Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 52 - Témoignages du 30 avril 2019 (séance d'après-midi)
EDMONTON, le mardi 30 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été envoyé le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, se réunit aujourd’hui, à 13 h 2, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, aujourd’hui, nous poursuivons nos réunions sur le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, la « Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers » proposée.
Je suis ravi d’être des vôtres à Edmonton cet après-midi pour entendre des témoins s’exprimer au sujet du projet de loi, et avant de commencer, je vais demander aux sénateurs de se présenter.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour. Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.
Le président : Je m’appelle David Tkachuk et je viens de Saskatoon, en Saskatchewan.
Pour notre premier groupe de témoins cet après-midi, nous accueillons Johanne Young, directrice, du District régional de la côte Nord; Anne Hill, coprésidente, de la North West Watch Society, Dawn Remington, présidente, de Friends of Morice-Bulkley; et Walter Joseph, gestionnaire des pêches, du Bureau des Wet’suwet’en.
Merci à vous tous d’être des nôtres aujourd’hui. Nous allons maintenant entendre nos témoins, à commencer par Mme Young.
Johanne Young, directrice, District régional de la côte Nord : Merci, monsieur le président. Bon après-midi. J’aimerais juste souligner que nous nous trouvons cet après-midi sur le territoire visé par le Traité no 6 et je vous remercie de l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Je viens ici au nom de mes électeurs afin de reconnaître mes frères et mes sœurs du Canada, y compris de nos collectivités côtières de Haida Gwaii jusqu’à mes relations sur la côte Est et pour soutenir les nombreuses collectivités des Premières Nations, la Nation haïda, la Première Nation de Simpcw, la Première Nation Heiltsuk et les nombreuses autres Premières Nations côtières qui s’unissent pour apporter un appui retentissant au projet de loi C-48, lequel est en place pour concrétiser des décennies de travail effectué par les collectivités côtières et les Canadiens qui, d’une voix unie, s’opposent à la circulation des pétroliers sur les voies navigables de la côte nord de la Colombie-Britannique.
Je tiens aussi à reconnaître ceux que vous avez entendus à Prince Rupert, le député Nathan Cullen élu cinq fois. En 2014, c’était la version de Nathan de ce projet de loi soumis au cours de la législature précédente qui a fait l’objet d’une tournée de tout le pays, où des milliers de personnes se sont présentées sous la bannière « Défendons la côte Ouest » et ont donné au gouvernement libéral le mandat de mettre en œuvre cette loi. L’adoption de ce projet de loi cette année a reçu 67,2 p. 100 des voix à la Chambre des communes, exprimant la volonté de 11 millions de Canadiens.
Je reconnais l’apport de notre députée provinciale, Jennifer Rice, qui s’est exprimée au sujet de la catastrophe maritime du Nathan E. Stewart en 2016, ce qui a dévasté des écosystèmes sensibles et les ressources de cueillette de nourriture de subsistance du peuple Heiltsuk à Hartley Bay, où le nettoyage de ces catastrophes est entravé par une météo imprévisible et nos littoraux accidentés de la côte Ouest.
Bien sûr, j’aimerais mentionner le maire de Prince Rupert, Lee Brain, qui vous a parlé de l’effondrement économique de Prince Rupert qu’il a lui-même connu dans les industries des forêts, des mines et des pêches; il a hérité d’un déficit en matière d’infrastructure de 400 millions de dollars et travaille maintenant à bâtir une économie viable sans pétrole. Il a parlé de la façon dont le modèle économique actuel ne soutient pas les avantages de ce type de développement sur la côte. Une fois les activités terrestres achevées, vous pourriez espérer voir des dizaines d’emplois, pas des centaines, étant donné l’insuffisance des maigres revenus de ces industries qui se retrouvent dans les collectivités. Cette collectivité connaît un déplacement de ses gens, et c’est en raison du cycle prospérité-récession de l’industrie que nous avons connu les années passées à Fort McMurray et à Kitimat.
Comme des membres représentant la côte Sud de la Colombie-Britannique en ont parlé, nous avons aussi des littoraux très complexes le long de la côte de la Colombie-Britannique avec de très petites îles situées tout le long de la côte, du nord au sud.
En fait, comme l’a dit Nathan Cullen, des dizaines de milliers de kilomètres carrés d’îles dans le chenal marin de Douglas ont été écartés de l’évaluation des risques du projet Enbridge, du rapport sur l’analyse des risques, ce qui a fait la promotion d’une navigation facile jusqu’à Kitimat, ce qui n’était pas le cas. Nous avons des courants qui se déplacent rapidement, une météo imprévisible et de grandes tempêtes, des vents d’ouragan dans nos eaux éloignées, et c’est une région particulièrement dangereuse.
Notre écologie est unique et distincte. Nous avons des espèces clés culturelles. Nous avons des espèces en voie de disparition, comme la baleine bleue, des espèces en péril, des épaulards, beaucoup comme les baleines noires au large de la côte Est. La côte est l’habitat de nombreux animaux, des rorquals à bosses, des mammifères, la vie marine. Nous savons qu’un déversement d’hydrocarbures de quelque taille que ce soit est impossible à nettoyer et est dévastateur, pas seulement pour la côte, mais pour la santé de l’océan Pacifique.
Des régions de l’Alaska ne se remettront jamais du déversement de l’Exxon Valdez, qui a laissé fuir 10,8 millions de gallons de pétrole brut américain en 1989. Je m’en souviens. L’éloignement du golfe du Prince William, accessible uniquement par hélicoptère, avion ou bateau, a rendu pratiquement impossible la réaction du gouvernement et de l’industrie à ce déversement. Celui-ci a touché quelque 1 300 kilomètres de littoral, où l’on voit toujours aujourd’hui du pétrole en-dessous du gravier et du sable.
En 2010, le désastre causé par le déversement d’hydrocarbures de BP, qui représente 4,9 millions de barils, 15 millions de gallons de pétrole dans le golfe du Mexique, a causé des dommages importants aux habitats maritimes et fauniques, ainsi qu’aux industries de la pêche et du tourisme. Elles sont disparues. Nous ressentons tous les effets de ces catastrophes sur notre terre vivante bien après le départ de l’équipe de nettoyage.
Investissez dans le Canada. Créez ici une industrie à valeur ajoutée. Méfiez-vous des motifs de ceux qui parlent du manque de possibilités dans le Nord. Il s’agit des anciens opposants au projet de loi C-48, et ce sont les parties intéressées des entreprises. Ils cherchent à obtenir un gain personnel, sans égard au coût pour la région et la masse. Ce sont des prophètes de malheur qui disent qu’il nous faut des emplois, et que nous n’en aurons pas sans pipeline. Nous avons réussi à dépasser l’ère du charbon. Nous avançons, nous créons des emplois dans d’autres secteurs et nous avons besoin de gens pour construire des éoliennes, pas des pipelines. Ces gens doivent construire, installer et entretenir ces turbines, la production d’énergie solaire, les usines de biomasse. Nous avons des activités d’ingénierie, de fabrication et d’installation. Ce sont de réels emplois canadiens que le Canada doit promouvoir. Cela amènera le Canada à avoir la souveraineté sur l’énergie propre dont il a besoin pour aller de l’avant.
Je vois des mesures positives qui se produisent sous la direction du premier ministre John Horgan, en Colombie-Britannique, et j’espère voir des changements avec nos frères et nos sœurs en Alberta et dans les autres provinces canadiennes, où nous pourrons tous nous réunir de nouveau en tant que Canadiens et membres des Premières Nations et nous soutenir les uns les autres dans le respect de nos valeurs canadiennes fondamentales.
Vous êtes ici chargés de décider de faire avancer le Canada pour assurer son intérêt national et mondial. Après 40 années de débats et de conflits dans le nord-est, je vous demande d’utiliser votre diplomatie aujourd’hui pour resserrer nos relations avec les Premières Nations côtières et nos collectivités côtières. Soutenez l’interdiction des pétroliers par les Premières Nations côtières, soutenez la tolérance zéro à l’égard d’un déversement d’hydrocarbures sur la côte nord-ouest et appuyez le projet de loi C-48 du député Nathan Cullen.
Protégez cette écologie unique et distincte de la côte. Permettez-nous de continuer d’aller de l’avant dans le domaine de l’énergie propre en adoptant le projet de loi et en rejetant le statu quo. Merci beaucoup.
Anne Hill, coprésidente, North West Watch Society : Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’exprimer aussi aujourd’hui.
Ces images représentent mes deux petits-enfants, et ils sont la raison pour laquelle je suis ici. Je ne suis pas scientifique. Je suis une citoyenne profondément inquiète et je vais vous parler aujourd’hui du fond du cœur.
Je suis coprésidente d’une organisation environnementale communautaire appelée North West Watch et établie à Terrace, en Colombie-Britannique, et je parle en son nom. Voici un extrait de notre énoncé de mission : nous assurer que les générations futures hériteront d’écosystèmes sains et fonctionnels en faisant la promotion du développement responsable, d’une prise de décisions éclairées, de l’intendance et de la protection des bassins hydrographiques du nord-ouest.
Nous sommes un petit groupe de bénévoles très engagés. La plupart d’entre nous sommes retraités. Nous recueillons des fonds grâce à des repas communautaires, à des danses, à des ventes de pâtisseries, et à ce type de choses. Nous consacrons beaucoup de notre temps personnel à ce travail. Nous sommes motivés par notre amour du magnifique bassin hydrographique de la Skeena et de la côte voisine ainsi que par notre détermination profonde à le protéger.
North West Watch a joué un rôle pour aider à protéger notre côte et nos rivières pendant plus de 10 ans. À l’époque du projet Northern Gateway, le nombre de nos membres a augmenté de façon exponentielle, à mesure que de plus en plus de gens de notre collectivité ont commencé à se rendre compte des enjeux et de ce que nous pourrions perdre si on autorisait la construction du projet Northern Gateway. Chaque conseil municipal de la région a adopté des résolutions pour rejeter le projet.
La Ville de Kitimat, le terminus du pipeline proposé, a toujours été une ville de ressources primaires. De toutes les villes avoisinantes, Kitimat a le plus à gagner, sur le plan économique, du pipeline proposé. Le conseil municipal de Kitimat, réticent à adopter une résolution contre Enbridge avant de savoir comment les gens de la Ville se sentaient, a choisi de tenir un plébiscite. Un groupe communautaire de Kitimat comme le nôtre désigné sous le nom de Douglas Channel Watch a tenu des séances d’information et frappé à des portes, sans aucun financement. Entretemps, Enbridge a mené une campagne largement financée, où il a notamment envoyé des légions d’employés rémunérés depuis l’Alberta à Kitimat.
Le résultat du plébiscite, c’était que les résidants de cette ville de ressources primaires ont voté de manière décisive pour rejeter le projet Northern Gateway, conformément aux autres collectivités du nord-ouest, et la ville a toujours dépendu d’une économie de ressources. Il y avait alors, et il continue d’y avoir une opposition énorme à la circulation des pétroliers sur notre côte Nord.
La région de Skeena renferme une des dernières voies navigables intactes et saines qui restent au monde. L’économie du saumon du bassin hydrographique de la Skeena vaut 110 millions de dollars par année. Les changements climatiques sont très durs sur le saumon, pour un certain nombre de raisons. Nous connaissons toujours un niveau sans précédent de sécheresse dans la Skeena, sans en voir la fin. L’an dernier, les retours du saumon quinnat ont représenté 50 p. 100 de la normale, et ceux du sockeye ont constitué 25 p. 100 de la normale. Malgré tout, nous sommes toujours considérés comme un bastion du saumon dans le monde. Notre saumon a besoin de toute l’aide possible, et nous ne pouvons nous permettre de le menacer davantage. Durant leur enfance, mes deux enfants ont eu la chance de pêcher dans la Skeena, et quand je pense que mes petits-enfants pourraient ne pas avoir cette chance, cela me brise le cœur.
On l’a dit à de nombreuses occasions, mais cela vaut la peine de le répéter : les difficultés météorologiques et navigationnelles sur la côte Nord sont parmi les pires au monde. Un rapport d’Environnement Canada indique que le détroit d’Hécate est connu comme venant au quatrième rang des étendues d’eau les plus dangereuses au monde. Il n’est pas inhabituel d’y voir des vagues de 30 mètres de haut, et il est garanti que les changements climatiques vont exacerber ces conditions dans l’avenir.
Kitimat offre aussi un des itinéraires des navires-citernes vers l’océan les plus difficiles de tous les ports pétroliers du monde. Le bitume est une des substances les plus toxiques sur la terre, et personne n’a encore découvert comment le nettoyer efficacement lorsqu’il est déversé. Dans le meilleur scénario, on parle de 15 p. 100. Dans une tempête sur la côte Nord, où l’on a des vagues de 100 pieds, lorsque la Garde côtière ne peut même pas intervenir, je peux vous garantir que le nettoyage ne permettrait même pas d’enlever une fraction des 15 p. 100. La côte Nord est un des écosystèmes marins les plus vierges qui restent au monde, principalement en raison du fait que la zone d’exclusion des pétroliers en place depuis des décennies s’est assorti de très peu de déversements.
Faites le calcul : on souhaite envoyer une des substances les plus toxiques sur terre dans une zone où les conditions météorologiques sont au quatrième rang des pires au monde sur certains des terrains maritimes les plus problématiques dans un écosystème intact. L’expédition de bitume sur la côte Nord est un pari fou. C’est pourquoi la zone d’exclusion est en place depuis les années 1970, soutenue par les gouvernements fédéral et provinciaux. Même avec la zone d’exclusion volontaire, nous avons connu au moins 40 déversements depuis 1970.
À la page suivante, je vous montrerai dans un instant une carte qui montre la taille du déversement de l’Exxon Valdez superposée sur la côte de la Colombie-Britannique. Donc, l’image du haut est le déversement de l’Exxon Valdez en Alaska, puis l’image du bas montre l’ampleur du déversement superposé sur la côte de la Colombie-Britannique. Vous pouvez voir qu’il s’étend de l’Alaska jusqu’à l’île de Vancouver.
Tout ce qu’il faut, c’est un épisode, lorsque les conditions météorologiques et une erreur humaine se réunissent pour causer ce déversement catastrophique. Lorsque notre écosystème disparaît, il disparaît. Serons-nous en mesure de laisser quoi que ce soit derrière? C’est notre responsabilité de laisser un monde habitable pour nos enfants et nos petits-enfants.
Veuillez s’il vous plaît appuyer le projet de loi adopté par notre Parlement. Merci.
Dawn Remington, présidente, Friends of Morice-Bulkley : Je m’appelle Dawn Remington et je fais partie du groupe communautaire Friends of Morice-Bulkley, qui est situé à Smithers. Nous nous trouvons sur les rives de la rivière Bulkley.
Je vais parler de la raison pour laquelle des gens qui vivent à 450 kilomètres, par la route, de l’amont de la rivière se soucient de l’interdiction des pétroliers. À voir la façon dont vous riez, je crois que vous vous interrogiez à ce sujet.
La réponse courte, c’est le saumon. Notre saumon sauvage commence sa vie dans des petites parties de notre rivière, puis migre en descendant jusqu’à la mer. Ils sont justement en train de s’en aller, les petits. Lorsqu’ils reviennent, ils ont pris beaucoup de poids. Vous pouvez pêcher un saumon dans les limites des villes de Terrace, Smithers, Witset, de nombreuses collectivités qui sont à proximité de la rivière. Le saumon sauvage fait partie de notre régime alimentaire et de notre culture, particulièrement pour les personnes autochtones, bien sûr. D’après un sondage de 2011, 70 p. 100 des Britanno-Colombiens croient que le saumon sauvage est culturellement aussi important pour eux que le français l’est pour les gens du Québec.
Le tourisme axé sur la pêche sportive est un moteur économique important dans notre région. Nous avons une remonte d’été unique du saumon arc-en-ciel. Depuis la parution du livre Steelhead Paradise il y a 50 ans, les rivières Bulkley et Morice, les eaux d’amont de notre rivière, ont été sur la liste des choses à voir pour les pêcheurs sportifs internationaux. Durant la saison du saumon arc-en-ciel, les vols à destination et en provenance de la ville sont complets. Les guides et les magasins d’articles de sport sont occupés. Les touristes, dont bon nombre proviennent de l’étranger, soutiennent les hôtels et les restaurants. Certains viennent par jet, et nombre d’entre eux sont transportés directement dans des camps de pêche tout compris en milieu sauvage.
Je veux vous dire comment notre groupe a commencé, parce que cela explique pourquoi nous appuyons le projet de loi C-48. Je suis biologiste de la qualité de l’eau, maintenant retraitée, mais j’ai travaillé professionnellement pendant 37 ans dans la région de Skeena, et une bonne partie de cette période sur les rivières Morice et Bulkley, et je les connais maintenant bien. En 2010, quand j’ai pris connaissance pour la première fois du projet de pipeline Enbridge qui suivrait la rivière Morice, le cours supérieur de notre rivière jusqu’aux chaînes côtières et de l’autre côté jusqu’à l’océan, mon intuition m’a dit : « Oh, attendez une minute, je ne crois pas qu’ils comprennent la chaîne Côtière. »
La chaîne Côtière est assez différente des Rocheuses. Elle est volcanique, et la roche est plus tendre et érodable. De plus, elle se trouve sur la côte, et de grandes tempêtes pouvant déverser de fortes pluies pendant plusieurs jours peuvent survenir, et à ce moment-là, nous avons des glissements de terrain. Il y a des articles sur le nombre de glissements de terrain vraiment importants dans notre région : ils arrachent le côté de la montagne et transportent d’énormes quantités de matériel jusqu’en bas de la vallée, et ils peuvent voyager sur des kilomètres. Je me suis simplement demandé : qu’arrive-t-il à un pipeline s’il se trouve dans le chemin? Plus tard, un géomorphologue expert a étudié précisément l’itinéraire du pipeline, et il a dit ceci : « Le terrain montagneux instable dans le Centre-Ouest de la Colombie-Britannique n’est pas un lieu sécuritaire pour les pipelines. Un glissement de terrain pourrait finir par rompre un pipeline. »
J’imagine que mon autre préoccupation, personnellement, c’était de savoir ce qui se passe en cas de déversement. Nous savons que le bitume dilué est toxique pour le saumon. Serait-il possible d’atteindre les lieux éloignés dans le cours supérieur de la rivière pour contenir ou nettoyer un déversement sur un lit de gravier d’une rivière qui se déplace rapidement? Plus tard, encore une fois, une étude d’experts effectuée par un biologiste en pêches et un hydrologue a confirmé mes pires craintes : ce serait un grand risque non seulement pour la récolte du poisson dans la rivière à ce moment-là, mais le bitume serait probablement entraîné dans le gravier par les eaux et la glace se déplaçant à grande vitesse, selon la période de l’année, et présenterait pendant des années un risque pour le saumon et les œufs qui sont pondus dans le gravier.
Peu après, je me suis retrouvée à une table entourée d’un tas de personnes tout aussi inquiètes que moi. Je suis devenue ce qu’ils ont appelé une militante accidentelle, et nous avons formé Friends of Morice-Bulkley. Peu après, le déversement du pipeline Enbridge sur la rivière Kalamazoo au Michigan s’est produit, et nous avons pu voir à quoi ressemblait un déversement de bitume dilué, à quel point il était difficile de le contenir et à quel point il est difficile de nettoyer totalement le fond de la rivière par la suite.
Nous avons conclu que le risque était tout simplement trop grand pour notre rivière et notre saumon. Nous avons commencé à diffuser de l’information, au fur et à mesure qu’elle était accessible, au sujet du projet. Nous sommes devenus des intervenants, avons présenté des données scientifiques et ainsi de suite. Plus les gens en apprenaient au sujet du projet, plus ils s’y opposaient. En fait, il y a eu un énorme tollé général, le plus gros que j’aie jamais vu, où les gens de tous les horizons, mobilisés par une question touchant l’ensemble du Nord de la Colombie-Britannique, se sont réunis pour s’opposer au pipeline Enbridge. Comme vous le savez, ce projet a fini par être rejeté.
Récemment, nous avons participé à des évaluations environnementales sur plusieurs projets où l’on a proposé de déplacer le bitume ou les produits de bitume raffinés par transport ferroviaire jusqu’au port de Prince Rupert. Encore une fois, notre inquiétude, ce sont les déversements, puisque le chemin de fer du CN part tout droit du cours supérieur de la rivière Bulkley jusqu’à l’endroit où elle rejoint la Skeena, puis il suit de près les rives de la Skeena jusqu’à Prince Rupert. Les déraillements ne sont pas rares sur cette ligne de chemin de fer. En fait, il y a eu au cours des dernières années un certain nombre de wagons de charbon, et le plus récent s’est déversé dans une crique où vivaient des saumons.
Pour conclure, nous jugeons que ce n’est pas un itinéraire acceptable pour notre rivière et nos poissons. Une zone d’exclusion volontaire des pétroliers existe sur la côte Nord depuis les années 1970, et c’est en partie pour cette raison que notre côte demeure relativement intacte. Il y a toujours du saumon sauvage dans nos rivières. De nombreuses rivières qui en avaient auparavant n’en ont plus. Je crois que c’est un aspect distinct et unique du Canada.
Le projet de loi C-48 n’interdit pas le déplacement des produits pétroliers dangereux, comme vous le savez, mais il limite celui des plus persistants d’entre eux. Il limite le volume des pétroliers, et à notre avis, c’est une bonne chose. Par conséquent, nous vous encourageons à appuyer le projet de loi C-48 sans l’affaiblir de quelque façon que ce soit et nous recommandons qu’il soit adopté par le Sénat et renvoyé à la Chambre des communes. Merci.
Walter Joseph, gestionnaire des pêches, Bureau des Wet’suwet’en : Merci. Je m’appelle Walter Joseph, et je suis gestionnaire des pêches pour le Bureau des Wet’suwet’en.
Wet’suwet’en est la Première Nation centrée autour des villages de Witset et de Hagwilget, et Witset est un des principaux lieux de pêche sur la rivière Widzin’kwa, qui est le nom Wet’suwet’en de la rivière. Les archéologues croient qu’elle est là depuis environ 5 500 ans, et Hagwilget pourrait être encore plus vieux; cette région était aussi autrefois une région de pêche très importante.
Il y a des villages de pêche tout le long de la Widzin’kwa, jusqu’à Widzin Bin, c’est-à-dire le lac Morice. Donc, pour les Wet’suwet’en, le saumon est une partie incroyablement importante des besoins culturels et alimentaires. C’est absolument essentiel aux Wet’suwet’en.
Actuellement, les Wet’suwet’en pourraient utiliser jusqu’à 10 000 saumons sockeye, disons 4 000 saumons quinnat, 3 000 saumons coho, disons 1 000 saumons roses et peut-être 2 000 saumons arc-en-ciel. Par le passé, les quotas étaient de beaucoup supérieurs. Ces nombres représentent ce que les collectivités peuvent utiliser de manière raisonnable.
