Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 23 - Témoignages du 1er octobre 2012
VANCOUVER, le lundi 1er octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 3, pour examiner la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada et en faire rapport.
Le sénateur Lillian Eva Dyck (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui écoutent sur CPAC ou sur le web cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et la vice-présidente du comité.
C'est avec grand plaisir que nous avons entrepris une série d'audiences et de missions d'enquête, qui nous ont fait sortir d'Ottawa. Nous sommes allés au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest pour rencontrer des Canadiens et, plus particulièrement, des Métis canadiens. Nous effectuons ces déplacements dans le cadre d'une étude sur l'identité des Métis. Nous sommes très impressionnés par votre grand engagement auprès de la communauté métisse et nous vous sommes reconnaissants d'avoir fait l'effort de venir témoigner devant nous aujourd'hui. En fait, nous devons d'abord et avant tout être très attentifs à ce que vous avez à dire et vous poser des questions.
Le mandat du comité consiste à étudier les mesures législatives et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada, de façon générale. Aujourd'hui, nous nous pencherons sur des enjeux touchant les Métis, plus particulièrement en ce qui concerne la reconnaissance juridique et politique des droits collectifs et de l'identité des Métis au Canada.
Avant de commencer, j'aimerais vous présenter les membres du comité qui sont présents ce matin : le sénateur Salma Ataullahjan, de l'Ontario, le sénateur Nancy Greene, de la Colombie-Britannique, et le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut.
Chers collègues, je vous prie de vous joindre à moi pour accueillir notre premier groupe de témoins. De la Métis Nation of British Columbia, nous accueillons le président, Bruce Dumont, et Laurel Katernick, directrice des enregistrements. Nous recevons également Victoria Pruden, vice-présidente de la Métis Nation of Greater Victoria.
Nous avons hâte d'entendre vos déclarations, qui seront suivies par les questions des sénateurs. Nous vous prions d'être assez brefs et de vous en tenir à des observations concises mais qui en disent long, si vous le pouvez. Vous pouvez commencer.
Bruce Dumont, président, Métis Nation of British Columbia : Bonjour.
[Le témoin s'exprime en tanishi.]
Bienvenue en Colombie-Britannique et à la Métis Nation of British Columbia, qui est l'organisme de réglementation pour la Colombie-Britannique. C'est un plaisir de vous revoir après notre rencontre à Batoche. Nous avons passé ensemble quelques heures fort agréables. Je vous remercie de m'avoir invité pour discuter des Métis de cette région et de partout au pays.
Le sénateur Gerry St. Germain a assisté à notre assemblée ce week-end. Pour souligner le service qu'il a rendu au Canada et aux Métis de partout au pays, nous lui avons décerné l'Ordre métis de la ceinture fléchée. C'est une ceinture fléchée que nous avons commandée et que nous ne remettons qu'à certaines personnes pour le dévouement dont elles font preuve à l'endroit des Métis et les services qu'elles rendent à notre peuple.
Je vais parler tout d'abord de l'arrivée des Métis dans la province de la Colombie-Britannique à la fin des années 1700. Les Métis ont commencé il y a très longtemps à quitter les Prairies. Il y a notamment eu l'expédition menée par James Sinclair où des Métis ont quitté la Saskatchewan et traversé les Rocheuses pour se rendre dans le Sud-Est de la Colombie-Britannique, le Montana, l'État de Washington et l'Oregon. Ils avaient l'intention de devenir agriculteurs. La plupart d'entre eux ont fini par retourner en Colombie-Britannique et en Alberta, et certains ont regagné la Saskatchewan.
Comme vous le savez, on nous connaît comme étant les descendants de la traite des fourrures. À l'époque de la Compagnie du Nord-Ouest et de la Compagnie de la Baie d'Hudson, nous traversions les voies navigables de la Colombie-Britannique et participions activement à la traite des fourrures.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Katernick pour qu'elle ajoute quelques mots.
Laurel Katernick, directrice des enregistrements, Métis Nation of British Columbia : C'est un plaisir et un honneur d'avoir été invitée pour vous fournir de l'information sur la Métis Nation of British Columbia, ou MNBC, et sur l'identité des Métis dans la province de la Colombie-Britannique. Je suis Laurel Katernick et j'occupe le poste de directrice des enregistrements à la Métis Nation of British Columbia depuis environ huit ans.
La Métis Nation of British Columbia a reçu du financement du Bureau de l'interlocuteur fédéral pour établir un processus permettant d'identifier et d'enregistrer les Métis dans la province de la Colombie-Britannique. À l'automne de cette année, la Métis Nation of British Columbia a officiellement créé un registre central pour identifier et enregistrer les citoyens et les exploitants métis. Après que la décision Powley a été rendue à l'été 2003, on a pris conscience de l'importance d'avoir un registre central pour identifier les titulaires de droits métis en vertu de l'article 35. La notion de Métis à l'article 35 n'avait jamais été définie jusqu'à ce que la décision Powley soit appliquée. L'article 35 vise à protéger les pratiques qui sont d'importance historique pour les communautés métisses et qui continuent de faire partie intégrante de la culture métisse.
Avant la décision Powley, l'identification des Métis était effectuée par les communautés, mais n'établissait que l'appartenance d'un Métis à une communauté. La décision Powley a permis non seulement de définir à l'article 35 qui sont les Métis, mais aussi d'affirmer que ce groupe détient un droit autochtone. Dans la décision Powley, on signale qu'il est urgent d'élaborer une méthode plus systématique pour identifier les titulaires de droits. La cour a ciblé quatre grands critères pour l'identification des Métis. Ces critères sont essentiels à l'identification des Métis pour le registre central de la Métis Nation of British Columbia : l'auto-identification, le lien ancestral à une communauté métisse, l'acceptation par une communauté métisse actuelle et la singularité par rapport à d'autres peuples autochtones.
Comme je l'ai déjà mentionné, le registre central de la Métis Nation of British Columbia est responsable de compiler et de tenir à jour une base de données des citoyens métis qui sont enregistrés dans la province de la Colombie- Britannique. Cette base de données est fondée sur l'exigence établie par la Cour suprême du Canada dans la décision Powley qu'elle a rendue en 2003, et ce, conformément à la définition nationale établie par notre organisme de réglementation national, le Ralliement national des Métis, en 2002.
Je veux vous expliquer un peu les tenants et aboutissants du processus que les personnes qui figurent dans le registre central de la Métis Nation of British Columbia doivent suivre pour devenir officiellement des citoyens métis dans la province de la Colombie-Britannique. Le registre central est ce que nous appelons le processus des données objectivement vérifiables qui appuie la voix collective des Métis de partout au pays. Le personnel chargé du registre aide les demandeurs à remplir leur formulaire, qui est ensuite envoyé à l'administration centrale, au Bureau du registraire provincial, aux fins de vérification généalogique et d'acceptation par la communauté. Nous ne vérifions pas seulement le lien ancestral avec la communauté, mais aussi le lien avec la communauté actuelle. Les demandeurs qui répondent aux quatre critères énoncés dans la décision Powley et dans la définition nationale seront approuvés et enregistrés en tant que citoyens métis dans le registre central de la MNBC.
Il est important de signaler aux demandeurs qui ne répondent pas aux quatre principaux éléments de l'identification des Métis de s'enregistrer auprès de la Métis Nation of British Columbia. On leur offre un mécanisme de recours par l'entremise du corps judiciaire du Sénat de la MNBC. Si nous ne sommes pas en mesure d'approuver un demandeur, ce dernier dispose d'un processus de recours et peut en appeler de la décision au Sénat de la MNBC s'il estime qu'une erreur a été commise concernant la vérification généalogique, l'acceptation par la communauté ou l'aspect procédural du processus.
J'ai décrit tout à l'heure les quatre critères que nous examinons au registre central. Là encore, le registre central de la MNBC vérifie les quatre critères. Le formulaire de demande permet de faire l'auto-identification et la généalogie fournie permet d'établir si la personne a un lien ancestral à la communauté métisse. Par ailleurs, tous ceux qui font une demande à la MNBC pour être enregistrés au registre central en tant que Métis dans la province de la Colombie- Britannique sont soumis au processus de vérification. Le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord du Canada vérifie que les demandeurs ne figurent pas au registre des Indiens et qu'ils n'ont pas de demande en attente. Le dernier et quatrième critère est celui de l'acceptation par la communauté. La Métis Nation British Columbia compte 35 communautés métisses reconnues dans la province.
Je suis très heureuse d'annoncer que depuis la mise en oeuvre du registre central à l'automne 2004, la MNBC compte un peu plus de 75 000 citoyens enregistrés qui respectent les quatre critères énoncés dans la décision Powley — pardon, je voulais dire 7 500. Ce serait fantastique si c'était 75 000.
Le sénateur Patterson : C'est un vœu pieux.
Mme Katernick : Je vais trop vite.
Cela signifie qu'ils ont rempli les quatre critères dont on a parlé tout à l'heure. Ils peuvent ainsi participer comme candidats et électeurs aux élections de la MNBC et peuvent prendre la parole et voter à nos réunions annuelles sur la gouvernance.
La MNBC est l'organisme reconnu au provincial et au fédéral pour représenter les Métis en Colombie-Britannique ainsi que les 60 000 Métis auto-identifiés que l'on a répertoriés lors du recensement de 2006. Ainsi, la MNBC donne accès à des programmes provinciaux et fédéraux qui s'adressent aux Métis, et plus particulièrement à la Stratégie fédérale de formation pour les compétences et l'emploi destinée aux Autochtones, la SFCEA, qui sont destinés à tous les Métis auto-identifiés de la province de la Colombie-Britannique.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, la MNBC appuie l'enregistrement des citoyens métis, mais reconnaît également l'importance que les Métis dénombrés aient accès à des programmes et services gouvernementaux. L'avantage de l'enregistrement sur le dénombrement, c'est que l'enregistrement permet au registre central de mener un processus des données objectivement vérifiables et de veiller à ce que les gens respectent les quatre critères énoncés dans la décision Powley et la définition nationale. Le dénombrement met toutefois l'accent sur l'auto-identification aux dépens des trois autres critères établis dans la décision Powley et la définition nationale.
J'aimerais maintenant céder la parole au président Dumont.
M. Dumont : Je vais parler de la gouvernance de la Métis Nation of British Columbia. Notre structure de gouvernance comporte trois volets dans la province de la Colombie-Britannique et partout au Canada. Nous avons le Ralliement national des Métis, qui est l'organisme de réglementation national et fédéral qui représente les Métis sur la scène nationale et internationale. Nous avons les gouvernements métis provinciaux tels que la MNBC, dont j'ai été élu président. La MNBC est le représentant reconnu des Métis de la Colombie-Britannique. La MNBC a un conseil d'administration responsable des citoyens métis en Colombie-Britannique. Ce conseil est élu pour un mandat de quatre ans. Nous venons de terminer notre processus électoral à la mi-septembre de cette année.
Les 35 communautés reconnues en Colombie-Britannique constituent le troisième volet de la gouvernance. Ces communautés reflètent souvent la structure organisationnelle provinciale de la MNBC, mais sont axées sur les localités. Chaque communauté reconnue élit un président pour la représenter au provincial à la Métis Nation Governing Assembly.
À l'échelle provinciale, la MNBC a une structure de gouvernance distincte qui comprend un organe législatif, un organe commercial, qui est le secrétariat, un organe judiciaire et un organe de gouvernance. Je vais parler brièvement des rôles et des responsabilités des quatre organes de la gouvernance de la MNBC.
Les éléments législatifs sont la MNGA, à savoir la Métis Nation Governing Assembly, les présidents élus des communautés reconnues. En tant qu'assemblée, les présidents sont responsables de procéder à la première lecture des projets de loi. Si la MNGA approuve le projet de loi, ce dernier est alors examiné à l'assemblée générale annuelle, qui vient d'avoir lieu, pour être étudié en deuxième lecture et être approuvé. Dans la plupart des cas, les résolutions sont examinées à l'assemblée générale annuelle et sont ensuite ratifiées. Si elles ne le sont pas, elles sont présentées de nouveau à la MNGA.
L'élément judiciaire est le Sénat de la MNBC. Le Sénat est saisi des litiges. Il entend ordinairement les appels relatifs à la citoyenneté. Par conséquent, si le registre central ne peut pas vérifier le lien du demandeur à une communauté métisse et que le demandeur estime être en droit d'être enregistré en tant que citoyen métis au sein de la MNBC, le Sénat tiendra une audience pour déterminer si la MNBC a commis une erreur.
L'élément commercial est le secrétariat, à savoir la Métis Provincial Council of British Columbia. La MPCBC est une société qui a été créée par les Métis de la Colombie-Britannique en vertu de la Loi sur les sociétés pour qu'elle s'occupe des affaires et des fonctions administratives de la Métis Nation of British Columbia.
La structure de gouvernance de la MNBC est constituée d'un conseil d'administration dont les membres sont élus au provincial et de conseils de gouvernance régionaux qui sont responsables des communautés et présidés par un directeur élu à l'échelle régionale qui siège au conseil d'administration de la MNBC. Comme on l'a mentionné tout à l'heure, les communautés métisses reconnues, par l'entremise de leurs présidents élus à l'échelle locale, contribuent également à la gouvernance. En outre, les femmes et les jeunes sont représentés au conseil d'administration provincial, au conseil de gouvernance régional et dans les communautés métisses reconnues. Les femmes et les jeunes sont donc représentés et les directeurs régionaux élus et les présidents élus des communautés reconnues le sont aussi.
Compte tenu de notre structure de gouvernance, la MNBC est réellement démocratique et représentative des Métis. Elle rend également des comptes aux citoyens métis de la province. Par ailleurs, la MNBC est non discriminatoire car un Sénat métis s'assure qu'un mécanisme est en place pour régler les griefs entre les Métis de la Colombie-Britannique et la MNBC.
Pour la gouverne des sénateurs, j'ai inclus des copies de notre structure législative et de gouvernance ainsi que de notre organigramme, que nous vous ferons parvenir par courriel.
Je vais maintenant céder la parole à Victoria.
Victoria Pruden, vice-présidente, Métis Nation of Greater Victoria : Bonjour à tous.
[Le témoin s'exprime en métchif.]
Mon nom anglais est Victoria Pruden. Je vous remercie énormément de m'avoir invitée aujourd'hui pour représenter ma communauté, la Métis Nation of Greater Victoria. La communauté que je représente en ma qualité de vice- présidente est en grande partie constituée de Métis qui résident actuellement sur l'île de Vancouver, mais qui vivaient à l'origine en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba.
Je voulais simplement vous décrire mes origines métisses. Je suis issue des familles Delorme, Pruden, Falcon et Landry, qui vivaient initialement à Red River, mais qui se sont installées en Saskatchewan, à Meadow Lake, à Batoche et à Cochin, au nord de North Battleford.
Je me prononcerai surtout ce matin en faveur du règlement de la question des survivants métis des pensionnats indiens, et plus particulièrement les survivants du pensionnat de l'Île-à-la-Crosse. J'ai eu le plaisir cette année de coanimer la conférence sur les Métis qui ont fréquenté les pensionnats indiens, qui a eu lieu en mars. Ce fut émouvant et déchirant d'entendre un grand nombre d'aînés et de membres de notre peuple raconter les traumatismes et les actes de violence sexuelle, émotive et physique qu'ils ont subis, ainsi que les témoignages de personnes comme moi, qui sont les enfants et les petits-enfants de ces victimes qui ont fréquenté l'école de jour ou le pensionnat à l'Île-de-la-Crosse. Je suis certaine que vous avez entendu le témoignage de bon nombre de ces survivants et que vous savez qu'ils attendent toujours patiemment le règlement de la question. Il est très décevant que l'on ne reconnaisse pas ce qu'ils ont vécu dans ces pensionnats.
En tant que femme touchée par ce problème multigénérationnel...
