Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme
Fascicule 4 - Témoignages du 28 mai 2012
OTTAWA, le lundi 28 mai 2012
Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 13 h 15, pour étudier le projet de loi S-9, Loi modifiant le Code criminel.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, il s'agit de la septième réunion du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme tenue pendant la première session de la 41e législature du Canada.
Aujourd'hui, nous avons l'honneur d'accueillir l'honorable Robert Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada. M. Nicholson est accompagné par Mme Catherine Kane, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, et par M. Greg Koster, avocat.
Aujourd'hui, nous commençons notre étude du projet de loi S-9, Loi sur le terrorisme nucléaire. C'est un document de dix articles qui vise à ajouter quatre infractions à la partie 2 du Code criminel, laquelle traite des infractions contre l'ordre public. Ces quatre infractions visent des activités liées à des matières ou à des engins nucléaires ou radioactifs. Le projet de loi a été déposé au Sénat du Canada le 27 mars et nous en commençons l'étude aujourd'hui pour la première fois.
Le ministre, qui a d'autres obligations cet après-midi avec la période des questions dans l'autre endroit, restera avec nous jusqu'à 13 h 45. Mme Kane et M. Koster pourront ensuite répondre aux questions que le ministre n'aura pas eu le temps d'examiner.
Monsieur le ministre, nous vous accueillons chaleureusement et vous demandons de bien vouloir nous présenter le projet de loi.
Robert Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, Ministère de la Justice Canada : Merci beaucoup monsieur le président.
[Traduction]
Je témoigne pour vous parler du projet de loi S-9, qui porte sur le terrorisme nucléaire.
En mars 2012, des chefs d'État du monde entier, y compris notre premier ministre, se sont réunis à Séoul, en République de Corée, et ont déclaré ce qui suit :
Le terrorisme nucléaire constitue encore une des pires menaces à la sécurité internationale.
Notre gouvernement est on ne peut plus d'accord avec cette déclaration. Voilà pourquoi nous avons pris des mesures concrètes sous la forme du projet de loi S-9 afin de renforcer la manière dont le droit pénal du Canada traite des actes relatifs au terrorisme nucléaire. Pour être précis, ce projet de loi modifierait le Code criminel afin de mettre en œuvre les exigences en matière de droit pénal découlant de deux traités internationaux portant sur l'antiterrorisme : la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, modifiée en 2005, et la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, signée en 2005.
Le projet de loi crée dans le Code criminel de nouvelles infractions au chapitre du terrorisme nucléaire. La première figure à l'article 82.3, qui traite en fait de deux infractions.
Cette nouvelle disposition ferait une infraction de la possession, de l'utilisation, du transfert, de l'exportation, de l'importation, de la modification ou de l'élimination d'une matière nucléaire ou radioactive ou d'un engin dans l'intention de causer la mort, une lésion corporelle grave ou un dommage substantiel à une propriété ou à l'environnement.
L'article 82.3 criminaliserait également le fait de poser un acte contre une installation nucléaire ou d'agir de manière à perturber sérieusement les activités de cette dernière dans l'intention de causer la mort, une lésion corporelle grave ou un dommage substantiel à une propriété ou à l'environnement.
Les personnes reconnues coupables en vertu de cet article sont passibles d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
La deuxième infraction figure à l'article 82.4. L'amendement criminaliserait tout d'abord l'utilisation ou la modification d'une matière nucléaire ou radioactive ou d'un engin afin de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque.
La disposition criminaliserait également le fait de commettre un acte contre une installation nucléaire ou un acte perturbant gravement ou paralysant son fonctionnement, ici encore dans le but de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque.
Toute personne déclarée coupable de ces infractions serait passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
En outre, l'article 82.5 proposé ferait une infraction de la commission d'un acte criminel en vue d'obtenir une matière nucléaire ou radioactive ou un engin ou d'obtenir l'accès à une installation nucléaire.
Toute personne déclarée coupable de ces infractions s'exposerait à une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité.
Le traité dont j'ai parlé il y a quelques instants exige expressément que les États signataires criminalisent le vol de matières nucléaires ou le recours à la violence pour obtenir de telles matières. Plutôt que de dresser une liste interminable de nouvelles infractions dans le Code criminel, l'article 82.5 que l'on propose d'ajouter repose sur une approche générale afin d'englober ce que le Canada considère comme l'objectif de ces parties du traité, soit celles portant sur les situations où des gens commettent des crimes pour faire main basse sur des matières nucléaires ou radioactives.
Enfin, le projet de loi S-9 prévoirait une infraction précise afin d'interdire le fait de menacer de commettre l'une des infractions qu'il prévoit. Les deux traités dont j'ai parlé exigent que les États signataires criminalisent le fait de menacer de commettre une infraction figurant dans ces traités. La peine maximale pour cette infraction est de 14 ans d'emprisonnement.
Les quatre infractions que je viens de décrire constituent le fondement du projet de loi S-9. J'aimerais maintenant discuter avec vous de la question des compétences concernant ces nouvelles dispositions.
Le comité sait probablement que les traités internationaux de cette nature indiquent souvent que les États doivent exercer le pouvoir judiciaire à l'extérieur de leur territoire, ce qui veut dire, en jargon juridique, qu'il faut accorder aux tribunaux canadiens le pouvoir d'intenter des poursuites pour les infractions commises à l'extérieur du Canada dans certaines situations.
C'est exactement ce que ferait l'article 3 à cet égard.
De plus, comme vous le savez, ce sont les provinces qui intentent des poursuites pour la majorité des infractions figurant dans le Code criminel. Cependant, comme c'est le cas pour les infractions que prévoit actuellement le Code criminel au chapitre du terrorisme, le projet de loi accorderait au procureur général du Canada les pouvoirs concomitants d'engager des poursuites pour ces infractions.
Je voudrais enfin formuler une brève remarque sur le contexte dans lequel ces réformes s'appliqueraient au pays. Tout d'abord, les matières et les installations nucléaires sont fortement réglementées au Canada, et les mesures de protection physique envisagées dans les modifications relatives aux traités y sont déjà en place. En outre, les infractions que prévoit le projet de loi S-9 et les exigences et intentions précises sont formulées de manière à ce qu'il soit clair que les activités nucléaires légitimes ne sont pas visées. Par exemple, ne constituent pas des infractions les procédures médicales licites, comme la radiation, l'échange légitime de matière ou d'engin, ou toute autre activité licite au sein de l'industrie nucléaire.
En conclusion, sachez, mesdames et messieurs, que la mise en œuvre et la ratification des ces traités sur l'antiterrorisme, par l'entremise du projet de loi S-9, indiquent clairement à nos alliés et partenaires de tous les pays du monde que le Canada prend la sécurité nucléaire avec grand sérieux et que la collaboration internationale donne indubitablement des résultats favorables.
