Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 41 - Témoignages du 24 octobre 2018
OTTAWA, le mercredi 24 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 47, pour poursuivre son étude sur la façon de moderniser les trois lois fédérales sur les télécommunications (la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication) pour tenir compte de l’évolution des secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications durant les dernières décennies.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. En juin dernier, le Sénat a autorisé le comité à étudier, en vue d’en faire rapport, la façon de moderniser les trois lois fédérales sur les télécommunications, soit la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication.
Ce soir, nous poursuivons notre étude spéciale. Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons Michael Paris, de l’Association des cinémas du Canada; Monica Auer, directrice générale du Forum for Research and Policy in Communications; et, enfin, de l’Alliance des producteurs francophones du Canada, Carol Ann Pilon, directrice générale, et Michel Houle, consultant, Industries culturelles et communications.
Merci à vous tous d’être venus aujourd’hui. Nous nous attendons à une discussion très animée au sujet des trois lois sur les communications et la radiodiffusion.
Michael Paris, Association des cinémas du Canada : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole devant le comité.
L’Association des cinémas du Canada est l’organisation commerciale qui représente les intérêts des exploitants de plus de 3 000 écrans de cinéma à l’échelle du Canada. Notre nom le dit. Nous sommes des exploitants de cinémas, et des cinéphiles. Nous représentons aussi bien les chaînes de cinémas que les centaines de cinémas indépendants au Canada. Nos membres vendent les billets, servent le maïs éclaté et veillent à présenter les films sur grand écran dans le respect de l’intention des créateurs.
Nous ne sommes pas directement assujettis aux lois qui font l’objet de cet examen, mais nos membres ont des intérêts directs dans toute modernisation des lois touchant la radiodiffusion et les télécommunications, car les changements qui se produisent dans ce secteur ont des effets directs sur les salles de cinéma.
Je vais vous donner rapidement de l’information sur nos membres. Premièrement, les exploitants louent les films auprès des distributeurs. Nous avons les producteurs, les distributeurs et les exploitants à la fin de la chaîne. Ils gardent moins de 50 p. 100 du prix de tout billet vendu, et ils n’ont pas de contrôle sur le produit qui est projeté. Le PDG de Cineplex vous dira que nous servons le repas, mais que nous ne faisons pas cuire le steak. Cela décrit le rôle des exploitants, dans la chaîne.
Nous formons un des secteurs de l’industrie du cinéma, et nous sommes à 80 p. 100 des propriétés canadiennes, ce qui inclut les entreprises familiales, autant dans les grands centres que dans les petites villes.
Nous employons des dizaines de milliers de Canadiens. Nous sommes un des principaux secteurs où les gens trouvent leur premier emploi. Comme c’est le cas de toutes les entreprises, les exploitants sont très sensibles aux coûts et ne sont pas à l’abri des perturbations qui touchent le secteur du détail en général, et le secteur du divertissement en particulier.
En tant qu’industrie, les exploitants font face à d’énormes perturbations touchant un modèle d’affaire bien établi. J’ai lu les transcriptions, et je sais que cela a fait l’objet de beaucoup de discussions devant ce comité.
Comme Téléfilm l’a souligné dans une étude réalisée en 2016, les deux tiers des Canadiens vont aller de temps en temps au cinéma au cours d’une année, mais ils choisissent de plus en plus les options de visionnement en continu. Avant qu’on me pose la question, je vais admettre que, oui, j’ai un compte Netflix. Nous sommes des cinéphiles, et c’est le cas aussi de bon nombre de nos membres.
Je crois qu’en prévision de certaines questions auxquelles je m’attends, je devrais dire que les exploitants sont des propriétaires d’entreprises qui possèdent des immeubles, emploient des Canadiens directement, et nous faisons d’importants investissements concrets dans nos collectivités locales.
Franchement, l’enjeu pour tout fournisseur de services offerts à l’extérieur du foyer, c’est de persuader les Canadiens de sortir de chez eux. C’est la raison pour laquelle des exploitants de cinémas investissent afin d’améliorer leurs installations et ainsi d’offrir des options de cinéma VIP et des formes différentes de contenu, du cinéma non traditionnel, des événements de sport électronique, des opéras diffusés en direct, du théâtre, des événements sportifs, et ainsi de suite.
Nos concurrents sont les radiodiffuseurs traditionnels, les services de diffusion en continu et les options que le vol de contenu et le piratage rendent possibles.
Nous ne sommes pas des radiodiffuseurs ou des entreprises de télécommunication. Nous ne souhaitons pas ce genre de réglementation. Nos observations de ce soir visent à répondre au premier élément du mandat du comité, qui est d’examiner la manière dont ces trois lois favorisent la création, la production et la distribution de contenu canadien concurrentiel de qualité, tant en français qu’en anglais.
Ce que nos membres demandent est simple : que les lois à l’étude soient modifiées de manière à veiller à ce que les règles du jeu soient équitables.
Comment? Nous avons deux recommandations. Premièrement, donner au CRTC les outils qu’il lui faut pour s’attaquer au piratage ici même et à l’étranger. Deuxièmement, résoudre la question de la diffusion en continu qui s’apparente à la radiodiffusion.
En ce qui concerne le piratage, ce que nous proposons, c’est qu’on donne au CRTC le pouvoir exprès de s’y attaquer en désactivant l’accès aux sites web s’il juge que ces sites s’adonnent manifestement, structurellement ou principalement au vol de contenu. Cela peut se faire par l’intermédiaire d’un organisme indépendant qui rend des comptes à un tribunal, du moment qu’il a le pouvoir d’agir rapidement.
Cette proposition n’est pas nouvelle, mais elle découle d’un consensus sans précédent. La coalition Franc-Jeu, qui a proposé cela et qui continue de le préconiser devant divers comités sur la Colline — la semaine passée, encore —, rassemble des artistes, créateurs de contenus, syndicats, guildes, producteurs, interprètes, radiodiffuseurs, distributeurs et exploitants.
Dans la Loi sur les télécommunications en particulier, l’article 36 donne au CRTC le pouvoir d’autoriser les FSI à bloquer l’accès à un site web, mais pas le pouvoir de les obliger à le faire. D’après nous, il faudrait que ce soit modifié par l’ajout d’un paragraphe donnant au CRTC le pouvoir d’exiger de tous les FSI qu’ils désactivent l’accès à des sites web s’adonnant manifestement, structurellement ou principalement au piratage.
Il existe de tels régimes dans 42 pays du monde, notamment au Royaume-Uni et en Australie. D’après nous, le CRTC devrait avoir le même pouvoir.
Certains témoins ont soulevé, devant le comité, des préoccupations relatives à la neutralité d’Internet. Il est important que le comité se penche sur les limites de ce concept et sur son sens réel. Il y a du contenu pour lequel nous avons convenu, en tant que société, de ne pas être neutres, et auquel le concept de la neutralité d’Internet ne s’applique pas.
La propagande haineuse, la pornographie juvénile et le piratage sont des formes de contenu interdit en vertu des dispositions du Code criminel. Il faut donner aux organismes de réglementation le pouvoir et les outils pratiques nécessaires pour réagir efficacement au contenu illégal. Ce faisant, on appuie et on protège la croissance et le développement de contenu canadien de qualité. On protège aussi de cette façon les personnes qui investissent dans ce contenu.
Concernant le deuxième point, celui de la diffusion en continu s’apparentant à la radiodiffusion, j’ai parlé de ce que nous voyons comme étant de la concurrence injuste, par rapport au piratage. Il y a d’autres sources étrangères de contenu qui profitent de l’accès au marché canadien sans aucune obligation d’y investir. Certains ne paient même pas de taxes au Canada.
Je vais vous citer l’ancien président du CRTC, qui est venu témoigner il y a quelques semaines. Voici ce qu’il a dit, en gros :
[...] je n’arrive vraiment pas à comprendre. Si vous vous abonnez à Netflix, vous ne payez pas la TVH. Si vous vous abonnez à CraveTV, qui est la version canadienne, vous payez cette taxe. Que faisons-nous exactement? Nous avons une politique culturelle en faveur de la production canadienne, mais nous exerçons une discrimination contre les distributeurs canadiens en faveur de distributeurs américains.
Je signale que Cineplex, une entreprise canadienne, exploite un service de location et d’achat en ligne et qu’elle perçoit la TVH sur ses transactions.
Personne ici ne sera surpris d’entendre que les exploitants de cinémas souhaitent des règles uniformes pour les distributeurs de contenu comme Netflix. Plus précisément, il devrait y avoir un régime uniforme pour les entreprises qui offrent des services aux Canadiens et qui tirent profit de leur accès au marché canadien.
À cet égard, si un service de diffusion en continu mène des activités au Canada et fournit des services aux clients de détail, cette entité devrait être tenue de faire rapport comme une entreprise canadienne et assumer, en matière de financement et d’impôt, des obligations équivalentes à celles de ses concurrents du domaine de la radiodiffusion, en particulier pour ce qui touche au soutien au cinéma canadien.
Je suis sûr que plus vous entendrez des témoins de l’industrie, plus les visions de ce que représentent des règles du jeu équitables vont varier. La vision que je vous ai présentée vient du balcon du cinéma.
Au nom de nos membres, je vous remercie de nous avoir invités. Je serai ravi de répondre à toutes les questions, monsieur le président.
Monica Auer, directrice générale, Forum for Research and Policy in Communications : Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître.
Le FRPC est une société sans but lucratif qui fait de la recherche et de l’analyse des politiques dans le domaine des communications. Nos recherches et nos présentations publiques sont en ligne sur FRPC.net.
En général, le forum estime que les problèmes des systèmes de communication au Canada sont principalement liés aux coûts, au contenu et à la gouvernance.
Pour de nombreuses familles, les téléphones cellulaires et Internet sont devenus des services essentiels. Des avertissements de temps violent envoyés aux téléphones cellulaires ont sauvé des vies à Ottawa, quand six tornades ont frappé la région en septembre.
Cependant, sans réglementation par le CRTC ou le marché, les prix de ces services pour les familles canadiennes et l’économie sont trop élevés, en particulier dans les régions rurales et dans le Nord.
Quant au contenu, 50 ans après la création du CRTC, l’essentiel des émissions diffusées vient de l’étranger. Selon la réglementation du CRTC, seulement un tiers du contenu diffusé par la radio privée, de la musique et des émissions des services facultatifs de télévision doit être canadien. De plus, en 2017, le CRTC a abaissé les exigences en matière de contenu canadien pour les stations de télévision privées, les faisant passer de 55 p. 100 à 17 p. 100.
Sous la surveillance du CRTC, les stations de télévision privées ont réduit les sommes consacrées aux émissions dramatiques canadiennes de 93 millions de dollars en 2003 à 41 millions de dollars en 2017.
En ce qui concerne les services de programmation en ligne, l’ordonnance d’exemption relative aux médias numériques qui remonte à 20 ans signifie l’absence complète de règles, même pour la collecte de données, et moins encore pour ce qui est de veiller à ce que des émissions canadiennes soient offertes, et qu’elles soient repérables et recommandées.
Certains de ces problèmes découlent de problèmes de gouvernance. D’abord et avant tout, il manque au CRTC une orientation et la capacité d’exercer une surveillance efficace. Des 40 objectifs de la politique cités dans la Loi sur la radiodiffusion, il n’y en a que 5 qui sont obligatoires, et aucun des 10 objectifs de la politique qui sont énoncés dans la Loi sur les télécommunications n’est obligatoire.
Le CRTC publie très peu de données montrant que ces objectifs sont atteints. Quand il a déréglementé les tarifs de base du câble vers la fin des années 1990, par exemple, il a tout simplement cessé de recueillir des données sur les frais de câblodistribution, ce qui empêche l’évaluation de l’abordabilité du câble.
À cause du pouvoir discrétionnaire accordé par la loi au CRTC, les cours ne peuvent rien faire. Le manque de données nuit au Parlement.
Il y a un deuxième problème critique, et c’est que les lois actuelles n’obligent pas le CRTC à faire passer l’intérêt public en premier. C’est peut-être ce qui explique que le CRTC semble souvent se préoccuper davantage de la situation financière des sociétés réglementées que des coûts que les abonnés doivent payer.
