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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 36 - Témoignages du 29 mai 2018


OTTAWA, le mardi 29 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, pour étudier les nouvelles questions liées à son mandat et les lettres de mandat ministériels.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous nous réunissons conformément à notre ordre de renvoi général pour étudier la déductibilité des frais de publicité sur des plateformes web étrangères.

J’aimerais souhaiter la bienvenue aux fonctionnaires du gouvernement du Canada.

De l’Agence du revenu du Canada, nous accueillons Costa Dimitrakopoulos, directeur général, Direction des décisions en impôts, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, et Roxane Brazeau-Leblond, directrice, Direction des décisions en impôts, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires.

De Patrimoine canadien, nous recevons Marc Lemay, directeur général, Industries culturelles, Affaires culturelles, et Thomas Owen Ripley, directeur général par intérim, Direction générale de la radiodiffusion et des communications numériques, Affaires culturelles.

Enfin, du ministère des Finances, nous avons parmi nous Miodrag Jovanovic, sous-ministre adjoint délégué responsable de l’analyse, Direction de la politique de l’impôt.

Merci de votre présence à notre réunion ce matin. J’invite les représentants de Patrimoine canadien à commencer leur déclaration.

Thomas Owen Ripley, directeur général par intérim, Direction générale de la radiodiffusion et des communications numériques, Affaires culturelles, Patrimoine canadien : Je suis directeur général par intérim de la Direction générale de la radiodiffusion et des communications numériques au ministère du Patrimoine canadien. Je suis accompagné de M. Lemay.

Au nom du ministère, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant ce comité. Nous commencerons par quelques remarques générales sur le mandat et les priorités du ministère, ainsi que sur les différents mécanismes et mesures qui constituent l’ensemble de ses politiques culturelles.

Pour commencer, je tiens à souligner que Patrimoine canadien n’est pas responsable de l’interprétation et de l’administration de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la politique fiscale fédérale ou des modifications proposées à la loi. C’est la raison pour laquelle nous sommes accompagnés ce matin de nos collègues du ministère des Finances et de l’Agence du revenu du Canada.

En ce qui concerne le paragraphe 19.1, il interdit aux entreprises canadiennes de déduire les frais pour de la publicité essentiellement destinée au marché canadien si elle est diffusée par une entreprise étrangère de radiodiffusion. Je peux vous dire que la raison d’être de cette politique consiste à décourager les annonceurs canadiens de faire de la publicité sur des stations américaines frontalières, ce qui permet ainsi de conserver les fonds investis par les Canadiens dans le système canadien de radiodiffusion.

Le ministère du Patrimoine canadien est chargé de promouvoir la créativité, les arts et la culture, le patrimoine et les célébrations, le sport, la diversité et l’inclusion, et les langues officielles. À ce titre, il octroie tous les ans approximativement 1,2 milliard de dollars en subventions et contributions.

[Français]

Marc Lemay, directeur général, Industries culturelles, Affaires culturelles, Patrimoine canadien : Parmi cette diversité de programmes de financement, le ministère administre le Fonds du Canada pour les périodiques. Il s’agit d’un fonds doté d’une enveloppe de 75 millions de dollars dont l’objectif est d’appuyer des magazines imprimés, des journaux non quotidiens payants et des périodiques numériques canadiens pour surmonter les désavantages du marché auxquels ces publications font face. Je tiens à souligner que le fonds, actuellement, n’appuie pas les journaux quotidiens.

Comme l’a mentionné mon collègue, M. Ripley, les articles 19 et 19.01 de la Loi sur l’impôt sur le revenu figurent également parmi les outils mis à disposition pour appuyer la presse écrite au Canada. Ces dispositions permettent aux entreprises de déduire les dépenses de publicité uniquement lorsqu’elles sont placées dans des journaux imprimés détenus et contrôlés par des intérêts canadiens et, selon des conditions légèrement différentes, dans des magazines canadiens imprimés. L’objectif de ces mesures était de faire en sorte que le placement d’annonces dans des publications canadiennes devienne une option plus efficiente ou plus économique que le placement d’annonces dans des publications similaires appartenant à des intérêts étrangers. En outre, ces dispositions ont contribué à maintenir les journaux et les magazines imprimés entre les mains des Canadiens en créant un environnement d’affaires défavorable aux acquisitions et aux investissements étrangers.

[Traduction]

M. Ripley : Le ministère supervise également un portefeuille constitué d’organisations indépendantes. Citons notamment le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, l’organisme public autonome chargé de réglementer et de surveiller le système canadien de radiodiffusion. De plus, dans le cadre de son mandat principal, Patrimoine canadien a de vastes responsabilités d’élaboration de politiques.

Le bouleversement général des industries culturelles engendré par les nouvelles technologies, l’évolution des modèles d’affaires et le changement du comportement et des attentes des utilisateurs soulèvent toutes sortes de questions, de plus en plus, complexes pour les responsables politiques et, surtout, celle de la nature et de l’étendue de l’intervention du gouvernement qui s’avère nécessaire ou appropriée.

Le cadre stratégique du Canada créatif énonce une nouvelle vision pour les industries créatives du Canada. Il vise, entre autres choses, à permettre aux industries créatives du Canada de réussir dans l’économie numérique, à stimuler la créativité et à contribuer à la croissance économique.

Il est fondé sur trois piliers : premièrement, investir dans les créateurs canadiens, les entrepreneurs culturels et leurs récits, par exemple, en accroissant la contribution fédérale au Fonds des médias du Canada; deuxièmement, encourager la découverte et la distribution du contenu canadien, au pays et à l’étranger, par exemple, en améliorant l’accès au marché et en accroissant les occasions d’exporter du contenu grâce à un investissement de 125 millions de dollars dans la première Stratégie d’exportation pour l’industrie créative canadienne; et troisièmement, consolider la radiodiffusion publique et soutenir les nouvelles locales, par exemple, en examinant comment le Fonds du Canada pour les périodiques, que mon collègue a mentionné, peut être mieux adapté aux préférences de lecture des Canadiens.

Un Canada créatif fait également référence à l’examen de la Loi sur la radiodiffusion et de la Loi sur les télécommunications, dans le cadre duquel le gouvernement examinera des questions comme les télécommunications et la création de contenu à l’ère numérique, la neutralité, la diversité culturelle et la façon d’assurer un avenir plus solide aux médias canadiens et à la création de contenu canadien.

D’autres informations seront annoncées dans un avenir proche. Nous prendrons en compte un large éventail de perspectives lorsque nous évaluerons si, et dans quelle mesure la loi pourrait devoir être adaptée aux réalités changeantes.

[Français]

M. Lemay : En s’appuyant sur Le cadre stratégique du Canada créatif, le gouvernement s’est aussi engagé dans le budget de 2018 à accorder 50 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir le journalisme local dans les communautés mal desservies. Plus de détails au sujet de cette initiative seront dévoilés au cours de l’année.

En conclusion, nous sommes heureux d’être ici pour répondre à vos questions. Je tiens à vous remercier.

[Traduction]

Miodrag Jovanovic, sous-ministre adjoint délégué (analyse), Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Merci, monsieur le président, de m’avoir invité à comparaître devant le comité afin de discuter de la déductibilité des frais de publicité en ligne à des fins fiscales.

Je suis sous-ministre adjoint délégué de la Direction de la politique de l’impôt au ministère des Finances Canada. Je commencerai par discuter de l’article 19, puis j’examinerai certaines considérations de politique publique pour élargir ces restrictions et je présenterai certaines mesures prises par le gouvernement dans le budget de 2018.

[Français]

De manière générale, la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que les dépenses engendrées dans le but de générer un revenu peuvent être déduites du revenu d’entreprise. Cependant, l’article 19 de la loi prévoit que les frais de publicités placées dans les journaux ou les périodiques étrangers ne sont pas déductibles dans le cas où ces publicités s’adressent principalement au marché canadien. Cette politique a été introduite en 1965 et a été élargie aux entreprises de radiodiffusion étrangères en 1976, avec l’introduction de l’article 19.1. Enfin, l’article 19.01 a été créé en 1999 afin de permettre, sous certaines conditions, une déduction pour les frais de publicités placées dans des périodiques étrangers.