Il s'agit d'un projet de loi équilibré et ciblé, qui arrive à point nommé. Il mérite, selon moi, l'appui du comité. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Ma première question portera sur l'article 9, qui concerne l'article 607 du Code criminel au sujet de la non-application de la règle de risque antérieur dans certaines situations en vertu des dispositions de la mesure que nous examinons présentement.
Est-ce que vous ou vos employés pourraient nous aider à comprendre explicitement pourquoi, aux termes du présent projet de loi, nous avons décidé de suspendre la règle de double incrimination dans les cas où un tribunal ou les dispositions de détermination de la peine d'un pays étranger n'en fournissent pas le contexte général? Est-ce en raison de la compétence des tribunaux étrangers ou de la gravité des crimes anticipés dans le projet de loi? Je crois que nous aurions tous intérêt à recevoir des conseils ou des avis techniques à ce sujet.
Greg Koster, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : L'article 9 est ce que l'on appelle une modification corrélative, et elle est là parce que vous verrez que le paragraphe 3.1 est le seul passage de la disposition à être souligné. Comme on a proposé de modifier l'article 7 du Code criminel, il a fallu revoir la numérotation. Ainsi, la modification prévue à l'article 9 ne sert qu'à cette fin.
Le président : En clair, la disposition en change en rien la règle de double incrimination, qui pourrait autrement être incluse?
M. Koster : Il ne s'agit pas d'un changement de fond apporté à la loi, mais d'une modification corrélative à la numérotation.
Le président : La règle — dans la mesure dans laquelle elle existe dans le Code criminel — reste la même après révision de la numérotation?
M. Koster : En effet.
Le président : Ma deuxième question concerne le fondement probatoire que, selon vous, les procureurs de la Couronne pourraient devoir traiter, comme dans le présent exemple. Si j'étais membre d'un groupe environnementaliste, je serais favorable à l'énergie nucléaire, mais un de ces groupes s'oppose à ce type d'énergie. Ce groupe décide de tenir une manifestation à l'extérieur d'une centrale nucléaire et d'en interdire l'accès aux travailleurs, dont certains y assurent la sécurité, selon le cas, et les manœuvres d'exploitation. Le groupe environnementaliste décide donc de les empêcher d'accéder à la centrale pendant un certain temps. Qu'il dispose ou non d'un permis provincial l'autorisant à tenir cette manifestation, il décide de manifester. Se pourrait-il que ce genre d'activité, qui, à la limite, pourrait être interprétée comme une mesure empêchant des employés chargés de la sécurité de faire leur travail dans une centrale nucléaire du Canada, soit couverte par le présent projet de loi, ou est-ce que le fondement probatoire relatif à l'intention est expliqué avec tant de précision que nous n'aurions pas à craindre une telle perversion de l'intention du projet de loi?
M. Koster : Je crois qu'il est question ici de l'infraction figurant à l'article 82.4, qui concerne l'acte de contraindre. L'intention, très précise et subjective, consiste à contraindre un gouvernement, une personne ou une organisation à faire ou à ne pas faire quelque chose. Il existe aussi, dans la définition d'activité terroriste, une exception générale pour les manifestations légales. Ainsi, globalement, l'article 82.4 et les infractions connexes prévues dans le présent projet de loi ciblent les activités terroristes et non les manifestations légales.
Le président : Vous jugez donc que la distinction entre une manifestation légale et une activité terroriste est suffisamment claire pour qu'il n'y ait pas de confusion dans l'avenir concernant le pouvoir de poursuite discrétionnaire en vertu des dispositions du projet de loi dans le cas d'une manifestation normale et légale?
M. Koster : Sans pouvoir me prononcer sur la nature du pouvoir de poursuite discrétionnaire, je peux toutefois dire que les dispositions visent à exclure les activités légitimes et dons les manifestations légales.
Le sénateur Tkachuk : Dans le cas d'une manifestation qui empêcherait les employés d'assurer la sécurité et l'entretien d'une centrale, les procureurs pourraient-ils décider d'intenter des poursuites en vertu du projet de loi contre les manifestants parce qu'ils menacent la sécurité de l'installation?
M. Nicholson : Tout dépend des faits en l'espèce. Nous n'entrons pas dans les situations hypothétiques, mais je crois que le projet de loi indique clairement quelles sont les activités qui sont interdites.
Le président : Monsieur le ministre, je veux vous demander comment la mesure législative agit en interaction avec les dispositions de ce qui était, je crois, le projet de loi C-10, concernant les mesures de protection prévues expressément pour les Canadiens qui pourraient être victimes d'actes terroristes à l'étranger afin qu'ils disposent de droit de procédure s'ils subissent des dommages. Le comité a examiné ce projet de loi il y a quelque temps et constaté qu'il contient un élément d'extraterritorialité, lequel préoccupait fortement les témoins du ministère des Affaires étrangères que nous avons entendus à l'époque. Comme vous vous en souviendrez peut-être, des versions antérieures du projet de loi contenaient une liste précise de pays qui pourraient faire l'objet de poursuite parce qu'on avait jugé qu'ils appuyaient des activités terroristes.
Je suppose que vous et votre personnel considérez que le présent projet de loi et ses dispositions ne présentent aucun problème sur le plan de l'extraterritorialité concernant les poursuites qui pourraient être intentées au sujet des activités pouvant avoir lieu à l'étranger, mais constituant une infraction en vertu du Code criminel canadien modifié aux termes de la mesure législative.
M. Nicholson : Le présent projet de loi cadre parfaitement avec les deux traités dont j'ai parlé. L'un de ces traités internationaux a été signé par au moins 50 États et l'autre, par environ 68 pays. Nous sommes en train d'établir un consensus parmi des pays qui, dans un esprit commun, s'inquiètent des attaques pouvant viser des installations nucléaires ou de l'utilisation de matière nucléaire à des fins criminelles, ou des menaces à cet effet. Or, le projet de loi vise cet aspect et cet aspect seulement. Il cadre donc avec les deux traités auquel notre pays a adhéré.
Le sénateur D. Smith : Je ne crois pas avoir quoi que ce soit à redire au sujet de l'intention fondamentale du projet de loi. J'ai posé quelques questions précédemment au sujet de situations hypothétiques, mais s'il s'agissait purement d'une infraction criminelle, je n'utiliserais pas l'exemple d'une personne partant de Windsor pour aller dévaliser une banque à Detroit. Cependant, la situation pourrait être moins claire s'il s'agit de quelqu'un qui part de Somalie. Si les personnes concernées ne se joignent aux pirates que pour faire de l'argent, peut-on invoquer ces dispositions, ou faut-il qu'elles aient des motifs idéologiques ou religieux fanatiques pour que le projet de loi s'applique?
Je dois dire que je me réjouis que l'OTAN ait finalement dépêché des navires là-bas pour tenter de mettre fin aux activités des pirates. Mais si quelqu'un veut se joindre à ces derniers par simple appât du gain et non par fanatisme religieux, la mesure législative s'applique-t-elle?
