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ANTR - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 3 - Témoignages du 7 mai 2012


OTTAWA, le lundi 7 mai 2012

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, auquel a été renvoyé le projet de loi S-7, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information, se réunit aujourd'hui, à 13 h 30, pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare ouverte cette cinquième réunion du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme qui se déroule au cours de la première session de la 41e législature du Canada. Nous accueillons aujourd'hui l'inspecteur Steve Irwin, de la Police de Toronto. Il a été détaché auprès de l'Équipe intégrée de la sécurité nationale de Toronto et comparaît aujourd'hui devant le comité par vidéoconférence.

Comme vous le savez, nous examinons actuellement le projet de loi S-7, soit la Loi sur la lutte contre le terrorisme, un projet de loi d'une trentaine d'articles qui vise à modifier le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information, et ce afin de mieux protéger les Canadiens contre les activités terroristes et les personnes qui pourraient voyager à l'étranger en vue de parvenir à leurs fins.

Inspecteur Irwin, nous vous sommes extrêmement reconnaissants d'avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd'hui, malgré votre emploi du temps extrêmement chargé et exigeant. Je crois savoir que vous avez un exposé liminaire, et nous serions donc ravis de vous écouter avant de vous poser des questions.

Steve Irwin, inspecteur, Section des renseignements, Police de Toronto : Je voudrais tout d'abord m'excuser de ne pas avoir pu vous rencontrer en personne à Ottawa. J'avais certains engagements qui m'ont forcé à participer par voie de téléconférence. Encore une fois, je m'en excuse.

Bon après-midi, monsieur le président et honorables membres du comité. Je m'appelle Stephen Irwin, et je suis inspecteur de la Police de Toronto. Au nom du chef William Blair et de la Police de Toronto, je désire remercier le comité de m'avoir invité à prendre la parole, et surtout pour discuter du projet de loi S-7 dans l'optique d'une police municipale.

Je suis membre de la Police de Toronto depuis 32 ans et détaché à l'heure actuelle auprès de l'Équipe intégrée de la sécurité nationale de Toronto. Voilà 19 ans que je suis membre de la Section de la sécurité au sein de la Division des renseignements de la Police de Toronto, où mes responsabilités comprenaient notamment la protection des personnalités officielles; les enquêtes sur les crimes haineux; les enquêtes antiterroristes; les enquêtes internationales menées avec INTERPOL; et les enquêtes sur les menaces touchant la sécurité publique, les hommes et femmes politiques, les participants au système judiciaire et les collectivités à risque.

En ce qui concerne le projet de loi S-7, la menace que présente le terrorisme pour la sécurité des Canadiens demeure tout aussi réelle et évolue constamment. S'agissant des menaces à l'intérieur du Canada, des menaces pour les Canadiens à l'étranger et de la participation des Canadiens à des activités terroristes à l'étranger, les organismes policiers canadiens, le SCRS et les autres ministères sont chargés de protéger la sécurité nationale du Canada. Ces organismes sont constamment confrontés à de nouveaux défis alors qu'il leur manque souvent les outils nécessaires ou appropriés qui leur permettraient de prévenir les actes terroristes et de garantir que les auteurs d'infractions liées au terrorisme sont tenus de répondre de leurs actes.

Le rétablissement, de concert avec les nouvelles infractions — celle de quitter le Canada pour participer à une activité en collaboration avec des groupes terroristes, celle de quitter le Canada pour faciliter l'exécution d'activités terroristes, et celle de quitter le Canada afin de commettre une infraction qui constitue une activité terroriste, de même que la création au Code criminel d'un article prévoyant l'obtention d'un engagement assorti de conditions — fournira aux policiers les outils fort utiles voire même essentiels qu'il leur faut afin d'apporter leur contribution à la lutte contre le terrorisme et de veiller à la sécurité de tous les Canadiens.

En tant que police municipale de première ligne, le Service de police de Toronto dépend beaucoup des agents de la GRC et du SCRS ainsi que l'infrastructure de sécurité nationale pour s'attaquer aux problèmes plus vastes en ce qui concerne le terrorisme. Cependant, comme nous travaillons dans l'une des villes les plus populeuses et diversifiées du pays, et certainement l'une des villes les plus diversifiées du monde, nous faisons face sur une base quotidienne à des problèmes qui sont en rapport avec de nombreux pays, cultures et conflits différents, de telle sorte que les policiers en première ligne sont souvent aux prises avec des difficultés ou des activités liées au terrorisme ou visant à favoriser le terrorisme.

Les outils qu'offre le Code criminel — et je précise que, lorsqu'ils sont entrés en vigueur après le 11 septembre, j'étais très heureux, en tant qu'agent de police ayant certaines responsabilités au sein de la Police de Toronto, de voir ces articles du Code criminel et de la Loi antiterroriste entrer en vigueur. J'étais bien placé, en tant qu'agent de police municipale assurant la liaison entre les responsables du programme de sécurité nationale de la GRC et la Police de Toronto dès 2001-2002, de même qu'avec le Service canadien du renseignement de sécurité, pour bien comprendre les conséquences et l'utilité de ces nouveaux articles du Code criminel.

Par contre, j'ai été déçu il y a quelques années quand ces mêmes articles, notamment celui portant sur les investigations, ont été éliminés. En ce qui me concerne, ils constituent un outil important dans le cadre de nos activités visant à prévenir des actes terroristes. J'estime qu'ils correspondent également à un outil essentiel pour le Canada, afin que nous puissions mener à bien nos enquêtes liées au terrorisme.

Pour moi, l'autre composante, c'est-à-dire les articles concernant l'engagement assorti de conditions, représente un outil tout à fait nouveau, évolutif et nécessaire pour aider les organismes policiers dans le domaine de la sécurité nationale. Elle nous offre une période charnière qui peut être utile quand nous croyons qu'une personne a participé à des activités terroristes à l'étranger, alors que les éléments de preuve permettant de les poursuivre ici nous manquent encore. De même, la capacité d'avoir accès aux éléments de preuve nécessaires à l'étranger peut ne pas exister au moment nécessaire, et peut-être pas du tout. Il est évident que nous obtenons souvent les éléments qu'il nous faut grâce au renseignement, ce qui nous permet de réunir une preuve suffisante, mais il ne fait aucun doute que la possibilité de recourir aux articles prévoyant l'imposition d'un engagement assorti de conditions nous serait d'une très grande utilité.

De fait, nous réexaminons en permanence les autres articles du Code criminel, y compris l'article 810.01, qui portent sur l'imposition d'un engagement et auxquels les polices municipales ont souvent recours. Dans notre cas, nous nous en servons dans le contexte de la sécurité publique; par exemple, quand un délinquant sexuel obtient la libération conditionnelle totale, nous lui demandons souvent son consentement pour un engagement en vertu de l'article 810.01, ou encore nous le convoquerons à une audience à laquelle les éléments de preuve seront produits, de telle sorte qu'une ordonnance de la cour lui imposera un engagement.

Les divers articles et la partie concernant l'engagement assorti de conditions qui se trouve dans ce projet de loi visent tout particulièrement les actes terroristes et constitueraient un excellent outil pour les organismes policiers à l'échelle nationale et locale et pour la GRC. Nous pourrions y avoir recours afin de protéger la sécurité publique de tous les Canadiens, notamment au Canada.

Ces nouveaux articles du Code criminel diminuent jusqu'à un certain point les mesures qui peuvent être nécessaires pour empêcher les gens de quitter le Canada ainsi que le seuil à atteindre avant de pouvoir procéder à une arrestation et mener à bien une poursuite. Ils garantiront que, non seulement les Canadiens sont en sécurité chez eux, mais aussi que certains Canadiens ne quittent pas le pays en vue de participer à des activités terroristes ailleurs, activités qui, si elles étaient menées ici, constitueraient un acte criminel. Il s'agit donc d'un outil de prévention important qui sera bien utile dans le contexte canadien.

Je voudrais également comparer ces diverses dispositions à autre chose. Depuis 1993, quand j'ai intégré pour la première fois l'unité de lutte contre les crimes haineux nouvellement constituée, je m'attaque au problème de la haine et de la propagande haineuse à Toronto. Bien que ces articles semblent utiles pour la police, je vous dirais que la mesure de sauvegarde qui les sous-tend est la nécessité d'obtenir le consentement du procureur général. Les articles du Code criminel portant sur la propagande haineuse se sont révélés utiles. Le fait qu'il s'agit d'actes criminels nous permet de profiter de l'ensemble des pouvoirs que prévoit le Code criminel pour ce qui est d'obtenir l'autorisation d'un juge, que ce soit pour un mandat de perquisition ou une ordonnance de communication et, même si cela s'applique, non pas aux cas de propagande haineuse, mais plutôt aux infractions liées au terrorisme, cela nous permettrait potentiellement d'envisager de procéder à une écoute électronique dans le cadre d'une enquête. Pour moi, la nécessité d'obtenir le consentement du procureur général garantit que les autorités n'en abuseront pas et que le seuil approprié sera atteint avant qu'on ait recours à de tels outils. Le fait que le procureur général soit tenu de décider ou d'approuver le recours à ces outils garantit à coup sûr une excellente protection pour les citoyens du Canada.

Je vais passer maintenant à quelques autres questions que je voudrais aborder rapidement avec vous. Du point de vue de la Police de Toronto, nous, les membres, estimons que nous sommes le reflet de la façon dont les services de maintien de l'ordre se conduisent au sein de notre collectivité fort diversifiée. En tant qu'agents de la Police de Toronto, nous et nos policiers en première ligne sommes appelés à traiter directement avec les communautés touchées, notamment sur la question du terrorisme, que ce soit la communauté musulmane, la communauté somalienne ou la communauté tamoule, qui ont toutes une forte présence ici à Toronto.

Pour moi, le travail important que nous accomplissons jour après jour consiste à nous assurer que les membres des communautés concernées nous connaissent, qu'ils ne se sentent pas ciblés et qu'ils n'ont pas peur de s'adresser à nous, premièrement, pour dialoguer avec nous; nous éduquer et être éduqués par nous; et, troisièmement, pour que nous leur fassions comprendre que certains membres de leurs communautés s'adonnent à des activités qui font l'objet d'enquêtes policières et présentent un danger pour la sécurité du public en général. À mon avis, ce dialogue avec les agents de première ligne constitue un élément important des efforts que nous déployons pour protéger le Canada et prévenir le terrorisme.

Le plus grand problème auquel nous sommes confrontés à Toronto est celui de la radicalisation. Certaines personnes décident de quitter notre pays parce qu'elles ont été radicalisées en faveur du terrorisme et cherchent donc à appuyer les activités de groupes terroristes dans d'autres régions du monde. Voilà qui présente pour nous un défi permanent, défi que nous essayons de relever au Service de police de Toronto, de manière indépendante, mais aussi en collaboration avec la GRC, la Police provinciale de l'Ontario et le Service canadien du renseignement de sécurité. Nous entretenons également un dialogue avec les différentes communautés de diverses façons, afin que ces dernières ne se sentent pas exclues et qu'elles nous aident à protéger nos collectivités et notre pays.

Le président : Merci beaucoup, inspecteur, pour cet exposé à la fois complet et bien réfléchi. Plusieurs sénateurs ont demandé la parole pour vous poser des questions. J'invite donc le vice-président, le sénateur Joyal, à poser la première question.

Le sénateur Joyal : Monsieur l'inspecteur, je voudrais revenir sur les nouvelles infractions introduites dans le Code criminel par le projet de loi S-7, c'est-à-dire celles consistant à quitter le Canada afin d'assister à un camp d'entraînement ou à participer à des activités terroristes à l'étranger. Si une telle situation devait surgir à Toronto, mettons à l'aéroport ou à la frontière, quelle autorité policière aurait le pouvoir d'arrêter l'intéressé? Serait-ce la police municipale, la PPO, la GRC ou l'Agence des services frontaliers? Lequel de ces quatre organismes serait habilité à intervenir afin d'arrêter le suspect?

M. Irwin : Je dirais que si cette situation surgissait dans le cadre d'une enquête déjà en cours, de telle sorte que nous savions déjà que cette personne allait quitter le pays, l'enquête serait menée par les agents de la GRC et ce sont ces derniers qui procéderaient à l'arrestation.

Peut-être que l'Agence des services frontaliers du Canada ou l'ACSTA, l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, aurait appris quelque chose au sujet de cet individu. Si quelque chose se produisait dans ce contexte précis, j'imagine que les agents de l'ACSTA seraient présents; si c'était le cas, ils arrêteraient l'individu et le placeraient sous garde. Ils informeraient immédiatement à la fois la Police régionale de Peel, qui est la police compétente de la région, et la GRC. Des agents représentant divers services au sein de la GRC sont présents à l'aéroport, mais la responsabilité incomberait en fin de compte aux agents de l'EISN, soit l'Équipe intégrée de la sécurité nationale. Les enquêteurs de l'EISN se rendraient au lieu de l'incident et assumeraient la responsabilité de l'enquête. Ils déposeraient certainement des accusations en consultation avec le procureur de la Couronne, et ils seraient chargés de traduire en justice cet individu.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, vous interviendriez parce que vous avez été averti vous-même, en tant qu'agence policière. Dans d'autres cas, ce serait à la GRC d'intervenir, si j'ai bien compris votre explication.

M. Irwin : Si le projet était connu d'avance et une enquête était déjà en cours, l'enquête serait menée dans la région du Grand Toronto. À l'échelle de la province de l'Ontario, en tant qu'agent de police détaché auprès du programme de sécurité nationale, je précise que l'enquête serait menée par la GRC, et plus particulièrement l'Équipe intégrée de la sécurité nationale.

Le sénateur Joyal : Prenons un cas concret qui vous est connu — celui de Hersi. Reprenons les paramètres du dossier auquel je fais allusion : vous recevez un coup de téléphone d'un employeur qui surveille les activités de son employé sur Internet et qui aura remarqué que ce dernier a eu des contacts avec un groupe djihadiste ou terroriste et il a l'intention de quitter le pays. L'employeur est au courant du fait que cette personne compte quitter le pays. Il vous appelle. Que faites-vous en recevant ce renseignement?

M. Irwin : Je dois éviter de parler d'un dossier précis qui est encore devant la justice.

Le sénateur Joyal : Dans ce cas, oubliez le terme que j'ai mentionné. Disons que c'est M. Tremblay qui est en cause.