Ces exceptions par rapport à la déductibilité des frais de publicité sont appelées collectivement « l’article 19 ». Les frais de publicité qui n’entrent pas dans le champ d’application de ces règles sont généralement déductibles.

[Traduction]

L’objectif de l’introduction de l’article 19 était de veiller à ce que les Canadiens conservent le contrôle des périodiques et des journaux et de soutenir le maintien d’une industrie canadienne des périodiques à la fois rentable et empreinte d’originalité. Lorsque cette mesure a été introduite en 1965, les médias canadiens devaient faire face à la concurrence de leurs homologues américains qui offraient des services de publicité comparables. Dans ce contexte, où des substituts canadiens aux services de publicité américains étaient disponibles, une augmentation marginale du coût après impôt de la publicité par l’entremise des médias américains, comme le prévoyait l’article 19, semble avoir incité les entreprises canadiennes à se tourner vers des substituts canadiens comparables.

En 2015, environ 390 sociétés ont déclaré des dépenses de publicité non déductibles, représentant une augmentation totale des recettes de l’impôt sur le revenu des sociétés de moins de 500 000 $.

Il est reconnu que les revenus publicitaires se dirigent maintenant vers des plateformes que les entreprises considèrent comme étant les plus efficientes, des plateformes qui ne sont généralement pas canadiennes, ce qui crée des pressions sur les revenus des médias canadiens.

Les Amis de la radiodiffusion canadienne ont proposé que la portée de l’article 19 soit étendue aux plateformes en ligne afin de relever les défis auxquels sont confrontés les médias canadiens. Une question clé est de savoir si cette approche serait efficace pour changer le comportement des entreprises afin de les inciter à se tourner vers les plateformes canadiennes.

Les estimations fournies par les Amis de la radiodiffusion canadienne indiquent qu’environ 10 p. 100 des dépenses en publicité numérique pourraient revenir au Canada et que leur proposition augmenterait le fardeau fiscal des entreprises canadiennes de plus de 1 milliard de dollars. Cela suggère que la mesure ne modifierait vraisemblablement pas de façon significative le comportement des entreprises canadiennes, et que par conséquent, elle résulterait principalement en une augmentation d’impôt pour les entreprises canadiennes. Dans ce contexte, il n’est pas clair que la mesure représenterait une solution aux problèmes auxquels sont confrontés les médias canadiens.

Le gouvernement reconnaît les défis auxquels fait face cette industrie et a introduit des mesures en ce sens dans le budget de 2018. Le gouvernement s’est engagé à augmenter sa contribution aux Fonds des médias du Canada dans le but de maintenir le niveau de financement de 2016-2017. Le gouvernement a aussi proposé d’accorder 50 millions de dollars sur cinq ans à compter de 2018-2019 à une ou plusieurs organisations non gouvernementales indépendantes qui soutiendront le journalisme local dans les communautés mal desservies.

De plus, dans le cadre d’un investissement de 400 millions de dollars sur cinq ans à compter de 2018-2019 pour appuyer le Plan d’action pour les langues officielles, le gouvernement soutiendra les stations de radio et les journaux dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Par ailleurs, au cours de la prochaine année, le gouvernement étudiera de nouveaux modèles qui autoriseront les dons privés et le soutien philanthropique pour des nouvelles locales et du journalisme, à but non lucratif, fiable et professionnel.

Voilà qui conclut mes remarques. Je serai heureux de répondre à toutes les questions du comité.

Costa Dimitrakopoulos, directeur général, Direction des décisions en impôts, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, Agence du revenu du Canada : Bonjour, monsieur le président. Je suis Costa Dimitrakopoulos, directeur général de la Direction des décisions en impôts à l’Agence du revenu du Canada. Je suis accompagné de Mme Roxane Brazeau-Leblond, directrice de la Division des entreprises et du revenu d’emploi.

[Français]

Merci de nous avoir invités à nous entretenir avec vous aujourd’hui. Je commencerai cet entretien en vous donnant un aperçu du rôle de la Direction des décisions en impôt. Je vous expliquerai ensuite les règles de la Loi de l’impôt sur le revenu qui restreignent la déduction de frais de publicité.

Au sein de l’ARC, la direction remplit les rôles suivants : interpréter la loi canadienne en matière d’impôt, expliquer la façon dont elle s’applique dans un cas donné, et rendre des décisions et des interprétations.

Alors que l’ARC est responsable d’appliquer les règles prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministère des Finances est responsable de la politique fiscale fédérale et de proposer des modifications à la loi.

Passons maintenant aux règles générales touchant la déductibilité des dépenses d’entreprise.

Afin d’être déductible, une dépense d’entreprise doit avoir été effectuée ou engagée par un contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise, ne pas constituer une dépense en capital, ne pas être une dépense de nature personnelle, et son montant doit être raisonnable selon les circonstances.

[Traduction]

En conséquence, les frais de publicité associés à la production de revenus sont généralement déductibles dans la mesure où ces conditions sont remplies. Cependant, les articles 19, 19.01 et 19.1 de la loi peuvent s’appliquer et restreindre ou interdire la déduction de frais de publicité destinée principalement au marché canadien, dans le cas où cette publicité est placée dans un numéro d’un journal ou d’un périodique qui ne respecte pas certaines exigences en matière de contenu canadien ou de propriété canadienne ou est faite par une entreprise étrangère de radiodiffusion.

Pour déterminer le sens à donner à ces termes, notre analyse débute avec les définitions que prévoit la Loi de l’impôt sur le revenu ou toute autre loi à laquelle elle fait référence. En second lieu, nous tenons compte de la Loi d’interprétation.

La loi ne définit pas le terme « journal », mais elle précise que le terme « périodique » a le sens que lui donne la Loi sur les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers, soit une publication imprimée, à l’exception des catalogues, des annuaires, des bulletins et des journaux, dont les numéros paraissent sous un même nom, suivant des dates ou des numéros consécutifs, à des intervalles plus ou moins réguliers, au moins deux fois l’an et au plus, à l’exclusion des numéros spéciaux, une fois la semaine.

Pour interpréter le sens à donner à l’expression « faite par une entreprise étrangère de radiodiffusion », il faut d’abord examiner la Loi de l’impôt sur le revenu et ensuite la Loi d’interprétation. Selon la Loi de l’impôt sur le revenu, une « entreprise étrangère de radiodiffusion » désigne une « entreprise d’émission de radiodiffusion ou d’exploitation d’un réseau située à l’étranger ou sur un navire ou un aéronef non immatriculé au Canada ».

Elle définit également un « réseau » comme « comprenant toute exploitation à laquelle participent plusieurs entreprises de radiodiffusion et où le contrôle de la totalité ou d’une partie des émissions ou des programmes d’émission d’une entreprise de radiodiffusion participant à l’exploitation est délégué à un exploitant de réseau ».

La Loi d’interprétation définit le terme « radiodiffusion » comme « toute radiocommunication dont les émissions sont destinées à être reçues directement par le public en général ».

Également, la Loi d’interprétation définit « radiocommunication » comme étant « toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de renseignements de toute nature, au moyen d’ondes électromagnétiques de fréquences inférieures à 3 000 GHz transmises dans l’espace sans guide artificiel ».

En se fondant sur cette analyse, nous avons rendu des interprétations qui confirment que les règles sur la publicité à l’étranger ne s’appliquent pas, afin de restreindre la déductibilité des frais pour de la publicité destinée principalement au marché canadien et diffusée sur des sites web ou des médias, ou réseaux sociaux à l’étranger.

En d’autres mots, il est généralement possible pour des entreprises de déduire des frais pour de la publicité sur des sites web ou des médias ou réseaux sociaux à l’étranger.

Ces interprétations s’appuient sur la définition précise que prévoit la Loi d’interprétation pour le terme « radiocommunication » et sur le fait que nous sommes d’avis que les sites web et les sites de médias sociaux ou réseaux sociaux ne peuvent généralement pas constituer un journal, un périodique ou une entreprise étrangère de radiodiffusion, selon leur sens ordinaire ou les définitions que prévoient la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi d’interprétation.

Nous nous ferons un plaisir de répondre à toute question que vous pouvez avoir.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse au ministère des Finances et à l’ARC. Bien que nous parlions ici de déductibilité fiscale, la question de l’imposition vers les GAFA, Google, Amazon, Facebook et Apple, demeure pertinente, particulièrement dans le cadre du rééquilibrage des revenus afin de préserver les médias sociaux locaux et communautaires.