M. Nicholson : La question concerne probablement davantage le projet de loi S-7 que celui-ci. Il est très circonspect en ce concerne les questions dont il traite, c'est-à-dire les menaces concernant des installations nucléaires ou les activités criminelles relatives aux matières nucléaires. Le projet de loi s'en tient là et ne va pas plus loin. Comme je l'ai souligné, il cadre avec deux des traités auxquels le Canada a indiqué vouloir se conformer. Il est très précis à ce sujet.
Le projet de loi ne touche pas ce qui, dans votre exemple, concerne le vol de banque ou la piraterie, toutes horribles que soient ces activités que nous condamnons tous.
Le sénateur D. Smith : C'est bien ce que je pensais. Merci.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Monsieur le ministre, merci d'être ici afin de nous apporter des clarifications.
Bien que vous soyez ici spécialement pour le projet de loi S-9 en ce qui a trait à un instrument punitif relatif à l'utilisation illégale de matières nucléaires dans un contexte de terrorisme, les conventions signées demandent également d'aller au-delà des exigences concernant ce besoin très spécifique. En effet, il est également demandé aux signataires de ces conventions d'agir outre ses frontières afin d'aider des pays à tenter d'éliminer l'accès à des éléments nucléaires, et en particulier selon la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
[Traduction]
L'initiative internationale de lutte contre le terrorisme nucléaire exige que nous ne nous contentions pas que de régler les questions internes. À ce que vous sachiez, le projet de loi s'inscrit-il dans le cadre d'un examen global de la position du Canada en ce qui concerne le respect de toutes ces conventions et de ses résolutions? Pouvez-vous nous en parler ou devez- vous vous en tenir à la teneur du projet de loi?
M. Nicholson : Je crois que vous feriez mieux de poser la question au ministre des Affaires internationales. L'intervention du ministère de la Justice dans ce dossier concerne les modifications au Code criminel, soit les quatre qui sont devant vous et qui touchent précisément la demande et les deux traités dont j'ai parlé. Là s'arrête l'intervention du ministère de la Justice. Nous nous intéressons évidemment tous aux efforts déployés à l'échelle internationale pour contrer le terrorisme nucléaire, mais ici encore, en ce qui concerne ce qui se fait ou ne se fait pas, il faut probablement mieux s'adresser au ministre des Affaires étrangères.
Le rôle du ministère de la Justice, comme vous pouvez le voir, consiste exclusivement à assurer la conformité des dispositions du projet de loi à l'égard du traité. Je suis convaincu que les modifications que contient le projet de loi dont vous êtes saisis permettront au Canada de se conformer aux demandes et aux exigences découlant des modifications au Code criminel concernant l'utilisation malveillante de matière nucléaire.
Le sénateur Dallaire : Je m'adresse à vous en votre qualité de ministre du Cabinet du gouvernement. C'est à ce titre que vous déposez un projet de loi. Ces mesures législatives ne sont pas élaborées dans une tour d'ivoire, mais doivent, comme vous l'avez expliqué, satisfaire à certaines exigences établies. Par exemple, on a porté à notre attention un certain nombre de projets de loi sur l'antiterrorisme comportant des éléments précis.
Ma question est donc la suivante : est-ce que toutes ces dispositions s'inscrivent dans un cadre devant englober tous les éléments du terrorisme, dont fait notamment partie cet aspect dont traite le projet de loi, ou est-ce que votre ministère doit examiner ces éléments individuellement et les évaluer dans ce contexte?
M. Nicholson : Le rapport public 2009-2010 du Service canadien du renseignement de sécurité sur la menace terroriste persistante pourrait vous intéresser, sénateur.
Le sénateur Dallaire : J'ai effectivement ce document en main.
M. Nicholson : Nous y avons bel et bien donné suite. Deux dispositions antiterroristes étaient arrivées à terme, à savoir celles qui portent sur l'investigation et sur l'engagement. Ce projet de loi fait donc partie intégrante de notre lutte continue contre la criminalité à l'échelle nationale et internationale.
Toutefois, comme l'a souligné le Service canadien du renseignement de sécurité dans le Rapport public qu'il a déposé il y a deux ans, le Canada est encore exposé à une menace constante de terrorisme, et nous devons prendre des mesures à cet égard. Le projet de loi en est une et devrait être envisagé dans ce contexte.
Le sénateur Dallaire : Le président a soulevé la question de l'énergie nucléaire, une énergie que certains considèrent comme propre. Je suis le président d'honneur du mouvement Pugwash, qui ne partage peut-être pas ce point de vue, surtout à propos de la matière fissile. La manipulation et la production de cette matière font l'objet de traités, car c'est là que les pires scénarios peuvent se produire.
Ce projet de loi est punitif. Pensez-vous qu'on aurait pu envisager des mesures visant à limiter la possibilité que la matière nucléaire tombe en de mauvaises mains — autrement dit, des mesures préventives plutôt que purement punitives?
M. Nicholson : Le projet de loi a été conçu de façon à respecter les exigences des deux traités dont j'ai parlé, qui demandent aux pays signataires d'adopter des dispositions pénales précises ayant trait aux activités terroristes ou à l'usage abusif liés à la matière ou aux installations nucléaires.
À la lecture des traités — j'imagine que vous le ferez —, vous constaterez qu'il s'agit pratiquement de listes complètes; ils sont très précis. On y apprend que les dispositions générales du Code criminel ne suffisent pas. Au Canada, ces activités sont naturellement déjà illégales en soi; autrement dit, attaquer des installations ou menacer le public d'une façon ou d'une autre est répréhensible en vertu du Code criminel. Or, le projet de loi répond expressément aux préoccupations soulevées, qui sont également fondées. En effet, le vol de matière nucléaire dans le but de perpétrer un acte terroriste ne constitue pas un simple méfait. C'est très grave.
Je comprends le raisonnement ayant conduit à ces deux traités, auxquels le projet de loi répond.
Le ministre des Ressources naturelles est responsable de la réglementation et de la surveillance de l'industrie nucléaire. Nous prenons la question au sérieux, et le Canada fait preuve de la plus grande prudence à cet égard. Le projet de loi dont vous êtes saisis aujourd'hui nous permettra de tenir nos engagements en vertu du traité.
Le président : Puis-je laisser la parole à d'autres sénateurs avant le départ du ministre? Vous pourrez poser d'autres questions à ses collaborateurs au deuxième tour.
Le sénateur Tkachuk : La plupart des pays signataires se sont-ils conformés aux traités comme nous le faisons, c'est- à-dire en adoptant des dispositions semblables à celles du projet de loi?
