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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 15 - Témoignages du 3 avril 2012


OTTAWA, le mardi 3 avril 2012

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : ajouts aux réserves).

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui suivent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la chaîne CPAC ou sur le Web.

Je suis le sénateur Gerry St. Germain, je viens de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur de présider le comité. Notre mandat consiste à étudier les mesures législatives et d'autres questions qui se rapportent aux peuples autochtones du Canada en général. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude des ajouts aux réserves. Cette expression désigne le processus d'ajout de terres aux réserves actuelles ou à de nouvelles réserves.

En juin 2011, le Canada, représenté par le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien, et les Premières nations, représentées par le Chef national de l'Assemblée des Premières Nations, ont adopté un plan d'action conjoint visant à améliorer la prospérité à long terme des Premières nations et de l'ensemble des Canadiens. Ce plan d'action explorera notamment des initiatives concrètes permettant aux Premières nations de réaliser leur potentiel économique, y compris des améliorations à apporter à la Politique sur les ajouts aux réserves.

Dans le cadre de cette étude, nous demandons aux témoins de se prononcer sur la politique actuelle d'ajouts aux réserves et sur les processus correspondants, et nous les encourageons à formuler des recommandations qui nous permettraient de corriger les diverses lacunes à ce sujet.

Nous accueillons ce matin les représentants de deux organisations, soit la Commission de la fiscalité des Premières nations et l'Assemblée des Premières Nations.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais vous présenter les membres du comité présents ce matin.

[Traduction]

Le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan, est la vice-présidente du comité. À ses côtés se trouve le sénateur Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse. À ma droite siègent les sénateurs Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique, Vernon White, de l'Ontario, et Jacques Demers, du Québec.

Chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour accueillir notre premier témoin, Manny Jules, le commissaire en chef et président de la Commission de la fiscalité des Premières nations.

Nous avons hâte d'écouter votre exposé, qui sera suivi de questions des sénateurs. Mon cher ami Manny, la parole est à vous.

C.T. (Manny) Jules, commissaire en chef et président, Commission de la fiscalité des Premières nations : Merci. Tout d'abord, je vous félicite du prix d'excellence national que vous venez de recevoir pour l'ensemble de votre travail et pour votre dévouement.

Des voix : Bravo!

M. Jules : Je n'ai pas eu la chance de regarder le combat, mais j'ai été étonné d'apprendre que l'autre sénateur, Brazeau, n'a pas volé comme le papillon ni piqué comme l'abeille. Je dois aussi dire que je suis un grand partisan des Canadiens — j'ignore ce qui s'est passé, Jacques.

Le sénateur Demers : Nous savons tous ce qui s'est passé : je suis parti!

M. Jules : Vous êtes parti! Je vous aimais jusqu'à ce moment.

Le président : C'était une excellente cause. L'événement a permis d'amasser beaucoup d'argent pour la recherche sur le cancer.

M. Jules : Une somme phénoménale de 250 000 $.

Mais je n'accepterais jamais de me mettre dans une situation semblable où l'on pourrait me couper les cheveux.

C'est un privilège de m'adresser au Sénat à propos du potentiel économique des ajouts aux réserves. J'ai énormément de respect à votre égard. Vous menez des recherches très pertinentes et proposez des solutions qui améliorent le pays dans lequel nous vivons tous.

Vos études récentes et vos recommandations sur l'éducation, les soins de santé, le vieillissement de la population et la sécurité nationale ont éclairé le débat et ont entraîné des modifications législatives et fiscales qui, selon moi, contribuent à faire du Canada le pays le mieux gouverné sur terre. Le rapport sénatorial sur le développement économique autochtone déposé il y a quelques années a rempli mon père de fierté, car il admettait que nous serions défavorisés jusqu'au jour où nous aurons suffisamment de pouvoir à l'échelle locale pour suivre le rythme des affaires.

J'ai déjà travaillé étroitement avec le Sénat sur des mesures législatives liées aux Premières nations, comme la première modification à la Loi sur les Indiens proposée par les Premières nations en 1988, et la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations adoptée en 2005.

La décision du Sénat d'étudier le processus d'ajouts aux réserves me remplit d'espoir. Je suis certain que le comité est maintenant très bien au fait des problèmes qui en découlent.

Tout d'abord, les ajouts aux réserves prennent beaucoup trop de temps et sont bien trop compliqués. Je crois savoir que le processus est en moyenne trois à quatre fois plus long que s'il s'agissait de limites municipales à redéfinir. Dans certains cas, il a même fallu plus 20 ans pour régler la question.

En deuxième lieu, les ajouts aux réserves se sont pour la plupart soldés par un échec économique. Même dans les cas où une entente est conclue, ces ajouts ne répondent pas aux attentes économiques, car ils convertissent les précieux intérêts en fief simple en terres de réserve de bien moins grande valeur. Les estimations varient, mais les terres en fief simple perdent dans bien des cas 90 p. 100 de leur valeur, car le régime foncier des terres de réserve est bien moins souple, ce qui se traduit par un moindre degré de certitude sur les plans du mode de tenure et de l'investissement, ainsi que par des marchés limités.

Le problème des ajouts aux réserves, c'est qu'ils convertissent les terres en fief simple autrefois fructueuses en terres de réserve improductives. En règle générale, le rendement des terres de réserve atteint environ le dixième de celui des autres terres canadiennes. Il est extrêmement difficile d'y faire des affaires ou d'y attirer des investissements en raison de leurs systèmes de gouvernance et leur régime foncier. De plus, le rendement de ceux qui grandissent sur des terres improductives sera lui aussi inférieur. Le processus actuel d'ajout aux réserves mobilise une énorme quantité de ressources gouvernementales, mais se solde au bout du compte par une diminution de notre productivité.

Cette perte de valeur pose un dilemme à bien des Premières nations : conserver la valeur des terres en fief simple et dire adieu à leur compétence, ou bien ajouter des terres aux réserves afin d'étendre leur compétence, mais accepter la dévaluation des terres.

Voici deux ou trois exemples dont je suis bien au fait. Grâce à l'Entente-cadre sur les droits fonciers issus de traités, une Première nation du Manitoba a pu acheter des terres de grande valeur tout près de Winnipeg. Elle voudrait y attirer des investissements commerciaux et résidentiels, et bien des promoteurs de construction ont frappé à sa porte, mais elle est malheureusement tenue d'attendre la fin du processus d'ajout aux réserves. Elle a dû mettre en place le cadre légal et administratif nécessaire pour assurer un degré de certitude suffisant sur le plan de l'investissement. Or, le processus pourrait durer 10 ans. Imaginez les investissements et le nombre de possibilités d'emploi qui glissera entre les doigts de cette Première nation. Imaginez ses pertes de recettes publiques, qui auraient permis d'offrir des services de qualité à la collectivité. Je connais une autre Première nation de l'Alberta qui aimerait exploiter des ressources. Elle craint toutefois de rater cette occasion économique si elle crée davantage de terres de réserve qui seront soumises à la Loi sur les Indiens. Elle se demande si elle devrait renoncer à sa compétence afin de bâtir son économie. Il est tragique que le système d'ajout aux réserves force les Premières nations à choisir entre compétence et rentabilité.

Le statu quo n'est manifestement pas une option. J'ai collaboré avec plusieurs Premières nations pour élaborer une proposition de loi sur le droit de propriété des Premières nations qui pourrait régler le problème. Ces mesures législatives permettront de transférer les titres fonciers de nos terres du gouvernement fédéral à notre administration locale. Si elle le désire, la Première nation pourra ensuite délivrer ces titres aux particuliers. La loi précisera notre autorité permanente sur les terres et sur l'imposition. Cette loi permettra aux Premières nations de conserver la valeur marchande des terres ajoutées aux réserves et de veiller à ce qu'elles relèvent de leur compétence à perpétuité.

Il faudrait modifier le processus d'ajout aux réserves de façon à ce que les Premières nations puissent être propriétaire des terres. Les retombées d'une telle mise au point seraient immédiates en Saskatchewan et au Manitoba. En effet, 25 Premières nations de la Saskatchewan investissent 440 millions de dollars pour acheter des terres en vertu de l'Entente- cadre sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan; et plus d'un million d'acres de terre sont ajoutées aux réserves du Manitoba grâce à l'Entente-cadre sur les droits fonciers issus de traités au Manitoba. Ces terres permettraient aux Premières nations de se rapprocher des marchés; elles gagneraient également en productivité grâce au droit de propriété des Premières nations. De plus, elles favoriseraient l'accession à la propriété et les occasions d'investissement commercial.

Ce n'est pas par coïncidence que le gouvernement s'est engagé à appuyer la Loi sur le droit de propriété des Premières nations dans son budget du 29 mars dernier. Tout comme moi, il est conscient que celle-ci nous permettra de mieux contribuer à l'économie. Le budget reflète fidèlement nos défis stratégiques des 30 prochaines années. Dans 20 ans, deux travailleurs devront réaliser le même travail que sept pouvaient accomplir dans les années 1970. Si nous n'atteignons pas ce rendement, nous devrons accepter une combinaison de compressions budgétaires, de réduction du revenu disponible des particuliers et d'augmentation des heures de travail, ou encore une retraite différée. Si nous nous appauvrissons, les politiques deviendront une source de discorde supplémentaire, car nous chercherons à déterminer qui souffre le plus. Personne ne souhaite une telle situation.

Nous devons réunir les conditions favorisant la croissance économique à long terme du Canada. Les Premières nations doivent prendre part à la stratégie en matière de productivité. Notre population est jeune. Au cours des 20 prochaines années, 1 nouveau travailleur sur 10 appartiendra aux Premières nations. Pour l'instant, nous sommes la catégorie de la population active la plus touchée par le sous-emploi. Si la situation ne change pas, le défi du Canada en matière de productivité sera encore plus difficile à relever.

La Loi sur le droit de propriété des Premières nations améliorera le rendement des terres de réserve et des membres des Premières nations. Elle produira un effet positif tant sur le plan du mode de tenure que sur celui de l'investissement. Elle réduira le coût des opérations commerciales, comme l'inscription d'une hypothèque, le transfert de titre et l'obtention de financement. La loi affirmera la compétence des Premières nations sur leurs terres et leur permettra d'exercer leur autorité en la matière, assurant ainsi la liberté du marché dans le cadre des ajouts aux réserves.

