Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 12 - Témoignages du 29 février 2012
OTTAWA, le mercredi 29 février 2012
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi S-6, Loi concernant l'élection et le mandat des chefs et des conseillers de certaines premières nations et la composition de leurs conseils respectifs, se réunit aujourd'hui, à 18 h 45 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui suivent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet. Je suis Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur d'être le président du comité. Le comité a pour mandat général d'examiner les mesures législatives et les questions touchant les peuples autochtones du Canada.
Nous poursuivons aujourd'hui notre examen du projet de loi S-6, Loi concernant l'élection et le mandat des chefs et des conseillers de certaines premières nations et la composition de leurs conseils respectifs.
Nous recevons des représentants de l'Assemblée des chefs du Manitoba, de l'Association du Barreau canadien et de la Bande indienne de Lac La Ronge.
[Français]
Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais vous présenter les membres du comité qui sont présents ici ce soir.
[Traduction]
À ma gauche se trouve le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique. À côté de lui, il y a la vice- présidente du comité, le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan. On trouve ensuite le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, et assis à côté d'elle se trouve le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.
À ma droite, on a le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario, et à côté d'elle, le sénateur Stratton, du Manitoba. Il y a ensuite le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique, puis le sénateur Demers, du Québec. Le dernier, mais non le moindre, est le sénateur Patterson, du Nunavut.
Mesdames et messieurs les sénateurs, accueillons nos témoins. Je me suis entretenu avec eux et j'en suis arrivé à la conclusion que le premier intervenant sera la chef Tammy Cook-Searson, de la Bande indienne de Lac La Ronge.
La parole est à vous.
Tammy Cook-Searson, chef, Bande indienne de Lac La Ronge : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci. J'aimerais rendre hommage à la nation Nishnawbe, dont le territoire traditionnel sert de théâtre à nos discussions d'aujourd'hui.
Je vous remercie de m'avoir invitée à vous parler du projet de loi S-6, qui porte sur les élections au sein des Premières nations.
Dans son communiqué, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a affirmé que le projet de loi S-6 était le fruit d'une collaboration. À ma connaissance, ce projet de loi n'a été examiné ni par nos assemblées de conseil, ni par le Grand Conseil de Prince Albert, ni par la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan.
C'est le 20 février 2012 que la greffière de votre comité m'a invitée à témoigner au sujet du projet de loi S-6. Je n'ai donc eu que quelques jours pour me préparer en vue de la réunion d'aujourd'hui, ce qui, à mes yeux, n'est pas un bon exemple de vraie collaboration.
Notre Première nation, la bande indienne de Lac La Ronge, est signataire du document d'adhésion au traité 6, ratifié en 1889. Nous avons des droits conférés par traité et des droits inhérents de gouvernance. Nos élections se déroulent selon notre code coutumier.
Au Canada, l'élection d'un chef et des conseillers peut se tenir de trois façons, et une quatrième option est maintenant prévue dans le projet de loi S-6. Les trois systèmes que nous avons présentement sont les suivants : le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, les élections selon le code coutumier et les ententes sur l'autonomie gouvernementale. Le projet de loi comporte une quatrième option.
Tout d'abord, permettez-moi de préciser que je suis tout à fait en faveur d'un mandat de quatre ans. Tous les paliers de la démocratie canadienne, dont les gouvernements fédéral et provinciaux, ont des mandats de quatre à cinq ans. Nous rattrapons donc essentiellement les autres institutions démocratiques qui ont déjà des mandats de quatre ans.
Je crois que la plupart des Premières nations seront en faveur d'un mandat de quatre ans, mais des problèmes importants peuvent parfois accompagner un changement positif. Très souvent, ce sont les détails qui posent problème.
Ce que je reproche principalement à ce projet de loi, c'est qu'il n'apporte aucun changement positif par rapport à l'ancienne Loi sur les Indiens. Ni la Loi sur les Indiens ni le projet de loi S-6 intègre les principes constitutionnels des droits inhérents à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale. On laisse le pouvoir entre les mains du cabinet et du ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord du Canada, au lieu de donner une plus grande responsabilité aux Premières nations à l'égard de leur gouvernance.
Les quatre principaux points que j'aimerais aborder sont les suivants : la révocation du chef et du conseil par voie de pétition, le règlement des litiges par les tribunaux, l'absence de processus démocratiques, et le pouvoir excessif du cabinet et du ministre.
Parlons d'abord de l'article 36, qui porte sur la révocation du chef et du conseil par voie de pétition, et non par la tenue d'une élection démocratique. Personne au Canada n'est destitué par suite d'une pétition. Nos premiers ministres et nos députés, tant fédéraux que provinciaux, sont démis de leurs fonctions par suite d'une élection. Comment se fait-il que toutes ces personnes ne sont révoquées que par la tenue d'une élection et l'exercice de la démocratique alors qu'une simple pétition peut entraîner la révocation des dirigeants des Premières nations? Même les sénateurs, qui sont nommés, ne peuvent être destitués par voie de pétition.
Voilà qui m'amène au deuxième point : le recours aux tribunaux pour régler les litiges. À l'article 33, on recommande maintenant de s'adresser à la Cour fédérale ou à la cour supérieure de la province. Je suis d'accord avec d'autres témoins qui ont comparu devant votre comité pour dire que ce qu'il faut pour régler toute contestation électorale, c'est une commission électorale indépendante ou un tribunal des Premières nations. Le gouvernement fédéral et toutes les provinces ont déjà cet outil, qui fait naturellement partie de la démocratie. Si cet outil est bon pour le gouvernement fédéral et les provinces, pourquoi ne conviendrait-il pas aux Premières nations? Pourquoi ne pas permettre la mise sur pied d'une commission électorale vraiment indépendante? Pourquoi les Premières nations doivent-elles se soumettre à de coûteuses procédures judiciaires alors que les autres Canadiens peuvent recourir à une institution démocratique pour régler les contestations électorales?
Troisièmement, je m'oppose à ce projet de loi parce qu'il n'établit pas de processus démocratiques cohérents. Pour qu'une Première nation adhère au régime prévu par le projet de loi S-6, il suffit d'une résolution du conseil de bande, sans consultation des membres de la bande; mais pour se retirer d'un tel régime, vous devez en appeler au peuple. Cela n'a aucun sens. La démocratie doit prévaloir du début à la fin du processus. L'adoption et l'abandon du régime prévu dans le projet de la loi S-6 est une grave décision qui touche la gouvernance d'une Première nation et qui peut avoir des répercussions sur elle pendant de nombreuses générations.
En gardant cette idée en tête, on doit conclure que la disposition concernant la résolution du conseil de bande doit inclure le vote de la majorité des membres de la Première nation. C'est ce que prévoit notre code électoral coutumier; pour modifier notre code électoral, il faut soumettre les changements envisagés à nos membres pour qu'ils puissent participer à une prise de décision éclairée.
Je parlerai enfin du pouvoir décisionnel excessif du ministre. L'alinéa 3(1)b) donne au ministre le pouvoir d'agir lorsqu'il « est convaincu qu'un conflit prolongé lié à la direction de la première nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci. » En fait, cette disposition empêche les membres d'une Première nation de s'y opposer. Cela signifie que lorsque les Premières nations débattent longuement pour défendre leurs positions respectives, le ministre peut intervenir, s'emparer du contrôle et de la responsabilité de nos membres ou nous imposer le régime prévu dans le projet de loi S-6, sans que nos membres puissent avoir voix au chapitre.
Je suis également préoccupée par le libellé de la modification corrélative à la Loi sur les Indiens, plus particulièrement par la définition de « bande » que l'on trouve à l'article 43, qui inclut les bandes qui ont choisi la nouvelle option, et l'alinéa 43d) qui dit ceci : « s'agissant de toute autre bande, le conseil choisi selon la coutume de celle-ci... ». Pourquoi les bandes qui ont un gouvernement autonome ne sont-elles pas incluses dans la modification corrélative? Est-ce à dire, encore une fois, que le ministre peut invoquer l'alinéa 3(1)b) pour annuler des élections démocratiques tenues conformément à la coutume d'une bande?
Pareillement, à l'article 41, le pouvoir décisionnaire en matière de réglementation revient toujours au gouverneur en conseil, qui est conseillé par le cabinet. C'est donc le cabinet, par l'intermédiaire du gouverneur en conseil, qui a le pouvoir juridique et final de prendre des décisions sur tout ce qui a trait aux élections des Premières nations. Je croyais que le rôle du gouverneur général était de décider de la dissolution du Parlement, sous la recommandation du premier ministre, et non de révoquer des gouvernements lorsque le débat est animé.
Des problèmes surgissent lorsque le pouvoir de réglementation sur les élections n'est pas assigné à l'autorité décisionnelle des Premières nations. J'en ai fait l'expérience lors des dernières élections provinciales de la Saskatchewan. Le cabinet provincial a modifié la procédure d'attestation ou de confirmation de l'identité des électeurs. Ces changements ont été apportés sans que nous soyons consultés. On exige dorénavant qu'une adresse fixe figure sur les pièces d'identité de l'électeur.
À cause des changements apportés par le cabinet provincial, nous, en tant que Première nation, ne pouvions pas confirmer l'identité des membres de notre bande puisque beaucoup vivent à l'extérieur de la réserve et qu'aucune adresse fixe ne figure sur les pièces d'identité d'un grand nombre d'entre eux. C'était un obstacle majeur à la participation au processus électoral. Heureusement, la province de la Saskatchewan a une commission électorale indépendante. En collaboration avec le directeur général des élections, nous avons trouvé une solution novatrice qui nous convenait. Le processus électoral a été amélioré pour tous nos membres et, en fait, pour tous les membres des Premières nations de la Saskatchewan.
Je le répète, il nous faut une commission électorale indépendante.
Nous n'avons obtenu le droit de vote qu'en 1960 et, au lieu d'utiliser des pratiques ou des systèmes désuets, nous devrions opter pour le meilleur de la démocratie moderne.
Pour terminer, j'ai été élue conseillère de bande à trois reprises, et j'en suis à mon troisième mandat en tant que chef. Je sais qu'un Canada fort a besoin de Premières nations fortes. Nous ne pouvons revenir aux vieilles stratégies coloniales du passé. Je suis venue ici pour proposer des façons de renforcer nos rôles et nos stratégies démocratiques. J'espère que les sénateurs et le gouvernement prendront nos recommandations au sérieux, pour le mieux-être de toutes les Premières nations et de tous les Canadiens.