La Commission européenne et le gouvernement français ont récemment annoncé leur intention de légiférer afin de taxer les géants d’Internet sur leurs revenus publicitaires. Alors que la France se concentre sur une simple taxation basée sur le chiffre d’affaires, la Commission européenne semble vouloir baser la taxation sur ce qu’elle qualifie comme étant la présence numérique, soit ce qui touche les revenus engendrés par le volume de données personnelles collectées, les fréquences d’utilisation et de contribution, ainsi que les ventes ou achats effectués par l’entremise de leurs sites.

Est-ce que le gouvernement du Canada aurait les moyens d’établir un système de taxation similaire aux idées proposées par la France ou par la Commission européenne? Quelles sont les différences en termes de complexité et d’efficacité entre la taxation et la mise en place d’un système de déduction fiscale?

M. Jovanovic : C’est une question intéressante. Je pense qu’il est important de distinguer les questions sous-jacentes à cette question. Il est aussi important de comprendre le système actuel de taxation des entreprises qui est basé essentiellement sur la notion d’établissement permanent, qui est une notion traditionnelle. Par exemple, lorsqu’une entreprise fait affaire dans un autre pays et a des employés sur place ou une usine, il y a clairement présence d’un établissement permanent. Le concept général de taxation est basé sur ces notions.

Quand on parle d’une entreprise qui fait affaire dans un autre pays et qui vend des produits numériques, il n’y a pas nécessairement de présence physique. Donc, il y a des questions importantes qui sont soulevées quant à l’imposition sur le revenu. La question clé est à savoir si ces concepts qui existent en matière d’établissement permanent, sur lesquels les traités fiscaux sont basés, représentent encore la bonne façon de taxer ces entreprises et de déterminer si de la valeur est créée dans le pays source par ces transactions électroniques. Le cas échéant, il faut déterminer l’approche à utiliser pour proprement taxer, mais aussi de manière à ce que le résultat final ne soit pas de la double taxation pour l’entreprise.

Cela nécessite donc des discussions à l’échelon international, comme celles qui sont tenues en ce moment à l’OCDE, entre autres. Je pense que les communiqués de l’OCDE témoignent du fait que les différents membres de l’OCDE sont d’accord pour accorder un certain temps à l’analyse de la question. Idéalement, il faudrait arriver à des options ou à de nouvelles normes concertées et coordonnées pour éviter une double taxation.

Il faut donc prévoir davantage de discussions. Le Canada participe à ces discussions, et il a décidé de prendre le temps d’analyser cette question très complexe pour avancer au même rythme que l’ensemble des pays membres afin d’arriver à une solution concertée.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Ma question s’adresse à M. Lemay ou à M. Ripley. Dans vos déclarations, vous avez fait une observation concernant le Fonds du Canada pour les périodiques de Patrimoine canadien. Votre dernière remarque était : « Il convient de noter qu’il n’appuie pas les journaux quotidiens ». Pourquoi ne les appuie-t-il pas?

M. Lemay : Il n’y a que les journaux et les magazines communautaires qui sont éligibles dans le cadre du programme. Il en a toujours été ainsi. Avec l’enveloppe budgétaire actuelle du programme, nous appuyons une centaine de publications et de magazines différents. Le ratio de magazines et de journaux communautaires est à peu près égal. Les journaux quotidiens augmenteraient considérablement le nombre de bénéficiaires admissibles.

Le président : Qu’entend-on par « journal communautaire »?

M. Lemay : C’est un journal non quotidien à diffusion payée. C’est le critère qui doit être respecté pour qu’un journal puisse recevoir du financement.

Le président : Comme une publication hebdomadaire?

M. Lemay : Exactement.

Le président : Vous présentez une demande pour quoi?

M. Lemay : Pour du financement. C’est du financement établi selon une formule. C’est fondé sur la diffusion payée. C’est le critère qui établit le financement que vous recevrez.

Le président : Merci.

Je suis désolé, sénateur Manning. Je voulais clarifier ce qu’il voulait dire.

Le sénateur Manning : L’édition de livres serait-elle visée par l’un de ces fonds?

M. Lemay : Oui. C’est l’un des programmes que nous administrons à la Direction générale des industries culturelles.

Le sénateur Manning : Sous quelle rubrique?

M. Lemay : C’est un fonds distinct de celui pour les périodiques. Il appuie les éditeurs de livres.

Le sénateur Manning : Dans le cadre stratégique du Canada créatif, le gouvernement s’est engagé dans le budget de 2018 à verser 50 millions de dollars sur cinq ans pour venir en aide au journalisme local dans les communautés mal desservies. Les détails seront communiqués au cours de la prochaine année.

Pouvez-vous nous donner une idée des plans qui sont en place? Comment ces 50 millions de dollars seront-ils dépensés?

M. Lemay : Comme le budget le prévoit, ces fonds seront distribués à une ou plusieurs organisations indépendantes pour veiller à ce qu’ils soient dépensés pour favoriser l’indépendance de la presse.

Ces fonds viseront à améliorer la couverture dans les communautés mal desservies. Par « communautés mal desservies », on fait référence aux communautés où la couverture médiatique est particulièrement limitée.

C’est ce que je peux vous dire pour le moment.

Le sénateur Manning : Comme quoi? Pouvez-vous me donner un exemple?

M. Lemay : Ce pourrait être une communauté éloignée. Je présume que cette définition pourrait inclure les communautés linguistiques de langue officielle en situation minoritaire.

Le président : N’avez-vous pas déjà un fonds pour les langues officielles? N’y a-t-il pas déjà du financement pour les communautés francophones, notamment?

M. Lemay : Du soutien est prévu dans le Plan d’action pour les langues officielles. Nous travaillons en collaboration avec nos collègues de la Direction des langues officielles à Patrimoine canadien pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de chevauchement entre les deux initiatives.

Le président : Je suis désolé, sénateur Manning. C’est très intéressant.

Le sénateur Manning : Comment ces fonds seront-ils distribués? Quel est le processus? Donnez-moi un exemple de la façon dont les 50 millions de dollars seront distribués.

Je vis dans une petite communauté rurale à Terre-Neuve-et-Labrador. La situation est différente par rapport à l’époque où nous n’avions qu’une seule station de télévision; nous en avons plusieurs maintenant. Comment ces fonds sont-ils distribués pour offrir l’occasion aux communautés éloignées d’être entendues et de savoir ce qui se passe dans le reste du monde?

M. Lemay : Pour l’instant, je ne suis pas en mesure de vous fournir tous les détails de cette initiative. Nous travaillons à l’élaboration d’une structure pour ces fonds. Comme je l’ai dit, plus de détails seront communiqués plus tard dans l’année.

Le président : Avez-vous un plan?

Le sénateur Manning : C’est un cas où les fonds sont versés en premier et le plan est établi par la suite. Il semble que ce soit le cas ici. Les fonds sont alloués. Maintenant, donnez-nous un plan qui précise comment vous dépenserez l’argent.

Ce ne devrait pas être le contraire, d’après vous, c’est-à-dire que vous mettez au point un plan en premier et obtenez l’argent par la suite? Je me trompe peut-être. Cela semble être le cas.

M. Lemay : Nous voulons nous assurer que ces fonds seront utilisés de la manière la plus efficace possible. Nous voulons qu’ils soient versés aux bonnes collectivités, où la couverture médiatique est limitée. Nous voulons nous assurer que les fonds sont distribués efficacement. Il y a un ensemble de critères et de paramètres qu’il faut concevoir pour nous assurer d’optimiser le plus possible cet investissement. Nous y travaillons à l’heure actuelle.

Lorsque des décisions sont prises et prêtes à être communiquées, le gouvernement sera en mesure de fournir plus de renseignements au sujet de cette initiative.

Le sénateur Manning : Prévoyez-vous que les 50 millions de dollars seront dépensés?

M. Lemay : Certainement.

Le sénateur Manning : D’accord. Il y a cette initiative.

Le président : Vous allez devoir vous dépêcher, sénateur Manning.

Le sénateur Manning : Vous n’arrêtez pas de m’interrompre.

Le président : Oui, je sais. Je prolonge votre temps de parole.

Le sénateur Manning : Quel est le budget pour le Fonds des médias du Canada?

