Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme
Fascicule 5 - Témoignages du 11 juin 2012
OTTAWA, le lundi 11 juin 2012
Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme auquel a été renvoyé le projet de loi S-9, Loi modifiant le Code criminel, se réunit aujourd'hui, à 13 h 30, pour en faire l'examen.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Translation]
Le président : Honorables sénateurs, il s'agit de la neuvième réunion du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme tenue au cours de la première session de la 41e législature du Canada. Dans le cadre de notre première séance cet après-midi, nous sommes très heureux d'accueillir des représentants du Belfer Center for Science and International Affairs à la John F. Kennedy School of Government de l'Université Harvard.
William Tobey est maître de recherche et il est avec nous à Ottawa aujourd'hui. Nous accueillons également par vidéoconférence de Boston, Matthew Bunn, professeur agrégé de politiques publiques, et Simon Saradzhyan, chercheur universitaire.
Aujourd'hui, honorables sénateurs, nous poursuivons notre examen du projet de loi S-9, Loi sur le terrorisme nucléaire. Ce projet de loi de 10 articles établit quatre nouvelles infractions punissables par voie de mise en accusation en vertu de la Partie II du Code criminel pour compléter les engagements contractés par le Canada aux termes de traités internationaux sur le terrorisme nucléaire.
Les dispositions relatives à ces quatre nouvelles infractions interdisent certaines activités relatives à des matières ou à des engins nucléaires ou radioactifs. Le projet de loi a été présenté au Sénat du Canada le 27 mars 2012.
Je crois que nos invités ont des déclarations préliminaires, j'invite donc M. Tobey à faire sa déclaration préliminaire.
William Tobey, maître de recherche, Belfer Center for Science and International Affairs, Université Harvard : Monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est un plaisir que d'être ici aujourd'hui. Mes collègues du Belfer Center et moi-même vous sommes reconnaissants de l'occasion que vous nous donnez aujourd'hui de témoigner au sujet de cette question de la plus haute importance qu'est la prévention du terrorisme et de la prolifération nucléaires. Il est essentiel de contrer le terrorisme nucléaire pour préserver la paix et la sécurité dans le monde. La mesure législative proposée, le projet de loi S-9, qui est conforme à la Convention modifiée sur la protection physique des matières nucléaires ainsi qu'à la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, facilite leur mise en œuvre et permettra de faire avancer la sécurité nucléaire.
J'ajoute qu'elle s'inscrit également dans les efforts payants que déploie le Canada depuis longtemps en matière de réduction concertée de la menace, et qui visent à sécuriser le matériel et les installations nucléaires partout dans le monde. Ces efforts ont déjà donné des résultats extraordinaires, et le monde est plus sûr grâce à eux.
J'aimerais parler brièvement de la menace posée par le terrorisme nucléaire; mon collègue Matthew Bunn fera état, quant à lui, des progrès accomplis en matière de sécurité nucléaire et de ce qui reste encore à faire. Ensuite, mon collègue Simon Saradzhyan vous donnera un aperçu de la façon dont les Russes voient la situation.
En mai de l'année dernière, le Belfer Center for Science and International Affairs de l'Université Harvard et l'Institut des études américaines et canadiennes de l'Académie des sciences de Russie ont publié un rapport intitulé The U.S.-Russia Joint Threat Assessment on Nuclear Terrorism.
Le document en question a été rédigé par des universitaires ayant une expérience gouvernementale dans les domaines militaire, du renseignement et des positionnements politiques, et il a été revu par un groupe d'experts composé d'anciens hauts responsables militaires et spécialistes du renseignement américains et russes.
Le rapport conclut que la menace de terrorisme nucléaire est impérieuse et bien réelle. Même s'il demeure compliqué de fabriquer une bombe nucléaire brute, certains groupes terroristes ayant accès à des technologies de pointe seraient capables d'en faire s'ils réussissaient à se procurer soit une arme intacte, soit suffisamment de matière fissile. Al-Qaïda cherche à se doter d'armes nucléaires depuis près de 20 ans, tout comme d'autres groupes l'ont fait à d'autres époques. Même si Oussama ben Laden est mort et que les moyens opérationnels d'Al-Qaïda ont été sérieusement réduits, l'organisation n'a pas encore été complètement démantelée.
Le matériel nucléaire nécessaire à la fabrication d'une bombe n'est pas volumineux et est difficile à détecter, ce qui complique énormément les efforts visant à juguler la contrebande de matériel nucléaire ou à récupérer ce matériel une fois volé. Par conséquent, pour réduire la menace de terrorisme nucléaire, il est absolument essentiel de tout mettre en œuvre pour empêcher le vol de matière fissile et d'armes, en améliorant continuellement la sécurité.
Cette menace est bien réelle; l'Agence internationale de l'énergie atomique a documenté 18 cas où de la matière fissile a disparu et a échappé au contrôle des gouvernements. D'autres cas ont été rapportés par la suite, plusieurs sont survenus au cours de la dernière décennie. Même si dans aucun de ces cas on a volé une quantité suffisante de matière fissile pour fabriquer une bombe nucléaire, tous ces cas ont prouvé que la sécurité était vraiment déficiente.
On ne peut qu'imaginer les conséquences dévastatrices d'une attaque nucléaire perpétrée par un groupe terroriste dans une grande ville. Des dizaines, peut-être des centaines, des milliers de personnes pourraient perdre la vie ou être blessées. Le commerce international cesserait du jour au lendemain en raison des contrôles frontaliers pour s'assurer qu'aucun dispositif de ce genre n'entre dans d'autres pays. Bien évidemment, les accords internationaux en matière de sécurité changeraient beaucoup plus dramatiquement qu'ils n'ont changé suite aux attaques perpétrées le 11 septembre.
Ainsi, la nécessité d'améliorer la sécurité nucléaire, tout comme la menace de terrorisme nucléaire, est réelle et impérieuse. La mesure législative proposée, ainsi que les efforts continus du Canada en matière de réduction concertée de la menace et les nouvelles initiatives destinées à appuyer l'Institut mondial pour la sécurité nucléaire — qui favorise le partage et la mise en œuvre de pratiques exemplaires —, sont d'une importance vitale et doivent être menés à bien sans délai et avec détermination. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci beaucoup monsieur Tobey. Puis-je inviter maintenant Matthew Bunn à faire sa déclaration.
Matthew Bunn, professeur agrégé de politiques publiques, Belfer Center for Science and International Affairs, Université Harvard : Merci beaucoup. C'est un honneur d'être ici avec mes collègues pour parler d'un sujet extrêmement important pour la sécurité du Canada, des États-Unis et du monde. Les conséquences possibles de terroristes faisant exploser une bombe nucléaire seraient tellement horribles, pour le pays attaqué et pour le monde, que même une infime possibilité que de tels actes se produisent suffit pour agir immédiatement afin de réduire encore plus cette possibilité.
Le Canada et les États-Unis ont été au premier rang des pays œuvrant pour sécuriser la matière nucléaire et prévenir le terrorisme nucléaire. Depuis les attaques du 11 septembre, les deux pays ont renforcé la protection de leurs matières nucléaires. Ils ont aidé d'autres pays à faire de même. Ils ont appuyé les efforts entrepris par l'Agence internationale de l'énergie atomique dans ce domaine et ils ont œuvré pour renforcer d'autres éléments de la réponse de la communauté internationale.
Si les États-Unis et le Canada arrivent à convaincre, au sommet sur la sécurité nucléaire qui se tiendra aux Pays-Bas en 2014 et aux sommets qui suivront, d'autres pays à adopter une approche responsable visant à réduire les risques de terrorisme et de vol de matière ou d'armement nucléaires, ces deux pays devront alors montrer l'exemple en prenant eux-mêmes des mesures responsables. Il est donc important que nos deux pays ratifient les principales conventions relatives à cette question, la Convention sur la protection physique des matières nucléaires et la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire comme il a été demandé aux pays de le faire lors du sommet de Séoul sur la sécurité nucléaire.
La législation devant vous offre au Canada la possibilité de ratifier ces deux conventions. Je vous incite vivement à appuyer ce projet de loi.
Depuis la chute de l'Union soviétique, et surtout depuis les attaques du 11 septembre, d'énormes progrès ont été réalisés dans le renforcement de la sécurité des armes nucléaires et des matières nucléaires pouvant être utilisées à des fins militaires dans le monde. Il n'y a plus aucun site abritant les ingrédients essentiels à la fabrication d'une bombe nucléaire que je pourrais comparer à des vestiaires d'un gymnase dans une école secondaire où un cadenas peut être brisé à l'aide de pinces coupantes que l'on peut se procurer dans n'importe quelle quincaillerie et où il n'y a ni caméra de surveillance ni détecteur à la porte d'entrée pour déclencher l'alarme si quelqu'un en sortait avec du plutonium ou de l'uranium hautement enrichi.
Dans énormément de sites à travers le monde, la sécurité a été améliorée de façon spectaculaire, et dans énormément d'autres sites, les matières nucléaires pouvant être utilisées à des fins militaires ont été complètement retirées, réduisant ainsi à zéro le risque de vol de matières nucléaires dans ces sites. Plus de 20 pays ont éliminé de leur territoire toutes les matières nucléaires pouvant être utilisées à des fins militaires. Ces succès représentent, au vrai sens du terme, des bombes qui n'exploseront jamais.
Les sommets sur la sécurité nucléaire de 2010 et 2012 ont lancé un nouvel élan politique important qui a accéléré ces progrès. Cependant, il reste encore beaucoup à faire, comme mes collègues du Belfer Centre et moi-même l'avons indiqué dans un rapport publié avant la tenue du sommet de Séoul sur la sécurité nucléaire. Je vous enverrai ce rapport par courriel.
Le site le plus menacé au monde est un petit arsenal nucléaire au Pakistan, mais qui se développe rapidement et qui est sous haute surveillance. Il est menacé par des extrémistes fortement armés et des gens qui travaillent sur place et susceptibles d'aider les extrémistes.
La Russie a les plus grands arsenaux d'armes nucléaires et de matières nucléaires pouvant être utilisées à des fins militaires. Ces arsenaux se trouvent dans le plus grand nombre de bâtiments et d'abris fortifiés au monde et les mesures de protection des matières nucléaires ont été considérablement renforcées. Il n'en demeure pas moins quelques faiblesses qui pourraient être exploitées par des groupes mieux préparés que ceux qui se sont manifestés dans les années 1990. La durabilité reste une préoccupation majeure, car la Russie n'a ni appliqué efficacement des règles rigoureuses ni consacré suffisamment de fonds pour maintenir le niveau de sécurité sur le long terme.
