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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 15 - Témoignages du 17 octobre 2012


OTTAWA, le mercredi 17 octobre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel le projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, a été renvoyé, se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit aujourd'hui l'examen du projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions.

Pendant la première partie de la réunion, nous entendrons, par vidéoconférence depuis la Virginie, M. Ken Rutherford, directeur du Center for International Stabilization and Recovery, et, également par vidéoconférence, depuis Londres, le commodore de l'air William Boothby, chercheur associé, Centre de politique de sécurité de Genève.

Soyez les bienvenus, monsieur Boothby et monsieur Rutherford. Nous vous demandons de bien vouloir nous présenter rapidement vos déclarations préliminaires, pour que les sénateurs puissent poser un maximum de questions.

Je demande à M. Boothby de commencer son exposé.

Le commodore de l'air (à la retraite) William H. Boothby, chercheur associé, Centre de politique de sécurité de Genève, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suivrai vos conseils et je couvrirai les aspects qui vous intéressent. N'hésitez pas à me rappeler à l'ordre si je m'écarte du sujet.

Premièrement, permettez-moi de me présenter. Je suis le commodore de l'air Bill Boothby, à la retraite. J'ai quitté l'armée royale de l'air l'an dernier, et j'étais alors directeur adjoint des services juridiques. J'ai fait un doctorat sur les armes et le droit des conflits armés et j'ai publié une thèse à ce sujet en 2009.

Initialement, les armes à sous-munitions ne s'inscrivaient pas vraiment dans le champ de mes études, mais j'ai fait partie de la délégation britannique qui a négocié le Traité d'Ottawa sur les mines antipersonnel puis, de la délégation britannique chargée de négocier la convention sur les armes conventionnelles qui a abouti à l'adoption d'un traité sur les restes explosifs de guerre. J'ai quitté ces fonctions en 2006. Je n'ai donc pas participé à la suite des négociations de la convention sur les armes qui portaient sur les armes à sous-munitions; je n'ai pas non plus contribué aux négociations qui ont donné lieu au traité dont vous discutez, qui a été adopté à Dublin en 2008.

Passons maintenant à la question du traité proprement dit. Le Royaume-Uni a d'abord ratifié le traité en adoptant une loi — la Cluster Munitions (Prohibitions) Act 2010.

Dans le cadre de la discussion, vous voudrez sans doute que je mentionne certains éléments de cette loi, et je suivrai vos indications à cet égard.

On m'a en outre transmis, il y a quelques jours, un exemplaire du projet de loi que vous étudiez, et j'en ai évidemment lu certaines parties. N'hésitez pas à m'indiquer celles que vous voulez que je commente.

D'entrée de jeu, je dirai qu'en droit international, il me semble que tout État prévoyant de signer le traité devra d'abord s'appuyer sur le texte même du traité et, en deuxième lieu, sur toute position officielle que l'État aura décidé d'adopter au moment de la ratification.

L'article 19 est important à cet égard, car il précise qu'un État n'est pas autorisé à formuler des réserves. Les réserves sont des déclarations faites au moment de l'adhésion au traité et qui modifient l'effet juridique du traité aux fins de cet État. Le Canada ne pourrait donc pas agir ainsi en raison de cette disposition expresse du traité. Le Canada, évidemment, pourrait publier des déclarations d'interprétation qui précisent sa lecture de certaines dispositions.

Certains paragraphes revêtiront peut-être un intérêt particulier, notamment le paragraphe 21(4). L'article 21, vous le savez sans doute, porte sur l'interopérabilité. Le paragraphe 21(4) contient l'expression « lui-même ». Si nous arrivons à ce niveau de détail, le libellé même du traité, nous pourrions nous interroger sur l'importance à accorder à l'utilisation de l'expression « lui-même » au paragraphe 21(4). Le Canada voudra peut-être se demander s'il souhaite faire une déclaration pour exposer explicitement son interprétation de l'effet que ce mot peut avoir sur le sens des dispositions dans ce paragraphe du traité.

À cette étape de ma déclaration préliminaire, il est sans doute inopportun de trop s'attarder sur les détails — je devrais dire les racines —, et je vais donc m'en tenir là pour l'instant et voir en temps voulu ce que vous souhaitez que je commente. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Boothby.

Ken Rutherford, directeur, Center for International Stabilization and Recovery : Merci beaucoup de m'avoir invité. Comme on ne m'avait pas informé qu'il fallait faire une déclaration préliminaire, je serai très bref.

J'ai participé aux négociations à titre de représentant de la CMC, la Cluster Munition Coalition, et en particulier au sujet de l'article 5, qui porte sur les obligations d'assistance aux victimes. J'ai également acquis de l'expérience pendant les négociations du Traité d'Ottawa, auxquelles je représentais l'ICBL, la Campagne internationale pour interdire les mines, et je me suis également concentré sur les obligations d'assistance aux victimes.

Pour ce qui est du but de la loi actuelle, je précise que j'étais à Dublin pendant les négociations. Tous les participants s'entendaient certainement sur le but du traité. Même s'il contient des éléments de contrôle des armes, le traité a une portée humanitaire et vise à interdire à jamais l'utilisation, le stockage, la production et le transport des armes à sous-munitions. La convention devrait donc être considérée dans son ensemble. L'article 21, qui concerne l'interopérabilité, devrait être interprété en fonction de l'article 1, qui expose l'intention du traité. Il s'agit d'interdire l'utilisation, le stockage et le transport des armes à sous-munitions. Toute autre interprétation, selon moi, atténuerait l'ignominie liée à l'arme, ce qui est contraire au but de la convention.

Merci.

La présidente : Merci. Vous avez certainement été bref. Passons maintenant aux questions des sénateurs.

Le sénateur Hubley : Merci de ces exposés. J'aimerais poser ma première question à M. Rutherford.

Vous dites que le Traité d'Ottawa, l'accord d'Ottawa sur l'abolition des mines antipersonnel, établissait des normes élevées. Il semble que ces normes soient liées au succès du traité. J'aimerais savoir si, selon vous, les normes définies dans la Convention sur les armes à sous-munitions sont aussi élevées.

M. Rutherford : La Convention d'Ottawa a effectivement fixé des normes élevées en matière d'interdiction des armes conventionnelles. J'étais à Ottawa à l'époque, en décembre 1997, tout comme en octobre 1996, quand le ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, a lancé le processus d'Ottawa. La barre était haute. Je crois que la convention d'Oslo, autrement connue sous le nom de Convention sur les armes à sous-munitions, fixe également des normes élevées, et c'est pour cette raison que cette discussion est si importante.

Un des principaux aspects de la Convention d'Ottawa qui explique son incroyable succès est l'élément de condamnation. On déclarait clairement et sans ambiguïté que les mines terrestres devraient être à jamais interdites, sans exception. Nombre des intervenants, tant ceux du milieu des ONG que ceux des gouvernements ou des corps diplomatiques, qui se trouvaient à Ottawa étaient également à Dublin lorsque ce traité a été négocié, le traité sur les armes à sous-munitions, et à Oslo pour sa signature, en 2008. Cela laisse augurer pour la convention d'Oslo le même succès que pour la Convention d'Ottawa.

Je suis désolé de vous infliger tous ces détails. J'étais aux deux endroits : à Ottawa, pour les mines terrestres, et à Oslo, pour les armes à sous-munitions. Le fond de votre question est juste. La Convention sur les armes à sous- munitions fixe une norme incroyablement élevée pour interdire ces armes, comme le faisait la Convention d'Ottawa pour les mines antipersonnel.

Le sénateur Hubley : La loi canadienne de ratification, qui est le projet de loi S-10, soulève certaines questions, du moins dans mon esprit, en ce qui concerne le maintien de l'intégrité de ces normes. Qu'est-ce que vous en pensez? Je songe en particulier à l'article 11.

M. Rutherford : Je n'ai pas l'article 11 devant moi. Pourriez-vous me le lire?

Le sénateur Hubley : Certainement. Le paragraphe 11(1) commence ainsi :

L'article 6 n'a pas pour effet d'interdire à la personne visée par le Code de discipline militaire...

Et il crée ensuite de nombreuses exceptions, notamment :

a) de diriger ou d'autoriser des activités pouvant comporter l'utilisation, l'acquisition, la possession, l'importation ou l'exportation d'armes à sous-munitions, de sous-munitions explosives ou de petites bombes explosives par les forces armées de cet État, ou leur déplacement par ces dernières d'un État ou d'un territoire étranger à un autre avec l'intention de transférer le droit de propriété et le contrôle sur celles-ci.

À en juger par ces exceptions, il semble y avoir très peu de cas où elles ne seraient pas interdites, selon les circonstances.

M. Rutherford : Mon interprétation de la convention se ramène à l'article 1, qui interdit entre autres a) d'utiliser des armes à sous-munitions; b) de stocker de telles armes et surtout, aux fins de notre discussion, c) d'aider, d'encourager ou d'inciter quiconque à se livrer à une activité se rapportant d'une quelconque façon à des armes à sous-munitions. Selon moi, il s'agit de décourager l'utilisation, ce qui peut même englober le fait de planifier l'utilisation, d'accepter toute règle d'engagement qui inclurait les armes à sous-munitions, d'accepter des ordres visant l'utilisation d'armes à sous-munitions, de déterminer que l'utilisation de ces armes présente un avantage militaire, de former du personnel à l'utilisation de ces armes et d'accorder une assistance pour le stockage ou le transport de ces armes. Dans toute cette discussion, je songe à des parties non étatiques, parce que le Canada, s'il est signataire du traité, ne devrait pas encourager activement l'utilisation d'armes à sous-munitions.

Le sénateur Hubley : Merci beaucoup.

M. Rutherford : J'espère avoir bien répondu à la question.

Le sénateur Hubley : Oui, je le crois. Merci beaucoup.

J'ai une question à l'intention de M. Boothby. Je ne veux pas dépasser le temps qui m'est alloué.

La présidente : Je vous le dirai. Vous avez encore du temps.

Le sénateur Hubley : Monsieur Boothby, pourriez-vous nous dire de quelle façon les autres membres de l'OTAN qui ont ratifié la convention ont interprété l'article 21 dans leurs lois et quelles sont les conséquences de leur interprétation pour les futures missions de l'OTAN ou les opérations combinées avec les États-Unis?

Commodore Boothby : Vous cernez bien la question, madame. C'est l'une des principales raisons de l'existence de l'article 21. Selon moi, l'article 21 était une condition essentielle à la signature de plusieurs États.

Je crois qu'il faut examiner l'article 21 avec soin et reconnaître d'entrée de jeu son caractère essentiel. Ce caractère découle véritablement de la nature combinée de nombreuses opérations militaires contemporaines. Dans un quartier général mixte, par exemple, le processus de planification des missions n'est pas nécessairement mené par des citoyens d'un même État. Très souvent, il fait intervenir des citoyens de divers États.

Sur le terrain, lorsque quelqu'un demande un appui-feu, ce demandeur peut être un représentant d'un pays alors que l'appui peut très bien venir d'un autre pays. Par exemple, un ressortissant d'un pays peut très bien fournir des renseignements sur l'objectif à un autre pays dans le cadre d'une opération menée par une alliance ou une coalition. Il se peut qu'un appui logistique; par exemple un ravitaillement air-air, soit assuré par du personnel d'une nation alors que l'appareil appartient à une autre nation et pourrait transporter des armes à sous-munitions, par exemple.

