Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 24 - Témoignages du 31 octobre 2017
OTTAWA, le mardi 31 octobre 2017
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 33, pour poursuivre son étude des questions techniques et réglementaires liées à l’arrivée des véhicules branchés et automatisés.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je déclare la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte. Ce matin, le comité poursuit son étude sur les véhicules branchés et automatisés.
[Traduction]
Aujourd’hui, nous accueillons deux groupes de témoins. Dans le premier groupe, j’aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Sharon Polsky, présidente du Conseil du Canada de l’accès et la vie privée.
[Français]
Merci d’être avec nous. Je vous invite à faire votre présentation de cinq minutes et, ensuite, les sénateurs auront des questions. Madame Polsky.
[Traduction]
Sharon Polsky, présidente, Conseil du Canada de l’accès et la vie privée : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à me joindre à vous ce matin pour participer à cette étude très importante.
Depuis 2002, le Conseil du Canada de l’accès et la vie privée assume un rôle de premier plan pour aider les Canadiens qui doivent s’y retrouver dans les douzaines de lois canadiennes en matière de protection de la vie privée et d’accès à l’information.
Le CCAP est un organisme indépendant, non gouvernemental, non partisan, sans but lucratif et non financé par le gouvernement ou l’industrie. Nous sommes l’organisme de certification des intervenants en matière de protection de la vie privée et des renseignements personnels au Canada, et nos membres qui appartiennent à des organismes du secteur privé et du secteur public représentent des domaines aussi divers que le droit, la technologie, l’application de la loi, le milieu universitaire, les soins de santé et, évidemment, le gouvernement.
Nous savons d’expérience dans quelle mesure nos lois protègent les renseignements personnels des Canadiens et leur permettent d’exercer leur droit d’avoir accès à l’information. Nous comprenons également que les bonnes intentions et les avantages offerts par les technologies novatrices, tels les véhicules intelligents, peuvent aussi avoir des conséquences néfastes et imprévues.
En plus d’être présidente du CCAP, j’ai travaillé longtemps comme conseillère au sein du gouvernement et dans des organismes des secteurs public et privé d’un bout à l’autre du continent. Mes services étaient axés sur la technologie, les lois et les tendances qui ont des répercussions sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.
Comme un très grand nombre de membres du CCAP, je suis douloureusement consciente que la vaste majorité des Canadiens comptent sur les lois qui protègent leurs renseignements personnels. Malheureusement, la plupart des Canadiens connaissent très peu de choses au sujet des lois canadiennes sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, sur leurs droits et responsabilités ou sur la façon de protéger leurs propres données. La plupart d’entre eux se contentent d’accepter la première phrase de la majorité des politiques en matière de protection de la vie privée qui affirme que l’organisme protège et respecte les renseignements personnels de ses clients.
Malheureusement, la plupart des gens s’arrêtent à ce point et ne lisent pas suffisamment loin pour se rendre compte que le libellé minutieusement choisi et auquel nous n’avons pas le choix d’adhérer donne à l’organisme le droit d’utiliser nos renseignements personnels comme bon lui semble.
Par exemple, lorsque Nissan transfère les renseignements personnels de Canadiens aux États-Unis ou dans d’autres pays qui ont différentes définitions pour les renseignements personnels, les protections offertes par les lois canadiennes en matière de protection de la vie privée ne s’appliquent plus.
Le site web de Ford Canada assure les consommateurs que leurs renseignements personnels seront conservés pendant une période de rétention déterminée et qu’ils seront ensuite détruits. Toutefois, il se peut que dans les modalités liées à ces périodes de rétention, on précise que les données peuvent être conservées pour l’éternité, mais nous ne le saurons jamais, car il s’agit de documents d’entreprise internes.
Autrefois, l’autoroute de l’information était tout simplement Internet. Aujourd’hui, grâce aux véhicules éveillés émotionnellement qui peuvent scanner nos yeux, nos empreintes digitales et notre visage et communiquer avec d’autres véhicules et avec les immeubles intelligents, les systèmes d’éclairage de rue intelligents, les vélos intelligents et les téléphones intelligents qui ne nous quittent jamais, l’autoroute de l’information, c’est notre réseau routier.
La société IBM a lancé une mise en garde selon laquelle les véhicules modernes sont des centres de données sur roues dans lesquels jusqu’à 80 p. 100 de l’innovation est dirigée par des logiciels et que ces derniers peuvent présenter jusqu’à 10 000 vulnérabilités.
L’effet des logiciels rançonneurs sera percutant. Comme d’autres bases de données, les profils personnels intégrés aux véhicules et entreposés dans le nuage informatique ne sont pas à l’abri d’un accident.
Tout cela a été imposé à la population canadienne qui ne se doute de rien, car l’industrie et le gouvernement lui répètent que personne ne s’intéresse à ses renseignements personnels. Sénateurs, rien n’est plus faux. Demandez seulement aux millions de personnes qui se demandent si elles font partie des victimes de l’atteinte commise chez Equifax.
On nous a bercés de messages sur les avantages et le potentiel économique offerts par les véhicules intelligents. Je conviens qu’ils sont importants pour nous aider à nous rendre d’un point à l’autre plus rapidement et de façon plus sécuritaire, pour assurer la sécurité des conducteurs plus âgés pendant plus longtemps et pour aider les parents à surveiller leurs enfants de loin. Il est également réconfortant de savoir que si les coussins gonflables de mon véhicule GM se déploient, le système OnStar du véhicule peut envoyer une ambulance sur le lieu de l’accident, même si je suis inconsciente et que je suis donc incapable de préciser au système OnStar où je me trouve.
Les données issues de nos interactions avec les véhicules intelligents peuvent être importantes pour l’innovation et la prospérité économique, et les véhicules intelligents peuvent rendre la conduite plus amusante.
Certains constructeurs d’automobiles recueillent des renseignements à notre sujet à partir de sources en ligne et hors ligne et de tierces parties, par exemple les médias sociaux. D’autres ont intégré à leurs véhicules une technologie activée par la voix qui sert d’assistant personnel. Mais voulez-vous vraiment que vos primes d’assurances soient influencées par les questions que vous posez au système Siri ou Alexa installé dans votre voiture?
J’aimerais savoir comment un enfant en route vers une pratique de hockey consent à ce que ses conversations sur les médias sociaux soient enregistrées ou que son emplacement soit calculé et analysé. Pourtant, les membres du groupe de l’industrie Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada énoncent clairement que les consommateurs consentent à ce que leur véhicule recueille leurs renseignements personnels et que ces consommateurs reçoivent toute l’information nécessaire sur le marché faustien qu’ils viennent de conclure au moment de l’achat.
Pourtant, les résultats de nos recherches dressent un portrait complètement différent. En effet, nous n’avons trouvé aucune mention sur la protection, la cueillette et l’utilisation des renseignements personnels dans les manuels du propriétaire des véhicules que nous avons examinés. Nous n’avons rien trouvé à ce sujet. Nous avons également conclu que nous n’avons aucun moyen de faire cesser la cueillette de données. Nous pouvons mettre nos téléphones intelligents en mode avion pour empêcher la cueillette de données, mais lorsqu’il s’agit de nos véhicules, nous n’avons pas cette possibilité. De plus, nous n’avons aucun moyen d’empêcher nos véhicules de recueillir et de partager ces renseignements avec des tierces parties que nous ne connaissons pas.
Je vous demande donc qui nous protégerait contre les hypothèses qui seront formulées à notre égard lorsque nos véhicules révéleront que nous nous rendons régulièrement à une mosquée, une église ou une synagogue, à un studio de massage, à une clinique pour sidéens, à un établissement de santé mentale ou à un magasin de pot? Les choses pourraient devenir intéressantes à la frontière américaine.
Dans le cas d’une demande d’accès à l’information, à qui le coordonnateur de l’AIPRP s’adressera-t-il pour obtenir les documents pertinents? Le propriétaire du véhicule et l’organisme public n’ont aucun moyen de savoir avec quel partenaire ou associé sans nom le véhicule a partagé des renseignements sur les employés. Dans ce cas, comment un organisme peut-il remplir ses obligations prévues par la loi de fournir un accès ou de se conformer aux exigences prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels numériques selon lesquelles il faut enregistrer toutes les atteintes à la sécurité, s’il ne sait pas si on a porté atteinte aux données recueillies dans les systèmes du véhicule?
Quel fonctionnaire consent à ce que les conversations qu’il a dans la voiture sur n’importe quel sujet, que ce soit les affaires quotidiennes, les campagnes de financement ou la sécurité nationale, soient analysées par les constructeurs d’automobiles ou des partenaires sans nom situés dans un autre pays? Dans de nombreuses provinces canadiennes, il s’agit d’une infraction aux lois en matière de protection de la vie privée.
Et vraiment, à quoi pouvons-nous nous attendre lorsque des constructeurs d’automobiles comme General Motors Family of Companies nous confient l’entière responsabilité d’obtenir le consentement de tous ceux qui utilisent notre véhicule pour tout cela? C’est une procuration qui n’est pas autorisée par les lois canadiennes en matière de protection de la vie privée.
Sénateurs, cela vous donne seulement une idée de certaines des questions liées à l’accès à l’information et à la protection de la vie privée qui doivent être réglées avant que les véhicules connectés, autonomes et intelligents soient littéralement lancés sur un chemin de l’enfer pavé de bonnes intentions.
