Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 8 - Témoignages du 8 décembre 2011 (séance du matin)
OTTAWA, le jeudi 8 décembre 2011
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel a été renvoyé le projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 10 h 3, pour examiner ce projet de loi.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Je m'appelle Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et le président de ce comité. Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, je souhaite la bienvenue à nos témoins de ce matin.
Avant que vous fassiez vos exposés, je demanderais aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Peterson : Sénateur Bob Peterson, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent, Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn : Joyce Fairbairn, de Lethbridge, en Alberta.
Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, de Toronto, en Ontario.
Le sénateur Munson : Sénateur Jim Munson, de l'Ontario.
Le sénateur Plett : Sénateur Don Plett, du Manitoba.
Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Eaton : Nicole Eaton, de Toronto.
Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l'Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
Le sénateur Rivard : Michel Rivard, les Laurentides, Québec.
Le président : Merci, honorables sénateurs.
[Traduction]
Nous continuerons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant notre premier groupe de témoins, constitué de M. Allen Oberg, président du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé, M. Stewart Wells, directeur de la Commission canadienne du blé, M. Larry Hill, ancien président du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé, et M. Ian McCreary, ancien directeur de la Commission canadienne du blé.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et je vous invite à faire vos déclarations préliminaires.
Allen Oberg, président du conseil d'administration, Commission canadienne du blé : Bonjour. Je vous remercie de me permettre de m'adresser au comité.
Le projet de loi que vous étudiez actuellement revêt une importance primordiale pour les agriculteurs de l'Ouest canadien. Il va porter atteinte à nos fermes et à nos familles pendant des générations. Le problème réside dans le fait que personne n'a consulté les agriculteurs à ce sujet ni ne leur a demandé s'ils en voulaient. Ce gouvernement s'est même donné beaucoup de mal pour s'assurer que les agriculteurs soient exclus de cette décision.
Juste hier, nous en avons vu un exemple flagrant. La Cour fédérale du Canada a statué que le ministre Ritz a enfreint la loi lorsqu'il a refusé le droit de vote aux agriculteurs avant d'adopter des mesures visant à démanteler le guichet unique de la Commission canadienne du blé. Le tribunal a statué que le projet de loi C-18 avait été déposé au Parlement de manière illégale. Nous vous demandons donc aujourd'hui de rejeter ce projet de loi, de suspendre ces audiences et de demander la tenue d'un vote des producteurs pour trancher cette question.
Le président : Avez-vous terminé votre exposé?
M. Oberg : Non, pas encore.
Le président : J'accorde la parole au sénateur Peterson.
Le sénateur Peterson : À la lumière des propos de M. Oberg et à la suite de ma déclaration d'hier concernant le fait qu'une ordonnance du tribunal nous empêche de continuer notre étude, je crains, en tant que membre de ce comité, de me rendre coupable d'outrage au tribunal en poursuivant ces délibérations. J'aimerais que vous m'assuriez que ce n'est pas le cas.
Le président : Merci pour vos commentaires, sénateur Peterson.
[Français]
Le sénateur Robichaud : J'ai aussi les mêmes préoccupations. Une décision de la cour dit que, pour ce projet de loi à l'étude, nous n'avons pas suivi la procédure prescrite par la loi. J'aimerais donc avoir les mêmes assurances, à savoir que nous ne sommes pas en train d'enfreindre la décision ou d'être hors la loi.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Il va de soi que nos directives émanent du Sénat. Elles ne viennent pas d'un tribunal. Nous devons respecter le Règlement du Sénat. Si des changements devaient être apportés au mandat de ce comité, ils devraient venir du Sénat.
Nous avons un mandat. Ce mandat nous a été confié suivant la motion adoptée par le Sénat conformément à l'article 38, en ce qui concerne le projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois. Permettez-moi de citer cette motion :
3. que le comité auquel a été renvoyé le projet de loi reçoive l'ordre de faire rapport du projet de loi au plus tard à la présentation des rapports de comités permanents ou spéciaux pendant les affaires courantes le mardi 13 décembre 2011;
4. si le comité recommande des amendements au projet de loi, le rapport soit pris en considération plus tard le même jour, nonobstant l'article 58(1)g) du Règlement;
5. en l'absence d'un rapport du comité sur le projet de loi lors de la présentation des rapports des comités permanents ou spéciaux le mardi 13 décembre 2011, le projet de loi soit réputé avoir fait l'objet d'un rapport sans propositions d'amendement;
Monsieur le président, il nous incombe de respecter le mandat qui nous a été confié par la chambre. Avec tout le respect que je dois aux membres de l'opposition, s'ils souhaitent contester la légalité et la constitutionnalité de ce mandat — et s'ils souhaitent y apporter quelque changement que ce soit —, ils doivent passer par la Chambre; il ne leur est pas permis de le faire ici.
Je crois vraiment que nous devrions aller de l'avant. Les témoins viennent de loin. Ils étaient visiblement tous à Winnipeg hier. Ils sont venus ici pour être entendus, et je pense que nous devons leur céder la parole sans plus tarder.
Le sénateur Mercer : Je suis préoccupé par deux ou trois choses, notamment la réputation de chacun d'entre nous. Nous sommes tous des gens honorables. Nous avons été nommés par divers premiers ministres afin de servir la population du Canada et c'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Nous devons le faire de manière honorable et respecter la loi.
Je crains que le jugement d'hier ne nous rende individuellement coupables d'outrage au tribunal. Mais plus important encore, nous pourrions, en tant que membres du Sénat, rendre ce comité et même le Sénat coupables d'outrage au tribunal.
Si les ordonnances du tribunal ne protègent pas les Canadiens, qui peut les protéger? Lorsqu'on dit qu'un projet de loi a été déposé de manière illégale, le terme illégal ne doit pas être pris à la légère. C'est important. Nous sommes tous assujettis à notre propre sens moral. J'ai une réputation à protéger, comme tout le monde autour de cette table. Le jugement rendu hier à Winnipeg par la Cour fédérale devrait nous inciter à la prudence.
Le sénateur Mahovlich : Le gouvernement n'est pas au-dessus de la loi — je l'ai appris très tôt dans ma vie —, mais dans le cas présent, il agit comme s'il l'était. Si c'était le cas, Adolf Hitler serait toujours là. Merci.
Le président : Je sais que, lorsque nous parlons d'Adolf Hitler, ce n'est pas du Canada dont il est question.
Le sénateur Mahovlich : Ce que j'essaie de dire, c'est que le gouvernement n'est pas au-dessus de la loi, qu'il s'agisse du Sénat ou de la Chambre des communes.
Le président : Sénateur Mahovlich, merci.
Le sénateur Mahovlich : Nous devons faire preuve de prudence.
Le président : Sénateur Mahovlich, vous avez exprimé votre point de vue, mais permettez-moi de m'y opposer. Nous sommes au Canada, le meilleur pays au monde, et je n'accepterai pas qu'il soit délibérément associé à Adolf Hitler.
Le sénateur Mahovlich : Je voulais simplement souligner l'agressivité de cette méthode. Nous devons respecter la loi.
Le sénateur Tkachuk : Le Parlement a des droits. Le jugement ne remet pas en question le fait que le Parlement a le droit non seulement de présenter ce projet de loi, mais aussi de l'examiner et de l'adopter.
Nous devrions continuer, monsieur le président, et entendre les témoins. Il n'y a rien dans ce que le juge a dit hier qui devrait nous empêcher d'examiner ce projet de loi et de le considérer de manière juste et raisonnable — ce que nous avons essayé de faire au cours des derniers jours. Il ne nous reste que trois jours. Des témoins sont ici, et nous avons une journée chargée. Nous devrions reprendre nos travaux sans tarder.
Le sénateur Eaton : Je suis d'accord avec le sénateur Plett. Le Sénat nous a confié un mandat. Nous avons travaillé très dur avec nos collègues de tous les partis pour dresser une liste de témoins qui convenait à tous.
Je crois, en tant que sénateur canadien, que nous sommes la Chambre de second examen objectif. J'aimerais entendre ce que ces messieurs ont à dire. J'espère qu'ils sont venus ici de bonne foi, non pas pour entraver le processus, mais pour nous informer. Nous avons d'autres témoins pour le reste de la journée, et j'espère que nous pourrons avancer.
Le sénateur Duffy : Je pense qu'il est très important que les Canadiens — ceux qui nous regardent à la maison — comprennent ce qui s'est passé hier au tribunal à Winnipeg. M. Oberg et certains de ses amis sont allés en cour. Ils n'ont pas demandé au tribunal de prononcer une injonction pour empêcher le Sénat d'aller de l'avant. Ils n'ont pas contesté le droit du Sénat et du Parlement. En fait, le juge a indiqué dans sa décision que ce qui s'était passé à Winnipeg n'avait aucune répercussion sur le droit du Parlement d'adopter des lois.
Ni M. Oberg — qui laisse maintenant entendre qu'il ne devrait pas continuer son témoignage — ni ses amis n'ont demandé au tribunal de prononcer une injonction ou de déclarer illégale la procédure en cours au Parlement. Je trouve stupéfiant que nos amis de l'autre côté demandent à ce comité de faire quelque chose que M. Oberg et la Commission du blé n'ont pas demandé au tribunal. Si les gens avaient lu le jugement rendu hier, ils sauraient que le juge y précise que rien dans ce jugement — quoi qu'ait pu dire le tribunal concernant le ministre de l'Agriculture — ne compromet la capacité et le droit du Parlement de modifier, d'amender ou d'adopter ce projet de loi; ce que nous sommes en train de faire.
Pour conclure, monsieur le président, pourquoi nos amis de l'autre côté cherchent-ils à faire quelque chose ici que la Commission du blé n'a pas tenté de faire au tribunal? Le tribunal a précisé de manière préventive que si une demande d'injonction avait été présentée, elle aurait été refusée. Je crois honnêtement que nous faisons beaucoup de bruit pour rien.
Le sénateur Ogilvie : Pour commencer, j'aimerais simplement dire que je crois qu'il est regrettable que nous empiétions sur le temps alloué à ceux qui s'opposent vigoureusement à ce projet de loi, alors que nous devrions recueillir leurs commentaires. J'aimerais entendre ce qu'ils ont à dire.
Ensuite, je suis d'accord avec mes collègues; rien dans ce jugement ne limite la liberté de parole des Canadiens qui souhaitent discuter de cette décision, du projet de loi ou de ses dispositions. Il s'agit de l'opinion de ce juge relativement à la légalité de la loi. Ce jugement n'a pas aliéné le droit des Canadiens, et encore moins des sénateurs canadiens, de discuter du projet de loi.
Je vous exhorte, monsieur le président, à déclarer la reprise des discussions, afin que nous puissions entendre ces témoins qui ont apparemment des arguments bien préparés que nous devrions prendre en considération avant de formuler des recommandations sur ce projet de loi.
Le président : Nous allons continuer au deuxième tour avec le sénateur Plett, suivi du sénateur Mahovlich.
Le sénateur Plett : Pour faire suite à ce que mon collègue, le sénateur Duffy, a fait observer à juste titre, je vais lire un passage du jugement, qui se trouve à la page 6, au neuvième paragraphe :
Les demandeurs ont été clairs sur le fait que leur demande n'est pas une contestation de la souveraineté du Parlement concernant l'adoption de cette mesure.
Monsieur le président, nous avons maintenant passé une bonne partie de notre heure à débattre de cette question. Je suggère fortement que nous suspendions la séance pour quelques minutes à la demande du président pour examiner rapidement la demande qui a été présentée, afin de mettre fin au débat et de passer à autre chose.
Si une motion est nécessaire, je peux en présenter une; mais je suggère que nous suspendions notre séance, que le président prenne une décision, et que nous reprenions nos travaux.
Le président : Je vais prendre en considération l'ensemble des arguments. Merci, sénateur Plett.
Le sénateur Mahovlich : Quand j'ai pris le journal ce matin, c'était écrit noir sur blanc : la loi a été violée. Jamais encore le Sénat n'a commis d'acte illégal. Je ne crois pas que les archives fassent état d'une situation de ce genre, et je détesterais être partie prenante à une activité illégale au moment où l'on se parle.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Monsieur le président, je ne crois pas que personne ici aujourd'hui ne remet en question les pouvoirs et les devoirs du Parlement d'étudier, d'amender et d'adopter des projets de loi. Là n'est pas la question. La question est de savoir si ce projet de loi a suivi le processus établi par la Loi sur la Commission canadienne du blé pour proposer des amendements, et le juge dit bien que le ministre n'a pas suivi cette procédure. En fait, c'est l'argument que nous avions — on a le droit de changer, d'amender, oui, mais il faut le faire de la façon prescrite par la loi. Nous devons respecter la loi. C'est tout ce que nous demandons ce matin.
Le président : Y a-t-il d'autres commentaires?
J'ai reçu les commentaires des honorables sénateurs, en première et deuxième rondes.
[Traduction]
Je crois, en tant que président, que j'ai accordé suffisamment de temps à chacun pendant les deux premiers tours, et j'ai consulté le greffier du comité. Je vais demander une brève pause pour consulter les ouvrages de procédure pertinents, et nous reprendrons la séance dans 60 minutes.
(La séance est suspendue.)
[Français]
(La séance reprend.)
Le président : Honorables sénateurs, après consultation avec le greffier et les procédures parlementaires, je dois vous faire part de la décision de la présidence.