Juste avant que je commence, à Witset, on a pêché environ 30 000 sockeye. Cela vous donne juste une idée de l’importance et de la taille des pêches pour les Wet’suwet’en.
De plus, les Wet’suwet’en faisaient aussi le commerce avec d’autres Premières Nations en aval. En ce moment, on fait du troc de varech de hareng dans la région. C’est un mets délicat que les Wet’suwet’en considèrent comme une partie importante de leur culture, au même titre que les palourdes, le crabe, les coques d’oursins et les ormeaux. Maintenant, toutes ces espèces dépendent vraiment de la côte.
En outre, lorsque le sockeye retourne en aval de la rivière, qu’il migre dans l’océan, pendant une certaine période, il reste dans l’estuaire et le long de la côte, jusqu’à ce qu’il s’acclimate à l’eau salée. Quand le saumon est très petit, il est extrêmement susceptible aux répercussions du pétrole, par exemple.
Le hareng se reproduit sur le varech. Lorsque le déversement de l’Exxon Valdez s’est produit, cette espèce a été pratiquement rayée de la carte. Le hareng n’est jamais revenu après le déversement.
Selon certaines des études que j’ai vues, lorsque les œufs de saumon sont exposés à du pétrole, cela les affecte vraiment. Ils ne peuvent tout simplement pas nager aussi bien qu’ils le pouvaient par le passé. Cela nuit vraiment à leur capacité de remonter la rivière en passant à travers des rapides difficiles.
Pour résumer, des déversements d’hydrocarbures que supposerait la taille des énormes pétroliers qui sont proposés auront des conséquences incroyablement néfastes sur des espèces dont dépendent les Wet’suwet’en. Beaucoup de ces espèces sont protégées par la Constitution et la Loi sur les espèces en péril.
Ces déversements ne peuvent être nettoyés. Il reste des traces de pétrole du déversement de l’Exxon Valdez. Cela aura des répercussions énormes sur les Wet’suwet’en. Je ne peux juste pas imaginer de ne pas pouvoir poursuivre les traditions et la culture des Wet’suwet’en sans avoir accès à ces ressources, qui pourraient être balayées si l’on permet aux pétroliers de se déplacer dans certaines eaux très difficiles.
Les chefs wet’suwet’en se sont toujours fortement opposés à tout ce qui pourrait nuire au saumon. Ils s’opposent au fait d’autoriser les pétroliers le long de la côte. Merci.
La sénatrice Simons : Je veux tous vous remercier et vous accueillir sur le territoire visé par le Traité no 6. Je dois dire que j’ai eu l’énorme privilège de me rendre à Prince Rupert et à Terrace il y a quelques semaines, pour nos audiences là-bas, afin de voir votre magnifique côte et la rivière Skeena, qui sont des sites vraiment extraordinaires à voir. Je prends très au sérieux la passion dont vous faites preuve en vous portant à la défense de votre région. C’est une région extraordinaire du Canada, c’est un écosystème unique, et je suis d’accord pour dire que nous devons trouver des moyens de le protéger.
En vous écoutant, je me suis débattue avec de nombreuses choses. Je suis consciente du témoignage que nous avons entendu à Terrace de la part de la chef des Nisga’as; elle estime que sa Première Nation n’a pas été consultée et aimerait que sa nation ait l’occasion d’envisager la possibilité de construire un port en eau profonde et de transporter le pétrole de l’Alberta par un oléoduc traversant la mer. Cela me rappelle les Lax-kw’alaams, une Première Nation à qui nous avons parlé. Les représentants élus soutiennent les pipelines, mais pas les chef héréditaires. Je suis consciente du témoignage que nous avons entendu ce matin : la chef de la Première Nation Ermineskin a fait valoir que, en refusant de permettre aux Premières Nations de l’Alberta d’envoyer leur pétrole sur le marché, l’interdiction est une violation de leurs droits découlant de traités.
Donc, en tant que sénatrice qui n’est pas Autochtone, je me débats pour savoir comment je tiens compte des désirs d’une Première Nation par rapport à ceux d’une autre, et ce que vous dites à vos propres voisins, les Nisga’as, les Lax-kw’alaams, par rapport à leurs propres souhaits de construire des ports et une capacité pour les pipelines.
Je suis désolée, ça ne se fait pas... Je devrais adresser la question précisément à quelqu’un, mais quiconque souhaite intervenir pourrait y répondre.
Mme Young : C’est une question très difficile. Je ne suis pas certaine que nous puissions y répondre au nom des différentes nations.
La sénatrice Simons : Si vous deviez vous asseoir avec un voisin qui était Nisga’a ou Lax-Kw’alaams qui souhaitait avoir un port, qui souhaitait avoir cette possibilité, comment nous, en tant que sénateurs, tiendrions-nous compte des intérêts concurrents et des demandes concurrentes de ces collectivités?
Mme Young : Je prêcherais par excès de prudence, parce que vous devrez vous aventurer à travers un grand nombre de régions et de territoires non cédés, et je ne suis pas certaine que vous aurez la capacité de les traverser tous, ni même certains d’entre eux.
Vous connaissez peut-être les espoirs et les souhaits de certaines nations. Je crois qu’il est important pour nous de mettre en valeur ces industries d’autres façons qui fournissent des projets et possibilités économiques. Par exemple, les Tsilhqot’in ont une économie très durable sans oléoducs et autres choses. Il est possible d’effectuer un développement économique dans ces régions différentes en leur donnant peut-être juste d’autres possibilités et points de vue qui pourraient être avantageux.
Le président : Puisque vous n’avez jamais eu d’économie pétrolière là-bas, pourquoi ces économies n’auraient-elles pas prospéré jusqu’ici? Vous n’avez jamais eu d’économie pétrolière là-bas, et vous n’avez jamais été tributaire d’une telle économie.
Mme Young : Désolée, parlez-vous...
Le président : Je parle de la côte Ouest et de toutes les Premières Nations. Ont-elles créé des économies commerciales dans cette région au cours des 1 000 dernières années?
Mme Young : Nous avons d’excellentes possibilités de production d’énergie éolienne, particulièrement à Haida Gwaii.
Je sais que la nation haïda a en place une souveraineté sur l’énergie propre, et cela figure dans le référendum auprès de la nation. Dans l’ensemble, elles vont de l’avant. Il est possible d’amener un câble sous-marin à Prince Rupert, ce qui aiderait à soutenir l’économie là-bas.
Le pétrole n’est juste plus viable.
Le président : Comment chauffez-vous vos maisons?
Mme Young : Avec du bois. Je chauffe ma maison au bois.
Le président : Je suppose que la plupart des maisons utilisent le diesel et le bois, peut-être du gaz naturel?
Mme Young : Oui, le propane. Beaucoup utilisent encore le bois. J’espère avoir une éolienne sur ma propriété. C’est très faisable et cela devient plus rentable. C’est ce que j’espère faire au cours des prochaines années.
Mme Remington : Pourrais-je ajouter un autre aspect à votre question au sujet des Nisga’as? J’ai examiné cette question, car je sais que c’est le désir de certaines personnes. On l’a exprimé et j’en ai entendu parler par des rumeurs plus que par quoi que ce soit d’autre.
Comment allez-vous faire pour amener des pétroliers là-bas et les faire sortir? Avez-vous examiné des itinéraires possibles? Entre la côte Nord de Haida Gwaii et l’Alaska, il y a un chenal houleux, relativement étroit et peu profond. Je ne peux pas imaginer que des superpétroliers se rendent là-bas quand on est au courant des tourbillons massifs de courants qui se forment là-bas. Je ne peux pas l’imaginer. Ce serait l’itinéraire le plus rapide, et c’est pourquoi j’en parle. Je suis sûre que l’Alaska mettrait aussi en doute cet itinéraire. C’est assez problématique.
La sénatrice Simons : Merci. Je suis heureuse de l’entendre, parce que ce n’est pas une perspective que nous avons entendue auparavant et c’est très utile.
M. Joseph : Les Wet’suwet’en ont toujours adopté un point de vue très étendu dans le temps; ils aimeraient conserver le saumon pour les générations à venir. Je ne peux pas imaginer que l’industrie du pétrole continue encore très longtemps, vu la façon dont les choses se déroulent actuellement.
Les sables bitumineux sont un gâchis. Ils sont vraiment un gâchis, quelque chose que l’Alberta lègue probablement à ses arrières petits-enfants pour qu’ils fassent le nettoyage, et elle n’a toujours aucune idée de la façon dont elle le fera. On ne peut pas nettoyer des déversements. Donc, si vous cherchez un point de vue à long terme, il est possible que le saumon dure toujours, si vous vous en occupez, ainsi que toutes les autres espèces qui dépendent de la côte. Ce n’est pas le cas avec le transport d’hydrocarbures. Une fois qu’un déversement d’hydrocarbures se produit, les choses ont juste tendance à mourir.
Le sénateur Neufeld : Merci à vous tous de votre présence. Je comprends la nature iconique du saumon. Je sais que les Britanno-Colombiens prennent très au sérieux les discussions au sujet du saumon et des migrations de saumon.
Coastal GasLink construit un pipeline partant du nord-est de la Colombie-Britannique jusqu’à Kitimat, afin de transporter du gaz naturel à une usine de gaz naturel liquéfié, et cela passe à travers les mêmes montagnes, le même pays.
Êtes-vous en faveur du transport par Coastal GasLink de gaz naturel depuis le nord-est de la Colombie-Britannique jusqu’à Kitimat?
Mme Remington : Cela fait partie de mes notes. J’ai passé par-dessus quand je parlais de la chaîne côtière et du nombre de glissements de terrain.
Le pipeline de Pacific Northern Gas n’est pas énorme. On l’a construit à travers la chaîne Côtière en 1968. Durant mes années de travail, j’ai vu ce pipeline endommagé à de nombreuses occasions par des glissements de terrain ou des inondations. Comme vous le faites remarquer, c’était du gaz, et ça n’a pas le potentiel de déversement d’un oléoduc. C’était coûteux et cela a incommodé les gens au bout du pipeline, mais on le déplaçait, on le réparait, et il est toujours là et en fonction. Du point de vue de la sécurité d’un pipeline, c’est préférable, à mon avis.
Le sénateur Neufeld : La question était de savoir si vous êtes en faveur. Je suis au courant de la ligne de PNG.
Mme Remington : Je crois que M. Joseph devrait en parler. Je ne crois pas que je devrais le faire.
Le président : Souhaitiez-vous répondre à cette question ou devrais-je passer à la prochaine question?
M. Joseph : Les Wet’suwet’en se sont opposés au pipeline de CGL, et ils continuent de s’y opposer. Bon nombre d’entre eux ont été arrêtés, et il y aura probablement plus d’arrestations dans l’avenir. Les Wet’suwet’en s’y sont opposés et vont continuer de le faire.
Le sénateur Neufeld : Vous avez parlé des Nisga’as. Les Nisga’as se sont battus pendant plus de 100 ans pour obtenir un traité moderne. Certaines des choses qu’ils ont faites pour obtenir ce traité étaient horribles, mais ils ont fini par l’obtenir. Une partie de ce traité dit que s’ils veulent être en mesure de s’occuper d’eux-mêmes, ils voudront avoir un développement économique propre, ces types de choses.
Que dites-vous aux Nisga’as quand vous dites « non » et qu’ils répondent « oui »? Dites-vous simplement : « Dommage, vous avez obtenu un traité, et une partie de celui-ci dit que vous pouvez produire des choses sur le plan économique pour vos enfants et vos petits-enfants »?
Mme Hill : Cette question s’adresse-t-elle à...
Le sénateur Neufeld : Quiconque veut y répondre.
Mme Hill : Eh bien, je dirais juste que les non-Autochtones blancs n’ont pas une attitude ou un point de vue homogène sur cette question et je ne crois pas qu’il est vraiment juste de s’attendre à ce que ce soit le cas pour les Autochtones. Je crois qu’ils sont tout aussi souvent divisés que les non-Autochtones.
Le sénateur Neufeld : Vous avez parlé de vagues hautes de 30 mètres, et j’ai déjà entendu cela auparavant.
Nous avons des pétroliers situés en réalité à l’extérieur de la zone d’exclusion qui viennent de Valdez et dépassent la partie inférieure de l’île de Vancouver jusqu’au détroit de Juan de Fuca, et ils livrent du pétrole aux raffineries américaines là-bas.
Ces vagues de 30 mètres se trouvent-elles juste à Prince Rupert ou les voit-on aussi dans l’océan? Si elles sont aussi dans l’océan, comment ces pétroliers qui remontent et descendent maintenant la côte — et il y en a un ou deux par jour et il n’y a eu aucun accident — réussissent-ils à cheminer? Vous pouvez peut-être m’aider. Vous vivez là-bas.
Mme Remington : Lorsqu’on a présenté la zone d’exclusion volontaire, c’était en réponse à une enquête menée par les États-Unis pour ramener les pétroliers sur la côte Nord et mettre un pipeline aux États-Unis, afin de déplacer le pétrole de la côte Nord qu’on exploitait à ce moment-là. Environnement Canada a mené une étude au début des années 1970. J’en ai une copie et je peux vous l’envoyer à titre de référence.
Le ministère a examiné les ports et les voies de passage maritimes et conclu que ce n’était pas une chose judicieuse que le Canada pouvait faire à la côte, et on a proposé la zone d’exclusion volontaire. Les États-Unis amènent maintenant les pétroliers 80 kilomètres plus loin. La réponse courte, c’est que les vagues sont différentes là-bas. Il y a de grosses vagues, mais ils ont une catégorie spéciale de pétroliers et des escortes spéciales de remorqueurs pour tous les pétroliers. Ils sont escortés très soigneusement jusqu’à la route la plus sécuritaire, loin des îles que vous pourriez heurter, loin des vagues de 100 pieds...
Le sénateur Neufeld : Ils n’escortent pas les pétroliers jusqu’au Sud.
Mme Remington : Je ne connais pas tous les détails.
Le sénateur Neufeld : Non, ils ne le font pas.
Mme Remington : J’aimerais juste ajouter un point. L’entrée dans le détroit de Juan de Fuca et jusqu’à Cherry Point est très ouverte. Ils sont situés bien loin des terres ou des récifs d’eau peu profonds, et c’est un itinéraire maritime beaucoup plus sécuritaire pour se rendre à la terre, et Cherry Point avance dans la mer. C’est pourquoi ils l’ont choisie pour le terminal. Je crois qu’ils ont choisi le moyen le plus sécuritaire de le faire.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup. Je viens de la Colombie-Britannique, et ma fille vit à Burns Lake. J’ai une petite-fille qui a 3 ans. J’ai des images d’elle qui tient un poisson plus grand qu’elle, que son père jure qu’elle a pêché elle-même, donc je connais le coin et ce qui est à risque également.
Une des choses que le projet de loi 48 n’aborde pas, c’est le transit des bateaux, des navires, des navires d’approvisionnement et des barges par le détroit d’Hécate, qui limite à 12 000 tonnes métriques le carburant et l’huile, et cetera. Ce projet de loi ne l’aborde pas, et il n’y a rien dans les ouvrages que je connais, au sujet de ce risque imminent, de ce que je considère comme un risque. Vous êtes au courant du Queen of the North, les paquebots luxueux qui font des allers-retours le long de la côte sur l’Inside Passage. Ils passent à un jet de pierre de Campbell River.
Y en a-t-il parmi vos groupes qui ont des préoccupations à ce sujet? Ne devrait-on pas consacrer autant d’énergie et de fonds, et cetera, à ce risque imminent, comme nous le faisons pour le risque improbable d’un déversement de pétrolier?
Le président : Il n’y a pas de moyen de défense, si je comprends bien, n’est-ce pas? Il n’y a pas de système qui permet le nettoyage.
La sénatrice Busson : Pas que je sache.
Mme Hill : Je crois que, pour une bonne partie de la circulation d’hydrocarbures dont vous parlez, il ne s’agit pas d’hydrocarbures persistants; il s’agirait donc plutôt d’hydrocarbures raffinés, comme le diesel.
La sénatrice Busson : Un peu d’hydrocarbures raffinés... Il y a aussi leur propre carburant, le mazout C, le mazout et tout cela.
Mme Hill : Ce sont de plus petits pétroliers qui transportent des hydrocarbures persistants?
La sénatrice Busson : Jusqu’à 12 000 tonnes métriques.
Mme Hill : Je crois que le projet de loi C-48 est peut-être le mieux que nous puissions faire en ce moment.
Mme Remington : La réponse courte à votre question est oui, nous nous en inquiétons. C’est une préoccupation.
Le Nathan E. Stewart était le remorqueur qui poussait habituellement une énorme barge remplie de carburant jusqu’en Alaska, et il a navigué sur l’Inside Passage pendant un certain temps. Nous étions au courant de cela, mais en vertu du droit maritime international, je ne crois pas que le Canada pouvait faire grand-chose.
J’aimerais beaucoup si vous pouviez vous attaquer à cette question comme ajout au projet de loi C-48. Renforcez-le.
Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins. Je reconnais votre préoccupation au sujet de la gestion du risque, mais je viens de l’autre côte. Nous gérons beaucoup les risques, certainement beaucoup plus de risques que ce que l’on gère ici.
Vous avez 6 millions de tonnes métriques qui se déplacent dans les chenaux du Sud ici, en Colombie-Britannique. Nous gérons 283 millions de tonnes métriques sur la côte Est.
Les Grands Bancs de Terre-Neuve, qui est le plus grand banc de pêche au monde, possèdent cinq puits en fonctionnement. Ils produisent environ 150 millions de tonnes métriques par année.
La sénatrice Busson vient juste de mentionner 12 000 tonnes métriques dans un navire. Cela représente 100 000 barils de pétrole.
Deux capitaines de pétroliers vraiment expérimentés se sont adressés à nous à Terrace; ils détenaient des décennies d’expérience, et l’un d’eux était un Autochtone de la région. Il ne voit aucun problème à pêcher dans cette région et il n’en voit pas non plus pour ce qui est d’expédier des choses dans des pétroliers à double coque.
Comme j’ai grandi dans une communauté de pêche, une famille de pêche, et sur une côte très active, je crois que le plus grand risque dans tout navire à coque simple... Il y a toutes sortes de navires, les traversiers, les gens locaux qui pêchent dans des navires à coque simple.
Je ne dis pas que vous ne devriez pas vous préoccuper de la gestion du risque. Cette question est très importante. Je crois qu’un pétrolier à double coque ultramoderne est un des navires les moins dangereux qui peut naviguer sur l’eau. Tout ce qui est à coque simple qui transporte du carburant représente probablement un risque plus élevé, du moins, sur le plan statistique.
Je vous le dis pour susciter la réflexion, parce que nous sommes très habitués à cela sur la côte Est du Canada. Nous avons une industrie des pêches énorme. Les pêches sur la côte Est sont très utiles et très complexes, elles se font dans l’ensemble des Maritimes et du Canada atlantique. Pourtant, nous gérons toutes sortes de pétrole de manière sécuritaire, qu’il soit expédié chez nous ou hors de chez nous ou extrait du sol.
Mme Remington : Ce n’est pas pour être impertinente, mais je veux juste dire que c’est jusqu’à maintenant. Jusqu’à maintenant, c’est ce que vous avez fait.
Mme Young : Il ne faut qu’une seule fois.
Le sénateur MacDonald : Vous avez parlé du déversement survenu dans le chenal de Douglas; il s’agissait d’un remorqueur à coque simple. Il y a un plus grand risque chez les navires à coque simple.
Mme Hill : Vous avez aussi entendu un témoignage à Terrace de Dave Shannon, qui a fait une tonne de recherches, et encore une fois, je ne suis pas navigatrice maritime, je n’ai pas d’expérience dans ce domaine.
Toutefois, il croyait que l’Exxon Valdez aurait eu les mêmes problèmes s’il s’était agi d’un navire à coque double, en raison de la façon dont il a heurté le rocher. Ce n’est pas une panacée.
Mme Young : Je trouve particulièrement effrayant ce qu’on fait sur la côte Est. Nous devons nous rappeler que c’est une question de savoir quand, et non pas si, cela va se produire. Peu importe la coque, on a également prouvé que les coques doubles ont des épaisseurs différentes et qu’elles ne sont pas imperméables.
Compte tenu de nos côtes et de nos nombreuses petites îles accidentées qui ne sont même pas comptabilisées, ce n’est qu’une question de temps, et la nature humaine... C’est une question de temps. Cela va se produire. Nous observons des modèles météorologiques extrêmes sur la côte Ouest, et il y a de moins en moins de temps de réaction ou de prémonition par rapport aux modèles météorologiques que nous observons en ce moment. Par exemple, une vague scélérate est très possible et va se produire.
La même chose s’applique aux inondations qui se produisent sur la côte Est. Les gens sont juste consternés par le fait que cela se produise une deuxième année d’affilée. Devrions-nous être consternés? De nombreux scientifiques, des experts nous ont dit que ces modèles météorologiques vont s’aggraver, qu’ils seront plus fréquents, et c’est ce que nous observons. Nous avons eu des déversements d’hydrocarbures au large de toutes les côtes. Des pétroliers ont sombré, et cela se produit beaucoup. Nous ne pouvons nous permettre que cela se produise de nouveau, ce qui veut dire que nous devons dire non à la côte Nord.
Le sénateur Tannas : Votre réponse me vient en aide par rapport à la question que j’allais poser. Je suis allé pêcher dans toutes vos magnifiques collectivités — Haida Gwaii, la Reine Charlotte. Comme je l’ai raconté à Mme Remington et à Mme Hill, mon entreprise a des bureaux d’assurance situés à Smithers et à Terrace.
Je me rappelle très bien l’aéroport de Smithers en raison de la taille de l’ours dans le hall. C’est incroyable. C’est un lieu remarquable.
Je sais aussi que les industries qui alimentent vos collectivités ne seraient pas possibles sans les combustibles fossiles. Je crois que nous devons reconnaître, si magiques que soient vos localités, qu’elles ne seraient pas ce qu’elles sont sans les combustibles fossiles. Elles viennent de quelque part.
Je n’ai pas l’intention de vous faire la leçon, parce que ce n’est pas le but. Le but, c’est que nous soyons maintenant l’Arabie saoudite du pétrole, et celui-ci peut se déplacer et va se déplacer partout dans le monde. Vous pourriez dire que nous avons une responsabilité pour ce qui est d’approvisionner d’autres pays que nous-mêmes en pétrole.
Ensuite, la question, c’est d’accord, Smithers, Terrace et Haida Gwaii utilisent des produits dérivés du pétrole, mais nous ne voulons pas que le transport du pétrole traverse ou menace nos collectivités. Il y a des endroits où l’on dit « pas dans ma cour », et je crois que vous avez un argument exceptionnellement excellent pour dire cela, parce que votre cour est vraiment importante, magnifique et rare.
Toutefois, cela s’assortit-il d’une responsabilité de peut-être examiner quel pourrait être un lieu de transport de rechange? Ou est-ce plutôt que vous ne voulez pas que le pétrole n’aille nulle part, et ce n’est pas votre affaire de réfléchir à une solution à ce problème, qui suppose le transport des carburants que vous utilisez, que j’utilise et que tout le monde ici utilise?