Dans ce contexte, il me semble essentiel que le traité reflète certaines de ces réalités militaires sous-jacentes et permette à la coalition de fonctionner, en quelque sorte, pour mener efficacement une opération dans un contexte où un État peut être signataire du traité alors qu'un autre ne l'est pas.

Ai-je bien répondu à votre question? Je crois que oui.

Le sénateur Hubley : Oui, en effet. Merci de cette réponse.

Pourriez-vous nous exposer votre interprétation de l'article 21? Dites-nous entre autres quel genre d'activités serait autorisé dans le cadre d'opérations combinées avec des États non signataires de la convention?

Commodore Boothby : Je crois qu'en gros, certaines activités sont interdites. De mémoire, je dirais qu'il s'agit d'utilisations personnelles par le Royaume-Uni, effectivement, ou de transfert par le Royaume-Uni. Je vous renvoie à... je crois que c'est l'annexe 2 de la loi britannique. On y affirme essentiellement qu'il y a interdiction si, au cours ou aux fins d'opérations militaires internationales, certaines activités sont menées. L'exception s'applique aux activités mentionnées, comme je l'ai dit, à l'annexe 2 de la loi britannique. Les infractions précises sont... je vous demande un peu de patience.

C'est à l'alinéa 2(1)e). Les infractions précises qui nous intéressent ici sont le fait d'avoir une arme interdite en sa possession ou de transférer une arme interdite ou encore de prendre des dispositions avec une autre personne pour transférer une arme interdite. Relativement à ces infractions, si quelqu'un est accusé de cette infraction... soyez patients s'il vous plaît... l'interdiction de l'article 9, comme nous l'appelons, l'infraction se rapporte à l'utilisation ou au transfert. L'accusé doit démontrer que l'utilisation ou le transfert vise uniquement les ressortissants d'un État non signataire ou d'autres personnes agissant aux ordres de cet État ou qu'il n'y a pas de motif raisonnable de croire que c'était la base du transfert.

Donc, l'accusé doit montrer que l'utilisation ou le transfert ont été faits par quelqu'un de... prenons un cas hypothétique et disons un ressortissant des États-Unis.

Le sénateur Hubley : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je remercie nos témoins de leurs présentations. Ma première question s'adresse à M. Rutherford.

La Convention sur les armes à sous-munitions a été adoptée en 2008 et est entrée en vigueur en 2010. Pourriez-vous nous décrire les événements qui ont mené à l'adoption de la convention?

[Traduction]

M. Rutherford : Merci de cette question. Par où faut-il commencer? Quand je travaillais dans le dossier des mines terrestres, dans les années 1990, nous entendions rarement l'expression « armes à sous-munitions ». Les armes à sous- munitions ont fait leur apparition comme question juridique internationale seulement lors des négociations de la CCW, en 2002-2003. Tout cela vient de la frustration de la Norvège pendant les négociations à Genève, puis, au milieu de 2005-2006, du fait que les Israéliens ont utilisé des armes à sous-munitions dans le sud du Liban. Certaines de ces armes à sous-munitions figuraient aussi dans les arsenaux de la Norvège. Les taux de défectuosité étaient beaucoup plus élevés en situation de conflit que ce que promettait l'industrie des armes à sous-munitions.

Plusieurs études ont été consacrées aux attaques menées avec des armes à sous-munitions dans le sud du Liban — et aussi au Kosovo, en 1999, mais cela n'était pas aussi important à l'époque, cela a pris de l'importance plus tard. Dans les études sur la situation dans le sud du Liban, les taux de défectuosité des armes à sous-munitions étaient extrêmement élevés : plus de 30 p. 100, et une arme à sous-munitions n'explose pas aussi efficacement qu'une mine terrestre. Une munition non explosée est parfois plus dangereuse qu'une mine terrestre.

La Norvège a donc décidé en 2007 d'inviter le monde à Oslo pour discuter des solutions qui permettraient de limiter et de condamner cette arme. Cette réunion a donné lieu au processus d'Oslo, c'est-à-dire une brève période de négociations menées dans le monde entier sur le modèle du processus d'Ottawa que le Canada avait lancé en octobre 1996 pour les mines terrestres. L'issue de ce processus a été le traité négocié à Dublin, en Irlande, et signé plusieurs mois plus tard à Oslo, en Norvège, afin de jeter l'opprobre sur cette arme.

C'est un bref historique. Il a vraiment fallu des années-lumière en droit humanitaire international pour arriver à négocier cela très rapidement, mais je vous en ai présenté un bref historique. J'espère avoir répondu à la question.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'ai une autre question. Tout le monde sait que les États-Unis, la Chine, la Russie, Israël, l'Égypte, l'Inde et le Pakistan n'ont pas participé aux pourparlers et n'ont pas signé la Convention sur les armes à sous-munitions. Quelles sont les principales objections soulevées par ces pays à l'égard de la convention, et est-ce que ces pays ont beaucoup recours à des armes à sous-munitions?

[Traduction]

M. Rutherford : C'est encore une excellente question. Les pays mentionnés ne sont pas non plus parties prenantes à la Convention d'Ottawa. Une majorité des pays du monde a signé la convention sur les mines terrestres adoptée à Ottawa et la Convention sur les armes à sous-munitions adoptée à Oslo. Ces mêmes pays constituent une minorité de non-signataires dans les deux cas. Chaque pays a ses propres raisons pour ne pas signer.

J'aimerais prendre 15 secondes pour vous expliquer que même les pays qui n'ont pas signé la convention sur les mines terrestres ont instauré unilatéralement des lois nationales qui limitent l'utilisation des mines terrestres de diverses façons. Les États-Unis, par exemple, ont interdit l'exportation des mines terrestres. Ils ont interdit la production de mines terrestres. Ils n'ont pas utilisé de mines terrestres depuis le début des années 1990. Ils ne projettent plus d'utiliser des mines terrestres dans le cadre de certaines opérations. Les États-Unis avaient leurs propres raisons pour ne pas signer la convention. La Chine a une loi nationale sur les mines terrestres, tout comme l'Inde et le Pakistan. J'ai rédigé un livre là-dessus, qui a été publié il y a deux ou trois ans.

Dans le cas des armes à sous-munitions, les États-Unis n'ont pas participé aux négociations pour diverses raisons, notamment parce qu'ils considèrent que ces négociations devraient être menées au sein des Nations Unies, où le vote se fait par consensus. Ils n'aiment pas le processus élaboré et ils préféreraient poursuivre les négociations sur les questions relatives aux armes dans le cadre de la CCW, la Convention sur les armes conventionnelles, à Genève, là où le processus est plus consensuel. C'est une formule de vote par consensus.

L'une des grandes objections des États-Unis — ils en ont plusieurs — se rapporte à la tribune de négociation. Ils préfèrent utiliser les structures internationales existantes et élaborer les lois internationales sur les armes.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup. Et vous, M. Boothby avez-vous quelque chose à rajouter là-dessus?

[Traduction]

Commodore Boothby : Pas beaucoup, parce que, comme je l'ai dit dans ma déclaration, je n'ai pas participé au processus de négociation qui a abouti à Dublin. Je me souviens de certaines des objections des États-Unis relativement aux mines terrestres antipersonnel, en particulier, ainsi que de la forme d'interdiction mondiale.

Je me souviens entre autres que les États-Unis auraient nettement préféré ce que certains considéraient comme une échappatoire et d'autres, comme une exception concernant ce que vous pourriez appeler des « mines terrestres antipersonnel intelligentes », qui auraient été dotées de fonctions d'autodestruction et d'autodésactivation, de sorte que grâce à la technologie disponible seulement une mine terrestre antipersonnel sur 1 000 serait encore active et dangereuse, si j'ai bonne mémoire, 120 jours après le déploiement. Toutefois, dans le courant d'opinion qui s'est créé en faveur d'une interdiction mondiale, je sais que ce point de vue n'a pas été largement accepté.

Je sais aussi qu'il y avait certaines questions liées, par exemple, à la sécurité de la Corée du Sud et qui faisaient qu'il était très difficile pour les États-Unis d'accepter une interdiction des mines terrestres antipersonnel.

Sinon, je crains de ne pas pouvoir vous être très utile en ce qui concerne les processus de réflexion ultérieurs qui ont abouti au texte de Dublin. Au début, dans le processus de la CCW, quand j'y participais, j'ai appuyé le point de vue exposé par M. Rutherford. La CCW est considérée comme un processus consensuel par certains États. Ils ont alors la certitude de savoir que leurs préoccupations particulières vont avoir plus de poids que dans un autre contexte — dans un contexte de négociation où le consensus n'est pas exigé.

Évidemment, si je comprends bien, le processus de la CCW continue de s'appliquer aux armes à sous-munitions. Il n'a pas encore été officiellement abandonné. Toutefois, ces discussions durent depuis nombre d'années, et je ne crois pas que l'on prévoie l'établissement immédiat d'un traité issu du processus de la CCW.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je vous remercie tous les deux. Monsieur Boothby, je veux vous dire personnellement que j'ignorais que la Corée du Sud avait pu faire des pressions sur les États-Unis.

[Traduction]

Le sénateur Dallaire : Merci, messieurs. Premièrement, monsieur Rutherford, parlons de l'article 5. Il contient indiscutablement une intention humanitaire qui prend la forme des obligations d'assistance aux victimes. Si à la suite d'un conflit ces armes font des victimes civiles ou non combattantes, est-ce que les nations qui ont utilisé ces armes dans les zones de conflit ont une responsabilité internationale et l'obligation de dédommager les victimes?

M. Rutherford : C'est une excellente question. L'article 5 est très détaillé. J'étais à Dublin lorsqu'il a été négocié. Revenons un instant au Traité anti-mines d'Ottawa. C'est dans le Traité d'Ottawa que figure la première mention d'assistance aux victimes comme obligation en vertu du droit international dans le cadre de négociations relatives à une arme quelconque. Le paragraphe 6(3) de la Convention d'Ottawa interdisant les mines terrestres stipule que tous les États en mesure de le faire doivent contribuer à la réintégration sociale et économique de leurs populations victimes des mines terrestres. Cette disposition a été adoptée en 1998.

Nous avons constaté que de nombreux pays refusaient d'appuyer leurs populations victimes des mines terrestres, même s'ils avaient signé la Convention d'Ottawa. Ils affirmaient que l'aide aux victimes des mines terrestres dans leurs propres pays était une obligation internationale qui n'était prévue dans aucun autre article du Traité d'Ottawa. Nous avons appliqué ces leçons très pénibles au traité sur les armes à sous-munitions et nous avons créé un article distinct pour les victimes d'armes à sous-munitions : l'article 5. Les gouvernements hôtes ont la responsabilité nationale de prendre soin de leurs populations victimes des armes à sous-munitions. Nous avons aussi indiqué dans l'article 6 que la coopération internationale devait appuyer les victimes d'armes à sous-munitions.

Un troisième élément distinct se trouve dans le préambule de la Convention sur les armes à sous-munitions, où le terme victime est défini de façon très générale. Ce sont les victimes elles-mêmes mais aussi leurs familles et leurs collectivités. Dans la Convention d'Ottawa, nous n'avions pas cet élément. L'aide aux victimes dans le Traité anti- mines se limite aux victimes elles-mêmes et une seule phrase est consacrée à cette notion. Dans la Convention sur les armes à sous-munitions, cet élément est très général, et nous demandons que de nouveaux mécanismes soient créés pour les victimes d'armes à sous-munitions lorsqu'il n'y en a pas, mais il existe déjà des mécanismes pour l'infrastructure de la santé, notamment des installations de prosthétique, pour que les armes à sous-munitions soient elles aussi comprises.