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci. C’est un exposé qui fait réfléchir.
La sénatrice Bovey : C’est assez alarmant. Je vous remercie de votre contribution et du discernement dont vous faites preuve dans vos questions. J’aimerais parler de la location de voiture. L’été dernier, j’ai loué une voiture et j’ai été surprise lorsque ma fille a connecté son téléphone intelligent et a découvert que les adresses courriel de tous les anciens utilisateurs de la voiture étaient toujours dans la console. Inutile de préciser que je n’ai pas connecté mon téléphone intelligent à la voiture.
Cela dit, je crois que vos questions ressemblent beaucoup à nos questions, et j’irai donc droit au but. Quelles recommandations ou notions doivent être intégrées aux lois canadiennes en matière de protection de la vie privée? Et quels types de règlements devrions-nous recommander au gouvernement d’élaborer en ce qui concerne les véhicules automatisés lorsqu’il s’acquittera de sa responsabilité fédérale en matière de réglementation?
Mme Polsky : Sénatrice, je suis heureuse que vous vous penchiez sur ces enjeux très importants.
Comme vous le dites, tous les types de véhicules recueillent nos renseignements personnels. J’ai été très amusée lorsqu’un directeur des ventes m’a assuré que lorsque je connecte mon téléphone et que ma voiture télécharge l’ensemble de mes données, la voiture ne télécharge aucune donnée en réalité. Et il m’a assuré ensuite qu’on pouvait effacer ces mêmes données qui n’avaient pas été téléchargées.
La sénatrice Bovey : C’est très intéressant, car nous avons vu la liste de toutes les adresses où les conducteurs précédents étaient allés.
Mme Polsky : Précisément. Cela nous donne peut-être une indication de la véracité des informations que reçoivent les consommateurs ou que reçoivent les vendeurs et les employés du soutien technique qui travaillent chez les concessionnaires. C’est un cadre fragmenté.
En ce qui concerne nos recommandations, je crois que nous savons tous maintenant que les lois canadiennes sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels n’ont pas suivi les progrès de la technologie. En effet, leur élaboration remonte à l’époque de l’invention des télécopieurs et des premiers astronautes sur la Lune. Maintenant, les téléphones intelligents que nous avons dans notre poche ont une puissance informatique plus élevée que celle qui a servi à envoyer des hommes sur la Lune, mais les lois n’ont pas suivi ces progrès technologiques.
En réalité, le consentement est une fantaisie. En effet, si nous voulons faire affaire avec un organisme, nous n’avons pas le choix de donner notre consentement. Cela doit changer. Un grand nombre de personnes critiquent ce point de vue et le poussent à l’extrême en affirmant que si nous exigeons que les organismes obtiennent le consentement des gens pour toutes leurs activités, cela paralysera les affaires et détruira le commerce et que ce n’est donc pas réalisable. Je pense que c’est un point de vue extrême et qu’il doit exister un meilleur moyen; le mécanisme de consentement se situe au bout de ce processus.
Je préférerais que vous recommandiez l’intégration d’exigences en matière de protection de la vie privée dès le départ, comme dans la notion de protection intégrée de la vie privée énoncée par Mme Ann Cavoukian, ancienne commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario; c’est maintenant devenu une norme mondiale. En effet, si l’on construit un système qui tient compte de la protection de la vie privée dès le départ, on n’a pas à faire face à des problèmes plus tard. Ce n’est pas une solution de secours qu’on applique après une atteinte à la protection de la vie privée. Tout ce qui sera construit protégera... Évidemment, il ne faut pas oublier que nous ne pouvons pas atteindre la perfection et qu’il y aura toujours des difficultés, des problèmes de sécurité et des progrès technologiques, mais au moins, nous disposerons d’un cadre solide dès le départ.
La sénatrice Bovey : J’aimerais revenir à ma question principale. Quels règlements doivent être intégrés à la Loi sur la protection des renseignements personnels et quels efforts sont déployés pour mettre cette loi à jour? Je comprends bien le défi qui se pose. Mon ancien mari, lorsqu’il était archiviste en Colombie-Britannique, a aidé à rédiger les lois de la Colombie-Britannique, et je suis donc au courant des pirouettes que tout le monde a dû effectuer. C’était il y a 25 ou 30 ans, n’est-ce pas?
Quelles pirouettes devons-nous effectuer maintenant pour veiller à ce que les renseignements personnels des gens soient protégés? Il s’agit certainement d’une question de lois et d’une question de règlements, et cela s’intégrera à la question des véhicules autonomes.
Mme Polsky : Je crois que les règlements devront exiger, tout d’abord, que les constructeurs d’automobiles se conforment aux lois canadiennes en matière de protection de la vie privée. Il faut accorder à nos commissaires à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels les pouvoirs nécessaires pour faire appliquer les lois en vigueur. Je crois que cela n’aide personne lorsque les entreprises se vantent de le faire. C’est très bien pour l’économie, mais ce n’est pas bon pour nous et pour nos renseignements personnels.
Les règlements devront exiger qu’on mène des audits indépendants pour veiller à ce que les systèmes construits protègent notre vie privée et nous permettent d’avoir accès à nos renseignements personnels.
Si je reviens encore plus loin en arrière, je reconnais que l’éducation est une compétence provinciale, mais pour des raisons liées à l’intérêt public, aux politiques économiques nationales et aux stratégies en matière de cybersécurité, nous sommes d’avis que l’éducation doit exiger l’enseignement de ces notions dès la maternelle. Je suis sérieuse. Le CCAP fait la promotion de cette idée depuis longtemps. En effet, les enfants ont des appareils électroniques dès le berceau et maintenant, on parle beaucoup d’enseigner aux enfants à coder. C’est comme si je disais que j’allais enseigner à mon enfant de 10 ans comment réparer un carburateur, mais sans lui enseigner la signification d’un panneau d’arrêt.
Cela n’aide pas. Nous devons enseigner ces notions aux enfants, afin qu’ils puissent devenir des législateurs, des concepteurs d’automobiles et des technologues qui conçoivent des choses — des lois, des produits, des technologies — qui tiennent compte de la protection de la vie privée dès le départ. C’est une stratégie à long terme, mais nous devons commencer. Nous avons déjà du retard.
La sénatrice Bovey : Je suis d’accord.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, madame Polsky, de nous avoir ouvert les yeux. C’est alarmant, mais ce qui est encore plus alarmant, c’est que des représentants de constructeurs d’automobiles ont comparu devant notre comité et nous leur avons posé beaucoup de questions. L’un de mes collègues, qui est absent, a insisté pour poser des questions sur la sécurité, le piratage informatique et la protection des données personnelles à chaque séance. Ces témoins nous ont dit de ne pas nous inquiéter, mais nous devons nous inquiéter.
Cela me préoccupe depuis l’arrivée de Facebook. Nous savons que nous n’avons pas le choix. Il nous suffit de cliquer sur « Accepter »; nous ne lisons rien et nos données sont ensuite recueillies.
En ce qui concerne les solutions, j’ai déjà lu des documents sur la notion de protection intégrée de la vie privée, et je crois que vous avez raison lorsque vous dites qu’il faut exercer un contrôle dès le début, et non après l’apparition de problèmes. Lorsque le mal est fait, les données sont compromises; nous devons donc intervenir dès le début du processus.
On nous a dit que l’échange des données passait par trois étapes. Tout commence à l’intérieur du véhicule, car c’est là que les gens ont accès à Internet. La deuxième étape de la communication se produit par l’entremise de l’infrastructure et d’autres moyens de communication. Enfin, la troisième étape utilise le satellite GPS qui nous indique le trajet entre deux points.
À qui revient cette responsabilité et qui est propriétaire des renseignements? Je tente de comprendre. À qui nous adressons-nous? Aux constructeurs d’automobiles, à la municipalité ou au propriétaire? Pourriez-vous nous approfondir le sujet?
Mme Polsky : Je pourrais aussi demander qui s’intéresse à nos données; est-ce nous? Imaginez que vous conduisez un véhicule intelligent qui prend un certain contrôle et qu’une collision se produit. J’ai eu de nombreuses discussions avec des avocats, des avocats spécialisés en assurance et des avocats spécialisés en litiges, et pas un seul ne peut répondre à la question suivante de façon définitive : qui est propriétaire des données et qui sera tenu responsable? C’est très bien de blâmer les responsables, même si cela encombrera davantage les tribunaux, mais est-ce le véhicule, le conducteur, le concepteur de l’automobile, le réalisateur du logiciel — qui pourrait évidemment se trouver dans un autre pays? Les sociétés d’assurance deviennent-elles propriétaires des renseignements personnels contenus dans votre véhicule? Nous ne le savons pas.
Comme je l’ai dit, c’est une question qui doit être réglée dès que possible. Il vous revient peut-être de formuler des recommandations pour identifier le propriétaire des données. Si ce sont mes données personnelles, la loi indique que je suis en partie propriétaire, mais il n’y a aucune certitude à cet égard.
La sénatrice Galvez : Merci.
La sénatrice Griffin : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Comme ma collègue vient de le dire, c’est assez alarmant. Je crois que mes deux collègues ont littéralement dit que c’était alarmant.