Je vous remercie.
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Je vous souhaite du succès dans vos délibérations.
Le président : Nous allons maintenant donner la parole aux représentantes de l'Association du Barreau canadien, Aimée E. Craft et Tamra Thomson.
Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci. Nous sommes ravies de pouvoir nous entretenir avec vous ce soir au sujet du projet de loi S-6, au nom de la Section nationale du droit des Autochtones de l'Association du Barreau canadien. L'ABC est une association d'envergure nationale comptant plus de 37 000 avocats au Canada. Les membres de la Section nationale du droit des Autochtones sont des avocats spécialisés en droit des Autochtones et dans des questions connexes.
L'un des principaux objectifs de notre association consiste à améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est dans cette optique que nous avons rédigé la lettre que vous avez devant vous et dans laquelle vous trouverez notre exposé de ce soir.
J'aimerais demander à Aimée Craft, présidente de la Section nationale du droit des Autochtones, de faire des commentaires sur les questions de fond abordées dans cette lettre.
[Français]
Aimée E. Craft, présidente, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien : Bonsoir, honorables sénateurs et sénatrices. Il me fait plaisir d'être ici en tant que représentante de l'ABC, Section du droit autochtone.
[Traduction]
Ce projet de loi vise à rendre le processus électoral des Premières nations plus stable, efficace et transparent. Il codifie également bon nombre des litiges électoraux dont les tribunaux canadiens ont été saisis, comme vous le savez peut-être. Nous insistons néanmoins pour que ces efforts ne portent pas atteinte au droit, protégé par la Constitution, des Premières nations de mettre en place leurs propres systèmes de gouvernance interne. Dans mon exposé d'aujourd'hui, je vais aborder trois préoccupations et présenter trois recommandations portant, premièrement, sur les systèmes traditionnels de gouvernance; deuxièmement, le pouvoir discrétionnaire du ministre d'inscrire des Premières nations sur la liste des Premières nations participantes, qui se trouve en annexe; et, troisièmement, les appels en matière d'élections.
Premièrement, l'application du projet de loi aux Premières nations qui fonctionnent selon les systèmes coutumiers de gouvernance pourrait être contraire au droit à l'autonomie gouvernementale protégé par la Constitution. L'ABC recommande donc ceci : que le projet de loi soit modifié de sorte à en limiter la portée aux Premières nations qui utilisent actuellement un système électoral prévu par la Loi sur les Indiens; et qu'il exclut explicitement les Premières nations ayant signé des ententes sur l'autonomie gouvernementale et les Premières nations régies par des systèmes coutumiers de gouvernance, à moins que leur consentement ne soit obtenu suivant leurs pratiques traditionnelles ou, à défaut de cela, par l'obtention d'une double majorité des voix.
Deuxièmement, concernant le niveau de discrétion ministérielle permettant d'inclure des Premières nations à la liste des Premières nations participantes, cette disposition modifie le caractère facultatif de la mesure législative. Le ministre garde ainsi le pouvoir discrétionnaire d'exercer un contrôle sur la gouvernance des Premières nations; certaines Premières nations deviendraient ainsi assujetties à la loi, plutôt que d'être parties prenantes. En outre, le projet de loi ne définit pas clairement la norme que le ministre appliquera pour déterminer ce qui constitue un conflit prolongé lié à la direction qui a sérieusement compromis la gouvernance d'une Première nation. Le projet de loi laisse aussi planer le doute quant aux Premières nations qui seront incluses dans la liste en annexe parce qu'une élection a été rejetée en vertu de l'article 79 de la Loi sur les Indiens. Doit-on inclure les annulations récentes, futures et passées?
De plus, comme la chef Cook-Searson l'a mentionné — et votre comité s'est penché sur cette question —, l'alinéa 3(1)a) exige seulement qu'une résolution soit prise par le chef et le conseil pour inclure une Première nation dans la liste en annexe de la loi. Cette mesure pourrait être prise à l'encontre des pratiques coutumières d'une Première nation ou même sans le consentement et l'accord des membres d'une Première nation.
L'ABC recommande donc ceci : inclure une Première nation seulement lorsqu'il y a consentement démontrable ou, comme solution de rechange, clarifier l'intention du libellé et les normes que le ministre doit utiliser en application des alinéas 3(1)b) et 3(1)c).
Enfin, des conseilleurs juridiques vous ont déjà dit que des litiges en matière d'élection prenaient du temps et étaient extrêmement coûteux. Le projet de loi vise à remédier aux longues attentes associées aux appels adressés au ministre. Votre comité a recommandé de mettre en place des procédures d'appel à la fois transparentes, efficaces et peu coûteuses. Bien que les tribunaux puissent être plus efficaces que le système d'appel actuel, un tribunal spécialisé et indépendant permettrait d'atteindre les mêmes objectifs.
À l'instar de la Commission royale sur les peuples autochtones et de votre comité, l'ABC recommande qu'au lieu de recourir aux tribunaux, un ou plusieurs tribunaux indépendants puissent jouer le rôle d'arbitre en cas de litige en matière d'élection — des tribunaux qui reconnaissent l'expérience et l'expertise acquises dans les domaines du droit canadien, des élections des Premières nations et des traditions juridiques autochtones, y compris les mécanismes de règlement des conflits autochtones. Nous recommandons aussi de raffiner les mécanismes de résolution de conflits autochtones et internes et d'en élaborer de nouveaux.
J'aimerais faire remarquer au comité que la Cour fédérale a récemment adopté une approche en matière de litiges électoraux et cherche à régler les appels par des mécanismes de résolution des conflits au niveau communautaire plutôt que dans le cadre de poursuites. La Cour fédérale mène actuellement un projet pilote à cette fin. Ce projet propose une médiation de première ligne aux parties d'un litige interne, une médiation qui tienne compte des principes juridiques autochtones et des mécanismes de résolution de conflits autochtones.
Pour résumer, l'ABC a, par le passé, fait des mises en garde contre des dispositions législatives qui règlent ou prétendent régler à la pièce les problèmes posés par la Loi sur les Indiens. En outre, l'ABC croit qu'il faut protéger l'autonomie gouvernementale et préserver et améliorer les structures politiques internes de gouvernance des peuples autochtones en conformité avec la Constitution et les obligations internationales du Canada.
Ces recommandations et d'autres se trouvent dans la lettre que nous avons adressée au président du comité. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions, en français ou en anglais, ou de vous donner plus de détails sur nos recommandations.
Merci. Meegwetch.
Le président : Merci, madame Craft.
Grand chef Nepinak, la parole est à vous.
Derek Nepinak, grand chef, Assemblée des chefs du Manitoba : Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs, sénateurs, bonsoir. C'est un honneur d'être ici ce soir pour présenter un court exposé sur le projet de loi à l'étude, le projet de loi S-6.
L'Assemblée des chefs du Manitoba participe à cette discussion depuis deux ou trois ans et a fait connaître sa position, à savoir qu'elle est en faveur d'un mandat de quatre ans. Nous avons aussi parlé de mettre en place des tribunaux régionaux qui tiennent compte des normes habituelles et morales de notre peuple.
À titre de chef du Manitoba, je représente un peuple autochtone dont la situation géographique et démographique est unique. Une tradition de gouvernance vieille de plusieurs milliers d'années régnait jadis sur notre territoire et nous sommes maintenant aux prises, je crois, avec les conséquences de la Loi sur les Indiens et de la mise en place d'un système juridique qui a nui à notre épanouissement en tant que nations indépendantes.
On reconnaît aujourd'hui un passé difficile, notamment celui des pensionnats. Beaucoup de nos collectivités vivent avec les séquelles laissées par l'expérience des pensionnats. Bon nombre des problèmes que nous connaissons aujourd'hui dans le cadre de nos élections et dans la façon dont nous nous gouvernons trouvent leurs sources dans des politiques qu'une génération précédente a appliquées.
Voilà, fondamentalement, la prémisse de mon exposé. Je viens ici dans un esprit de collaboration et de respect pour les institutions de gouvernance qui existent au Canada, en reconnaissant que le projet de loi à l'étude peut être modifié. C'est dans cet esprit que je vous ferai part brièvement de mes réflexions sur quelques-unes des dispositions du projet de loi qui doivent être examinées plus attentivement et peut-être même modifiées.
Concernant l'alinéa 3(1)a), nous savons déjà que l'élaboration des codes coutumiers dans nos collectivités et l'adoption de ces codes doivent être ratifiées par une double majorité. Il faut donc tenir un référendum qui inclut une majorité d'électeurs ainsi qu'une majorité qui adopte le code coutumier. Cette double majorité traduit la capacité et la volonté des membres de notre collectivité à participer aux processus de gouvernance. À mon avis, ce projet de loi vient à l'encontre de ce principe, en permettant à un chef et à un conseil d'adopter une résolution afin d'adhérer au nouveau régime prévu par le projet de loi; ce qui est problématique puisqu'on exclut ainsi les membres de la communauté.
Par ailleurs, l'expression « conflit prolongé lié à la direction » me préoccupe également. Je ne suis pas certain de sa signification. Cette expression me paraît très ambiguë. Elle laisse toute la discrétion au ministre d'imposer le projet de loi S-6 à une collectivité qui ne souhaiterait pas adhérer au nouveau régime prévu par la loi.
Il est aussi question d'une gouvernance sérieusement compromise. Que signifie exactement cette expression et quelles normes seront appliquées? Il est possible que les normes et les seuils soient définis dans le règlement d'application. Il faudrait cependant que nous participions à l'élaboration de ce règlement. C'est ce que je dirais si vous me permettiez de faire une recommandation à ce propos.
L'article 9 est une bonne disposition législative, puisqu'il annule la norme établie par la décision Goodswimmer, qui permet à des non-électeurs de se présenter comme candidats au poste de chef. Je suis en faveur de cette disposition. Cela étant dit, je crois que les personnes qui n'entrent pas dans la catégorie des électeurs pourraient la contester en invoquant la Charte. Cette situation est préoccupante pour nous puisque nous savons qu'au fil des ans, d'autres parmi nos membres ne répondront plus aux critères établis pour faire partie d'une bande et, par conséquent, ne répondront plus aux critères pour devenir électeurs au sens de la loi.
Je crois que l'article 18, qui porte sur le vote secret, est quelque peu rigide. Cette disposition devrait être un peu plus souple pour permettre la tenue d'élections selon les modes coutumiers qui ont été suivis par le passé pour la sélection des dirigeants dans certaines de nos régions.