Dans plus de 100 réacteurs de recherche dans le monde qui utilisent encore l'uranium hautement enrichi pour combustible, les panneaux de sécurité sont souvent extrêmement discrets. Certains de ces réacteurs, mais pas tous, ont suffisamment de matière pour fabriquer une bombe nucléaire.
Tous les cas de vol d'uranium hautement enrichi dont nous connaissons le déroulement ont été perpétrés ou par des gens qui travaillent sur place ou avec l'aide de ceux-ci. Par conséquent, la protection contre les gens qui travaillent sur place est particulièrement importante et nécessite d'être améliorée dans de nombreux pays.
La menace posée par les personnes qui travaillent dans les sites nucléaires a fait de la corruption dans le secteur nucléaire un sujet de préoccupation, particulièrement dans les pays où elle est courante, notamment au Pakistan et en Russie, comme je l'ai déjà mentionné. En Russie, l'arrestation récente pour corruption d'un général qui commandait un emplacement d'armes nucléaires est plutôt troublante.
Pour l'instant, malheureusement, les mécanismes de gouvernance mondiale en matière de sécurité nucléaire demeurent peu efficaces. Aucun règlement international ne décrit la façon de protéger des armes ou des matières nucléaires. Il n'y a aucun mécanisme mis en œuvre pour s'assurer que les pays entreposent leurs arsenaux de façon responsable. Fukushima a prouvé qu'il est nécessaire de prendre des mesures pour renforcer à la fois et la sécurité dans le monde et les régimes de sécurité, car les terroristes pourraient faire intentionnellement ce qu'un tsunami a fait accidentellement.
L'objectif fondamental à atteindre pour le sommet sur la sécurité nucléaire de 2014 doit être des façons de travailler ensemble pour renforcer le cadre mondial pour la sécurité nucléaire et pour continuer de suivre de près cette question après la clôture du sommet. Il est important de ratifier les conventions actuellement à l'étude, mais ce n'est que le commencement.
Le Canada peut jouer un rôle important dans ces efforts. À l'approche du sommet de 2014, les pays ayant des vues similaires ont l'occasion d'agir de concert et de s'engager à établir des normes de sécurité élevées et de bons mécanismes et s'encourager mutuellement à les respecter. Le Canada peut et doit participer à cet effort.
Les États-Unis se sont fixé pour objectif l'élimination de toute utilisation d'uranium hautement enrichi à des fins civiles. Le Canada devrait les rejoindre. Au sommet de Séoul sur la sécurité nucléaire, tous les participants avaient convenu de réduire au minimum l'utilisation d'uranium hautement enrichi à des fins civiles; des plans à cet effet seront annoncés d'ici décembre 2013. D'ici là, le Canada devrait rejoindre les producteurs européens et sud-africains d'isotopes médicaux en promettant de produire d'ici quelques années les isotopes sans utiliser de l'uranium hautement enrichi. Le Canada devrait aussi collaborer avec la Russie — pays avec lequel le plus important fabricant canadien d'isotopes a signé un contrat de livraison d'isotopes médicaux — afin de convaincre ce pays de convertir sa production et ne plus utiliser de l'uranium hautement enrichi, que ce soit pour servir de combustible aux réacteurs ou fabriquer des isotopes.
En décembre 2013, le Canada doit également annoncer un plan concret d'élimination de ses dernières utilisations d'uranium hautement enrichi ainsi que de ses derniers stocks civils d'uranium hautement enrichi.
Avant le sommet de Séoul, mes collègues et moi avions produit un autre rapport sur le regroupement des armes et des matières nucléaires dans le monde. Je serai heureux de vous remettre ce rapport.
Je tiens à vous remercie de m'avoir donné l'occasion de parler aujourd'hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci, professeur Bunn. J'invite maintenant Simon Saradzhyan à nous faire part de son point de vue, puis nous passerons aux questions.
Simon Saradzhyan, chercheur universitaire, Belfer Center for Science and International Affairs, Université Harvard : Merci. Mon exposé est une étude de cas qui porte sur la Russie.
La chute du régime soviétique totalitaire a favorisé l'émergence de nombreuse de tendances qui étaient réprimées auparavant, notamment la tendance au séparatisme ethnique et à l'intégrisme religieux.
La confluence des ces tendances et la première réaction bâclée du gouvernement sont à l'origine d'une menace qui demeure une préoccupation prioritaire en matière de sécurité nationale en Russie. Cette menace est celle du terrorisme et la menace que les terroristes peuvent utiliser des armes de destruction massive ou des matières nucléaires dans leurs attaques.
Pour illustrer mon propos, j'aimerais attirer votre attention sur les actions et les intentions des groupes terroristes basés dans la région du Nord-Caucase en Russie.
Ces groupes se sont procuré des matières radioactives. Ils ont menacé d'attaquer les installations nucléaires russes. Ils ont planifié le détournement d'un sous-marin nucléaire en utilisant l'expertise d'un ancien officier de marine qui faisait partie de leur groupe. Ils ont aussi placé un contenant rempli de matières radioactives et ont menacé de l'exploser à Moscou, et ce, afin de pousser le gouvernement fédéral a changé de position vis-à-vis le mouvement séparatiste du Nord-Caucase.
Tout cela s'est passé durant la première guerre de Tchétchénie de 1994 à 1996.
Durant la deuxième campagne militaire dans le Nord-Caucase — qui a commencé en 1999 et qui a depuis diminué en intensité en Tchétchénie, mais qui s'est malheureusement propagée dans d'autres zones du Nord-Caucase —, ces groupes ont fait des reconnaissances de terrain des sites nucléaires, notamment ceux où des armes nucléaires étaient stockées. Ils ont aussi établi un contact avec un capitaine qui était gardien d'une centrale nucléaire. Toutes ces actions montrent bien ce que sont leurs intentions.
Je voudrais souligner des attaques comme la prise d'otages massive dans une école de Beslan où des centaines d'enfants ont trouvé la mort et les actes abominables commis plus tôt comme des attentats à la bombe contre des appartements. En montrant qu'ils étaient prêts à causer de lourdes pertes humaines sans faire de distinction parmi les victimes, ils avaient déjà franchi la ligne entre le terrorisme conventionnel et le terrorisme catastrophique même si aucune de leurs tentatives d'actes terroristes catastrophiques dans lesquels ils utiliseraient des armes ou des matières nucléaires n'a encore réussi.
Je voudrais aussi souligner que ces groupes sont de plus en plus frustrés de ne pouvoir vaincre le gouvernement fédéral. Cette frustration les pousse à faire encore plus de victimes, ce que malheureusement un acte de terrorisme nucléaire les aiderait à faire.
Par ailleurs, ils ont changé de programme en passant du séparatisme ethnique à l'intégrisme religieux. La majorité des groupes cherchent maintenant à établir un califat islamique au Nord-Caucase. Cela leur permet, au moyen d'une interprétation radicale de l'Islam, de justifier des actes de terrorisme catastrophique, y compris le terrorisme nucléaire.
Pour ce qui est leurs capacités, ils ont montré qu'ils étaient vraiment capables de planifier et mener des attaques de grande ampleur à des centaines de kilomètres de leurs bases; de déployer des douzaines de personnes du Nord-Caucase jusqu'à Moscou pour prendre en otages des centaines de personnes dans un théâtre. Pour cette attaque, ils ont reçu l'aide de renégats. Ils ont parfois soudoyé des gens pour arriver à leurs fins. Il y a dans ces groupes terroristes, des gens qui, en raison de leurs croyances religieuses, sont prêts à sacrifier leur vie dans une attaque.
J'aimerais aussi souligner, lorsque je parle de leurs capacités, leurs liens avec Al-Qaïda. Oussama ben Laden a personnellement rencontré des représentants des groupes terroristes du Nord-Caucase. Al-Qaïda appuie ces réseaux depuis le milieu des années 1990. Un imam s'est rendu en Russie et a été détenu au Daguestan, mais il a été remis en liberté, car les autorités ne pouvaient pas établir sa vraie identité. Il aurait été en mission pour trouver une bombe nucléaire en Russie.
Comment le gouvernement de Russie a-t-il répondu à cette menace? Sur le terrain, la réponse initiale, comme je l'ai mentionné, a été militaire; et elle ne s'est pas très bien passée. La première campagne s'est soldée par un échec et un retrait. La deuxième était diversifiée et elle privilégiait des mesures anti-insurrectionnelles et antiterroristes, dont des opérations de recherche et de destruction en petits groupes plutôt qu'un bombardement en tapis et cetera, avec l'appui des loyalistes locaux.
À l'échelle fédérale, la Russie a pris des mesures pour durcir les sanctions contre les terroristes et améliorer la coordination. Dans le contexte de la loi antiterroriste de 2006, un organisme a finalement été désigné comme principal coordonnateur des autres organismes de lutte contre le terrorisme. Sous le régime de cette loi, les procès avec jury ont été éliminés pour les terroristes, car ce type de procès avait donné lieu à un certain nombre d'acquittements. Ce type de loi, aussi regrettable soit-elle à mon avis, a aussi été un élément dissuasif. Elle a aussi instauré des modifications au code pénal russe pour imposer des peines de 20 ans d'emprisonnement aux complices qui n'ont pas eux-mêmes commis d'actes de terrorisme, mais qui ont aidé les terroristes d'une certaine façon. Le code pénal russe en vigueur prévoit des peines d'emprisonnement à perpétuité pour ceux qui planifient des actes de terrorisme au moyen d'armes nucléaires ou de tout autre type d'armes de destruction massive, même si les attaques ont échoué et n'ont fait aucun mort.
À l'échelle internationale, mes collègues ont décrit tous les documents importants dont la Russie est signataire, notamment des conventions, des traités sur la non-prolifération des armes nucléaires et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. J'aimerais souligner un certain nombre d'accords bilatéraux que la Russie a signés avec son principal partenaire, les États-Unis, dans le cadre de la coopération internationale contre le terrorisme nucléaire. Il y a l'accord-cadre de réduction concertée des menaces sur la coopération et les questions de droit pénal; le soi-disant « accord un, deux, trois » de coopération pour une utilisation pacifique de l'énergie nucléaire; et un certain nombre déclarations conjointes. Avec le Canada, la Russie a aussi eu une coopération multilatérale et bilatérale fructueuse. Dans le domaine multilatéral, je parlerais du Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes du G8, qui s'est engagé à verser 20 milliards de dollars au sommet de 2002; les États-Unis se sont engagés à verser 10 milliards de plus tandis que d'autres partenaires ont promis de verser des montants appréciables. Le Canada a joué un rôle très positif.