Les titres fonciers des réserves sont détenus par le gouvernement fédéral, mais ils passeront aux mains des Premières nations en vertu de la Loi sur le droit de propriété des Premières nations. La propriété individuelle se limitera à des certificats de possessions et à des baux sur la réserve. La loi permettra la propriété en fief simple et assurera le même degré de certitude sur le plan du mode de tenure que partout ailleurs au Canada. Nous pourrons ainsi contracter des prêts hypothécaires, nous constituer du capital, financer des entreprises et transférer notre richesse à nos enfants au même titre que tous les autres Canadiens. Les entrepreneurs pourront enfin débrider leur imagination, et nous pourrons accroître notre rendement, nous libérer de notre dépendance et commencer à rétablir notre culture d'indépendance.

En raison de la Loi sur les Indiens, le cadre légal et administratif des terres de réserve n'a pas évolué depuis le XIXe siècle. La proposition de la Loi sur le droit de propriété des Premières nations offrira un cadre légal et administratif du XXIe siècle réunissant les meilleures pratiques des systèmes provinciaux, fédéraux et locaux de partout au Canada. Ces mesures législatives normalisatrices par défaut éviteront aux Premières nations de perdre des années à élaborer leur propre cadre législatif. Nous aurons recours aux techniques de formation éprouvées du Tulo Centre of Indigenous Economics. Nous allons accroître la capacité locale et mettre en œuvre des systèmes administratifs axés sur l'investissement, ce qui diminuera les coûts des investisseurs et permettra aux gouvernements des Premières nations d'enfin suivre le rythme des affaires. Sur les réserves, le marché se limite souvent aux membres de la bande ou aux tenures à bail. Or, le marché des membres de la bande est assez restreint; celui de la tenure à bail est plus important, mais il représente tout au plus 65 p. 100 du marché en fief simple. Il s'agit là d'une estimation locale de Sun Rivers.

La proposition de la Loi sur le droit de propriété des Premières nations autorisera la propriété en fief simple et le régime des titres Torrens. Elle devrait favoriser le libre marché et veiller à ce que la valeur des propriétés corresponde à celle des compétences avoisinantes.

La Commission de la fiscalité des Premières nations a commandé des recherches afin d'estimer les bienfaits de ces mesures législatives sur les terres ajoutées aux réserves. Les résultats sont impressionnants malgré la grande prudence des estimations. Au cours des 15 prochaines années, la combinaison de la nouvelle loi, des ajouts aux réserves et de la liberté accrue des marchés devrait permettre d'attirer 3,7 milliards de dollars d'investissements, de créer 30 000 emplois et de générer annuellement des revenus de 48 millions de dollars d'impôt foncier afin d'offrir des services locaux et de construire des infrastructures. Ces estimations sont prudentes, car nous avons supposé que seul 1 p. 100 des droits fonciers issus des traités de la Saskatchewan et du Manitoba seraient convertis en droits de propriété des Premières nations; aucune autre province n'est entrée en ligne de compte. De cette proportion, nous avons présumé que seuls 40 p. 100 des terres seraient développées au cours des 15 prochaines années. Nous avons également estimé qu'avec le temps, la valeur des terres correspondra approximativement à celle des petites collectivités et des zones rurales, et pas des terres de Saskatoon, de Regina ni de Winnipeg.

Finalement, nous n'avons pas tenu compte des possibilités de mise en valeur des ressources, uniquement des projets commerciaux et résidentiels. Un investissement de 3,7 milliards de dollars, c'est beaucoup moins qu'un pour cent de l'investissement total prévu dans ces provinces pour les 15 prochaines années. Les retombées économiques seront probablement beaucoup plus élevées. De plus, le régime de DPPN sera plus efficace que le système actuel pour protéger les terres des Premières nations participantes, puisque celles-ci pourront réserver des terres communes.

On a beaucoup critiqué cette initiative, car on craint que les Premières nations se mettent à vendre toutes leurs terres. C'est ridicule. Plus de 90 p. 100 des terres au pays appartiennent à la Couronne. On verra probablement le même phénomène apparaître avec les Premières nations. C'est la raison pour laquelle nous croyons que moins de 0,5 p. 100 des terres visées par des DFIT seront exploitées en vertu du DPPN au cours des 15 prochaines années. On dit toujours à la commission de la fiscalité que « les investisseurs sont des contribuables. » De nombreuses Premières nations ont déjà accueilli d'importants investissements sur leurs terres. Grâce au DPPN, il y en aura davantage. Nous ne craignons pas les investissements. Le DPPN permettra aux Premières nations de conserver leur compétence fiscale et en matière de gestion foncière à l'égard de leurs terres, peu importe qui y habite. Elles auront un pouvoir d'expropriation et, dans certains cas, redeviendront propriétaires de ces terres. Les terres visées par le DPPN seront assujetties aux mêmes règles que les autres terres au pays. Par exemple, si un sénateur me vend un terrain à Ottawa, ce dernier demeure sur le territoire d'Ottawa; il ne se retrouve pas soudainement sur le territoire Tk'emlups. De façon similaire, si un sénateur achète un terrain sur le territoire Tk'emlups, celui-ci resterait sur le territoire Tk'emlups.

En permettant que les ajouts aux réserves soient assujettis au DPPN, on créerait un incitatif pour résoudre les problèmes en la matière. Le processus actuel est difficile, car il rend improductives les terres productives. Cela entraîne des pertes fiscales et fait fuir les investisseurs. Le DPPN fournira de nouveaux revenus au gouvernement des Premières nations permettant à ce dernier de contribuer à l'amélioration des services locaux et des infrastructures régionales. Les terres visées par le DPPN demeureront productives. Il sera alors plus facile de conclure des ententes avec d'autres gouvernements et des investisseurs pour leur développement.

En améliorant la productivité des terres des Premières nations, on rendra aussi plus efficaces les initiatives des Premières nations. Les investissements en éducation seront plus rentables si les étudiants vivent sur des terres productives. Pour faire comprendre aux jeunes la valeur de l'éducation, il faut, dès leur jeune âge, leur faire voir les possibilités d'emploi et leur donner des exemples de réussite commerciale.

Il sera plus facile pour les Premières nations de conclure des accords de mise en valeur des ressources si elles disposent de terres productives. Pour l'heure, elles ne profitent que d'une petite partie de la mise en valeur des ressources sur leurs terres et territoires traditionnels. Elles ne peuvent tirer avantage d'investissements, car il est très difficile pour elles de conclure des accords commerciaux. Conséquemment, elles touchent une grande part d'un petit flux d'avantages et il est beaucoup plus difficile pour elles de conclure des accords. Lorsqu'elles pourront profiter de tous les avantages, elles pourront conclure des accords plus facilement.

Le manque de possibilités accentue les problèmes sociaux. Pour régler ces problèmes, il faut une plateforme économique qui s'appuie sur l'accroissement de la productivité des terres.

En terminant, nous sommes impatients de travailler au cours des prochains mois avec le Parlement et le Sénat au développement et à la mise en œuvre de la Loi sur le droit de propriété des Premières nations. Le 29 mars dernier, le gouvernement fédéral s'est engagé à travailler avec la commission de la fiscalité et les Premières nations participantes à la création d'une mesure législative sur le DPPN. Nous sommes heureux de cet engagement et espérons discuter de cette mesure avec le Sénat avant Noël. Le Canada a une occasion historique de réduire le désavantage économique des Premières nations par rapport au reste du pays et de concrétiser les grandes perspectives offertes par les ajouts aux réserves.

En 1910, mes ancêtres ont rédigé une déclaration à l'intention du premier ministre Wilfrid Laurier. Nous l'appelons le « mémoire Shuswap », car, depuis, tous nos chefs s'en sont inspirés. Dans cette déclaration, on explique que notre peuple se retrouve sans véritable terre d'attache dans son propre pays. Il y est question de la perte de nos maisons et de nos ranchs. Cette déclaration rappelle au premier ministre que notre peuple attend beaucoup du chef de ce grand pays qu'est le Canada et que l'on veut surtout qu'il nous traite de façon juste et honorable.

Nous avons présenté cette déclaration il y a plus de 100 ans. Mais, je crois qu'avec l'adoption de la Loi sur le droit de propriété des Premières nations, pour reprendre les paroles de mes ancêtres, nous serons tous plus prospères.

Le président : Merci. Je vais poser la première question.

J'ai entendu des gens critiquer le DPPN. Qu'est-ce qui déterminera si une terre est commune ou si elle est visée par le DPPN? Les certificats de possession seront-ils honorés équitablement dans les réserves? Ce sont les questions qui m'ont été soumises. Comme vous le savez, j'ai de l'expérience et j'aime ce concept. Toutefois, comment agir équitablement concernant les certificats de possession et comment établir quelles terres resteront communes?

M. Jules : Toutes les communautés participantes ont achevé leur processus de consultation et dressé les grandes lignes de leur plan de développement communautaire dans lequel elles ont réservé des terres pour des lieux publics, comme les cimetières, les églises, les centres communautaires et les écoles. D'autres sont réservées pour des projets résidentiels et commerciaux, alors que certaines resteront communes. Comme je l'ai dit, selon nous, la majorité des terres resteront communes.

La question des certificats de possession a déjà été soulevée par des titulaires de certificats inquiets. Disons que ces derniers et les conseils de bande ne se font pas tellement confiance. Nous avons adopté un processus qui permet à toute communauté qui le désire d'intégrer automatiquement ces certificats au processus de transformation d'une terre de réserve indienne en terre visée par le DPPN.

Selon moi, la décision reviendra aux membres de la communauté après discussions et consultations. Nous devons protéger les terres et veiller à ce que le processus permette de régler les problèmes liés aux certificats de possession et les différends qui en ont résulté. Il faut s'assurer que le transfert de propriété de la réserve à une propriété en fief simple se fasse de manière juste et équitable.

Le président : Certains de ces changements ont-ils déjà été apportés?

M. Jules : Pas encore. Comme vous le savez, l'annonce n'a été faite que jeudi dernier dans le cadre du budget. Bien entendu, nous devons rédiger notre proposition législative, notamment, alors il faudra un certain temps avant que l'on puisse présenter quoi que ce soit au Sénat.

Le président : Trois sénateurs se sont joints à nous, soit le sénateur Patterson, du Nunavut, le sénateur Meredith, de l'Ontario et le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur White : Le vérificateur général est venu témoigner sur les difficultés entourant le transfert de propriété des terres. Qu'est-ce qui empêche le gouvernement fédéral d'exproprier une terre en fonction de sa valeur, plutôt que de l'acheter au prix courant? Il semble y avoir une différence entre le prix de la terre et sa valeur.

Aussi, qu'est-ce qui l'empêche de geler ces terres en attendant que leur propriété soit transférée à la Première nation, plutôt que de suivre le processus actuel? Je crois que c'est le sénateur Dyck qui a dit que le prix était deux ou trois fois plus élevé à l'achat. Y a-t-il quelque chose qui empêche le gouvernement de procéder ainsi?