Votre question, essentiellement, concerne le dédommagement des victimes d'armes à sous-munitions. Les parties qui utilisent ou ont utilisé les armes à sous-munitions ne sont pas tenues de dédommager les victimes, et cela s'explique par des motifs politiques et d'autres raisons.

Est-ce que j'ai bien répondu à votre question, monsieur?

Le sénateur Dallaire : Très bien. Commodore Boothby, regardons les choses sous un angle plus juridique.

Nous créons des exceptions justifiées par la notion d'interopérabilité pour protéger, sur le plan juridique, les commandants ou le personnel qui pourraient participer à une opération où l'une des nations décide d'utiliser des armes à sous-munitions et, parce qu'ils font partie de cette chaîne de commandement, nous ne voulons pas qu'ils soient emprisonnés pour avoir facilité ou autorisé l'utilisation de ces armes, alors nous prévoyons une vaste série d'exceptions pour protéger ces gens.

Si nous prévoyons toutes ces exceptions pour les protéger et que des armes à sous-munitions sont utilisées, toutefois, compte tenu de l'existence de l'article 5, renforcé par l'article 6, si cela est mis en œuvre de la façon la plus positive, est-ce qu'au bout du compte nous ne serons pas tenus d'assumer la responsabilité de leur utilisation et, finalement, de leur nettoyage et du dédommagement, puisque nous avons participé au processus décisionnel et accordé des exceptions à notre personnel pour qu'il puisse s'engager?

Commodore Boothby : Si l'on parle de dédommagement au sens de dédommagement pour violation du droit international, je crois que deux dispositions s'appliqueraient. L'une est l'article 3 de la Convention IV de La Haye, adoptée en 1907, et l'autre, l'article 91 du Premier protocole additionnel de 1977. Toutes deux sous-entendent l'obligation juridique de fournir un dédommagement en cas de violation du droit des conflits armés lorsque les circonstances l'exigent. Si je comprends bien votre question, vous parlez non pas de la version légaliste de dédommagement en tant qu'obligation générale issue d'un traité pour corriger une situation en vertu du traité, conformément à ces dispositions.

Dans une certaine mesure, votre question contient aussi la réponse, car si vous avez participé à l'opération qui a donné lieu aux dommages, alors toute disposition selon laquelle un participant est tenu, dans certaines circonstances, de dédommager les victimes devrait selon moi s'appliquer dans ces circonstances. Dans le cas de l'article 21, certainement, on distingue nettement l'État qui utilise concrètement l'arme et celui qui se trouve en situation de commandement ou dans une autre situation d'interopérabilité comme celles que j'ai mentionnées précédemment et qui, en conséquence, devient d'une certaine façon participant au processus qui aboutit à l'utilisation des munitions.

Dans ces circonstances, vous pourriez probablement établir une distinction logique entre l'État qui utilise l'arme, et qui peut donc être considéré comme ayant une obligation de dédommagement en vertu du traité, et l'État qui se trouve dans une structure de commandement, en quelque sorte, comme vous l'avez décrit, et qui n'est pas nécessairement responsable.

Je soupçonne que la réponse serait fortement liée au contexte. Cela est fonction, dans une large mesure, de qui exactement a fait quoi, et dans quelles circonstances.

Le sénateur Dallaire : Nous avons encore un scénario où le commandant d'une force est, au bout du compte, responsable des règles d'engagement, et que ces règles d'engagement peuvent effectivement comprendre l'interdiction de recourir aux armes à sous-munitions. Si un des pays qui composent cette force déclare que même si les règles d'engagement comportent cette interdiction, il n'a pas l'intention de la respecter parce qu'il considère qu'il lui faudra utiliser ces armes ou qu'il veut au moins conserver cette option, le commandant de la force a deux options. Il peut accepter cette unité et la possibilité qu'elle utilise des armes à sous-munitions, même s'il considère cela répréhensible sur le plan éthique, ou il peut refuser la participation de cette unité aux opérations de ses forces. S'il a l'option de refuser qu'une unité soit intégrée à ses forces et qu'il ne l'exerce pas, alors il devrait être tenu responsable. Dans le contexte de cette convention, il devrait encore être considéré responsable de l'utilisation des armes et pourrait également être tenu responsable, ou devrait l'être, devant la loi.

Commodore Boothby : Je ne suis peut-être pas entièrement d'accord avec vous, monsieur. Finalement, c'est l'État qui utilise l'arme qui devrait assumer la principale responsabilité, bien sûr. Il faudrait interpréter de très près les circonstances pour déterminer si une responsabilité secondaire peut être imputée au commandant comme vous le décrivez.

Selon moi, les dispositions d'interopérabilité visent uniquement les commandants. Je comprends que votre exemple se rapporte à une situation de commandement, mais je pense, par exemple, à un subalterne des forces armées d'un État engagé dans le conflit qui se trouverait en situation très difficile sur le terrain et qui demanderait un appui aérien. Cet appui aérien pourrait prendre la forme d'armes à sous-munitions livrées par un État non partie à la convention. Si ce subalterne disait à la radio quelque chose d'inopportun au sujet d'armes à sous-minutions, je ne peux pas croire que cela puisse nécessairement entraîner une responsabilité nationale du genre de celle que vous décrivez.

J'affirme donc que, finalement, l'interprétation doit dans une certaine mesure être liée au contexte. Évidemment, toutes ces choses pourraient faire l'objet d'une interprétation nationale au moment de la ratification, à condition qu'une telle déclaration d'interprétation nationale ne modifie en rien les conséquences juridiques de la disposition du traité.

Le sénateur Dallaire : Nous avons le cas d'officiers subalternes sur le terrain qui demandent un appui-feu qui leur est fourni sous forme d'armes à sous-munitions. C'est une chose. Nous avons aussi des militaires dans divers quartiers généraux, qui collaborent avec des nations qui possèdent des armes à sous-munitions et qui pourraient les utiliser. C'est autre chose. Je m'intéresse beaucoup plus à la structure de commandement et aux commandants qui devront rendre compte des décisions qu'ils prendront, au bout du compte, s'ils peuvent influer sur ces décisions, mais ne le font pas sous prétexte des contraintes de l'interopérabilité. Je soutiens que sur les plans éthique et juridique, si ces commandants ne font rien pour prévenir l'utilisation de ces armes et que ces armes sont utilisées et leur sont imposées par des forces qui les utilisent, alors ils pourraient être tenus responsables de cette utilisation. C'est ce niveau qui m'inquiète vraiment, bien plus que le cas d'un capitaine qui demande un appui-feu et qui reçoit cet appui sous forme d'armes à sous- munitions plutôt que d'artillerie ou de feu aérien, par exemple.

Commodore Boothby : Sur le plan juridique, ils ne seraient certainement pas tenus responsables d'une infraction à la convention aux termes de l'article 21 si la décision d'utiliser des armes à sous-munitions revient à l'État non partie au traité, c'est-à-dire l'État utilisateur.

Si les conditions sont telles que le choix ne relève plus de l'État utilisateur en vertu des dispositions de commandement et que c'est la décision du commandant qui prime, alors je crois que vous auriez absolument raison et que le commandant aurait effectivement contrevenu à la disposition du traité exposée à l'article 1. Vous pourriez alors soutenir que l'article 21 ne s'applique pas, puisque la décision a été prise par le commandant dans une situation où l'exception du paragraphe 21(4) ne joue pas, et c'est pourquoi je dis qu'au bout du compte, cela est fortement lié aux circonstances.

Le sénateur Dallaire : Quand vous avez...

La présidente : Une seule question de plus, s'il vous plaît. D'autres sénateurs veulent poser des questions. Je peux vous inscrire pour le deuxième tour.

Le sénateur Dallaire : Ce qui devrait vraiment nous préoccuper, au fond, c'est le niveau de commandement relativement aux responsabilités et la possibilité que des postes de commandement soient exposés à ces problèmes éthiques. Indépendamment de la force — une force de l'OTAN ou une autre — qui assume le commandement, le commandant a toujours la possibilité d'accepter ou de refuser le commandement en fonction de certaines dispositions professionnelles et éthiques, par exemple la conviction de la validité de la convention sur la non-utilisation des armes à sous-munitions.

Si des forces n'ont pas signé la convention et utilisent ces armes, le commandant pourrait refuser de faire appel à ces forces. Et si ces forces ne sont pas retirées, il pourrait démissionner. S'il en a la possibilité, mais qu'il ne démissionne pas et décide de conserver le commandement, il pourrait être tenu responsable. Êtes-vous d'accord?

Commodore Boothby : Je reviens à la question de fond : tout est largement fonction de ce que vous entendez par « responsable ». Si vous entendez responsable d'une infraction au traité, je ne crois pas que cela soit exact, non. Si vous voulez dire que cette décision peut créer pour la nation du commandant certaines responsabilités secondaires ou conséquentes et des obligations en vertu du traité, alors oui, peut-être.

Le sénateur Dallaire : Oui, c'est pour cette raison que les articles 5 et 6 existent. J'aimerais poursuivre au deuxième tour de questions.

Le sénateur Wallace : Monsieur Rutherford, vous avez fait un commentaire qui m'intéresse. Vous avez dit que fondamentalement nous devions être convaincus que le projet de loi S-10 est conforme aux dispositions de la convention. En tant qu'État signataire, le Canada devrait se conformer à la convention.

Si j'ai bien compris vos propos, vous dites que la disposition générale de la convention est l'article 1, c'est-à-dire l'interdiction. L'intitulé de l'article 1 la décrit comme une obligation générale. Comme vous le savez, il y a de nombreuses dispositions. L'exception prévue dans la clause d'interopérabilité, à l'article 21 — et en particulier au paragraphe 3 — doit toujours être interprétée dans le contexte de l'article 1; les interdictions prévues à l'article 1 sont déterminantes, et le paragraphe 3 doit être interprété dans ce contexte.

Cela est très important, car dans le projet de loi S-10, comme l'a fait remarquer le sénateur Hubley, les exceptions à l'article 11 du projet de loi S-10 reposent vraiment sur les dispositions d'interopérabilité de la convention.

Si je regarde le libellé du paragraphe 21(3) de la convention, on dit d'abord « Nonobstant les dispositions de l'article 1 ». Donc, indépendamment des dispositions de l'article 1, certaines activités peuvent se dérouler dans un contexte opérationnel militaire mixte avec un État non partie à la convention. Le libellé de ce paragraphe engloberait les activités interdites à un État signataire, et les Canadiens ne seraient pas autorisés à y participer.

Par conséquent, peut-on vraiment dire que l'article 1 est la disposition prépondérante? Il me semble que le libellé de l'exception définie au paragraphe 21(3) stipule plus ou moins que nonobstant cela, les règles sont différentes dans les opérations militaires conjointes. Êtes-vous d'accord?

M. Rutherford : Je n'ai pas dit que c'était le principe directeur de la convention, mais je conviens de tout ce que vous venez de dire. Toutefois, je ne suis pas certain de vos conclusions ni de votre question.

Le sénateur Wallace : Il me semble, d'après vos commentaires, que le libellé du paragraphe 21(3) de la convention est pondéré par l'article 1. Pour moi, la réponse est simplement qu'il faut examiner le libellé du paragraphe 21(3); il dit bien, d'après moi, qu'une exception très générale peut être faite pour l'interdiction générale. C'est mon opinion.

