Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 32 - Témoignages du 21 mars 2018
OTTAWA, le mercredi 21 mars 2018
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 18 h 51, pour étudier ce projet de loi, puis à huis clos, pour examiner un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous allons étudier le projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Aujourd’hui, nous accueillons deux groupes de témoins. Dans le premier groupe, j’aimerais souhaiter la bienvenue à Rob Ashton, président, International Longshore and Warehouse Union, à Karen Kancens, vice-présidente, Fédération maritime du Canada, à Bruce Burrows, président, Chambre de commerce maritime, à Martin Fournier, directeur général, Armateurs du Saint-Laurent, qui comparaît par vidéoconférence à partir du Québec, et à Sarah Clark, directrice générale, Fraser River Pile and Dredge, qui comparaît par vidéoconférence à partir de la Colombie-Britannique.
J’invite Mme Kancens à commencer sa déclaration. La parole est à vous.
Karen Kancens, vice-présidente, Fédération maritime du Canada : La Fédération maritime du Canada est la voix des propriétaires, des exploitants et des agents des navires battant pavillon étranger qui transportent les importations et les exportations du Canada à destination et en provenance des marchés mondiaux. Ces navires jouent un rôle essentiel dans l’économie canadienne en facilitant les mouvements du commerce international du Canada, et ils le font de façon efficace et sécuritaire au quotidien.
Même si je suis ici en tant que membre d’un groupe d’experts du milieu maritime avec mes collègues, j’aimerais profiter de l’occasion pour souligner que les transporteurs maritimes s’intéressent aussi beaucoup aux dispositions ferroviaires du projet de loi C-49. En effet, nos membres croient fermement que la création d’un système de fret ferroviaire plus efficace et transparent profitera à tous les segments du réseau logistique, que ce soient les modes ferroviaire, routier et maritime, les ports et terminaux maritimes, les entrepôts de stockage et autres.
Cela dit, mon objectif principal ce soir est de souligner l’importance des dispositions maritimes du projet de loi C-49 et de l’article 70 en particulier, qui propose de modifier la Loi sur le cabotage afin de permettre à tous les navires étrangers, quel que soit leur pavillon ou leur propriétaire, de repositionner leurs conteneurs vides entre les ports canadiens sur une base non payante. C’est une activité qui leur a été interdite par le passé en vertu de la législation canadienne sur le cabotage.
Il convient de noter que c’est ce que nos membres œuvrant dans le transport de conteneurs avaient demandé, et ce pourquoi notre association s’est battue, au cours de la dernière décennie. Les discussions sur ce sujet avaient en fait tellement progressé qu’en 2011 Transports Canada était sur le point de proposer une modification à la Loi sur le cabotage qui aurait exempté le repositionnement des contenants vides des interdictions prévues dans la loi.
Cependant, ces discussions ont été suspendues lorsque le repositionnement des conteneurs vides est devenu un élément de négociation de l’AECG, l’accord économique entre le Canada et l’Union européenne. Maintenant que ces négociations sont terminées et que les dispositions de l’AECG sont entrées en vigueur, le projet de loi C-49 vise à terminer les discussions qui ont été suspendues en 2011, lorsqu’il y a eu un accord général pour que le repositionnement des conteneurs vides soit ouvert aux navires étrangers, quel que soit leur pavillon et leur propriétaire.
L’amendement proposé en vertu de l’article 70 est important parce qu’un aspect considérable des activités du transport par conteneurs consiste à déplacer des conteneurs vides d’endroits où ils ne sont pas nécessaires, notamment un transporteur ayant à cet endroit un excédent de conteneurs vides, vers des endroits où ils sont nécessaires, c’est-à-dire où un transporteur doit répondre à la demande d’un client canadien qui a besoin des conteneurs vides pour exporter des marchandises.
Comme la Loi sur le cabotage avait interdit jusqu’à présent aux transporteurs étrangers d’utiliser leurs propres navires pour mener à bien cette activité, ils n’ont eu d’autre choix que de recourir à d’autres solutions, notamment de déplacer les conteneurs vides par train ou de les importer de l’étranger.
Cependant, aucune de ces solutions ne représente l’utilisation la plus productive des actifs du transporteur. Toutes ont un prix, non seulement pour le transporteur, mais aussi pour l’exportateur canadien, sous la forme de coûts de transport plus élevés et avec moins d’options pour acheminer les marchandises vers les marchés ainsi que pour la chaîne logistique avec une réduction globale de sa fluidité et de son efficacité.
L’article 70 du projet de loi C-49 réglerait ces problèmes. Il donnerait aux transporteurs la possibilité d’utiliser leurs actifs de transport, c’est-à-dire leurs navires et leurs conteneurs vides, de la façon la plus productive et la plus logique possible, pour le bénéfice ultime de toute personne dépendant d’une chaîne d’approvisionnement au Canada qui est efficace et qui fonctionne bien.
C’est pourquoi nous appuyons l’article 70 aussi fermement, et nous pensions qu’il est important de le porter à l’attention du comité. Merci.
Rob Ashton, président, Syndicat international des débardeurs et manutentionnaires du Canada : Le projet de loi C-49 comporte tout un lot de conséquences imprévues. L’objectif d’Ottawa de créer de l’investissement et des emplois pour la classe moyenne est tout à fait louable. À cette fin, le gouvernement fédéral a institué la nouvelle banque de l’infrastructure pour attirer des investissements du secteur privé dans des infrastructures dont notre économie a besoin et pour créer de bons emplois. Cependant, l’intervention d’Ottawa pourrait avoir exactement l’effet contraire dans l’industrie maritime de la Colombie-Britannique.
Cet aspect du projet de loi C-49 dont je veux discuter ce soir a rarement été abordé durant vos délibérations. Seul David Emerson a directement abordé la question que je soulève ici. Pour votre information, j’ai cité son témoignage en exergue de mes notes d’allocution.
Le projet de loi C-49 propose de permettre aux autorités portuaires de recevoir des prêts et des garanties de prêt de la banque fédérale de l’infrastructure. Nous soumettons humblement qu’il serait tout à fait inapproprié que des administrations portuaires reçoivent des fonds de la banque de l’infrastructure.
À notre avis, le projet de loi C-49 va constituer un frein pour des investissements dans les installations maritimes de la Colombie-Britannique qui sont déjà engagés ou planifiés. La banque de l’infrastructure est destinée à susciter des investissements privés là où il n’en existe peu ou pas. Ce n’est pas le cas en Colombie-Britannique. Notre secteur maritime est en expansion rapide, ce qui est alimenté en bonne partie par de l’argent du secteur privé. Une infusion d’argent public par l’intermédiaire de la banque de l’infrastructure constituerait justement une menace à cette dynamique.
Laissez-moi vous présenter un exemple concret. L’administration portuaire Vancouver-Fraser a des plans pour construire un terminal maritime géant sur le Roberts Bank, appelé T2. On planifie des investissements d’au moins 2 milliards de dollars, peut-être davantage. Cela comportera la construction d’une île dans un secteur écologiquement fragile, projet qui a été critiqué par des organismes environnementaux et communautaires comme APE et BC Nature.
Ce projet se trouve également juste à côté du Deltaport existant, exploité par Global Container Terminals. GCT se trouve engagé dans un projet d’expansion de 300 millions de dollars et est disposé à investir plus de 800 millions de dollars de plus pour agrandir la capacité de ses installations.
Nous sommes inquiets du fait que, en canalisant de l’argent public dans l’administration portuaire Vancouver-Fraser par l’intermédiaire de la anque de l’infrastructure, on étouffera ces activités du secteur privé sous une couverture mouillée.
Pour beaucoup de gens, l’expansion de GTC est un plan meilleur et plus prudent, qui rendra la porte d’entrée du Pacifique du Canada plus concurrentielle. Pourtant, ce projet pourrait partir en fumée si le projet de loi C-49 n’est pas amendé.
Au total, le secteur privé envisage d’autres investissements dans les ports de la Colombie-Britannique pour plus de 1,5 milliard de dollars, assez pour répondre aux besoins prévisibles du Canada jusqu’en 2050. Ces plans pourraient être bouleversés si on permet à l’administration portuaire Vancouver-Fraser de concurrencer ces projets avec de l’argent public.
Stimuler la création d’emplois est aussi un volet important du mandat de la banque de l’infrastructure, mais le projet de l’administration portuaire pour Roberts Bank est de construire des installations hautement automatisées. Si Ottawa investit dans ce projet par l’intermédiaire de la banque, il consacrerait effectivement de l’argent public à détruire des emplois plutôt qu’à en créer. Si le nombre de bons emplois pour la classe moyenne de la Colombie-Britannique diminue, cela se traduira par une perte des recettes fiscales pour Ottawa et pour nos collectivités. L’automatisation est un corollaire du progrès. Nous devrions exercer notre jugement pour gérer ses effets négatifs sur les personnes et les communautés tout en en récoltant les avantages.