Honorables sénateurs, en ce qui concerne la question de savoir si le comité peut poursuivre ou non son étude du projet de loi C-18, en tant que président, j'aimerais attirer votre attention sur le point suivant. Le projet de loi C-18 a été unanimement renvoyé au comité par le Sénat.
Par conséquent, le comité a reçu le mandat clair et précis d'étudier le projet de loi C-18, conformément à l'alinéa 86(1)n) et aussi conformément à l'article 90 du Règlement du Sénat.
Aux termes de l'article 98 du Règlement du Sénat, le comité chargé d'examiner un projet de loi doit en faire rapport au Sénat.
En outre, je rappelle aux honorables sénateurs que le Sénat a adopté, le 30 novembre 2011, une motion voulant qu'en l'absence d'un rapport du comité sur le projet de loi, lors de la présentation des rapports de comités permanents ou spéciaux, le mardi 13 décembre 2011, le projet de loi soit réputé avoir fait l'objet d'un rapport sans proposition d'amendement.
[Traduction]
Honorables sénateurs, en ce qui concerne le projet de loi C-18, la Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois, certains d'entre nous ont soutenu que ce comité pouvait se rendre coupable d'outrage au tribunal. En tant que président de ce comité, permettez-moi de vous informer qu'à l'exception des lois constitutionnelles, aucune décision judiciaire ne peut entraver la capacité du Parlement. Je répète : exception faite des lois constitutionnelles, aucune décision judiciaire ne peut entraver la capacité du Parlement d'examiner un projet de loi.
Permettez-moi d'attirer votre attention sur l'ouvrage de Peter Hogg intitulé Constitutional Law of Canada, cinquième édition, volume 1. À la page 352, on peut lire ce qui suit :
Dans leurs champs de compétence respectifs, le Parlement ou les assemblées législatives peuvent non seulement adopter les lois de leur choix, mais également abroger telle ou telle de leurs lois antérieures. Même si le Parlement ou une assemblée législative disposait qu'une loi ne pourrait être abrogée ou modifiée à l'avenir, une telle disposition n'empêcherait en rien ses successeurs d'abroger ou de modifier la loi « protégée ».
Honorables sénateurs, le fait de suggérer que l'article 47.1 nous empêche de délibérer sur ce projet de loi accorderait à cet article un fondement constitutionnel, et cet argument n'est tout simplement pas valide. Quoi qu'il en soit, les arguments concernant le sens et les effets de l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé ne sont pas pertinents pour déterminer si ce projet de loi est recevable. Le Sénat du Canada nous a chargés d'examiner ce projet de loi et d'en faire rapport. À moins que le Sénat n'en décide autrement, nous devons continuer notre examen.
Le projet de loi C-18 a été unanimement renvoyé au comité par le Sénat. Je répète : le projet de loi C-18 a été renvoyé à l'unanimité au comité par le Sénat. Cette décision se trouve à la page 694 des Journaux du Sénat. Le Sénat nous a ordonné le 29 novembre de faire rapport sur le projet de loi au plus tard le 13 décembre. Cette décision se trouve à la page 487 des Journaux du Sénat.
Honorables sénateurs, si nous ne continuons pas notre examen, ce même ordre prévoit que le projet de loi sera réputé avoir fait l'objet d'un rapport le 13 décembre. Le comité ne peut infirmer cette décision. Sur ce, honorables sénateurs, j'appelle les témoins.
Le sénateur Peterson : Les membres du comité recevront-ils une copie de cela?
Le président : Je vais demander au greffier de vous fournir une copie de l'information que je vous ai donnée.
Lorsque nous avons suspendu la séance, M. Oberg avait la parole.
Monsieur Oberg, voulez-vous continuer?
M. Oberg : Oui, merci, monsieur le président.
En ce qui concerne le projet de loi C-18, le ministre a déclaré hier qu'il avait l'intention d'aller de l'avant en dépit de cette décision du tribunal. Il a affirmé qu'il ne réexaminerait jamais les mesures qu'il avait prises et que la déclaration du juge n'aurait aucun effet sur sa détermination à aller de l'avant. Cette position est répréhensible, et je demande à ce comité de la rejeter fermement. La règle de droit n'est pas la seule chose dont ce gouvernement a fait fi : les résultats du plébiscite impartial que la Commission canadienne du blé a tenu sur cette question ont été ignorés et minimisés; des droits démocratiques élémentaires ont été bafoués; et maintenant, l'opinion de la Cour fédérale n'est pas respectée.
Nous vous demandons, en tant que sénateurs et citoyens canadiens, de veiller à ce que ce gouvernement respecte les lois du pays et les ordonnances judiciaires. Nous vous demandons de veiller à ce que le gouvernement cesse immédiatement toute mesure qui entraînerait la disparition du guichet unique sans vote des agriculteurs. Ce projet de loi ne peut et ne devrait pas être adopté. En tant que représentants de la Chambre haute du Parlement du Canada, vous devez freiner ce projet de loi. Au conseil d'administration de la Commission canadienne du blé, nous avons travaillé avec diligence jusqu'à la toute dernière minute pour que les intérêts des agriculteurs soient protégés et que leur opinion clairement exprimée l'emporte. En tant qu'agriculteurs, dont nous sommes les représentants élus, nous ne pouvons agir autrement; vous ne le devriez pas non plus.
Ce sont des agriculteurs dont nous devons tous nous soucier, d'abord et avant tout, au moment où vous envisagez d'adopter ce projet de loi qui va démanteler leur organisation de commercialisation en place depuis 75 ans. Vous ne devez pas permettre que leur point de vue soit laissé pour compte et que leurs intérêts soient bafoués. Nous avons vu suffisamment de situations de ce genre. Les agriculteurs qui ont protesté parce qu'ils avaient perdu leurs droits démocratiques ont été qualifiés de réfractaires rétrogrades. Les producteurs qui ont essayé d'expliquer la valeur du système de guichet unique ont été décrits comme des marchands de grain incompétents. En tant que représentants élus des agriculteurs, nous avons été qualifiés d'inconditionnels qui se cramponnent de façon irrationnelle à un concept archaïque. Notre point de vue n'a pas été pris au sérieux par ce gouvernement, et nous n'avons pas été en mesure de convaincre le ministre Ritz de s'engager au-delà de la rhétorique et de l'idéologie.
Nous reconnaissons et respectons le fait que le Parlement est l'instance suprême, mais comme le laisse croire le jugement rendu hier par la cour, le processus qui le guide doit épouser les principes auxquels notre pays adhère depuis longtemps : ceux de la démocratie, de la procédure établie et de l'examen approfondi des intérêts de la population — et non seulement des grandes entreprises et des dictats d'une idéologie particulière. Comme sénateurs, vous comprenez toute l'importance de défendre ces principes. Je vous demande de ne pas permettre que soit adopté ce projet de loi contraire aux valeurs canadiennes, au bien commun et à l'opinion des tribunaux.
Les agriculteurs se sont battus avec acharnement pendant des décennies pour bâtir un système qui serve leurs intérêts à eux et non ceux des compagnies céréalières prédatrices et des gigantesques compagnies ferroviaires. Mes propres père et grand-père ont consacré leur vie au mouvement coopératif dans les Prairies, mouvement qui a mené à la création des coopératives agricoles des Prairies et de la Commission canadienne du blé. Ce fut une lutte aussi longue que difficile, mais au cours des 10 dernières années, par suite du pouvoir accru des grandes sociétés de l'agroalimentaire, nous avons perdu les coopératives. Les derniers vestiges de pouvoir et de responsabilité des agriculteurs ont été concentrés dans la structure de la Commission canadienne du blé — volontairement et par la volonté du gouvernement — afin que cela profite aux agriculteurs de l'Ouest canadien et pour contribuer à asseoir notre pouvoir et notre profitabilité devant le regroupement des entreprises agroalimentaires et le monopole virtuel des entreprises ferroviaires. Maintenant, c'est au tour de la Commission canadienne du blé d'être au bord de l'abîme. Pas à la suite d'un processus qui se serait écoulé sur des dizaines d'années, pas après une étude approfondie, pas après une vaste consultation auprès des intervenants. Non. Tout simplement en une seule attaque odieuse, menée en quelques semaines, sans analyse, débat ni discussion préalable.
Je pourrais accepter cette situation, en faisant fi de mes convictions personnelles, si c'étaient les agriculteurs eux-mêmes qui avaient décidé de mettre fin au guichet unique, mais ce n'est pas le cas. Les agriculteurs n'ont rien approuvé de tout ça. La plupart comprennent très bien que sur cette route, ils ne feront que voir réduire leur pouvoir et leurs profits au bénéfice du monde des affaires de l'agroalimentaire. Les agriculteurs ne veulent pas d'une telle chose. Si vous n'avez pas confiance dans les résultats du plébiscite de la CCB, alors faites-en un vous-mêmes et vous entendrez le même message. Les agriculteurs ne veulent pas de cette décision. Elle n'est pas dans leur intérêt. Il faut y mettre un terme.
Où est l'urgence? Pourquoi ce projet de loi doit-il être adopté maintenant, contrairement à la volonté des agriculteurs et à la décision de la Cour fédérale, avant la fin de la session parlementaire? Posez-vous la question. Vous ne trouverez aucune réponse raisonnable. La réponse est politique — et ce n'est pas acceptable. C'est encore plus irritant quand on pense aux conséquences négatives de ce changement pour les agriculteurs, l'industrie céréalière et le secteur des exportations d'une valeur dépassant les 5 milliards de dollars par année. Au fur et à mesure que ces ramifications deviennent apparentes, c'est nous, les directeurs de la CCB élus par les agriculteurs, qui portons le blâme, qui sommes les méchants, les calomniés. Alors que c'est nous, en réalité, qui essayons de faire la bonne chose, suivant les conseils et les directives des agriculteurs qui nous ont élus, et aux intérêts de qui nous nous sommes engagés à veiller.
Aujourd'hui, nous vous demandons instamment de vous joindre à nous. Nous devons penser aux agriculteurs en premier lieu.
Stewart Wells, directeur, Commission canadienne du blé : Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui.
Je commencerai en adressant une demande directement au comité, particulièrement aux sénateurs conservateurs. Rendez service à votre ministre de l'Agriculture et à votre premier ministre, et recommandez que ce projet de loi soit mis sur la glace et qu'il ne reçoive pas la sanction royale d'ici le 15 décembre, qui est la date autour de laquelle on s'attend à cette sanction. Je viens d'écouter la décision du président, qui s'appuyait sur le Règlement du Sénat, et il me semble que le comité pourrait recommander au Sénat de reporter la date prévue pour le dépôt du rapport, qui est actuellement le 13 décembre. C'est ce que je ferais.
Le ministre de l'Agriculture et le premier ministre doivent prendre le temps de réfléchir à ce jugement du tribunal et de comprendre ce que cela signifie dans le contexte actuel. Vous leur rendriez service en recommandant que ce projet de loi soit mis sur la glace et ne reçoive pas la sanction royale.
Je vais profiter du temps qui m'est accordé pour commenter certains témoignages que vous avez entendus, en particulier mardi, lorsque le ministre de l'Agriculture a comparu devant vous. Depuis le 2 mai, il y a eu beaucoup de belles paroles, et de nombreuses choses ont été dites sur la Commission du blé et sur les personnes comme moi qui ont été élues par leurs pairs dans l'Ouest canadien pour les représenter au conseil d'administration. Je désire répondre directement à certains propos du ministre de l'Agriculture, M. Ritz.
Mardi, le ministre Ritz a fait les déclarations suivantes :
Je maintiens mes propos, sénateur. J'ai essayé de rencontrer le conseil d'administration à plusieurs occasions. On m'a toujours répondu que le moment n'était pas propice. Ils n'étaient pas disposés à me recevoir.
C'est totalement faux. Il n'y a pas d'autres façons de le dire : c'est entièrement faux. Je siège au conseil d'administration depuis janvier 2011, donc depuis environ 11 mois. Au cours de cette période, nous avons invité deux fois le ministre à rencontrer le conseil d'administration. Je sais donc avec certitude que la déclaration du ministre est fausse.
Nous avons aussi conservé copie de lettres datant d'avant mon élection qui prouvent que les membres du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé ont invité le ministre à venir les rencontrer. Les propos du ministre, qui soutient que le conseil d'administration n'était pas disposé à le recevoir, n'ont aucun fondement ni justification. Je ne comprends pas comment un ministre de la Couronne peut faire ce genre d'affirmation sans avoir à répondre de ses propos.
Dans ce même témoignage du 6 décembre, le ministre a dit, en réponse à une question du sénateur Peterson concernant ce que l'on appelle le fonds de réserve — qui fait partie des opérations financières de la Commission canadienne du blé :
En réalité, l'argent du fonds de réserve n'a jamais appartenu aux agriculteurs. Il n'a jamais été versé aux comptes de mise en commun. La Commission du blé utilise cet argent pour faire sa promotion, pour concevoir de nouveaux projets, et cetera.
Cette affirmation est tout aussi fausse que la première. La question est donc la suivante : est-ce parce que le ministre ne comprend pas les rouages de la Commission du blé, ou est-ce parce qu'il essaie délibérément d'induire en erreur le comité et, par extension, la population du Canada? Cette affirmation n'est tout simplement pas vraie.