Tous les efforts déployés pour lutter contre le terrorisme et les groupes terroristes pour essayer de les démanteler, tout en utilisant ces mécanismes bilatéraux et internationaux pour améliorer la situation au plan de la sécurité non seulement en Russie, mais aussi à l'échelle internationale, ont produit des résultats tangibles pour la Russie, d'abord et avant tout. Grâce à ses efforts pour démanteler les réseaux, le nombre de membres de groupes terroristes est passé de plusieurs milliers à plusieurs centaines dans le Nord-Caucase. Ces groupes ne sont plus capables d'organiser des attaques pour prendre d'assaut des villes entières. Cependant, ils sont toujours capables de détacher jusqu'à une centaine de combattants bien entraînés qui pourraient se diviser en groupes et utiliser des initiés qu'ils recrutent pour orchestrer une attaque en plusieurs volets contre les installations nucléaires.
Je suis d'accord avec M. Bunn qu'il reste beaucoup à faire pour rehausser la sécurité nucléaire en Russie et maintenir les améliorations qui ont déjà été apportées. La Russie a plus à faire pour rehausser sa culture de la sécurité. Que ce soit dans le domaine nucléaire ou dans d'autres domaines, les manifestions d'une mauvaise culture de la sécurité sont nombreuses. Je ne m'attarderai pas sur elles, mais c'est une question sérieuse. Mise à part cette consolidation, M. Bunn a déjà décrit ce qui devrait être fait, alors je ne vais pas le répéter.
La corruption est un aspect très important de la réponse à cette menace. Je répète que des groupes se sont déployés avec l'aide de responsables corrompus, qui leur ont permis d'entrer ou de s'enregistrer à Moscou en vue de commettre des attaques. Il faut s'occuper de la corruption, sinon les systèmes de défense vont s'effondrer, peu importe leur qualité. Les initiés aussi peuvent être corrompus et changer d'idéologie. Beaucoup d'agents chargés d'appliquer la loi dans le Caucase du Nord ont changé de camp en raison de leurs croyances religieuses. Je connais au moins une dizaine de cas. Il faut garder un œil là-dessus.
La Russie doit bien sûr s'attaquer aux causes profondes du terrorisme et aux facteurs qui le favorisent dans la politique, comme le manque d'éducation et de mobilité sociale ascendante, la pauvreté, le grand nombre de jeunes, le chômage et l'abus des civils par les forces de l'ordre.
Concernant la coopération internationale, je suis d'accord avec mes collègues. La Russie, un des deux pays qui possèdent 95 p. 100 de la matière et des armes nucléaires, doit occuper un rôle prépondérant dans l'élaboration d'une stratégie internationale pour consolider toute la matière qui peut servir d'arme et réduire le nombre de sites afin de bien les protéger contre toutes les menaces internes et externes plausibles. La Russie doit collaborer avec les États-Unis, le Canada et d'autres pays responsables qui voient la menace de la même façon pour cesser de produire du plutonium pouvant servir à fabriquer des armes.
Le président : Merci, monsieur Saradzhyan. Les sénateurs vont maintenant poser des questions.
Le sénateur Day : Monsieur Tobey, pour clarifier votre exposé, vous avez parlé de cas rapportés. Vous avez dit que la menace n'était pas hypothétique, parce que 18 saisies de matière non contrôlée par les gouvernements ont été effectuées. Vous avez indiqué que, dans tous les cas, il n'y avait pas assez de matière fissile pour fabriquer une bombe nucléaire. Pouvez-vous nous parler de la matière fissile? De quoi est-il question? Je présume que le volume de matière nécessaire dépend du degré d'enrichissement. Mais une bombe nucléaire n'est pas une bombe sale, n'est-ce pas?
M. Tobey : C'est exact, monsieur le sénateur. Je parlais d'uranium hautement enrichi ou de plutonium qui permet aux terroristes de produire une arme nucléaire. Les volumes n'étaient pas suffisants. L'Agence internationale de l'énergie atomique a des normes sur ce qu'elle appelle les quantités suffisantes. En gros, c'est les quantités nécessaires pour fabriquer une arme nucléaire. Il faut 8 kilogrammes de plutonium et 25 kilogrammes d'uranium hautement enrichi pour faire une arme. En général, les volumes saisis étaient inférieurs. Dans bien des cas, c'était des centaines de grammes, tandis qu'à quelques reprises, c'était un peu plus.
Mais il s'agit d'une grande préoccupation pour plusieurs raisons. Dans la plupart des cas, la quantité de matière était annoncée comme un échantillon pour vendre une quantité supérieure, toujours inconnue. Le simple fait que la matière se trouvait à l'extérieur des installations sécurisées montre qu'il y a eu une infraction. C'est donc très préoccupant.
Le sénateur Day : Merci de la précision.
Monsieur Bunn, ma prochaine question s'adresse à vous, si vous pouvez m'éclairer. Au Canada, nous sommes entre autres préoccupés par l'entreposage du combustible épuisé dans nos centrales nucléaires. Nous n'avons pas réglé la question de l'entreposage à long terme. Tout le combustible épuisé est donc entreposé temporairement dans des bassins d'évacuation situés à côté des centrales. Êtes-vous préoccupé par le combustible épuisé, ou l'uranium enrichi avant qu'il soit utilisé dans le réacteur vous paraît-il plus inquiétant?
Le Canada n'utilise pas l'uranium enrichi pour produire de l'électricité dans le réacteur CANDU, même si nous avons du combustible épuisé. Toutefois, nous importons de l'uranium enrichi des États-Unis pour fabriquer des isotopes médicaux. Pouvez-vous répondre à ces questions sur le plan des problèmes potentiels et des méfaits?
M. Bunn : Avec plaisir, monsieur le sénateur. Merci de la question. Les terroristes peuvent commettre plusieurs actes différents en ce qui a trait à la matière nucléaire ou radiologique, comme faire exploser une bombe nucléaire. À cet égard, le combustible épuisé n'est pas très préoccupant, mais on peut saboter une centrale ou des installations nucléaires. Dans cette mesure, le combustible épuisé est important. Il y a aussi la dispersion de matière radioactive à l'aide de ce qu'on appelle parfois une bombe sale.
Concernant la bombe nucléaire, c'est l'uranium hautement enrichi ou le plutonium séparé qui est inquiétant. Comme vous avez dit, le Canada se sert de l'uranium hautement enrichi pour produire des isotopes médicaux. Il l'utilise encore dans un ou deux réacteurs de recherche en voie d'être modifiés pour fonctionner à l'uranium faiblement enrichi.
Lorsque la production d'isotopes médicaux et les réacteurs seront modifiés, il faudra se demander comment se débarrasser des déchets d'uranium hautement enrichi accumulés au fil des ans lorsque cette matière était utilisée.
Concernant le combustible épuisé, les États-Unis ont bien sûr le même problème et n'ont pas trouvé de centre de stockage non plus. En fait, les spécialistes de la commission américaine ont dit que le Canada employait un processus un peu plus démocratique et ouvert pour réfléchir à la façon de gérer le combustible épuisé. Je dirais que les bassins sont inquiétants en ce qui concerne le sabotage et que les châteaux de stockage ne le sont pas vraiment. À mon avis, le combustible n'est pas aussi préoccupant au Canada qu'aux États-Unis, parce que la température du réacteur CANDU n'est pas aussi élevée et que le combustible ne serait pas aussi chaud si l'eau du bassin venait à se déverser, par rapport aux réacteurs à eau ordinaire que nous utilisons aux États-Unis. Je pense que le risque d'incendie lié au combustible est bien inférieur au Canada par rapport aux États-Unis ou à ce qu'on craignait à Fukushima, au Japon.
Le sabotage et la bombe nucléaire sont des menaces réelles dont il faut s'occuper. La dispersion radiologique et la bombe sale sont sans doute une menace plus probable, mais les conséquences sont si faibles que le risque, la probabilité multipliée par les conséquences, n'est sans doute pas très grand. Cela dit, c'est sujet à débat.
Le sénateur Day : Merci beaucoup.
Le sénateur Buth : Merci beaucoup aux témoins de leur présence aujourd'hui. Monsieur Tobey, merci de votre exposé, surtout de votre comparaison des mesures législatives proposées au Canada et aux États-Unis. Pouvez-vous dire comment le Canada se compare à ses autres alliés proches concernant la réglementation proposée et les mesures mises en œuvre?
M. Tobey : Mes commentaires vont rester quelque peu généraux. Je ne suis pas avocat, et même mes connaissances de la loi aux États-Unis sont limitées. Ma spécialité, c'est l'analyse des questions de prolifération et d'antiterrorisme.
Si je comprends bien, la loi et les mesures législatives proposées au Canada répondent aux normes internationales et les surpassent la plupart du temps. Le niveau de sécurité au Canada tend à être supérieur au niveau de sécurité dans le monde en général. Mais je crois que les États-Unis et le Canada doivent ratifier les deux conventions dont j'ai parlé et appliquer les mesures législatives nécessaires pour y arriver, non seulement parce que ça peut améliorer la sécurité, mais aussi pour donner l'exemple à d'autres pays. Concernant les cas de contrebande de matière nucléaire dont nous avons parlé, c'est décevant de constater qu'au moins dans certains cas, les sanctions imposées aux trafiquants étaient assez faibles.
C'est ce qui est arrivé aux gens impliqués dans l'organisation A.Q. Khan, qui a fait la contrebande d'équipement et de technologie pouvant servir à fabriquer des armes nucléaires. C'est encourageant de penser que les mesures législatives proposées pourraient non seulement aider le Canada, mais aussi servir d'exemple aux autres pays.
Le sénateur Buth : Je veux obtenir des précisions. Y a-t-il eu 18 tentatives connues de vols de matière nucléaire ou 18 vols?
M. Tobey : Il y a eu 18 saisies de matière fissile, du plutonium et de l'uranium hautement enrichi, qui échappait au contrôle des gouvernements. Fait étonnant, nous savons dans un seul cas d'où venait la matière, qui l'a volée, comment on l'a sortie des installations et qui aurait facilité le vol. Toutes ces questions sont importantes. Je crois qu'avant de trouver les réponses, nous ne pouvons pas être sûrs que le niveau de sécurité dans le monde est suffisant.