M. Jules : Je me souviens d'un dossier que l'on appelait le « Douglas Reverse trench cut-off ». Pendant des décennies, on a tenté d'acheter des terres expropriées dans les années 1800. Nous voulions ajouter à la réserve ces terres situées à proximité. Or, dès que le propriétaire du ranch en question s'est rendu compte que c'est le gouvernement qui tentait d'acheter ses terres, le prix a décuplé. Pour mener à bien les négociations, nous avons sollicité l'avis indépendant de nos évaluateurs respectifs. J'ai dit à Raymond Kerr de retenir les services d'un évaluateur et que nous allions faire de même. En cas de différend, nous allions demander à un expert indépendant de trancher. Au bout du compte, nous avons conclu un accord profitable pour les deux parties. Selon cette entente, nous pouvions échelonner nos paiements sur plusieurs années. Le propriétaire de la terre était satisfait, car il économisait au chapitre des impôts sur les gains en capital.

Je me souviens d'une situation où le ministre de l'époque, M. McKnight, avait dû offrir 35 millions de dollars supplémentaires pour apaiser la colère des administrations municipales de la Saskatchewan qui craignaient de perdre des recettes fiscales. C'est la raison pour laquelle je crois que le DPPN rendra les choses plus équitables. Les évaluations foncières seraient comparables.

Selon mon expérience, il faut amorcer le processus le plus tôt possible. Si des administrations municipales sont concernées, il faut lancer le processus dès maintenant.

À cette fin, nous entreprenons, en collaboration avec l'union des municipalités de la Colombie-Britannique, une seconde étude dans la province sur les avantages économiques de bénéficier à la fois des droits issus de traités et de ce que j'appelle « l'expansion ordonnée de nos assises territoriales. »

Le sénateur White : Je n'ai aucun doute sur la valeur de tout cela. Étant donné la durée indue du processus, l'intégration aux terres réservées serait-elle envisageable? Ces terres seraient ainsi sous l'autorité de la Première nation, sinon sous son contrôle.

M. Jules : Le problème, c'est que, pour le gouvernement, les terres ou les biens immobiliers sont des éléments de passif. L'ajout de terres à une réserve représente en effet une obligation financière pour le gouvernement fédéral, car les services, les infrastructures, l'éducation, le développement social, et j'en passe, seront sous sa responsabilité. C'est la raison pour laquelle, selon moi, le processus de règlement de différends qui existent depuis plus de 100 ans, dans de nombreux cas, est si long et alambiqué.

Je crois qu'il nous faut adopter une nouvelle approche. Il faut tenir compte des évaluations foncières du XXIe siècle, et non de celles du XIXe siècle.

Le sénateur Demers : Chef Jules, merci pour votre excellente présentation. Vous avez parlé, notamment, de la croissance à long terme et du sous-emploi au Canada. Comment pourrait-on utiliser les terres afin d'améliorer l'éducation, la croissance, les valeurs, et cetera, donc pour bâtir un avenir meilleur? Selon ce que nous disent les témoins, ça semble toujours être un problème. Quand vous parlez de croissance, vous dites que les terres sont pour vous un élément précieux. Que nous réserve l'avenir à ce chapitre, selon vous?

M. Jules : Ce qu'il faut comprendre au sujet de l'éducation, c'est qu'il s'agit d'un investissement à long terme. Encore une fois, je félicite le Sénat d'avoir soutenu l'investissement de plus de 200 millions de dollars proposé dans le budget pour les infrastructures scolaires et l'éducation.

Le problème, c'est que cet investissement va fondre comme neige au soleil. Au cours des prochaines années, il faudra investir de nouveau en éducation, probablement un montant comparable. Nous n'avons plus les outils nécessaires pour veiller nous-mêmes à l'éducation de nos jeunes. Nos communautés sont si dépendantes du gouvernement fédéral, que nous ne pouvons pas envoyer nos enfants au collège, à l'université ou dans une école technique, car nous ne disposons d'aucune valeur de garantie immobilière. C'est un cercle vicieux. Il faut créer une classe moyenne au sein des Premières nations pour que les Autochtones puissent créer cette valeur nette, laisser un héritage à leurs enfants et les éduquer au rythme de leurs moyens, plutôt que de dépendre totalement du gouvernement fédéral.

Évidemment, cela prendra du temps. Mais, si vous acceptez ma proposition, soit de créer un droit optionnel de propriété privée pour les Premières nations, vous remarquerez une baisse des problèmes sociaux que le gouvernement fédéral doit régler. Sans un tel droit, le gouvernement devra continuer de gérer ces problèmes.

Le sénateur Demers : Excellente réponse, chef. Merci, monsieur le président.

Le sénateur Dyck : Merci pour votre exposé, monsieur Jules. Vous avez parlé de la Saskatchewan, ma province d'origine. Je crois que le processus d'ajouts aux réserves date de 25 ans en Saskatchewan, sans doute l'une des premières provinces à le faire. Ainsi, la nation crie de Muskeg Lake possède des terres dans le secteur Sutherland à Saskatoon. Je pense qu'il y a six parcelles qui appartiennent à différentes Premières nations dans les limites de la ville de Saskatoon. J'ai deux questions à vous poser. La première concerne la Saskatchewan. Qu'est-ce qui a facilité le processus dans cette province? Je crois que vous y avez partiellement répondu en mentionnant Bill McKnight.

Je voudrais aussi savoir s'il a fallu des décennies pour que ce processus se concrétise. Ne pourrions-nous pas nous servir des enseignements tirés de cette expérience pour accélérer les choses dans d'autres provinces comme le Manitoba?

M. Jules : Comme vous le savez, pour ce qui est des droits fonciers issus des traités, une grande partie des traités numérotés ont été conclus au XIXe siècle. Il a fallu bien des décennies pour que les gouvernements fédéral et provinciaux reconnaissent les obligations légales afférentes. Une entente est alors intervenue entre le gouvernement fédéral et les Premières nations, ce qui a permis à ces dernières d'amorcer leurs négociations avec les instances provinciales. Selon ma vision du pays, les deux instances sont indissociables dans les dossiers touchant les Premières nations. Il faut composer non seulement avec le gouvernement fédéral, mais aussi avec les intérêts provinciaux. En l'espèce, le gouvernement provincial a dû participer aux négociations et accepter que des terres soient transférées, puis transformées en réserves. À lui seul, ce processus exige beaucoup de temps. Parallèlement à cela, il doit y avoir un accord entre le gouvernement fédéral et l'administration municipale relativement à l'indemnisation à payer pour les intérêts imposables à long terme que la municipalité est réputée perdre au titre des droits fonciers issus des traités.

J'estime qu'il y a effectivement des leçons à tirer de l'expérience vécue en Saskatchewan. Il faut toutefois aussi considérer que l'on crée une situation où l'on se contente de transformer à nouveau ces terres en réserves indiennes, ce qui ne règle pas le problème de la perte de compétence ou de valeur foncière.

En vertu de la loi sur le droit de propriété des Premières nations que je propose, ces terres ne seraient pas transformées en réserves indiennes appartenant à Sa Majesté. Elles seraient plutôt détenues à perpétuité par les Premières nations qui pourraient y exercer leur compétence et en conserver la valeur.

Le sénateur Dyck : Si vous permettez, j'aurais une question supplémentaire. Selon ce que j'ai pu comprendre, ces terres deviendraient effectivement des terres de réserve. Il y a toutefois eu en Saskatchewan plusieurs exemples de cas où de telles terres de réserve sont devenues très productives. Serait-il donc possible pour une Première nation d'avoir à la fois des terres ayant le statut de réserve et des terres possédées en fief simple?

M. Jules : Cela fait partie des choses que je propose. Les Premières nations devraient pouvoir prendre elles-mêmes ces décisions en toute connaissance de cause.

Le sénateur Dyck : Une même Première nation pourrait donc posséder des terres en fief simple à Saskatoon, par exemple, en plus d'avoir des terres de réserve à Prince Albert?

M. Jules : C'est tout à fait possible. Le problème avec les terres de réserve c'est bien évidemment qu'on n'en est jamais propriétaire. Elles appartiennent au gouvernement fédéral. Cela fait partie des questions que doit régler chacune des Premières nations. Selon moi, il faudrait pouvoir les conserver comme terres des Premières nations, peu importe l'endroit où elles se trouvent, et y appliquer un régime de propriété en fief simple.

Le sénateur Dyck : Je peux encore poser une brève question? Il doit alors y avoir un avantage à les conserver comme terres de réserve?

M. Jules : Honnêtement, je ne vois pas quel avantage il peut y avoir. Je ne suis pas ici pour préconiser le maintien des terres de réserve. C'est l'un des problèmes associés à la Loi sur les Indiens. Comment peut-on se mettre à céder des territoires qui ne devraient plus exister? Selon moi, la Loi sur les Indiens devrait être chose du passé, et il devrait en être de même des terres appartenant à Sa Majesté.

Le président : Pour que les choses soient bien claires, une partie de la réserve demeurerait propriété de la Couronne fédérale alors que, en vertu de la nouvelle loi que vous proposez, les terres en fief simple appartiendraient à la bande?

M. Jules : Les titres des terres existantes, dans mon cas celles des Tk'emlups, appartiennent à Sa Majesté. Quand on parle de réserve indienne, on parle d'une terre de valeur qui est détenue par Sa Majesté. Je propose que la propriété des terres en question soit transférée à ma communauté. Celle-ci posséderait ces terres et pourrait y exercer sa compétence à perpétuité; elle serait en mesure de les répartir entre les différentes Premières nations suivant un mode de possession en fief simple.

Le président : Cela s'appliquerait à toutes les terres des Tk'emlups.

Le sénateur Meredith : Nous avons reçu d'autres témoins qui nous ont parlé du lent processus des ajouts aux réserves. J'aimerais d'abord savoir pourquoi il y a un écart aussi important entre les limites municipales et celles des réserves. Par ailleurs, que faudrait-il prévoir dans la loi afin d'accélérer ce processus de telle sorte que les Premières nations puissent avoir accès à ces terres aux fins de cette autonomisation économique dont vous avez parlé?