Pour ce qui est du contenu, le CRTC a affirmé que les nouvelles sont essentielles à la démocratie. Pourtant, quand Rogers a annulé les nouvelles locales canadiennes dans ses stations de télévision ethniques cinq mois avant les élections fédérales de 2015, le CRTC a attendu à 2016 pour annoncer qu’il n’agirait pas.
Sa politique Parlons télé a affaibli toutes les nouvelles locales télévisées en redéfinissant le concept des nouvelles de sorte qu’il englobe les émissions-débats et les documentaires.
Quels intérêts le CRTC fera-t-il passer en premier, donc, s’il se retrouve devant une nouvelle crise — si des radiodiffuseurs ferment des stations, par exemple?
Le forum suggère que les systèmes de communication du Canada soient lancés sur une nouvelle voie, et ce, en trois étapes. À court terme, le gouverneur en conseil devrait revoir l’orientation donnée il y a 20 ans concernant la propriété étrangère, de sorte que le CRTC puisse autoriser l’exploitation par des entreprises étrangères de services de programmation en ligne et fixer des contributions appropriées au système de radiodiffusion du pays. Tant que l’orientation ne sera pas modifiée, le CRTC ne pourra pas revoir son ordonnance dépassée et discriminatoire d’exemption relative aux médias numériques; il ne peut même pas recueillir de données auprès de ces services.
À moyen terme, le forum estime que le Parlement devrait modifier la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’obliger les plateformes de programmation étrangère à payer les taxes de vente sur les abonnements canadiens et afin d’éliminer la déductibilité de la publicité étrangère sur Internet.
À long terme, disons d’ici 2024, le Parlement devrait modifier ses lois sur les communications en axant ses objectifs de politique sur des cibles mesurables et obligatoires qui servent l’intérêt public. Il devrait aussi exiger la collecte et la publication de données pertinentes sur ses cibles et exiger des processus de prise de décisions transparents de la part des organismes de réglementation.
En conclusion, monsieur le président, honorables sénateurs, notre message clé d’aujourd’hui, c’est que si le Parlement n’agit pas rapidement, les Canadiens pourraient très bien perdre le contrôle de leurs systèmes de communication. En l’absence de nouvelles professionnelles et d’histoires créées par et pour les Canadiens, quelles valeurs nos enfants vont-ils adopter? Qu’est-ce que le monde saura du Canada?
En adoptant des mesures législatives conçues pour le XXIe siècle, le Parlement veillera à ce que le Canada conserve sa souveraineté culturelle, favorisera de nouvelles sources de revenus et raffermira l’image de marque mondiale du Canada. Merci infiniment.
Le président : Merci.
Madame Pilon, nous vous écoutons.
[Français]
Carol Ann Pilon, directrice générale, Alliance des producteurs francophones du Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs, nous vous remercions de nous recevoir.
Nous croyons que le principe fondamental autour duquel doit s’articuler la réforme de la Loi sur la radiodiffusion est celui que le CRTC a annoncé dans son rapport sur l’avenir de la distribution de la programmation au Canada, et je cite :
[...] que tous les acteurs qui profitent du Canada et des Canadiens s’impliquent de façon appropriée et équitable — sans nécessairement être identique — pour profiter aux Canadiens et au Canada.
Pour ce faire, les modifications législatives apportées devront clairement et explicitement assujettir à la législation et intégrer dans le système de la radiodiffusion tout service audio ou vidéo offert en sol canadien ou percevant des revenus de la part de Canadiens. Cela devrait s’appliquer aux services traditionnels ou nouveaux, qu’ils soient canadiens ou non.
De plus, toute loi, nouvelle ou révisée, devra être fondée sur le principe qu’il faut s’assurer que les Canadiens ont toujours accès à du contenu audio et vidéo de haute qualité créé pour et par des Canadiens, ainsi qu’au meilleur contenu à l’échelle mondiale, à partir de n’importe quelle plateforme, appareil ou technologie qu’ils souhaitent utiliser.
On pourrait discuter longuement des modalités de mise en œuvre de ces principes, et peut-être que nous pourrons le faire lors de la période des questions, mais comme le temps alloué à cette présentation est limité, nous nous concentrerons sur certains aspects qui touchent plus directement nos membres et les communautés dont ils sont issus.
Comme vous le savez, l’APFC est la porte-parole du secteur de l’audiovisuel et de la production en francophonie et regroupe des producteurs indépendants francophones de toutes les régions du Canada hors Québec.
Nous souhaitons que la nouvelle Loi sur la radiodiffusion affirme beaucoup plus clairement qu’elle ne le fait actuellement que, par sa programmation, le système canadien de radiodiffusion doit être, de façon notable, à la fois un lieu d’expression pour les producteurs, créateurs et artistes des communautés de langue officielle en situation minoritaire et un lieu de réflexion de la situation, des aspirations et des réalisations de ces communautés. Nous souhaitons également que les CLOSM soient représentés au sein de l’instance de régulation de ce système, soit le CRTC.
Pour ce faire, nous vous soumettons une série de suggestions concrètes qui pourraient être mises en œuvre et que votre comité pourrait recommander.
La première suggestion serait l’ajout de deux conseillers nationaux au CRTC. La loi sur le CRTC prévoit que le conseil peut être formé d’au plus 13 membres. Il y a quelques années, pour des motifs d’économie budgétaire, le gouvernement a décidé de ne nommer que neuf membres : un président, deux vice-présidents, l’un pour la radiodiffusion et l’autre pour les télécommunications, et six conseillers représentant chacun une province ou un groupe de provinces et de territoires. Cette situation a créé un déficit de représentants francophones au sein du conseil, qui a obligé ce dernier, en 2015, à reporter, à quelques jours de l’audience, un processus de révision de la réglementation de la radio commerciale de langue française, faute d’un nombre suffisant de membres francophones pouvant constituer un groupe, à la suite de la démission du vice-président de langue française, M. Pentefountas. Le processus a été relancé en 2016 et n’a toujours pas pu être mené à terme. Le conseil a finalement décidé de l’inclure dans un processus plus vaste englobant la radio de langue française et de langue anglaise.
De plus, dans la structure actuelle du conseil, les CLOSM ont peu de chances d’être représentées; les conseillers représentant des provinces ou régions majoritairement anglophones sont généralement de langue anglaise, et le représentant du Québec est généralement francophone.
Nous invitons donc le Comité sénatorial permanent des transports et des communications à recommander que soient ajoutés statutairement à la composition du CRTC un conseiller national représentant les communautés francophones hors Québec et un conseiller national représentant les communautés anglophones du Québec. Ainsi, ces représentants pourront prendre part à l’élaboration des règlements et des politiques du conseil, de même qu’aux délibérations concernant les demandes soumises par différentes catégories d’entreprises de radiodiffusion.
La deuxième suggestion serait d’inscrire la réponse aux besoins des CLOSM au nombre des objectifs poursuivis par l’ensemble du système. Au titre des objectifs que doit poursuivre l’ensemble du système de radiodiffusion, la Politique canadienne de radiodiffusion mentionne le reflet de la dualité linguistique, mais pas les CLOSM. L’objectif de refléter la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l’une ou l’autre langue, est assigné exclusivement à la Société Radio-Canada. Nous souhaitons évidemment que Radio-Canada continue de poursuivre cet objectif et qu’elle puisse disposer, pour ce faire, d’un financement basé sur des critères objectifs par habitant, par exemple, plutôt que sur des critères discrétionnaires et variables.
Nous sommes convaincus que cet important objectif ne pourrait être atteint si sa mise en œuvre incombe uniquement au diffuseur public national, surtout dans l’environnement éclaté et multi-plateforme actuel. C’est le système canadien de radiodiffusion dans son ensemble qui doit contribuer à l’atteinte de cet objectif. Nous invitons donc le Comité sénatorial permanent des transports et des communications à recommander que cet objectif soit également inscrit au nombre de ceux que doit poursuivre le système canadien de radiodiffusion à l’alinéa 3(1)d) ou à l’alinéa 3(1)i). Un tel changement conforterait le statut de distribution obligatoire au service de base, en vertu de l’alinéa 9(1)h) de la loi, de services comme TV5 et Unis TV qui jouent un rôle important, tant en matière de soutien à la création que de réflexion de la situation des communautés francophones à l’extérieur du Québec.
Notre troisième suggestion serait de faire une référence explicite aux producteurs indépendants issus des CLOSM. Le sous-alinéa 3(1)i)(iv) indique que la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait faire appel de façon notable aux producteurs canadiens indépendants. C’est là une disposition fondamentale pour toutes les associations de producteurs indépendants canadiens et pour tous ceux qu’ils emploient : scénaristes, réalisateurs, artistes-interprètes, techniciens, scénographes, musiciens, et cetera. Encore une fois, cet article omet de mentionner les producteurs indépendants issus des CLOSM qui permettent à tous les créateurs et artistes de ces communautés de s’exprimer et de faire entendre leurs voix.
C’est pourquoi nous invitons le Comité sénatorial permanent des transports et des communications à recommander que soit ajouté le passage suivant à la fin de cet alinéa : « y compris les producteurs œuvrant au sein des communautés de langue officielle en situation minoritaire ».
Nous sommes convaincus que ces quelques modifications très concrètes et très simples à mettre en œuvre auraient des répercussions extrêmement positives pour les communautés dont nos membres sont issus et concorderaient parfaitement avec les objectifs que poursuit la Loi sur les langues officielles.
En terminant, nous voudrions insister sur l’importance de l’accès à Internet haute vitesse et large bande pour certaines des communautés que nous desservons et qui sont souvent des communautés rurales. L’un des objectifs fondamentaux que doivent poursuivre les révisions législatives en cours devrait être de veiller à ce que tous les Canadiens aient accès à une infrastructure de communication qui soit performante et à la fine pointe de la technologie.
Nous vous remercions de votre attention, et nous sommes disposés à répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci, madame Pilon.
J’ai une question pour vous, monsieur Paris. Vous avez mentionné la TVH. Comment Netflix fait-elle pour ne pas avoir à la payer? Elle a une société canadienne, n’est-ce pas? Il y a des produits différents sur la plateforme canadienne, par rapport à la plateforme américaine de Netflix.
M. Paris : Je crois qu’il y a une réponse d’ordre juridique à cette question, mais je ne l’ai pas.
Je suis sûr que les gens de Netflix peuvent vous le dire. Je crois que c’est fonction de l’endroit où le service se trouve et où il est reçu, et de la question de savoir si c’est effectivement une société extérieure qui le reçoit. L’endroit où le service est payé et où il est reçu est un facteur qui sert à déterminer si la TVH s’applique.
Le président : Je suis abonné, et ils ont une carte de crédit et y appliquent les frais. S’ils le font aux États-Unis, ils n’ont pas à la payer. Il faudrait qu’ils le fassent au Canada pour percevoir la TVH?
M. Paris : C’est ainsi que je comprends très superficiellement la chose.
Mme Pilon : J’ai peut-être une réponse pour vous.
La société qui exploite au Canada produit. La société qui a été établie au Canada l’année passée avec l’annonce du nouvel investissement, c’est le côté production de la société. La distribution du contenu se fait aux États-Unis. Par conséquent, comme les autres services en ligne et fournisseurs de biens et de services, ils ne sont pas requis de percevoir la TVH.
Le président : Monsieur Paris, vous pourriez nous parler des produits piratés. Où sont diffusés les produits piratés? Est-ce que les gens y ont accès par Internet? Est-ce de cela que vous parlez? Je suis nouveau sur YouTube. J’ai commencé à remarquer qu’ils ont des produits piratés là-dessus. Ils doivent être les plus gros voleurs en Amérique du Nord, concernant les films. C’est évident que les gens font des films dans le cinéma à l’aide d’une caméra. Vous pouvez avoir accès à des films qui sont manifestement piratés.
M. Paris : Je vais limiter mes observations au piratage que la coalition Franc-Jeu cible. YouTube jouit de diverses protections refuges aux États-Unis. Il s’agit de dispositions visant la notification et le retrait selon lesquelles les détenteurs de droits peuvent exercer leur pouvoir de faire retirer du contenu. Sur YouTube, c’est un peu comme le jeu où l’on frappe sur une taupe, et il en surgit une autre.
Quand j’ai parlé de piratage, dans mon exposé, ce n’est pas tant de l’utilisation non autorisée de contenu sur YouTube. Je vais vous donner un exemple. Il existe des boîtiers de décodage de la grosseur d’une rondelle de hockey que vous pouvez acheter à la station-service du coin et qui sont pleins de logiciels. On les appelle Kodi. Ces appareils donnent accès à des dispositifs qui permettent que des casiers numériques à l’étranger donnent accès à des films, des émissions de télévision et des émissions en direct.