On trouve, sur le site web de la Commission canadienne du blé, des communiqués de presse accessibles au public qui font état de la gestion comptable du fonds de réserve et de l'utilisation de cet argent au cours des années. On peut constater que l'argent du fonds de réserve a été versé de temps en temps dans les comptes de mise en commun. Le ministre prétend que la Commission du blé utilise l'argent du fonds de réserve pour faire sa promotion et pour élaborer de nouveaux projets, mais c'est carrément faux. L'utilisation du fonds de réserve est définie dans la loi actuelle, celle que le ministre essaie de détruire.
Si le ministre réussit à détruire la loi actuelle, il pourra utiliser ce fonds de réserve à sa guise. De nombreuses discussions ont cours en ce moment concernant ce qu'il prévoit faire avec l'argent du fonds de réserve, qui sera sous son contrôle direct par l'entremise des cinq administrateurs qu'il aura nommés.
Les déclarations que le ministre Ritz a faites le 6 décembre concernant le fonds de réserve sont fausses.
En réponse à une question du sénateur Duffy, M. Ritz a aussi parlé des huit directeurs restants, et dont je ferais partie :
Les huit directeurs restants pratiquent la politique de la terre brûlée. Ils ne veulent rien laisser derrière eux afin de pouvoir dire : « Regardez, l'organisation n'a pas survécu. »
Cette déclaration est aussi entièrement fausse. Comme je l'ai dit, je suis membre du conseil d'administration depuis janvier. Au cours de cette période, nous avons réalisé des investissements au nom des agriculteurs. Nous avons investi dans des laquiers qui seront utilisés pour transporter le grain des agriculteurs sur les Grands Lacs, ce qui, de l'avis de tous, était un investissement à long terme considérable pour les agriculteurs. Nous avons aussi, au cours de cette même période, reçu un rapport préparé par deux économistes qui enseignent aux États-Unis, l'un à Berkeley et l'autre à l'Université de la Floride. Ce rapport soutient que les mesures prises par la commission en ce qui a trait à la commercialisation de l'orge ont permis aux agriculteurs d'engranger au moins 100 millions de dollars supplémentaires, alors que l'orge a toujours été considérée comme le maillon faible des grains commercialisés par la commission. Cette étude soutient que cela a rapporté plus de 100 millions de dollars chaque année.
Depuis l'élection du 2 mai, lorsque le ministre a commencé à parler de modifier la Commission canadienne du blé, la commission a tenu sept rencontres publiques afin de consulter les agriculteurs de l'Ouest canadien. Plus de 2 200 agriculteurs se sont présentés à ces réunions pour discuter de cette question. Aucune de ces mesures ne peut être qualifiée de politique de la terre brûlée. Même si certains disaient que la commission n'arrivait pas à suivre la technologie, elle a tenu une assemblée publique par voie électronique à laquelle ont participé simultanément plus de 17 000 producteurs, tous capables de poser des questions.
Vous pouvez comprendre mon inquiétude concernant la manière dont le ministre essaie de dépeindre les directeurs que les agriculteurs ont élus et dont les responsabilités prendront fin avec la nouvelle loi, si vous permettez l'adoption de ce projet de loi. Les agriculteurs ne seront pas représentés du tout à ce conseil, et le ministre nous accuse de pratiquer la politique de la terre brûlée.
Je vais m'arrêter là, parce que je ne peux pas éplucher chaque page du témoignage du ministre, mais il est truffé de déclarations entièrement fausses comme celle-là. Je vais revenir à la demande que j'ai formulée plus tôt, particulièrement à l'intention des sénateurs conservateurs : rendez service à votre ministre de l'Agriculture et à votre premier ministre en mettant ce projet de loi sur la glace.
Le président : Merci. Si vous souhaitez envoyer des documents au comité, n'hésitez pas à le faire.
Larry Hill, ancien président du conseil d'administration, Commission canadienne du blé : Merci de me permettre de vous présenter mon point de vue sur le projet de loi C-18.
J'ai été élu directeur de la Commission canadienne du blé pour la première fois en 1998. En tant que nouveau conseil d'administration, nous avons compris presque immédiatement qu'il était possible de perdre le guichet unique pour la vente du grain. Cela pouvait arriver par suite d'un accord de l'Organisation mondiale du commerce conclu dans le cadre du cycle de Doha. Les États-Unis et l'Union européenne, nos compétiteurs sur le marché mondial des céréales, exerçaient aussi des pressions constantes pour que le guichet unique soit éliminé parce qu'ils jugeaient qu'il nous procurait un avantage injuste sur le marché mondial. Une autre possibilité était l'élection d'un gouvernement majoritaire conservateur.
Conscient de cette situation, le conseil d'administration de la CCB a commandé plusieurs études à des consultants de renom pour voir comment la commission pourrait fonctionner advenant la disparition du guichet unique. De nombreux scénarios ont été examinés, et les études ont conclu que dans un marché libre comme celui prévu par le projet de loi C-18, la CCB n'aurait aucun moyen de donner une importante valeur ajoutée au grain des cultivateurs et ne survivrait pas.
Sans guichet unique, la CCB ne présente aucun avantage — elle n'est qu'un autre intermédiaire, une compagnie céréalière sans installations. Il suffit d'observer le nombre de fusions et d'acquisitions qui ont eu lieu en 2011 pour constater que les compagnies céréalières achètent leurs concurrents. C'est la nature de l'industrie céréalière mondiale, mais voilà où nous en sommes.
Le projet de loi C-18 prévoit l'élimination du guichet unique, pas à cause d'un accord quelconque avec l'OMC conclu dans l'intérêt des Canadiens, mais pour de simples motifs politiques. C'est ce que nos compétiteurs du commerce des grains à l'échelle internationale essaient d'accomplir depuis des années, et nous allons le leur servir sur un plateau.
Ce qui me dérange le plus, avec ce projet de loi, c'est qu'on a dit aux producteurs — qui se sont d'ailleurs vu refuser le droit de voter sur un plan clair — que la CCB serait derrière eux. Il s'agissait de prétentions malhonnêtes. Aucun plan viable n'a été présenté.
En l'absence de mesures compensatoires pendant la période de transition ou de gains obtenus dans le cadre d'un accord commercial, les producteurs qui espèrent pouvoir compter sur le soutien de la CCB seront très déçus. Les agriculteurs verront les membres du conseil d'administration qu'ils ont élus se faire congédier. Ils ne feront aucunement confiance aux directeurs nommés par le ministre. Il n'y a pas de dispositions crédibles pour contrôler, d'ici la fin de la présente campagne agricole, le travail du conseil d'administration nommé.
Je considère que cette mesure législative n'est tout simplement pas prête, dans sa forme actuelle, à être adoptée.
Ian McCreary, ancien directeur, Commission canadienne du blé : Merci de me permettre de vous faire connaître mes préoccupations concernant le projet de loi C-18. En tant que sénateurs, vous devez assurer un second examen objectif, et au cours de toutes ces années où j'ai observé la politique au Canada, je n'ai jamais vu de projet de loi qui en ait autant besoin.
Je crois que ce projet de loi comporte de nombreux défauts, tant en ce qui a trait au processus qu'à son contenu. Les tribunaux se sont prononcés sur la question du processus. En ce qui concerne la commercialisation, la Commission canadienne du blé a su, en respectant les prix courants, accroître de 400 à 600 millions de dollars par année la valeur pour les agriculteurs.
Si le comité le souhaite, je serai heureux de répondre aux questions portant sur la commercialisation internationale, puisque j'ai exercé les fonctions de responsable de la commercialisation pour la Commission canadienne du blé pendant une certaine période après mes études universitaires et avant de retourner à l'agriculture à temps plein. J'aimerais toutefois profiter du peu de temps qui m'est offert pour parler des problèmes de transport et de manutention qui découleraient, à mon avis, de l'adoption du projet de loi C-18.
J'ai été élu directeur lorsque la Commission canadienne du blé a été confiée aux agriculteurs en 1998. À ce moment-là, la politique sur le transport était en évolution constante, et la commission a dû élaborer une nouvelle approche plus commerciale pour assurer le transport et la manutention des grains. Le plafonnement des revenus était en train de remplacer le plafonnement des tarifs. Les compagnies céréalières abandonnaient de nombreuses collectivités dans l'Ouest canadien. Si aucune mesure n'avait été prise, le système aurait rapidement été centralisé et ce sont les compagnies céréalières et les installations de manutention portuaire de la côte Ouest qui auraient déterminé l'écoulement des grains.
Nous avons créé une coalition d'agriculteurs et nous avons agi au nom des agriculteurs. Nous avons conçu une approche d'attribution de wagons afin que les agriculteurs aient plus de pouvoir lors de la passation de contrats. Nous avons fourni des wagons aux terminaux appartenant à des producteurs, aux expéditeurs de wagons de producteurs et aux compagnies céréalières, en fonction de l'endroit où les agriculteurs souhaitaient faire livrer leurs grains.
Une nouvelle orientation a été prise. Le marché dominant, que se partageaient les principaux acteurs et qui déterminait l'écoulement des grains, est devenu un lien entre les fournisseurs de service et les agriculteurs.
Les résultats ont été concluants. L'utilisation des wagons de producteurs a atteint 6 p. 100 des exportations totales; le système de manutention des grains de la côte Ouest a fonctionné pendant plus de 10 ans sans ratés importants; le port de Churchill a été utilisé au bénéfice économique des agriculteurs; les silos terminaux intérieurs, avec ou sans installations portuaires, ont compétitionné pour assurer la manutention des grains des agriculteurs, et leur réussite a varié en fonction des services offerts aux agriculteurs plutôt que des économies d'échelle.
Le projet de loi C-18 nous ramène plus de 10 ans en arrière. Les articles de la Loi sur la Commission canadienne du blé qui ont permis cette réussite commerciale ont été retirés. Il n'y a aucun plan pour remplacer le facteur d'ajustement du fret, sans lequel la priorisation des activités de la côte Ouest n'aurait pas connu le même succès. La capacité de la commission de commander des wagons a aussi été retirée de la loi. Il n'y a pas de plan pour assurer une tarification transparente dans les ports afin que les petits expéditeurs, tels que les expéditeurs de wagons de producteurs, puissent déterminer les prix et faire le commerce de leur grain comme ils le font actuellement.
Honorables sénateurs, le titre du projet de loi parle de libre choix en matière de commercialisation, mais si ce projet de loi est adopté, il aura pour effet de restreindre les possibilités commerciales des agriculteurs. J'espère que le Sénat prend sa responsabilité au sérieux et qu'il n'adoptera pas un projet de loi dont le processus a été jugé contraire à la loi, un projet de loi qui a des répercussions importantes sur ce que j'appelle les implications secondaires liées au système de transport et de manutention du grain, qui n'ont pas reçu toute l'attention voulue dans le cadre de ce processus.
Merci du temps que vous m'avez accordé. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Je vous remercie pour vos déclarations préliminaires. J'aimerais rappeler aux sénateurs que nous avons un horaire à respecter pour ne pas faire attendre nos autres témoins, alors il nous reste environ 20 minutes. Sénateur Plett, allez-y s'il vous plaît.
Le sénateur Plett : Je remercie les témoins. J'espère que vous pourrez tous décaler votre vol de retour, étant donné notre retard.
J'ai quelques questions à poser. Je commencerai avec M. Oberg, si vous me le permettez. Je vais relire rapidement une partie de la décision du juge, qui dit :
Les demandeurs ont été clairs sur le fait que leur demande n'est pas une contestation de la souveraineté du Parlement concernant l'adoption de cette mesure.
La juge Karen Sharlow a aussi fait le commentaire suivant concernant l'article 47.1 :
L'article n'empêche pas le législateur d'adopter toute législation qu'il juge appropriée.
D'autres juges se sont aussi exprimés sur la souveraineté du Parlement, mais je ne lirai pas ce qu'ils ont dit.
Monsieur Oberg, si vous souhaitiez obtenir gain de cause, pourquoi n'avez-vous pas demandé une injonction? Il est clair que le juge n'a pas prononcé d'injonction et qu'il n'a en aucune manière, selon moi, empêché le Parlement ou le Sénat d'aller de l'avant.
M. Oberg : Tout d'abord, il peut être difficile d'obtenir une injonction. Nous sommes partis du principe que le ministre devait respecter les deux conditions prévues dans la loi : premièrement, consulter le conseil d'administration; deuxièmement — et plus important encore —, faire voter tous les producteurs sur cette question avant d'apporter des modifications au mandat de la Commission canadienne du blé.
Il est important de faire remarquer ici que le ministre savait que le projet de loi serait contesté devant les tribunaux, parce que la demande avait déjà été présentée en juin par les amis de la Commission canadienne du blé. Il a néanmoins décidé d'aller de l'avant le 18 octobre et, comme l'a statué le juge hier, il a enfreint la loi.
Je présume que la balle se trouve maintenant dans le camp du gouvernement. Il peut continuer à défier cette ordonnance et aller de l'avant, si c'est ce qu'il désire. Je trouve cependant étrange qu'un gouvernement qui se targue de favoriser la loi et l'ordre choisisse de procéder de cette manière.
Le sénateur Plett : Merci. Je suis en effet d'accord avec le fait qu'il aurait été difficile d'obtenir une injonction, parce que je ne pense pas que le juge aurait nié la suprématie du Parlement.
Je crois savoir, monsieur Oberg, que vous avez refusé de faire partie d'un groupe de travail et de coopérer avec le gouvernement — et je crois que vous avez laissé savoir que vos intentions n'avaient pas changé. En fait, dans le Western Producer du 1er septembre 2011, vous avez déclaré :
Nous dépenserons des millions de dollars appartenant aux agriculteurs pour lutter jusqu'à la mort contre ce projet de loi et maintenir le statu quo.