Selon la tradition des Anishinabeks, les électeurs se tiennent derrière leur dirigeant au moment des élections. Bien que cette pratique ne soit pas courante pour les élections au niveau communautaire, au niveau supérieur de direction, il est encore courant que les gens se tiennent derrière le chef qu'ils ont choisi. Cette façon de faire est contraire au concept de vote secret, mais je crois tout de même qu'il faut une certaine latitude pour permettre à ce type de coutume de survivre et d'être intégrée à ce nouveau concept.
Concernant les articles 30 à 35 qui portent sur la contestation d'une élection, les chefs du Manitoba ont appuyé la résolution voulant que la discussion se poursuive; en effet, nous pourrions envisager un processus judiciaire dans lequel des tribunaux ou des tribunaux régionaux seraient saisis des contestations électorales. Cela s'inscrit dans les efforts d'autodétermination de nos communautés, qui doivent être en mesure de régler leurs conflits et de faire des choix difficiles. Je crois que c'est sous la forme d'un tribunal — un organisme décisionnaire fondé de pouvoir — que nos valeurs et nos mécanismes de prise de décisions peuvent être mis de l'avant. Nous pouvons démontrer et réinstaurer les systèmes qui ont déjà existé. Je crois que nous méritons le respect et la latitude nécessaires pour mettre sur pied ces tribunaux, afin que nous puissions régler ces conflits à l'intérieur de nos systèmes. Cet aspect fait cruellement défaut dans ce projet de loi.
Je ne dis pas que les concepts de compétence des tribunaux posent problème. À bien des égards, je crois qu'il y a place pour les tribunaux en ce qui a trait aux contrôles judiciaires, aux règles de justice naturelle, et cetera. Il peut être nécessaire que les règles d'équité procédurale soient encore déterminées par les tribunaux compétents. Cela étant dit, un processus judiciaire doit être en place.
L'article 42 pose problème puisqu'il contredit l'article 3. Si une communauté peut choisir d'adhérer au régime prévu par la loi par résolution, comment se fait-il qu'il lui faut obtenir une double majorité des voix et répondre à tous les autres critères énumérés à l'article 42 pour radier son nom de l'annexe? À mon avis, il y a là un problème et la question doit être examinée à nouveau.
Voilà quelques-uns des points importants que je voulais aborder. Je serai ravi de répondre à vos questions. Je sais que les chefs du Manitoba ont été consultés et je félicite le grand chef qui m'a précédé d'avoir fait avancer ce débat. Je suis prêt à répondre à toutes les questions que vous voudrez me poser.
Le président : Je remercie les témoins. Mesdames et messieurs les sénateurs, avez-vous des questions?
Le sénateur Lovelace Nicholas : Bienvenue. Ma question s'adresse à Mme Craft.
J'aimerais parler des bulletins de vote postal. Il y a eu des activités frauduleuses dans le cadre des élections antérieures. Que suggériez-vous aux communautés qui doivent composer avec des élections frauduleuses? Quelle serait votre recommandation?
Mme Craft : Je crois qu'il y a des dispositions dans le projet de loi qui portent sur les bulletins de vote postal et que les tribunaux se sont penchés à maintes reprises sur l'à-propos de ce mode de scrutin. Évidemment, comme le grand chef Nepinak l'a mentionné, les concepts d'équité procédurale sous-tendent tous ces processus électoraux. Que cette question soit prévue dans le projet de loi à l'étude ou qu'elle ressorte dans le cadre d'un contrôle judiciaire mené par un tribunal qui doit tenir compte d'un système électoral coutumier, l'Association du Barreau canadien a toujours été en faveur d'un processus électoral clair et transparent. Dans un cas comme dans l'autre, nous pouvons dire que nous sommes en faveur d'un tel processus et de la protection des intérêts électoraux et démocratiques.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Croyez-vous que les Premières nations devraient tenir leurs élections en même temps que les élections fédérales? Serait-ce une possibilité?
Mme Craft : Vous posez là une question intéressante, madame le sénateur. Je ne crois pas que l'Association du Barreau canadien ait adopté une position à ce sujet. Les Premières nations seraient mieux placées pour vous répondre et vous dire si elles sont capables ou si elles sont disposées à tenir leurs élections en même temps que les élections fédérales.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Le chef voudrait-il répondre à cette question ou faire des commentaires?
M. Nepinak : Je serais ravi de faire un commentaire à ce sujet. Je ne crois pas que nous ayons formulé une position officielle sur cette question. À ce sujet, je crois qu'il faut reconnaître l'existence de gouvernements concurrents. Concernant les élections, à savoir si les Premières nations doivent tenir leurs élections en même temps que les élections fédérales, le fait que de nouveaux gouvernements puissent travailler de concert, élaborer ensemble des plans de travail, et ainsi de suite, aurait une certaine utilité. Toutefois, je n'en vois pas la nécessité puisque le gouvernement d'une Première nation mettra de l'avant son mandat et les défis qu'il entend relever. Le chef et le conseil doivent faire cela, peu importe la situation du gouvernement fédéral, la tenue d'une élection, et cetera.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Il me semble que le concept d'autonomie se rapproche de la politique du gouvernement fédéral actuel, qu'on se dirige dans ce sens. Par conséquent, ne devrions-nous pas tenir nos élections tous en même temps?
M. Nepinak : Je ne crois pas que ce soit nécessairement un critère. Comme je l'ai dit, les gouvernements des Premières nations élaborent leurs mandats selon la volonté de leur peuple et poursuivront ce mandat peu importe la situation du gouvernement fédéral et le moment où il tient ses élections.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Madame Craft, diriez-vous que les bulletins de vote postal ne devraient même pas exister puisqu'ils entraînent trop de problèmes? Ou devrais-je poser la question au chef?
Mme Craft : J'ai un début de réponse à cette question. Beaucoup de membres des Premières nations vivent à l'extérieur des réserves. Si on les exclut entièrement du processus démocratique qui touche leurs Premières nations, en ne leur permettant pas de participer à distance, comme nous le faisons pour les élections provinciales et fédérales... On causerait un tort indu à ces personnes, surtout si les élections se tiennent dans une réserve éloignée et que la simple participation à ces élections entraîne des coûts prohibitifs.
M. Nepinak : Je crois que les bulletins de vote postal sont présentement une nécessité. Un grand nombre de membres ne peuvent vivre à l'intérieur de la réserve parce que les logements y sont limités ou parce que l'accès aux services de santé ou au soutien de revenu est limité. Le problème est partiellement atténué par le vote par anticipation, que prévoit le projet de loi dans sa forme actuelle, je crois. Il convient d'établir des bureaux de scrutin hors réserve, là où se trouvent un grand nombre de membres d'une bande — à Winnipeg, par exemple — qui peuvent participer à une élection qui se tient dans leur communauté. Je crois qu'il faut conserver cela, et je suis en faveur des bulletins de vote postal pour l'instant.
Le sénateur Stratton : La question fondamentale sous-jacente est la suivante : croyez-vous que les bulletins de vote postal sont crédibles? Y a-t-il de l'abus? Le cas échéant, quelle est l'ampleur de cet abus? Voilà la question fondamentale qu'on se pose ici. Si vous approuvez le système qui est utilisé présentement, comment prévenez-vous les fraudes? Voilà la question.
Mme Craft : Je crois que nous convenons tous que des mesures de protection doivent être mises en place.
Le sénateur Stratton : Avez-vous une idée de ce que devraient être ces mesures?
Mme Craft : Ce projet de loi règle, dans un premier temps, la question des interdictions et des peines imposées à celui qui falsifie ou achète des bulletins de vote postal. Je ne suis pas certaine que la loi va assez loin, mais je crois qu'il faudrait, à un moment donné, discuter des mesures de protection ou des méthodes qui devraient être mises en place au niveau régional. Le grand chef voudrait peut-être nous dire ce qu'il en pense.
M. Nepinak : Je crois que le projet de loi répond bien aux préoccupations concernant les bulletins de vote postal en prévoyant des interdictions et des peines pour les personnes qui s'adonneraient à des activités frauduleuses. Je ne suis pas de ceux qui s'attardent à savoir si une personne est portée à acheter des bulletins de vote postal ou à agir de manière à compromettre le processus. Je crois qu'il revient au directeur des élections de s'assurer que toutes les normes pouvant être mises en place pour assurer une élection légitime sont suivies.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie de vos exposés et d'être présents parmi nous malgré le court préavis que certains d'entre vous ont reçu.
La porte-parole de l'Association du Barreau canadien a dit que le projet de loi pouvait être contraire aux pratiques coutumières, et ce commentaire a piqué ma curiosité. J'aimerais vous poser des questions à ce sujet.
De plus, si j'ai bien compris le grand chef Nepinak, il a dit que le projet de loi semblait menacer ou contredire les codes coutumiers, et il a cité l'article 19.
J'aimerais vous poser des questions à ce sujet parce que, d'après ce que je comprends, le régime prévu par ce projet de loi est facultatif. Si une collectivité ou une bande choisit de suivre la coutume, d'élaborer son propre code coutumier ou de conserver le code coutumier qu'elle a adopté, elle peut le faire. Ce n'est qu'une option offerte parallèlement au processus prévu par la Loi sur les Indiens, qui est encore en place et toujours utilisé par un certain nombre de bandes.
Je me demande donc pourquoi vous avez le sentiment que le projet de loi S-6 constituerait une violation, alors que les bandes ne sont pas obligées d'adopter ce régime.
Je crois que la représentante de l'ABC a dit aussi que le projet de loi devrait exclure les bandes qui ont signé des ententes sur l'autonomie gouvernementale ou les bandes qui suivent des codes coutumiers. Je le répète, le régime est optionnel, alors il n'est probablement pas nécessaire de préciser que ces bandes sont exclues, du moins d'après ce que je comprends. On ne remplace pas les codes; ce n'est qu'une option.
J'aimerais que les deux témoins répondent à ma question.
Mme Craft : Je serais ravie de vous répondre. Je sais qu'on a fait la promotion de ce projet de loi en disant que le régime proposé était facultatif, et je crois que c'était là l'intention originale, lorsque les discussions ont eu lieu avec les organisations des Premières nations. D'après ce que je lis, aux alinéas 3(1)b) et c), le ministre peut, à sa discrétion, ajouter le nom d'une Première nation à la liste des Premières nations participantes qui se trouve en annexe, sans son consentement, dans deux circonstances particulières. Nous avons parlé du libellé de l'alinéa 3(1)b) qui, à notre avis, n'est pas clair et permet au ministre d'ajouter le nom d'une Première nation à l'annexe.
