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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 22 - Témoignages du 20 juin 2012


OTTAWA, le mercredi 20 juin 2012

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 51, pour examiner, pour en faire rapport, la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada.

[Français]

Marcy Zlotnick, greffière du comité : Honorables sénateurs, il y a quorum. En tant que greffière de votre comité, il est de mon devoir de vous informer de l'absence inévitable du président et de la vice-présidente et de présider à l'élection d'un président suppléant.

[Traduction]

Je suis prête à recevoir une motion pour la nomination d'un président intérimaire.

Le sénateur Campbell : Je propose que le sénateur Patterson soit élu président intérimaire.

Mme Zlotnick : Merci, monsieur le sénateur Campbell. Y a-t-il d'autres propositions?

Il est proposé par l'honorable sénateur Campbell que l'honorable sénateur Patterson occupe le fauteuil.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Mme Zlotnick : Je déclare la motion adoptée, et j'invite l'honorable sénateur Patterson à occuper le fauteuil.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président intérimaire) occupe le fauteuil.

Le président intérimaire : Merci, honorables sénateurs. Je suis encore une fois honoré de la confiance que vous placez en moi. Je désire vous souhaiter la bienvenue, à vous et aux membres de la population qui regardent la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la chaîne CPAC ou dans Internet.

Je m'appelle Dennis Patterson, je suis du Nunavut, et c'est pour moi un plaisir de faire fonction de président intérimaire ce soir, en l'absence du président et de la vice-présidente.

Notre comité a pour mandat d'examiner les dispositions législatives et les questions portant sur les peuples autochtones du Canada dans l'ensemble. De plus, nous avons un ordre de renvoi qui nous autorise à étudier les questions relatives aux Métis, tout particulièrement la reconnaissance juridique et politique de l'identité collective et des droits des Métis au Canada.

Les premières réunions qui ont porté sur cette étude ont consisté en séances d'information de divers ministères qui nous ont fourni de l'information sur divers sujets, dont les programmes et les services fédéraux actuels, la situation des relations entre la Couronne et les Métis et les questions d'ordre légal qui se posent actuellement ainsi que des statistiques générales.

Deux avocats nous ont parlé des questions relatives aux Métis. Nous avons également entendu les porte-parole d'organismes nationaux qui représentent des Métis.

Ce soir, nous allons entendre Mme Carrie Bourassa qui est une professeure d'université, membre de l'Association des femmes autochtones du Canada.

[Français]

Avant d'entendre les témoignages, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont ici ce soir.

[Traduction]

J'aimerais commencer à ma gauche par le sénateur Jim Munson, de l'Ontario, et le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique. À ma droite, nous avons le sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique, le sénateur Salma Ataullahjan, de l'Ontario, et le sénateur John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Chers collègues, accueillons notre premier témoin, l'aînée Elize Hartley, membre du conseil exécutif de l'Association des femmes autochtones du Canada. Bienvenue, madame Hartley.

Aînée Elize Hartley, conseil exécutif, Association des femmes autochtones du Canada : Merci. J'aimerais tout d'abord dire qu'en raison de mon âge, je n'entends plus très bien, et il est possible que je vous demande de parler un peu plus fort.

Je vous transmets les salutations traditionnelles de mon peuple; nous reconnaissons que nous sommes rassemblés sur la terre de la nation algonquine, mais je suis née et j'ai grandi au Manitoba. La photo que vous voyez au mur est celle de mon troisième cousin. Mon arrière-grand-mère était une Lagimodière. Je crois que vous connaissez la famille Lagimodière, qui a fait sa marque dans l'histoire. Elle a épousé un Nault, Amable Nault; ma grand-mère s'appelait Véronique Nault. Ma mère a épousé Joachim Huppé, et je portais le nom de Huppé lorsque j'étais une jeune fille.

Il n'était pas facile de grandir au Manitoba. Je dois vous dire que j'aurai 88 ans dans quelques mois, et que cela fait donc longtemps que je suis là. Lorsque j'allais à l'école, nous, les Métis, étions encore des citoyens de deuxième classe au Manitoba. Nous avons en quelque sorte grandi dans ces conditions-là. Même si nous avions un travail, que nous nous tenions occupés et que nous prenions soin de nous-mêmes et de nos familles, il y avait encore ce genre de préjugé. Lorsqu'on grandit dans un tel climat, il est très difficile de l'oublier. Lorsque mon mari, plus tard, m'a demandé pourquoi je me sentais et me comportais de cette façon, je lui ai répondu que je ne le savais pas, que c'était tout simplement comme ça pour moi. Chaque fois que je me diminuais, il me disait : « Ne fais pas ça ». Je me disais alors : « Eh bien, j'imagine que je ne suis pas pire que les autres ».

J'ai dû venir en Ontario parce qu'il n'y avait pas d'emplois. Rappelez-vous, il y a longtemps, le Manitoba était pour les Blancs seulement, et c'est ce qu'on nous disait lorsque nous cherchions un emploi. On nous disait : « Désolé, vous êtes une gentille personne et je sais que vous pourriez faire du bon travail, mais vous ne resteriez pas longtemps ici à cause de la discrimination dont vous seriez victime ».

J'écoutais la radio un jour, en faisant le ménage — c'était le seul travail que nous pouvions trouver — et j'ai entendu quelqu'un dire qu'il y avait beaucoup d'emplois à Toronto. Je me suis dit : « Devinez qui s'en va à Toronto? ». Deux ou trois mois plus tard, j'ai fait mes bagages et je suis partie pour Toronto. Je ne connaissais pas du tout la ville lorsque j'y suis arrivée.

J'ai vu une chambre à louer dans le journal, je me suis rendue à l'adresse et j'ai loué la chambre. Lorsque je me suis cherché un emploi, j'en ai trouvé un et je me suis dit : « Personne ne sait que je suis une Indienne ici; je peux travailler ». Je sentais que je serais bien là. Voilà comment les choses ont commencé pour moi, et je n'ai jamais regardé en arrière après cela.

Ma mère et mon père m'ont enseigné qu'il n'y a rien de gratuit. Si on veut quelque chose, il faut travailler pour l'obtenir. Nous avons travaillé dur. Nous avons travaillé dans les jardins et cueilli des petits fruits. Il n'y avait pas de vacances pour nous. Il y avait les vacances de l'école, mais nous travaillions.

Me voici ici à vous raconter mon histoire. Je me suis toujours intéressée aux Autochtones, mon peuple, et tout spécialement aux Métis, parce que même au travers des nôtres, certaines Premières nations nous appellent les « prétendus Indiens ». Nous faisons face parfois à de la discrimination parmi notre population. Toutefois, la plupart des Autochtones sont très accueillants et très gentils, mais il y en a toujours certains qui ne le sont pas.

Il est donc très difficile pour les Métis de vivre leur identité. Or, nous avons tous besoin de notre identité. Si nous ne l'avons pas, nous ne savons pas qui nous sommes et nous nous cherchons. C'est ce que je constate lorsque je me rends dans des écoles secondaires et que je parle avec des jeunes qui veulent décrocher en 10e année. Ils ne veulent plus aller à l'école. Toutefois, je vois que tout ce dont ils ont besoin, c'est de connaître les traditions et les cérémonies de leur peuple. Ils ont besoin de trouver leur identité et de dire qui ils sont, qu'ils soient des Ojibways ou des Mohawks. C'est ce qui a fait toute la différence pour eux. Maintenant, ils vont poursuivre leurs études, terminer leur cours secondaire et sentir qu'ils peuvent contribuer à la vie de leur collectivité. C'était une bonne chose à faire.

Je travaille comme bénévole, et j'ai un groupe de femmes métisses avec moi. Nous travaillons dans les écoles et auprès d'autres femmes. Nous appartenons aussi à l'Association des femmes autochtones du Canada, parce que cette association parle au nom de toutes les femmes autochtones. Il est important de pouvoir appartenir à une organisation.

Il est très difficile pour les Métis de pouvoir se réclamer d'un groupe donné. Toutefois, nous appartenons à l'Association des femmes autochtones. Nous y sommes acceptées et nous pouvons participer aux activités menées par l'organisation auprès des familles, des enfants et de nos hommes. Nous avons constaté, en travaillant dans les collectivités, qu'il y a beaucoup de familles monoparentales. Cette situation est attribuable aux problèmes d'alcool ou de drogue des hommes. Ces hommes ont perdu leurs enfants et leurs familles et ils se sont retrouvés à la rue. Nous avons commencé à examiner la situation et nous nous sommes dit que nous devions faire quelque chose pour aider ces hommes également.

À Hamilton, nous avons travaillé à la mise en place d'un centre pour accueillir ceux de ces hommes qui cherchent à se débarrasser de leurs mauvaises habitudes de vie, et il y en a beaucoup. Ils ont simplement besoin de cette aide supplémentaire pour apprendre à rester sobres, à se tenir loin de l'alcool et des drogues et à s'occuper de leurs familles. Ils essaient d'y arriver avec l'aide de l'Association des femmes autochtones.