Le président : Pouvez-vous avoir le câble?
M. Paris : Dans certains cas, oui, le piratage de la télévision est réel. Ces appareils donnent accès à des sources de diffusion purement illégales. Elles se trouvent à l’étranger, hors de la portée des tribunaux canadiens. C’est le véritable rival auquel nous devons faire face — les services de diffusion en continu légitimes et les salles de cinéma.
Monsieur et Madame Tout-le-monde se le demandent : « Est-ce que je peux avoir ce produit gratuitement? Est-ce que je peux avoir un accès gratuit et sans restriction à ce contenu moyennant un montant unique? Pourquoi devrais-je payer pour un abonnement au câble? Pourquoi devrais-je payer pour un billet de cinéma? Pourquoi devrais-je payer pour la location ou l’achat d’un service de diffusion en continu légitime, si je peux obtenir ce que je veux pour bien moins cher? »
Le président : Est-ce que les gens le font parce que c’est trop cher?
M. Paris : Je ne sais pas si c’est trop cher. Le piratage est sans équivoque une solution moins chère — c’est gratuit.
Le président : C’est la conclusion que j’en tire.
M. Paris : C’est mieux quand c’est gratuit.
Le président : Pas toujours. L’industrie de la musique a traversé toute une révolution à partir des années 2000 environ. Les pirates volaient et échangeaient des chansons. Les gens s’en échangeaient entre eux. Puis, peu à peu, Amazon et Apple se sont rendu compte que les gens voulaient pouvoir acheter des chansons sur Internet; je pense que cela a réglé le problème.
M. Paris : Les deux formes de médias sont différents. L’industrie de la musique a réussi à créer un meilleur mécanisme. Grâce à des services comme Spotify et d’autres similaires, elle a réussi à légitimer un accès payant à un univers de contenu. On voit cela également dans l’industrie du cinéma et de la télévision, comme en témoignent CraveTV et Netflix. Toutefois, les sommes nécessaires pour produire un film sont très différentes de celles nécessaires pour produire une chanson.
Les niveaux d’investissements, les ressources humaines et les capitaux nécessaires pour créer ces produits culturels varient beaucoup. Les risques sont différents.
Le président : Merci.
Le sénateur Dawson : Pour vous donner mon humble avis au sujet de Netflix, le précédent gouvernement tout comme le présent n’ont rien demandé à Netflix. Ils ont tous les deux décidé de ne pas avoir une taxe Netflix. Il y a des problèmes administratifs, j’en conviens, mais ils ont eu tort, selon moi, de ne pas taxer Netflix, quand CraveTV et une panoplie d’autres produits le sont.
Si nous n’avons pas de taxe Netflix, c’est parce que les deux gouvernements, dûment élus, ont pris la décision politique, même si je ne suis pas d’accord avec eux, de ne pas le faire. Ce n’est pas parce que c’est compliqué. Tout peut être taxé, croyez-moi, on taxe déjà beaucoup de choses.
Au Québec, l’ancien gouvernement avait décidé de taxer Netflix et s’employait à mettre en place un système pour le faire. Netflix, pour être honnête, n’a jamais tenté de s’y soustraire. Ce n’est pas l’entreprise qui paie la taxe, mais bien les consommateurs. Le sénateur Tkachuk paiera une taxe sur Netflix parce qu’il utilise Netflix. On parle de la taxe Netflix, mais en fait, ce sera la taxe du sénateur Tkachuk, parce que c’est lui qui la paiera.
Les deux gouvernements ont décidé de ne pas taxer Netflix. Je voulais apporter cette précision. La clarification est importante parce que c’est une décision politique qui a été prise par deux gouvernements consécutifs.
Le président : Amazon taxe-t-elle les produits qu’elle vend?
Le sénateur Dawson : Nous pouvons les taxer également. Nous ne leur avons tout simplement pas demander de le faire.
Le président : Amazon n’est pas taxé également.
Le sénateur Dawson : Le précédent gouvernement tout comme le présent ont eu peur que ces deux entreprises disent : « Oh mon Dieu, vous imposez une taxe. » Peu importe, c’était un commentaire politique. Ce n’était pas une question.
Qu’en est-il de Cineplex? Quelle est la part contrôlée par les gros joueurs par rapport aux nombreuses petites entreprises?
M. Paris : Je crois que la part de marché de Cineplex est de l’ordre de 80 p. 100. Pour que tout soit bien clair, je suis ici au nom de l’Association des cinémas au Canada, et je travaille également pour Cineplex. Je suis heureux de répondre à votre question.
Le sénateur Dawson : Je voulais avoir cette précision.
M. Paris : Pour répondre très brièvement au sujet de la taxe, j’ajouterais que certaines municipalités et provinces imposent depuis longtemps des taxes spéciales sur les divertissements aux cinémas, et que c’est encore le cas aujourd’hui, en Saskatchewan, notamment.
L’exploitant d’un cinéma, selon l’endroit où il se trouve, est assujetti à toute une série de taxes.
Le sénateur Dawson : Qu’en est-il du Fonds des médias du Canada? Vous avez parlé de 40 millions de dépenses dans les émissions dramatiques.
Mme Auer : Il s’agit des dépenses des radiodiffuseurs dans les émissions de télévision. Cela pourrait comprendre des fonds provenant du Fonds des médias du Canada. Je vous ai fourni cette information simplement pour vous montrer que si les productions étrangères au Canada ont connu une solide augmentation au cours de la dernière décennie, les émissions dramatiques canadiennes, elles, ont chuté. L’information nous renseigne sur les dépenses des radiodiffuseurs privés.
Le sénateur Dawson : Mais la production au Canada a bel et bien augmenté du cours des années?
Mme Auer : Cela comprend beaucoup d’émissions étrangères. La production d’émissions dramatiques étrangères n’a pas augmenté.
Le CRTC ne publie pas le nombre d’heures d’émissions dramatiques originales qui sont diffusées chaque année, même s’il collige l’information, et c’est l’une des limites dont j’ai parlé un peu plus tôt au sujet de l’absence de données. Le CRTC a ces données, mais il ne les publie pas. Nous ne savons pas où va l’argent et ce qu’il permet d’accomplir.
Le sénateur Dawson : Un dernier commentaire.
[Français]
Je voudrais m’excuser auprès de Mme Pilon; deux sénateurs membres de notre comité sont très actifs dans la défense des intérêts des francophones hors Québec, mais ils sont absents, car ils sont aussi membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles qui tient actuellement des réunions à l’extérieur de la ville. Nous comptons bien sûr une toute nouvelle sénatrice qui, j’en suis certain, défendra vos intérêts tout à l’heure, mais je tenais simplement à préciser que la raison pour laquelle ces sénateurs sont absents est qu’ils sont en train de défendre vos intérêts devant un autre auditoire.
Mme Pilon : Je vous remercie; ils nous avaient effectivement avisés de cela.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Merci d’être avec nous. J’en suis heureux.
Monsieur Paris, vous avez parlé de la possibilité de bloquer le piratage. Comment pouvons-nous procéder et à quel coût?
M. Paris : Des régimes de ce genre existent dans plus de 40 pays sur la planète. FairPlay a proposé une solution — et je ne dis surtout pas qu’il n’y a qu’une façon de s’y prendre —, mais il y a différents points de vue et certains pensent que cela pourrait mener à la censure et on s’interroge sur les règles. La proposition consistait à mettre sur pied un organisme indépendant, régi par le CRTC, qui entendrait les demandes. Un peu comme lorsque quelqu’un veut obtenir une injonction auprès d’un tribunal ordinaire, il faudrait établir la preuve qu’un site étranger possède une structure qui fait en sorte qu’il se livre au piratage et au vol de contenu. Un organisme indépendant examinerait la situation, puis, si les preuves étaient suffisantes, le CRTC rendrait une ordonnance pour intimer aux fournisseurs de services Internet de bloquer l’accès au site web concerné.
Les fournisseurs de services Internet, sous la gouvernance du CRTC, pourraient alors appliquer l’ordonnance.
Le sénateur Mercer : La deuxième partie de ma question portait sur le coût.
M. Paris : Les frais, si j’ai bien compris la proposition, seraient à la charge des demandeurs, soit les gens qui veulent que l’accès à un site particulier soit bloqué.
Le sénateur Mercer : J’utilise aussi Netflix. Il semble qu’il faille s’en confesser avant de poser une question sur Netflix.
Si on taxait Netflix et d’autres fournisseurs, serait-ce une bonne chose de dire que l’argent récolté doit être réinvesti dans l’industrie qui offre des services aux Canadiens?
M. Paris : Je sais que les radiodiffuseurs sont réglementés et doivent contribuer entre autres au Fonds des médias du Canada. Ce n’est pas l’objet de ma proposition aujourd’hui. Notre proposition est assez limitée, en ce sens que nous voulons des règles équitables. Nous pensons qu’il est injuste que, pour exploiter un service de diffusion en continu au Canada, il faille percevoir et verser la taxe de vente, alors que les services étrangers n’ont pas à assumer ce fardeau, sans parler du fardeau réglementaire.
Mme Pilon : Je pense qu’il y a différentes façons d’y arriver. Quand on parle d’une taxe de vente, l’idée est d’avoir des règles équitables. Il est injuste que les entreprises canadiennes qui offrent des services par contournement aient à exiger la taxe de vente aux consommateurs, alors que les entreprises étrangères n’ont pas à le faire. La concurrence est alors déloyale.
Tous les autres éléments du système qui profitent de l’offre de contenu aux Canadiens...
[Français]
— ne sont pas obligés de verser une partie de leurs revenus dans un système qui soutient le contenu canadien comme les distributeurs canadiens doivent le faire. Ces exigences n’existent pas pour les services étrangers. On appelle cela une redevance. C’est une forme de taxation sur les profits, les revenus que font ces entreprises pour profiter d’un système et accéder à des consommateurs canadiens en leur vendant des services.
[Traduction]
Mme Auer : Du côté de la radiodiffusion, ce sont les entreprises de diffusion par câble et par satellite qui sont les distributeurs du contenu de la programmation et qui contribuent au Fonds des médias du Canada. Les radiodiffuseurs étant la télévision, les entreprises de programmation peuvent donc faire une demande de fonds.
Cela veut dire que le système demande aux distributeurs, en particulier, de contribuer au système. Dans le cas des radiodiffuseurs privés et bien sûr, de Radio-Canada, qui a son propre mandat, il n’y a pas de conditions de licence du CRTC d’appuyer le contenu canadien.
Le sénateur Mercer : On a suggéré un peu plus tôt de donner plus de pouvoir au CRTC. Cela m’inquiète un peu de voir un organisme devenir omniprésent dans une industrie. Il faut éviter de donner trop de pouvoir à un organisme. Monsieur le président, il s’agit d’un commentaire et non pas d’une question.
Le président : C’est un bon commentaire.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Paris. Est-ce que les abonnés américains de Netflix paient une taxe sur leur abonnement?
[Traduction]
M. Paris : Je vais m’en remettre à mes collègues. Je ne peux pas me prononcer sur la situation aux États-Unis.
[Français]
Michel Houle, consultant, Industries culturelles et communications, Alliance des producteurs francophones du Canada : Dans le cas du modèle américain, cela dépend des États. Les États imposent la taxe, mais pas le système fédéral. En général, les taxes à la consommation reviennent aux États plus qu’au gouvernement fédéral.
Le sénateur Boisvenu : Je comprends que, sur ce produit américain, on taxe les Américains, mais pas les Canadiens.
Monsieur Paris, les clients de votre cinéma, lorsqu’ils achètent un billet, paient-ils une taxe?
[Traduction]
M. Paris : Oui, ils paient une TVH, tout à fait.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Lorsque vous regardez un film sur Netflix, vous ne payez pas de redevance à l’État, mais dans un cinéma, vous en payez, est-ce exact?
[Traduction]
M. Paris : Comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, dans certains cas, il faut payer plus d’une taxe. À Regina, par exemple, on paie une taxe municipale sur les divertissements. Dans ce cas particulier, on paie la taxe de vente fédérale en plus de la taxe sur les divertissements. En Ontario, on paie la TVH et en temps normal dans presque toutes les autres provinces, on paie une taxe de vente.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Cette décision de ne pas taxer Netflix est-elle plutôt déloyale par rapport à votre industrie?
