur, comme celui dans lequel nous étions aujourd'hui. Croyez-vous qu'on aura toujours besoin de conducteurs dans les petits véhicules?
M. Picard : Oui, je le crois, peut-être encore plus que dans les grands. Ces petits véhicules sont utilisés par les services de messagerie et font des livraisons aux restaurants. Dans ces cas, il y a des exigences physiques en sus des compétences en conduite. Lorsque des chauffeurs de camion sur long parcours arrivent chez un client, ils auront probablement quelqu'un qui viendra décharger la remorque. Dans le cas des petits trajets ou des livraisons en ville, le chauffeur doit tout faire lui-même. Il a un rôle double dans ce cas. Je n'ai pas l'impression que cela changera. Toutefois, certains clients pourraient utiliser des camions automatisés pour déplacer des remorques dans leur cour. Dans les gares de triage ferroviaires, toutes les locomotives sont commandées à distance. L'aiguillage automatique des wagons se fait depuis des années. Dans notre industrie, c'est une possibilité dans des zones isolées telles que les parcs industriels, les cours des clients et les chantiers de sables bitumineux, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Dans le secteur commercial de livraison de marchandises, les fonctions du chauffeur entre l'arrivée et le départ sont certainement différentes. C'est là qu'il lui est possible d'utiliser la nouvelle technologie. Son rôle principal, qui consiste à faire une livraison du début jusqu'à la fin, n'a pas changé depuis un siècle.
Le sénateur Eggleton : Et qu'en est-il de la circulation en peloton et de cette idée des convois?
M. Picard : C'est intéressant.
Le sénateur Eggleton : Aurons-nous encore besoin d'un chauffeur ou d'un préposé dans chaque camion?
M. Picard : Oui. Le camion de tête contrôle tout, transmettant des signaux aux quatre ou aux cinq camions du peloton. Il n'y a donc pas d'interruption. Comme je l'ai dit, tout mouvement du camion de tête est repris par les autres.
L'idée de base est d'économiser du carburant. Dans le peloton, le deuxième camion fait des économies de 4 p. 100, le troisième de 7 p. 100 et le dernier de 10 p. 100. L'entreprise pourrait donc réaliser des économies de 20 p. 100 sur le carburant au cours de quatre trajets, ce qui est vraiment énorme, représentant des millions de dollars par an.
Le concept est vraiment astucieux. J'aimerais bien qu'on procède à des essais entre Moncton et Halifax, mais cela marcherait probablement là où il y a de belles voies sans trop d'interruptions ni trop de côtes. Toutefois, un conducteur est nécessaire dans chaque cabine. Il peut se charger d'autres tâches, mais sa présence est nécessaire. Comme je l'ai dit, si le convoi doit traverser une zone de construction, le conducteur aura 30 secondes pour reprendre le volant. On aura toujours besoin de quelqu'un pour le faire.
Le sénateur Eggleton : Et qu'en est-il de l'électrification? On en a certainement parlé dans le cas des voitures, des minibus et d'autres véhicules.
M. Picard : Le problème réside dans la puissance des camions à moteur diesel et de la puissance qu'il est possible d'obtenir dans un véhicule électrique. Cummins a récemment construit un moteur électrique de la puissance voulue, mais il n'a qu'une autonomie d'une centaine de milles. Oui, le nombre de chevaux correspond à celui d'un camion à moteur diesel, mais l'autonomie est trop faible pour répondre à nos besoins.
On fait également des essais sur des camions au gaz naturel. Robert s'en sert encore au Québec et Bison, dans l'Ouest, je crois, mais l'infrastructure de ravitaillement n'existe pas encore. Elle en est au stade du développement. Beaucoup de problèmes demeurent, de sorte que ce n'est pas encore une option viable.
Pour le moment, nous n'avons que le camion à moteur diesel, et nous n'aurons pas d'autre choix tant que les constructeurs n'auront pas fait de grands investissements en recherche-développement pour créer quelque chose de nouveau.
Le sénateur Eggleton : J'aimerais avoir une idée du coût de ces changements. Plus la technologie est avancée, plus elle est coûteuse. Vous aurez encore besoin de mécaniciens traditionnels pour certaines choses, mais il vous faudra aussi des spécialistes en informatique pour d'autres aspects du travail puisque nous avons affaire, dans beaucoup de cas, à des ordinateurs sur roues.
M. Picard : Oui, absolument.
Le sénateur Eggleton : Nous aurons à former des gens. Les chauffeurs de camion du passé devront céder la place à une nouvelle génération de conducteurs. Cela peut être coûteux. L'industrie est-elle disposée à absorber tous ces frais?
M. Picard : Il y a ici deux aspects à considérer. Dans notre industrie, nous avons des innovateurs qui verront là une occasion à saisir. Nous avons aussi des transporteurs qui penseront surtout aux coûts supplémentaires à absorber ou à transmettre à leurs clients.