M. Jules : Nous avons examiné les différentes situations pour ce qui est des possibilités d'expansion municipale ordonnée ainsi que des processus provinciaux. Nous avons notamment considéré le cas de la ville de Houston aux États-Unis qui peut étendre ses limites municipales chaque année afin de tenir compte de la croissance de la population. On a pour ainsi dire figé dans le temps les Premières nations en ne leur permettant pas une expansion bien ordonnée de leur assise territoriale, et il faut que ça change. On doit trouver la façon optimale de le faire en vue de faciliter notre croissance et notre développement économique, compte tenu des obligations légales du Canada et des gouvernements provinciaux en la matière. Si l'on s'en tient au régime en place, on va se retrouver avec les mêmes problèmes que vous êtes en train d'étudier. Il faudra une ou deux décennies, voire même un siècle, pour régler toutes ces questions, ce qui mènera à de nouveaux différends.

C'est le principe de responsabilité de la Couronne qui est à l'origine du problème sous-jacent. Il serait dans les meilleurs intérêts du Canada de changer cette façon de voir les choses. Nous devons être en mesure de transférer des terres de manière à ce qu'elles conservent leur valeur et puissent devenir aussi productives que par le passé. Lorsque des terres provinciales détenues en fief simple sont transférées à des réserves indiennes, elles perdent une grande partie de leur capacité de production. Selon les études que nous avons réalisées, elles ne conservent que le dixième de leur ancien rendement.

Les mesures que je propose permettent une expansion ordonnée de ces terres avec l'accord de toutes les parties en cause. Pour ce faire, le gouvernement fédéral doit adopter une loi. Il faudrait également des lois provinciales parallèles pour faciliter le tout, car il s'agira dans certains cas de terres provinciales. Le processus doit se dérouler de façon intégrée. Il convient aussi de mettre en place un mécanisme facilitant les accords entre les Premières nations et les municipalités, les comtés et les districts régionaux. On a déjà parlé de la situation avec Muskeg Lake. Des ententes ont été conclues entre cette bande et la ville de Saskatoon pour la prestation de différents services dont l'approvisionnement en eau, la protection incendie et la police.

Il s'agit vraiment pour la municipalité et la Première nation d'en arriver à une formule permettant une entente. Comme nous avons pu le constater en Colombie-Britannique alors que l'on est passé d'un régime exempt d'impôt à un régime d'imposition, le processus peut causer certaines tensions entre les deux parties, le résultat de différends cumulés au fil des ans.

Le sénateur Meredith : Vous avez indiqué que les problèmes sociaux sont aussi des problèmes économiques, et vous croyez dans la mobilisation, l'encouragement et l'autonomisation des gens. Pourriez-vous nous parler plus en détail des effets positifs qui découlent de l'autonomisation économique des Premières nations? Dans quelle mesure cela peut-il toucher les problèmes sociaux que vous vivez actuellement?

M. Jules : Bon nombre des problèmes sociaux auxquels nous sommes confrontés dans nos communautés sont la conséquence directe des politiques sociales avec lesquelles nous devons composer. C'est un peu comme ce qui s'est produit avec les premières terres de réserve qui ont été établies. De nombreux hommages ont alors été rendus; on a eu abondamment recours à l'aide sociale; le café était gratuit, le tabac également; il y avait toutes sortes de mesures semblables. On a ainsi créé une culture de la dépendance, car il nous était impossible de prendre nous-mêmes les décisions économiques nous concernant. C'est d'ailleurs pour cela que le processus de traité en Colombie-Britannique a revêtu une si grande importance. Vous n'avez qu'à voir ce que les Nisga'a ont pu réaliser. De cette manière, les responsabilités en matière de développement économique et de croissance sont confiées aux intéressés eux-mêmes, plutôt qu'à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Sibbeston : Monsieur Jules, je trouve tout à fait louables les efforts que vous déployez pour permettre aux Premières nations de bénéficier de la propriété de leurs terres. Quels types de dispositions ou de restrictions prévoiriez-vous pour éviter que ces terres soient grevées d'obligations à un point tel que le gouvernement soit contraint de les vendre au risque d'avoir à assumer toutes les conséquences normalement associées aux situations de reprises de finance? Avez-vous réfléchi à ces possibilités?

M. Jules : Oui, bien évidemment. L'un des problèmes avec les terres des réserves indiennes, c'est qu'elles ne peuvent pas servir de garantie hypothécaire. Pour construire une maison sur une réserve, il faut s'adresser au ministre des Affaires indiennes, par l'entremise du conseil de bande, afin d'obtenir une garantie ministérielle. Selon les plus récentes statistiques à notre disposition, il faudrait attendre entre 200 et 850 ans pour obtenir une telle garantie. Il faut donc absolument examiner les choses dans une perspective autre que celle de la Loi sur les Indiens, si l'on veut un jour mettre fin au cycle de la dépendance en matière de logement. Pour insuffler une valeur de garantie hypothécaire à nos terres, il faut considérer la possibilité de fonctionner dans le cadre d'un système de libre marché, c'est-à-dire pouvoir s'adresser à une banque ou une caisse populaire. Ainsi, il n'est plus question de faire affaire avec un programme, mais bien avec une personne qui est employable et qui possède un dossier. Les meilleurs candidats pourront obtenir un prêt hypothécaire et aller de l'avant. Cela n'enlève rien aux responsabilités des gouvernements quant à la construction de logements sociaux.

Il faut être bien conscient du fait que, parallèlement à cette transition vers un système de libre marché, les gouvernements des Premières nations devront pouvoir établir des exigences en matière de garantie hypothécaire permettant une juste prise en compte des intérêts de chacun.

Le sénateur Raine : Monsieur Jules, c'est toujours bon d'entendre votre point de vue, car votre père et vous-même œuvrez dans ce dossier depuis si longtemps. Lorsqu'on voit tout le temps qu'exige dans les autres provinces le règlement des questions touchant les traités et les ajouts aux réserves, un droit pour les Premières nations, pensez-vous que la loi sur le DPPN que vous proposez pourrait accélérer les choses en offrant un mécanisme plus convivial? Pourriez-vous nous indiquer si ce sont par exemple les municipalités qui ralentissent le processus?

M. Jules : En fait, les gouvernements fédéral et provinciaux ont aussi leur part de responsabilité. J'estime que l'adoption de la loi sur le DPPN va grandement faciliter une expansion ordonnée de notre assise territoriale du simple fait que nous n'aurons plus à composer avec la notion de responsabilité fédérale à l'égard de ces terres. En soi, cela va accélérer le processus.

Étant donné la nature des différends dont nous avons été témoins ici même en Ontario, je vous soumets également que tous les gouvernements provinciaux avec lesquels j'ai pu discuter sont conscients de la nécessité des réserves ou des assises territoriales en milieu urbain aux fins du développement économique. Une telle base économique combinée à une expansion ordonnée de l'assiette territoriale contribuera à apaiser les tensions qui se manifestent un peu partout au pays.

La loi va effectivement permettre un règlement plus efficace et plus facile des questions liées aux ajouts aux réserves grâce à la reconnaissance du DPPN.

Le sénateur Raine : Pour ces réserves urbaines, envisagez-vous une taxation par la municipalité ou par les Premières nations?

M. Jules : La taxation doit bien sûr être la responsabilité de la Première nation. Lorsque les droits de propriété seront transférés aux Premières nations, les compétences afférentes devront suivre. Il ne faut pas se retrouver avec une assiette foncière en permettant à un autre gouvernement d'exercer sa compétence.

Le sénateur Raine : Dans une situation semblable, il serait logique pour la Première nation de conclure une entente de service dont le montant serait à peu près équivalent à celui des taxes existantes, afin de payer les coûts des services...

M. Jules : Notre analyse des ententes locales en matière de services a révélé que les deux parties doivent convenir d'une formule fondée sur leurs compétences respectives. Lorsque la Première nation a compétence, ça facilite les choses.

J'ai été impliqué dans des situations très controversées comme celle mettant en cause la bande Musqueam et la Ville de Vancouver. Il a fallu quelques années pour régler les questions en litige. En fin de compte, il s'agit de réunir les parties pour les amener à reconnaître qu'il est dans l'intérêt de tous d'adopter une approche régionale en matière de développement économique.

Le sénateur Patterson : J'aimerais d'abord féliciter le chef commissaire. Quant à l'annonce faite dans le budget fédéral que vous avez bien sûr accueillie favorablement, je pense que vous méritez un certain crédit pour avoir préconisé cette approche. Merci pour votre argumentation très convaincante et pour la préparation à l'égard de quelques-unes des critiques anticipées.

J'ai deux questions. Premièrement, est-ce que j'ai bien compris que l'on attend les recommandations de la Commission de la fiscalité des Premières nations relativement à un éventuel projet de loi?

M. Jules : Nous travaillons avec différentes Premières nations qui ont proposé cette mesure législative; nous facilitons les discussions. J'ai préconisé cette approche à la lumière de l'expérience pratique que j'ai acquise au fil de 38 années à titre de membre du conseil puis de chef de ma communauté, et comme intervenant actif sur les scènes politiques locale, régionale, provinciale et fédérale.

Le sénateur Patterson : Vous avez indiqué vouloir présenter des recommandations au gouvernement à l'automne. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Jules : Il faut avouer que je suis de nature optimiste.

Le sénateur Patterson : Peut-être avez-vous parlé de décembre.

M. Jules : Si les planètes sont alignées, j'aimerais bien pouvoir vous soumettre le tout dans le courant de l'année pour que la loi puisse recevoir la sanction royale le 21 décembre, juste avant la fin de monde. Mais nous verrons.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé du risque que des terres des Premières nations soient vendues et perdues pour les générations futures. Nous avons peut-être été témoins d'une situation semblable en Alaska, et nous souhaitons l'éviter au Canada. Vous avez dit que le DPPN est facultatif et que les ajouts aux réserves demeurent une option.

Est-ce que le processus d'ajouts aux réserves prévoit une place pour les terres communes que les Premières nations souhaitent préserver à jamais pour leurs écoles, leurs espaces publics, leurs parcs et leurs loisirs? Ai-je bien compris que vous recommandiez une approche équilibrée en la matière?

M. Jules : Le processus d'ajouts aux réserves se déroule dans différents contextes au Canada. Dans les Prairies, il faut composer avec les droits fonciers issus des traités. Il s'agit d'obligations légales en vertu desquelles le gouvernement fédéral doit assurer le respect des engagements pris envers les Premières nations. Il faut donc tenir compte de la politique sur les ajouts aux réserves.

Il y a aussi des cas où des communautés souhaitent acheter des terres pour les transformer en réserves de telle sorte que, malgré la perte de valeur foncière, elles conserveront la présumée compétence sur ces terres en vertu de la Loi sur les Indiens.