J’aimerais approfondir le sujet. La sénatrice Bovey vous a posé une question sur les instruments de réglementation, mais le gouvernement a d’autres instruments sous la main. Il peut d’abord montrer l’exemple, et ensuite utiliser des instruments financiers. Ces deux instruments, combinés à la réglementation, représentent essentiellement une façon d’encourager un certain comportement.
À votre avis, l’instrument consistant à montrer l’exemple et les instruments financiers peuvent-ils contribuer à faire progresser la situation?
Mme Polsky : Manifestement, l’impact économique est un point essentiel, et il existe de nombreuses façons de tirer profit des technologies novatrices, qu’il s’agisse d’améliorer le camionnage sur de longues distances ou les soins médicaux à longue distance, et je suis certaine que le gouvernement doit tenter de cerner toutes les répercussions économiques positives.
Il n’est pas toujours facile d’encourager et d’inciter les constructeurs d’automobiles à se conformer aux lois en vigueur, car je suis certaine que les intervenants de cette industrie forment un lobby très puissant. Je suis également certaine que les géants des médias sociaux, par exemple Google, Amazon, Apple — toutes ces grandes entreprises — intègrent leurs technologies dans les véhicules, parfois gratuitement, en imposant au constructeur d’automobiles seulement les coûts liés à la mise à jour du logiciel, afin de veiller à ce que leurs technologies soient installées dans les voitures. Ces entreprises créent des véhicules et elles affirment ensuite que la souveraineté des données ne devrait pas exister, que ce soit par l’entremise de l’ALENA ou du Partenariat transpacifique ou d’autres instruments et que nous ne devrions pas être en mesure de décider où sont nos informations.
Je pense qu’il revient à notre gouvernement d’intervenir au nom des Canadiens pour protéger notre vie privée, votre vie privée, tous nos droits en tant que Canadiens au Canada et de l’indiquer bien clairement.
La sénatrice Griffin : Pour donner suite à cela, que pensez-vous de pouvoirs accrus pour le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada afin qu’il soit plus proactif en prévoyant les problèmes et en essayant de les éviter?
Mme Polsky : Il y a plusieurs années et à maintes reprises, j’ai mentionné très clairement que les lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels sont inefficaces. Lorsque Jennifer Stoddart a démissionné de son poste de commissaire fédérale, elle a dit lors d’une assemblée publique que la législation à cet égard est inefficace. Le commissaire n’a pas le pouvoir nécessaire pour la faire respecter. La législation proprement dite n’est pas inadéquate.
Les entreprises canadiennes se sont démenées et ont dépensé des milliards de dollars pour se préparer à la loi Sarbanes-Oxley de protection de l’information financière des États-Unis, ou SOX. Elles ont pris ces mesures parce que la non-conformité à cette loi les exposerait à des amendes de millions de dollars et à une peine d’emprisonnement. C’est sans scrupule qu’elles n’ont pas fait des pieds et des mains pour se conformer à la législation canadienne qui prévoit des peines très légères, lorsqu’il y en a, dans un pays où très peu de commissaires, de l’échelon fédéral au plus petit, à l’exception de l’Alberta, ont un véritable pouvoir d’exécution. Il n’y a aucun incitatif. Il doit y en avoir.
Je suggère donc fortement de donner au commissaire à la vie privée des pouvoirs suffisants pour ordonner la production de documents, et cela s’applique maintenant d’un bout à l’autre du pays compte tenu de la décision de la Cour suprême, que nous devons à l’Université de Calgary et à la commissaire de l’Alberta. Tous les commissaires doivent avoir le pouvoir d’ordonner, à tout le moins, l’examen de documents que l’on dit assujettis au secret professionnel. Ils doivent avoir le pouvoir de rendre des ordonnances. Ils doivent être en mesure de mener des enquêtes non seulement après le fait ou après le dépôt d’une plainte, mais aussi de leur propre chef. Quand ils voient un problème, ils doivent être en mesure d’agir. À mon avis, le commissaire doit également avoir un budget et un mandat en matière d’éducation.
La sénatrice Griffin : Merci de cette réponse très détaillée.
Le président : C’est un problème qui a été soulevé. Nous n’avons pas entamé cette étude en pensant à la vie privée et à l’accès à l’information, mais c’est sans aucun doute un des thèmes les plus souvent abordés. Comme vous venez tout juste de le dire, depuis toujours, le commissaire à la protection de la vie privée doit avoir reçu une plainte pour intervenir. Je pense que même si nous avons présenté des recommandations au ministre des Transports, nous présenterons également des recommandations à Industrie Canada et au commissaire à la protection de la vie privée. Je crois que c’est certainement l’une des choses sur lesquelles nous devrions nous pencher.
L’un des problèmes, c’est que la technologie évolue très rapidement. Des témoins nous ont parlé du sujet abordé par la sénatrice Bovey. Lorsque vous activez Bluetooth dans une voiture louée, tous vos renseignements sont transférés. Des entreprises comme Enterprise, Hertz et ainsi de suite ont 42 modèles de voitures dotés de 3 modèles différents de technologie Bluetooth, et elles n’arrivent pas à suivre. Même si elles voulaient effacer les données, elles disent ne pas pouvoir le faire à défaut d’être capable de suivre l’évolution de la technologie.
Certaines pourraient avoir de mauvaises intentions, et je n’en doute pas, alors que d’autres ne savent tout simplement pas comment nous protéger.
Il y a ensuite l’autre aspect de la question. Une grande partie de cette technologie et de ces renseignements seront utilisés dans des algorithmes visant à nous protéger. Si vous voulez que la voiture commence à comprendre ce qui se passe, elle doit avoir assez de renseignements pour pouvoir prédire ce qui se passera sur la route.
La ligne est mince entre la quantité de renseignements recueillis et la quantité de renseignements utilisés pour les bonnes raisons. Comme vous l’avez déjà dit, si vous avez une Lincoln Continental et que vous conduisez sur l’autoroute 20 au Québec, à proximité de Drummondville, on pourrait vous signaler que le menu du jour de votre restaurant de grillades favori est l’aloyau, et que vous devez passer entre midi et 13 heures pour obtenir une réduction de 50 p. 100 en fournissant un code. C’est ce qui se produira.
Le sénateur Mercer : Ce sera quand?
Le président : Mardi midi. L’information de ce genre peut être amusante, et c’est le cas, mais elle peut aussi être dangereuse dans le sens où on sait également que votre boîte d’effeuillage favorite est à 20 minutes de route, ce qui signifie que le propriétaire de la voiture en saura davantage sur vos déplacements que votre femme. J’essaie de ne pas être trop drôle, car nous ne pouvons plus l’être. Mais à quel endroit doit-on tracer la ligne quant au genre de renseignements mis à la disposition d’un autre pour faire de la voiture un meilleur produit, quant aux renseignements dont l’utilisation porte atteinte à votre vie privée?
Mme Polsky : Par où dois-je commencer, monsieur le président?
Devrions-nous laisser ces entreprises utiliser nos renseignements? Nous n’avons pas le choix. Il y a vraiment un déséquilibre dans le rapport de force. Il y a quelques années, je me rappelle avoir vu dans les médias que les constructeurs d’automobiles avaient accepté de ne pas recueillir certains renseignements. C’était un accord de l’industrie. Eh bien, s’ils peuvent accepter aujourd’hui, ils peuvent faire marche arrière demain. Nous n’avons pas le choix. Les limites doivent leur être imposées.
En ce qui a trait aux entreprises de location de voitures, j’ai évidemment déjà recouru à leurs services, mais je ne connecte pas mon cellulaire. Les renseignements d’autres personnes sont effectivement là. Lorsque vous vous rendez dans un hôtel, que vous utilisez leur ordinateur ou leur imprimante, les renseignements d’autres personnes, leurs recherches sur Internet et leurs documents, sont tous là, car, comme je l’ai dit plus tôt, les gens ne sont pas au courant. Ils ne le savent pas parce que la plupart des personnes qui utilisent des ordinateurs et des appareils numériques de nos jours ne l’ont jamais appris. Leurs enseignants ne l’ont pas appris; leurs parents ne savent pas ce genre de choses. C’est comme un aveugle qui en guide un autre. Comme on se le fait tous dire : « Ne cassez pas vos jolies petites têtes. » On m’a dit d’« avoir confiance ». Eh bien, la confiance n’a pas été gagnée, à mon humble avis.
Pour ce qui est des entreprises de location de voitures, un autre aspect doit être pris en considération. S’il y a un accident — et j’ai déjà vécu cette situation; les forces de l’ordre ont communiqué avec moi... Que peut-on faire lorsqu’une personne a eu un accident dans une voiture louée? On ne peut pas obtenir les renseignements auprès de l’entreprise de location, car ce sont des renseignements personnels. On est donc une impasse. Personne ne sait quoi faire.
Pour ce qui est des algorithmes, oui, ils sont nécessaires. L’intelligence artificielle qui est actuellement mise au point se forme elle-même, ce qui signifie encore une fois que nous ne savons pas ce qu’elle fait, ce que les véhicules et la technologie font avec nos renseignements. La situation ne s’améliore pas; elle empire. Bien entendu, les entreprises disent que c’est visé par un droit de propriété, ce qui signifie qu’on ne peut même pas les examiner pour quelque motif que ce soit. De nombreux algorithmes maintiennent le statu quo. Ils s’appuient sur des données historiques. Cela ne change rien. Il y a un problème.