Mme Hill : Merci de ces bons points. Je suis sûre que vous avez tous lu l’article de David Anderson dans le Globe and Mail, mais je vais juste le citer. Il dit ceci :
Quarante-huit années d’expérience ont montré que le moratoire relatif aux pétroliers en Colombie-Britannique n’a pas refroidi l’attitude des investisseurs étrangers ou gêné le développement d’une industrie du pétrole au Canada. Le fait de dire que le fait de légiférer cette interdiction existante aurait des conséquences vraiment négatives défie toute expérience et logique.
Nous avons une interdiction d’exclusion volontaire et nous expédions beaucoup de produits.
Le sénateur Tannas : Je comprends. Donc, David Anderson continuerait de dire que nous devons l’expédier d’ailleurs. Êtes-vous de cet avis?
Mme Young : Je suis en fait en désaccord avec votre commentaire selon lequel le Canada doit devenir l’Arabie saoudite du pétrole. Je crois que vous avez probablement entendu les économistes et les experts dire que notre pétrole n’est pas aussi bon que nous le croyions. Nous cherchons à l’expédier, car nous savons que les États-Unis détiennent le contrôle et louent essentiellement l’espace.
Toutefois, offrons-nous un pipeline à la seule entreprise Eagle Spirit pour qu’elle puisse envoyer le pétrole juste un peu plus haut au nord de la côte? Désolée, les mots me manquent en ce moment.
Le sénateur Tannas : Donc, votre opinion, c’est aucun pétrole sur l’eau? Je comprends.
Mme Young : Nous ne pouvons pas nous le permettre.
Le président : Je remercie beaucoup les témoins.
Pour notre deuxième groupe de témoins cet après-midi, j’ai le plaisir d’accueillir Brian Schmidt, président et chef de la direction de Tamarack Valley Energy Ltd., Nancy Manchak, présidente de la section d’Edmonton de l’Association des jeunes pipeliniers du Canada; et Tim Cameron, président, de Rally Canada.
Merci d’être avec nous aujourd’hui, et M. Swampy est ici pour nous aider. Nous sommes en train de devenir des amis, monsieur Swampy, donc je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.
Nous allons maintenant entendre nos témoins, à commencer par M. Schmidt, s’il vous plaît.
Brian Schmidt, président et chef de la direction, Tamarack Valley Energy Ltd. : Merci. Je suis accompagné de Dale Swampy, et je tiens à le remercier de sa présence ici aujourd’hui.
Bonjour, chers membres du comité sénatorial. Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui, et tout particulièrement, merci d’être venus en Alberta. C’est le point zéro de l’interdiction canadienne relative aux pétroliers proposée.
Mes collègues et moi-même dans l’industrie de l’énergie comprenons votre rôle important et reconnaissons sincèrement les efforts du Sénat pour bien faire les choses.
Je m’appelle Brian Schmidt et je suis président et chef de la direction de Tamarack Valley Energy, un producteur de pétrole et de gaz de moyenne importance ayant des zones pétrolières d’où est extrait du pétrole léger en Alberta et en Saskatchewan. Je suis ici parce que le projet de loi C-48, dans la même veine que le projet de loi C-69 actuel, tue notre industrie.
Le secteur pétrolier et gazier d’importance moyenne a été décimé. Nous sommes passés de 96 à 22 petites sociétés depuis 2006. Les plus grandes multinationales peuvent déplacer leurs capitaux, mais nous, les entreprises canadiennes, détenons nos actifs et nos biens ici, et nous sommes vulnérables.
Le temps que je passais auparavant à rencontrer des investisseurs et à planifier l’expansion est maintenant consacré à la défense des politiques, parce qu’il n’y a pas d’investissement pour la croissance à prévoir en ce moment, à moins que nous ne réglions le cas de l’accès au marché.
Nous sommes tous ici pour discuter du projet de loi C-48 qui a été présenté parce que les libéraux croyaient en 2015 qu’il s’agissait d’une bonne politique, que cela aiderait à obtenir un vote environnementaliste de l’aile gauche en Colombie-Britannique. À mon avis, cela n’a jamais été une bonne politique. C’était simplement une promesse électorale qui prévoyait peu, voire aucune évaluation environnementale, évaluation des risques économiques et évaluation des impacts.
Toutefois, il s’est passé beaucoup de choses au cours des quatre dernières années, à tel point que nous pouvons tous nous entendre pour dire, je crois, qu’il ne s’agit plus non plus d’une bonne politique. En 2015, l’industrie énergétique n’était certainement pas en faveur de cette interdiction des pétroliers canadiens, mais comme il y avait d’autres options de pipelines sur la table, nous n’avons pas considéré cela comme une menace existentielle. Nous croyions tous que les projets Énergie Est, TMX et Keystone XL seraient tous en service maintenant, mais cela a changé. Nous faisons maintenant face à des engorgements, des écarts de prix, un exode des capitaux de l’ordre de dizaines de milliards de dollars. Toutefois, le fait que nous avons perdu 60 000 emplois depuis 2017 comme résultat de notre incapacité d’acheminer les ressources au marché est encore plus alarmant.
Je vais que vous avez entendu des gens qui sont en colère et effrayés parce que cette législation touche au cœur de leur capacité de gagner leur vie, de payer leurs factures, de nourrir leur famille, de garder leurs employés au travail ou de fournir des services à leurs électeurs et à leurs membres. Ces enjeux sont incroyablement élevés pour nous.
Donc le secteur énergétique est bien différent de ce qu’il était lorsque les libéraux ont fait le calcul politique de faire campagne en faisant valoir le moratoire sur les pétroliers canadiens.
J’observe également que le soutien qui existait pour cette interdiction au départ reposait sur des perceptions dépassées de l’industrie, et nous sommes maintenant à un endroit bien différent pour ce qui est de notre façon de réagir à des répercussions environnementales ou de dialoguer avec les Premières Nations.
J’ai entendu de nombreux promoteurs du projet de loi, y compris le ministre des Transports, dire que le déversement de l’Exxon Valdez était la raison pour laquelle nous exigions une interdiction plutôt que des mesures de protection sur la côte Nord-Ouest de la Colombie-Britannique. C’est un appel à l’émotion plutôt qu’à la logique. J’espère que les sénateurs comprennent maintenant que l’accident de l’Exxon Valdez ne pourrait jamais se produire aujourd’hui, que les technologies et les normes ont changé. Les produits pétroliers sont expédiés de manière sécuritaire; environ 4 700 bateaux quittent chaque jour le Canada et d’autres pays dans le monde avec leur cargaison.
L’industrie a consacré beaucoup de temps et d’efforts au cours des trois dernières décennies à créer des ressources pour réduire au minimum le risque environnemental.
J’ai aussi entendu le ministre Garneau dire au comité que les Premières Nations, qui s’opposent au projet de loi C-48, s’attendent et travaillent à obtenir un pipeline et un port pour améliorer les conditions économiques et sociales dans leurs nations sont, et je cite, des « intérêts privés » qui ne se trouvent pas dans la même catégorie que les Premières Nations qui appuient le projet de loi du gouvernement. C’est insultant, controversé et paternaliste.
J’ai travaillé avec des pays producteurs de pétrole pendant de nombreuses années, en tant que partenaire, investisseur, formateur et membre du conseil de Pétrole et gaz des Indiens du Canada. Je vois les hommes et les femmes d’affaires des Premières Nations travailler sans relâche pour créer des débouchés économiques pour leur peuple. Ils cherchaient à mettre fin à la pauvreté sur leurs réserves ainsi qu’à la violence, aux dépendances et au désespoir qu’elles créent. Pourtant, ils sont constamment critiqués dans les médias et par les ONG environnementaux, et parfois par d’autres Premières Nations, parce qu’ils osent participer à l’économie des ressources.
C’est assez de se faire rabaisser par le gouvernement parce qu’ils essaient de créer des revenus et des emplois dans l’intérêt de leurs gens.
Je crois que les projets de loi C-48 et C-69 ont été conçus dans l’idée que toutes les Premières Nations sont contre le développement, qu’elles sont des victimes du développement qui ont besoin d’une protection d’Ottawa. Cela ne fait que renforcer les stéréotypes nuisibles qui continuent de maintenir les Premières Nations dans la pauvreté et la dépendance.
D’après les chiffres générés par Pétrole et gaz des Indiens du Canada, l’écart des prix pour les Premières Nations productrices de pétrole coûte à chaque famille près de 19 000 $. Il a diminué de 78 p. 100 par famille depuis 2012. L’écart des prix est le résultat du manque de capacité des pipelines.
C’est réel, ça se passe en ce moment, et ça cause désespoir, violence conjugale et toxicomanie. Je vous garantis que le ministre n’a pas tenu compte de ces effets massifs lorsqu’il vous a dit cela. Il a dit qu’il n’annulait pas un projet en exploitation; par conséquent, cela n’avait aucune incidence économique réelle. Il vous a dit que son gouvernement n’est pas prêt à accepter même le risque négligeable d’un déversement d’hydrocarbures le long de la côte, parce que cela nuirait de façon hypothétique au gagne-pain des Premières Nations. Il a vous a dit cela sans tenir compte des Premières Nations productrices qui perdent déjà au change aujourd’hui, tout comme il n’a pas tenu compte des 60 000 emplois ou des 200 milliards de dollars de recettes fiscales estimées citées par le président de la RBC, David McKay, ou les 85 millions de dollars approximatifs par jour que nous perdions en décembre en raison des écarts.
Mesdames et messieurs les sénateurs, un des moments où j’ai été le plus fier, c’est lorsque j’ai été nommé chef honoraire de la tribu des Blood de la nation Kainai par mon ami et partenaire d’affaires, le chef Roy Fox. Je crois que j’ai un regard unique sur la façon dont les Premières Nations interagissent avec l’industrie énergétique et dont les politiques provinciales et fédérales nuisent constamment à leur capacité de faire des affaires. Je peux vous dire qu’il y a des répercussions réelles, pas hypothétiques, attribuables au manque de capacité des pipelines pour elles.
Enfin, je veux vous signaler à quel point le projet de loi C-48 me rend perplexe en tant qu’homme d’affaires. Dans les affaires, nous cherchons toujours des situations gagnantes pour tous. C’est la seule façon de réaliser des projets. Quand je veux prendre de l’expansion, particulièrement sur notre territoire des Premières Nations ou à proximité de celui-ci, je dois obtenir des approbations environnementales, des approbations réglementaires et, ce qui est encore plus important, le consentement des Premières Nations. Cela prend du temps et de l’argent. Nous parvenons habituellement à trouver une solution qui rallie tout le monde.
Si la législation était un projet d’affaires, ils ne recevraient d’aucune façon des investissements ni n’obtiendraient d’approbations réglementaires. Elle n’assure pas à tout le monde des avantages. En fait, la plupart des Canadiens perdent au change. On n’a pas évalué et quantifié les conséquences socioéconomiques négatives qu’entraînera le projet de loi. Il n’a pas été rédigé dans le cadre d’une évaluation des risques fondée sur les données probantes. Il ne respecte pas les droits des Premières Nations, et nous oublions souvent cette partie, mais la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones mentionne sept fois les droits économiques. Il n’a pas d’acceptabilité sociale. Il semble que la voix de toute Première Nation qui s’y oppose a été laissée de côté.
Si le projet de loi C-48 était un projet énergétique, il échouerait.
Le président : Monsieur Schmidt, nous arrivons à la fin du temps ici, donc veuillez accélérer la cadence.
M. Schmidt : Très bien. C’est particulièrement frustrant dans cette situation, puisque le gouvernement a d’autres options, et je parle du corridor ou de la détermination de zones maritimes vulnérables, d’unités de sécurité maritime de classe mondiale et d’infrastructures de pointe. Le ministre n’a pas pu vous expliquer cela lorsqu’il vous a rencontrés.
Le projet de loi déchire le tissu du pays. Il aggrave les divisions historiques entre l’Est et l’Ouest, entre l’industrie et les environnementalistes, entre les régions rurales et urbaines, et effectivement, entre les familles de Premières Nations qui ont des points de vue différents sur le développement.
Je demande que le Sénat fournisse une meilleure solution que ce que le gouvernement a présenté. Cela peut prendre du temps, et nous croyons qu’il s’agit de temps bien dépensé.
Nous avons besoin d’une législation qui prévoit des normes environnementales élevées, améliore les interventions en matière de sécurité maritime et crée des débouchés économiques pour les Autochtones et les collectivités rurales. Il faut que tout le monde y trouve son compte; nous avons besoin de solutions réelles qui protègent l’environnement, reposent sur les données probantes, soient sécuritaires et conservent les emplois des Canadiens. Merci.
Nancy Manchak, présidente de la section d’Edmonton, Association des jeunes pipeliniers du Canada : Je m’appelle Nancy Manchak et je suis ingénieure professionnelle travaillant dans le secteur pipelinier canadien. Je suis aussi présidente de la section d’Edmonton d’un organisme à but non lucratif qui s’appelle l’Association des jeunes pipeliniers du Canada, l’YPAC.
Merci énormément de me donner aujourd’hui l’occasion de m’exprimer au sujet des préoccupations concernant le projet de loi C-48 cernées par de jeunes professionnels de l’industrie pipelinière.
Établie en 2012, l’YPAC est un réseau pancanadien regroupant plus de 1 400 jeunes professionnels qui travaillent directement dans l’industrie des pipelines d’énergie. La vision de l’YPAC est d’assurer l’avenir durable de l’industrie pipelinière. Pour ce faire, nous fournissons des possibilités d’enseignement, de mentorat et de réseautage à nos membres. L’YPAC collabore avec des associations industrielles, comme l’Association canadienne de pipelines d’énergie et nos jeunes pairs partenaires professionnels de l’Australie, des États-Unis, du Brésil et de l’Europe.
En m’exprimant aujourd’hui au nom de l’YPAC, je tiens à souligner que l’association représente des membres de partout au Canada. Ces membres ont une vision commune : créer la durabilité à long terme de l’industrie. Nous avons des sections actives à Edmonton, à Calgary et à Vancouver, et nous sommes en train de former des sections à Ottawa et à Toronto.
Cela dit, une préoccupation principale de l’YPAC concernant le projet de loi C-48 est la possibilité que la loi ait une incidence négative sur une région du Canada plutôt que sur une autre. La force du Canada repose dans la diversité de sa population et de son paysage. Le projet de loi C-48 va limiter cette force et l’égalité des chances en mettant en œuvre des restrictions propres à une partie de la côte de la Colombie-Britannique. En échange, cela va limiter la croissance possible du secteur énergétique de l’Ouest canadien tout en réduisant les possibilités d’investissement local et d’emploi.
L’abondance de ressources naturelles du Canada associée à sa faible densité de population et à un climat nordique font du pays un lieu bien choisi pour un secteur pipelinier et énergétique très développé et de calibre mondial. L’énergie canadienne produite fait l’objet d’un degré élevé de surveillance environnementale et réglementaire, respecte les droits de la personne et profite directement et indirectement à tous les Canadiens.
Pour assurer la longévité future de l’industrie énergétique du Canada, il est nécessaire d’obtenir un accès supplémentaire aux marchés pour nos produits. Pour ce faire, le Canada doit établir un équilibre entre les protections environnementales tout en reconnaissant la possibilité de prospérité économique qui se trouve dans nos côtes pour tous les Canadiens, y compris les jeunes pipeliniers.
Le projet de loi C-48 va limiter l’accès à de nouveaux marchés pour les exportations de pétrole brut canadien en plus de renforcer la dépendance de l’industrie pétrolière de l’Ouest canadien envers les prix de référence du pétrole établis par les États-Unis. C’est un autre signal au monde que le Canada se ferme aux affaires, ce qui crée une incertitude continue sur le plan des investissements.
Pourtant, alors que le projet de loi C-48 va limiter les exportations de pétrole brut le long de la côte de la Colombie-Britannique, où l’accès aux marchés grandissants de l’Asie est le plus facile, les raffineries de la côte Est canadienne vont continuer d’importer du pétrole dans les ports côtiers.
Dans le cadre de mon expérience de travail professionnelle, j’ai été très chanceuse. J’ai travaillé directement dans cinq provinces et un territoire. J’ai observé les conséquences positives que les entreprises énergétiques et pipelinières canadiennes ont eues sur les collectivités où elles exercent leurs activités et autour de celles-ci. Je suis ici aujourd’hui parce que je suis une fière jeune pipelinière. Je reconnais le degré de créativité et d’amélioration continue qui est présent dans notre industrie. Pour les jeunes pipeliniers, l’YPAC souhaite que cette culture d’innovation et de travail gratifiant demeure vivante dans l’avenir.
Pour assurer la durabilité de l’industrie pipelinière, les jeunes pipeliniers doivent avoir l’assurance que l’industrie offre des perspectives de carrière à long terme au Canada. Cependant, l’incertitude au chapitre des investissements découlant du projet de loi C-48 met en péril un avenir durable pour le secteur pipelinier canadien en démotivant les principaux jeunes talents professionnels.
Nous devons nous efforcer de ne pas obliger les jeunes professionnels canadiens éduqués et très mobiles à quitter le Canada pour des administrations offrant de meilleures possibilités d’affaires dans le monde. L’accès de l’industrie du pétrole canadien aux marchés par la côte Ouest est essentiel à la préservation du bien-être et du niveau de vie élevé des jeunes pipeliniers ainsi que de tous les Canadiens.
Tout comme le gouvernement du Canada a l’obligation de s’assurer que les protections environnementales sont établies et maintenues, il a aussi l’obligation d’assurer un développement économique sécuritaire, responsable et durable sans obstacles indus.
Le projet de loi C-48 menace l’avenir de l’industrie pipelinière canadienne de classe mondiale, et l’YPAC s’y oppose par conséquent. Merci encore de votre temps. Je suis impatiente de répondre à vos questions.
Tim Cameron, président, Rally Canada : Merci, mesdames et messieurs, de me donner l’occasion de prendre la parole.
Je m’appelle Tim Cameron et je suis président de Rally Canada, de Drayton Valley. Je suis le fier père de trois garçons adolescents et le fier époux de mon épouse.
J’ai de l’expérience dans la gestion de projet, dont quatre ans de préparation en vue de nouveaux travaux, de nouveaux forages, ce qui englobe toutes les applications environnementales, les études de site, ce genre de choses, la consultation des Premières Nations ainsi que la construction finale jusqu’à la livraison de la plateforme.
Il y a quatre ans, 50 gars travaillaient pour moi. Aujourd’hui, il n’y a pas assez de travail pour moi, et nous sommes donc tous au chômage et cherchons autre chose à faire.
Drayton Valley est situé à environ 130 kilomètres au sud-est d’Edmonton, et c’est une des nombreuses collectivités productrices de pétrole conventionnel et de gaz en Alberta. Notre région ne produit pas de pétrole brut ni n’exploite les sables bitumineux, mais notre collectivité a été touchée de manière inimaginable par le manque d’accès aux marchés que la pénurie de pipelines a produit.
Mon grand-père a été le représentant d’entreprise ou le superviseur de sites responsable du forage du puits de découverte de pétrole Pembina 1 situé au sud-ouest de Drayton Valley, au début des années 1950; il est donc juste de dire que ma famille a participé directement à l’industrie énergétique pendant des générations.
Notre famille a été témoin des soubresauts que la vie dans cette industrie apporte; elle a toujours épargné pour s’assurer de survivre, de suivre des formations et de faire des apprentissages de façon que ses services soient valorisés durant la reprise suivante.
Durant le plus récent ralentissement, la phase initiale a été provoquée par le prix des marchandises. La deuxième moitié, qui va jusqu’à maintenant, est attribuable à une combinaison complexe d’obstruction du gouvernement, d’évolution environnementale au moyen des règlements et d’indifférence sous-jacente ou même de dédain envers notre province et notre industrie énergétique.
Notre collectivité souffre indûment. Les banques alimentaires ont été utilisées à un taux record en 2015, mais malheureusement, leur utilisation a augmenté constamment depuis ce moment. Aujourd’hui, les familles de toutes les descriptions accèdent au service. Des gens qui avaient des économies de plusieurs années et ont épuisé leurs ressources pour essayer de traverser la crise essaient juste de s’en sortir. Ils sont au bout du rouleau. Je connais de nombreux baby-boomers qui ont affirmé avoir investi toutes leurs économies de retraite dans leur entreprise et qui sont maintenant rendus à un point où ils ne peuvent pas payer leurs impôts. Les données au sujet de sociétés ayant accumulé des arriérés en Alberta étayent cette affirmation. Nous avons perdu environ la moitié de nos entreprises locales, notamment parce que plusieurs centaines de joueurs de l’industrie ont dû fermer leurs portes à l’échelle de la province. Les organismes de bienfaisance se retrouvent devant de graves manques à gagner. Les écoles et les équipes sportives font des commentaires semblables.
Nous ne voulons pas recevoir de subventions du gouvernement. Nous voulons qu’il reconnaisse les nombreuses vérités au sujet de notre industrie, qui offre tellement de choses à notre société et qui nous a amenés à continuer de travailler sans l’ingérence constante qui l’a intentionnellement paralysée.
En décembre dernier, les gens de Drayton Valley, une collectivité de 7 000 âmes, ont produit 6 800 lettres d’appui aux approbations de l’industrie énergétique et des pipelines en cinq jours. Y a-t-il ailleurs au Canada une collectivité qui a généré une réponse aussi importante à un événement, ces derniers temps, voire jamais? Ces lettres ont été remises à notre ministre de l’Énergie provinciale, puis ont été acheminées au ministre fédéral de l’Énergie, le ministre Sohi. Il m’a répondu brièvement par courriel, mais nos demandes de réunions ont toujours été refusées; en fait nous avons surtout essuyé une rebuffade.
Il ne fait aucun doute que les gens de Calgary et de Fort McMurray ne connaissent pas la situation au sein de l’industrie énergétique, mais lorsque vous passez par là, c’est tellement imposant qu’il est difficile de comprendre à première vue à quel point les répercussions sont grandes. Il est difficile de dire si le niveau d’activité est inférieur à ce qu’on pourrait considérer comme étant le niveau normal. La distinction est facile à faire à Drayton Valley. En date du 1er avril, nos institutions financières locales affirmaient discrètement que 17 p. 100 des résidences dans notre collectivité sont menacées parce que les propriétaires n’arrivent plus à payer leur hypothèque. Les banques essayent de travailler en collaboration avec ces derniers pour qu’ils restent chez eux en leur permettant de payer seulement les intérêts, si possible. Ce chiffre n’inclut pas le grand nombre de personnes qui ont déjà quitté la collectivité après avoir fait faillite. Mon fils de 17 ans, qui est en 11e année, a vu deux de ses amis ne pas revenir à l’école après la pause des Fêtes, parce qu’ils se sont trouvé du travail afin d’aider leurs parents à payer les factures.
Tout ce que j’ai écrit ne réussit pas à véhiculer l’émotion que devraient susciter de telles déclarations. Ce que le gouvernement fait vivre à ces familles de contribuables canadiens est inacceptable.