Je propose une autre façon de faire les choses. La propriété de ces terres serait cédée à perpétuité à la communauté des Premières nations, plutôt qu'à une structure d'entreprise comme ce fut le cas en Alaska. Ainsi, les gouvernements des Premières nations demeureraient propriétaires et responsables de ces terres. Je ne crois pas en une approche fondée sur l'assimilation qui verrait un jour notre disparition. Je pense que nous devons être capables de créer nos propres institutions répondant à nos besoins du XXIe siècle, plutôt que de confier notre sort à des mécanismes conçus par quelqu'un d'autre au XIXe siècle.

Le président : Merci beaucoup, sénateurs. Merci, commissaire, pour votre comparution devant nous ce matin. Ce fut une séance fort instructive et intéressante. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans toutes vos entreprises.

Vous reconnaîtrez sans doute notre deuxième témoin qui a comparu récemment devant nous dans le cadre d'une autre étude. Il s'agit de Jody Wilson-Raybould, chef régionale de l'Assemblée des Premières Nations en Colombie- Britannique.

Madame Wilson-Raybould, nous avons grande hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire. Je vous laisse le soin de présenter les gens qui vous accompagnent en indiquant leurs fonctions respectives. Vous avez la parole.

Jody Wilson-Raybould, chef régionale, Colombie-Britannique, Assemblée des Premières Nations : Merci. C'est bien sûr avec grand plaisir que je suis à nouveau des vôtres aujourd'hui pour discuter de quelques-unes des difficultés associées à la politique des ajouts aux réserves.

Je suis accompagnée de Tonio Sadik, conseiller principal pour l'Assemblée des Premières Nations, et de Kathleen Lickers, conseillère juridique externe, également pour l'Assemblée des Premières Nations. Ils font tous deux partie du groupe de travail conjoint sur les ajouts aux réserves. Je suis heureuse qu'ils soient ici pour vous donner tous les détails techniques nécessaires concernant les travaux du groupe de travail conjoint et les activités que nous avons menées depuis 2009.

Vous avez entendu de nombreux témoins qui vous ont dit que le processus des ajouts aux réserves est long et complexe. Il ne fait aucun doute que l'Assemblée des Premières Nations est du même avis. Je voudrais d'abord situer ce débat dans le contexte plus général de nos efforts d'édification et de reconstruction de notre nation.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, les Premières nations vivent actuellement une formidable période de transition. Nous devons rebâtir nos existences individuelles et faire du même coup revivre nos familles et nos familles élargies, nos clans, nos communautés et, en bout de ligne, nos instances tribales qui étaient autrefois autonomes et puissantes jusqu'à ce que l'Histoire soit bouleversée par une période de contrôle colonial. Heureusement, notre pays dans son ensemble rejette maintenant cet héritage. Grâce à votre coopération et à votre dur labeur, nous pouvons trouver ensemble des solutions pour sonner le glas de cette période coloniale et faire en sorte que les membres des Premières nations puissent reprendre la place qui leur revient au sein d'un Canada en pleine évolution.

Notre assise territoriale s'est rétrécie au fil de l'établissement de nouveaux arrivants sur nos territoires. Tout processus de reconstruction de la nation doit donc passer notamment par les mesures nécessaires pour que les Premières nations jouissent d'une base territoriale suffisante. J'aimerais réorienter l'optique dans laquelle nous examinons les ajouts aux réserves et tous les autres mécanismes existants pour déterminer la superficie territoriale contrôlée par nos nations, que ce soit via les droits fonciers issus des traités, les revendications globales ou le processus des traités en Colombie-Britannique, en posant la question suivante : pour assurer la viabilité des Premières nations, comment pouvons-nous nous veiller à ce qu'elles disposent d'une assise territoriale adéquate à l'égard de laquelle elles exercent une compétence suffisante pour que leurs membres puissent y vivre en communauté et y générer une activité économique?

En répondant à cette question, nous devons nous montrer critiques à l'égard de la politique d'ajouts aux réserves afin de pouvoir la réformer de telle sorte qu'elle appuie l'objectif stratégique de créer à l'intérieur même du Canada un espace géographique et politique permettant aux Premières nations d'accéder à nouveau à l'autodétermination.

L'approche actuellement adoptée pour les ajouts aux réserves et l'objectif stratégique sous-jacent vont malheureusement à l'encontre de cette vision. La politique a été conçue à une époque différente en fonction de préoccupations maintenant désuètes. Elle vise à limiter les responsabilités de la Couronne, à réduire les coûts perçus pour l'administration gouvernementale et à traiter en priorité les préoccupations des tierces parties, plutôt qu'à intervenir de façon proactive pour étendre l'assise territoriale des Premières nations aussi rapidement et efficacement que possible. Il n'est guère étonnant qu'il faille autant de temps pour procéder à des ajouts aux réserves, si tant est que la chose est possible. Selon le vérificateur général, ces longs délais minent la capacité des Premières nations de générer de l'activité économique et d'aller de l'avant. La politique a en réalité pour effet d'empêcher les ajouts et de limiter la quantité de terres pouvant être greffées à une base foncière déjà inadéquate.

La politique des ajouts aux réserves est un reflet très fidèle de la mentalité qu'on retrouve dans la Loi sur les Indiens. Celle-ci s'articule en effet autour de perceptions négatives voulant que les terres ajoutées aux réserves et régies en vertu de la Loi sur les Indiens soient en quelque sorte écartées de toute utilisation productive au sein d'une économie moderne. À mon avis, c'est ce qui explique la grande importance accordée aux consultations avec les municipalités concernant les indemnisations à payer et toutes les questions relatives aux coûts que le Canada devra assumer pour le maintien futur de ces terres et relativement aux personnes qui pourraient les acquérir ou se les réapproprier. Bref, on part de l'hypothèse que les terres seront ajoutées suivant un modèle de dépendance pour l'administration foncière des Premières nations.

Bien qu'il soit vrai que bon nombre de nos réserves soient maintenant improductives en raison du régime établi par la Loi sur les Indiens et de l'absence de d'autonomie gouvernementale, il demeure extrêmement borné de croire que ces terres deviendront moins productives du simple fait qu'elles sont ajoutées à notre base territoriale. Dans le contexte de la période de transition, ce ne sera pas toujours le cas, d'autant plus que nous avons l'intention d'aller plus loin que ce que prévoit la Loi sur les Indiens. Nous ne pouvons toutefois pas attendre d'en être arrivés là pour procéder à des ajouts à notre assise territoriale, sans quoi les meilleures terres convoitées auront déjà disparues, si ce n'est pas déjà le cas, surtout dans les zones urbaines et semi-urbaines. Ces terres doivent être ajoutées dès maintenant.

Dans son rapport de 2010, AADNC a indiqué que la politique d'ajouts aux réserves avait pour objectifs de reconnaître les intérêts des tierces parties, de prendre en compte les préoccupations environnementales et d'y apporter des solutions, et de favoriser le maintien de bonnes relations entre les tierces parties et les autres instances gouvernementales en assurant un juste équilibre entre les intérêts de chacun. Je dirais qu'on a oublié de parler de l'objectif prépondérant du processus qui devrait être d'ajouter des terres à la base territoriale des Premières nations pour les aider à se doter d'une économie viable.

Il convient de réviser la politique en partant du principe que nous voulons en fait étendre l'assise territoriale des Premières nations en leur permettant d'accéder éventuellement aux pouvoirs d'autonomie gouvernementale afférents, plutôt que de garder en place des barrières bureaucratiques et administratives qui continuent de nous empêcher de devenir autonomes du point de vue politique et économique en bénéficiant d'une base territoriale adéquate.

Voici la question très simple que nous devons nous poser : Suis-je favorable ou non à ce qu'une plus grande partie du territoire canadien passe sous le contrôle des Premières nations qui jouiraient en même temps d'une autonomie gouvernementale accrue? Si vous y êtes favorable, vous devez vous servir de votre pouvoir politique pour préconiser une révision en profondeur de la politique des ajouts aux réserves. Il en va de même d'autres politiques, comme celle sur les revendications territoriales globales, qui concernent l'agrandissement de la superficie territoriale sous le contrôle des Premières nations. D'abord et avant tout, il pourrait s'agir de retirer cette politique du Guide de la gestion des terres en vertu de la Loi sur les Indiens pour situer le processus dans le contexte plus global de l'exercice d'édification ou de reconstruction de notre nation. Il est possible qu'une loi fédérale doive être adoptée pour ce faire, comme ce fut le cas avec la création du Tribunal des revendications particulières.

Après la mise en place de ce tribunal, l'APN a collaboré avec le Canada pour donner suite à un engagement pris dans les ententes politiques relativement aux ajouts aux réserves. Cet engagement exigeait que la politique d'ajouts aux réserves soit modifiée pour inclure les propositions territoriales pouvant être formulées par une Première nation à la suite d'un règlement en espèces accordé par le tribunal relativement à une revendication particulière.

Nous avons donc entrepris ce travail conjointement avec le Canada en vue d'établir une nouvelle catégorie pour ces propositions dans le cadre de la politique existante en matière d'ajouts aux réserves. Au sein du groupe de travail conjoint, nous avons commencé à discuter des autres difficultés éprouvées par les Premières nations lorsqu'elles cherchent à ajouter des terres à l'intérieur des trois catégories prévues dans la politique, et avons formulé des recommandations communes pour que des correctifs soient apportés.

L'Assemblée des Premières Nations bénéficie du soutien de la NALMA, l'Association des gestionnaires fonciers autochtones du Canada. La NALMA a offert dans tout le pays une formation sur les ajouts aux réserves. L'APN a assisté à chacune de ces séances pour entendre de vive voix les membres des Premières nations parler des difficultés éprouvées avec les ajouts aux réserves, notamment pour ce qui est des trois catégories. Nous avons d'ailleurs résumé les enjeux et les questions soulevées par les participants à ces forums dans notre rapport sommaire que nous vous avons transmis préalablement à la séance. En plus du résumé des difficultés relevées, on y expose quelques-uns des principaux défis associés à chacune des catégories du processus d'ajouts aux réserves, mais il y a également quelques enjeux communs qu'il convient de signaler. Ils concernent les questions à régler dans les relations avec les tierces parties et le manque d'échéanciers.

Le Canada s'est appuyé sur certains piliers essentiels pour établir sa politique en matière d'ajouts aux réserves. Ainsi, les propositions doivent s'inscrire dans l'une des catégories définies. Aucun financement ne sera associé à une proposition d'ajout à une réserve et la Première nation est responsable de tous les dégrèvements à l'égard des liens détenus par des tiers sur les terres sélectionnées. Ces liens peuvent prendre la forme d'intérêts légaux, de droits, de permis, de baux et de droits d'exploitation du sous-sol. Lorsque les terres choisies font partie d'une municipalité, la Première nation doit également régler les problèmes associés à la perte de recettes fiscales par la municipalité, à la prestation des services publics et à la conformité avec les arrêtés municipaux.