Rien dans le projet de loi ne dit que cette mesure touche seulement les Premières nations qui sont présentement assujetties à la Loi sur les Indiens. Par conséquent, les bandes qui se gouvernent elles-mêmes ou qui tiennent des élections suivant leur code coutumier seraient visées par cette loi. Rien ne les exclut de la portée de l'alinéa 3(1)b) ou de l'alinéa 3(1)c). Ce dernier alinéa précise d'ailleurs qu'on peut inclure les Premières nations qui ont tenu une élection qui a ensuite été rejetée. Certaines Premières nations qui suivent présentement des codes coutumiers ont, par le passé, été assujetties au régime électoral prévu par Loi sur les Indiens et ont tenu des élections qui ont été rejetées en vertu de l'article 79. Encore une fois, en raison de l'ambigüité du libellé, on pourrait inclure des Premières nations qui suivent présentement un code coutumier, mais qui étaient auparavant assujetties à la Loi sur les Indiens et dont une élection a été rejetée. Le troisième problème vient de l'alinéa 3(1)a), qui prévoit qu'une Première nation, par résolution du conseil de bande, peut demander d'être ajoutée à la liste des Premières nations participantes qui se trouve en annexe, sans avoir obtenu le consentement de ses membres et sans nécessairement les avoir consultés par référendum. Pour ces motifs, le projet de loi pourrait violer les droits à un régime de gouvernance coutumier des Premières nations, qui sont protégés par la Constitution.
J'espère avoir répondu à votre question.
M. Nepinak : Je suis d'accord avec Mme Craft. On dit que cette mesure législative est facultative, et il y a certes une option offerte à l'alinéa 3(1)a). Toutefois, je crois que cette option disparaît aux alinéas 3(1)b) et c) lorsqu'on redonne le pouvoir discrétionnaire au ministre, dans des termes ambigus comme « conflit prolongé lié à la direction » et « a sérieusement compromis la gouvernance ». De plus, en cas de rejet d'une élection, l'alinéa 3(1)c) permet au ministre d'assujettir une bande à cette loi. Je crois que ce pouvoir discrétionnaire va au-delà de l'intention de la participation des bandes du Manitoba au processus.
Le sénateur Patterson : Je me demande si vous croyez qu'il est ambigu de dire qu'un conflit prolongé lié à la direction de la Première nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci. Pourquoi dites-vous cela? Cela me paraît très clair. Par le passé, ces situations étaient rares et nous espérons qu'elles le resteront. Le terme « prolongé » signifie qu'un conflit lié à la direction dure depuis longtemps et qu'il a compromis sérieusement la gouvernance, ce qui veut dire qu'il n'y a personne pour prendre des décisions. Le gouvernement est paralysé parce qu'il y a un litige entourant une élection; il n'y a aucune autorité en place, et aucune décision n'est prise au sujet de l'éducation, de l'eau, et cetera. À mon avis, cela décrit clairement une situation.
Quant à l'alinéa c), des manœuvres frauduleuses à l'égard d'une élection doivent avoir été constatées, et je pense qu'elles seraient très bien comprises. C'est la première fois, je crois, qu'une loi définit des manœuvres frauduleuses; elles ne sont pas mentionnées, du moins pas clairement, dans la Loi sur les Indiens. Ce sont des manœuvres comme l'achat, la vente et l'impression de bulletins de vote, la manipulation d'une urne ou le fait d'entraver la tenue d'une élection. Ces manœuvres sont énoncées ici.
Je conteste en quelque sorte ce que vous dites. Sans qu'on ajoute beaucoup d'autres mots, comment pouvez-vous dire que ces termes sont imprécis ou ambigus? Le sens de ces articles me paraît bien clair et ils ne s'appliqueraient que dans des circonstances exceptionnelles. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Je crois que les représentantes de l'ABC et le chef Nepinak ont mentionné la formulation incorrecte de ces articles.
Mme Cook-Searson : J'aimerais répéter ce que j'ai dit au sujet de l'article 3. Il permet au ministre d'agir lorsqu'il est convaincu qu'un conflit prolongé lié à la direction de la Première nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci. En effet, cet article enlève aux Premières nations le droit de s'opposer à une telle décision. Cela signifie que lorsque des Premières nations tiennent un débat prolongé dans lequel elles font valoir leurs positions respectives, le ministre peut intervenir et s'emparer du contrôle et de la responsabilité de notre peuple pour l'assujettir au projet de loi S-6 sans que notre peuple puisse avoir voix au chapitre. Lorsque je regarde la période des questions, que ce soit au niveau fédéral ou provincial, il arrive souvent que le débat s'éternise, ce qui se produit aussi chez les Premières nations. Les gens ne sont pas tous d'accord avec les gouvernements qui sont choisis par la population, mais c'est la majorité des gens qui nous ont élus pour les représenter. Oui, nous avons des débats à l'occasion, et nous sommes capables de les régler.
Je suis très préoccupée par le libellé de la modification corrélative, et plus particulièrement par la définition de « bande ». C'est ce qu'on trouve à l'alinéa 43d), qui dit ceci : « s'agissant de toute autre bande, le conseil choisi selon la coutume de celle-ci... »
Je demande pourquoi les bandes qui ont signé des ententes sur l'autonomie gouvernementale ne sont pas incluses dans la modification corrélative. Encore une fois, est-ce à dire que le ministre peut invoquer l'alinéa 3b) pour rejeter des élections démocratiques tenues selon le code coutumier d'une bande? C'était là ma question. Je crois qu'il faut y répondre.
Dans sa formulation actuelle, le projet de loi donne un pouvoir décisionnel excessif au ministre. Même en ce qui a trait aux règlements, l'article 41 dit ceci : « Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements régissant les élections et, notamment, des règlements concernant ». Il y a ensuite huit alinéas, puis l'alinéa i) qui englobe tout : « toute mesure d'ordre réglementaire prévue par la présente loi ».
On ne laisse rien aux Premières nations. C'est pourquoi j'ai parlé de notre propre tribunal. Le gouvernement fédéral a le sien. S'il y a des litiges électoraux comme c'est le cas présentement, et que tous les médias en parlent, il y a un organisme électoral qui se penche sur la question. Même dans la province de la Saskatchewan, on trouve un organisme électoral indépendant qui surveille les élections. Pourquoi les Premières nations n'en ont-elles pas? Pourquoi nous forcer à recourir aux tribunaux? Voilà mon commentaire. Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs.
Le sénateur Meredith : Merci, mesdames et messieurs, de vos exposés. Je n'ai pas tout entendu, mais vous venez juste de soulever un point essentiel en ce qui concerne Élections Canada et le fait que le commissaire a reçu les pouvoirs nécessaires pour examiner les irrégularités lors d'une élection fédérale. Vous avez évoqué un point valable. Vous avez mentionné la possibilité d'un tribunal. Quel serait son mandat, et comment serait-il régi si cela était adopté dans la loi, compte tenu des modifications qui seront apportées à l'avenir? Actuellement, contrairement à un autre tribunal ou à Élections Canada, il n'offre pas de mécanisme d'appel.
Le président : Y a-t-il des commentaires sur la question du sénateur Patterson?
M. Nepinak : Oui.
Le président : Nous allons y revenir. Souhaitiez-vous répondre à sa question complémentaire concernant le tribunal?
Mme Cook-Searson : Merci, sénateur.
Selon le projet de loi, les gouvernements des Premières nations doivent s'en remettre aux tribunaux pour régler les différends. L'article 33 recommande maintenant de s'adresser à la Cour fédérale ou la cour supérieure de chaque province. Je sais qu'un grand nombre d'autres personnes ont comparu devant la commission pour dire que nous avions besoin d'une commission électorale des Premières nations indépendante ou d'un tribunal des Premières nations pour régler les différends concernant les élections. Le gouvernement fédéral et les provinces profitent déjà d'un tel processus démocratique. Si c'est bon pour le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, pourquoi les Premières nations ne peuvent-elles pas en profiter aussi? Pourquoi ne pas offrir le choix d'une commission électorale vraiment indépendante? Pourquoi les Premières nations doivent-elles avoir recours à des procédures judiciaires coûteuses pour régler les différends concernant les élections, alors que les autres Canadiens peuvent faire appel à une institution démocratique?
Le président : Aimeriez-vous répondre à la première question du sénateur Patterson, grand chef?
M. Nepinak : Certainement. Je le remercie d'avoir posé la question. Je vais commenter le libellé le plus brièvement possible. Je persiste à croire qu'il est ambigu. J'ai déjà été chef de ma collectivité; je connais donc les familles et la structure des clans familiaux. Je pourrais dire qu'il y a, en ce moment, dans un grand nombre de nos collectivités, des conflits prolongés intergénérationnels qui sont liés à la direction de la Première nation. Je dirais aussi que, depuis des générations, notre gouvernance a été compromise de façon importante. Un grand nombre de facteurs et d'applications de politique auxquelles j'ai fait allusion au début de mon exposé me permettent de le dire.
N'oubliez pas aussi que parfois, dans l'application de la loi canadienne, la langue utilisée, c'est-à-dire l'anglais ou le français, n'est pas la langue de nos collectivités. De plus, le conseil de certaines collectivités fonctionne seulement avec l'otchipwe et le cri. Il est parfois difficile d'interpréter l'anglais ou de le mettre en contexte, mais lorsque vous ajoutez une ambiguïté, c'est encore pire.
Notre gouvernance a été compromise de façon importante en ce qui concerne les risques liés à la santé des gens, par exemple l'eau potable ou les moisissures qui sont présentes dans un grand nombre de nos logements au Manitoba, car nous avons été assujettis au processus de la politique d'intervention du ministère. On applique la politique d'intervention dans ce genre de cas, et on nous impose un mode de cogestion sur le plan financier, ou un mode de gestion par les tiers dans lequel nous perdons le contrôle des finances de la bande. On se demande donc ce que signifie la gouvernance au niveau communautaire. Que gouvernent un chef et un conseil? Ne font-ils que gérer une entente de financement pour une contribution, ou le rôle de gouvernance au niveau communautaire est-il plus substantiel? Ce sont des questions qu'il faut se poser. Toutefois, je crois que les gens doivent déterminer au niveau communautaire ou à l'échelle locale à quel genre de gouvernance ils sont assujettis. J'espère que cela éclaircit un peu les choses.