Pourquoi n'avez-vous pas coopéré avec le gouvernement et accepté l'invitation à faire partie du groupe de travail? Vous saviez que le gouvernement irait de l'avant. Pourquoi avez-vous attendu que le groupe de travail publie son rapport avant de soumettre le plan de transition de la Commission du blé? Pourquoi êtes-vous aussi déterminé à empêcher les agriculteurs de l'Ouest canadien d'obtenir le libre choix en matière de commercialisation?
M. Oberg : Je vais répondre à votre première question en commençant par notre participation au groupe de travail. Il a été proposé au départ que notre PDG, M. Ian White, copréside ce comité. Nous avons jugé que ce ne serait pas approprié, étant donné qu'aucun agriculteur, aucun groupe général d'agriculteurs ni aucun expéditeur de wagons de producteurs n'étaient représentés au sein de ce comité. Nous avons alors proposé qu'un membre de notre personnel devienne une ressource permanente du comité, mais le comité a refusé notre offre. Il souhaitait manifestement que nous devenions un membre permanent de ce comité, afin que nous cautionnions la décision du comité, quelle qu'elle soit. Étant donné la composition du comité, nous avons jugé que ce n'était pas approprié. C'est ce qui s'est passé.
Dans votre deuxième question, vous avez parlé du plan de transition. La CCB a tenu une séance de planification en juillet. Nous avons embauché la firme KPMG pour examiner une partie du travail que nous avions déjà fait sur différents modèles de gouvernance pour la Commission canadienne du blé. Chaque fois que nous avons procédé ainsi, nous en sommes arrivés à la même conclusion : le modèle du guichet unique était, de loin, le plus avantageux pour les agriculteurs. À cette époque, nous avons tenté d'entamer des pourparlers avec le ministre sur la possibilité d'examiner des solutions de rechange, mais nos efforts sont restés vains. Au bout du compte, nous avons offert nos conseils au gouvernement en publiant les six éléments que nous croyions nécessaires pour qu'une nouvelle entreprise céréalière puisse survivre dans un marché ouvert. Malheureusement, seulement deux de ces éléments ont été adoptés par le gouvernement : des prêts garantis par le gouvernement pendant cinq ans et des garanties sur les paiements initiaux et les relèvements. Pardonnez-moi, quelle était votre troisième question?
Le sénateur Plett : Pourquoi êtes-vous aussi déterminés à empêcher le libre marché pour les agriculteurs de l'Ouest canadien? Je crois qu'un bon nombre d'entre eux souhaite que le marché soit libre. Avant de me répondre, si vous me le permettez, j'aimerais vous poser ma dernière question.
Bien des choses ont été dites par des gens de l'autre côté, par des amis de la Commission canadienne du blé, par des agriculteurs qui nous ont visités, et cetera, au sujet du plébiscite et de ses résultats. Je crois que c'est la Western Canadian Wheat Growers Association qui a fait remarquer dans ses observations que 68 000 bulletins de vote avaient été envoyés alors qu'il n'existe que 20 000 producteurs commerciaux environ.
Ma question est la suivante : si une consultation avait été tenue selon le nombre d'acres exploitées ou de boisseaux récoltés, pensez-vous que le résultat aurait été différent?
M. Oberg : Permettez-moi de répondre à votre suggestion selon laquelle nous nous sommes opposés à la liberté de marché. Cela n'a jamais été notre position. Tout au long du processus, nous étions d'avis qu'il revenait aux producteurs eux-mêmes de prendre une décision relativement à cette question et de bénéficier de la même liberté que les producteurs de l'Ontario et du Québec. En Ontario, les producteurs ont décidé d'avoir un système ouvert; au Québec, ils ont décidé que pour le blé, la solution était une structure de mise en marché à guichet unique. Nous avons toujours été de cet avis et c'est la position que nous avons encouragé le ministre à prendre à de nombreuses reprises. Laissons les agriculteurs décider. Comme je l'ai dit à titre de président, la commission appuiera le choix de la majorité des agriculteurs, quel qu'il soit.
Pour répondre à votre question concernant le résultat du vote si les agriculteurs avaient pu voter selon le nombre de tonnes ou d'acres, je ne suis pas certain. Même si des organismes comme la Western Canadian Wheat Growers Association affirment qu'il s'agit là d'un système équitable, je considère qu'il est plutôt ironique qu'ils n'aient jamais utilisé ce système pour leur propre structure. Pendant les assemblées de la WWGA, on utilise encore le principe « un membre, un vote ». Le même principe s'applique aux élections municipales ou provinciales. Les petits et les grands propriétaires terriens reçoivent chacun un vote. Notre consultation était structurée selon cette formule, qui était très inclusive : 68 000 bulletins de vote ont été envoyés et 57 p. 100 des agriculteurs ont répondu.
Le sénateur Plett : Dans votre cas, il arrivait parfois que ce soit un membre, de nombreux votes.
Le président : Monsieur Wells, vous vouliez commenter?
M. Wells : J'aimerais formuler un commentaire au sujet des mêmes questions qui ont été posées de bonne foi sur le travail entrepris par la CCB avec le ministre de l'Agriculture au cours des six derniers mois. M. Oberg a fait allusion à la lettre que le conseil d'administration de la CCB a envoyée au ministre. Il est important que le moment où la lettre a été envoyée soit connu du public. La commission a envoyé une lettre au ministre le 22 juillet pour répondre à sa demande. Nous avons inclus les six éléments mentionnés par M. Oberg. J'ai des copies de cette lettre ici et je suis prêt à les distribuer au comité si vous le souhaitez. La lettre, signée par M. Oberg, se termine comme suit :
Nous sommes prêts à vous rencontrer au moment qui vous conviendra pour répondre à vos questions. Nous attendons avec impatience votre réponse en ce qui concerne l'appui potentiel du gouvernement à l'égard des six éléments susmentionnés.
Au conseil, nous espérions que le ministre nous réponde en 36 à 48 heures. Nous nous attendions à une réponse rapide à la lettre très détaillée que nous lui avions envoyée. Il n'a répondu que le 17 août — presque un mois plus tard. Dans sa réponse, il a rejeté notre lettre de trois pages en une seule ligne, qui était rédigée en ces termes :
En outre, bien que toutes les idées concernant la nouvelle CCB sont les bienvenues, les pouvoirs réglementaires que vous suggérez pour une entité à participation facultative semblent incompatibles avec un marché céréalier ouvert et concurrentiel.
Voilà comment il nous a répondu. Nous avons envoyé une autre lettre par la suite pour lui demander de discuter un peu plus de la question, mais lorsque le gouvernement fait la sourde oreille et rejette du revers de la main et en une seule ligne notre volonté de participer à une discussion bilatérale, je crois qu'il ne fait pas preuve d'un grand respect. Je pense que cette attitude s'insère dans leur plan, qui consiste à se présenter devant le public et les médias et leur dire : « La Commission canadienne du blé ne veut pas travailler avec nous; la commission ne veut pas collaborer avec nous. »
Le président : La présidence étudiera avec le greffier la demande de dépôt du document présentée par le sénateur. Sur ce, le dernier commentaire sera présenté par M. McCreary.
M. McCreary : Pour que ce soit clair, j'ai terminé mon mandat à la commission en décembre 2008. M. Ken Ritter, qui nous a quittés tout récemment, et moi avons terminé en même temps. Même à cette époque, nous avions réalisé des études sur ces mêmes questions. Nous avions avancé l'idée d'un marché nord-américain ouvert et d'un guichet unique extraterritorial; cette option aurait créé ce qui aurait constitué, pour reprendre un peu le discours du gouvernement, une Commission du blé viable tout en permettant une meilleure transparence dans la détermination des prix. Cette solution est dans les mains du gouvernement depuis que M. Ritter l'a présentée pendant une des dernières rencontres qui ont eu lieu avant son départ. Il y a eu un certain dialogue à cette époque. Il est important que le comité du Sénat soit conscient qu'il y a d'autres solutions et que celles-ci ont été présentées.
Le sénateur Peterson : Merci, messieurs, pour vos exposés.
Monsieur McCreary, pourriez-vous expliquer comment vous obtenez des prix plus élevés pour les céréales à la Commission canadienne du blé avec le modèle du guichet unique? À votre avis, que va-t-il se produire avec une commission à participation facultative dans un marché libre?
M. McCreary : Je vous remercie pour cette question. Je vais tenter de vous expliquer comment ça fonctionne.
Le système à guichet unique a été fondé de manière à développer une marque pour les céréales canadiennes, de sorte qu'elles se distinguent des autres céréales qu'on retrouve ailleurs dans le monde. Cette marque a une valeur différente dans différents marchés. Ainsi, on fixe les prix selon la volonté du client de payer pour la valeur de la marque. Comme il est possible de fixer, pour les céréales, des prix différents pour différents clients, on obtient des prix bonifiés qui sont supérieurs aux valeurs américaines comparables.
En tant que commission élue, une de nos mesures de rendement était la capacité de nos gestionnaires d'être évalués par rapport à des « blés » concurrents le même jour et leur capacité d'obtenir des prix bonifiés pour ces valeurs.
Dans un milieu qui compte plus d'un vendeur, en économie, le principe du prix unique finit par prévaloir. S'il y a un marché de choix où un client accepte de payer plus pour une céréale canadienne qu'un autre client, tous les vendeurs potentiels vont se ruer sur le client en question. Ces clients ne paient pas plus cher parce que c'est ce qu'ils veulent, ils paient plus cher parce que dans ce système, il n'y a qu'un seul endroit où se procurer des céréales canadiennes de cette marque. Dans un milieu où l'on compte de nombreux vendeurs, la loi de l'offre et de la demande finit par s'imposer. Le prix le plus élevé payé pour les céréales canadiennes correspond à la volonté de payer la bonification la moins élevée possible pour le client, parce qu'en fin de compte, les vendeurs se font concurrence pour ces bonifications, en fonction de la volonté de vendre.
Pour être honnête avec vous, les clients sont extrêmement bien informés et nous sommes maintenant dans cette situation. Par exemple, comme producteurs, nous produisons des lentilles de grande qualité — de qualité numéro un —, mais le prix payé à la ferme est constamment le prix des lentilles de qualité numéro deux ou mieux. Même chose pour les pois : nous produisons des pois de qualité supérieure. On m'a dit qu'ils étaient de catégorie numéro un et toute l'année, nous avons des débouchés pour des pois de qualité numéro deux ou supérieure. Comme il n'y a pas de système à guichet unique, il n'y a pas de valeur créée par la distinction des marchés entre eux ou le système de manutention, et il ne sert à rien de diviser ce marché en de multiples paniers. On a besoin d'une combinaison de clients prêts à payer le prix fort et de clients prêts à payer un prix moyen afin d'avoir suffisamment de clients prêts à payer des prix plus élevés pour qu'un système de mise en marché séparé en vaille la peine.
C'est ce qui, en fin de compte, est au cœur de la situation. Nous avons appelé ce système « établissement du prix en fonction du marché ». Dans un système marché par marché, on essaie surtout de déterminer la volonté de payer.
Le sénateur Peterson : Monsieur Oberg, quel type de transparence de prix pourrait exister dans un marché ouvert et avec quel type de prime au risque devrions-nous composer?
M. Oberg : Le système de marché ouvert est fondé sur le fait qu'il y a toujours quelqu'un qui est prêt à vendre. Il existe des bourses que les agriculteurs surveillent, mais il faut se rappeler qu'il ne s'agit que de valeurs que les clients et les prêteurs utilisent pour se prémunir contre les risques. Il ne s'agit pas des valeurs réelles dans les échanges.
Je crois qu'il est faux de suggérer qu'un marché ouvert permet une plus grande transparence des prix. Lorsque les agriculteurs voient un bon de paiement, ou un chèque, dans un système ouvert, ils voient un prix. Les retenues sont toutes incluses dans cette formule magique qu'on appelle « la base ». Le système de la Commission canadienne du blé est le plus transparent de tous. On peut voir les retenues pour l'élévation et la manutention. On peut voir les retenues pour le transport. Tout est inscrit sur le bon de paiement.
En fait, il y aura moins de transparence si on renonce à la structure de la Commission canadienne du blé pour passer d'un système ouvert.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Oberg, à votre avis, qui est l'actionnaire de la Commission canadienne du blé? Qui en est le propriétaire?
M. Oberg : D'un point de vue technique, si vous posez la question sur le plan juridique, il s'agit du gouvernement fédéral. Cependant, si votre définition de propriété inclut ceux qui paient les factures ainsi que les wagons-trémies et les laquiers dans lesquels nous avons investi, c'est-à-dire les agriculteurs, alors à mon avis, la Commission canadienne du blé appartient aux agriculteurs. Toute la richesse créée par cette organisation vient des agriculteurs.
Le sénateur Tkachuk : La Commission canadienne du blé appartient au gouvernement du Canada, à la population canadienne. Quelles responsabilités fiduciaires le conseil d'administration a-t-il envers les propriétaires, l'actionnaire? Je suis curieux de savoir ce que vous en pensez.
M. Oberg : Je pense que nos responsabilités fiduciaires consistent à agir dans l'intérêt supérieur de la société et à protéger ce qu'elle a de plus précieux, soit le guichet unique. En tant que membre élu — par les agriculteurs — du conseil, je n'ai pas seulement des responsabilités fiduciaires envers la société, j'en ai aussi, en tant qu'élu, envers les personnes qui m'ont choisi.