L'Association des femmes autochtones est une organisation politique nationale. Elle se compose de 12 associations provinciales et territoriales réparties partout au Canada, de sorte que nous pouvons joindre les représentants provinciaux et d'autres groupes de Métis. En outre, l'association se consacre à l'amélioration du bien-être socio- économique, de la santé et de la situation politique de tous les Canadiens, mais spécialement de ceux des membres des Premières nations et des Métis.

Comme vous le savez, les Métis constituent un peuple distinct, doté d'une identité, d'une culture et d'une langue communes. Je parlais le michif lorsque j'étais enfant, mais, à l'école, nous n'étions pas autorisés à parler cette langue; elle a donc été reléguée là dans ma mémoire où les choses qui ne servent pas très souvent se perdent.

Il y a deux ou trois mois, une personne du Manitoba est venue présenter un atelier à nos jeunes hommes sur la façon dont ils doivent interagir les uns avec les autres et sur le genre d'attitude qu'ils doivent avoir à l'endroit des Autochtones qui sont parmi eux. Cet homme était Métis. Lorsqu'il a parlé le michif, tout à coup, une lumière s'est allumée dans ma tête. Je me suis dit soudainement que je me rappelais de cette langue et que je pourrais la parler de nouveau si j'essayais.

Le sujet est intéressant, parce que la langue des Métis est un mélange de cri et de français. Le français est en quelque sorte renversé. Il faut parler français très bien pour pouvoir comprendre qu'il y a du français, mais qu'il est très déformé. Il y a l'intonation crie, qui arrondit les mots. Au lieu de prononcer les mots ouvertement, on les fait d'abord passer par le cerveau ou la tête ou le nez ou quelque chose comme ça. Le son des mots est différent quoi qu'il en soit. J'étais heureuse d'entendre cette langue même si je ne pouvais pas comprendre tout ce que l'homme disait parce qu'il parlait trop vite, mais je pouvais saisir assez de mots pour savoir ce qu'il disait.

C'est pour ce genre de petites choses qu'il vaut la peine de faire du bénévolat, de donner des heures et des heures de son temps aux gens, et tout particulièrement à nos jeunes. Un de ces jours, nos jeunes dirigeront le pays et nous avons tout intérêt à les aider pour qu'ils soient capables de prendre soin de leurs familles.

Cela étant dit, je veux vous parler du soutien donné aux familles et du placement des enfants dans des familles d'accueil. Vous savez qu'il y a un écart grandissant dans le financement et le traitement des enfants métis vivant de l'aide sociale et dans les services de soutien fournis à leurs familles. Tant de nos jeunes enfants sont placés en famille d'accueil. Une proportion effarante de 30 p. 100 des enfants placés en famille d'accueil sont soit métis, soit issus des Premières nations. La situation est plus compliquée pour les Métis, parce qu'il n'y a pas de recensement sur le nombre d'enfants métis. Parce que nous ne connaissons pas la population totale des Métis, nous ne pouvons pas mettre en œuvre efficacement des programmes pour eux.

Les enfants autochtones placés en famille d'accueil, comme ceux qui ont été placés dans les pensionnats, ne grandissent pas dans leur langue et leur culture et ils sont coupés de leurs familles. Parfois, ils sont victimes de violence. Nous connaissons tous et nous continuons tous d'éprouver les répercussions négatives des pensionnats. Les pensionnats ont fait tellement de tort aux Autochtones que nous estimons qu'il faudra sept générations avant que nous puissions voir une différence. Je crois que nous approchons de la septième génération, parce que nous sommes plus conscients de la situation. L'Association des femmes autochtones du Canada est consciente des problèmes des enfants et veut corriger la situation à tous les paliers de gouvernement pour nos enfants. Je crois qu'en venant vous parler de ces problèmes, nous pouvons peut-être allumer une petite lumière là où il fait noir.

Nous voulons aussi défendre nos enfants qui ne sont pas traités équitablement, car ils sont exposés au harcèlement et aux enquêtes. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada doit déterminer les coûts totaux engendrés lorsqu'on répond aux exigences des politiques associées au programme des services à l'enfance et à la famille pour les Autochtones. Le coût total peut seulement être déterminé après un recensement complet de la population métisse et des enfants et du bien-être de ces derniers. Cette étape est essentielle pour que le changement de politique aide les enfants autochtones de façon appropriée.

J'aimerais parler de l'éducation publique. Je crois que notre système scolaire doit intégrer plus de traditions et de cérémonies du peuple autochtone. Je parle aux enfants de la 6e à la 9e année dans différentes écoles, ainsi qu'aux élèves des écoles secondaires. Ces jeunes ne connaissent rien au sujet du peuple autochtone, absolument rien. Cela m'attriste beaucoup, car le peuple autochtone vit sur ce territoire depuis toujours. Nous ne sommes pas des nouveaux arrivés à qui l'on dit : « Oh, je ne sais pas d'où vous venez ». Nous avons toujours été ici.

Monsieur John Ralston Saul a écrit un livre dans lequel il dit qu'il aurait dû exister — et peut-être que c'est le cas — trois piliers à la fondation du Canada. Les Français sont arrivés et sont surtout restés au Québec, et les Britanniques sont arrivés ensuite. Toutefois, les Autochtones ont toujours été là. Au début, on les a peut-être inclus, car en cas de guerre, ils se battaient aux côtés des Français ou des Britanniques; mais ils étaient là.

Lorsque le Canada est devenu un pays en 1867, on a complètement mis le peuple autochtone de côté. On a adopté la Loi sur les Indiens, qui a posé tellement de problèmes pendant un si grand nombre d'années qu'on songe maintenant à s'en débarrasser. Il faut travailler ensemble en tant que peuple autochtone qui a tellement à offrir. Nous voulons affirmer que nous appartenons à ce pays, nous ne voulons pas seulement moisir dans les réserves. Nous voulons être un peuple qui aime son territoire et nous voulons que le Canada prospère.

Pour cela, nous avons besoin d'éducation publique. Nous devons être présents dans les écoles élémentaires. Hier, je suis allée dans une école élémentaire. Les Mohawks de Six nations ont donné une présentation aux enfants. Tous les petits enfants ont formé un cercle pour regarder un homme vêtu d'un costume traditionnel leur montrer une danse. Une femme a fait la danse du cerceau. Je ne saurai jamais comment elle arrive à manier les cerceaux comme elle le fait, mais elle y arrive. Les enfants étaient tellement tranquilles que vous auriez pu entendre une mouche voler, car ils adoraient le spectacle. Ils sifflaient et applaudissaient; leur joie était évidente. Je me suis dit que c'est ce dont ils avaient besoin. Ils n'ont pas besoin de savoir que les Indiens font « Wou-wou »; ils font cela seulement dans les films.

Si vous vous souvenez seulement d'une seule chose lorsque je serai partie, que ce soit de l'importance d'éduquer l'ensemble de notre peuple — tous ses membres.

Mon dernier point concerne les femmes disparues. Nos filles, nos sœurs et nos mères disparaissent, victimes de violence. La « rafle des années 1960 » et le bien-être des enfants sont liés à la pauvreté et au racisme. Ces conditions lamentables ont entraîné la disparition ou le meurtre de plus de 600 femmes et enfants. Beaucoup sont des femmes métisses, car elles n'ont aucune identité. Personne ne se soucie d'elles.

L'AFAC recommande vivement que tous les gouvernements financent une enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous espérons que toutes les provinces et tous les territoires appuieront nos efforts en vue de résoudre ce problème. Une enquête nationale portera sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées un peu partout au Canada et ses responsables collaboreront étroitement avec l'AFAC, les collectivités autochtones et tous les intervenants, afin de se pencher efficacement sur la violence faite aux femmes et aux filles autochtones, et y mettre fin. Nous encourageons les honorables sénateurs à continuer de s'engager avec l'AFAC et nos associations membres dans les provinces et les territoires, afin de collaborer efficacement avec le gouvernement du Canada dans le but de s'attaquer aux obstacles au bien-être des femmes, des enfants autochtones et de leur famille.

Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président suppléant : Merci beaucoup, madame Hartley, de nous avoir raconté votre histoire personnelle et de défendre les intérêts de l'association des femmes autochtones du Canada.

Le sénateur Campbell : Réussissez-vous à entendre dans l'écouteur?

Mme Hartley : Oui.

Le sénateur Campbell : Vous y parvenez mieux que moi.