Le président : Madame Craft, aviez-vous un commentaire?
Mme Craft : Je me ferai l'écho d'une grande partie de ce qu'a dit le grand chef. En ce qui concerne les conflits prolongés liés à la direction de la Première nation, je pense qu'il s'agit d'une notion subjective. Étant donné que j'ai moi-même représenté des Premières nations et des personnes engagées dans des différends concernant les élections, je peux dire que cette notion est très subjective. Dans les élections assorties d'un mandat de deux ans, nous avons connu un grand nombre de situations dans lesquelles une révision judiciaire ou un appel déposé par le ministre n'a pas été réglé avant qu'une nouvelle élection ou une élection partielle soit tenue. En même temps, la disponibilité des services et la bonne gestion d'une collectivité posent problème. Dans certains cas, une Première nation n'est pas en mesure de répondre à la question en quelques jours, par exemple dans une situation d'urgence — au Manitoba, les feux de forêt dans le Nord sont un bon exemple —, s'il n'y a pas de chef ou de conseil en fonction lorsque l'urgence se produit. Cela peut compromettre de façon importante la gouvernance d'une Première nation et sa capacité de gérer la santé et la sécurité de ses citoyens.
Pour ce qui est du deuxième point concernant l'alinéa 3(1)c), notre manque de clarté n'est pas tant lié à la notion des manœuvres frauduleuses, car on peut régler ces cas grâce à la jurisprudence. Le problème, c'est lorsqu'il est prouvé qu'on s'est livré à ces manœuvres, et que le ministre se voit forcer d'annuler l'élection. Cette situation peut-elle s'appliquer aux élections précédentes qui ont fait l'objet d'un différend?
Il s'agit d'une préoccupation réelle provoquée par le libellé du projet de loi. Une Première nation qui aurait été visée par l'article 79 de nombreuses années plus tôt serait assujettie à cette norme et le ministre aurait alors encore une fois la discrétion nécessaire pour l'ajouter à l'annexe portant sur les Premières nations participantes sans son consentement.
Le président : D'après ce que je comprends, vous dites qu'il pourrait y avoir eu des manœuvres frauduleuses dans le passé et que le ministre pourrait, en théorie, invoquer le projet de loi S-6 contre la bande.
Mme Craft : La norme exposée ici, sénateur, c'est qu'une élection a été annulée, mais cela aurait pu être une élection qui a été tenue 30 ans plus tôt. Le libellé n'est pas clair. Il pourrait aussi s'agir, en théorie, d'une bande qui est maintenant passée à un régime électoral fondé sur la coutume, et qui n'est donc plus assujettie à la Loi sur les Indiens, mais qui satisfait au libellé de ce critère.
Le président : Je comprends.
Le sénateur Dyck : Plus j'écoute, moins je comprends.
J'aimerais revenir aux alinéas 3(1)a), b) et c). L'alinéa a) ne donne aucune précision quant au type de Première nation à ajouter à l'annexe; alors vous dites, essentiellement, que le projet de loi pourrait s'appliquer non seulement aux Premières nations qui tiennent des élections en vertu de la Loi sur les Indiens, mais aussi à celles qui tiennent des élections selon la coutume, des élections de gouvernements autonomes ou même celles qui suivent leurs méthodes traditionnelles. Toutefois, dans les renseignements qui ont été présentés au comité par le ministre et son personnel, et d'après ce que m'a dit le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique, il semble que le projet de loi visait seulement les Premières nations qui sont assujetties à la Loi sur les Indiens, et dans les provinces Atlantique, il semble qu'elles constituent certainement la majorité.
Si on modifiait l'alinéa 3(1)a) de façon à préciser qu'il vise seulement les Premières nations qui tiennent des élections en vertu de la Loi sur les Indiens, est-ce que cela aiderait?
Je vais commencer par cette question et enchaîner avec quelques autres concernant cet article.
Mme Craft : Il s'agit de l'une des recommandations formulées par l'Association du Barreau canadien.
Le sénateur Dyck : Les chefs trouvent-ils cette recommandation raisonnable?
M. Nepinak : Oui, je pense qu'elle est raisonnable.
Mme Cook-Searson : Merci du commentaire. L'une des choses que j'ai remarquées au sujet du projet de loi S-6, c'est l'incohérence dans le processus démocratique; il serait donc logique de le rendre cohérent. La lecture des différents articles de la loi m'a aussi laissée perplexe, et je pense qu'il serait logique de rendre le processus démocratique plus cohérent.
Le sénateur Dyck : Si nous examinons ensuite l'alinéa 3(1)b), on voit que le ministre peut décider d'ajouter quelqu'un. On a engagé un débat sur la question de savoir si les mots « conflit prolongé lié à la direction » sont suffisamment précis; à mon avis, ils ne le sont pas. Dans ce cas, le ministre pourrait ajouter à l'annexe une Première nation autonome en vertu d'un régime traditionnel ou d'un code coutumier. Est-ce également ainsi que vous l'interprétez, en votre qualité de membre de l'ABC?
Mme Craft : C'est ce que j'ai compris du projet de loi tel qu'il est libellé.
Le sénateur Dyck : D'une certaine façon, c'est un article étrange. Pourquoi le ministre ne dit-il pas seulement qu'on doit revenir à la Loi sur les Indiens? Cette loi est censée être la pire de toutes, et il est la personne qui a le plus de pouvoir à son sujet. Ainsi, si vous avez un conflit prolongé lié à la direction, concernant, par exemple, une personne ayant un mandat de trois ans en vertu d'un code coutumier, pourquoi le feriez-vous passer à régime électoral associé à un mandat de quatre ans avec lequel, en théorie, vous prolongez sa présence au pouvoir?
Est-ce logique? Est-ce que cela arriverait dans le cas d'une Première nation dotée d'un régime électoral fondé sur la coutume? Le ministre pourrait dire aux dirigeants qu'ils ne font pas leur travail correctement, car il y a trop de conflits prolongés liés à la direction, et qu'en vertu du projet de loi S-6, il transforme leur mandat de trois ans en mandat de quatre ans. En fait, il s'agit d'une amélioration plutôt qu'une pénalité.
Mme Craft : D'après mon interprétation actuelle, le ministre aurait le choix d'appliquer cet article à la Première nation. Une Première nation autonome pourrait ne pas être assujettie à la Loi sur les Indiens, mais dans le cas d'une élection selon la coutume, le ministre pourrait décider de l'assujettir à cette loi ou de l'ajouter à l'annexe portant sur les Premières nations participantes, ou appliquer la loi à la Première nation et faire en sorte que ses élections se fassent sous le régime de la Loi sur les Indiens actuelle. Nous aurions alors un régime hybride.
M. Nepinak : Je serais d'accord avec Mme Craft là-dessus. À mon avis, le projet de loi amène le ministre sur un autre terrain, c'est-à-dire les collectivités autonomes qui tiennent leurs élections hors du cadre défini par la Loi sur les Indiens. Ainsi, à mon avis, la seule solution de rechange qui resterait au ministre serait de les assujettir au projet de loi S-6 en vertu de l'alinéa 3(1)b). Comme je l'ai dit plus tôt, je crois qu'il jouit d'un trop grand pouvoir de discrétion et je le conteste dans son intégralité.
Mme Cook-Searson : Je voulais ajouter aux commentaires du sénateur Dyck. Lorsque j'ai dit que le processus démocratique du projet de loi manquait de cohérence, je faisais référence à l'article 43, une modification corrélative à la Loi sur les Indiens. Le libellé de la modification corrélative m'inquiète énormément en ce qui concerne la définition de « bande ». Dans l'article 43, cela comprend les bandes de la nouvelle option et on ajoute : « s'agissant de toute autre bande, le conseil choisi selon la coutume de celle-ci... ».
Vous avez demandé si cela concernait les bandes autonomes, mais je me demande pourquoi elles n'ont pas été ajoutées à la modification corrélative. Encore une fois, cela signifie-t-il que l'alinéa 3(1)b) peut être invoqué par le ministre pour annuler une élection tenue par la bande selon la coutume?
Le sénateur Dyck : Il s'agit d'une bonne question. J'allais vous demander d'approfondir, car je ne comprends pas vraiment votre préoccupation. J'espérais que la représentante de l'Association du Barreau canadien pourrait ajouter à ce que la chef Cook-Searson a dit si elle a des précisions.
Le sénateur Raine : D'après ce que je comprends, l'article 43 remplace l'article qui est une modification à la Loi sur les Indiens. Aujourd'hui, les Premières nations qui étaient autonomes ne sont plus visées par la Loi sur les Indiens, alors elles ne seraient aucunement touchées par cet article.
D'après ce que je comprends, nous tentons d'offrir aux gens la possibilité de passer d'un système de gouvernance mal défini et assorti d'un mandat de deux ans régi par la Loi sur les Indiens à un régime qui est toujours assujetti au gouvernement du Canada. Il ne prétend pas être autonome ou être fondé sur la coutume. Il s'agit d'un tremplin, si vous voulez, qui permet aux Premières nations de passer d'un régime électoral assorti d'un mandat de deux ans à un régime qui offre un mandat de quatre ans, alors qu'elles sont en voie de pouvoir gérer leurs propres terres, d'avoir leurs propres lois et de devenir autonomes.
Il existe tellement de bonnes raisons de passer à un mandat de quatre ans. Lorsque j'évalue tous les problèmes dont nous avons parlé, je constate qu'il est très clair que ce n'est pas ce que souhaitent les Premières nations. Mais il s'agit seulement d'une étape, et non du processus au complet. En ce sens, je pense qu'il est très important que le gouverneur en conseil, le Cabinet, aient une position de repli lorsque les circonstances exigent qu'ils examinent — de façon paternaliste, je présume — les bandes qui ont des problèmes, mais ce n'est pas ce qu'elles souhaitent. Est-ce logique?
Mme Cook-Searson : D'après ce que je comprends, les élections selon la coutume sont toujours visées par la Loi sur les Indiens, qui nous permet d'autoriser ce type d'élection. À mon avis, la modification corrélative à la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire l'article 43, vise donc aussi les bandes dotées d'un régime électoral fondé sur la coutume.
M. Nepinak : En ce qui concerne les commentaires du sénateur Raine, si vous croyez qu'il s'agit de l'intention du projet de loi, alors je recommanderais d'y ajouter une disposition de non-dérogation.