Une fois de plus, nous devons revenir à la case départ en sensibilisant les gens, en imposant des limites aux constructeurs de voitures, en précisant à qui les données appartiennent, en permettant aux Canadiens d’être maîtres de leurs propres données et en recourant à un contrôle réel plutôt qu’à des politiques en matière de protection des renseignements personnels et à des formulaires de consentement qui disent qu’on accepte que les renseignements soient utilisés de toutes les façons possibles pourvu que ce soit légal.
Le président : Mais une des difficultés auxquelles fait face la sénatrice Bovey lorsque ne se connecte pas à la voiture avec Bluetooth, c’est qu’elle n’a pas accès à la technologie mains libres.
Mme Polsky : Vous devez alors faire comme les dinosaures — dont je fais partie — qui utilisent un petit écouteur Bluetooth qui est également mains libres. Ce n’est peut-être pas à la fine pointe de la technologie. Sinon, on nous vend le côté pratique et amusant. C’est attrayant; c’est formidable. Bien entendu, c’est comme des enfants dans une classe. Nous voulons tous faire partie du groupe; personne ne veut être laissé pour compte. Les distributeurs, la technologie et les psychologues qui contribuent à la mise en marché nous ont dans la poche. Ils savent comment susciter notre intérêt et nous dire d’acheter ce qu’il y a de plus récent pour éviter d’être les seuls à ne pas l’avoir. Je conduis encore une voiture, pas un ordinateur sur roues.
Le sénateur Mercer : Je m’excuse de ne pas avoir assisté à votre exposé. Je viens d’acheter une nouvelle voiture, et elle possède toutes sortes de gadgets. Cela me rend un peu nerveux d’essayer de m’y retrouver. J’utilise toutefois la technologie Bluetooth parce que c’est ma voiture et que c’est la seule que j’utilise.
Faut-il attendre qu’une erreur soit commise avant que nous resserrions les lois sur la protection des renseignements personnels? Faut-il que quelque chose tourne mal? Avant de renforcer la législation, faut-il que quelqu’un commette un acte répréhensible ou qu’une chose terrible arrive à cause de lois trop peu rigoureuses?
Mme Polsky : Vous parlez peut-être précisément des véhicules intelligents, mais ce genre de problèmes se produit tous les jours. Quand l’Alberta a adopté sa loi, dans, je crois, 63 paragraphes, le mot « raisonnable » a été employé 67 fois. Les gens demandaient ce que signifiait le mot « raisonnable ». Je disais que les tribunaux allaient décider. Je disais toujours que lorsqu’il y aura une grave atteinte, les tribunaux allaient peut-être intervenir en disant qu’assez, c’est assez, que les choses allaient changer. C’est arrivé il y a longtemps, lorsque 500 millions de comptes Yahoo ont été compromis, emportés par le vent. La faille Heartbleed a eu raison de chaque grande entreprise, chaque petite entreprise, des entreprises avec lesquels nous faisons affaire sans le savoir, des banques et des coopératives de crédit dont les activités se limitent au Canada. Ces comptes ont été compromis parce qu’une entreprise canadienne faisait affaire avec une entreprise tierce qui, à son tour, à un moment donné, a fait affaire avec une entreprise américaine victime de la brèche de sécurité. Par conséquent, les entreprises canadiennes, les banques canadiennes, ont dû assumer le coût du remplacement des cartes de compte et ainsi de suite. Cela s’est déjà produit.
Le sénateur Mercer : Ce que je veux dire, c’est qu’il semble y avoir selon moi une crise majeure. Oui, nous avons tous entendu parler de ces importantes intrusions. Ce qu’il nous faut, ce sont des exemples individuels très concrets qui forceront les personnes qui siègent ici et à l’autre chambre, à la Chambre des communes, à s’asseoir et à dire : « Nous devons régler le problème. » On peut mentionner que 22 000 dossiers ont été compromis, mais pour nous motiver, nous avons besoin de l’exemple concret d’une jeune famille dont la subsistance a été menacée à cause d’une brèche ou d’un autre problème — je ne suis pas au courant de tout ce qui peut se produire, mais je suis certain que ce n’est pas les exemples qui manquent. Malheureusement, il arrive que le gouvernement soit réactif plutôt que proactif. Comme il n’est pas proactif, nous devons nous assurer qu’il est au courant des incidents qui encourageront un comportement proactif de sa part.
Mme Polsky : Sénateur Mercer, des particuliers sont victimes de ces incidents; c’est dans les médias. Je ne veux pas vous froisser, mais je dois poser la question : est-ce déjà arrivé à l’un de vous ou à une personne très proche de vous? Lorsque cela nous arrive personnellement, nous prenons conscience du problème et nous intervenons. Lorsque cela n’arrive qu’aux autres, c’est dénué de pertinence dans nos vies. Les choses changent quand cela nous arrive. Je l’ai déjà observé auprès de législateurs. Qu’il s’agisse du coût de médicaments, d’un traitement ou autres, les choses ne changent pas avant qu’un de leurs enfants ou qu’un proche soit concerné.
Le sénateur Mercer : Cela pourrait faire l’objet, monsieur le président, d’une étude distincte de comité, car nous formons le comité des transports et des communications.
Merci.
Mme Polsky : Je vous en prie, et je serais heureuse de vous faire parvenir d’autres exemples de cas individuels.
Le sénateur Mercer : Ce serait utile.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je tiens à m’excuser de mon retard. J’ai appris à la dernière minute qu’il y avait eu changement de salle, on a dû faire la navette deux fois aller-retour. Désolé aussi pour ma vilaine grippe.
J’ai une question assez courte. On sait que des entreprises comme Google et Facebook ont un lobbying très puissant auprès des gouvernements, ce qui inclut le gouvernement du Canada. On l’a vu récemment avec Netflix où ils ont réussi à ne pas se faire imposer une taxe.
Craignez-vous le lobbying de ces entreprises? Celles-ci gèrent en quelque sorte la face cachée des données informatiques. Craignez-vous que leur influence auprès des gouvernements, aussi bien canadien qu’américain, puisse faire en sorte que les normes de confidentialité et de protection des renseignements privés soient minimales et que ces entreprises n’aient pas l’obligation de bien protéger ces renseignements?
[Traduction]
Mme Polsky : D’après mes recherches, je crois comprendre que certaines de ces grandes entreprises exercent effectivement des pressions pour protéger leurs préférences à nos risques et périls. C’est un problème. Les entreprises comme Google et Facebook exercent un contrôle énorme sur ce que nous voyons lorsque nous faisons une recherche sur Internet. Nous pourrions inscrire les mêmes termes de recherche et obtenir des résultats différents à cause des algorithmes auxquels le président a fait allusion qui s’appuient sur notre historique de recherche et sur nos préférences. Ces entreprises ont énormément de pouvoirs.
Certains de nos renseignements en leur possession sont aux États-Unis — même s’ils nous assurent qu’ils se trouvent au Canada —, car ces entreprises ont de nombreux systèmes. Si le système vidéo tombe en panne ici, il y en a un autre ailleurs. On retrouve habituellement le même aux États-Unis et dans d’autres pays, où, comme je l’ai dit plus tôt, la définition de renseignements personnels diffère parfois. Comme vous le savez, une fois que les données sont dans un autre pays, elles échappent à notre contrôle.
Il y a ensuite les accords internationaux. Que ce soit dans le cadre de l’initiative Par-delà la frontière ou du Groupe des cinq, nos renseignements sont échangés ou transmis en coulisse. Je suis sûre que certains d’entre vous siègent à un des comités de la sécurité nationale. Vous êtes mieux placé que moi pour le savoir.
Où sont les lobbyistes? Quels renseignements obtiennent-ils, et quel contrôle exercent-ils? Oui, c’est une préoccupation. Je comprends évidemment que la sécurité nationale est importante; je ne laisse pas entendre le contraire. Mais nous devons nous aussi bénéficier d’une certaine protection, y compris contre les lobbyistes et les grandes entreprises.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je n’ai aucun doute sur votre bonne connaissance de ce domaine et nous apprécions votre présence parmi nous ce matin.
Selon vous, de quelle façon le gouvernement du Canada peut-il se protéger de cette influence afin que la priorité soit d’abord accordée à la protection des données confidentielles et non pas à la gestion de ces données par les entreprises?
Comment le gouvernement peut-il se protéger de cette influence externe à notre pays?
[Traduction]
Mme Polsky : Si nous parlons de mesures de protection prises par les gouvernements pour se protéger eux-mêmes, comme nous l’avons vu dans certaines administrations, y compris à l’échelle fédérale, il y a déjà des lois en vigueur qui interdisent de faire sortir du pays des renseignements du domaine public. Pourtant, lorsque des employés du secteur public se déplacent, ils transportent ces renseignements dans leurs appareils.