Le sénateur Buth : Vous ne savez même pas de quels pays pouvait venir la matière?
M. Tobey : C'est exact.
Le sénateur Dallaire : Si vous permettez, ma question va en entraîner d'autres. Monsieur Tobey, comment les milieux militaires et du renseignement en Russie et aux États-Unis voient votre rapport de mai 2011?
M. Tobey : Nous avons mis sur pied un groupe, nommé d'après la réunion des deux camps dans la Seconde Guerre mondiale et composé de militaires américains et de professionnels du renseignement à la retraite, surtout des officiers généraux. Ce groupe a examiné le rapport et appuyé ses conclusions. D'ailleurs, les auteurs du rapport ont en général occupé des postes liés aux politiques ou à l'armée dans les deux gouvernements.
Le sénateur Dallaire : Ça ne me dit pas comment la stratégie officielle, l'affectation des ressources et la priorité des efforts tiennent compte de l'évaluation que vous avez donnée aux forces de la Russie et des États-Unis.
M. Tobey : C'est juste, et c'est difficile de savoir exactement quels sont les effets du rapport. Le gouvernement des États-Unis a tenu une séance des ambassadeurs à Vienne à l'AIEA pour les aider à comprendre les conclusions du rapport. Le gouvernement de la Russie était moins enthousiaste pour participer à la séance. Les engagements des États- Unis et de la Russie en matière de sécurité nucléaire présentent sans doute un certain nombre de différences.
Le sénateur Dallaire : Le rapport faisant suite à cette séance est-il accessible, ou est-il classifié?
M. Tobey : Parlez-vous de la séance de Vienne?
Le sénateur Dallaire : Oui.
M. Tobey : À ce que je sache, aucune note n'a été prise sur cette séance. Je serais étonné d'apprendre qu'il n'y avait pas de représentant du Canada, mais je ne sais pas comment on peut communiquer cette information.
Le sénateur Dallaire : Voici la dernière recommandation de votre rapport :
Les stratégies antiterroristes dépendent trop souvent des tendances actuelles qui influencent le statut et les activités d'Al-Qaïda. Il faut éviter d'être de nouveau pris par surprise.
C'est une référence au Caucase.
Concernant la nature de la menace, les bombes, les installations ciblées et les bombes sales radiologiques, vous dites à la page 42 que :
L'objectif principal consiste à créer un climat de peur pour contraindre toute la société.
Sans parler de chiffres, la simple utilisation de la matière radioactive ou nucléaire est préoccupante. Si l'objectif ultime, c'est d'apeurer les gens sans forcément faire exploser une bombe et que le simple fait de déplacer la matière constitue une menace et une préoccupation, quelles sont les mesures prises pour rassurer les gens et dire que les anciens systèmes sont détruits durant la modernisation des engins nucléaires?
M. Tobey : Les États-Unis et la Russie ont entrepris un important programme d'élimination de la matière militaire. Ils se sont entendus pour éliminer chacun 30 tonnes de plutonium de qualité militaire. Les États-Unis construisent une installation de 4,8 milliards de dollars en Caroline du Sud pour utiliser cette matière en tant que combustible dans les réacteurs nucléaires. Cet énorme projet permettra à terme de fournir de l'énergie à 1 million de maisons pendant 50 ans.
La Russie est aussi en train d'éliminer 34 tonnes de matière. En fait, les États-Unis ont ajouté 9 tonnes à leur programme. C'est assez pour produire des milliers et des milliers d'armes.
Les États-Unis ont presque fini d'acquérir 500 tonnes d'uranium hautement enrichi du programme d'armement russe. L'énergie nucléaire représente 20 p. 100 de l'électricité utilisée aux États-Unis. La moitié est produite dans ce programme. En moyenne, une ampoule sur 10 aux États-Unis utilise la matière venant d'armes qui étaient pointées vers nous ou nos alliés.
Le sénateur Dallaire : Les anciens systèmes sont-ils détruits dans le cadre des projets de modernisation, ou s'agit-il d'un programme distinct?
M. Tobey : Les États-Unis n'ont pas déployé une nouvelle arme nucléaire depuis la fin des années 1980. La modernisation de son arsenal est donc très modeste.
Le sénateur Dallaire : La modernisation porte-t-elle davantage sur les vecteurs que sur les bombes?
M. Tobey : Même les vecteurs ne sont pas modernisés.
Le sénateur Dallaire : Les Britanniques investissent 40 milliards de dollars dans de nouveaux sous-marins.
M. Tobey : Le Royaume-Uni construit de nouveaux sous-marins. Les États-Unis prévoient en faire autant, mais rien n'a été fabriqué. Nous n'avons pas déployé de nouvelle arme nucléaire ou de vecteur depuis la fin des années 1980. Depuis la fin de la guerre froide, l'arsenal nucléaire américain a diminué d'environ 80 p. 100.
Le sénateur Dallaire : J'ai déjà dit au comité que ma femme était allée aux États-Unis pour subir des tests à l'hôpital. Les douaniers étaient très suspicieux. Il a fallu beaucoup de temps pour les convaincre que nous ne faisions pas de la contrebande.
Si la menace, c'est d'utiliser de la matière radioactive, les mesures proposées ratissent-elles assez large sans faire mention d'armes, mais en stipulant qu'une menace suffit à arrêter et à poursuivre une personne et peut-être à lui imposer une peine d'emprisonnement à vie?
M. Bunn : Sans vouloir interpréter à votre place le libellé du projet de loi, je crois comprendre que les dispositions visent à la fois les gestes posés, les tentatives et les menaces. À mon avis, c'est probablement suffisant.
D'autres dispositions législatives canadiennes couvrent actuellement ces enjeux. L'objectif du projet de loi est d'intégrer à la loi les mots précis utilisés dans les deux conventions afin de permettre au Canada de les ratifier, un but qui est assurément atteint.
En réponse à la question précédente, j'aimerais ajouter que les États-Unis et la Russie comptent non seulement moins d'armes déployées, mais en plus, ils ont démantelé des milliers d'armes nucléaires. Ce qu'on considère souvent comme la modernisation du stock d'armes nucléaires américain s'inscrit surtout dans le cadre de programmes de prolongation de la durée de vie des armes, qui consistent à en réparer certaines composantes. Il ne s'agit donc pas de créer de nouvelles armes à l'image des anciennes, mais plutôt de veiller à ce que celles qui existent demeurent fiables longtemps.
Ainsi, des milliers d'armes nucléaires américaines ont été démantelées. Seule à peu près la moitié des armes qui existaient au moment de la chute de l'Union soviétique sont encore de ce monde. Même si la Russie n'a pas déclaré ce qu'elle a fait aussi précisément, nous croyons qu'elle aussi en a démantelé des milliers.
Le sénateur Dallaire : Il s'agit de prolonger la durée utile des systèmes.
M. Bunn : Tout à fait.
[English]
Le sénateur Dagenais : Le Canada produit beaucoup d'uranium. Ne craignez-vous pas que certains pays seraient tentés d'infiltrer nos frontières afin de s'en procurer?
Je vous ai aussi entendu parler de corruption. Croyez-vous que nous devrions prendre des mesures spéciales afin d'éviter ce que je pourrais appeler des pressions indues qui pourraient venir de l'extérieur?
[Translation]
M. Saradzhyan : Tout dépend du type d'uranium dont vous parlez. D'une manière générale, je m'inquiéterais surtout de l'uranium utilisable pour la fabrication d'armes. Lorsque j'ai parlé de corruption, je faisais plutôt référence à celle qui règne en Russie. Je ne vois pas quel intérêt les agents terroristes russes auraient à acquérir en Occident le matériel dont ils ont besoin en Russie. Il est vrai que des groupes terroristes basés en Russie ont collaboré et ont noué des liens avec des réseaux terroristes internationaux, comme Al-Quaïda et d'autres groupes d'Asie Centrale. Ils ont bel et bien échangé des avions de chasse et des émissaires, et ils ont créé des planques en Europe de l'Ouest qui leur permettent de se reposer et de prendre une pause avant de retourner dans le Caucase du Nord. Jusqu'à maintenant, je n'ai toutefois jamais entendu parler de groupes basés en Russie qui cherchent à acquérir en Occident le matériel nucléaire dont ils se serviront ailleurs.
M. Bunn : Permettez-moi d'ajouter que l'uranium produit en si grandes quantités au Canada est naturel, et non pas enrichi. Ce type d'uranium ne peut pas vraiment servir à fabriquer une bombe sale ou une bombe nucléaire. À mon avis, la corruption entourant la production de ce type d'uranium ne pose donc pas un problème de sécurité particulièrement prioritaire.
Comme M. Saradzhyan l'a dit, ce sont plutôt ceux qui ont accès à des armes nucléaires, à de l'uranium fortement enrichi ou à du plutonium séparé qui présentent un véritable risque de corruption.
Le sénateur D. Smith : Je suis intrigué par vos propos entourant les problèmes du Caucase du Nord, en Russie. Vous avez parlé de la chute du régime communiste, avant laquelle j'avais visité la région quatre fois, je crois, à la fin des années 1960. Notre comité s'y est rendu à la fin de 2009 — je fais une petite parenthèse —, et je n'oublierai jamais notre réunion avec le comité des affaires étrangères de la Douma d'État. Nous avons demandé à ses membres s'ils avaient des conseils à donner aux Canadiens d'après l'expérience de la Russie en Afghanistan. Ils se sont tous regardés les uns les autres, mais personne n'a répondu. Ils ont ensuite jeté un regard au président qui, après un silence de 30 secondes, a dit qu'il pouvait uniquement nous souhaiter bonne chance à ce sujet.
Je me souviens avoir discuté après la rencontre avec un des membres, qui m'a confié que de nombreux Afghans n'aiment tout simplement pas les étrangers, peu importe d'où ils viennent.
C'est ce qui en est de la Russie. J'aimerais parler de la Corée du Nord, un État prétendument communiste qui n'a pas encore chuté. Voilà un État voyou, s'il en est un. Il s'agit selon moi d'une monarchie communiste de la descendance de Kim Il-sung.