Je pense qu'il est aussi important de se rappeler que la norme actuelle de la double majorité qui s'applique à un grand nombre de collectivités ne peut pas être satisfaite dans le cas de l'adoption par une bande d'un régime électoral fondé sur la coutume, simplement parce que même si plusieurs personnes vivent dans nos collectivités, un grand nombre de nos membres habitent un peu partout au pays. Ainsi, dans certains cas, il est pratiquement impossible d'être en mesure de satisfaire à cette première norme, qui consiste à obtenir la majorité chez les électeurs.
Je viens de Pine Creek, et nous avons ouvert un bureau de vote à Winnipeg. Même si cela a encouragé plus de gens à venir voter, nous n'avons pas atteint la proportion de 50 p. 100 lors de nos élections. Il est très difficile de satisfaire à la norme qui exige de demander aux gens de venir voter en fonction d'un code fondé sur des suppositions.
Même si je suis d'accord avec votre commentaire, la double majorité est prohibitive, car il est très difficile de convaincre les gens de venir voter. Toutefois, si l'intention est d'avancer vers l'établissement de l'autonomie comme une expression des droits des Autochtones issus de traités, alors on devrait ajouter une disposition de non-dérogation au projet de loi.
Mme Craft : Afin de clarifier la question de l'autonomie des Premières nations et la question du sénateur Dyck, la raison pour laquelle je crois que les Premières nations autonomes n'apparaissent pas dans les modifications corrélatives, comme l'a souligné le sénateur Greene Raine, c'est qu'il s'agit d'une définition de conseil de bande fondée sur la Loi sur les Indiens, et ces Premières nations autonomes ne sont pas visées par cette loi.
En ce qui concerne le projet de loi S-6, il n'est pas aussi certain que l'alinéa 3b) n'aurait pas de répercussions sur les Premières nations autonomes, car il étend la compétence du ministre à une situation de conflit prolongé relatif à la direction — dont nous avons parlé — en ce qui concerne une Première nation et non un conseil de bande, ce qui est dans le libellé de la Loi sur les Indiens. C'est pourquoi nous constatons une différence entre ces deux articles. J'espère que cela vous aide à clarifier les choses.
Le président : Je ne sais pas si cela apporte des éclaircissements. Je vous demande pardon; je n'essaie pas d'être drôle ou sarcastique. Je dis simplement que plus on examine le projet de loi d'un point de vue juridique, plus il devient tordu.
Le sénateur Ataullahjan : Je vous remercie de vos exposés. Ma question s'adresse au grand chef.
Précédemment, nous avons entendu les représentants du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique dire que l'une des raisons pour lesquelles ils avaient décidé de défendre la réforme électorale était que la région comptait le pourcentage le plus élevé de Premières nations dont les élections sont régies par la Loi sur les Indiens, soit 75 p. 100.
L'Assemblée des chefs du Manitoba a-t-elle des raisons semblables de souhaiter une réforme? Dans votre province, quel est le pourcentage de Premières nations dont les élections sont régies par la Loi sur les Indiens?
M. Nepinak : Pour répondre d'abord à la première partie de votre question, je crois qu'au Manitoba, 27 communautés tiennent des élections régies par la Loi sur les Indiens. Je n'en suis pas tout à fait sûr parce que je n'ai pas ces statistiques devant moi en ce moment. Le Manitoba compte un certain nombre de Premières nations. Je crois qu'il y en a 64 au total.
Nous participons à la présente discussion parce que, comme je l'ai dit plus tôt, les chefs du Manitoba aspirent à réexaminer les possibilités d'autonomisation afin de redonner à la gouvernance sa vocation en matière d'autodétermination, y compris la façon dont nous choisissons nos chefs. Je pense que c'est la volonté des grands chefs exprimée par voie de résolution.
Je me réfère à l'ancien grand chef et à ses efforts pour faire progresser cette discussion qui nous ont amenés à présenter un rapport et à appuyer certaines dispositions auxquelles j'ai fait allusion dans mon exposé.
Le sénateur Ataullahjan : Lorsque le projet de loi S-6 a été déposé au Parlement, vous avez déclaré que vous ne l'appuieriez pas, étant donné que les réformes proposées ne tenaient pas suffisamment compte de la position de l'ACM. Pourriez-vous formuler des observations à cet égard?
M. Nepinak : L'Assemblée des chefs du Manitoba a demandé qu'on examine la possibilité de fixer le mandat à quatre ans, de tenir les élections à une date fixe — et je dois admettre qu'au cours de l'élaboration du règlement aux termes de la loi, il se peut qu'ils arrivent à prévoir la tenue d'élections à une date fixe et que nous obtenions ce résultat — et de créer un tribunal indépendant chargé de trancher les différends liés aux processus électoraux. Voilà les trois éléments que les chefs du Manitoba ont proposés.
J'ai mentionné le fait que le tribunal avait été exclu du projet de loi et que cette fonction avait été confiée aux tribunaux de la province compétente. Selon moi, cette omission est problématique. Le projet de loi ne tient pas compte de la résolution que notre assemblée a adoptée dans le cadre de ses processus de gouvernance et, puisqu'il ne tient pas compte de la volonté des chefs, je ne peux pas l'appuyer.
Le sénateur Sibbeston : Hier, lorsque nous avons entendu les représentants du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique parler du fait que, d'après l'alinéa 3(1)(a), il suffisait que le conseil de bande adopte une résolution, M. John Paul en particulier a dit que ce n'était nullement une méprise, mais plutôt le résultat d'une décision délibérée et bien réfléchie. Il a affirmé qu'il était plus probable qu'un conseil de bande exige ce changement, qu'il serait plus facile d'obtenir ce résultat parce que, habituellement, les gens appuient le statu quo et qu'il est difficile de les faire changer d'avis. Vous venez également de dire que ce serait trop coûteux de tenir un scrutin à double majorité.
Cela étant dit, pouvez-vous au moins comprendre la raison pour laquelle cela a été prévu, afin de permettre aux bandes régies par la Loi sur les Indiens d'apporter des changements sans avoir à traverser l'épreuve d'obtenir la double majorité que cela exigerait?
Je pense que cela ne vise nullement à accorder au ministre des pouvoirs supplémentaires, mais plutôt à faciliter autant que possible la tâche des conseils de bande régis par la Loi sur les Indiens qui souhaitent apporter des changements.
M. Nepinak : Je vous remercie de vos observations. Je peux comprendre sans difficulté les raisons pour lesquelles le projet de loi a été élaboré et proposé dans sa forme actuelle. En ce qui concerne la RCB, les années que j'ai passées à occuper le poste de chef de ma communauté m'ont très bien renseigné sur la façon d'adopter une RCB contraignante. Toutefois, si, avant la présentation de ce projet de loi, je n'avais pas, en tant que chef de ma communauté, le pouvoir discrétionnaire d'adopter une résolution en son nom afin de passer à un régime électoral coutumier, pourquoi un projet de loi émanant d'Ottawa accorderait-il maintenant ce pouvoir au chef, aux termes de la loi?
Avant la création de ce projet de loi, je peux dire que, dans ma communauté, nous avions élaboré un code électoral coutumier dans notre propre langue et nous l'avions consigné. Nous avons effectivement tenu un référendum auquel 30 p. 100 des électeurs ont participé. Lorsque nous avons présenté la documentation au ministère, elle n'a pas été approuvée parce que la participation au processus électoral n'avait pas été suffisamment élevée. Maintenant, le nouveau projet de loi autorise le conseil de bande à modifier le régime électoral en adoptant simplement une résolution.
Je comprends le raisonnement qui sous-tend cette décision. Toutefois, comme je l'ai mentionné auparavant, celle-ci est problématique parce qu'elle prive la communauté de la possibilité de participer au processus.
Le président : En même temps, si les membres du conseil adoptaient la résolution sans avoir l'appui de la communauté, ils seraient défaits aux prochaines élections. N'est-ce pas exact, selon toute probabilité? Le peuple des Premières nations a toujours cette option.
M. Nepinak : Je pense qu'il serait exact de le dire. Toutefois, de nombreuses tendances au sein de nos communautés compliquent la discussion. Chez nous, les activités du chef et du conseil sont constamment remises en question par les membres de la communauté. Toutefois, j'admets que cette généralisation peut s'appliquer dans certaines circonstances.
Le président : Je pense que la question que je viens de poser simplifie la situation à l'extrême, mais j'ai le sentiment qu'il fallait que nous la posions.
Avez-vous une autre question à poser?
Le sénateur Campbell : Chaque fois que vous êtes élus, vous allez adopter des résolutions qui ne plairont pas aux gens. Si ces gens sont assez nombreux, vous courrez toujours le risque de ne pas être réélus. Je ne comprends pas pourquoi le passage d'un mandat de deux ans à un mandat de quatre ans représente un problème. Il est ridicule de disposer de seulement deux ans. Vous ne pouvez pas accomplir quoi que ce soit en si peu de temps. Je ne comprends pas pourquoi cela pose un problème ou pourquoi il serait difficile, par exemple, de tenir des élections à date fixe. Toutes les municipalités de la Colombie-Britannique tiennent leurs élections à la même date.
Selon moi, l'un des problèmes, c'est que le projet de loi ne fait pas l'objet d'un consensus. Les gens ne s'entendent pas sur la façon de le faire avancer ou sur les amendements qui satisferaient tous les gens que nous avons entendus. Je n'arrive pas à me faire une idée de la direction dans laquelle nous nous engageons à l'égard de ce projet de loi. Je comprends ce que vous dites, mais devrions-nous recommencer à zéro? Le projet de loi devrait-il être repensé complètement?
Mme Cook-Searson : Merci, sénateur. J'avais quelque chose à dire au sénateur Sibbeston à propos de son observation sur la résolution du conseil de bande. C'est l'un des aspects du projet de loi que je réprouve parce qu'il ne fait pas appel à un processus démocratique cohérent.
En outre, en ce qui concerne l'observation du sénateur St. Germain selon laquelle, si les membres du conseil de bande adoptent une résolution en vue de choisir l'option offerte par le projet de loi S-6, les gens peuvent les défaire aux prochaines élections et voter selon leur code coutumier aux élections suivantes, s'ils ne sont pas d'accord avec cette décision, je dirais qu'à l'heure actuelle, nous pouvons mener nos élections de trois façons, et que le projet de loi S-6, nous offre une quatrième option.