M. Rutherford : Si la Convention anti-mines a eu tant de succès, c'est notamment parce que le texte et l'esprit en étaient clairs et sans ambiguïté. Je crois que le fondement de la Convention sur les armes à sous-munitions est identique, puisque la majorité des pays du monde ont convenu que les armes à sous-munitions sont des armes immorales et non discriminatoires, et que les grandes exceptions affaiblissent cette condamnation.

Le sénateur Wallace : Oui, mais nous avons des exceptions dans la convention et il y a des exceptions proposées dans le projet de loi S-10. Selon moi, les exceptions du projet de loi S-10 s'appuient sur celles de la convention; elles n'ont rien de neuf. Là encore, la question pour moi est de savoir si les exceptions prévues dans le projet de loi S-10 sont conformes aux dispositions de la convention. Si j'en juge par votre réponse, il n'y a pas de différences fondamentales.

M. Rutherford : Allons au fond de la question. Je crois que les exceptions décrites dans le projet de loi S-10 s'écartent du but de la convention, qui est de mettre un terme à perpétuité à l'utilisation des armes à sous-munitions, qui causent des souffrances inutiles. C'est une arme non discriminatoire et immorale, et je crois que la majorité du monde le reconnaît.

Si nous acceptons des exceptions, je crains que d'autres gouvernements décident unilatéralement de définir leurs propres exceptions au traité. L'esprit du traité constitue vraiment le cœur de l'article 1, qui vise à interdire définitivement l'utilisation des armes à sous-munitions.

Le sénateur Wallace : Je ne le conteste pas. Je reconnais l'intention générale. Je ne contredis nullement ce que vous dites, mais ce sont des exceptions dont nous parlons ici. Individuellement, nous pouvons les juger utiles ou déplorables, mais le fait est que la convention prévoit des exceptions précises. Il s'agit, ici, de déterminer si les exceptions prévues dans le projet de loi S-10 les recoupent et si elles s'harmonisent avec elles.

Vous avez raison : en ce qui concerne les armes à sous-munitions en général et le fait que nous devrions en débarrasser le monde, il n'y a aucun désaccord. Toutefois, nous devons regarder le libellé de la convention, et je voulais savoir quelle était votre interprétation. Je crois que vous nous l'avez expliquée, merci.

J'ai une dernière question, et elle s'adresse à M. Boothby. Vous avez mentionné les alinéas 21(4)b) et c) et l'expression « lui-même ». L'exception prévue au paragraphe précédent, le paragraphe 3, n'autoriserait pas un État signataire — en l'occurrence, le Canada — à stocker « lui-même » des armes à sous-munitions ni à les utiliser « lui-même ».

Que pensez-vous de l'expression « lui-même » dans le contexte d'une opération militaire conjointe, où les participants ont très peu d'occasions, sinon aucune, de travailler seuls parce que, par nature, l'opération est conjointe. Qu'est-ce que cela signifie pour vous dans le contexte d'une opération conjointe?

Commodore Boothby : Je dois me retenir pour ne pas céder à la tentation d'entamer une sorte de séminaire de droit international dont je suis certain que vous ne voulez pas. La Commission du droit international formule des dispositions qui portent sur les notions relatives à la responsabilité des États. Elles traitent de la responsabilité attribuée à un État à la suite d'actions menées, par exemple, par des organes étatiques, des éléments des forces armées, entre autres. En temps normal, la responsabilité des actions des forces armées incombe à l'État auquel ces forces appartiennent.

Je me demande si la mention « lui-même » dans le texte, et en particulier dans cette partie du texte, ne renvoie pas indirectement à cette proposition légale et ne vise pas à établir une distinction entre une situation où la responsabilité peut- être attribuée en vertu de ces dispositions et une situation où l'État lui-même mène effectivement l'activité. J'envisage cela dans le contexte de l'alinéa 11(1)c) du projet de loi, qui stipule qu'il n'est pas interdit à la personne :

d'utiliser, d'acquérir ou de posséder de telles armes à sous-munitions, ou bombes, ou d'en déplacer d'un État ou d'un territoire étranger à un autre [...]

Autrement dit, de les transférer —

[...] avec l'intention de transférer le droit de propriété et le contrôle sur celles-ci dans le cadre d'un détachement, d'un échange, d'une affectation ou d'un arrangement semblable auprès des forces armées de cet État.

Là encore, je promets de ne pas m'embourber dans les méandres de la responsabilité des États, mais la proposition générale est que la responsabilité des États s'applique lorsque la personne agit sous la direction ou le contrôle d'un État. Suivant une interprétation, lorsqu'un membre des forces armées a été, par exemple, détaché auprès d'une unité étrangère, disons dans le cadre d'un échange avec l'armée de l'air américaine, cette personne agit sous la direction ou le contrôle de l'État d'accueil — en l'occurrence, les États-Unis et leurs forces aériennes. Par conséquent, puisqu'elle n'est pas dirigée ni contrôlée par le Royaume-Uni ou le Canada, ses gestes engageront la responsabilité de l'État hôte, soit les États-Unis. Je me demande si c'est ce que l'expression « lui-même » sous-entend dans cette disposition.

Toutefois, comme je l'ai dit, je n'ai pas participé aux négociations. Je peux seulement m'appuyer sur les mots que j'ai sous les yeux. Je vous rappelle que les dispositions du droit international, qui s'applique au Canada en vertu de cette convention, seront le produit du libellé figurant dans la convention et de toute interprétation que le Canada choisit d'en faire au moment de la ratification.

Le sénateur Wallace : Merci. Cela est très utile.

La présidente : J'ai une petite question à vous poser. Il me semble que nous sommes toujours confrontés à ce dilemme lorsque nous négocions des traités internationaux et nous aboutissons alors à un compromis. Le compromis pour les armes à sous-munitions est le fait que nous ne voulons pas utiliser d'armes à sous-munitions, elles sont exécrables et ne devraient pas être utilisées, mais concrètement, dans la réalité, certains pays ne signeront pas la convention et ils utiliseront ces armes. Nous sommes dans une position intermédiaire et nous avons recours à la convention pour tenter de convaincre les autres qu'ils devraient signer et se ranger à notre avis.

Par conséquent, quand je lis les passages sur l'interopérabilité je me demande si les rédacteurs ont bien réfléchi, s'ils considèrent que tout cela sera provisoire si nous arrivons à persuader le monde. Je crois donc que l'article 1 pose le principe, mais que des considérations pratiques régissent les exceptions pour permettre à chaque État de mettre la convention en œuvre suivant la loi nationale. Il y aura inévitablement des différences d'interprétation parce que nous devons nous conformer à la loi.

Est-ce bien ainsi que le processus s'est déroulé?

M. Rutherford : Vous avez absolument raison, selon moi. Je crois que l'article 21 a été ajouté un jeudi. Les négociations à Dublin ont duré 10 jours — 10 jours ouvrables —, et je crois que c'était le mercredi ou le jeudi de la seconde semaine. Il est indéniable que la convention vise à interdire l'utilisation des armes à sous-munitions. Nous avons vu cette question d'interopérabilité dans le Traité anti-mines. Les États-Unis, qui n'ont pas signé la convention interdisant les mines, et tous leurs alliés de l'OTAN, qui sont parties à la Convention d'Ottawa, ont très bien collaboré dans nombre de situations différentes dans le monde. En outre, la convention sur les armes chimiques utilise un libellé similaire pour indiquer qu'il ne faut pas appuyer le recours aux armes chimiques. Je ne pense donc pas que l'on puisse jamais exiger de recourir à des armes chimiques.

Il est certain que presque tous les pays signataires de la Convention sur les armes à sous-munitions croient que l'article 21 doit avoir préséance sur l'article 1. Pour l'instant, le seul autre pays qui définit des exceptions est l'Australie, qui vient d'adopter une loi nationale que la communauté internationale a largement condamnée.

Commodore Boothby : Curieusement, je commencerai par citer un éminent avocat britannique qui est maintenant juge à la cour internationale et qui considère qu'un traité est un désaccord international transformé en format écrit.

Cette remarque est fort pertinente et reflète bien ce que M. Rutherford vient de dire, car les États individuels abordent les négociations de traité en fonction de leurs limites et de leurs préférences particulières. À la fin du processus de négociation, ils se convainquent qu'ils ont réussi à faire ce qu'ils voulaient grâce à ce que vous avez bien décrit comme un texte qui représente généralement un compromis. Dans le cadre du processus de ratification, ces États produisent ensuite leur propre loi, qui reflète leurs interprétations et leurs positions. L'issue de ce processus, en ce qui concerne la relation entre les articles 1 et 21, n'est pas encore déterminée.

Stuart Casey-Maslen a rédigé un commentaire sur cette convention et il s'est dit d'avis qu'en temps et lieu, l'article 21 serait écarté parce qu'un nombre suffisant d'États auraient signé le traité principal et l'article 1 aurait alors la préséance. Je n'en suis pas certain. J'hésite parce que j'ai l'impression que certains États essentiels ne signeront jamais ce traité — certainement pas dans un avenir prévisible.

Le sénateur Dallaire : Pour aider certaines nations à signer, nous avons proposé ou nous les avons aidées à trouver des systèmes de rechange qui offrent le même niveau de sécurité que les mines. Pour promouvoir la convention, est-ce qu'un organisme quelconque a tenté de convaincre les nations qui possèdent des stocks de ces munitions qu'il peut exister d'autres solutions qui, à défaut d'être plus efficaces, produisent moins de dommages collatéraux que les armes à sous-munitions? Est-ce qu'il y a eu des efforts en ce sens, des études?

M. Rutherford : Pas que je sache. J'ignore si les autres conventions sur les mines terrestres contiennent des éléments qui visent à trouver des solutions de rechange aux mines, à l'exception de ce que M. Boothby vient de dire au sujet des États-Unis, qui tentent de définir ou d'imposer des exceptions pour leurs mines intelligentes.

J'ignore si les signataires de la Convention d'Ottawa ont effectivement tenté de trouver des armes de rechange pour les autres pays. Les États-Unis ont essayé d'obtenir une exception pour les mines intelligentes et ils ont échoué. Je crois qu'ils ont échoué parce qu'ils sont arrivés trop tard aux négociations. Ils sont arrivés à Oslo quatre mois avant la signature à Ottawa, mais la question des armes à sous-munitions est bien différente. De nombreux pays ont des mines terrestres et les utilisent, mais les armes à sous-munitions sont très peu utilisées. Par exemple, depuis un an, seulement deux pays ont utilisé des armes à sous-munitions. Les pays qui ont utilisé des mines terrestres au cours de l'année sont beaucoup plus nombreux que ceux qui ont utilisé des armes à sous-munitions, et je crois que cela est vrai en général. Mais je m'égare. Pour répondre à votre question, non, je ne le pense pas.

Commodore Boothby : Je ne connais aucune mesure précise en ce sens, mais je ne serais pas nécessairement au courant parce que je suis à la retraite. Selon moi, en termes généraux, les progrès technologiques dans le domaine de l'armement sont parfois très rapides, et je ne serais pas étonné si des solutions efficaces étaient découvertes pour assurer la capacité qui, par le passé, nous venait des armes à sous-munitions. Toutefois, j'ai bien peur de ne pas pouvoir vous présenter d'information précise.

La présidente : Monsieur Rutherford, monsieur Boothby, merci de votre participation. Vous nous avez certainement beaucoup éclairés sur le droit international, et cela sera très utile au comité. Vous avez précisé certaines des questions qui nous intéressent au sujet des armes à sous-munitions. Merci d'être venus aujourd'hui.