M. Irwin : Dans une telle situation, si nous recevions ce coup de téléphone et nous savions que dans un court laps de temps — disons, dans quelques heures ou dans quelques jours — cet individu allait quitter le pays, ce serait un délai suffisant. L'EISN de la GRC a une unité en place à l'aéroport; c'est donc nous, en tant que membres de l'équipe, qui assumerions la responsabilité de cette enquête. Ce sont les agents de la GRC qui effectueraient une intervention et mettraient l'individu en état d'arrestation.

Mais, si des agents de la GRC n'étaient pas disponibles à ce moment précis ou n'étaient pas facilement accessibles, nous aurions recours à la police compétente dans la région. Pour l'aéroport international Pearson de Toronto, nous aurions recours à la Police régionale de Peel, qui constitue la police compétente dans la région. Comme cet article est inscrit au Code criminel, tous les agents de police ont les mêmes pouvoirs d'arrestation. Ce sont donc ces agents-là qui procéderaient à l'arrestation de l'individu. Ils attendraient que nos enquêteurs arrivent, et ces derniers assumeraient à ce moment-là la responsabilité des enquêtes.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, si j'ai bien compris votre explication, vous ne seriez pas obligé de renégocier un accord avec la GRC ou un autre organisme policier pour l'exécution de ces articles du Code criminel. Vous seriez à même de mener vos activités dans le cadre des accords au protocole d'entente que vous auriez conclu avec les différentes forces ou agences policières ayant des responsabilités en matière de sécurité, afin d'exécuter les nouveaux articles du Code. C'est bien cela?

M. Irwin : Oui, sénateur. À mon avis, quand vous adopterez ces modifications au Code criminel, tous les agents de police du Canada auront les mêmes pouvoirs. Je précise tout de même qu'il doit s'agir d'autorités policières; le SCRS n'est pas investi de pouvoirs d'exécution de la loi, par exemple. Donc, ces articles ne lui seraient pas bien utiles en ce qui concerne le pouvoir d'arrestation, puisque cet organisme n'a pas de tels pouvoirs.

Par contre, un agent de police qui a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte criminel a effectivement le pouvoir d'arrêter cette dernière. À ce moment-là, l'enquête se poursuit et la décision est prise ou non de déposer des accusations ou d'approfondir l'enquête. Quoi qu'il en soit, il ne serait pas nécessaire de modifier les protocoles qui sont actuellement en vigueur en Ontario.

Le sénateur Joyal : En vous appuyant sur votre expérience, qui s'étend sur de nombreuses années, d'après ce que j'ai compris dans votre exposé liminaire, pourriez-vous nous expliquer en termes généraux les paramètres de votre collaboration et de vos échanges d'information avec les différents organismes qui vous amènent à tirer la conclusion, disons, après 10 ou 12 ans d'activités antiterroristes — qu'il n'y a plus rien à craindre quant à la possibilité de cloisonnement ou de trop d'indépendance — le SCRS menant ses enquêtes pour ses propres fins et la GRC faisant de même — si bien qu'il n'y aurait pas le degré de collaboration qui devrait exister afin de prévenir, dans la mesure du possible, les actes de terrorisme?

M. Irwin : Je vous dirais, sénateur, que nous avons encore certains défis, le plus important d'entre eux étant la capacité de tirer parti du renseignement fourni par un organisme comme le SCRS, qui est chargé de la sécurité nationale — afin que la GRC ou la police puisse se charger de la répression. Les lois également posent problème, bien entendu, en raison de décisions judiciaires et de précédents qui sont établis, lesquels peuvent susciter des inquiétudes, y compris le plus récent exemple, soit une décision de la Cour d'appel fédérale en vertu de laquelle les sources du SCRS au sein de la collectivité ne sont pas aussi bien protégées qu'un indicateur. C'est un problème de taille et, dans les mois qui viennent, il faudra voir si cette décision fait l'objet d'un appel; nous qui sommes membres de la communauté policière espérons que ce sera le cas. Il est essentiel que le SCRS puisse protéger ses sources d'information, qu'il s'agisse d'un gouvernement étranger, de sources humaines ou de renseignements obtenus dans le contexte d'une enquête technique et que nous puissions ensuite, comme organisme policier, tirer parti de cette information — du renseignement — pour établir des preuves. Ce défi reste entier.

Selon moi, les conséquences potentielles de la décision selon laquelle le SCRS pourrait ne pas avoir le droit de protéger l'identité de ses sources risquent de lui causer des difficultés pour ce qui est de transmettre les renseignements à la GRC ou à la police.

Le sénateur Joyal : Pensez-vous que, tant que la procédure d'appel ne sera pas conclue, nous ne devrions pas envisager de modifier la loi? En fait, nous ou plutôt le gouvernement aurait été en mesure de faire ce que vous dites en vertu de ce projet de loi. D'après ce que j'ai pu comprendre des faits du dossier, si la GRC avait déclenché l'enquête que vous décriviez, ses sources seraient protégées. Par contre, si c'est le SCRS ou l'Agence des services frontaliers du Canada qui obtient les renseignements — ils ont un service du renseignement, bien que ce dernier ait été éliminé par suite d'une décision du gouvernement annoncée dans le budget — les sources ne seraient pas protégées. Les sources ne sont protégées que si la PPO, la GRC ou votre organisme, la Police de Toronto, mène l'enquête.

M. Irwin : Nous sommes confrontés à de nombreuses questions juridiques complexes, et les avocats entameront des actions en justice liées à cette affaire et d'autres avocats encore examineront la politique et les modifications qui pourraient potentiellement être apportées à la politique ou à la loi mais, si je ne m'abuse, selon la décision judiciaire correspondant à l'état actuel du droit, seuls les indicateurs de police jouissent de ce privilège, et cela nous inquiète grandement.

À mon avis, il faut faire preuve de patience et attendre que les tribunaux se penchent sur la question, que la procédure d'appel soit terminée et que l'affaire soit conclue. Si j'ai bien compris, la Cour d'appel fédérale n'est pas investie d'une juridiction pénale, ce qui a déjà certaines conséquences, mais je pense que cette question sera importante pour nous dans les mois qui viennent. D'ailleurs, je suis heureux de constater que vous, les législateurs, y êtes sensibles.

Le sénateur Joyal : Bien sûr, parce que l'indicateur de police pourrait se voir traduire en justice si ce genre de source n'est pas protégée de la même manière qu'elle ne l'est actuellement quand une autorité policière en est responsable.

M. Irwin : L'effet résiduel, si je puis dire, de cette situation est tout simplement que nous aurons de moins en moins de sources humaines et que de moins en moins de gens voudront nous fournir des renseignements, de peur qu'eux-mêmes ou les membres de leur famille soient en péril. Je me permets d'affirmer, et je crois que les membres du comité l'auront sans doute déjà entendu, et cela de la bouche d'autres personnes ayant une plus grande expertise en la matière, les sources humaines — les gens — sont au cœur de la lutte menée par les forces policières et les services du renseignement contre le terrorisme.

Le sénateur Joyal : Je devrais attendre le deuxième tour pour poser ma prochaine question, car j'aimerais poursuivre cette discussion. Il me semble que le maintien de bonnes conditions de sécurité au sein de nos collectivités constitue un facteur clé pour ce qui est de bénéficier de la collaboration du public et de savoir comment en tirer le meilleur parti.

Le président : Voilà donc le préambule à la question que vous poserez lors du deuxième tour.

Le sénateur D. Smith : Inspecteur, je suis de Toronto, j'habite le quartier de Yorkville et, il y a une quarantaine d'années, j'étais chargé d'un certain nombre d'affaires criminelles qui ont suscité un vif intérêt. Je ne sais pas si vous avez été mêlé à l'affaire des « Mississauga 18 ». Je suis sûr que vous l'avez suivi de près. Je ne pense pas que des appels soient encore en instance; je crois que l'affaire est close maintenant.

Pourriez-vous me dire si vous avez tiré certains enseignements de cette affaire en ce qui concerne des tendances comportementales ou des indices auxquels vous devriez être sensible? Dans un cas particulier, l'intéressé qui fréquentait l'école de la mosquée pouvait certainement être considéré comme un extrémiste. Je me demande donc si vous avez pu tirer certains enseignements de cette affaire qui seraient pertinents dans le contexte de notre étude de ces questions.

M. Irwin : Je me permets de vous informer que, s'agissant de cette affaire, certains appels sont encore en instance.

Le sénateur D. Smith : Dans ce cas, je vous laisse le soin de déterminer quelles observations générales sont appropriées dans ce contexte.

M. Irwin : Je suis évidemment au courant de cette affaire. Un certain nombre d'agents de la Police de Toronto qui ont été détachés pour participer à l'enquête relevaient directement de moi.

Le sénateur D. Smith : Je sais qu'il y en a eu un certain nombre.

M. Irwin : Donc, je suis très au courant de l'affaire et je continue à la suivre dans le cadre des responsabilités que j'ai assumées au moment d'être détaché auprès de la GRC.

Il y a plusieurs enseignements. Dans chaque cas, nous apprenons des choses et, en regardant vers l'avenir, nous nous demandons ce que nous avons appris précédemment et quels outils nous possédons grâce à cela. L'affaire du groupe des 18 de Toronto est certainement une affaire qui a été fortement médiatisée, il y en a d'autres dont j'ai dû me charger au cours de la dernière année, de concert avec les autres membres de l'EISN. Les outils que nous fournira ce projet de loi, s'il est adopté, seront d'une très grande utilité en nous permettant d'agir de manière proactive plus tôt.

Je pèse mes mots en vous disant ceci, mais je vais tout de même vous le dire. À mon avis, le fait de baisser légèrement le seuil, comme vous le faites dans ce projet de loi, garantit que nous pourrons intervenir beaucoup plus activement en vue de prévenir des actes de terrorisme, sans avoir à attendre que quelqu'un ait commis une infraction, ait disparu à l'étranger et soit de mèche avec un organisme terroriste. Cela nous permet d'agir par anticipation.

Avant de me joindre au service du renseignement, j'ai passé longtemps à me charger de cas d'homicide et d'agression sexuelle, si bien que j'avais affaire à des prédateurs sexuels, à des meurtriers sexuellement motivés et des violeurs en série. Jusqu'à un certain point, la façon dont ils sont traités par notre système judiciaire est comparable, me semble-t-il. Pour certains individus, si nous avons la possibilité d'intervenir, par l'entremise des lois du Canada, lorsqu'ils sont encore relativement jeunes, cela peut être bénéfique, en ce sens qu'ils vont peut-être être traduits en justice et finir par obtenir un casier judiciaire ou une absolution inconditionnelle, mais en même temps, c'est l'occasion pour nous de les aiguiller vers des services qui peuvent les rééduquer pour qu'ils cessent de se livrer à des activités criminelles, quelles qu'elles soient, ou encore à des activités terroristes.

S'agissant des expériences que nous avons vécues par l'entremise de membres du groupe des 18 de Toronto, je crois que de telles expériences nous permettent de comprendre de quelle façon ces outils nous aident à protéger la sécurité publique, mais aussi à prévoir plus de possibilités au sein du système judiciaire pour que ceux qui sont plus innocents — les moutons plutôt que le berger — ne soient pas radicalisés davantage et se livrent en conséquence à des activités criminelles plus poussées. Voilà donc l'un des avantages de ces mesures législatives.

Le sénateur D. Smith : Un autre aspect de l'affaire du groupe des 18 de Toronto et des enseignements qu'on a pu en tirer — et, à vrai dire, peu importe que l'attentat se produise à l'extérieur du Canada ou que la Tour du CN ou une autre institution de ce genre soit visée — concerne la mesure dans laquelle on peut recenser les lieux ou les activités qui peuvent attirer ces extrémistes fanatiques et, dans ce cas-là, il est évident qu'il y avait un dénonciateur. C'est bien connu. Sinon, la Tour du CN aurait pu être détruite par suite d'un attentat à la bombe; je n'en sais rien.

Comment savoir dans quel contexte et à quelle fréquence il convient d'adopter une telle approche? Qu'en pensez-vous? Il s'agit là d'un cas particulier où la population de Toronto a eu de la chance qu'il y ait ce dénonciateur, car qui sait ce qui aurait pu se produire autrement. Je vous invite à me répondre en termes généraux.

M. Irwin : Je suis tout à fait d'accord avec vous. À la Police de Toronto, entre 1993 et il y a environ deux ans, j'ai travaillé en étroite collaboration avec le SCRS en vue de régler des problèmes qui influaient sur la sécurité publique dans cette municipalité-là. Les agents du SCRS me fournissaient souvent des renseignements qui nous permettaient d'être proactifs et de nous assurer que des activités à caractère extrémiste ne dérapent pas pour se transformer en activités extrémistes criminelles ou en actes de terrorisme.

En ce qui concerne plus particulièrement le groupe des 18 de Toronto, l'enquête qui a d'abord été lancée en fonction de renseignements a été confiée à la GRC dès lors qu'il s'agissait d'activités criminelles. La difficulté pour nous au Canada, par rapport à nos lois, notre système démocratique et notre Charte, concerne toujours le fait que, même s'il existe des lieux qui constituent des terreaux fertiles pour les extrémistes de tous genres, qu'ils soient anarchistes ou qu'ils soient extrémistes islamiques, pour traduire leurs croyances en gestes concrets ou peut-être s'y investir davantage, tant qu'il ne s'agit pas d'actes criminels, la police arrive difficilement à se servir de tous les outils disponibles.

S'agissant de terrorisme et de sécurité nationale, nous dépendons beaucoup du SCRS, le principal responsable dans ce domaine, pour établir quand l'activité commence à avoir un caractère criminel et transmettre cette information aux autorités appropriées pour qu'une enquête criminelle soit lancée.