[Le témoin s'exprime en métchif.]
... je vous exhorte à reconnaître cet état de fait et surtout à faire preuve de compassion et d'humanité à l'égard de ceux qui ont fréquenté les pensionnats et les écoles de jour et à leur offrir du soutien, des programmes, des services adéquats.
J'ai travaillé pendant 15 ans pour lutter contre la violence envers les femmes, tant métisses que non autochtones et, tout comme les membres de nos communautés, je crois que les problèmes identitaires, les cas de violence familiale, la victimisation, l'éclatement des familles et l'appauvrissement des compétences parentales font partie des traumatismes associés à la violence envers les femmes. L'abolition de la Fondation autochtone de guérison et le manque d'accès à des services de traitement des traumatismes nous font tort. Contrairement à nos pairs issus d'autres Premières nations, nous n'avons pas accès aux consultations psychologiques et aux séances de traitement des traumatismes offertes par l'entremise de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits. Le manque d'accès à de tels programmes nuit énormément à notre peuple.
À la conférence sur les pensionnats qui a eu lieu à Saskatoon cette année, nos délibérations nous ont permis de dégager plusieurs priorités, la plus importante étant de reconnaître ce qu'ont vécu les Métis qui ont fréquenté les pensionnats indiens. Nous avons eu le privilège d'entendre le premier ministre prendre un engagement personnel auprès de ceux qui ont fréquenté le pensionnat de l'Île-de-la-Crosse. Il est difficile de décrire à quel point nous sommes déçus d'entendre le chef du pays prendre cet engagement, étant donné que rien n'a encore été résolu à ce jour. L'une des priorités que nous avions relevées consistait à aider les victimes à surmonter les traumatismes qu'ils ont subis et à élaborer un plan visant à atténuer les répercussions intergénérationnelles causées par les traumatismes liés aux pensionnats indiens, et plus particulièrement pour les Métis.
Je tiens à vous signaler que même ici, dans la magnifique ville de Vancouver en Colombie-Britannique, nous sommes nombreux à avoir subi les contrecoups de ce qu'ont vécu ceux qui ont fréquenté le pensionnat de l'Île-de-la-Crosse. Nous nous sommes mariés, avons déménagé et fait notre vie, mais nous subissons les conséquences de ce qui s'est passé à ce pensionnat, même en étant à des kilomètres de là, en Colombie-Britannique. Il faut absolument régler ce problème d'une façon ou d'une autre.
Je vais conclure sur quelques réflexions. En Colombie-Britannique, près de 800 enfants métis sont sous la tutelle du ministère du Développement des enfants et de la famille. La plus récente étude sur les cas de violence et d'exploitation sexuelles chez les femmes métisses, qui a été réalisée par l'Organisation nationale de la santé autochtone et la Métis Nation of British Columbia, a révélé que la difficulté à s'identifier en tant que Métis constitue le principal indicateur de risque de violence et d'exploitation sexuelles. Je voulais simplement vous signaler ce fait étrange. Dans nos communautés et notre milieu professionnel, je pense que nous pouvons voir la corrélation qui existe entre les traumatismes non résolus, les problèmes identitaires, l'appauvrissement des compétences parentales et les effets socioéconomiques. Si je ne m'abuse, les indicateurs sociaux ne sont pas étrangers aux traumatismes non résolus tels que ceux qu'ont subis les survivants des pensionnats indiens métis. C'est en gros ce que je voulais vous dire aujourd'hui. Je remercie encore une fois les membres du comité d'avoir envisagé ce matin de m'ajouter à la dernière minute à la liste des intervenants.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Voulez-vous faire une autre observation, monsieur Dumont?
M. Dumont : Oui. Notre rencontre à Batoche a-t-elle été enregistrée ou consignée quelque part?
La vice-présidente : Non. Nous avons des notes, mais ces délibérations ne sont pas du domaine public. Un enregistrement et une transcription de la présente réunion seront disponibles. Notre attaché de recherche a pris des notes, mais elles ne sont pas affichées. Le comité a accès à ces notes, mais un enregistrement de la réunion d'enquête n'est pas accessible à la population en général.
M. Dumont : Je vais réitérer mes antécédents : ma mère est née à Onion Lake et est d'origine crie et écossaise et mon père est né en Alberta et est d'origine crie et française. On pourrait donc dire que ma mère est de sang-mêlés et que mon père est Métis, mais on nous a toujours qualifiés de « sang-mêlés ». Pour en dire un peu plus long sur les pensionnats indiens, je suis née en 1944 et j'ai quatre frères et sœurs qui sont plus âgés que moi. Ma mère a veillé à ce qu'on ne nous envoie pas dans un pensionnat indien. Nous nous sommes beaucoup déplacés les premières années. Ma mère étant une bonne mère qui protégeait ses enfants, elle ne faisait pas d'excès, à part fumer une cigarette par jour avant d'aller au lit. Nous lui serons toujours reconnaissants de ce qu'elle a fait pour nous.
Nous étions des road allowance people. Nous avons vécu 12 ans dans des réserves routières au centre de l'Alberta. Nous y avons vécu illégalement et ma mère et mon père gagnaient leur vie dans l'industrie forestière. Nous avons quitté les réserves routières en 1941. Mon frère aîné n'était encore qu'un bébé à l'époque. Mes parents avaient quatre enfants et ont beaucoup marché. Lorsqu'ils se sont mariés en 1937 à St. Paul, en Alberta — qui était anciennement St. Paul des Métis —, ils ont parcouru à pied le trajet qui sépare Onion Lake et Goodridge, en Alberta, et se sont installés à Beaver River, juste aux limites de l'établissement métis de Kikino. Ce n'était pas un établissement à ce moment-là, mais c'en était devenu un lorsque mes parents sont partis. Du côté paternel également, je suis l'arrière-petit-fils d'Isidore Dumont et l'arrière-petit-neveu de Gabriel Dumont. Notre famille vient de Duck Lake. Bien entendu, Isidore Dumont a été le premier Métis à être tué durant la résistance de 1885. L'histoire de notre famille remonte à très loin.
J'ai déménagé en Colombie-Britannique en 1972. Cela fait 40 ans que je vis ici. Je suis Métisse de naissance car l'anglais était la deuxième langue de mes parents. Ils parlent tous les deux couramment le cri, l'un le cri des bois et l'autre, le cri des Prairies. Après être déménagée ici, j'ai élevé mes quatre enfants. Ils connaissent tous leurs origines et possèdent leur carte de citoyenneté de la Métis Nation of British Columbia. Je pense qu'il est très important de savoir que l'article 91.24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ont rendu le gouvernement fédéral responsable des Métis. En tant que l'un des peuples autochtones distincts du Canada, on ne cesse de nous ballotter entre les lois provinciales et les lois fédérales et je pense qu'il est grand temps qu'on nous reconnaisse en tant que peuple autochtone du Canada qui relève du gouvernement fédéral. Ce sont les combats que nous menons. Nous tentons d'obtenir une reconnaissance et du soutien car nos membres sont marginalisés partout au Canada, que ce soit pour les soins de santé, l'éducation, le logement ou les droits inhérents. Il est important que nous agissions en ce sens.
Comme vous le savez, les Métis sont très tenaces; nous n'abandonnons jamais. Nous continuerons d'aller de l'avant pour toujours.
Je vous remercie de nous avoir accordé votre attention.
Laurel, avez-vous des observations à ajouter?
Mme Katernick : Pas pour l'instant.
Mme Pruden : Puis-je intervenir?
La vice-présidente : Oui. Je vous prierais d'être brève car nous aimerions vous poser quelques questions également.
Mme Pruden : Certainement. Je tiens simplement à vous dire quelque chose en tant que mère responsable de mon fils de cinq ans et demi, Quinicen Pruden Ledray. Selon l'Enquête auprès des peuples autochtones, seulement 4 p. 100 des enfants métis en Colombie-Britannique peuvent comprendre le cri, le métchif ou l'ojibwé. Nos langues sont en voie de disparition. Si nous examinons les politiques fédérales relativement aux langues autochtones, il nous faut de l'aide.
J'ai terminé.
La vice-présidente : Nous allons maintenant passer aux questions. En ma qualité de vice-présidente, je vais poser des questions qui m'ont été remises par notre attaché de recherche. Elles ont trait aux appels.
Combien d'appels le Sénat de la MNBC a-t-il entendus et cela représenterait environ quel pourcentage du nombre de demandeurs? J'aimerais savoir si vous connaissez les motifs des appels ou si vous tenez un registre de ces motifs. Y a-t-il une cause principale et pourriez-vous mettre le doigt sur quel pourrait être le principal obstacle?
Mme Katernick : Jusqu'à présent, le Sénat de la MNBC a entendu 127 appels relatifs à la citoyenneté. Nous tenons un registre des appels qui sont entendus et, jusqu'ici, nous avons reçu environ 10 000 demandes. Il y a des personnes qui quittent la province et différents facteurs entrent en ligne de compte. Je dirais que des 10 000 demandes que nous avons reçues jusqu'à maintenant, 127 personnes en ont appelé de la décision du bureau du registre central et nous consignons cette information. La majorité de ces personnes tombent dans deux catégories. Les recherches effectuées par le bureau du registre central ont permis d'établir que la moitié de ces personnes n'ont aucune origine autochtone. Quant à l'autre moitié environ, leurs origines ne sont pas liées à la patrie historique de la nation métisse. Autrement dit, elles viennent principalement des provinces maritimes et du Québec.
La vice-présidente : Vous avez dit que vous avez reçu environ 10 000 demandes et que 7 500 d'entre elles ont été approuvées. De celles qui ont été approuvées, la majorité de ces personnes n'étaient pas autochtones. J'imagine que ce que j'essaie de dire, c'est que de ceux qui n'interjettent pas appel, diriez-vous que bon nombre d'entre eux n'appartiennent pas à ce que l'on appelle la patrie métisse?
Mme Katernick : Parlez-vous de ceux qui ne poussent pas le processus d'appel plus loin?
La vice-présidente : Oui.
Mme Katernick : D'après les recherches, environ la moitié d'entre eux n'ont pas d'origine autochtone ou de lien avec la patrie métisse.
La vice-présidente : Y a-t-il eu des demandeurs qui ont gagné leur cause en appel?
Mme Katernick : Oui. Une décision a récemment été renversée, et c'est important de le signaler, plus particulièrement pour l'identification des Métis dans la province de la Colombie-Britannique. Notre sénat a siégé ce week-end. J'ignore quel est le résultat des audiences. Avant la dernière audience, de nouveaux renseignements avaient été obtenus et avant de comparaître devant le Sénat, en tant que directrice des enregistrements, j'ai renversé trois décisions que le bureau et moi-même avions rendues.
La vice-présidente : Si la personne a interjeté appel et qu'elle a perdu sa cause, peut-elle se tourner vers d'autres recours? Par exemple, pourrait-elle porter sa cause devant une cour provinciale? A-t-on déjà intenté ce genre d'action?
Mme Katernick : Jusqu'à aujourd'hui, cela ne s'est jamais vu. Il faut se rappeler qu'en ce qui concerne l'identification des Métis et les causes qui ont été entendues par le Sénat de la MNBC dont le jugement n'était pas en faveur de l'appelant, les gens peuvent soumettre au bureau du registre central tout nouveau renseignement qu'ils trouvent. Nous réévaluons alors la cause, ce qui arrive fréquemment. De plus, de nouveaux renseignements sont disponibles d'année en année. On comprend mieux comment fonctionne l'identification des Métis pour les gens qui vivent à l'extérieur des provinces, notamment en Colombie-Britannique ou en Ontario. Ce n'est pas un processus rapide, mais nous réexaminons régulièrement certaines de ces causes pour voir si de nouveaux renseignements qui se rapportent à la demande sont disponibles.
Le sénateur Raine : Nous sommes ravis d'entendre votre témoignage. Mes questions s'adressent à Mme Katernick.
Vous avez décrit sommairement et défini la communauté métisse historique. Se limite-t-elle aux personnes qui se livraient traditionnellement à la traite des fourrures et aux voyageurs maritimes dans la vallée de la rivière Rouge? Ou allez-vous plus loin en Ontario, à Sault Ste. Marie, par exemple? Englobez-vous également dans la communauté métisse historique ceux du Nord, qui étaient principalement d'origine écossaise et autochtone? Les considère-t-on tous comme faisant partie de la communauté métisse historique?
Mme Katernick : Oui. Cela va plus loin en Ontario, dans la région de Sault Ste. Marie. C'est en fait un secteur de recherche intéressant et je vais vous mettre un peu en contexte.
Quand je suis arrivée au bureau du registre central de la MNBC, je connaissais bien l'identification des Métis dans les provinces des Prairies seulement. Au bureau, les demandes concernant l'Ontario nous effrayaient un peu. C'était nouveau pour nous. Nous avons passé beaucoup de temps à nous renseigner sur l'identification des Métis dans la province de l'Ontario, et la patrie s'est élargie. Je peux affirmer que ce que nous connaissons comme étant la patrie historique métisse a pris quelque peu de l'expansion depuis que j'ai commencé au bureau du registre central. Elle inclut maintenant des régions en Ontario et dans le Nord, comme vous l'avez mentionné.
Le sénateur Raine : Nous tenons des audiences un peu partout dans les provinces des Prairies. Nous avons rencontré une femme qui était très angoissée parce que sa famille et elle vivent comme des Métis depuis cinq générations. Après avoir effectué la vérification généalogique, elle a appris que ses ancêtres ne faisaient pas partie de la patrie historique et qu'ils venaient du Québec. Ils avaient marié des Autochtones du Québec et j'imagine qu'ils ont décidé de partir vers l'Ouest, comme bien d'autres. Étant donné que ses ancêtres autochtones venaient du Québec, on lui a dit qu'elle n'était pas métisse alors qu'elle en était évidemment une de tout son être. On s'engage en terrain glissant lorsqu'on essaie de trop circonscrire la définition de l'identité métisse. Y a-t-il moyen de ne pas exiger le respect des quatre critères énoncés dans votre définition? Le fait d'être Métis depuis longtemps peut-il l'emporter sur l'origine des ancêtres? On dirait presque que vous devez définir l'immigration maintenant que vous êtes une nation métisse.
Mme Katernick : C'est une excellente question. On nous la pose très souvent au bureau du registre central. Comme vous l'avez dit, il faut tenir compte du fait qu'une personne s'identifie comme étant métisse depuis longtemps et qu'elle et sa famille vivent comme des Métis depuis plusieurs générations. À l'heure actuelle, lorsqu'une personne ne respecte pas les quatre critères, comme je l'ai dit, nous avons un mécanisme de recours. De plus, nous traitons avec beaucoup de diplomatie et de respect les demandeurs car nous ne leur disons pas qu'ils ne sont pas métis. Nous les informons dans des lettres officielles que, pour le moment, nous n'arrivons pas à valider et à vérifier leur lien généalogique avec la communauté métisse historique. De plus, cela ne les empêche pas de s'identifier à leur communauté et d'y participer.
Il y a environ deux ou trois ans, nous avons discuté avec notre conseil d'administration d'un processus — nous avons une Loi sur la citoyenneté que nous respectons, la définition énoncée dans l'arrêt Powley, les quatre critères — qui permettrait à ceux qui ne satisfont pas aux critères de quand même être enregistrés auprès de la Métis Nation of British Columbia. Au cours des trois ou quatre dernières semaines, nous avons eu des discussions préliminaires avec le président Dumont et nos hauts dirigeants pour reconsidérer cette proposition dans un proche avenir.
Le sénateur Raine : À l'échelle nationale, est-ce que le Ralliement national des Métis tient des séances dans le cadre desquelles vous et les représentants albertains, saskatchewanais, manitobains et ontariens du registre vous réunissez pour traiter les questions de façon à assurer une uniformité à la grandeur du Canada?