En fait, ce qu'on envisage ici, c'est une prise de contrôle par le gouvernement d'un organisme de producteurs.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que c'est réellement l'effet de ce projet de loi? Il vous donne l'occasion de mettre en pratique ce que vous considérez une théorie en vous donnant la chance de créer une mise en commun, une société d'actionnaires, où les propriétaires véritables sont les agriculteurs parce que ce n'est pas le cas actuellement. Les propriétaires de la Commission canadienne du blé, ce sont les Canadiens, et vous, ainsi que tous les membres de la commission avez une responsabilité fiduciaire envers l'actionnaire et les Canadiens, parce que vous êtes membres du conseil d'administration de cette société. Les agriculteurs sont vos clients.
M. Oberg : Si cette loi est adoptée et obtient la sanction royale, la participation des agriculteurs dans l'organisation sera tout simplement nulle. Celle-ci deviendra, en somme, un organisme dirigé par le gouvernement. Comme je l'ai mentionné, tous les biens tangibles que nous possédons et que les agriculteurs ont payés vont devenir la propriété de l'État. Franchement, du point de vue des agriculteurs, je crois que ce n'est pas correct.
Le sénateur Tkachuk : Je vais reformuler ce que j'ai dit. Vous contestez les faits, mais vous tenez mordicus à la théorie. Même votre propre plébiscite, qui n'incluait pas le système de commercialisation mixte, donnait le choix entre participer au système ou non. Vous avez obtenu un résultat de 60 à 40 p. 100. Pour que le système fonctionne pour les 60 p. 100 qui le souhaitent, vous avez besoin des autres 40 p. 100, qui ne veulent pas appartenir à ce système. Est-ce bien ce que vous nous dites?
Vous dites que ça ne fonctionnera pas, mais je vous ai entendu déclarer que pour que le système fonctionne pour les 60 p. 100 qui le désirent, vous devez forcer les 40 p. 100 qui ne veulent pas participer à se joindre.
M. Oberg : C'est essentiellement vrai. C'est ainsi que fonctionne un système à guichet unique. Quand il n'y a qu'un vendeur, il est évident qu'on a besoin de la participation de tous les agriculteurs. Nous avons toujours soutenu que la décision devait être prise démocratiquement par une majorité d'agriculteurs; comme je l'ai dit plus tôt, c'est ce qu'ils ont fait en Ontario et au Québec.
Le sénateur Tkachuk : Le gouvernement du Canada, à qui appartient la Commission canadienne du blé, n'a pas le droit de changer la commission. Les 40 p. 100 qui sont en désaccord avec la Commission canadienne du blé sont obligés de faire fonctionner le système souhaité par les autres 60 p. 100. Le conseil d'administration n'a aucune responsabilité fiduciaire envers les actionnaires et la population canadienne, il n'en a qu'envers ses clients. Vous allez un peu trop loin.
M. Oberg : La Commission canadienne du blé est une société à gouvernance partagée depuis 1998. Le contrôle de l'organisme a été redonné aux agriculteurs aux termes du projet de loi C-4. Une des mesures de protection prévues à l'article 47.1 de cette loi exige que toute modification importante du mandat de la Commission canadienne du blé soit soumise au vote des producteurs. Voilà la question que nous soulevons ici.
Le sénateur Tkachuk : Ce n'est pas ainsi que la plupart des gens et moi-même croyons qu'un conseil d'administration doit se comporter. Si j'étais membre d'un conseil d'administration, je serais scandalisé de ne pas agir pour le compte de l'actionnaire et de ne pas avoir une responsabilité fiduciaire envers l'actionnaire et la population canadienne, à qui appartient l'entreprise.
J'ai terminé, monsieur le président.
M. Wells : J'ai un petit commentaire au sujet de cette dernière question.
Nous avons entendu des questions intéressantes sur la propriété des biens de la Commission canadienne du blé. Selon la structure unique prévue dans la loi habilitante actuelle, il s'agit d'une question intéressante. Même si on demande aux députés conservateurs, on risque d'entendre deux réponses différentes au sujet de la propriété des biens de la Commission canadienne du blé.
Par exemple, lorsqu'un député conservateur se plaint que la Commission canadienne du blé a entamé des mesures judiciaires à l'encontre d'un gouvernement qui se dit pour l'ordre et le respect des lois canadiennes, il affirme que la commission ne devrait pas dépenser cet argent, qui appartient aux agriculteurs. Quand un autre député répond à une question au sujet du fonds de réserve, et que ce député est en fait le ministre de l'Agriculture qui veut exproprier le fonds de réserve des agriculteurs, il affirme que cet argent n'appartient pas aux agriculteurs, qu'il appartient à la Commission canadienne du blé, qu'il relève de la loi et qu'il appartient au gouvernement. Même les députés conservateurs ne s'accordent pas sur la question de savoir à qui appartient cet argent.
En changeant notre loi habilitante actuelle pour le projet de loi C-18, ce conflit ne fait qu'empirer parce que le nouveau projet de loi est rédigé de manière à créer une société d'État. Selon notre loi habilitante actuelle, nous ne sommes pas une société d'État, mais plutôt une société à gouvernance partagée. Le nouveau projet de loi crée une société d'État dans tous ses aspects, sauf peut-être pour une phrase, dans laquelle on indique qu'elle n'est pas une société d'État. L'organisme rend compte seulement au ministre. Les conflits soulevés ne feront que s'envenimer avec ce projet de loi par rapport à la situation actuelle.
Le sénateur Eaton : Monsieur Oberg, mon collègue parlait de responsabilité fiduciaire. N'auriez-vous pas un intérêt particulier à ce qu'on maintienne la Commission canadienne du blé telle quelle afin de protéger votre frère, qui est probablement le plus grand propriétaire de chemins de fer locaux du Nord de l'Alberta? Ne serait-il pas dans le meilleur intérêt de votre famille de la tenir à l'abri des forces du marché?
M. Oberg : Il est évident que je ne... Insinuez-vous que je suis en conflit d'intérêts? Est-ce que c'est ce que vous suggérez?
Le sénateur Eaton : Oui, votre famille.
M. Oberg : Non. Tous les transporteurs de wagons des producteurs courront des risques et auront des ennuis si des changements sont apportés à la Commission canadienne du blé.
Le sénateur Eaton : Auront-ils des ennuis ou devront-ils simplement être concurrentiels dans un marché ouvert?
M. Oberg : Ils auront du mal à obtenir un accès aux terminaux et les économies liées au chargement d'un wagon d'un producteur — entre 1 000 $ et 1 200 $ par wagon — disparaîtront.
Le sénateur Eaton : Vous avez tout intérêt à maintenir...
Le président : La présidence reconnaît que vous avez répondu à la question, monsieur Oberg.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Je trouve curieux qu'on soutienne l'argument que, à un moment donné, 40 p. 100 ne veulent pas participer, mais ils doivent se soumettre aux 60 p. 100. Si on regarde les résultats de l'élection générale, est-ce que ce n'est pas exactement ce qui se passe? Pour moi, vos arguments, des fois, ne tiennent pas.
Pour ce qui est de la nouvelle commission, une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale, tous les administrateurs vont être des administrateurs nommés par le gouvernement. Est-ce que les agriculteurs vont avoir quelque chose à dire sur ces nominations?
[Traduction]
M. Oberg : Ce que je comprends, c'est que les nominations au nouveau conseil d'administration seraient faites par le ministre. En fait, il s'agirait de la première occasion depuis 30 ans où la Commission canadienne du blé ne compterait aucune participation des producteurs. Avant l'établissement du conseil d'administration en 1998, il y a toujours eu un comité consultatif composé de producteurs, et ce, depuis le début des années 1980. Comme je l'ai dit, il s'agit d'une prise de contrôle par le gouvernement d'un organisme contrôlé par les producteurs. C'est aussi simple que cela.
Le sénateur Robichaud : J'ai compris qu'en ce qui concerne les consultations, celui qui a le pouvoir de tenir des plébiscites, c'est le ministre. Est-ce exact?
M. Oberg : C'est exact.
Le sénateur Robichaud : Vous respecteriez le résultat d'une telle consultation.
M. Oberg : Je l'ai dit à de nombreuses reprises. Pendant les sept réunions au cours desquelles j'ai discuté avec les agriculteurs des Prairies, j'ai été très clair. Quelle que soit la décision de la majorité des agriculteurs, nous en prendrions acte et nous l'appuierions. J'ai demandé au ministre de faire de même à de nombreuses reprises.
Le président : Mesdames et messieurs, merci.
Compte tenu de l'heure, au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts... Monsieur Wells, vouliez-vous faire un autre commentaire?
M. Wells : Très brièvement.
Le président : Bien sûr, allez-y, monsieur.
M. Wells : Merci, monsieur le président. Vous avez été très généreux.
J'aimerais qu'il soit inscrit dans le compte rendu que j'estime que la question précédente du sénateur Eaton est insultante pour les agriculteurs de l'Ouest du Canada. De croire que le président du conseil d'administration... Les agriculteurs font partie de ce conseil d'administration parce que le gouvernement a reconnu qu'ils étaient plus près de la réalité et qu'ils connaissaient mieux leur propre situation financière, et le fait d'insinuer ce qui a été allégué dans cette question constitue une insulte pour tous les agriculteurs de l'Ouest du Canada.
Le président : Sur ce, au nom du comité, je remercie chaleureusement les témoins pour leur présence. Vous nous avez donné des renseignements additionnels dans ce dossier.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous passerons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Merci d'avoir accepté de témoigner. Nous vous en sommes reconnaissants.
[Français]
Comparaît devant nous aujourd'hui M. Earl Geddes, directeur exécutif de l'Institut international du Canada pour le grain.
[Traduction]
Nous accueillons également M. Cliff Bell, directeur général des Installations terminales de Westlock, qui fait partie de l'Inland Terminal Association of Canada.
Au nom des membres du comité, je vous remercie d'être venus nous informer. J'inviterai maintenant les témoins à présenter leurs exposés, qui seront suivis des questions des sénateurs.
Le greffier m'informe que M. Bell présentera son exposé en premier et sera suivi par M. Geddes.
Monsieur Bell, à vous la parole.
Cliff Bell, directeur, Installations terminales de Westlock, Inland Terminal Association of Canada : Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que vous, mesdames et messieurs les sénateurs. Comme vous l'avez mentionné, je suis Cliff Bell, de Westlock Terminals, mais je représente également l'Inland Terminal Association of Canada, qui compte 10 membres possédant des installations de manutention des grains et quelques autres intérêts commerciaux en Saskatchewan et en Alberta. Les membres sont les suivants : Lethbridge Inland Terminal; Providence Grain Solutions; Westlock Terminals; CMI Terminal; Gardiner Dam Terminal; Great Sandhills Terminal; Prairie West Terminal; North West Terminal; South West Terminal et Weyburn Inland Terminal.
Pour devenir membre de l'ITAC, une entreprise doit être détenue à au moins 50 p. 100 par des agriculteurs; ensemble, les membres de l'ITAC comptent pour environ 20 p. 100 du grain contrôlé par la Commission canadienne du blé. Les installations de l'ITAC offrent un marché concurrentiel et permettent aux agriculteurs de choisir les méthodes de mise en marché et de livraison qui leur conviennent.
L'ITAC ne prend pas position au sujet de l'élimination du système de guichet unique de la CCB. Cependant, comme le gouvernement fédéral a déclaré qu'il avait l'intention d'abolir le monopole imposé à la commercialisation dès le 21 octobre 2012, l'ITAC a quelques opinions bien définies au sujet des mesures nécessaires afin d'assurer un système de manutention du grain efficace et concurrentiel. En premier lieu, il faut connaître le déroulement de la transition.
Les représentants du gouvernement fédéral ont dit aux membres de l'ITAC que le blé, le blé dur et l'orge destinée à l'exportation pourront faire l'objet de contrats avant le 1er août 2012, tant que la vente est exécutée après cette date. Les utilisateurs finaux essaient déjà de remplir leurs commandes pour 2012-2013; il est donc important que tous les joueurs soient capables de répondre aux besoins des clients.
Nous comprenons, selon les dires des représentants du gouvernement fédéral, que la date du 1er août 2012 est coulée dans le béton, mais nous nous inquiétons de certains retards possibles dans la loi — plus encore avec l'annonce qui a été faite hier — et des effets que ces retards peuvent avoir sur les contrats passés de bonne foi avec les producteurs et les utilisateurs finaux. Nous croyons qu'il est essentiel que le gouvernement fédéral s'engage à soutenir financièrement toute responsabilité contractuelle en cas de retard dans la mise en œuvre de la loi.
Nous voulions également parler de l'examen du service ferroviaire. La Commission canadienne du blé a pris des mesures pour améliorer le service ferroviaire et il a un pouvoir appréciable pour négocier avec les compagnies de chemins de fer. Les changements apportés au mandat de la Commission canadienne du blé feront en sorte que cette voix sera plus faible, sinon perdue. Cependant, un service ferroviaire adéquat demeure absolument vital pour nos activités commerciales.
Nous avons confiance que les démarches du gouvernement afin d'établir des ententes sur les services ferroviaires se poursuivront et que les mesures appropriées seront en place pour permettre aux participants de moindre envergure un accès aux services ferroviaires essentiels afin de continuer à fournir une solution concurrentielle aux agriculteurs, et ce, à un prix équitable.