[Traduction]
M. Paris : C’est exactement ce que je dis.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai une autre question, madame Auer. Plus tôt, vous avez parlé des coûts. Je suis toujours surpris des coûts liés à Internet. Ma facture à Montréal est de 160 $ par mois, et ma facture d’électricité, pour chauffer ma maison et mon eau, est de 120 $. Pour des biens de base comme l’électricité, ça nous coûte moins cher qu’un bien que je vais appeler « de loisir », quoiqu’Internet soit devenu un bien de base maintenant. On paie plus cher pour Internet que pour l’électricité.
[Traduction]
Mme Auer : Je crois savoir que le CRTC comparaîtra devant vous bientôt. Vous pourriez en demander la raison au président.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Nous avons reçu un témoin, M. Thomson, de la Canadian Communication Systems Alliance, qui mentionnait que la principale préoccupation de leurs membres est le comportement anticoncurrentiel de ces grandes entreprises intégrées. Elles intègrent à peu près tout maintenant en raison de leur position dominante sur le marché. Un tel comportement anticoncurrentiel peut limiter les moyens de communication offerts, et contrecarrer la concurrence et l’innovation. C’est particulier au Canada. En Europe, il y a une espèce de décloisonnement, comme aux États-Unis. Ce manque de concurrence est particulier au Canada. À ce chapitre, le gouvernement ne manque-t-il pas de leadership en négligeant d’ouvrir le marché, surtout dans le domaine rural où il y a encore des zones, comme au Québec, qui n’ont pas accès à Internet? Ces gens n’ont donc pas accès à Netflix.
[Traduction]
Mme Auer : Selon la théorie du CRTC qui remonte au début des années 1990, la consolidation de la propriété, en particulier pour la télévision, mais aussi pour le câble, allait permettre à de gros joueurs de bonifier le système.
J’ai déjà travaillé au CRTC.
J’ai mené une étude à ce moment. En 1968, il y avait 68 chaînes de télévision au Canada et 66 propriétaires. Nous avons maintenant environ 93 chaînes et 15 propriétaires. Il y a une très forte concentration. Je n’ai pas inclus les renseignements sur les revenus, mais je serais heureuse de le faire. Dans le domaine des télécommunications et de la radiodiffusion, les trois principaux joueurs engrangent plus des trois quarts de la totalité des revenus.
Nous sommes loin d’un marché concurrentiel. Je peux l’affirmer, car mon père était économiste. J’ai grandi avec les idées d’Adam Smith. Adam Smith prônait une économie où il y avait beaucoup de concurrents et beaucoup d’acheteurs. Ce que nous avons, c’est peu de concurrents et beaucoup d’acheteurs.
Le problème du CRTC, c’est que personne ne lui a demandé de définir ce qu’on entendait par « concurrence ». Les concurrents sont très peu nombreux et ils travaillent très fort pour faire plus d’argent. Cela les rend-il concurrentiels? Je ne pense pas, car les prix montent. J’ai mentionné dans mon exposé que lorsque le CRTC a cessé de réglementer les tarifs de base pour le câble, il a cessé de recueillir des données à ce sujet. C’est incroyable, on a recueilli l’information, mais on a littéralement jeté les données. Je le sais parce que j’ai fait une demande d’accès à l’information et je l’ai demandé. On m’a répondu qu’on ne pouvait plus me fournir l’information.
Le fait est que sans ce genre de renseignements, on ne connaît pas l’incidence de la concentration de la propriété. On ne sait pas ce qui se passe du côté des prix.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Au Québec, il y a deux compagnies : Bell et Vidéotron. Le consommateur appelle son fournisseur de services pour l’aviser que son concurrent lui offre un meilleur prix. Cette technique permet au consommateur d’obtenir un prix encore plus intéressant de la part de son fournisseur de services. Est-il normal d’utiliser une telle stratégie, en faisant croire au consommateur qu’il offre un meilleur prix et un meilleur service?
[Traduction]
Mme Auer : Il faut pour cela que les consommateurs soient très bien informés des offres sur le marché. Je mets au défi les vrais consommateurs... Aucun d’entre nous n’en est un, dans un sens; nous connaissons un peu le secteur, mais ma mère ne saurait pas quoi faire, mes enfants ne le sauraient pas, mes voisins n’en auraient aucune idée. On pense que tout le monde a la capacité et le pouvoir de négocier...
Le sénateur Dawson : Certains ne seront pas contents de vous entendre ce soir.
Mme Auer : Ils ne m’aiment pas de toute façon. Ce n’est pas une perte. Je ne me ferai pas d’amis ici.
J’imagine difficilement Bell ou Rogers se soucier assez de ma facture de 100 $ pour que je puisse négocier avec une compagnie milliardaire. Je m’insurge contre cette situation. Nous parlons d’un secteur qui a fait 44 milliards de dollars il y a deux ans. Chacun d’entre nous — les millions de Canadiens — serait donc censé exercer son pouvoir de force sur le marché, individuellement, pour les mettre au défi.
C’est pour cette raison, toutefois, que le CRTC a été créé. N’était-ce pas pour réglementer le secteur dans l’intérêt public?
Le président : Je me souviens des débuts du câble dans la ville de Nippawan, en Saskatchewan. Un groupe de gens s’étaient réunis pour former une coop. À l’aide d’un satellite, ils allaient capter l’information et la vendre. Ils souhaitaient avoir leur petite entreprise de câblodistribution, qui aurait été tout aussi bonne que n’importe quelle autre. La police l’a fait fermer.
Sommes-nous rendus ailleurs? Des gens pourraient-ils encore le faire si c’était permis? Regina possède sa propre entreprise de câblodistribution. C’est une coop. Elle leur appartient.
Mme Auer : Cela a été autorisé, si vous vous procurez une licence et que vous réussissiez à convaincre le CRTC de vous l’accorder. Le CRTC autorise ce qu’on appelle le « doublement du système de câblage », soit le fait d’avoir deux réseaux de câble qui servent la même localité.
Le problème des coops, c’est que les gens qui les ont créées à l’origine prennent un jour leur retraite, ou que les membres finissent par perdre intérêt, et elles sont rachetées. Il y a eu un cas de ce genre, l’an dernier si je me souviens bien, d’une très bonne coop locale qui a été rachetée par un des gros joueurs.
Le président : Un des gros joueurs, oui.
Mme Auer : Nous ne sommes pas rendus ailleurs, mais le problème, quand on pense au concept de la domination du marché, est de savoir qui décide. Est-ce le Parlement ou est-ce les gros joueurs qui disent que si on n’acquiesce pas à telle demande de déréglementation, 12 stations pourraient fermer le lendemain. J’entends cette menace de fermeture de stations de télévision depuis 2000, et c’est ce qui inquiète le CRTC également. S’il ne prend pas la bonne mesure, Bell fermera-t-il tout simplement des stations? Rogers a déjà beaucoup sabré dans le service.
Le président : Quelqu’un d’autre en ouvrira une.
Mme Auer : Je parle seulement des stations de télévision conventionnelles en direct. Nous avons 93 stations de télévision depuis 20 ans. Je me souviens qu’il y a eu une série de demandes à la fin des années 1990 pour ouvrir de nouvelles stations dans les grandes villes au Canada. Le CRTC a refusé. Il a indiqué vouloir des services par satellite facultatifs. Nous en avons plus de 200.
J’ai une statistique très intéressante dont je vais vous faire part: il y a deux ans, 112 services spécialisés ont fait des profits. De ce nombre 22 fonctionnaient sans employé. Ils ont fait 38 millions de dollars de profits.
Le président : J’y crois.
Mme Auer : Ce que je veux faire valoir, c’est que la loi commande la création d’emplois. Pourquoi le CRTC autorise-t-il 22 joueurs réalisant 38 millions de dollars de profits à ne pas embaucher un seul employé pour créer une seule émission?
Le président : L’idée à l’origine pour le câble, si j’ai bien compris, était d’accorder une licence aux entreprises et qu’elles investiraient ensuite dans le contenu canadien. C’était l’idée derrière cela. À l’heure actuelle, quand on regarde la télévision par câble, à moins de regarder les sports, ce n’est pas ce qui se produit.
Mme Auer : Le câble a une longue histoire au Canada. Elle remonte avant Radio-Canada. Fait intéressant, jusqu’en 1968, bien sûr, il n’était pas réglementé par le ministère des Communications, mais par, je le confesse, sans doute le ministère des Transports. L’industrie du câble ne voulait pas, si j’ai bien compris en lisant un peu sur son histoire, être réglementée comme une entreprise de télécommunication provinciale et distribuer uniquement du contenu. Elle voulait être réglementée par le CRTC. C’est ce qui a donné naissance aux chaînes communautaires. En échange, elle devait produire du contenu.
Le sénateur MacDonald : J’espère que vous n’avez pas l’impression que nous vous harcelons, madame Auer, mais je reviens à vous.
Vous avez soulevé certains points dans votre exposé...
Le président : Si quelqu’un d’autre veut commenter...
La sénatrice Miville-Dechêne : Il semble plutôt que ce soit une conversation entre les témoins et vous.
Le président : J’ai le droit de poser des questions, sénatrice.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je sais. Je dis simplement que nous n’avons pas pu poser de questions.
Le président : Nous sommes ici depuis moins d’une heure, sénatrice. Vous aurez l’occasion de poser des questions.
Le sénateur MacDonald : Vous avez parlé de la baisse, jusqu’en 2017, des dépenses des stations de télévision privées dans les émissions dramatiques qui étaient de 93 millions de dollars en 2003. Était-ce une directive du CRTC, ou était-ce la réponse à une demande des producteurs qui voulaient épargner de l’argent?
Mme Auer : Le CRTC n’a jamais demandé aux radiodiffuseurs au Canada de réduire leurs dépenses en contenu, mais il a permis que cela se produise.
Le sénateur MacDonald : Il doit y avoir une raison pour laquelle elle permettrait que cela se produise. Les producteurs ont dû soulever une plainte ou une préoccupation auprès du CRTC.
Mme Auer : Ce n’étaient pas vraiment les producteurs qui étaient en cause, c’étaient plutôt les radiodiffuseurs qui étaient intéressés à économiser. Si le Conseil réduit ses exigences, par le truchement de ses politiques ou de ses conditions de licence, il serait difficile pour une entreprise du secteur privé de dépenser plus que le CRTC demande, car l’entreprise doit à ses actionnaires de réaliser des profits.
Si le Conseil réduit ses exigences, une entreprise consciencieuse réduira ses dépenses.
Le sénateur MacDonald : Oui, mais est-ce un cas d’œuf et de poule? Lequel est venu en premier?
Mme Auer : Tout a débuté vers la fin des années 1980, lorsque le Conseil a commencé à imposer des exigences en ce qui concerne les dépenses liées à la croissance et aux revenus. C’était à l’époque où André Bureau était président. Cette politique a bien fonctionné pendant sept ans. D’excellents programmes canadiens ont été réalisés. Je suis sûre que Carol Ann peut en parler.
[Français]
Mme Pilon : Lors du dernier processus du renouvellement des grands groupes de propriété de radiodiffusion au CRTC, celui-ci a diminué les obligations liées aux dépenses consacrées aux émissions canadiennes, et le secteur en entier est monté aux barricades et a dénoncé cette diminution. Tant du côté anglophone que du côté francophone, le milieu s’est mobilisé pour demander au gouvernement, par l’entremise du gouverneur en conseil, de demander au CRTC de revoir cette décision. Il a effectivement revu cette décision en faveur du secteur de la production pour ramener les niveaux de dépenses à leur niveau initial.
[Traduction]
Mme Auer : Le défi sera de récupérer ces 50 millions de dollars. Si vous avez réduit le montant de moitié, récupérerons-nous ces dépenses au chapitre des émissions dramatiques? Ce sera difficile. Connaîtrons-nous une croissance?