Mme Katernick : À ce stade, non, nous n'avons pas littéralement discuté de cette question. Nous restons en contact, certes. Nous devons soulever la question auprès des autres membres dirigeants, des registres et de leurs directeurs, et c'est un point important pour notre prochaine rencontre, nous devons en discuter avec eux pour voir ce qu'ils pensent de ce processus.
Le sénateur Raine : Ne serait-il pas utile d'avoir des cartes de Métis qui ne proviennent que d'une seule source dans chaque province?
Mme Katernick : Oui, ce serait utile et nous en avons parlé. Je suis au registre central de la MNBC depuis huit ans. Cette discussion a été reprise à plusieurs reprises. Le président national, Clément Chartier, l'a mentionné dans son allocution pendant notre dernière assemblée générale annuelle. La première étape dans la création d'un registre national est le processus auquel nous travaillons actuellement. Chacun des registres de nos membres dirigeants a tenu une réunion au cours des deux derniers exercices pour discuter du thème commun dans la documentation que l'on recueille. Faut-il recueillir des certificats de naissance détaillés, des certificats de baptême, des états de recensement? Dans les provinces où des certificats de Métis n'ont peut-être pas été délivrés, quel document faut-il demander à la place? Ce processus est actuellement en cours. La première étape consiste à définir la documentation commune à recueillir. La deuxième étape serait de mettre en place un protocole de transfert reconnu parmi les registres des membres dirigeants et de finir par envisager un registre national. C'est un sujet de discussion qui revient assez souvent et il serait bon que l'on délivre une carte nationale. J'ignore à quoi elle ressemblerait ou comment cela se passerait, mais nous faisons les démarches initiales.
La vice-présidente : Est-ce que tous les demandeurs éventuels peuvent avoir accès à vos renseignements concernant les communautés historiques? Vous dites, par exemple, que vous avez trouvé des gens en Ontario qui sont, en fait, admissibles. Si l'on regardait sur votre site web, y trouverait-on des renseignements concernant le type de communauté dont on a déterminé qu'il s'agissait d'une communauté métisse historique?
Mme Katernick : Pas à l'heure actuelle, mais je vais faire un suivi la semaine prochaine auprès de la Nation métisse de l'Ontario. Elle a publié un certain nombre de documents, de rapports, de mémoires de recherche, environ huit, qui sont décidément très intéressants et très éducatifs et qui valent la peine d'être lus. Ils se trouvent sur son site web, mais je m'entendrai avec le registraire la semaine prochaine, car je veux créer un lien vers ces documents. Ils sont extrêmement bien écrits et ils contiennent beaucoup de renseignements importants. Il serait bon de les rendre beaucoup plus accessibles.
Le sénateur Ataullahjan : Je m'intéresse aux données démographiques qui se rapportent à la communauté métisse que vous représentez, comme le nombre d'hommes, de femmes, de jeunes, d'aînés, et j'aimerais savoir si ces nombres correspondent aux besoins métis des peuples métis?
Mme Katernick : Nous en faisons le suivi dans notre base de données sur la citoyenneté, nous sommes capables de les analyser par données démographiques dans nos régions et de déterminer le nombre de citoyens qui sont inscrits en fonction du sexe, du groupe d'âge, alors nous faisons le suivi de ces renseignements, nous estimons qu'ils sont très utiles pour un organisme dirigeant comme le nôtre en Colombie-Britannique. Quelle était la seconde partie de votre question?
Le sénateur Ataullahjan : Ces chiffres correspondent-ils aux principaux besoins des Métis?
Mme Katernick : De quelle façon?
Le sénateur Ataullahjan : De quoi les jeunes ont-ils besoin? Dans le cas des femmes, il y a les questions de santé. On entend constamment parler d'une quasi-épidémie de diabète. Est-ce que l'on répond à ces besoins? Êtes-vous au courant?
Mme Katernick : Oui. C'est dommage qu'elle ne soit pas ici aujourd'hui, mais c'est le point d'intérêt principal de notre directrice de la santé, Tanya Davoren.
Nous sommes capables de catégoriser les statistiques et les données démographiques au registre central et de fournir ces informations à notre personnel à l'interne. Par exemple, Victoria travaillait auparavant à notre portefeuille des services à la famille et à l'enfance alors nous sommes en mesure de lui fournir des renseignements concernant le nombre d'enfants pris en charge qui ont demandé la carte de Métis dans la province de la Colombie-Britannique. Pour Tanya Davoren, ces renseignements sur la santé sont aussi importants parce qu'elle peut regarder, par exemple, dans la région 7 et voir combien de femmes y sont inscrites. Nous avons récemment mené notre enquête sur les maladies chroniques. Je n'ai pas beaucoup de renseignements sur la façon dont ces données correspondent. Tanya Davoren serait plus en mesure de vous en fournir. Il existe manifestement un lien. Les renseignements sont vraiment utiles.
Le sénateur Patterson : C'est un plaisir de revoir le président Dumont. Nous avons tenu une séance mémorable et digne d'intérêt à Batoche. J'aimerais simplement mentionner que même si les délibérations n'ont pas été enregistrées, je crois qu'elles peuvent quand même faire partie de nos recommandations, alors elles seront utiles, je le sais.
J'ai été impressionné par la description de la structure de gouvernance, monsieur Dumont, et j'aimerais vous demander — et j'affiche ici mon ignorance — comment cette structure est établie. Y a-t-il une constitution ou une série de règlements administratifs? Vous avez dit que vous nous donneriez des renseignements, et je serais intéressé à en apprendre un peu plus à ce sujet.
M. Dumont : Si vous allez sur la page d'accueil de notre site web, notre structure de gouvernance y est expliquée. Nous avons une constitution. Nous avons une loi sur la citoyenneté, une loi sur les anciens combattants, une loi électorale, une loi sénatoriale, une loi sur les femmes et une loi sur les jeunes, la loi sur l'assemblée générale de la Nation métisse. Nous avons toutes les lois nécessaires et elles se trouvent sur notre site web. Notre structure gouvernementale requiert que vous soyez citoyen métis, que vous ayez une carte de citoyenneté aux trois échelons, à l'échelon local, l'échelon communautaire. Lorsque le président et le vice-président siègent à la Métis National Governing Assembly, tous les présidents des collectivités reconnues sont autorisés à prendre place à la table. Nous avons notre Metis Nation governing assembly, à laquelle assistent habituellement entre 45 et 50 personnes, et vous être tenu d'être titulaire d'une carte de citoyenneté à l'échelon communautaire, à l'échelon régional, entre une et sept régions, quelle que soit la vôtre. Pour vous présenter à des élections provinciales, vous devez aussi avoir la carte de citoyenneté.
Le sénateur Raine : La Colombie-Britannique est la même pour les Métis que les autres Canadiens, mis à part le fait que c'est le lieu de prédilection des retraités. Le climat de la côte Ouest est doux et les gens ont tendance à y venir pour leur retraite. Les membres de vos organismes ne sont pas les seuls à avoir vécu dans les collectivités métisses depuis la colonisation de l'Ouest. Les nouveaux arrivants émigrent de nations métisses de toutes les provinces. Faites-vous une distinction quelconque entre les nouveaux arrivants et les personnes qui ont des racines en Colombie-Britannique?
M. Dumont : Les Métis qui viennent d'ici?
Le sénateur Raine : Qui sont ici depuis longtemps. Je regarde, par exemple, les renseignements que l'on nous a remis sur Kelly Lake, et c'est évident qu'ils s'y trouvent depuis les années 1700, comme vous l'avez mentionné.
M. Dumont : Nous ne faisons pas la distinction du moment qu'ils ont un lien ancestral. Les noms sont si familiers dans tout le pays. Je crois au fond que si l'on vient du sud-est du Manitoba, avec les 12 000 familles qui s'y trouvent, l'on peut établir un lien avec ces noms et ces ancêtres, alors nous ne faisons aucune distinction à cet égard. Je crois que c'est évident. Lorsque vous rencontrez un Métis, lorsque vous avez mon âge, vous savez bien qu'il est Métis. Bien sûr, nous nous saluons en métchif ou autre. Ils sont faciles à identifier. Nous les appelons « neechee », c'est-à-dire « l'un des nôtres ».
Le sénateur Raine : Lorsque les gens vont s'installer en Colombie-Britannique, où qu'ils habitent, ils sont invités à se joindre à cette communauté. Combien de communautés avez-vous dit que vous aviez en C.-B.?
M. Dumont : Nous avons 35 communautés reconnues.
Le sénateur Raine : Sont-elles toutes actives au sein de l'organisation?
M. Dumont : Oui.
Le sénateur Patterson : Le Canada et le Ralliement national des Métis ont signé un protocole d'entente en 2008. Il semble mettre en place un processus bilatéral pour examiner un certain nombre de questions importantes, dont celle que Mme Pruden a mentionnée concernant toute la question des anciens pensionnaires métis et bien d'autres questions cruciales. Je remarque qu'il arrivera à échéance en 2013, à moins d'être reconduit ou remplacé par un nouvel accord. Il semble que ce pourrait être un processus utile pour traiter la question de la marginalisation dont vous avez parlé avec tant d'éloquence. Avez-vous des commentaires à formuler concernant ce processus, ce protocole? Pouvez-vous nous dire s'il a été utile, s'il devrait être reconduit? Il semble aussi plutôt axé sur les provinces de l'Ouest, alors je me demande si vous avez des commentaires à cet égard.
M. Dumont : C'est une bonne question. Le protocole arrive à échéance en 2013 et, bien sûr, les travaux ne seront pas entrepris avant cette date. Il importe que nous continuions et que nous reconduisions ces dates s'agissant des pensionnats parce qu'il y a beaucoup de travail et de recherche à faire. Je crois que nous nous sommes réunis seulement deux fois depuis pour discuter des pensionnats; la dernière grande conférence a eu lieu en mars. Il reste encore beaucoup à faire et nous devons poursuivre nos travaux.
Le sénateur Patterson : Est-ce un processus qui en vaut la peine? Croyez-vous qu'il permette de régler certaines de ces questions?
M. Dumont : C'est une question tout à fait valable. Les constatations des Métis de Colombie-Britannique à elles seules, nous parlons de la migration qui nous arrive des Prairies, et certains de ces anciens pensionnaires avancent beaucoup en âge — cela dit, il y a aussi des gens d'âge moyen là-bas. C'est une entreprise qui en vaut la peine. Nous devons poursuivre nos travaux et veiller à bien documenter tous les renseignements dont nous disposons, et il y a encore bien des personnes qui ne se sont pas encore manifestées. Les survivants des pensionnats doivent être reconnus, et l'on doit régler les problèmes que leur ont causés les pensionnats.
Le sénateur Patterson : Je sais que la question des pensionnats est bloquée à cause des avocats et du règlement. Croyez-vous que le protocole à l'extérieur de ce processus qui, j'en ai bien peur, serait dominé par les avocats, avec tout le respect que je dois aux membres de ma profession... Croyez-vous que ce protocole, la possibilité de tenir des négociations bilatérales, soit la voie à suivre pour régler cette question en suspens?
Mme Pruden : Je crois qu'il pourrait certainement l'être. Je crois qu'en tant que leader communautaire affilié à la Métis Nation of British Columbia, nous appuyons vraiment de tout cœur le Ralliement national des Métis et notre président national Clem Chartier dans leurs efforts pour promouvoir et négocier et s'engager envers le renouvellement d'un protocole d'entente national avec la Nation métisse. Nous avons besoin de protocoles semblables comme cadre pour examiner nos questions dans un certain nombre de secteurs, notamment les pensionnats, la reconnaissance, et bien d'autres enjeux auxquels nous sommes confrontés, par exemple la mise en oeuvre des conclusions de l'arrêt Powley et le programme de la Nation métisse. Je pense que cela représente une occasion incroyable et, en tant qu'organisme communautaire, nous appuyons vraiment notre Ralliement national des Métis dans ses efforts pour participer de cette façon à l'échelon fédéral.
La vice-présidente : Il me reste deux petites questions concernant la récolte. La MNBC participe-t-elle à la gestion des activités des exploitants métis en Colombie-Britannique et comment ces exploitants s'identifient-ils face aux représentants provinciaux et fédéraux susceptibles d'y participer eux aussi?
Mme Katernick : Je ne peux pas vous en parler en détail, mais je peux vous dire que oui, la Métis Nation British Columbia délivre des cartes de récolte. Nous les délivrons aux exploitants, qu'ils soient ou non chasseurs, et nous suivons leur activité de très près et en profondeur. Nous délivrons des cartes depuis novembre 2008, je crois. À ce jour, il y a environ 375 exploitants inscrits dans la province de la Colombie-Britannique. Nous avons déjà recueilli bien des renseignements sur leurs pratiques ancestrales qui remontent à une, deux, trois et quatre générations pour en faire l'analyse, alors nous sommes dotés d'un système assez exhaustif pour faire le suivi de leur utilisation traditionnelle des terres dans notre province. À l'heure actuelle, la carte ne leur permet pas de faire des récoltes ou de pêcher en Colombie-Britannique; elle vise seulement la sauvagine migratrice.
La vice-présidente : Sur ce, je tiens à remercier nos témoins de leurs exposés.
Nous entendrons maintenant les témoignages de la British Columbia Métis Federation représentée par son président, Keith Henry, et son vice-président, Daryl Piper. À leur table se trouvent George Goulet et Terry Goulet, qui témoigneront à titre personnel.
Nous vous prions de vous limiter à cinq minutes pour faire vos remarques liminaires et nous passerons ensuite à la période de questions. Nous vous écoutons.
Keith Henry, président, British Columbia Métis Federation : Merci, madame la présidente. Je m'appelle Keith Henry et je suis président de la B.C. Métis Federation. Je veux commencer par parler du territoire des Salishs de la côte, en particulier les nations Squamish, Musqueam et Klahoose. Nous avons présenté un document directement aux sénateurs. Je crois que tout le monde en a reçu un exemplaire, et nous le parcourrons rapidement compte tenu du temps dont nous disposons.
Je me présente rapidement. Je suis Métis. Je suis originaire de Prince Albert, en Saskatchewan. Je suis engagé auprès du mouvement métis depuis que mes grands-parents m'ont traîné de force aux réunions communautaires quand j'étais enfant. J'étais présent pour une grande partie des discussions concernant l'appartenance. J'étais là lorsque la définition nationale a été ratifiée en 2003. J'étais là en tant qu'invité observateur et c'est une question qui soulève les passions de bien des membres des collectivités au pays en ce moment. Le vice-président Daryl Piper se présentera rapidement et nous parlerons ensuite des documents.
Daryl Piper, vice-président, British Columbia Métis Federation : Merci, madame la présidente. J'aimerais aussi saluer les Salishs de la côte et les nations Salteaux et Squamish. Je m'appelle Daryl Piper et j'ai commencé à me pencher sur les questions métisses vers 2004 et j'ai fait plusieurs choses dans la collectivité métisse depuis, alors j'ai été très engagé auprès d'elle.
J'aimerais commencer par dire ce qu'est la B.C. Métis Federation. Nous sommes devenus une société en juin 2011 lorsqu'une autre organisation connue sous le nom de Métis Nation of British Columbia, qui utilisait aussi l'acronyme MNBC, a soulevé de sérieuses préoccupations. Un certain nombre de problèmes ont été mis au jour comme la mauvaise gestion des fonds et une gouvernance dysfonctionnelle. Il y a environ 60 000 Métis déclarés dans la province de la Colombie-Britannique et la MNBC offre une gamme de services et se penche aussi sur la question de la carte de Métis.
La B.C. Métis Federation estime aujourd'hui que les gouvernements n'ont pas pris suffisamment de mesures concrètes pour régler les questions financières sérieuses au sein de la MNBC qui a perdu des millions de dollars des contribuables. Les collectivités métisses mêmes ont été très divisées et, bien sûr, il reste toujours la question de la carte de Métis. Cette inaction de la part du gouvernement a eu un certain nombre de répercussions directes sur les Métis et nos droits au titre de l'article 35 n'ont toujours pas été reconnus.
