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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 31 - Témoignages du 6 février 2013


OTTAWA, le mercredi 6 février 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière, se réunit aujourd'hui, à 19 heures, pour étudier ledit projet de loi.

Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet.

Je m'appelle Vern White et je viens de l'Ontario. Je suis aussi le président du comité. Notre comité a pour mandat essentiellement d'étudier la législation et les affaires concernant les peuples autochtones du Canada. Aujourd'hui, nous commencerons à examiner le projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières nations en matière financière. Nous allons entendre ce soir le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien. Il sera accompagné de représentants de son ministère et du ministère de la Justice.

Auparavant, j'aimerais présenter les membres du comité. Je vais commencer par la sénatrice Lillian Dyck, de la Saskatchewan, qui est vice-présidente du comité. Nous avons également le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest; la sénatrice Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Jim Munson, de l'Ontario; le sénateur Jacques Demers, du Québec; le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut; la sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique; la sénatrice Asha Seth, de l'Ontario; et la sénatrice Linda Frum, de l'Ontario.

Chers collègues, accueillons maintenant nos témoins des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada. Il s'agit de Brenda Kustra, directrice générale, Direction de la gouvernance, Secteur des opérations régionales; d'Anne Scotton, dirigeante principale de la vérification et de l'évaluation, Secteur de la vérification et de l'évaluation; et de Susan MacGowan, dirigeante principale des finances, Secteur du dirigeant principal des finances. Ils sont accompagnés de Karl Jacques, avocat-conseil, Opérations et programmes, du ministère de la Justice, et du ministre John Duncan. Merci beaucoup de vous être joints à nous.

Nous sommes impatients d'entendre vos exposés, qui seront suivis des questions des sénateurs. La parole est à vous.

L'honorable John Duncan, C.P., député, ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien : Merci, monsieur le président. C'est un projet de loi important. Nous parlons bien sûr du projet de loi C-27, la loi proposée sur la transparence financière des Premières nations. La démocratie repose sur la capacité qu'ont les citoyens de demander à leurs élus de leur rendre des comptes pour s'assurer qu'ils défendent les meilleurs intérêts de la communauté. Nous avons reçu des commentaires de membres des communautés des Premières nations qui désirent, et qui méritent, qu'on fasse preuve d'une transparence accrue envers eux et qu'on leur rende davantage de comptes. Comme tous les Canadiens, ils veulent la garantie que les fonds sont utilisés à bon escient pour améliorer la qualité de vie et les possibilités économiques dans leur communauté.

À l'heure actuelle, les gouvernements des Premières nations assujettis à la Loi sur les Indiens sont les seuls ordres de gouvernement au Canada qui ne doivent pas se conformer à une loi qui exige la publication de renseignements financiers de base. Les membres des communautés des Premières nations peuvent demander à leurs dirigeants de leur fournir des renseignements financiers de la bande. Cependant, la Première nation n'est pas tenue par la loi de dévoiler ces renseignements. Par conséquent, mon ministère reçoit chaque année des dizaines de demandes de membres des Premières nations qui souhaitent obtenir des renseignements financiers de base.

Notre gouvernement croit que les citoyens des Premières nations doivent jouir du même accès de base aux états financiers de leurs gouvernements et à l'information sur les salaires des représentants élus que tous les autres Canadiens s'attendent à obtenir des dirigeants fédéraux, provinciaux et municipaux.

Il est inconcevable que, au XXIe siècle, le ministre des Affaires autochtones — c'est-à-dire moi — doive jouer l'entremetteur pour répondre à de telles demandes. Je préférerais de loin ne pas jouer ce rôle.

Monsieur le président, le projet de loi C-27 réglerait directement cette question en exigeant des gouvernements des Premières nations qu'ils publient des états financiers annuels vérifiés ainsi qu'un tableau des salaires et des dépenses de leurs chefs et conseillers. Ainsi, les membres des Premières nations auront accès à l'information dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées à propos de leurs élus.