M. Nicholson : Votre question est intéressante, car je l'ai posée moi-même. En fait, le Congrès américain est actuellement saisi d'un projet de loi semblable. De plus, la Grande-Bretagne et l'Australie ont déjà des dispositions législatives qui portent expressément sur la question.
Mes collaborateurs pourront vous donner la liste des différents pays qui se sont conformés aux traités. Parmi les pays ayant un système législatif et judiciaire semblable au nôtre, les Britanniques et les Américains ont déjà pris des mesures; en fait, les États-Unis sont en train d'adopter des dispositions législatives à cet égard.
Le projet de loi que vous étudiez est la réponse canadienne aux traités. Si vous examinez les dispositions australiennes, vous constaterez qu'elles ne ressemblent pas aux nôtres, pas plus que celles de la Grande-Bretagne, d'ailleurs. Il s'agit de la réponse du Canada. Bien franchement, je suis ravi du résultat. Plutôt que d'énumérer tous les éléments qui entrent en ligne de compte, nous avons créé des dispositions générales qui ciblent ce genre d'activité. Le libellé me plaît.
Je vous rappelle que d'autres pays ont aussi emprunté cette voie; je suis certain qu'on pourra vous remettre la liste exacte de ces pays et de la nature de leur réponse.
M. Koster : Nous remettrons l'information aux sénateurs sans problème.
Le sénateur Tkachuk : Avez-vous été surpris que certains pays signataires ne prennent pas de mesures en ce sens, le cas échant?
M. Nicholson : Ce n'est pas vraiment une question légale.
Le sénateur Tkachuk : Auriez-vous souhaité que certains pays prennent des mesures après avoir signé le traité?
Le président : Les ministres ont le droit d'être surpris, alors que les fonctionnaires ont le droit de prendre des notes.
Le sénateur Tkachuk : Ma question s'adressait aux trois témoins.
M. Nicholson : Le Congrès américain est présentement saisi d'un tel projet de loi. Si nous prenons tous cette direction, il s'agira franchement d'un bon exemple de coopération internationale. Nous sommes toujours mieux de nous joindre à d'autres pays et d'harmoniser nos lois, que ce soit au sujet de cet enjeu, de la pornographie juvénile, ou de toute autre question. Il s'agit assurément d'un pas dans la bonne direction, mais les fonctionnaires pourront vous remettre la liste des pays qui se sont conformés aux traités.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur le ministre, j'aimerais avoir des éclaircissements, Vous avez parlé d'amendements aux articles 82.3 à 82.6 du projet de loi qui ont trait aux pouvoirs du procureur général du Canada ainsi que ceux des procureurs provinciaux. J'aimerais vous réentendre à ce sujet.
[Traduction]
M. Nicholson : Je vous remercie de votre question. La modification attribuera la compétence aux procureurs généraux des provinces et du Canada. Elle correspond d'ailleurs aux autres dispositions en matière de terrorisme. Concrètement, les deux instances gouvernementales discuteront afin de déterminer qui se chargera de la poursuite. Au fédéral, c'est le Directeur des poursuites pénales qui en sera responsable. D'ailleurs, des poursuites ont été engagées à cet échelon pour plusieurs affaires de terrorisme bien connues.
Il s'agit en quelque sorte d'une exception à la règle générale, à savoir que lorsqu'une infraction au Code criminel donne lieu à des poursuites, ce sont les procureurs de la Couronne provinciaux relevant du procureur général provincial qui s'en occupent. Dans le cas du projet de loi, la compétence n'est pas exclusive, mais les dispositions ne précisent pas qui s'en occupera; c'est la discussion suivant les accusations qui permettra de le déterminer.
Le président : Monsieur le ministre, je vous remercie infiniment de nous avoir accordé du temps. Je vous souhaite bonne chance pour la période des questions à la Chambre. Nous sommes ravis que vos collaborateurs puissent rester afin de répondre à nos questions.
J'ai une question à poser aux fonctionnaires, mais je vais laisser la parole à tout membre du comité qui aimerait intervenir.
Le sénateur Dallaire : Je crois savoir que les mesures législatives des Australiens, qui sont parfois plus intransigeants que nous, ne vont pas jusqu'à la peine d'emprisonnement à perpétuité. Je pense que la durée maximale est de 20 ans. Je sais que notre projet de loi est conforme à la convention, qui parle d'une peine d'emprisonnement à perpétuité, mais avez-vous envisagé d'autres options pour ceux qui sont trouvés coupables de telles infractions?
M. Koster : Je vous remercie de la question, sénateur.
Le président : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter une chose. Bien souvent, les suspects dans ces affaires ont la même mentalité qu'un kamikaze, c'est-à-dire que ce qui suit l'infraction est moins important à leurs yeux qu'à ceux d'un voleur de banque, par exemple.
Il serait fort utile de connaître toutes les réflexions du ministère expliquant le choix de cette peine en particulier.
M. Koster : Si j'ai bien compris les mesures législatives australiennes, sénateur Dallaire, vous avez raison de dire que la majorité des infractions sont passibles d'une peine de 10 ans, et même de 20 ans dans un cas.
Le ministère a modifié les peines de façon à reconnaître la gravité des infractions de cette nature, mais aussi de façon à ce qu'elles correspondent à celles qui sont déjà prévues dans le code pour des infractions semblables liées au terrorisme. Par exemple, charger une personne de se livrer à une activité terroriste est une infraction en vertu de l'article 83.21 qui est passible d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. C'est aussi la peine prévue aux articles 83.22 et 83.27. Une infraction au profit d'un groupe terroriste est également passible d'une peine à perpétuité. Par conséquent, le projet de loi propose une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité dans le cas des infractions liées au terrorisme nucléaire afin de se conformer aux autres dispositions du Code criminel.
Le président : En présence d'un complot criminel de cette nature, la police essaie bien souvent de trouver des individus d'importance secondaire, mais qui sont peut-être mêlés au crime d'une façon ou d'une autre — je m'en remets au sénateur Dagenais, qui a été agent de la paix pendant des années et qui comprend la situation. Même s'il ne s'agit pas des principaux suspects, le système prévoit des mesures afin de les inciter à collaborer avec la police tandis qu'elle accumule des preuves afin d'avoir une raison valable de porter des accusations contre des individus qui ont joué un rôle plus important dans le crime. Certaines de ces mesures incitatives sont liées au pouvoir de poursuite discrétionnaire, alors que d'autres ont trait à la nature des accusations auxquelles l'individu peut faire face, et qui sont assorties de peines différentes.
Dois-je donc en conclure que le ministère de la Justice, dans sa grande sagesse, a décidé qu'il ne serait d'aucune utilité à la police de différencier les peines auxquelles les crimes prévus au projet de loi seront passibles, et que celle-ci devra faire appel à d'autres stratégies d'enquête? J'en conclus donc que l'uniformité des peines pour ce genre d'infractions était bien plus importante que les nuances dont la police pourrait se servir en cours d'enquête.