Ensuite, nous avons eu des collectivités historiques comme celle de Kelly Lake qui ont été pratiquement ignorées par la province, et cette dernière a déclaré à maintes reprises que les Métis de Colombie-Britannique n'avaient aucun droit reconnu au titre de l'article 35. Bien entendu, nous ne sommes pas d'accord. Le gouvernement fédéral n'est toujours pas constant dans bien des approches visant la reconnaissance des droits des Métis.
La principale question est l'incidence de la façon dont les gouvernements ont appuyé la MNBC et dont les services ont été offerts seulement à ses membres. Par exemple, nous allons vous présenter une page tirée d'un bulletin de la MNBC publié au printemps 2012 dans lequel la MNBC elle-même n'offre des services qu'à ses membres. Cela dit, tous les gouvernements savent bien que la MNBC ne représente pas tous les Métis de Colombie-Britannique, et le registre ne se rapporte qu'à environ 10 p. 100 de tous les Métis déclarés.
La B.C. Métis Federation est formée d'un groupe de bénévoles qui voulaient changer les choses et, de notre point de vue, l'on envisage de reconstruire nos gouvernements dysfonctionnels. Les principales questions auxquelles ils s'intéressent sont celles des droits des Métis et de la carte d'identité et elles devraient être abordées par l'ensemble des Métis. Les membres actuels de notre conseil d'administration sont bénévoles. Nous avons des représentants des Lower Mainland ainsi que de toutes les parties de la province.
Dans les documents que nous vous avons remis, nous montrons notre division et les bénévoles de notre collectivité. Notre personnel de bureau est aussi bénévole. Nous avons un bureau ici à Vancouver, rue Kingsway, et nous sommes actuellement financés par des dons des membres de notre conseil d'administration, des gens de la collectivité ainsi que de notre personnel de bureau bénévole. Tout le monde est résolu à assurer notre viabilité au sein de la B.C. Métis Federation. Nous avons recueilli quelque 70 000 $ que nous investissons dans nos activités culturelles. Nous croyons en l'importance de tisser des liens avec les collectivités et les familles métisses et nous croyons que c'est très significatif. Au cours de la dernière année, la B.C. Métis Federation a tenu un certain nombre de réunions et de forums communautaires à l'échelle régionale auxquels ont participé plus d'une trentaine de collectivités et des réunions régionales. Nous nous sommes engagés à l'échelle régionale, et entre mars et mai de cette année, nous avons rejoint 14 collectivités et plus de 300 Métis étaient présents. La B.C. Métis Federation a publié un rapport complet pour résumer les projets communautaires et régionaux, et l'on a montré un véritable intérêt à reconstruire la gouvernance métisse en Colombie-Britannique.
La B.C. Métis Federation a rédigé des accords pour appuyer notre mandat et nous comptons plus de 6 300 membres à l'heure actuelle. Nous avons signé des déclarations de coopération avec diverses collectivités, donc la Vancouver Métis Citizens Society, la Kelly Lake Métis Settlement Society, la Nova Métis Heritage Association à Surrey, la Fort St. John Métis Society, la North Saanich Michif Society sur l'Île, la Dawson Creek Métis Federation, la Northern Interior Métis Cultural Society et la Métis Veterans Association. Nous avons aussi signé des accords avec des organismes extérieurs, dont les Canadian Aboriginal Veterans, la Prince George Urban Aboriginal Justice Society, les Kikino Child and Family Services, la White Buffalo Aboriginal Health Society et les Metis Commission for Children and Family Services. Alors à l'avenir, la B.C. Métis Federation s'attachera à tenir des discussions avec l'ensemble des organisations ou des organismes de prestation de services métis.
M. Henry : Je vais continuer avec la partie 2, si vous suivez le document. Pour parler rapidement de l'appartenance, nous avons créé l'organisation et en avons identifié les membres par l'intermédiaire de nos règlements administratifs. Ces derniers sont, en quelque sorte, conformes à ce que l'on connaît comme étant la définition nationale, être un Métis déclaré, être de descendance métisse, être accepté par la communauté métisse et être distinct des autres peuples autochtones. C'est essentiellement la définition que nous suivons et nous respectons en quelque sorte les renseignements généalogiques nécessaires pour valider les origines.
Je vais passer au numéro 3 à la page 9. L'identité continue d'être une question d'intérêt et elle le restera encore longtemps. Bien des gens croient que la définition officielle nationale et de la MNBC est trop restrictive. Les dirigeants métis font valoir que le processus de citoyenneté de la MNBC est objectivement vérifiable. Pour bien des gens parmi eux, l'identité métisse découle d'un point de vue bien arrêté sur l'histoire et la géographie du XIXe siècle sans la moindre marge. Leur identité est devenue standardisée, figée pour leur permettre d'avoir une certaine apparence et d'agir d'une certaine façon à des fins politiques. Bien des Métis qui, eux-mêmes, correspondent à la définition ne sont pas à l'aise avec ces manières restrictives en raison de leurs fondements coloniaux. Malgré tous les efforts qu'ils ont mis à se définir, les Métis du Canada éprouveront des difficultés en raison de la reconnaissance inconstante de leurs droits par les gouvernements ainsi que les manquements juridictionnels. Les gouvernements refusent d'admettre nos droits historiques et choisissent de laisser trancher les tribunaux.
La vice-présidente : Monsieur Henry, je suis désolée de vous interrompre, mais notre temps est compté. Si vous pouviez resserrer vos commentaires, nous vous en saurions gré.
M. Henry : Bien sûr. Le commentaire parle de lui-même.
Ce que nous essayons de faire comprendre au Sénat est que la définition de Métis en Colombie-Britannique laisse beaucoup à désirer en ce moment. Nous n'identifions vraiment pas les gens de la même façon. On ne fait pas suffisamment de recherche et il y a une quantité considérable de ce que nous croyons être de l'histoire métisse. Dans notre conclusion, nous déclarons que toutes les Premières nations n'ont pas une culture unique, une seule vision des membres d'une Première nation. Juste dans notre province, les Premières nations sont formées de plusieurs nations. Nous croyons que l'histoire métisse et la recherche révéleraient quelque chose de semblable. Oui, nous avons une identité et des pratiques culturelles communes, mais il est clair qu'il reste beaucoup de recherches historiques à faire dans notre province. Nous avons eu pour mandat de tenir un sommet qui aura lieu bientôt. Nous serons intéressés de voir ce qui en ressort, car nous croyons que les gens de la Colombie-Britannique ne connaissent pas toute l'affaire.
La vice-présidente : Merci.
George et Terry Goulet nous feront maintenant un bref exposé. Faites-vous chacun le vôtre?
Terry Goulet, historienne métisse, à titre personnel : Oui.
Klahow tillieum, bienvenue, mes amis. Je viens de vous saluer en jargon chinook ou chinuk wawa, langue commerciale métchif traditionnelle du nord-ouest du Pacifique. Nous sommes ici aujourd'hui pour parler des Métis de Colombie-Britannique et, ce faisant, nous devons absolument parler des Métis de partout au Canada. J'essaierai d'être aussi succincte que possible. Pour ce faire, à la fin de la séance, nous vous remettrons à chacun un exemplaire de notre livre, The Metis in British Columbia : From Fur Trade Outposts to Colony, pour vous donner une meilleure idée de ce Métis historique qui est aussi valide que la terre natale pour le Métis que la définition très restreinte qui vous a été présentée par le Ralliement national des Métis et les diverses organisations métisses au Canada.
Nous vous remettrons aussi un dossier et nous avons des copies pour les autres membres de votre comité ainsi que votre analyste. Ce dossier contient un article sur l'identité des Métis par rapport à l'arrêt Powley, qui est extrêmement important, car l'on vous a donné beaucoup de fausses idées concernant l'affaire Powley. Nous avons aussi un article sur ce qui constitue une nation, et je pense que c'est une question qui doit être abordée. De plus, nous vous remettrons une chemise contenant divers sites et emplacements historiques métis en Colombie-Britannique qui vous en donneront une idée très précise.
George Goulet est Métis; ses parents étaient Métis, tout comme ses grands-parents et ses arrière-grands-parents. Son arrière-grand-père était Pierre Delorme et il faisait partie du gouvernement provisoire de Louis Riel. Il a été le premier député de la circonscription de Provencher lorsque le Manitoba est devenu une province. Il a aussi été le premier député de l'Assemblée législative du Manitoba dans la circonscription de St. Norbert. À cette époque, vous pouviez être député des deux circonscriptions. C'était du côté de sa mère. Du côté de son père, son grand-oncle était Elzéar Goulet, le martyre métis qui a été lapidé sur les rives de la rivière Rouge pour sa participation à la Rébellion de la rivière Rouge. Aujourd'hui, il porte fièrement la ceinture d'Elzéar Goulet à cette réunion.
Nous voulons vous faire comprendre l'importance d'entamer un dialogue sur l'identité métisse dans un concept beaucoup plus large que celui qui vous est actuellement présenté.
Je cède maintenant la parole à George.
George Goulet, historien métis, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Les opinions que je formulerai aujourd'hui sont les miennes et celles de personne d'autre ni d'aucune autre organisation.
La première opinion est que lorsqu'il est question d'identité métisse, il n'y a pas de réponse unique. Je vais vous donner des exemples. Nous avons les organisations politiques métisses. Comme vous le savez, les deux organisations nationales sont le Ralliement national des Métis et le Congrès des Peuples Autochtones. Le Ralliement national des Métis a adopté une définition nationale il y a une dizaine d'années, et nous la trouvons très restrictive et défectueuse à bien des égards. À titre d'exemple, elle dit du Métis qu'il descend des Métis de souche. Cela revient à dire qu'un Italien est de souche italienne ou qu'un cheval est un cheval. Il y a d'autres exemples, mais là où je veux en venir est que cette définition est restrictive. Cela dit, celle du Congrès des Peuples Autochtones est trop vague, trop large. Elle revient essentiellement à la déclaration d'identité, alors il faut trouver un juste milieu entre les deux.
Du point de vue légal et constitutionnel, vous connaissez tous bien sûr l'arrêt Powley rendu en 2003. À l'époque, nous pensions que c'était une grande victoire pour les Métis. Avec du recul, il s'est révélé être très problématique. La façon dont la Cour suprême a défini les Métis est beaucoup trop restrictive. Elle les a définis en fonction de la région géographique. La collectivité métisse est beaucoup plus que cela. C'est une collectivité de parenté, de relations partagées, d'histoire, de patrimoine et de culture. L'arrêt n'en fait pas état. Nous avons d'autres réserves à l'égard de ce jugement. Si un Métis veut établir une demande sous le régime de l'article 35, les tribunaux ont dit qu'ils devraient traiter les affaires au cas par cas. Si le Métis doit passer par une série de tribunaux pour établir un droit constitutionnel, et probablement faire faillite en cours de route, ce n'est pas vraiment un droit.
Le prochain aspect de l'identité métisse est l'auto-identification, concept utilisé par Statistique Canada, de nombreux groupes de services à l'enfance et à la famille, et des écoles. Même la Colombie-Britannique s'en est servi dans un communiqué diffusé l'an dernier au sujet des 60 000 Métis que compte la province. Nous sommes convaincus que de nombreux Métis se déclarent tout simplement être Métis.
L'approche que nous privilégions — du moins celle que moi et, je crois, ma conjointe Terry privilégions — consiste à envisager l'identité métisse sous l'angle socioculturel. L'identité métisse est bien plus socioculturelle que biologique, politique ou constitutionnelle. Cela signifie qu'une personne sent au fond d'elle même qu'elle est métisse. Comme le sénateur Raine l'a souligné il y a quelques instants, les gens sentent qu'ils sont métis dans leur cœur et leur âme. Pour être accepté comme Métis dans cette catégorie, il faut compter des Autochtones parmi ses ancêtres, en plus de prendre une part active au sein de la communauté métisse, d'y apporter une contribution, d'y être accepté et d'y être reconnu.
Je vous donnerai l'exemple d'un Métis bien connu au Canada, David Bouchard, un auteur métis renommé, membre de l'Ordre du Canada et récipiendaire du prix du gouverneur général. Il a été président du Victoria Métis Council. Quand il a demandé à devenir membre de la Métis Nation of British Columbia, il a essuyé un refus parce qu'il ne pouvait prouver son ascendance sur la terre ancestrale de la nation métisse. Cette terre est mal définie, et nous ne considérons pas qu'elle englobe l'Ontario ou s'étende à l'ouest des Rocheuses. Nous jugeons donc que l'interprétation devrait être plus généreuse et libérale, si vous voulez bien me pardonner d'utiliser ce mot. J'emploie d'expression utilisée par la Cour suprême dans l'affaire Sparrow dans son interprétation de la Constitution, interprétation qui diffère, selon nous, de celle faite dans l'affaire Powley. Merci.
Mme Goulet : Je crois que le mot « inclusif » conviendrait.
La vice-présidente : Merci beaucoup de vos exposés. Avant de commencer, je me demandais si je pourrais demander aux Goulet de remettre un bref résumé écrit de leur propos d'aujourd'hui. Vous avez, à l'évidence, des documents et des ouvrages écrits, mais si vous pouviez résumer ce que vous avez dit ce matin, nous aimerions en obtenir copie.
M. Goulet : Nous serions heureux de le faire.
Mme Goulet : Nous sommes plus qu'heureux de le faire.
La vice-présidente : Le groupe des témoins a donné son avis sur la grande question de l'identité des Métis. Dès qu'il est question d'identification, on se demandera toujours si on se montre trop strict ou laxiste. Je crois que ce que vous nous dites essentiellement aujourd'hui, c'est que vous considérez que les exigences trop strictes entraînent le rejet de certaines personnes qui, selon vous, devraient être incluses.
Le sénateur Raine : Je vous remercie beaucoup de comparaître.
Nous savons que le sujet est fort complexe et qu'il y a probablement plus de questions que de réponses. Dans l'un de vos exposés, vous avez indiqué qu'il faut définir très précisément ce qu'est un Métis pour veiller à ce que les privilèges réservés aux Métis soient accordés à qui de droit. Par exemple, à la faculté de médecine de l'Université de la Saskatchewan, 10 sièges sont réservés aux Autochtones et aux Métis. On craint maintenant que des organisations délivrent des cartes de Métis en faisant fi de la définition nationale qui semble être acceptée par la plupart des gens.
Je pose donc la question suivante à M. Henry : ne pouvez-vous pas collaborer avec la Métis Nation of British Columbia pour aplanir les différends afin qu'il n'existe qu'une organisation et qu'un registre pour les Métis en Colombie-Britannique? Pourriez-vous définir vos rôles différemment et collaborer d'une manière quelconque, ou vos organisations sont-elles fondamentalement trop différentes?
M. Henry : Je m'efforcerai de vous répondre de mon mieux. Au chapitre de la collaboration, je tiens à ce que le Sénat sache clairement qu'il n'y a jamais eu de manque de bonne volonté de notre part. Nous avons tenté d'amorcer le dialogue à plusieurs occasions. La question des politiques suscite beaucoup de division en Colombie-Britannique, pour des raisons qui ne concernent pas nécessairement l'identification. Nous avons donc entrepris des démarches officielles et envoyé des lettres. À dire bien franchement, ce n'est pas que nous ne voulions pas discuter.