[Français]
M. Houle : Dans le cadre du processus qui a amené le renouvellement par groupe, le CRTC a introduit deux types d’obligations : une obligation de dépense globale consacrée aux émissions canadiennes — n’importe quel type d’émission — et une dépense consacrée aux émissions dites « d’intérêt national » qui comprennent les dramatiques, les documentaires et les variétés. Il y a donc maintenant une double obligation imposée aux diffuseurs. Toutefois, ce qui est arrivé, c’est que lorsqu’il a établi le principe en 2010, il a dit qu’il allait fixer le pourcentage selon la moyenne historique des trois dernières années. Par exemple, si vous aviez dépensé 32 p. 100 au cours des trois dernières années, il vous faudrait dépenser 32 p. 100 pour les cinq prochaines années.
Cependant, lorsqu’il a refait l’exercice en 2015, avant le renvoi, il y a eu une diminution importante, parce que le conseil a cessé d’appliquer le principe du même pourcentage d’année en année, et il a réduit le pourcentage dans certains cas par rapport à la pratique. C’est ce qui a entraîné la plainte dont a fait état Mme Pilon tantôt et la révision du CRTC qui a suivi.
Le CRTC a augmenté non pas le pourcentage global de contenu canadien, mais les émissions d’intérêt national, qui incluent les dramatiques. Il devrait donc y avoir une augmentation dans les années à venir à cause de cette révision qui n’aurait pas eu lieu si le milieu n’avait pas fait une plainte générale au gouvernement.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Je veux revenir à ce que vous avez mentionné concernant les productions étrangères au Canada. Vous semblez faire un lien entre les productions étrangères au pays et la baisse des productions nationales.
Je suis originaire de Nouvelle-Écosse. J’ai des amis dans l’industrie cinématographique. L’industrie a été très florissante dans cette province au cours des 10, 15, 20 dernières année alors qu’on investissait 7, 15, 20 millions de dollars du coup dans la production de films à Halifax. Je pense que le coût de production est la principale raison pour laquelle on y vient. Les personnes qui arrivent surtout des États-Unis le font parce qu’elles peuvent générer des profits en réalisant leurs programmes là-bas. Il est clair que nous ne voulons pas les faire fuir à l’extérieur du pays et de la province. Ils investissent probablement plus d’argent là-bas que la SRC.
Mme Auer : Je pense que c’est super que le Canada ait connu pareille croissance dans le secteur audiovisuel et qu’il attire autant d’investissements étrangers. En fait, ce qui nous préoccupe, c’est qu’on produise plus de contenu étranger que canadien. Il n’y a pas de mal à produire du contenu étranger. La question est de savoir combien de contenu canadien nous voulons. En voulons-nous?
Le sénateur MacDonald : Qu’entendez-vous par contenu canadien? C’est la personne qui a signé le chèque qui est canadienne ou les acteurs qui le sont? Qu’est-ce qui fait que du contenu est canadien?
Mme Auer : En fait, le CRTC aurait tenu un certain nombre de processus pour essayer de formuler une définition empirique de « contenu canadien ». On a examiné divers indicateurs, par exemple, si le réalisateur, le scénariste et les principaux acteurs étaient canadiens, l’endroit où le contenu a été réalisé et, je pense aussi, l’endroit où il était produit ou édité par la suite. Il y avait entre 10 et 15 indices différents.
M. Houle : Vous devez avoir six points sur dix qui sont liés à des éléments clés de la production, à l’emplacement, au contrôle de l’entreprise. Il y a aussi le fait que les productions reflètent des situations canadiennes.
[Français]
Cela reflète les aspirations des Canadiens, et ainsi de suite. C’est ce qui définit de façon plus subjective le contenu canadien. Si vous voyez une émission qui se déroule à Halifax, qui met en scène des gens de la province et qui parle des préoccupations de ces gens, c’est différent que de tourner à Halifax une émission qui est censée se passer sur la côte Ouest américaine.
[Traduction]
La sénatrice Miville-Dechêne : Madame Auer, votre recommandation me laisse un peu perplexe.
Mme Auer : À quelle page?
La sénatrice Miville-Dechêne : Celle qui dit : « Le CRTC pourrait autoriser les opérations de services de programmation en ligne non canadiennes au Canada et fixer des contributions appropriées. »
Cela n’a pas été permis. Une des justifications à cet égard était que notre système reste canadien. J’aimerais que vous expliquez pourquoi vous pensez que c’est la façon de procéder étant donné que vous êtes assez favorable au contenu canadien et à un système de radiodiffusion canadien différent.
Comment justifiez-vous cette recommandation particulière?
Mme Auer : Je suis canadienne, alors je vais appuyer le Canada. Mes parents étaient des immigrants; ils ont choisi de venir ici, car ils voulaient vivre au Canada. Je suis donc partiale.
Un des problèmes est que nous n’arrêtons pas de parler de la façon de composer avec Netflix. Cette entreprise génère des centaines de millions de dollars de revenus par année. Très peu de radiodiffuseurs privés au Canada peuvent en dire autant. La question qu’on se pose est la suivante : si Netflix attire autant d’abonnés, s’il attire un aussi vaste auditoire, s’il fait vraiment des affaires ici et tire parti de son accès au Canada, ne devrait-il pas redonner au système comme le fait chaque radiodiffuseur privé au Canada? Il n’est pas ici question de permettre à ABC, NBC, CBS de s’établir ici, mais de quelques-uns des services très importants qui pourraient avoir la capacité d’appuyer le système de radiodiffusion. En vertu de son pouvoir d’exemption, le CRTC peut simplement exempter les gens de la radiodiffusion s’ils ne peuvent apporter de contribution matérielle au système. Netflix est suffisamment important pour faire pareille contribution et il bénéficie de sa relation avec le Canada.
Cependant, on ne peut pas régler la question parce que la direction de Netflix est sous contrôle étranger. Nous avons un système de radiodiffusion au Canada et un organisme de réglementation de la radiodiffusion. La direction lui interdit d’accorder à Netflix tout type d’autorisation de fonctionnement. Si nous voulons que cette entreprise apporte une contribution, nous devons lui donner une autorisation.
La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord, mais n’est-il pas risqué d’autoriser de nombreux exploitants à venir ici une fois que vous aurez ouvert la porte?
Mme Auer : Je pense que c’est une possibilité à laquelle nous pourrions faire face en fixant une exigence de minimis. Par exemple, nous choisissons de ne pas tenir compte de certains services susceptibles d’avoir 20 ou 1 000 abonnés. À l’heure actuelle, le CRTC a accordé une exemption à des centaines de petits câblodistributeurs qui ont très peu d’abonnés; nous pouvons faire le contraire pour les très grands systèmes.
Je pense qu’au fil du temps, si nous pouvions autoriser leurs opérations afin qu’ils puissent contribuer au système, l’autre chose que nous pourrions faire serait d’appliquer le cadre de découvrabilité qui ne vise pas seulement à s’assurer qu’il y ait du contenu qui soit canadien, mais aussi qui soit découvrable grâce à des algorithmes, et qu’il recommande de la programmation canadienne.
Mme Pilon : Si vous me le permettez : Netflix est déjà en activité ici. L’entreprise offre déjà son service au Canada.
La sénatrice Miville-Dechêne : Cela ne ferait pas de différence?
Mme Pilon : Il n’y a rien à l’heure actuelle qui les contraigne ou qui vous empêche de prendre un abonnement à Netflix.
La sénatrice Miville-Dechêne : Non, mais ils n’ont pas de licence adéquate.
Mme Pilon : Ils peuvent faire exactement ce qu’ils veulent.
Mme Auer : Parce qu’il n’y a rien qui les contraigne.
Mme Pilon : Ils ne sont pas tenus de consacrer de financement à du contenu canadien. À ce jour, ils ne sont pas tenus de présenter du contenu canadien ou même d’en montrer.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est obsolète. Vous dites que la règle est obsolète?
Mme Auer : Je dis que les temps et la technologie ont changé, de même que notre capacité d’interface.
Profitons-en. Quand on a des citrons, on fait de la limonade.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : En ce qui concerne la question des producteurs francophones, vous recommandez des améliorations, bien sûr, mais est-ce que Radio-Canada vous achète de la production? Il n’y a pas de règles, bien sûr.
Mme Pilon : Oui.
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, il y a des règles spécifiques?
Mme Pilon : Oui, parce que Radio-Canada a des conditions de licence et qu’elle doit dépenser un pourcentage de ses revenus dans les productions indépendantes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Hors Québec?
Mme Pilon : Elle amalgame les productions hors Québec et dans les régions du Québec. Elle doit dépenser 6 p. 100 de ses revenus à la production à l’extérieur de Montréal.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce suffisant?
Mme Pilon : Non. Encore là, il est difficile d’obtenir les chiffres. Dans le dernier renouvellement de Radio-Canada, le CRTC a imposé des conditions de licence un peu plus rigoureuses au radiodiffuseur public. Radio-Canada doit aussi faire rapport au CRTC de ses dépenses. Par contre, le système qu’elle utilise pour rapporter ses données est un système qu’elle a créé d’elle-même. Ce n’est pas le CRTC qui lui a fourni des formulaires. Alors, pour savoir exactement où sont les dépenses à l’interne et à l’externe, pour les productions hors Québec par rapport aux productions au Québec, et dans quelle catégorie, tout cela devient un casse-tête à démêler pour extraire cette information. On travaille étroitement avec le CRTC. En fait, on a proposé des modèles que Radio-Canada pourrait utiliser. Quand on se présente devant le CRTC, on fait figure de petit organisme — il y a un employé à l’APFC —, et vous comprendrez que les processus du CRTC sont complexes. On a demandé au CRTC de nous aider à bien faire notre travail et à bien représenter nos membres pour avoir accès à ces données de façon plus transparente.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup pour vos présentations et déclarations intéressantes. Je suis loin de ce domaine. Plus j’écoute, plus je pense qu’il est complexe et très compliqué.
Un mot qui me vient souvent à l’esprit est qu’il est obsolète, qu’il est vieux et qu’il n’est plus en phase avec ce qui se passe aujourd’hui. Nous avons trois lois — la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication — et au milieu de cela, nous avons le CRTC. Nous devons terminer par des recommandations.
Vous avez présenté les choses en termes de coûts, de contenu et de gouvernance. Nous comprenons les choses en termes de celui qui produit le contenu, de celui qui le distribue et de celui qui le diffuse et le distribue ailleurs. Compte tenu de cela, pensez-vous que ces lois devraient être intégrées ou séparées différemment? Jusqu’où devons-nous aller?
Madame Auer, vous avez dit, en terminant, « si le Parlement n’agit pas rapidement, les Canadiens pourraient très bien perdre le contrôle de leurs systèmes de communication ».
Je pense que nous avons perdu le contrôle de notre système de communication. Nous devons le réparer et remédier à la situation. De quoi pourrait-il s’agir?
Mme Auer : Merci pour cette question. Je sais que Carol Ann et Michael auront quelque chose à dire.
L’argument que j’aimerais faire valoir est que la technologie est peut-être obsolète, mais pas ce que les gens aiment faire. Les gens aiment regarder la télévision et écouter de la musique. Lorsque je dis « regarder la télévision », je veux dire regarder des écrans. Ils aiment le contenu audiovisuel. Le thème est le même; ils ont besoin d’avoir accès à du contenu. Il faut qu’il soit offert à un prix raisonnable et qu’il leur soit accessible.
La technologie a changé. Je me rappelle d’avoir regardé le premier homme marcher sur la lune sur une télévision à antenne. Maintenant, nous avons un système plus sophistiqué. La technologie a changé; cependant, il est important de se rappeler que les deux lois sont neutres sur le plan technologique. C’est l’organisme responsable des lois qui, à mon avis, empêche la prise de certaines mesures.
J’aimerais dire brièvement que, bien sûr, vous étudiez la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication, mais il y a aussi la Loi sur le CRTC en tant que telle qui vaut la peine d’être examinée.
La question de savoir s’il faut faire converger les lois ou les séparer est cruciale. Vous remarquerez que j’ai dit qu’à long terme, nous pourrions en discuter. Je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd’hui qu’il devrait s’agir d’une seule loi. Avec une loi, on reconnaît qu’on est coincé avec des structures de propriété convergentes. Deux lois, une pour la distribution et l’autre pour le contenu, montrent que nous nous penchons sur la fonction et non la propriété.
Je pensais que l’ancien président du CRTC, Konrad von Finckenstein, avait soulevé d’excellents arguments concernant ses vues. Il est très bien placé pour comprendre pourquoi on pourrait vouloir envisager sérieusement d’avoir deux lois.