M. Ripley : C’est un partenariat conjoint entre le secteur privé et le secteur public. Les entreprises canadiennes de distribution par câble, par satellite et par protocole Internet sont tenues, dans le cadre de leur processus de délivrance de licences du CRTC, de contribuer au fonds. Elles ont un taux de prélèvement de 5 p. 100. Une partie de ces 5 p. 100 — dans ce cas-ci, la majorité — sont versés au Fonds des médias du Canada. Le gouvernement fédéral fournit un financement stable de 134 millions de dollars.

Comme mon collègue du ministère des Finances et moi l’avons indiqué, on s’est engagé dans le dernier budget fédéral à verser une contribution supplémentaire pouvant atteindre 172 millions de dollars sur une période de cinq ans. Nous constatons que la diminution légère des revenus des entreprises de câblodistribution, de diffusion par satellite et de télévision par Internet fait en sorte que le Fonds des médias du Canada reçoit moins d’argent de ses partenaires du secteur privé.

Le sénateur Manning : Le 5 p. 100 d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était il y a cinq ans à peine.

M. Ripley : Tout à fait. Il va de soi que la baisse des revenus fait en sorte que le 5 p. 100 représente un montant moins élevé.

Le président : Bon nombre de ces entreprises de câblodistribution n’ont-elles pas justement comme raison d’être de promouvoir le contenu canadien à même les frais d’abonnement qu’elles perçoivent?

M. Ripley : Vous avez raison. Différents mécanismes mis en place, via le cadre réglementaire administré par le CRTC, visent à permettre la réalisation des objectifs stratégiques établis à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion. Des exigences de dépenses sont imposées non pas aux entreprises de câblodistribution, de diffusion par satellite ou de télévision par Internet, mais bien à celles qui font de la radiodiffusion en direct comme Global et Citytv. Ces entreprises doivent chaque année consacrer au contenu canadien un certain montant d’argent qui est déterminé par le CRTC dans le cadre de leurs conditions de licence.

Un autre mécanisme prévu dans le cadre stratégique du CRTC oblige les entreprises qui obtiennent une licence pour la câblodistribution, la diffusion par satellite ou la télévision par Internet à verser à des fonds de production canadiens une contribution correspondant à 5 p. 100 de leurs revenus. Encore là, la plus grande partie de cette contribution va au Fonds des médias du Canada.

Je n’ai pas de chiffres précis sous la main, mais je peux vous dire que le Fonds des médias du Canada administre chaque année un financement d’un peu plus de 350 millions de dollars, dont 134 millions de dollars proviennent actuellement du gouvernement fédéral, avec une contribution supplémentaire possible conformément à l’engagement pris dans le dernier budget.

Le président : À peu près toutes ces entreprises médiatiques et de câblodistribution ont leurs bureaux à Toronto. Il n’y en a pas qui sont installées à Vancouver ou à Calgary. Elles sont toutes à Toronto.

M. Ripley : Ce n’est pas tout à fait exact. On pense seulement aux grandes entreprises de câblodistribution, mais il y en a un certain nombre d’autres au pays. À titre d’exemple, vous pensez sans doute à Rogers, mais il y a aussi…

Le président : TSN, Sportsnet et tous les autres; elles sont toutes à Toronto.

M. Ripley : Ces entreprises ne seraient pas considérées comme des câblodistributeurs. Elles offrent plutôt une programmation…

Le président : Je parlais des réseaux de télévision par câble, désolé.

M. Ripley : Les chaînes disponibles via la câblodistribution?

Le président : Oui.

M. Ripley : Lorsqu’une entreprise de câblodistribution comme Rogers, Shaw ou Vidéotron compose ses différents forfaits, elle y intègre certains éléments, y compris des chaînes de télévision en direct. Elle y ajoute ensuite des services facultatifs, dont notamment des chaînes spécialisées comme TSN ou CNN qui peuvent nous venir de l’étranger. Le CRTC dresse une liste des services admissibles pouvant être inclus dans ces forfaits.

Le président : On ne peut pas vraiment dire que c’est facultatif. Certaines chaînes sont optionnelles, mais il faut en fait acheter tout le forfait. Ce n’est pas facultatif, car le client doit s’en tenir aux forfaits offerts.

M. Ripley : Comme vous le savez, le CRTC a notamment…

Le président : Comme CBC Newsworld, par exemple.

M. Ripley : Il y a une liste de chaînes que le CRTC oblige les câblodistributeurs à inclure dans leurs forfaits. En dehors de cette liste à distribution obligatoire, les entreprises de câblodistribution, de diffusion par satellite et de télévision par Internet sont totalement libres de composer les forfaits les plus susceptibles de plaire à leurs clients.

Comme vous le savez peut-être, le CRTC exige depuis quelques années que ces entreprises offrent un forfait minimaliste à un prix raisonnable de manière à contrer les problèmes d’accès aux services attribuables au prix élevé de certains forfaits.

Le président : C’est un sujet très intéressant. Je pourrais en discuter toute la journée, mais je ne le ferai pas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités. Monsieur Lemay, dans votre mémoire, à la page 2, vous parlez d’une somme de 75 millions de dollars destinée aux journaux non quotidiens payants. J’essaie de comprend la logique. Est-ce que cela exclut les hebdos des régions éloignées qui sont non payants?

M. Lemay : Effectivement, les journaux non payants ne sont pas admissibles au programme. Le programme appuie tout de même près de 400 journaux communautaires, souvent des hebdomadaires, qui sont payants. Ce sont des journaux situés aussi bien dans les centres urbains que dans des régions rurales ou éloignées.

Le sénateur Boisvenu : Quelle est votre définition de « payant »?

M. Lemay : Une circulation payante, soit des abonnements ou des frais pour acheter un exemplaire.

Le sénateur Boisvenu : Le journal de quartier que je reçois toutes les semaines dans le Publisac et dans lequel on m’informe des activités communautaires n’est pas inclus.

M. Lemay : Effectivement.

Le sénateur Boisvenu : Toujours dans votre mémoire, à la page 5, vous parlez d’un fonds créé en 2018 de 50 millions de dollars en faveur du journalisme local dans les communautés mal desservies. Quelle est votre définition d’une communauté mal desservie?

M. Lemay : On parle de communautés où la couverture en matière de nouvelles est très limitée, donc il peut s’agir de collectivités éloignées et de collectivités où, par exemple, il n’y a plus de journaux communautaires ni de radio locale.

Le sénateur Boisvenu : On parle des régions isolées, dans le fond.

M. Lemay : Ce pourrait être cela. Bien entendu, dans les grands centres urbains comme Montréal, Toronto et Vancouver, on ne retrouve pas ce type d’enjeux.

Le sénateur Boisvenu : Donc, si mon quotidien de quartier n’est pas admissible à votre fonds de 75 millions de dollars parce qu’il est non payant, et si je suis du sud de Montréal, une région relativement bien desservie, cet hebdomadaire ne peut recevoir aucun financement de votre part.

M. Lemay : Si c’est un quotidien ou un hebdomadaire non payant, non, il n’est pas admissible.

Bien entendu, un investissement de 50 millions de dollars est un investissement considérable, mais il ne permet pas de répondre à tous les besoins de l’industrie des journaux. La priorité est accordée aux collectivités et aux régions du pays où la couverture médiatique est très limitée, voire quasi inexistante.

Le sénateur Boisvenu : Quant au dernier mouvement de La Presse, propriété de la Power Corporation, qui a décidé de devenir un organisme sans but lucratif (OSBL), est-ce que c’était à des fins fiscales ou pour améliorer sa distribution?

M. Lemay : Les gens de La Presse seraient les mieux placés pour répondre à cette question. Dans les entrevues que les gens de La Presse ont accordées, ils ont dit espérer avoir accès à des dons philanthropiques par l’intermédiaire des entreprises à but non lucratif.

Le sénateur Boisvenu : Et pas seulement à des subventions.

M. Lemay : Tout à fait.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Jovanovic, vous dites dans votre mémoire, à la page 2, que l’article 19.01 a été créé, en 1999, afin de permettre, sous certaines conditions, une déduction pour des frais de publicités placées dans des périodiques étrangers. Est-ce que cela inclut Facebook?