Toutefois, selon la loi, il n'est pas si simple de ne plus participer à l'option offerte par le projet de loi S-6. D'ailleurs, l'une des objections que j'ai soulevées était que, pour choisir le système électoral proposé par le projet de loi S-6, un conseil de bande pouvait adopter une résolution sans faire voter les membres de la bande. Par contre, si une Première nation souhaite ne plus participer à ce système électoral, elle doit consulter les gens. Comme je le disais, cela n'a pas de sens. La démocratie devrait être exercée au début et à la fin du processus. La décision d'adhérer au système électoral proposé par le projet de loi S-6 ou de cesser d'y participer est importante sur le plan de la gouvernance, et elle pourrait avoir des répercussions sur les Premières nations pendant de nombreuses générations.
Dans ce contexte, les articles qui portent sur la résolution du conseil de bande devraient indiquer qu'il est nécessaire que la majorité de la Première nation vote en faveur de cette décision, sans vouloir manquer de respect aux autres personnes qui ont témoigné devant la commission. Les points de vue que nous présentons aujourd'hui sont les nôtres.
C'est ce que nous devons faire dans le cadre de notre code électoral coutumier. Depuis un certain temps, nous voulons en modifier certains aspects. Par conséquent, nous devons maintenant consulter nos membres et leur demander si c'est ce qu'ils souhaitent. Si quelqu'un s'oppose au régime électoral coutumier, nous devons le mettre aux voix. Nous le faisons habituellement le jour où sont versés les paiements aux termes des traités et où bon nombre de nos membres se présentent pour les chercher. C'est la journée où nous tenons les référendums portant sur toutes les décisions importantes, comme celles ayant trait au code électoral coutumier de la bande.
Pour répondre à votre question concernant la RCB, si les membres d'un conseil de bande adoptaient une motion portant que nous adhérions au système électoral proposé par le projet de loi S-6 et qu'ils étaient défaits aux prochaines élections parce que les gens n'étaient pas satisfaits par ce système électoral, il serait difficile de cesser d'y participer en raison de ce que dit l'article de la loi qui explique comment se retirer du système proposé par le projet de loi.
M. Nepinak : Si vous me le permettez, je vais répondre au sénateur Campbell. Je conviens que ce que nous disons aujourd'hui ne concorde pas vraiment avec les recommandations qui ont été faites, notamment. Je pense qu'elles sont inscrites au compte rendu en fonction du contenu de nos exposés. Je suis venu ici avec l'intention de collaborer avec vous, et je ne considère pas que le projet de loi soit à prendre ou à laisser dans sa forme actuelle. J'espère que vous êtes en mesure de tenir compte de certains des facteurs que nous vous avons présentés aujourd'hui.
Je suis d'accord avec le mandat de quatre ans, et j'appuie cette idée. Je crois également à certaines des dispositions, comme celle qui stipule que seul un électeur peut présenter sa candidature comme chef ou comme membre du conseil. J'approuve aussi cette disposition.
J'espère qu'il y a toujours place à la négociation dans la discussion que nous avons en ce moment. Assis autour de notre table au Manitoba, nous nous sommes demandé si les recommandations que nous allions présenter allaient prendre la forme d'un nouveau règlement, d'un amendement à la Loi sur les Indiens ou d'une mesure législative totalement nouvelle. Nous nous posions des questions.
Je pense que des processus sous-tendent ces questions, ainsi que chacun des facteurs présentés. J'espère que le processus auquel je participe ce soir est informatif et que certaines des idées présentées non seulement par notre groupe d'experts, mais aussi par les autres groupes d'experts qui ont témoigné devant vous, pourront être intégrées au projet de loi en tant que recommandations qui accroissent la légitimité de celui-ci. Voilà ce que j'espère, sénateur. Je suis dans la même situation que tous les autres qui espèrent qu'on peut créer quelque chose de bien ici. Voilà ce sur quoi se fonde ma contribution.
Le sénateur Sibbeston : J'ai peut-être l'air de parler depuis longtemps mais, lorsque tous sont intervenus, j'ai seulement posé une question. Donc, je dispose toujours d'à peu près une demi-heure.
Le président : Vous avez toujours été patient, alors allez-y.
Le sénateur Sibbeston : En ce qui concerne les alinéas 3(1)b) et c), les représentants du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique ont suggéré hier que nous les supprimions simplement. Est-ce l'opinion générale? Pensez-vous que, si on les laisse tels quels, cela donne aux ministres trop de pouvoirs discrétionnaires ou autres?
En un sens, cela ressemble à ce qui se faisait il y a longtemps, lorsque les Indiens se querellaient ou avaient un désaccord et que le père, c'est-à-dire l'agent des Indiens, était forcé d'intervenir pour régler le différend qui opposait ses enfants. Cela rappelle un peu cette situation.
Quelle est la solution? Si nous les supprimions, il n'y aurait plus rien pour rappeler cette situation.
La bande serait simplement obligée de régler le problème d'une façon ou d'une autre. En outre, s'il y avait corruption, les peuples des Premières nations seraient forcés de résoudre la question par eux-mêmes. Est-ce la solution?
M. Nepinak : Si vous me le permettez, j'appuie la recommandation selon laquelle les alinéas 3(1)b) et c) doivent être retirés de la mesure législative. Je suis d'accord avec votre caractérisation de ces dispositions qui témoignent d'une époque révolue et du recours à une approche paternaliste pour gérer les relations au sein de nos communautés. Dans la société d'aujourd'hui, il n'y a pas de place pour ce genre d'attitude, et je conviens que ces alinéas devraient être éliminés.
Mme Craft : Sénateur, la recommandation de l'Association du Barreau canadien est que, si les alinéas 3(1)b) et c) sont laissés dans le projet de loi, leur application doit être approuvée par la majorité des électeurs de la Première nation. Ainsi, la Première nation conservera ses pouvoirs décisionnels et discrétionnaires et son droit à l'autonomie gouvernementale dans les limites de situations actuelles où la Première nation vit des conflits prolongés liés à sa direction et de situations passées où l'élection du chef ou d'un des conseillers est rejetée.
L'une des questions qui n'est pas abordée dans notre mémoire et qui, à mon avis, a été soulevée au cours des discussions de la séance est liée à l'alinéa 3(1)a). Pour récapituler, il devient de plus en plus évident que l'alinéa 3(1)a) donne au chef et au conseil le pouvoir de faire quelque chose que la Loi sur les Indiens ne les autorisait pas à faire et que la plupart des dirigeants sont incapables de faire à l'aide de leur code coutumier. Par conséquent, cette situation devrait être abordée aussi avec prudence. J'ajoute que l'ABC n'a pas de position officielle à cet égard mais, encore une fois, c'est un autre aspect de l'article 3 auquel il faut faire attention et qui exigera peut-être une modification du libellé de la mesure législative.
Mme Cook-Searson : Je souhaite simplement formuler des observations sur la question que le sénateur Sibbeston a commentée. L'un de mes arguments était que les Premières nations devraient avoir une commission électorale ou un tribunal indépendant pour régler tout conflit lié à des élections, parce que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux s'offrent déjà de ce service. Vous avez des mécanismes en place qui s'inscrivent dans le cadre régulier de la démocratie. Si ces mécanismes sont bénéfiques au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les Premières nations? Pourquoi n'aurions-nous pas l'option d'avoir une commission électorale vraiment indépendante? J'admets qu'il y aura des conflits et qu'il est nécessaire de disposer d'un mécanisme pour les régler. Toutefois, au lieu de passer par le ministre ou le Cabinet ou par les tribunaux, les Premières nations pourraient avoir une commission électorale ou un tribunal indépendant pour régler tout différend lié à des élections.
Le sénateur Sibbeston : Si vous me le permettez, j'aimerais formuler des observations à cet égard. Notre comité sénatorial a étudié toute la question des élections au sein des Premières nations et, après avoir mené une étude très approfondie, nous aussi sommes parvenus à la conclusion qu'il faudrait établir un tribunal indépendant non seulement pour régler les différends liés aux élections, mais aussi pour s'occuper de toute la question de la promotion de la démocratie. Au gouvernement fédéral, un ministre est chargé de promouvoir la démocratie. La promotion des élections, l'éducation et l'univers complet des élections représentent un vaste domaine dont, à mon avis, les Premières nations de notre pays pourraient bénéficier.
Notre comité sénatorial a produit un rapport qui indique que nous devrions créer un tribunal. Donc, cela rendra les choses intéressantes. La prochaine fois que nous nous réunirons, je proposerai d'apporter à cet effet un amendement à la mesure législative pour voir si les sénateurs l'appuieront, cela et aussi la suppression des alinéas 3b) et c). Je vais certainement le suggérer pour appuyer ce que vous avez dit, et nous verrons ce qui se produira et si les sénateurs appuieront ces amendements. Nous avons publié un rapport dans lequel nous affirmons qu'un tribunal devrait être créé et, maintenant, nous avons l'occasion d'appliquer cette recommandation. Cela mettra les sénateurs à l'épreuve. Faisons- nous simplement que parler, avons-nous seulement de bonnes intentions ou pensons-nous sincèrement ce que nous inscrivons dans les rapports? Voilà ma contribution à la cause.
Mme Cook-Searson : J'ai quelque chose à ajouter aux observations du sénateur Sibbeston. Veuillez également tenir compte de l'article 33 dans lequel il est recommandé que nous nous adressions à la Cour fédérale ou la cour supérieure siégeant dans la province. Au lieu de stipuler cela, la mesure législative devrait prévoir une commission électorale ou un tribunal indépendant pour les Premières nations, qui règle leurs conflits liés aux élections. Cela éviterait à celles-ci d'avoir à franchir les étapes coûteuses requises pour faire entendre leurs causes devant les tribunaux lorsqu'un différend lié à des élections survient. À l'heure actuelle, les autres Canadiens ont l'option de s'adresser à une institution démocratique pour résoudre leurs conflits électoraux, alors les Premières nations devraient également bénéficier de cette option.
Le sénateur Patterson : Avec tout le respect que je vous dois, je crois qu'en ce moment, ce sont Élections Canada et les autorités électorales provinciales qui administrent les élections au Canada et qui s'occupent des plaintes, mais ils ne règlent ni celles-ci ni les problèmes. Seuls les tribunaux peuvent décider de faire tenir une nouvelle élection partielle ou d'annuler un vote.
Je pense que la conception que notre comité aurait d'une commission ou d'un tribunal serait un organisme qui tenterait de gérer les plaintes, mais la résolution finale d'un problème serait tout de même confiée aux tribunaux.