[Français]
Mme Pilon : Les objectifs des deux lois sont différents. Dans un sens, la Loi sur les télécommunications, dont je suis loin d’être experte, vise à réglementer un système commercial. La Loi sur la radiodiffusion nous permet de préserver cette notion de culture, qui n’est pas vraiment ancrée dans la Loi sur les télécommunications. Donc, si le comité qui étudie la question arrivait à recommander une fusion, il faudrait tout de même préserver ces principes de base.
Dans la présente réflexion, il faut se demander s’il devrait y avoir une ou deux lois. Effectivement, les services qui sont réglementés par la Loi sur les télécommunications font de plus en plus cette distribution et cette programmation. Il y a la création du contenu et aussi la programmation. Ceux qui nous proposent du contenu, ce ne sont plus uniquement les télédiffuseurs traditionnels, car les services de télécommunications le font également. C’est là qu’il y a une distinction, et ce qu’il faut examiner, c’est l’activité. Quelle est l’activité et comment doit-elle être réglementée?
On se pose des questions quant aux gens qui regardent leurs séries préférées sur leur téléphone. Est-ce qu’on devrait réglementer les téléphones en ce qui a trait à la distribution du contenu et à l’offre de programmation? Il faut y réfléchir. Les jeunes consomment de plus en plus le contenu de cette façon. Les services de téléphonie vous demandent tant par mois pour vos données. C’est du contenu télévisuel qu’on consomme au moyen de son téléphone plutôt qu’à partir de sa télé. Pourquoi ces gens ne contribueraient-ils pas au système? Il n’y a pas de raisonnement et il n’y a pas de logique. Par contre, le système de téléphonie est réglementé par la Loi sur les télécommunications. De plus en plus, ce va-et-vient d’activité et la concentration verticale font en sorte que c’est la même compagnie qui gère les trois activités. Nous ne sommes pas encore en mesure de décider s’il faut les fusionner ou les séparer. Nous sommes en pleine réflexion.
M. Houle : Au fond, c’est la dernière question qu’on doit se poser. On doit d’abord connaître l’orientation qu’on veut prendre et savoir ce qu’on doit faire pour atteindre les objectifs. Une fois qu’on aura répondu à cette question, on sera mieux en mesure de déterminer s’il est préférable d’avoir une loi, deux lois ou trois lois. On ne peut poser la question au préalable sans savoir ce qu’on veut faire.
Il est vrai que l’interaction entre les compagnies de téléphonie et la radiodiffusion est devenue extrêmement intégrée, et pas seulement au niveau de la propriété. Au Québec, on peut s’abonner au même service de programmation Illico par Internet ou par télédistribution. On nous dit que, par câble, il s’agit d’une activité de distribution de radiodiffusion, mais que ce n’est pas le cas par Internet. Vous vous demandez si le sens commun se trouve quelque part. Ces deux infrastructures m’offrent le même service de programmation. Pourquoi sont-ils considérés comme distincts?
Il faut d’abord résoudre les questions concrètes : savoir où on veut aller et quels objectifs on veut atteindre. Il en découlera une décision au sujet du nombre de lois.
[Traduction]
M. Paris : Je vais déborder un peu le cadre de mon expertise — pour donner la perspective d’un joueur du secteur privé, bien qu’il s’agisse, je l’admets, d’un joueur qui n’est pas assujetti à ces lois. Vous avez trois lois distinctes. Je suis d’accord avec tous mes collègues : plus vous décidez de modifier ces lois — pour peut-être les intégrer — plus vous allez créer d’incertitude dans ce qui est un système bien établi. Vous avez trois différentes lois et trois ensembles de loi distincts qui en émanent. Il faudra peut-être toute la logique du monde à un moment donné pour en arriver à avoir une seule loi ou approche parfaite pour diviser les différentes fonctions de ces mesures législatives.
J’ignore si vous arriverez à trouver la réponse en comité. Je pense que vous avez besoin de régler les problèmes dont vous êtes saisis aujourd’hui. Ensuite, à une date ultérieure, vous pourrez alors regarder en arrière et décider s’il convient de recadrer le contexte législatif de façon peut-être plus sensée.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Mes questions s’adressent à l’Alliance des producteurs francophones du Canada. On me dit que des témoins qui ont comparu devant ce comité auraient mentionné que les Canadiens francophones ont tendance à consommer plus de contenu francophone canadien que les Canadiens anglophones consomment de contenu anglophone canadien. Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC, aurait soutenu que cette différence n’a pas à être reconnue dans le régime canadien de la réglementation de la radiodiffusion. Comment tenir compte des différences entre les marchés canadiens anglophone et francophone dans le cadre de la modernisation de ces lois?
Mme Pilon : Premièrement, nous connaissons très bien les données sur l’écoute et l’auditoire pour le Québec, mais nous connaissons moins bien les habitudes de consommation des francophones à l’extérieur du Québec, car nous avons beaucoup de mal à mesurer ces auditoires. L’APFC vient de réaliser une étude avec Téléfilm Canada pour mesurer les habitudes d’écoute.
C’est une question que nous nous posons. Le système, à l’heure actuelle, reconnaît cette particularité des deux marchés. Cependant, cette question n’est pas nécessairement traitée de façon équitable quant au financement, c’est-à-dire qu’on ne considère pas que les éléments du système sont identiques dans les deux marchés. On n’a pas le même nombre de producteurs, de télédiffuseurs ou de câblodistributeurs. Il y a une distinction à reconnaître entre ces deux marchés.
Quant au soutien, le Canada, de façon historique, a déterminé que le financement de la production canadienne en français avait besoin d’un investissement plus important que son poids démographique pour que celui-ci soit maintenu. Si nous examinons les parts de marché qu’occupent les francophones et les anglophones au Canada, elles reflètent plus ou moins le poids démographique de la distinction linguistique. Par contre, il faut investir davantage en français pour maintenir cette part de marché.
Quand nous regardons les producteurs en situation minoritaire, bien qu’ils représentent 14,4 p. 100 de la population francophone au Canada, les producteurs de la francophonie canadienne ne vont chercher que 5 p. 100 du marché. S’il n’y avait pas de mesures qui précisent qu’il faut tenir compte de ces communautés, si l’on n’inscrivait pas ces communautés dans la loi et les politiques, il est sûr qu’on n’irait pas chercher ces 5 p. 100. Il faut des mesures pour assurer la diversité des voix dans le marché canadien. Il faut prendre des mesures particulières pour soutenir cette production.
M. Houle : Ce que vous dites est tout à fait juste, c’est-à-dire que la consommation interne d’émissions canadiennes au Québec francophone est beaucoup plus forte qu’au Canada anglais. Si nous regardons les 20 émissions de télévision de langue française les plus écoutées en saison régulière, elles sont toutes canadiennes, mais si nous regardons du côté anglais, 18 sur 20 des émissions les plus écoutées sont américaines.
Par contre, il faut voir globalement qu’en revanche, la production anglophone circule beaucoup plus sur la scène internationale. L’anglais est la lingua franca d’aujourd’hui. C’est la langue la plus propice à l’exportation des produits culturels, qu’il s’agisse de musique, de films ou d’émissions. Les producteurs anglophones sont en mesure d’aller chercher une part de financement de coproducteurs ou de distributeurs étrangers beaucoup plus élevée.
Il est bien que la loi précise cette distinction entre les radiodiffusions de langue française et anglaise et la différence dans leurs besoins. Cela permet de tenir compte de ces variations, tant au chapitre du financement que de la diffusion nationale et internationale. La réalité est qu’il s’agit de deux systèmes très différents.
[Traduction]
Le président : Cela vous convient, sénatrice Forest-Niesing?
La sénatrice Forest-Niesing : J’ai une question de plus.
Le président : Allez-y, je vous prie. Ensuite, nous passerons à quelqu’un d’autre.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Ma question s’adresse à ceux qui se sentent à l’aise d’y répondre. Ce n’est pas une question facile.
En termes généraux, que pensez-vous de la délégation actuelle des responsabilités partagées entre le ministre du Patrimoine canadien, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique et le Bureau de la concurrence et le CRTC? Si l’on vous confiait la tâche de réorganiser les pouvoirs et responsabilités de ces organismes, qui serait responsable de quoi?
Mme Pilon : Cela revient à ce que nous disions tantôt, à savoir s’il devrait y avoir une ou deux lois. C’est aussi une question du champ d’activité.
L’APFC transige davantage avec le ministère du Patrimoine canadien, quoique les fonctions du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique changent depuis quelques années. Il y a plus de maillage : il s’implique dans l’exportation et le développement des entreprises. Cela dit, il y a toujours cette notion de souveraineté culturelle, qui est tellement importante et ancrée dans la Loi sur la radiodiffusion à l’heure actuelle. Il ne faut pas perdre de vue ces objectifs.
Qui est le mieux placé? Le mandat de Patrimoine canadien définit bien cette responsabilité. Sans m’être penchée en profondeur sur cette question, quoiqu’elle ait aussi circulé auprès de mes collègues, je crois qu’il ne faut pas nécessairement écarter Patrimoine canadien de son rôle quant aux éléments de la Loi sur la radiodiffusion qu’on veut préserver dans une refonte de cette loi.
M. Houle : Je veux juste ajouter un élément. Ce qu’on a dit qui ne fonctionne pas très bien actuellement, c’est qu’il y a une incohérence dans la façon dont on traite les entreprises. Il faut retrouver une certaine cohérence dans le système pour traiter de la même façon tous les distributeurs de contenu de radiodiffusion. Donc, je pense que, dans la réflexion actuellement, la loi indique qu’il y a un système de radiodiffusion et un régulateur unique qui est le CRTC, mais cela ne comprend pas la réglementation sur le spectre.
Si on veut retrouver une cohérence, il faut aussi retrouver, au niveau politique, à la fois de la direction ministérielle et de l’organisme, une certaine unité pour qu’on arrive à une cohérence. Plus on divise entre des institutions différentes qui se chevauchent dans leurs compétences, plus il peut être compliqué de trouver une cohérence.
[Traduction]
Mme Auer : J’ai eu beaucoup de chance lorsque j’étudiais le droit. J’ai rédigé une dissertation à ce sujet, c’est-à-dire sur la question de savoir si le Bureau de la concurrence devrait gérer des affaires dont le CRTC est saisi.
Dans une décision concernant, je pense, l’achat qu’avait fait Astral d’un certain nombre de stations de radio à Québec, le Bureau de la concurrence avait décidé d’imposer de quelconques exigences en matière de contenu comme condition de vente, ce qui m’a laissée perplexe parce qu’il n’a aucun pouvoir d’autoriser du contenu.
Si le Parlement décide que la concurrence est importante dans la radiodiffusion ou les télécommunications, alors il pourrait sûrement donner des consignes au CRTC dans la loi pour que tout organe responsable de chaque secteur ait le pouvoir d’agir dans ce domaine; sinon, vous risquez de vous retrouver avec des actions en justice. Je suis d’avis que le Bureau de la concurrence a outrepassé sa compétence. Il n’avait aucunement à dire aux postes de radio quoi faire côté nouvelles.
M. Houle : Il est arrivé qu’on procède à un examen du secteur. Le Bureau de la concurrence accepte, le CRTC refuse ou vice versa.
[Français]
Alors, pour le justiciable qui est l’entreprise qui est soumise à des règlements, il se présente devant deux institutions fédérales qui lui donnent des résultats contradictoires. Quand je parlais de cohérence, c’est un exemple où ça peut devenir difficile pour le justiciable d’avoir à répondre à plusieurs organisations qui ont des préoccupations différentes. Je ne dis pas qu’elles ne sont pas légitimes. Le Bureau de la concurrence est davantage préoccupé par les questions de publicité et de contrôle des dépenses publicitaires. Le CRTC pourrait s’occuper de contenu, de diversité des voix et de travail en matière de programmation régionale et locale. Ce sont des préoccupations très différentes, mais si on les confie à deux institutions, cela donne ces résultats contradictoires.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Sommes-nous au stade où nous devons faire table rase et recommencer à zéro en ce qui concerne ces choses? Je suis en train de lire certaines de vos remarques ici.
Une des choses qui me dérangent le plus concernant le CRTC est son incapacité de créer une véritable concurrence au Canada. Le plus grand irritant pour moi et la plupart des Canadiens, c’est le coût exorbitant. Nous sommes un des pays où ces fournisseurs coûtent le plus cher.