M. Jovanovic : Non. C’est pour couvrir les périodiques qui sont essentiellement de contenu canadien, mais distribués à l’étranger, afin qu’il puisse avoir droit à une déduction partielle ou totale.

Le sénateur Boisvenu : J’aimerais que vous nous donniez plus de détails sur votre position quant aux Amis de la radiodiffusion canadienne, dont les représentants ont comparu la semaine dernière et demandent une révision de la Loi de l’impôt sur le revenu pour taxer les entreprises qui font de la publicité à l’extérieur du pays. Vous doutez de l’efficacité de cette mesure. Pouvez-vous nous donner davantage de détails?

M. Jovanovic : Le point soulevé est de vraiment mettre en lumière l’objectif poursuivi et le résultat de la proposition. Selon notre compréhension, la proposition aurait pour effet d’augmenter les coûts pour la firme et, en fait, le résultat serait une augmentation de l’impôt, surtout s’il y a peu de substitutions. Dans ce contexte, augmenter l’impôt de cette façon ne résout pas le problème premier pour les radiodiffuseurs. Le point soulevé ici est de mettre en lumière cette question clé de la proposition.

Le sénateur Boisvenu : Il y a une espèce de dilemme pour le gouvernement de voir ses revenus diminuer en ce qui a trait à la taxation et de devoir en même temps injecter de l’argent, parce que les médias sont en chute libre quant à leurs lecteurs. Il y a un dilemme important.

M. Jovanovic : Je ne suis pas convaincu qu’on parle de déduction.

Le sénateur Boisvenu : Ce qu’on a vu comme progression dans le temps, c’est que la taxation de la publicité est en chute libre par rapport à la présence des médias sociaux, où les gens y font de la publicité pour des clientèles canadiennes, mais à l’extérieur du Canada. Donc, les revenus pour le Canada sont en chute libre, mais en même temps nous devons injecter beaucoup d’argent dans ces périodiques, parce qu’eux aussi sont en chute libre. Il y a un dilemme important ici.

M. Jovanovic : Je ne sais pas si l’on peut conclure que l’effet de cette nouvelle dynamique de marché, qui est de créer de nouvelles occasions pour les entreprises et d’avoir un marketing ou des publicités plus ciblés par les médias sociaux ou Google, donc cette possibilité d’avoir de meilleurs outils, souvent à moindres coûts, se traduit en fin de compte par moins de revenus pour le gouvernement.

Le sénateur Boisvenu : Le problème est le même. J’achète un produit qui est souvent fait à l’extérieur du pays par une publicité d’entreprise canadienne. Ce produit m’est expédié chez moi sans taxe. Il y a quelque chose de malsain ici, dans le sens où ces entreprises canadiennes annoncent des produits sur des réseaux sociaux comme Facebook, et donc, ne paient pas de taxe sur la publicité. Ensuite, j’achète ce produit qui m’est livré au Canada sans taxe. Vous êtes doublement pénalisés.

M. Jovanovic : Si l’on parle de la taxe sur la valeur ajoutée, ce l’est de toute façon.

Le sénateur Boisvenu : Je vais acheter une paire de lunettes aux États-Unis. Je vais la recevoir sans taxe. L’entreprise qui les vend, qui fait de la publicité, n’a pas payé de taxe. Le Canada est pénalisé des deux côtés.

M. Jovanovic : Je pense que votre question revient à la question soulevée par le sénateur Cormier. Est-ce que notre système de taxation actuel, qui repose sur la notion d’établissement permanent, est encore le système idéal pour la nouvelle économie?

Le sénateur Boisvenu : On est vraiment en retard. Merci.

Le sénateur Dawson : Revenons à l’article 19, qui est la question fondamentale. On a vu l’arrivée massive de Facebook, Google, et autres, des compagnies qui n’étaient pas prévues lorsqu’on a adopté la loi — et il nous faut plaider coupables, car c’est nous qui élaborons et adoptons les lois, et donc nous devons vivre avec nos erreurs. On doit donc moderniser la loi. On nous a donné comme exemple que, pour le Québec, 109 millions de dollars de revenus ont été perdus — ce sont les gens de la radiodiffusion qui nous l’ont expliqué. Ils disent que la loi ne s’est pas adaptée au fait que les Canadiens avaient des habitudes en matière de télévision, de radio et de journaux qui ont changé radicalement. Je ne me souviens pas exactement du pourcentage qu’ils nous ont donné, mais possiblement jusqu’à 65 p. 100 des revenus des investissements traditionnels de publicité sont investis outre frontière et profitent d’une échappatoire, l’article 19, qui fait en sorte que, puisqu’ils sont à l’extérieur, ils ne sont pas couverts par la protection traditionnelle. Si vous faites de la publicité dans le New York Times, vous aurez des restrictions; si vous en faites dans le New York Times en ligne, vous n’en aurez pas.

Les représentants du secteur doivent composer avec cette situation. Ils me disent que cela fait 18 mois qu’ils vous en parlent, mais que rien n’a avancé. Au Québec, avec le fait français, on a peut-être une protection additionnelle sur ce plan. Je comprends qu’on a certains avantages, mais les représentants du secteur me disent qu’ils perdent tout de même 109 millions de dollars.

Ma deuxième question est liée à ce que le sénateur Boisvenu a dit concernant La Presse. Dans votre texte, monsieur Lemay, vous dites ceci : « Notez que ce fonds n’appuie pas les quotidiens ». Vous avez ajouté, et on pourra le retrouver dans la transcription, « actuellement ».

Je comprends que, oui, ça change, et j’espère que ça va changer, parce que, dans l’état actuel des choses, ça mérite de changer. Mais La Presse est un bon exemple; en se déclarant comme OSBL, ce média voudra recevoir ce genre de revenus. Les représentants de La Presse comparaissent aujourd’hui devant les députés de l’Assemblée nationale pour en discuter. Nous pourrions peut-être en profiter, dans le cadre de notre étude, pour les inviter à notre comité, afin que nous puissions connaître leurs intentions. Ce n’est pas que nous ne voulions pas leur accorder gain de cause — je suis pour ma part un amateur de La Presse —, mais, selon moi, c’est une question d’équité. Ils nous disent : « Cela fait 18 mois qu’on leur parle et qu’ils ne nous répondent pas, et on pense que cela nuit à l’industrie canadienne. »

M. Jovanovic : Je vais essayer de décortiquer ce que vous venez de dire. Il y a différentes questions. Il y a la question de savoir quel est l’effet sur les gouvernements, en ce qui a trait aux revenus, de la présence de plus en plus importante des plateformes étrangères, et de savoir si la valeur ajoutée créée à l’intérieur du pays devrait être taxée. Lorsque Facebook ou Google arrivent, il y a un échange d’information qui se passe; est-ce de la valeur qui est créée au point où un nexus est créé sur le plan fiscal et que cela devrait être taxé? À ce moment-là, quelle est la meilleure façon de le faire? C’est une question clé qui est débattue, entre autres, au sein de l’OCDE.

La deuxième question est de savoir, dans la mesure où ces plateformes étrangères tirent des revenus des médias canadiens, et où, par conséquent, les revenus pour les médias canadiens diminuent et que cela crée des problèmes, s’il existe une solution. Je pense qu’il est important de décortiquer tout cela, car il n’est pas clair qu’il y ait une solution unique pour toutes ces questions.

Le sénateur Dawson : La reconnaissance du problème, selon moi, serait déjà quelque chose d’important de la part du gouvernement, et j’aimerais l’entendre dire qu’il veut s’y attaquer.

Les représentants du secteur me disent que cela fait 18 mois qu’ils voient leur secteur péricliter. On va transférer des centaines de millions de dollars, qui étaient traditionnellement investis dans les médias canadiens, pour les investir dans des médias qui n’existaient pas au moment où on a écrit la loi, et je ne vous blâme pas pour cela. Mais on ne peut pas continuer à dire « on verra ». On doit commencer quelque part. C’est une question de survie. Quand un organisme comme La Presse doit devenir un OSBL, c’est qu’il y a péril en la demeure. Je comprends que vous n’êtes pas les responsables politiques, et nous allons certainement avoir l’occasion d’en discuter aussi avec eux, mais il me semble assez évident que l’on doive moderniser certaines de nos lois pour reconnaître l’existence de Facebook, Google et compagnie.