Pas plus tard que la semaine dernière, le ministre Garneau a annoncé une mise à jour importante pour moderniser les administrations portuaires, une première en 20 ans. Comme M. Emerson, nous recommandons que le comité amende le projet de loi C-49 en en retirant les articles 73 et 74, jusqu’à ce que le ministre Garneau termine sa mise à jour.
Merci du temps que vous m’avez accordé. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
Bruce Burrows, président, Chambre de commerce maritime : Bonsoir, sénateur Tkachuk et sénatrice Bovey, ainsi qu’aux autres membres du comité.
[Traduction]
Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous ce soir au nom de la Chambre de commerce maritime.
[Français]
Je m’excuse, car je vais m’exprimer exclusivement en anglais ce soir.
[Traduction]
Je m’appelle Bruce Burrows. Je suis le président de la chambre, ou CCM, depuis le mois de décembre 2016.
Le CCM résulte d’une fusion récente. Nous sommes maintenant une association qui représente au-delà de 130 intervenants dans l’industrie du transport maritime au Canada et aux États-Unis. Nos membres exercent leurs activités dans les Grands Lacs, sur la Voie maritime du Saint-Laurent, dans les eaux côtières du Canada et des États-Unis et dans l’Arctique. Nous représentons des membres très variés comprenant non seulement des sociétés qui dépendent de ces services. Il s’agit d’armateurs, d’administrations portuaires du Canada et des États-Unis, de la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, ainsi que de grandes entreprises industrielles qui transportent des denrées comme des céréales, du minerai de fer, de l’acier, du ciment et du sucre.
De façon générale, le réseau des Grands Lac et du Saint-Laurent représente une super-autoroute maritime binationale à faible coût qui favorise la concurrence à l’échelle mondiale des centres industriels et agricoles en Amérique du Nord, en plus de créer 227 000 emplois. En vertu d’un tel système, les navires constituent le mode de transport de marchandises qui consomme le moins de carburant et qui produit le moins d’émissions de carbone. L’augmentation du transport maritime à l’intérieur des terres et sur les côtes fait partie de la solution aux changements climatiques.
En ce qui a trait à nos sept armateurs canadiens, ils offrent des services de cabotage sur les Grands Lacs et sur le fleuve Saint-Laurent au Canada. Ensemble, ils exploitent une flotte comptant plus de 85 navires canadiens qui transportent chaque année tout près de 60 millions de tonnes de marchandises canadiennes, incluant des denrées en vrac, des cargaisons de nature générale, ainsi que des cargaisons destinées aux projets canadiens dans les domaines de l’énergie et des infrastructures, qui suscitent beaucoup d’attention à l’heure actuelle.
Je suis fier de dire qu’à bord de leurs navires on retrouve des gens de la mer provenant du Canada qui comptent parmi les mieux formés et les plus compétents au monde. Les nouveaux navires écologiques en particulier, auxquels on a consacré au-delà de 2 milliards de dollars au cours des dernières années, ont été optimisés tout spécialement pour naviguer de manière sécuritaire, efficace et durable dans les lacs et les rivières d’eau douce au Canada.
Les armateurs canadiens représentent une industrie vitale dans le domaine des services et une source d’emplois majeure pour les Canadiens. Ils offrent de nombreux emplois de niveau intermédiaire bien rémunérés, et ce, tant sur la terre ferme qu’à bord de leurs navires.
Nous avons une préoccupation en ce qui concerne les amendements que propose le projet de loi C-49 à la Loi sur le cabotage. Avant d’en parler, je trouve utile de vous en présenter le contexte.
L’entente commerciale conclue entre le Canada et l’Union européenne compte des concessions qui ouvrent le marché canadien aux services de cabotage des navires étrangers exploités par des sociétés de l’Union européenne. Ces concessions ont été accordées sans consulter premièrement les fournisseurs de services canadiens et sans obtenir de concessions réciproques de l’Union européenne. Les concessions qui nous préoccupent le plus sont celles des services de transport d’alimentation entre les ports de Halifax et de Montréal.
Les armateurs canadiens comprennent que l’AECG est un fait accompli et qu’on n’a d’autre choix que d’accepter ces concessions.
Le projet de loi C-49 propose d’apporter de nouveaux changements à la Loi sur le cabotage. Les modifications en vertu des articles 70 à 72 auront pour effet de libéraliser complètement la concession qui permet à un opérateur étranger d’utiliser le navire étranger de son choix pour déplacer ses conteneurs vides entre des ports situés au Canada.
Pour être clair, nos armateurs ne s’opposent pas à cette concession, pourvu que cette activité se limite aux conteneurs vides exclusivement et qu’elle ne se déroule jamais à des fins commerciales. Nous avons cependant une préoccupation importante : comment les autorités canadiennes procéderont-elles pour surveiller cette activité et s’assurer qu’on ne transporte que des conteneurs vides sans contrepartie?
Nous comprenons que l’Agence des services frontaliers du Canada surveille les conteneurs qui entrent au Canada et qui en sortent. Sans un régime de surveillance et d’application robuste et efficace, rien ne peut empêcher une personne de déplacer des conteneurs vides qui se retrouveraient ainsi impliqués dans les activités de cabotage de marchandises et à l’intérieur de conteneurs chez nous.
Je vais parler maintenant au nom de l’ensemble de nos membres. Nous approuvons la disposition du projet de loi C-49 concernant son intention d’offrir davantage d’options de financement aux ports en octroyant ou en garantissant des prêts par l’entremise de la nouvelle Banque de l’infrastructure du Canada.
Je devrais ajouter que nous ne voudrions pas que de tels prêts soient compensés par une diminution du passif-prêts ou des limites du pouvoir d’emprunt à laquelle les ports se trouvent confrontés en vertu des règles de Transports Canada.
Une fois de plus, et je m’exprime ici au nom des armateurs canadiens qui sont membres de la CCM et d’autres membres, je souhaite remercier le comité de m’avoir offert l’occasion de comparaître. Je vous invite à me poser vos questions.
Sarah Clark, directrice générale, Fraser River Pile and Dredge : L’entreprise Fraser River Pile and Dredge, située à Vancouver, en Colombie-Britannique, effectue des travaux de dragage en Colombie-Britannique et dans le reste du pays. Je suis ici aujourd’hui pour vous parler au nom d’une coalition informelle d’entreprises de dragage actives d’un océan à l’autre du pays.
Nous remercions le comité de cette occasion de présenter notre point de vue sur les conséquences de la modification de la Loi sur le cabotage proposée dans le projet de loi C-49. Il s’agit pour nous d’une toute nouvelle possibilité d’atténuer l’incidence de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, ou AECG.
Disons-le clairement, nous avons hâte de rivaliser au sein d’un marché mondial dynamique. Nous appuyons l’AECG. Cependant, l’AECG n’a offert aucune réciprocité pour nous dans le marché européen, mais a simplifié l’accès des Européens au marché canadien. Nous demandons seulement des règles du jeu équitables.
Ouvrir des routes aux bâtiments de transport canadiens et étrangers permet d’importer des produits de consommation au Canada et d’exporter nos produits partout dans le monde. Sans dragage, les ports des grandes villes du monde entier deviendraient inaccessibles au commerce mondial et aux activités de transport. Les industries ne pourraient plus fonctionner.
Les entreprises formant notre coalition observent activement les règlements gouvernementaux stricts relatifs aux normes du travail, à la protection de l’environnement, à la sécurité et aux normes du travail, à la protection de l’environnement, à la sécurité et aux normes d’exploitation, tout en se pliant régulièrement à des inspections de routine majeures. Les entreprises de dragage canadiennes versent aussi de bons salaires à des Canadiens de la classe moyenne qui, à leur tour, font tourner les économies locales partout au pays.
Si on n’établit pas et ne maintient pas des règles du jeu équitables, les entreprises de dragage canadiennes feront face à des désavantages structurels lorsqu’elles soumissionneront à des marchés, car elles versent le taux du marché et défraient des avantages sociaux correspondant, au Canada, aux compétences de nos équipages.
Par exemple, les équipages étrangers sont généralement rémunérés au tiers environ du taux que nous payons. En 2015, le salaire mensuel annuel d’un chef mécanicien sur un bâtiment canadien était de 15 000 dollars américains, tandis que la rémunération pour le même poste sur un bâtiment hollandais était d’environ 7 000 dollars américains.
Comme les salaires constituent environ un tiers des frais d’exploitation d’un dragueur, les entreprises étrangères disposeront d’un avantage concurrentiel important par rapport aux entreprises canadiennes, ce qui privera de travail des marins canadiens. Dans ce scenario, les règles du jeu sont fondamentalement injustes pour les entreprises canadiennes et, en fin de compte, pour leurs employés et leur famille.
Avant le projet de loi C-30, la Loi sur le cabotage exigeait que les navires battant pavillon étranger obtiennent un permis de cabotage. Ce processus était structuré de manière à ce que les navires battant pavillon étranger observent les mêmes lois et règlements que les bâtiments canadiens, mais on rencontrait déjà des difficultés dans la surveillance et l’application de cette structure.
Au titre de l’AECG, les dragueurs européens auront un plus large accès à nos eaux et auront par conséquent plus d’occasions d’ignorer la loi dans des secteurs comme les ressources humaines, l’environnement et la sécurité.
