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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 18 - Témoignages du 16 mai 2012


OTTAWA, le mercredi 16 mai 2012

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-8, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations, se réunit aujourd'hui, à 18 h 48, pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs et à tous ceux et celles qui suivent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, sur CPAC ou sur le web. Je m'appelle Gerry St. Germain; je viens de la Colombie-Britannique et j'ai l'honneur de présider ce comité.

Le mandat de notre comité consiste à examiner les projets de loi et toute question concernant les peuples autochtones du Canada en général. Aujourd'hui, nous allons poursuivre notre examen du projet de loi S-8, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières nations.

L'alimentation en eau potable et le traitement des eaux usées sont généralement du ressort des provinces et des territoires, mais la gestion de l'eau potable sur les réserves relève à la fois du gouvernement fédéral et des Premières nations. Au niveau fédéral, trois ministères se partagent la responsabilité de la salubrité de l'eau potable distribuée dans les réserves : le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, Santé Canada et Environnement Canada. Par l'entremise de leur chef et de leur conseil, les communautés des Premières nations sont responsables de la conception, de l'exploitation et de l'entretien de leurs systèmes d'adduction d'eau, dont elles assument 20 p. 100 des coûts.

Ce soir, nous accueillons des représentants du gouvernement Nisga'a Lisims, ainsi qu'un porte-parole pour le Traité 6 et 7 de l'Alberta.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais vous présenter les membres du comité qui sont présents ici ce soir.

[Traduction]

De la Colombie-Britannique, nous avons le sénateur Larry Campbell. Le sénateur Dan Lang vient du Yukon; le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario; le sénateur Meredith, de l'Ontario également; et, enfin et surtout, le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut. Bienvenue, sénateurs.

Chers collègues, je vous invite à accueillir avec moi les représentants du gouvernement Nisga'a Lisims, Kevin McKay, président, et Jim Aldridge, conseiller juridique, ainsi que le porte-parole du Traité 6 et 7 de l'Alberta, Clayton D. Leonard, conseiller juridique.

Nous avons le plaisir d'accueillir le sénateur Munson, de l'Ontario, qui vient de se joindre à nous.

Messieurs les témoins, nous sommes prêts à vous écouter. Chef McKay, voulez-vous commencer?

Kevin McKay, président, gouvernement Nisga'a Lisims : Merci, monsieur le président. Permettez-moi de me présenter officiellement. Je m'appelle Kevin McKay, et je suis président du gouvernement Nisga'a Lisims, c'est-à-dire le gouvernement de la nation nisga'a. Je suis accompagné ce soir de mon collègue, M. Jim Aldridge, qui est assis à ma gauche et qui est conseiller juridique de la nation nisga'a. Monsieur le président, je tiens à vous remercier, vous et les sénateurs, de nous inviter à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones au sujet du projet de loi S-8.

Je vais vous dire quelques mots sur le peuple que je représente. La nation nisga'a est établie sur des terres situées dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Comme vous le savez, c'est nous qui avons signé le premier traité moderne de la Colombie-Britannique, et justement, vendredi dernier, la nation nisga'a a célébré le 12e anniversaire de l'entrée en vigueur de l'Accord définitif nisga'a.

Monsieur le président, il y a un an presque jour pour jour, la nation nisga'a et tous les autres membres de la Land Claims Agreement Coalition constataient que le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières nations, représentait de graves menaces pour les accords modernes sur les revendications territoriales. Le projet de loi S-11 est mort au Feuilleton lorsque les élections ont été déclenchées l'an dernier.

Le 29 février 2012, le gouvernement a redéposé le projet de loi au Sénat sous le nom de projet de loi S-8. Même s'il a été quelque peu modifié, nous estimons qu'il est extrêmement contestable car il risque de contrevenir à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, de façon générale, et à tous les accords sur des revendications territoriales, en particulier.

Tout comme le projet de loi S-11, le nouveau projet de loi aura, s'il est adopté, des conséquences profondes et immédiates pour les bandes assujetties à la Loi sur les Indiens. Je me permets toutefois de vous rappeler que, depuis le 11 mai 2000, le traité des Nisga'a remplace la Loi sur les Indiens et que nous ne sommes plus considérés comme des bandes assujetties à cette loi. Il n'en demeure pas moins que ce projet de loi inquiète sérieusement la nation nisga'a et les autres groupes qui ont signé des traités modernes.

Aucune consultation n'a été organisée avec la nation nisga'a en ce qui concerne l'application du projet de loi à des groupes ayant signé des accords modernes sur des revendications territoriales, pas plus qu'avec eux, semble-t-il.

Il est bien évident que personne, y compris la nation nisga'a, ne s'oppose à un objectif aussi louable que la salubrité de l'eau potable pour les Premières nations. Si nous comparaissons devant votre comité ce soir, c'est parce que le projet de loi, dans son libellé actuel, va à l'encontre des dispositions de l'Accord définitif nisga'a.

Ce qui nous préoccupe surtout, ce sont les articles 3, 7 et 14 du projet de loi S-8. Je vais demander à mon collègue, M. Aldridge, de vous expliquer pourquoi. Je vous remercie.

Le président : Merci, Monsieur McKay.

Monsieur Aldridge, vous avez la parole.

Jim Aldridge, conseiller juridique, gouvernement Nisga'a Lisims : Merci beaucoup, monsieur le président. Le président McKay a indiqué, à juste titre, que la nation nisga'a avait de graves réserves à l'égard des dispositions du projet de loi, et je vais vous expliquer pourquoi.

Selon l'article 2 du projet de loi, l'expression « première nation » ne se limite pas aux bandes assujetties à la Loi sur les Indiens. À l'alinéa c) de la définition de « première nation », on inclut expressément les groupes autochtones dont le nom figure à l'annexe.

Comment un groupe se retrouve-t-il à l'annexe? Selon le paragraphe 14(1) du projet de loi, cela se fait à la demande d'un groupe autochtone qui est partie à un accord sur des revendications territoriales ou à un accord d'autonomie gouvernementale moderne avec le Canada, qui est avalisé par une loi du Parlement. Autrement dit, le projet de loi s'applique à un groupe autochtone autre qu'une bande indienne si ce groupe autochtone a signé un accord sur des revendications territoriales, qu'il a compétence sur des terres et qu'il demande à figurer à l'annexe. Je reviendrai dans un instant sur cette notion de « demande ». Le projet de loi donne au gouverneur en conseil toute discrétion pour ajouter ou supprimer un groupe de l'annexe. C'est cela qui nous préoccupe, car le projet de loi pourrait fort bien s'appliquer à des groupes qui ont signé des accords sur des revendications territoriales. Or, il n'y a eu aucune consultation, en tout cas pas avec la nation nisga'a et pas davantage, d'après nos informations, avec des membres de la coalition. Autrement dit, aucun des groupes qui ont signé des accords sur des revendications territoriales n'a été consulté en ce qui concerne l'application du projet de loi sur son territoire.

Les membres du comité se souviendront que le projet de loi S-11 comportait une disposition tout à fait contestable qui prévoyait de déléguer au gouverneur en conseil le pouvoir de déterminer, par voie de règlement, dans quelle mesure des règlements pouvaient porter atteinte à des droits ancestraux ou à des droits issus de traités. Ce libellé a été remplacé par un certain nombre de dispositions qui sont de prime abord anticonstitutionnelles, contradictoires en tout ou en partie, et assurément peu claires.

Il s'agit des trois articles qu'a mentionnés M. McKay, à savoir les articles 3, 7 et 14.

Parlons d'abord de l'article 3, que le gouvernement appelle la disposition de non-dérogation. En fait, les membres du comité devraient voir, à la simple lecture, que c'est tout le contraire : l'article 3 est une clause de dérogation. Pour résumer, car le temps passe, il prévoit que rien dans la loi ne peut porter atteinte à des droits ancestraux ou à des droits issus de traités, « sauf dans la mesure nécessaire pour assurer la salubrité de l'eau potable ». Autrement dit, l'article prévoit qu'on peut porter atteinte à ces droits si cela est nécessaire pour assurer la salubrité de l'eau potable.

C'est la première fois dans toute l'histoire du Canada qu'un article d'une loi ou d'un projet de loi du Parlement prévoit expressément une dérogation à ces droits, nonobstant les circonstances dont il est question ici. Il s'agit donc d'une clause de dérogation.

Les premiers mots de la phrase sont encourageants, et la nation nisga'a propose tout simplement à votre comité de supprimer ceux qui suivent, c'est-à-dire « sauf dans la mesure nécessaire pour assurer la salubrité de l'eau potable sur les terres des premières nations ».

Les membres du comité ne sont pas sans savoir que c'est la Constitution qui détermine la relation existant entre les lois fédérales et provinciales, d'une part, et les droits ancestraux et les droits issus de traités, d'autre part. Vous savez également — je n'en doute pas — que toute abrogation doit être conforme à des critères établis par la Cour suprême du Canada, notamment ceux qui concernent l'objectif législatif régulier, le moyen préféré d'exercer son droit, le fait de porter le moins possible atteinte au droit ancestral, l'octroi d'une juste indemnisation et la tenue de consultations.