Honorables sénateurs, nous avons pris un peu de retard pendant la première partie de la séance, et je demande à tous d'utiliser efficacement le temps qui nous reste. Nous devons libérer la salle à l'heure prévue, car un autre comité l'a réservée. Nous n'aurons pas le luxe dont nous jouissons parfois de prolonger de 10 ou 15 minutes les discussions. Nous devrons conclure nos délibérations à l'heure prévue. J'espère que nos témoins n'en prendront pas ombrage; c'est ainsi que les choses se passent parfois au Parlement. Il est très difficile de respecter les horaires.

Nous accueillons maintenant Stephen Goose, directeur de la Division Armes, Human Rights Watch. Il témoigne par vidéoconférence depuis New York. Par contre, Bonnie Docherty, chercheuse principale à la Division Armes, Human Rights Watch, qui est également instructrice clinique principale et professeure de droit à la Clinique internationale de défense des droits humains de la Faculté de droit de Harvard, est ici en personne.

Stephen Goose, directeur, Division Armes, Human Rights Watch : Je suis certain que vous êtes heureux d'avoir quelqu'un en chair et en os devant vous plutôt qu'à l'écran.

Outre les fonctions que j'occupe depuis près de 20 ans maintenant à Human Rights Watch, je suis président de la Cluster Munition Coalition et de la Campagne internationale pour interdire les mines, lauréate du Prix Nobel. Je suis membre fondateur de ces deux mouvements de la société civile. J'ai participé étroitement à l'élaboration et à la négociation des deux conventions, celle sur les armes à sous-munitions et celle sur les mines, ainsi que de deux autres instruments internationaux portant l'un sur l'interdiction des lasers aveuglants et l'autre sur les résidus explosifs de guerre. Je consacre presque tout mon temps à la surveillance et à la promotion de la conformité aux termes de la Convention sur les armes à sous-munitions et du Traité anti-mines ainsi qu'à la mise en œuvre de leurs dispositions.

J'aimerais signaler que j'entretiens depuis près de deux décennies une relation de coopération très étroite avec de nombreux responsables canadiens — à Affaires étrangères, à la Défense nationale et à l'ACDI, et ce, jusqu'au niveau des ministres et des ambassadeurs.

Je regrette énormément de devoir dire que ce projet de loi est l'antithèse de mon expérience avec le gouvernement canadien, une expérience caractérisée par le leadership audacieux du Canada, sa diplomatie créatrice et, surtout, son engagement envers les valeurs humanitaires et sa détermination de faire l'impossible pour prévenir et réduire la souffrance des civils pendant et après les conflits armés.

Nous croyons que cette loi est contraire à la Convention sur les armes à sous-munitions et pourrait bien nuire à son intégrité et à son succès à long terme. Cette opinion est partagée par nombre d'États signataires de la convention, dont la Norvège, ainsi que par le Comité international de la Croix-Rouge et diverses agences de l'ONU, comme cela a été exprimé à l'occasion de la troisième réunion des États parties à la convention, où les dangers de ce projet de loi ont été le principal sujet de conversation dans les corridors et pendant les séances plénières.

Cette convention revêt beaucoup trop d'importance pour la laisser miner par des lois nationales de mise en œuvre qui présentent de graves lacunes. Du point de vue humanitaire, pour la protection des civils, la convention ouvre d'immenses perspectives. C'est un instrument largement préventif, destiné à faire en sorte que les immenses stocks mondiaux d'armes à sous-munitions — il y a des millions de ces armes, qui contiennent peut-être des milliards de sous- munitions — ne soient jamais utilisés. Il s'agit d'éviter une crise mondiale qui pourrait être beaucoup plus grave que la crise des mines terrestres, dans les années 1980 et 1990, une crise que le Canada a si largement contribué à résorber.

La meilleure façon de garantir le succès de la Convention sur les armes à sous-munitions est de jeter l'opprobre sur ces armes, comme nous l'avons si bien fait dans le cas des mines antipersonnel. Nous connaissons déjà beaucoup de succès dans ce cas-ci, et la majorité des pays du monde ont signé la convention; la communauté internationale, y compris des pays qui ne sont pas parties à la convention et de nombreux États non signataires qui envisagent une interdiction, dont les États-Unis, a fermement condamné la Syrie ces dernières semaines et la Libye, l'an dernier.

Malheureusement, le projet de loi atténue l'ignominie et mine l'interdiction absolue que prévoit la convention. Il suffit de simplement lire ce texte pour constater qu'il vise à faciliter l'utilisation future par d'autres parties ainsi qu'à autoriser le stockage et le transfert en territoire canadien et même à envisager l'utilisation future de ces armes par des membres des Forces canadiennes affectés à des opérations militaires conjointes avec des pays non signataires.

Le Canada n'a peut-être pas l'intention d'affaiblir la convention, mais ces dispositions de la loi pourraient bel et bien avoir cet effet. Je comprends que le Canada veuille offrir des protections juridiques aux Forces armées canadiennes qui participent à des opérations conjointes avec des non-signataires, mais cette loi va trop loin, et inutilement. Pourquoi inutilement? Il suffirait de reprendre l'approche adoptée par le Canada pour le Traité anti-mines, qui autorise la participation à des opérations conjointes dans la mesure où cette participation n'équivaut pas à appuyer activement une activité interdite. Il n'est pas nécessaire d'ajouter toutes ces dispositions dans l'article 11 ni ailleurs. Plusieurs autres pays ont adopté cette approche tant pour l'interdiction des mines que pour les armes à sous-munitions et ils autorisent une participation étroite sans créer toutes ces échappatoires.

Certains responsables canadiens nous ont dit que ce qui donnait de bons résultats dans le Traité anti-mines ne fonctionnerait pas dans la Convention sur les armes à sous-munitions simplement parce que selon eux les États-Unis sont plus susceptibles d'utiliser ces armes. Ce raisonnement nous paraît fallacieux, en partie parce que les États-Unis envisagent une interdiction virtuelle de ces armes d'ici 2018 mais surtout parce qu'il faut mettre l'accent sur la prévention et la condamnation de l'utilisation, et non pas sur sa facilitation. La loi semble indiquer que le Canada s'attend à ce que les États-Unis utilisent ces armes à l'avenir. Nous pensons qu'en fait, vu l'opprobre dont elles font déjà l'objet, non seulement les États-Unis seront peu portés à utiliser ces armes, mais en outre il est très peu probable que le Canada devra recourir aux échappatoires prévues dans la loi — il est très peu probable qu'il devra faciliter l'utilisation de ces armes ou les utiliser lui-même, vu l'ignominie qui s'y rattache. Par conséquent, ces dispositions sont parfaitement inutiles.

Nous avons critiqué les projets de loi de deux autres États, qui sont depuis devenus des lois de mise en œuvre, en raison de leur approche en matière d'opérations conjointes et de l'article 21, principalement l'Australie mais aussi, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni. Le Canada a toutefois le douteux honneur de proposer la pire loi de ratification. Nous savons que certains États signataires s'inquiètent non seulement de l'effet qu'aura la loi canadienne sur la Convention sur les armes à sous-munitions, mais aussi de l'impact négatif éventuel d'une loi de ratification qui crée un précédent puisqu'un État signataire ratifie un instrument international au moyen d'une loi nationale qui, de toute évidence, s'en écarte nettement.

Bref, je dirais que les dispositions inacceptables de ce texte — et elles ne sont pas toutes inacceptables, loin de là — vont à l'encontre de l'esprit et de la lettre de la convention. Ces dispositions inacceptables pourraient miner l'efficacité de la convention comme instrument humanitaire. Elles sont inutiles et parfaitement excessives puisque le Canada n'en a pas besoin pour continuer à participer à des opérations conjointes avec des non-signataires et offrir des protections juridiques aux Forces canadiennes dans le cadre de ces opérations. En outre, ces dispositions affaiblissent le leadership du Canada dans la Convention sur les armes à sous-munitions, dans le Traité anti-mines et dans les dossiers humanitaires ainsi qu'en matière de droit international en général.

Nous pressons le Sénat d'amender le projet de loi en fonction des recommandations précises qui figurent dans notre mémoire et que ma collègue, Mme Docherty, va maintenant vous résumer. Merci.

La présidente : Merci. Madame Docherty, nous vous écoutons.

Bonnie Docherty, chercheuse principale, Division Armes, et instructrice clinique principale et conférencière à la Clinique internationale de défense des droits humains de la Faculté de droit de Harvard Human Rights Watch : Merci de nous avoir invités à venir aujourd'hui présenter au comité nos commentaires sur le projet de loi S-10.

La mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions éveille des échos personnels chez moi, car j'ai réalisé de nombreux travaux de terrain sur les effets de ces armes pour les civils. J'ai interrogé des douzaines de victimes en Afghanistan, en Iraq, en Israël, au Liban et en Géorgie, des personnes qui ont été blessées par des armes à sous- munitions au moment des attaques et par la suite.

Un incident survenu au Liban m'a fait une impression particulière. Un garçon de 14 ans lançait des pommes de pin à son frère de 12 ans, Rami Ali Hassan Shebli. Rami a saisi quelque chose sur le sol pour répliquer à son frère, mais c'était une sous-munition. Un voisin lui a crié de la déposer, mais quand Rami a tendu le bras vers l'arrière pour lancer la sous-munition, celle-ci a explosé et l'a tué instantanément. Nous sommes arrivés sur les lieux deux heures plus tard. Les démineurs ont fait exploser environ 15 sous-munitions dans ce secteur pendant notre visite, et nous avons vu deux hommes qui plaçaient les restes de Rami dans une boîte. Ils sont partis, mais ils ont oublié un doigt sur le sol.

Cet incident, comme bien d'autres, fait ressortir les graves inquiétudes que m'inspire le projet de loi S-10. Ce document contient certains éléments valables, notamment des interdictions absolues, dans l'article 6, mais il prévoit aussi d'importantes échappatoires qui permettraient aux Canadiens de contribuer à l'utilisation d'armes à sous-munitions susceptibles de tuer d'autres civils comme Rami. La majorité des difficultés soulevées par le projet de loi S-10 viennent de l'article 11. En vertu de l'article 11, par exemple, les commandants militaires canadiens peuvent ordonner aux forces armées d'un autre État d'utiliser des armes à sous-munitions ou de les autoriser à le faire. Ils peuvent aussi « demander expressément » à un État non signataire d'utiliser ces armes lorsque le choix des munitions ne relève pas exclusivement du Canada. Les Canadiens détachés auprès d'États non signataires pourraient même utiliser eux-mêmes des armes à sous- munitions.

Chacune de ces activités va directement à l'encontre de l'objet et du but de la convention, qui consiste à éliminer les armes à sous-munitions et les souffrances qu'elles provoquent. Les échappatoires prévues à l'article 11 contredisent également la lettre de la convention. L'article 1 interdit d'aider qui que ce soit à mener une activité interdite, indépendamment des circonstances, et cela devrait englober les opérations militaires conjointes. L'article 21 devrait être interprété comme une précision du fait que la simple participation à des opérations militaires conjointes est autorisée plutôt que comme une réserve créant des exceptions durant de telles opérations.

Si l'article 21 pouvait être interprété différemment, cela trahirait une incohérence interne de l'article. Il n'est pas logique d'exiger d'une part du Canada qu'il décourage l'utilisation — ce que fait le paragraphe 2 — et de permettre d'autre part à des Canadiens d'encourager l'utilisation comme le prévoit le projet de loi S-10. Au moins 35 États, dont 11 membres de l'OTAN, ont dit que l'article 21 ne créait pas d'exceptions à l'interdiction absolue. La Norvège a expliqué dans un commentaire accompagnant sa loi que l'exception visant la coopération militaire n'autorisait pas les États parties à s'engager dans des activités interdites par la convention.