Un des éléments importants dont s'inquiète l'Inland Terminal Association of Canada est le financement des achats. Nous comprenons que des efforts pourraient être axés sur une solution de financement pour aider à l'achat, auprès des producteurs, de blé, de blé dur et d'orge destinée à l'exportation. Il s'agira d'une composante importante de la transition.
Sans un financement adéquat, la capacité de certains terminaux d'acheter les grains pourrait être restreinte et ceux-ci pourraient devoir fonctionner avec des volumes moins importants, ce qui rendrait le marché moins concurrentiel.
Comme vous le savez tous, le prix des grains varie substantiellement d'année en année. Les liquidités dont nous avons besoin pour nos activités varient elles aussi d'année en année. Si tout cela incombait aux seuls élévateurs, les effets seraient importants.
L'autre question concerne l'accès aux terminaux portuaires. Il s'agit d'une question primordiale pour les indépendants. Quelques membres de l'ITAC sont copropriétaires d'Alliance Grain, qui a été formée par le Bureau de la concurrence, qui jugeait qu'il fallait se débarrasser du vieil élévateur de l'Union des producteurs de grain à Vancouver. Alliance Grain en a fait l'acquisition. Certains membres de l'ITAC sont copropriétaires de ce terminal, mais sinon, CMI Terminal et Gardiner Dam Terminal ont un actionnaire minoritaire et Cargill est aussi dans cette situation par rapport à South West Terminal. D'autres membres de l'ITAC n'ont aucune participation dans des installations portuaires et n'ont aucune capacité de commercialisation à l'étranger.
Afin de demeurer concurrentiels sur le marché, les membres de l'ITAC ont besoin d'avoir un accès garanti aux terminaux portuaires. Par exemple, le port de Vancouver serait contrôlé en grande partie par trois multinationales. Nous nous demandons si le Bureau de la concurrence ne devrait pas enquêter sur cette situation. La majeure partie du grain canadien passe par Vancouver.
En ce qui concerne la Commission canadienne des grains, nous croyons qu'elle doit changer pour faciliter ce qui s'en vient sur la scène commerciale. Le grain doit se vendre à sa plus haute valeur commerciale et les catégories officielles ne doivent pas constituer un frein aux activités. Un examen des processus actuels d'homologation des nouvelles variétés sera important pour assurer aux agriculteurs, dans le contexte d'un marché continental concurrentiel, qu'ils auront accès à des variétés à haut rendement et qu'ils pourront cultiver les variétés demandées par leurs clients, en particulier des États-Unis.
Le fait que notre processus d'homologation des variétés se concentre sur le maintien d'une norme minimale de qualité pour le grain canadien pouvait être approprié dans le contexte d'un guichet unique pour la vente, mais à l'avenir, les vendeurs canadiens et les acheteurs finaux seront contractuellement tenus de fournir un grain de la qualité convenue, sans égard à des normes canadiennes idéalistes.
Dans le système actuel, les producteurs livrent des grains de toutes les catégories et de toutes les teneurs en protéines à l'installation de leur choix et ils doivent fournir un certificat de catégorie à chaque livraison. Dans un marché ouvert, le producteur et l'acheteur peuvent s'entendre sur un échantillon composite provenant d'un grand nombre de livraisons par camion pour assurer le respect des spécifications du contrat. De plus, le droit du producteur de demander une nouvelle inspection à la CCG peut devenir encombrant puisque les normes établies par le Comité de normalisation des grains de l'Ouest et la CCG peuvent n'avoir aucune pertinence dans le cadre d'une vente donnée. On s'attend à ce que les producteurs passent des contrats de vente selon divers facteurs de qualité, pas selon des normes établies par un organisme. Les producteurs devront s'adapter à cette nouvelle réalité et des changements pourraient également être nécessaires du côté des règlements et des procédures de la CCG.
Le dernier élément que j'aimerais souligner, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est que l'incertitude est néfaste pour les affaires. En raison de ce processus, toute l'industrie du grain de l'Ouest est en suspens. Personne ne sait ce qui se passe, personne ne peut se préparer pour l'avenir. Nous croyons qu'il est nécessaire d'agir rapidement pour répondre aux nombreuses questions associées à la transition. J'aimerais vous faire remarquer que chaque changement important vécu par l'industrie de l'agriculture — et je suis dans le domaine depuis 30 ans — a apporté une certaine concentration. Ces terminaux, qui appartiennent à des agriculteurs, ont été créés et prospèrent toujours parce que les agriculteurs veulent être concurrentiels et ils veulent des services, des actifs et une propriété à l'échelle locale, ainsi qu'un droit de parole relativement au développement de l'industrie du grain. Je vous demande de leur donner la parole à laquelle ils ont droit.
Earl Geddes, directeur exécutif, Institut international du Canada pour le grain : Bon après-midi, mesdames et messieurs. Je suis ravi d'être ici avec vous aujourd'hui pour vous parler du rôle de l'Institut international du Canada pour le grain dans le maintien de l'image de marque du Canada en tant que meilleur blé au monde. C'est une fonction importante de l'IICG et de l'industrie du grain de l'Ouest du Canada et de l'Ontario. Le fait d'être ici aujourd'hui est un grand honneur.
J'ai distribué à tout le monde une déclaration préliminaire que je présenterai rapidement.
L'Institut international du Canada pour le grain a été créé en 1972, en vertu d'un protocole d'entente entre le gouvernement du Canada, la Commission canadienne des grains et la Commission canadienne du blé. Au cours des 40 dernières années, la CCB a été le partenaire de l'industrie le plus important de l'IICG. Nous nous sommes surtout concentrés sur le blé, le blé dur et l'orge tout au long de cette période, ainsi que l'avoine pendant un certain temps.
Le savoir mondial que l'IICG a acquis au cours de ces 40 années découle principalement de l'exposition à la clientèle de la CCB et aux participants que la commission a amenés à l'institut à des fins de formation technique. L'IICG a compté plus de 34 000 participants au cours des 40 dernières années et environ 70 p. 100 de ceux-ci ont été dirigés vers l'institut par la commission. Nous avons eu une relation très étroite dans ces quatre décennies.
La CCB a assuré environ 70 p. 100 du financement des programmes et des immobilisations de l'IICG au cours des dix dernières années, ce qui est une période pertinente; la commission a indiqué qu'à partir du 1er avril 2012, elle ne serait plus en mesure de fournir du financement stable et prévisible à l'IICG, pour des raisons très évidentes.
L'IICG a été très clair dans ses interventions sur le projet de loi C-18 auprès des représentants du gouvernement, élus et non élus. Notre représentation vise à encourager le gouvernement du Canada à s'assurer que l'IICG pourra tenir ses connaissances sur le marché mondial à jour, conserver ses liens avec les clients pour le compte des agriculteurs de l'Ouest canadien et conserver sa réputation de meilleur blé au monde pendant toute transition créée par l'adoption du projet de loi C-18.
Le projet de loi C-18 contient des dispositions qui prévoient le remplacement du financement que la CCB fournit actuellement à la Western Grains Research Foundation (WGRF), au Centre technique canadien pour l'orge brassicole (CTCOB) et à l'IICG, en mettant en oeuvre un système de contribution par l'agriculteur afin d'amasser un montant équivalent pour diverses activités de recherche et de développement ainsi que pour toutes les activités de développement du marché entreprises par la CCB en collaboration avec l'IICG et le centre technique canadien. Ceci ne constitue pas une nouvelle dépense pour les agriculteurs, mais plutôt un transfert de processus de la CCB vers un mécanisme de contribution par l'agriculteur. Le coût de cette activité découlant du projet de loi C-18 demeurera le même pour les agriculteurs.
L'IICG a pris de nombreuses mesures pour se préparer au changement de l'environnement commercial afin de pouvoir servir les agriculteurs et l'industrie du grain de manière efficace dans le cadre de la commercialisation.
Du point de vue de l'IICG, ce changement entraînera des défis évidents. Je vais parler rapidement de cinq de ces défis que nous avons cernés. Premièrement, il y a la possibilité que des produits de blé de qualité inférieure soient exportés du Canada, comme il est arrivé en Australie.
Je voulais souligner ici qu'un nouvel organisme, Wheat Quality Australia, a récemment été mis sur pied pour redorer le blason du blé australien, qui avait perdu la confiance des acheteurs de ce produit. Nous ne voulons pas que cette perte de confiance se produise au Canada et voulons nous assurer que cette assurance de la qualité fera toujours partie du rôle de l'IICG.
Deuxièmement, les préoccupations des clients à propos de la direction que prend l'industrie du blé au Canada doivent être prises en compte. Les clients se demandent entre autres s'ils auront toujours accès au soutien technique, à la formation et au service après-vente auxquels ils se sont habitués et qui constituent une partie importante de l'image de marque canadienne.
Troisièmement, la perte de la CCB en tant que véhicule assurant l'actualisation des connaissances dans l'industrie mondiale du blé, du blé dur et de l'orge devra être compensée. Une partie de nos activités dans ce domaine consiste à établir des accords de recherche et de formation avec des clients internationaux du grain de l'Ouest canadien afin que ces connaissances puissent circuler au sein de l'industrie.
Quatrièmement, comme la CCB n'occupera plus son rôle d'organisme de commercialisation mondiale, il existe des préoccupations concernant la création d'une nouvelle entité de surveillance de l'industrie du blé — quelle sera la structure et quand sera-t-elle créée? Il est clair que nous avons besoin d'une nouvelle direction en matière de gouvernance pour l'industrie du blé, du blé dur et de l'orge dans l'Ouest canadien. Nous avons hâte de voir la forme que prendra cette nouvelle direction, qui est essentielle. Nous ne pourrons pas attendre trop longtemps. Le projet de loi C-18 nous donne cinq ans pour le faire. Il y a des préoccupations à cet égard. Nous aimerions participer à ce processus.
La question que posent ces problèmes et d'autres problèmes est la suivante : le Canada peut-il conserver sa réputation de producteur du meilleur blé au monde? La raison pour laquelle nous croyons que c'est une question importante à laquelle nous devons répondre est que de nombreux produits provenant du Canada, pas seulement des produits agricoles, dépendent de cette image de marque. Lorsqu'on va en Chine et dans de nombreux autres pays, les gens disent que nous avons le meilleur blé au monde. Le sirop d'érable et le saumon viennent en deuxième et en troisième positions. Par conséquent, il est important que nous ayons la capacité de maintenir cette réputation.
Grâce aux dispositions de financement du projet de loi C-18, l'IICG réalisera des efforts pour remédier au fur et à mesure à ces problèmes et lacunes.
Merci. J'accueillerai avec plaisir vos questions et vos commentaires.
Le président : Merci beaucoup. J'ose dire que j'approuve certains commentaires que j'ai entendus voulant que le Canada soit le meilleur pays au monde.
Le sénateur Plett : Merci, messieurs. Nous sommes désolés d'avoir autant tardé à commencer cette partie de la séance. Soyez certains que nous apprécions votre patience et votre présence aujourd'hui.
J'ai deux questions, une pour M. Bell et une pour M. Geddes.
Monsieur Bell, comme vous l'avez dit, l'ITAC travaille avec un certain nombre de regroupements différents. Bien sûr, au Canada, et certainement dans l'Ouest canadien, il y a beaucoup de coopératives et de regroupements, pour le blé ou d'autres produits, et ils se débrouillent bien. Vous avez mentionné plusieurs regroupements. Je ne les ai pas tous reconnus, mais j'ai reconnu le North West Terminal. Si j'ai bien compris, c'est l'un des plus grands regroupements de la Saskatchewan. Est-ce exact?
M. Bell : Oui, c'est le cas. Le North West Terminal est un terminal céréalier et une usine de production d'éthanol. C'est l'un des plus grands terminaux céréaliers, en effet.
Le sénateur Plett : Il a été fondé par des agriculteurs et il constitue essentiellement un organisme à participation volontaire, dont les agriculteurs peuvent être membres?
M. Bell : Oui, c'est exact.
Le sénateur Plett : D'après ce que j'ai compris après avoir parlé à l'un des fondateurs, un agriculteur qui vend 100 tonnes de blé, d'orge ou d'un autre produit vendrait le blé ou le produit en question le même prix par tonne que le ferait un agriculteur qui ne produit que le dixième de cette quantité. Ils obtiendraient normalement le même prix par tonne?
M. Bell : Je suppose que ça dépend de la situation. Ils auraient la possibilité de vendre ces céréales. Le North West Terminal, comme c'est le cas de tous les autres terminaux, est un agent pour la Commission canadienne du blé. Il affiche un prix pour la mise en commun, un prix fixe et aussi un prix non assujetti à la commission. Un agriculteur avec 100 tonnes de blé pourrait vendre son blé à l'usine de production d'éthanol du North West Terminal comme producteur non rattaché à la commission, ou bien il pourrait le vendre pour l'exportation à un prix fixe par le biais de la commission ou à un prix commun également par le biais de la commission.
Le sénateur Plett : Ce que j'essaie de dire, monsieur, c'est qu'une personne qui voudrait vendre 100 tonnes aurait un prix affiché pour son blé ou le produit qu'elle souhaite vendre pour l'éthanol, et une personne qui a 10 tonnes aurait le même prix par tonne et pourrait faire la même chose.
M. Bell : Ils auraient la même possibilité, en effet, si c'était précisément au même moment.
Le sénateur Plett : Absolument. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'un grand producteur ne reçoit pas de traitement spécial.