Le Parlement n'a tout simplement pas le droit d'adopter des lois qui portent atteinte, de façon vague et générale, aux droits ancestraux et aux droits issus de traités, et de remplacer le critère constitutionnel de la justification par un nouveau critère très imprécis, dans le but de déterminer ce qui est nécessaire pour assurer la salubrité de l'eau potable. Ce qui reste imprécis sera-t-il déterminé par le gouverneur en conseil ou à l'issue de poursuites judiciaires longues et coûteuses?

Un représentant du gouvernement a déclaré devant votre comité le 1er mai dernier — d'après la transcription que nous avons lue — que l'article 3 reproduit ce que la Cour suprême du Canada a déjà décrété. Il vous a affirmé que le libellé de cet article était le résultat d'un compromis entre le Canada et les représentants des Premières nations, et qu'il reflétait la législation actuelle en matière de droits ancestraux.

Avec tout le respect que je lui dois, je dirai que mon ami du ministère de la Justice interprète la loi en vigueur de façon un peu cavalière quand il dit qu'il n'y a qu'un critère pour déterminer ce qui est nécessaire.

Deuxièmement, si c'est vraiment ce que le gouvernement pense, je ne vois pas à quoi sert cet article. La seule raison pour laquelle cet article figure ici, c'est pour énoncer clairement la volonté du Parlement de porter atteinte à nos droits.

L'article 7 est ce que l'on appelle un article établissant une hiérarchie entre les lois. Il dispose que les règlements pris en vertu de la présente loi l'emportent sur tout texte législatif ou règlement administratif incompatible pris par une Première nation. Si la Première nation adopte des lois en conformité d'un droit ancestral ou d'un droit issu d'un traité, ce projet de loi fait en sorte que des règlements pourront l'emporter sur des droits ancestraux ou issus de traités qui sont reconnus par la Constitution.

J'estime tout simplement que cette disposition est anticonstitutionnelle et qu'elle devrait être supprimée, d'autant plus qu'elle va tout à fait à l'encontre du traité des Nisga'a qui définit quelles lois doivent l'emporter et dans quelles circonstances.

Enfin, du point de vue des groupes concernés par des accords sur des revendications territoriales, c'est le paragraphe 14(2) qui est le plus contestable, et je cite :

La présente loi et les règlements l'emportent, en cas d'incompatibilité, sur tout accord sur des revendications territoriales ou tout accord sur l'autonomie gouvernementale auquel un groupe autochtone dont le nom figure à la colonne 1 de l'annexe est partie ainsi que sur toute loi fédérale les mettant en œuvre...

L'article prévoit expressément que les règlements l'emporteront sur des traités pourtant protégés par la Constitution. C'est tout à fait contraire aux dispositions de la Loi sur l'Accord définitif nisga'a, qui est une loi de votre Parlement, et à toutes les autres lois issues d'ententes stipulant que ce sont les traités qui l'emportent. Le traité des Nisga'a prévoit qu'en cas de conflit avec une loi fédérale, c'est le traité qui l'emporte. Or, vous nous présentez ici un projet de loi qui prévoit qu'en cas de conflit ou d'incompatibilité, c'est cette loi et ses règlements qui l'emporteront. Manifestement, ce sont des dispositions qui sont contradictoires.

Les lois l'emportent l'une sur l'autre, ce qui est parfaitement inacceptable à notre avis, et c'est même une façon incompétente de légiférer.

Et surtout, monsieur le président, de telles dispositions donnent aux groupes qui ont signé des traités modernes encore moins de protection qu'aux autres, qui sont pourtant insuffisamment protégés en raison des mots « sauf dans la mesure nécessaire » de l'article 3. J'ai déjà expliqué pourquoi. Toutefois, c'est quand même mieux que la protection accordée à la nation nisga'a et aux autres groupes qui ont signé un accord sur des revendications territoriales, car dans leur cas, c'est la loi qui l'emporte, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si c'est nécessaire.

Nous ne comprenons absolument pas pourquoi ces mots ont été ajoutés. Des témoins vous ont déjà dit qu'il était inutile d'imposer cela à des groupes qui ont signé des accords sur des revendications territoriales ou des accords d'autonomie gouvernementale, étant donné qu'il n'y avait pas de lacunes à combler dans la réglementation. Ce sont les mots qu'ils ont employés. Selon eux, il est possible que l'un de ces groupes autonomes décide d'appliquer ces règlements, mais ce sera à lui de décider.

Quoi qu'il en soit, malgré tout le respect que je vous dois, c'est un argument qui ne tient pas la route car n'importe quel groupe disposant des pouvoirs nécessaires, comme la nation nisga'a, c'est-à-dire qui a signé un accord d'autonomie gouvernementale ou un accord moderne sur des revendications territoriales, peut fort bien, si ces nouveaux règlements lui plaisent, adopter les mêmes de sa propre autorité. Il n'a pas besoin d'adhérer et de faire inscrire son nom à l'annexe 1. À quoi sert cet article?

À ceux qui nous disent de ne pas nous inquiéter, parce que nous ne serons pas assujettis au projet de loi si nous n'en faisons pas la demande, je réponds qu'un jour ou l'autre, on passera inévitablement au cran suivant, c'est-à-dire qu'on nous obligera à adhérer au projet de loi si nous voulons obtenir des fonds du gouvernement fédéral pour des infrastructures d'alimentation en eau potable.

Ce ne sont pas des peurs injustifiées ou de la simple paranoïa, car à propos du projet de loi S-11, qui a précédé celui- ci, les représentants du gouvernement disaient qu'ils avaient besoin de ces règlements pour protéger leur investissement. Le projet de loi en soi ne débloque aucun financement. Avant d'investir de l'argent, nous devons protéger notre investissement, ce que permettra l'application de ces règlements.

Les Premières nations, comme la nation nisga'a et d'autres groupes ayant signé des accords sur des revendications territoriales, seront contraintes de faire un choix inacceptable entre l'accès à des fonds pour financer leur alimentation en eau potable ou la préservation de leurs droits issus de traités, mais elles ne pourront pas avoir les deux. C'est une décision cynique, une tentative destinée, pour la première fois dans notre histoire parlementaire, à créer un précédent législatif pour que des droits protégés par la Constitution soient assujettis à des lois ordinaires du Parlement. Je suppose que dans le prochain projet de loi, le gouvernement invoquera celui-ci comme étant un précédent législatif. Autrement dit, dans le prochain le projet de loi, on ne donnera pas aux Premières nations le choix d'adhérer ou non.

Je ne saurais trop insister sur le fait que l'article 14, en particulier, constitue un précédent dangereux et inacceptable. Il doit disparaître. Il ne sert à rien, sinon à créer un précédent législatif tout à fait inacceptable.

J'ai été un peu plus long que prévu, et je vous remercie de votre patience.

Clayton D. Leonard, conseiller juridique, Traité 6 et 7 de l'Alberta : Je vais m'efforcer d'être le plus positif possible.

Permettez-moi pour commencer d'apporter une petite correction. Moi aussi j'ai lu la transcription de la réunion du 1er mai, qui portait surtout sur ce que le Canada qualifie de consultations, en 2008 et 2009. Avant de parler de ce dont il a été convenu entre les Premières nations de l'Alberta et le Canada, je me dois, comme on m'a demandé de le faire, d'exprimer un petit désaccord à propos de ce qui s'est dit le 1er mai.

D'abord, pour ce qui est du groupe d'experts, il y a peut-être eu beaucoup de réunions dans l'ensemble du pays, mais nous, en Alberta, ce qui nous intéresse, ce sont les réunions qui ont eu lieu dans notre province. Il y a eu, un jour, une réunion à Edmonton où 47 Premières nations et tous leurs exploitants de stations de traitement de l'eau ont été invités à présenter leurs arguments sur ce que pourrait signifier l'application de nouveaux règlements fédéraux aux systèmes d'alimentation en eau potable des Premières nations. Très franchement, une seule réunion, ce n'était pas suffisant.

J'étais présent à cette réunion, qui a duré toute la journée. À plusieurs reprises, on a demandé si les réunions du groupe d'experts faisaient partie du processus de consultation. Chaque fois, on nous a répondu que ce groupe était indépendant du gouvernement, et qu'il n'était pas là pour consulter les Premières nations. Si vous vous reportez au rapport du groupe d'experts, vous verrez qu'il indique expressément qu'il faut faire d'autres consultations. On ne peut donc pas dire, à mon avis, que le groupe d'experts faisait partie du processus de consultation.