Encore une fois, j'ai constaté, au cours de ma carrière d'agent de police de Toronto, que l'une des meilleures sources d'information sur les activités extrémistes ou radicales était probablement la communauté elle-même et ses membres. Quand les membres de la communauté nous connaissent et nous font confiance, ils sont prêts à nous parler de certaines activités et à travailler avec nous pour que nous puissions intervenir à une étape préliminaire. Quand le projet est trop avancé et nous nous trouvons confrontés à certains dirigeants — je fais souvent allusion au tout début de mon mandat au service du renseignement en 1993, à l'époque du Heritage Front, ce mouvement en faveur de la suprématie blanche qui était basé à Toronto et très actif au Canada; ce groupe-là est semblable pour ce qui est de sa capacité d'attirer des gens ayant des opinions extrémistes et de les amener à commettre des actes criminels. C'est grâce à une intervention — probablement dans un contexte comme celui du dénonciateur, qu'il a été possible de mettre fin aux activités du Heritage Front.

Le sénateur D. Smith : Je songe également aux leçons tirées du G20 à Toronto, où nous avons eu des problèmes avec notre propre force policière. J'ai connu des jeunes... je me souviens d'avoir parlé à quelqu'un une fois qui comptait assister aux manifestations de Seattle. Vous devez vous en souvenir. Cela remonte à une dizaine d'années. Les jeunes voulaient y participer, en partie parce que cela leur semblait excitant et parce qu'ils étaient anti-Américains. Je ne sais pas jusqu'où ils sont allés. Comme c'est le cas pour tout ce qu'on apprend de nos expériences, il y a toujours un certain nombre de Canadiens qui vont à l'étranger pour protester lors d'événements de ce genre. Cette expérience est-elle applicable à la situation canadienne? En quoi ce genre de situation est-elle pertinente pour nous?

M. Irwin : Encore une fois, dans l'optique d'un agent de police de Toronto qui travaille à présent avec la GRC et les autorités fédérales, je dirais que le résultat le plus important a sans doute été l'établissement de discussions en permanence avec des experts juridiques et des procureurs, à la fois provinciaux et fédéraux, concernant les activités de certains groupes militants et extrémistes et dans quelle mesure ces dernières touchent la sécurité nationale. On entend souvent le terme « extrémisme criminel » et, selon moi, nous sommes confrontés à de tels problèmes dans ce domaine-là, mais pas nécessairement dans celui de la sécurité nationale. Quoi qu'il en soit, nous nous assurons de transmettre les renseignements que nous possédons aux responsables de la sécurité nationale, c'est-à-dire à la fois au SCRS et à la GRC, pour que ces deux organismes continuent à les évaluer.

En tant que l'un des principaux enquêteurs chargés des émeutes de 2000 devant Queen's Park, je peux vous dire qu'il s'agit là d'un autre domaine où on cherche à analyser la situation et à déterminer, en s'appuyant sur les définitions, dans quelle mesure la sécurité nationale est en jeu. Si l'assemblée législative de la province est attaquée, est-ce un geste politique? Quel est le seuil à atteindre pour que nous estimions que la sécurité nationale est en jeu?

Il ne fait aucun doute que, à l'heure actuelle, nous avons affaire à des situations au Canada qui sont liées davantage à l'activité d'extrémistes criminels. Nous devons constamment faire des évaluations et rassembler des renseignements afin d'approfondir notre analyse et de déterminer si une situation donnée commence à présenter un problème de sécurité nationale.

Le sénateur D. Smith : C'est une situation délicate. Si les intéressés souhaitent participer à des manifestations pacifiques, c'est très bien; par contre, s'ils y vont pour obtenir des armes à feu ou autre chose, on passe tout de suite dans une autre catégorie.

M. Irwin : Tout à fait. Encore une fois, est-ce qu'ils ont porté les armes avec eux? Ont-ils décidé d'y aller dans ce dessein précis ou est-ce qu'ils ont été pris au beau milieu d'un conflit?

Le président : Inspecteur, vous devriez peut-être mettre vos écouteurs pour entendre l'interprétation quand le sénateur Dagenais va vous parler. Avez-vous des écouteurs sur place pour vous permettre d'écouter l'interprétation?

M. Irwin : Non, il n'y en a pas. Je peux certainement essayer de faire venir quelqu'un qui pourra traduire.

Le président : Il va plutôt s'exercer en anglais aujourd'hui pour nous faciliter les choses.

Le sénateur Dagenais : Inspecteur, je suis, moi aussi, agent de police. Grâce à ce projet de loi, il vous sera plus facile de mener vos enquêtes, parce que vous vous souvenez du 11 septembre et des attentats de Londres, quand ils ont eu des problèmes dans le métro, et vous-même avez répété que les sommets vous ont posé de gros problèmes au cours des deux dernières années. Grâce à ce projet de loi, il vous sera plus facile de mener vos enquêtes. Vous n'allez pas cesser de faire les enquêtes mais, à compter de maintenant, vous posséderez plus d'information sur les terroristes.

Estimez-vous qu'il vous sera plus facile, grâce à ce projet de loi, de mener vos enquêtes et de présenter la preuve devant les tribunaux, quand vous arrêterez les terroristes?

M. Irwin : Oui, tout à fait. Ce projet de loi et les modifications proposées nous fourniront effectivement des outils extrêmement utiles qui aideront les forces policières.

Premièrement, permettez-moi de vous présenter mes excuses : je ne parle pas français.

Le sénateur Dagenais : Pas de problème.

M. Irwin : J'établis toujours une distinction entre une enquête criminelle, des accusations au pénal et l'arrestation. Il arrive très souvent dans notre société que des personnes soient arrêtées mais ne fassent pas l'objet d'accusations au pénal, si bien qu'elles ne subissent pas un procès criminel. En tant que policier, j'ai été présent à toutes les grandes manifestations qui se sont déroulées à Toronto depuis environ 1994, devant tous les différents consulats où les membres de certaines communautés étaient mécontents du gouvernement américain ou du gouvernement israélien, ou encore des Anglais, et des Italiens. J'ai été présent lors d'un grand nombre de manifestations. Pour moi, nos lois sont justes parce qu'elles ont effectivement permis de protéger la société dans son ensemble. Parfois la police peut ne pas être contente du résultat d'un procès ou de poursuites criminelles; mais, en fait, en tant que Canadien qui pourrait facilement se trouver de l'autre côté — même si je ne suis pas du tout criminel — je suis rassuré de savoir que nous devons constamment nous améliorer, face aux défis auxquels nous sommes confrontés, et que nous n'allons donc pas devenir un État policier.

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie.

[Français]

Le président : Je voudrais vous faire mes excuses; vous avez parfaitement le droit de vous exprimer en français, mais il n'y a toutefois pas d'interprétation disponible pour notre invité.

[Traduction]

J'apprécie énormément votre indulgence dans la situation actuelle, mais je précise que, selon la politique du Sénat du Canada, vous avez le droit de poser votre question dans l'une ou l'autre de nos deux langues officielles, et que notre invité a le droit de l'entendre dans sa propre langue officielle. Je vous présente donc à tous les deux mes excuses pour ce petit problème technique.

Le sénateur Peterson : Merci pour votre exposé.

À la fois le SCRS et la GRC déploient des efforts pour entretenir des relations avec la collectivité. À votre avis, ces derniers font-ils double emploi ou sont-ils plutôt synergétiques?

M. Irwin : En fait, ils sont synergétiques. Il y a plusieurs années, en tant que représentant de Toronto, j'ai participé à des groupes de discussion avec les membres de la communauté tamoule à l'époque où les problèmes au sein de cette communauté étaient à leur apogée, et ce en présence du directeur général du SCRS pour la région de Toronto et le surintendant de l'EISN représentant la GRC. Nous trois nous sommes réunis à plusieurs reprises avec les représentants de la communauté tamoule.

Je précise que j'ai également fait partie et je continue de siéger à un groupe composé de représentants de la Police provinciale de l'Ontario, de l'ASFC, du SCRS, de la GRC et de la Police de Toronto, les principaux partenaires qui sont appelés à intervenir sur des questions de terrorisme ou de sécurité nationale, et ce groupe comptait également une bonne représentation des différents segments de la communauté musulmane dans la région du Grand Toronto. Nous poursuivons cette activité, et la GRC est en train d'élargir son programme communautaire ici au sein de la Division O. En fait, j'ai commencé ma journée en essayant de régler un problème que présente la commission scolaire de Toronto, en ce qui concerne la participation d'agents de la GRC à un programme qu'elle a établi et qu'elle présente aux membres de différentes communautés, de même que dans les écoles privées. Le problème concerne la possibilité que la GRC fasse cela à l'heure actuelle, et je vais donc mettre ma casquette d'agent de Toronto pour essayer de faire intervenir un compromis. Je ne sais pas s'il est nécessaire que les agents du SCRS aillent parler aux élèves dans les écoles publiques, mais cela s'impose certainement dans les écoles secondaires et vis-à-vis de certaines communautés. Il s'agit donc d'efforts coopératifs permanents et évolutifs qui sont tout à fait synergétiques; les intérêts des uns et des autres ne sont pas contradictoires. Aucun organisme ne cherche à s'imposer plus que l'autre. C'est le programme dans son ensemble qui est au cœur de l'action de tous.

Le sénateur Andreychuk : Inspecteur, vous avez déjà répondu à un bon nombre de questions d'ordre général. À votre avis, aurez-vous désormais un outil de plus dans votre boîte à outils qui sera plus efficace et permettra éventuellement de déceler les problèmes et d'agir plus tôt? Est-ce votre avis?

M. Irwin : Oui, tout à fait.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais aborder quelques questions d'ordre pratique. Ayant enseigné certains cours à la fois au collège de la police et à la GRC, je peux vous dire que nous consacrons énormément de temps à la question de savoir en quoi consiste une omission et dans quel contexte il convient de déposer des accusations. L'application de nos lois s'étendra désormais à tout acte ou omission qui peut avoir lieu à l'extérieur du Canada.

À votre avis, comment fonctionnerait un tel mécanisme? Il y aurait une omission quelque part dans le monde, et vous auriez à déterminer si l'intéressé va quitter le Canada pour se livrer à certains actes. Les articles qui sont généralement concernés sont ceux où il est question de prêter assistance, de faciliter la commission d'un acte criminel ou encore d'être complice de l'auteur de l'acte en question. Comment cela pourrait-il marcher, puisqu'il s'agit d'étendre l'application de la loi aux actes et aux omissions qui se rapportent à un pays étranger?

M. Irwin : Je vais vous répondre avec prudence car nous avons justement mené des enquêtes dernièrement où cette mesure législative nous aurait été bénéfique. La police a recours à différentes pistes d'enquête afin de rassembler des éléments de preuve et de déterminer si une personne a commis un acte criminel. Ce qui fait l'unicité des actes de terrorisme est le fait que la majorité des auteurs de ces actes font encore partie d'un groupe, et ces groupes, qu'ils soient petits ou grands, affiliés ou non à un groupe plus important, sont au cœur de leur motivation et de leurs activités.

En conséquence, il peut être nécessaire de recourir à des agents d'infiltration ou à des indicateurs de police, y compris au sein de la communauté concernée. Dans certains cas, l'information peut nous être fournie par des gouvernements étrangers et, selon le gouvernement — et si un gouvernement étranger est impliqué, ce qui peut ne pas être le cas — cette information nous serait transmise; à ce moment-là, il nous appartiendrait de l'évaluer et de déterminer si l'information est suffisante et si des accusations au pénal sont justifiées et appropriées, auquel cas nous devrons consulter le procureur de la Couronne.

Dans la plupart des enquêtes que nous menons, il ne s'agit pas d'avoir seulement 10 minutes ou un jour avant un attentat à la bombe potentiel. Il ne fait aucun doute que ce genre de situations présente un défi de taille à tous les égards. Toutefois, bon nombre de nos enquêtes sont longues et compliquées. Nous avons la possibilité de prendre le temps qu'il faut pour rassembler tous les éléments, vérifier les renseignements et les valider ou non. Voilà qui nous aide si nous devons aller plus loin et avoir recours à des articles du Code criminel ayant un effet plus attentatoire, tels que les mandats de perquisition, les ordonnances de communication, les dispositions de la partie VI ou les enquêtes prévoyant une écoute électronique — ou encore si on nous a induits en erreur, si bien que nous devons faire marche arrière et mettre fin à l'enquête sachant qu'elle n'est pas fondée.

Le sénateur Andreychuk : Donc, vous nous dites essentiellement que les indicateurs constituent toujours la clé, mais que vous souhaitez avoir la possibilité d'agir plus rapidement pour connaître de telles situations. Il reste que vous êtes vulnérable par rapport à une personne seule qui peut ne pas révéler à d'autres autour de lui ce qu'il fait, de sorte que vous êtes prévenu au dernier moment; donc, vous n'écartez pas cette possibilité.

M. Irwin : Non. Ces personnes qui font cavalier seul ne sont guère différentes de celles que j'ai connues à l'époque où mon travail concernait surtout les agressions sexuelles et les prédateurs sexuels. De façon générale, ce sont des gens qui agissent seuls. Il est évident que cela présente d'énormes problèmes pour la police.

Le sénateur Andreychuk : Selon votre expérience, surtout au cours de la dernière année, diriez-vous que les personnes qui vont à l'étranger pour se livrer à des activités terroristes sont à présent plus sophistiquées?

M. Irwin : Je dirais que c'est le cas non seulement pour les Canadiens dont je suis un peu au courant mais, s'agissant d'autres attentats terroristes, notamment dans des pays alliés, je dirais que j'ai été surpris de constater le niveau d'éducation des auteurs de ces attentats. Cela nous amène à réfléchir aux raisons qui pourraient motiver un médecin à commettre un tel acte. Pourquoi une personne aussi bien éduquée voudrait-elle se livrer à de tels actes?

J'aimerais vous parler rapidement de l'époque où j'étais chargé de la haine et de la propagande haineuse, et de ces fameux individus qui ont essayé d'obtenir la nationalité canadienne. Cela m'a toujours intrigué, et j'ai vraiment été frappé par le fait que certains des semeurs de haine les plus notoires, surtout en Amérique du Nord, sont, en réalité, des gens très instruits. Je dirais que les terroristes suivent ce même modèle, car nous constatons à présent que ce sont des personnes très instruites et très compétentes qui facilitent et qui commettent même des actes motivés par l'extrémisme, voire même des actes de terrorisme.

Le sénateur Andreychuk : Je suis un peu préoccupée par la question de savoir comment ces articles du Code criminel seront appliqués. Comment vont-ils être interprétés sur le terrain, que ce soit dans une petite ville ou un grand centre urbain au Canada?