Notre fédération des Métis a vu le jour parce qu'un nombre croissant de gens disent ne pas vouloir participer à ce processus de quelque manière que ce soit. Cette tendance à fait son temps, selon moi. Je m'occupe des politiques relatives aux Métis depuis des années, et j'ai assisté à l'essor et à la chute d'organisations. À mon avis, les choses ont été assez loin en Colombie-Britannique. L'organisation est aux prises avec des difficultés financières et administratives substantielles. La question que nombre d'entre nous se posons depuis plusieurs années, pendant que les fonctionnaires fédéraux et provinciaux restent les bras croisés et laissent les choses aller, est selon moi très grave. Quand le public saisira pleinement la gravité de la situation, quelqu'un devra rendre des comptes sur ce problème très sérieux. On ne peut pas laisser une organisation sans but lucratif accumuler des millions de dollars de dettes. On se demandera alors ce qu'on aurait pu faire pour éviter pareille dérive, car fondamentalement, c'est la question qu'un grand nombre de nos chefs considèrent comme étant la cause du schisme qui divise notre nation.
Je le dis avec le plus grand respect. On parle beaucoup à tort et à travers sur ce que les gens font et ne font pas. Mais ce que notre peuple veut au bout du compte, c'est qu'on s'occupe de façon responsable de sa culture, de ses programmes et de sa prestation de services, et c'est ce qui a provoqué de graves problèmes. Ici encore, quand je dis cela, les organisations doivent être disposées à échanger de façon respectueuse et à assumer la responsabilité de la situation. En Colombie-Britannique, les choses ont été si loin qu'il sera presque impossible de corriger la situation.
Le sénateur Raine : Je vois que vous acceptez les documents généalogiques pour les demandes d'adhésion à la Métis Nation of British Columbia?
M. Henry : En effet.
Le sénateur Raine : Le problème ne vient donc pas des efforts actuellement déployés?
M. Henry : Je crois que le travail accompli jusqu'à présent est suffisant. Nous ne restons pas inactifs. Nous sommes saisis d'un mandat. Au cours des derniers mois, nous avons de nouveau parcouru la province et constaté que la question de l'identification revêt une importance cruciale pour les Métis de la Colombie-Britannique. Je viens moi- même d'une terre ancestrale visée par un certificat de Métis. Il reste toutefois beaucoup de questions d'ascendance mixte à résoudre, comme George et Terry l'ont fait remarquer. Dans le système actuel, tous ces gens sont exclus du processus. Nous nous efforçons de corriger la situation, qui a des répercussions sur l'accès de ces personnes aux services et leur capacité de se faire entendre du gouvernement. Il y a toutes sortes de raisons pour s'attaquer sérieusement à la question. Nous l'acceptons en partie, mais considérons que nous avons été mandatés pour tenir un autre sommet parce que les gens veulent rouvrir le dossier. Nous savons que la question est complexe.
Je fais moi aussi des études universitaires spécialisées sur les Métis. Je comprends l'histoire qu'on m'a enseignée jusqu'à présent et l'histoire de ma propre famille. Ce que nous voulons dire aux gouvernements, c'est qu'il est facile d'affirmer qu'il faut resserrer les critères là où la situation est limpide. En Colombie-Britannique, bien peu de certificats de Métis ont été délivrés, malgré la présence de communautés métisses. Cela signifie-t-il que parce que les critères ne sont pas clairement définis, ces personnes ne sont pas métisses? Ce n'est pas, et ne sera jamais, mon avis.
Le sénateur Raine : Je comprends.
Dans vos études, avez-vous déjà étudié le peuple Lapon, en Norvège?
M. Henry : Je n'ai pas fait d'études sur les Lapons, mais j'ai lu certains ouvrages sur eux. Je fais beaucoup de tourisme autochtone et j'ai été fort étonné par ce que le peuple lapon propose à cet égard. C'est très intéressant. J'ai relevé des similitudes au chapitre de l'histoire et du vécu.
Le sénateur Raine : Les sénateurs ont eu le privilège d'entendre un exposé offert par des membres de la communauté laponne et leurs parlementaires. Toute personne s'identifiant comme Laponne peut décider de voter pour un représentant lapon au Parlement. Dans le Nord, les Lapons ont des droits précis en ce qui concerne le territoire de pêche; ils sont en outre les seuls à pouvoir tenir des troupeaux de rennes. Il y a des Lapons qui vivent dans toutes les régions de la Norvège. Quand je leur ai demandé quels droits leur étaient accordés dans le reste de la Norvège, en dehors du Nord, ils m'ont regardé comme si j'étais fou. Ils ont indiqué qu'ils jouissent d'excellents programmes sociaux, de solides programmes d'éducation et de soins de santé, auxquels ils ont accès comme tout autre Norvégien. Je leur ai alors demandé pourquoi quelqu'un voudrait devenir lapon, ce à quoi ils ont répondu que c'était pour préserver leur langue et leur culture, les éléments qui les gardaient unis. Voilà un bon modèle dont pourraient s'inspirer les Métis.
La vice-présidente : Voulez-vous intervenir?
M. Henry : J'aimerais faire brièvement remarquer que c'est ce que nous essayons de faire comprendre au comité. Quand George évoque l'aspect socioculturel, je me rappelle la langue métchif que mes grands-parents parlaient. D'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, je constate qu'on ne fait pas grand-chose pour préserver cette langue actuellement. Je m'inquiète énormément de ce qu'on peut faire pour sauver cette langue. Ma communauté historique vient des environs de Batoche, mais me voici en Colombie-Britannique. Cela ne signifie pas que je ne suis plus Métis, simplement que je comprends peut-être les choses différemment. Je ne vais pas abattre d'orignal à Whistler, si jamais il y en a eu à cet endroit. C'est la question que nous tentons de résoudre, et je crois qu'il faut s'y attaquer sérieusement.
La vice-présidente : Pour continuer sur le sujet de l'appartenance, quel serait, selon vous, le pourcentage ou la proportion de gens qui n'entrent pas dans la catégorie de personnes pouvant devenir membres de MNBC?
M. Henry : Je dirais que c'est bien plus de la moitié des Métis s'identifiant comme tels en Colombie-Britannique. C'est considérable. Des 60 000 Métis, je dirais que c'est au moins 50 p. 100, si ce n'est davantage. Il faut tenir compte des forts de la Compagnie de la Baie d'Hudson et le la Compagnie du Nord-Ouest dans la province. Pour ce qui est de l'intégration de ces communautés, un grand nombre de gens sont en quelque sorte suspendus dans les limbes, sans représentation ni participation au sein de leur propre gouvernement, alors que c'est un autre doit inhérent. C'est donc un problème de taille en Colombie-Britannique.
La vice-présidente : Vous disiez qu'il existe des postes de traite des fourrures en Colombie-Britannique. Il me semble qu'il y avait des forts dans le secteur de l'intérieur, dans la vallée de l'Okanagan. Les gens ont établi des communautés autour de ces forts, n'ont jamais reçu de certificats de Métis et ne sont donc pas admissibles selon la définition de membres de la MNBC. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Henry : Oui, c'est ce que je dis. Il importe que le comité sénatorial comprenne que les commissions de certificats de Métis ont disparu vers 1899. Elles n'ont tout simplement pas pris la peine d'aller dans un grand nombre de communautés. Quelques concessions ont été délivrées, et je vous donnerai un exemple. Nous avons pu retrouver quelques certificats d'argent ou terres attribués à des Métis, mais il en existe bien plus. Je crois que Terry ou George pourraient mieux vous répondre, car ils ont effectué beaucoup de plus de recherches dans les environs des postes de traite des fourrures.
Mme Goulet : Il faut en revenir à la Compagnie du Nord-Ouest et à ce qu'elle a fait. L'intérêt principal de l'arrêt Powley vient du fait qu'il stipule clairement que le peuple Métis a vu le jour entre le premier contact des Indiens avec les Européens et la mainmise effective de ces derniers sur le territoire. Avant cette affaire, tous les Autochtones dont la cause était entendue par les tribunaux devaient prouver qu'il y avait eu contact avant l'arrivée des Européens. Il faut donc déterminer quand les Européens sont arrivés en Colombie-Britannique. Comme Bruce Dumont l'a admis, c'est à la fin des années 1700. Ils sont arrivés avec les trois grands explorateurs et travaillaient tous pour la Compagnie du Nord-Ouest. Ils ont tous édifié des forts. Avant que la compagnie ne se fusionne à la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1821 pour poursuivre ses activités sous ce dernier nom, le Nord-Ouest du Pacifique comptait environ 71 forts, autour desquels les communautés se sont constituées pour devenir les agglomérations, les villes et les communautés qui parsèment aujourd'hui la Colombie-Britannique.
La vice-présidente : Merci d'avoir apporté cet éclaircissement.
J'ai une autre question au sujet des cartes de membre que délivre la B.C. Métis Federation. Quel avantage procurent-elles? Qui en reconnaîtrait la valeur? Rendraient-elles leur titulaire admissible aux droits de récolte, aux programmes ou aux services?
M. Henry : Les programmes et les services sont censés s'adresser aux Métis qui se sont désignés comme tels. C'est là que réside le noeud d'un des problèmes : malheureusement, ces programmes sont souvent détournés à des fins politiques. On peut alors faire valoir que certains sont effectivement censés y être admissibles. Nous considérons que la gouvernance est très différente pour les Métis dans cette province. Les remous politiques actuels viennent notamment du fait que nous avons préconisé une séparation totale de la prestation de services et de la gouvernance, contrairement à ce qui se fait actuellement. Cette mesure assurerait une prestation de services objective et aisément accessible pour tous ceux qui présentent une demande. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent aujourd'hui, croyons-nous.
La carte en vigueur aujourd'hui a été lancée au cours de la dernière année. Nous en sommes très satisfaits et nous continuons de rencontrer les gouvernements. En fait, nous avons rencontré le ministre provincial la semaine dernière. Nous continuons de faire connaître les actions de notre organisation, et les choses ont enfin évolué la semaine dernière. La province a indiqué qu'elle acceptait d'entamer des échanges bilatéraux avec notre organisation, puisque cette dernière est clairement appuyée par le mandat légitime que lui ont confié un certain nombre de communautés de la province. Voilà qui présente un défi de taille pour l'avenir dans ce dossier, car il faudra voir comment les programmes sont gérés.
Je terminerai en vous indiquant que nous ne nous intéressons pas à l'exécution de programme. Il faut qu'une instance dirigeante provinciale prodigue des politiques et des conseils en ce qui concerne les consultations, l'ensemble de l'industrie et les autres aspects avec lesquels nous devons composer quotidiennement. À notre avis, il y a fort à faire pour rectifier bien des problèmes.
La vice-présidente : Quand nous étions en Saskatchewan, des représentants de l'Université de la Saskatchewan nous ont expliqué que certaines personnes tentaient de s'inscrire au collège de médecine et qu'on avait fait appel à la Saskatchewan Human Rights Commission à ce sujet. Avez-vous eu des démêlés avec la Human Rights Commissions in British Columbia concernant l'appartenance?
M. Henry : Pas encore, mais chose certaine, nous avons commencé à nous pencher sur la question. Si je vous ai bien compris, nous nous inquiétons beaucoup de ceux qui pourraient se retrouver sans service parce qu'ils sont membres de la B.C. Métis Federation. Nous examinons certainement la question. Certaines personnes ont fait appel à divers programmes et se sont fait répondre que leur carte n'était pas acceptée. En fait, je vous ai remis un document tiré du bulletin à titre de preuve. Je crois qu'il en a été question dans les exposés. Il s'agit d'un document publié au printemps portant l'intitulé Do Not Be Fooled, Know the Facts; il dresse la liste des services dont on peut se prévaloir auprès des organisations figurant au registre de la Métis Nation B.C. ou d'autres entités. Étant donné que les organisations tirent des avantages quand elles sont censées fournir des services et du soutien à 60 000 personnes, il ne peut être question de politiser les programmes et les services. Je peux comprendre les politiques et la gouvernance, mais je m'oppose fermement à la politisation des programmes et des services. C'est pourquoi nous continuons de dire au gouvernement qu'il faut tout revoir de fond en comble et prendre l'affaire au sérieux, car c'est, à toutes fins pratiques, intrinsèquement discriminatoire. Les choses sont ainsi.
Le sénateur Raine : Tout ce que vous nous dites s'applique aussi aux Autochtones hors réserve, aux Autochtones urbains. Faisons-nous fausse route en distinguant les services en fonction de vos origines plutôt qu'en fonction de vos besoins?
M. Henry : J'ai cru à un certain moment que le programme propre au Métis était très important, mais voyant comment les choses se sont passées... et je m'intéresse à la question depuis de nombreuses années. Il y a une distinction à faire entre la prestation de programmes et de services et la gouvernance culturelle et politique, et c'est vrai à bien des égards. Je suis d'accord pour dire qu'il impératif de se pencher sérieusement sur la question des Autochtones urbains. Qui offre les services? Qui est responsable des services? Qui fait valoir les intérêts de cette communauté urbaine?
Pensons aux Autochtones hors réserve en Colombie-Britannique. L'organisation actuelle est désuète. Elle ne permet pas du tout à ces personnes de se faire entendre pour aider à façonner les programmes et les services. Je me demande toujours sur quoi se basent les programmes et les services qu'on continue à offrir. Qui soutient tout cela? Il m'apparaît évident qu'une approche plus vaste est requise pour l'élaboration des programmes urbains.
Le sénateur Patterson : J'ai aimé le point de vue de M. Goulet concernant l'affaire Powley. Malgré les grands espoirs que cela avait suscités, le résultat a été décevant. J'espère avoir bien résumé ses propos.
Monsieur Henry, d'après ce que vous nous avez dit dans votre exposé, vous n'êtes pas d'accord avec la Cour suprême concernant son interprétation de la définition de « Métis », car vous la trouvez trop restrictive et trop axée sur l'histoire coloniale. Je crois que le Ralliement national des Métis et la Métis Nation of B.C. considèrent cependant que la définition de Métis donnée dans l'affaire Powley est celle à adopter. Je ne suis pas à la dévotion de la Cour suprême. Il est bien possible qu'elle se trompe, et elle l'a probablement déjà fait, mais que pouvez-vous y faire? C'est une institution respectée et sa décision a, pour le meilleur et pour le pire, façonné la politique du gouvernement. Si vous pensez pouvoir la contourner, comment allez-vous pouvoir le justifier ou l'expliquer? J'espère que ce n'est pas une question piège, parce que je me la pose moi-même. Avec tout le poids de la Cour suprême, comment contourner sa décision?
M. Henry : Je vous répondrai du mieux que je peux. Je ne peux que vous dire ce que je comprends de cette affaire.
L'arrêt Powley ne vise pas à définir la notion de « Métis ». Il établit les critères entourant la reconnaissance des droits de récolte des Métis. Il ne s'agissait pas de définir le terme « Métis ». Le jugement établissait 15 critères essentiels pour pouvoir exercer ses droits de chasse et de récolte. Il y a donc une différence entre exercer ses droits et s'identifier comme un Métis vivant en dehors de sa collectivité, ce qui pose un défi pour bien des Métis qui ont migré vers d'autres régions du Canada. Je ne dis pas que la définition est mauvaise ni que la Cour suprême se trompe. Elle n'a pas défini la notion de « Métis ». En fait, dans son jugement, la cour indique qu'il ne s'agit pas d'une définition. Elle énonce plutôt des critères. Dans la province de la Colombie-Britannique seulement, faute de plus de recherche, je sais qu'il y a des régions historiques où les Métis pouvaient exercer leurs droits en vertu de l'article 35. À la lumière des travaux préliminaires que nous avons effectués, je suis absolument convaincu de cela.
Vous allez rapidement entendre parler de Kelly Lake. C'est une collectivité qui est bien connue dans la province et qui a une longue histoire. Elle ne travaille pas avec la Métis Nation of B.C., non plus avec le Ralliement national des Métis. Pourtant, à chaque saison, les membres de cette collectivité partent aux récoltes, à la chasse et à la pêche, et la Direction de la faune ne les en empêche pas. Ils n'ont pas eu besoin de se procurer une carte pour cela. Il y a des choses qui se passent peu importe les programmes politiques, les structures de gouvernance et autres considérations. Je pense que la difficulté que nous avons tous par rapport à la définition de « Métis », c'est de trouver une façon de remédier à tout cela de manière responsable.