Le gouvernement fédéral a parlé du processus de consultation. Il y a eu des réunions avec des organisations provinciales de l'Alberta liées à un traité, pour planifier cette consultation sur le plan pratique, le lieu, comment inviter les chefs, ce genre de choses. C'est là-dessus que ces réunions ont porté, et pas du tout sur le contenu du projet de loi. Il y a donc eu une réunion d'une journée à Edmonton, et un représentant du gouvernement a commencé la réunion par une déclaration liminaire. La plupart des Premières nations étaient là parce qu'elles s'inquiétaient des conséquences du projet de loi pour les droits issus de traités et pour leurs sphères de compétence, particulièrement en ce qui concerne l'eau. Le représentant du gouvernement fédéral a ouvert la séance en disant qu'on était là pour parler du contenu éventuel du projet de loi et des règlements, mais pas pour discuter des conséquences que cela pouvait avoir pour les droits issus de traités et les droits ancestraux.

Pendant les trois heures qui ont suivi, les chefs ont dit clairement que si on ne pouvait pas parler des conséquences de la loi pour les droits issus de traités et les droits ancestraux, ce n'était pas de la consultation. Le représentant du fédéral a continué de refuser qu'on puisse en discuter, et les chefs ont donc mis fin à la réunion à midi alors qu'elle était censée durer toute la journée.

Le gouvernement fédéral a ensuite financé une analyse d'impact, que les Premières nations de l'Alberta ont déposée devant votre comité dans le cadre des audiences sur le projet de loi S-11. Nous avons fait beaucoup de travail avec les 25 000 $ que nous avons reçus. Nous avons passé en revue tous les règlements provinciaux de l'Alberta qui pouvaient s'appliquer aux Premières nations. Nous nous sommes rendus dans les diverses communautés pour rencontrer les exploitants de stations de traitement de l'eau pour voir quelles seraient les conséquences, pour eux, de cet ensemble de règlements. Nous avons transmis tout cela au gouvernement fédéral mais n'avons jamais reçu de réponse.

En 2008 et 2009, à l'époque de l'ancien ministre, c'est ce que nous avons eu comme consultation, tout au moins pour ce qui nous concerne.

Passons maintenant à des remarques plus positives. Les chefs de l'Alberta ont adopté en assemblée, le 25 octobre 2011, une résolution visant à appuyer conditionnellement ce qui allait devenir le projet de loi S-8. Leur appui était accompagné de trois conditions, la première étant que le projet de loi devait comporter une clause de non-dérogation. On discutait encore, à ce moment-là, du libellé précis de cette clause.

La deuxième était que le gouvernement fédéral devait permettre aux Premières nations de participer activement au processus d'élaboration des règlements. Nous pensons que ce processus durera de trois à cinq ans. En effet, après avoir fait tout ce premier travail et avoir passé en revue tous les règlements, nous ne voyons pas comment ce processus pourrait se faire plus rapidement.

Cette deuxième condition prévoyait également que le processus en question devait être financé de façon adéquate. En effet, il faut faire participer des spécialistes de l'eau, des conseillers juridiques et sans doute des représentants du Technical Services Advisory Group, qui relève des Premières nations de l'Alberta, au sujet de l'exploitation des stations de traitement de l'eau. Nous avons prévu une téléconférence pour demain avec le gouvernement fédéral; ce sera le début des discussions visant à mettre en place le processus. Pour l'instant, le gouvernement fédéral respecte son engagement.

La troisième condition était que le gouvernement fédéral s'engage sérieusement à proposer une solution satisfaisante au déficit d'exploitation des systèmes d'alimentation en eau des Premières nations, déficit que souligne l'évaluation technique nationale pour l'Alberta. Nous avions besoin de 160 millions de dollars, en Alberta, pour exploiter nos systèmes d'alimentation en eau conformément aux normes dont jouissent les autres Canadiens.

Comme vous le savez, le projet de loi contient une clause de non-dérogation. Elle n'est pas parfaite, et elle ne correspond pas tout à fait à ce que les chefs de l'Alberta souhaitaient. Toutefois, après mûre réflexion, les chefs ont décidé qu'ils pouvaient s'en contenter.

Avec tout le respect que je dois à mes amis qui comparaissent aujourd'hui, je dois dire que cela n'a pas, à notre avis, les mêmes conséquences pour les Premières nations qui ont signé un traité que pour celles qui ont signé un accord moderne sur des revendications territoriales. Ce qui n'est toujours pas réglé, par contre, ce sont les deuxième et troisième conditions de l'appui que nos chefs ont apporté à ce projet de loi.

Comme je l'ai dit, nous commençons demain à discuter de la mise en place du processus d'élaboration des règlements. Pour ce qui est de la troisième condition, je crois qu'en Alberta, les chefs sont généralement satisfaits de l'annonce faite par le gouvernement d'investir 330 millions de dollars dans les systèmes d'alimentation en eau des Premières nations, mais un simple coup d'œil à l'évaluation technique nationale montre bien que ce n'est qu'un début et certainement pas une panacée. Il va falloir que le gouvernement fédéral fasse d'autres investissements dans les deux à cinq ans qui viennent si on veut vraiment régler le problème.

Je vais vous dire quelques mots — de façon générale, sans citer d'articles particuliers — sur certains des amendements qui ont fait l'objet d'une entente entre le gouvernement fédéral et les Premières nations de l'Alberta. Ces amendements sont le fruit d'un processus qui a été engagé à la fin de 2010 et qui s'est poursuivi jusqu'en janvier et février 2012.

Les Premières nations de l'Alberta ont participé à des discussions importantes et intenses avec le gouvernement fédéral. À notre avis — et je pense que les représentants du bureau du ministre seront d'accord avec moi —, il ne s'agissait pas d'un processus de consultation. C'était très clair dès le départ que ça devait être un processus de négociations « sans préjudice », et c'était répété au début de chaque réunion. Ce n'était donc pas du tout un processus de consultation.

Il y avait des raisons à cela. Nous voulions conserver notre liberté en nous nous engageant à rien officiellement; nous voulions simplement échanger et proposer des solutions et des idées, voire un peu d'émotion, sans que cela ne soit officiel.

Suite à ce processus, nous avons maintenant l'assurance, dans le projet de loi, que des lois provinciales sur la répartition de l'eau ne seront pas imposées aux Premières nations. Nous avons des concessions qui permettent d'alimenter jusqu'à 20 ou 30 logements par an, et ces concessions sont en train de changer de mains dans le nouveau marché de l'eau du sud de l'Alberta, ce qui va coûter jusqu'à 15 millions de dollars. Nous ne pouvons pas nous permettre de payer, en plus de cela, les 160 millions de dollars que coûtera la mise à niveau de nos systèmes d'alimentation en eau. C'est donc une question que la province et les Premières nations devront régler.

Comme je l'ai dit, le projet de loi contient une clause de non-dérogation. Le gouvernement s'est aussi engagé à élaborer des règlements en collaboration avec les Premières nations, et cet engagement est confirmé par un certain nombre de lettres, notamment une du ministre, que j'ai ici. La portée des règlements a été considérablement réduite, puisqu'ils ne porteront que sur l'eau potable et les eaux usées. Plusieurs dispositions inacceptables du projet de loi S-11 ont également été supprimées.

De plus, il est clair désormais que les systèmes d'alimentation exploités par des tierces parties sur des réserves indiennes ne relèveront pas de la responsabilité des chefs et conseils des Premières nations. Cela nous inquiétait beaucoup en Alberta, car les systèmes d'alimentation des casinos, des centres de villégiature et des parcs industriels qui se trouvent sur les réserves sont souvent gérés par une tierce partie, et nous craignions que les Premières nations n'en deviennent responsables.

Il y a d'autres questions que nous n'avons pas réussi à régler à notre satisfaction, mais au bout du compte, l'Assemblée des chefs des Premières nations de l'Alberta qui a signé un traité a pris, après moult discussions, la décision d'appuyer conditionnellement le projet de loi. Les trois questions que nous n'avons pas réussi à régler comme nous le voulions sont les dispositions d'adhésion ou de retrait qui sont clairement offertes aux Premières nations ayant signé des traités modernes et des accords d'autonomie gouvernementale, alors que nous, nous n'avons pas cette option. Nous avons estimé que nous n'étions pas traités sur un pied d'égalité.

En vertu de ce projet de loi, les Premières nations assument la responsabilité de leurs systèmes d'alimentation en eau potable, d'où la troisième condition que nous posons : qu'un financement suffisant soit prévu avant que les règlements ne soient imposés aux Premières nations, afin de leur permettre de mettre à niveau leurs systèmes d'alimentation. Nous ne sommes pas prêts à accepter le projet de loi et les nouvelles normes qui seront imposées si nous n'avons pas le financement nécessaire pour répondre à nos obligations.

Le sénateur Meredith : Je vous remercie de vos déclarations.

Monsieur McKay, toutes mes félicitations pour ce douzième anniversaire. Je sais que le combat a été rude, et je souhaite à toutes les autres Premières nations d'avoir autant de succès que vous auprès du ministère des Affaires autochtones, afin qu'elles aient les moyens de décider de leur propre avenir, en quelque sorte.