Nous recommandons au Sénat d'amender le projet de loi en supprimant les alinéas de l'article 11 et en modifiant l'intitulé pour préciser que la simple participation à des opérations militaires conjointes est autorisée. La Nouvelle- Zélande et le Guatemala ont tous deux adopté cette approche.

L'article 11 permet aux Canadiens de contourner de deux autres façons l'interdiction d'assistance prévue dans la convention. Premièrement, il semble autoriser le personnel canadien à ordonner ou à autoriser le stockage d'armes à sous-munitions par des États non signataires en territoire canadien. Au moins 28 États, dont 10 membres de l'OTAN, ont précisé que la convention interdisait le stockage d'armes étrangères. Pour régler ce problème, nous recommandons d'amender l'article 11 en fonction de ce qui précède et nous préconisons d'ajouter à l'article 6 une interdiction explicite visant la facilitation du stockage d'armes étrangères.

Deuxièmement, l'article 11 autorise le personnel canadien à collaborer aux activités d'un État non signataire qui veut transporter des armes à sous-munitions en territoire canadien. Au moins 31 États, dont 10 membres de l'OTAN, considèrent officiellement que la convention interdit le transport. Trois États, soit l'Australie, l'Allemagne et la Suisse, interdisent explicitement le transport dans leur loi de mise en œuvre. Cette lacune pourrait être corrigée par une modification de l'article 11 en fonction des indications et par l'ajout, à l'article 6, d'une interdiction explicite de transport.

Pour conclure, nous conseillons au Sénat d'ajouter deux éléments au projet de loi afin de mettre plus complètement en œuvre la convention. Nous recommandons au Sénat d'insérer une disposition qui interdirait explicitement plutôt qu'implicitement les investissements dans les armes à sous-munitions. Nous demandons aussi au Canada de consacrer par voie législative les obligations positives de la convention et de compléter la loi par diverses mesures administratives.

La loi pourrait notamment stipuler que le personnel militaire canadien est tenu de décourager l'utilisation d'armes à sous-munitions et d'informer les forces armées auprès desquelles il est détaché des obligations que la convention crée pour le Canada.

Je vous remercie de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui. Notre mémoire contient plus de détails sur notre position, et je répondrai avec plaisir à vos questions le moment venu.

La présidente : Avant de passer aux questions, j'aimerais demander une précision. Monsieur Goose, vous avez mentionné que certains États avaient critiqué le projet de loi du Canada. Pouvez-vous nous dire lesquels?

M. Goose : Le mois dernier, à Oslo, pendant la séance plénière de la troisième réunion des États signataires, la Norvège et l'Autriche ainsi que le porte-parole du CICR et de la famille onusienne ont tous mentionné des préoccupations à ce sujet.

La présidente : Merci.

Le sénateur Dallaire : Selon vous, faut-il aller plus loin que ce que propose Mme Docherty parce que la loi, le projet de loi S-10, contient cet abominable article 11? Ne pensez-vous pas que nous devrions l'amender également? Nous faisons appel à nos militaires, à nos diplomates et à d'autres intervenants dans le cadre de ces conflits. Il n'y a pas que des militaires, il y a aussi des diplomates, il y a des spécialistes du développement, des soldats, et cetera qui se trouvent tous dans ces zones en même temps. Est-ce que la loi devrait préciser que ces personnes sont elles aussi tenues de décourager spécifiquement ceux qui voudraient utiliser ces armes dans le théâtre des opérations et les inciter à trouver d'autres moyens?

M. Goose : Oui, c'est une de nos recommandations. De fait, la convention instaure l'obligation de décourager les non-signataires. À ma connaissance, cette disposition n'a pas d'équivalent en droit international, aucun autre traité ne crée l'obligation de décourager l'utilisation par d'autres parties. C'est une des raisons pour lesquelles nous pensons que l'article 21 ne peut l'emporter sur l'article 1, puisque l'article 21 exige lui aussi de décourager l'utilisation.

En règle générale, nous pensons que les lois de mise en œuvre de la convention au Canada et dans d'autres pays devraient englober ces obligations positives de promouvoir l'universalité de la convention, de décourager l'utilisation et de détruire les stocks. Nous pensons que ces obligations sont également importantes.

Mme Docherty : Je suis d'accord et j'ajouterai simplement que selon moi cette approche préventive est très importante. Nous devons prévenir les situations où les Canadiens en détachement sont placés dans la position inconfortable de devoir collaborer à l'utilisation d'armes à sous-munitions. Il faudrait présenter un préavis aux alliés en ce qui concerne les obligations de décourager l'utilisation des armes à sous-munitions, de sorte qu'ils ne penseraient pas qu'ils peuvent placer les militaires dans la position inconfortable où il leur faut décider s'ils doivent collaborer à l'utilisation d'armes à sous-munitions.

Le sénateur Dallaire : En théorie, c'est très bien. Toutefois, si vous êtes détaché à titre de commandant de compagnie auprès des forces britanniques ou américaines, vous êtes responsable de la vie de ces soldats pendant la mission. Si leur doctrine englobe l'utilisation d'armes à sous-munitions et que vous n'utilisez pas ces armes, vous risquez la Cour martiale et vous serez tenu responsable de ces vies et de l'échec de la mission.

Nous ne pouvons pas dire simplement « Non, vous n'êtes pas autorisés à travailler avec des forces qui utilisent ces armes ». Nous devons trouver d'autres moyens pour protéger nos militaires et essayer de convaincre les responsables de niveau bien supérieur de ne pas utiliser ces armes. Je crois que c'est en ce sens que la loi est un échec.

Dans l'article 11, le projet de loi prévoit une foule de détails qui visent à protéger les subalternes contre le risque d'emprisonnement s'ils travaillent à proximité d'armes à sous-munitions. Le projet de loi n'aide pas notre pays à encourager nos militaires et nos diplomates à essayer d'empêcher l'utilisation ou encore à trouver des solutions de rechange à ces armes. Êtes-vous d'accord?

Mme Docherty : Nous convenons certainement qu'il faudrait ajouter au projet de loi une déclaration sur l'obligation positive que nous impose le paragraphe 21(2) d'aviser nos alliés que nous décourageons l'utilisation de ces armes. Je crois que c'est essentiel aux niveaux supérieurs dont vous parlez. Notre objectif n'est pas de faire intenter des poursuites contre les militaires subalternes qui pourraient contribuer par inadvertance à l'utilisation d'armes à sous-munitions. Cela ne nous intéresse pas. Notre objectif est de prévenir toute activité qui facilite l'utilisation des armes à sous- munitions.

Le sénateur Dallaire : Notre pays respecte l'éthique et défend des valeurs. Il clame constamment qu'il défend des valeurs. Toutefois, il risque de créer une loi qui protégera les personnes, mais qui pourrait les placer devant un dilemme où leurs actions seraient légales mais iraient, sur le plan éthique, à l'encontre de ce que notre pays veut faire, c'est-à-dire interdire l'utilisation de ce système.

Croyez-vous que le libellé du projet de loi expose ces officiers à un tel dilemme? Oui, ils sont protégés, mais ils font une grave erreur sur le plan éthique, compte tenu de ce que le pays croit que nous devrions faire grâce à cette convention.

M. Goose : Je crois que vous avez absolument raison, vous les placez dans une situation éthique et morale très difficile, une situation qui ne devrait pas exister, mais j'irais encore plus loin. Vous dites que leurs actions seraient légales. Eh bien, c'est peut-être vrai en droit canadien, en raison de l'échappatoire prévue ici, mais ce n'est pas nécessairement le cas aux termes de la convention. Je pense sincèrement que si des membres des Forces canadiennes en détachement utilisaient des armes à sous-munitions, de nombreux États signataires diraient que le Canada a enfreint les dispositions de la convention. Il n'a peut-être pas enfreint sa loi nationale, mais il a enfreint la convention, et des procédures seraient intentées relativement au respect de la convention.

Le sénateur Dallaire : Nous créons ici une loi qui est légale au Canada pour répondre à ce que nous avons établi ici, mais nous péchons contre la convention. Est-ce que la Cour criminelle internationale peut demander des comptes à ces personnes et exigerait-elle du Canada qu'il les remette à la cour pour qu'elles puissent répondre de leurs actes?

M. Goose : Les armes à sous-munitions, comme les mines terrestres, ne relèvent pas explicitement de la CCI. Si ces armes sont utilisées d'une façon qui constitue un crime contre l'humanité, la question relèverait effectivement de la CCI, mais toute utilisation de ces armes n'est pas nécessairement du ressort de la CCI.

Le sénateur Dallaire : La recherche opérationnelle a montré, techniquement et sur le plan de la doctrine, que l'utilisation de ces armes en zone bâtie constitue une contravention directe parce que vous êtes totalement entouré de cibles civiles, y compris des hôpitaux et d'autres éléments. Toute acquisition d'objectif en zone urbaine peut être considérée comme un crime contre l'humanité en raison de l'utilisation illégale d'un système d'arme. Est-ce exact?

M. Goose : C'est tout à fait possible, et un responsable serbe a dû justement répondre d'une telle accusation devant la CCI.

Le sénateur Dallaire : D'accord. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur Goose, j'ai écouté votre présentation attentivement et je crois comprendre que vous vous opposez à toutes les provisions du projet de loi S-10 qui permettent l'interopérabilité de nos troupes avec celles d'un pays non partie. Ai-je bien compris?

[Traduction]

La présidente : Il n'y avait pas de son. Pourriez-vous reprendre votre réponse? Merci.

M. Goose : Une disposition du genre que nous avons dans... d'après ce que je vois, elle n'entend pas la traduction, mais je poursuis tout de même. Une disposition qui permettrait simplement de participer à des opérations militaires conjointes avec des pays non signataires ne nous inquiète pas. C'est une situation courante en vertu du Traité anti- mines. Cela se trouve déjà dans les dispositions législatives de plusieurs États signataires de la convention sur les armes à sous-munitions. Ce qui nous inquiète, ce sont les dispositions qui, selon nous, vont bien au-delà de ce qui est autorisé dans la convention, qui permettent l'aide intentionnelle à l'utilisation, qui permettent le stockage d'armes étrangères, qui permettent le transfert et l'utilisation concrète dans le cadre d'un détachement. Elles vont bien plus loin que ce qui est autorisé par la convention, et c'est à cela que nous nous opposons. Nous ne voulons certainement pas empêcher un État signataire de la convention de travailler avec ses alliés, même ceux qui n'ont pas signé la convention, et nous n'avons jamais rien fait de tel depuis 15 ans qu'existe le Traité anti-mines.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Madame Docherty, en tant que représentante de Human Rights Watch, selon vous, quels sont les pays qui utilisent actuellement des armes à sous-munitions? D'autres témoins à qui j'ai posé la question par le passé m'ont dit que votre organisme pourrait répondre à ma question. Vous avez cité l'exemple du Liban plus tôt, j'imagine que ce n'est pas le seul endroit où on utilise des armes à sous-munitions.