Beaucoup de membres de la MNBC — je le sais parce que j'en faisais partie — ont pensé qu'on allait leur accorder des droits à cause de cette carte. Ce n'est pas le cas. Même avec une carte de la MNBC en poche, si je m'aventure à la pêche en Colombie-Britannique cet été, il est fort probable que je me fasse intercepter par un agent de la pêche et de la faune, ou par quelqu'un d'autre, et cela est arrivé à maintes reprises. En fait, j'étais à la MNBC quand nous avons perdu notre cause dans l'affaire Wilson en 2004. Cette carte ne s'accompagne pas nécessairement de droits. Je pense que bien des Métis à l'échelle du pays ont parfois été mal informés à propos des privilèges qui se rattachent à ces cartes. J'estime qu'il faut beaucoup mieux informer le public, et nous avons besoin d'aide pour faire connaître la culture métisse et les liens qui existent entre ces collectivités. En tant que Métis, je ne souffre pas du fait que le gouvernement ne reconnaisse pas l'article 35. J'aime l'exemple du peuple Sami. J'ai accès à des services, mais ce que je souhaite, et c'est aussi le souhait de bien des familles, c'est de conserver mes liens socioculturels avec ma collectivité. Et quand des collectivités sont en mesure d'exercer leurs droits, c'est parfait, mais dites-le nous, car il n'en reste plus beaucoup. Si nous ne faisons rien pour modifier cette définition, nous allons créer des conceptions erronées de la situation, et c'est ce que j'essaie de faire valoir dans mon mémoire. C'est surtout cela qui me préoccupe.
M. Goulet : La MNBC et Powley veulent tous deux conserver les liens ancestraux à l'égard de la collectivité historique et bénéficier d'une certaine reconnaissance en tant que collectivité actuelle. Autrement dit, pour que je puisse exercer mes droits, je devrais revenir m'installer au Manitoba et attendre à l'intersection des rues Portage et Main dans l'espoir qu'un orignal passe par là, car mes seuls liens ancestraux sont à Red River. Je pense que la Cour suprême pourrait élargir la définition dans le prochain arrêt en définissant la collectivité métisse de Sault-Ste-Marie comme une région géographique, et toute collectivité métisse installée dans une région de l'Ouest comme une collectivité apparentée par son patrimoine culturel, entre autres choses.
Pour ce qui est du peuple Sami, je voulais mentionner au sénateur Raine que la mère de Renée Zellweger, l'actrice gagnante d'un Oscar, était d'appartenance sami.
La vice-présidente : Malheureusement, le temps ne fait pas de cadeau. J'aimerais donc remercier notre deuxième groupe de témoins pour les exposés et l'information qu'ils ont présentés au comité.
Mesdames et messieurs, nous accueillons notre troisième groupe de témoins. Lyle Letendre est président de la Kelly Lake Metis Settlement Society Incorporated. Nous souhaitons aussi la bienvenue à June Scudeler, présidente de la Vancouver Métis Association, de même qu'à J. Paul Stevenson, aîné.
Je prierais nos témoins d'être brefs afin que nous ayons suffisamment de temps pour les questions. Nous avons un avion à prendre immédiatement après la séance, alors nous allons devoir suspendre nos travaux à midi.
Nous vous écoutons.
Lyle Letendre, président, Kelly Lake Métis Settlement Society Inc. : Je m'appelle Lyle Letendre. Je suis le président de la Kelly Lake Métis Settlement Society.
[Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle.]
Je veux simplement vous remercier de m'avoir permis de venir vous parler aujourd'hui au nom de ma collectivité. Je ne sais pas par quoi commencer, mais je pourrais d'abord vous parler de l'atrocité que j'ai dû endurer pendant mes 51 années passées dans cette province, c'est-à-dire la discrimination de la province de la Colombie-Britannique; seulement la province. Je vais commencer par cela.
Je vais vous parler de moi rapidement. À 17 ans, à mon retour de l'école un jour, j'ai demandé à mon grand-père qui nous étions et d'où nous venions. Il m'a regardé et m'a répondu ceci : « Nous avons été les premiers à naître dans ce pays et les premiers à fouler son sol. » Aujourd'hui, 40 ans plus tard, je comprends ce qu'il voulait dire. Il voulait dire que les sept ou huit familles qui habitent à Kelly Lake aujourd'hui, qui en est à son cinquième établissement en 350 ans, sont issues des 50 premières familles venues de France. C'est à ce moment que sont nées nos familles, et c'est ce que mon grand-père voulait dire quand il m'a répondu que nous avions été les premiers à naître ici. Quand mes deux familles, les Campbell et les Letendre, sont arrivées au pays, mes deux arrière-grands-pères et mes arrière-grands-oncles ont suivi Alexander Mackenzie jusqu'à la région où j'habite aujourd'hui — 1792, Baptise Bashon, Joseph Letendre. En 1805, Joseph Letendre a ouvert un magasin de la Baie d'Hudson à McLeod Lake. Nous n'avons jamais quitté la région, et nous y sommes toujours.
J'ai entendu quelques-unes des questions qui ont été posées et je sais que le temps vous presse. Eh bien, je suis probablement le seul Métis de la province, et peut-être même de l'Ouest canadien et de l'ensemble du pays, à pouvoir chasser, pêcher et faire ce que je veux en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. Je sais que bien de mes cousins et de mes amis Métis détestent entendre parler de l'arrêt Powley. Ce n'est pas mon cas. Quand on m'a lu la décision, j'ai failli tomber à la renverse. Cela m'a fait dresser les cheveux sur la tête. Je n'ai pas arrêté de me demander si ces gens nous connaissaient. On dirait que l'arrêt Powley a été rédigé expressément pour mon établissement ou ma collectivité. Huit sous-ministres m'ont demandé un jour lors d'une réunion ce que je pensais de l'arrêt Powley, et je leur ai répondu que peu importe qui avait rédigé la décision, il l'avait fait pour mon établissement.
Permettez-moi de revenir en arrière un moment. J'ai un grave problème de dyslexie et c'est très difficile pour moi de lire mes notes ou celles d'un autre. Je vous parle avec mon cœur. C'est tout ce que je peux vous dire. J'ai l'air de m'éparpiller, mais au bout du compte, tout tombe en place.
Comme Keith le disait tout à l'heure, notre collectivité n'a pas fait partie d'une organisation depuis 25 ans. Si c'est ainsi, c'est parce que j'ai connu mon lot d'initiatives politiques depuis 1970 dans cette province. Ce n'est pas une première. Je n'ai pas besoin qu'une organisation comme la MNBC me dise comment chasser, pêcher ou préserver ma langue, parce que ce sont des choses que je peux faire, et pas elle.
À Kelly Lake, 40 p. 100 de la population parle et comprend encore la langue. Il n'y a pas de meurtre, pas de suicide. Nous n'avons pas de problème d'alcoolisme ou de toxicomanie, et depuis que nos familles existent et vivent ensemble, nos enfants n'ont jamais eu à dépendre de l'aide sociale. Encore là, je pourrais vous parler pendant des jours et des jours de notre histoire et de qui nous sommes, mais les sénateurs sont ici essentiellement pour savoir ce qui définit un Métis et ce que devrait être la définition selon nous. C'est très difficile de répondre à cette question en raison du caractère unique du peuple que nous formons et de nos origines.
Au cas où cela vous intéresserait, car personne ne sait où c'est, Kelly Lake est situé à 90 kilomètres au sud de Dawson Creek et à 90 kilomètres au nord-ouest de Grande Prairie, en Alberta. La ville de Grande Prairie a été fondée par les mêmes familles qui ont fondé Kelly Lake en 1803. J'oublie en quelle année le gouvernement est arrivé à Grande Prairie, mais c'est aussi à ce moment qu'on a commencé à revendiquer des titres fonciers. Kelly Lake est un établissement fondé sur les terres. C'est l'un des seuls établissements du genre, sinon le seul, pour le peuple métis au Canada. Cela signifie que nous sommes établis tout autour du lac. Toutes les familles, y compris la mienne, sont propriétaires de terres. Nos terres nous appartiennent, et il en a toujours été ainsi. Mes deux grands-pères, Xavier Letendre et Louis Campbell, ont pris part à ce qu'on appelle une guerre, et vous, une rébellion, à Grande Prairie, Jasper House, Lake St. Ann (en périphérie d'Edmonton), Edmonton même et Batoche.
Je me demande toujours pourquoi on m'invite à ce genre de réunion pour toujours me faire demander qui nous sommes et d'où nous venons. C'est très difficile, vous savez. Ce n'est pas évident d'être un métis. Je viens de North Peace, de South Peace, peu importe. Si vous voulez vraiment vivre comme un métis, vous n'avez qu'à vous rendre là- bas. C'est pareil. Pour répondre à plusieurs des questions qui ont été posées, et même pour expliquer qui nous sommes, tout ce que je peux dire est qu'un jour, et ce jour approche, nous allons revendiquer nos droits autochtones tout comme nos cousins des Premières nations et du peuple inuit, mais nous choisissons de faire les choses différemment. Je ne sais vraiment pas quoi vous dire. C'est plus facile pour moi de répondre aux questions.
La vice-présidente : Nous allons sans aucun doute vous poser quelques questions. J'invite donc la représentante de la Vancouver Métis Community Association à prendre la parole.
June Scudeler, présidente, Vancouver Métis Community Association :
[Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle.]
Je suis la présidente de la Vancouver Métis Community Association. Mes ancêtres sont originaires de Red River et de Batoche. C'est faux d'affirmer qu'il n'y a qu'une seule nation métisse. Sur le plan historique, les collectivités métisses se rassemblaient plutôt en temps de crise ou de célébration. Chaque collectivité métisse a sa propre définition de ce qui constitue un Métis et choisit qui accepter parmi ses rangs. Cela a toujours été ainsi, et cela le demeure encore aujourd'hui. La « méticité » ne se jauge pas en fonction d'une définition gouvernementale. Être Métis, ce n'est pas d'avoir une carte pour prouver sa « méticité ». Les entités politiques métisses jouent gros si elles croient qu'elles ont l'appui de tous ceux qui se définissent comme Métis. En adhérant aux définitions imposées par le gouvernement, les organisations métisses mettent en péril leur autonomie traditionnelle et deviennent une société d'État. Ce n'est pas parce que le gouvernement du Canada finance certaines organisations que celles-ci peuvent décider qui est ou non d'appartenance métisse. Suivre les définitions imposées par le gouvernement signifierait pour les organisations métisses de délaisser la définition traditionnelle et historique de l'identité propre. Les membres de la collectivité n'ont pas à être originaires de la soi-disant patrie historique pour être Métis, puisque de nombreuses collectivités métisses étaient là bien avant la colonisation de l'Ouest.
Selon la définition de la Cour suprême, une collectivité métisse doit posséder une identité collective distincte et ses membres doivent avoir résidence dans le même lieu géographique et partager un mode de vie commun. Il n'est jamais question de la patrie historique.
La Vancouver Métis Community Association a pour principaux critères d'acceptation la définition de l'identité propre et l'engagement communautaire. Traditionnellement, les Métis adoptaient des enfants sans famille ou dont la famille ne pouvait prendre soin. Nous prenons en considération les expériences personnelles de chacun pour les aider à faire partie de la collectivité métisse. Par exemple, les enfants adoptés ou les enfants pris en charge ne peuvent pas fournir leurs antécédents généalogiques. Devrions-nous les empêcher de faire partie d'une collectivité métisse parce qu'ils ne satisfont pas à des critères très précis? La Vancouver Métis Community Association a lancé l'initiative Walk Bravely Forward, qui s'adresse aux détenus autochtones. Ils sont très fiers de recevoir leur carte de Métis. Qui sommes- nous pour leur dire qu'ils ne sont pas Métis? Notre objectif est de former une collectivité saine et sécuritaire, une collectivité qui accueille nos frères et nos sœurs Métis. Nous n'avons certainement pas l'intention de devenir une société historique reproduisant une brève période de notre longue histoire.
Nous ne devrions pas laisser l'appareil judiciaire déterminer qui est Métis à notre place. Par exemple, l'arrêt Powley ne tient pas compte des Métis en milieu urbain, même si certains habitent en ville depuis des générations. Un Métis doit d'abord démontrer son appartenance à une collectivité contemporaine en mesure de prouver qu'il descend d'une communauté métisse historique ayant une culture distinctive, mais c'est impossible pour bien des Métis. Même si elles sont en milieu urbain, les organisations métisses telles que la Vancouver Métis Community Association constituent des communautés qui reflètent la réalité de la plupart des Métis.
Les définitions axées sur le territoire ancestral ressassent le passé du peuple métis plutôt que de s'intéresser à ses réalisations contemporaines. Nous nous chamaillons sur ce qui s'est produit autrefois plutôt que de nous concentrer sur l'avenir de l'identité métisse et des enfants de nos enfants. Merci.
La vice-présidente : Monsieur Stevenson.
J. Paul Stevenson, aîné, Vancouver Métis Community Association : J'ai participé à la rédaction du texte.
La vice-présidente : Je vous remercie de votre résumé concis et instructif.
Monsieur Letendre, je ne suis pas certaine d'avoir compris si votre collectivité remplit les critères de l'arrêt Powley ou non.
M. Letendre : Veuillez m'excuser. Je ne suis pas à la hauteur de mon peuple et de ma collectivité. Je manque de professionnalisme, mais je deviens nerveux et dyslexique. La réponse est oui, les critères de l'arrêt Powley nous vont comme un gant — mieux que celui de O. J. Simpson, comme j'ai déjà dit à une sous-ministre. Elle était surprise, mais c'est vrai; nous les remplissons parfaitement. Chaque critère défini dans l'arrêt Powley s'applique à ma collectivité. La seule raison pour laquelle nous ne sommes pas devant les tribunaux aujourd'hui, c'est que notre avocat est décédé, et que ma collectivité n'a plus de ressources. Nous avions intenté un procès contre le gouvernement provincial en 2007, et j'avais octroyé un délai de grâce au bureau du procureur général à trois reprises. La poursuite n'a pas été abandonnée, mais notre avocat est décédé le 10 septembre 2007, après quoi son cabinet a refusé de prendre le relais. Nous étions sur le point d'y arriver. Compte tenu de la diversité grandissante au cours des 20 dernières années, certaines familles ne veulent pas qu'on les appelle des Indiens, mais on continue à le faire; on ne les appelle pas des membres de Premières nations. Veuillez m'excuser, mais c'est vrai. Depuis, le gouvernement s'en est servi contre nous parce que nous sommes...
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Nous sommes des Métis. Nous avons ce qu'il faut dans le sang pour être forts et défendre notre identité. Oui, l'arrêt Powley nous convient parfaitement. La décision me permet de chasser à Batoche, à Lake St. Ann, à Jasper House, dans la Grande Prairie et à Kelly Lake en raison de l'importance historique de ces lieux.
La vice-présidente : La définition d'une personne métisse adoptée par le Ralliement national des Métis s'applique-t- elle à vous?
M. Letendre : Même dans 300 ans, le peuple Métis de Kelly Lake fera partie de la définition que n'importe quelle organisation pourrait proposer.
La vice-présidente : N'importe quelle définition s'appliquerait à vous?
M. Letendre : Nous sommes les premiers nés au pays.
La vice-présidente : Vous dites premiers nés par opposition à la patrie. Or, le ralliement définit la patrie des Métis tandis que l'arrêt Powley n'en parle pas vraiment, si je ne m'abuse.