Je vais revenir en arrière et dire que nous avons besoin d’une bien meilleure éducation. Il faut non seulement être formé sur l’utilisation des appareils, mais aussi apprendre au moyen des bons renseignements, d’un contenu valable, afin que les gens sachent comment utiliser un réseau virtuel privé, comment utiliser la technologie qui est déjà disponible pour éviter de transporter ces renseignements à l’étranger, pour qu’ils restent véritablement au Canada, et afin que le gouvernement ait des systèmes à jour, bien conçus et dotés de mesures intégrées de protection de la vie privée pour protéger ses renseignements, les nôtres ainsi que notre économie et notre potentiel.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je vous remercie pour votre présentation et je m’excuse de mon retard à cette séance.
Vous avez beaucoup parlé d’éducation, et c’est l’aspect qui m’intéresse le plus. En vous écoutant, je réfléchis à cette notion de protection des informations confidentielles. Notre société se trouve actuellement à une époque où la frontière entre le privé et le public est de plus en plus ténue. On se rend compte aujourd’hui qu’on partage beaucoup plus facilement qu’à une autre époque toutes sortes d’informations sur notre vie privée. Cela fait partie de notre façon d’utiliser les médias sociaux. Je parlerai des jeunes, mais pas uniquement d’eux, car je crois qu’il y a un changement de culture dans notre société par rapport à cela.
Vous parlez d’éducation, et je pense que c’est extrêmement important dans ce contexte, mais j’aimerais vous entendre davantage au sujet de ce que cela voudrait dire concrètement, dans le cas d’une réglementation ou d’une législation.
Comment pourrait-on inscrire des paramètres sur le plan éducatif qui permettraient de protéger les informations qui sont transmises par les citoyens?
[Traduction]
Mme Polsky : Monsieur le sénateur, je compare la situation à celle observée pour les véhicules il y a un siècle, quand on a commencé à en voir sur les routes. Pendant environ 50 ans, il n’y avait pas de formation officielle pour les conducteurs, et il a fallu attendre longtemps, après que la millionième personne ait été blessée ou tuée par une voiture, avant que cette formation existe. Les gens se sont ensuite assurés, et il y avait dorénavant un incitatif financier.
Cette étape n’est plus très loin. Les ordinateurs de bureau ont commencé à être populaires au début des années 1980. Nous sommes donc presque au même point, et comme pour les conducteurs des premières voitures, personne n’a été formé.
À mon avis, cela devrait être obligatoire dans le curriculum, pas optionnel de sorte qu’une école peut choisir de l’enseigner ou non aux élèves, mais un élément obligatoire du programme d'enseignement qui est abordé lors des premières années et développé à mesure que les enfants vieillissent. À l’école secondaire, à l’école intermédiaire ou à l’université, il est vraiment trop tard pour leur apprendre à coder. Ils répandent déjà leur vie personnelle partout sur Internet.
Une mère peut écrire qu’elle a pris un certain médicament pendant sa grossesse. Eh bien, 20 ou 30 ans plus tard, lorsque son enfant veut aller à l’université, obtenir une habilitation de sécurité ou contracter une assurance-vie, le commentaire en ligne de sa mère, qui remonte à très longtemps, peut revenir le hanter. Les parents doivent être sensibilisés.
Il faut que ce soit un élément obligatoire du programme d'enseignement pour que les enseignants l’apprennent à nos enfants, à la prochaine génération de concepteurs de logiciels, de législateurs, de policiers et de technologues. Les enfants doivent l’apprendre d’entrée de jeu.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je suis loin d’être un spécialiste de la question, mais une des solutions ne serait-elle pas de restreindre le type d’information que le propriétaire ou le locataire d’une voiture peut enregistrer dans le système? N’y a-t-il pas une façon de restreindre cette information et de créer une réglementation allant dans ce sens?
[Traduction]
Mme Polsky : Peut-être, mais je reviens à dire que c’est la responsabilité des concepteurs du véhicule. Il faut imposer des limites à leurs exigences.
C’est comme n’importe quelle application que vous téléchargez. C’est très pratique. Vous ignorez ce que l’application téléchargera, si elle allumera la caméra par elle-même, comme bon nombre d’applications le font, et nous ne le savons pas.
Il serait formidable d’avoir des limites, mais on laisse encore une fois la responsabilité aux fabricants et aux concepteurs, plutôt que de nous accorder — à nous tous — un certain niveau de contrôle véritable sur nos renseignements.
La sénatrice Bovey : Je serai très brève.
Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a assisté à la Conférence internationale annuelle des commissaires à la protection des données et de la vie privée le mois dernier. Bien entendu, les véhicules automatisés et connectés ont fait l’objet de discussions, et une résolution a été adoptée pour que la responsabilité de veiller au respect des droits des utilisateurs soit confiée aux gouvernements et à l’industrie.
Cette résolution exhortait toutes les parties présentes à suivre les 16 lignes directrices suggérées pour protéger le droit à la vie privée des utilisateurs de véhicules automatisés et connectés.
Pensez-vous que le comité devrait recommander ces types de lignes directrices, qui seront émises en tant que règlements par le gouvernement pour protéger le droit à la vie privée?
Avez-vous eu l’occasion de lire ces règlements, et proposeriez-vous de les utiliser comme points de départ à recommander au gouvernement?
Mme Polsky : Je n’ai pas examiné ce à quoi vous faites référence, mais j’ai vu des recommandations formulées par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada et dans le cadre d’autres tribunes internationales regroupant des commissaires.
La réponse courte est oui, car les lignes directrices suggérées par les commissaires à la protection de la vie privée sont excellentes, mais ce sont des lignes directrices suggérées. Il doit y avoir des mesures beaucoup plus concrètes et vigoureuses.
La sénatrice Bovey : Monsieur le président, je pense que nous devrions examiner les 16 lignes directrices qui ont été formulées dans le cadre de cette réunion le mois dernier en tant que points de départ.
Le président : Nous avons de nombreux points de départ.
La sénatrice Galvez : D’après votre expérience, pensez-vous qu’il y a un pays — en Europe peut-être — qui est en avance sur nous et qui pourrait servir de modèle à partir duquel nous pouvons puiser des idées?
Mme Polsky : Je pense que le Canada doit se préparer en vue du RGPD, le Règlement général sur la protection des données, qui entrera en vigueur en Europe en mai 2018.
Cette mesure réglementaire fixe non seulement la barre très haute en matière de protection des renseignements personnels, de consentement, d’accès et de contrôle individuel sur les renseignements personnels, mais son existence remet en question le caractère adéquat du Canada pour échanger des renseignements avec l’Union européenne. Il y a des répercussions potentielles économiques énormes.
J’examinerais d’abord le RGPD et un resserrement des protections pour le Canada et les Canadiens pour assurer une uniformité.
Le président : Merci. Je pense que nous avons relevé, ce matin seulement, déjà 18 ou 19 défis auxquels le comité est confronté.
Le sénateur Mercer : Juste au moment où nous pensions que nous nous en sortions bien.
Le président : Comme vous pouvez voir, nos témoins sont ici.
Madame Polsky, merci de votre déclaration. Vous nous laissez de nombreux éléments et défis sur lesquels nous devrons nous pencher, mais comme je l’ai déjà dit, au rythme où le dossier évolue, nous vous convoquerons probablement une seconde fois pour discuter de ce débat lorsque nous aurons analysé un deuxième rapport plus tard.
Nous allons présenter nos prochains témoins. Nous accueillons Thomas Small, directeur, Développement de nouveaux produits, à New Flyer Industries Canada, et, par vidéoconférence, John-Paul Pelletier, vice-président, Ingénierie, à Motor Coach Industries.
Thomas Small, directeur, Développement de nouveaux produits, New Flyer Industries Canada : Bonjour, et joyeuse Halloween.
John-Paul Pelletier, vice-président, Ingénierie, Motor Coach Industries : Bonjour.
Le président : Je vais vous demander de faire vos exposés, puis les sénateurs vous poseront des questions.
M. Small : Je suis Thomas Small, directeur, Développement de nouveaux produits, New Flyer Industries Canada.
M. Pelletier : Et je suis John-Paul Pelletier, vice-président, Ingénierie, Motor Coach Industries.
M. Small : Pour vous donner quelques renseignements généraux sur MCI et New Flyer, elles font toutes deux partie du groupe d’entreprises de New Flyer, qui est le plus important fabricant d’autocars et d’autobus et distributeur associé de pièces en Amérique du Nord, dont le siège social est à Winnipeg, au Manitoba. Nous produisons des autobus à service intensif et des autocars en conformité avec les spécifications. Ensemble, New Flyer et MCI ont plus de 70 000 véhicules en circulation en Amérique du Nord, et sont toutes les deux des chefs de file technologiques dans notre industrie.
Les véhicules autonomes, ou les VA, figurent sur la feuille de route technologique de New Flyer et de MCI, mais nous avons pour philosophie de suivre les secteurs de la fabrication d’automobiles et de camions. Nous utilisons bon nombre des mêmes fournisseurs que le secteur de l’automobile, mais nos volumes de production sont évidemment beaucoup moins élevés dans la fabrication d’autobus et d’autocars que dans la fabrication d’automobiles.
Les véhicules connectés figurent également sur la feuille de route technologique de New Flyer et de MCI. La télématique est disponible à l’heure actuelle, sous le nom de New Flyer Connect. Cette technologie permet la surveillance du bon fonctionnement des véhicules et des flottes en temps réel, et nous mettons actuellement à l’essai le téléchargement à distance de logiciels pour contrôler les modules.