Aujourd'hui, ces ordinateurs nous aident à renforcer la sécurité, mais ils produisent aussi des masses de données dont la plupart des transporteurs ne savaient pas quoi faire dans le passé parce qu'ils n'y comprenaient rien. Je parlais hier à quelqu'un qui vient d'engager deux analystes pour traiter les données et essayer de s'en servir pour faire des économies. C'est ainsi que les transporteurs peuvent gagner plus d'argent. Il y a des entreprises qui se rendent compte que les caméras placées dans les cabines peuvent leur permettre d'économiser des millions sur les réclamations faites en cas d'accident. Le coût des caméras est donc récupéré en l'espace de six mois.
Les journaux de bord électroniques produisent aussi des données qu'on peut exploiter. Entre Moncton et Halifax, par exemple, si le camion est maintenu à une certaine vitesse dans les côtes, il est possible de faire tel ou tel pourcentage d'économies sur le carburant. Les chauffeurs reçoivent de la formation à ce sujet. Dans la cabine, les limiteurs de vitesse permettent de réduire la consommation en bloquant le compteur à 102 km/h.
Il y a donc des entreprises qui saisissent les occasions offertes par les ordinateurs et les données qu'ils produisent. D'autres, qui ne disposent pas du personnel ou des ressources nécessaires, répondent encore au téléphone pour dire qu'ils acceptent tel ou tel chargement. Le chauffeur roule ensuite à 120 km/h, consommant beaucoup trop de carburant. Même si ses coûts sont très élevés, il ne peut pas augmenter ses tarifs parce que les concurrents font des économies et peuvent maintenir leurs prix.
Vous avez raison. Il a été difficile dans le passé de majorer les taux de transport, mais les choses devront changer parce qu'un camion coûte aujourd'hui 175 000 $, alors qu'il ne coûtait que 125 000 $, il y a cinq ans. Si nous voulons mieux faire, nous devrons investir davantage. Nous devrons aussi mieux rémunérer nos chauffeurs. Nous aurons donc besoin de gagner plus d'argent et, partant, d'augmenter nos prix.
Tout cela se tient, mais l'évolution permettra certainement aux transporteurs de mieux s'acquitter de leur rôle. Il est cependant difficile pour eux de payer leurs camions 50 000 $ de plus, puis de dire à leurs clients qu'ils devront leur facturer le double pour transporter leur chargement. Cela ne marchera pas. Les transporteurs devront chercher eux- mêmes les occasions. C'est ce qu'ils font. Nous sommes très heureux de le constater.
Le sénateur Eggleton : Vous pouvez transmettre ces coûts aux consommateurs.
M. Picard : C'est difficile. Le prix du carburant est évidemment le principal élément, mais il devient secondaire maintenant parce que le coût de l'équipement, des ordinateurs et du soutien augmente tellement.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Je tiens à vous remercier, car votre témoignage apporte une valeur ajoutée par rapport à différents témoins que nous avons rencontrés. Vous provenez d'une industrie ayant ses propres spécialités et exigences, et ce que vous dites est vraiment intéressant.
Votre industrie est déterminante pour le commerce extérieur du Canada avec les États-Unis. J'aimerais vous entendre au sujet de l'enjeu de la compétitivité avec les transporteurs routiers américains. Parmi les études et les recherches faites à différents niveaux, on constate que beaucoup d'investissements ont lieu aux États-Unis et que cela se poursuit. Leurs efforts en matière de développement de la recherche, de projets pilotes et d'expérimentation en ce qui a trait aux véhicules autonomes sont supérieurs à ceux du Canada, et nous sommes à leur remorque en ce sens.
Êtes-vous au fait plus spécifiquement, relativement à l'industrie du camionnage, de l'état d'avancement des recherches, des projets pilotes, donc de l'expérimentation des véhicules autonomes? De plus, entrevoyez-vous une menace éventuelle à votre compétitivité ou encore une pression qui devrait inévitablement vous amener à accélérer le rythme?
M. Picard : C'est une bonne question.
Je ne crois pas qu'on ressente une pression. Traditionnellement, les manufacturiers de notre industrie sont presque tous situés aux États-Unis. C'est là que se trouvent les gros volumes. Les conditions dans certains États sont optimales pour faire l'expérimentation de ces nouveaux véhicules, comme c'est le cas au Nevada ou en Californie. Ce sont là des endroits où se trouvent de belles grandes routes et où il fait beau; il est donc facile d'y tester les véhicules.
Je ne crois pas que ce soit nécessairement une menace. Toutefois, on est toujours à la remorque des États-Unis en termes d'avancement. Je parlais plus tôt des E-LOG; aux États-Unis, ce sera obligatoire dès décembre. Nous aurions aimé être les premiers, mais il faudra probablement attendre encore deux ans avant que cela ne soit obligatoire au Canada. Ce n'est pas nouveau. Cela n'a jamais constitué une menace, mais on ne sait jamais.