M. Letendre : Voici ce que mon grand-père disait — mon oncle Dennis était un homme très influent dans l'arène politique de la rivière Rouge, au Manitoba. Notre patrie se trouve sous vos yeux, à moins qu'un blanc n'ait sauté d'un avion dans les années 1600. Ma famille est originaire de Trois-Rivières, au Québec. C'est à cette époque que les premiers Français sont arrivés ici. Nous sommes donc nés là-bas, et pas au Manitoba. Les familles de Kelly Lake vivaient à Fort Garry bien avant que l'endroit ne porte ce nom.
La vice-présidente : Vous dites que Kelly Lake est un établissement axé sur la terre. Comment a-t-il vu le jour? Êtes- vous propriétaires des terres? S'agit-il de propriétés foncières en fief simple, de propriétés privées ou de terrains appartenant collectivement à l'ensemble du groupe?
M. Letendre : Nous avons vu le jour comme Lake St. Ann. On arrive à un endroit, mais on ne veut pas se faire traiter de squatteurs. On exploite la terre avec sa famille et d'autres familles. Des années plus tard, le gouvernement arrive soudain en disant qu'il faut payer d'une manière ou d'une autre pour occuper le territoire. C'est ainsi que c'est arrivé.
Nous avions un certificat des Métis de la famille Campbell, qui détient 160 acres de Grande Prairie là où se trouve le village. Tout l'emplacement du village appartient aux frères et aux oncles Campbell.
Flyingshot Lake est un autre établissement de deux miles dont les terres appartiennent toutes à des intérêts privés. Pour ma part, je possède 95 acres, et j'ai hérité de 10 d'entre eux. Les huit familles possèdent 165 acres, et cinq appartiennent à quelqu'un d'autre.
La vice-présidente : J'ignore si vous en avez parlé, mais j'ai vu qu'il était question du projet de loi C-31 quelque part. J'aimerais savoir si certains membres de votre collectivité sont devenus des Indiens inscrits. Dans l'affirmative, est-ce que cela pose problème?
M. Letendre : C'est ce que je disais à propos d'il y a 20 ans. Lorsque j'étais président et que j'avais affaire au gouvernement de la Colombie-Britannique, on nous respectait. Avec l'arrivée des industries et l'essor dans le nord-est, ceux qui avaient des relations politiques ont escamoté l'application du projet de loi C-31; ce sera toute une surprise lorsque le gouvernement fédéral s'en rendra compte. On ne peut pas changer un Iroquois en St :lo. C'est notre identité. Nous avons des origines iroquoises, mohawks, cries et françaises.
La vice-présidente : Avez-vous quelque chose à dire, monsieur Henry?
M. Henry : J'aimerais simplement clarifier la question, car je sais que mon ami Lyle peut s'emporter. Kelly Lake compte 50 ou 60 maisons qui appartiennent à huit familles principales, environ. Lors de l'adoption du projet de loi C- 31, certains de ceux qui étaient mariés à un membre de la Première nation adjacente de St:lo ont obtenu le statut d'Indien inscrit grâce à leur lien matrimonial. Certains croyaient que, grâce à ces alliances, des droits sur le plan médical ou autre leur seraient reconnus après l'arrivée du statut d'Indien dans le secteur dans les années 1990.
Lyle, la famille Letendre et bien d'autres refusent toujours d'opter pour cette voie. Il existe une véritable lutte politique, car certains prétendent qu'il s'agissait d'une communauté St:lo à l'origine, alors que les Métis étaient déjà là. Les St:lo sont arrivés dans le secteur à la fin du XIXe siècle alors que les Métis avaient commencé à peupler la région dès le début du siècle, pour ainsi dire. Je pense que le Canada est un des pires exemples de la façon dont un projet de loi comme C-31 peut aider certaines collectivités. Quoi qu'il en soit, la situation a déjà divisé profondément la collectivité.
M. Letendre : Seuls 32 des 420 habitants de Kelly Lake sont des Indiens inscrits.
Le sénateur Ataullahjan : Lyle, vous avez bon cœur et n'avez rien à craindre. Nous sommes ici pour apprendre, et vous pouvez nous montrer bien des choses. Je tiens à vous féliciter.
Vous avez dit qu'il n'y a pas de problème d'alcool ou de suicide au sein de votre collectivité. Vous semblez avoir trouvé la solution. Que faites-vous différemment?
M. Letendre : Nous n'avons perdu ni notre culture ni notre langue. C'est moi qui ai fabriqué les pièces de cuir que je porte. On y voit un wapiti, un orignal et un chevreuil. La broderie de perles vient de mon arrière-arrière-grand-mère. J'en ai hérité, et j'en suis très fier. C'est mon deuxième gilet.
Quarante pour cent du village parlent la langue, car elle fait partie de notre culture. Ce sont les aînés qui tiennent les rênes. J'imagine que c'est ce qui nous garde unis, et ce savoir est transmis de génération en génération.
Le sénateur Ataullahjan : C'est intéressant, car j'ai toujours cru qu'un enfant aurait une bonne longueur d'avance si on lui inculquait très jeune un sentiment de fierté et d'appartenance à la communauté, et s'il tissait des liens familiaux solides.
M. Letendre : Les histoires font partie de notre histoire. Lorsque nous étions enfants — nous ne nous assoyons plus près d'un petit poêle... Aujourd'hui encore, nous continuons de raconter les histoires, sans quoi nous perdrons notre identité. Qu'on me comprenne bien : j'ai rencontré bien des gens qui connaissaient la langue, mais l'ont perdue. Là d'où je viens, nous pouvons difficilement concevoir que ce soit possible. C'est ce qui nous rend uniques. Nous n'avions pas le téléphone avant 1999, et c'est l'Alberta qui nous y a donné accès. J'imagine que l'isolation de la culture y est pour beaucoup. C'est difficile à expliquer. Nos aînés sont présents et n'hésitent pas à intervenir en cas de problème.
Le sénateur Raine : L'école de Kelly Lake enseigne le cri. Est-ce une école crie?
M. Letendre : C'est ironique que vous me posiez la question. L'école a été construite en 1923 parce que les habitants de Kelly Lake savaient ce qui se passait dans les pensionnats, qu'aucun membre de notre collectivité n'a fréquentés. Nous avions donc une école bien avant le district de Dawson Creek. Notre langue demeurait forte même si l'étrange professeur nous pinçait l'oreille de temps à autre, mais c'était tout. Nous parlions la langue parce que nos parents étaient présents et que nos grands-parents gardaient le professeur à l'œil. C'est ainsi que nous l'avons conservée. Je suis vraiment fier de nos enfants. Toutefois, nous avons été victimes de discrimination de la part du gouvernement et du district de Dawson Creek. On a fermé les portes de notre école en 2001 pour une affaire de 20 000 $, alors que 250 000 $ ont été versés à une école allemande.
Le sénateur Raine : L'école de Kelly Lake est fermée?
M. Letendre : Oui, on l'a fermée en 2001 pour plus de 20 000 $.
Le sénateur Raine : Mais ne l'avez-vous pas rouverte?
M. Letendre : Avec quel argent? Le gouvernement ne va rien nous donner. Il n'a jamais apporté la moindre aide à ma collectivité.
L'Alberta nous a donné accès à l'électricité en 1968 et au téléphone en 1999. Mon permis de conduire et mes assurances proviennent de l'Alberta. Je reçois même mon courrier là-bas. Le premier ministre albertain Lougheed a construit la route après être venu visiter Kelly Lake en 1972. En 1968, mon père, qui était président, est allé demander de l'aide à Edmonton puisque Victoria refusait de nous aider.
Le sénateur Raine : Où les enfants vont-ils à l'école aujourd'hui?
M. Letendre : Ils prennent tous l'autobus pour l'Alberta.
Je suis allé à l'école de Beaverlodge, ma ville natale. C'est là que j'ai fait mes études intermédiaires et secondaires, mais aujourd'hui, les enfants doivent se rendre là-bas dès leur premier jour d'école.
Je pense avoir mentionné que je viens du secteur de South Peace et de North Peace. Il faut avoir vécu là-bas pour pouvoir parler de discrimination et se mettre dans la peau d'un Métis. La commission scolaire a fermé l'école même si je lui ai dit que Dieu était à mes côtés. La moitié des membres de la commission scolaire ne viennent même pas de Dawson et ne sont même pas nés dans le secteur, alors ils ne savent rien de nous. Par exemple, une femme venue de Prophet River pour s'installer là-bas m'a dit que les enfants autochtones de son village étaient tous transportés jusqu'à Fort Nelson. Je lui ai répondu que nous n'étions pas des animaux. C'est mon grand-père qui a emmené Alexander Mackenzie jusqu'ici; sans lui, il ne se serait sûrement pas rendu aussi loin, pas plus que Selkirk ou Thompson. C'est loin d'être facile. Comment s'adresse-t-on à un gouvernement qui vous a rejeté?
Le sénateur Raine : Combien y a-t-il actuellement d'enfants au sein de votre collectivité?
M. Letendre : Nous sommes environ 425. Nous atteignons probablement 10 000 en incluant les cinq générations, mais à l'origine, nous sommes un peu plus de 400. Nous avons 60 ou 70 enfants d'âge scolaire. Huit jeunes ont quitté l'école secondaire en 12e année dans une collectivité autochtone de 150 personnes qui ne compte que 43 résidences. La première chose qu'ils me disent, c'est qu'ils ne veulent pas finir dans un trou de 50 000 $. Ils ignorent s'ils trouveront du travail après leurs études et se demandent ce que l'avenir leur réserve. Nous avons chaque année trois ou quatre jeunes qui terminent leur secondaire.
La vice-présidente : C'est bien.
M. Letendre : Mais ils ne partent pas. Les habitants ne sont pas tous bûcherons, camionneurs ou serveurs. Comprenez-moi bien. Nous avons deux infirmières et quatre mécaniciens de centrale, de même que des charpentiers et des électriciens. Tous les métiers sont représentés, car les gens croient fermement qu'ils doivent améliorer leur sort.
La vice-présidente : J'aimerais m'adresser aux témoins de la Vancouver Métis Community Association. J'ai cru comprendre tout à l'heure que les Métis qui vivent dans une agglomération métropolitaine comme Vancouver ne peuvent pas être membres de la Métis Nation British Columbia, ou MNBC. Mais disons que je suis descendante de la colonie de la rivière Rouge...
M. Stevenson : Je ne connais plus bien les critères d'évaluation de la MNBC. Notre association a vu le jour avant elle et a même participé à sa fondation. La politique métisse est exactement comme la politique blanche. Lorsque les choses se sont envenimées, nous avons décidé... Nous avons tiré des leçons d'Ottawa et de Victoria. Par conséquent, la Vancouver Métis Association ne s'associe à aucun organisme politique. Nous avons fait ce choix lorsque la situation a commencé à s'envenimer. Je suis persuadé que nous ne verrions aucun inconvénient à ce qu'un de nos membres adhère à la MNBC; ce n'est pas un problème à nos yeux.
La vice-présidente : Madame Scudeler, vous avez parlé brièvement du projet Walk Bravely Forward. Vous avez dit que vous travaillez auprès d'Autochtones qui sont fiers de recevoir leur carte de Métis. Ces cartes proviennent-elles de votre association?
Mme Scudeler : Oui. Puisque ces Autochtones ont visiblement du mal à reconstituer leur arbre généalogique, nous avons envoyé un employé extraordinaire dans les prisons afin de les aider, de même que certains prisonniers qui ne sont pas autochtones. Une autre organisation métisse a suivi nos traces, mais il lui est arrivé de dire aux prisonniers métis qu'ils ne pourraient pas obtenir de carte. Nous préférons plutôt accueillir à bras ouverts tous ceux qui se désignent comme Métis.
M. Stevenson : Si je puis ajouter quelque chose, j'ai participé à titre de membre honoraire à une rencontre de Native Brotherhood à l'Établissement du Pacifique. Je fais partie de ceux qui visitent ainsi les pénitenciers. Nous y sommes généralement très bien accueillis. Il régnait une certaine tension et l'un des condamnés à perpétuité a pris la parole pour dire que les Métis avaient visité l'établissement la semaine précédente et qu'il était à la fois Mohawk et Métis. Il avait toujours soutenu être Métis et voilà qu'on lui disait autre chose; il cherchait à comprendre. Je leur ai expliqué la différence entre l'appartenance à un groupe et l'identité. Chaque individu a sa propre identité; personne ne peut la lui enlever, personne ne peut rien y changer. Notre identité nous est propre. Quant à l'appartenance à un groupe, c'est un peu comme lorsqu'on veut devenir membre d'un club. Si le club ne nous accepte pas comme membres, il y a sans doute quelqu'un d'autre qui prendra notre place et il y a lieu de se demander si l'on souhaite vraiment faire partie de ce club. C'est comme ça que nous avons présenté les choses.
Il y a une grande différence entre l'identité métisse et l'appartenance à diverses organisations. Nous nous connaissons très bien tous les trois, et nous avons chacun notre rôle à jouer en tant que Métis. Chacun de nous s'identifie à sa manière en fonction de l'identité que lui donne sa communauté. Lorsque des gens se joignent à nous, il arrive qu'ils nous appellent pour nous demander ce qu'ils obtiennent. En joignant les rangs de la Vancouver Metis Community, vous avez l'occasion de travailler bénévolement de concert avec vos frères métis. Nous n'avons aucun financement fédéral parce que nous n'en voulons pas.
La vice-présidente : C'était ma prochaine question. Si j'avais une carte, qu'est-ce que cela me donnerait, à part de m'identifier en tant que Métis? Vous parlez seulement de la possibilité de socialiser et de faire partie de la communauté?
M. Stevenson : C'est le cas pour notre communauté. Si vous avez une carte de Métis de Vancouver, vous avez accès aux programmes de DRHC en tant que Métis. Nous préconisons l'éducation, la sobriété ainsi que la santé et la sécurité de la communauté.
La vice-présidente : Cette carte peut donner accès à des services dans le cadre d'un programme de DRHC?
M. Stevenson : Tout à fait.
Mme Scudeler : Oui. Elle facilite aussi l'accès à l'aide financière pour les études. Je prépare un doctorat à l'Université de la Colombie-Britannique et je peux vous dire que cette carte est également reconnue par les établissements d'enseignement.
M. Letendre : Il y a quelque chose d'ironique lorsque vous parlez des cartes et de ce qu'elles vous apportent. J'ai connu bien des gens à Beaver Lodge où j'ai fait mes études. Je me souviens que certains se disaient Autochtones ou Indiens, sauf lorsque l'organisation métisse de cette province offrait des programmes ou des possibilités d'entreprenariat ou d'études. Alors, ces mêmes personnes voulaient savoir où s'adresser pour obtenir leur carte. C'est la raison pour laquelle il est si difficile de répondre lorsque les gens nous demandent comment nous nous y prenons pour savoir qui est qui. Comprenez-moi bien, madame. J'ai rencontré les Inuits Sami. Quatre femmes sont venues à Kelly Lake pour me voir construire des caches, et il était effectivement ironique en les regardant de se dire qu'elles étaient du même peuple. C'est plutôt amusant. C'est ce que ces gens recherchent dans une carte. La nôtre est différente. Elle n'est remise qu'aux huit familles de notre communauté. Ce sont cinq aînés qui décident qui doit être accepté. Il y a des gens qui vivent dans ma communauté depuis plus de cinquante ans et qui ne seront jamais membres en raison du mariage qu'ils ont contracté. Ce n'est pas la façon dont nous choisissons nos membres, car si je vous remets une carte de Kelly Lake, vous pourriez en tirer votre subsistance. Comme mon grand-père avait l'habitude de le dire, l'éducation n'est pas nécessaire, car on ne peut pas manger un livre. On peut manger du poulet, du rat musqué, du lynx, de l'orignal et du chevreuil. Ce sont les possibilités qui s'ouvrent à toute personne qui reçoit notre carte. Je vous rappelle que nous pouvons chasser librement. J'ai à mon actif des années de revendications auprès des responsables des pêches et de la faune. Nous avons conclu une entente verbale il y a sept ans, mais j'ai vécu une situation très frustrante l'an dernier alors que j'ai dû les appeler en vain pendant tout l'été et une bonne partie de l'automne.