Le Canada n'est le cosignataire d'aucune entente entre une Première nation et une municipalité; cependant, beaucoup de Premières nations considèrent que le manque d'appui du Canada ne traduit pas sa relation fiduciaire avec elles. La politique en vigueur ne donne pas explicitement à la municipalité le veto sur l'ajout à une réserve, mais la municipalité peut souvent utiliser des manœuvres dilatoires qui, de fait, lui donnent le veto, dans un certain sens.

Encore une fois, s'inspirant du précédent de l'accord-cadre avec la Saskatchewan sur les droits fonciers issus de traités, les DFIT, les parties ont prévu les difficultés et elles ont intégré directement des échéanciers dans le processus. L'accord prévoit que si aucune entente n'était conclue avec la municipalité dans les cinq mois suivant la demande, formulée par une Première nation, de négocier une telle entente, le Canada pouvait mettre de côté la réserve lorsqu'il a été démontré que la Première nation est prête à conclure une entente acceptable et adéquate avec la municipalité, qui, cependant, n'a pas voulu répondre à la demande de façon raisonnable ou de bonne foi. Nous sommes heureux de cette clause.

En outre, s'inspirant des précédents que sont les accords-cadres sur les DFIT conclus avec la Saskatchewan et le Manitoba, les Premières nations du Canada ont entrepris, de façon concertée, à informer et à sensibiliser les municipalités, après la signature de ces accords historiques. De plus, des échéanciers précis pourraient être intégrés dans la politique pour exiger l'intervention du Canada après l'échec des négociations menées de bonne foi avec un tiers. Comme je l'ai dit, le Canada doit être dans notre camp.

En ce qui concerne les provinces, beaucoup de Premières nations croient que le gros des problèmes touchant l'ajout aux réserves et les DFIT découlent en général de la répugnance des gouvernements provinciaux à coopérer utilement avec elles. Encore une fois, nous avons besoin du Canada pour qu'il épaule davantage en amont nos efforts pour amener les provinces à formuler des propositions. Nous croyons que l'ajout aux réserves profiterait de communications améliorées entre toutes les parties et toutes les autorités. Nous croyons également que des échéanciers et une surveillance plus poussée sont nécessaires pour réviser la politique d'ajout aux réserves. Le financement des évaluations environnementales locales, des études d'impact sur l'environnement et de l'arpentage provient des budgets annualisés des bureaux régionaux d'AADNC. Nous croyons que ces bureaux devraient avoir pour directive d'examiner annuellement les activités relatives aux propositions d'ajouts aux réserves, pour la prévision stratégique des besoins budgétaires.

Dans son rapport de 2009, la vérificatrice générale du Canada a recommandé la planification stratégique. AADNC, en réponse, s'est engagée à mettre cette recommandation en œuvre, mais cette planification coordonnée, à notre connaissance, n'est pas encore utilisée avec les Premières nations.

Alors que nous accélérons les ajouts à nos terres, nous avons également besoin d'accélérer le processus conduisant à l'autonomie gouvernementale. Nos nations ont entrepris un processus de réforme de leur gouvernance et, à leur propre rythme, elles s'affranchissent de la Loi sur les Indiens et renforcent leur gouvernance sur leurs terres.

Cependant, il nous manque encore le mécanisme qui facilitera la transition ordonnée de la gouvernance sous le régime de la Loi sur les Indiens à l'autonomie gouvernementale, d'après les principes de reconnaissance qui n'exigent pas de négociations prolongées avec la Couronne, des négociations dont on n'est pas sûr qu'elles aboutiront.

Les chefs des Premières nations qui partagent une vision commune de la gouvernance affranchie de la Loi sur les Indiens envisagent l'élaboration d'une législation reconnaissant l'autonomie gouvernementale optionnelle. Beaucoup de problèmes, perçus ou réels, concernant les ajouts aux réserves deviendraient très banals si les Premières nations possédaient l'autonomie gouvernementale. En fait, beaucoup se résoudraient d'eux-mêmes.

En conclusion, j'ai souligné les difficultés particulières et générales qu'éprouvent les Premières nations dans le processus et sous le régime de la politique en vigueur d'ajout aux réserves. Nous vous avons également communiqué un exemplaire de notre rapport de synthèse ainsi que mon exposé plus détaillé, ici, dans lequel j'examine plus complètement les problèmes que nous avons abordés aujourd'hui. J'assortis cet examen de recommandations que notre personnel a également communiquées à nos collègues d'ailleurs au Canada.

Enfin, je vous demande de bien vouloir ne pas oublier notre objectif ultime, qui est de nous assurer que nos nations posséderont des territoires suffisants pour subvenir aux besoins de nos gens, dans des communautés où le territoire subvient à l'économie locale. Peu importe où la nation se trouve dans son parcours vers la réforme de la gouvernance, il faut nous assurer que, dans chaque cas, elle dispose d'un territoire convenable et, au besoin, trouver et y ajouter maintenant de nouvelles terres.

Je vous remercie d'avoir pris le temps de nous écouter. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci. La parole est au sénateur Meredith.

Le sénateur Meredith : Merci, chef Wilson-Raybould. Je suis heureux de vous revoir. Je vous remercie de votre excellent exposé. Vos propos sur la construction et la reconstruction des nations m'ont beaucoup plu. Vous avez également parlé des responsabilités de la Couronne.

J'aimerais que vous nous en disiez davantage sur certaines de ses responsabilités perçues, sur les façons de contourner les obstacles s'opposant aux ajouts aux réserves et sur le processus d'augmentation de la capacité des Premières nations de gérer leurs propres terres. Vous avez entendu les propositions des témoins antérieurs pour changer ce processus. Quelles difficultés cela représente-t-il et comment faire pour les vaincre? Après beaucoup de recherches, nous tenons à en venir à l'essentiel pour résoudre ces problèmes.

Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question. Je vais tenter de répondre à vos questions, en faisant appel à mes collègues, au besoin.

Le processus dans lequel les Premières nations se sont engagées, dans ma province, en Colombie-Britannique, et partout au pays, est une période de transition fascinante qui est également une période de construction pour les nations. Pour construire une nation, il est essentiel de disposer d'un territoire suffisant et de posséder les compétences nécessaires et le pouvoir de gouvernance sur ce territoire, afin d'assurer à nos communautés un progrès conforme à nos croyances et à nos valeurs culturelles et de parcourir jusqu'à l'autonomie le continuum de la gouvernance.

En ce qui concerne les efforts et la réforme de la gouvernance auxquels j'ai fait allusion, nos Premières nations s'attaquent aux problèmes fonciers, aux défis qui existent sur les réserves et, de nombreuses façons, aux difficultés d'agrandir les réserves. C'est beaucoup. Il faut souligner les efforts des Premières nations pour doter les terres des réserves d'un potentiel économique.

Je fais allusion au travail de gestion des terres des Premières nations et aux accords-cadres conclus par elles à cette fin pour s'engager dans le continuum de la réforme de la gouvernance et se charger des compétences sur les terres de nos réserves et les ressources. Concrètement, elles ont pu instaurer une économie sur ces terres qui, actuellement, suscite de l'intérêt pour les terres qui profitent à nos communautés et qui y sont hypothécables.

En outre, nous possédons les compétences pour prendre les décisions sur les terres de nos réserves et nos ressources, du point de vue des Premières nations qui ont géré leurs terres et qui ont aussi conclu des ententes d'autonomie gouvernementale, dans le cadre d'un traité ou d'un accord séparé d'autonomie gouvernementale et qui ont notablement augmenté la capacité de leurs communautés à prendre des décisions pour elles-mêmes et à parcourir le continuum en question.

Tonio Sadik, conseiller principal, Assemblée des Premières Nations : J'apporterais la précision suivante. Il est irréaliste de vouloir transférer des terres à une Première nation et, en même temps, évacuer la dimension économique. Un problème qui a été soulevé à notre table, bien que nous n'en ayons pas discuté entre nous, c'est qu'un transfert foncier à une Première nation ne réduit pas proportionnellement les transferts de la province. On érige simplement en règle la nécessité d'une absence de coûts supplémentaires, du moins au début. Faute de la respecter en créant une réserve, on ne peut donc pas réserver de terres. À notre avis, c'est fondamentalement injuste.

Le sénateur Dyck : Merci de votre exposé. Comme toujours, il a été très instructif et il nous fait connaître une opinion comme nous n'en entendons pas normalement.

Votre déclaration sur le processus d'ajout aux réserves, qui se fonde sur des suppositions qui font fi de son objectif premier m'a fait une grande impression. Ce principe est que l'ajout à la réserve d'une Première nation devrait lui permettre d'assurer la durabilité de ses communautés. Les traités numérotés — ceux de la Saskatchewan, ma principale source d'information — ont été signés il y a près de 150 ans, et, d'après le ministère, nous devons rembourser les municipalités, l'État, à qui, à l'origine, ces terres n'appartenaient pas. Quelle ironie ! D'une certaine manière, on pourrait parler de confiscation sous de faux prétextes.

Les Premières nations devraient, en fait, réclamer un dédommagement des provinces et des municipalités. Les terres sur lesquelles toutes ces ressources ont été mises en valeur ne leur appartenaient pas, pour commencer. Elles ont été confisquées par les provinces, sous des prétextes peut-être nécessairement faux, parfois, dans le cas des terres du nord de la Saskatchewan, de façon illégale. Les Premières nations se font escroquer leurs terres.

Êtes-vous d'accord avec ce que je viens de dire ou bien est-ce que je divague?

Mme Wilson-Raybould : Sénateur, je ne pense pas que vous divaguiez. Nous devons aujourd'hui bonifier le dialogue et chercher à appuyer collectivement les Premières nations dans cette période de leur construction. Comment faire pour que l'objectif premier du processus d'ajout aux réserves, des revendications globales, des DFIT soit d'appuyer l'agrandissement du territoire d'une Première nation, à l'intérieur duquel elle pourra se gouverner et détenir les compétences appropriées? Comment pouvons-nous appuyer cet agrandissement et les Premières nations, dans le processus de leur propre construction et dans leur gouvernance?

Bien sûr, pour débloquer le potentiel économique des Premières nations, il faut beaucoup plus que leur accorder un titre de propriété. Il faut y ajouter la gouvernance de ce territoire et la gouvernance sous forme d'appui aux communautés, dans le stade d'évolution où elles se trouvent, car les communautés évoluent à des rythmes totalement différents, et il faut les appuyer dans leur cheminement vers la réforme de la gouvernance.