La sénatrice Gagné : Ma question s’adresse aux témoins de Patrimoine canadien. Est-ce que Patrimoine canadien investit de l’argent dans la publicité numérique? Et quel pourcentage de ces dépenses est-il destiné à des entreprises américaines?

M. Ripley : Il y a deux aspects. En matière de politique et au sein du gouvernement, c’est le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement qui gère la politique de la publicité. À l’échelle du ministère, on mène des actions qui varient selon le besoin. Par exemple, comme vous le savez, chaque ministère utilise les médias sociaux pour promouvoir les événements, et cetera. Je n’ai pas les chiffres en main pour le ministère du Patrimoine canadien, mais nous pourrons revenir au comité si vous le voulez avec une réponse plus précise. En ce qui a trait à l’échelon fédéral, la question devrait plutôt être posée à Services publics et Approvisionnement Canada.

La sénatrice Gagné : Il y a tout de même des investissements qui se font dans les entreprises, il y a des dépenses qui sont destinées à des entreprises américaines.

M. Ripley : Je dirais que oui, à un certain niveau, comme dans le secteur privé, où le gouvernement choisit d’investir là où c’est le plus rentable.

La sénatrice Gagné : Je viens du Manitoba, et je suis membre d’une collectivité francophone du Manitoba. Je suis très préoccupée par l’avenir de nos médias. Nous avons un hebdomadaire qui a fait un virage numérique, qui publie sur papier et en ligne. Selon moi, il n’y a pas d’entreprise qui ait trouvé le modèle d’affaires parfait. Dans le cas des petits médias, des médias régionaux, des médias francophones en milieu minoritaire, par exemple, comment peuvent-ils obtenir des revenus de publicité s’ils sont sur un pied d’égalité en matière fiscale avec Facebook et Google?

M. Ripley : L’un des enjeux de la distribution numérique, comme avec Facebook et Google, c’est qu’ils ne sont pas eux-mêmes les créateurs du contenu. Mais, comme vous le savez, c’est de plus en plus la façon dont les gens ont accès à ces contenus. J’ajouterais qu’il y a effectivement des enjeux de fiscalité, mais il y a aussi, si on est honnête, un enjeu lié au modèle d’affaires. Oui, historiquement, il y avait un lien entre la publicité et les industries créatives, et cela demeure. Mais ce qu’on a vu avec la publicité sur les médias sociaux, c’est que cette relation est en train de se briser. J’ai les chiffres devant moi, et j’imagine que nos amis de la radiodiffusion ont aussi présenté des données. En 2013, il y avait 3,4 milliards de dollars de publicité sur Internet, et cela a augmenté en 2016 à 5,4 milliards de dollars. Il y a toujours de la publicité qui est orientée vers les industries créatives canadiennes, mais, de toute évidence, il y a comme une prise entre la publicité sur Internet et cette relation historique avec les industries créatives.

La sénatrice Gagné : On a constaté tout de même que les dépenses du gouvernement en matière de publicité dans les médias traditionnels ont diminué, et que les journaux locaux communautaires ont été touchés de façon dramatique par ce changement. D’autre part, on annonce maintenant 10 millions de dollars par année, mais répartis sur l’ensemble du Canada; donc les sommes par joueur concerné sont plutôt limitées. La seule chose encourageante, c’est que, dans le budget de 2018, on a parlé des médias à deux reprises. Au moins, c’est une bonne nouvelle. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : La semaine dernière, nous avons entendu avec beaucoup d’intérêt le témoignage des représentants des Amis de la radiodiffusion canadienne.

Je dois vous dire honnêtement que je suis très déçue après avoir entendu aujourd’hui MM. Jovanovic et Dimitrakopoulos. Tout le monde sait en effet que nous avons un gros problème sur les bras. Nous savons tous que Facebook, Twitter et tous les médias semblables ne produisent pas de contenu, mais offrent simplement une plateforme de diffusion. Ces entreprises vendent un service. Elles engrangent des millions de dollars en revenus, ce qui ne manque pas d’avoir un impact sur nos médias nationaux. Et je ne suis pas en train de vous dire que ces médias nationaux n’ont pas aussi leur part de torts et de problèmes.

Nous avons droit à des définitions de la radiodiffusion qui remontent à une autre époque, et vous nous dites que l’OCDE progresse à pas de tortue et que nous attendons pour voir ce qui va se produire. Je suis enseignante et j’y vois de la procrastination. Je suis attristée d’entendre cela. Où est passé votre esprit d’initiative? Que faites-vous pour faire avancer les choses? La France prend certaines mesures. La communauté européenne également. Nous sommes bien assis à attendre les bras croisés.

Dans le milieu des affaires, je vous dirais que le temps c’est de l’argent. Que devrions-nous faire à votre avis? Quelles mesures législatives devraient être proposées au cours de la prochaine année pour faire en sorte que tout cet argent cesse de nous échapper ainsi?

Je ne vais pas parler des paradis fiscaux, car je dois aborder la question plus tard aujourd’hui au Sénat. C’est une véritable fuite de capitaux.

Le président : Avez-vous une question, madame la sénatrice?

La sénatrice Galvez : Oui.

Le président : Je vous prierais de la poser.

La sénatrice Galvez : Que devrait-on faire à votre avis?

Le président : Ce ne sont pas des décideurs, madame la sénatrice. Ce sont des fonctionnaires.

La sénatrice Galvez : Je sais cela, mais ils peuvent tout de même réfléchir à ces questions.

M. Jovanovic : Le problème est bien connu. D’une part, pour ce qui est des journaux, des médias locaux et du journalisme professionnel, le gouvernement a amorcé dans le budget de 2018 une démarche relativement au travail plus général d’analyse à faire quant à la nécessité de redéfinir notre cadre fiscal dans le contexte de ces entités. C’est donc un travail qui se poursuit. Il s’agit d’un enjeu extrêmement complexe. Il n’y a pas de solution facile qui puisse venir à l’esprit. Il faut beaucoup de collaboration avec les autres pays, car on ne veut pas imposer, tout à coup, à ces entreprises une charge fiscale supplémentaire qui n’aurait pas son équivalent ailleurs dans le monde, car cela entraînerait une importante distorsion des marchés. Il faut considérer les deux côtés de la médaille. Ces nouveaux outils bénéficient grandement aux petites entreprises canadiennes.

La sénatrice Galvez : Vous parlez du problème, mais quand viendra la solution?

M. Jovanovic : Je voulais que vous compreniez que nous sommes bien conscients du problème. Les solutions ne sont, toutefois, pas faciles à trouver. C’est un processus qui prendra du temps et exigera une analyse minutieuse de ces questions. C’est ce que l’on s’emploie à faire actuellement.

Le président : J’invite tous nos témoins à commenter. Il existe une définition de « radiodiffuseur ». Des entreprises comme Facebook et Google sont plutôt des agents de commercialisation directe, comme celles qui ont recours au courrier et au télémarketing. Elles s’adressent à un auditoire ciblé par l’annonceur, alors que la publicité diffusée à la télévision ou dans les journaux doit être achetée pour l’ensemble de l’auditoire ou du lectorat, ce qui est un peu problématique. Il est donc avantageux pour les petites entreprises de pouvoir faire de la publicité dans tous ces nouveaux médias. Avec la publicité sur Facebook, vous pouvez cibler seulement la Saskatchewan, ou uniquement Saskatoon, ou encore une partie de cette ville ou bien une portion d’un groupe particulier. Ce ne sont pas des radiodiffuseurs. Ce sont des systèmes de diffusion d’information, que celle-ci soit personnelle comme dans le cas de Facebook, ou universelle comme avec Google.

Je ne sais pas si c’est un problème qui pourra être surmonté. Est-ce que l’on discute de ces enjeux au sein du gouvernement ou se contente-t-on simplement d’attendre?

M. Ripley : Nous sommes très au fait de la question du point de vue de la politique culturelle. Nous sommes bien conscients des bouleversements numériques qui s’opèrent. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le gouvernement a annoncé un examen de la Loi sur la radiodiffusion et de la Loi sur les télécommunications. Le système qui nous a bien servi pendant des décennies en établissant les exigences à remplir pour ces entreprises qui financent et distribuent le contenu est maintenant soumis à de fortes pressions et commence à s’écrouler. Nous savons tous que les habitudes d’écoute des Canadiens comprennent désormais des éléments comme Netflix, Amazon Prime et des services en marge de leurs stations locales, en plus de ceux de CBC/Radio-Canada.