En nous cantonnant à recommander des solutions raisonnables, notre principale demande au comité est qu’il propose au gouvernement l’établissement d’un protocole d’application opérationnelle de la loi liant les sous-ministres de tous les ministères et organismes concernés.
Nous ne cherchons pas la création d’une nouvelle branche d’application de la loi. Nous recommandons simplement que le gouvernement prenne conscience du nombre et de la gravité des problèmes d’application de la loi se présentant lorsque des équipages étrangers de navires battant pavillon étranger sont concernés : normes du travail, sécurité, enjeux environnementaux et fiscaux.
À l’heure actuelle, par rapport à la coordination ministérielle, les ressources sont insuffisantes, ce qui laisse à l’industrie et aux travailleurs la tâche de faire respecter la loi dans nos eaux. C’est complètement inacceptable pour une nation moderne, maritime et commerciale comme le Canada.
Réglons la question des règles du jeu équitables pour les dragueurs canadiens. De plus, tant qu’à y être, soyons beaucoup plus proactifs au moment de la négociation de futurs accords commerciaux. Le Canada doit se faire le champion de la réciprocité sur les eaux au nom de notre industrie, de nos travailleurs et de notre intérêt national.
[Français]
Martin Fournier, directeur général, Armateurs du Saint-Laurent : Bonsoir, honorables sénateurs. Merci de nous donner l’occasion de vous faire part de nos commentaires et préoccupations à l’égard du projet de loi C-49, surtout en ce qui concerne les modifications proposées à la Loi sur le cabotage.
Les Armateurs du Saint-Laurent sont une association ayant comme mission de représenter et de promouvoir les intérêts des armateurs domestiques pour soutenir leur croissance et assurer le développement du transport maritime sur le fleuve Saint-Laurent. Notre association regroupe 15 armateurs canadiens opérant une flotte de plus de 130 navires sur lesquels travaillent des marins canadiens. La flotte de nos membres navigue sur le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs et dessert les provinces atlantiques et l’Arctique.
Les activités de cette flotte sur le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs créent plus de 44 000 emplois directs, génèrent près de deux milliards de dollars en revenus fiscaux pour les provinces et le fédéral et engendrent des retombées économiques de près de 3,2 milliards de dollars.
L’industrie maritime joue donc un rôle essentiel pour la compétitivité et la prospérité du Canada et de l’ensemble de l’Amérique du Nord. Il est important de mentionner que les activités de transport maritime entre deux ports du Canada sont réalisées en vertu de la Loi sur le cabotage, qui vise notamment à soutenir les intérêts maritimes nationaux en réservant le cabotage canadien aux navires immatriculés au Canada et ayant à bord des équipages canadiens.
Aux États-Unis, depuis 1920, la Merchant Marine Act, mieux connu sous le nom de Jones Act, protège l’industrie maritime domestique américaine en s’assurant que le cabotage soit effectué par des navires construits aux États-Unis, battant pavillon américain, détenus par des intérêts américains et ayant à leur bord des équipages américains. De nombreux autres pays dans le monde, dont les pays d’Europe, ont des lois qui protègent également leur marché.
Fait à noter, lors des négociations qui ont mené à l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Europe, les pays de l’Union européenne n’ont pas ouvert leur marché aux armateurs canadiens. Seul le Canada a accepté de concéder une partie de son marché, et ce, sans réciprocité...
[Traduction]
Le président : Monsieur Fournier, monsieur Fournier.
[Français]
M. Fournier : ... pour protéger son industrie maritime, il en va de la vitalité et de la pérennité du transport maritime domestique...
[Traduction]
Le président : Je vous demanderais de ralentir un peu, s’il vous plaît.
[Français]
M. Fournier : ... important de mentionner que les armateurs étrangers ne fonctionnent pas selon les mêmes règles et ne rencontrent pas les mêmes exigences auxquelles sont soumis les armateurs canadiens qui opèrent des navires sous pavillon canadien.
À titre d’exemple, une étude réalisée en 2015 par Ernst & Young et par le centre Innovation maritime, sur le coût des équipages pour les navires européens qui sont autorisés à opérer en eau canadienne en vertu de l’AECG, le coût représente parfois aussi peu que 30 p. 100 du coût d’un équipage canadien. Les écarts de rémunération avec des équipages provenant d’autres pays, comme prévu dans le projet de loi C-49, sont encore plus grands. En un peu plus d’un an, c’est la deuxième fois que des modifications à la Loi sur le cabotage sont proposées.
Armateurs du Saint-Laurent considère que les accords de libre-échange sont, de façon générale, bénéfiques à l’économie canadienne et soutient le Canada dans ses efforts pour accroître le commerce et la compétitivité de son économie. Nous sommes cependant inquiets quant aux impacts des brèches faites dans la Loi sur le cabotage et quant aux concessions qui touchent le secteur maritime domestique et qui sont accordées dans le cadre des négociations des accords commerciaux.
De plus, Armateurs du Saint-Laurent et ses membres, de même que plusieurs représentants de l’industrie ayant participé aux travaux du groupe de travail mixte gouvernement-industrie sur l’implantation de l’AECG avec l’Europe ont, à de nombreuses reprises, exprimé leurs inquiétudes quant à l’efficacité du système et des mesures qui sont actuellement en place pour surveiller et contrôler efficacement les activités de cabotage qui sont effectuées par des navires étrangers.
Des demandes afin qu’un système de surveillance soit mis en place ont été faites à de nombreuses reprises. Cette requête a également été formulée devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international qui a été chargé d’étudier le projet de loi C-30 et en a fait même une recommandation. Il est essentiel que ce système de surveillance soit mis en place et qu’il inclue l’ensemble des ministères et agences gouvernementales concernés, dont Transports Canada, l’Agence des services frontaliers, l’Office des transports du Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, et Emploi et Développement social Canada.
Depuis toujours, Armateurs du Saint-Laurent s’est opposé à toute ouverture de la Loi sur le cabotage qui permettrait aux navires étrangers d’assurer le transport de marchandises entre deux ports canadiens. Ce marché est réservé aux navires canadiens qui, conformément aux exigences réglementaires et aux normes canadiennes, sont conçus, adaptés, optimisés pour tenir compte des nombreux défis de la navigation dans les eaux et les voies navigables du Canada.
Par le respect de ces normes parmi les plus sévères et les plus élevées au monde, les navires canadiens contribuent à la sécurité de la navigation et à la protection de l’environnement.
[Traduction]
Le président : Monsieur Fournier, nous avons un problème. Vous parliez extrêmement vite et je n’ai pu vous interrompre parce que vous ne m’entendiez pas. Les interprètes avaient de la difficulté à comprendre ce que vous disiez. Cela pose problème à ceux d’entre nous qui ne comprennent pas le français.
Je ne sais pas comment les membres du comité souhaitent procéder. Voulez-vous entendre la deuxième partie, ou pouvons-nous nous contenter de ce que nous avons déjà entendu?
Le sénateur Plett : Demandez au sénateur Cormier et au sénateur Boisvenu de lui poser des questions.
Le président : J’aimerais savoir si d’autres sénateurs ont manqué la dernière partie. Nous avons entendu la première, mais pas l’autre.
La sénatrice Bovey : A-t-on un document?
Le président : Je pense qu’on écoutera l’enregistrement, puis ce sera traduit. C’est ce que nous aurons.
Nous allons poursuivre avec les séries de questions. Monsieur Fournier, si vous pouviez parler plus lentement pour répondre, cela aiderait beaucoup nos interprètes.
Le sénateur Plett : Je vais poser une question qui s’adresse essentiellement à l’ensemble du groupe.
Premièrement, nous traitons d’un domaine que je ne comprends pas très bien. Nous avons évidemment étudié les secteurs ferroviaire et aérien et le secteur du transport des grains de l’Ouest. Ce sont les secteurs que je connais.
Beaucoup d’aspects abordés aujourd’hui ne sont pas dans mes cordes. Dans toutes nos réunions, seulement deux témoins ont appuyé le projet de loi C-49 sans réserve. Tous les autres témoins avaient des préoccupations. Je pense que nous avons peut-être trouvé un troisième témoin plutôt favorable au projet de loi C-49.
Je vous pose donc la même question. Nous entendrons évidemment le sénateur Mitchell un moment donné, mais peut-être pas ce soir. Manifestement, il est important d’adopter le projet de loi ici, coûte que coûte, voire d’en forcer l’adoption, car si nous n’adoptons pas le projet de loi C-49 d’ici deux ou trois semaines, le pays sera paralysé et notre économie partira en vrille.
Êtes-vous tous d’avis — je vous demande de répondre très brièvement, puisque mon introduction était trop longue — qu’il y a lieu de ralentir l’adoption du projet de loi C-49 afin d’y inclure toutes les dispositions que vous jugez nécessaires et ainsi faire du projet de loi C-49, de votre point de vue, la mesure législative qui convient?