J'ai visité la Corée du Sud environ 12 fois à des fins personnelles. Je suis allé à Panmunjeom à quelques reprises, où j'ai regardé de l'autre côté du Pont de non-retour sans jamais le traverser. À discuter avec des Sud-Coréens, on constate qu'ils détestent tous ce régime, et que nombreux sont ceux qui ont de la famille de l'autre côté de la frontière. Si le régime finissait par tomber, ils craignent tous que Séoul soit littéralement anéanti par toutes sortes de missiles nucléaires lancés par des adeptes de Kim Il-sung. C'est un peu comme un djihad communiste.
Il y a quelques mois, nous avons tous été témoins du tir manqué du missile en Corée du Nord. Que pensez-vous des enjeux nucléaires en présence d'un tel État voyou?
Le président : Lequel parmi nos témoins éminents aimerait tenter une réponse?
Le sénateur D. Smith : J'aimerais savoir si la situation est problématique. J'ai l'impression que le pays ne provoquera rien, mais je sais que les Sud-Coréens craignent une attaque, advenant la chute du régime pour une raison ou une autre.
Le président : Je vais demander à M. Tobey de commencer, après quoi ses collègues pourront compléter la réponse, au besoin.
M. Tobey : Sans problème, monsieur le président. Monsieur le sénateur, je pense que c'est une excellente question. J'ai assisté plusieurs fois aux pourparlers à six avec la Corée du Nord, et j'ai passé beaucoup de temps en Corée du Sud. Le problème est extrêmement complexe. Ce qui me semble un peu encourageant, c'est qu'au fond, la Corée du Nord est un pays faible entouré d'États puissants. Selon moi, le pays est limité puisqu'il confronte certaines des économies et des puissances militaires les plus fortes au monde.
Sur une touche personnelle, je crois que les négociations des 20 dernières années environ démontrent que la Corée du Nord est très peu encline à abandonner ses armes nucléaires — mes collègues ne partagent peut-être pas mon avis. Par conséquent, la solution doit provenir d'ailleurs, à savoir de la Chine et d'autres puissances de la région. Il doit être clair que la réunification pacifique de la péninsule coréenne constitue la seule véritable solution logique à cette tragédie économique, humanitaire et politique. Les Nord-Coréens sont incroyablement opprimés. En toute franchise, le pays entraîne une perte financière dans l'ensemble de la région. Le nord-est de la Chine est une région industrielle en déclin, mais elle connaîtrait une importante croissance économique si la Corée du Nord se réunissait démocratiquement avec la Corée du Sud.
M. Bunn : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter deux ou trois éléments. Il me semble que la Corée du Nord présente plusieurs dangers graves. D'une part, en cas de crise militaire, il est possible que la situation dégénère et que le pays ait recours à des armes nucléaires. Tout État qui possède de telles armes pose un risque semblable, mais celui-ci est particulièrement important dans un pays aussi totalitaire, et dirigé avec autant de tyrannie par une clique aussi limitée.
En deuxième lieu, qu'arrivera-t-il advenant la chute de la Corée du Nord, comme vous l'avez souligné? Si le régime nord-coréen s'écroulait et devenait un État en déroute, entre autres, nous aurions un problème d'éléments nucléaires incontrôlables sur les bras, comme c'est arrivé lors de la chute de l'Union soviétique, dans une certaine mesure. Or, le scénario serait probablement bien pire, car chaque région de l'ancienne Union soviétique possédait un gouvernement fonctionnel. En revanche, l'arsenal nucléaire de la Corée du Nord est bien moins important.
Le transfert des capacités de la Corée du Nord à d'autres pays constitue un autre enjeu de première importance. Par exemple, nous savons que le pays a exporté un réacteur plutonigène en Syrie. Mes collègues ne seront peut-être pas d'accord, mais je ne m'inquiète pas outre mesure de ce type de vente aux organisations terroristes. En effet, le régime nord- coréen tient à garder le pouvoir, et je doute fort qu'il fournisse aux terroristes un outil que ceux-ci pourraient utiliser par mesure de représailles, et qui pourrait faire tomber le régime à jamais. Puisque les ressources d'une organisation terroriste n'ont rien à voir avec celles d'un État, la valeur de la transaction n'est probablement pas assez importante pour être indispensable à la survie du régime nord-coréen.
Même si je suis d'accord avec M. Tobey pour dire que nous n'arriverons probablement jamais à convaincre la Corée du Nord de se départir de l'ensemble de son arsenal nucléaire, nous constatons que le pays se comporte mieux sur le plan nucléaire en période d'engagement et de négociations qu'en temps d'isolement et de sanctions. Il est de notre devoir d'attendre de voir jusqu'où iront les négociations et, plus particulièrement, de trouver une façon de limiter les occasions de transfert qui se présentent à lui, ce qui permettra au moins de freiner le programme nucléaire et d'en bloquer l'expansion.
Le sénateur D. Smith : Le dernier témoin aimerait-il intervenir?
Le président : Monsieur Saradzhyan, avez-vous quoi que ce soit à ajouter?
M. Saradzhyan : Je ne peux que répéter ce qui a été dit. Advenant la chute de l'État, je crois que la menace la plus grave ne serait pas le comportement suicidaire de ses dirigeants, mais plutôt le fait que des éléments nucléaires incontrôlables pourraient tomber entre les mains d'opportunistes, de généraux ou d'autres individus ayant accès à la matière nucléaire utilisable pour la fabrication d'armes, ou encore à des bombes, s'il y en a davantage qu'aujourd'hui. Ces individus pourraient vendre le matériel pour se faire de l'argent avant d'essayer de se réfugier dans un autre pays. Voilà la menace la plus grave; je ne pense pas que les dirigeants soient suicidaires au point de déployer tout leur arsenal sur la Corée du Sud ou sur les forces américaines de la région.
Dans la situation actuelle, le transfert de technologie entre les États constitue la menace la plus sérieuse — je suis encore une fois d'accord avec M. Bunn. Puisque le pays a réussi à effectuer la transaction clandestinement et sans se faire prendre avant que les travaux ne soient déjà bien avancés en Syrie, il pourrait recommencer. Quelles ont été les conséquences lorsqu'on a découvert le stratagème? Qu'est-ce qui aurait pu changer le comportement du pays? Aucune sanction particulièrement sévère ne semble lui avoir été infligée.
En ce qui concerne le transfert aux acteurs non étatiques, je pense que même si le pays ressemble à une secte qui cherche uniquement à imposer une idéologie dépassée depuis longtemps, il désire aussi survivre. Il serait suicidaire de transférer des armes, ou du matériel nucléaire utilisable pour la fabrication d'armes à un acteur non étatique qui compte s'en servir, car les États-Unis ont indiqué explicitement être prêts à faire usage de leurs armes de destruction massive contre celui qui sera à l'origine d'une telle attaque. Les représailles ne sont plus un problème. Je doute donc que le pays adopte un tel comportement suicidaire.
Le sénateur D. Smith : Ce serait effectivement suicidaire. Merci.
Le sénateur Dallaire : Vous avez dit que l'uranium que nous produisons n'est pas enrichi, et qu'il est utilisé dans différents secteurs. Voici ce qui constitue la véritable menace, selon moi : un groupe qui arriverait à convaincre les services du renseignement de sécurité et les pays qu'ils sont menacés par une bombe sale, par des radiations ou par tout autre dispositif.
En ce qui concerne la distribution des matières premières dans le monde, y a-t-il suffisamment de mesures de contrôle en place pour éviter tout point faible dans la chaîne, même avant de passer d'une intermédiaire à l'autre? Si la destruction de deux tours arrive à semer la panique, la seule rumeur d'un vol de cette matière en Saskatchewan pourrait susciter l'angoisse. La situation est-elle actuellement bien contrôlée en vertu de nos lois et de nos règlements, ou si nous pouvons faire mieux en Amérique du Nord?
M. Bunn : C'est une bonne question. Si vous craignez la peur et la panique que pourrait semer la menace d'une bombe sale, je vous dirais d'élargir votre perspective bien au-delà de l'uranium. En effet, l'uranium extrait du sol n'est pas très radioactif et ne pourrait pas être la source d'autant d'affolement. Toutefois, des substances radioactives se trouvent dans les hôpitaux, sur des sites industriels et à une grande variété d'endroits au Canada, aux États-Unis et dans la plupart des pays du monde, et elles pourraient être assez dangereuses si elles étaient disséminées par des terroristes.
À mon avis, il reste encore bien du chemin à faire pour améliorer la sécurité et la localisation de ces substances. Certains pays qui utilisent les matières radiologiques depuis moins longtemps que les États-Unis ont créé une base de données sur la création et la destruction du matériel. Ils suivent la trace de chaque déplacement de substance radiologique, qui doit notamment être justifié. Les États-Unis ne possèdent pas encore de registre semblable, mais je pense que c'est la voie à suivre.
Les États-Unis ont notamment recours à de simples alarmes et à diverses mesures de dissuasion; j'ignore s'il y a quoi que ce soit de ce genre au Canada. Dans les hôpitaux, par exemple, il est plus difficile de retirer la composante radiologique d'une pièce d'équipement médical. Il faut donc, d'une part, modifier l'équipement afin qu'il soit difficile à démonter pour en retirer la source et, d'autre part, installer des alarmes intégrées qui sont directement reliées au service de police local, par exemple, afin que celui-ci soit au courant du vol.
Le sénateur Dallaire : Puisqu'on a tendance à traiter la population comme des élèves de neuvième année, en particulier les médias, même le vol d'uranium pauvre pourrait provoquer une réaction. À mes yeux, les dispositions législatives couvrent pratiquement tous les éléments qui pourraient d'une façon ou d'une autre entraîner un problème de radiation, qu'il s'agisse d'une composante du dispositif ou d'un produit enrichi, et qui devraient exiger le même niveau de sécurité que les bombes et les systèmes permettant de les faire exploser, n'est-ce pas?
M. Bunn : Je crois qu'il est logique d'employer une méthode structurée et graduelle. Autrement dit, les sanctions et les mesures de contrôle les plus sévères doivent s'appliquer aux matières qui seraient les plus problématiques si on en perdait le contrôle, et les mesures de contrôle s'affaiblissent progressivement dans le cas de matières moins risquées. C'est ce qu'on appelle des garanties graduelles au sein de la communauté internationale.