Les niveaux de conduite automatisée ont déjà été fixés par la Society of Automotive Engineers en vertu de la norme J3016 de la SAE, et sont classés de 0 à 5. La NHTSA a adopté les définitions et les niveaux de la SAE et, dans le cadre d’un examen de la Bibliothèque du Canada, ils sont établis là aussi.
Pour vous donner un aperçu des niveaux et de ce qu’ils signifient, le niveau 0 est lorsqu’un conducteur humain est responsable de toutes les fonctions de conduite et le niveau 5 est lorsqu’aucune intervention humaine n’est nécessaire et aucune commande du véhicule n’est nécessaire.
M. Pelletier : En ce qui concerne le déploiement des véhicules connectés et automatisés, sur le plan réglementaire, il y a certains États américains qui ont des lois sur les véhicules autonomes. Il y a des risques à gérer, de même que des problèmes d’assurance et de responsabilité liés aux VA, notamment pour déterminer qui est fautif lors d’une collision. En ce moment, il n’est pas clair pour nous si les mécanismes et les politiques gouvernementales pour l’immatriculation de ces véhicules relèveront du fédéral, de l’État ou de la province, ou de la municipalité.
Pour ce qui est du déploiement technique des véhicules connectés et automatisés, nous avons actuellement des systèmes passifs en place, qui émettent des avertissements. Nous avons des caméras panoramiques et des caméras de vision arrière, et nous déploierons un avertissement de franchissement de ligne pour les autocars au milieu de 2018. Nous avons également des systèmes actifs dans nos véhicules, dont des systèmes d’atténuation des collisions qui appliqueront les freins avant une collision, des régulateurs de vitesse adaptatifs et des contrôles électroniques de stabilité.
Un grand défi rattaché au système pour les véhicules lourds est la direction. Pour les véhicules autonomes de niveau 2, il faut des commandes de freinage et de direction, mais ces systèmes ne sont pas encore disponibles sur le marché pour les véhicules lourds tels que les camions et les autobus.
L’automatisation pourrait ne pas être fiable dans des mauvaises conditions météorologiques telles que la neige, la pluie ou le brouillard, surtout si vous intégrez des caméras. Aucune ligne directrice n’a été élaborée pour le rendement de ces systèmes, alors nous ne savons pas ce que nous devrions mettre à l’essai pour valider ces hypothèses.
Les liens en temps réel à la cartographie mondiale ne sont pas définis à l’heure actuelle. De plus, les communications de véhicule à véhicule, de véhicule à infrastructure et de véhicule à environnement en sont encore à leurs débuts.
Un autre problème est la période de transition durant laquelle des conducteurs humains interagissent avec des systèmes de véhicule entièrement automatisés.
Il y a aussi une mesure en matière de cybersécurité qui devra être réglée, puisqu’il s’agit de systèmes ouverts qu’il faudra protéger.
D’un point de vue social, il y a l’acceptation du public de monter à bord d’un autobus ou d’un autocar sans conducteur. Il y a aussi plusieurs milliers de chauffeurs d’autobus, d’autocars et de véhicules commerciaux qui ont actuellement un emploi. Ce sera problématique pour les droits de passage de transport en commun, l’aide aux passagers et la sécurité à bord de ces véhicules sans conducteur, et il y a l’acceptation du public, qui exigera rien de moins que la perfection de la part d’un véhicule automatisé.
Certains défis à long terme que nous relevons auront d’importantes répercussions sur la protection des renseignements personnels, l’énergie, l’utilisation des terres, la demande en transport et l’emploi. Cela dépasse la portée de ce que Thomas et moi pouvons définir avec l’expertise à notre disposition.
Cependant, on s’attend à ce que la consommation énergétique serait ou pourrait être réduite grâce à une optimisation du contrôle de la marche au ralenti. Il y a également un aspect lié à l’entretien et à l’usure qui serait considérablement réduit. L’utilisation des terres serait réduite puisque les véhicules automatisés éliminent la nécessité d’aménager des terrains de stationnement. Les autobus et les autocars élimineraient également cette nécessité dans une moindre mesure que les véhicules. L’incidence du transport public est difficile à prédire pour les autobus, compte tenu des véhicules automatisés, du jumelage de déplacements potentiel et des véhicules sur demande disponibles. À mesure que des emplois disparaîtront, les autobus, les autocars et les véhicules commerciaux offriront de nouvelles possibilités.
Nous aimerions également souligner qu’il y a un coût très élevé associé à l’élaboration et à la validation de ces types de programmes, à mesure que vous concevez et mettez à l’essai des véhicules autonomes et connectés.
Bref, New Flyer et MCI suivront l’industrie automobile. Malgré le fait que nous gérons nos industries respectives d’autobus et d’autocars, nous adoptons généralement tardivement les technologies dans le secteur de l’automobile. Nous attendrons que la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de l’automobile acquière de l’expérience et de l’expertise. Nous n’offrirons que des systèmes fiables puisque nos véhicules ont beaucoup de valeur. Les autobus et les autocars transporteront de 40 à 120 passagers. Nous respecterons tous les règlements de même que les spécifications des clients requises pour les systèmes d’aide à la conduite et, comme nous l’avons mentionné, New Flyer et MCI sont en train d’élaborer une feuille de route pour atteindre la pleine autonomie, pour concevoir des autobus et des autocars autonomes de niveau 5. Les coûts de conception sont très élevés pour intégrer et valider ces systèmes très complexes. Merci.
Le président : Merci, messieurs Pelletier et Small.
La sénatrice Bovey : Merci d’être des nôtres ce matin. Je connais très bien le travail que New Flyer accomplit, étant évidemment une sénatrice du Manitoba. Je suis très fière du travail que vous faites.
Certains d’entre nous ont eu l’occasion de visiter des entreprises de fabrication de véhicules automatisés en Californie, et quelques-uns d’entre nous ont eu l’occasion de rencontrer des étudiants diplômés à Stanford il y a quelques semaines et d’entendre leur position sur toute cette question. J’ai été très surprise de constater qu’un grand nombre de ces étudiants diplômés venaient du Canada. Compte tenu du travail que vous effectuez, je me demande si vous songez à embaucher quelques-uns de ces étudiants pour vous aider à concevoir cette technologie au nord de la frontière.
Je pose cette question, sachant que vous avez des usines des deux côtés de la frontière, que vous faites de nombreuses ventes des deux côtés de la frontière et que vous explorez toutes sortes de nouvelles technologies, notamment pour les véhicules électriques à batterie non polluants. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? N’avez-vous pas ouvert un nouveau site de mise à l’essai au Manitoba?
M. Small : Les véhicules à batterie électrique sont certainement l’une de nos priorités. Nous les avons déployés cette année. Nous allons en construire environ 75 en 2018, et les commandes se poursuivront en 2019. Nous comptons faire augmenter ces chiffres.
Même si la majorité des travaux sont effectués ici à Winnipeg et que nous coordonnons toutes les activités à partir de là, nous avons ouvert un centre d’innovation pour les véhicules à notre usine d’Anniston, en Alabama. Pour New Flyer, le fabricant d’autobus urbains, près de 50 p. 100 de notre part du marché du cycle de remplacement est de 6 000 autobus par année.
Nous avons en fait tout un éventail de systèmes de propulsion et de longueurs pour les autobus lourds, et nous sommes pratiquement dans toutes les villes au Canada et aux États-Unis. Notre plus grande part du marché est les États-Unis, ce qui nous amène à construire aux États-Unis conformément aux exigences de l’initiative Achetez américain.
Notre centre d’innovation pour les véhicules est établi pour éduquer les gens et mener des activités de développement aux États-Unis. Nous invitons toutes sortes de professionnels à nos installations, que ce soit des techniciens pour apprendre comment diagnostiquer les problèmes avec les véhicules autonomes et électriques et les réparer, ou des politiciens pour leur donner un aperçu de ce que cherche à faire l’industrie et de la façon dont elle parviendra à ses fins.
Dans le cadre de la mise au point de nouveaux produits, nous avons accru notre capacité dans le secteur du génie électrique. Essentiellement, 50 p. 100 de nos ingénieurs sont des ingénieurs électriques et des systèmes de commande par opposition à des ingénieurs mécaniques. Vous pouvez donc voir que nous sommes passés du génie mécanique seulement au génie électrique et des systèmes de commande, si bien que le ratio d’ingénieurs est de 50-50 à l’heure actuelle.
Pour ce qui est des talents, nous envisageons l’embauche de toutes sortes de talents afin d’accomplir nos objectifs.
M. Pelletier : Chez New Flyer et MCI, nous travaillons conjointement à l’élaboration de notre plan. Ce plan inclura assurément de faire appel à des experts. Si nous pouvons ramener à Winnipeg des employés qui effectuent des recherches aux États-Unis ou ailleurs, nous examinerons certainement cette option.
La sénatrice Bovey : Je tiens à vous remercier. Je pense que cette entreprise au milieu de notre pays est importante lorsque nous examinons ce qui se passe dans le sud, l’est et l’ouest des Prairies. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci pour votre présentation et votre présence ici ce matin.