[Traduction]

Mme Docherty : Avec plaisir. Récemment, le gouvernement syrien a utilisé des armes à sous-munitions. Human Rights Watch a signalé la semaine dernière une intensification du recours aux armes à sous-munitions. Les forces de Kadhafi en ont utilisé l'an dernier, ce qui montre qu'actuellement les États voyous sont ceux qui utilisent le plus fréquemment les armes à sous-munitions. Depuis 10 ans, les États-Unis en utilisent en Afghanistan. Les États-Unis et le Royaume-Uni en ont utilisé en Iraq. Israël s'en est servi au Liban. Par ailleurs, le Hezbollah, un groupe armé non étatique, en a utilisé en Israël, mais dans une moindre mesure. Cela montre bien le danger de prolifération de ces armes. La Russie et la Géorgie les ont utilisées toutes les deux dans le cadre du conflit en Ossétie du Sud, en 2008.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Quels sont les pays producteurs d'armes à sous-munitions, selon vous?

[Traduction]

Mme Docherty : Les États-Unis, la Russie et la Chine sont probablement les trois principaux producteurs. Il y en a quelques autres, mais ce sont les plus importants, et aussi Israël, pardonnez-moi. Je dois ajouter cela.

Le sénateur Wallace : Monsieur Goose, vous mentionnez que d'autres pays signataires de la convention ont critiqué le Canada et adopté une position différente de celle que nous prenons dans le projet de loi S-10. Est-ce vraiment très étonnant? Il y a bien des pays dans le monde, et je soupçonne que certains sont parties prenantes à la convention et d'autres pas, mais que chacun de ces pays a des arrangements militaires et des accords différents avec d'autres pays, n'est-ce pas? C'est fonction de leur situation et de leurs engagements à l'égard d'opérations militaires combinées. Il se peut fort bien que les engagements militaires du Canada avec ses alliés soient fort différents de ceux de la Norvège. Pour cette raison, est-ce qu'il n'est pas raisonnable que le projet de loi aborde différemment la convention au Canada que les lois d'autres pays du monde? Est-ce que cela ne détermine pas le résultat final?

M. Goose : Je crois que non. Premièrement, je doute que les arrangements du Canada soient si différents de ceux qu'ont adoptés d'autres membres de l'OTAN. D'autres forces armées qui collaborent étroitement avec les États-Unis n'ont pas jugé nécessaire d'adopter de telles dispositions. Au bout du compte, l'important, c'est le but de la convention et la façon adéquate de la mettre en œuvre, et non pas la nature des relations. Si le Canada croyait important de pouvoir continuer à utiliser les armes à sous-munitions, je ne vois pas pourquoi il a participé si étroitement au processus d'interdiction de ces armes et s'est engagé à promouvoir leur interdiction totale.

En outre, nous avons vu avec le Traité anti-mines que le Canada pouvait très bien s'acquitter de son rôle auprès des États-Unis et participer à des opérations combinées, même si un de ces pays a interdit cette arme et l'autre pas. Les États-Unis et le Canada ont combattu ensemble dans le cadre de divers conflits depuis la négociation et l'entrée en vigueur du Traité anti-mines, il y a plus de 15 ans. L'absence d'un article 21 ou d'échappatoires comme celles prévues dans ce projet de loi n'a nullement entravé leur capacité de collaboration.

Le sénateur Wallace : J'ai écouté vos commentaires. Il me paraît évident que personne ne songerait à vanter les mérites des armes à sous-munitions. En adhérant à la convention, le Canada s'est évidemment engagé à ne rien faire de tel. Là encore, cela est indiqué à l'article 21. La question que vous soulevez ne relève-t-elle pas plutôt du paragraphe 21(3) de la convention? Il me semble que vous avez de bonnes raisons pour vous opposer totalement à la présence dans la convention d'exceptions qui autorisent des situations distinctes, peut-être dans le cadre d'opérations militaires combinées, pour toutes les bonnes raisons que vous nous présentez. Le fait est que c'est dans la convention. C'est ce que la convention autorise. Est-ce qu'au fond, vous ne croyez pas que ces exceptions ne devraient pas figurer du tout dans la convention et cela explique que vous résistiez aux tentatives d'un pays pour interpréter cela et essayer de travailler dans le respect de ces dispositions?

M. Goose : Il est vrai que pendant les négociations et par la suite nous avons soutenu que l'article 21 était le pire élément de la convention, et ce, pour plusieurs raisons. Notamment, nous pensions qu'il reflétait des motifs politiques et non pas des préoccupations humanitaires. Nous le considérions comme très mal libellé, de façon plutôt obscure et précipitée, sans l'accord complet de tous les participants aux négociations. Depuis son adoption, nous avons fait porter nos efforts sur le fait que les États doivent clairement exposer leur interprétation de cet article et de sa signification, parce qu'il y a des incohérences. Il est mal libellé. Nous constatons que presque tous les États signataires qui nous ont fourni leur interprétation de la relation entre l'article 21 et l'article 1 déclarent que l'article 21 ne prime pas, concrètement, sur l'interdiction absolue d'assistance.

Le Canada fait exception à cet égard, tout comme l'Australie. Il arrive que des États signataires interprètent différemment certaines dispositions des traités. C'est vrai. L'inadmissible, ici, c'est que nous parlons d'une question fondamentale. Il est moins préoccupant de voir des variations d'interprétation sur des points qui ne sont pas aussi fondamentaux. En l'occurrence, le fait qu'un pays ayant manifesté un tel leadership dans les dossiers humanitaires de cette nature devienne tout à coup une exception nous trouble énormément. Nous croyons que c'est une erreur.

Le sénateur Wallace : Pourtant, le projet de loi doit bien se conformer à la convention.

Si je vous ai bien compris, vous dites que l'article 21 ne crée pas d'exception, qu'il ne qualifie ni ne dilue l'article 1, qui interdit les armes à sous-munitions. Pourtant, dans l'introduction...

M. Goose : C'est effectivement notre avis.

Le sénateur Wallace : Eh bien, l'introduction du paragraphe 21(3) dit, et je cite :

Nonobstant les dispositions de l'article 1 [...], les États parties [...] peuvent s'engager dans une coopération et des opérations militaires avec des États non parties à la présente Convention qui pourraient être engagés dans des activités interdites à un État partie.

« Nonobstant les dispositions de l'article 1 »... Par conséquent, malgré l'interdiction générale, des exceptions sont prévues. C'est ce qui est dit ici.

J'imagine qu'au moment de rédiger le document c'est de cela que le gouvernement a tenu compte. Je comprends votre position morale et je ne dirais pas que je la condamne, mais le fait est que la convention dit cela, que vous le vouliez ou non, et selon moi c'est ce que le gouvernement doit dire pour se conformer. Je ne vois pas l'incohérence dont vous parlez lorsque je lis ce passage.

M. Goose : Sans vouloir vous manquer de respect, nous pensons que vous interprétez mal ce passage, que votre interprétation est erronée. Je peux demander à ma collègue — c'est elle l'avocate, ici — de développer un peu ce point. Je précise toutefois que ce n'est pas l'interprétation ni la lecture de la majorité des États parties — à quelques exceptions près.

Mme Docherty : Ajoutons, pour ce qui est de la lecture de la disposition, qu'effectivement, comme vous l'avez dit, il est précisé « [n]onobstant les dispositions de l'article 1 ». Dans la deuxième moitié de cette disposition, toutefois, il est simplement dit que les États parties peuvent s'engager dans une coopération militaire. Nous ne le contestons pas, mais il n'est pas indiqué que dans le cadre de cette coopération les États peuvent aller à l'encontre des interdictions de l'article 1. Notre argument, c'est qu'il s'agit simplement d'une précision, que nonobstant l'article 1 on peut participer à ces opérations. Il n'est pas mentionné que ce sont des exceptions.

J'ajouterai autre chose. Nous avons le passage « conformément au droit international », et en droit international, en vertu de la Convention de Vienne sur la loi des traités ainsi que du droit international coutumier, les États sont tenus de respecter l'objet et le but des conventions. En l'occurrence, il s'agit d'éliminer les armes à sous-munitions et les souffrances qu'elles causent. Si vous interprétez l'article 21 comme une exception plutôt que comme une précision, vous allez à l'encontre de cet objectif et de ce but. Merci.

Le sénateur Wallace : Je me soucie peu qu'il s'agisse d'une exception ou d'une précision; le fait est que ces mots me semblent signifier qu'un État partie peut s'engager dans des opérations militaires avec des États non signataires de la convention et qu'il peut alors participer à des activités qui lui seraient autrement interdites.

J'ignore s'il s'agit d'une exception ou d'une précision, mais il me semble que c'est assez général. Cela ne devrait peut- être pas figurer ici, mais ce sont les mots qui ont été utilisés.

Mme Docherty : Oui, c'est effectivement la lettre. Je crois que cela est lié à l'interprétation que nous donnons à l'expression « peuvent s'engager ». Selon nous, « peuvent s'engager » signifie simplement participer, mais non pas aider les États non signataires à utiliser des armes à sous-munitions.

Le sénateur Wallace : Merci. Je comprends ce que vous dites.

La présidente : Je demande un supplément d'information. Vous dites que votre interprétation diffère de celle du sénateur Wallace. Je reviens en arrière et j'affirme que lorsque le gouvernement a rédigé ce texte il s'est inspiré très étroitement des discussions sur les armes à sous-munitions, et nous avons déclaré sans ambages que les armes à sous- munitions étaient abominables et ne devraient pas être utilisées. Toutefois, il faut rester terre-à-terre. Je crois que d'autres témoins nous ont dit qu'un pays doit trouver le juste milieu. Nous avons prévu une exception ou une condition dans la loi parce que, d'une part, nous voulons sauver des vies en interdisant les armes à sous-munitions mais, d'autre part, nous avons des soldats canadiens qui, au nom des Canadiens, risquent leur vie, et nous voulons être certains que lorsqu'ils font leur travail — lorsqu'ils participent à un engagement — ils ne seront pas vulnérables, il ne seront pas mis en danger et ils ne risqueront pas de ne pas pouvoir prendre les décisions appropriées de crainte d'enfreindre la convention.

J'ai vu le Canada s'efforcer de concilier tout cela, conscient du fonctionnement, et aller plus loin que d'autres pays, dresser une liste d'exceptions pour être bien certain de ne pas donner un mandat général pour l'engagement envers d'autres pays, mais autoriser certaines mesures précises pour nos forces armées. Cela vise à protéger les forces. Nous aurions peut-être pu rédiger autrement cette disposition, et de façon plus générale, mais alors nous devrions constamment nous présenter devant les tribunaux ou les cours martiales pour préciser les règles.

Donc, c'est un effort qui vise à accroître la certitude du point de vue canadien.

Vous ne pensez pas que c'est une bonne approche? C'est bien ce que vous nous dites?

Mme Docherty : Non, je ne dirais pas vraiment cela. Premièrement, je précise que nous respectons entièrement la nécessité d'un équilibre du point de vue militaire. Les opérations militaires conjointes sont parfaitement acceptables. Notre préoccupation, c'est que l'aspect humanitaire ne soit pas oublié, c'est la préoccupation sous-jacente au traité, dans le préambule et ailleurs.

En outre, je répète que nous n'essayons pas d'imputer une responsabilité au soldat canadien qui s'efforce de protéger son unité. Ce n'est pas notre préoccupation. Nous croyons que l'article 11, actuellement, est trop général pour jouer dans une telle situation. Par exemple, dans les deux paragraphes suivants de l'article 1, il est question de « quiconque », pas seulement de responsables militaires ou gouvernementaux canadiens. Il y a donc déjà une exception générale en ce qui concerne l'interdiction d'assistance, cela ne s'applique pas seulement aux militaires et au gouvernement.

Les armes à sous-munitions sont un mauvais choix dans les situations où, par exemple, vous êtes pris au piège et vous demandez un appui aérien rapproché, parce que vos soldats doivent se déplacer dans ce secteur. Les armes à sous- munitions laissent des munitions non explosées.