Je constate que l'une des modifications apportées à la version anglaise vise à assurer la concordance avec la version française; le nouveau libellé se lit donc ainsi : « Every person in Canada and every Canadian outside Canada shall disclose without delay to the Commissioner of the Royal Canadian Mounted Police or to the Director of the Canadian Security Intelligence Service », et ainsi de suite. Cette modification permet de remplacer le terme « forthwith » par « without delay » afin de correspondre à l'expression « sans délai » qu'on retrouve dans la version française.

J'ai passé des heures à expliquer aux policiers ce que signifiait le terme « forthwith ». Vous qui êtes policier, pensez-vous que l'expression « without delay » communique le même message? Il y a d'autres articles où ce changement a également été apporté au texte, mais j'aimerais savoir comment vous, qui êtes policier, interprétez ce terme « forthwith » par rapport à l'expression « without delay »?

M. Irwin : Pour moi, le terme « forthwith » a probablement plus de poids que l'expression « without delay ». À mon avis, le mot « forthwith » ne laisse aucune place aux questionnements. Cela veut dire « immédiatement ». Cela veut dire « tout de suite ». Par contre, l'expression « without delay » laisse entendre en quelque sorte qu'on peut éventuellement fournir des explications en cas de délai.

Le sénateur Andreychuk : Ne pensez-vous pas qu'il sera nécessaire en conséquence de fournir des explications à la police, si ce changement est accepté, quant à la manière d'interpréter l'expression « without delay » pour que l'urgence de la situation soit claire? L'expression « without delay » laisse entendre que chaque agent de police peut l'interpréter de façon raisonnable mais subjective, alors que « forthwith » a un sens bien clair. Cela veut dire qu'il faut le faire tout de suite; vous ne devez même pas y réfléchir. « Without delay » vous donne une certaine marge de manœuvre. Ne faudrait-il donc pas rédiger un manuel d'interprétation à ce sujet?

Le président : Une directive d'application peut-être?

M. Irwin : J'imagine que les organisations policières voudraient certainement incorporer cela dans leur politique, ce qui veut dire que chaque force policière au Canada devrait se pencher sur la question, et cela agirait peut-être comme catalyseur pour définir d'autres politiques liées au terrorisme concernant les mécanismes de communication et la marche à suivre.

Donc, je suis d'avis qu'il y a ici une composante d'éducation très importante, comme c'est le cas, d'ailleurs, pour les autres articles que propose le projet de loi. Votre argument est tout à fait juste et je suis d'accord pour dire qu'il faudrait trouver le moyen de faire ce que vous dites. En Ontario, il appartiendrait au ministre d'inclure une telle directive dans la Loi sur les services de police.

Le sénateur Andreychuk : Tout le monde dit que cette modification permettra de colmater une brèche — une brèche grave — si elle est adoptée. Par le passé — c'est-à-dire avant le projet de loi S-7 — à quelle fréquence y avait-il des incidents liés à cela? Est-ce un problème que vous rencontriez une fois par an en souhaitant avoir accès aux outils que vous obtenez par le biais du projet de loi S-7, ou s'agit-il plutôt de préparer l'avenir et d'introduire dès maintenant certaines mesures en cas de problème plus tard, un peu comme ce qui a été fait pour la Loi antiterroriste?

M. Irwin : C'est intéressant, car quand la première Loi antiterroriste a été adoptée, j'étais d'avis qu'elle pourrait potentiellement nous être extrêmement utile, même si on n'y avait jamais eu recours.

Au cours de la dernière année, étant détaché auprès de l'Équipe intégrée de sécurité nationale de la GRC, j'ai pu constater que certains des articles dont il est question ici, s'ils avaient été en vigueur à ce moment-là, auraient pu être invoqués, et j'estime que, en général, ces articles nous auraient aidés précédemment et faciliteront à l'avenir les enquêtes que nous menons. À vrai dire, d'après ce que j'en sais maintenant, l'approche qui les sous-tend me semble tout à fait équilibrée et je dirais même que ces mesures permettront éventuellement de soustraire quelqu'un à des activités criminelles encore plus graves. Je pense même que ce projet de loi constituera un outil approprié pour amener ce genre de personnes dans le droit chemin pour qu'elles ne soient pas davantage radicalisées et qu'elles puissent apporter leur contribution à la société.

S'agissant des personnes qui vont à l'étranger pour participer à des conflits étrangers et à des activités liées au terrorisme, je dois dire que ce genre de choses se produit plus souvent à l'heure actuelle. Par contre, le défi pour nous concerne le fait que nous n'arrivons pas facilement à suivre les Canadiens qui quittent le Canada. Notre intervention est efficace dès lors que les intéressés sont portés disparus. Nous pouvons alors essayer de les retrouver, ou s'ils reviennent ou s'attirent des ennuis ailleurs, nous en sommes informés, mais il arrive souvent que nous apprenons qu'ils ont quitté le Canada après leur départ, alors que leurs activités ailleurs ont déjà commencé, et ce parce que nous frappons à différentes portes pour nous renseigner, ou encore parce qu'ils ont été portés disparus.

Les cas récents concernent des jeunes adultes. Ce ne sont pas des enfants. Quand la famille nous signale que la personne a disparu, nous devons faire attention au genre d'information que nous communiquons à la famille si nous réussissons à localiser la personne ou à savoir où elle se trouve. Donc, le problème pour nous concerne le fait de ne pas savoir que l'individu a quitté le Canada jusqu'au moment où ce dernier a des ennuis avec la police.

Le sénateur Marshall : Inspecteur Irwin, je tiens à vous remercier pour vos observations, que j'ai trouvées intéressantes. Vous parliez des différents organismes qui sont appelés à intervenir. Vous avez mentionné la GRC, la PPO, l'ASFC, le SCRS et la Police de Toronto. D'ailleurs, vous nous avez dit que vous-même avez été détaché à la GRC. Vous avez parlé d'intégration. Et le problème que présente l'intégration, c'est-à-dire la possibilité d'assurer une étroite collaboration entre tous les éléments, pour que vous puissiez travailler comme une seule unité, a également été évoqué tout à l'heure.

Pourriez-vous nous dire qui sera chargé de mettre en œuvre le projet de loi S-7 et qui va piloter ce projet précis? S'agira-t-il de la GRC? D'après ce que vous disiez, on dirait que cette dernière est assez souvent chargée de piloter les projets. Qui sera chargé de la mise en œuvre? Comment le projet de loi sera-t-il mis en œuvre? Je vous invite également à nous faire part de vos observations concernant la mise en œuvre du projet de loi S-7.

M. Irwin : Si vous me permettez, je dirais que la mise en œuvre des articles du Code criminel dont l'application ne relève pas exclusivement de la GRC est la responsabilité des autorités fédérales pour ce qui est du contenu de la loi et de son interprétation. Ensuite, il incombera aux responsables du ministère provincial en Ontario chargé de surveiller les forces policières en dehors de la GRC de l'appliquer dans leur sphère de compétence. Il est vrai que certains problèmes se sont posés en 2002, lors de l'adoption de la première loi, du point de vue à la fois de son application par la police, mais aussi du rôle des procureurs provinciaux et fédéraux. Nous avons fait énormément de progrès sur ce plan. Par définition, la GRC est l'organisme ayant la principale, mais non l'unique, responsabilité de mener des enquêtes sur la sécurité nationale.

C'est une distinction importante. Nous avons connu ce genre de situation à Toronto, où se trouvent plusieurs missions étrangères. Il y a quelques années, un individu a mis le feu au consulat d'Allemagne. Le service de lutte contre les incendies de Toronto est intervenu, de même que la division locale de la Police de Toronto. Cette dernière a arrêté le responsable dans le quadrilatère où s'est déroulé l'incident, l'a mis sous garde et a finalement déposé des accusations et entamé des poursuites contre lui. Par définition, cet attentat implique la sécurité nationale étant donné que c'est une attaque contre la résidence ou les locaux d'une personne jouissant d'une protection internationale.

La GRC n'était pas en mesure — et il ne fait aucun doute qu'elle ne serait pas en mesure de le faire ni au Québec ni en Ontario — d'intervenir de la même façon qu'elle le fait dans les provinces contractantes. Elle n'est pas appelée à fournir des services policiers aux paliers fédéral, provincial et municipal. La structure actuellement en place — du moins en Ontario — prévoit que les décisions se prennent à un niveau supérieur en passant par une équipe de direction mixte à laquelle siègent des représentants de tous les partenaires qui font partie du programme de l'EISN. Des protocoles d'entente sont en place et prévoient la marche à suivre pour les notifications, les protocoles et les responsabilités en matière d'enquête. Bien souvent les services de police de plus petite taille, y compris celui de Toronto, sont bien contents de confier l'enquête à la GRC dès lors qu'il est question de sécurité nationale.

C'est grâce à la collaboration et au partenariat qui existent entre les différents organismes que nous avons réussi à aplanir un bon nombre de difficultés au cours des 10 dernières années, depuis l'adoption de la loi initiale et la mise sur pied des premières EISN créées dans les sphères de responsabilité de la GRC.

S'agissant de la mise en œuvre du projet de loi, le ministère de la Justice et le Service des poursuites pénales devraient se pencher sur la nouvelle loi et nous dire : « Voici notre interprétation et voici la façon de procéder à l'avenir. » Comme il s'agit de dispositions du Code criminel, il est certain qu'une force policière locale autre que la GRC pourrait prendre l'initiative d'intervenir, même si je m'attends à ce qu'il ait des négociations et que nous travaillions de pair avec la GRC ou l'EISN pour assumer la responsabilité de l'enquête.

Le sénateur Marshall : Pour ce qui est de la formation ou de la composante éducative, une fois que le projet de loi aura force de loi, incombera-t-il à chaque organisation de former ses propres agents, quitte à ce que la GRC, qui pilote le projet, en assure la coordination? Qui va élaborer les programmes de formation qui s'imposeront une fois que le projet de loi aura force de loi?

M. Irwin : Au sein de la GRC, les directions des services juridiques et de la formation auraient la responsabilité d'assurer la formation de tous les agents de la GRC dans l'ensemble du Canada. Ceux d'entre nous qui travaillent sous son égide — qui sont détachés auprès de la GRC — recevront également cette formation. Dans la province de l'Ontario, c'est par l'entremise du ministère provincial que cette formation serait ensuite dispensée à l'ensemble des services de police. En Ontario, la formation est dispensée par l'entremise du Collège de police de l'Ontario à l'intention de toutes les forces policières sous réglementation provinciale. Les plus importantes forces policières possèdent toujours leurs propres services de formation qui en assumeraient la responsabilité une fois que leurs formateurs auraient été formés; cela partirait du haut de la pyramide vers la base.

Le président : Le sénateur Joyal, pour le deuxième tour. Notre temps est écoulé, mais nous allons tout de même vous donner l'occasion de poser votre question.

Le sénateur Joyal : Inspecteur, pourriez-vous nous dire si la Table ronde interculturelle créée en 2005 est encore active à Toronto, ou si vous avez d'autres moyens de rejoindre régulièrement les communautés en faisant participer les chefs locaux ou communautaires, et ce afin de les sensibiliser en permanence au fait que la sécurité constitue une responsabilité partagée entre les communautés et la police? Comment ce processus est-il structuré dans la pratique à Toronto?

M. Irwin : À Toronto, le chef a mis sur pied des comités consultatifs et, à son niveau, il s'agit de vice-présidents; à un niveau plus bas, ce sont les surintendants d'état-major qui sont responsables des différents groupes à Toronto. Dans chacune de nos 17 divisions de police, des comités consultatifs continuent d'exister et de se réunir, et il y a même beaucoup de chevauchement entre les comités. Certains existent au niveau de la division — c'est-à-dire, dans une zone géographique ou un quartier particulier — mais il y a aussi des sous-comités qui ont été mis sur pied au sein de communautés précises. Un problème qui est sans doute aussi épineux et assez comparable pour nous est celui des bandes de jeunes et de rue qui existent à Toronto et les contacts et le dialogue qui s'imposent si nous souhaitons empêcher les jeunes de devenir membres de bandes de rue. En fait, les bandes de rue, la haine et le terrorisme ne sont pas des phénomènes dissemblables en ce sens que nous parlons de jeunes vulnérables et exposés dans ce contexte. Nous devons absolument ouvrir un dialogue avec eux. Il ne convient pas que la police intervienne simplement pour imposer sa volonté. Donc, nous avons absolument besoin de ces comités consultatifs. Ils sont toujours actifs, à la fois au niveau des chefs et des organismes eux-mêmes, et aussi au niveau local.

Les comités de liaison des polices communautaires et les membres des divisions locales se réunissent mensuellement. Si je ne m'abuse, les comités composés de chefs se réunissent trimestriellement. Par exemple, il existe un comité consultatif des chefs sud-asiatiques et musulmans. Des dirigeants communautaires de haut niveau en font partie et ces comités continuent d'être actifs.

Le sénateur Joyal : Selon vous, combien d'initiatives sont nécessaires pour bien sensibiliser le public? Comme je le disais tout à l'heure, et comme d'autres sénateurs l'ont déjà mentionné, le fait est que, dans une large mesure, nous, vous, les forces policières, les organismes, et cetera, nous dépendons tous des renseignements fournis par des personnes inconnues. Ces renseignements vous seraient transmis ou transmis à une autre force policière, et vous prendriez des mesures en fonction de cette information. Dans quelle mesure le public est-il conscient du fait que sa sécurité dépend de la volonté des citoyens de collaborer avec la police en lui transmettant tout renseignement qui lui semble pertinent pour que vous fassiez enquête? En d'autres termes, qu'est-ce que vous pourriez faire de plus pour sensibiliser le public, mais sans lui faire peur?

Il me semble que nous sommes dans une situation où, quoi que nous fassions, nous avons toujours tort. Quelqu'un nous dira un jour que vous auriez dû être plus alerte ou que nous aurions dû l'être. Quoi qu'il en soit, nous sommes tributaires de la possibilité que quelqu'un vous téléphone ou s'adresse directement à vous pour vous fournir des renseignements.