Essentiellement, je crois comprendre que Mme Kancens est satisfaite du projet de loi, mais que tous les autres ont à tout le moins une préoccupation. Très brièvement, en 20 secondes ou moins, dites-nous si nous devrions retarder l’adoption du projet de loi.
M. Ashton : Je vais être le plus bref possible. Les articles 73 et 74 n’ont pas seulement une incidence sur les ports de la côte Ouest; ils touchent tous les ports au Canada.
Actuellement, en Colombie-Britannique, les investissements privés dans nos installations maritimes s’élèvent à environ 1 milliard de dollars. En Nouvelle-Écosse, les sociétés DP World et Western Stevedoring discutent de la possibilité de construire deux autres terminaux à conteneurs.
D’autres capitaux sont disponibles, mais si nous mettons la charrue devant les bœufs, si nous ne limitons pas l’accès à la banque de l’infrastructure au port de Vancouver, mais que nous ne l’élargissons à tous les ports du pays, cela aura pour résultat de faire fuir les investisseurs privés.
Il n’est pas nécessaire d’investir des fonds publics dans nos ports. Les sociétés qui veulent occuper le marché du transport de conteneurs au pays investiront pour nous. Cela a été prouvé en Colombie-Britannique, et nous ferons de même sur la côte Est.
Je suis d’accord avec M. Emerson, ce qui n’arrive pas souvent.
Le sénateur Plett : Cela m’arrive très souvent.
M. Ashton : Il dit essentiellement de ne rien changer. Nous le citons, à la première page :
En ce qui concerne les autorités portuaires, tant qu’on n’aura pas procédé à un examen rigoureux des structures de gouvernance relatives aux autorités portuaires [...], l’idée de leur donner accès à d’autres robinets, pour ainsi dire — à des fonds supplémentaires —, me rend très nerveux, parce que je suis préoccupé par les cadres de gouvernance [...]
Je pourrais lire le reste, mais tout est là.
Le sénateur Plett : Veuillez aller plus lentement.
M. Ashton : C’est ce que je fais.
Mme Kancens : Je dois dire que nous sommes extrêmement satisfaits du recadrage des dispositions maritimes du projet de loi C-49. Nous réclamons cela depuis longtemps.
Je tiens à profiter de cette occasion pour préciser que nous sommes favorables aux dispositions applicables au secteur ferroviaire qui visent à renforcer les mesures de protection des expéditeurs prévues dans la loi pour améliorer la reddition de comptes des sociétés ferroviaires. Je pense toutefois que l’on s’entend généralement pour dire que le projet de loi C-49 ne comprendrait toujours pas un mécanisme permettant de régler les problèmes d’efficacité du réseau ferroviaire qu’on a observé ces derniers mois.
Certains groupes d’expéditeurs ont proposé un amendement visant à autoriser l’Office des transports du Canada à entreprendre des enquêtes de son propre chef, sans être tenu d’attendre une plainte d’un expéditeur.
Étant donné ce qui s’est produit ces derniers mois, l’idée vaudrait la peine d’être étudiée.
M. Burrows : Je vais me limiter à l’aspect maritime et vous répondre brièvement au nom du secteur maritime : non.
Mme Clark : Nous ne sommes pas ici pour demander de retarder le projet de loi. Nous demandons au gouvernement d’étudier l’ajout de mécanismes rigoureux pour renforcer les lois actuelles et futures.
Le président : Cela correspond à la recommandation que vous avez présentée dans votre exposé. Dans notre rapport, nous pourrions peut-être l’intégrer à l’une de nos observations ou de nos recommandations. Serait-ce utile?
Mme Clark : Oui; c’est exactement ce que nous demandons.
[Français]
M. Fournier : En fait, je dirais sensiblement la même chose. On demande qu’un système soit mis en place pour contrôler et surveiller les activités de cabotage qui vont être faites par des navires étrangers.
[Traduction]
Le président : Je ne sais pas si c’est ironique ou non, c’est plutôt intéressant.
Je veux simplement m’assurer d’avoir bien compris vos témoignages. M. Ashton, du Syndicat international des débardeurs et manutentionnaires du Canada, a indiqué qu’il ne veut plus de fonds publics, mais plutôt ceux du secteur privé, tandis que M. Burrows, président de la Chambre de commerce maritime, est favorable au financement public.
Qu’est-ce qui se passe à la Chambre de commerce maritime?
M. Burrows : Qu’est-ce qui se passe au syndicat?
Le président : N’oubliez pas qu’il s’agit du syndicat des débardeurs. En quelque sorte, ils sont de cet avis pour une bonne raison, mais que se passe-t-il de votre côté, monsieur Burrows?
M. Burrows : Je suis heureux de répondre. Premièrement, j’appuie l’observation ou la recommandation de notre collègue sur l’inclusion d’un commentaire sur la mise en œuvre et la surveillance.
C’est très simple. Lorsque j’ai mentionné cela, je parlais du point de vue des autorités portuaires membres, car je pense que cela leur donnera un meilleur accès au financement. Cela leur tient à cœur. Nous sommes favorables à cela, du point de vue des ports.
Soulignons que nous ne préconisons pas un accès pour les armateurs privés. Permettez-moi d’insister : on parle uniquement des ports.
Le président : Vous n’êtes pas d’accord avec l’affirmation de M. Ashton, qui a dit que cela pourrait nuire aux investissements privés dans les ports.
M. Burrows : Non.
Le président : Monsieur Ashton, pourrions-nous avoir vos commentaires à ce sujet?
M. Ashton : C’est plutôt étrange. Actuellement, deux sociétés de transport par conteneurs exercent des activités au port de Vancouver. Elles paient un loyer, à défaut d’un meilleur terme, au port de Vancouver. Ces fonds servent à financer la construction d’un nouveau terminal à conteneurs d’une capacité maximale de trois millions de conteneurs équivalents 20 pieds, ce qui correspond à notre capacité actuelle en Colombie-Britannique.
Maintenant, la position du port de Vancouver revient essentiellement à dire qu’on utilisera notre argent pour aller contre nos intérêts, que nous ne pourrons pas assurer la gestion du terminal, qui sera confiée à une autre société, une banque d’investissement ou peu importe.
Ce qui se produira ensuite, c’est qu’ils construiront un terminal pleinement ou partiellement automatisé, ce qui forcera les locataires actuels à cesser leurs activités ou à automatiser leurs terminaux, ce qui entraînera des pertes d’emplois pour les travailleurs.
D’après ce que je comprends, cette banque a pour objectif de créer des emplois pour les Canadiens, pour la classe ouvrière. Voilà ce que nous tentons de faire avec cette banque. Nous n’essayons pas de détruire l’industrie en donnant aux autorités portuaires la capacité de construire de gigantesques terminaux à conteneurs pleinement automatisés qui forceront leurs locataires actuels à cesser leurs activités ou à modifier entièrement leur stratégie.
Les ports devraient s’occuper de leurs locataires, de leurs clients et de leurs employeurs actuels plutôt que de chercher à construire quelque chose qui les forcera à cesser leurs activités.
Le sénateur Mitchell : Merci à chacun d’entre vous. Je suis en quelque sorte dans la même situation que le sénateur Plett. Je n’ai pas une connaissance approfondie de ces enjeux; je vais donc poser une question très simple. Madame Kancens, pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement du repositionnement des conteneurs?
Un navire arrive au port de Vancouver; on débarque les conteneurs. Ils contiennent des marchandises quelconques et sont transportés à Regina. Précisons que le navire ne bat ni pavillon canadien ni pavillon d’un pays de l’AECG.
Qu’arrive-t-il au conteneur provenant d’un navire battant pavillon japonais et qui se trouve quelque part à Regina? Comment est-il retourné? Doit-il être vide? Est-il transporté par train?
Le sénateur Plett : Il y a des problèmes si le navire se trouve à Regina.
Le sénateur Mitchell : Le problème, ce seront les changements climatiques. Cela pourrait très bien arriver.
Mme Kancens : Je pourrais peut-être recommencer avec un autre exemple, si cela vous convient, pour l’expliquer plus simplement.
Prenez comme exemple une société de transport maritime par conteneurs qui assure un service régulier entre la côte Est de l’Amérique du Nord et l’Europe, et dont le service inclut des arrêts réguliers entre Montréal et Halifax avant le transport vers l’Europe.
Cette société de transport maritime par conteneurs a un client à Halifax. Ce client a besoin de 40 conteneurs vides parce qu’il veut s’en servir pour exporter des marchandises, par exemple des fruits de mer congelés. Cette même société a un surplus de conteneurs vides à Montréal, ce qui est assez fréquent, en fait.
Actuellement — donc avant l’adoption du projet de loi C-49 et la mise en œuvre des dispositions de l’AECG qui s’appliquent uniquement aux navires appartenant à des entités européennes —, cet armateur ne peut transporter les conteneurs de Montréal à Halifax sur ses propres navires, et ce, même si son trajet comprend des escales à Montréal et à Halifax, puisque cette pratique est interdite en vertu de la Loi sur le cabotage.
Les options qui s’offrent à lui sont soit de transporter les conteneurs de Montréal à Halifax par train, soit d’importer des conteneurs pour les faire livrer directement à Halifax.