M. Bell : Non, à moins qu'il y ait un problème de qualité ou quelque chose du genre. Si les demandes ou les engagements pour l'exportation concernent une protéine et une variété précises, cela détermine où les ventes vont se faire.
Le sénateur Plett : On parlerait donc de pommes et d'oranges.
M. Bell : Oui.
Le sénateur Plett : Comme vous l'avez dit, ils vendent des produits. Est-ce qu'ils acceptent tous les types de produits, que ce soit un produit sur lequel la Commission du blé aurait le monopole ou des pois ou des lentilles?
M. Bell : Non, ça dépend s'ils peuvent vendre ce produit. La plupart des silos terminaux de l'intérieur sont spécialisés. Dans le sud, ils s'occupent de blé dur, de blé, d'orge et de canola. Dans le nord, à Westlock, nous nous occupons de tous les types de céréales. Cela dépend seulement si on a un marché pour cela. Nous ne nous occupons pas tellement d'avoine ni de pois simplement parce que nous n'avons pas de marché pour cela.
Le sénateur Plett : Voici ma dernière question pour M. Bell : est-ce que le North West Terminal ou tout autre regroupement aurait des raisons de continuer ses opérations même dans un système de commercialisation mixte?
M. Bell : Oui, il en aurait.
Le sénateur Plett : Monsieur Geddes, sous votre direction, votre organisation fait de remarquables recherches et de la promotion commerciale depuis près de 40 ans, et nous tenons à vous en féliciter.
L'opposition à l'autre endroit et les défenseurs du monopole ont fait tout un plat au sujet de ce que je considère un peu comme un argument non fondé, c'est-à-dire que l'IICG et son travail cesseraient d'exister sans le monopole de la Commission canadienne du blé. Est-ce que l'Institut international du Canada pour le grain pourrait être maintenu et rester efficace lorsque le monopole n'existera plus?
M. Geddes : Premièrement, l'IICG fait des merveilles depuis 40 ans. Ça fait deux ans et demi que je le dirige, et nous avons du plaisir à faire ce travail.
Dans un nouvel environnement, avec l'aide de mon conseil d'administration, dont deux membres sont de la Commission canadienne du blé, nous avons établi il y a deux ans un plan de durabilité. Le plan prévoyait la suppression éventuelle du financement du gouvernement fédéral ou de la Commission canadienne du blé pour l'IICB, et nous nous y préparons de manière plutôt délibérée depuis deux ans.
Je peux dire qu'au 1er août 2012, l'IICB sera intact étant donné l'appui des consommateurs et de l'industrie céréalière à l'échelle mondiale. Notre modèle d'affaires sera différent, mais nous garderons l'objectif d'appuyer l'industrie céréalière du Canada dans l'intérêt public. Cela est encore un élément important de l'orientation stratégique de notre conseil d'administration actuel et de ce à quoi je m'attendrais d'un nouveau conseil d'administration une fois qu'un nouveau conseil de l'industrie du blé sera en place.
Le sénateur Plett : Par curiosité, est-ce que les deux membres de la Commission canadienne du blé — bien sûr, la Commission du blé est quelque peu divisée sur ce sujet — appuieraient la commercialisation mixte ou bien la commercialisation à guichet unique?
M. Geddes : L'administration de l'IICB change de temps en temps, et la Commission canadienne du blé précise quelles personnes elle voudrait pour ces deux postes. L'une des deux personnes a toujours été un agent, un employé, et l'autre un directeur. Récemment, c'était Henri Voss, qui aurait probablement penché vers le marché ouvert. Actuellement, c'est Bill Toews, qui veut que la Commission du blé reste telle qu'elle est.
Mais je peux dire que dans tous les cas, la gouvernance exercée par les directeurs de la CCB est exemplaire. Ils se concentrent sur l'IICB plutôt que sur la Commission canadienne du blé. Ce débat n'est jamais engagé dans nos réunions du conseil puisqu'il n'a tout simplement pas lieu de l'être.
Le sénateur Peterson : Merci, messieurs, pour vos exposés.
Monsieur Bell, les fonctionnaires ont précisé il y a quelques jours qu'à compter du 1er janvier 2012, vous pourriez débuter les opérations à terme pour la campagne agricole 2012-2013. Commenceriez-vous à le faire sans les garanties du gouvernement?
M. Bell : Je suppose que nous examinerions la situation et que nous irions probablement de l'avant. Ça dépendrait du consommateur ou de l'utilisateur final, si l'un des deux venait à nous. En ce moment, nous serions un peu hésitants. Puisque nous sommes une petite coopérative, nous serions un peu hésitants, à moins que nous obtenions une certaine assurance de quelqu'un.
Le sénateur Peterson : Vous êtes au courant de ce projet de loi depuis un certain temps. J'imagine que vous avez parlé avec vos institutions financières. Que pensent-elles de la situation dans laquelle vous vous trouvez?
M. Bell : De nombreuses institutions financières se sont manifestées et souhaitent discuter avec le comité de l'ITAC. Nous appartenons à un autre groupe, Grain Source, qui est aussi un organisme de terminaux indépendants. Nous avons parlé avec les représentants de cet organisme, et ils veulent savoir quels sont nos besoins, mais rien n'a été décidé jusqu'à maintenant.
Le sénateur Peterson : Ces gens ne sont pas trop inquiets. J'aurais pensé qu'ils seraient un peu nerveux.
M. Bell : Oui.
Le sénateur Peterson : Vous avez mentionné, entre autres, l'accès garanti aux terminaux portuaires. Le groupe de travail n'a pas indiqué qu'il recommanderait cela d'aucune façon. Si c'est le cas, dans quelle mesure vous sera-t-il plus difficile de fonctionner?
M. Bell : Ce sera très difficile pour nous. Le port de Vancouver est le port préféré pour les céréales de l'Ouest du Canada. Nous ne pouvons pas aller à Thunder Bay ni à Churchill; c'est trop coûteux. Il n'est pas toujours possible, non plus, d'utiliser le chemin de fer dans l'axe nord-sud. Cela fait une énorme différence pour nous. Nous sommes pratiquement exclus de Vancouver. Comme vous le dites, certains terminaux ont conclu une alliance avec le terminal d'Alliance Grain. Il pourrait y avoir une possibilité de ce côté, mais sans section des exportations ni terminal sur la côte Ouest, nous pourrions devoir conclure des contrats de manutention avec certains autres intervenants de l'industrie. Le problème, c'est que le prix pourrait être prohibitif.
Le sénateur Peterson : Je présume que ces intervenants de l'industrie figureraient parmi vos concurrents.
M. Bell : Oui, en effet.
Le sénateur Peterson : Ils ne seraient donc pas très disposés à vous aider. Ils pourraient vous faire une offre spéciale qui serait à leur avantage.
M. Bell : Oui, c'est exactement ce que nous craignons.
Le sénateur Peterson : Monsieur Geddes, si nous entrons dans un système de marché libre, dans quelle mesure est-ce que vous aurez de la difficulté à maintenir le niveau de qualité des grains que nous exportons aux clients, qui comptent sur ce que vous avez fait jusqu'à maintenant?
M. Geddes : C'est une excellente question. Nous croyons qu'en utilisant une approche commune concernant la qualité du blé dans l'Ouest du Canada, nous pouvons maintenir un haut niveau de qualité. M. Bell a précisé qu'il observait certains changements dans le marché, et il a absolument raison.
Les clients demanderont ce qu'ils croient être du blé de grande qualité provenant du Canada. Dans presque tous les pays du monde, excepté le Canada, le blé canadien est utilisé comme ingrédient mélangé avec du blé d'autre provenance. Les autres pays font savoir au Canada quelle est la qualité attendue, et aussi longtemps que nous pouvons la maintenir, nous conserverons notre image de marque.
Le problème, c'est que les efforts de commercialisation pourraient être similaires à ceux déployés en Australie. Bien des gens sont arrivés sur le marché et ont commencé à commercialiser le blé australien en faisant des assertions inexactes ou en offrant une qualité différente de celle à laquelle l'Australie était habituée. Cela a fait un tort considérable à l'acceptation par les clients du blé australien. L'industrie reprend du poil de la bête avec Wheat Quality Australia et elle doit rebâtir cette confiance — et je suis certain qu'elle réussira. Le blé de ce pays est de bonne qualité. Au Canada, nous avons tiré des leçons de cette expérience, et des discussions sont en cours. Comment faire pour ne pas perdre l'image de marque dont le Canada s'est doté pour la qualité de son blé? Il faudra adopter une approche à l'échelle de l'industrie. Aucun intervenant n'y arrivera tout seul.
Le sénateur Peterson : Je crois que ce sera un marché très fragmenté, et il y aura beaucoup d'intervenants qui ne se soucieront pas nécessairement de la qualité; mais de la quantité — les vendeurs de masse. Il sera très difficile de se procurer suffisamment de grains pour obtenir la qualité recherchée pour les clients.
M. Geddes : C'est tout à fait vrai. Ce sera un marché très concurrentiel. Il y aura de nouveaux venus sur le marché qui ne vendent pas le blé canadien comme du blé canadien. Ils voudront se tailler une part du marché en tant que vendeurs autonomes — qu'il s'agisse de l'Inland Terminal Association of Canada, Richardson, Viterra ou Cargill —, notamment en exploitant la valeur du blé canadien et son image de marque dans les créneaux. Je crois que ce sera une partie importante de leurs stratégies de commercialisation. S'ils procèdent autrement, ils ne se retrouveront pas dans les marchés de grande valeur, dont fait partie le blé canadien.
Le sénateur Eaton : Concernant la marque du Canada — ce qui est un point très intéressant selon moi —, n'est-il pas vrai que contrairement à l'Australie où c'est la commission du blé qui effectuait le classement, vous faites le classement, ou c'est ce que vous avez fait jusqu'à maintenant, et que vous continuerez de le faire?
M. Geddes : Le système du Canada est très différent de celui de l'Australie. Au Canada, nous avons un organisme de commercialisation, la Commission canadienne du blé, sur laquelle nous pouvons toujours compter jusqu'à ce qu'un changement soit apporté. Nous avons la Commission canadienne des grains, qui est un organisme gouvernemental responsable de la surveillance ou de la gestion de la qualité des grains au Canada. Ensuite nous avons l'IICG, l'élément de développement de marchés qui utilise l'organisme de commercialisation, mène des activités de développement de marchés et de produits techniques, offre un service à la clientèle et effectue le travail d'identification. Ce n'est pas l'IICG en particulier qui effectue ce travail lié à la qualité; c'est la Commission canadienne des grains. Que je sache, la Commission canadienne des grains n'a pas proposé de changement jusqu'à maintenant, alors nous devrions être en mesure de maintenir cela.
Le sénateur Eaton : À la suite de la question du sénateur Peterson — s'il pense que puisque les agriculteurs vendront davantage de blé, ils miseront sur la quantité au lieu de la qualité —, diriez-vous qu'il est possible qu'une prime soit offerte pour du blé de très grande qualité? Les acheteurs qui demandent cela paieront une prime, alors plus d'agriculteurs croiront que c'est une bonne occasion à saisir?
M. Geddes : Encore une fois, c'est une excellente question, et c'est tout à fait vrai. Des changements seront apportés à la production dans l'Ouest du Canada concernant le blé étant donné le changement dans la structure de commercialisation. S'il n'y a pas une seule entité qui vend les grains, les gens voudront intégrer le marché avec leurs produits et leurs créneaux, alors il est probable qu'il y ait davantage d'activités de commercialisation axées sur les variétés. Certaines de ces variétés peuvent être ciblées dans des marchés qui n'exigent pas la qualité fonctionnelle du blé roux de printemps de l'Ouest canadien. Elles seront donc en concurrence avec le blé de l'Ukraine, du Kazakhstan — la région de la mer Noire —, ce qui est beaucoup plus près de la plupart des marchés que ne l'est l'Ouest canadien. Sur le marché aujourd'hui, il y a une prime pour le blé du Canada dans de nombreuses régions du monde. L'accès au marché représente une partie de cette prime. C'est un facteur important. Nous concurrençons avec l'Australie pour l'Asie du Sud-Est; pour aller en Asie du Sud-Est, le blé doit rester 40 jours dans un bateau alors que le transport n'est que de sept jours à partir de l'Australie. Les coûts ne sont pas les mêmes. Nos prix ne sont pas nécessairement meilleurs que ceux de l'Australie, mais nous sommes en mesure de le faire parce que ce pays veut avoir la qualité du blé canadien pour le mélanger. Bien qu'il n'y ait pas toujours une prime pour le producteur, il y a l'aspect de l'accès au marché qui est très important, et je crois que notre industrie le comprendra très rapidement.
Le sénateur Eaton : Je crois que vous avez dit que vous vouliez vous assurer d'obtenir le financement pour poursuivre. Je crois que le projet de loi vous assure un financement pour les cinq prochaines années.
M. Geddes : C'est le cas. Ce qui se passe est très clair dans le projet de loi. Le point que j'aimerais soulever pour vous aider dans votre rôle de « second examen objectif » du projet de loi est le fait que nous n'augmentons pas le coût des producteurs. Nous continuons d'exercer une activité en leur nom, en utilisant une source de revenus similaire provenant d'une contribution de l'agriculteur plutôt que directement de la CCB.