À notre point de vue, l’examen de la Loi sur la radiodiffusion offrira une tribune qui permettra assurément aux différents intéressés de soulever toutes ces questions. Je crois qu’il nous faut reconnaître les pressions qui découlent de l’évolution des habitudes et des pratiques des Canadiens. Nous devons réfléchir aux moyens à prendre pour continuer à atteindre nos grands objectifs stratégiques, soit l’investissement dans le contenu canadien et le maintien de l’accès à ce contenu à l’intérieur d’un système où ces multinationales de l’Internet sont actives au Canada.

Le président : Je dirais que Netflix est, sans doute, le plus bel exemple d’entreprise privée dans ce secteur. En effet, vous avez le choix de vous abonner ou non à Netflix. Dans le cas de la câblodistribution, je peux choisir seulement certaines options, alors que les autres pour lesquelles je paie me sont imposées en raison des règles du CRTC. On me dit que je dois payer pour cela afin de contribuer à la radiodiffusion canadienne. Pourtant, si je syntonise une chaîne spécialisée pour les femmes ou pour les Autochtones, je vais y voir un grand nombre de films d’Hollywood, plutôt que du contenu canadien. Ne croyez-vous pas qu’il est nécessaire de revoir tout cela? Si vous voulez offrir des services de câblodistribution, il faut que vous puissiez y vendre ceux de votre réseau. Si vous êtes incapables de le faire, aussi bien mettre la clé dans la porte.

M. Ripley : Je dirais que les entreprises privées de ce secteur sont également très conscientes de la concurrence de Netflix pour le genre de services que vous mentionnez. Nous constatons que les Canadiens sont, de plus en plus, nombreux à renoncer aux services de câblodistribution ou à choisir des forfaits moins étendus.

Le président : Je ne les blâme pas.

M. Ripley : Nos entreprises de câblodistribution et de diffusion par satellite doivent bien évidemment réagir à cette pression concurrentielle. Pour ces entreprises, il s’agit surtout de choisir le bon modèle d’affaires. Dans une perspective stratégique, il y a une question qui va inévitablement se poser dans le contexte de l’examen de la Loi sur la radiodiffusion. Comme vous l’avez indiqué, il y a tout lieu de s’interroger quant au rôle que peut jouer le secteur privé, qu’il s’agisse de Netflix ou des entreprises canadiennes de câblodistribution et de diffusion par satellite, dans l’atteinte de nos grands objectifs stratégiques, soit stimuler la création de contenu canadien et favoriser l’accès à ce contenu sur toutes ces plateformes.

Le président : Nous pourrons peut-être en discuter davantage à une autre occasion. Je veux revenir à la question qui nous intéresse aujourd’hui, soit celle de la déductibilité des frais de publicité.

Le problème avec Facebook n’en est-il pas en fait un de droits d’auteur? Facebook impose des frais pour la retransmission d’informations et de nouvelles déjà publiées en n’ayant aucun droit à payer à ce titre. À mes yeux, c’est un bon modèle d’affaires.

M. Ripley : Le plus souvent, on offre simplement un lien vers le contenu. Le fait d’aiguiller quelqu’un vers du contenu n’est pas actuellement protégé par le droit d’auteur au Canada. Il y a des expériences menées au sein de l’Union européenne pour l’instauration d’un droit semblable au bénéfice des éditeurs de journaux.

Si vous affichez un article ou un lien vers une page de CBC, vous n’êtes pas actuellement assujetti au droit d’auteur.

C’est ce qui se passe généralement dans les médias sociaux. Il n’y a pas vraiment de copies qui se font. On signale plutôt aux gens que l’on a trouvé un article susceptible de les intéresser, et ils peuvent cliquer sur un lien pour y accéder. Les gens se retrouvent alors sur la page de CBC ou du Globe and Mail.

Le président : Plus il y a de clics, plus c’est intéressant pour la personne qui a publié l’information. Il devrait y avoir des redevances à verser du fait que cet aiguillage incite les gens à lire l’article ou à visionner la vidéo en question. Voyez-vous où je veux en venir? La diffusion est ainsi étendue. C’est justement la fonction d’Internet. C’est une autoroute pour la diffusion de contenu.

M. Ripley : Tout à fait. Les industries créatives canadiennes ont accès à certains revenus dans l’espace numérique. Une analyse des chiffres nous apprend toutefois que c’est loin d’être suffisant pour compenser les pertes encourues dans les médias traditionnels. Les sommes perçues en ligne ne sont pas à la hauteur de celles tirées auparavant des publications écrites ou de la radiodiffusion locale. De nombreuses entreprises doivent ainsi composer avec des pertes financières.

Le président : Ce n’est toutefois pas un problème qui touche uniquement le Canada. On constate la même chose aux États-Unis et en Europe également. Autrement dit, les gens sont moins nombreux à lire un journal comme on l’a toujours fait. Ils se tournent plutôt vers d’autres sources d’information. Le New York Times perd de l’argent et de nombreux journaux américains ont dû fermer leurs portes. Ce n’est pas un problème uniquement canadien. C’est un problème planétaire. Je ne sais pas comment vous allez vous y prendre pour le régler. Je vous souhaite simplement bonne chance.

[Français]

Le sénateur Cormier : Comme pour tout, il y a une urgence à tous les niveaux en ce moment.

Ma question s’adresse aux représentants du ministère du Patrimoine canadien. On a pris connaissance du Cadre stratégique du Canada créatif. On constate qu’il y a une stratégie à long terme de révision des lois. Que pouvez-vous nous dire du plan à court terme pour contrer la perte de revenus publicitaires qui fait en sorte que, dans les petites régions, il y a des journaux qui sont en train de disparaître? Il y a de grands enjeux. On entend le ministère nous parler de stratégie à long terme, mais à très court terme, quelle initiative est mise en place pour permettre à ces médias de faire la transition et de repenser leur modèle d’affaires? Je pense particulièrement à ce qu’on appelle dans le vocabulaire parlementaire les « communautés de langue officielle en situation minoritaire ».

M. Lemay : À très court terme, il y a les sommes indiquées dans le Plan d’action pour les langues officielles. On parle de 14,5 millions de dollars pour les médias communautaires de communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il y a l’initiative des 50 millions de dollars annoncée dans le budget de 2018 qui vise à appuyer la création de nouvelles locales et l’accès à des nouvelles locales dans les collectivités mal desservies. Nous travaillons à moderniser le Fonds du Canada pour les périodiques, dont le volet consacré à l’innovation commerciale appuie les magazines souhaitant changer leur modèle d’affaires et tester de nouvelles approches en ligne.

Il y a donc déjà de l’aide qui est offerte dans le cadre du Fonds du Canada pour les périodiques, en plus de l’aide versée tous les ans aux éditeurs de périodique, qu’il s’agisse de magazines ou de journaux communautaires, dans le cadre du financement octroyé par le truchement de la formule axée sur les ventes payantes.

M. Ripley : J’ajouterais que, dans l’espace de diffusion, le CRTC a mené des actions dans ce domaine. Il a émis une politique sur la programmation communautaire qui donne meilleur accès aux fonds dans le système actuel pour certains éléments comme les nouvelles locales. De plus, le CRTC a créé le Fonds des nouvelles locales indépendantes, qui donne aux radiodiffuseurs indépendants accès à des fonds. Donc, le conseil est pris avec ce problème également et il essaie de trouver une façon d’améliorer les investissements dans les nouvelles locales.

[Traduction]

Le président : Avez-vous une question supplémentaire, sénatrice Gagné? Vous pouvez y aller pour une brève question.

[Français]

La sénatrice Gagné : Quelle a été la réaction de l’Association de la presse francophone à l’annonce de l’enveloppe de 10 millions de dollars par année? En outre, est-ce que l’enveloppe du Fonds du Canada pour les périodiques est suffisante pour répondre aux besoins?

M. Lemay : D’une part, en ce qui a trait à la somme de 50 millions, il y a eu beaucoup d’intérêt. Les gens de l’Association de la presse francophone ont tenu des rencontres avec le ministère. On a démontré de l’intérêt envers cette initiative. Cela a été bien reçu.