Si vous optez pour le transport par rail, cela entraîne des déplacements supplémentaires pour les conteneurs. Ils doivent être transportés du terminal maritime au terminal ferroviaire. Ils sont chargés sur un train et expédiés à Halifax, où l’on procède à l’opération inverse.
Cela entraîne des coûts supplémentaires, et les délais d’ordre logistique se traduisent par une baisse de l’efficacité. Tout cela se fait en fonction d’un horaire qui convient au transporteur ferroviaire plutôt qu’au transporteur maritime ou au client.
Je souligne au passage que les transporteurs ferroviaires préfèrent ne pas transporter des conteneurs vides, puisqu’ils n’en tirent aucun revenu; donc, leur transport n’est pas prioritaire.
On devrait simplifier le transport d’un point « A » à un point « B » au lieu de créer dans la chaîne commerciale une série d’obstacles qui ont des conséquences non seulement pour le transporteur, mais aussi pour l’exportateur qui attend les conteneurs. Ces obstacles nuisent à l’efficacité de l’ensemble de la chaîne.
Voilà ce qu’il était impossible de faire sans cet amendement. Il faut toutefois savoir que des mouvements seraient possibles si l’armateur est une entité de l’Union européenne, mais il serait beaucoup plus logique que ce soit applicable à tous les navires battant pavillon étranger, peu importe l’armateur.
M. Burrows : Permettez-moi d’ajouter une observation que plusieurs d’entre nous ont en commun. Nous voulons nous assurer que les conteneurs vides demeurent vides et ne puissent être utilisés comme moyen clandestin pour le transport de marchandises d’un port à l’autre.
Mme Kancens : Je ne comprends pas comment cela pourrait se produire, mais je suis tout à fait d’accord. Nous sommes favorables à la surveillance par Transports Canada.
Le sénateur Mitchell : Nous avons pris note de votre préoccupation.
En somme, dans un monde de plus en plus axé sur le commerce — en excluant les États-Unis — et déterminé à favoriser le libre-échange et à élargir les marchés commerciaux internationaux, nous nous retrouvons essentiellement à réduire l’attrait du transport des marchandises au Canada chez les transporteurs maritimes, puisqu’il leur est difficile de récupérer leurs conteneurs à un coût concurrentiel.
Mme Kancens : C’est un obstacle. Je peux vous dire que depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’AECG après l’adoption du projet de loi C-30, nos entités membres issues de l’Union européenne ont repositionné leurs conteneurs vides pour des questions d’ordre pratique et parce que cela favorise le fonctionnement de la chaîne commerciale.
On se concentre actuellement sur le segment de Montréal-Halifax, mais il existe d’autres occasions, à notre avis, probablement de Montréal à Saint John et aussi, à terme, entre Vancouver et Prince Rupert.
Cette disposition nous sera extrêmement utile, étant donné que nos membres sont des transporteurs, mais elle sera aussi utile aux exportateurs.
Le sénateur MacDonald : J’aimerais revenir sur les enjeux liés aux services de transport d’alimentation entre les ports de Halifax et de Montréal.
Madame Kancens, dans votre exposé, vous sembliez à être favorable aux modifications relatives à l’Union européenne. Ai-je raison?
Mme Kancens : Pour être bien clair, il n’y a rien dans le projet de loi C-49 concernant le service de transport.
Le sénateur MacDonald : Je comprends cela.
Mme Kancens : À notre avis, le service de transport dont il est question dans le projet de loi C-30 présente des possibilités intéressantes. Honnêtement, nous n’avons pas participé aux négociations entourant l’AECG. Donc, nous avons été quelque peu surpris, mais c’est certainement intéressant.
Le sénateur MacDonald : Monsieur Burrows, j’aurais une question à vous poser. Dans votre exposé, vous avez dit que les concessions qui inquiètent le plus sont celles concernant les services de transport entre les ports d’Halifax et de Montréal.
Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?
M. Burrows : Il est question ici du transport de conteneurs vides. De façon générale, nous ne voulons pas que cela devienne une pente glissante pour le transport de marchandises. C’est vraiment sur cela que s’appuie notre position.
Le sénateur MacDonald : Vous dites que ce qui vous inquiète, c’est que nous n’avons pas eu de concessions réciproques de la part de l’Union européenne.
Comment définissez-vous « réciproques »?
M. Burrows : Encore une fois, je reviens aux concessions d’origine qui figurent dans l’AECG mises en œuvre lors des modifications initiales à la Loi sur le cabotage. Cela a eu pour effet d’ajouter aux nouvelles exceptions à la règle générale qu’un navire étranger ne peut pas offrir de services commerciaux au Canada sans avoir un permis à cette fin.
Si j’ai bien compris, cette restriction ne s’applique pas aux navires canadiens en Europe.
Le sénateur MacDonald : Y a-t-il une raison pour cela? Y aurait-il une autre sorte de concession dans un autre domaine? Le savez-vous?
M. Burrows : Je l’ignore. C’était avant mon arrivée dans le secteur. Donc, je ne connais pas vraiment l’historique de cette question. Peut-être que Mme Kancens pourrait vous répondre.
Mme Kancens : Si je ne m’abuse, il y a eu une concession dans un autre domaine, mais je ne saurais vous dire lequel. Nous n’avons pas été mis au courant de ces discussions. Donc, nous aussi avons tenté d’assembler les pièces du casse-tête après coup.
La sénatrice Bovey : J’aurais une question à poser à Mme Clark.
À titre de solution, vous recommandez au comité que le gouvernement établisse un protocole d’application opérationnel de la loi liant les sous-ministres de tous les ministères et organismes concernés. Certaines des questions communes soulevées lors de nos audiences étaient les suivantes : qu’est-ce qui est essentiel dans le volet législatif et qu’est-ce qui est essentiel dans le volet réglementaire?
Dans nos recommandations au gouvernement, devrait-on recommander l’adoption d’un règlement plutôt que d’introduire le protocole dans la loi?
Mme Clark : Nous voulons ce qui sera le plus efficace. Pour le moment, l’application des exigences relatives aux dragueurs battant pavillon étranger demande la participation de plusieurs ministères. Nous collaborons beaucoup avec les ministères concernés. Nous remarquons qu’il n’y a aucun protocole contraignant commun pour ces ministères; il ne s’agit que d’une coopération non officielle.
Par le passé, cela n’a pas fonctionné. Maintenant que les navires battant pavillon étranger ne sont plus tenus de posséder un permis de cabotage, il est encore plus difficile de savoir quand ils se trouvent au Canada et de connaître la composition de leur équipage. Il serait très difficile pour les agents de l’ASFC, par exemple, de savoir qui doit avoir un visa, si l’équipage a respecté le processus d’EIMT ou s’il est acceptable que tout l’équipage soit étranger.
Nous voulons un mécanisme de coopération efficace pour tous les ministères concernés.
La sénatrice Bovey : Ce que vous souhaitez vraiment, c’est un moyen vous permettant d’appliquer uniformément la réglementation dans tous les aspects du secteur.
Mme Clark : C’est exact. On nous a dit que nous avions un rôle à jouer dans l’application de la réglementation, mais nous ne savons même pas lorsque ces navires arrivent au pays.
Comment pouvons-nous avoir le même pouvoir que l’entreprise privée? Nous pouvons faire de notre mieux, mais tout ce que nous avons, c’est une adresse courriel pour fournir des signalements.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Fournier. Je veux vous donner l’occasion de synthétiser vos propos. Vous avez parlé des enjeux liés à l’Accord économique et commercial global (AECG), vous avez parlé des enjeux liés aux navires étrangers. À votre avis, quels sont les enjeux liés à la présence de navires étrangers? Quelles exigences doivent-ils respecter et comment le projet de loi C-49 répond-il ou non à ces exigences?
M. Fournier : Le principal commentaire que je peux faire à l’égard du projet de loi à l’étude concerne la question de la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle des activités de cabotage. On a vu avec l’AECG et maintenant avec le projet de loi C-49 des ouvertures et des concessions qui sont faites au niveau de la Loi sur le cabotage et qui viennent affecter les activités de nos membres et de nos armateurs. L’accord économique avec l’Europe étant déjà conclu, on veut s’assurer que les activités de cabotage qui seront menées ici pourront faire l’objet d’une surveillance adéquate avec les informations qui seront fournies à Douanes et accise, à Emploi et Immigration Canada, à Transports Canada, et ainsi de suite.
Une question a été posée plus tôt sur l’absence de réciprocité entre le Canada et l’Europe dans l’accord. Le négociateur en chef nous a dit que la concession a été faite à la dernière minute pour satisfaire les exigences des Européens et qu’il n’a pas cru bon de demander une réciprocité. Ce qui fait qu’on a des membres qui vont dans l’Arctique et qui passent à côté du Groenland et qui ne peuvent faire d’arrêts de transport entre deux ports au Groenland alors qu’ils circulent à proximité. Cette absence de réciprocité est nuisible à l’industrie. Un accord doit être équitable et favoriser une réciprocité entre deux acteurs économiques dans le cadre des accords.