Je suis renversé par vos connaissances sur tous les aspects de ce sujet. Ce n'est pas la fin de l'histoire, évidemment, mais vous connaissez tout ce qu'il y a à savoir jusqu'à ce jour. Nous nous penchons sur l'identité métisse et nous essayons de déterminer qui sont les Métis. Nous connaissons le mot « Métis », mais nous ne savons pas qui sont ces gens. J'aimerais vous lire un extrait du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones :

C'est surtout la culture qui distingue les Métis des autres peuples autochtones. De nombreux Canadiens sont de descendance à la fois autochtone et non autochtone, mais cela ne fait pas d'eux des Métis ou même des Autochtones. Certains d'entre eux se disent membres des Premières nations ou Inuits, d'autres Métis et d'autres non Autochtones. Ce qui distingue les Métis des autres, c'est qu'ils s'associent à une culture résolument métisse.

Êtes-vous d'accord?

Mme Hartley : Oui et non. Je peux parler pour le Manitoba, car mon peuple était là-bas. Depuis que je suis enfant, j'ai prêté l'oreille. Avec Louis Riel, soudainement, notre peuple surveillait les frontières et repoussait les Américains. Les Américains savaient que les Métis et les Indiens ne les laisseraient pas venir sur notre territoire. Notre peuple les surveillait.

Lorsque le Canada a décidé de s'approprier les Territoires-du-Nord-Ouest, on a d'abord dit que c'était le Manitoba. Toutefois, il y avait des gens qui vivaient au Manitoba et qui avaient leur propre mode de vie, c'est-à-dire la chasse, la pêche et le jardinage. Les Français ont amené l'Église catholique avec eux. Les Britanniques ont amené l'Église anglicane. Au tout début, certains Britanniques se sont mariés avec des Métis et ils étaient anglicans. Ils étaient de sang mêlé. On a dit aux femmes indiennes qui se mariaient avec des hommes francophones catholiques qu'à l'instant où elles entraient dans une église, elles n'étaient plus indiennes. Elles devenaient des Métis catholiques. Pourtant, on ne peut pas effacer une partie de soi; c'est la façon dont on a été élevé.

Cela a produit des Métis anglicans de sang mêlé. Ils parlaient anglais. Les francophones catholiques parlaient français.

Ce n'est pas tout. Dans l'Ouest, il y avait toutes sortes de tribus. Toutefois, je peux seulement parler de l'endroit d'où je viens. Dans le centre du Manitoba, il y a les Ojibwas, les Saulteaux et les Cris. Si un Blanc marie une femme ojibwa, elle devient une Métis ojibwa. Si une femme crie marie un Blanc, elle devient une Métis crie. Voyez-vous où je veux en venir? Ce n'est pas une approche unique. Vous êtes Métis parce que vous êtes à moitié Autochtone et à moitié Blanc, mais votre culture peut être crie, mohawk ou assiniboine, mon premier peuple.

Ce n'est pas comme les Mohawks, qui sont facilement identifiables; ils sont Mohawks et ils sont tous pareils. Le peuple métis est un mélange, et ses membres sont mélangés avec toutes sortes d'autres tribus. Leur identité est mélangée. Ce n'est pas facile à déterminer.

Je suis un mélange d'Ojibwa et de Saulteaux. Je sais qui je suis. Lorsque je perpétue mes traditions, ce sont les traditions ojibwas et saulteaux. C'est ma partie autochtone.

Je peux seulement parler de moi-même, mais je sais que c'est la façon dont les choses fonctionnent. Votre famille sera celle de la personne que vous épousez. Par exemple, une mère ojibwa enseignera les traditions ojibwas à ses enfants. Même si vous vous joignez à une Église, il y a certaines choses qui font partie de votre identité et qui vous définissent.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup de nous avoir raconté votre histoire. Vous nous donnez, encore une fois, une belle leçon d'histoire à laquelle nous devons tous prêter attention, et je suis certain que tous les sénateurs présents vous sont reconnaissants.

Notre mandat est très simple : examiner, pour en faire rapport, la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada. Parfois, dans le cadre de notre travail de sénateur, le gouvernement nous écoute. Par exemple, le cas de la Commission de la santé mentale du Canada : des sénateurs libéraux et conservateurs ont fait bouger les choses, et des actions ont été entreprises avec la commission, et cetera. Nous avons bon espoir de progresser à cet égard.

En termes simples, comment envisagez-vous cette politique? Quelles sont vos recommandations au sujet de cette étude sur la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada? Avez-vous un bref message qui aiderait à progresser et à faire avancer la discussion?

Mme Hartley : Je pense que les Métis reconnaissent qu'ils sont un mélange : c'est le mélange qui fait le Métis. Nous nous appelons des Métis. Le gouvernement du Canada ne donne pas aux Métis la même reconnaissance — par exemple, par les réserves — qu'aux Premières nations. Les peuples des Premières nations ont des réserves, mais je pense qu'au Canada, il y a à peine deux réserves pour les Métis — l'une se trouve en Alberta. Il n'y en a pas d'autres.

Les Métis sont ici, ils sont là-bas, ils sont partout. Ainsi, il est très difficile d'avoir un groupe de gens qui s'identifient et qui vivent dans la même région, ou qui sont en mesure de le faire.

Par exemple, les gens viennent me voir, car je suis bénévole et je suis connue. Un grand nombre de gens me demandent de venir leur parler. Ils me disent que leur grand-mère était telle ou telle personne, mais ils n'étaient pas censés en parler dans leur famille, alors ils ne savent pas qui ils sont.

C'est une partie de ce qui est arrivé. C'est à cause de la discrimination. De plus, quel bien cela leur faisait-il de déclarer qu'ils étaient Métis? Ils ne récoltaient que plus de discrimination, de racisme, et cetera. Nous avons persévéré, car cela fait partie de ce que nous sommes. Nous sommes Métis.

Le sénateur Munson : Vous avez dit que le mot à retenir de votre message d'aujourd'hui, c'était « éducation ».

Mme Hartley : Oui; l'éducation.

Le sénateur Munson : En ce qui concerne l'éducation, à votre avis, quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer dans l'éducation du peuple métis?

Mme Hartley : L'histoire n'a jamais été écrite. L'histoire canadienne n'a jamais mentionné ce qui est arrivé, et pourquoi il y avait des Métis. Pourquoi ne pouvions-nous pas tous être des Premières nations? Qu'est-ce qui a distingué ces peuples? Était-ce l'église, ou quelque chose d'autre?

John A. Macdonald a dit qu'il fallait laisser les Métis se plaindre et mourir, car ils n'étaient que des vauriens. C'était sa perception : si vous avez du sang mêlé, surtout du sang indien, vous ne valez rien. Lorsque le premier ministre dit quelque chose de ce genre, je pense qu'un grand nombre de gens l'écoutent.

Le sénateur Munson : Cela fait partie de l'histoire; aujourd'hui, c'est le présent.

Mme Hartley : Vous devez connaître l'histoire pour comprendre le présent.

Le sénateur Munson : Vous dites qu'il devrait y avoir plus de programmes financés par le gouvernement fédéral.

Mme Hartley : Absolument.

Le sénateur Munson : Des programmes d'éducation dans les provinces et ailleurs; est-ce bien ce que vous exigez ou demandez?

Mme Hartley : C'est ce que les gens demandent.

Par exemple, je suis membre de la Coalition des peuples autochtones de l'Ontario, dans le nord de la province.

Ses membres ont de la difficulté, car ils ne semblent pas pouvoir obtenir du financement, ni même du financement de base. Je le sais très bien. Je travaille avec des femmes métisses depuis 1995, et je dois aimer les choses difficiles, car je ne m'arrête jamais. Je sais que cela fait une différence; je sais que nous faisons de bonnes choses. Toutefois, nous devons affirmer davantage notre présence, ou nous avons besoin de plus de programmes ou de quelque chose qui amène les Métis au même niveau que tout le monde.

Le sénateur Ataullahjan : Merci de votre exposé. Nous avons entendu parler du taux élevé de diabète chez les Métis. D'après votre expérience, sensibilise-t-on la communauté à ce sujet, surtout les femmes? Cela m'intéresse, car les femmes s'occupent généralement des repas et de la nourriture.

Mme Hartley : Les femmes nourrissent leur famille.

Le sénateur Ataullahjan : Oui. Transmettent-elles ces connaissances à leurs enfants?

Mme Hartley : Oui, vous avez raison. C'est à cause de la pauvreté. Elles ne peuvent pas vraiment nourrir leurs familles de façon appropriée, ce qui empêcherait cette maladie de progresser. Il est important de connaître la maladie et de manger sainement. Le Kraft Dinner ne suffit pas. Un grand nombre de gens en mangent, car ils n'ont pas d'argent pour acheter autre chose.

Les programmes existent, mais personne n'invite les gens à participer à un rassemblement pour parler du diabète. On a laissé ces gens de côté depuis si longtemps qu'il faut pratiquement les saisir par les épaules et leur dire de venir et d'écouter, et c'est ce qu'ils feront.