M. Irwin : Vos observations me semblent tout à fait exactes. Qu'on parle de terrorisme, qui se trouve à l'autre extrême de la gamme des activités criminelles, ou encore de crimes ou d'un manque d'ordre public au niveau local, comme cela peut arriver dans une collectivité donnée, la meilleure façon de combattre ces phénomènes et de faire intervenir toutes les ressources appropriées à tous les niveaux consiste, pour les citoyens, à nous en parler. Ces derniers doivent avoir la confiance et le courage nécessaires pour s'adresser directement à nous pour nous en parler. À cet égard, nous avons recours au modèle de la police communautaire; la surveillance policière axée sur le renseignement en fait partie. Par rapport soit au crime, soit au terrorisme, je pense que les membres de la communauté ont tendance à croire qu'ils sont isolés et ils se sentent désemparés. Quand ils s'adressent à nous, cela devient le problème de la police. Mais on ne pourra pas toujours prendre les devants par rapport à d'autres activités criminelles. Nous travaillons très fort. Il s'agit de partenaires qui sont sur un pied d'égalité avec nous et qui sont au cœur de notre action, mais nous souhaitons qu'éventuellement les communautés elles-mêmes prennent l'initiative.

Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites qu'ils nous aiment un jour et nous critiquent le lendemain, en disant que nous aurions dû faire davantage ou encore que nous sommes allés trop loin. Selon moi, il s'agit d'une conversation et d'un dialogue permanents qui s'inscrivent dans nos efforts de sensibilisation.

J'ai exactement le même problème avec les agents de police en première ligne. S'agissant du groupe des 18 de Toronto dont on parlait tout à l'heure, nous avions affecté des policiers de Toronto à la surveillance de certains lieux au centre de Toronto qui étaient visés par le groupe des 18. Ils ont appris que les lieux en question constituaient des cibles quand ils ont entendu parler des arrestations aux informations. Ces agents avaient tous l'impression qu'on s'était servi d'eux — dans les milieux policiers, on parle de « canaris bleus »; c'est comme le canari dans la mine. Les policiers ont été envoyés sur place pour s'assurer que tout allait bien et ils ont donné une contravention aux conducteurs des grands fourgons devant l'édifice du SCRS à Toronto, en les obligeant à déplacer leurs véhicules. Ensuite ils ont su par l'entremise des médias que cet édifice était une des cibles des terroristes qui allaient le faire sauter.

Bien sûr, ce n'est pas vrai. Je suis allé parler personnellement aux membres de chacune des équipes, qui étaient au nombre de cinq, pour les informer et leur expliquer qu'ils n'étaient pas des canaris bleus et que leur vie n'avait pas été en danger. Cette enquête était menée en collaboration avec nous et on nous avait informés qu'ils ne seraient pas en danger.

Voilà le genre de choses qu'on peut dire en privé aux membres de la communauté policière, mais il est difficile de faire passer ce message à la communauté tout entière tant que le processus judiciaire n'est pas terminé. Nous avons parlé de certaines affaires et vous avez posé des questions concernant des affaires précises. Je ne peux pas me prononcer sur les affaires qui sont encore devant la justice, mais il arrivera un moment où nous devrons vraiment dialoguer plus directement avec le public, pour que les citoyens aient confiance en nous et comprennent ce que nous avons fait, pourquoi nous l'avons fait, ou pour qu'ils nous disent pour quelles raisons notre approche n'était pas appropriée. Peut-être serions-nous à même de l'améliorer.

J'apprécie grandement le rôle que vous jouez au sein du système. Peut-être faut-il modifier nos lois et mieux connaître la perception du public. Les citoyens peuvent ne pas toujours aimer nos décisions, mais ce sont des décisions prises en toute connaissance de cause, et c'est cela l'élément le plus important de notre action.

Le président : Inspecteur, au nom des membres du comité, j'aimerais vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré aujourd'hui, sachant que vous accomplissez un travail très important, et nous vous remercions de nous avoir expliqué, avec une très grande franchise, les réalités que vous rencontrez sur le terrain. En fin de compte, quels que soient le contenu ou les dispositions de cette loi, ce sont des gens comme vous et ceux qui relèvent de vous qui sont sur la première ligne. Vous aurez compris que notre travail consiste à nous assurer que la loi est appropriée pour que vous possédiez les outils qui vous permettront de protéger à la fois la sécurité de nos citoyens et leurs libertés fondamentales, libertés que nous sommes tous résolus à défendre. Donc, merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants pour votre contribution.

Honorables sénateurs, nous avons maintenant le plaisir d'accueillir Kathy Vandergrift, présidente du conseil d'administration de la Coalition canadienne pour les droits des enfants, et Shelly Whitman, directrice adjointe, Centre for Foreign Policy Studies, Université Dalhousie, et directrice de l'Initiative Enfants soldats. La professeure Whitman est à Halifax et comparaît aujourd'hui par vidéoconférence.

Nous poursuivons cet après-midi notre étude du projet de loi S-7, Loi sur la lutte contre le terrorisme, qui a franchi l'étape de la deuxième lecture au Sénat du Canada, où il a été déposé le 8 mars. Le projet de loi S-7 compte une trentaine d'articles et vise à modifier le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information, et ce afin de mieux protéger les Canadiens contre les activités terroristes.

Sur une note administrative, permettez-moi de préciser que, si l'un ou l'autre de nos collègues décide de poser sa question en français, qu'il y ait ou non des écouteurs là où vous vous trouvez, professeure Whitman, vous devriez entendre automatiquement l'interprétation en anglais à partir du haut-parleur. Excusez-moi de ne pas avoir clairement expliqué cela lors de séances précédentes.

Madame Vandergrift, je crois savoir que vous avez un bref exposé liminaire. Je vous cède donc la parole, et ensuite nous passerons à Mme Whitman.

Kathy Vandergrift, présidente du conseil d'administration, Coalition canadienne pour les droits des enfants : Je voudrais vous remercier d'avoir pris le temps d'examiner les aspects du projet de loi qui concernent les jeunes. Mes témoignages s'appuient sur 10 ans de travail dans le domaine du développement international, qui m'ont permis de travailler à empêcher la participation des enfants aux conflits armés et à améliorer la réadaptation et la réintégration de jeunes qui établissent des relations avec des forces de combat de différents genres.

J'aimerais proposer trois moyens de renforcer ce projet de loi par rapport aux jeunes âgés de moins de 18 ans. Premièrement, il convient de faire une évaluation exhaustive de l'impact du projet de loi sur les droits des enfants avant de l'adopter.

Deuxièmement, il faut inclure des dispositions spécifiques relatives à l'application de cette loi aux personnes âgées de moins de 18 ans, conformément à la convention et aux normes reconnues en matière de justice pour les jeunes, lesquelles prévoient, dans la mesure du possible, des solutions de rechange par rapport à la judiciarisation et la détention seulement au dernier recours.

Troisièmement, je recommande l'élaboration d'une stratégie de prévention qui définit les causes profondes du recrutement des jeunes au Canada et qui s'y attaque directement.

Le tout devrait se fonder sur les Principes de Paris et les Lignes directrices sur les enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés ainsi que sur de bonnes pratiques concernant les enfants associés aux conflits armés. De telles stratégies mettront l'accent sur le dialogue positif avec les jeunes et la définition de solutions de rechange par rapport à leur association à des groupes armés.

D'abord, il faut une évaluation de l'impact sur les droits des enfants : en 2007, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a effectué, sur trois ans, une étude des droits des enfants au Canada. Ce dernier a conclu que les droits des enfants n'occupent pas « une place solide au sein des lois, des politiques ou de la conscience collective ». Une de ses recommandations concernait le recours à une évaluation de l'impact des politiques proposées relatives aux droits des enfants, afin que ces dernières soient conformes aux dispositions de la Convention et contribuent à respecter nos obligations.

Ma première recommandation est donc que le comité s'engage à effectuer une évaluation complète de l'impact du projet de loi sur les droits des enfants et à le faire déposer devant le comité, pour que vous, à titre de législateurs, puissiez avoir la certitude que vous agissez dans les intérêts supérieurs de tous les enfants et que vous remplissiez vos obligations aux termes de la Convention relative aux droits de l'enfant.

S'agissant du deuxième élément, les dispositions précises établiront les raisons pour lesquelles cela me semble important.

En plus de la Convention, le Canada a ratifié le Protocole facultatif concernant la participation d'enfants aux conflits armés et a été un chef de file dans le contexte de l'élaboration des Engagements de Paris en vue d'empêcher le recrutement illégal des enfants et leur utilisation par des forces armées ou des groupes armés, ainsi que les Principes de Paris et Directives sur les enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés. Ceci n'est qu'un bref résumé. Les deux instruments ont été adoptés en 2007.

Ces documents insistent sur la nécessité de traiter les enfants âgés de moins de 18 ans d'une manière qui convient à leur âge, soit différemment des adultes. Plus précisément, les Principes de Paris engagent le Canada à chercher des solutions de rechange par rapport à la judiciarisation, dans la mesure du possible; à considérer les jeunes personnes recrutées illégalement, d'abord et avant tout, comme les victimes des recruteurs; et à traiter les jeunes personnes conformément aux normes internationales en matière de justice pour les jeunes. Voilà qui exige un cadre de justice réparatrice et de réintégration sociale, la détention étant une mesure de dernier recours.

Je reconnais, comme cela a déjà été affirmé devant le comité, que les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents s'appliqueraient à une jeune personne après sa condamnation aux termes du projet de loi S-7. Il est important que des mesures adaptées à l'âge de l'intéressé soient employées avant la condamnation. Cela signifie qu'il faut former les membres des forces de sécurité pour que ces derniers sachent que les jeunes doivent être traités différemment des adultes, et cela n'est pas automatique. Je précise que, lors de l'étude de l'utilisation du pistolet électrique Taser, nous avons appris que les agents de police ne bénéficient pas de formation particulière relative à l'utilisation de la force auprès des jeunes et qu'ils avaient l'habitude de se servir des pistolets Taser contre des jeunes de 13 ans en appliquant les mêmes règles que celles qui s'appliquent aux adultes, même si l'impact est très différent. Ainsi les agents d'organismes policiers dont le mandat comprend le contre-terrorisme doivent être formés afin de savoir quelles méthodes conviennent lorsqu'ils ont affaire à des jeunes. Je suis d'avis que cela ne se produira que si la loi établit une distinction claire entre les adultes et les enfants et exige qu'on porte une attention toute particulière aux intérêts supérieurs des enfants quand on leur applique la loi.

J'attire votre attention sur deux dispositions précises où cela me semble important. La première concerne le recours à une longue période de détention à la preuve d'un projet de voyage à l'étranger en vue d'entretenir des relations de différents types avec des groupes terroristes. Les Principes de Paris insistent sur le fait que la détention doit être une mesure de dernier recours seulement, et non pas la première intervention retenue face à la preuve qu'il y a eu des activités de recrutement illégales. Une étude récemment menée en Australie documente les effets négatifs d'une période de détention même courte sur le sain développement des jeunes. D'autres formes d'intervention relatives à la protection des enfants correspondent aux intérêts supérieurs du jeune tout en répondant à nos préoccupations en matière de sécurité, et ce sont ces dernières qui doivent primer.

La deuxième concerne les enfants qui font l'objet d'une enquête d'investigation aux termes du projet de loi S-7 : la loi devrait prévoir que toute enquête d'investigation touchant des jeunes suive les directives établies, de même que les pratiques reconnues à l'égard des enfants qui témoignent devant un tribunal. Un élément essentiel dans ce contexte est la présence d'une personne dont le rôle consiste à veiller aux intérêts supérieurs de l'enfant concerné. Dans l'affaire Omar Khadr, la Cour suprême a conclu que le gouvernement canadien avait enfreint ses droits ainsi qu'un principe de justice fondamentale en interrogeant Omar Khadr sans qu'une personne ne soit présente afin de veiller aux intérêts de l'enfant.

Je recommande en conséquence que le comité propose d'apporter au projet de loi S-7 des modifications qui prendraient la forme de dispositions précises relatives à l'application des divers mécanismes aux personnes âgées de moins de 18 ans. Ainsi le projet de loi S-7 serait conforme à la Convention relative aux droits de l'enfant et à d'autres instruments juridiques internationaux dont le Canada est signataire.

Mon troisième argument porte sur des mesures de prévention efficaces. Si cette initiative vise à empêcher le recrutement des jeunes, je conseille au comité de recommander l'élaboration d'une stratégie complète s'appuyant sur les pratiques reconnues dans ce domaine. Comme le prévoient les Principes de Paris, une bonne prévention doit viser à définir les facteurs qui font que les jeunes peuvent être susceptibles d'être recrutés par des forces armées et s'y attaquer directement. J'ai remarqué que votre dernier témoin a insisté sur le fait que, en fin de compte, c'est la communauté qui doit être la force motrice des changements qui s'imposent — la véritable prévention commence au sein de la communauté.

Il existe peu de preuves permettant de démontrer que le fait de criminaliser les activités menant au recrutement des jeunes et de soumettre ces derniers à une surveillance policière intensive, afin de rassembler la preuve nécessaire pour déposer des accusations, réussira à convaincre les jeunes radicalisés à abandonner les éléments qui les ont attirés vers les groupes armés. Par contre, il existe de plus en plus de preuves selon lesquelles les programmes axés sur des principes solides de développement des enfants et des jeunes peuvent détourner les jeunes gens de ce genre d'activités.

Un élément important consiste à dialoguer avec les jeunes pour les sensibiliser à leurs droits et responsabilités, à renforcer la création de liens solides avec leurs communautés, au lieu de les isoler en leur infligeant le genre d'interrogations dont ils font l'objet lorsqu'ils sont soupçonnés de quelque chose; et aussi à leur présenter des solutions de rechange. Nous savons que les jeunes dont les droits n'ont pas été respectés d'une manière ou d'une autre sont plus susceptibles de s'associer à des groupes armés. Nous savons également que la peur et la méfiance des autorités policières constituent un autre facteur conduisant les jeunes à créer d'autres alliances. Des mesures proactives visant à éliminer de tels facteurs, à créer une culture où les droits sont respectés et à prêter une attention toute particulière aux groupes qui sont susceptibles de faire l'objet de tentatives de recrutement, se sont révélées efficaces. Elles sont également moins onéreuses que les procédures coûteuses qui sous-tendent les enquêtes policières et judiciaires qui seront nécessaires pour appliquer le projet de loi S-7.