Je sais que nous commençons à faire des expériences en ce qui a trait aux pelotons routiers à Montréal et aux systèmes d'automatisation au Québec, avec une compagnie qui s'appelle le Groupe PIT de FPInnovations. Cette compagnie prend une bonne place. Je sais que la compagnie effectue des tests aux États-Unis, qu'elle va de l'avant et qu'elle nous représente bien. Le fait que de telles compagnies, qui sont subventionnées par l'industrie, testent les nouveaux produits pour nous afin que nous puissions faire des économies dans le cadre de nos investissements nous est profitable. Ces compagnies font tous les tests pour nous et, en fin de compte, elles partagent les résultats avec nous afin que nous puissions prendre de meilleures décisions pour nos investissements. Cette société n'existe pas depuis longtemps, et elle s'est prononcée à la conférence à laquelle j'ai assisté à Ottawa l'an dernier. Comme je l'ai dit, ce sont de telles compagnies qui nous aident à progresser dans l'industrie et à concurrencer nos partenaires aux États-Unis.
Nous allons de notre côté aux États-Unis, et nous savons que d'autres viennent ici. C'est normal et, jusqu'à un certain point, cela favorise la compétition. Toutefois, il ne faut pas arrêter de se pencher sur les innovations et les choses qui peuvent nous faire reculer un peu. Nos clients sont exigeants. Ils veulent que nous soyons verts, que les moteurs ne tournent pas au ralenti. Ils veulent que nous disposions de tous les équipements les plus récents pour économiser du diesel et ils veulent les meilleures cotes de sécurité en tant que transporteurs. Ce sont eux qui nous demandent ces choses, alors nous n'avons pas vraiment le choix de nous tenir au courant et d'être à la fine pointe dans notre domaine. Sinon, ils iront voir ailleurs et pourront aussi bien engager une compagnie américaine ou une autre compagnie canadienne.
La sénatrice Saint-Germain : Si je comprends bien, il y a déjà des expériences ou des projets pilotes de coopération entre les industries, entre le Canada et les États-Unis. Cela devrait, selon vous, s'intensifier et, de plus, les gouvernements fédéraux, provinciaux, territoriaux et municipaux devraient accélérer de leur côté l'adaptation et la préparation de la législation. C'est comme si un partenariat public-privé combiné à intégrer serait l'approche idéale.
M. Picard : C'est cela.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : J'ai une question à poser. Vous avez parlé d'essais aux États-Unis, notamment en Californie et au Nevada. Je viens du Manitoba, où nous avons des routes de glace.
M. Picard : Oui, j'ai vécu au Manitoba.
La sénatrice Bovey : Vous connaissez donc la question. Je trouve fascinante l'idée de la circulation en peloton et des camions qui se suivent de très près.
M. Picard : Oui, ils se suivent à cinq pieds de distance.
La sénatrice Bovey : Peuvent-ils le faire sur des routes de glace?
M. Picard : Non, ce serait trop lourd sur la glace.
La sénatrice Bovey : Faisons-nous des essais pour tenir compte de ces situations tellement différentes? Je sais que les routes de glace n'ont pas duré très longtemps l'année dernière, mais cette année, surtout avec le chemin de fer qui ne peut pas atteindre Churchill, les routes de glace seront absolument nécessaires cet hiver.
M. Picard : Nous avons à notre disposition de grands moyens technologiques, mais il faut bien comprendre la situation dans le cas des routes de glace et des conditions routières dangereuses qui règnent l'hiver en Ontario et dans le Canada atlantique. Où qu'on soit, on aura besoin d'un œil humain et de facultés humaines. Nous sommes une industrie à base humaine. Cela ne changera pas.
La technologie peut apporter des améliorations. Les essais ont donné de bons résultats. Nous nous en servons déjà aujourd'hui, ce qui est très bien, mais je pense qu'il y aura des moments où nous pourrons l'utiliser et d'autres où nous ne le pourrons pas. Les routes de glace constituent un exemple parfait. Les technologies en question pourront-elles fonctionner dans ces régions? Je ne le sais pas. C'est une bonne question.
[Français]
Le président : Merci beaucoup. Même si cela a été un peu compliqué, nous sommes heureux de vous avoir reçu comme témoin.
Comme la sénatrice Saint-Germain vous l'a dit, je crois également que vous nous apportez une valeur ajoutée pour notre rapport, tant en ce qui a trait au vocabulaire qu'à la notion de la réduction de 20 p. 100 sur les frais d'exploitation que le sénateur Mercer a mentionnée. C'est quelque chose qui sera très important pour nous.
M. Picard : Avec plaisir.
Le président : Chers collègues, avant de terminer, j'aimerais vous annoncer que la semaine prochaine nous allons recevoir des témoins très différents.
[Traduction]
Nous entendrons des représentants de la Société Alzheimer du Canada, de l'Association canadienne des individus retraités et du Conseil des Canadiens avec déficiences. Nous aborderons donc un volet très différent de notre étude.
Cela dit, merci beaucoup à tout le monde.
(La séance est levée.)