Par curiosité, je me suis rendu au Dakota du Nord l’automne dernier pour voir de mes propres yeux le niveau d’activité dans l’industrie énergétique américaine. La ligne que j’ai franchie était non seulement la frontière entre deux pays, mais une ligne de démarcation entre deux idéologies différentes. L’industrie énergétique là-bas était florissante, et j’ai pu rencontrer des membres de la haute direction qui, lorsqu’ils ont appris que je venais de l’Alberta, disaient espérer que le Canada et l’Alberta continuent de voter pour les libéraux et le NPD respectivement.
Au sud de la frontière, ils sont incroyablement heureux de voir des gens formés au Canada venir travailler dans leur industrie énergétique en raison de notre niveau de formation, de notre grande connaissance de la réglementation environnementale et en matière de sécurité en plus de notre éthique de travail. En outre, j’ai parlé à un propriétaire terrien âgé qui m’a dit que ses nièces pouvaient travailler sur place en raison de leur secteur pétrolier et gazier florissant. Il a déclaré que la possibilité de garder les familles sur place et au travail n’était pas au rendez-vous au cours des dernières décennies et que la collectivité était incroyablement reconnaissante des avantages qu’elle tirait maintenant de tout ça.
C’est un état d’esprit et une réalité auxquels ne réfléchit pas notre gouvernement fédéral actuel. Le mensonge qui a été perpétué selon lequel notre industrie n’a aucune conscience environnementale ou la croyance selon laquelle nous sommes, je ne sais trop comment, une industrie malpropre sont des insultes à ceux qui ont ne serait-ce qu’une infime connaissance de la façon dont nous travaillons.
J’ai des amis et des membres de la famille partout dans le monde qui reconnaissent tous que les normes canadiennes sont de loin les plus rigoureuses. La plupart affirment que les règlements sur la sécurité et l’environnement des autres administrations ont environ de 20 à 30 ans de retard sur celles avec lesquelles on compose au quotidien en Alberta.
Notre industrie est-elle parfaite? Non. Elle ne l’est pas. Des améliorations et des innovations sont toujours requises et, en tant que société, nous devons toujours vouloir mieux faire. Cela dit, pourquoi arrêterions-nous de produire nos ressources tout simplement pour accepter d’autres normes qui, du point de vue tant environnemental qu’humanitaire, sont inférieures aux nôtres?
Tout ça ne tient pas compte des grandes quantités de travailleurs canadiens au sein d’entreprises qui génèrent des recettes fiscales pour notre pays. Ne vous méprenez pas : si je ne peux pas poursuivre ma carrière au Canada dans mon domaine de prédilection, je continuerai de le faire ailleurs et j’ai l’intention de quitter le Canada. Je ne générerai pas des recettes fiscales pour un gouvernement qui a démontré clairement qu’il ne veut pas de moi ni de l’industrie dans laquelle j’ai choisi de faire carrière.
Les projets de loi C-48 et C-69 envoient un message clair à la communauté des investisseurs mondiaux, soit que le Canada ne s’intéresse pas au développement énergétique. L’hypocrisie du projet de loi C-48 est indéniable. Elle élimine l’exportation de l’énergie canadienne à partir de la côte Ouest tout en permettant les importations d’énergie débridées sur la côte Est, des importations qui viennent d’administrations beaucoup moins réglementées. Aucun Canadien raisonnable ne peut regarder ce scénario et voir autre chose qu’une mesure pour arrêter l’exploitation de nos ressources. Si le Canada est vraiment préoccupé par la consommation énergétique, alors il doit imposer les mêmes restrictions à toutes les sources d’énergie sur toutes nos côtes, qu’il s’agisse d’exportation ou d’importation. Encore mieux, pourquoi ne pas considérer notre énergie énergétique pour ce qu’elle est? C’est une industrie de pointe à l’échelle internationale, qui soutient des familles, qui génère des recettes fiscales et qui permet des actes de bienfaisance.
En raison de notre travail chez Rally Canada dans le but de défendre les droits communautaires, nous interagissons chaque jour avec des gens et chaque jour on nous pose deux questions. La première est la suivante : nos efforts sont-ils compris, et nos voix, entendues à Ottawa? La deuxième est la suivante : que pouvons-nous faire pour entamer des discussions sur une éventuelle séparation? Habituellement, les Albertains sont ouverts d’esprit et ont fait peu au cours des dernières années pour promouvoir nos causes ou faire connaître au reste du pays nos griefs. Cela dit, nous sommes fatigués de voir qu’on manque d’égards à notre endroit, et si notre pays ne veut pas de nous, nous miserons sur notre motivation entrepreneuriale et nous générerons des options qui sont bénéfiques pour nous ailleurs. J’espère que la gravité de ces conversations sont comprises et respectées.
J’aimerais conclure sur la réflexion suivante : durant la récession qui se prolonge en Alberta depuis quatre ans, on estime qu’il y a eu des centaines de milliers de mises à pied, et cela n’inclut pas le nombre important de personnes qui sont maintenant en situation de sous-emploi.
De nouveaux projets d’aménagement, de nouvelles constructions, exigent d’importantes ressources énergétiques, du carburant, du gaz et du diesel. Les stations de carburant en vrac de Drayton Valley affirment que leurs ventes ont chuté de 80 à 90 p. 100 comparativement aux niveaux de 2013. Des millions et des millions de litres de carburant ne sont pas consommés en raison du ralentissement, et, malgré tout, on ne mentionne ou on ne reconnaît nulle part cette réduction de notre empreinte carbonique. Apparemment, les données n’ont pas tenu compte de cette réalité, mais pourquoi? Il faut se poser cette question.
Beaucoup de personnes qui œuvrent dans de nouveaux projets de développement au sein de l’industrie avaient l’habitude de transporter du diesel avec eux dans les chantiers, carburant qui était consommé dans le cadre de divers processus et par diverses pièces d’équipement; environ 500 litres par jour. Nous avons littéralement éliminé l’équivalent de plusieurs grandes villes de véhicules de la circulation, et tout ce qu’on nous dit, c’est que notre empreinte carbonique est intenable.
Cet exemple ne concorde pas exactement avec la discussion sur le projet de loi C-48, mais il fournit un certain contexte quant à la façon dont la conversation, la réalité et les rêves d’un gouvernement idéologique ne sont de toute évidence plus rattachés à la réalité.
Merci de votre temps. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de vos exposés. Évidemment, il y a eu beaucoup d’émotions, et je comprends vraiment vos sentiments et à quel point l’industrie vit des années difficiles.
J’aimerais obtenir votre avis sur ce qu’un professeur et un expert de ces questions, Andrew Leach, de l’Université de l’Alberta, a dit, ici même, ce matin. Il a dit que, si on prolonge le pipeline TMX, il ne croit pas, vu les niveaux de demande ou de production en Alberta, un autre pipeline dans le Nord de la Colombie-Britannique sera nécessaire.
J’aimerais que vous nous en parliez, vu que, évidemment, de nombreux facteurs ont contribué aux problèmes de l’industrie pétrolière. Mettons-nous trop l’accent sur le projet de loi C-48 et pas assez sur d’autres facteurs?
M. Schmidt : Je peux répondre à la question. Dans notre analyse, et j’ai travaillé en collaboration avec l'Association canadienne des producteurs pétroliers, l'ACPP, et vu ses prévisions aussi... Je conclurais que le pipeline TMX ne sera pas suffisant à l’avenir, c’est clair.
Je le dis parce que nous possédons la troisième réserve de pétrole en importance du monde, et je suis aussi en désaccord avec M. Leach lorsqu’il affirme que les réserves augmentent constamment. Ce n’est pas le cas. La production augmente. Si on regarde les réserves mondiales, elles n’augmentent pas tant que ça. Une bonne partie des travaux liés au bassin permien réalisés aux États-Unis permettent une production rapide, mais le déclin sera marqué, et ça ne durera pas longtemps. Ça ne sera pas très long avant que les Américains recommencent à lorgner de notre côté.
Je veux soulever un autre point. Vous avez posé une question concernant le projet de loi C-48 : est-ce un faux problème? Est-ce vraiment nécessaire? J’ai répondu à la première partie de la question. Si vous regardez la demande sur le marché, elle augmentera d’ici 2040 d’environ 33 p. 100 en Inde et en Chine. Par conséquent, la côte Ouest devient très importante pour nous si nous voulons obtenir un bon prix pour notre production, comparativement à un déclin d’environ 13 p. 100 des demandes énergétiques en Amérique du Nord durant la même période. L’accès à la côte Ouest est crucial.
Mme Manchak : J’aimerais me faire l’écho des commentaires formulés, mais aussi souligner le besoin de diversification.
Actuellement, le Canada exporte 99 p. 100 de son pétrole à un seul client. Lorsque nous pensons à la durabilité à long terme et à l’avenir de l’industrie, industrie au nom de laquelle je parle aujourd’hui en tant que jeune professionnelle, nous avons besoin de diversification, de nos marchés et de nos clients. C’est ainsi que nous pourrons renforcer nos débouchés, piquer l’enthousiasme des gens et faire en sorte qu’ils veulent rester dans l’industrie à long terme en raison de son dynamisme et de sa diversité.
Le sénateur Tannas : J’aimerais revenir à la question de la sénatrice Miville-Dechêne. Je croyais avoir entendu M. Leach dire que, si nous obtenions le TMX, la canalisation 3 et Keystone XL, la situation correspondrait alors aux projections de l’ACPP, y compris les nouveaux projets de sables bitumineux et tout le reste.
C’est ainsi qu’il a défini son point de vue, soit que nous sommes quasiment là où nous devons être pour transporter notre production vers un marché, non? Ce n’est peut-être pas le marché parfait, mais c’est un marché auquel on a accès. Cependant, je lui ai demandé si, plutôt qu’un amendement pour dire : « Si nous obtenons toutes ces choses, bon sang, nous serions pas malheureux », pourquoi nous ne pourrions pas proposer un amendement faisant en sorte que le projet de loi entrera en vigueur seulement si toutes ces choses se concrétisent? Tout est hypothétique actuellement, non? Je ne crois pas qu’il était prêt à répondre à cette question, peu importe pourquoi.
J’aimerais vous poser cette question, monsieur Schmidt. Premièrement : quel serait votre avis si nous avions ce type de capacité en matière de pipeline?
Deuxièmement : si on regarde là où en sera la demande mondiale à l’avenir, si ce scénario devient réalité qu’on se lie les mains et qu’on s’engage dans cette voie, croyez-vous que des occasions d’arbitrage s’offriront à nos amis américains qui sont prêts à avoir un pipeline et un port? Qu’est-ce que cela pourrait faire du point de vue de notre compétitivité ou encore relativement au fait qu’ils pourraient exercer des pressions sur nos prix et littéralement obtenir d’immenses profits à la suite de l’arbitrage tandis qu’ils expédieront notre production de leurs ports ou qu’ils la transformeront avant de l’expédier de leurs ports?
M. Schmidt : C’est un bon point. Si mes chiffres sont bons, si ces trois choses se concrétisaient, ce serait conforme aux prévisions de l’ACPP.
Cependant, j’ai attendu le pipeline XL, et nous n’y sommes pas encore. Comme vous le savez, un rien peut faire basculer ces projets de pipeline, comme ça a été le cas pour Énergie Est. De toute évidence, c’est dans l’intérêt du Canada, pour m’appuyer sur ce que ma collègue qui a témoigné ici a dit, de diversifier notre économie. Pourquoi bâtir un pipeline vers un marché dont la demande diminuera? Ce n’est pas logique. Il faut transporter notre production vers un marché où la demande augmente et, dans l’intérêt de notre souveraineté, les Américains ne sont que trop heureux de voir que notre production reste ici. Je ne considérerais pas la possibilité de passer par les États-Unis pour avoir accès à l’Asie comme étant quelque chose qui sera favorable aux pipelines dans le cadre de ce projet.
La sénatrice Simons : Je suis reconnaissante à Mme Manchak et M. Cameron. Au cours des dernières audiences, nous avons beaucoup entendu parler de fuite des capitaux, mais vous soulevez un enjeu très important : soit la fuite du capital humain et la perte des ingénieurs et des technologues formés qui font ce travail pour nous.
J’ai une question pour Mme Manchak, puis j’en ai une pour M. Schmidt, si possible.
Madame Manchak, nous venons d’entendre le témoignage de témoins de l’intérieur de la Colombie-Britannique qui s’inquiètent non seulement des pétroliers, mais de la sécurité des oléoducs, tandis que le pétrole brut et le bitume dilué de l’Alberta passe sur leur territoire.
Pouvez-vous nous parler en quelque sorte de la sécurité de la nouvelle génération de pipelines et des risques ou non qu’ils peuvent poser?
Monsieur Schmidt, j’ai l’impression que, lorsque nous étions à Saskatoon, vous avez expliqué au comité — lorsqu’il était question du projet de loi C-69 — la façon dont les Premières Nations sont particulièrement désavantagées en raison des dispositions des accords avec le gouvernement fédéral. Pouvez-vous l’expliquer à mes collègues du comité, parce que c’était quelque chose de nouveau pour moi à ce moment-là.
Mme Manchak : Je crois que cela a été dit plus tôt aujourd’hui, mais la gestion des risques est inhérente à la vie, et en tant qu’ingénieure professionnelle, la gestion du risque, c’est un thème que j’aborde au quotidien en milieu scolaire et au travail. Je ne peux pas fuir ça. Ça fait partie du quotidien.
Les pipelines sont la façon la plus sécuritaire et la plus efficiente de transporter du pétrole brut et du gaz naturel. C’est un fait. Nous le savons.
Les percées que nous avons constatées en matière de sécurité maritime, les pétroliers à double coque, ce sont tous des formes de gestion des risques, et nous évaluons de quelle façon nous pouvons, essentiellement, utiliser nos ressources et le faire de façon fiable et sécuritaire.
Je suis une diplômée de l’Université de l’Alberta et les halls des facultés et les centres de recherche là-bas sont tous tapissés d’emblèmes des entreprises du secteur du pétrole, de l’énergie, des pipelines et des ressources qui ont décidé de financer les recherches nécessaires pour assurer les avancées au sein de notre industrie. Lorsqu’on va à l’Université de l’Alberta, on voit tout ça et on cultive cet enthousiasme et cette attitude dynamique à l’égard de notre industrie énergétique. C’est de là que les solutions viennent, tout comme la prochaine génération de dirigeants, et c’est quelque chose que nous tentons d’attirer chez la YPAC et au sein de la profession associée aux pipelines par l’intermédiaire de notre association. À un moment donné, il faut regarder le financement direct et déterminer qui promeut vraiment ces choses et toutes les avancées que nous avons connues en tant qu’industrie.
M. Schmidt : Pour répondre à votre question sur la raison pour laquelle les Premières Nations sont touchées, j’ai présenté un article, et une lettre d’opinion au Financial Post que vous avez peut-être vu et qui décrivent cinq éléments, mais je serai très bref.
Premièrement, après avoir été membre du conseil d’administration de Pétrole et gaz des Indiens du Canada, je connais les politiques de l’organisation et, habituellement, l’objectif est d’obtenir une meilleure entente pour les Premières Nations, ce qui signifie qu’ils augmentent les redevances pour qu’elles dépassent les redevances sur les terres de la Couronne. Lorsque vous versez plus de redevances et que vous devez prendre une décision d’affaires, la première place d’où vous enlevez vos capitaux, ce sont les endroits où vous payez plus de redevances, et les Premières Nations ont beaucoup perdu de ce côté-là. En Alberta, actuellement, nous sommes dans un environnement où il y a eu des réductions. Le gouvernement provincial a imposé des réductions aux Premières Nations, ce qui n’aurait jamais dû être fait. Le gouvernement n’avait aucun pouvoir à cet égard, mais il l’a fait tout de même. Lorsqu’il est question de décisions d’investissement, je ne vais pas mettre mon argent dans des endroits où les redevances sont élevées. Ils ont été touchés particulièrement durement.
Deuxièmement, il y a beaucoup de données de Statistique Canada accessibles qui donnent à penser que les dernières personnes qui sont embauchées dans le cadre de projets et les premières à être mises à pied sont les membres des Premières Nations. Il y a un certain nombre de raisons à ça. C’est une réalité.
Pour terminer, beaucoup d’entreprises des Premières Nations sont associées au secteur de la construction de notre industrie, et ils sont beaucoup moins actives du côté opérationnel. On les retrouve dans des fonctions comme la sécurité dans les camps, la sécurité des pipelines, la restauration et ce genre de choses. Je crois que, à Saskatoon, vous avez accueilli des représentants d’une entreprise qui s’occupait de sécurité dans les camps et touchant les pipelines. Ces entreprises, en raison de la fuite des capitaux, sont touchées très durement.
Permettez-moi de parler un instant des capitaux. Les capitaux externes investis au Canada sont passés d’environ 14 milliards de dollars à 10,5 milliards de dollars, puis ils ont chuté à 600 millions de dollars l’année dernière. Actuellement, on est à zéro. Ils ont disparu.
Sans obtenir de capitaux externes, les entreprises comme la mienne n’investissent pas dans les collectivités dont on entend parler, comme Drayton Valley.
Hier, la Banque Macquarie a mis fin à toutes ses ventes et ses opérations de négociation, mettant fin à toutes ses activités de recherche, ce qui inclut des bureaux à Toronto et Calgary, ils ne laisseront que quelques banquiers.
On commence à voir les effets, comme vous l’avez dit, dans la collectivité de Calgary, aussi, et ce sont des effets vraiment très dévastateurs.
Le sénateur MacDonald : Madame Manchak, je vais commencer par vous.
Nous étions à Calgary il y a quelques semaines dans le cadre de l’étude du projet de loi C-69. Le Comité de l’énergie a bénéficié d’un très bon exposé présenté par une jeune ingénieure au nom de son secteur, l’industrie des pipelines, et maintenant, vous êtes ici, et je suis très heureux de vous voir ici pour en parler.
Vous avez parlé de quelque chose dont on n’a pas beaucoup parlé. Vous avez parlé de la perte d’investissement. Il y a eu pour 100 milliards de dollars d’investissements qui ont fui le pays. Évidemment, il y a une fuite des cerveaux en cours ou qui se produira. Nous dépensons beaucoup d’argent au pays pour former les gens, et nous savons que, plus les jeunes partent tôt, moins ils sont susceptibles de revenir.
M. Cameron et vous pouvez peut-être m’aider à ce sujet. Avez-vous des données, des statistiques ou des renseignements quelconques sur le nombre de jeunes qui quittent les champs de pétrole à destination des États-Unis pour continuer à œuvrer dans leur domaine? Prenons l’exemple des ingénieurs dans le secteur pétrolier et gazier.
Le premier ministre a dit qu’il voulait augmenter la classe moyenne, mais nous ne croyons pas qu’il voulait dire accroître la classe moyenne aux États-Unis. Avez-vous quelque chose à répondre à ça?
Mme Manchak : Merci, monsieur le sénateur. J’aimerais vous faire part d’une anecdote personnelle qui, selon moi, illustre au mieux ce que je répondrais à votre question.
Je suis née et j’ai grandi en Alberta. J’ai fait mes études là-bas au sein du système d’éducation publique et j’ai fréquenté l’Université de l’Alberta, où j’ai obtenu un baccalauréat. Cependant, six ans plus tard, je suis maintenant une minorité, dans la mesure où, lorsque j’étudiais à l’Université de l’Alberta, le secteur énergétique était en vogue : des expériences de travail enrichissantes, des défis à relever, du soutien pour explorer d’autres régions du Canada grâce au travail et l’occasion de vraiment participer à l’unification des Canadiens. Je rencontrais des étudiants de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, de partout dans le cadre d’affectations professionnelles et ainsi de suite. Lorsque je dis que je suis une minorité, c’est en raison du fait que je n’ai pas encore été mise à pied. J’ai trouvé du travail dans mon industrie, du travail pour lequel j’ai les qualifications techniques.
Beaucoup de mes collègues de classe n’ont pas pu trouver un emploi à temps plein dans le domaine du génie, ou ils ont fait l’objet non seulement d’une, mais de plusieurs mises à pied et ils ont dû changer de secteur avant, au bout du compte, de quitter l’Alberta ou le Canada.
Je crois que c’est triste lorsqu’on regarde l’avenir, et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de participer à la YPAC et de vraiment adopter une vision durable de l’avenir de notre industrie.
M. Cameron : Lorsque j’ai quitté le Dakota du Nord, j’ai discuté avec un agent à la frontière à mon retour au Canada. C’était au début novembre, et voici ce qu’il m’a dit : « Qu’est-ce qui arrive? » Il a dit avoir grandi à Estevan, et travailler à la frontière depuis de nombreuses années. Il a dit qu’il ne savait pas ce qui s’était produit, mais il pouvait presque littéralement sentir que le vent avait tourné. Il a dit que, au cours des quatre semaines précédentes — il parlait donc d’octobre dernier —, il voyait deux ou trois personnes comme moi qui traversaient la frontière pour chercher des occasions, mais que, à l’heure actuelle, il en passait deux ou trois par heure. C’était l’époque où notre prix différentiel était à son maximum, puis tout s’est arrêté.
Il a dit qu’il était étonné du nombre de personnes qui s’en allaient vers le Sud, qui étaient heureux de le faire, parce qu’on les accueillait à bras ouverts. Nous sommes recherchés au sud de la frontière. L’industrie américaine a compris. Je suis désolé, leur pays a compris. Le nôtre, pas tant.
Le président : J’aimerais revenir sur certaines des discussions que nous avons aujourd’hui au sujet des pipelines et du fait que, si nous avons les États-Unis et Kinder Morgan, cela répondra à nos besoins.
Ne serait-il pas important d’avoir des sources indépendantes d’exportation plutôt que de dépendre des États-Unis par l’intermédiaire de Keystone?
Dans un premier temps, on ne sait jamais ce qui arrivera chez nos voisins du Sud. Tout comme on ne sait jamais le genre de prix qu’on obtiendra. Ne serait-il pas préférable si notre pays pouvait expédier par bateau du pétrole vers l’est et l’ouest, d’avoir des sources indépendantes et une diversité de clients pour faire augmenter le prix de notre pétrole et obtenir le meilleur prix possible?
Vous savez, c’est tellement logique et c’est ce que je ne comprends pas au sujet de tout ça. Aidez-moi. Je sais qu’on peut être satisfait d’un accès par Vancouver, où mes petits-enfants vivent. Personne ne semble s’en faire à l’idée que du pétrole passe par là, mais il y a aussi le fait que nous avons une autre source sur la côte Ouest et que nous devrions en avoir une autre sur la côte Est.
M. Schmidt : Le monde a changé totalement avec l’arrivée de la fracturation hydraulique horizontale en plusieurs étapes et le fait que cela a fait des États-Unis une superpuissance en matière d’énergie. C’est quelque chose qui a été fait très rapidement. Les Américains ont fait en dix ans ce que nous avons fait en 80. C’est un changement phénoménal.