Il y a beaucoup de va-et-vient dans ma maison, car c'est là où se trouve le bureau de notre cercle des femmes métisses. Je paie le téléphone et le fax, car je pense que nous en avons besoin, mais il n'y a aucun financement. Nous devons faire en sorte que les gens s'intéressent à leur santé. Si vous éduquez les gens, la santé suivra, car ils liront à ce sujet et ils sauront comment faire les choses de la bonne façon. Tout d'abord, il faut qu'ils apprennent ces choses, car s'ils ne les connaissent pas, ils mangeront du pain blanc et toutes ces choses. Au lieu de cuisiner un ragoût, ils vont acheter quelques conserves de soupe avec tout le sodium qu'elles contiennent, et cetera. Nous avons beaucoup de sensibilisation à faire, mais le plus gros problème, c'est la pauvreté.

Le sénateur Raine : Merci beaucoup, et merci, madame Hartley, de nous avoir fait profiter de votre expérience. Vous venez tout juste de nous parler des défis associés à la pauvreté auxquels non seulement les femmes métisses, mais aussi les femmes autochtones, font face aujourd'hui. Toutefois, si vous remontez le temps — vous avez 88 ans —, vos parents vous ont enseigné à travailler dur et à cultiver la terre. Vous n'avez jamais cessé de travailler. À votre avis, est-il bon pour les cultures de s'attendre à ce que le gouvernement fasse des choses pour elles?

Je sais qu'on a besoin d'éducation. Je sais que l'éducation est très importante, mais comment avez-vous été éduquée? Comment avez-vous appris? Comment avez-vous été en mesure d'être si solide et de travailler si fort, encore aujourd'hui, alors que votre peuple semble sans espoir?

Mme Hartley : Depuis que je suis enfant, j'ai toujours participé à tout. Je présume que j'ai eu la chance de profiter de réserves inépuisables d'énergie. Mon père disait toujours que je faisais tout en un clin d'œil.

Je crois fermement que notre peuple refusera de dépendre de l'aide sociale s'il s'instruit. J'en suis persuadée, car personne ne désire vivre ainsi. Ces gens ne doivent même pas se sentir exister.

De plus, il faut redonner la fierté au peuple. Mes parents m'ont toujours dit d'être fière de qui j'étais et de ne laisser personne me dénigrer. J'ai donc grandi en sachant que j'étais à ma place et que tout allait bien. Je savais qu'il fallait travailler. Nous le savions tous, mais je crois que nous nous sommes alanguis au fil des générations. Je trouve la génération d'aujourd'hui égocentrique — c'est le « moi » qui passe en premier. Que m'arrive-t-il? Qui s'occupe de moi? C'était tout à fait différent lorsque j'étais enfant. Nous mettions la main à la pâte sans protester.

Le sénateur Raine : C'est un défi de taille.

Mme Hartley : En effet, et nous devons montrer au peuple comment le surmonter. L'identité est l'un des chaînons manquants.

Le sénateur Raine : Au sujet de l'identité, on dit que la culture des Métis est bien particulière, et qu'elle diffère de celle des Premières nations et des autres groupes autochtones.

Mme Hartley : Je ne trouve pas. Je travaille auprès de Métis et de Premières nations, et tous ceux qui perpétuent la tradition indigène suivent des cérémonies et des coutumes particulières.

Le sénateur Raine : Croyez-vous qu'on devrait tenir un registre du peuple métis? Croyez-vous qu'on devrait dresser une liste? Un tel effort serait-il utile?

Mme Hartley : Si c'est ce qu'il faut faire. Vous devez faire le nécessaire, et si des erreurs ont été commises, vous devez les corriger.

Le sénateur Raine : Si vous aviez des fonds à attribuer, les investiriez-vous dans l'éducation ou dans la tenue d'un registre?

Mme Hartley : J'évaluerais assurément la part du budget que je pourrais investir dans chaque aspect, car les deux sont essentiels. On ne peut tout simplement pas résoudre complètement un des problèmes en laissant l'autre à la dérive, car tout est interrelié.

Le sénateur Raine : À titre d'exemple, un témoin nous a dit que le gouvernement fédéral aurait intérêt à tenir un registre des Métis pour que seuls les membres de la communauté puissent profiter des programmes et des services qui leur sont offerts exclusivement. Ainsi, seuls ceux qui sont véritablement liés à la nation métisse profiteraient à juste titre du financement, et pas tous ceux qui s'identifient comme tels.

Mme Hartley : Je trouve ce genre de mesure inacceptable. Il ne faut pas oublier la rafle des années soixante; ces enfants n'avaient pas la moindre idée de qui ils étaient. Ils l'ignorent toujours, mais certains me disent qu'ils pourraient jurer être autochtones puisque quelque chose les interpelle. Je leur dis de célébrer les cérémonies et de respecter les traditions, de vivre comme ils l'entendent, en écoutant ce qu'ils ressentent au fond d'eux-mêmes, car c'est leur esprit et leur petite voix qui les guident. Je leur dis de faire ce qu'ils doivent faire.

Veuillez m'excuser, mais je ne suis pas d'accord avec l'idée de délimiter les groupes à exclure ou non en fonction d'un simple registre.

Le sénateur Raine : Je crois que vous êtes un bel exemple d'Autochtone vouée à sa culture, à ses racines et à son patrimoine, un savoir que vous transmettez à d'autres. Je vous félicite, et je vous remercie d'être avec nous.

Mme Hartley : Merci beaucoup.

Le sénateur Munson : Vous avez dit être déménagée en Ontario, où vous avez rencontré un homme du nom de Hartley. Par curiosité, quel est votre nom de jeune fille?

Mme Hartley : C'est Huppé.

[Français]

On parle français, vous savez.

Le sénateur Munson : Moi aussi je parle français.

[Traduction]

Le sénateur Munson : C'est intéressant, car j'ai un ami du nom de Bruce Hartley qui a travaillé avec moi au Cabinet du Premier ministre. Il était l'adjoint exécutif de Jean Chrétien.

Mme Hartley : S'appelait-il Brian?

Le sénateur Munson : Non, Bruce.

J'étais curieux, puisque vous avez pointé le portrait de Louis Riel accroché au mur.

Mme Hartley : Oui, car nous sommes parents.

Le sénateur Munson : Nous nous trouvons dans la salle des Autochtones, et le gouvernement porte une attention particulière à la guerre de 1812 — et à juste titre. M. Riel a été pendu...

Mme Hartley : Le 13 novembre 1885.

Le sénateur Munson : Cela fera 125 ans en 2015.

Mme Hartley : En effet.

Le sénateur Munson : Nous voulons investir en éducation, tandis que ce que vous voulez, c'est la reconnaissance. L'histoire montre deux versions différentes de M. Riel, et nous commençons aujourd'hui à comprendre beaucoup mieux ce qu'il désirait pour le pays.

D'après vous, le gouvernement du Canada devrait-il reconnaître Louis Riel lors de l'anniversaire de sa mort en 2015 comme étant une des figures dominantes de notre histoire et un personnage important qu'il faut apprendre à connaître davantage? Le pays devrait-il profiter de son 125e anniversaire de décès pour le reconnaître?

Mme Hartley : Je crois que oui. Il a assurément mis sa vie en danger. Il n'a eu aucune chance lors de son procès, car il n'a pas pu se défendre. Je pense que tout jouait déjà contre lui.

Le sénateur Campbell : J'ai une question. Connaissez-vous les noms Joseph et Marguerite Marcelas Huppé?

Mme Hartley : Certainement, car ils font partie de ma famille.

Le sénateur Campbell : Ils ont vécu vers le début du XXe siècle?

Mme Hartley : Sommes-nous parents?

Le sénateur Campbell : Non. Croyez-moi, vous ne voulez pas faire partie de ma famille. J'ai mené des recherches généalogiques au musée Glenbow, à Calgary, où l'on trouve un recensement de la vallée de la rivière Rouge daté de 1900. Le nom Huppé s'y trouve bel et bien.

Mme Hartley : Il s'agit de la famille de mon père. Les Huppé, les Nault et les Lagimodière se trouvent du côté de mon père. Ma mère vient d'une autre région où l'on retrouve beaucoup d'Aubin et de Beausoleil, qui appartiennent à sa famille.

Le sénateur Campbell : Je vous invite à consulter les archives du musée Glenbow, car tous les noms s'y trouvent.

Mme Hartley : On y apprend même qui a reçu un certificat ou non.

Le sénateur Munson : On y trouve aussi le nom St. Germain.

Le sénateur Campbell : En effet, il y a beaucoup de St. Germain.

Mme Hartley : Oui, ils sont très nombreux.

Le président suppléant : Pour conclure, connaissez-vous la famille de notre cher président, le sénateur St. Germain?

Mme Hartley : Je n'en suis pas certaine.

Le président suppléant : Il est originaire du Manitoba.

Mme Hartley : Je connais les St. Germain. Je les reconnaîtrais peut-être en personne, mais j'ai rencontré tellement de gens... Le nom St. Germain est très présent au sein de la communauté métisse du Manitoba. Les vieilles familles sont reliées les unes aux autres par de nombreuses alliances matrimoniales, et les St. Germain en font partie. Je n'arrive pas à me rappeler d'eux, mais je ne vis plus au Manitoba depuis belle lurette. Je me suis expatriée, en quelque sorte. C'est moi qui suis partie.