Vous avez mentionné dans vos remarques que nous avons perdu le contrôle de notre système de communication. La sénatrice Galvez l’a aussi mentionné.
Je ne pense pas avoir jamais exercé le moindre contrôle sur ce système, c’est clair. Le CRTC me semble être une autre bureaucratie qui fait peu de progrès et s’en sort. J’ignore si c’est juste ou pas.
Je vais vous donner un exemple. Vous avez mentionné la collecte d’information par des professionnels et ce qu’elle allait nous montrer. Je peux syntoniser CBS, CNN, NBC, et je peux entendre un journaliste du Washington Post et quelqu’un du New York Times se déchaîner contre les mêmes vieux sujets, ou je peux allumer la SRC et regarder une interview avec quelqu’un du Washington Post ou du New York Times. On ne m’offre rien que je ne puisse trouver ailleurs. Je ne le regarde pas sur la chaîne de l’autre fournisseur, alors pourquoi je le ferais sur ma propre chaîne?
Je constate que si je veux de vraies nouvelles, je dois aller en ligne pour les obtenir. Tout est de la bouillie homogénéisée.
Mme Pilon : Ne voulez-vous pas connaître la perspective canadienne de ce qui se passe dans le monde?
Le sénateur MacDonald : J’ignore si la perspective de Toronto est plus pertinente pour moi que celle de Vancouver, de Boston ou de New York, en ce qui me concerne.
Si on me présente les mêmes choses, les mêmes récits appris par cœur, on ne me donne rien que je ne puisse obtenir ailleurs.
Le président : Nous entendons la perspective de Toronto. Nous et le reste du pays.
Mme Auer : Au cours des 40 dernières années, c’est une préoccupation qu’on n’a cessé de répéter au conseil.
Lorsque j’ai parlé plus tôt, j’ai mentionné le manque de supervision du conseil. Ce n’est pas parce que les députés ou les sénateurs n’ont pas essayé. Comme nous l’avons dit, il ne s’agit pas de questions simples comme bonjour. Elles sont souvent complexes et nécessitent des compromis.
Cependant, une des choses fondamentales est que le CRTC ne vous dit pas s’il atteint les objectifs fixés par le Parlement. Il y a 40 objectifs en concurrence à l’article 3 de la loi, dont bon nombre sont mesurables. Pourquoi le CRTC ne vous présente-t-il pas un bulletin pour montrer dans quelle mesure le système se porte bien?
Pour ce qui concerne le manque de diversité côté nouvelles, vous vous rappellerez que nous avons discuté plus tôt de la concentration de la propriété. Il fut un temps où il y avait 66 propriétaires de chaînes de télévision qui se faisaient concurrence pour être les premiers à sortir une nouvelle. Il n’en reste plus que 17. De ce nombre, quatre ont des intérêts énormes ailleurs; les médias et les nouvelles viennent en dernier.
Vous vous rappellerez qu’on a eu un léger problème il y a quelques années alors que les dirigeants d’une entreprise de production télévisuelle avaient ordonné à leur personnel de ne pas interviewer le président du CRTC parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec sa décision dans un dossier.
Vous avez demandé si nous devrions simplement repartir à zéro. C’est tentant, mais c’est un système très complexe. Je ne pense pas que nous voulions créer autant d’incertitude dans les marchés financiers. Cependant, rien n’empêche le Sénat et la Chambre d’examiner ce qui s’est passé. Les objectifs ont-ils été atteints? Dans la négative, pourquoi pas? Et si vous voulez que quelque chose d’autre se produise, je ne vois pas pourquoi le Parlement n’a pas l’option de dire « Si nous devons faire un compromis entre des grandes industries hautement concentrées dans l’intérêt du public, où est l’avantage maintenant? »
J’ai les chiffres. Je ne veux pas vous donner d’autres chiffres, mais au cours des dernières années, nous avons perdu des milliers et des milliers d’emplois principalement dans la radiodiffusion, pas seulement dans les émissions dramatiques et la production, mais aussi les nouvelles.
Pour vous donner un exemple du peu que nous savons, j’ai écrit au CRTC au titre de la Loi sur l’accès à l’information pour demander combien de bureaux de nouvelles à la télévision et à la radio il y a au Canada. Les nouvelles sont le fondement de la démocratie. Combien de bureaux de nouvelles avons-nous? Le CRTC n’a pas recueilli ces données.
Le sénateur MacDonald : Le CRTC n’était donc pas au courant.
Mme Auer : Ses représentants affirment ne pas connaître la réponse parce qu’ils n’ont pas les données nécessaires. Je leur ai demandé combien il y a de journalistes de radio et de télévision au Canada. Ils sont incapables de me le dire.
Le conseil devrait peut-être prendre connaissance de certains aspects pour pouvoir indiquer au Parlement si ses politiques sont mises en œuvre.
Par exemple, j’ai une maison très en désordre. Il y a des jours où j’ai vraiment envie de tout raser au sol parce que cela semble être la seule solution. C’est là un gros investissement en capital. Je crois que mon mari serait un peu vexé. J’ai décidé de ne pas le faire en son absence. Là où je veux en venir, c’est que nous pouvons rebâtir le tout.
Le sénateur MacDonald : Merci.
[Français]
M. Houle : Je reviens à ce que je disais tantôt. À partir du moment où on a un objectif clair, les moyens en découlent. À mon avis, ce serait une bonne idée que le Sénat considère la programmation locale — je parle vraiment des nouvelles locales, pas d’une station dans les provinces de l’Atlantique qu’on appelle locale, ça ne marche pas.
Il y a toutes sortes d’outils offerts par la législation, mais le système est complexe. Pour fonctionner, il y a aussi les politiques fiscales, les crédits d’impôt qui soutiennent la production. Pour l’instant, ils ne peuvent pas soutenir la production de nouvelles locales. C’est quelque chose qu’on peut réexaminer. On pourrait donner une prime aux publicités locales. Il y a des mesures sur la déduction de la publicité qui est faite aux entreprises étrangères; on pourrait donner une prime à la publicité des nouvelles locales. Si c’est un objectif, il s’agit d’abord d’énoncer l’objectif très clairement dans la loi et d’essayer ensuite de voir tous les outils qu’on peut mettre en œuvre. Je crois qu’il est vrai qu’actuellement, le CRTC n’a pas très bien réussi, malgré des efforts notables pour renforcer la programmation locale en télévision, mais il y a d’autres outils possibles. S’il avait eu un mandat plus clair, une obligation dans la loi de le faire, on aurait pu lui demander des comptes avec plus d’insistance qu’on peut le faire en ce moment.
Mme Pilon : Il n’y a que Radio-Canada qui a l’obligation de représenter les régions dans son mandat. On n’oblige pas les autres télédiffuseurs à avoir une représentation régionale, y compris pour les nouvelles. J’abonde dans le sens de M. Houle. Si on veut cela, on peut le demander.
[Traduction]
Mme Auer : J’ajouterais qu’un certain nombre de stations de radio et, en particulier, de stations de télévision ont des conditions de licence qui les obligent à diffuser des nouvelles locales. Le hic, c’est qu’elles ne sont pas tenues de présenter des nouvelles locales originales. Cela signifie que les nouvelles d’hier sont répétées en boucles le lendemain matin. La solution la plus simple serait de dire : « Donnez-nous des nouvelles locales originales. » C’est ce que je demande depuis 10 ans lorsque je participe à des groupes d’experts, mais sans succès jusqu’ici. Nous pouvons continuer d’essayer.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour revenir à ce que vous avez dit à propos de la CBC et de la perspective canadienne, il y a évidemment une différence par rapport à Radio-Canada, qui apporte, selon moi, une perspective nettement canadienne, ou plutôt québécoise, aux nouvelles.
Je conviens toutefois que c’est plus « montréalocentriste », comme ce que vous avez dit au sujet de Toronto. En effet, du côté francophone, on nous reproche d’être trop centrés sur Montréal. Oui, c’est bien le cas.
Pour nous, les nouvelles sur les ondes de Radio-Canada sont très différentes de celles venant de la France ou de Washington. Il n’y a pas de comparaison.
Nous avons des journalistes canadiens qui sont basés ailleurs. Cela fait une différence.
Nous parlions de nous débarrasser de tout le reste et de repartir à zéro, ce qui semble être une tâche colossale. Je me demande s’il y a des choses dans le système actuel qui vous paraissent « sacrées » et que vous maintiendriez telles quelles — je pense à CBC/Radio-Canada. Accorderiez-vous un financement plus régulier au radiodiffuseur public pour qu’il puisse être un vrai réseau national? Je parle de Radio-Canada. Que feriez-vous?
Mme Auer : Je pense qu’il faut tenir compte de l’échéancier envisagé. Si vous comptez instaurer une nouvelle loi, cela prendra — à partir d’aujourd’hui — probablement cinq ans.
Que devrait accomplir la loi et à quel moment? Si vous voulez que la loi soit prête dans cinq ans, soit en 2023, quel rôle voulez-vous attribuer au radiodiffuseur public, s’il y en a toujours un, en 2023?
Si vous savez ce que vous voulez accomplir, alors vous pouvez établir la loi pour y parvenir.
J’ai eu la chance, à un moment donné, de faire de la recherche pour le comité Lincoln dans le cadre de la production de son rapport. J’avais alors recueilli des données notamment sur les crédits parlementaires attribués à CBC/Radio-Canada pour ses dépenses d’exploitation, depuis sa création au début des années 1920.
Le fait est qu’en dollars constants, le total des crédits d’exploitation est à la baisse, aussi bien globalement que par habitant. Or, les besoins de CBC/Radio-Canada, eux, ne diminuent pas. Ils ont augmenté avec le temps. Je ne suis pas en train de me lamenter du sort du radiodiffuseur public parce qu’il doit faire plus avec moins. Ce n’est pas ce que je dis.
Je soutiens tout simplement que CBC/Radio-Canada joue un rôle essentiel. Nous perdons graduellement la capacité de délivrer des licences, ce qui est une situation imminente puisque nous ne pouvons pas avoir de licences pour Internet, et ce n’est pas non plus quelque chose de souhaitable. Nous ne voulons pas accorder des licences à chaque service de programmation. Ce serait vraiment interminable. En revanche, nous pouvons obtenir des autorisations de programmation pour certains des principaux services qui peuvent apporter une contribution au système. Nous pouvons nous assurer de mettre en place une société d’intérêt public, dotée d’un financement stable à long terme, afin de diffuser un bon niveau de contenu canadien pour les régions, le pays, les francophones et les anglophones.
Je ne pense pas que nous puissions éliminer CBC/Radio-Canada et supposer qu’un certain nombre d’intervenants du secteur privé soient en mesure de prendre sa place. Même si nous le voulions, ces derniers ne seraient peut-être pas à la hauteur. Nous avons déjà cet outil, cette entité. Pourquoi ne pas miser là-dessus?
Le président : Nous entendons toujours parler de la question de production. Or, la culture ne consiste pas seulement à produire des émissions de télévision et une poignée de films. Elle englobe les sports, la danse, le théâtre, les orchestres symphoniques, les galeries d’art — voilà autant d’activités à l’échelle communautaire qui ont toutes besoin d’argent. Elles sont en concurrence avec le domaine de la radiodiffusion.
Notre problème ne tient-il pas, en partie, au fait que nous produisons des gens extrêmement talentueux qui finissent par quitter le pays? Regardez la situation aux États-Unis : nous avons là-bas des acteurs, des producteurs et des directeurs — des gens qui créent d’excellentes émissions dramatiques et tout le reste. Ils s’en vont tout bonnement. N’est-ce pas là une bonne chose? Ne diffusons-nous pas notre culture sur les réseaux américains? N’est-ce pas un peu ce qui se passe?
Mme Auer : Je suis sûre que les Américains seraient très contents de savoir qu’ils sont inondés de valeurs canadiennes.
Le président : Cela fait leur affaire. Ils ne s’en soucient pas.
Mme Auer : Je ne sais pas si la promotion indirecte de la culture canadienne est une bonne chose. Qu’offre-t-on directement aux Canadiens qui vivent ici? Tout comme vous, je connais beaucoup de gens talentueux qui ont trouvé des occasions ailleurs, et c’est tant mieux pour eux. On pourrait dire que c’est parce qu’ils n’étaient pas en mesure de trouver les mêmes possibilités ici au Canada, et cette situation devrait nous préoccuper.