Récemment, le gouvernement des États-Unis a publié des directives invitant l’industrie automobile à faire de la cybersécurité des véhicules une priorité organisationnelle en mettant au point des mécanismes de signalement des incidents et des processus d’autovérification entre autres stratégies.
Je suis du Nouveau-Brunswick, une province où la cybersécurité est une spécialisation de plus en plus grande. Quelle mesure votre organisation a-t-elle prise pour faire de la cybersécurité une priorité organisationnelle? Tenez-vous des conversations avec d’autres provinces, comme le Nouveau-Brunswick, notamment, où la cybersécurité est extrêmement présente?
[Traduction]
M. Pelletier : Sur le plan commercial, la cybersécurité est certainement l’une de nos grandes priorités pour protéger nos entreprises. Avec les véhicules connectés, c’est assurément une priorité très importante. À mesure que nous déterminons comment mettre en œuvre cette technologie, c’est certainement un domaine de compétence où, avec les ingénieurs électriques et mécaniques traditionnels qui conçoivent normalement nos produits, nous allons devoir aller ailleurs pour obtenir ce type d’expertise.
À ce stade-ci, je ne pense pas que nous collaborons vraiment avec d’autres provinces sur la façon de gérer cela. Je dirais que nos véhicules sont des systèmes fermés, donc même si nous communiquons des renseignements dans une certaine mesure, il n’y a aucun moyen pour une personne externe de prendre le contrôle des commandes du système du véhicule. Ce sont des systèmes fermés, mais à mesure que nous ouvrons ces systèmes, que nous procédons à des téléchargements à distance ou que nous mettons en place d’autres formes de systèmes externes pour contrôler nos autocars, ce sera un problème qu’il faudra résoudre. Je dirais que c’est encore très tôt pour nous.
M. Small : Tout à fait. Nous avons notre système télématique, New Flyer Connect, qui échange des renseignements à l’heure actuelle. Nous obtenons des renseignements du véhicule. Pour le moment, nous ne transmettons pas des renseignements au véhicule dans une large mesure. Nous sommes en train de mettre à l’essai des mises à jour de programmes, comme vous le faites pour des applications sur votre téléphone cellulaire, par exemple. Pour l’instant, ce sont les mises à l’essai que nous effectuons, et nous accordons la priorité à la cybersécurité et comprenons ces risques.
[Français]
Le sénateur Cormier : Vous avez parlé d’un besoin accru en expertise spécifique par rapport à la cybersécurité. Avez-vous eu des conversations avec les institutions d’enseignement au Canada, par exemple, qui pourraient favoriser le développement d’une expertise en ce sens?
[Traduction]
M. Pelletier : Je n’ai personnellement discuté avec aucun représentant d’établissements d’enseignement.
Je sais que, en ce qui concerne nos systèmes de TI, les ordinateurs et la cybersécurité, nous nous en remettons un peu à nos collègues dans ces domaines. Je pense que des discussions sont en cours, mais je ne sais pas si quoi que ce soit a été officialisé. Je pense que votre suggestion ou votre réflexion est une excellente idée.
Thomas et moi travaillons en ce sens, du moins localement, dans le cadre de comités de l’industrie et du milieu universitaire dont nous faisons partie, et nous donnons notre avis aux universitaires, que ce soit à l’Université du Manitoba ou au collège Red River, qui est très près d’où nous sommes à l’heure actuelle. Nous donnons notre avis sur les besoins de notre entreprise, et d’autres représentants de l’industrie font part de leurs besoins à ces établissements. La suggestion de collaborer avec les établissements d’enseignement est excellente.
Il faudra régler cette question à mesure que nous progressons dans nos travaux.
Le sénateur Mercer : Je veux revenir aux commentaires sur les systèmes de commande du volant que vous avez faits dans votre exposé. Ceux parmi nous qui sont toujours en ville ont tous vu des situations où un autobus qui s’apprête à tourner à une intersection et se retrouve face à un véhicule qui, dans l’autre rue, est peut-être trop avancée dans l’intersection. Cela pose problème, un problème qui est amplifié dans le cas d’un autobus sans conducteur. L’autobus est là, et la voiture est là. Habituellement, les conducteurs font des signes de la main, puis le conducteur de la voiture recule ou se range sur le côté. Or, ce n’est pas possible dans le cas d’un autobus sans conducteur. L’autobus tourne, puis s’arrête grâce aux caméras, évidemment, ou du moins nous espérons qu’il s’arrêtera.
Comment la technologie est-elle conçue pour composer avec une telle situation? Je sais, pour avoir vécu en ville — grandes et petites — pendant de nombreuses années que c’est un problème courant. Cela se produit tous les jours aux intersections.
M. Small : C’est un enjeu qu’il fait absolument étudier et régler. On entend par « systèmes de commande du volant » les composantes mécaniques et électriques qui assurent la commande du volant, tandis que vous faites référence au contrôle des interactions entre un véhicule automatisé et un conducteur humain. C’est l’un des enjeux majeurs qui doivent être bien compris, car les véhicules autonomes seront probablement programmés pour respecter le code de la sécurité routière, donc sans possibilité de conduite agressive, tandis qu’un conducteur humain peut avoir une conduite agressive, même par rapport à des véhicules automatisés.
Il convient d’étudier les façons de régler ce problème, ce qui n’a pas encore été défini. Nous nous attendons à des progrès à cet égard.
Le sénateur Mercer : Il me semble que le problème pourrait être amplifié davantage dans le cas d’une rencontre entre un autobus automatisé et un véhicule automatisé lors d’un virage. Il y aura des humains à bord du véhicule, mais ils auraient la possibilité de prendre les commandes du véhicule; nous savons que ce sera possible.
Supposons que je prends l’autobus, un autobus automatisé, pour me rendre au travail le matin. Comment pourrez-vous vous assurer que je paie mon passage? Les sociétés de transport en commun du pays veulent avoir une réponse à cette question.
M. Small : C’est un des points que nous avons abordé dans notre exposé. On pourrait en débattre longtemps. Premièrement, par exemple, le public est-il prêt à accepter des autobus pleinement automatisés? Dans le cas du train léger sur rail, on y accède généralement à une station, avec un titre de transport payé d’avance. Or, ce n’est pas le cas pour les autobus; la question est donc de savoir comment assurer la perception des droits de transport. Est-il nécessaire d’avoir un préposé à bord de l’autobus pour veiller au paiement des droits de transport ou pour offrir de l’aide aux personnes handicapées, par exemple pour attacher un fauteuil roulant ou de façon plus générale, pour assurer la sécurité? De nos jours, même s’ils ne sont pas des gardiens de sécurité, les chauffeurs d’autobus font figure d’autorité à bord. Sera-t-il toujours nécessaire d’avoir un préposé à bord? Cette personne ne conduirait pas le véhicule, mais elle veillerait tout de même au maintien de la paix et à la perception des droits de transport, en plus d’aider ceux qui ont besoin d’aide. C’est une question ouverte.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Si vous me permettez, je vais poser deux questions en français. D’abord, vous avez mentionné dans votre présentation que les technologies sont déjà présentes sur beaucoup de véhicules. Je pense, entre autres, à l’avertissement de changement de voie, aux freins d’urgence, au contrôle de vitesse intelligent et aux caméras 360 degrés. Ce que je comprends de votre exposé, c’est que ces technologies sont très peu présentes actuellement sur les véhicules lourds. Est-ce bien le cas?
[Traduction]
M. Pelletier : Ces technologies sont actuellement offertes dans les autocars de MCI et d’autres véhicules commerciaux.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dois-je comprendre que les voitures autonomes arriveront bien avant les camions lourds qui seront munis de cette même technologie, par exemple jusqu’au niveau d’automatisation 5? Est-ce à dire que la mise au point des véhicules automobiles se fait beaucoup plus rapidement que celui du camionnage lourd ou des autobus?
[Traduction]
M. Pelletier : Je ne suis pas nécessairement prêt à en arriver à cette conclusion. Je pense que les industries des véhicules commerciaux et du camionnage progressent en ce sens aussi rapidement que l’industrie de l’automobile pour les véhicules personnels.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On sait qu’au Québec et peut-être ailleurs en Amérique du Nord, la cohabitation est souvent difficile entre les camionneurs et les conducteurs d’automobile, les uns reprochant aux autres de manquer de visibilité et de respect. Est-ce que cette cohabitation entre les véhicules autonomes et les camions lourds autonomes aura une influence sur les relations entre les camionneurs et les automobilistes?
[Traduction]
M. Pelletier : Je reprendrais les propos de Thomas. La conduite autonome évolue et tend vers l’adoption de la technologie de communication de véhicule à véhicule. Les véhicules se transmettent des informations sur leur emplacement et leurs déplacements; cela éliminera le facteur humain, le côté émotif, par exemple une situation où un chauffeur de camion pourrait décider qu’il n’a qu’à s’imposer, étant donné la différence de taille entre le camion et l’automobile, en se disant que l’automobiliste n’aura d’autre choix que de le laisser passer.
Je serais porté à croire que la situation ira en s’améliorant au fil de la transition vers les véhicules autonomes et l’élimination du facteur humain. D’ici là, je pense que ce conflit perdurera.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Lors d’un récent voyage en Europe, j’ai remarqué la présence de convois de camions lourds, avec aussi bien le tracteur à l’avant que le contenant à l’arrière. Il y a deux ou trois camions qui se suivent à la queue leu leu, mais il n’y a qu’un chauffeur dans le premier véhicule, les autres camions sont intégrés à la flotte et sans camionneur. Est-ce qu’on observe ce type de technologie en Amérique du Nord?