Vous avez parlé de la consultation. Comment avez-vous été informé de la tenue de ces réunions d'une journée? Vous ont-ils écrit pour vous le dire et pour vous inviter à y participer? Et comme vous avez pensé qu'une réunion d'une journée, ça ne suffisait pas, vous avez préféré ne pas y aller? Que s'est-il passé?

Monsieur McKay : Je vous remercie de votre question. Que je sache, personne n'a essayé d'informer la nation nisga'a de la tenue de réunions de consultation, si c'est comme ça qu'on les appelle, au sujet de l'ancien projet de loi S-11 et de l'actuel projet de loi S-8.

Le sénateur Meredith : Monsieur McKay, expliquez-moi comment vous gérez actuellement vos propres systèmes d'alimentation en eau. Quelle est la procédure? Partagez-vous cette responsabilité avec la province? Quelle formation devez-vous suivre, conformément à la réglementation?

M. McKay : Le gouvernement nisga'a a compétence sur le territoire des Nisga'a, ce qui inclut les quatre villages nisga'a qui sont d'anciennes réserves indiennes. Dans cette structure, le gouvernement de chaque village a pour responsabilité, entre autres, d'assurer l'alimentation en eau potable de ses communautés, conformément aux règlements établis et jugés acceptables dans la circonstance.

Le sénateur Meredith : Vous est-il arrivé de devoir émettre des avis demandant à la population de faire bouillir l'eau? Étant donné que les installations ne sont pas toutes à niveau ou adéquatement entretenues, vous est-il arrivé de conseiller aux habitants de la réserve de faire bouillir l'eau avant de la boire?

M. McKay : Une petite correction : depuis 12 ans, nous ne sommes plus des réserves indiennes, nous formons ce qu'on appelle des villages nisga'a.

Le sénateur Meredith : Merci de me le rappeler.

M. McKay : L'un des quatre villages, Gitwinksihlkw, savait, déjà avant la signature du traité des Nisga'a, que la qualité de l'eau potable était inadéquate. Depuis 12 ans qu'il existe un gouvernement nisga'a, nous avons pu, par des programmes d'investissements, aménager dans le village des installations modernes qui ont permis d'améliorer considérablement la qualité de l'eau potable.

Le président : Je croyais, monsieur McKay, que vous diriez que vos terres sont tellement vierges qu'on n'y trouve pas d'eau contaminée.

Le sénateur Ataullahjan : Je vous remercie de vos déclarations de ce soir.

Nous avons beaucoup entendu parler des ressources financières. Mais je m'intéresse aussi aux ressources humaines, et aux capacités techniques de vos membres. Comment se fait la formation et la supervision des exploitants des systèmes?

M. Leonard : Excusez-moi, je n'ai pas très bien compris à qui s'adressait la question.

Le sénateur Ataullahjan : Je m'adressais à la fois à M. McKay et à M. Leonard. Voulez-vous que je répète la question?

M. Leonard : Oui, s'il vous plaît.

Le sénateur Ataullahjan : Nous avons beaucoup entendu parler des ressources financières, mais je m'intéresse aussi aux ressources humaines, et aux capacités techniques de vos membres. Comment se fait la formation et la supervision des exploitants des systèmes?

M. Leonard : D'après ce que je sais du TSAG de l'Alberta — il s'agit du First Nations Technical Services Advisory Group, qui contribue à la formation des exploitants et aide les Premières nations à régler leurs problèmes d'exploitation de systèmes —, on ne peut pas séparer la question du financement, surtout dans le contexte économique albertain, et les ressources humaines.

Quand vous formez un exploitant et qu'il grimpe peu à peu aux échelons supérieurs, il est alors très convoité par les municipalités voisines. Les usines de sables bitumineux qui pratiquent le drainage par gravité renforcé par la vapeur ont besoin d'exploitants de stations de traitement de l'eau, et elles leur offrent des salaires bien plus alléchants que ce que peuvent leur offrir les Premières nations.

Beaucoup de Premières nations ont vu leurs exploitants partir de cette façon. Elles consacrent énormément de temps et d'argent à leur formation, et un beau jour, ils partent travailler pour un autre gouvernement municipal, pour un complexe résidentiel qui possède son propre système d'alimentation en eau ou pour une usine de sables bitumineux. C'est un gros problème pour les Premières nations de l'Alberta, et c'est lié au problème de financement. Si on n'offre pas un salaire suffisant, on ne garde pas l'exploitant.

Le président : Est-ce que le Programme de formation itinérante existe en Alberta?

M. Leonard : Oui.

Le sénateur Patterson : Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à nos témoins. J'aimerais poser une question aux représentants des Nisga'a, dans la même veine que les questions du sénateur Meredith.

Vous avez dit que le gouvernement nisga'a avait compétence sur l'eau, et que vous aviez des normes. Comment les avez-vous établies? Les appliquez-vous au moyen de règlements ou de textes législatifs? Qui finance les systèmes en place?

M. Aldridge : Je vous remercie de votre question, sénateur.

Le gouvernement nisga'a dispose de vastes pouvoirs pour ce qui est des terres et de leur aménagement, mais pas sur les cours d'eau en tant que tels. La loi provinciale d'application générale s'applique aux terres nisga'a en vertu du traité. C'est cette loi qui établit les normes en vigueur car le gouvernement nisga'a n'est pas encore intervenu dans ce domaine. C'est pourtant de son ressort, mais il a décidé de ne pas exercer, pour l'instant, sa compétence en matière de protection environnementale, y compris la réglementation des déversements dans les cours d'eau. En l'absence d'une loi du gouvernement nisga'a, c'est la loi provinciale qui s'applique d'abord, ainsi que la Loi sur les pêcheries du gouvernement fédéral, dans la mesure où elle vise à protéger les espèces halieutiques.

Le financement des immobilisations est assuré selon un régime prévu dans le traité, y compris des ententes fiscales qui doivent être renégociées tous les cinq ans. C'est ainsi que sont financées les immobilisations, auxquelles s'ajoutent également, dans la mesure de nos moyens, des fonds de la nation nisga'a.

Le sénateur Patterson : Je suis content que le sénateur Meredith vous ait posé une question au sujet de l'eau, car je pense que, dans sa déclaration, le président McKay n'en a fait mention qu'une fois, car il a essentiellement parlé des droits issus de traités et des droits ancestraux.

Je vais être clair. Je sais que vous trouvez la loi répugnante, contestable et menaçante, et vous avez dit que ses effets seront profonds, mais je tiens à ce que ce soit parfaitement clair. J'ai bien compris que vous craignez de ne plus recevoir des fonds du ministère des Affaires indiennes, que vous ne relevez pas de la Loi sur les Indiens et que vous n'êtes pas une bande.

Ma question est simple : reconnaissez-vous que vous n'êtes pas obligés d'adhérer à cette loi et au dispositif réglementaire qui en résultera, que vous avez la liberté, si tel est votre choix, de ne pas adhérer à ce projet de loi répugnant? Le reconnaissez-vous?

M. Aldridge : Je vais répondre à votre question en disant que le projet de loi ne nous oblige pas, théoriquement, à y adhérer. Vous avez tout à fait raison.

Ce que nous craignons, c'est que, dans la pratique, nous soyons contraints de le faire. Vous avez mentionné les Affaires autochtones, mais nous n'avons pas mentionné ce ministère en particulier, sénateur. Nous avons gardé une relation avec le gouvernement fédéral; même si la nation nisga'a n'est pas assujettie à la Loi sur les Indiens, elle conserve quand même une relation avec le gouvernement fédéral, et celui-ci pourrait, à l'avenir, nous obliger à adhérer à la loi si nous voulons obtenir un financement.

Vous avez raison de dire que la loi ne nous oblige pas, en théorie, à adhérer, mais dans ce cas permettez-moi de vous poser la question suivante : à quoi sert l'article 14? N'importe quel groupe ayant signé un accord d'autonomie gouvernementale a le pouvoir d'adopter des règlements de son propre chef, si tel est son choix, alors à quoi bon avoir cet article 14? Nous n'arrivons pas à comprendre sa raison d'être, et c'est pour ça que nous en proposons la suppression.

Le président : Puis-je poser une question à ce sujet? Quand vous parlez de besoins financiers, parlez-vous uniquement des cas où vous allez demander de l'argent pour un système d'alimentation en eau, ou pensez-vous que, d'après le libellé du projet de loi, toute demande de financement, du fait de votre relation avec la Couronne, pourrait nécessiter ou autoriser l'application de l'article 14?

M. Aldridge : C'est la première réponse. Nous ignorons comment les fonds seront octroyés, s'ils le seront par le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, comme on l'appelle toujours officiellement, ou par Travaux publics Canada. Ce qui nous inquiète, c'est que si nous demandons des fonds pour offrir à nos membres de l'eau potable, que ce soit pour des infrastructures ou pour de la formation, entre autres, la réalisation du programme dépendra de notre adhésion, quel que soit le ministère bailleur de fonds. Nous craignons que ça soit une condition.