Je ne dis pas qu'il s'agit d'une mauvaise décision, mais j'aimerais savoir si ce genre de réflexion a influencé le libellé du projet de loi.
Catherine Kane, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Comme mon collègue l'a dit, la structure de la détermination de la peine a été conçue en fonction des infractions de même gravité déjà prévues au Code criminel.
Afin d'obtenir la collaboration d'un individu dans le scénario que vous proposez, la police pourrait faire appel aux chefs d'accusation déjà prévus au Code criminel qui ne portent pas spécialement sur le terrorisme nucléaire ni même sur le terrorisme en général. Par exemple, l'individu pourrait être accusé d'un crime passible d'une peine moins sévère, comme le vol, les voies de fait, les menaces, et ainsi de suite. Or, ces peines ont été prévues en raison de la gravité particulière des crimes, sans accorder la primauté à cette considération. Nous voulons nous assurer que la peine convient à la gravité de l'infraction.
Le sénateur Dallaire : Vous appartenez au ministère de la Justice, qui possède une direction des politiques.
Mme Kane : Oui.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir sur la place qu'occupe le projet de loi au sein de la lutte contre le terrorisme. J'ai parcouru les rapports et ce dont le ministre a parlé. La section de la politique suit-elle une structure lorsqu'elle propose ces mesures législatives dans le cadre de projets de loi isolés plutôt que dans un vaste projet de loi omnibus?
J'aimerais connaître le cadre stratégique qui régit le travail du ministère et la création de projets de loi.
Mme Kane : Le ministre de la Justice a dit à plusieurs occasions préférer les projets de loi bien ciblés aux projets de loi énormes couvrant de nombreux aspects, et ce, afin de permettre aux comités comme le vôtre de les étudier en profondeur.
Il y a naturellement des exceptions, mais les projets de loi sont habituellement séparés afin que leur étude approfondie soit possible. Toutefois, ils ne sont pas conçus en vase clos. Comme le ministre l'a dit, le projet de loi à l'étude permettra au Canada de se conformer aux deux traités. Il est assurément lié à la lutte du Canada contre le terrorisme.
Plusieurs initiatives gouvernementales à tous les échelons permettent d'assurer la coordination des efforts et d'éviter les incohérences entre les mesures. Par exemple, les ministres discutent chaque année de leurs prévisions législatives avec le leader à la Chambre. Ces discussions au sujet des politiques assurent la plus grande logique possible et la meilleure intégration des différentes mesures.
Le sénateur Dallaire : Lorsque nous étudions ce genre de projet de loi en comité, nous procédons souvent de façon isolée sans avoir une idée globale de ce que vous essayez de réaliser. Lorsque vous mettez un ministre à l'avant-plan, je crois que vous connaissez la stratégie derrière les mesures proposées; vous ne vous contentez pas de respecter une convention simplement parce que nous l'avons signée, mais bien parce que cela s'inscrit dans un projet global, qu'il s'agisse d'antiterrorisme ou d'une opinion défavorable à l'énergie nucléaire. Je ne trouve rien à ce sujet dans les documents. Ne considérez-vous pas que vous devriez nous présenter ce genre d'information lors du dépôt d'un projet de loi?
Mme Kane : Lorsque nous comparaissons devant un comité au sujet de projet de loi, nous essayons, en tant que fonctionnaires, de nous limiter à en expliquer les éléments de la façon la plus neutre et objective possible. Lorsque vous avez la chance d'accueillir le ministre, c'est le genre de question que vous pouvez lui poser.
Le sénateur Dallaire : C'est bien ce que je pensais.
Le président : Le prochain intervenant est le sénateur Buth; je vous souhaite la bienvenue au sein du comité.
Le sénateur Buth : Merci. J'aimerais que vous situiez le projet de loi dans le contexte de l'ensemble des mesures législatives antiterroristes du Canada. J'ignore si les témoins pourront répondre, ou si ce devrait plutôt être le ministre. J'aimerais la transposer dans un contexte autre que les lois canadiennes relatives à la lutte au terrorisme.
Le président : Essayez de vous en tenir aux faits.
M. Koster : Lors de la conception du projet de loi, nous tenions notamment à ce qu'il soit conforme à notre plan en matière de terrorisme.
Pris seul, le projet de loi ne permet pas de comprendre l'interaction des définitions avec les mesures législatives en place, plus particulièrement celles adoptées en 2001 dans le cadre du projet de loi C-36. Le projet de loi propose de modifier la définition d'une activité terroriste et, ce faisant, se rapporte à l'âge de consentement, à la mise sur écoute d'un an et au renversement du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté sous caution.
Nous avons procédé de façon logique pour rédiger le projet de loi et établir un rapport entre celui-ci et les dispositions actuelles du Code criminel concernant le terrorisme.
Le président : On pourrait demander à nos analystes d'examiner l'effet des dispositions de ce projet de loi sur la législation antiterroriste en ce qui a trait à la mise en application, aux règles de preuve, s'il y a lieu, et à la nature des peines et des crimes. Je crois que ce serait très utile au comité. Nous serons heureux de transmettre cette information à nos collègues du ministère pour qu'ils puissent l'analyser afin de déterminer si elle concorde avec les données qu'ils ont recueillies sur le sujet.
Le sénateur Buth : Je crois que ce serait utile, en effet.
Le président : J'aurais plusieurs questions à poser à M. Koster au sujet de la renumérotation, processus qu'il nous a si gentiment expliqué lors de la première série de questions.
Après avoir consulté nos propres documents de recherche, je conviens qu'il y a une renumérotation, comme vous l'avez souligné. Merci encore pour vos explications. Toutefois, si je ne m'abuse, la définition de la règle du non bis in idem que l'on retrouve dans ce projet de loi diffère de celle que l'on retrouve dans d'autres mesures législatives. Si c'est le cas, pourriez-vous nous dire pourquoi? Si j'ai tors, pourriez-vous m'expliquer ce que j'ai mal compris à propos de cette règle?
Je crois qu'il est important d'en parler, car cette règle fait partie des principes sur lesquels repose la présomption d'innocence. Si elle n'est pas bien expliquée dans ce projet de loi, ou d'autres lois sur le sujet, elle risque de causer des problèmes. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il serait important que vous nous éclairiez sur cette question, soit aujourd'hui, soit plus tard.
M. Koster : Honnêtement, je crois qu'il serait préférable de vous répondre plus tard.
Le président : Ça ne pose pas de problème. Pourriez-vous le faire par écrit?
M. Koster : Certainement.
Le président : Y a-t-il d'autres questions?
Le sénateur Dallaire : Si j'ai bien compris, le projet de loi ne concerne pas uniquement les matières nucléaires, mais aussi tout ce qui peut faciliter la création d'un engin nucléaire. Est-ce exact?