Le sénateur Dyck : La politique d'ajout aux réserves, manifestement, dans une certaine mesure, se fonde sur l'hypothèse, peut-être fausse, selon laquelle la terre doit être détenue en fief simple pour qu'il y ait développement économique et prospérité des entreprises. Encore une fois, comme je viens de la Saskatchewan, je suis en mesure de constater que, dans un certain nombre de réserves, le développement économique a été réussi et que ces réserves s'en tirent bien, sans que les terres y soient détenues en fief simple.

Que pensez-vous de l'hypothèse selon laquelle il faut convertir la terre en fief simple pour que la nation accède au développement économique?

Mme Wilson-Raybould : Je signalerais les nombreuses Premières nations, de partout au pays, y compris beaucoup de celles qui ont entrepris de gérer leurs terres, qui ont essentiellement réalisé exactement ce que vous décrivez. Elles ont débloqué leur économie ou développé leur potentiel économique et saisi les occasions économiques ou développé leur potentiel, dans leurs communautés, et suscité de l'intérêt pour leurs terres. Ces 20 à 30 dernières années, les chefs des Premières nations de partout au pays songeaient à doter les communautés des réserves d'un intérêt ou d'une valeur juridique.

Pour prendre un exemple dans ma propre province — et le chef Robert Louie est venu témoigner ici, sur Westbank —, des investissements considérables ont été réalisés dans cette communauté, et l'économie s'y est développée. Il y a des intérêts dans les terres, des intérêts hypothécables. L'un des facteurs supplémentaires de la réussite de Westbank est, très sûrement, l'appui qui lui a été accordé et le fait qu'elle a signé un accord d'autonomie gouvernementale qui lui accorde la compétence sur ses terres et qui lui a permis de créer des institutions fondamentales, à elle, de gouvernance qui lui permettent de prendre des décisions qui lui conviennent.

En ce qui concerne la justesse de vos opinions sur l'histoire de la colonisation et de nos peuples et de vos réflexions sur la politique d'ajout aux réserves, qui est le sujet de notre examen aujourd'hui, il faut totalement inverser l'objet de cette politique concernant les intérêts de tiers dans les municipalités et les répercussions subies par ces autorités et les besoins des gens. En réalité, les Premières nations ont besoin d'appui pour se constituer un territoire. Au bout du compte, les investissements que nous consacrons à leurs communautés rapporteront, comme on l'a prouvé, dix fois la mise initiale et ils renforceront les communautés qui disposeront d'un territoire qui permettra le fonctionnement de leurs gouvernements.

Le sénateur Cordy : Merci. Votre exposé était excellent. Vous avez très bien présenté les défis actuels. C'est ce que je pense, en tant que membre non régulier du comité. Vous avez parlé des défis que vous devez affronter en ce qui concerne les ajouts aux réserves, en partie du fait de la perception du public, de la connotation négative, de ce genre de choses. Vous avez parlé des entraves bureaucratiques et administratives. Bien sûr, le commissaire Jules a parlé plus tôt des mêmes sujets, par exemple de la lourdeur du processus. Nous avons fait allusion à des transferts qui prennent jusqu'à 20 ans. Ce n'est certainement pas un indicateur de bon développement économique que de devoir attendre 10 ou 20 ans pour disposer d'un territoire où il aura lieu.

Ce matin, vous avez notamment préconisé la suppression de la politique d'ajout aux réserves qui découle de la Loi sur les Indiens. Pouvez-vous dire comment elle faciliterait les ajouts aux réserves? Quelles difficultés, en outre, entraînerait-elle, selon vous? Cela concernerait probablement des lois fédérales.

Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question. Mes déclarations sur la suppression de la politique d'ajout aux réserves du Guide de gestion des terres visent essentiellement une recaractérisation globale de la discussion sur la façon d'aborder l'appui à accorder aux Premières nations pendant cette période de construction des nations. Bien sûr, j'ai parlé de la politique d'ajout aux réserves qui se trouve dans le guide, mais je parlais également de la façon d'aborder la résolution des problèmes en souffrance concernant les titres et les droits des Autochtones, y compris les droits issus de traités.

Dans les revendications globales, le processus de signature de traités en Colombie-Britannique ou les ajouts aux réserves, comment pouvons-nous appuyer, à l'extérieur d'un cadre défini par la Loi sur les Indiens, qui renferme le processus d'ajout aux réserves, et du cadre administratif ou des instructions données aux bureaucrates, nos Premières nations, pour ajouter des terres aux réserves ou agrandir leur territoire? Comment pouvons-nous caractériser à nouveau la discussion, y compris entre nous-mêmes, sur l'appui à la reconstruction des Premières nations?

Le sénateur Cordy : Pensez-vous que ce sera un processus facile? Quelles seront les difficultés qui découleront de la suppression de cette politique?

Mme Wilson-Raybould : Ce ne sera certainement pas facile, et les Premières nations font individuellement leur part dans leurs propres communautés.

Je pense que, actuellement, par la collaboration, nous pouvons établir les relations sur de nouvelles bases et redéfinir nos contributions mutuelles. De plus, en ce qui concerne la politique d'ajouts aux réserves, comme nous l'avons dit et comme nous l'affirmons dans notre rapport de synthèse, nous pouvons remédier aux difficultés et nous apportons actuellement un appui au groupe mixte de travail.

Le sénateur Raine : Merci. Vous avez examiné l'ajout aux réserves, et le processus est simplement long et lourd. Il est difficile d'imaginer qu'on pourrait même s'atteler à la tâche de le mettre en branle, parce qu'il ne semble jamais devoir se terminer.

Dans votre rapport de synthèse, vous avez parlé, par exemple, des exigences en matière d'arpentage, qui entraînent des coûts élevés, à faire, à un certain moment, au cours du processus. C'est seulement après la résolution des problèmes avec les tiers. Pourtant, comment pouvez-vous parler de ces problèmes, si l'arpentage n'est pas encore fait? Il y a toutes ces sortes de complications.

Dans le manuel que vous avez créé, voyez-vous que cela, en fait, améliorera le processus? Est-ce que votre manuel est reconnu par les différents bureaux régionaux compétents?

Mme Wilson-Raybould : Est-ce que vous faites allusion à la trousse de la NALMA?

Le sénateur Raine : Oui.

Kathleen Lickers, conseillère juridique externe, Assemblée des Premières Nations : Les aspects concernant l'arpentage, de même que l'évaluation des impacts sur l'environnement et l'évaluation environnementale locale, sont indispensables à l'évaluation, par la Première nation, de la viabilité de la conversion ou d'une sélection particulière de terres pour un usage qu'on entend leur donner. Il faut connaître tout cela, avec une certaine certitude, pour faire une proposition, peu importe la catégorie dans laquelle la Première nation avance sa proposition.

Le problème, c'est de savoir à quel moment précis cette information est nécessaire à la proposition, à quelle étape de la proposition cette information devient abordable et, chose peut-être encore plus importante, dans quelle mesure cette information est utile au gouvernement du Canada pour évaluer la proposition. C'était là quelques-uns des éléments critiques du rapport de la vérificatrice générale, compte tenu notamment du nombre d'acres que l'on envisageait de convertir en Saskatchewan et au Manitoba. Bien qu'il revienne à la Première nation de présenter sa proposition, une partie de ces coûts devait être assumée par les bureaux régionaux. L'incapacité de coordonner stratégiquement l'échéancier et la prise de décisions avec les besoins budgétaires, à l'intérieur de la région, laisse tout le monde dans une constante incertitude. Bon nombre de ses recommandations visaient à mettre en place le type de structures de gestion systémique qui permettrait de rendre la planification stratégique beaucoup plus efficace pour tout le monde. Comme vous le dites, ce sont des données essentielles à tous. Il s'agit de s'assurer que les processus créés par suite d'une politique facilitent la mise en œuvre d'une politique durable. À l'heure actuelle, ils ne concordent pas.

Le sénateur Raine : D'après les exposés qu'on nous a présentés, les progrès réalisés en Saskatchewan sont bien différents de ceux enregistrés au Manitoba. Si on croit que la Saskatchewan a un meilleur système pour faire ces choses ou que la commission fonctionne mieux, est-ce possible de transférer ces connaissances à l'autre région?

Mme Wilson-Raybould : Absolument. L'idée derrière la tenue des séances régionales et, chose plus importante, les échanges avec les Premières nations aux prises avec des défis est d'examiner ce que sont ces défis, comment on a réussi à les relever et quelles ont été les réussites. Il s'agit également de s'assurer que, si on envisage d'adopter des mesures législatives et de simplifier les processus partout au pays, nous tirons profit des succès qu'ont eus d'autres régions qui ont conclu une entente-cadre et de voir si on peut faire avancer ce dossier et faciliter le processus pour les Premières nations partout au pays.

L'une des choses que nous avons entendues — et mes collègues pourront le confirmer —, c'est que l'entente est mise en œuvre ou administrée différemment selon les bureaux régionaux et selon la situation qui prévaut dans les différentes régions du pays.

Le sénateur Raine : Nous savons tous qu'un modèle unique ne donne généralement pas les meilleurs résultats, puisque les Premières nations elles-mêmes sont très différentes, que l'on songe à leur emplacement géographique, à leurs possibilités économiques, à leur capacité d'autonomie gouvernementale et à l'étape où elles se trouvent dans le processus. J'imagine que ce que l'on souhaite, c'est d'éliminer les obstacles qui empêchent une progression logique et rapide.

Mme Wilson-Raybould : Absolument. Vous avez parlé de la trousse d'outils, et je suis en faveur de l'élaboration des trousses d'outils qui permettront de mettre en lumière les expériences des Premières nations et de partager cette information, sur le terrain, dans les collectivités, pour que nous n'ayons pas à faire la même chose deux fois et que nous puissions plutôt miser sur les efforts déployés par nos frères et sœurs des Premières nations partout au pays et tirer profit de ces efforts.

Mme Lickers : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter ceci. Les ententes-cadres sur les droits fonciers issus de traités de la Saskatchewan et du Manitoba sont des exemples très concrets des avantages que les Premières nations ont au moment de négocier, en ce sens qu'elles peuvent entrevoir ce vers quoi elles se dirigent et négocier bon nombre de ces questions au début du processus. C'est là le succès de l'entente-cadre du Manitoba; elles se sont concentrées, avec toutes les parties à la table, sur les problèmes entourant la négociation des pertes nettes de recettes fiscales pour les municipalités et les défis relatifs aux tiers, et elles ont inclus le cadre général de tout cela dans les ententes négociées.