Le sénateur Patterson : J'hésite à dire cela, car je sais que c'est très important, et je ne veux pas balayer ça du revers de la main. Mettons de côté, pendant un instant, les problèmes que cela vous pose eu égard à l'article 35 de la Loi constitutionnelle, les clauses de dérogation ou de non-dérogation, comme on préfère; j'avoue que j'ai du mal à comprendre votre position. On parle d'eau potable, c'est un produit de première nécessité pour tout être humain. Pouvez-vous me donner un seul exemple montrant que des règlements pris en vertu d'une loi qui vise avant tout à assurer la salubrité de l'approvisionnement en eau, pour éviter que la tragédie de Walkerton ne se reproduise dans des réserves ou sur le territoire de nations autonomes, menacent en quoi ce soit des droits ancestraux? Vous savez bien que, dans le préambule, le gouvernement s'engage à faire participer les Premières nations à l'élaboration des règlements. Excusez-moi, mais je n'arrive pas à imaginer comment des droits ancestraux pourraient être menacés par des règlements visant à mettre en place des normes relatives à la salubrité de l'eau potable. En quoi l'un peut-il menacer l'autre, ça me dépasse. Nous parlons d'eau potable, pas de langue, ni de droits de pêche, ni des nombreux droits que les Premières nations ont raison de vouloir protéger. Nous parlons d'eau potable. En quoi cela peut-il constituer une menace pour les droits ancestraux?

M. Aldridge : La menace, elle vise avant tout le droit à l'autonomie gouvernementale, qui est un droit issu de traités et qui nous permet d'adopter des lois en ce qui concerne l'utilisation des terres, les types d'aménagements et le lieu d'implantation de ces aménagements.

Sénateur, le projet de loi, comme vous le savez, ne vise pas seulement à mettre en place des normes relatives à la salubrité de l'eau potable. Ça, personne ne peut s'y opposer, certainement pas les Nisga'a. Par contre, le projet de loi permet notamment au gouverneur en conseil de prendre des règlements pour, entre autres : 5(1)b) conférer à toute personne ou à tout organisme tout pouvoir, notamment législatif, administratif ou judiciaire, que le gouverneur juge nécessaire afin de régir efficacement les systèmes d'alimentation en eau potable; c) conférer à toute personne ou à tout organisme les pouvoirs ci-après et préciser les circonstances de leur exercice : ordonner à quiconque de cesser tous travaux, de se conformer à toute disposition réglementaire ou de prendre toute mesure pour remédier aux conséquences. Le gouvernement peut, en vertu de l'alinéa h), prendre des règlements pour conférer à toute personne le pouvoir de vérifier le respect des règlements et, notamment, celui de saisir et retenir; en vertu de l'alinéa i), faire faire une demande pour l'obtention d'un mandat; en vertu de l'alinéa j), procéder à la vérification des comptes; en vertu de l'alinéa n), établir les obligations de toute personne qui exerce des attributions conférées par les règlements et établir les peines applicables en cas d'inexécution de ces obligations.

Le gouvernement s'immisce dans la sphère de compétence de la nation nisga'a pour ce qui est de l'utilisation, de la gestion et du zonage de ses terres. Il affirme que, par voie de règlement, il peut conférer à une personne un pouvoir qui l'emporte sur le droit à l'autonomie gouvernementale, qui est un droit issu de traités. Parce qu'elle défend sans réserve les mêmes valeurs que vous en ce qui concerne la salubrité de l'eau potable — personne n'est contre cela —, la nation nisga'a a maintenant le choix entre la loi provinciale, renforcée par la sienne propre, ou, si ces audiences aboutissent à quelque chose de positif, l'adoption de votre loi par son propre gouvernement.

Permettez-moi une petite correction : les représentants du gouvernement qui ont comparu devant votre comité au sujet du projet de loi S-11 ont dit et redit — nous avons lu les transcriptions — qu'ils avaient l'intention de consulter les Premières nations pour l'élaboration des règlements. Ça figure maintenant dans le projet de loi, pas sous la forme d'une obligation substantielle, mais comme un attendu du préambule, qui n'a aucune force de loi et qui vise simplement à faciliter l'interprétation de la loi. Au lieu d'employer le mot « consulter », comme ils l'avaient promis pour le projet de loi S-11, ils s'engagent à « travailler avec » une personne, des Premières nations, que sais-je, pour l'élaboration des règlements. S'ils ont choisi le verbe « travailler avec » plutôt que « consulter », il y a certainement une raison. Je ne la connais pas, mais il me semble que c'est plus vague. On ne sait pas non plus avec qui ils vont travailler. Je vous rappelle simplement que, lorsqu'ils ont comparu devant votre comité, ils ont dit qu'ils avaient consulté les Premières nations, mais ils ont dit aussi que c'était surtout l'Alberta et le Congrès de l'Atlantique. C'est avec ceux-là qu'ils vous ont dit, le 1er mai, et vous présidiez la réunion, qu'ils avaient eu le plus de consultations. C'est sûr qu'ils n'en ont pas eu avec la nation nisga'a. Je tenais à le dire. Ça touche toute la question du contrôle sur les terres, tout ça se tient.

M. Leonard : Avant de faire un rapport à l'assemblée, les chefs de l'Alberta qui siègent au comité de l'eau ont examiné toute la question et ont conclu qu'elle avait deux composantes : la pratique et les principes. Sur le plan pratique — comme l'indique la lettre du ministre que j'ai déposée devant votre comité, ainsi que plusieurs engagements verbaux —, le gouvernement fédéral a dit que nous serions des partenaires dans l'élaboration et la mise en œuvre des règlements, et que le nouveau dispositif réglementaire serait en quelque sorte administré conjointement par les Premières nations de l'Alberta et le gouvernement fédéral.

Ce projet de loi nous respecte davantage que le projet de loi S-11 — tout au moins d'après nos discussions avec le gouvernement fédéral — en ce sens qu'il reconnaît la responsabilité légitime des Premières nations pour l'alimentation en eau potable de leurs communautés.

Pour ce qui est des principes, je suis d'accord avec mon collègue Jim Aldridge. J'estime que l'interprétation que le gouvernement fédéral a donnée le 1er mai de ce qu'est un empiétement admissible était beaucoup trop générale. Que je sache, il y a trois ou quatre raisons qui peuvent justifier d'empiéter sur les droits ancestraux ou les droits issus de traités. En jurisprudence, la première est évidemment la sécurité. L'article circonscrit la notion de sécurité à celle de l'eau potable, et c'est pour cette raison que les chefs de l'Alberta ont décidé de l'accepter.

Pour ce qui est de l'élaboration et de la mise en œuvre des règlements, nous estimons que la jurisprudence démontre clairement, depuis la cause Sparrow, que même si nous parlons d'une exception restreinte, la charge de présentation appartient à la Couronne et celle-ci doit démontrer qu'il est nécessaire d'empiéter sur un droit issu d'un traité ou sur un droit ancestral pour assurer la salubrité de l'eau potable. Autrement dit, le gouvernement doit démontrer, avec preuves à l'appui, pourquoi c'est vraiment nécessaire. À mon avis, cela constitue une exception restreinte.

Mais dans le contexte des droits ancestraux, c'est peut-être un peu différent. C'est un terrain encore inconnu, d'un point de vue juridique.

Le sénateur Campbell : Je vous remercie beaucoup d'être ici aujourd'hui.

Je trouve assez incroyable que dans un document juridique — et Dieu sait que les documents juridiques sont précis —, on emploie non pas le mot « consulter » mais une expression aussi mièvre que « travailler avec ». « Travailler avec » n'a aucun statut juridique et aucune signification en jargon juridique, alors que « consulter » a une définition précise.

Ce qui est curieux avec ce projet de loi, c'est qu'il englobe tout le monde : les Premières nations autonomes, les nations qui ont signé un traité, celles qui sont peut-être en train d'en négocier un, celles qui ne sont même pas en train d'en négocier un, bref, tout le monde est traité de la même façon. S'il y a une chose qu'on est censé avoir apprise du processus de négociation des traités, c'est que chacun est différent et que chacun constitue une nation distincte. J'ai des difficultés avec ça.

Si on supprimait l'article 14, le projet de loi vous serait-il acceptable? C'est l'article qui vous gêne le plus, n'est-ce pas?

M. Aldridge : Du point de vue des Nisga'a, sénateur, pour que le projet de loi ne s'applique jamais à la nation nisga'a, il faudrait modifier la définition de « première nation », de « terres » et de « groupe autochtone ». À ce moment-là, vous pourriez supprimer l'article 14 dans sa totalité, et il ne serait pas nécessaire de faire mention d'une annexe. Autrement dit, l'application de ce projet de loi serait limitée aux bandes indiennes assujetties à la Loi sur les Indiens ou à la Loi sur la gestion des terres des premières nations.