M. Koster : Le projet de loi touche les matières nucléaires, le matériel de rayonnement et les engins. La définition de « engin » est tirée directement de la convention.
Le sénateur Dallaire : D'accord. Donc, il n'incombe pas à votre ministère ou à vous de dresser une liste des matériaux pouvant servir à la fabrication d'un engin nucléaire et de la maintenir à jour en fonction des nouvelles technologies, c'est exact? Ce serait la responsabilité du ministère de la Sécurité publique de vous la fournir pour qu'elle puisse servir à l'application de la loi.
M. Koster : La définition de « matière nucléaire » est tirée du Code criminel et date de la mise en œuvre de la dernière version de la Convention sur la protection physique. Comme vous pouvez le constater, c'est une définition très scientifique. Il s'agit également d'une définition internationalement reconnue que l'on utilise dans les traités. Par « engin », on entend aussi tout dispositif explosif nucléaire, tout engin dispersant des matières radioactives et tout engin émettant des rayonnements ionisants et pouvant causer la mort, des lésions corporelles graves ou des dommages considérables à des biens ou à l'environnement. Ce sont les quatre éléments de la définition.
Le sénateur Dallaire : La définition ne fait aucune mention, par exemple, des méthodes de lancement. Je suis un ancien officier de l'artillerie, et je ne crois pas que l'on puisse tirer des engins tactiques nucléaires avec un M109. Toutefois, il existe une liste sélective de matériaux servant à fabriquer des engins nucléaires qui peuvent eux-mêmes devenir des engins. Je ne suis pas convaincu que cette définition touche cet aspect. La piste de vérification d'une pièce ne permet de découvrir qu'après le fait qu'elle est utilisée comme engin.
M. Koster : Chaque pièce serait analysée individuellement. Si ses caractéristiques font qu'elle cadre avec la définition, elle sera ajoutée à la liste.
Le président : Je poursuis sur le même sujet. Lorsqu'un embargo était imposé sur l'exportation de certains produits vers des pays en particulier, on a déjà entendu des gens dire qu'ils exportaient des pièces d'auto, alors que la cargaison contenait en fait des matériaux qui, lorsque jumelés à d'autres d'une cargaison différente, permettaient de fabriquer des détonateurs. Vous ne craignez pas qu'une situation semblable puisse se produire de nouveau? Nous avons également eu des cas d'exportation de panneaux d'acier destinés à la fabrication de trains pouvant aussi servir à la construction de lanceurs.
Selon vous, les définitions contenues dans ce projet de loi sont-elles suffisamment larges pour ne pas nuire à la poursuite d'individus pour complot, comme dans les cas que je viens de mentionner? Un avocat de la défense créatif pourrait dire : « Ceci n'est pas un engin nucléaire. Qui sait à quoi il servira à destination. » Bien entendu, nous devons prouver, en nous appuyant sur des motifs raisonnables, que l'engin en question allait servir à fabriquer un engin dont l'utilisation contrevient à cette mesure législative.
Selon vous, les quatre éléments de la définition, comme vous le dites, ne nuiront pas aux poursuites judiciaires? La définition est-elle assez large pour permettre à la Couronne de démontrer et de prouver l'intention d'un individu et de l'accuser en vertu de ce projet de loi?
M. Koster : Plutôt que parler de mon avis sur la question, je vous renverrai à la décision de la Cour de justice de l'Ontario dans l'affaire Yadegari. Si je ne m'abuse, cette décision est inédite, alors je pourrai en faire parvenir une copie au comité. L'accusé dans cette affaire tentait d'exporter une composante nucléaire dans un autre pays, un peu comme dans les exemples mentionnés plus tôt.
Le sénateur Dallaire : Une substance ou une pièce?
M. Koster : Une pièce. Un engin.
Le sénateur Dallaire : Pas une substance nucléaire?
M. Koster : Non. Il a été accusé en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires. Il faisait aussi face à des accusations de fabrication de faux. Comme vous pouvez le constater, dans une telle situation, il y a d'autres infractions qui ne cadrent pas nécessairement avec les définitions dont nous parlons.
Le sénateur Dallaire : Le ministre et le ministère de la Sécurité publique ont-ils participé à la rédaction de ce projet de loi afin de s'assurer de couvrir tous les angles relativement aux engins ou vous êtes-vous contentés d'utiliser la terminologie employée dans les conventions? Après tout, la liste sélective des matériaux est sous la responsabilité du ministre de la Sécurité publique.
Vous avez raison. Il y a d'autres lois applicables, sauf que le lien entre celles-ci et les engins, pas seulement le matériel nucléaire, pourrait être plus étroit. Étant donné les peines prévues dans ce projet de loi, dont la prison à perpétuité, c'est une chose à laquelle il faudrait songer. A-t-on jugé que ce n'était pas nécessaire?
M. Koster : Notre but était de rester le plus près possible des définitions contenues dans la convention.
Le sénateur Dallaire : Ce que j'essaie de dire, c'est que l'on n'a pas profité de l'occasion que l'on avait pour élargir la définition, que ce soit au sein de votre ministère lorsque vous avez analysé l'application du projet de loi ou à une autre étape.
Mme Kane : Lorsque l'on élabore une mesure législative, on consulte les dirigeants d'autres ministères. Personne ne nous a fait part de ces préoccupations. J'ignore s'ils se sont penchés sur la question que vous soulevez, mais nous avons des consultations interministérielles sur les projets de loi qui concernent les mandats de plusieurs ministres ou qui intéressent d'autres ministères.
Le sénateur Dallaire : Donc, vous avez une matrice de données?
Mme Kane : Oui.
Le président : Merci, monsieur le sénateur. Disons que ce projet de loi sera adopté plutôt rapidement sans grande modifications. Je n'ai aucune raison de le croire, mais supposons-le. Il sera alors renvoyé à la Chambre des communes où il sera débattu et adopté. Normalement, l'interaction entre les fonctionnaires de votre ministère Sécurité publique, la GRC, l'Agence des services frontaliers du Canada et le SCRS, ainsi que les organismes provinciaux analogues, les services de police municipaux, de même que le Service canadien de renseignements criminels, qui regroupe plusieurs forces policières, cette interraction serait nécessaire pour exprimer l'intention de la loi.
À l'époque où je travaillais dans l'administration provinciale de l'Ontario, la police provinciale établissait des protocoles d'exécution concernant des modifications apportées à des lois applicables sur son territoire. Sans entrer dans les détails, bien entendu, pourriez-vous nous dire comment les limites de cette loi, sa portée, seraient communiquées aux agents qui, comme vous l'avez déjà dit, seraient responsables de son application dans le cadre d'enquêtes et de la collecte de preuves et d'activités de prévention du crime? Pouvez-vous nous expliquer ce processus?