Le grand chef Nepinak parlait de commissions régionales qui, je suppose, exerceraient leurs activités là où il y a des problèmes. Je dois me poser la question suivante : y aurait-il des commissions partout au Canada, dans chaque région, et qui assumerait les coûts de celles-ci? Ne seraient-elles pas coûteuses et n'alourdiraient-elles pas le processus? Parlons-nous d'un autre niveau d'administration alors qu'il vaudrait peut-être mieux investir notre argent dans l'éducation? Je me demande comment cela fonctionnerait, selon vous, et qui paierait pour ce service. Cette commission aurait-elle un caractère national ou y aurait-il des commissions établies partout au pays? Voilà ce que je me demande.
M. Nepinak : Je vous remercie de votre question. Je pense que l'Assemblée des chefs du Manitoba a suggéré la création d'une commission provinciale au Manitoba. Cela étant dit, je crois que cette question qui est toujours à discuter. À l'intérieur des frontières du Manitoba, plusieurs sociétés autochtones distinctes coexistent.
Il y a la Première nation Anishinabek dont je fais partie. Les aînés originaires de nos communautés sont détenteurs du savoir et des enseignements. En constituant une commission ou un tribunal composé de nos aînés et de nos professionnels qui ont suivi une formation officielle en droit, par exemple, je crois que celui-ci aurait l'occasion de rendre des décisions contraignantes qui vivifieraient nos identités très particulières en tant qu'autochtones originaires du coin d'où nous venons.
Les coûts sont manifestement un aspect pratique que nous devons prendre en considération. À l'heure actuelle, nous examinons les obstacles qui entravent l'accès aux tribunaux. Et parmi ceux-ci, nous considérons que les coûts associés à l'instruction d'une cause sont également trop élevés pour être assumés par des personnes. Il n'y a pas vraiment de moyen facile de résoudre ce problème. Il y a évidemment des coûts associés à la création de commissions ou de tribunaux, mais je crois que, pour recréer ou développer des processus d'autodétermination, qui représentent bien la volonté de notre peuple, nous devons envisager ces éléments comme un pas dans la bonne direction.
Le sénateur Dyck : Je voudrais revenir sur la question des alinéas 3(1)b) et c). Si nous supprimions ceux-ci, cela aurait-il de graves répercussions sur les appels ou les différends? Dans les articles 30 à 35, il y a de nombreuses dispositions qui déterminent ce qui se passera si des élections sont contestées. Ces dispositions n'auraient-elles pas préséance dans ces cas- là? La question connexe est la suivante : ces alinéas ne risquent-ils pas de permettre aux Premières nations de traîner le ministre devant les tribunaux afin de porter sa décision en appel en disant ce qui suit : comment le ministre peut-il rejeter l'élection? Ces alinéas ne font que compliquer ce qui devrait être un bon projet de loi. Si nous omettons de les supprimer, ils finiront par pervertir le projet de loi.
Le sénateur Sibbeston : J'ai une observation à formuler au sujet de certains propos du sénateur Patterson — nous ne voulons pas donner l'impression que tous les conflits finissent invariablement devant les tribunaux. Je pense que, si le projet de loi prévoyait un tribunal, il va de soi que ses décisions seraient irrévocables. Sinon, à quoi servirait un tribunal? Ses décisions rendues sur le fond seraient irrévocables, mais le tribunal pourrait être remis en cause pour des questions de compétence, d'abus de pouvoir ou de procédure et être amené ainsi devant les tribunaux.
N'êtes-vous pas d'accord qu'un tribunal serait utile à cet égard, en particulier si des Autochtones de notre pays y siégeaient à titre de membres? Les Premières nations n'accepteraient-elles pas plus facilement leurs décisions que dans les autres situations? Je ne veux pas que le sénateur Patterson rejette la possibilité de créer un tribunal. Soyons disposés à l'accepter, parce que c'est ce que notre comité sénatorial a recommandé.
Le sénateur Raine : Je trouve cette discussion extrêmement intéressante. Certaines des questions que j'allais poser l'ont déjà été, mais j'en ai une à l'intention de la chef Cook-Searson. Vous avez mentionné que vous aviez servi au conseil et aviez été mairesse durant trois mandats et que votre communauté avait son propre code électoral coutumier. Par conséquent, vous pouvez en parler par expérience. Le régime électoral coutumier était-il déjà en place avant que vous commenciez à siéger au conseil?
Mme Cook-Searson : Oui.
Le sénateur Raine : Vous connaissez la valeur d'un code électoral coutumier. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais que vous formuliez des observations sur la façon dont votre code gère le règlement des différends liés aux élections.
Mme Cook-Searson : En ce moment, nous sommes en train d'apporter des changements à notre régime électoral. Les changements n'ont pas encore été apportés, parce qu'ils doivent être communiqués aux membres de notre communauté, mais nous avons travaillé sur les différents changements et leur formulation, et nous y avons ajouté des éléments pour nous assurer qu'ils sont inclusifs. Ils seront communiqués aux membres de notre communauté pour garantir qu'ils les trouvent satisfaisants. Si ce n'est pas le cas, ils peuvent les porter en appel. Ensuite, les membres voteront sur ceux-ci le Jour anniversaire du traité. À l'heure actuelle, nous nommons un chef actuellement élu au poste d'agent d'appels. Sa décision, quelle qu'elle soit, est irrévocable. L'agent d'appels tient une audience pour entendre les deux côtés. Quel que soit le différend, chaque partie peut être accompagnée d'un avocat si elle le souhaite. Ensuite, le chef actuel, la personne qui, au début de processus, a été nommée au poste d'agent électoral, ou le conseil peut infirmer la décision du chef qui fait fonction d'agent d'appels. Si cette décision ne satisfait pas quelqu'un, cette personne peut porter la cause devant la Cour fédérale.
Le sénateur Raine : Pour apporter des changements à votre code électoral coutumier, avez-vous besoin d'une double majorité?
Mme Cook-Searson : Oui. Il faut en informer les gens. J'ai avec moi notre code électoral coutumier, alors je vais lire l'article en question. Dans notre code, il est clair que nous devons communiquer les changements aux membres de notre communauté. À l'article 64, le code stipule qu'en ce qui concerne les révisions et les amendements, tout changement ou ajout doit être communiqué à tous les ménages qui comptent au moins un électeur qui résidait dans le domicile familial trois mois avant l'adoption des changements ou des ajouts. Tout électeur qui a des raisons de contester ces changements doit le faire par écrit et envoyer le document au conseil de bande, à l'attention du chef et du conseil, dans un délai de trois mois. Si une contestation est reçue, le conseil doit mettre aux voix le changement ou l'ajout proposé au moyen d'un plébiscite tenu le Jour anniversaire du traité de la bande. Si aucune contestation n'est reçue, les changements peuvent être approuvés au moyen d'une Résolution du conseil de bande, d'une RCB.
L'article b) de la loi stipule que le chef et le conseil peuvent approuver au moyen d'une Résolution du conseil de bande un règlement établissant les procédures, les formulaires et d'autres règles administratives qui sont requis pour administrer la présente loi.
Le sénateur Raine : Je dois dire que je considère vraiment ce projet de loi comme un tremplin vers des régimes électoraux coutumiers, comme celui que vous avez élaboré, qui sont vraiment adaptés à chaque Première nation. À l'heure actuelle, il est pratiquement impossible de passer d'un mandat de deux ans régi par la Loi sur les Indiens à un régime électoral coutumier.
Mme Cook-Searson : En ce moment, nos mandats durent trois ans et nos élections sont tenues à une date fixe. Nous les tenons au début de l'exercice. Elles ont lieu à la fin du mois de mars. Ainsi, quels que soient le chef et le conseil élus, ils commencent leur mandat dotés d'un nouveau budget.
Le sénateur Raine : Je dois dire que, pour quelqu'un qui s'est présenté devant nous sans avoir eu beaucoup de temps pour se préparer, votre témoignage est sensationnel. Je vous remercie d'être venue.
Mme Cook-Searson : Merci beaucoup.
Le président : Un des membres du groupe d'experts a-t-il des observations à formuler à propos des commentaires des sénateurs Sibbeston et Patterson? Le sénateur Sibbeston a parlé des avantages d'avoir une commission, alors que le sénateur Patterson a souligné que cela ajoutait un niveau supplémentaire d'administration qui pourrait occasionner d'énormes dépenses et que l'argent dépensé pourrait être investi dans l'éducation ou d'autres causes qui tiennent à cœur aux Premières nations. Madame Craft et grand chef Nepinak, avez-vous quelques derniers commentaires à faire? Je pense que la chef Cook-Searson a déjà répondu à cette question.
Mme Craft : J'ai une observation à formuler, monsieur le président. En permettant à un tribunal d'instruire des appels des résultats d'élections, on reconnaîtrait l'expérience et les compétences de ses membres dans divers domaines, dont le droit canadien, les élections au sein des Premières nations, les formes autochtones de gouvernance et le règlement des différends. À l'heure actuelle, ces connaissances ne sont pas si faciles à trouver au sein des cours fédérales et des cours supérieures des provinces. Un tel tribunal permettrait de tirer parti de ces importantes ressources qui contribueraient en fin de compte à régler ces différends d'une manière plus efficace, plus rapide et plus économique.
M. Nepinak : Je crois qu'au sein de notre peuple, il y a une compétence qui reflète nos valeurs et nos systèmes de gouvernance et qui n'est pas entendue en ce moment. La majeure partie du savoir traditionnel concernant la façon dont nos gouvernements fonctionnent est détenu par nos aînés. Je pense qu'un tribunal conçu pour faire entendre la voix de notre peuple et pour reconnaître la compétence qui existe, y compris les systèmes de valeurs et les lois qui s'y rattachent, est un important pas en avant pour nous. En lui-même, le tribunal fournirait une précieuse source d'enseignement pour quiconque, y compris nos enfants. Je pense que ce serait une entreprise valable et que le tribunal représenterait la pierre angulaire de toute loi que les chefs du Manitoba appuieraient.
Le président : J'aimerais remercier les trois représentants, de l'Association du Barreau canadien, de l'Assemblée des chefs du Manitoba et de la bande indienne de Lac La Ronge, qui nous ont donné des exposés. Nous vous sommes reconnaissants de vos exposés et des réponses que vous avez apportées aux questions des sénateurs.
Chers sénateurs, nous allons suspendre nos travaux pendant cinq minutes, puis nous les poursuivrons à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)