La sénatrice Gagné : Quant au Fonds du Canada pour les périodiques, est-ce qu’il répond aux besoins?

M. Lemay : Il est certain qu’on peut toujours en faire plus et donner plus d’argent. Des changements ont été apportés au programme en 2010 et, depuis ce temps, cela nous a permis d’appuyer un plus grand nombre de publications issues des communautés de langue officielle en situation minoritaire et d’accorder plus d’argent aux publications de ces communautés. Dans l’ensemble, à l’heure actuelle, on a appuyé 31 publications de communautés de langue officielle en situation minoritaire qui ont reçu 1 million de dollars pour l’année 2017-2018 dans le cadre du Fonds du Canada pour les périodiques.

La sénatrice Gagné : D’accord, merci.

[Traduction]

Le sénateur Manning : J’aimerais revenir à ce que vous disiez tout à l’heure, monsieur Ripley : « Le bouleversement général des industries culturelles engendré par les nouvelles technologies, l’évolution des modèles d’affaires et le changement du comportement et des attentes des utilisateurs soulèvent toutes sortes de questions de plus en plus complexes pour les responsables politiques et, surtout, celle de la nature et de l’étendue de l’intervention du gouvernement, qui s’avère nécessaire ou appropriée. »

Pouvez-vous nous dire exactement de quel type d’intervention gouvernementale il est question ici et quel niveau serait approprié?

M. Ripley : Certainement. Il y a différents types d’intervention possibles. Il y a, tout d’abord, les programmes de financement direct, comme il en est question dans le contexte de la radiodiffusion. Il faut aussi déterminer dans quelle mesure la réglementation doit être prescriptive.

Pour ce qui est du sujet de la déductibilité, qui est à l’étude aujourd’hui, il s’agit de déterminer, comme le soulignait mon collègue du ministère des Finances, si l’application des règles en matière de déductibilité actuellement prévues à l’article 19 permettrait d’atteindre les objectifs stratégiques établis lorsque ces dispositions ont été mises en œuvre.

Nous voulions simplement indiquer que nous en sommes rendus à une étape où les choses n’évoluent plus de façon linéaire. À bien des égards, la situation nous ramène à la nécessité de repenser les moyens à mettre en œuvre pour atteindre nos grands objectifs stratégiques. Il est possible que les outils actuels conviennent à cette fin, mais il se peut également que nous ayons à les changer.

Le sénateur Manning : Y a-t-il une proportion de contenu canadien que vous visez ou bien un objectif à atteindre quant aux défis que pose la concurrence? Comment allez-vous manœuvrer pour vous assurer que nous avons suffisamment de contenu canadien? Y a-t-il un objectif précis à ce titre?

M. Ripley : Le but était d’assurer la viabilité à long terme de l’industrie créative au Canada. Lorsque bon nombre de ces politiques et programmes ont été mis en place, notamment avec des organisations fédérales comme CBC/Radio-Canada, on voulait s’assurer que ces voix puissent s’exprimer pour présenter un reflet fidèle des perspectives et des expériences canadiennes.

Il est difficile de quantifier certains des éléments dont nous suivons de près l’évolution. Au fil des décennies, nous avons su mettre en place une industrie qui est plutôt prospère. Nous évaluons notamment le nombre d’emplois créés dans le secteur et sa contribution au PIB du Canada.

Dans le contexte plus précis du processus d’octroi de licences aux radiodiffuseurs, le CRTC s’emploie à déterminer quel montant ceux-ci doivent être tenus d’investir chaque année dans le contenu canadien.

Comme vous l’avez laissé entendre, l’un des plus importants investissements annuels de notre gouvernement est celui consenti en faveur de notre radiodiffuseur public pour veiller à ce que l’on puisse savoir ce qui se passe dans les différentes régions du pays.

Le sénateur Manning : Merci.

Le président : Mais où voyez-vous cette prospérité?

M. Ripley : Vous parlez de CBC/Radio-Canada?

Le président : Non. Vous parliez de la prospérité de l’industrie. Comment peut-on se targuer d’être prospère quand on ne peut pas se passer des fonds gouvernementaux ou que l’on bénéficie des contraintes d’achat pour la câblodistribution? Je n’y vois aucune véritable prospérité, si ce n’est celle de la station locale CFQC TV de Saskatoon qui n’obtient aucun financement gouvernemental, mais s’efforce de vendre de la publicité et de bien desservir sa collectivité. Ces gens-là réussissent à prospérer, mais qui d’autre peut s’en vanter?

M. Ripley : Je pense à notre secteur de la production.

Le président : Vous versez des fonds publics pour la production également. C’est ce qui arrive lorsque quelqu’un veut produire un film, qu’il s’agisse de Global ou de CTV, et même de CBC qui, en plus d’être financé à même les deniers publics, obtient également des subventions. Il y a aussi cette obligation de payer pour une chaîne comme CTV pour avoir accès à CBC Newsworld. C’est autant d’argent que l’on est obligé de verser.

M. Ripley : Il y a effectivement certains mécanismes de soutien en place pour notre secteur de la production.

Le président : Certains? Et c’est la même chose pour les livres.

M. Ripley : L’Association canadienne des producteurs médiatiques publie chaque année un rapport à ce sujet. On a pu y apprendre que le Canada était l’un des pays les plus actifs au chapitre de la production. Cela comprend à la fois la production de contenu canadien à proprement parler et les activités des entreprises étrangères qui choisissent de venir tourner au Canada. Nous leur offrons une excellente infrastructure et des services de soutien de qualité.

Le président : La valeur du dollar canadien y est aussi pour quelque chose.

M. Ripley : Si je ne m’abuse, cette étude révèle également qu’il y a 3 $ de retombées pour chaque dollar investi.

Il y a donc des mécanismes de soutien en place. Cependant, comme nous l’avons souligné dans notre exposé, l’un des objectifs du cadre stratégique pour un Canada créatif est de stimuler la croissance économique. À l’aube d’une époque où l’on misera, de plus en plus, sur l’intelligence artificielle et l’automatisation, notre avantage concurrentiel découlera de notre capacité à mettre à contribution la créativité des Canadiens au sein des industries culturelles.

Le président : Êtes-vous en train de nous dire que plus nous versons de subventions, plus l’activité économique est soutenue?

M. Ripley : Je dis simplement qu’il y a des mécanismes de soutien en place qui visent l’atteinte de certains objectifs.

Le président : Étant donné que les frais de publicité ne pouvaient pas être déductibles en vertu de la loi précédente pour la télévision américaine, il y a, par exemple des stations de Seattle et de Buffalo qui ont ouvert des stations parallèles à Toronto et Vancouver où l’on diffusait les mêmes émissions américaines. Si ces déductions ne sont pas autorisées pour Facebook et Google, quelles sont les options pour les entreprises canadiennes? Doit-on envisager la création d’un Google ou d’un Facebook canadien?

M. Jovanovic : Je ne suis pas vraiment un expert en la matière, mais j’ai l’impression qu’il y a très peu d’options. Si l’on en croit le rapport des Amis de la radiodiffusion canadienne, le taux de remplacement du revenu serait d’environ 10 p. 100 si ce changement est apporté à la loi. Tout semble donc indiquer qu’il n’y a pas beaucoup de solutions de rechange. En fin de compte, tout cela se traduira par un fardeau fiscal plus lourd pour les entreprises.

Le président : Ce qui défavorise les entreprises canadiennes par rapport à leurs concurrentes américaines qui, elles, ont droit à cette déduction. Il peut s’agir d’entreprises en concurrence directe.

M. Jovanovic : On ne voit pas clairement en effet les avantages concrets pour les radiodiffuseurs, les journaux et les autres entreprises canadiennes. Cela remet en question la pertinence de ce qui est proposé.

Le président : Il s’agit d’enjeux complexes.

Y a-t-il d’autres questions? Comme il ne semble pas y en avoir, je voudrais remercier les fonctionnaires du ministère des Finances, de Patrimoine canadien et de l’Agence du revenu du Canada qui ont comparu devant nous aujourd’hui. Ce fut une discussion, fort intéressante.

La sénatrice Bovey occupera le fauteuil pour notre séance de demain. J’ai un autre engagement. Le comité accueillera alors les représentants du Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada, de l’Association de la presse francophone, de l’Alliance des radios communautaires du Canada et de Magazines Canada.

(La séance est levée.)

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