Je conseille donc au comité de recommander l'élaboration d'une stratégie complète visant à empêcher le recrutement et la participation des jeunes aux groupes armés, stratégie qui s'appuierait sur les pratiques reconnues qui sont le résultat d'efforts internationaux en vue de mettre en œuvre de telles dispositions.

Le président : Madame Whitman, avez-vous un exposé liminaire?

Shelly Whitman, directrice, Initiative Enfants soldats, Université Dalhousie : Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant le comité. Une de mes responsabilités est celle de directrice de l'Initiative Enfants soldats, qui est un projet mondial visant à mettre fin au recrutement et à l'utilisation des enfants dans les groupes armés. C'est en m'appuyant sur cette expérience et cette optique particulière que je voudrais faire mes observations devant le comité.

Le problème le plus évident que me pose le projet de loi S-7 est le fait qu'il ne tient pas suffisamment compte de l'incidence qu'il peut avoir sur les jeunes Canadiens. Quand beaucoup de gens pensent aux enfants soldats ou à ceux qui sont associés à des groupes armés, ils supposent que ces enfants se trouvent dans un pays lointain ou qu'ils vivent dans des collectivités pauvres qui sont ravagées par les conflits armés et le chaos. Or il faut bien comprendre qu'il s'agit là d'un problème mondial qui touche également notre pays.

Le Canada exécute un programme de rétablissement mondial en vertu duquel, en 2009 seulement, nous avons rétabli des réfugiés ayant plus de 70 nationalités différentes. Malgré tout, nous n'avons pas voulu examiner ou aborder de manière adéquate la situation de réfugiés souvent issus de conflits armés et d'instabilité politique — en d'autres termes, le genre de situation qui produit souvent les conditions dans lesquelles on a recours aux enfants pour participer aux activités de groupes armés.

Il faut comprendre que bon nombre des réfugiés qui viennent au Canada ont peut-être connu l'expérience de ce qu'on pourrait appeler un enfant soldat et que les enfants de ces réfugiés peuvent également avoir des liens avec des pays qui recrutent des enfants pour les faire participer aux activités de groupes armés.

Comme Mme Vandergrift vous l'a signalé, les Principes de Paris de 2007 sont explicites concernant le fait qu'un enfant associé à des forces armées ou un groupe armé est une personne âgée de moins de 18 ans qui a été recrutée ou utilisée par des forces armées ou des groupes armés à n'importe quel titre y compris, sans être limités à ces exemples, à des enfants, garçons et filles, servant de combattants, de cuisiniers, de porteurs, de messagers, d'espions ou pour des raisons sexuelles. Donc, il ne s'agit pas uniquement d'enfants qui ont pris part directement aux hostilités. Vu cette définition, il est essentiel de comprendre que les enfants peuvent jouer toutes sortes de rôles différents qui favorisent, directement ou indirectement, l'action d'un groupe armé.

Je tiens à préciser, en termes très clairs, que la responsabilité de protéger les enfants contre ce genre d'exploitation incombe aux adultes, à la fois à l'étranger et au Canada. Ce sont les adultes qui commencent les guerres — non pas les enfants — et qui doivent donc assumer la responsabilité de l'exploitation et du recrutement illégaux des enfants. Cette responsabilité est explicitée dans plusieurs instruments juridiques internationaux dont le Canada est signataire, tel que le Protocole facultatif concernant la participation d'enfants aux conflits armés.

Les enfants sont considérés comme des participants désirables par de nombreux groupes armés et des bandes criminelles du monde entier parce qu'ils sont vulnérables, facilement manipulés, ne craignent souvent rien et ne comprennent pas les conséquences à long terme de leurs actes. Ils sont considérés comme étant des éléments bon marché et, facilement remplaçables, qui sont à la fois abondants et obéissants. Le projet de loi S-7 emploie spécifiquement le terme « infractions de terrorisme » alors que la Loi antiterroriste de 2007 définit le terme « activité terroriste » comme étant un acte commis au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique. Cette loi criminalise également le fait de participer et de contribuer aux activités d'un groupe terroriste, ou encore de faciliter de telles activités.

Il n'est pas nécessaire que la participation ou la contribution de l'individu corresponde à une infraction criminelle, si bien que cela peut comprendre le fait de recruter sciemment de nouveaux membres afin de renforcer la capacité du groupe terroriste à prêter assistance à d'autres terroristes ou à commettre des actes criminels. Cependant, il n'est pas clair dans quel contexte ou de quelle façon un groupe armé pourrait être classé comme groupe terroriste, étant donné que les objectifs dans les deux cas correspondent souvent à des actes qui sont commis pour des raisons politiques, religieuses ou idéologiques.

Au Canada, nous avons des rapports et des renseignements concernant les jeunes Canadiens, des jeunes nés au Canada qui ont des liens avec la Somalie et qui sont activement recrutés par Al Shabaab, un groupe armé bien connu en Somalie. Comme l'a déclaré un ancien combattant d'Al Shabaab qui habite Toronto, « Les éléments radicaux leur chuchotent à l'oreille : ``Tu ne réussiras jamais à obtenir un emploi dans ce pays. On ne veut pas de toi. C'est toi l'ennemi, alors soit un homme, affirme-toi et joins-toi au mouvement djihadiste.'' »

Il est également intéressant de noter que plus de 80 p. 100 des membres de la société somalienne au Canada — il s'agit d'un des groupes minoritaires africains les plus importants au Canada — ont moins de 30 ans. Bon nombre de jeunes Somaliens ont du mal à s'intégrer dans la société canadienne. Je vous renvoie à un récent projet mené par la Metropolis Conversation Series de 2012, intitulé « Integrating Young Canadians of Minority Backgrounds into Mainstream Canadian Society : The Case of Somali Youth. »

L'expérience de migration au Canada des jeunes Somaliens est complexe en raison de ce qu'ils perçoivent comme étant un double effet négatif, soit leur race et leur appartenance religieuse. Le fait que le Canada n'a pas assuré aux Somaliens de la première génération des services adéquats, y compris des services de santé mentale, au cours de la première période de leur acclimatisation a influé de façon négative sur leur intégration. En d'autres termes, notre incapacité à éliminer les défauts de notre système d'intégration sociale pour les réfugiés se manifeste par un problème qui peut donner lieu au recrutement et à l'exploitation de jeunes nés au Canada par des groupes armés et à leur participation à des activités terroristes à l'étranger.

Si la perception publique des jeunes Somaliens, et peut-être des membres d'autres groupes ethniques, est déjà contaminée, n'est-il pas possible que les nouveaux pouvoirs confiés à l'appareil de sécurité, par l'entremise du projet de loi S-7, puissent être mal interprétés, si bien que ces perceptions négatives soient renforcées, perpétuant ainsi le cycle de privation de droits et d'aliénation déjà établi, si bien que les tentatives de recrutement des groupes terroristes seront facilitées?

Nous savons également que la situation en Somalie est grave en ce qui concerne la piraterie maritime. De récentes études que nous avons menées ici à l'Université Dalhousie sur la piraterie maritime mondiale nous ont permis de constater que l'exploitation des enfants et des jeunes de cette façon est extrêmement préoccupante. La communauté internationale a négligé de s'intéresser à ce problème. Que font les marines du monde pour atténuer l'exploitation et la détention des jeunes pour des activités de piraterie maritime?

Il suffit de voir ce qui est arrivé à Guantanamo pour comprendre à quel point cela a permis de rallier les membres de groupes potentiellement marginalisés à la cause du radicalisme. Il faut que le Canada comprenne que le potentiel d'inclusion sociale est beaucoup plus puissant que la sécurisation et l'aliénation de groupes déjà marginalisés et vulnérables. Le projet de loi S-7 vise à empêcher les attentats terroristes, mais cela ne pourra se réaliser si nous nous attaquons aux causes profondes de leur sentiment d'être laissés pour compte, notamment dans un contexte où nous misons sur la mobilisation des jeunes. Il faut créer une identité positive qui passe par l'inclusion et les possibilités d'épanouissement.

Même si j'ai parlé plus particulièrement des jeunes Somaliens dans mes observations, je précise qu'il ne s'agit pas du seul groupe ayant le potentiel d'être radicalisé, recruté et exploité par des groupes armés ou terroristes au Canada. Le cas d'Omar Khadr a créé de multiples problèmes à la fois pour le gouvernement et pour lui-même. Le débat public sur son rôle de terroriste ou d'enfant soldat continue à le hanter.

Le projet de loi S-7 permettra-t-il de protéger les jeunes femmes ou jeunes hommes canadiens qui sont recrutés par leurs propres parents pour participer à un conflit armé, si on leur dit que cette participation constitue l'ultime sacrifice pour la défense de leur système de croyances? Je crains que non. Autrement dit, en l'absence de dispositions précises touchant les enfants et les jeunes et les obligations spécifiques du Canada, aux termes de la Convention relative aux droits de l'enfant et du Protocole facultatif, la situation sera encore moins claire à l'avenir, et au lieu d'obliger les adultes à assumer la responsabilité du recrutement et de l'exploitation des enfants, nous allons imposer aux enfants la responsabilité de guerres qui favorisent la cupidité des adultes.

Je suis d'accord pour dire qu'il faut voir le projet de loi S-7 dans l'optique des droits des enfants et y inclure des dispositions spécifiques qui portent sur les enfants. Il faut repenser l'objectif de ce projet de loi. Permettra-t-il d'empêcher l'exploitation des enfants et de protéger les Canadiens, ou aura-t-il plutôt un effet préjudiciable sur les deux?

Je vous remercie de m'avoir écoutée.

Le président : Merci, professeure. Je vais demander aux sénateurs et aux invités d'être aussi concis que possible dans leurs questions et réponses, pour que chacun ait l'occasion de participer à la discussion.

Le sénateur Joyal : Bienvenue au comité. Ma première question porte sur votre deuxième argument relatif aux enquêtes d'investigation. À la page 6, le projet de loi précise le contexte et les conditions dans lesquelles ces enquêtent peuvent se dérouler. Le paragraphe (11) se lit ainsi :

Toute personne a le droit de retenir les services d'un avocat et de lui donner des instructions en tout état de cause.

Ai-je bien compris que, selon vous, il ne suffit pas de protéger l'enfant; il faut que l'enfant puisse bénéficier de l'aide d'un avocat ou de quelqu'un qui peut lui prêter assistance tout au cours de la procédure? Êtes-vous en train de nous dire qu'à aucun moment au cours des procédures un jeune ne doit se trouver seul devant le juge et la personne responsable de l'enquête?

Mme Vandergrift : Si j'ai bien compris, ce serait pour un jeune qui demanderait à bénéficier des services d'un conseiller juridique. C'est son droit. Je voudrais simplement m'assurer que les audiences se déroulent conformément aux directives internationales touchant la participation des enfants aux instances judiciaires. De cette façon, le jeune a moins l'obligation de prendre l'initiative. Il appartiendrait plutôt au tribunal de prendre les mesures qui s'imposent.

J'ai eu l'occasion de dialoguer avec des jeunes qui n'ont pas toujours insisté sur le respect de leurs droits, et la police ne les informe pas toujours de leurs droits avant que les procédures ne soient déjà bien avancées. À mon avis, dès lors qu'il s'agit de personnes âgées de moins de 18 ans, il devrait incomber aux adultes de garantir que cela se produise. Je connais plusieurs jeunes qui ont été interrogés sans jamais demander la présence d'un avocat. Ils n'y pensent pas. J'estime que, pour ce genre d'interrogation en particulier, il faut absolument prévoir des protections plus solides.

Le sénateur Joyal : Dans un jugement de 2005, la Cour suprême a statué que les principes établis et très bien énoncés dans trois pages de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui correspondent au contenu de la Convention internationale, s'appliquent à tout jeune pris en charge par le système judiciaire, notamment quand il s'agit de poursuites au pénal. Bien que la Cour suprême se soit déjà prononcée sur la question et que cela corresponde à l'état actuel du droit, pensez-vous toujours que ces mesures ne soient pas suffisantes pour protéger les jeunes qui sont traduits en justice?

Mme Vandergrift : Il suffit de regarder ce qui est arrivé à Omar Khadr.

Le sénateur Joyal : C'était avant 2005.

Mme Vandergrift : Pour la question de l'interrogation, je n'en suis pas sûre. Des fonctionnaires canadiens étaient présents quand cela s'est produit. Au moment de son interrogatoire, personne dont le rôle consistait à protéger ses intérêts n'était présent.

Le sénateur Joyal : Donc, vous estimez que le système actuel n'est pas suffisamment sensible aux droits du jeune, même si la loi précise au paragraphe (11) que les agents de police ou n'importe quel autre intervenant du système judiciaire concernés par les enquêtes d'investigation doivent s'assurer que les principes inscrits dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents sont observés et respectés, notamment à la lumière du jugement de la Cour suprême.

Mme Vandergrift : Je me sentirais beaucoup plus à l'aise si on précise, dans le texte du projet de loi que, lorsque l'intéressé est âgé de moins de 18 ans, les directives internationales doivent être suivies devant les tribunaux. Cela concerne, non seulement la nécessité de lui fournir un avocat, mais aussi la façon dont le jeune est traité.

Il y a toute une série de directives. Je ne suis pas convaincue que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents soit aussi spécifique qu'elle devrait l'être. Je suis également très préoccupée — et cela est en rapport avec tout ce qui se passe avant même que le jeune se présente devant le tribunal — par la question de la formation que reçoivent les policiers, et la nécessité de leur expliquer clairement que, lorsqu'ils ont affaire à des jeunes, il faut leur accorder un traitement différent par rapport aux adultes. D'après notre expérience, ce n'est pas le cas pour toutes les forces policières à l'heure actuelle. Les policiers ne reçoivent pas nécessairement ce genre de formation, alors qu'il est particulièrement important de signaler les différences de traitement qui s'imposent, notamment quand il s'agit d'agents qui sont affectés à des activités antiterroristes.

Le sénateur Joyal : Je voudrais être plus précis. Je ne souhaite pas poser ma question de façon à vous mettre dans l'embarras, mais j'aimerais que vous m'énumériez les Principes de Paris qui ne font pas partie de ceux qui sont reconnus et inscrits dans les premiers articles de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. En d'autres termes, qu'est-ce qui manque dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents par rapport à ceux qui y sont déjà inscrits?