Le président suppléant : Je vous remercie infiniment d'être venue témoigner. Vous êtes un des témoins les plus âgés que nous ayons entendus — pour ne pas dire le plus âgé. Nous sommes fort honorés que vous ayez accepté de vous déplacer aussi loin pour nous relater votre expérience.

Mme Hartley : Merci.

Le président suppléant : Vous pouvez maintenant partir. Nous allons prendre une courte pause, après quoi nous écouterons le témoignage de Mme Carri Bourassa, de la First Nations University of Canada.

Mme Hartley : Je vous remercie infiniment de m'avoir écoutée. Je suis ravie d'être venue.

Le président suppléant : Merci.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Carrie Bourassa, de la First Nations University of Canada.

Bienvenue à cette séance du comité, madame Bourassa.

Carrie Bourassa, professeure agrégée, Programmes interdisciplinaires, First Nations University of Canada : Merci beaucoup. Meegwetch.

J'aimerais tout d'abord saluer le territoire algonquin.

C'est avec humilité et honneur que je suis venue vous parler aujourd'hui de cet enjeu fondamental. J'ai prié pour avoir la force de m'exprimer correctement.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les questions entourant l'identité des Métis et la définition du peuple sont controversées. J'en ai discuté avec ma famille, mes parents, mes amis et ma collectivité; je leur ai demandé quels messages je devrais vous transmettre, à Ottawa, et il y en a beaucoup.

J'aimerais commencer par une discussion que j'ai souvent eue avec Clifford LaRocque, mon regretté grand-père adoptif. Ce meneur d'hommes était très respecté au sein de ma communauté. Il connaissait de nombreuses familles métisses. Puisque l'arbre généalogique de bon nombre d'entre nous présente des lacunes, il nous a aidés à rectifier le tir grâce à ses vastes connaissances historiques et généalogiques.

Il se souvenait de l'époque ayant précédé la reconnaissance officielle des Métis par l'article 35 de la Constitution; à l'époque, les Métis et les Indiens non inscrits avaient beaucoup en commun et formaient des alliances pour se faire entendre sur le plan politique. Il m'a rappelé que c'est en raison des dispositions législatives du gouvernement que de nombreuses personnes ont cherché à se faire accepter par la communauté métisse. Même si certains Métis s'y opposaient, bien des collectivités ont accueilli des Indiens non inscrits.

Grand-père Clifford disait : « Nous avons tous été oubliés. Qui suis-je pour dire que ces gens ne sont pas des Métis? Seuls eux peuvent écouter leur cœur. S'ils s'identifient aux Métis, participent à la collectivité, s'approprient notre culture et sont acceptés au sein de notre communauté, alors ils sont bel et bien métis ».

La Commission royale sur les peuples autochtones était du même avis. Elle a remarqué que l'arbre généalogique n'est qu'un des éléments de l'identité métisse. Les facteurs culturels sont d'une importance capitale. L'existence d'un peuple suppose une culture commune. Si une personne se considère comme étant Métis, c'est parce qu'elle s'identifie à la culture du peuple; de même, le peuple métis acceptera une personne au sein de sa communauté uniquement si celle-ci partage sa culture.

Voici ce que le Métis Delbert Majer de la Saskatchewan a dit à la Commission royale sur les peuples autochtones :

Vous savez, ce n'est pas biologique. C'est une question de culture, une question d'histoire, une question de mode de vie. Ce n'est pas l'aspect extérieur qui compte. Ce qui est important, c'est ce qui se passe en vous, dans votre esprit, dans votre âme et dans votre cœur.

Les grands penseurs ont essayé de structurer le débat sur le flou entourant l'identité métisse et la définition de ce peuple. On considère souvent l'identité comme étant personnelle, et on met surtout l'accent sur l'identité culturelle. La généalogie en fait bel et bien partie, mais l'identité est loin de se limiter à une quantité de sang, une mentalité tout à fait colonialiste. L'identité est essentielle à la santé et au bien-être de chacun. Or, celle des Métis a été forgée par des forces externes à bien des égards, et elle continue de l'être.

Par exemple, l'arrêt Powley a eu des répercussions sur les collectivités métisses d'un bout à l'autre du Canada. Le débat du milieu universitaire et de la communauté porte désormais sur la définition d'un « Métis ». Même si l'arrêt n'en propose aucune, il laisse entendre qu'il s'agit d'un peuple distinct d'origine mixte ayant aujourd'hui ses propres coutumes, pratiques, traditions, ayant une identité collective reconnaissable différente de celle de ses ancêtres amérindiens, inuits et européens et, en plus, qui possède une identité collective et qui vit dans une même zone géographique.

L'acceptation par la communauté a toujours été au cœur de l'identité métisse, puisque c'est là que chacun puise sa force. Les collectivités connaissent leurs membres et emploient des méthodes pour les identifier et vérifier leur appartenance à la communauté. On s'intéresse davantage à la définition d'un Métis depuis que le peuple est reconnu par la Constitution. Même si la communauté a toujours beaucoup contrôlé ses membres, la situation se détériore lentement depuis 1982, et surtout depuis l'arrêt Powley. La Cour suprême du Canada a alors confirmé que les Métis constituent un peuple autochtone titulaire de droits. Or, les définitions provinciales et nationales ont commencé à porter non seulement sur l'identité collective, mais aussi sur la situation géographique des Métis, ce qui pose problème puisqu'on les définit rarement en fonction d'un endroit fixe, car le peuple a toujours été nomade.

Voici la définition adoptée en 2002 par le Ralliement national des Métis :

Un Métis est une personne qui se désigne comme Métis, qui se distingue des autres Autochtones, qui descend de Métis de souche, et qui est acceptée par la nation métisse.

Suivant l'arrêt Powley, le ralliement a indiqué sur son site Web que toute revendication d'un droit ancestral en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 devait tenir compte de la définition d'un Métis présentée de l'arrêt. Les critères sont : l'auto-identification comme membre de la communauté métisse; les liens ancestraux avec une communauté métisse historique dont les pratiques fondent le droit revendiqué; et l'acceptation par une communauté actuelle ayant une continuité avec la communauté historique.

En effet, bien des collectivités se basent déjà sur certains de ces critères pour émettre des certificats, mais certaines appliquent aussi des critères différents ou additionnels en fonction des caractéristiques traditionnelles définissant leur identité. Mais depuis l'arrêt Powley, le contrôle des certificats est passé des mains de la collectivité à celles de la province et même du pays. On incite fortement les organismes provinciaux à mettre en place un registre, et la définition d'un « Métis » est désormais plus restrictive.

Il est arrivé que l'organisme provincial refuse d'inscrire les membres de certaines collectivités en raison de critères qui ne sont souvent pas pertinents aux yeux de la collectivité. On a encore une fois imposé une définition externe à la communauté.

La plupart des collectivités métisses sont d'accord avec la tenue d'un registre de Métis, y compris le Conseil métis Riel de Regina auquel j'appartiens, mais elles s'opposent au processus. À vrai dire, bon nombre d'entre elles ont l'impression que le processus est défectueux en raison du manque de participation, d'engagement et de soutien de la communauté. Chez nous, on a l'impression que la collectivité n'a plus le moindre contrôle sur ses membres. On trouve que la collectivité connaît mieux ses membres qu'un généalogiste embauché dans un bureau provincial qui ne comprend pas les caractéristiques traditionnelles de notre identité.

Depuis que la collectivité n'a plus le contrôle, on constate de profondes divisions au sein de la communauté métisse locale. Comme le disait le regretté Howard Adams, nous reprenons le rôle du colonisateur; le colonisé devient le colonisateur — l'opprimé devient l'oppresseur.

Je vais m'arrêter ici. Je vous remercie, et je suis prête à répondre à vos questions.

Le président suppléant : Pourriez-vous nous parler un peu de vous? Vous êtes professeure à la First Nations University. Où enseignez-vous?

Mme Bourassa : J'enseigne les études sur la santé autochtone depuis 10 ans. Je suis professeure agrégée et titulaire. Je suis aussi professeure agrégée de différentes facultés de l'Université de Regina, à savoir les études sur les femmes et les genres, sur la kinésiologie et la santé, et sur l'éducation et les politiques gouvernementales. Je suis plutôt interdisciplinaire.

Je suis également chercheuse principale désignée au Centre de recherche sur la santé des Autochtones, un des neuf centres d'excellence sur la santé des Autochtones qui sont financés par les Instituts de recherche en santé du Canada.

J'ai rédigé un mémoire sur la santé des Métis qui vient d'être publié; le livre s'intitule Métis Health : The Invisible Problem. Je parle d'un « problème invisible » entre guillemets, car on semble croire que les Métis sont en santé. Or, j'ai réussi à prouver — avec très peu de données de qualité — que la santé des Métis n'est pas bonne, et que nous devons nous attarder au problème.