[Traduction]
M. Pelletier : Je pense que cela existe et que c’est réalisable.
M. Small : Nous croyons que la technologie évoluera plus rapidement que la réglementation. Nous sommes d’avis que nous aurons éventuellement des technologies assurant une automatisation complète des véhicules, avec interaction avec l’environnement. On verra un jour une transition, des conducteurs humains aux véhicules entièrement automatisés. Pour le moment, on ne peut que spéculer sur les caractéristiques de cette période de transition, mais nous pensons que la réglementation ne pourra évoluer aussi rapidement que la technologie.
M. Pelletier : J’ajouterais simplement que ce que vous avez mentionné est déjà possible. On peut regrouper les camions, par exemple en ayant deux véhicules qui suivent un véhicule d’escorte conduit par un humain. À mon avis, c’est possible et cela se fait déjà.
La question est donc de savoir si c’est autorisé. Quels sont les mécanismes d’autorisation? À titre d’exemple, serait-il permis de conduire une telle flotte de camions commerciaux de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique sur l'autoroute transcanadienne? Actuellement, à mon avis, la réponse est non.
M. Small : On parle ici de traverser diverses municipalités et provinces, et chaque province a ses propres lois en matière d’immatriculation des véhicules, par exemple.
M. Pelletier : Je considère que c’est possible, sur le plan technique. Est-ce autorisé? À notre connaissance, il n’existe aucune réglementation à cet égard.
La sénatrice Griffin : Merci de votre exposé. J’ai deux questions plutôt brèves, du moins je l’espère.
La première est liée sur l’utilité des véhicules autonomes pour les personnes qui ont des besoins spéciaux. Avez-vous mené des consultations exhaustives auprès des aînés et des groupes représentant les personnes handicapées, lorsque vous étiez à l’étape de la conception? En outre, avez-vous eu des consultations avec les provinces et les territoires concernant leurs besoins futurs?
M. Pelletier : Je vais commencer, puis je laisserai Thomas répondre à la deuxième question.
En ce qui concerne les consultations avec les personnes qui ont des problèmes de mobilité, MCI vient de commercialiser un véhicule de transport adapté spécifiquement conçu pour améliorer l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Nous avons procédé au lancement du produit il y a quelques semaines à peine, lors d’un événement organisé par l’American Public Transportation Association.
Nous avons mené plusieurs consultations auprès des groupes de personnes handicapées au Canada et aux États-Unis pour obtenir leur appui pour ce produit. Comparons encore une fois les autocars aux autobus de transport en commun, pour lesquels on a opté pour une conception à plancher surbaissé. Je crois que New Flyer a été la première à adopter cette conception il y a 20 ans, probablement. Quant aux autocars, on a conservé la conception à plancher surélevé. Actuellement, les personnes qui utilisent un appareil d’aide à la mobilité montent à bord à l’aide d’une plateforme élévatrice logée dans un compartiment du véhicule. Cela part du sol jusqu’à une hauteur de quatre pieds.
Le nouveau produit conçu par MCI vise à régler ce problème en dégageant l’espace nécessaire dans l’autocar pour offrir aux personnes à mobilité réduite un accès aussi rapide que dans un autobus à plancher surbaissé. Nous consultons régulièrement cette clientèle à l’étape de la conception de nos produits, tant en fonction des besoins d’aujourd’hui que des besoins de demain.
Je laisse à Tom le soin de répondre à l’autre question.
M. Small : Pouvez-vous répéter la deuxième partie de votre question?
La sénatrice Griffin : Elle porte sur les consultations avec les provinces et les territoires.
M. Small : Comme John-Paul vient de le mentionner, New Flyer produit des autobus de transport en commun à plancher surbaissé depuis 1990. Donc, les personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ou en triporteur montent à bord d’un autobus à l’aide d’une rampe. Les autobus ne sont plus munis d’une plateforme élévatrice ou d’escaliers. L’accès pour les personnes en fauteuil roulant est très simple.
Nous consultons l’ADA, aux États-Unis, et les associations semblables au Canada. Nous tenons compte des normes de l’ADA dans la conception de nos modèles. Essentiellement, les normes canadiennes reprennent les recommandations de l’ADA, et nous satisfaisons à toutes les exigences de l’ADA.
Comme je l’ai indiqué précédemment, la différence par rapport aux véhicules autonomes est que les utilisateurs du service sont généralement habitués à arrimer leur appareil, mais certains ont parfois besoin d’aide. Tout est fonction des exigences à l’échelle locale. Nos mécanismes d’arrimage pour les fauteuils roulants, les triporteurs, et cetera, varient d’un endroit à l’autre, selon les exigences des municipalités applicables à notre clientèle. Certaines personnes ont besoin d’aide.
Pour revenir à la question de savoir s’il convient d’avoir un conducteur ou un préposé à bord des véhicules automatisés, c’est ce qu’il faut déterminer. Habituellement, les questions relatives aux caractéristiques des véhicules relèvent des responsables du service local de transport en commun. Nous construisons les véhicules selon les spécifications requises. Donc, si on exige un mécanisme d’arrimage précis pour les fauteuils roulants, c’est ce que nous faisons.
La sénatrice Griffin : Merci.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie encore une fois de comparaître. J’ai une autre question.
Vous avez clairement indiqué que la technologie évolue beaucoup plus rapidement que la réglementation. Le ministre des Transports nous a confié le mandat de lui présenter des recommandations sur les règlements que le ministère des Transports devrait adopter.
Pourriez-vous nous présenter des observations sur les règlements que nous devrions recommander au gouvernement fédéral?
M. Small : Il convient d’abord de définir les méthodes et les paramètres de l’homologation des véhicules automatisés. Nous avons actuellement un système de permis de conduire pour les conducteurs humains. Quelle forme cela prendra-t-il à l’avenir? Quels critères doit-on avoir pour autoriser la circulation d’un véhicule sur les routes? Actuellement, ces questions sont de compétence provinciale au Canada et de compétence des États, aux États-Unis. C’est l’un des principaux aspects.
Quelles sont les exigences relatives aux essais des véhicules automatisés? Essentiellement, cela ne change pas. Quelles sont les normes internationales... Ou alors les normes nord-américaines, canadiennes ou américaines? Comment définit-on tout cela? Actuellement, les exigences que nous devons respecter ne sont pas définies. Nous n’avons aucune exigence. Nous adoptons des normes au fil de l’évolution de la technologie, mais nous nous inspirons de l’industrie de l’automobile.
La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. C’est très utile.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous avez fait tantôt un commentaire qui me laisse très perplexe. On parlait d’un convoi qui partirait d’Halifax pour aller jusqu’en Colombie-Britannique et de la complexité de la réglementation interprovinciale. On sait que beaucoup de ces réglementations relèvent des provinces et certaines relèvent des municipalités. L'autoroute transcanadienne passe souvent dans les municipalités, ce n’est pas seulement une autoroute qui va d’une mer à l’autre sans aucun obstacle.
J’essaie de comprendre comment on va arriver à harmoniser toute cette réglementation avant que la technologie arrive. J’ai comme l’impression que la technologie va arriver et que l’obstacle à son développement ou à son utilisation, ce sera, effectivement, les barrières en ce qui a trait aux réglementations interprovinciales. C’est ma perception; est-ce qu’elle est correcte?
[Traduction]
M. Pelletier : Je dirais que vous avez raison.
Le président : Monsieur Small, monsieur Pelletier, merci.
Chers collègues, comme vous le savez, nous n’avons pas de réunion demain soir. Comme vous le savez aussi, l’ordre sessionnel prend fin demain. Il s’agit donc de ma dernière réunion à titre de président du comité, après sept ou huit ans à ce poste. Pendant cette période, j’ai vu se succéder trois premiers ministres, six ou sept chefs du Parti libéral, et six ou sept vice-présidents du comité. Je tiens à remercier Michael MacDonald de m’avoir remplacé et appuyé lorsque je suis parti en congé de maladie l’an dernier. Je ne sais pas qui me remplacera, mais je sais que je n’occuperai plus ce poste.
Sept personnes ont occupé le poste de greffier. Les trois premières sont parties en congé de maternité, mais je n’avais rien à voir là-dedans. Comme cela devenait une habitude, on a commencé à m’envoyer des greffiers.
Je tiens absolument à remercier le personnel de soutien et les interprètes.
[Français]
Je sais que je passe de l’anglais au français sans prévenir personne et que c’est toujours un peu irritant pour les interprètes. Je l’ai fait et je vais probablement continuer à le faire, car je ne quitte pas le Sénat. Je ne m’en vais pas chez moi. C’est juste que je ne reviendrai pas comme président.
[Traduction]
Nous avons un rapport à terminer. J’espère que je serai toujours membre du comité pour jouer un rôle à cet égard. Le comité examinera les projets de loi C-23 et C-49, et j’espère participer activement à ces activités.
Je présente mes excuses aux témoins. Cela dit, merci beaucoup.
(La séance est levée.)