La vice-présidente : J'ai une autre question concernant l'acceptation par la communauté. J'aimerais que les deux groupes nous en disent un peu plus à ce sujet. Vous avez parlé de vos communautés et du fait que vous connaissez les gens. Il semblerait plutôt facile de déterminer qui est membre de la communauté à Kelly Lake, mais comment vous y prenez-vous à Vancouver pour savoir qui fait partie de la communauté métisse et qui pourrait être accepté au sein de la Vancouver Metis Community Association? Quels facteurs prenez-vous en considération et comment ça fonctionne exactement?
Mme Scudeler : Sauf bien évidemment dans certaines circonstances particulières, nous avons besoin d'une preuve généalogique. C'est moi qui réponds bénévolement au téléphone pour notre bureau. Des gens nous racontent leur histoire et le rejet de leur demande par une autre organisation parce qu'ils ne peuvent pas produire les données généalogiques appropriées. J'estime vraiment important de tenir compte de la situation vécue par chacun. Les gens sont tellement heureux d'être acceptés au sein de notre communauté même s'ils ne correspondent pas parfaitement à la définition de métis ou ne peuvent pas remonter 200 ans en arrière dans leur arbre généalogique.
M. Stevenson : Notre définition est inscrite dans notre Constitution. C'est la même qui est utilisée par les communautés métisses d'Alberta : racines autochtones mixtes, auto-identification comme Métis et acceptation par la communauté. Il y a une certaine marge de manœuvre quant à la manière dont chacun doit démontrer qu'il répond à ces critères.
La vice-présidente : C'était justement ma question. Dans votre cas, comment établit-on qu'il y a acceptation par la communauté? Comment pourriez-vous le déterminer si je demandais à devenir membre de votre association?
M. Stevenson : La plupart des gens ont des indications de leurs racines autochtones ou métisses. Une des membres de la famille Lavalle de Duck Lake a communiqué avec nous la semaine dernière. Comme nous connaissons bien cette famille, il a été vraiment simple de faire les recoupements nécessaires. Elle n'avait aucune donnée généalogique, mais son certificat de naissance de Duck Lake. C'est ainsi que nous procédons. Nous avons toutefois une règle concernant les enfants pris en charge. Si la Commission métisse des services à la famille et à l'enfance communique avec nous concernant un enfant métis pris en charge, nous lui émettons une carte. Pas question de lui compliquer la vie encore davantage.
M. Letendre : Quand on me pose la question, je réponds toujours que les Huttérites et les Mennonites se portent encore bien et qu'il en va de même de la communauté de Kelly Lake. C'est aussi simple que cela. Nous sommes ensemble depuis 300 ans. Mon épouse n'est pas autochtone. J'ai rompu la chaîne et on m'a pris à partie, mais je l'ai fait tout de même. Même si elle était avec moi pendant 50 ans, elle ne serait pas acceptée. Il faudrait qu'elle devienne membre honoraire et ce statut lui accorderait des privilèges limités.
M. Henry : Concernant ce que vient de vous dire Lyle, Kelly Lake n'accepte que des membres qui ont des liens généalogiques au sein de la communauté ou qui y ont contracté un mariage. On ne prétend pas devenir une organisation provinciale ou quelque chose de semblable. On s'occupe seulement des membres ayant un lien direct avec la communauté.
M. Letendre : J'ajouterais une chose. Lorsqu'il s'agit de savoir de quelle organisation on fait partie ou si cette organisation ou une autre nous a offert de l'aide, je peux vous dire que le MAINC nous a reconnus et donné accès à des subventions et à des programmes simplement à titre de communauté métisse, l'établissement métis de Kelly Lake, sans que nous ayons à passer par la MNBC, le RNM ou quelque autre organisation que ce soit. Il a suffi de communiquer avec le MAINC pour faire valoir qui nous sommes, qui sont ces organisations et ce qu'elles défendent. Au cours de la dernière décennie, nous avons sans doute reçu plus de 400 000 $ du MAINC dans le cadre de différents programmes visant à améliorer notre situation. Ainsi, nous réalisons actuellement un projet sur la biomasse et nous frappons à la porte de BC Hydro. Le MAINC doit bien reconnaître qui nous sommes sans quoi il ne nous aurait jamais accordé cet argent. Je me rappelle que le gars qui a répondu à mon téléphone s'est un peu moqué de moi. Il a dit : « Lyle, sais-tu qui tu as appelé? » J'ai répondu : « Oui. » Il a dit : « Il y a un interlocuteur ». J'ai rétorqué : « Tu ferais mieux de lire votre Constitution parce qu'il n'y est pas question d'un interlocuteur ».
M. Stevenson : Je voudrais ajouter quelque chose. Je veux préciser que la Vancouver Métis Community Association compte plus de 2 000 membres. Nous effectuons un suivi auprès de nos membres aux fins de nos envois postaux. Il y en a certains qu'on perd de vue, parce qu'ils déménagent et oublient de nous le signaler. On finit par recevoir un appel où la personne nous indique qu'elle ne reçoit plus son bulletin d'information. Nous lui demandons alors si elle a déménagé. Nos envois postaux atteignent quelque 900 destinataires. Nous maintenons le contact avec ces personnes. C'est la taille de notre communauté.
La vice-présidente : Merci pour ces précisions.
Le sénateur Patterson : Monsieur Letendre, vous formez de toute évidence une communauté très indépendante qui a fait montre d'une vigueur exceptionnelle malgré le manque de reconnaissance et de soutien. Il y a toutefois une question qui me chicote. Si j'ai bien compris, vous n'avez pas fait de demande d'affiliation à la MNBC, mais est-ce que ce conseil vous reconnaît? On a parlé d'un certain nombre de communautés à charte. Ai-je raison de croire que vous n'en faites pas partie?
M. Letendre : Il y a quelques années, le gouvernement a exigé de nous que nous nous joignions à une organisation. Nous avons d'abord refusé avant de tenter le coup. Nous avons essayé de le faire et nous y avons simplement renoncé. Comme j'avais la même impression que je ressens à titre d'observateur de la scène politique depuis les années 1970, j'ai refusé. Étant donné que nous sommes le seul établissement métis, il faut que quelqu'un puisse nous parler dans notre propre langue pour nous dire en quoi on peut nous aider. Encore une fois, on a négligé de le faire, mais on se doit d'être honnête et de chercher vraiment à faire quelque chose de significatif pour la province en y réintégrant notre culture, en améliorant le sort et la sécurité de nos enfants et de nos aînés. Sans cela, ne venez même pas nous déranger, ne nous regardez pas, ne nous parlez pas, car nous ne voulons pas avoir affaire avec vous. Toutes les fois qu'une organisation comme la MNBC vient nous visiter à Kelly Lake, elle s'empresse d'aller voir les gens du gouvernement pour leur dire à quel point nous sommes isolés et nous avons besoin de ceci et cela. Il est vrai que nos besoins sont grands. Est-ce que le gouvernement en est conscient? Est-ce que l'aide se rend jusqu'à Kelly Lake? Non, le processus s'enraie quelque part, et c'est sans doute ici.
La vice-présidente : Nous aurions dû nous rendre à Kelly Lake.
M. Stevenson : Pour plus de précision, madame le sénateur, les communautés à charte dont il est question sont des organisations communautaires reconnues par la MNBC. Cela n'a rien à voir avec quoi que ce soit d'autre. La Vancouver Metis Community Association existait avant la MNBC, mais nous ne sommes pas une communauté à charte.
M. Letendre : Il y a des définitions différentes selon les organisations. C'est probablement la cinquième organisation provinciale depuis 1971. Nous espérons que celle qui vient d'être créée durera plus de 10 ans. Chacune de celles qui se sont succédé a eu droit à une décennie. Il semblerait que les choses fonctionnent de cette manière.
Le sénateur Patterson : Voilà qui est intéressant. J'ai aussi remarqué que vous avez demandé à M. Henry de vous accompagner, si je ne m'abuse.
M. Letendre : Il fait partie du conseil d'administration.
Le sénateur Patterson : Pourriez-vous décrire votre relation avec la fédération?
M. Letendre : Quand les choses ont commencé à se détériorer, comme nous nous y attendions à la lumière de notre perspective extérieure, et que nous nous sommes rendu compte qu'une autre organisation était en voie de création, nous avons pris du recul pendant quelques années pour voir la forme que prendrait cette organisation, quels seraient ses objectifs et pourquoi on voulait s'éloigner de la MNBC. Je connaissais déjà Keith, mais pas vraiment de par son travail au sein de la MNBC. Lorsqu'il a quitté cette organisation, nous avons commencé à correspondre. Les aînés disaient qu'il était le seul dirigeant honnête qu'ils aient rencontré dans cette province, et je fais confiance aux aînés. Ils croient que M. Henry et son organisation pourront sans doute nous faire accéder, comme nous l'espérons, à la prochaine étape — ou plutôt à cette étape-ci, car nous n'y sommes pas encore. C'est le cas de ma communauté, de notre établissement, avec toutes les répercussions que cela entraîne. Pour ce qui est de nos relations avec la MNBC, nous étions — nos aînés m'ont permis il y a plus d'un an de joindre les rangs de l'organisation pour obtenir des conseils et de l'aide auprès du gouvernement, et tout c'est très bien déroulé depuis. Comme je le disais, notre profil est sans doute passé de moins dix à plus dix.
M. Henry : Je devrais sans doute clarifier au bénéfice du Sénat que Lyle m'a demandé de l'accompagner.
Je voudrais ajouter brièvement que notre nouvelle organisation s'est engagée auprès de l'établissement métis de Kelly Lake à ne pas se rendre là-bas pour lui promettre des programmes et des services. Cela n'avait aucun intérêt pour nous. Nous avions besoin de leur aide à des fins culturelles. Par exemple, nous avons organisé l'an dernier plusieurs activités culturelles. Je n'ai pas vraiment bien répondu à la question à ce sujet tout à l'heure. Nous y avons tenu un forum communautaire parce que c'est l'une des rares communautés traditionnelles où l'on peut encore se rendre pour vivre l'expérience de la culture. Nous avons organisé un rassemblement culturel métis en août et nous avons demandé leur aide pour que les Métis vivant en milieu urbain puissent voir quelles formes peuvent prendre les activités culturelles encore pratiquées aujourd'hui et entendre la langue parlée. Quelque 350 personnes en provenance d'à peu près toutes les régions de l'Ouest canadien se sont présentées. Nous ne pouvions pas le croire.
Quant aux relations que nous entretenons, il ne s'agit pas de gagner leur adhésion à nos valeurs et nos croyances. Nous souhaitons plutôt mettre en valeur Kelly Lake qui est l'une des rares communautés métisses traditionnelles encore existantes au Canada en veillant à ne pas la laisser disparaître pour que tout ce patrimoine culturel se retrouve dans un musée, une perspective qui n'est pas aussi éloignée qu'on pourrait le penser.
M. Letendre : Il ne pouvait pas nous promettre des téléphones; nous en avions déjà.
La vice-présidente : Merci pour ces renseignements supplémentaires.
Le sénateur Raine : Vous nous avez dit, Lyle, que 40 p. 100 des gens de votre communauté parlent encore votre langue. Vous parlez le cri?
M. Letendre : Il y a sans doute une dizaine de personnes qui parlent encore le métchif, un mélange de français et de cri. Je comprends cette langue, car si tu ne passes pas le sel lorsqu'on te le demande à la table du souper, tu vas en entendre parler. Alors, je la comprends encore un peu. Ma grand-mère pouvait tenir une conversation avec une dame francophone. Les deux pouvaient se parler chacune dans leur langue. Nous le faisons toujours.
Le sénateur Raine : Est-ce la langue d'usage au sein de votre communauté?
M. Letendre : Oui, toujours. C'est celle qu'on peut entendre toute la journée, du lever jusqu'au coucher.
Le sénateur Raine : Je suis consternée d'apprendre qu'on vous a enlevé votre école. Nous avons réalisé l'an dernier une étude sur l'éducation primaire et secondaire chez les Autochtones. C'est dommage que nous ne soyons pas venus à Kelly Lake. Nous nous sommes rendus à Onion Lake où il y a une école d'immersion en langue crie pour laquelle on forme des enseignants au sein même de la communauté. Je ne sais pas si vous avez vu ce qu'on fait là-bas, mais ce serait un modèle formidable pour votre école.
M. Letendre : Certains de mes ancêtres viennent d'Onion Lake; mon arrière-grand-père était de Duck Lake. Certaines femmes de notre communauté parlent la langue; c'est à elles que l'on doit l'écriture syllabique que vous pouvez voir au coin supérieur. Ma grand-mère est née à Kelly Lake et y a grandi. Elle est allée à l'université de 59 jusqu'à 61 ans simplement pour obtenir son certificat d'enseignante. Nous en avons deux autres dans la communauté. Vous verrez ici que nous mettons sur pied notre propre structure afin d'offrir un programme d'aide préscolaire pour l'enseignement de la langue. Je peux vous dire que nous avons maintenant six enfants qui parlent la langue mieux que nos adolescents.
Le sénateur Raine : J'espère vraiment que vous pourrez obtenir le soutien nécessaire pour l'éducation des jeunes enfants et tout au moins pour une école primaire dans votre communauté. Tout cela est illogique.
M. Letendre : Avec M. Henry, nous allons parler au ministre de l'Éducation. Les jeunes vont à l'école à Beaver Lodge, Hythe ou Grande Prairie. Comprenez-moi bien, les agentes de liaison autochtones sont vraiment de braves femmes, mais elles ne sont pas métisses. Il n'y a tout simplement pas compatibilité. J'en ai vraiment marre de cette amalgamation; comme si nous étions tous pareils. Ce n'est pas comme ça que les choses fonctionnent. Vous ne me verrez pas avec des parures de tête ou des tambours. Vous allez me voir avec un violon et une guitare. C'est notre réalité. Du côté de l'éducation, si vous vous demandez pourquoi 30 élèves ont abandonné leurs études secondaires au cours de la dernière décennie sans avoir nulle part où aller, il faut s'interroger sur l'orientation qu'ils reçoivent. Il faut les guider de la maternelle jusqu'à la fin du secondaire. Lorsque nous étudiions à Kelly Lake, tout se passait très bien et nous obtenions de bons résultats après le secondaire. Ce n'était pas parce qu'une agente de liaison venait nous dire où aller. Ce sont nos parents qui nous indiquaient la voie à suivre. C'était une autre génération. C'est tellement difficile. Les parents s'efforcent d'assurer la subsistance de leur famille et il n'est pas facile de le faire en quittant Kelly Lake. Il est vraiment difficile d'amener un enfant au-delà de Grande Prairie sans crainte d'isolement. Nous avons besoin d'aide à ce chapitre. Nous avons besoin d'orientation au sein de notre système scolaire. J'aimerais bien que l'on trouve encore ça en Colombie-Britannique, mais ce n'est plus le cas; c'est l'Alberta qui a tout désormais.
Le sénateur Raine : De toute manière, la frontière entre les deux provinces est artificielle. C'est logiquement la rivière de la Paix qui devrait servir de frontière.
M. Letendre : Tout à fait.
Le sénateur Raine : C'est l'endroit d'où tout le monde est parti.
M. Letendre : J'ai hérité de 10 acres de terre à la frontière entre la Colombie-Britannique et l'Alberta, car c'est là où commencent les terres de mes grands-parents.
Le sénateur Raine : Quoi qu'il en soit, poursuivez votre bon travail.
La vice-présidente : Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie pour les exposés que vous nous avez présentés ce matin et je vous souhaite la meilleure des chances.
(La séance est levée.)