Le sénateur Cormier : Dans quelle mesure le projet de loi répond-il ou non à ces attentes?
M. Fournier : Il ne répond pas au niveau de la surveillance et du contrôle des activités de cabotage. À l’heure actuelle, aucune structure ne permet ce suivi. Lors de nos discussions avec Transports Canada, la demande était : « informez-nous si vous êtes témoin de quelque chose ». Je ne crois pas que ce soit un système efficace. En tant qu’industrie, on a le devoir d’informer Transports Canada des irrégularités.
Le sénateur Cormier : Merci, monsieur.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Merci aux témoins d’avoir accepté notre invitation.
Monsieur Ashton, j’ai été intrigué et, honnêtement, très heureux de vous entendre citer un vieil ami de nous tous au comité, l’honorable David Emerson.
Ceux d’entre nous qui vivent sur la côte Est s’inquiètent de l’infrastructure nécessaire pour disposer de ports efficaces et fonctionnels. Vous avez parlé de la possibilité d’ajouter deux terminaux en Nouvelle-Écosse. Est-ce que ce serait dans la région de Halifax ou à Sydney?
M. Ashton : Ce serait à Sydney et à Melford.
Le sénateur Duffy : Et Melford baigne dans le détroit de Canso.
Selon ce que m’a appris mon collègue, le sénateur MacDonald, qui vient du Cap-Breton, les chemins de fer dans la région posent problème; autrement dit, il y a un problème d’infrastructure.
Bien que vous ne voudriez pas que les fonds fédéraux pour l’infrastructure soient investis dans les terminaux de ces ports, les nouveaux ports proposés, que diriez-vous si les fonds fédéraux servaient à moderniser le chemin de fer de façon à ce que la construction de ces ports soit plus faisable.
M. Ashton : Je suis très heureux que vous m’ayez posé cette question.
À mon avis, les infrastructures sont la responsabilité des autorités portuaires et c’est donc à elles de les construire. Je vais vous donner des exemples concernant le port de Vancouver. Je viens de la région et c’est la réalité que je connais.
Du côté nord de Vancouver, aux terminaux Neptune, il y a un chemin de fer qui posait toujours entrave aux travailleurs, ce qui entraînait des retards. Donc, l’autorité portuaire a décidé de construire un pont d’étagement pour nous permettre de circuler plus rapidement. Cela a facilité nos déplacements et permis aux trains de circuler plus librement.
Du côté sud, il y avait le même problème. Les chemins de fer nuisaient à la circulation des véhicules et retardaient l’arrivée des véhicules d’urgence lors d’événements traumatiques. L’autorité portuaire a décidé de construire un pont d’étagement pour faciliter la circulation des camions et des véhicules.
À Deltaport, il y avait le même problème sur la chaussée. Le chemin de fer causait des bouchons de circulation. Donc, l’autorité portuaire a construit des ponts d’étagement. Elle a amélioré l’infrastructure plutôt que de construire des terminaux qui concurrenceraient leurs clients et risqueraient de les pousser à mettre fin à leurs activités. Selon moi, les autorités portuaires sont responsables des infrastructures permettant aux marchandises de circuler entre le port et l’intérieur des terres.
J’ai visité Anvers et vu comment circulent les conteneurs. Ils passent par les voies navigables. Nous avons une des plus importantes voies navigables sur la côte Ouest, soit la rivière Fraser, mais nous ne l’utilisons pas à son plein potentiel.
Si l’autorité portuaire investissait afin de pouvoir faire circuler des conteneurs sur la rivière Fraser, cela permettrait une circulation plus libre des conteneurs et réduirait le nombre de camions sur les routes.
Le travail des autorités portuaires ne se limite pas à la construction de terminaux. Elles doivent investir des fonds privés dans les terminaux et faciliter la circulation des marchandises.
Le sénateur Duffy : Comme les gouvernements qui construisent les autoroutes plutôt que des centres commerciaux.
M. Ashton : C’est exact.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Ashton, vous n’êtes pas tout à fait contre l’idée que ces fonds soient mis à la disposition des autorités portuaires. Vous vous opposez à ce que ces fonds servent à cette fin en particulier.
Ce n’est pas vraiment une mauvaise chose que d’accroître les façons d’utiliser ces fonds, mais, ce que vous dites, c’est que les autorités devraient faire preuve d’une certaine discrétion quant à l’utilisation de ces fonds pour concurrencer les investissements du secteur privé qui sont déjà inévitables, dans une certaine mesure.
À mon avis, si les forces du marché sont telles et que, comme vous le dites, il faut faire quelque chose pour encourager la circulation sur la rivière Fraser, pourquoi l’APVF demandera-t-elle des fonds pour construire un terminal ou pourquoi est-il probable qu’elle fasse cette demande?
Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites. Je ne dis pas tout, car je crois que c’est également ce que vous avez fait.
M. Ashton : Non, je ne le crois pas. Il y a un autre point à notre argument. Lorsque l’on permet à une autorité portuaire de se réglementer elle-même, d’examiner son propre environnement et de financer ses propres projets par l’entremise de cette banque de l’infrastructure, c’est un problème, car personne ne fait de surveillance.
Pourquoi ne pas permettre aux autorités portuaires d’avoir accès à la banque de l’infrastructure? Actuellement, elles trouvent elles-mêmes leur argent. Il n’y avait pas de banque de l’infrastructure lorsqu’elles ont construit les ponts d’étagement ou lorsqu’elles ont effectué des travaux de modernisation dans l’arrière-port. Elles ont trouvé l’argent nécessaire, car il y avait un besoin pour le pays. Ce n’est pas parce que la banque les a aidées.
Nous devons faire ce que propose le ministre Garneau, et revoir cette politique qui date d’il y a 20 ans. L’honorable David Emerson a raison; il faut éviter d’ouvrir les vannes avant que cet examen soit terminé, sinon, de nouvelles questions seront soulevées.
Effectuons l’examen. Par la suite, si des changements s’avèrent nécessaires, nous pourrons apporter les ajustements qui s’imposent. Je partage l’opinion de M. Emerson; si nous ouvrons les vannes, ce sera mettre la charrue devant les bœufs.
Le sénateur Mitchell : Donc, un programme conçu pour créer plus d’emplois serait mis en œuvre de façon à réduire le nombre d’emplois. Tout ce que je dis, c’est que vous supposez le pire. C’est certainement contre-intuitif.
Ce programme a été conçu pour créer des emplois. Monsieur Burrows, vous dites qu’il pourrait procurer certains avantages.
M. Burrows : Je résume. Honnêtement, à mon avis, ce qui inquiète le plus, c’est l’automatisation en général, mais c’est peut-être le sujet d’un autre débat.
Le sénateur Mitchell : Si l’automatisation est si attrayante ou pas assez attrayante pour que le secteur privé y investisse, à mon avis, GCT doit être très efficace. Ainsi, il est probable qu’elle survive à ce genre de force du marché.
D’ailleurs, pourquoi GCT ne fait pas cela, s’il est si évident que l’automatisation augmentera à ce point la concurrence qu’elle risque de disparaître?
M. Ashton : À Deltaport, GCT a procédé à une certaine automatisation. Celle-ci a été réalisée après des discussions et négociations avec les syndicats.
Peut-être que l’information n’a pas été clairement transmise, mais, ce que nous disons, c’est que les autorités portuaires ne devraient pas construire des terminaux de façon à pousser leurs locataires actuels à mettre fin à leurs activités. Si elles construisent des terminaux entièrement automatisés, elles n’auront pas à payer de travailleurs. Leur coût de main-d’œuvre baissera de façon considérable.
Elles n’auront pas à se soucier des régimes de pensions ou des blessures de leurs employés. Tout cela sera chose du passé.
Qu’arrivera-t-il à la prochaine génération s’il n’y a pas d’emplois? Les emplois sur la rive et dans l’industrie maritime sont bien rémunérés. Ils soutiennent des familles et des communautés. Si le terminal à conteneurs de Prince Rupert était automatisé, 800 personnes perdraient leur emploi dans une communauté qui a déjà perdu des centaines d’emplois avec la fermeture des moulins et des pêches.
Il serait contre-intuitif que le gouvernement du Canada utilise les fonds de la banque de l’infrastructure pour construire un terminal totalement automatisé qui ne crée aucun emploi et qui a la capacité d’éliminer des centaines d’autres emplois. C’est illogique, surtout si le projet est financé par une banque conçue pour créer des emplois.
Le sénateur Mitchell : Mais nous ne savons pas si c’est ce qui se produira.
M. Ashton : C’est ce qui se produira. Regardez ce qui s’est produit en Australie. L’Australie a construit des terminaux automatisés et il y a eu un effet boule de neige.
Le président : Nous devons entendre un autre témoin. Il sera seul et nous souhaitons lui accorder environ 40 minutes.
Je tiens à ajouter que, après la séance, nous nous réunirons brièvement à huis clos. Ceux qui remplacent des membres du comité peuvent rester, s’ils le souhaitent, mais ce n’est pas obligatoire. Ce sera à vous de décider.