Un chapitre de mon mémoire porte sur l'histoire des Métis. D'ailleurs, le terme « Métis » est assez contemporain. On a donné bien des noms au peuple d'ascendance mixte au fil de son évolution, à la suite des contacts et des règlements historiques.

J'ai un bon ami historien — un véritable livre ambulant sur l'histoire métisse — qui m'a remémoré que les Métis ont souvent été appelés Black Scots, Bois-Brûlés, sang-mêlé et country born. On nous a donné de nombreux noms. Or, nous utilisons désormais un seul terme pour essayer d'englober une population très diversifiée. C'est pourquoi il y a forcément des différends entre nous et aussi entre ceux qui ne font pas partie de la communauté.

Le sénateur Meredith : Madame, je vous remercie infiniment d'être venue comparaître aujourd'hui. Je sais que vous auriez pu continuer, et j'aurais aimé vous écouter. Toutes mes félicitations pour votre livre.

Je trouve essentiel de ne pas perdre de vue les enjeux auxquels les Canadiens sont confrontés, et c'est sous cet angle que j'aborde la question des Métis. Nous avons notamment commencé à étudier les droits, et surtout les droits politiques des Métis en fonction de leur identité. D'après vous, quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer dans la reconnaissance juridique et politique des Métis au Canada?

Mme Bourassa : J'ai rédigé un article sur la question en collaboration avec mon collègue Ian Peach, que vous connaissez peut-être. Il est avocat et professeur de droit à l'Université du Nouveau-Brunswick.

En toute franchise, je crois que le gouvernement fédéral du Canada doit cesser d'essayer de définir la population autochtone, un point c'est tout. Les Premières nations, les Métis, les Inuits — nous sommes sûrement un des seuls pays au monde qui suivent encore cette voie. En Nouvelle-Zélande et en Australie, par exemple, le gouvernement a dit à certains peuples indigènes : « Vous comprenez visiblement qui vous êtes et vous connaissez manifestement vos membres. C'est donc à vous de nous dire qui fait partie de votre communauté; nous l'accepterons, puis nous partirons de là ».

Soyons francs : l'objectif ultime de ces définitions était de favoriser l'assimilation, mais c'est un échec. Si l'on continue à imposer des définitions externes à notre peuple, on ne fera que causer de sérieux problèmes non seulement à l'extérieur de la communauté, mais également au sein de celle-ci.

J'ai cité Howard Adams parce qu'il avait prédit le phénomène en 1970. Il savait que les problèmes persisteraient tant qu'on nous imposerait des définitions externes. C'est désormais au cœur des collectivités métisses.

Je crois franchement que les collectivités connaissent leurs membres. Elles disposent de leurs propres moyens, et elles comprennent la situation. Nous avons nos propres généalogistes et nos propres méthodes. Il y a toujours eu un contrôle au sein des collectivités métisses, mais on ne le reconnaît peut-être pas.

Le sénateur Meredith : Permettez-moi de vous interrompre, madame. D'autres témoins nous ont parlé de langue, de culture, d'auto-identification, et ainsi de suite. Vous croyez que le fait de se désigner comme étant Métis et d'avoir le sentiment d'être Métis devrait constituer un critère, après quoi il faut être accepté par la communauté. Comme le témoin précédent l'a dit, la communauté devrait être celle qui accepte les Métis.

De plus, comment les jeunes réagissent-ils à la sorte de crise d'identité que certains traversent en se demandant qui ils sont et d'où ils viennent? Vous avez parlé de stéréotypes bien ancrés. L'ensemble de la société a traité votre peuple de sang-mêlé et lui a donné bien d'autres noms. Comment les jeunes de la communauté métisse réagissent-ils à ce phénomène?

Mme Bourassa : Je tiens à préciser que mes propos ont été déformés, car je ne pense pas qu'il ne faut aucun critère. Il ne suffit pas de se déclarer Métis; ce n'est pas assez. Je comprends la raison de ce débat; bien des gens ont profité de la situation en s'identifiant comme étant Métis, Inuit ou membre d'une Première nation — peu importe. Je comprends l'origine du problème, mais je vous assure qu'il y a toujours eu des mesures de contrôle, et surtout au sein de la communauté. L'acceptation par la communauté a toujours été essentielle.

Avant l'arrêt Powley et la reconnaissance des Métis par la Constitution, il fallait généralement remplir trois critères pour être Métis, ce que la Commission royale a étudié en profondeur. Dans la plupart des collectivités métisses au Canada, il fallait tout d'abord se déclarer comme étant Métis. Il s'agit là d'un critère puisqu'une telle déclaration était dangereuse à une certaine époque de l'histoire canadienne. Il faut ensuite démontrer son ascendance à l'aide d'un arbre généalogique. En dernier lieu, il faut se faire accepter par la communauté métisse. Voilà quels étaient les critères. Mais depuis, l'acceptation par la communauté a perdu de l'importance. Ce que je dis, c'est qu'il faut redonner un certain contrôle aux collectivités, car c'est ce qui les scinde. Voilà ce que je voulais dire.

Les forces extérieures et la Loi sur les Indiens ont des répercussions sur les Premières nations, mais sur les Métis aussi. En toute franchise, les jeunes vivent une crise. Tout cela est très déroutant pour eux. Lorsque j'essaie d'expliquer en classe les paragraphes 6(1) et 6(2) du projet de loi C-31, des étudiants s'exclament : « Mon Dieu, je comprends maintenant pourquoi ma sœur relève du paragraphe 6(2) et moi, du paragraphe 6(1) ». Ou encore : « Je comprends pourquoi elle est une Indienne non inscrite, alors que je relève du paragraphe 6(2). Ses droits ne sont pas reconnus, mais les miens le sont ». C'est une pure folie. Certaines familles comptent à la fois des Métis, des Indiens non inscrits et des membres des Premières nations.

Qui d'autre doit réfléchir à tout cela? Qui d'autre doit essayer de comprendre et doit respecter des paramètres juridiques avant de se demander qui il est vraiment? Qu'est-ce que l'identité? Est-ce un concept juridique et politique, ou est-ce strictement personnel comme le prétend madame Hartley? Elle a parlé de considérations personnelles et culturelles; c'est ce que nous essayons d'inculquer à nos jeunes, car c'est de là qu'ils tireront une fierté. Il ne suffit pas de cocher la bonne case.

Nos jeunes sont totalement déboussolés et se demandent où est leur place. Bon nombre d'entre nous ne correspondent véritablement à aucune case, ce qui est selon moi à l'origine d'une crise profonde au sein des collectivités. Ma fille de 13 ans respecte la tradition Anishinabe; elle est une jeune femme Métis fière de ses origines. Je l'élève ainsi, mais le jour viendra où elle devra cocher une case. Ce faisant, elle légitimera la puissance colonisatrice, mais si elle ne le fait pas, on lui refusera ce à quoi elle a droit de naissance.

À mon avis, ce sentiment fait boule de neige et découle de l'échec d'une politique d'assimilation qui aurait dû être abandonnée en 1973.

Le président suppléant : Madame, vous avez abordé un des principaux enjeux sur lesquels nous devrons nous prononcer dans le cadre de notre étude. Nous devons évaluer l'admissibilité des Autochtones aux programmes gouvernementaux. J'accepte votre critique sur la méthode actuellement employée afin de définir les Métis, sans parler des autres groupes autochtones, et plus particulièrement sur le fossé qui se creuse par rapport aux collectivités. Or, je dois vous poser la question suivante : que pensez-vous de l'idée de tenir un registre des Autochtones, et surtout des Métis, à condition que l'identification des membres se fasse dans le respect? Qu'en dites-vous?

Mme Bourassa : Je suis pragmatique; je doute fort que vous vous débarrassiez de la Loi sur les Indiens et que vous décidiez de tout changer à la suite de mon témoignage. J'ai discuté de la question avec nos instances dirigeantes métisses, avec qui j'entretiens d'excellentes relations. En effet, je mène des recherches auprès de la Métis Nation of Saskatchewan, et j'ai eu des discussions franches à ce sujet avec ses membres.

Je crois qu'un registre ne doit pas nécessairement être associé à la fois aux certificats et à l'accès aux droits, mais vous pourriez quand même en tenir un. Permettez-moi de revenir en arrière. À l'époque où mon grand-père spirituel était en vie, on pouvait obtenir un certificat local au sein des collectivités. Les certificats étaient ensuite envoyés à l'organisme provincial qui les approuvait. Or, ce n'est plus ainsi; il y a désormais deux processus. J'ai obtenu mon certificat local, mais je sais d'emblée que je ne peux pas être inscrite au registre provincial. Puisque mon mari vient de rivière Rouge, les droits de ma fille sont reconnus. Mes deux filles seront inscrites, mais je sais que je ne le serai pas puisque je ne suis pas originaire du territoire de la nation métisse.