Mme Vandergrift : Afin de gagner du temps, je me demande si vous accepteriez que je vous fasse parvenir ma réponse par la suite. À vrai dire, ce qui m'inquiète, entre autres, c'est l'effet du projet de loi C-10 sur la partie 4. Je peux vous dire que le Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant demande également à obtenir une évaluation du projet de loi C-10. Certains membres du comité craignent qu'il modifie la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents de telle manière à ne plus être conforme à la Convention.

Le sénateur Joyal : Donc, c'est par rapport à cela. Cependant, ces modifications ont obtenu force de loi très récemment; il y a moins d'un mois environ. Elles n'ont pas encore été mises à l'épreuve par les tribunaux canadiens.

Mme Vandergrift : Non.

Le sénateur Joyal : Je comprends votre réaction concernant ces modifications, mais s'agissant des autres dispositions de la loi par rapport aux Principes de Paris, êtes-vous d'avis qu'il manque encore d'autres éléments?

Le président : Le témoin s'est engagé à nous faire parvenir d'autres détails, et nous nous efforcerons de les examiner avant de procéder à l'étude article par article du projet de loi.

Mme Vandergrift : Les Principes de Paris concernent ce qui se passe avant que des contacts s'établissent avec l'intéressé. Ils recommandent, dès lors qu'il s'agit de jeunes personnes qui pourraient être recrutées, de ne pas les faire passer par le système judiciaire. Quand nous effectuons ce genre de travail à l'échelle internationale, nous passons par la société civile, plutôt que par le système judiciaire, dans la majorité des cas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux témoins. Ma question s'adresse à Mme Vandergrift.

Vous avez dit plus tôt que les policiers devraient recevoir plus de formation parce qu'il y a autant d'adultes que d'enfants qui sont impliqués dans des actes de terrorisme. Lorsqu'un acte de terrorisme est commis, que ce soit par des enfants ou des adultes, c'est sûr que la vie de certaines personnes est en danger et les policiers doivent donc intervenir. Vous avez aussi mentionné le fait que des enfants-soldats peuvent être impliqués dans ces actes.

Je crois qu'il faut tout d'abord protéger les victimes. Je comprends qu'il y a des groupes de terroristes qui, pour des questions de stratégie, vont utiliser les enfants pour arriver à leurs fins. J'aimerais savoir quelle formation devrait recevoir les policiers, d'après vous? Un acte de terrorisme, qu'il soit commis par un jeune de 12 ou 15 ans, reste un acte de terrorisme.

[Traduction]

Mme Vandergrift : Il s'agirait peut-être simplement de s'appuyer sur ce qui se fait sur le plan international et d'appliquer ces mêmes méthodes ici au Canada. Nous avons appris beaucoup de choses au cours des 10 ou 15 dernières années, me semble-t-il, concernant la façon d'empêcher le recrutement de jeunes par des groupes armés à l'étranger. Selon moi, il faut appliquer ces enseignements ici au Canada, et en faire profiter à la fois nos forces de sécurité et nos groupes communautaires. J'ai ouvert un dialogue avec les responsables de la communauté somalienne ici à Ottawa afin de discuter avec eux de ce qu'ils pourraient faire pour stopper un phénomène qui s'est manifesté il y a déjà quelques années, c'est-à-dire le recrutement de jeunes qui sont incités à retourner en Somalie. C'est ce même genre de dialogue que nous avons entamé avec les intéressés dans le Nord de l'Ouganda — j'étais présente — et ailleurs également. Il s'agit d'apprendre à tendre la main aux jeunes afin de connaître les raisons pour lesquelles ils se sentent aliénés par rapport à leur communauté et, de cette façon et aider à empêcher leur recrutement. C'est un autre type de formation.

Nous avons organisé à Winnipeg une conférence à laquelle ont assisté des agents de la GRC qui partaient pour une affectation à l'étranger. Ceux d'entre nous qui travaillent avec les jeunes vont discuter avec eux de la façon dont les forces de sécurité et les organisations non gouvernementales pourraient mieux collaborer afin de répondre à cette préoccupation à l'échelle internationale. Peut-être faut-il que nous fassions la même chose au Canada. À mon avis, il faudra que la société civile joue un rôle beaucoup plus important si nous souhaitons connaître les raisons pour lesquelles les jeunes sont attirés par les groupes armés. À tout le moins, c'est un autre type de formation qui s'impose.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ce que vous dites, c'est que la société civile doit travailler en collaboration avec les forces policières afin d'éviter que ces gens soient recrutés par des organisations structurées. Ai-je bien compris?

[Traduction]

Mme Vandergrift : En effet. Le témoin qui m'a précédée représentait la Police de Toronto, et il a parlé des liens qu'il faut établir avec les membres de la communauté. Il a parlé du fait que les communautés fournissent des renseignements aux autorités. Ça c'est un élément, et la police a recours à la communauté pour cette raison-là, mais il faut plus que cela. À la fin, il disait que c'est la communauté qui devra jouer ce rôle. C'est à ce niveau-là qu'il faut déployer beaucoup plus d'efforts, à mon avis.

Le sénateur Peterson : Merci pour votre exposé. Le sénateur Dallaire, qui s'intéresse vivement à ces questions, n'a pas pu être présent aujourd'hui, et je vais donc poser des questions en son nom.

Madame Vandergrift, êtes-vous en mesure de nous dire, vous qui avez l'expérience des enfants soldats, dans quelle mesure la distinction est claire entre les terroristes et les enfants soldats en qui concerne la nature de leurs activités?

Mme Vandergrift : Comme l'expliquait l'inspecteur de police, la ligne de démarcation n'est pas toujours très claire quand des jeunes qui sont mêlés à des histoires de drogue et d'armes dans ces pays deviennent membres de groupes armés. Quand ces groupes armés sont désignés des groupes terroristes, même s'ils portent désormais cette étiquette, la nature de leurs activités n'est pas différente. Par exemple, j'ai beaucoup travaillé avec des jeunes qui ont été mêlés à des conflits dans le nord de l'Ouganda et en Colombie. Un jour il a été décidé de les considérer comme des groupes terroristes et, du jour au lendemain, on les appelait des terroristes.

Mais leur activité n'était guère différente de l'époque qui a précédé leur désignation comme terroristes. Donc, la ligne de démarcation n'est pas claire. D'ailleurs, je ne pense pas qu'il soit nécessairement utile de qualifier des jeunes de terroristes parce que, quand cela se produit, ils sont généralement traités avec moins de respect du fait d'être jeunes. Or, dans presque tous les cas, ils ont été forcés de se joindre aux groupes ou ils ont été recrutés. On ne tient pas compte de cette réalité-là. Quand nous les traitons de terroristes, on dirait qu'il n'y a plus de limites. C'est pour cela que bon nombre d'entre nous insistaient pour qu'Omar Khadr soit considéré comme un enfant soldat. Il a été enlevé de Toronto à l'âge de 11 ans. Mais il n'était pas terroriste à 11 ans.

Le sénateur Peterson : Madame Whitman, pensez-vous que le projet de loi S-7 tient suffisamment compte du Protocole facultatif concernant la participation d'enfants aux conflits armés?

Mme Whitman : Non, je ne crois pas. Je partage l'opinion de Mme Vandergrift à bien des égards à ce sujet. Je ne crois pas que le projet de loi tient suffisamment compte du Protocole facultatif. Un élément très important du Protocole facultatif est qu'il ne tient pas les enfants criminellement responsables de leur participation aux activités de groupes armés en raison de leur vulnérabilité et du fait qu'ils sont exploités par les groupes armés et — qu'on les considère comme des acteurs armés non étatiques, des groupes terroristes ou des personnes associées à des conflits armés — en fin de compte, leur jeunesse n'est pas leur responsabilité.

Comme nous le disons depuis tout à l'heure, je crains que, si nous visons la prévention, nous n'ayons pas suffisamment tenu compte des éléments essentiels en matière de prévention.

Le sénateur Peterson : J'ai une dernière question à poser. Le sénateur Dallaire est préoccupé par l'intersection entre le terrorisme et les enfants soldats. Nous ne voulons pas voir un autre cas comme celui d'Omar Khadr. Donc, premièrement, comment pourrions-nous dire que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents aura la préséance dans des cas liés au terrorisme? Deuxièmement, si on inflige aux jeunes contrevenants des peines applicables aux adultes, cela permettra-t-il une réadaptation suffisante? Troisièmement, est-il juste de dire, en parlant d'un jeune, « une fois terroriste, toujours terroriste »?

Le président : Cette question est-elle adressée aux deux témoins?

Le sénateur Peterson : Oui.

Mme Vandergrift : Comment peut-on prévenir un autre cas comme celui d'Omar Khadr? J'aurais aimé que quelqu'un fasse quelque chose quand il n'est pas revenu à l'école à l'âge de 11 ans; j'aurais aimé qu'on s'occupe de cette question-là. C'était un enfant canadien et, en l'occurrence, ses parents ne protégeaient pas ses droits. S'il avait été possible de faire quelque chose lorsqu'il a cessé de fréquenter l'école en tant qu'enfant canadien... Je ne suis pas sûre de ce qui aurait été possible, mais c'est à partir de ce moment-là que la situation a dérapé.

« Une fois terroriste, toujours terroriste » — je ne suis pas sûre de comprendre l'objet de cette question. Ayant travaillé avec des enfants qui ont été associés à des groupes armés, je peux vous dire que si vous réussissez à les remettre sur la bonne voie, ils deviennent souvent les jeunes chefs de file les plus énergiques de leur communauté. J'ai amené une jeune fille au comité des Nations Unies, lors de la session spéciale sur les enfants, et les délégués qui étaient présents n'arrivaient pas à croire qu'elle avait été associée à un groupe armé. Si on réussit à remettre ces jeunes sur la bonne voie, les qualités qui les rendaient utiles pour les groupes armés sont également celles qui en font d'excellents chefs de file communautaires.

Mais il faut leur tendre la main et nouer un véritable dialogue avec eux. Par contre, il ne faut pas les détenir dans une prison où ils vont sans doute être traités de la même manière qu'auparavant. Il faut respecter leur dignité et leurs droits, leur témoigner de l'amour et leur faire comprendre que vous vous préoccupez de leur situation et que vous désirez les intégrer dans la communauté. Voilà ce qu'il faut faire.

Ce projet de loi prévoit que, si un jeune se permet même de parler à haute voix de la possibilité d'aller quelque part, notre premier geste consistera à le mettre en prison pendant un an. Que je sache, il n'existe pas de centres de détention pour les jeunes à l'heure actuelle qui dispensent le genre de programmes que nous offrons aux enfants qui pourraient potentiellement être associés à des groupes armés. Je ne suis pas au courant d'un centre de détention au Canada qui offre ce genre de programmes ou d'activités. Et je ne suis pas convaincue que le fait de mettre un jeune en prison pendant un an va l'aider. Au contraire, cela pourrait avoir pour effet de le radicaliser davantage. Ai-je répondu à votre question?

Le président : Professeure Whitman, désirez-vous ajouter quelque chose?

Mme Whitman : Avec plaisir. J'aimerais ajouter un élément clé concernant Omar Khadr, à savoir qu'il existe une série de normes que nous suivons en vue de favoriser la réintégration des enfants et de les empêcher de devenir membres de groupes armés dans d'autres régions du monde. Dans ce cas particulier, nous avons adopté une approche différente. Nous l'avons qualifié de terroriste, et c'est justement l'un des problèmes qui a été évoqué quant à savoir pourquoi on l'aurait traité différemment d'un enfant soldat ou d'un ex-enfant soldat vivant au Canada qui vient du Nord de l'Ouganda, du Sierra Leone, de Colombie ou d'un autre pays. Le fait de coller ce genre d'étiquette aux enfants leur fait énormément de tort.

Deuxièmement, il est tout à fait vrai, selon moi, de dire qu'il est possible de trouver des façons de réadapter et d'aider d'anciens soldats enfants ou simplement des enfants qui ont été exploités pour la perpétration d'actes terroristes. L'approche que nous adoptons par rapport au problème à long terme, comme celui de l'intégration, est bien importante. Nous collaborons avec un groupe qui s'appelle le « Network of Young People Affected by War », qui est un groupe d'anciens enfants soldats qui se sont rassemblés. Il s'agit de jeunes hommes et femmes remarquables qui ont été exploités dans différentes régions du monde, qu'on les qualifie de terroristes ou d'enfants soldats.

Ce qui est essentiel, c'est qu'ils ont pu bénéficier de mesures de soutien, si bien qu'ils ont réussi à s'intégrer dans différentes sociétés. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de défis à relever tous les jours; bien au contraire, mais il est très important que nous prenions les moyens nécessaires pour nous attaquer à ce problème.

À mon avis, c'est justement pour cette raison que le projet de loi S-7 doit faire l'objet d'une analyse approfondie par un groupe de personnes qui ont à cœur la protection des droits des enfants. Ce n'est pas quelque chose d'inhabituel. Je sais que telle a été la pratique de la Cour pénale internationale pour de récentes affaires, notamment pour la condamnation de Thomas Lubanga, trouvé coupable d'avoir exploité des enfants soldats dans la République démocratique du Congo. Le strict minimum serait que le Canada s'assure de faire cela.

Enfin, je voudrais revenir sur d'autres éléments qui sont liés à cette question. S'agissant de la formation de la police dans ce domaine, il ne suffit pas d'adopter une loi si vous n'allez pas établir les mécanismes nécessaires pour la formation ou la préparation des intervenants de la police et du système judiciaire par rapport à ces questions. C'est ce que nous avons observé dans le monde entier. Une partie de notre travail consiste à former des policiers et des militaires dans toutes les régions du monde, de même que nos propres agents de la GRC. Aussi bien formés soient-ils, ils ne savent absolument rien des différents problèmes qu'ils peuvent rencontrer quand ils ont affaire à des enfants participant à des conflits armés dans le monde. Selon moi, ils ne savent absolument rien des problèmes qui sous-tendent la situation d'enfants qui vivent sur notre propre territoire, en ce qui concerne leur participation aux activités de ces différents groupes armés.