Je veux que le Sénat comprenne cela très bien : nous avons les mêmes occasions ici, au Canada. Ce n’est tout simplement pas une occasion liée aux sables bitumineux. Il faut plus de capitaux dans le secteur du pétrole et du gaz de formation étanche dans la province.
Le président : Jusqu’en Saskatchewan.
M. Schmidt : Absolument. N’importe qui possédant mon expertise vous le dira, ce n’est pas un problème de roche, c’est un problème de politique.
Je crois que vous avez tout à fait raison de dire que la force du Canada sera fonction de la diversité de ses marchés. Nous ne pouvons plus nous appuyer seulement sur les États-Unis pour qu’ils soient notre meilleur client, parce qu’ils expédient du pétrole à un rythme fou.
La seule chose qui nous sauve, actuellement, c’est qu’ils ont besoin de notre pétrole brut en raison de la situation au Venezuela et de celle du brut Maya au Mexique. Les raffineurs le long de la côte du golfe ont besoin de notre pétrole brut. C’est la raison pour laquelle il y a une demande, mais c’est tout. La diversification au Canada est importante. Comme je l’ai mentionné précédemment, il ne faut vraiment pas avoir à aller aux États-Unis pour créer un marché alors que les Américains pourraient tout simplement nous retenir et obtenir la déduction de 85 millions de dollars par jour que nous semblons accepter. Selon moi, la côte Ouest, est le point d’accès le plus important pour le Canada.
Le président : Al Capone avait compris l’importance de la distribution. On aurait cru qu’on l’aurait aussi compris. C’est tellement ridicule, non?
La sénatrice Busson : Merci à vous tous de comparaître. C’est l’une des choses qu’il faut constamment se rappeler, surtout à la lumière de ce que M. Cameron a dit au sujet des Albertains qui en prennent plein la gueule. Eh bien, malheureusement, c’est vous qui avez mal aux dents, mais la victime, c’est le Canada. Le pays perd au change, et, pour une raison ou pour une autre, il semble que seul l’Ouest fait attention à la douleur ressentie actuellement. Je crois qu’il faut vraiment remettre tout ça en contexte et redéfinir la situation comme un problème canadien.
Je veux aussi formuler un commentaire sur quelque chose qu’a dit M. Schmidt. Vous avez fourni certains renseignements historiques sur les pertes commerciales ces derniers temps, de la façon dont les choses se sont déroulées et avez souligné que les entreprises ont vraiment besoin d’une solution gagnant-gagnant. Nous avons parlé des différents projets de pipeline qui ne sont pas réalisés.
L’un des autres témoins ce matin, a parlé du fait que, selon lui, il était important, même si un port sur la côte Ouest au nord de Prince Rupert ne serait pas opérationnel pendant encore 5 ou 10 ans, qu’on en discute, puisqu’une vision positive à cet égard serait un important geste symbolique, un important pas vers l’avant symbolique pour les investisseurs qui pourraient voir que le Canada veut faire des affaires.
En ce qui concerne votre conversation sur le corridor et le fait que nous avons vraiment besoin d’une solution gagnant-gagnant, croyez-vous que la voix symbolique du comité ou le fait que le gouvernement ouvre le Nord de la côte Ouest à un port, une pipeline, une voie d’accès aux marchés asiatiques, changeraient la donne aux yeux du milieu des affaires?
M. Schmidt : C’est une question très importante, et je suis heureux que vous la posiez. Je parle à des investisseurs de New York, et mon principal actionnaire est à l'extérieur d'Atlanta, croyez-le ou non. Ce n’est pas très courant, parce que la plupart des investisseurs américains ont vendu leurs actions canadiennes et investissent sur leur territoire.
Je dirais qu’il y a beaucoup de fonds canadiens maintenant qui imposaient des limites de contenu canadien qu’il faut conserver. Ils ont réduit ces limites parce qu’il y a de meilleures occasions d’investissement ailleurs. Alors même les fonds canadiens regardent vers le Sud, alors j’ai peu de chance d’essayer d’attirer des investisseurs américains ici.
Par conséquent, lorsque je regarde ces capitaux et investissements... C’est essentiellement ce dont les petites entreprises ont besoin pour recueillir des fonds et commencer à travailler. Lorsqu’on élimine tout ça, eh bien, on n’y a tout simplement plus accès. Que faudrait-il faire pour que ça revienne? Est-ce que votre suggestion pourrait donner une certaine impulsion?
Selon moi, des amendements aux projets de loi C-69 et C-48 relativement à un corridor pourrait être ce changement nécessaire. Les investisseurs voient ces choses, à tort ou à raison, comme un signe d’hostilité du gouvernement contre le milieu des affaires. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration, c’est conçu pour ralentir les choses et y mettre fin plutôt que pour créer un environnement économique et trouver un juste équilibre.
Voici ce que je veux dire au Sénat : vous essayez de prendre une décision aujourd’hui non seulement au sujet d’un projet, mais sur la question de savoir si on devrait simplement regarder ce que disent les données scientifiques et envisager de faire certaines choses. Le marché verrait ça d’un bon œil.
On ne dit pas qu’il y aura des pétroliers sur la côte Ouest si vous refusez tout ça, ou si vous y apportez un amendement relativement à un corridor. Nous disons que nous sommes disposés à ouvrir le dossier et à essayer de réunir les gens pour trouver une solution. C’est important de faire participer les Autochtones de la côte Ouest qui s’opposent à tout ça pour qu’ils puissent comprendre de quelle façon on gère la sûreté, et j’ai vu ce travail. J’ai fait ce genre de chose.
Le président : Merci beaucoup à nos témoins. Merci, monsieur Schmidt, madame Manchak et monsieur Cameron, de vos exposés plutôt émouvants aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici, à Edmonton.
Pour ce qui est de notre troisième groupe de témoins cet après-midi, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Amit Kumar, professeur, titulaire de la Chaire de recherche industrielle du CRSNG en génie des systèmes énergétiques et environnementaux à l’Université de l’Alberta, et à Al Reid, premier vice-président, Mobilisation des intervenants, Sécurité, Services juridiques et avocat général de Cenovus Energy Inc.
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons maintenant écouter les exposés de M. Kumar, puis de M. Reid.
Amit Kumar, professeur, Chaire de recherche industrielle du CRSNG en génie des systèmes énergétiques et environnementaux, Université de l’Alberta, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, et bonjour à tous les membres de l’auditoire. Je suis heureux d’être des vôtres, et je vous remercie de me donner l’occasion de faire part de mes opinions sur le sujet critique du transport des ressources énergétiques canadiennes vers les marchés internationaux.
Je m’appelle Amit Kumar. Je dirige un programme de recherche en génie des systèmes énergétiques et environnementaux à l’Université de l’Alberta. Je suis ingénieur énergéticien de formation. Mes commentaires aujourd’hui porteront sur les émissions de gaz à effet de serre et les coûts associés au transport du bitume et du pétrole brut synthétique.
Nos travaux incluent l’évaluation des coûts et des empreintes environnementales des systèmes énergétiques en mettant l’accent sur les émissions de gaz à effet de serre et les empreintes aquatiques du cycle de vie d’un produit, c’est-à-dire de toute la chaîne de la production de l’énergie, de sa transformation, de son transport, de sa conversion et de son utilisation finale.
Mon groupe de recherche a évalué le cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre de différents modes de transport du bitume et du pétrole brut synthétique ou PBS. Nous mettons un accent particulier sur la portion des émissions de gaz à effet de serre liée au transport dans tout le cycle de vie énergétique. Par conséquent, le cycle de vie inclut l’extraction du bitume, sa conversion en essence ou en diesel ou encore en carburéacteur, sa transformation, son transport, sa conversion à la raffinerie et son utilisation finale. Nos recherches ont porté sur le transport du bitume et du PBS par pipeline et camion ainsi que par pétrolier vers la région Asie-Pacifique.
Les émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion des carburants de transport représentent environ de 70 à 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre durant tout le cycle de vie des produits énergétiques. Les émissions liées au transport ne représentent qu’un infime 4 p. 100 des émissions. Les émissions liées au transport par baril de pétrole brut sont les plus basses dans le cas des pétroliers, suivis des pipelines, puis des trains, et, enfin, des camions.
Nous nous sommes penchés sur la question du transport de bitume ou du PBS produit en Alberta par pipeline vers la côte de la Colombie-Britannique, pour ensuite être expédié dans des destinations de la région Asie-Pacifique puis converti en essence, diesel ou carburéacteur, le transport maritime se faisant par pétrolier Aframax. Les émissions d’expédition représentent seulement environ 6 ou 7 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre durant tout le cycle de vie lorsqu’on utilise des carburants liquides pour se rendre dans des destinations de la région Asie-Pacifique.
Si nous transportions tout le bitume albertain, environ 2,84 millions de barils par jour que nous produisons, dans des destinations de la région Asie-Pacifique pour produire des carburants liquides, les émissions de gaz à effet de serre liées à l’expédition seraient inférieures à 0,05 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre canadiennes, qui s’élèvent à 722 mégatonnes par année. C’est donc négligeable.
La taille des pétroliers joue un rôle important dans le coût du transport par baril en raison des économies d’échelle. Le coût par baril du transport du bitume et du PBS par pétrolier est le plus bas comparativement aux pipelines, aux trains et aux camions.
Les pétroliers à grande capacité aident à réduire de beaucoup le coût des transports, et, par conséquent, les ultragros porteurs de brut et les gros porteurs de brut sont les bâtiments de prédilection. Ces grands pétroliers aideront à réduire les coûts de livraison du bitume et du PBS dans la région Asie-Pacifique, d’environ 30 ou 40 p. 100 par baril comparativement aux pétroliers Aframax. Par conséquent, le recours à ces gros porteurs rendrait nos ressources plus concurrentielles.
En résumé, les pétroliers qui affichent les émissions de GES par baril de pétrole brut transporté les plus bas représentent aussi l’une des façons les plus efficaces de transporter le bitume et le PBS. Merci beaucoup.
Al Reid, premier vice-président, Mobilisation des intervenants, Sécurité, Services juridiques, avocat général, Cenovus Energy Inc. : Bonjour et merci à vous tous d’être venus en Alberta dans le cadre de votre étude.
Je m’appelle Al Reid. Je travaille pour Cenovus Energy. Nous sommes une compagnie pétrolière et gazière dont le siège social est situé à Calgary. Nous sommes le plus important producteur in situ de sables bitumineux du Canada et nous employons plus de 3 000 Canadiens.
Le développement des ressources de pétrole et de gaz naturel canadiennes de façon sécuritaire et responsable fait partie de notre mission d’entreprise, et c’est quelque chose qu’on intègre dans tout ce qu’on fait. Cela inclut tenir compte des émissions de gaz à effet de serre et s’assurer que les collectivités locales près de nos opérations bénéficient de notre travail. Par exemple, au cours des 15 dernières années, nous avons réduit l’intensité de nos émissions de gaz à effet de serre associées à nos sables bitumineux du tiers. En outre, depuis le lancement de notre entreprise, en décembre 2009, nous avons acheté plus de 2,7 milliards de biens et services auprès d’entreprises autochtones.
Vu toutes les projections crédibles prévoyant une augmentation de la classe moyenne en Asie, il continuera à y avoir une forte demande de pétrole et de gaz, avec une consommation mondiale de pétrole qui, d’après les prévisions, augmentera de millions de barils par jour d’ici 2040, mais ce n’est nulle part plus vrai qu’en Asie. Le Canada peut choisir d’aider à combler cette demande grandissante en fournissant aux clients mondiaux le pétrole produit de la façon la plus responsable où nous pouvons choisir de rester sur les lignes de côté et de regarder les administrations concurrentes profiter des retombées économiques de cette croissance. Vraiment, aujourd’hui, on n’a pas regardé plus loin qu’au sud de la frontière. Nous ne devrions pas être confus à ce point-ci. Les gens qui travaillent dans le monde entier continueront d’acheter du pétrole et du gaz, et si ce n’est pas du Canada, ils l’achèteront ailleurs.
Il s’agit d’une occasion de plusieurs milliards de dollars pour notre économie, et c’est une occasion pour le Canada de devenir un fournisseur mondial de choix de produits de pétrole et de gaz naturel durable.
Le chemin le plus court et économique pour atteindre les nouveaux clients asiatiques passe par la Colombie-Britannique, et Trans Mountain a le seul pipeline d’exportation en opération construit en 1953.
Cenovus transporte actuellement environ 11 500 barils par jour par ce pipeline dans le cadre d’un contrat ferme, et nous en transporterons encore beaucoup plus lorsque le système sera élargi et complété. Nous deviendrons l’un des principaux expéditeurs de ce pipeline élargi.
Certaines personnes croient que ce pipeline qu’on prévoit agrandir offrira un accès suffisant aux marchés mondiaux pour le pétrole canadien, mais ce n’est pas vrai. L’expansion du pipeline Trans Mountain est un projet important. Comme je l’ai dit, nous sommes un important expéditeur qui utilise ce pipeline, et il nous fournira un accès dont on a beaucoup besoin à l’océan. Cependant, il ne nous donne pas accès à un port en eau profonde, et cette différence est très, très importante.
Le terminal maritime Westbridge, au bout du pipeline Trans Mountain n’est pas assez profond pour accueillir de très gros transporteurs de brut, les TGTB. Le terminal peut seulement charger partiellement de plus petits pétroliers Aframax jusqu’à concurrence d’un maximum de 600 000 barils. Comparativement au TGTB, qui peuvent transporter 2 millions de barils. Les coûts d’expédition d’un TGTB de Prince Rupert ou de Kitimat — et ce sont des estimations — s’élèveraient entre 1,50 $ et 2 $ le baril. À titre de comparaison, un Aframax qui part du port de Westbridge coûte environ de 2,50 $ à 4 $ par baril pour transporter le même pétrole brut. Le fait de couper les coûts d’expédition peut-être même de moitié est majeur dans notre milieu, et si vous faites les calculs, lorsqu’une entreprise expédie d’un demi-million à un million de barils par jour, c’est beaucoup, beaucoup d’argent qu’on laisse, chaque jour, sur la table.
Cependant, ce n’est pas simplement une question de coûts. Beaucoup de raffineries internationales préfèrent les TGTB, qui peuvent décharger 2 millions de barils en de 24 à 30 heures, tandis que le déchargement d’un plus petit pétrolier Aframax occupe le même poste d’accostage pendant de 18 à 24 heures; on parle donc de 2 millions de barils comparativement à 600 000 barils. Cela peut devenir un problème important lorsqu’on tente de négocier des livraisons régulières plutôt que des expéditions d’essai peu fréquentes comme on l’a fait ces dernières années. Ces coûts et manques d’efficience s’additionnent et font en sorte qu’il est plus difficile de commercialiser le pétrole brut canadien par Burnaby. On peut le faire, et nous avons envoyé des cargaisons en Asie, mais pour être vraiment concurrentiels à l’échelle internationale, il faut des économies d’échelle, et cela vient d’un accès aux ports en eau profonde du Nord de la Colombie-Britannique et au transport par TGTB.
Malheureusement, le projet de loi C-48 ne permet aucun compromis raisonnable. Il ne fait que fermer la porte à la principale possibilité d’exportation de l’Alberta, et ces décisions semblent permanentes. Je trouve difficile à croire que nous en sommes là à discuter de la possibilité d’adopter une nouvelle loi canadienne qui est fondée sur une hypothèse simple selon laquelle le transport de pétrole dans le Nord de la Colombie-Britannique est tellement difficile que notre gouvernement ne permet même pas aux plus grands experts de la sécurité marine de, ne serait-ce que tenter de trouver une solution.
Nous pouvons faire mieux que ce projet de loi, et ce serait, au minimum, de permettre des corridors de transport de pétrole sécuritaires et réglementés. Si on ne peut pas trouver un tel compromis raisonnable, je propose respectueusement que le projet de loi devrait être complètement rejeté.
Je vous remercie donc de m’avoir écouté et je serai heureux de répondre à vos questions.
La sénatrice Simons : Chaque fois que je pense avoir compris toutes ces choses, j’apprends quelque chose de nouveau. Donc les transporteurs Aframax et les TGTB, ils semblent être des rats de taille inhabituelle comme dans le film La Princesse Bouton d’or.
C’est parfait que vous soyez tous les deux réunis dans le même groupe de témoins, et vos exposés concordent très bien. Je veux vous poser à chacun une question.
Monsieur Reid, vous dites que les grands pétroliers, les ultra gros et les très gros, ne peuvent tout simplement pas prendre le relais du pipeline TMX au port de Burnaby.
M. Reid : C’est exact, et c’est la raison pour laquelle le projet Northern Gateway a toujours attiré l’industrie albertaine qui voyait une occasion d’expédier sa production par des ports en eau profonde ou au moyen de très gros transporteurs de brut, les TGTB.
Au sud de la frontière, les États-Unis — et je suis sûr que vous avez déjà entendu ces chiffres aujourd’hui — ont essentiellement doublé leur production depuis 2008, et la croissance se poursuit. L’autre chose qui se passe aux États-Unis, et j’ai vérifié certaines statistiques de l’industrie l’autre jour, c’est qu’il y a 15 terminaux d’exportation marine proposés aux États-Unis.
C’est le genre de faits nouveaux qui se produisent dans d’autres endroits depuis que l’expédition a été permise aux 48 États du Sud pour la première fois il y a quelques années, et ce marché a crû très rapidement. Vu la croissance continue de la production pétrolière — et les producteurs américains voient ce qui va se produire du côté de la demande en Amérique du Nord, par opposition à ce qui se passera dans les autres régions du globe —, vous pouvez voir qu’ils réagissent très rapidement. Le Canada, de son côté, ne réagit pas du tout.
La sénatrice Simons : Monsieur Kumar, je comprends bien sûr votre argument selon lequel on peut mettre plus de contenu dans un grand navire, et que cela aura pour effet de réduire l’empreinte de gaz à effet de serre littéralement en raison d’une économie d’échelle.
Cela n’entraîne-t-il pas une augmentation du niveau de risque? Je ne peux m’imaginer à quel point ce serait catastrophique qu’un ultra gros porteur de brut se rompe et entraîne un déversement.
M. Kumar : Si vous réfléchissez aux technologies qui ont été élaborées, du faible état de préparation technologique jusqu’à l’échelle commerciale, ce sont les pétroliers qui sont utilisés actuellement partout dans le monde. Ce n’est pas la première fois qu’on ferait une telle chose.
Mon point de vue, c’est que si on les utilise partout dans le monde en faisant respecter les normes de sécurité, pourquoi est-ce qu’on ne peut pas le faire au Canada? Pourquoi faut-il imposer une interdiction ici alors qu’on pourrait en tirer profit du point de vue du coût par unité comparativement aux petits transporteurs. Je parle d’avantages importants, de 30 à 40 p. 100, et M. Reid a même parlé de 50 p. 100, et il en va de même pour les émissions de gaz à effet de serre. Si vous regardez les considérations économiques qui rendent nos ressources concurrentielles, tout en réduisant l’empreinte environnementale et qu’on tient compte du fait que ces choses sont déjà utilisées commercialement, pourquoi ne pas le faire?
La sénatrice Simons : J’aimerais savoir s’il y a quoi que ce soit qui rend les plus grands navires plus sécuritaires que les plus petits ou si leur niveau de sécurité est similaire. Je sais que vous n’êtes pas des spécialistes des navires.
M. Reid : Je ne suis pas un expert de l’expédition maritime, mais je sais qu’on ne transporterait rien qui ne soit pas dans des navires à double coque, et, assurément, ces navires seraient jumelés à des navires de remorquage et de navires pilotes ainsi que de sonars, de GPS et d’autres technologies du genre à la fine pointe de la technologie.
Lorsque je regarde tout ça, la possibilité que quelque chose se produise n’est pas plus élevée quand on parle de grands navires que lorsqu’il est question des petits. Je dirais même que les grands navires investiraient davantage dans la technologie ainsi que dans les mêmes types de remorqueurs d’escorte et d’équipement de sécurité que ceux qui les appuient, alors ce serait plus sécuritaire.
Le sénateur Tannas :
Monsieur Kumar, nous avons accueilli Mme Bergerson, et j’imagine que son domaine de travail chevauche un peu le vôtre. J’ai une question au sujet des gaz à effet de serre dans les sables bitumineux et de la possibilité de remplacer le gaz naturel par l’énergie nucléaire. Selon vous, est-ce une approche viable, vu les percées dans les technologies nucléaires? Nous en avons un peu parlé dans une certaine mesure. On pourrait, en fait, si c’était possible de le faire, régler la moitié de l’engagement du Canada dans l’Accord de Paris.
Est-ce quelque chose que vous envisagez ou en avez-vous entendu parler d’autres intervenants ou est-ce tout simplement du domaine du rêve?
M. Kumar : Non. Je crois que les perspectives du nucléaire sont très intéressantes et très réalistes pour les sables bitumineux, parce que les émissions de gaz à effet de serre seraient grandement réduites. Des réacteurs modulaires pourraient aider à fournir la chaleur nécessaire pour l’extraction des sables bitumineux et permettraient de réduire de façon importante l’empreinte liée aux gaz à effet de serre. Ce pourrait définitivement être quelque chose qui change la donne.
Le sénateur Tannas : Merci.
Monsieur Reid, Cenovus s’appelait auparavant EnCana?
M. Reid : Oui. L’histoire de Cenovus, c’est que la Alberta Energy Company et PanCanadian Petroleum ont fusionné en 2002 pour former EnCana, puis, en novembre 2009, il y a eu une scission au sein d’EnCana; EnCana existe toujours, et il y a maintenant aussi Cenovus. À ce moment-là, EnCana s’est occupé de tout le gaz naturel, parce que l’entreprise était principalement productrice de gaz naturel, et Cenovus possédait les actifs liés aux pétroles lourds à Foster Creek et Christina Lake. Nous avons aussi réalisé d’autres projets depuis.
EnCana, comme vous le savez peut-être, monsieur le sénateur, possède maintenant environ 80 p. 100 de ses actifs — peut-être plus — aux États-Unis, et il en reste seulement 20 p. 100 au Canada.
Le sénateur Tannas : C’est là où je voulais en venir. Essentiellement, votre entreprise peut retracer ses origines jusqu’au chemin de fer?
M. Reid : C’est exact.
Le sénateur Tannas : C’est à tous les égards une réussite canadienne de bout en bout, y compris pour ce qui est de certains des travaux précoces réalisés par le gouvernement de l’Alberta et d’autres pionniers albertains qui ont bâti votre entreprise.
Dites-moi, au cours des six derniers mois, combien d’argent avez-vous investi dans de nouvelles immobilisations au Canada et combien d’argent avez-vous investi ailleurs dans le monde?
M. Reid : Presque tous nos actifs sont situés en Alberta. Nous avons des sables bitumineux en Alberta, deux projets d’exploitation et deux autres qui sont des projets de développement. Ces projets sont sur la glace depuis quelques années en raison des conditions du marché. Nous avons aussi certains actifs liés au gaz naturel en Colombie-Britannique, en raison du fait que le bassin enfoui que nous exploitons s’étend de l’autre côté de la frontière. Nous avons des actifs de raffinage aux États-Unis dans le cadre d’une coentreprise que nous détenons à 50 p. 100 avec Phillips 66.