Je pense que l'approche généralement adoptée par les autorités réglementaires canadiennes est d'appliquer les mesures de contrôle les plus sévères sur les aspects qui doivent être prioritaires. Je ne dis pas qu'on ne devrait exercer aucune forme de contrôle sur les éléments moins menaçants, mais qu'il faut veiller à ce que les plus dangereux demeurent la priorité.
Le sénateur Dallaire : Merci. J'aimerais préciser que ce n'est pas l'utilisation de ces éléments matériels, mais plutôt la menace de leur utilisation après les événements du 11 septembre 2001 qui a rendu tout le monde très inquiet et nerveux. Je ferais valoir que n'importe quel élément qui présente une faille ou qui fait l'objet de mesures de sécurité moins sévères peut être exagéré par les médias et par la panique de la population, y compris les politiciens, pour susciter la peur et parvenir à un but. Si on peut y arriver avec des sous-vêtements, c'est encore plus facile avec ce genre de matériel.
Le président : Je suis désolé de ne pas vous avoir donné la parole pendant la première série de questions, sénateur Frum.
Le sénateur Frum : Il n'y a pas de problème, monsieur le président. Je serai brève, car je sais que nous arrivons à la fin du temps qui nous a été imparti. Messieurs, dans votre rapport, vous avez mentionné que l'un des points qui rendent vulnérable au terrorisme nucléaire était la quantité de renseignements sensibles — c'est-à-dire les renseignements liés aux armes nucléaires — qui sont accessibles dans Internet.
Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez exactement par cela, mais aussi nous dire ce que les gouvernements responsables peuvent faire — s'ils peuvent y faire quoi que ce soit — pour contrôler ces renseignements apparemment dangereux qui circulent dans Internet?
M. Tobey : Malheureusement, je pense qu'il s'agit essentiellement d'une réalité. Lorsque les armes nucléaires ont été créées, en 1945, quelques dizaines de personnes avaient accès à ces technologies, mais ce nombre est rapidement passé à plusieurs centaines. Toutefois, je crois qu'il y a maintenant des dizaines de milliers d'Américains qui ont accès à des renseignements sur la conception d'armes nucléaires, et des milliers d'autres dans les divers programmes nucléaires à l'échelle mondiale.
À une certaine époque, une personne qui planifiait un complot terroriste aurait dû se rendre aux États-Unis et étudier dans une bibliothèque scientifique. C'était en quelque sorte un obstacle, même s'il n'était pas insurmontable. Il fallait certainement faire vérifier son visa.
Évidemment, de nos jours, comme vous l'avez souligné, la plupart de ces renseignements sont disponibles dans Internet. Le monde est beaucoup plus interconnecté qu'avant. Je ne vois pas comment nous pourrions retourner en arrière. Il existe peut-être une façon de le faire, mais je me suis penché sur ce problème lorsque je travaillais au gouvernement et il n'y a aucune solution évidente.
M. Bunn : Je suis d'accord avec M. Tobey en ce qui concerne la disponibilité de ces renseignements; une fois que le cheval s'est échappé, on ne peut plus le ramener à l'écurie. Ce que cela signifie, c'est qu'il est important de contrôler les ingrédients indispensables à la recette. Si on ne peut pas obtenir le matériel nucléaire nécessaire pour fabriquer une bombe, on ne peut pas la fabriquer, peu importe la quantité de renseignements auxquels on a accès. Encore une fois, cela démontre l'importance de la sécurité liée aux armes nucléaires et aux éléments essentiels à leur fabrication.
M. Saradzhyan : Je pense que dans le cas de la Russie — et je soupçonne que c'est le cas d'un grand nombre d'autres gouvernements —, les organismes responsables de la sécurité, qu'il s'agisse de la police ou des services spéciaux, sont manifestement dépassés. Ils n'ont tout simplement pas la capacité de trouver et de fermer ces sites, même ceux qui sont dans le domaine de leur gouvernement national. Je peux voir ce problème se manifester dans des actes terroristes perpétrés en Russie, par exemple, l'attentat à la bombe dans un marché en plein air. Les ultranationalistes ont utilisé une bombe qu'ils avaient fabriquée à l'aide de plans téléchargés dans Internet.
Les sites existent, et sur un segment russe d'Internet, je peux trouver des dizaines de sites qui offrent toutes sortes de renseignements sur la conception de différentes armes. Je pense que vous devriez décider la meilleure façon d'utiliser les ressources disponibles pour mettre fin à cela. Je suis d'accord avec M. Bunn; c'est tout simplement impossible, même si 10 fois plus de gens travaillaient à régler le problème de la disponibilité de ces renseignements dans Internet. Il est préférable de tenter de renforcer la sécurité relative aux éléments matériels et aux armes que d'essayer de fermer tous les sites Web qui pourraient contenir des renseignements sur la conception d'armes.
Le président : Merci, monsieur Saradzhyan. Au nom de tous les membres du comité, je remercie MM. William Tobey, Matthew Bunn et Simon Saradzhyan de nous avoir aidés et d'avoir été si généreux de leur temps, leurs avis, leur expérience et leurs travaux sur la question à l'étude. Nous sommes aussi très reconnaissants au Belfer Center de la Harvard Kennedy School de nous avoir appuyés et aidés.
[English]
Il s'agit de la neuvième réunion de ce comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme tenue au cours de la première session de la 41e législature du Canada.
Dans le cadre de notre deuxième séance, cet après-midi, nous accueillons Miles Pomper, agrégé de recherche principal au James Martin Center for Nonproliferation Studies du Monterey Institute for International Studies. M. Pomper témoigne par vidéoconférence de Washington.
Nous poursuivons notre examen du projet de loi S-9, loi sur le terrorisme nucléaire. Ce projet de loi de 10 articles établit quatre nouvelles infractions punissables par voie de mise en accusation en vertu de la partie II du Code criminel. Des dispositions relatives à ces quatre nouvelles infractions interdisent certaines activités relatives à des matières ou à des engins nucléaire ou radioactif.
[Translation]
Monsieur Pomper, d'après ce que nous comprenons, vous avez un exposé. Nous sommes très heureux de vous accueillir et nous vous invitons à livrer votre exposé; nous vous poserons ensuite des questions.
Miles Pomper, agrégé de recherche principal, James Martin Center for Nonproliferation Studies, Monterey Institute of International Studies : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à m'entretenir avec vous du projet de loi S-9. Je sais que vous avez entendu plus tôt aujourd'hui, trois autres spécialistes de l'Université Harvard dans le domaine de l'antiterrorisme nucléaire, et je suis convaincu qu'ils vous auront parlé de la nature très réelle de la menace terroriste nucléaire et radiologique, et qu'ils vous auront expliqué pourquoi des mesures comme celles que vous envisagez aujourd'hui sont importantes pour la sécurité du Canada. Je me pencherai donc, dans mon exposé, sur deux aspects. Tout d'abord, je ferai une comparaison entre le projet de loi S-9 et une loi semblable que le Congrès américain envisage d'adopter; ensuite, je parlerai de l'importance de faire progresser les traités pour appuyer les efforts en vue d'assurer la sécurité nucléaire à l'échelle mondiale.
L'administration Bush a proposé au Sénat des États-Unis les modifications de 2005 à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires et à la Convention sur le terrorisme nucléaire pour obtenir son avis et son consentement. Il a facilement été obtenu en 2008. Toutefois, aux États-Unis comme au Canada, il faut adopter une loi d'application pour que les traités puissent être ratifiés par le pouvoir exécutif.
En 2010, peu avant le Sommet sur la sécurité nucléaire qui s'est tenu à Washington, l'administration Obama a proposé un premier projet de loi à un Congrès dont les deux Chambres étaient dominées par les démocrates, puis un autre à peu près semblable, en 2011, à un Congrès divisé, c'est-à-dire avec une Chambre républicaine et un Sénat démocrate. Dans les deux cas, les objections venaient principalement des démocrates du Congrès. Leurs principales préoccupations étaient liées au fait qu'à leur avis, le projet de loi accordait à l'exécutif des pouvoirs dépassant ce que les conventions elles-mêmes envisageaient en matière de peine de mort et de mise sur écoute.
Au bout de presque un an de négociations qui se sont déroulées entre 2011 et 2012, on est arrivé à un compromis, et un projet de loi appuyé par l'administration a été déposé la semaine dernière, puis adopté par le Comité judiciaire de la Chambre mercredi dernier. Le projet de loi doit encore être adopté par la Chambre plénière, et le Sénat doit donner suite à une loi semblable. Il semble que le Sénat envisage un projet de loi non seulement plus étendu que celui de la Chambre actuelle, mais plus encore que le projet initial de l'administration. Il est donc peu probable que la loi qui sera adoptée ressemble au projet de loi actuel de la Chambre. Toutefois, je vais le décrire et expliquer comment il diffère de la proposition initiale de l'administration.
Cela porte sur certains aspects. En ce qui concerne les peines, le projet de loi américain prévoit de nouvelles infractions semblables aux quatre infractions qui, selon le projet de loi S-9, seraient ajoutées au Code criminel du Canada. La première proposition de l'administration Obama aurait peut-être permis que certaines de ces infractions soient assorties de la peine de mort comme c'est le cas d'autres infractions à des lois fédérales liées au terrorisme. La loi envisagée actuellement par le Congrès ne prévoit pas la peine de mort pour ces infractions, mais leurs auteurs pourraient vraisemblablement être accusés d'autres crimes les rendant passibles de cette peine. Maintenant, selon le projet de loi de la Chambre, la peine maximale applicable à toutes ces infractions serait l'emprisonnement à perpétuité et une amende de 2 millions de dollars.
De cette façon, le projet de loi de la Chambre américaine diffère du projet de loi S-9 au sens où non seulement les trois autres infractions, mais aussi la menace de commettre des infractions, peuvent entraîner une peine d'emprisonnement à perpétuité et une amende de 2 millions de dollars. Dans le cas du projet de loi S-9, l'auteur d'une menace de ce genre ne risquerait qu'une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement, et aucune amende n'est mentionnée.
Ensuite, il y a la question de la mise sur écoute. La mesure initiale que proposait l'administration américaine aurait permis d'ajouter le terrorisme nucléaire et radiologique aux crimes susceptibles de faire l'objet d'une mise sur écoute. Ce n'est pas le cas du projet de loi de la Chambre américaine. Par contre, le projet de loi S-9 ajoute de nouvelles infractions à celles au sujet desquelles le Code criminel permet aux autorités policières de demander l'autorisation d'intercepter des communications privées.