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-49. Nous accueillons maintenant Konrad von Finckenstein, commissaire du Bureau de la concurrence de 1997 à 2003 et juge de la Cour fédérale de 2003 à 2007.
Merci d’avoir accepté notre invitation. Je vous invite à nous présenter votre exposé. Par la suite, je suis convaincu que les sénateurs auront des questions à vous poser.
Vous avez la parole.
Konrad von Finckenstein, ancien commissaire à la concurrence, à titre personnel : Comme vous le savez, Air Transat a sollicité mes commentaires concernant les articles 53,7 à 53,8 du projet de loi C-49 sous la rubrique « Examen des ententes entre au moins deux entreprises de transport offrant des services aériens ». Je parlerai donc de dispositions concernant les coentreprises pour faire référence à ces articles.
J’étais commissaire de la concurrence lorsqu’Air Canada et Canadian Airlines ont fusionné. Comme vous le savez tous, c’est une fusion qui a soulevé beaucoup de controverse en mettant en évidence les enjeux mêmes dont traitent les dispositions touchant les coentreprises, à savoir l’incompatibilité entre l’intérêt public et les principes de la concurrence.
Ce tiraillement ne date pas d’hier. Le droit de la concurrence et les politiques afférentes ont pour objectif de créer une économie efficiente où les consommateurs ont accès au plus grand choix possible de produits et services aux meilleurs prix qui soient.
Les grands objectifs d’intérêt public, eux, s’appuient sur une vision beaucoup plus globale du bien-être de la société dans son ensemble. Ils prennent en considération des éléments, comme les répercussions sur les collectivités, l’emploi et l’environnement.
Il est tout naturel que les visées concurrentielles puissent se heurter à certaines considérations liées à l’intérêt public. Il incombe aux législateurs et élus de régler les différends qui surviennent en trouvant un équilibre juste et acceptable.
C’est exactement ce qu’on a fait en 1996. Pour éviter un nouveau litige entre le ministre des Transports et le commissaire à la concurrence, la Loi sur les transports au Canada a été modifiée cette année-là avec l’ajout des articles 53.1 et 53.2 sous la rubrique « Examen des fusions et acquisitions ». Je parlerai donc des dispositions relatives aux fusions pour faire référence à ces articles.
Les principales exigences des dispositions relatives aux fusions sont les suivantes : un rapport de l’Office national des transports concernant les préoccupations liées à l’intérêt public; un rapport du commissaire de la concurrence concernant les préoccupations liées à la concurrence; un rapport du commissaire de la concurrence rendu public dès sa réception par le ministre; une consultation de toutes les parties à la transaction qui peuvent formuler leurs observations; et, une décision définitive du gouvernement en conseil en fonction des conditions qu’il estime indiquées pour servir à la fois l’intérêt national et la concurrence.
Vous vous penchez sur la possibilité que deux compagnies aériennes forment une coentreprise. Une coentreprise qui serait autorisée par le ministre tel que proposé dans ce projet de loi ne serait pas assujettie à l’application de la Loi sur la concurrence. Cette autorisation peut être de portée très générale. Permettez-moi de vous citer l’entente proposée visant la coordination de toute facette de l’exploitation ou de la commercialisation des services aériens pour des vols en direction, en provenance ou à l’intérieur du Canada :
[…] y compris les prix, les itinéraires, les horaires, la capacité et les services auxiliaires, ainsi que la mise en commun des coûts et des recettes et d’autres ressources ou avantages de tels services.
Une fois la coentreprise autorisée par le ministre, la notion d’activités réglementée s’applique, à savoir qu’une conduite autorisée par un organisme gouvernemental ou une loi n’est pas assujettie à la Loi sur la concurrence.
En conséquence, le commissaire de la concurrence ne pourrait plus, comme c’est le cas actuellement, imposer de sanctions pénales ou intenter des recours civils à l’égard d’activités pouvant nuire à la concurrence qui découleraient de la coentreprise.
Étant donné l’expérience acquise avec les fusions des compagnies aériennes, on aurait pu s’attendre à ce que les coentreprises soient traitées suivant le même modèle, tout au moins dans la mesure du possible. Étonnamment, ce n’est pas le cas. Les dispositions du projet de loi concernant les coentreprises offrent plutôt une version édulcorée.
Il y a moins de transparence. Le commissaire de la concurrence n’est plus tenu de rendre public son rapport dès sa réception par le ministre, comme c’est le cas pour les fusions. Il suffit plutôt pour le commissaire de publier un résumé de ses conclusions.
Le processus décisionnel est moins ouvert. La décision finale d’approbation est rendue par le ministre, plutôt que par le gouverneur en conseil, si bien que les autres ministères concernés n’ont pas autant leur mot à dire.
La décision définitive est assortie d’exigences moins précises. Le ministre peut indiquer quelles conditions sont liées à l’intérêt public et lesquelles touchent la concurrence, plutôt que d’être tenu de faire ces distinctions, comme c’est le cas pour les fusions.
Il va de soi qu’il existe une différence inhérente entre les fusions et les coentreprises. Une fusion est permanente et ne peut être annulée une fois approuvée. Comme le veut la maxime, « On ne peut pas remettre un œuf dans sa coquille. »
En revanche, les coentreprises sont seulement des ententes temporaires de collaboration et devraient faire l’objet de vérifications périodiques pour déterminer si les modalités sont respectées par les parties en cause et si celles-ci travaillent pleinement dans le sens de l’objectif au titre duquel la coentreprise a été autorisée au départ.
Les dispositions touchant les coentreprises prévoient un examen et des possibilités de révocation, mais le tout est laissé à la discrétion du ministre. Il doit simplement consulter le commissaire de la concurrence, mais les préoccupations relatives à la concurrence n’ont pas à être rendues publiques et le ministre n’est pas tenu d’en traiter lorsqu’il communique sa décision.
Enfin, tant les dispositions concernant les fusions que celles touchant les coentreprises exigent du ministre qu’il émette des lignes directrices indiquant sur quels critères il va s’appuyer pour évaluer les demandes. Des lignes directrices provisoires ont été publiées pour les fusions, mais il n’y a jamais eu de version définitive. Il va de soi que ceux qui proposent une coentreprise devraient connaître les critères d’évaluation des demandes, et c’est la même chose pour ceux qui s’y opposent.
En conséquence, il conviendrait d’ajouter au projet de loi une disposition selon laquelle le ministre ne devrait considérer ou approuver aucune entente avant la publication dans la Gazette du Canada des lignes directrices prévues à l’article 53.1.
En conclusion, je propose que vous modifiiez les conditions touchant les coentreprises de telle sorte qu’elles suivent, dans la mesure du possible, le modèle des dispositions concernant les fusions et que vous ajoutiez l’exigence susmentionnée aux fins de la publication des critères applicables aux décisions touchant les questions d’intérêt public.
Merci beaucoup. Je serai ravi de répondre à vos questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur von Finckenstein. Vous occupez ces fonctions depuis un certain temps. Quand vous lisez le projet de loi, comment considérez-vous les modifications de votre rôle concernant toute la notion d’évaluation de la concurrence ou de ceux qui veulent passer à côté de la loi sur la concurrence?
M. von Finckenstein : Je ne crois pas que le rôle du commissaire à la concurrence a changé la loi. Il est le champion de la concurrence. Il fait les représentations, il donne son avis aux ministères afin de leur permettre d’obtenir la meilleure concurrence dans le pays. Le ministère peut changer d’avis ou refuser quelque chose, mais il doit connaître l’option la plus efficace du point de vue de la concurrence.
Le sénateur Boisvenu : Dans la loi actuelle, avez-vous le dernier mot sur un dossier d’analyse ou si cela revient au cabinet du ministre? Actuellement.
M. von Finckenstein : Actuellement, les dispositions sur les fusions qui sont là, je les ai négociées avec M. Collenette après la fusion de Air Canada et de Canadair. On ne voulait pas avoir cette confrontation une fois de plus. C’était très difficile pour lui et moi. On a établi ces dispositions : voilà, je vais demander l’opinion du commissaire à la concurrence; si je n’accepte pas, je vais expliquer publiquement pourquoi. Dans certains cas, on a décidé de faire autre chose que ce que le commissaire a recommandé.
Le sénateur Boisvenu : Pourquoi y a-t-il beaucoup de coentreprises dans le domaine de l’avionnerie? Je pense à Air Canada et à Lufthansa, que j’utilise régulièrement. Pourquoi les concurrents de ces entreprises nous disent-ils que le commissaire va perdre du pouvoir, que la décision va rendre son rôle plus politique et qu’il devrait y avoir un arbitrage autre que politique dans le dossier? C’est ce que les gens nous disent.
M. von Finckenstein : Les dispositions devant vous vont immuniser les coentreprises. Nous en avons beaucoup maintenant. Air Canada est membre de Sky Airlines; il n’y a pas de problème. WestJet est membre de Delta; il n’y a pas de problème. Mais ici on parle de :
[Traduction]
L’entente proposée est de coordonner toute facette de l’exploitation ou de la commercialisation des services aériens pour des vols en direction, en provenance ou à l’intérieur du Canada, y compris les prix, les itinéraires et les horaires.