Notre budget d’immobilisation est le plus bas de notre histoire. J’étais avant responsable des actifs d’exploitation, et mon budget d’immobilisations à l’époque, en 2013-2014, était le double de ce qu’il est aujourd’hui, et c’était pour un seul groupe d’actifs. Notre budget d’immobilisations n’a jamais été aussi petit. De nouveaux fonds de capital de croissance dans les sables bitumineux, à un taux de 1.3... Les fonds s’élèvent peut-être à 100 millions de dollars parce que nous terminons un projet d’expansion que nous ne pouvons pas activer en raison de l’accès au marché et de la réduction. Dans les raffineries américaines, chaque année — et ne me citez pas là-dessus — je dirais que nos immobilisations seulement pour les projets d’entretien et de décongestion s’élèvent peut-être à environ 200 millions de dollars.
Le sénateur Tannas : Pour chaque dollar que vous investissez en ce moment, et vous êtes à votre plus bas niveau, vous investissez deux dollars aux États-Unis?
M. Reid : On parle ici de nouveaux capitaux. Pour ce qui est des coûts d’entretien et du réinvestissement de maintien, les capitaux que nous investissons pour nous assurer que nos installations de sables bitumineux roulent à plein régime... On parle d’un autre milliard de dollars. Nous dépensons donc un milliard de dollars dans le bassin enfoui et les sables bitumineux sous forme de réinvestissement de maintien, d’investissements pour assurer des opérations sécuritaires et fiables.
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Reid, j’aimerais revenir à la question des ports en eau profonde dans le Nord de la Colombie-Britannique.
J’ai lu des parties de l’évaluation réalisée par Northern Gateway concernant les différents ports dans le Nord. L’entreprise a choisi, comme vous le savez, Kitimat. Kitimat n’est pas vraiment dans la course actuellement. Vous savez probablement aussi qu’il y a eu un plébiscite et que le maire est contre, alors il semble qu’il faut oublier Kitimat.
Les trois autres ports qui ont été rejetés par Northern Gateway sont Port Stewart, Port Simpson, et Prince Rupert, pour différentes raisons.
Dans le cas de Prince Rupert, les montagnes posent trop de problèmes pour le pipeline, et dans le cas de Port Stewart, il y a de la glace une partie de l’hiver.
Que pensez-vous de tout ça? Qu’arrivera-t-il si le projet de loi C-48 n’est pas adopté? Y a-t-il un projet qui est viable dans le Nord de la Colombie-Britannique dans la mesure où on pourrait utiliser un port en eau profonde capable d’accueillir les immenses pétroliers dont vous parlez?
M. Reid : Oui, je crois qu’il y a encore une option viable. Lorsqu’on prépare une proposition de pipeline, il faut envisager différents parcours. Évidemment, comme toujours, on essaie de trouver le chemin le plus court entre deux points. Cela aurait été, au meilleur de ma connaissance, Kitimat, qui est encore selon moi une option viable. Assurément, on verra, lorsqu’un autre projet sera proposé, quel port en eau profonde sera choisi. Je crois qu’il y a d’autres défis liés à la construction du pipeline du côté de Prince Rupert, mais je ne dirais pas que ces défis sont insurmontables. Le pipeline Trans Mountain passe au travers des Rocheuses entre Edmonton et Vancouver. Nous sommes toujours fiers de nos Rocheuses, mais des pipelines aux États-Unis traversent d’assez grandes montagnes, alors je ne crois pas que c’est un problème insurmontable. Ce n’était tout simplement pas le pipeline qui a été proposé.
La sénatrice Miville-Dechêne : Qu’en est-il de l’échéancier? Vous parlez tous d’une crise qui se produit actuellement dans l’industrie du pétrole, et nous savons que l’approbation de tels projets prend des années et des années. Reste-t-il du temps? Où en sommes-nous en ce qui a trait à la construction d’un pipeline dans le Nord pour tirer parti de ces marchés?
M. Reid : Pour le projet Northern Gateway d’Enbridge, l’approbation aurait été obtenue au bout de huit ans avant qu’il soit annulé. Actuellement, il n’y a aucune proposition active. Eagle Spirit aurait comparu devant le comité, et nous avons parlé à des représentants de Eagle Spirit au sujet de leurs plans. J’étais assis dans le hall durant la discussion précédente sur le moment où nous aurons besoin d’un autre projet de pipeline. En présumant qu’on pourrait obtenir les trois — Trans Mountain, la canalisation 3 et Keystone XL — nous aurions encore besoin d’un projet supplémentaire d’ici la fin de la prochaine décennie, donc entre 2025 et 2030.
Je dirais que deux ou trois choses doivent se produire. Premièrement, il faut que les investisseurs veuillent revenir au Canada. C’est là une crise très, très importante à l’heure actuelle, et vous avez entendu M. Van Wielingen à ce sujet ce matin.
Actuellement, il y a une crise de confiance des investisseurs dans notre industrie relativement . Vous savez, lorsque le projet Northern Gateway a été annulé, Northern Gateway a fait un chèque de 650 millions de dollars. Lorsque celui d’Énergie Est a été annulée, TransCanada a libellé un chèque de 1 milliard de dollars. Trans Mountain est parti. Essentiellement, l’une des meilleures entreprises de pipeline du monde a dit qu’elle ne pouvait pas faire d’affaires ici. Puis, il y a des choses comme les projets de loi C-48 et C-69. La première chose qu’il faut faire, c’est ramener des investissements ici, sinon il n’y aura pas de projet.
Ensuite, avant de mettre de l’avant un quelconque projet, que ce soit la construction d’un projet de sables bitumineux ou la construction d’un pipeline par une entreprise — et j’ai déjà, par un passé lointain, participé à la construction de pipelines — il y aura deux ou trois années d’études environnementales, de consultations et de toutes ces choses, avant que la demande soit présentée. Puis, il y a le processus de demande par lequel il faut passer, et je dirais qu’il faudra pour ça trois ans, et c’est optimiste. On en est à six ans, puis il en faut encore deux pour la construction. C’est à peu près à ce moment-là qu’il faudra voir un autre pipeline.
Je dirais trois ou quatre ans pour les travaux commerciaux préalables, les consultations, la préparation de la demande, trois ans pour le traitement de la demande, puis il faut construire le tout alors il faut prévoir encore deux ou trois ans.
C’est quelque chose à quoi on devrait réfléchir maintenant. Cependant, il n’y aura pas un autre pipeline tant qu’on n’aura pas les capitaux, le financement par actions et par emprunts afin de pouvoir ramener des gens au sein de notre industrie au Canada.
Le sénateur MacDonald : Merci de votre présence aujourd’hui, j’ai des questions pour vous deux.
Monsieur Kumar, j’ai bien aimé votre exposé sur les ultragros porteurs de brut, et les TGTB. Je comprends que les TGTB peuvent passer par le canal du Suez. Est-ce le cas?
M. Reid : Si je peux me permettre, je ne suis pas certain que les TGTB peuvent passer. Je sais qu’il y a une catégorie qui ne peut pas passer par le canal de Panama.
Le sénateur MacDonald : Je sais que les ultragros transporteurs, les UGTB, ne peuvent passer par aucun réseau de canal; le plus gros dans le monde.
Monsieur Kumar, j’ai trouvé très intéressante la façon dont vous avez expliqué les répercussions sur les gaz à effet de serre et ce genre de choses. Pour un UGTB, vous avez besoin d’un type particulier de port; vous devez donc construire des infrastructures. Vous ne pouvez pas charger ces bateaux sur un canal quelque part, puisqu’ils doivent être chargés dans un port. Nous avons deux ports de ce genre au pays. L’un d’eux se situe dans les environs de Prince Rupert, et l’autre est à Point Tupper, au Cap-Breton. L’eau y est extrêmement profonde — en raison de la levée de Canso —, libre de glace, il y a une étale de marée, et le port se trouve en plein sur les principales routes maritimes. Si nous devions construire des installations de ce genre à Prince Rupert et que nous étions en mesure d’exporter deux millions de barils de pétrole à la fois, aurions-nous besoin d’un port sur la côte Est? En aurions-nous encore besoin?
Monsieur Reid, si nous acheminions non pas du bitume vers l’Est, mais plutôt du pétrole brut, lequel est utilisé par la raffinerie Suncor à Montréal — et nous avons inversé la canalisation 9 —, l’exportation de ce pétrole brut de l’Alberta ferait monter de 12 p. 100 à 50 p. 100 l’importation de ce pétrole dans l’Est. Quelle quantité de ce type particulier de pétrole brut produisons-nous au pays? En produisons-nous assez pour alimenter notre marché local et les raffineries dans l’Est du Canada? Pourrions-nous l’acheminer entièrement? Pourrions-nous combler la capacité des raffineries situées dans l’Est du Canada qui reçoivent du pétrole brut léger de l’Alberta?
M. Kumar : Sur la côte Est — si je prends du recul et que je pense à la demande et à la façon dont elle augmentera —, nous avons le potentiel d’exporter une portion importante de notre pétrole brut, de notre bitume ou de notre pétrole synthétique brut partout dans le monde.
Si nous mettons en place un mécanisme ou un corridor pour exporter notre pétrole brut sur les marchés internationaux, la demande serait là. Cela aidera également à faire baisser les coûts de la côte Est par rapport à ceux de la côte Ouest.
Je pense certainement qu’il y a une demande partout dans le monde pour le pétrole brut et le bitume. Il s’agit plutôt de savoir quelle partie du marché nous pouvons obtenir. Voilà ce que j’aimerais dire au sujet de l’augmentation de notre capacité en matière d’exportation sur les marchés internationaux.
M. Reid : La production aujourd’hui au Canada est approximativement de 4,5 millions de barils par jour. Environ quatre millions de ces barils sont produits en Alberta, et les sables bitumineux comptent pour 3 millions d’entre eux. L’Alberta produit environ un million de barils par jour de pétrole classique, et 3 millions et demi de barils sont actuellement exportés — puisque c’est là que se trouve le marché —, et les oléoducs doivent se rendre à l’endroit où on l’exporte. Cela signifie qu’un million de barils par jour se retrouvent dans les raffineries canadiennes.
Si vous examinez les prévisions en matière de production de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, lesquelles, il me semble, parlent de passer à six ou sept millions de barils par jour en 2035 — si l’on tient pour acquis que nous pouvons attirer à nouveau du capital au pays —, cela fait beaucoup de pétrole pour l’exportation et pour l’utilisation locale. Le Canada possède les troisièmes réserves pétrolières en importance au monde. La possibilité de continuer à les exploiter afin de répondre à la fois à la demande locale et à la demande internationale est certainement l’une des meilleures occasions qui s’offrent à tout pays dans le monde.
Le sénateur Smith : Monsieur Reid, si nous continuons à aller de l’avant avec l’option du corridor et que cela devient la solution retenue, il devra y avoir une capacité d’intervention en cas de déversement pour ce corridor. À l’extérieur de la région de Burnaby, le long de la côte, la capacité d’intervention est limitée.
Pour une entreprise comme la vôtre, si vous deviez exporter un certain nombre de milliers de barils par jour ou pour une certaine période, dans quelle mesure l’idée de contribuer financièrement à ce soutien d’intervention vous convient-elle?
M. Reid : Je crois que la façon dont cela fonctionnerait, c’est que les représentants du pipeline s’engageraient à avoir en place une capacité d’intervention en cas de déversement. Il faudrait que cela soit mis en place avant même le début des exportations; il faut pouvoir réagir si cela devient nécessaire.
Lorsque j’examine ce qu’a vécu notre industrie l’automne dernier, un rapport de l’Institut Fraser énonçait que nous avions laissé 20,6 milliards de dollars sur la table en raison de l’écart de prix du pétrole l’an dernier. Il y avait des moments l’automne dernier où nous payions des gens pour exporter tous les barils de pétrole que nous produisions.
Lorsque je regarde cela et ce que nous devons mettre en place comme mesures d’intervention en cas de déversement pour garantir que, si nous exportons nos produits, nous le faisons de façon responsable, il me semble qu’il s’agit d’un très petit prix à payer. La question des coûts est toujours importante pour chaque entreprise, mais c’est un coût qui sera intégré dans les droits des oléoducs, et nous allons devoir payer d’une façon ou d’une autre. C’est un coût minime lorsque vous examinez le coût pour l’économie lié au fait de ne pas avoir accès au bon marché et d’avoir un seul client qui est devenu — en plus d’être notre plus gros client —, notre plus gros compétiteur au sein d’un marché international en pleine croissance et pour la demande en pétrole.
Le président : Nous avons tenu bon nombre de discussions sur le fait d’avoir des corridors. Lorsque j’étais président du Comité des banques, nous avons mené une étude sur un corridor national pour des pipelines, des autoroutes et des voies ferrées, et un certain nombre de sénateurs ont lancé l’idée d’un corridor en tant qu’amendement potentiel à apporter au projet de loi à l’étude.
Comment vous y prendriez-vous? En d’autres mots, est-ce que nous allons devoir établir les zones écosensibles en premier afin que nous ne planifiions pas de faire passer un corridor dans une zone où un pipeline ne pourrait jamais être construit? Ne faudrait-il pas étudier où se trouvent les pipelines? Comme vous dites, Kitimat était une option, mais il pourrait y en avoir deux ou trois autres. De quelle façon pourrions-nous savoir où deux ou trois autres tracés de corridor pourraient être établis à moins que nous ne menions des études approfondies, lesquelles pourraient prendre des années?
M. Reid : C’est vrai, il vous faudra...
Le président : Cela n’inclut pas l’étude sur le pipeline que vous allez devoir mener. Vous allez devoir passer par ce processus également.
M. Reid : Oui. Je viens de l’Alberta, et lorsque vous commencez à parler de la façon dont vous voudriez mener une étude dans un environnement marin... Je me sens un peu dépassé.
De façon générale, ces zones devraient avoir été cartographiées. Il devrait y avoir des cartes que les marins utilisent afin de naviguer en toute sécurité.
Il vous faudra élaborer un corridor à partir d’un port en particulier, et vous pourrez dire qu’un navire doit se diriger vers tel ou tel cap, jusqu’à ce qu’il se trouve en eau libre et qu’il n’y ait plus de risque lié au fait de travailler dans ces zones près du littoral.
Une partie du travail consisterait à examiner les zones marines particulièrement sensibles. Vous les examinez, puis vous élaborez un chemin qui en tiendrait compte, au même titre que diverses conditions de navigation comme les récifs, les courants et ce genre de choses.
Comme je l’ai dit, je commence à me sentir un peu noyé en me prononçant là-dessus, sans mauvais jeu de mots.
Le président : Je ne pense pas que quiconque ici ne se sentirait pas noyé...
M. Reid : Certainement, je crois que c’est possible. J’ai effectué bon nombre de tracés de pipeline au cours des années, et il est possible de le faire en fonction du territoire. Vous cherchez des indicateurs de zones écologiquement sensibles, différentes conditions de sol et ce genre de choses. J’estime donc que c’est tout à fait possible.
Le président : Nous sommes le 30 avril, et le projet de loi se trouve devant nous. Comment pensez-vous même être en mesure non seulement d’envisager ce genre de chose, mais également de les terminer d’ici la mi-juin? Il me semble qu’il s’agit d’une tâche ridicule, et nous ne devrions pas essayer de faire cela. Mon point de vue ne reflète pas celui du comité, et je poursuivrai donc à partir de là. Ce que je sais, c’est qu’il nous a fallu près de deux ans pour mener notre étude sur le corridor et que l’étude qui avait été menée avant datait d’il y a 50 ans, en 1967. Je me demande qui était premier ministre en 1967. Si nous avions mené une étude sur le corridor à cette époque, nous ne serions pas aux prises avec les problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui.
M. Reid : Monsieur le sénateur, je ne pense pas que nous ayons à définir un corridor dans la loi. Je crois qu’il faut plutôt définir la capacité d’avoir un corridor dans la loi, et le corridor serait établi pour répondre aux conditions particulières d’une demande de projet, ce qui incomberait au promoteur.
Le président : D’accord.
Le sénateur MacDonald : En ce qui concerne les répercussions auxquelles feraient face les transporteurs au chapitre de la gestion du pétrole — particulièrement sur la côte Est puisque nous en acheminons énormément —, quel pourcentage de notre pétrole serait acheminé par des bateaux qui sont plus petits que les TGTB?
J’imagine qu’il s’agit de presque tout... Peut-être qu’un TGTB se rend à Point Tupper à l’occasion, mais je n’en suis pas sûr.
M. Kumar : Je dirais que ce ne sont pas les TGTB. Je dirais qu’il s’agirait plutôt...
Le sénateur MacDonald : Des Suezmax, des navires de cette taille? Je les ai déjà vus.
M. Kumar : Les UGTB sont bien plus gros. Les TGTB pourraient fonctionner, mais je ne peux pas vous donner de réponse précise.
Le sénateur MacDonald : Il ne fait aucun doute que plus le transporteur est gros, moins son incidence écologique est importante?
M. Kumar : Plus un transporteur est gros et plus il est avantageux sur le plan économique. Les prix liés au transport sont plus bas, et il consomme bien moins de carburant, ce qui signifie qu’il émet moins de gaz à effet de serre par rapport aux petits navires. Ce point se fonde sur les sciences fondamentales.
Le sénateur Neufeld : Messieurs, merci de comparaître devant nous aujourd’hui.
Au sujet de la question du sénateur Tkachuk par rapport à un corridor — et je suis d’accord avec vous, monsieur Reid : vous n’avez pas besoin de le souligner dans le projet de loi. Vous devez simplement ouvrir la porte pour que le gouvernement commence à travailler là-dessus. C’est, du moins, ce que j’ai compris : faites le travail scientifique et puis déterminez quelles sont vos options.
Ce travail scientifique serait égal à tout le travail scientifique qui a été effectué pour mettre fin au trafic de pétroliers le long de la côte. Êtes-vous d’accord?
À mon avis, il s’agissait plus d’une promesse détournée — faite pendant la campagne électorale afin de gagner des votes — que d’une approche scientifique. Je crois qu’il n’y avait aucun élément scientifique qui sous-tend le fait de mettre fin au transport entre le Nord de l’île de Vancouver et la frontière avec l’Alaska, à moins que je ne me trompe, et peut-être pourriez-vous me l’expliquer si c’est le cas.
M. Reid : Si j’ai bien compris, monsieur le sénateur Neufeld, un engagement électoral a été fait le 10 septembre 2015, au centre-ville de Vancouver, et, par la suite, il y a eu une directive dans une lettre de mandat adressée au ministre des Transports le 12 novembre 2015 afin de mettre en œuvre ce moratoire.
À ma connaissance, s’il devait y avoir un examen axé sur les risques ou une étude scientifique à cet égard — ou une exigence —, il s’agirait d’une période très difficile pour le faire. À ce moment-là, bien sûr, il n’y aurait pas de gouvernement qui puisse donner des instructions à Transports Canada pour le faire. À ma connaissance, cela n’a pas été fait depuis. Je ne suis pas au courant d’un examen axé sur les risques qui aurait révélé qu’il s’agit d’une étape nécessaire, ou qu’une étude scientifique a été menée.
La sénatrice Busson : Nous avons parlé un peu du port de Prince Rupert et d’autres possibilités de ports pour l’exportation par pipeline. C’est intéressant pour ceux d’entre nous qui viennent de la Colombie-Britannique, car Prince Rupert est un peu ce lieu éthéré au milieu de nulle part, et il est assez surprenant que sa proximité avec l’Asie ait fait de ce port et de ce havre un lieu viable et formidable d’un point de vue commercial.
Est-ce que l’avantage de la proximité de Prince Rupert, de Kitimat ou même de Port Simpson avec l’Asie en tant que port de choix fait une différence en ce qui concerne la commercialisation de notre pétrole sur ce marché? La proximité est-elle un facteur important, et s’agirait-il d’un argument sur lequel nous ne devrions pas fermer les yeux?
M. Reid : Cela dépend souvent de la décision de vous approvisionner en brut à partir d’un lieu donné. Si vous fournissez du pétrole brut, les raffineurs voudront savoir quel type de pétrole ils obtiennent — ont-ils l’équipement qui permet de transformer ce pétrole en produits, quels types de produits obtiendront-ils pour cela, quel prix obtiendront-ils pour les produits?
Vos frais d’expédition constituent une partie très importante de ce coût : plus la distance est courte, moins vous paierez de frais d’expédition. C’est donc un réel avantage pour les ports canadiens de la côte Ouest.
Cela sera certainement un facteur économique. Les gens peuvent dire que 50 cents ou un dollar le baril importent peu, mais si vous le faites plusieurs centaines de milliers de fois par jour, 365 jours par année, sur une période de 15 à 20 ans, ce sont des chiffres énormes. Les parties qui achètent ce pétrole brut en Asie en tiendront compte dans leur analyse économique.
M. Kumar : J’ajouterais simplement que ça tient également à la taille des transporteurs qui peuvent se rendre dans ces ports en eaux profondes de la région Asie-Pacifique. Cela a une grande incidence sur les coûts d’expédition, qui sont moins élevés dans ces ports.
Le président : S’il n’y a pas d’autres questions, je vous remercie, messieurs Kumar et Reid, de vos exposés.
Pour notre dernier groupe de témoins aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta, et l’honorable Sonya Savage, ministre de l’Énergie.
Ils ont tous les deux été assermentés ce matin. Félicitations pour la victoire électorale et bonne chance à vous. Merci d’être des nôtres aujourd’hui.
La parole est à vous, monsieur le premier ministre Kenney. C’est bien de dire ça. Laissez-moi le répéter. Monsieur le premier ministre Kenney.
L’honorable Jason Kenney, C.P., premier ministre de l’Alberta, gouvernement de l’Alberta : C’est en fait la première fois que je l’entends, assez curieusement.
Merci beaucoup, mesdames et messieurs. Bienvenue en Alberta, à l’exception de madame la sénatrice Simons, que je remercie de nous accueillir à Edmonton. J’apprécie vraiment l’occasion.
Avant de commencer, j’aimerais vous présenter la ministre de l’Énergie de l’Alberta, Sonya Savage, qui possède une vaste expérience des enjeux énergétiques. J’ai convié des invités spéciaux à se joindre à moi, notamment Bob Blakely, président sortant de Building Trades, l’un des plus grands consortiums de syndicats du pays; Calvin Helin, le promoteur principal d’Eagle Spirit Energy Holdings Ltd. et de l’initiative Eagle Spirit, dans le Nord de la Colombie-Britannique; et Dennis Perrin, de CLAC, un autre syndicat important, principalement ici en Alberta, qui compte des milliers d’employés dans le secteur de l’énergie. Je m’attends à ce que mon collègue de Notre Dame Hound, Stephen Buffalo, du Conseil des ressources indiennes, un autre grand défenseur de notre secteur énergétique vital, se joigne à nous.