Il y a aussi des différences sur le plan de la portée des projets de loi. Je sais que certains sénateurs se sont plaints que le projet de loi S-9 n'inclut pas la « fabrication » d'engins radioactifs dans les infractions envisagées. Le projet de la Chambre américaine l'a prévue. Pour le reste, la portée des actes punis par le projet de loi de la Chambre américaine semble plus restreinte que celle du projet de loi S-9. Cela s'explique en partie par le fait que certaines infractions liées aux activités nucléaires, contrairement à celles liées aux crimes radiologiques, étaient déjà prévues dans le droit américain. Toutefois, la différence est encore plus grande.
Par exemple, la disposition du projet de loi S-9 punit les actes commis contre des installations nucléaires ou ceux qui entraînent une grave perturbation ou les actes perturbant gravement ou paralysant leur fonctionnement dans l'intention de causer la mort, des lésions corporelles graves ou des dégâts importants à des biens ou à l'environnement.
Quant au projet de loi de la Chambre américaine, il limite ces délits de sabotage à ceux qui « provoquent la dispersion ou accroissent le risque de dispersion des matières radioactives ou entraînent une contamination ou une exposition aux radiations. »
Indépendamment du projet de loi envisagé ici, je tiens à rappeler qu'il est important pour la sécurité mondiale que le Canada ratifie ces traités. Comme vous le savez, le Canada et d'autres pays ayant participé aux sommets sur la sécurité nucléaire de 2010 et 2012 se sont engagés à ratifier ces conventions. Au sommet de 2012, qui s'est tenu il y a quelques mois à Séoul, les États participants se sont aussi engagés à faire entrer en vigueur la modification de 2005 à la CPPMN d'ici le sommet de 2014. Pour cela, il faut que les deux tiers des 145 États participant à la Convention, soit 97 d'entre eux, aient ratifié le traité. Jusqu'ici, seulement 56 d'entre eux l'ont fait.
En ratifiant le traité, le Canada ne fera donc pas que nous rapprocher du chiffre magique autorisant son entrée en vigueur. Le Canada est un pays profondément respecté par la collectivité internationale en raison de son leadership dans les questions nucléaires et de sa participation à la diplomatie multilatérale. La ratification du traité par le Canada incitera donc d'autres pays à prendre des mesures pour le ratifier à leur tour et, ainsi, améliorer la sécurité à l'échelle mondiale.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de vous parler et je suis à votre disposition si vous avez des questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Pomper.
[English]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Pomper, si on avait un parallèle à faire entre la politique canadienne traitant du nucléaire et la politique américaine, comment compareriez-vous ces deux politiques?
Est-ce que le Canada se rapproche de ses alliés concernant les deux politiques nucléaires et, entre autres, évidemment ses alliés américains?
[Translation]
M. Pomper : En général, le Canada et les États-Unis accordent sensiblement la même valeur à ces conventions et à la sécurité nucléaire. Les deux pays ont des régimes de sécurité nucléaire interne assez solides sur le plan des normes de protection physique et en ce qui concerne leurs inquiétudes au sujet des éléments matériels. Par exemple, nous exigeons que nos forces soient régulièrement formées, ce qu'un grand nombre de pays ne font pas, et nos deux pays ont appuyé ces conventions.
Je dirais qu'il y a un point qui me préoccupe au sujet du Canada, même s'il n'est pas directement lié à la question à l'étude. Nos deux pays collaborent étroitement et cherchent à punir le même type de crimes. Cela concerne en quelque sorte la minimisation de l'importance de l'uranium très enrichi. Comme vous le savez, le Canada est un joueur important dans l'industrie des isotopes médicaux et il utilise de l'uranium très enrichi pour les fabriquer, une pratique que d'autres pays, y compris les États-Unis et des pays de l'Europe de l'Ouest, ont proposé d'éliminer graduellement.
À l'exception de cette petite différence, les États-Unis, le Canada et certains de ses alliés sont sur la même longueur d'onde.
Le président : Comme vous le savez peut-être, au Canada, nous n'avons plus la peine de mort depuis les années 1960. Le changement dans la loi après la négociation dans le contexte américain était de passer de la peine de mort à l'emprisonnement à vie et à une amende substantielle.
Si on ne tient pas compte du fait que contrairement au Canada, un grand nombre d'États américains infligent toujours la peine de mort, quel est votre avis sur les peines qui sont maintenant prévues dans les projets de loi canadien et américain, c'est-à-dire que celle prévue par le projet de loi américain est l'emprisonnement à vie et une amende de 2 millions de dollars et que la nôtre est moins coûteuse? Avez-vous un point de vue constructif au sujet du facteur dissuasif de ce type de loi, en mettant de côté les différences entre les façons de fonctionner des deux pays?
M. Pomper : L'élément important — et je pense que les deux pays l'ont maintenant intégré à leur loi —, c'est que ce sont des crimes très graves qui méritent des peines sévères. C'est aussi ce qui a résulté des conventions : ce sont des crimes graves qui méritent des peines sévères. Je crois que nos deux pays ont satisfait à cette norme. Comme je l'ai fait remarquer, le Canada doit déterminer s'il est justifié d'infliger des peines différentes dans les cas de menaces et dans les cas où les infractions sont réellement commises. Pourquoi infligeriez-vous des peines différentes dans ces cas?
Pour être honnête, je ne connais pas assez les lois et la jurisprudence canadiennes pour savoir si c'est la façon habituelle du Canada de procéder en ce qui concerne ces questions. Toutefois, je crois que l'imposition d'une amende est logique; je me demanderais seulement ensuite si on devrait punir les menaces autant que les crimes.
Le sénateur Dallaire : Je suis préoccupé par le fait que nous n'avons pas mentionné spécifiquement la bombe, le dispositif, dans le projet de loi, et qu'il pourrait s'agir d'un élément que nous devrions sérieusement envisager.
Toutefois, à cet égard, quel type de philosophie est nécessaire pour pallier le manque de structures adéquates de sécurité chez les responsables qui ont été choisis pour la supervision, les différents inspecteurs généraux, et cetera? Devrait-on aussi les préciser dans la loi, en raison de la nature du sujet, comparativement à leurs processus disciplinaires normaux, qu'ils soient militaires ou civils? Serait-ce plus important si les usines de production d'énergie embauchaient diverses entreprises de sécurité dont la loyauté et l'éthos pourraient parfois être remis en question? À quel point analyse-t-on ces personnes?
D'après vous, est-ce que la preuve d'incompétence ou de la commission d'erreurs dans ce domaine ne devrait-elle pas viser non seulement un effet dissuasif, mais, aussi, favoriser le travail bien accompli?
M. Pomper : Je dirais qu'il vous incombe de déterminer s'il est mieux de l'exprimer dans une loi ou dans un règlement, ce qui, je suppose, est actuellement le cas.
Il y a des limites à ce que l'on peut préciser dans la loi. Je pense qu'une grande partie du problème relève de votre responsabilité de surveiller les responsables de l'application des règlements pour déterminer s'ils font du bon travail. Un moyen utile, négligé des Canadiens, mais pas des Américains, serait d'exiger de ces responsables la publication d'un rapport annuel sur la sécurité nucléaire et les mesures qu'ils prennent à cet égard. Ce rapport permettrait une meilleure surveillance de la fonction de réglementation. Cependant, je ne suis pas sûr du niveau de détail jusqu'où la loi peut aller pour chaque sanction, chaque vérification des antécédents, et cetera. Cela risque de se traduire par une rigidité excessive, mais c'est évidemment une décision que vous devrez prendre.
Le sénateur Dallaire : Je ne vous pose pas la question en ma qualité de juriste, bien que, en ma qualité de commandant, j'aie disposé, il n'y a pas si longtemps, du droit d'infliger la peine de mort. Je vous questionne sur la nature des répercussions de cette menace. Ici, il ne s'agit pas simplement de quelqu'un qui n'a pas verrouillé la portière d'un camion appartenant à une firme locale. Si c'était connu et même utilisé, les répercussions pourraient être mondiales. Ne devrions-nous pas menacer les joueurs du secteur de la sévérité de la loi, afin de les dissuader de même essayer, parce que le risque, pour leur liberté et même pour leur emploi serait beaucoup plus grand?
M. Pomper : Je pense que ça vaut la peine d'être pris en considération. À vous simplement de juger si ce sera trop difficile de formuler les dispositions en précisant le degré souhaité d'application. Le Canada est assujetti à certaines exigences fondamentales et à certaines normes de sécurité. La vraie question à se poser est : sont-elles appliquées? La formation est-elle donnée? Les exercices sont-ils exécutés? Et cetera. Vous pouvez légiférer sur ces questions, mais, au bout du compte, vous devez encore publier des rapports ou prévoir un mécanisme pour vérifier que tout cela est exécuté. Le véritable enjeu, c'est de s'assurer de recevoir les rapports et d'exercer la surveillance visant à s'assurer de l'application des règlements ou des lois. Le plus important, d'après moi, c'est le suivi.
Le sénateur Dallaire : Les utilisateurs de ce matériel sont des sociétés civiles qui, bien sûr, sont assujetties à la primauté du droit. Elles sont également assujetties à une autre loi, celle du profit, et elles trouvent toutes sortes d'idées innovantes pour augmenter les profits en faisant moins d'efforts.
Nous observons ce comportement dans un certain nombre de domaines, même le médical, où le travail bâclé a des conséquences. Les avions qui s'encastrent dans des immeubles, c'est une chose. Dès que cela arrive, c'est la panique dans le monde entier. Dès la destruction d'Atlanta ou d'une autre cible par la première arme nucléaire tactique, les carottes sont cuites. Il me semble que je pourrais peut-être vous faire dire, au moins, que la loi doit se montrer plus rigoureuse pour ceux aussi qui veillent à la sécurité de ce matériel, pas seulement pour les éventuels criminels, notamment, parce que la plus grande menace pour les systèmes nucléaires, c'est leur vol.
M. Pomper : Comme j'ai dit, cela mérite réflexion. C'est au législateur, à vous, de décider de la façon la plus efficace de responsabiliser les gens. S'agit-il de l'exprimer dans la loi et peut-être d'y énumérer des crimes ou d'autres infractions? Ou, encore, même si les normes réglementaires sont suffisantes, peut-être ne les applique-t-on pas? Vous devez examiner en détail les mesures appliquées et déterminer si des lacunes ne se situent pas à ce niveau.