Quand je dis « qu'ils ne savent rien », je ne veux pas dire qu'ils ne sont pas au courant de l'existence de cette problématique. Je parle plutôt des aspects uniques ou particuliers dont il faut tenir compte quand on a à l'esprit la nécessité de protéger les droits des enfants; il est important de les examiner. Si nous prenions des mesures pour nous attaquer à ces problèmes, à mon avis, nous réussirions peut-être à empêcher un autre cas comme celui d'Omar Khadr; il s'agit de sensibiliser les gens à cette problématique et de les aider à comprendre les multiples dimensions qui y contribuent.

Le sénateur Day : Je vous remercie toutes les deux pour vos observations. Vous nous avez beaucoup donné à réfléchir. Je sais que le sénateur Peterson a mentionné le sénateur Dallaire, qui a réalisé énormément de travail sur la question des enfants soldats. Il a prononcé des allocutions à ce sujet à de nombreuses reprises. Malheureusement, l'un des autres domaines de spécialisation pour lui concerne les blessures de stress opérationnel, si bien qu'on l'a invité à prononcer un discours devant la American Psychiatric Association aux États-Unis. Sinon, je sais qu'il serait là à poser des questions percutantes, comme celles qu'a posées le sénateur Peterson.

Je m'interroge sur la question du seuil de 18 ans. Si je ne m'abuse, c'est Mme Whitman qui a évoqué la définition d'un enfant soldat qui avait été recruté mais n'avait pas nécessairement participé aux activités. Cela fait-il partie du protocole international dont le Canada est signataire?

Mme Whitman : La définition que je vous ai fournie est issue des Principes de Paris de 2007, qui correspondent à une série de directives internationales auxquelles adhère effectivement le Canada. Je tiens à préciser que le Protocole facultatif concernant la participation d'enfants aux conflits armés, qui accompagne la Convention relative aux droits de l'enfant, indique qu'il ne faut pas avoir recours aux enfants comme combattants de première ligne tant qu'ils n'ont pas atteint l'âge de 18 ans. Entre l'âge de 16 et 18 ans, ils peuvent décider de leur propre chef — à condition d'avoir le consentement écrit de leur tuteur — de devenir membre d'un groupe armé, mais on ne peut pas avoir recours à eux comme combattants de première ligne.

Il existe une lacune en droit international par rapport à cette question, en ce sens que certains demandent que l'âge soit fixé à 18 ans de façon générale, de sorte qu'il n'y aurait pas la possibilité d'association à des groupes armés entre l'âge de 16 et de 18 ans. Voilà donc où nous en sommes à l'heure actuelle sur le plan international en ce qui concerne cette question précise.

Mme Vandergrift : Aux termes du Protocole facultatif, on interdit la participation d'une personne âgée de moins de 18 ans à un conflit armé, et le Canada y a adhéré. Chaque État établit sa propre position relative à l'entrée volontaire dans les forces armées, et le Canada a décidé de permettre aux jeunes — âgés de 16 et de 17 ans — de s'engager volontairement dans les forces armées, à condition d'avoir la permission de leurs parents. Par contre, le projet de loi prévoit qu'un jeune âgé de moins de 18 ans ne peut se joindre à un groupe armé. Cela dénote donc un manque d'uniformité, et bon nombre d'entre nous auraient souhaité que l'âge soit fixé à 18 ans pour tout.

Le sénateur Day : De nombreuses personnes — je songe en particulier au Collège militaire royal — entrent dans l'armée régulière à plein temps alors qu'elles n'ont pas atteint l'âge de 18 ans et, autant que je sache, elles n'auraient pas été tenues d'obtenir la permission de leurs parents; mais peut-être est-ce une condition maintenant aux termes de ce protocole?

Mme Vandergrift : Nous suivons l'application du Protocole facultatif, et nous nous interrogeons justement sur ce en quoi consiste le consentement éclairé d'un jeune âgé de 16 ou de 17 ans au Canada. Il reste que, d'après ce qu'on nous dit, la signature des parents est une condition sine qua non. S'ils ont 16 ou 17 ans et ont obtenu le consentement des parents, en temps normal, ils vont suivre des cours jusqu'à l'âge de 18 ans, si bien qu'ils ne seront pas déployés avant d'avoir 18 ans.

Le sénateur Day : Monsieur le président, mon autre question porte sur le rôle qui nous incombe par rapport à ce projet de loi.

Nous pouvons toujours analyser un projet de loi du point de vue de ce qui a été fait lors de la rédaction du texte par le ministère de la Justice, conformément à notre rôle de surveillance, et le fait est que nous posons souvent des questions concernant la possibilité ou non que le projet de loi soit analysé par les juristes, au moment de la rédaction, afin de s'assurer que les dispositions proposées ne seraient pas contraires à la Charte des droits et libertés. De même, nous avons un autre sénateur qui pose régulièrement la question concernant l'analyse sexospécifique et dans quelle mesure le projet de loi en question a été examiné dans cette optique. Voilà donc un élément.

J'aimerais que vous en parliez, madame Vandergrift, parce que vous avez mentionné l'évaluation de l'impact sur les droits des enfants. Existe-t-il un protocole que nous, en tant que contrôleurs de projet de loi, pouvons facilement suivre, pour nous assurer que certaines mesures ont été prises relativement au mécanisme de l'évaluation de l'impact sur les droits des enfants?

Mme Vandergrift : Je recommande que vous demandiez une analyse complète du projet de loi du point de vue de son incidence sur les droits des enfants, et si je parle d'une analyse « complète », c'est parce que je crois savoir, dans le cas du projet de loi C-10, que le ministre de la Justice aurait dit qu'une vérification a été effectuée et que ce dernier était conforme à la convention. J'ai l'impression qu'il s'agit pour le ministère de la Justice de faire un examen cursif du projet de loi afin de s'assurer qu'il n'enfreint pas directement les dispositions de cet instrument. Or, c'est différent que de dire en quoi les mesures proposées favorisent la capacité du Canada de respecter ses obligations aux termes de la convention.

J'ose espérer également qu'on peut compter sur la transparence du gouvernement et que l'évaluation en question sera déposée, si elle a effectivement été réalisée. Dans le cas du projet de loi C-10, le Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant la demande parce qu'il a des questions concernant son degré de conformité.

Donc, quand je parle d'une évaluation de l'impact, j'entends par là une analyse approfondie du projet de loi du point de vue du respect des obligations qu'a acceptées le Canada. Il s'agirait en conséquence d'examiner le Protocole facultatif et les Principes de Paris et de se demander dans quelle mesure le projet de loi qui est proposé favorisera le respect des engagements que nous avons pris à l'échelle internationale.

Le sénateur Day : Savez-vous s'il existe une liste d'éléments qui font l'objet d'une vérification par rapport à ce projet de loi en particulier?

Mme Vandergrift : Non, je ne sais pas ce qui est fait. C'est un sujet de discussion entre la Coalition et le gouvernement; en fait, nous espérons parrainer un atelier de deux jours au printemps sur le mécanisme de l'évaluation de l'impact sur les droits des enfants pour nous permettre de dialoguer avec les fonctionnaires sur les éléments d'une bonne évaluation de ce genre.

Le sénateur Day : Madame Whitman, de l'Université Dalhousie, avez-vous quelque chose à ajouter sur ce point?

Mme Whitman : Non, je voulais simplement vous faire savoir que je suis tout à fait d'accord avec elle. Il est important que le projet de loi fasse l'objet d'une évaluation complète par rapport à son impact dans ce domaine. Si une coalition de personnes expérimentées avait la possibilité de donner leur avis sur la question, il serait certainement possible de grandement améliorer le projet de loi.

Le sénateur Day : Madame Whitman, êtes-vous d'avis que les rédacteurs de ce projet de loi n'ont pas fait une telle évaluation?

Mme Whitman : On n'a vraiment pas l'impression que cela a été fait. Si je vous dis cela, c'est parce que, lorsqu'on lit le projet de loi, il est clair, pour quiconque travaille dans le domaine de la protection des enfants et des jeunes, qu'il n'y a aucune mention de bon nombre d'éléments liés aux droits des enfants qui seraient évidents pour les personnes qui travaillent dans ce domaine. Si une telle analyse a été réalisée, je doute fort qu'il se soit agi d'une analyse approfondie, comme Mme Vandergrift vient de le dire.

Le sénateur Day : Je vous remercie.

Le sénateur D. Smith : Ma question s'adresse surtout à Mme Whitman, mais j'invite également Mme Vandergrift à répondre si elle le désire, surtout en raison de son expérience en Somalie; elle concerne, pas tellement la question de l'âge, mais plutôt la mesure dans laquelle on pourrait avoir recours à ce projet de loi lorsqu'il existe une différence de motivation — c'est-à-dire, quand l'acte est commis pour avancer la cause du terrorisme ou pour des raisons de fanatisme religieux ou idéologique, par rapport à une motivation criminelle pure et simple. J'ai soulevé la question à l'avant-dernière réunion, et elle donne lieu à différentes opinions juridiques; à cette occasion-là, j'ai cité deux exemples potentiels.

J'ai demandé s'il serait possible d'y avoir recours pour empêcher quelqu'un se trouvant à Windsor d'aller à Detroit pour dévaliser une banque en mettant cette personne en détention. Je doute que ce soit possible. Il y aurait peut-être d'autres moyens. L'autre exemple que j'ai donné concernait une personne qui irait en Somalie, non pas pour adhérer à l'un des groupes idéologiques qui se battent, tirent sur des gens et pratiquement le djihad autour de Mogadishu, mais plutôt pour s'installer en Somaliland où se déroulent la plupart des actes de piratage; en d'autres termes, elle ferait ça, non pas pour des raisons religieuses, mais pour l'argent, poussée par une motivation criminelle pure et simple, car certaines personnes pensent pouvoir gagner de l'argent de cette façon.

Vous semblez vous être intéressée tout particulièrement aux jeunes en Somalie. Peut-être pourriez-vous me dire, dans la mesure où vous êtes au courant — et sachez que je ne demande certainement pas de noms — s'il y a eu des exemples de jeunes Canadiens qui y sont retournés. Si c'est le cas, avez-vous une idée du pourcentage de ceux qui y vont pour gagner de l'argent grâce au piratage, par opposition à ceux qui sont motivés par leur fanatisme religieux et qui vont peut-être mener le djihad et participer au combat entre les différents groupes dans la zone de Mogadishu? Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet?

Mme Whitman : Oui, tout à fait.

Le sénateur D. Smith : Ce n'est pas une situation qu'on peut vraiment qualifier de noir et blanc. Elle est plutôt grise, avec différents tons de gris, par opposition au noir et blanc.

Mme Whitman : S'agissant de cette tendance, il y a effectivement plusieurs tons de gris. L'un des problèmes clés concerne le fait que je voudrais pouvoir vous donner des chiffres exacts; mais, comme c'est le cas pour beaucoup de conflits qui se déroulent dans le monde, obtenir des chiffres exacts concernant le nombre de jeunes qui participent aux activités de groupes armés, qu'il s'agisse de groupes terroristes ou de bandes criminelles, est extrêmement difficile. Les gens ne tiennent pas un compte précis de ce genre de choses, pour de bonnes raisons, n'est-ce pas? Les gens ne veulent pas qu'il y ait de traces écrites de ce genre d'information. De plus, si vous admettez que vous le faites, vous admettez aussi en quelque sorte que vous enfreignez un instrument juridique international en toute connaissance de cause.

Donc, je ne peux pas vous donner de chiffres, mais je peux vous dire que la distinction entre la criminalité, comme la piraterie, et le terrorisme — par exemple, au sein de groupes comme Al Shabaab — est de moins en moins claire. Nous constatons à présent que les pirates ont recours à certaines tactiques qui sont de toute évidence des méthodes qu'ils ont apprises par l'entremise d'Al Shabaab.

Nous savons que certains jeunes qui sont en prison dans cette région du monde, notamment dans la région de Puntland et de Somaliland, ont dit aux responsables du Bureau du Représentant spécial du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés qu'ils ont abandonné Al Shabaab pour travailler avec des groupes de pirates et, d'après les informations que nous possédons, il est très difficile de connaître la différence entre les deux. Une bonne partie des renseignements que nous avons rassemblés laissent entendre que les liens entre les deux ne sont pas aussi solides qu'on pourrait le croire, mais nous savons également que, dans un contexte de conflit armé, il y a de l'argent qui circule. Donc, que vous soyez membre d'Al Shabaab ou de cette bande de pirates, il est de plus en plus possible qu'il y ait une interaction entre les deux à un moment donné, parce que ceux qui commettent les actes de piratage gagnent beaucoup d'argent grâce à cela.

Je voudrais également vous faire savoir que, en plus des jeunes gens qui sont exploités dans ce contexte-là, nous savons également qu'il y a des financiers ici au Canada et aux États-Unis qui financent l'activité des pirates. Quel est le rapport avec ce projet de loi? Une question que je voudrais justement approfondir concerne la possibilité que ce projet de loi puisse, lui aussi, contribuer à élaborer une approche internationale permettant de mettre fin aux attaques des pirates.

Mme Vandergrift : J'insiste, moi aussi, sur le fait que la distinction est difficile à établir. C'est une mouvance où l'on observe la présence de motivations différentes, et aussi une sorte de chassé-croisé, et c'est l'une des raisons pour lesquelles il faut, selon moi, une approche différente par rapport à celle qui consiste à mettre quelqu'un en prison.

Le sénateur D. Smith : Je dirais que cette question est tout à fait pertinente par rapport à la possibilité de recourir au projet de loi pour mettre quelqu'un en prison, si vous n'avez pas d'assez bons éléments de preuve correspondant aux critères établis.

Le président : Si vous n'avez plus de questions, j'aimerais remercier nos deux témoins expertes pour le temps qu'elles ont consacré au travail du comité, pour la clarté et la précision de leurs exposés liminaires et pour leurs réponses à la fois robustes et constructives aux questions détaillées de nos collègues du comité. Leurs témoignages nous seront d'une très grande utilité au fur et à mesure de notre analyse du projet de loi.

Comme le savent nos témoins, quelle que soit la décision de la Chambre haute, le projet de loi sera ensuite renvoyé à la Chambre des communes pour discussion. J'ose donc espérer que les questions qui ont été soulevées ici donneront à réfléchir non seulement aux membres du comité, mais aussi à nos collègues de l'autre endroit.

Merci beaucoup à vous deux.

(La séance est levée.)


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