Mme Kane : Toute loi dont notre ministre est responsable est portée à l'attention de celui-ci, parfois à différentes étapes du processus, mais certainement lorsqu'elle reçoit la sanction royale. À ce moment-là, tous les ministres provinciaux et territoriaux de la Justice et les procureurs généraux, entre autres, en sont informés. De plus, le ministre de la Justice informe généralement ses homologues provinciaux de l'état d'avancement d'un projet de loi lors de leurs réunions annuelles, comme le font également les sous-ministres lors de leurs réunions semestrielles. Les fonctionnaires aussi transmettent cette information à leurs homologues provinciaux afin que ceux-ci puissent faire les préparatifs nécessaires, notamment pour former former les policiers et les avocats de la Couronne ou modifier les formulaires et les procédures.
Comme vous le savez, la plupart des projets de loi proposent une date d'entrée en vigueur, et c'est le cas avec celui-ci. Il n'entrera pas automatiquement en vigueur avec la sanction royale, ce qui permettra de transmettre des renseignements aux gens concernés et de savoir si ces derniers sont prêts à la mise en œuvre des dispositions de la mesure. Lorsqu'une date est fixée, les responsables de la mise en œuvre du projet de loi en sont informés.
Le président : Vous savez certainement, madame Kane, que de nombreuses lois sont accompagnées d'un règlement. Selon vous, faudra-t-il rédiger un règlement plutôt détaillé pour renforcer les pouvoirs du projet de loi et traiter les répercussions qu'il pourrait entraîner, ou le projet de loi est-il suffisamment précis pour ne pas nécessiter de règlement?
Mme Kane : M. Koster voudra peut-être donner des détails, mais cette mesure législative ne délègue aucun pouvoir quant à la rédaction d'un règlement sur ces infractions distinctes, ce qu'elles sont certes. Il pourrait y avoir d'autres pouvoirs réglementaires connexes, mais en ce qui a trait à ce projet de loi, il n'y a rien du genre.
Le président : Nous avons remarqué, dans de nombreuses lois, que les autorités policières et l'autorité judiciaire doivent maintenant posséder des compétences techniques pour bien comprendre la nature de la preuve qu'ils ont entre les mains. Croyez-vous que l'Institut national de la magistrature ou un organisme analogue devra former les juges sur cet aspect afin qu'ils puissent prendre des décisions éclairées concernant les preuves qu'ils doivent analyser ou est-ce que cela dépendra de chaque province?
Mme Kane : Habituellement, le système judiciaire définit les questions sur lesquels il veut sensibiliser ses membres. S'il fait appel au ministère de la Justice pour obtenir des renseignements ou de l'aide, nous intervenons avec plaisir, mais c'est le système judiciaire qui définit les questions juridiques auxquelles il veut s'attaquer.
Le président : Votre rôle consiste à réagir, en raison de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Elle doit elle-même décider de sa façon de procéder, n'est-ce pas?
Mme Kane : C'est exact.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir à la recherche et à l'armement. On effectue beaucoup de recherches au Canada sur les capacités nucléaires de différents pays et la question d'intention revient toujours. Prenons par exemple la Loi sur la défense nationale qui est accompagnée d'un règlement. En vertu de cette loi, certains membres du personnel militaires peuvent transporter des engins nucléaires pour des activités de recherche ou autres. Sans un règlement d'application pour accompagner ce projet de loi, l'intention de ces militaires sera-t-elle remise en question? Devrait-on apporter des précisions pour ce genre de situation? Tout n'a pas été découvert sur le nucléaire. Il y a encore beaucoup de recherches et d'améliorations qui se font dans ce secteur; et les engins et les gens aussi s'améliorent.
Le terme « intention » sert-il à protéger ceux qui doivent travailler avec le nucléaire sans qu'ils soient tenus de prouver qu'ils n'ont pas d'autres intentions?
M. Koster : Merci pour la question. Premièrement, le projet de loi ne contient pas de disposition liée à l'exclusion militaire. Il s'agit là d'un libellé qui est habituellement utilisé dans les traités internationaux. Je sais que c'est une question d'intérêt secondaire, mais cela laisse entendre que le projet de loi ne vise pas les activités militaires légitimes.
Deuxièmement, comme vous l'avez dit, le projet de loi comporte des exigences très précises relatives à l'intention. Le ministre de la Justice nous a expliqué aujourd'hui ce qui est réellement visé, à savoir l'activité terroriste.
Le point suivant concerne l'application du droit pénal en général pour ce qui est de la défense des excuses légitimes. Les gens accusés d'infractions criminelles ont la possibilité de dire : « Je remplis théoriquement les critères qui définissent ce crime, mais j'étais légalement autorisé à agir ainsi. » Il s'agit là d'un moyen de défense prévu par la common law.
Enfin, il y a la discrétion de la Couronne. Un procureur de la Couronne voudrait-il vraiment porter des accusations contre un militaire pour ce qu'il a fait dans le cadre d'une activité légitime?
Le sénateur Dallaire : J'aimerais nuancer ma dernière observation, si vous me le permettez. On parle de terrorisme. Qui dit terrorisme dit panique. Il ne s'agit pas nécessairement du domaine le plus objectif de notre programme de sécurité sociale, d'où les réactions très hâtives et excessives qu'il suscite parfois. C'est pourquoi je trouve que le terme « intention » n'est pas assez fort pour protéger les gens concernés; toutefois, dans le processus judiciaire — et je ne suis pas avocat —, il se peut que ce soit assez fort pour les protéger. Je ne sais pas. C'est ce que je vous demande.
Le président : Je pense que là où vous voulez en venir, c'est la difficulté de prouver l'intention. Ce qu'un procureur de la Couronne ou un policier pourrait déterminer, c'est la cause probable liée à l'intention. Serait-ce suffisant pour porter des accusations? Il existe de nombreux précédents en la matière relativement à d'autres dispositions du Code criminel, et il y a des précédents judiciaires pour ce qui est de savoir quelle preuve d'intention est acceptable ou non devant les tribunaux. Je soupçonne que les conseillers juridiques de la Couronne feraient de leur mieux pour appliquer un tel cadre afin d'utiliser le projet de loi de manière préventive autant que possible pour empêcher le pire, mais je vais laisser les fonctionnaires en parler puisque ce sont eux les juristes, et pas moi.
Mme Kane : Vous avez raison. La police doit déterminer si elle a des motifs suffisants pour porter une accusation, mais la Couronne doit ensuite prouver chaque élément de l'infraction. Quant aux infractions d'intention spécifique, la Couronne aurait à prouver que la personne a agi dans l'intention de commettre un de ces actes. Par conséquent, le projet de loi ne viserait pas les recherches ou les autres activités qui n'ont pas été menées dans l'intention de faire du tort, de causer la mort ou d'obliger une personne à faire quelque chose.