Je pense que la qualité des règlements canadiens est en général assez bonne et que, en conséquence, il peut s'agir de savoir si on criminalise suffisamment l'omission d'avoir fait respecter le règlement. Les pénalités sont-elles uniquement administratives? Est-il censé y avoir des sanctions pénales? Vous devrez pousser la réflexion jusqu'à ce point. Je ne veux pas répondre, faute de connaître suffisamment les détails du règlement canadien à ce sujet.
Le sénateur Dallaire : J'essaie de vous faire dire que ce n'est pas une situation que l'on voit tous les jours.
M. Pomper : Bien sûr. C'est un problème très grave, qui relève des exploitants et qu'il faut donc prendre au sérieux. Il ne s'agit pas ici de simplement exploiter une usine ou une affaire normale.
Le sénateur Dallaire : Ce n'est pas les affaires. Merci.
Le sénateur Buth : Merci, monsieur Pomper, d'être ici. Dans votre exposé, vous avez dit que le Sénat américain cherche à faire adopter un projet de loi qui ratisse plus large que le projet de loi actuel de la Chambre, mais, également, que le projet initial de l'Administration.
Pouvez-vous nous donner une idée des ambitions du Sénat pour ce projet de loi? Pouvez-vous prévoir jusqu'où il ira et à quel moment il est susceptible d'être déposé? Quand les négociations entre la Chambre et le Sénat pourraient-elles se terminer?
M. Pomper : Je peux vous en parler un peu. Rien n'a encore été rédigé. Je n'ai donc entendu que des rumeurs de corridor sur des cogitations. La Chambre est contrôlée par les démocrates. Elle est donc bien disposée à l'égard de l'Administration. Une partie du problème qui, aux États-Unis, découle de la peine de mort, vient de ce que les représentants noirs constituent le groupe le plus puissant, à la Chambre à ne pas en vouloir, parce que, dans le passé, on l'a appliquée de façon exagérée aux Noirs. Au Sénat, on n'a pas ce genre de clivage. J'incline à penser que certaines dispositions sur la peine de mort et l'écoute électronique peuvent revenir dans le projet de loi, dont on pourrait aussi élargir la portée. Cependant, comme on ne l'a pas encore déposé, c'est un peu trop tôt pour juger. Je ne fais que répéter ce que m'ont dit les initiés.
En ce qui concerne l'échéancier, la Chambre espère déposer le projet de loi pour débat en Chambre dans deux semaines. Habituellement, dans ce cas, le Sénat s'inspire du projet de loi adopté et enregistré par la Chambre pour donner au sien sa forme finale, et le résultat peut être très différent du projet de loi d'origine. Cela nous mène probablement en juillet. L'Administration est visiblement pressée. Elle s'est engagée à faire adopter un tel projet de loi au cours des deux derniers sommets. Elle est quelque peu dans l'embarras pour ne pas l'avoir encore fait, étant donné qu'elle a l'initiative du processus. Je prévois que ça bougera beaucoup au Sénat, cet été ou à l'automne, avant les élections.
Le sénateur Buth : D'après vous, ce sera donc probablement avant les élections?
M. Pomper : Oui, c'est ce que je pense.
Le sénateur Day : Monsieur Pomper, merci d'être ici et de nous aider dans l'étude du projet de loi. J'aimerais d'abord parler de l'éventuelle loi américaine, du processus qui se déroule là-bas et connaître vos observations concernant la portée de ce texte. Des sénateurs se sont plaints que le projet de loi S-9 n'englobe pas dans les infractions la fabrication d'un engin radioactif, contrairement à la loi américaine.
Puis-je vous demander de vous reporter à l'article 5 du projet de loi canadien, au bas de la page 3, si vous en avez un exemplaire sous les yeux. C'est là que se trouve, pour les besoins des articles 82.3 à 82.5, la définition d'« engin ». Dans le projet d'alinéa 82.2b), on lit que c'est « tout engin dispersant des matières radioactives ».
Ensuite, nous passons à la description de l'une des premières infractions créées, à la page suivante, où il est question de quiconque, dans l'intention de causer la mort, et cetera — et c'est la nuance qu'on apporte — modifie l'engin. Cette nuance est nécessaire, parce que, je suppose, un engin radioactif pourrait être un dispositif médical ou quelque chose de ce genre, employant une matière radioactive. C'est la modification de ce dispositif, dans l'intention de menacer, de causer la mort ou, encore, de causer des dommages à l'environnement ou des lésions corporelles.
Est-ce que cette nuance n'équivaut pas à la fabrication d'un dispositif radioactif?
M. Pomper : C'est possible. Je pense que la question se poserait si quelqu'un assemblait tous les matériaux non radiologiques, non nucléaires pour un dispositif, mais qu'on n'a pas la preuve de la présence de matières radiologiques. Je pense que ce serait le seul cas où il y aurait une différence importante entre la fabrication d'un engin et la modification d'un dispositif radiologique, ou tous les autres éléments de la fabrication de ce dont on aurait besoin pour fabriquer une bombe sale ou un dispositif radiologique.
Le sénateur Day : On lit : « Modifie toute matière radioactive ou tout engin », et il faut aller à la page précédente pour déterminer la nature de l'engin.
M. Pomper : L'« engin » a toujours été associé à des matières radiologiques. Dans ce cas, ce que je lis signifie que s'il existe un engin déjà utilisé en médecine ou dans un autre domaine pour dispenser des matières radiologiques et qu'on l'altère de manière à ce qu'il devienne un dispositif mortel au lieu de sauver des vies, c'est un crime.
Le sénateur Day : C'est sous...
M. Pomper : Dans le droit canadien et en vertu de cet article, d'accord. Si quelqu'un se servait de matières explosives, dans l'intention de l'utiliser dans une bombe sale, sans avoir effectué toutes les étapes, encore, avec la matière radiologique — il n'a assemblé que les matières explosives, le boîtier, ce genre de choses —, je constate que le cas ne serait pas prévu par la loi canadienne. Ce serait la seule situation.
Le sénateur Day : Est-ce que ce serait prévu aux États-Unis, à cause de la notion de fabrication?
M. Pomper : En principe. Je ne suis pas sûr qu'on pourrait prouver que c'est un dispositif radiologique si on n'y trouvait pas de matières radiologiques. En principe, cela pourrait donner lieu à une petite différence. Je ne veux pas exagérer la portée de cette différence, mais il y a des cas où il pourrait être utile au procureur de posséder ce pouvoir.
Le sénateur Day : Dans les lois des États-Unis, est-ce qu'on précise que la fabrication du dispositif radiologique se fait dans l'intention de causer la mort ou des dommages à l'environnement?
M. Pomper : On lit :
« [...] possède une matière radioactive ou fabrique ou possède un engin dans l'intention de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou de causer des dommages considérables à des biens ou à l'environnement ».
L'intention y est explicitée.
Le sénateur Day : Cette disposition ressemble beaucoup à la nôtre, sauf que nous utilisons « modifie »
M. Pomper : La différence est minime. Je ne veux pas en exagérer l'échelle. Je savais que c'était un sujet de préoccupation du comité. Je tenais tout simplement à signaler ce que disait la loi américaine.
Le sénateur Day : Un sujet de préoccupation pour certains membres du comité.
Je trouve l'article intéressant. Je n'ai pas d'exemplaire du Code criminel qui pourrait nous aider, mais je pense que c'est dans les articles 7 et 8 que les dispositions sur l'écoute électronique se trouvent. Ce n'est pas la version intégrale, mais je constate une utilisation intéressante d'« et cetera. ». Mon ami avocat conviendra que cette abréviation est inhabituelle dans un texte de loi.
M. Pomper : Je suis désolé. Je ne trouve pas l'article 7 dans votre loi.
Le sénateur Day : L'article 7, page 5 de notre projet de loi S-9. Trouve-t-on quelque chose de semblable dans la loi américaine ou pouvez-vous nous aider à ce sujet?
M. Pomper : Quel passage?
Le sénateur Day : Je suis au début de l'article 7. Y a-t-il quelque chose d'équivalent aux États-Unis?
M. Pomper : Je ne crois pas. Laissez-moi voir.
Le sénateur Day : Habituellement, on ne trouve pas de résumés dans le corps d'une loi.
M. Pomper : Aucune disposition ne renferme d'« et cetera ».
Le sénateur Day : C'est bon à entendre, parce que je peux demander à nos préposés à la recherche de nous aider, et ils ne pourront pas dire que notre loi renferme la même expression que celle du Congrès des États-Unis. Merci beaucoup. Je suis reconnaissant de votre aide.
Le président : Monsieur Pomper, je tiens à vous exprimer la profonde reconnaissance du comité pour le temps que vous nous avez accordé, pour vos idées et l'analyse comparative des diverses lois, du point de vue américain et transnational.
Cela nous est extrêmement utile pour l'examen du projet de loi. Je tiens à vous remercier, vous, ainsi que le Monterey Institute for International Studies, de votre aide et de votre appui dans ce processus.
M. Pomper : De rien, monsieur le président.
Le président : S'il n'y a pas d'autre motion, je me contenterai de vous signaler que nous nous réunirons la semaine prochaine, lundi, pour entendre des témoins du MAECI et de la Gendarmerie royale du Canada. Dans la deuxième heure, nous passerons à l'étude article par article, comme convenu entre les deux principaux groupes. Nous espérons distribuer les observations et les amendements éventuels. Des discussions ont visé à faire connaître les amendements renforçateurs bien avant la fin de semaine, pour donner l'occasion d'y réfléchir avant notre réunion de lundi.
Le sénateur Day : Je tiens à dire, pour le compte rendu, que je pense qu'il est un peu inconvenant de coller l'étude article par article tout de suite après l'audition des témoignages. Habituellement, j'aime disposer d'un peu de temps pour réfléchir aux témoignages et aux témoins. Je comprends l'urgence de vouloir adopter le projet de loi, qui n'est pas si controversé, et je n'insisterai pas davantage, mais, à l'avenir, je pense que nous devrions prévoir du temps entre le dernier témoignage et l'étude article par article.
Le président : J'en prends bien note et j'espère que cela figurera dans le compte rendu du comité. Nous sommes très reconnaissants à l'opposition officielle de son indulgence sur cette question, en raison de l'urgence du projet de loi.
Si quelqu'un veut proposer une motion d'ajournement, j'acquiescerai.
Le sénateur D. Smith : C'est ce que je propose.
Le président : La séance est levée.
(La séance est levée.)