Pour ces Premières nations, la politique et le processus d'ajouts aux réserves devraient faciliter l'application des conditions qu'elles ont déjà négociées au lieu de les amener à affronter de nouveaux obstacles et de nouveaux défis. Il s'agit de négocier ce qui est tout à fait prévisible au moment où vous êtes en train de négocier. C'est là, à mon avis, le précédent créé par la Saskatchewan et le Manitoba.

Le sénateur Raine : Cela fonctionnerait avec les traités numérotés, mais cette formule ne convient pas vraiment en Colombie-Britannique, où les traités n'existent pas, ni aux endroits où il y a beaucoup de nations différentes mais aucun traité numéroté qui puisse servir de cadre.

Mme Wilson-Raybould : En Colombie-Britannique, nous avons des processus, que ce soit la politique d'ajouts aux réserves ou le processus de revendications globales prévu par le processus de traité de la Colombie-Britannique, qui comportent des réalités et des défis pratiques auxquels font face nos Premières nations à chaque étape des négociations. S'il est possible de prendre les choses en main, d'avoir des discussions de fond et de régler les difficultés qui se présentent dans le cadre de ce processus, au lieu d'attendre un instant précis, alors nous réglons ces questions. C'est prévu dans les négociations de la Colombie-Britannique. Nous réglons ces questions au fur et à mesure, en reconnaissant qu'au bout du compte, au bout des 12 étapes, ou peu importe le nombre d'étapes qu'il faut suivre pour en arriver à une entente, les questions ont été réglées à mesure que les nations se rapprochent d'une entente finale. Toutefois, nous aurions la possibilité de miser sur les acquis et de progresser continuellement, au lieu d'attendre à un certain moment donné pour que des discussions de fond puissent commencer.

C'est ce qui se produit à l'heure actuelle en Colombie-Britannique. Des Premières nations ont accès aux terres avant la conclusion de l'entente finale, l'accès aux ressources est facilité et les Premières nations obtiennent de l'aide pour acquérir les capacités de gouvernance dont elles ont besoin.

Le président : Madame Lickers, avez-vous été en mesure d'évaluer l'efficacité de ce processus? Dans quelle mesure le commissaire aux traités de la Saskatchewan et son bureau ont-ils joué un rôle dans l'accélération du processus? Je comprends que vous ne pouvez pas comparer des pommes et des oranges. La Colombie-Britannique est différente de la Saskatchewan. Toutefois, avez-vous été en mesure d'évaluer l'efficacité de la commission des traités de la Saskatchewan?

Mme Lickers : La commission des traités en Saskatchewan a été le fruit d'un des efforts les mieux concertés qui soient en éducation publique, après l'accord de règlement négocié. Un effort concerté a été déployé pour que ce bureau continue d'informer et d'éduquer le public afin qu'il comprenne ce que cela signifie pour les Premières nations de cette province de prendre part à un traité et de se voir restituer des terres dans le cadre d'un traité. Cette commission était très axée sur l'éducation publique. Elle l'est encore. « We are all treaty people » — c'est-à-dire nous sommes tous visés par un traité — fait partie de son matériel d'éducation. C'était un effort très concerté. Tout au long des séances de formation de la NALMA, on a dit que ce type d'éducation publique devait se poursuivre. Les provinces de la Saskatchewan et du Manitoba impliquent la conversion de millions d'acres de terre, un ordre de grandeur qu'on ne retrouve peut-être pas dans d'autres provinces.

Toutefois, on ne peut pas sous-estimer la fonction d'éducation publique de cette commission.

Le président : Merci. Honorables sénateurs, nous devons poursuivre notre séance à huis clos pas plus tard qu'à 11 h 15.

Le sénateur Patterson : Je vais essayer d'être concis.

Le président : Vous l'êtes toujours.

Le sénateur Patterson : J'ai deux questions. Je vous remercie des recommandations très utiles que vous avez présentées pour améliorer la politique d'ajouts aux réserves, ce qui est la raison de notre étude, ainsi que de votre rapport de synthèse.

À la page 6 de votre mémoire, je suis ravi que vous ayez mentionné l'existence d'un groupe de travail conjoint. Vous avez parlé de la nécessité d'entreprendre une étude globale de la politique d'ajouts aux réserves dans toutes les catégories. Vous dites qu'en pratique, cet examen est déjà commencé. Dois-je comprendre que vous recommandé que le groupe de travail conjoint poursuive une étude globale de la politique d'ajouts aux réserves?

Mme Wilson-Raybould : C'est exact. Grâce à la création du groupe de travail conjoint en 2009 et aux discussions qui s'en sont suivies, on a beaucoup parlé des défis entourant les trois catégories. On a parlé de la création possible d'une autre catégorie — qui a été présentée à votre comité — qui serait axée sur le développement économique. Des discussions ont eu lieu au sein du groupe de travail conjoint, notamment avec les Premières nations dans les collectivités, au sujet des réalités et des défis associés aux objectifs de la politique d'ajouts aux réserves. Il faut examiner la question globalement et, essentiellement, la recadrer en ayant pour objectif principal de créer un territoire viable pour les collectivités des Premières nations en reconnaissant le besoin de leur conférer les pouvoirs relatifs à l'autonomie gouvernementale.

Le sénateur Patterson : Vous avez fait certaines recommandations concernant des changements législatifs que nous examinerons attentivement. Je sais que vous avez eu la possibilité d'entendre ce que M. Jules, le commissaire en chef, nous a dit, dans le contexte du récent budget, à propos de l'élaboration d'une loi sur le droit de propriété des Premières nations. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Cette mesure a été présentée comme une option pour les Premières nations. Je sais qu'on n'en est qu'aux premières étapes, mais ce concept renforcerait le mouvement vers l'autonomie gouvernementale et un plus grand contrôle des Premières nations sur leurs terres et leur destin. Recommanderiez-vous que l'on fasse avancer ce dossier, parallèlement à la réforme des politiques et du système d'ajouts aux réserves?

Mme Wilson-Raybould : Merci de poser cette question. J'étais ravie de pouvoir entendre l'exposé que le commissaire en chef Jules a présenté un peu plus tôt sur le projet de loi sur le droit de propriété des Premières nations. En assemblée, nos chefs ont adopté une résolution qui n'appuie pas ce projet de loi. Cela étant dit, j'inciterais votre comité et ceux qui se penchent sur la question à ne pas discréditer les initiatives et les efforts considérables que les Premières nations ont déployés au cours des 20 ou 25 dernières années. Je parle plus particulièrement de l'initiative menée par les Premières nations, la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, et des Premières nations qui ont élaboré leurs propres codes fonciers dans le cadre de cette loi et qui, ce faisant, ont examiné ces questions au sujet des terres et des intérêts fonciers.

Comme vous le dites, monsieur le sénateur, on n'en est qu'aux premières étapes et je serais intéressée à poursuivre la discussion à cet égard, mais la différence, c'est qu'on parle des intérêts en fief simple et on parle de transformer les réserves en fief simple. Je viens d'une communauté qui s'est donné un code foncier et qui a tiré profit des dispositions de la loi. Je fais partie du conseil d'administration chargé de la gestion des terres et, à ce titre, je reconnais que la seule différence, c'est que nous n'avons pas de fief simple. Toutefois, nous avons réussi à libérer le potentiel économique de nos communautés grâce aux dispositions de l'entente-cadre sur la gestion des terres des Premières nations. Outre cette loi, je reconnais que certaines Premières nations ont aussi examiné ces questions — qu'il s'agisse de la Première nation Tsawwassen, de la Première nation Nisga'a ou d'autres communautés — et ont signé des traités globaux, en s'assurant que leurs terres ne pourront pas être aliénées, et elles ont créé l'environnement nécessaire pour assurer une économie et des intérêts fonciers qui ont profité à leurs membres.

La propriété foncière existe dans les réserves. Par exemple, dans ma propre communauté, la maison dans laquelle je vis m'appartient. J'ai un intérêt hypothécable sur la maison et c'est à cause du code foncier que ma Première nation a adopté. Comme tous les autres membres de ma communauté, j'ai reçu des certificats d'occupation à cet égard.

Concernant toutes les options que les Premières nations envisagent, je dirais qu'il faut soutenir les Premières nations et appuyer ce qu'elles veulent faire, les mesures qui, pour elles, sont prioritaires dans leur communauté, qui leur seront appropriées et leur permettront d'assurer leur viabilité et celle de leur culture. Toutefois, concernant le droit de propriété des Premières nations, nous procédons en toute connaissance de ce qui s'est passé, de ce qui existe à l'heure actuelle, sans laisser croire au public qu'il n'y a pas d'intérêts fonciers dans les réserves présentement; en fait, il y en a assurément.

Le président : Honorables sénateurs, nous devons poursuivre la séance à huis clos, mais avez-vous une question très brève, sénateur Meredith?

Le sénateur Meredith : C'était au sujet des municipalités. Mme Lickers et Mme Wilson-Raybould pourraient peut-être répondre toutes les deux à cette question. Concernant les difficultés que les administrations municipales doivent surmonter lorsqu'elles transfèrent des terres, qu'elles ajoutent des terres des provinces à leurs municipalités, sont-elles aux prises avec ces mêmes obstacles? On craint que les municipalités soient perdantes, et c'est pourquoi elles hésitent à appuyer les ajouts aux réserves. Comment trouver cet équilibre?

Mme Wilson-Raybould : Je sais que des analyses ont été faites sur le prolongement des limites des municipalités et les limites des territoires des Premières nations ou les ajouts aux réserves, mais je tiens à préciser que les Premières nations sont très différentes des municipalités. Le fait de mettre les deux sur le même pied est préjudiciable aux Premières nations, alors qu'il faudrait les appuyer dans leurs efforts de reconstruction et leur fournir le territoire dont elles ont besoin à cette fin. Toute perte, fiscale ou autre, qu'une municipalité essuierait par suite d'un ajout à une réserve ou d'un accord territorial est, à mon humble avis, bien peu en comparaison avec les avantages que l'on aura à appuyer les Premières nations, à établir pour elles un territoire viable sur lequel elles peuvent bâtir une économie, et à recadrer la discussion pour donner aux Premières nations une capacité de gouvernance, les soutenir et poursuivre les efforts de réforme de gouvernance.

Le président : J'aimerais remercier la chef régionale et ses collaborateurs pour leur excellent exposé et les réponses intéressantes qu'ils ont données aux questions des sénateurs.

Je déteste précipiter les choses, mais nous devons le faire pour traiter des travaux futurs du comité.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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