Le sénateur Eaton : Je suis désolé, monsieur Bell, mais comme je ne viens pas de l'Ouest du pays, je ne comprends pas quel est le rôle d'un silo terminal de l'intérieur. Supposons que je suis un agriculteur et que j'ai 100 000 tonnes de blé, quelles étapes devrais-je suivre?
M. Bell : La plupart des terminaux de l'intérieur ont été créés au moment où a eu lieu le regroupement de l'industrie céréalière il y a 10 ou 15 ans. Un bon nombre de ces terminaux ont été créés par des agriculteurs à titre de petites coopératives locales.
Le sénateur Eaton : C'était des endroits pour entreposer les céréales?
M. Bell : Ce sont de grands terminaux céréaliers, en béton et en bois, qui achètent les grains aux agriculteurs; nous les entreposons et nous les recevons.
Le sénateur Eaton : Vous achetez le grain, mais le grain appartenant aux agriculteurs ne va-t-il pas à la Commission du blé?
M. Bell : En ce moment, la façon dont ça se passe, c'est que lorsque j'achète une tonne de grains à un agriculteur, la Commission du blé me donne cet argent sous la forme d'un paiement anticipé pour les stocks. Je n'ai pas les liquidités pour ces grains, alors je les entrepose, et la commission paie l'entreposage. Lorsque la commission veut faire transporter ce blé jusqu'au port, elle nous le demande, et nous l'acheminons jusqu'au port.
Parallèlement à cela, ces silos terminaux de l'intérieur s'occupent aussi de grains non gérés par la commission. Nous pouvons acheter ces grains et les vendre à qui nous voulons, que ce soit pour une utilisation au pays, dans la vallée du Fraser, ou pour les entreprises de trituration. Nous pouvons acheter ces grains, les entreposer et les expédier à qui nous voulons.
Le sénateur Eaton : Par grains non gérés par la commission, vous voulez parler de grains de parcs d'engraissement?
M. Bell : C'est exact, de l'orge et du blé. Il existe deux situations différentes liées à la fixation des prix et deux situations liées à la manutention.
Le sénateur Eaton : La CCB s'est-elle toujours occupée de la situation liée au port?
M. Bell : Oui, elle l'a toujours été.
Le sénateur Eaton : Une fois que le grain quittait le terminal, vous ne vous en préoccupiez plus. Cargill et Viterra ne vous achèteront-ils pas simplement le grain — comme installation de stockage — avant de l'acheminer jusqu'au port?
M. Bell : Oui, ils pourraient le faire. Comme nous l'avons déjà dit, ce qui nous inquiète c'est qu'au Canada nous concurrençons aussi avec les Cargill et Viterra de ce monde pour acheter ces grains.
Par exemple, je suis à Westlock. Il y a une succursale de Cargill dans l'installation d'ATL, à Edmonton, à une distance d'environ 40 milles. Viterra a une installation à Acheson, dans l'ouest d'Edmonton, et JRI en a une à Morinville, qui est à environ une demi-heure de route. Nous sommes aussi des concurrents de ces multinationales pour l'achat de ce grain au pays.
Le sénateur Eaton : Ces entreprises ont aussi des terminaux?
M. Bell : Oui, elles en ont. Elles ne nous offriront probablement pas de prix d'ami pour le transport du grain jusqu'au port de Vancouver. Elles vont probablement nous faire payer trop et nous coincer à l'intérieur.
Le sénateur Eaton : Est-ce que cela ne sera pas dicté par le marché à l'agriculteur? Si je suis un agriculteur, et que Viterra m'offre un meilleur prix que vous, alors peut-être que j'opterai pour Viterra. Est-ce que ce ne sera pas dicté par le marché?
M. Bell : Oui, en effet. Il décidera quelle est la meilleure affaire. Si notre prix est de 10 $ à 15 $ de plus, nous n'aurons pas d'avantage concurrentiel par rapport à Cargill.
Le sénateur Eaton : Ou ce pourrait être le contraire.
M. Bell : Pas si nous n'avons pas de terminal. Nous n'avons pas de capacité de commercialisation à l'étranger non plus, alors qu'eux en ont une.
À Westlock, nous entreposons 200 000 tonnes de grains par année. La moitié sont des grains destinés à l'exportation, et l'autre moitié sont destinés à une utilisation au pays. Nous faisons un peu des deux, mais nous avons peur de devoir soudainement être en mesure de vendre des grains destinés à l'exportation sur la scène mondiale, de les charger dans un bateau et d'obtenir les capitaux nécessaires. Nous faisons partie des chanceux puisque nous avons ce marché indépendant de la commission, mais de nombreux terminaux s'occupent uniquement des grains destinés à l'exportation. Ils n'ont pas accès à un parc d'engraissement. Il est possible que ceux dans le Nord de la Saskatchewan ne se trouvent pas près d'un parc d'engraissement ou n'aient pas ce marché local.
Le sénateur Duffy : Monsieur Bell, félicitations à vous et à vos collègues pour le développement de cette industrie aussi lucrative dans les Prairies. Je me souviens de la période où les terminaux de l'intérieur ont été créés. Je crois qu'Otto Lang était le ministre responsable à ce moment de la Commission du blé. Beaucoup de gens se plaignaient et grinçaient des dents, et un bon nombre d'entre eux étaient inquiets au sujet de l'abandon des voies ferrées. Le message est très clair. Les gens étaient inquiets et avaient peur, mais ils se sont adaptés et ont réussi, et votre industrie a maintenant plus de valeur que jamais, n'est-ce pas?
M. Bell : C'est exact.
Le sénateur Duffy : Je crois en l'ingéniosité et en la capacité des producteurs de l'Ouest canadien et de ceux qui s'occupent des grains pour eux. L'histoire nous dit que ça marche et qu'Otto avait raison.
Le président : Il n'y avait pas de question.
Le sénateur Duffy : Êtes-vous d'accord?
Le président : Cela dit, mesdames et messieurs les sénateurs, nous passerons au sénateur Robichaud, puis au sénateur Mahovlich.
Le sénateur Robichaud : Je crois que le sénateur Duffy voulait dire que la Commission canadienne du blé était très efficace, ce qui vous a permis d'exercer vos activités.
Monsieur Bell, vous avez précisé que le service ferroviaire était très important pour que vous poursuiviez vos activités. Vous avez également dit que des mesures appropriées devraient être mises en place. De quel genre de mesures parlez-vous?
M. Bell : Nous aimerions qu'il y ait des ententes relatives au service ferroviaire, en tenant compte des coûts. Actuellement, si j'envoie un wagon de Westlock à Vancouver par l'intermédiaire de la Commission du blé, cela coûte 2 600 $. Si j'envoie ce même wagon à Abbotsford, qui est très près, cela coûte plus de 4 000 $. Nous avons peur que les bas prix menacent notre service ferroviaire, en particulier si nous n'avons pas de pouvoir de négociation important.
Il y a un processus en cours actuellement pour que nous obtenions un service ferroviaire à un coût raisonnable. Nous sommes vraiment dépendants du service ferroviaire pour expédier le produit au port. Le transport par camion n'est pas avantageux à partir de l'endroit où nous sommes.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Geddes, vous vous préoccupez beaucoup de la qualité du blé canadien. Il a été dit à de nombreuses reprises que ce sont les producteurs qui produisent du blé de qualité, et la Commission canadienne des grains s'assure qu'une certaine qualité est maintenue. Vous avez également un rôle à jouer en ce qui concerne la qualité.
Dites-moi ce qui pourrait aller mal. Je sais que vous mélangez le grain. Si la qualité du grain du Canada n'est pas maintenue, nous serons les grands perdants, n'est-ce pas?
M. Geddes : La marque du blé canadien est fondée sur tout le système qui existe maintenant. La Commission canadienne du blé, avec l'IICG, a contribué à créer cette marque du meilleur blé au monde. Cette marque est fondée, avant tout, sur un système d'enregistrement des variétés plus rigoureux que celui qui existe dans la plupart des autres pays du monde et qui est appuyé par l'Agence canadienne d'inspection des aliments. L'agence gère le système d'enregistrement des variétés, et est à son tour appuyée par la Commission canadienne des grains, laquelle gère la qualité dans tout le système.
Le projet de loi C-18 n'a aucun impact direct sur tout cela. L'effet qui en résultera est que nous aurons maintenant de multiples exportateurs qui n'auront plus accès à la mise en commun du blé pour répondre aux besoins des clients. Le risque pour la qualité sera lié à ce qui est chargé dans un navire. Si les exportateurs commencent à vendre du blé sans distinction, les clients auront l'impression qu'ils n'obtiennent plus le produit qu'ils obtenaient du Canada. Pourquoi paieraient-ils davantage sur le marché pour le blé canadien au lieu de choisir le blé américain ou russe?
Les autres aspects n'auront pas changé le 1er août 2012 avec le projet de loi C-18. Tant que nous ne les compromettons pas, il y a de bonnes chances que nous puissions conserver notre image de qualité et notre image de marque à l'échelle mondiale. Le risque est que la structure du marché ait changé. L'engagement envers la qualité des chargements peut être différent. L'IICG a certainement un rôle à jouer dans cette situation. Nous discutons avec les exportateurs actuels au sujet du système du blé mondial et de la raison pour laquelle le blé canadien a du prestige dans certains marchés pour qu'ils puissent comprendre pourquoi il faut maintenir un blé canadien de haute qualité.
Nous faisons ce que nous pouvons. Lorsque nous avons demandé au gouvernement du Canada de continuer de nous financer pendant une période de transition, nous avons dit que nous nous engagerions à aider l'industrie à maintenir ce haut niveau de qualité.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Geddes, vous venez tout juste d'énumérer cinq préoccupations. J'ai l'impression que si les choses commencent à mal aller, nous devrons créer une autre Commission canadienne du blé. Nous pourrions lui donner un autre nom, peut-être la « Commission du blé canadienne » ou quelque chose du genre, mais quelqu'un devra s'en occuper.
Le Japon achète notre blé parce que c'est le meilleur blé au monde. Est-il au courant de ce qui se passe ici? Le Japon est l'un des plus grands consommateurs de notre blé. Je suis certain qu'il connaît très bien la Commission canadienne du blé.
M. Geddes : Pour ce qui est de la première question, si nous ne sommes pas capables, en tant qu'industrie, de gérer certains de ces problèmes, que ce soit la qualité, le service à la clientèle ou la connaissance du marché, il est clair que les producteurs de l'Ouest canadien seront désavantagés par rapport à ce qui se passe actuellement sur le marché mondial.
La probabilité que nous créions une autre CCB à titre d'organisme de commercialisation ne cadre pas bien par rapport à ce que je comprends au sujet des ententes de commerce international. L'industrie aura besoin d'un certain conseil qui le guidera pour ces questions — il pourrait être similaire au Conseil canadien du canola. Nous ne savons pas trop à quoi il ressemblera, mais nous aimerions donner notre point de vue sur cela.
En ce qui concerne la deuxième question, c'est-à-dire ce que pensent les clients du blé canadien et pour quelle raison ils paient des primes, le Japon est un exemple parfait. L'Office japonais de l'alimentation, qui lance des appels d'offres partout dans le monde et achète environ un million de tonnes de blé canadien chaque année et paie très bien pour ce blé, fait cela pour deux raisons : premièrement, les chargements de blé qu'il reçoit d'un vendeur sont uniformes d'année en année, bien qu'il puisse avoir à payer davantage, mais c'est comme ça. Sa préoccupation est réelle. En 2010, par exemple, il a compté uniquement sur les cultures du Canada pour obtenir le million de tonnes de 1CWS130 qu'il voulait avoir dans ses silos pour partager le grain avec les meuniers du Japon. Il a exprimé cette inquiétude à la Commission canadienne du blé. Des discussions ont eu lieu à l'Institut international du Canada pour le grain sur la manière d'aider à gérer cette situation dans un contexte où il y a de multiples vendeurs. Ce problème est très réel pour de nombreux clients partout sur la planète. Lorsqu'ils viennent à Winnipeg pour voir l'industrie céréalière canadienne et parler de ce qui se passera, y compris avec la CCB, ils font un arrêt à l'IICG et demandent : serez-vous là pour nous venir en aide concernant le côté technique? Nous leur disons que nous nous sommes engagés à être là pendant cette période de transition.
Le sénateur Plett : J'ai demandé plus tôt à M. Geddes s'il croyait que son organisation continuerait de prospérer avec le nouveau système; il a répondu par l'affirmative.
Monsieur Geddes, est-il vrai que vous avez travaillé pour la Commission canadienne du blé pendant assez longtemps avant de vous joindre à l'IICG? Si c'est le cas, vous pouviez envisager la situation des deux points de vue lorsque vous avez répondu à la question.
M. Geddes : Certainement, j'ai participé à 32 récoltes. J'ai travaillé pour la Commission canadienne du blé pendant 15 ans et je suis à l'IICG depuis deux ans et demi. J'ai certaines connaissances au sujet du fonctionnement de l'industrie. S'il y a une chose que je sais, c'est que dans ce type de transition — et nous en avons parlé de différentes façons —, ce sont généralement les agriculteurs qui paient la facture. Nous voulons nous assurer que ce que les agriculteurs ont réalisé avec leur argent au cours des 75 dernières années et des 40 dernières années à l'IICG n'est pas réduit à néant au moment où nous effectuons d'autres modifications législatives.
Le sénateur Plett : Merci.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, je remercie grandement les témoins d'avoir partagé leur expertise et leurs connaissances avec nous.
(La séance est levée.)