Supposez que nous parlions du système de soins de santé et que nous assistions à l’exode de nos meilleurs médecins, faute d’emplois. Voilà qui serait inquiétant. Comme beaucoup d’autres personnes, je dois...
Le président : À moins que les médecins s’en aillent et que nous en faisions venir d’autres de l’étranger. C’est d’ailleurs ce que nous faisons déjà.
Mme Auer : C’est parfois le cas, mais bon nombre d’entre eux finissent par rester. J’ai le même médecin de famille depuis 30 ans. Il n’est pas trop gentil, car il me dit de perdre du poids.
Le président : Ils disent tous cela.
Mme Auer : En tout cas, je me considère chanceuse d’avoir profité de ses services de grande qualité.
Je crois que la culture est une drôle de bête. Elle est éphémère, mais elle accomplit des choses très importantes. Sans culture, y a-t-il même lieu de dire que nous avons un pays? Si nous n’avons pas notre propre culture, alors à quoi bon avoir une frontière?
Le président : Ce que je dis, c’est que nous avons notre propre culture dans tous ces autres secteurs.
Nous ne faisons que parler de vidéos et de films, alors je ne sais pas...
Mme Auer : Nous y consacrons entre 40 et 50 heures par semaine. Nous n’allons pas voir des pièces de théâtre pendant 40 à 50 heures par semaine. Nous n’allons pas au musée.
Le président : Nous avons alors un sérieux problème, car je crois que les Canadiens ont le talent nécessaire pour produire des émissions dignes d’être écoutées.
Mme Auer : En effet.
Le président : Eh bien, est-ce vraiment le cas? Si ces émissions attirent un auditoire, alors elles devraient être en mesure de générer des profits. Est-ce que les gens regardent ce contenu?
Le sénateur Housakos : Si je peux me permettre...
Le président : Venons-en aux choses sérieuses.
M. Houle : Vous venez de dire, si j’ai bien compris, que s’il y a des gens pour écouter ces émissions, cela signifie forcément...
Le président : Ce n’est pourtant pas rentable.
M. Houle : Eh bien, selon la taille du marché, c’est là que se trouve l’ensemble de la programmation. Si vous produisez une télésérie de 10 millions de dollars aux États-Unis et que vous avez 300 millions de personnes pour la financer, le jeu en vaut la chandelle. Par contre, si vous êtes au Québec, où il y a 8 millions de personnes, dont 7 millions de francophones, et si vous créez une télésérie de 10 millions de dollars, vous ne réussirez jamais. Certaines émissions attirent entre 1 et 1,2 million de téléspectateurs par jour. Ce sont des séries dramatiques quotidiennes diffusées à la télévision francophone au Québec. Aucune série américaine n’occupe une telle part du marché aux États-Unis. C’est impossible. Nous y parvenons, mais ce n’est pas assez pour financer le tout parce que nous ne sommes que 1,2 million de personnes, et non 300 millions. C’est une partie du problème.
Par ailleurs, — et je suis d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il n’y a pas seulement des films et des émissions de télévision, mais aussi des orchestres symphoniques, des œuvres littéraires, et cetera —, l’élément clé de la réussite du système francophone réside dans le maillage. Au Québec, la télévision francophone met en scène des danseurs, des chefs d’orchestre, des dramaturges et des écrivains. Yannick Nézet-Séguin, qui est considéré comme une grande vedette, dirige un orchestre symphonique. Tout le monde le connaît parce qu’il passe souvent à la télévision. C’est la même chose pour le théâtre et les arts. Nous devons créer un lien. Ce n’est pas parce que ce contenu est diffusé à la télévision. C’est parce que la télévision peut mettre les arts à la portée d’un vaste public, et ce, sous de nombreuses formes.
Le président : C’est là où je veux en venir. Vous recevez de l’argent pour produire des films et des émissions au Québec, et les gens les regardent. C’est une bonne chose.
M. Houle : Oui.
Le président : Ce n’est pas le cas dans le reste du Canada.
M. Houle : Il faut créer un produit qui peut soutenir la concurrence au Québec et à l’extérieur du Québec, au moyen d’un budget modeste, parce que ce contenu ne pourra être visionné que par un nombre restreint de personnes en Amérique du Nord.
Le président : Ce système fonctionne au Québec, mais pas dans le reste du Canada. C’est ce que j’essaie de faire valoir. Nous faisons peut-être fausse route.
M. Houle : Dans le reste du Canada, les producteurs ont l’occasion de vendre leurs émissions à de nombreux pays anglophones, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne, ainsi que beaucoup de pays d’Afrique et d’ailleurs où l’on parle l’anglais, afin de compenser l’impopularité de ces émissions sur leur propre marché. Pour notre part, nous nous trouvons dans une situation inverse. Nos émissions sont très populaires sur notre marché, mais il est difficile de les exporter vers d’autres marchés.
Le président : Nous consacrons 1,4 ou 1,5 milliard de dollars à CBC/Radio-Canada, puis nous forçons les Canadiens à regarder des canaux qu’ils ne peuvent pas visionner; en fait, les impôts profitent aux câblodistributeurs qui sont censés contribuer à la production. Nous faisons payer des impôts aux gens, et nous donnons des fonds à ces entreprises. Nous produisons des films par l’entremise de Téléfilm, ou peu importe le nom donné à l’organisme gouvernemental qui produit des films. Nous dépensons tout cet argent, mais personne n’est au rendez-vous. Pourquoi est-ce que je syntonise un réseau américain plutôt qu’un réseau canadien? Parce que le réseau américain est meilleur. Voilà pourquoi. Que se passe-t-il ici? Où s’en va tout l’argent, et à quoi sert-il?
Mme Auer : Tout d’abord, je pense que le CRTC peut vous fournir des statistiques et vous indiquer le nombre d’émissions originales qui ont été produites. J’ignore toutefois s’il est en mesure de vous dire quoi que ce soit sur l’emploi, car j’ai l’impression qu’il n’est pas nécessairement au courant.
En ce qui concerne CBC/Radio-Canada, que payons-nous? Je crois qu’à l’heure actuelle, les crédits parlementaires attribués aux dépenses d’exploitation s’élèvent à 1 milliard de dollars pour la télévision et la radio, en anglais et en français, les réseaux et les stations, ainsi que, si je ne m’abuse, Radio-Canada International. Nous ne finançons pas un seul service; nous en finançons plusieurs.
Le président : Je comprends cela.
Mme Auer : Pour une telle somme d’argent, c’est raisonnable. Si vous deviez procéder à une comparaison à l’échelle internationale — chose que beaucoup de gens ont déjà faite —, vous vous rendriez compte, et c’est le fond de mon argument, que CBC/Radio-Canada offre des choix.
Je vais vous faire un aveu, qui risque d’être dangereux. J’ai horreur du sport. Pourquoi se lever tôt le matin et courir sur un terrain? Cela me dépasse. Je refuse de faire du sport, et je n’ai pas non plus l’intention d’en regarder à la télévision. Cependant, je paie pour des émissions de sport afin de permettre aux amateurs d’y avoir accès.
C’est la théorie de la caserne de pompiers dans le système de services publics : lorsque votre maison est en feu, il est trop tard pour construire une caserne de pompiers. Il faut en bâtir une dès le début, et tout le monde doit y contribuer. Certains seront chanceux, car ils ne seront jamais aux prises avec un incendie. D’autres, à tout le moins, seront sauvés. Ainsi, CBC/Radio-Canada offre un choix qui n’existerait pas autrement.
La sénatrice Galvez : Je crois que la séance d’aujourd’hui a mis en évidence un certain nombre de points. Il faut notamment que nous parlions aux représentants du CRTC.
Le président : Oui. Nous les recevrons la semaine prochaine.
La sénatrice Galvez : Je demanderai aux analystes de prendre en considération les sujets qui ont été discutés et les questions qui ont été soulevées par ce groupe de témoins. C’est très important.
Un autre point qui ressort clairement de notre conversation, c’est que Radio-Canada et la CBC ne fonctionnent pas de la même manière et ne visent pas les mêmes objectifs. C’est peut-être parce que le CRTC n’est pas là pour clarifier les objectifs ou le contenu.
Corrigez-moi si je me trompe, mais je considère Radio-Canada et la CBC comme des outils pour promouvoir la culture et unifier le pays. Dans le cas du Québec et des francophones des autres régions, ce travail est accompli. Toutefois, en ce qui concerne la CBC, du côté anglophone, nous n’arrivons pas à concrétiser l’objectif d’unifier et de promouvoir la culture canadienne.
M. Paris : Je vais présenter deux façons de voir la culture. La première concerne la perspective du produit dont vous venez de parler. Il s’agit d’artéfacts, de musique, de films et d’opéra. La culture se manifeste aussi dans les choses que les gens font. Je parle du point de vue de quelqu’un qui travaille dans le domaine de la diffusion de films en salle : les histoires que nous racontons à notre sujet comptent. C’est important. Voilà ce que fait le radiodiffuseur public. Il ne produit pas seulement des émissions de télévision et des artéfacts, mais il raconte aussi des histoires sur ce que font les Canadiens dans les différentes régions du pays. Il communique ce récit de façon centralisée. Tel est le but d’un service public.
Ce qui distingue le Québec, où l’on trouve un système de vedettariat, qui fonctionne à la manière d’un convoyeur, et un système de production culturelle fiable et économiquement viable, c’est l’uniformité relative qui existe dans la province sur le plan de la consommation, sans nécessairement livrer concurrence à un pays de 300 millions de personnes au sud de la frontière. Voilà la distinction.
Comment peut-on atteindre le même degré d’uniformité et d’ubiquité au Canada anglais? Eh bien, c’est difficile. Il faut que l’émission soit vraiment bonne et qu’elle puisse capter l’attention et l’imagination des gens partout au pays. Lorsqu’on y parvient, cela attire l’attention des gens du Sud. On n’a qu’à songer à Letterkenny. C’est une émission populaire, produite au Canada, qui représente toutes les caractéristiques de l’identité canadienne. C’est très populaire. Il en va de même pour Trailer Park Boys, dans l’est du pays, et Corner Gas.
On nous demande souvent ce que nous pensons des films canadiens. Une des principales différences que nous signalons chaque fois — et nous en avons parlé dans le contexte de l’examen de la culture, mais cela déborde largement le mandat du CRTC —, c’est au chapitre du marketing: faire connaître aux Canadiens les émissions qui sont diffusées.
Souvent, vous financez la production de ces émissions, mais vous n’allouez pas assez de fonds à leur promotion. Là encore, cela dépasse le cadre de votre étude. Je suis sûr que mes collègues pourront en parler.
[Français]
La sénatrice Galvez : Vous avez mentionné qu’afin de poursuivre son objectif, Radio-Canada devrait prévoir un financement basé sur des critères objectifs par habitant plutôt que sur des critères discrétionnaires et variables. Que voulez-vous dire par cela?
Mme Pilon : Il y a une étude réalisée en 2012, je crois, qui comparait les investissements des différents pays dans leurs radiodiffuseurs publics. Le Canada arrivait en huitième place.
On sait que, selon le parti au pouvoir et sa relation avec le radiodiffuseur public, le crédit parlementaire qui lui est confié tend à fluctuer. On a vécu une infusion d’investissements dans Radio-Canada lors des derniers budgets du gouvernement en place, mais nous avons souffert de coupes pendant des années aussi, avec plusieurs différents gouvernements. Pendant ce temps, le mandat du radiodiffuseur public est resté le même, il est inscrit dans la Loi sur la radiodiffusion. Par contre, ses moyens fluctuent beaucoup. Si on établissait par exemple un montant par personne, de toute façon, cela pourrait contribuer de façon exponentielle.
La sénatrice Miville-Dechêne : Parce que nous sommes beaucoup moins importants en termes de pourcentage.
Mme Pilon : Moi, je proposais un calcul par personne, non pas par langue. En ce moment, la séparation est de deux tiers-un tiers, mais on proposerait cela, plutôt que le gouvernement détermine, chaque année, le crédit parlementaire à accorder au radiodiffuseur public.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup, chers témoins. Nous avons eu droit à une discussion intéressante.
Madame Auer, vos voisins ne vous aiment peut-être pas, mais nous vous adorons.
Merci infiniment à tous.
(La séance est levée.)