Le sénateur Campbell : Ces bandes-là ne sont pas signataires d'un traité?

M. Aldridge : Pas d'un traité moderne, mais d'un ancien traité. Si cela était supprimé du projet de loi, celui-ci ne s'appliquerait plus à la nation nisga'a et, par conséquent, nous n'aurions plus rien à dire sur le reste.

Pour ce qui est des principes, nous avons des réserves quant à l'inclusion de l'article 3, que nous considérons, comme l'a dit mon ami, comme une clause de dérogation. Les chefs de l'Alberta l'acceptent. C'est leur prérogative, et nous ne la contestons pas. Toutefois, de notre point de vue, ne serait-ce que par principe, nous estimons qu'il ne devrait pas y avoir de précédents législatifs à des clauses de dérogation.

Le sénateur Campbell : Dans leur libellé actuel, ces dispositions affecteraient trois traités modernes en Colombie- Britannique, n'est-ce pas?

M. Aldridge : Pour en revenir à la réponse que j'ai donnée au sénateur Patterson, je vous dirai que c'est seulement si les Nisga'a, les Maanulth ou les Tsawwassen décident d'adhérer. Et pourquoi le feraient-ils? Seulement dans les circonstances que j'ai décrites, mais je reconnais qu'il n'y a aucune obligation juridique à appliquer cela à ces groupes.

Le sénateur Campbell : Quand vous parlez des risques que vous courez si vous n'adhérez pas, ce sont des risques qui accompagnent chaque projet de loi. Pour tous les projets de loi qui portent sur les Premières nations et les peuples autochtones, pratiquement tous sans exception, les gens ont toujours peur de s'engager dans la mauvaise voie. C'est quelque chose que j'ai entendu à maintes reprises depuis sept ans que je suis ici. Est-ce justifié? Je pense que la crainte est réaliste, mais encore une fois, c'est le même problème pour chaque projet de loi. Des gens viennent nous voir, qui nous disent qu'ils ne sont pas vraiment opposés au projet de loi, mais qu'ils s'inquiètent des conséquences, plus tard... Est-ce que c'est bien ça?

M. Aldridge : Si c'est ça que vous avez compris, je me suis mal exprimé, et je vous prie de m'en excuser. Ce qui nous inquiète, c'est qu'un article sans aucune utilité et sans aucune raison d'être soit glissé dans ce projet de loi pour permettre éventuellement la modification, par une loi ordinaire, de droits protégés par la Constitution. C'est bien plus que la simple crainte de se voir contraints d'adhérer pour des raisons financières, comme nous l'avons dit tout à l'heure.

Permettez-moi de vous présenter la chose ainsi. Imaginez qu'un article d'un projet de loi dont vous êtes saisis, en tant que parlementaires, stipule que rien dans le projet de loi ne porte atteinte au droit à l'égalité, sauf dans la mesure nécessaire pour... et on énonce un objectif quelconque. Par exemple, rien dans ce projet de loi ne porte atteinte à la liberté d'expression, sauf dans la mesure nécessaire pour... et on énonce un objectif tout à fait louable. C'est une bonne analogie. Ou encore, prenons l'exemple d'une province, avec sa relation constitutionnelle avec le Canada, qui se trouverait face à un projet de loi fédéral disant qu'en cas d'incompatibilité entre cette loi et les Modalités de l'union entre la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada, c'est cette loi qui l'emporte, je ne pense pas que les habitants de la Colombie-Britannique apprécieraient beaucoup.

Le sénateur Campbell : Ma dernière question est la suivante : quelles normes la nation nisga'a applique-t-elle actuellement en matière d'eau potable?

M. Aldridge : Les normes provinciales.

Le sénateur Campbell : Les normes provinciales. Est-ce que c'est la nation qui les applique?

M. McKay : Oui. Dans chaque village, c'est le département de l'entretien qui en assure la supervision.

Le sénateur Campbell : Ils ont reçu la formation nécessaire.

M. McKay : Oui.

Le sénateur Campbell : Avez-vous déjà eu des problèmes?

M. McKay : Non.

Le président : J'aimerais poser une question à Jim Aldridge. Quelles sont les chances qu'une Première nation signataire d'un traité moderne demande une aide financière à la Couronne et se voit assujettie à l'article 14? Sont-elles faibles ou quasi inexistantes, ou êtes-vous tout simplement trop prudent?

M. Aldridge : C'est mon rôle d'être prudent, monsieur le président, mais jamais trop, j'espère. Tous les financements nécessaires aux programmes, aux services et aux immobilisations sont prévus dans des ententes fiscales négociées tous les cinq ans entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Tous les financements nécessaires, y compris pour les systèmes d'alimentation en eau potable, proviennent des ententes fiscales et sont bien sûr complétés par des fonds nisga'a. Toutefois, tant que nous ne serons pas complètement autonomes, nous aurons toujours besoin de faire une demande d'aide financière ou autre, que ce soit dans le cadre des ententes fiscales ou dans le cadre d'un autre programme, mais nous ne savons ce que le gouvernement décidera à ce moment-là, et c'est ça qui nous inquiète.

Est-ce que les Nisga'a sont suffisamment autonomes pour assumer le financement de tout leur système d'alimentation en eau potable? Non, bien sûr que non. Il faudra certainement une combinaison de fonds fédéraux et de fonds provinciaux. Il est évident qu'il faudra des fonds du fédéral et de la province. Mais nous craignons qu'en échange, on nous impose les conditions dont nous avons parlé tout à l'heure. Je ne pense pas que nous soyons trop méfiants, nous sommes simplement réalistes.

Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Campbell, à propos de la façon dont vous gérez vos communautés.

Le projet de loi est clair. Il prescrit ce qu'on doit attendre d'un système d'alimentation en eau potable, comment il faut le gérer, et, en cas de problèmes, quelles mesures il faut prendre. Ce n'est guère différent d'un autre système d'alimentation ailleurs au Canada, qu'il soit assujetti à un règlement municipal ou à une loi provinciale.

J'aimerais revenir à la situation actuelle, où vous êtes responsable de vos propres systèmes d'alimentation. Le projet de loi définit comment le système doit être géré, et les responsabilités qui vont de pair, mais j'aimerais savoir en vertu de quels règlements vous gérez vos systèmes, sachant que vous appliquez les normes provinciales? Est-ce que vous adoptez ces normes en tant que gouvernement pour ensuite prendre des règlements sur la façon de les mettre en œuvre? Pouvez-vous me le préciser?

M. Aldridge : Non, sénateur, les lois provinciales s'appliquent automatiquement, en vertu du traité, et il est par conséquent inutile de prendre d'autres règlements pour les appliquer. Les Nisga'a peuvent adopter des lois en matière d'utilisation des terres, entre autres, et il y a une relation entre les Nisga'a et le pouvoir législatif provincial, mais les Nisga'a n'ont pas besoin d'incorporer les lois provinciales par renvoi. Ces lois s'appliquent par défaut.

L'autre chose que je voulais dire, sénateur, est que le projet de loi ne prescrit pas les conditions dans lesquelles un système d'alimentation doit être géré. Par contre, il donne au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements qui définissent ces conditions.

Le problème — et cela nous ramène aux remarques du sénateur Campbell — vient en partie du fait que, chaque fois que le gouvernement propose un projet de loi avec des pouvoirs de réglementation aussi étendus, on ne connaît jamais, au moment où on examine le texte de loi, le contenu de ces futurs règlements. Ils peuvent être bons, ils peuvent être mauvais, on ne le sait pas d'avance. Le gouvernement dit qu'il va « travailler avec » les gens, parfait. Si ça ne s'applique pas à la nation nisga'a, nous n'avons plus rien à dire.

Le sénateur Lang : J'aimerais en savoir un peu plus sur les conditions dans lesquelles vous exploitez vos systèmes. Vous dites que c'est la loi provinciale qui s'applique. Vous recrutez vos propres employés, ils sont assujettis à la loi provinciale et doivent en respecter les normes, de la même façon, je suppose, qu'ils auraient à respecter les règlements émanant d'un projet de loi comme celui-ci, pour ce qui est des systèmes d'alimentation en eau.

M. Aldridge : Ça serait assez semblable, je suppose, sauf que nous avons la possibilité d'adopter des lois qui supplantent ces lois provinciales, dans certains cas. La nation nisga'a pourrait-elle envisager de le faire? Si ça risque de nuire à la qualité de l'eau potable, bien sûr que non.

Le sénateur Lang : C'est là que je suis d'accord avec le sénateur Patterson. Il n'y a pas 36 façons de gérer un système : soit l'eau est potable, soit elle ne l'est pas. Et il y a un certain nombre de choses à faire pour qu'elle reste potable. À mon avis, ce n'est pas plus compliqué que ça. Nous avons la chance de vivre à une époque où nous avons les connaissances et l'expertise nécessaires.