[Français]
Tout d’abord, monsieur le président, j’aimerais remercier le comité de sa décision de venir ici, en Alberta, parce que je sais qu’au début ce n’était pas son intention. Je suis ravi que vous ayez décidé d’entendre directement la voix des Albertains, qui sont très inquiets en ce qui concerne l’avenir de leur industrie de l’énergie, qui est un moteur de l’économie et de la prospérité canadiennes.
[Traduction]
Je suis ravi que vous ayez décidé d’être avec nous ici en Alberta.
Les Albertains ont élu un gouvernement qui protégera leurs intérêts et se battra pour eux lorsque la situation deviendra difficile, et ce sera une période difficile.
Je tiens à vous remercier, sénateur Tkachuk, d’avoir accepté ma demande officielle d’exprimer la position de notre gouvernement selon laquelle le projet de loi C-48 constitue une grave menace pour les intérêts économiques de l’Alberta et du Canada.
Non seulement nous ne sommes pas d’accord avec le projet de loi C-48 dans sa forme actuelle, mais nous ne sommes pas d’accord avec le projet de loi, point à la ligne. Nous ne croyons pas que cela puisse être corrigé. Nous croyons qu’il doit être abandonné.
En termes simples, le projet de loi est une attaque contre l’Alberta et les intérêts économiques vitaux de notre province. Il ne touche personne d’autre. Il n’est pas seulement discriminatoire; nous croyons qu’il est inconstitutionnel. Le gouvernement fédéral n’a pas pris en considération la recherche ou la science dans son évaluation ni les répercussions d’un moratoire relatif aux pétroliers. Comme de nombreux analystes l’ont souligné, une double norme est au cœur du projet de loi à l’étude. Le projet de loi C-48 n’a pas d’incidence sur les expéditions de gaz naturel liquéfié exporté de la Colombie-Britannique. Si ces mesures concernent la circulation des pétroliers, dites-nous pourquoi elles ne s’appliqueraient pas au gaz naturel de la Colombie-Britannique.
De même, en limitant les exportations de pétrole depuis des ports stratégiques en eau profonde, le Canada a un accès limité aux marchés asiatiques, ce qui entraînera une augmentation des coûts et des délais d’expédition plus longs. Cela crée un problème majeur pour les fournisseurs de l’Alberta et du Canada en ce qui concerne le transport de notre énergie vers le reste du monde.
Je dois admettre que cette loi me laisse perplexe. Si elle est si importante, pourquoi ne nous attachons-nous pas à d’autres côtes canadiennes? Selon Transports Canada, 85 p. 100 des 20 000 déplacements de pétroliers au large des côtes canadiennes ont lieu sur la côte atlantique. Nous savons tous quel type de pétrole passe actuellement par la côte atlantique : le pétrole de l’OPEP, le pétrole saoudien. En fait, un rapport publié la semaine dernière indiquait que les importations canadiennes en provenance du Royaume d’Arabie saoudite avaient augmenté de 66 p. 100 au cours des quatre dernières années. Il s’agit d’importations de pétrole pour lesquelles les consommateurs canadiens subventionnent indirectement un régime dictatorial avec l’un des pires dossiers du monde en matière de droits de la personne, qui traite trop souvent les femmes comme un bien plutôt que comme des personnes et qui a exporté l’extrémisme dans le monde entier; il y a aussi des importations en provenance du Venezuela et d’autres pays où les normes en matière de travail, d’environnement et de droits de la personne sont radicalement inférieures à celles du Canada.
En outre, des pétroliers traversent régulièrement la baie de Fundy pour se rendre aux raffineries Irving à Saint John, et j’en suis sûr, comme vous, mesdames et messieurs, car je l’ai moi-même constaté de visu. La baie de Fundy, bien sûr, est une zone sensible sur le plan environnemental et culturel, qui est bien connue, alors pourquoi ces mesures législatives ne s’appliqueraient-elles pas à la baie de Fundy? Pourquoi ne s’appliquent-elles qu’à une région de notre côte Ouest qui exporterait uniquement de l’énergie de l’Alberta?
Le Canada affiche un excellent bilan en matière de sécurité des pétroliers. La dernière fois que nous avons eu un déversement important de pétrole remonte à 1979, non pas sur la côte Ouest, mais au large de la côte Est, près de la Nouvelle-Écosse. Bien sûr, depuis ce temps, il y a 40 ans, la sécurité des pétroliers et la technologie de la sécurité maritime ont été fondamentalement améliorées, et aucune de celles-ci n’est prise en considération dans le projet de loi C-48. Le projet de loi fait fi de ces éléments critiques. Le fait que nous ayons peu de marées noires et que la technologie ait beaucoup évolué ne semble apparemment pas intéresser le ministre qui a rédigé ce projet de loi.
Si l’objectif du projet de loi est la sécurité maritime et côtière, je ne crois pas que l’interdiction permettra d’atteindre le résultat souhaité. Ça revient à couper la branche sur laquelle on est assis. Les pétroliers chargés continueront de longer la côte de la Colombie-Britannique entre l’Alaska et Washington. Là encore, cette interdiction ne concerne que les produits provenant de notre province, de l’Alberta.
Nous savons que les navires étrangers auront toujours le droit de passage inoffensif dans les eaux côtières en vertu du droit international et le droit de charger et de décharger du pétrole brut juste au nord de la zone interdite proposée en Alaska.
Nous savons également que le consortium de M. Helin, le Eagle Spirit, a en fait suscité l’intérêt potentiel de certains investisseurs pour la recherche d’une voie intérieure vers l’Alaska qui traverserait ultimement les eaux canadiennes, mais qui contournerait les restrictions prévues par le projet de loi C-48. Alors, quel est l’intérêt?
Si ces navires-citernes présentent des risques, comme le dit le gouvernement fédéral. Je vous pose la question suivante : pourquoi le Canada assumerait-il le risque que représentent ces pétroliers étrangers sans tirer aucun avantage économique des exportations potentielles au large de la côte Nord de la Colombie-Britannique?
Cela est hypocrite et contredit le Plan de protection des océans du gouvernement fédéral qui vise à protéger la côte tout en stimulant l’économie. Interdire l’expédition depuis des ports stratégiques qui permettent d’accéder à de nouveaux marchés au-delà des États-Unis nuit gravement aux emplois canadiens et à l’économie albertaine en particulier.
Le projet de loi nuit à l’économie de l’Alberta parce qu’il nous maintient en otage contre notre propre prospérité économique. Je peux dire ceci : l’Alberta ne tolérera pas cette idée, et, en tant que premier ministre, je ne la tolérerai pas. Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, nous lancerons une contestation constitutionnelle du projet de loi C-48. Nous allons légitimement nous battre pour défendre notre province. Nous nous battrons pour avoir le droit d’expédier nos précieuses exportations sur les marchés internationaux et d’obtenir une valeur appropriée, ce qui est dans l’intérêt manifeste de tous les Canadiens, d’un océan à l’autre.
[Français]
L’Alberta a contribué à hauteur de plus de 600 milliards de dollars aux transferts fiscaux au reste du Canada depuis 1957. Nous sommes les plus grands contributeurs fiscaux au reste du pays et nous, Albertains, sommes fiers du rôle que nous avons joué dans la prospérité de la fédération. Aujourd’hui, il y a une crise de confiance parmi les Albertains envers la fédération. Un sondage a indiqué récemment que 50 p. 100 des Albertains appuient la sécession. Il y a une crise d’unité nationale qui sera exacerbée par l’adoption du projet de loi C-48.
[Traduction]
Nous ne permettrons pas que l’idéologie politique au cœur de ce projet de loi interfère avec les emplois, notre mode de vie et notre prospérité.
Je veux discuter de certaines choses qui nous préoccupent davantage dans le projet de loi. Tout d’abord, les substances interdites. Le Canada fausse encore le jeu au désavantage de l’Alberta. La liste des substances interdites a été établie sans rime ni raison. On pourrait soutenir que le gouvernement fédéral ne s’appuie même pas sur ses propres recherches menées par Ressources naturelles Canada. Notre bitume n’est pas plus dangereux que les autres produits qui transitent actuellement par le port de Vancouver.
Le fait que des condensats comme le propane soient soumis à cette interdiction est franchement ridicule. La Colombie-Britannique peut expédier du gaz naturel liquéfié, mais l’Alberta ne peut pas expédier du propane? N’est-il pas prématuré d’ajouter des catégories spécifiques de pétrole, de produits ou de matériaux interdits directement dans les mesures législatives? Il s’agit là encore d’une attaque constitutionnelle contre l’Alberta et son industrie énergétique, et l’Alberta ne le tolérera pas. L’adoption de ce projet de loi nuira aux investissements dans les pays où la confiance des investisseurs est déjà en crise, mais également au Canada, dans plusieurs secteurs autres que le pétrole et le gaz.
À notre avis, l’approche du projet de loi découragerait les progrès technologiques dans le secteur de l’énergie visant à accroître la sécurité dans le transport de pétrole brut.
En tant que pays uni, nous avons la possibilité d’être un fournisseur mondial de choix, doté des normes environnementales les plus rigoureuses et de pratiques de mise en valeur et de remise en état responsables.
Permettez-moi de marquer une pause pour dire : soyons tous honnêtes, le projet de loi C-48 est clairement le résultat direct de la campagne financée depuis l’étranger par des groupes d’intérêts spéciaux visant à enclaver les ressources énergétiques canadiennes qui a pris forme lors de la réunion organisée par les bureaux du Rockefeller Brothers Fund pour la campagne des sables bitumineux en 2008; cette campagne a permis de recueillir des dizaines de millions de dollars auprès de fondations étrangères dans le but explicite et préjudiciable d’enclaver les ressources énergétiques du Canada. Depuis le lancement de cette campagne, les États-Unis ont doublé leur production de pétrole et sont maintenant devenus un exportateur net de pétrole.
La demande et la consommation mondiales de pétrole ont augmenté de 10 p. 100, passant de 90 à 100 millions de barils par jour. L’Agence internationale de l’énergie prévoit une nouvelle augmentation de 10 p. 100 de la demande mondiale au cours des 25 prochaines années.
Soit le Canada contribuera à satisfaire à cette demande avec l’énergie produite ici dans le respect des normes environnementales, des normes du travail et des droits de la personne les plus élevés, soit nous renoncerons à ces marchés énergétiques mondiaux en pleine croissance en faveur de certains des pires régimes mondiaux. Pourquoi ces organisations ont-elles motivé le gouvernement fédéral à préserver ce projet de loi? Parce qu’elles considèrent le Canada comme étant faible, très facile à intimider. Elles savaient pertinemment qu’elles ne pourraient pas réduire la production accrue de pétrole aux États-Unis, ni la production ou le transport d’énergie vénézuélienne, saoudienne, qatarienne, iranienne ou russe. Nous nous trouvons donc dans la situation ironique de figurer parmi les principaux producteurs d’énergie, la seule démocratie libérale à respecter les normes les plus élevées et, pourtant, nous sommes en train de céder les marchés de l’énergie et des centaines de milliards ou de billions de dollars de valeur à des régimes qui exportent l’extrémisme, les conflits et la violence dans le monde. C’est là le véritable effet concret de projets de loi de ce type, ainsi que du contexte plus large du projet de loi C-69, à savoir la mise à mort des projets Northern Gateway et Énergie Est.
Le gouvernement fédéral a admis qu’il n’avait pas étudié en profondeur la zone définie dans le projet de loi pour comprendre ce qui rend la côte Nord de la Colombie-Britannique particulièrement vulnérable au transport maritime et à d’autres activités maritimes. C’est significatif. Nous ne pouvons pas simplement dire : couvrons l’ensemble de la zone. Le gouvernement doit faire les choses correctement. Des recherches supplémentaires doivent être menées avant la mise en place d’une interdiction territoriale par zone.
Nous ne pouvons pas dire que les fonctionnaires du gouvernement ont eu des discussions avec des fonctionnaires provinciaux. À tout le moins, nous avons besoin de consultations approfondies et significatives, non seulement entre gouvernements, mais également avec des membres de Premières Nations comme ceux représentés par M. Helin et de nombreuses Premières Nations de l’Ouest canadien et du Nord de la Colombie-Britannique qui souhaitent avoir la possibilité d’être des partenaires de la mise en valeur responsable des ressources afin que leurs gens puissent passer de la pauvreté à la prospérité.
Je peux annoncer au comité que le gouvernement de l’Alberta, qui vient de prêter serment aujourd’hui, créera un fonds de règlement des litiges destiné à aider les groupes des Premières Nations comme Eagle Spirit à revendiquer leurs droits d’être consultés par la Couronne fédérale avant qu’elle mette fin à des possibilités économiques, dans le but d’aider les Premières Nations à défendre leurs droits économiques.
De plus, nous allons créer une société d’État appelée Aboriginal Opportunities Corporation, soutenue par un investissement initial de un milliard de dollars afin de faciliter la participation financière des Premières Nations et de favoriser leur copropriété dans d’importants projets liés aux ressources, y compris ceux situés potentiellement sur la côte Nord de la Colombie-Britannique.
Nous ne pouvons pas fermer les frontières à notre prospérité économique. L’adoption de ce projet de loi signifie une réduction des investissements, non seulement pour l’Alberta, mais pour le Canada. Nous verrons les entreprises, les unes après les autres, continuer à déplacer des capitaux et des emplois bien rémunérés à l’étranger. Nous avons assisté à la fuite de dizaines de milliards de dollars de capitaux de l’Alberta pour alimenter un boom énergétique sans précédent aux États-Unis — au Texas, au Dakota du Nord et au Colorado.
Je terminerai en disant, monsieur le président, que, si le projet de loi est adopté sous une forme semblable à celle actuelle, ce sera un coup dur pour la confiance des investisseurs dans un secteur qui a été un moteur essentiel de la prospérité et du fédéralisme budgétaire du Canada. Ainsi, au nom du gouvernement de l’Alberta, j’implore le comité de ne pas renvoyer le projet de loi au Sénat ou d’indiquer qu’il va falloir en reprendre le texte de fond en comble.
En toute franchise, nous ne pensons pas, comme je le disais, que ce projet de loi est récupérable, et je rappelle au comité que vous avez entendu l’ex-première ministre Notley, je pense, par téléconférence il y a trois semaines. Initialement, en novembre 2016, elle ne comprenait pas parfaitement les conséquences négatives du moratoire enchâssé dans la loi, mais elle a très bien compris que le projet de loi aurait des répercussions dévastatrices sur la prospérité de l’Alberta et du Canada.
Ce n’est pas une question partisane en Alberta. Il y a un large consensus de gauche à droite, de la population de tous les secteurs, sur le fait que ce projet de loi doit être rejeté, et que, dans le cas contraire, le gouvernement de l’Alberta le contestera comme étant inconstitutionnel.
Je suis heureux de répondre aux questions.
La sénatrice Simons : J’ai levé la main en premier parce que, lorsque la première ministre Notley est venue témoigner au sujet du projet de loi C-69, je n’ai pas eu l’occasion de le faire, et la bande vidéo du Sénat a capté à tout jamais le reflet de ma déception.
Le président : Je tiens à vous informer, madame la sénatrice Simons, que le sénateur Neufeld a levé la main en premier, mais parce que vous êtes d’Edmonton, je vous laisse commencer.
La sénatrice Simons : Il y a une telle courtoisie autour de cette table. Merci, messieurs, à tous.
J’ai une question pour le premier ministre, et, si vous me le permettez, une question pour la ministre.
Vous dites que, si ce projet de loi était adopté, l’Alberta lancerait une contestation constitutionnelle. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur la manière, selon vous, dont cette contestation prendrait une forme juridique?
M. Kenney : Eh bien, nous allons prendre conseil auprès de notre ministère de la Justice. Je peux dire que nous croyons que l’impact du projet de loi est préjudiciable, il cible l’Alberta. Nous croyons que cela contrevient à l’union économique qui est implicite dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la Loi constitutionnelle de 1982.
Nous pensons que, à première vue, le choix d’un produit d’une province, en vue d’un blocage franchement préjudiciable sur une côte canadienne, est une violation de l’union économique et, à tout le moins, nous avons de très bons arguments à faire valoir. En outre, nous croyons que c’est la responsabilité du gouvernement de l’Alberta d’établir le bien-fondé d’un argument.
La sénatrice Simons : Ma prochaine question s’adresse à la ministre.
Madame Savage, vous avez passé la majeure partie de votre carrière à travailler pour Enbridge et la CEPA, l’Association canadienne de pipelines d’énergie. Nous avons tenté de déterminer s’il était possible de trouver un compromis dans ce projet de loi en ce qui concerne l’emplacement des pipelines plus au nord.
Je ne sais pas dans quelle mesure vous avez participé au projet Northern Gateway d’Enbridge. Vraisemblablement, il y avait des raisons pour lesquelles Enbridge a choisi Kitimat et un port plus au sud comme route, et je me demande si vous pouvez nous éclairer dans nos efforts visant à déterminer s’il existe une route plus au nord passant peut-être par le territoire des Nisga’a, traversant peut-être le territoire des Lax-kw’alaams; cela nous permettrait de protéger cette partie de la côte de la Colombie-Britannique tout en permettant à l’Alberta de bénéficier d’un point d’accès.
L’honorable Sonya Savage, ministre de l’Énergie, gouvernement de l’Alberta : Bien sûr. J’y ai participé. Auparavant, j’ai travaillé au projet de pipeline Northern Gateway pendant environ neuf ans et je ne vois pas de compromis à l’égard de ce projet de loi.
Essentiellement, toute la côte Nord du Canada est interdite, et les sociétés pipelinières choisissent des itinéraires en fonction d’une ingénierie complexe, d’exigences d’acheminement, et ces itinéraires, les ports de Kitimat et de Prince Rupert ainsi que les zones environnantes sont idéaux pour l’emplacement d’un terminal maritime.
Si j’ai bien compris, c’est exactement la raison pour laquelle ces ports ont été choisis, car c’est précisément à partir de ces ports que l’Alberta exporterait du pétrole. Comme le premier ministre vient de le dire, cela vise directement l’Alberta et les produits de l’Alberta. Il n’y a pas de compromis.
Le sénateur Neufeld : Merci à vous deux de comparaître.
Félicitations au premier ministre Kenney. Madame Savage, félicitations pour votre nouveau rôle. Je pense que vous aurez du pain sur la planche, mais, vous connaissant depuis des années, je suis sûr que vous pourrez faire le travail. Nous avons confiance en vous deux.
J’aimerais revenir un peu en arrière en 2013, lorsque le gouvernement fédéral précédent avait annoncé un système de sécurité de classe mondiale pour les pétroliers, plus précisément pour Vancouver, mais il a dû y avoir eu des discussions à ce moment-là sur la mise en place d’un système de ce type sur toute la côte de la Colombie-Britannique.
Monsieur le premier ministre, je veux simplement savoir si c’est ce qui a été étudié.
M. Kenney : Je ne crois pas, monsieur le sénateur, et cela nous laisse vraiment perplexes, étant donné l’engagement pris par le gouvernement fédéral d’investir considérablement dans ce plan de sécurité maritime qu’il a qualifié de classe mondiale, d’avant-garde, le meilleur au monde.
Pourquoi faire cet investissement? Pourquoi insister sur ce plan de sécurité maritime et le contourner complètement par des dispositions législatives contradictoires? Cela suppose un manque de confiance dans le plan de sécurité du gouvernement.
Me permettez-vous de parler franchement, monsieur le sénateur? Je ne pense pas qu’il s’agit ici de sécurité maritime. Je pense que cela concerne la politique. Il s’agit essentiellement d’un projet de loi émanant d’un député qui avait été proposé il y a une décennie par la ministre Joyce Murray, de Vancouver Quadra, qui représente une circonscription en particulier, laquelle, selon son avis politique, est opposée à l’idée de ces exportations.
C’est pourquoi, en tant que premier ministre de l’Alberta, je pense que les Albertains sont très contrariés du fait qu’il n’existe en réalité aucun argument scientifique convaincant. Les Albertains sont sensibles aux préoccupations environnementales. Les Albertains veulent préserver notre environnement naturel. Les Albertains ne veulent pas compromettre la sécurité maritime. Or, ils comprennent également que toute forme de développement économique ou d’exportation de ressources suppose au moins un risque théorique que nous avons toujours accepté en tant que pays qui met en valeur des ressources et les exporte. Nous ne comprenons donc pas la raison d’être de ce projet de loi.
Le sénateur Neufeld : De plus, les consultations auprès des Premières Nations, du moins ce que j’ai pu découvrir, ont été très limitées, voire inexistantes. Il s’est agi davantage de personnes qui venaient dire : voici ce que vous allez obtenir. Je ne sais pas si vous avez entendu les mêmes choses.
En fait, les Premières Nations nous ont parlé ce matin des conséquences d’une interdiction des pétroliers sur leurs activités et leurs moyens de subsistance en Alberta, un peu au sud d’ici.
Lorsque nous avons tenu les audiences sur le projet de loi C-69 — je siège également à ce comité — nous avons entendu un certain nombre de Premières Nations de la région de fort McMurray. Leurs représentants nous ont dit : que faites-vous avec le projet de loi C-69, vous allez nous faire retomber dans la pauvreté alors que nous en sortons à peine et commençons à vivre une vie comme tout le monde. Ce n’est pas juste une question de grosses entreprises pétrolières. On parle des gens. Je pense que cela concerne la personne moyenne, que vous soyez membre d’une Première Nation ou une personne qui ne peut pas travailler dans le domaine dans lequel vous souhaitez travailler.
M. Kenney : Merci, monsieur le sénateur. Je tiens à signaler aux membres du comité qui ne le savent peut-être pas que l’Alberta jouit du plus haut niveau d’emploi et des revenus les plus élevés parmi les peuples autochtones de toutes les provinces du Canada, et ce, pour une raison : l’industrie pétrolière et gazière.
Des collectivités comme Fort McKay ont été des partenaires progressistes du secteur de l’énergie et accroissent leur intérêt de propriétaire. Nous cherchons également à favoriser cela par la création de l’Aboriginal Opportunities Corporation afin de fournir un soutien financier aux investissements des collectivités autochtones dans les pipelines et les grands projets liés aux ressources.
Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi le gouvernement fédéral semble croire que l’obligation de consulter de la Couronne ne touche que la minorité des Premières Nations qui s’opposent à la mise en valeur des ressources et pourquoi le gouvernement fédéral semble croire que les droits économiques des peuples des Premières Nations de faire passer leurs gens de la pauvreté à la prospérité n’oblige pas la Couronne à consulter. Nous croyons à cette obligation, et c’est pourquoi nous allons créer un fonds spécial de contentieux pour aider les Premières Nations qui veulent avoir la possibilité de sortir de la stagnation économique de participer à des projets comme celui-ci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, madame la ministre et monsieur le premier ministre. J’ai suivi votre argumentaire, mais je veux vous entendre sur ce que vous avez dit en ce qui concerne la Colombie-Britannique. De mon point de vue, une des grandes différences avec l’Est et avec d’autres régions du Canada, c’est que, dans le Nord de la Colombie-Britannique, il y a 34 p. 100 d’Autochtones. D’ailleurs, 9 des 11 nations côtières ont dit très clairement — et nous arrivons tout juste de la Colombie-Britannique — qu’elles voulaient imposer ce moratoire pour protéger la pêche et le poisson. C’est leur façon de vivre; c’est leur décision. Elles ne veulent pas de pétrole, elles veulent protéger leurs ressources. Or, vous savez comme moi que les seuls qui courent un risque avec la construction de pipelines, ce sont ces nations qui sont sur la côte. Bien sûr, c’est un risque qui n’est pas énorme, mais il existe, parce qu’on sait que, entre 2000 et 2010, il y a eu 10 déversements de pétroliers à double coque à travers le monde. Qu’est-ce que vous répondez à ces groupes autochtones, qui ont dit très clairement — on parle de 9 des 11 nations côtières — qu’ils voulaient imposer ce moratoire pour protéger leur mode de vie, qui n’est pas le même? Je comprends que vous vouliez faire développer et enrichir des nations albertaines — je l’entends, et c’est une des grandes contradictions et des grandes difficultés de ce projet de loi —, mais que répondez-vous à ces Autochtones qui, en toute connaissance de cause, disent qu’ils ne veulent courir aucun risque?
M. Kenney : Tout d’abord, je tiens à dire que je les respecte; évidemment, c’est essentiel de les consulter sur n’importe quelle question. Cependant, en fin de compte, les risques existent dans tous les modes de vie et dans tous les développements économiques. Les questions essentielles visent à déterminer quel est le risque et ce que nous dit la science. C’est une obligation pour le gouvernement fédéral de fournir les preuves scientifiques d’un risque significatif associé à ces exportations. Excusez-moi, en français, comment dit-on?
La sénatrice Miville-Dechêne : Les déversements. Vous savez comme moi qu’il y a des bateaux — des pétroliers à double coque — qui ont provoqué des déversements. Donc, le risque existe. Ces nations disent qu’elles ne veulent pas que leurs poissons meurent dans des marées noires. C’est ce qu’elles disent.
M. Kenney : Je dirais que la seule façon d’éliminer le risque pour l’environnement serait de n’avoir aucun développement économique. Nous vivons toutefois dans une société moderne et complexe, avec les normes environnementales les plus rigoureuses au monde, je dirais même beaucoup plus rigoureuses que celles des États-Unis et des États de l’OPEP ou de la Russie. Je dirais donc à ces communautés autochtones d’avoir confiance dans les normes du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux relativement à la protection de l’environnement, y compris des mers et de l’océan. Pour chaque projet, comme chaque pipeline, par exemple, il faut évidemment passer par une révision et un examen de plusieurs années, ce qui est un autre problème. Alors, je dirais que oui, il y a un risque théorique dans n’importe quel projet économique, mais si nous voulons profiter d’une croissance économique, il faut accepter un certain degré de risque.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
Le président : Le plus grand risque ne serait-il pas de ne prendre aucun risque? Sans risque, il n’y a pas d’activité économique.
M. Kenney : Monsieur le sénateur, je pense que c’est une question rhétorique.
Le sénateur MacDonald : Monsieur le premier ministre, c’est un plaisir de vous avoir à la table le premier jour de votre accession à ce poste. Bienvenue. Je fais formuler un commentaire, une observation, puis une question.
Le commentaire est le suivant. Votre initiative concernant les possibilités de croissance économique pour les Autochtones est une idée fabuleuse. Nous avons examiné les projets de loi C-48 et C-69 au cours des dernières semaines. Je n’ai vu aucun manque d’esprit d’initiative, ni absence de désir des collectivités autochtones de participer à l’industrie pétrolière et gazière. En fait, j’ai vu tout le contraire. Les Autochtones avaient vraiment hâte de se mettre au travail.
En ce qui a trait à mon observation, elle a trait à la gestion des risques. Nous gérons six millions de tonnes métriques de pétrole sur la côte Ouest du Canada. Nous gérons 283 millions de tonnes métriques sur la côte Est, notamment cinq puits en exploitation sur les Grands Bancs de Terre-Neuve, qui est le plus grand banc de pêche au monde, et la valeur de la pêche sur la côte Est du Canada éclipse celle sur la côte Ouest.
Vous pouvez faire les deux. Nous avons démontré que vous pouviez faire les deux. Je pense que vous pouvez aller de l’avant avec la certitude que cela peut être fait.
Ma question pour vous porte sur le fait que le manque de pipelines n’est pas un enjeu seulement pour l’Alberta. Les Canadiens savent que c’est un problème canadien. L’unité du pays est une question canadienne, et les populations de l’Est craignent pour l’unité du pays en raison de cette impasse.
Je sais que nous sommes tôt dans la journée, au début de votre mandat, mais avez-vous déjà communiqué avec vos homologues provinciaux et abordé ces enjeux avec eux? Je suis juste curieux de savoir si vous pouvez nous renseigner.
M. Kenney : Certainement. Je ne suis pas sûr des renseignements que vous avez reçus, mais je peux assurément dire que les gouvernements de la Saskatchewan, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick partagent nos préoccupations. Je crois que le premier ministre Pallister partage largement ces préoccupations. Bien sûr, il existe une petite industrie pétrolière et gazière dans le Sud-Ouest du Manitoba.
Hier soir, je parlais à Bob McLeod, premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, qui ont été touchés par un moratoire fédéral relatif à l’exploration pétrolière et gazière dans la mer de Beaufort. Bien qu’il n’ait pas d’intérêt en jeu en l’occurrence, il estime que le gouvernement fédéral fait franchement preuve d’arrogance en bloquant le développement économique par l’entremise de notre secteur de l’énergie.
Je rencontrerai le premier ministre Ford en Ontario vendredi et j’ai l’intention de lui en parler.
Monsieur le sénateur, je dois dire que je suis persuadé que la crise dans le secteur de l’énergie en Alberta a touché votre région d’origine, le Cap-Breton. Au nom des Albertains, je tiens à remercier les habitants du Cap-Breton, les femmes et les hommes remarquables, talentueux et travailleurs qui sont venus ici pour contribuer à la construction de notre économie. Je pense que beaucoup d’entre eux ont aidé leur famille et leurs amis une fois de retour chez eux, également.
Une grande partie de cette possibilité n’existe plus. C’est une question de portée nationale. Comme je l’ai dit en français dans ma déclaration liminaire, un sondage Angus Reid, réalisé il y a moins de un mois, indiquait que 50 p. 100 des Albertains appuient la sécession. C’est un pourcentage plus élevé que le soutien à la sécession au plus fort du Programme énergétique national et de sa dévastation économique au début des années 1980. C’est un ordre de grandeur plus élevé qu’au Québec aujourd’hui.
Bon, je l’admets, il s’agit d’un seul sondage, mais d’autres ont révélé des niveaux troublants de profonde aliénation, et il est certain que, parmi ces chiffres, il se trouve certaines personnes qui se déchaînent pour exprimer leur frustration.
En tant que premier ministre de l’Alberta, et franchement, je l’ai dit au premier ministre lors de notre premier appel il y a deux semaines, en tant que dirigeants, nous avons l’obligation de prendre cela au sérieux. Si le projet de loi est adopté, bon nombre de ces Albertains se rendront compte que notre province a été un excellent partenaire de la fédération, un formidable moteur de prospérité, qu’elle a fourni des centaines de milliards de dollars dans le cadre du fédéralisme budgétaire, mais l’Alberta est bloquée et coincée à chaque occasion. Si nous ne pouvons pas écouter les fédéralistes de l’Alberta qui demandent simplement l’équité au sein de la fédération, cela pourrait prendre une tournure embarrassante. J’espère que cela n’arrivera pas.
La sénatrice Busson : Merci à vous deux de comparaître ici aujourd’hui, probablement le plus grand jour de votre vie, d’ailleurs.
M. Kenney : Je suis sûr que oui.
La sénatrice Busson : C’est un honneur. Juste pour clarifier les choses, je ne pose pas cette question dans le but de contredire la ministre ou de susciter une quelconque controverse sur le sujet, mais nous avons déjà entendu des témoins, dont l’un est le monsieur qui vous accompagne, de Lax-kw’alaams, le PDG d’Eagle Spirit, parler de ports comme Metlakatla, Lax-kw’alaams, Prince Rupert et Port Simpson comme points de sortie d’un pipeline en provenance de Fort McMurray vers l’Asie.
L’une des choses que certains des autres témoins ont laissé entendre comme solution gagnante pour les groupes écologistes qui y voient là leur bataille ultime, c’est qu’il vaut peut-être la peine d’envisager un corridor maritime en partance de Prince Rupert ou de Kitimat ou plus au nord.
Est-ce quelque chose qui est exclu, en ce qui vous concerne? Je sais que vous avez répondu à la question de mon collègue sous un angle différent, mais je voulais simplement obtenir des éclaircissements sur le point que vous avez soulevé et sur votre position.
Mme Savage : Cela semble plutôt contradictoire, car, si le projet de loi C-48 concerne la sécurité et les marées noires, il est en contradiction avec la création d’un corridor maritime.
Actuellement, le projet de loi C-48 s’applique à l’ensemble de la côte Nord de la Colombie-Britannique. Si le projet de loi concerne la sécurité, ce que je ne crois pas, mais si c’est bien au sujet de la sécurité, comment pouvez-vous dire que la création d’un corridor maritime s’assimile à la sécurité maritime?
Je pense que nous devrions simplement être honnêtes au sujet du projet de loi, à savoir qu’il n’a rien à voir avec la sécurité. La sécurité des pétroliers s’est améliorée de décennie en décennie dans le monde entier. Ces projets, s’ils doivent aller de l’avant, bénéficient des dispositifs de sécurité les plus renommés au monde, comme des pétroliers à double coque, des remorqueurs, des remorqueurs d’escorte, des pilotes additionnels et des outils pour la sécurité de la navigation. Plus de un milliard de dollars ont été consacrés à la sécurité maritime.
Le projet de loi C-48 ne concerne pas la sécurité. C’est de la politique. Je ne vois pas pourquoi la mise en place d’un corridor poserait problème pour la sécurité. Autrement dit, il ne devrait tout simplement pas y avoir de moratoire relatif aux pétroliers sur la côte Nord.
Le sénateur Tannas : Félicitations à vous deux.
Monsieur le premier ministre Kenney, je sais que vous étudiez depuis longtemps le fédéralisme et le Parlement. J’aimerais savoir ce que vous pensez du rôle du Sénat dans des situations comme celle-ci.
Ceux d’entre nous qui ont des points de vue différents, mais qui viennent du même endroit et qui sont venus à Ottawa en qualité de sénateurs pour veiller sur les régions, que nous soyons ou non d’accord avec ce qui était fait... À propos de la majorité qui pourrait se liguer contre une région, pourriez-vous nous donner des indications que nous pourrions transmettre à nos collègues lorsque nous discutons des dispositions législatives et que nous réfléchissons à la manière dont nous allons nous prononcer sur ce projet de loi le moment venu?
Avez-vous un conseil à nous donner? Pouvez-vous nous aiguiller afin que nous puissions revenir auprès de nos collègues et répandre la bonne nouvelle?
M. Kenney : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Je dirais que c’est exactement le genre de projet de loi que les fondateurs ont envisagé lorsqu’ils ont décidé de créer une législature bicamérale avec une chambre haute représentant les intérêts régionaux.
J’ai eu le privilège de siéger au Parlement pendant près de 20 ans et je ne me souviens pas d’un projet de loi émanant de plusieurs gouvernements de différents partis et qui aurait eu un effet aussi préjudiciable sur les intérêts économiques vitaux d’une province donnée. Il me semble que cela en appelle à la raison d’être du Sénat, qui est d’être une voix pour les régions des provinces afin d’assurer l’équité fondamentale dans la fédération. Je demanderais aux sénateurs de réfléchir à la structure même, à l’essence, à l’objectif du Sénat, qui est d’être une voix et de refléter ces préoccupations régionales.
Je vous parle non pas seulement en tant que premier ministre de l’Alberta, mais en tant que premier ministre qui a été élu avec 55 p. 100 des voix, il y a deux semaines, en grande partie à cause de projets de loi comme celui-ci.
Permettez-moi d’être franc. Nous avons obtenu le plus grand nombre de voix lors d’une élection jamais tenue en Alberta, et les questions dominantes étaient les politiques du gouvernement d’Ottawa qui minent nos intérêts économiques vitaux. Je dirais à certains de vos collègues sénateurs que, s’ils veulent éviter un schisme profond dans notre fédération, ils devraient écouter les voix qui vont du NPD aux conservateurs, des syndicats aux entreprises, des dirigeants autochtones à l’écrasante majorité d’Albertains. Je vous exhorte à réfléchir sérieusement à cette question.
Permettez-moi de le formuler ainsi.
[Français]
S’il y avait une crise économique au Québec actuellement et que 50 p. 100 des Québécois appuyaient la sécession dans les sondages, croyez-vous que le gouvernement fédéral aurait présenté un projet de loi pour bloquer les exportations essentielles de l’économie québécoise? C’est impossible. C’est impossible d’imaginer une telle situation. La question que je pose à tous les sénateurs de toutes les affiliations est la suivante : serait-il concevable qu’Ottawa traite le Québec d’une manière semblable? Je ne crois pas.
La sénatrice Miville-Dechêne : Comme c’est la deuxième ou la troisième fois que vous abordez la question du Québec depuis que vous êtes ici et que l’on traite du projet de loi C-48, qui n’a quand même pas grand-chose à voir avec le Québec, je me demande si vous laissez entendre, dans votre dernière réponse, que le Québec est favorisé dans la fédération et que l’on traite le Québec différemment de l’Alberta. Que voulez-vous dire exactement?
M. Kenney : Madame la sénatrice, tout d’abord, je dirais que j’adore le Québec. Les Albertains adorent les Québécois. Des dizaines de milliers de Québécois ont déménagé en Alberta pour participer à notre prospérité et nous sommes fiers d’avoir partagé des centaines de milliards de dollars avec le reste du Canada. La majorité de ces fonds sont allés au gouvernement du Québec, qui reçoit 13 milliards de dollars de péréquation par année. L’Alberta est le plus grand contributeur. Ce sont des effets du système fédéraliste fiscal, et nous n’avons aucun problème avec ça. Tout ce que nous demandons, c’est d’être en mesure de développer les ressources qui permettent de couvrir les frais dans le système fiscal fédéral.
J’ai parlé au premier ministre Legault, que je respecte énormément. J’espère avoir l’occasion d’avoir un entretien avec lui personnellement, pour que nous puissions trouver des intérêts communs. Je ne veux pas de querelle; au contraire, j’ai parlé en français dans mon discours le soir de ma victoire, il y a deux semaines, pour dire que je renouvelais l’alliance historique entre nos deux provinces. Tout ce que je dis, c’est que, s’il y avait une crise d’unité nationale au Québec actuellement, je sais, à titre d’ancien ministre fédéral, que le gouvernement à Ottawa ne présenterait pas un tel projet de loi, qui serait un cadeau pour les péquistes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourtant, ne serait-il pas plus constructif à ce stade-ci de parler de votre point de vue par rapport aux changements climatiques, d’adopter un plan pour combattre les changements climatiques ou d’imposer une taxe sur le carbone, si vous voulez convaincre le pays que le pétrole albertain est celui qu’il faut acheter en exclusivité? Ne serait-ce pas une attitude plus constructive?
M. Kenney : Ma position et celle de notre gouvernement consistent à reconnaître la réalité scientifique des changements climatiques et le rôle de l’activité humaine. C’est la raison pour laquelle nous proposons une politique concrète pour diminuer les gaz à effet de serre, y compris un taux pour les grands émetteurs industriels, et j’ai dit au premier ministre que je suis ouvert à toute discussion sur ce type de détails. Madame la sénatrice, la taxe sur le carbone imposée par le gouvernement néo-démocrate précédent n’a pas recueilli d’approbation sociale pour l’exportation du pétrole albertain. Il y a eu l’annulation de Northern Gateway, l’annulation d’Énergie Est et l’annulation, au début, de Keystone XL, les querelles avec Trans Mountain, et nous n’avons fait aucun progrès avec la taxe sur le carbone.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Juste une observation, monsieur, concernant les témoins entendus au cours des dernières semaines, en particulier ceux qui sont en faveur du projet de loi C-48.
Fondamentalement, le message que j’ai reçu, et que certains de nos collègues ont peut-être reçu, est que vous pouvez faire ce que vous voulez, mais pas dans ma cour. Je suppose que, du point de vue de la stratégie, cela a pu offrir une possibilité à certains des participants autochtones au cours des dernières semaines. Nous avons discuté entre nous de la possibilité de faire venir la population autochtone ici. Nous avons entendu parler de certaines des lacunes actuelles, avec un taux de chômage de 28 p. 100 dans le Sud de l’Alberta parmi les producteurs de pétrole qui sont des Autochtones.
Ensuite, vous vous rendez en Colombie-Britannique, et vous voyez les peuples autochtones là-bas, qui sont partagés, un nombre probablement plus élevé étant en faveur du projet de loi C-48. Comment misez-vous sur la force de votre relation avec vos partenaires autochtones pour tenter d’influencer vos autres partenaires autochtones afin qu’ils se débarrassent de cette attitude « d’accord, mais pas dans ma cour »?
Tous les gens qui sont en faveur, dont bon nombre sont des militants — et nous respectons cela — doivent se rendre compte qu’il ne suffit pas de protéger le poisson. Il doit y avoir l’autre aspect, les débouchés économiques pour les gens.
M. Kenney : Donc, quelques petites choses. Mon observation, monsieur le sénateur, est que beaucoup de Premières Nations sont en conflit et ambivalentes, et des groupes rivaux se retrouvent au sein de ces Premières Nations. Habituellement, un groupe est favorable au développement, et un autre s’y oppose. C’est le cas dans les Prairies et dans de nombreuses Premières Nations de la Colombie-Britannique.
L’une des difficultés tient au fait que bon nombre de ces Premières Nations n’ont pas la capacité financière actuelle de participer de manière significative à des projets liés aux ressources, et nous espérons changer cela en créant une nouvelle société d’État appelée Aboriginal Opportunities Corporation. Elle fournira une expertise financière aux Premières Nations intéressées par une participation financière potentielle et un certain niveau de soutien leur permettant au moins d’obtenir des taux de crédit commercial, par exemple, ou peut-être une participation au capital-actions de pipelines et d’autres projets.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, je dirais très franchement, et je crois qu’il existe de nombreuses recherches à ce sujet, qu’au moins une partie de l’opposition de certaines Premières Nations de la Colombie-Britannique a été encouragée et financée par ces intérêts spéciaux, grâce à des fonds étrangers. Je serai franc avec vous, monsieur. Nous avons l’intention de nous lancer à leur poursuite. Nous ne serons plus une piñata pour ces intérêts spéciaux financés par des fonds étrangers. Nous allons lancer une enquête publique sur les sources de fonds étrangers dans la campagne contre l’énergie canadienne. Nous allons contester devant les tribunaux, le cas échéant, le statut d’organisme de bienfaisance de groupes qui, selon nous, ont été en violation flagrante des lois sur les organismes de bienfaisance à cet égard. Nous interdirons l’argent étranger dans la politique albertaine et soutiendrons les efforts de votre collègue, la sénatrice Frum, dans la même veine, par l’entremise de son projet de loi d’initiative parlementaire.
Nous indiquerons clairement aux multinationales qui boycottent le secteur énergétique de l’Alberta, comme HSBC, que nous les boycotterons. Nous les défierons de toutes les manières possibles. Nous utilisons tous les outils juridiques à notre disposition afin de défendre nos intérêts économiques vitaux. D’où provient cet argent qui sert à payer une grande partie de l’activité que vous venez de décrire? Je pense que les membres des Premières Nations ont le droit de savoir.
La sénatrice Simons : Nous sommes francs, vous et moi, ainsi que tous les membres du comité, mais nous savons qu’il s’agissait d’un compromis.
Lorsque le premier ministre a annoncé l’approbation du projet TMX, le compromis était... Comme il l’a dit aux habitants de la Colombie-Britannique, vous n’aimez peut-être pas le projet TMX, mais voici, je vais vous présenter ce moratoire relatif aux pétroliers, puis nous aurons le projet TMX.
Nous n’avons pas le projet TMX. Nous ne savons pas quand nous l’aurons. En tant que sénatrice de l’Alberta, je ne vois pas comment je pourrais appuyer le projet de loi C-48 quand le projet TMX n’est pas approuvé.
Imaginons, pour illustrer la situation, que le projet TMX soit approuvé, et ce, avant que nous devions voter sur le projet de loi. Cela répondrait-il à certaines de vos préoccupations ou seriez-vous également préoccupé par l’étranglement de l’industrie pétrolière de l’Alberta?
M. Kenney : Merci de cette question réfléchie, madame la sénatrice.
Il serait vraiment malvenu de ma part d’adopter une attitude partisane, mais ma prédécesseure était au moins initialement opposée au projet Northern Gateway et n’a soulevé aucune objection lorsque le premier ministre a annoncé le 29 novembre 2016 le moratoire sur la côte Nord ainsi que l’arrêt du projet Northern Gateway. Je pense que c’était une énorme erreur. Je pense que nous devons poursuivre une stratégie globale. Chaque fois que je participe à l’un de ces rassemblements et que les gens commencent à crier « Construisez ce pipeline », je dis : « Non, non, construisez plutôt ces pipelines. »
C’était une erreur de mettre tous nos œufs dans le panier fragile de Trans Mountain; en gros, l’Alberta et le gouvernement fédéral ont cédé au droit de veto du président Obama concernant l’oléoduc Keystone XL, en octobre 2015. Le gouvernement fédéral a créé des conditions qui ont mené à l’annulation du projet Énergie Est après un investissement important et six années de travaux. Le gouvernement fédéral a tué Northern Gateway, instauré un moratoire dans ce projet de loi et, comme vous l’avez indiqué, nous ne sommes pas près de concrétiser le projet TMX.
C’était l’erreur, et nous devrions rechercher toutes les voies de sortie possibles . La position de mon gouvernement sera d’appuyer toute proposition crédible en ce sens. Il existe des propositions concernant des trains jusqu’à Juno et d’autres à destination de Port Angeles, de la baie d’Hudson et de Lakehead. Il existe bien sûr des technologies sur la solidification du bitume. Nous soutiendrons toute voie de sortie afin que nous puissions obtenir un prix juste pour les produits que nous fabriquons selon les normes les plus élevées sur la planète.
Le président : Merci. Je sais que vous avez tous les deux eu une longue journée. Je tiens à remercier le premier ministre Kenney et la ministre Savage d’être venus aujourd’hui.
Je remercie tous les témoins qui ont comparu devant le comité aujourd’hui à Edmonton et depuis la province de l’Alberta.
Nous reprendrons nos travaux demain, à 9 heures à Regina, à l’hôtel Saskatchewan.
(La séance est levée.)