Donc, effectivement, vous leur permettez de fixer les prix.
[Français]
Et pourquoi? Si le ministre est d’avis que c’est quelque chose qu’on doit faire, il doit au moins expliquer pourquoi il a pris cette décision.
Le sénateur Boisvenu : D’accord, merci.
[Traduction]
Le président : Je veux être sûr d’avoir bien compris parce que les représentants d’Air Canada et de WestJet nous ont fait de courts exposés sur les dispositions concernant les fusions, alors que ceux de Transat ont exprimé certaines réserves. Je vais utiliser un exemple donné par l’une des compagnies aériennes.
D’après ce que les représentants d’Air Canada ont essayé de m’expliquer, si Air Canada et Air China offraient le même itinéraire de Beijing à Toronto et que les deux vols partaient de Toronto à six heures, se faisant ainsi concurrence, il serait peut-être utile pour le consommateur si un avion partait le matin et un autre, le soir. Par conséquent, les deux compagnies se réuniraient et organiseraient, comme vous l’avez dit, les prix et tout le reste.
À mes yeux, cela ressemble à de la collusion. Tout se fait en secret, n’est-ce pas? Rien de tout cela n’est dans le domaine public lorsque la demande est présentée au ministre. Quelqu’un est-il au courant de ce qui se passe avant que le dossier se trouve sur le bureau du ministre?
M. von Finckenstein : Voilà le problème des dispositions dont vous êtes saisis. Le commissaire de la concurrence n’est pas tenu d’examiner et de renvoyer le rapport, ni de le rendre public.
Prenons l’exemple que vous venez de donner, à savoir la collaboration entre Air Canada et Air China. Une telle entente pourrait être parfaitement innocente et efficace, mais elle pourrait effectivement donner lieu à une collusion. Cela dépend des circonstances de l’enquête menée par des spécialistes.
En vertu de ces dispositions, le ministre obtient le sommaire et, dans sa sagesse, il décide de l’approuver ou de le refuser.
Le président : Une fois la décision prise, elle ne peut être modifiée.
M. von Finckenstein : Seul le ministre peut la modifier, mais il n’y a pas d’examen obligatoire.
Disons que le ministre dit oui. La proposition semble juste. C’est logique. Cela permettra d’offrir un meilleur service. Les consommateurs en profiteront, mais le ministre assortit l’entente de certaines conditions.
Réexaminons le tout après deux ou trois ans. La situation est-elle toujours la même? Les conditions imposées par le ministre ont-elles fait l’affaire? Ont-elles permis d’accroître l’efficacité du marché et d’éviter la collusion, ou avons-nous fait fausse route et fini par créer un cartel? Si c’est le cas, alors débarrassons-nous-en.
Le président : Selon votre interprétation de la loi, d’après ce qui est actuellement prévu, le dossier irait au Bureau de la concurrence. Pour quelle raison le gouvernement ne suivrait-il pas la même procédure de sorte que la coentreprise s’adresse au Bureau de la concurrence?
Voilà, me semble-t-il, un processus qui est automatique et professionnel, contrairement à celui qui consiste à présenter une demande au ministre. Tout est déjà en place. Cela fonctionne bien. Les gens connaissent le processus.
M. von Finckenstein : Ils doivent procéder ainsi; c’est une coentreprise. Si deux compagnies aériennes veulent créer une coentreprise et en faire la demande, elles doivent s’adresser au commissaire de la concurrence. Ce dernier produira alors un rapport, qui ne sera toutefois pas rendu public. Seul le sommaire le sera. Le ministre étudiera ensuite le rapport du commissaire, les arguments de la coentreprise et, sans doute, ceux des opposants, avant de rendre une décision.
La loi, dans sa forme actuelle, ne précise même pas les motifs ou les critères que le ministre utilisera pour juger de l’intérêt public. Elle n’exige pas non plus que le ministre indique pourquoi il a pris certaines mesures dans l’intérêt public plutôt qu’en faveur de la concurrence, et elle n’impose pas la tenue d’un examen.
Le sénateur Mitchell : Je ne sais pas si c’est bien ce que vous vouliez dire, mais vous venez d’affirmer que la loi ne prévoit aucun examen. En fait, un examen est prévu après deux ans. À la limite, Air Canada préférerait que ce soit après trois ans parce que la création d’une coentreprise ne se fait pas du jour au lendemain.
Vous seriez-vous trompé en disant qu’il n’y a pas d’examen, alors qu’il y en a un?
M. von Finckenstein : Permettez-moi de vérifier. Oui, il peut y avoir un examen, mais, d’après ce que je crois comprendre, c’est de nature discrétionnaire; ce n’est pas obligatoire.
Le sénateur Mitchell : C’est donc certainement possible.
M. von Finckenstein : La disposition se lit comme suit :
Le ministre peut, en tout temps, après le deuxième anniversaire de la date où l’entente a été autorisée, aviser les parties des préoccupations d’intérêt public et de concurrence qu’elle soulève.
Donc, il peut effectuer un examen après deux ans, mais il n’est pas tenu de le faire.
Là où je veux en venir, c’est qu’il s’agit de moyens extraordinaires. Si nous permettons à ces gens de collaborer en ce qui concerne les prix, les itinéraires, la structure et le service — bref, l’ensemble des activités —, et si nous procédons ainsi dans l’intérêt public, alors effectuons un examen obligatoire après deux ans pour voir si nous avons bel et bien atteint l’objectif escompté ou s’il y a eu peut-être des effets secondaires imprévus dont personne ne voulait.
Le sénateur Mitchell : Rien n’empêche non plus le commissaire d’effectuer un examen après deux ans. Il peut certainement intervenir ou déclencher un processus d’examen à cet égard.
Les parties qui ont des préoccupations d’intérêt public, comme Air Transat ou toute autre compagnie aérienne, pourraient s’adresser au ministre pour lui faire valoir la nécessité de mener un examen.
M. von Finckenstein : N’importe qui peut présenter une pétition en vue d’un examen. Je ne pense pas que le commissaire procède à un examen de son propre chef lorsque la coentreprise bénéficie de l’immunité accordée par l’autorisation du ministre.
À quoi bon? Pourquoi effectuer un examen?
Le sénateur Mitchell : La loi exige que la tenue d’un examen avant même que le processus commence. Je doute que ce soit un simple sommaire, mais je vais accepter votre argument. C’est certainement public, et le commissaire peut participer à tout examen subséquent; en fait, il a un rôle assigné dans le processus.
Tout ce que cela montre, c’est que nous vivons dans un monde où la concurrence est féroce. Un commissaire dont les pouvoirs se limitent, qu’il le veuille ou non, aux questions liées à la concurrence ne pourra pas tenir compte de la nécessité d’assurer la compétitivité des compagnies aériennes sur le marché international, sachant que ces dernières ne peuvent pas faire l’objet d’une acquisition ou d’une fusion.
M. von Finckenstein : Comprenez-moi bien. Je ne suis pas contre les coentreprises. Je ne m’oppose pas non plus à l’idée que l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt de la concurrence. Le mécanisme est là. C’est ainsi que nous avons procédé en vertu de la disposition relative aux fusions.
J’ai vécu la même situation à l’époque de la fusion d’Air Canada lorsque nous n’avions pas précisé les conditions. Le ministre des Transports et moi avions pris grand soin d’éviter tout conflit entre nous. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que le ministre ou le gouverneur en conseil disent que l’intérêt public est primordial et qu’il a préséance sur la concurrence. Oui, pas de problème, mais faites-le publiquement, expliquez pourquoi vous avez choisi cette approche, puis revoyez le tout après un certain temps pour vous assurer de ne pas faire fausse route et de ne pas entraîner des conséquences involontaires, et précisez ce que vous entendez par « intérêt public ».
La sénatrice Omidvar : C’est justement la question que je voulais vous poser. Dans le cas des fusions, lorsque l’Office des transports du Canada doit présenter un rapport sur l’intérêt public, où se trouve la définition d’« intérêt public »?
Je note avec intérêt la façon dont vous l’avez défini, mais je ne sais pas s’il existe une définition dans le contexte de l’office.
Comment le ministre tient-il compte du critère de l’intérêt public?
M. von Finckenstein : Ces dispositions et celle concernant les fusions prévoient que le ministre peut, en consultation avec le Bureau de la concurrence, établir et publier des lignes directrices. Pourtant, le ministre n’a rien fait de tel dans le cas des fusions, et le projet de loi ne contient aucune disposition qui l’y oblige non plus. Ce que je dis, c’est : « D’accord, faites cela, mais avant que vous preniez une décision, les lignes directrices doivent être en place. »
Aux termes de la disposition actuelle, le ministre peut prendre une décision en l’absence de lignes directrices, ce qui n’a pas de sens à mon avis.
Le président : Très bien. S’il n’y a pas d’autres questions, je voudrais vous remercier, monsieur von Finckenstein. Nous vous sommes très reconnaissants de vos observations.
(La séance se poursuit à huis clos.)