Il faut tenir compte d'aspects tant pratiques que juridiques, ici. Certainement, nous ne voulons pas créer plus de risque pour les soldats canadiens pour ce qui est des responsabilités juridiques ou sur le plan militaire, mais nous croyons que cet article est trop général pour jouer dans cette situation.

La présidente : Merci.

Le sénateur Hubley : Là encore, je crois que nous touchons peut-être au cœur même du problème. Le débat porterait sur ce qui est dit et autorisé dans le projet de loi plutôt que sur la réputation internationale du Canada en matière de promotion de la paix et de la sécurité. Par ailleurs, à quel point ces exceptions commencent-elles à éroder l'intention même de la Convention sur les armes à sous-munitions? C'est également une préoccupation.

Mme Docherty : Je crois que la création d'exceptions est dangereuse pour l'avenir de la Convention sur les armes à sous-munitions, parce que l'ignominie dont elle couvre ces armes est tellement importante. La convention elle-même interdit absolument l'utilisation, la production, le transfert et le stockage ainsi que tout appui à ces activités. Toutefois, elle est importante également non seulement comme document juridique, mais aussi comme document moral qui a par exemple incité la communauté internationale à condamner l'utilisation des armes à sous-munitions par la Syrie et la Lybie, ces dernières années.

À notre avis, l'existence d'une loi nationale qui affaiblit cette position absolue sur les armes à sous-munitions, qui dilue en quelque sorte cette condamnation, est fort inquiétante.

Le sénateur Hubley : Le ministre des Affaires étrangères a dit au comité que des politiques seront instaurées pour que les membres des Forces canadiennes qui participent à des échanges ou à des détachements avec un État non partie à la convention ne soient pas autorisés à utiliser des armes à sous-munitions. Est-ce que le recours à une politique plutôt qu'à une loi respecte les dispositions de la Convention sur les armes à sous-munitions?

Mme Docherty : L'article 9 de la convention exige une mise en œuvre par voie législative et au moyen de mesures administratives et autres, alors la politique est un outil important de mise en œuvre. Toutefois, des sanctions juridiques sont également exigées, et elles ne peuvent être instaurées que par une loi. Ce qui nous inquiète, c'est que le projet de loi crée des exceptions aux interdictions. Je signale aussi que nous nous réjouissons des déclarations politiques comme celles que vous venez de mentionner, mais la loi semble aller à l'encontre des mesures politiques proposées. Si cela s'inscrit dans la politique, pourquoi ne peut-on pas l'instaurer dans la loi maintenant plutôt que d'adopter une loi qu'il faut modifier au moyen d'une politique?

Le sénateur Johnson : Vous mentionnez que les États-Unis vont interdire les armes à sous-munitions d'ici 2018. Pouvez-vous nous parler un peu plus de cela? Ils n'ont pas essayé de participer aux pourparlers ni de signer la convention en même temps que nombre de pays influents. D'où vient cette information et quels progrès ont été réalisés à cet égard?

M. Goose : Depuis l'époque de l'administration Bush, les États-Unis ont adopté comme politique d'interdire d'ici 2018 l'utilisation de la très grande majorité des stocks américains d'armes à sous-munitions. Ils vont interdire l'utilisation de toutes les armes à sous-munitions qui ont un taux de défaillance supérieur à 1 p. 100. Cela signifie qu'ils interdiront l'utilisation de 99,999 p. 100 des stocks américains existants d'ici 2018. C'est la politique nationale. Les administrations Bush et Obama l'ont toutes deux entérinée.

Les États-Unis ainsi que la Russie et la Chine, Israël, l'Inde et le Pakistan ont tenté ces dernières années de définir une loi équivalente à la Convention sur les armes à sous-munitions dans un cadre distinct : la Convention sur les armes conventionnelles, mais leurs efforts ont fini par échouer. Nous pensons que c'est très bien ainsi, parce que la loi proposée comportait un grand nombre d'échappatoires. Toutefois, dans le cadre de ces efforts pour définir une loi de rechange, nous avons obtenu de tous ces États non partie à la convention qu'ils reconnaissent que ces armes doivent être réglementées tout particulièrement et qu'une formule d'interdiction quelconque doit être mise au point. L'interdiction dont ils parlaient n'était pas assez radicale à nos yeux, mais même les États qui n'ont pas encore accepté la convention d'interdiction des armes à sous-munitions s'orientent dans cette direction et reconnaissent qu'il s'agit d'armes qui soulèvent des préoccupations humanitaires particulières et qui ne peuvent pas être traitées comme les autres armes. Les États-Unis en interdisent l'exportation depuis plusieurs années, et ils n'en ont pas produit depuis 2004, alors ils sont sur la bonne voie. Nous aimerions qu'ils soient déjà plus avancés.

Le sénateur Johnson : C'est bon à savoir. Et qu'en est-il de la Chine, de la Russie, d'Israël, de l'Égypte, de l'Inde et du Pakistan? Où sont-ils rendus?

M. Goose : Ils ont tous participé aux discussions relatives à la Convention sur les armes conventionnelles. Ils ont aussi reconnu que ces armes avaient un caractère particulier. Ils ne sont pas encore prêts à les interdire. Ils veulent en parler pendant très longtemps, pendant au moins 20 ans. Toutefois, ils ont aussi reconnu que ces armes créaient des dangers particuliers pour les populations civiles et qu'il fallait s'attaquer à ce problème.

C'est là que l'opprobre entre en jeu. Tous ces pays que vous avez nommés n'ont pas non plus signé le Traité anti- mines, et pourtant ils s'y conforment tous — ils respectent l'interdiction d'utiliser et d'exporter ces mines et, dans certains cas, ils ont même détruit des stocks — en raison de la condamnation vigoureuse dont ces mines font l'objet. La nouvelle norme internationale est en voie de s'instaurer, et ils ne veulent pas s'attirer le mépris de la communauté internationale en raison d'une nouvelle utilisation ou d'une nouvelle production.

Le sénateur Johnson : Pourquoi refusent-ils de progresser plus rapidement? Que cache cette hésitation?

M. Goose : Ils ne veulent pas renoncer à une arme que leurs militaires gardent dans leurs arsenaux depuis des décennies et ils veulent au moins conserver l'option de l'utiliser à l'avenir. Nous croyons qu'il est très improbable que ces États utilisent un jour des armes à sous-munitions, vu la nouvelle norme internationale que nous instaurons actuellement, mais dans nombre de ces pays les dirigeants politiques ont de la difficulté à exercer une influence sur les militaires.

Le sénateur Dallaire : Vous pouvez faire le même exercice avec les armes nucléaires et vous rencontrerez la même stupidité.

Pour ce qui est de la portée des mesures instaurées par l'article 11 pour protéger nos soldats — et j'en ai parlé avec vous —, de tous les pays mentionnés qui utilisent ces armes, il n'y en a qu'un seul avec lequel nous travaillons régulièrement, sur les plans tant de la doctrine que de la politique, et ce sont les États-Unis. Nous collaborons avec les Américains et, de fait, nous intervenons rarement sans les Américains dans toute opération combinée, alors ceux qui nous préoccupent vraiment, ce sont les Américains. Ne pensez-vous pas que pour cette raison, et parce que nous faisons peut-être un peu trop de zèle pour rassurer nos collègues américains et leur montrer que nous respectons pleinement leurs concepts d'opérations qui, en dernier recours, pourraient inclure l'utilisation de ces armes... ne pensez- vous pas que nous nous créons avec l'article 11 un monstre qui a tout pour leur plaire mais qui risque de nous contraindre énormément lorsqu'il s'agit d'appliquer l'esprit de la convention?

M. Goose : Oui, je crois que vous avez mis le doigt sur le problème. Les États-Unis, certainement, sont entièrement satisfaits de ce projet de loi et de l'article 11. Ce sont les Forces canadiennes qui devraient s'inquiéter, parce que cela les met dans une situation difficile. Nous espérons que cette question ne se présentera jamais parce que les États-Unis limiteront leur utilisation de ces armes et que le Canada recourra le moins possible aux échappatoires en raison de l'opprobre qui s'y rattache. De fait, si les contraintes politiques sont telles que l'utilisation de ces armes est improbable, pourquoi créer quelque chose d'aussi inacceptable que l'article 11?

Le sénateur Dallaire : Allons encore plus loin. Nous savons que, pour des raisons liées à la doctrine et aux concepts des opérations, les Américains ne les utiliseront pas, alors pourquoi devons-nous aller aussi loin et créer une atmosphère qui mine l'esprit de la convention en faisant preuve d'une prudence excessive et, concrètement, en créant un contexte qui crée des situations difficiles pour nos officiers? Nous pourrions formuler des dispositions beaucoup moins contraignantes et atteindre le même objectif, nous pourrions de fait créer une atmosphère propice à la collaboration avec les Américains, parce que c'est là notre but, et veiller non seulement à ne pas pouvoir nous-mêmes utiliser ces armes mais aussi à ce que ni eux ni d'autres puissances ne puissent les utiliser. Ne pensez-vous pas que cela modifierait l'esprit de la loi?

M. Goose : Oui, c'est ce qu'il faudrait faire, et ce que vous dites sur la façon différente d'aborder les choses constitue la solution. Certes, le Canada devrait prévoir une protection juridique et pouvoir s'engager aussi entièrement qu'il le veut avec les États-Unis, mais il n'est pas nécessaire qu'il adopte quelque chose d'aussi inacceptable que l'article 11 pour instaurer ces protections et privilèges. Il y a d'autres façons de procéder. Je songe en particulier à ce que vous avez fait dans le Traité anti-mines. Vous devriez revenir à ces méthodes. Il n'est pas trop tard.

Le sénateur Dallaire : Human Rights a produit un excellent document. Selon moi, le JAG, au ministère de la Défense nationale, a perdu la tête quand il a voulu couvrir tous les angles et qu'il a ainsi mis en péril toute cette loi et notre sincère adhésion à la convention en essayant de couvrir tous les angles et en allant bien au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger nos officiers et nos soldats qui participent à des opérations combinées partout dans le monde. N'est-ce pas?

La présidente : Je suis désolée, sénateur Dallaire. Je suis certaine que vous ne vouliez pas dire que des membres de nos forces armées avaient perdu la tête. Je crois que vous vouliez dire qu'ils sont allés trop loin.

Le sénateur Dallaire : La prochaine fois, je choisirai mieux mes mots, mais l'expression « aller trop loin » me paraît trop généreuse dans le cas du JAG.

La présidente : Voulez-vous répondre à cela?

M. Goose : Beaucoup s'étonnent que le Canada, qui a assumé un tel leadership dans le dossier des mines terrestres et qui, effectivement, a joué un rôle très important pendant les premières années de la Convention sur les armes à sous- munitions, propose maintenant une loi qui semble contredire l'esprit et la lettre de cette convention. Nous espérons qu'il corrigera le tir.

La présidente : Monsieur Goose, madame Docherty, merci d'être venus nous exposer votre point de vue et nous dire qu'à votre avis les exceptions pèchent par excès de prudence. Vous suggérez une approche différente. Nous avons écouté avec intérêt tous vos arguments et nous en tiendrons compte dans notre étude du projet de loi S-10.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je présenterai peut-être notre renvoi sur la Turquie. Le comité directeur a accepté un libellé qui reflète l'esprit de ce que le comité a demandé, et si nous en avons le temps demain j'espère que nous pourrons terminer le rapport sur le Brésil.

Et sur ce, je lève la séance.

(La séance est levée.)


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