J'aimerais poser une question à M. Leonard, si vous me le permettez. C'est un souci que j'ai en tant que contribuable, et je m'adresse à tous les contribuables qui nous écoutent : au cours des dernières années, les gouvernements ont beaucoup investi dans les systèmes d'égouts et d'adduction d'eau, à hauteur de 1,7 milliard de dollars pour l'ensemble du pays. Il est évident que les Canadiens de toutes les régions du pays veulent avoir accès à un bon système d'égouts et à un bon système d'approvisionnement en eau potable.

Dans votre topo, vous avez dit que l'une des réserves que vous avez à l'égard du projet de loi est que vous avez besoin de connaître les engagements financiers du gouvernement, non seulement à court terme, mais surtout à long terme, si j'ai bien compris. Et que vous avez besoin d'argent notamment pour payer des services juridiques. Pourriez- vous nous expliquer, à nous et à ceux qui nous écoutent, pourquoi vous avez besoin d'argent pour des systèmes d'égouts et d'adduction d'eau ainsi que pour des services juridiques?

M. Leonard : C'est bien simple. Le gouvernement fédéral va s'adjoindre un petit bataillon d'avocats pour élaborer ces règlements. Les Premières nations, elles, vont devoir s'accommoder de ces règlements. Elles vont donc avoir besoin d'avocats pour défendre leurs intérêts. Pendant les quatre dernières années, les Premières nations de l'Alberta ont puisé dans leurs propres ressources pour négocier une entente provisoire avec le gouvernement du Canada, à propos de ce projet de loi. Étant donné tout le travail que nous avons fait jusqu'à présent pour passer en revue, un par un, tous les règlements pertinents qui pourraient être incorporés par renvoi, les chefs de l'Alberta ont décidé, en assemblée, qu'il leur fallait un budget pour financer des services d'experts en gestion de l'eau et des services juridiques.

Quand vous dites qu'il n'y a pas 36 façons de gérer un système, vous devriez venir voir comment ça se passe dans les stations de traitement de l'eau des communautés des Premières nations. J'ai des contacts quotidiens avec un exploitant de la nation crie de Samson, pour régler des problèmes concrets. À une dizaine de minutes de là, à Wetaskiwin, la station est adéquatement financée car elle reçoit chaque année un budget de fonctionnement et d'entretien, et aucun membre de la communauté ne risque de boire de l'eau contaminée. Aucune communauté autochtone de la même taille n'a jamais reçu, depuis la signature du traité en 1876, un budget comparable à ceux des communautés non autochtones voisines.

Quand vous parlez de 2 milliards de dollars, c'est ce qu'il faut pour améliorer la situation de plus de 600 communautés, qui a été négligée pendant un siècle. Je me réjouis que le gouvernement fédéral se soit enfin décidé à faire les investissements nécessaires, et je l'en félicite. Mais quand il s'agit d'eau potable, si les budgets consentis représentent la moitié de ce qui est vraiment nécessaire, c'est tout simplement insuffisant.

Le sénateur Lang : Monsieur le président, personne ne le conteste. Je constate simplement que, maintenant que les fonds sont débloqués, ça ne suffit pas encore. Par exemple, il était question de services juridiques. Eh bien, on a beau avoir dépensé 500 000 $ en frais juridiques, le système d'alimentation en eau ne marche toujours pas aussi bien qu'il le devrait. C'est quand même inquiétant, car il y a des limites à ce que peut payer le contribuable. D'un autre côté — et ma question porte uniquement sur les frais juridiques —, combien avez-vous dépensé jusqu'à présent en frais d'avocats?

M. Leonard : Je ne cherche pas à me dérober, mais je dois respecter le secret professionnel à l'égard de mes clients. Je peux vous dire cependant que l'analyse d'impact que vous avez sous les yeux, et vous constaterez en la lisant qu'elle est très approfondie, a été faite pour 25 000 $. Étant donné les avis juridiques qu'elle a nécessités, elle aurait dû coûter beaucoup plus que ça.

Quel travail va nécessiter l'élaboration du dispositif réglementaire dont nous allons avoir besoin en Alberta? Ce sont 500 à 600 pages de règlements qu'il va falloir rédiger à partir de rien. Je ne peux pas vous donner un devis immédiatement, mais ça représentera certainement un budget important. Il n'y a pas que les avis juridiques, il va aussi falloir faire appel à des spécialistes du First Nations Technical Services Advisory Group, à des hydrologistes, à des spécialistes de la qualité de l'eau et à des exploitants de stations de traitement. Ça coûte de l'argent d'entreprendre ce genre d'exercice.

Le sénateur Patterson : J'aimerais poser une question supplémentaire. Monsieur Leonard, parmi les règlements en vigueur, y en a-t-il qui soient efficaces? Vous avez dit que Wetaskiwin, qui est proche de la Première nation crie de Samson, avait un système qui fonctionnait bien. Ne pensez-vous pas que les Premières nations du Traité 6 et 7 pourraient au moins essayer de voir si elles peuvent conserver certains règlements provinciaux avant de décider de tout recommencer et de consacrer cinq ans, avez-vous dit, c'est renversant, à l'élaboration d'une nouvelle série de règlements? Vous avez dit qu'à 10 minutes de la communauté autochtone, le système marchait bien.

M. Leonard : Je vais vous donner un exemple du problème que nous avons. La plupart des Premières nations de l'Alberta utilisent principalement les eaux souterraines, mais en dehors des réserves, il y a tout ce dispositif réglementaire qui a été élaboré dans le cadre de la loi provinciale, la Water Resource Act et son prédécesseur, la Water Act de 1930. Vous avez plus de 70 ans d'avance sur nous. Le système est conçu pour des familles qui vivent sur un ranch, sur une ferme, sur une terre agricole, avec leur puits individuel, en fief simple. Vous ne pouvez tout simplement pas utiliser le même modèle sur des terres appartenant à la collectivité, dans le cadre d'un traité, où vous avez des centaines de puits, comme c'est le cas dans les grandes communautés Premières nations de l'Alberta, des puits qui appartiennent tous à la Première nation, et non pas à un seul propriétaire, et qui sont exploités par la Première nation. De plus, sur des terres désignées de la réserve, des résidents non autochtones peuvent s'installer et avoir leur propre puits.

Par conséquent, sur le terrain, la réalité est complètement différente de ce qui existe en dehors des réserves, notamment en ce qui concerne la propriété et l'exploitation des puits. C'est d'ailleurs l'une des questions qu'examine l'analyse d'impact, et qu'il va falloir prendre en compte lors de l'élaboration des règlements. On ne peut donc pas se contenter de prendre les règlements provinciaux et de les appliquer aux réserves. Cela ne marche pas.

L'autre difficulté est qu'en ce qui concerne les puits privés, les règlements provinciaux de l'Alberta ne sont que des lignes directrices. Si vous voulez boire l'eau sale ou l'eau douteuse de votre puits, vous le faites à vos risques et périls, mais ça ne peut pas marcher pour 500 puits qui appartiennent à la collectivité. Tout ça vous montre que ça va représenter beaucoup de travail.

Si on veut faire les choses comme il faut, et ne pas se contenter d'appliquer un régime qui ne convient pas, il va y avoir beaucoup de travail à faire. Pas seulement par les avocats, mais aussi par les dirigeants politiques des Premières nations, les exploitants des stations de traitement, qui savent quelle est la situation dans leur communauté, ainsi que les spécialistes de l'eau qui auront des conseils à donner.

Le sénateur Meredith : Monsieur McKay, les témoins qui comparaissent devant notre comité nous disent toujours qu'ils n'ont pas d'argent et qu'ils sont là pour en obtenir. On en revient toujours à une question d'argent, pour entretenir les infrastructures et les stations de traitement de l'eau. Est-ce que, dans votre village, vous avez créé un environnement économique tel que, si le gouvernement refusait de vous donner l'argent parce que vous n'avez pas adhéré à la loi, vous avez les moyens de lui rétorquer que vous pouvez vous débrouiller tout seuls? Autrement dit, vous êtes-vous organisés pour pouvoir assurer le financement à long terme de vos systèmes?

M. McKay : Je vous remercie de votre question. La raison d'être du traité des Nisga'a est de permettre à la nation nisga'a de devenir pleinement autonome, d'ici quelque temps. N'oubliez pas d'où nous venons : 130 années et plus d'assujettissement à la Loi sur les Indiens ont fait beaucoup de dégâts dans nos communautés. Et même 12 ans après l'entrée en vigueur du traité des Nisga'a, on constate encore, dans nos villages, des vestiges de la Loi sur les Indiens; il n'y a pas besoin de chercher bien loin.

Je comprends ce que vous voulez dire au sujet du potentiel économique. On nous demande souvent pourquoi il n'y a pas, dans le traité des Nisga'a, un chapitre consacré au développement économique. Mais d'un bout à l'autre du traité, il est question de nouvelles opportunités pour créer de la richesse.