Le sénateur Dallaire : Nous ne sommes donc pas sous l'emprise de Big Brother. Ce n'est pas comme si les gens ne pourraient plus participer à des recherches dans ces domaines parce que les lois sont si impérieuses et restrictives qu'elles les dissuaderaient d'emprunter cette voie. Cette loi ne crée pas un tel climat, n'est-ce pas?
Mme Kane : Elle ne le devrait pas, et nous sommes persuadés que toute personne qui effectue de la recherche sur des matières nucléaires ou toute question connexe est soumise à une réglementation très rigoureuse et qu'il y a des lignes directrices en matière d'éthique qui guideraient la recherche.
Le président : Il serait juste de dire que, du point de vue des gens qui pourraient suivre les travaux de notre comité un bon matin, la question serait de savoir ce que la loi ferait pour empêcher le pire. Nous comprenons qu'un projet de loi qui prévoit des modifications au Code criminel doit préciser les dispositions, définir les peines et, par conséquent, permettre aux conseillers juridiques et à la Couronne d'accuser, de poursuivre, de pénaliser quelqu'un selon une application régulière de la loi, mais le citoyen moyen, lui, se poserait des questions comme : ce projet de loi facilitera-t-il ou améliorera-t-il la façon dont le gouvernement empêche ce genre d'activité terroriste nucléaire de se produire au pays? Selon moi, la réponse se trouve dans les dispositions du Code criminel concernant le complot, mentionnées dans le projet de loi, en vertu desquelles est reconnu coupable d'infraction criminelle quiconque planifie un tel événement ou est réputé en planifier un selon les services de renseignements criminels. Ces dispositions permettraient à la Couronne et à ses conseillers juridiques d'agir de manière préventive afin d'empêcher le pire.
Nous voulons certes nous assurer que les gens qui agissent mal font face à la justice et purgent la peine nécessaire s'ils sont reconnus coupables, mais je crois que la vaste majorité des Canadiens voudraient avoir la certitude que le projet de loi les protège contre ce genre d'incidents. Je suis curieux de savoir s'il y a d'autres mesures, mis à part les dispositions concernant le complot, qui faciliteraient la protection de la population. Comme nous sommes en train de ratifier des traités qui ont été signés par de nombreux pays, j'en déduis qu'il y a un réseau de collaboration chargé d'empêcher ce genre d'incidents. C'est donc un des aspects. Y a-t-il quelque chose qui m'a peut-être échappé ou qui pourrait nous rassurer sur ce front?
Mme Kane : Comme le ministre l'a dit, le Code criminel contient d'autres dispositions qu'on peut invoquer, en cas d'incident, afin d'intenter des poursuites contre des gens, mais elles n'auraient pas la spécificité de ces infractions ou elles n'imposeraient pas les mêmes sanctions et ne fourniraient pas le même avantage que les autres dispositions du Code criminel qui s'appliquent aux infractions de terrorisme, comme le fardeau de la preuve pendant l'enquête sur le cautionnement, les différentes règles de libération conditionnelle, les peines consécutives, et cetera.
Dans la mesure où un régime criminel renforcé crée un effet dissuasif, il y a peut-être un aspect préventif, mais le projet de loi devrait améliorer une foule d'autres activités qui entrent en jeu lorsqu'on mène une enquête, comme vous l'avez dit, sur la planification d'activités criminelles. C'est un outil supplémentaire pour l'application de la loi.
Le président : Parlons maintenant des dispositions liées à l'engagement structuré — qui étaient prévues dans le projet de loi S-7, que nous avons déjà étudié. En vertu de ces dispositions, s'il y a des motifs de croire qu'une personne possède de l'information sur un acte terroriste éventuel, la personne est tenue de fournir cette information. Ces dispositions s'appliqueront-elles aussi à un acte de terrorisme nucléaire de la même manière que celles prévues dans le projet de loi S-7 pour d'autres actes de terrorisme?
M. Koster : Les propositions du projet de loi S-7, concernant l'engagement et l'investigation, s'appliqueront aux infractions visées par le projet de loi S-9.
Le président : Y a-t-il d'autres questions pour nos invités du ministère de la Justice?
Comme il n'y en a pas, j'aimerais profiter de l'occasion pour vous remercier, au nom des membres du comité, de nous avoir donné aujourd'hui des réponses franches et directes. Nous avons bien hâte de recevoir les renseignements supplémentaires que vous avez promis de nous envoyer. Cela nous sera utile dans le cadre de notre étude du projet de loi.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir rapidement au fait que nous soyons saisis de tous ces différents projets de loi. Nous réglons les points qui nous sont présentés, mais même après avoir lu le rapport de 2010, nous n'avons pas une bonne idée des lacunes en matière de sécurité pour ce qui est du terrorisme ou de la lutte contre le terrorisme. Oui, nous devons faire notre devoir de législateurs, mais en l'absence d'un tel cadre, le comité est un peu mal équipé, me semble-t- il, pour prévoir avec une certaine certitude ce qui nous attend et pour déterminer si le ministère ou les ministères font ce qui s'impose assez rapidement pour lutter contre le terrorisme.
Le président : Je dirais deux choses. Premièrement, il s'agit là d'une préoccupation que le comité a déjà exprimée lors d'une séance antérieure, l'année dernière, au moment d'étudier un autre projet de loi, à savoir l'absence d'un cadre général de surveillance législative en temps réel des activités liées à la sécurité nationale. Je crois que c'est un des éléments que vous venez de souligner, et je vous en suis reconnaissant.
Deuxièmement, je tiens à souligner qu'en mai 2011, on a créé un comité du Cabinet chargé de la sécurité nationale, qui n'existait pas auparavant, et je suppose que toutes les mesures législatives liées à cette question doivent être approuvées par celui-ci avant qu'un ministère ne puisse les porter à notre attention.
Cela dit, nous avons demandé à notre personnel de faire une évaluation globale afin de déterminer comment toutes les mesures législatives cadrent ensemble. Je ne voudrais pas porter un jugement immédiat sur ce que le comité devrait décider de faire à cet égard. À mon avis, nous devrions attendre de recevoir l'évaluation de notre personnel pour ensuite discuter de la façon dont nous voulons nous y prendre en conséquence.
Le sénateur Dallaire : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter un dernier point. Quand nous sommes saisis de ce genre de questions, nous avons besoin, me semble-t-il, d'une mise en contexte. Ce n'est pas seulement parce que nous avons des conventions qui ont pris des années à entrer en vigueur; cela se fait à l'intérieur d'un cadre.
À titre d'exemple, vous avez évoqué la question de la sécurité nationale. J'ai remarqué qu'il y a un général deux étoiles au sein de cette structure. Pourquoi ne pas l'inviter à comparaître pour nous préparer à étudier une mesure législative particulière dans l'avenir afin que nous sachions où nous en sommes?
Le président : C'est une excellente suggestion, sénateur, et j'en ferai part au comité de direction.
(La séance est levée.)