Même si la communauté m'a acceptée, que je détiens le certificat local et que je réponds à tous les critères, je sais que je ne pourrai pas être inscrite au registre. Nous sommes nombreux dans cette situation; je suis loin d'être la seule.

Je crois que nous aurons fait des progrès si la communauté reprend une partie du contrôle, et que les organismes provinciaux reconnaissent les listes de membres plutôt que de demander aux Métis de suivre deux processus afin de s'inscrire au registre. C'était ainsi auparavant.

Je pense que certaines provinces font fausse route en combinant les deux aspects du registre. Je comprends qu'elles tiennent à appliquer certains critères à la lettre, puisque l'inscription s'accompagne désormais des droits ancestraux de chasse, de pêche et de trappage. Toutefois, je pense que certains d'entre nous, et surtout les nombreux citadins, n'arriveront jamais à respecter les exigences de l'arrêt Powley en matière de chasse, de pêche et de trappage.

La plupart d'entre nous veulent uniquement avoir accès aux programmes et aux services offerts aux membres. Il se peut que le droit d'exploitation des ressources fauniques ne s'applique pas à tous, mais vous pourriez très facilement le séparer des droits qui reviennent à tous les membres. Les Autochtones qui le désirent pourront ensuite en faire la demande s'ils se conforment aux critères de l'arrêt Powley, surtout en ce qui a trait à la localisation géographique historique. Je le comprends, mais on ne devrait pas pour autant m'interdire l'accès aux services et aux programmes. C'est ce que je crois.

Si vous privilégiez la tenue d'un registre, je ne crois pas que celui-ci devrait combiner les deux aspects, car vous excluriez ainsi — selon mon estimation — 40 p. 100 de la population métisse actuelle, et peut-être plus, simplement parce qu'il s'agit d'Indiens non inscrits que la communauté a adoptés depuis des générations. Il ne s'agit pas d'une ou deux personnes. Est- ce sensé?

Le président suppléant : Oui. Merci.

Le sénateur Meredith : Madame, vous avez dit que les provinces font fausse route. Leur avez-vous recommandé des façons de rectifier le tir? Que vous a-t-on répondu, le cas échéant?

Mme Bourassa : Je pense que la situation des provinces est délicate. J'ai discuté avec notre président en Saskatchewan, et il se montre très compréhensif. Il saisit le problème et sait que cela scinde nos collectivités. C'est bien connu au sein des instances dirigeantes. Notre directeur régional est au courant lui aussi.

Le sénateur Meredith : Ont-ils les mains liées?

Mme Bourassa : C'est une question d'argent et de temps. C'est d'ailleurs ce qui explique la frustration de nos collectivités, comme je l'ai dit. Le processus a été précipité; il n'y a pas eu suffisamment de consultations, et personne ne nous a écoutés. L'été dernier, on a mené des consultations sommaires auxquelles pratiquement personne n'a pu participer, mais lorsque la communauté s'est exprimée, il était déjà trop tard. D'ailleurs, il ne s'agissait pas de véritables consultations aux yeux de bien des gens. On ne faisait que nous dire en passant qu'on disposait d'un certain budget, qu'on devait dépenser l'argent, et qu'on avait décidé de mettre sur pied un registre. Voilà tout.

À mon avis, nos organismes politiques se font encore une fois forcer la main à bien des égards par des pressions externes. C'est courant au sein des collectivités métisses, car elles reçoivent beaucoup moins d'argent que les Premières nations. Ce n'est pas une critique; loin de moi l'idée de nous opposer les uns contre les autres. Je constate simplement que nos ressources sont moins abondantes.

Lorsque nous recevons des ressources, nous demandons à grands cris à la communauté de les utiliser en fonction des critères établis pour que nous en recevions encore plus. Cette façon de faire a d'énormes répercussions sur le registre de certaines provinces — mais pas toutes. Je crois que la Colombie-Britannique a choisi de répondre différemment aux besoins de ses citoyens métis. Je me trompe peut-être, mais je pense que c'est distinct. Ce n'est pas le cas de toutes les provinces.

Le président suppléant : Ce que vous dites semble juste, compte tenu de ce qu'a dit le témoin précédent au sujet du registre ontarien.

Le sénateur Ataullahjan : Merci, madame Bourassa. Je vais vous poser une question directe. Comment se porte la santé maternelle et infantile au sein de la communauté métisse?

Mme Bourassa : J'aurais vraiment aimé pouvoir vous donner des chiffres exacts. C'est justement un problème, et je suis ravie que vous me posiez la question. Nous sommes la seule communauté pour laquelle il n'existe aucune donnée précise sur les taux de natalité et de mortalité infantile. Personne ne recueille ces données sur nous.

Cela vous semblera atroce, mais j'étais ravie d'apprendre que Statistique Canada allait mener une étude de 10 ans sur la mortalité au sein de notre population, puisqu'il y aurait désormais des données sur notre peuple. Nous faisons partie des populations les moins étudiées qui soient. Vous vous demandez peut-être pourquoi une Autochtone voudrait que son peuple fasse l'objet d'études. En fait, le pouvoir des données nous permettrait de confirmer que les choses ne tournent pas rond. Je sais que nous n'allons pas bien. Nos collectivités vivent dans une pauvreté endémique.

Je peux vous dire ce que je constate au sein des collectivités. Toutes mes recherches portent sur la communauté des Premières nations et des Métis, et rien d'autre. Je n'exclus pas les Inuits, mais je n'ai tout simplement pas eu l'occasion de travailler avec eux. C'est terrible.

Nous avons récemment réalisé, en Saskatchewan, la première enquête provinciale connue sur la santé dans la collectivité, avec l'une de mes collègues, Dre Vivian Ramsden, et la nation métisse de la Saskatchewan. Nous l'avons publiée l'année dernière. Nous avons constaté des taux très élevés d'obésité et de diabète, et des taux élevés d'hypertension artérielle, de cholestérol, de tabagisme et de consommation d'alcool. Toutefois, nous ne voulions pas utiliser une approche selon les déficits, car ce sont des choses que nous savons déjà. Nous le savions, mais il nous fallait ces données pour montrer au gouvernement que nous avons besoin de services et de programmes.

J'ai bien aimé le commentaire que l'on a fait tout à l'heure selon lequel le gouvernement ne peut pas tout faire. C'est tout à fait vrai. Je tiens à vous dire que nous avons adopté une approche fondée sur les atouts; nous nous sommes dit : « Ce sont de mauvaises nouvelles, mais à quoi voulons-nous d'abord travailler? ». Nous voulions célébrer quelque chose, si possible. Nous avons constaté que bien des fumeurs ne fument pas dans leur maison. Nous avons voulu être créatifs. La docteure Ramsden a lancé l'idée d'un programme « Green Light »; nous avons donc remis des ampoules vertes aux familles métisses qui vivaient dans une maison sans fumée, et cette initiative a connu beaucoup de succès chaque fois que nous avons répété l'expérience et, en même temps, nous leur remettions des documents informatifs sur l'abandon du tabagisme.

Notre deuxième phase, qui vient d'être financée, est un programme de soutien des pairs pour la lutte au tabagisme dans la collectivité. Toute la collecte de données dans l'enquête a été faite par les membres de la communauté métisse que nous avons formés, comme pour les activités liées aux ampoules vertes. Cela se fera pour la formation pair à pair. Cela mobilise nos collectivités de façon positive. Les gens sont fiers du fait qu'ils ne fument pas dans leur maison. Nous allons maintenant essayer de nous occuper de la question du tabac, plutôt que de nous laisser envahir par la négativité.

De plus, la nation métisse a un rapport dans lequel on peut se servir de ces données fort nécessaires, mais nous n'avons pas de données exactes.

C'est une très longue réponse à votre question, mais j'essaie de faire valoir que nous n'avons pas de données précises, sur la santé des enfants, par exemple, en particulier pour les Métis. Cela n'existe tout simplement pas.

Le sénateur Ataullahjan : Cela m'amène à ma prochaine question. Vos sujets de recherche comprennent les soins adaptés à la culture et la prestation des services de santé. Qu'est-ce que cela signifie par rapport à la communauté métisse? Les soins seraient-ils différents de ceux qui sont offerts dans les villes et villages canadiens?

Mme Bourassa : Quand je parle de soins adaptés à la culture, je pense principalement au racisme systémique qui sévit dans notre système de soins de santé. Je n'ai pas peur d'en parler, car il existe.

J'ai fait des recherches approfondies dans les collectivités des Premières nations et des Métis, et le principal problème que les gens soulèvent, c'est qu'ils ont le sentiment — encore une fois, je pense que la perception est la réalité — d'être victimes de racisme au sein du système de soins de santé, et qu'ils en souffrent. Cela touche les soins qu'ils reçoivent, leurs rendez-vous médicaux, les services à l'hôpital, le fait d'avoir un médecin régulier, et toutes ces choses que bien des gens tiennent pour acquises. Pour moi, les soins de santé respectueux des valeurs culturelles, cela veut dire que les membres des Premières nations, les Métis et les Inuits peuvent avoir accès à des soins d'une façon sûre et qu'ils n'ont pas le sentiment d'être victimes de discrimination à leur point de contact, peu importe l'endroit.