Avec la Loi sur les Indiens, nous étions soumis à une économie dirigée. Nous aspirons à une économie de marché, mais il ne suffit pas de crier ciseaux. Dans leur sagesse infinie, nos aînés, nos chefs héréditaires et nos matriarches qui l'ont négocié il y a 12 ans nous avaient dit que l'Accord définitif nisga'a n'était pas une panacée. L'accord définitif n'est pas un livre de préceptes, c'est un livre de promesses.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que si la nation nisga'a a la possibilité d'optimiser son potentiel, elle le fera, sénateur, et, dans un avenir pas très lointain, nous serons autonomes et nous ne viendrons plus vous demander l'aumône chaque fois que nous avons des difficultés.

C'est avant tout pour retrouver son autonomie que la nation nisga'a a fait autant de compromis. Aucune des trois parties présentes n'a fait autant de compromis que la nation nisga'a pour parvenir à l'Accord définitif nisga'a, et si nous l'avons fait, c'est parce que nous étions conscients du potentiel que nous avions. Certes, nous ne l'avons pas encore exploité pleinement, mais c'est tout ce que nous vous demandons.

Le sénateur Meredith : Monsieur Aldridge, vous avez parlé de ce qui pourrait se produire, de votre point de vue d'avocat. Je vais me faire l'avocat du diable en disant, comme si j'étais à votre place, que puisque c'est quelque chose que le gouvernement veut nous imposer, alors nous devons nous méfier. Vous avez dit que tout le monde devrait avoir accès à de l'eau potable, et c'est bien évident, mais c'est justement ce que ce projet de loi propose de faire, à savoir mettre à niveau tous les systèmes d'approvisionnement en eau du pays afin que les jeunes, les mères et leurs familles aient accès à de l'eau potable. Mon collègue, le sénateur Patterson, a dit qu'il fallait éviter d'autres Walkerton.

J'essaie de vous comprendre. Pourquoi essayez-vous d'attiser la méfiance à l'égard du gouvernement, étant donné que nous venons d'investir 2 milliards de dollars dans la mise à niveau des stations de traitement? Le gouvernement vous a donné des garanties qu'il n'avait pas fait tout ça pour ensuite vous laisser tomber, car à ce moment-là, on aura une autre crise. Le gouvernement nous a dit qu'il allait assurer un financement, conformément au règlement, pour que les stations fonctionnent comme prévu et que les exploitants soient bien formés. Dans vos bandes et dans vos villages, monsieur McKay, comment faites-vous pour les garder, une fois qu'ils ont reçu la formation nécessaire? J'essaie de comprendre pourquoi vous essayez d'attiser la peur.

M. Aldridge : Ça fait 32 ans que je travaille dans ce domaine, j'ai vu comment le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral se sont comportés à l'égard des peuples autochtones au cours de cette période, et je connais aussi très bien l'histoire antérieure à cette période.

C'est souvent parce que c'est comme ça que le système fonctionne — ce n'est pas de la mauvaise foi, mala fides, ni une conspiration, mais c'est simplement que quelqu'un cherche à faire accepter un principe important, et ce faisant, on laisse de côté d'autres problèmes. En fait, si je peux m'exprimer ainsi, on ne prend pas le temps de faire un second examen objectif.

Le sénateur Meredith : C'est exactement ce que nous sommes en train de faire.

M. Aldridge : C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Concernant l'application de ce projet de loi aux bandes assujetties à la Loi sur les Indiens, nous estimons que c'est une question qui concerne ces bandes et le gouvernement du Canada. Pour ce qui est de l'article de non-dérogation, nous estimons qu'il est inapproprié de créer un précédent législatif — c'est la première fois en 22 ans, depuis que l'article 35 de la Charte est entré en vigueur — qui autorise qu'on porte atteinte à des droits protégés par la Constitution, et ce, au moyen d'un projet de loi qui porte sur une question aussi fondamentale que l'eau potable. Comme je l'ai déjà dit, c'est comme si vous supprimiez le droit à l'égalité ou la liberté d'association, ou encore les autres droits constitutionnels qui nous tiennent tant à cœur. Nous exprimons donc des réserves, et nous vous proposons de vous livrer à un second examen objectif.

En ce qui concerne l'article 14 et les dispositions connexes, je vous recommande, au risque de me répéter, de les supprimer tout simplement.

Le sénateur Meredith : Avez-vous écrit au ministre à ce sujet et avez-vous reçu une réponse?

M. Aldridge : Nous n'avons pas réussi à établir un contact avec le ministre, mais nous continuons d'essayer.

Le sénateur Meredith : Je vous conseille de lui envoyer une lettre.

M. Aldridge : Et nous vous en enverrons une copie?

Le sénateur Meredith : Tout à fait.

Le sénateur Patterson : Toujours sur le même sujet, je pense que nous comprenons tous que ce projet de loi vise principalement les réserves. C'est peut-être en partie pour cette raison qu'il n'y a pas eu de consultation. Je sais que vous reconnaissez que les réserves ont un point de vue différent.

Quoi qu'il en soit, vous recommandez, au nom de la nation nisga'a — et ma question s'adresse aussi à M. Leonard —, que l'on supprime l'article 14. Vous voulez supprimer tout l'article 14?

M. Aldridge : Oui, et les dispositions connexes.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé des articles 3, 7 et 14. À part, le projet de loi vous est acceptable?

M. Aldridge : Je vais vous faire la réponse suivante : supprimez l'article 14 et les dispositions connexes, l'annexe 1 sur les groupes autochtones, et cetera, et à ce moment-là, le projet de loi ne peut plus s'appliquer à la nation nisga'a. Nous nous retirons du débat. Sauf qu'il reste encore le précédent législatif de la clause de non-dérogation, à l'article 3. Même si ça n'affecte pas directement les Nisga'a, nous estimons qu'il est dangereux de créer un précédent sous le couvert de l'eau potable, car c'est un précédent qui peut être invoqué plus tard.

Une fois que nous ne sommes plus concernés par le projet de loi, l'article 7 ne nous touche plus de toute façon. Est- ce que le projet de loi est acceptable? Vous aurez peut-être des problèmes avec des groupes ayant un droit, inhérent ou issu de traités, en matière d'autonomie gouvernementale. Ça vous posera peut-être des problèmes, mais pas avec nous. Ils sont assez grands pour se défendre.

En résumé, vous supprimez l'article 14 et les dispositions connexes qui le font s'appliquer aux groupes ayant signé un accord sur des revendications territoriales. C'est la lettre dont nous avons parlé, le sénateur Meredith et moi.

Le sénateur Meredith : Des recommandations, oui.

M. Aldridge : Pour ce qui est de l'article 3, faites de cette clause de dérogation une clause de non-dérogation en supprimant les mots « sauf dans la mesure nécessaire pour assurer la salubrité de l'eau potable ». Le gouvernement dit que c'est la loi, de toute façon, donc vous n'en avez pas besoin.

Ensuite, l'article 7 n'est plus notre problème; je crois qu'il va en poser à d'autres groupes, mais ce n'est pas moi qui les représente. J'espère que j'ai été clair.

Le président : C'est clair, sénateur Patterson?

Le sénateur Patterson : Oui. Merci de ces précisions.

Monsieur Leonard, vous avez bien dit que l'article 3, même s'il n'est pas parfait, les chefs du Traité 6 et 7 pouvaient s'en accommoder?

Vous avez expliqué très clairement vos problèmes de financement. Le Sénat n'est pas habilité à examiner des projets de loi de finances, donc c'est l'autre endroit qui devra en décider. En revanche, le ministre va comparaître devant notre comité d'ici la fin de notre étude, et nous allons lui poser ces questions, c'est sûr. À part ce qui concerne le financement, qui ne relève pas de ce projet de loi, le texte est-il acceptable?

M. Leonard : Vous avez en main la résolution de l'assemblée des chefs. Ils n'accordent pas un appui franc et massif au projet de loi, mais plutôt un appui conditionnel. Le texte n'est pas parfait; il y a des choses qu'on pourrait mieux faire, mais je pense que les chefs de l'Alberta savent bien que le plus important, c'est le contenu des règlements. Pour le moment, ils s'accommodent du libellé du projet de loi, à condition que le gouvernement débloque les fonds nécessaires d'ici à ce que les règlements soient élaborés, et à condition aussi que le processus d'élaboration desdits règlements soit beaucoup plus acceptable que ce qui nous a amenés ici aujourd'hui.

Le sénateur Patterson : Donc nous pouvons adopter le projet de loi?

M. Leonard : C'est ce que dit la résolution des chefs, mais leur appui a des conditions.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le président : J'aimerais maintenant remercier nos témoins. Comme d'habitude, ceux qui viennent de ma province ont exposé leurs opinions de façon très claire, mais le témoin de l'Alberta aussi.

Je vous remercie de vos déclarations liminaires et des réponses franches que vous avez données aux sénateurs.

Sénateurs, je vous remercie de votre collaboration et je vous souhaite une bonne soirée.

(La séance est levée.)


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