Le sénateur Raine : Merci beaucoup, madame Bourassa. Vous nous avez offert une perspective très intéressante. Je vois que le sujet vous passionne et que vous avez beaucoup d'expérience dans ce domaine.

Il y a deux choses qui m'intéressent. D'abord, si vous dites que de passer par un organisme provincial n'est pas la bonne façon de renforcer l'identité des Métis et que cela devrait se faire dans la collectivité, alors n'est-il pas vrai qu'il y a beaucoup de Métis qui ne font pas partie d'une collectivité sur le plan géographique? Qu'arriverait-il, selon vous, si vous vouliez laisser de côté les registres provincial et fédéral et le faire au niveau de la collectivité? Comment vous y prendriez-vous?

Mme Bourassa : Je ne pense pas nécessairement qu'ils seraient laissés de côté. Je les vois davantage dans les collectivités, comme auparavant. Ces organismes provinciaux et fédéraux sont issus de la collectivité. Les collectivités les tenaient responsables de leurs actions. Elles tentent de les tenir responsables de leurs actions. Nous devons nous rappeler que ces organismes sont des organismes communautaires. Cela s'est perdu depuis qu'il y a eu d'énormes pressions, surtout depuis l'affaire Powley.

Je crois qu'il y a une certaine pression pour restreindre la définition de Métis afin que le gouvernement ne soit pas responsable d'autant de gens. C'est ce que je pense.

Le sénateur Raine : Retenez bien cela. Je pense que vous l'avez très bien expliqué. Bien sûr, vous pouvez comprendre que les budgets sont restreints partout.

Mme Bourassa : Évidemment.

Le sénateur Raine : Pour ce qui est des services et des programmes ayant des ressources financières limitées, leur accès devrait-il être contrôlé au niveau de la collectivité ou de la province?

Mme Bourassa : Je crois qu'il peut l'être au niveau de la province, avec la participation de la collectivité. Je pense simplement qu'on a perdu l'aspect communautaire. J'aimerais que cela soit renforcé. La plupart des organismes provinciaux le voudraient aussi. Je n'essaie aucunement de les blâmer. Ils subissent d'énormes pressions et doivent atteindre des cibles et respecter des échéances. Ils n'ont pas beaucoup de choix. J'ai parlé avec beaucoup de directeurs régionaux, et ils le savent. Nous n'avons pas de conversations agréables. Nous ne parlons que des pressions qu'ils subissent. Je compatis avec eux.

Je ne voudrais jamais occuper une charge publique. Ils comprennent qu'ils servent les collectivités, mais la voix de la collectivité se perd, et ce n'est pas leur faute. Je pense vraiment que cela vient de la pression du gouvernement pour restreindre la définition de Métis, et qu'ils ont un peu les mains liées.

Le sénateur Raine : Nous avons eu une rencontre très intéressante dans cette pièce, il y a plusieurs mois, avec les Samis de Norvège. Connaissez-vous les Samis et savez-vous comment leur communauté est définie et organisée?

Mme Bourassa : Oui. Je ne suis pas une experte, mais ils ont visité notre campus, et nous avons discuté avec eux.

Le sénateur Raine : Il m'a semblé que c'était d'une façon très positive. Je leur ai demandé comment on détermine si on est un Sami. Ils ont dit que si l'on se sent comme un Sami, on peut dire qu'on est un Sami. Ils ont des droits autochtones pour la garde de troupeaux de rennes et des droits de pêche.

Quand je leur ai demandé s'ils avaient d'autres droits, ils ont été un peu surpris. Ils ont affirmé que les Norvégiens ont un bon régime social et que tout le monde devrait être traité de la même façon, que l'on soit Sami ou non. L'accès aux services sociaux devrait être le même. J'ai trouvé cela très intéressant.

Mme Bourassa : Vous soulevez un bon point. Dans un monde idéal, si nous avions un système équitable, ce serait le cas. Je ne crois pas que le processus d'assimilation et de colonisation ait été aussi important en Norvège. Je ne veux le diminuer d'aucune façon.

Malheureusement, au Canada, nous constatons les effets intergénérationnels de la colonisation; nous faisons donc constamment du rattrapage. Nous avons d'énormes lacunes en matière d'éducation et d'emploi. La pauvreté est encore très importante, et cela se traduit par une dégradation de l'état de santé des gens. Le problème, c'est qu'il est très difficile d'atteindre cette équité alors que nous accusons autant de retard.

Le sénateur Raine : Lorsqu'on est pauvre, que l'on soit non autochtone, métis ou autochtone, on est tout de même pauvre, et les programmes devraient être accessibles à tous.

Mme Bourassa : Vous avez raison. Ils devraient être offerts à tous. Le problème, c'est lorsqu'on est pauvre et qu'on est une femme métisse; on est alors confrontée à ce qu'on appelle parfois un « triple obstacle », car il existe ici une importante discrimination systémique. Les gens n'aiment pas en parler. Nous aimons toujours dire que le Canada est une grande nation et que le racisme n'existe pas ici, mais il existe.

Je dois vous le dire, encore et encore, même les professionnels et les médecins avec qui je travaille reconnaissent que le racisme systémique existe et qu'ils ignorent comment y faire face. Ils ne savent pas comment le déconstruire.

Le sénateur Raine : Je me dis souvent qu'en éducation, nous avons deux problèmes. Il faudrait d'abord faire correspondre les niveaux d'éducation des Autochtones et des Métis aux normes nationales, mais nous avons aussi un énorme travail de sensibilisation à faire auprès des non Autochtones en ce qui concerne la culture et le patrimoine autochtones, dont nous devrions être très fiers. Ce sont des éléments relativement peu connus des Canadiens.

Mme Bourassa : Je suis très heureuse de vous l'entendre dire. L'automne dernier, dans mon cours intitulé Indigenous Health Studies 100, j'ai enseigné à 300 infirmières, et c'est la première fois que ce cours est obligatoire dans un programme de sciences infirmières.

J'enseigne depuis 13 ans et je n'aime pas parler de blâme ni de culpabilité. Nous ne pouvons pas refaire le passé. Personne ne peut revenir en arrière et, d'un coup de baguette magique, changer le passé. Je crois fermement que nous sommes tous ici, sur l'île de la Tortue, pour rester. Il nous faut apprendre à cohabiter, à rebâtir les ponts et à aller de l'avant. Nous devons aussi connaître notre histoire, d'où nous venons, afin que nous puissions tous comprendre la situation dont nous parlons.

J'en ai discuté avec les infirmières et je dirais qu'au moins 70 p. 100 de la classe n'avait jamais entendu parler des pensionnats et ignorait ce que sont les traités. Cela m'a sidérée. Elles ont réagi en partie avec colère et réticence, parce qu'elles se sentaient trahies qu'on ne leur ait jamais appris cela. Qui suis-je pour leur raconter ces choses?

Au fil du temps, durant le semestre, à mesure qu'elles se faisaient à l'idée, je leur ai parlé du cycle du deuil et de la façon de gérer les émotions. C'est presque comme le deuil. La plupart d'entre elles ont pu l'accepter et m'ont dit : « Je comprends maintenant pourquoi nous devons apprendre cela, pourquoi cela va m'aider dans ma profession ». Cependant, au début, c'était difficile pour elles, et elles ressentaient beaucoup de colère. Elles m'ont demandé pourquoi elles n'apprenaient cela qu'à leur première année d'université.

Le sénateur Raine : Vous venez de la Saskatchewan, et je dirais que cette province devance, et de loin, le reste du pays pour ce qui est d'affirmer que « nous sommes tous des peuples visés par un traité ».

Mme Bourassa : Je suis d'accord. Nous sommes censés avoir l'éducation obligatoire sur les traités. L'une de mes étudiantes est retournée dans son village natal et a demandé à son directeur d'école pourquoi elle n'avait pas reçu l'éducation sur les traités. Il l'ignorait; il s'est donc adressé au conseil scolaire. Cette année, le petit frère de l'étudiante fréquente la même école secondaire, et les élèves reçoivent l'éducation sur les traités.

Le sénateur Raine : Merci beaucoup. Vous avez du pain sur la planche, mais je sais que vous êtes à la hauteur.

Le président suppléant : Je crois que vous nous avez beaucoup aidés à comprendre l'un des principaux enjeux sur lequel nous devons nous pencher. Merci beaucoup. Nous connaissons également les publications que vous avez mentionnées, et elles seront très utiles à nos attachés de recherche dans le cadre de nos travaux.

Mme Bourassa : Merci.

Le président suppléant : Je tiens à tous vous remercier et, puisqu'il n'y a pas d'autres questions, je vais lever la séance.

(La séance est levée.)


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