Nous croyons que la loi présentée aujourd'hui aurait dû être adoptée il y a longtemps et que les membres des Premières nations devraient pouvoir obtenir les renseignements financiers ciblés directement de leurs dirigeants, et ce, sans problème. Cette loi a été exigée par les résidents des Premières nations : ce sont eux qui sont à l'origine de sa rédaction.

Les membres de certaines Premières nations, et, dans d'autres cas, des coalitions de groupes communautaires de partout au pays, se sont plaints à de nombreuses reprises de pratiques financières douteuses. Trop de membres des Premières nations affirment qu'ils n'ont pas accès à l'information nécessaire pour exiger des comptes de leurs dirigeants.

Je tiens à préciser que ces préoccupations ne s'appliquent pas à toutes les Premières nations. Je me porte garant du progressisme qui caractérise le travail de nombreux dirigeants avec lesquels j'ai collaboré depuis que j'assume la responsabilité de ce portefeuille et même avant. Ces dirigeants comprennent que le concept de transparence est le fondement même de la démocratie. Ils reconnaissent que faire preuve de transparence et de saines pratiques redditionnelles est bon pour les affaires et stimule la confiance des investisseurs ainsi que la capacité communautaire. Je m'attends à ce que la loi proposée contribue à inciter les dirigeants des bandes à améliorer l'efficacité de leur gouvernance et les aide à y parvenir.

Pas plus tard qu'en novembre dernier, j'ai rencontré des représentants de la Fédération canadienne des contribuables, Phyllis Sutherland de la coalition pour la transparence de Peguis ainsi que d'autres intervenants, à l'occasion d'une conférence de presse sur le projet de loi C-27. Mme Sutherland a alors affirmé ce qui suit :

Si les Premières nations désirent s'autogouverner, elles doivent rendre des comptes et faire preuve de transparence, comme tous les autres ordres de gouvernement qui rendent public le salaire de leurs représentants.

De son côté, Beverly Brown, de la Première nation de Squamish, a déclaré :

Le projet de loi C-27 aidera les membres des bandes en leur permettant de consulter les documents ciblés en ligne et en toute confidentialité.

Je tiens à souligner le mérite de Kelly Block, députée du Parti conservateur pour Saskatoon—Rosetown—Biggar, qui a déposé un projet de loi d'initiative parlementaire à ce sujet en 2010, le projet de loi C-575, qui est à l'origine des présents travaux. L'objectif du projet de loi C-575 consistait à s'assurer que l'information financière sur la rémunération des dirigeants des Premières nations était communiquée au public. Lorsque le projet de loi C-575 est mort au Feuilleton en 2011, notre gouvernement en a déposé une nouvelle version en novembre 2011, soit le projet de loi C-27, dont il est question aujourd'hui. Le projet de loi C-27 s'appuie sur celui déposé par Mme Block et en renforce certains éléments en exigeant également des Premières nations qu'elles publient des états financiers consolidés vérifiés. Le projet de loi établit pour les gouvernements des Premières nations des règles en matière de transparence financière semblables à celles qui s'appliquent déjà à tous les gouvernements en place au Canada.

Je tiens également à préciser que le projet de loi ne fixe aucune échelle salariale. Il reviendra encore à la Première nation de décider de la rémunération adéquate pour son chef et ses conseillers. Le projet de loi vise simplement à garantir la communication de cette information, ce qui permettra aux membres des bandes de déterminer si les rémunérations versées sont raisonnables et adéquates.

C'est pourquoi il est essentiel que ces renseignements soient facilement accessibles, tant aux membres des Premières nations qu'aux Canadiens en général. La publication des renseignements financiers facilitera la tenue d'analyses et de comparaisons par davantage de personnes, notamment des chercheurs, des membres des médias, des économistes, des investisseurs et le grand public, comme c'est le cas pour l'information fournie par les autres ordres de gouvernement du pays.

De plus, le projet de loi a aussi fait l'objet de commentaires de la part des dirigeants des Premières nations, notamment le chef Darcy Bear, de la Première nation des Dakota de Whitecap qui, lors de son témoignage devant le comité de la Chambre des communes, a recommandé qu'on reformule certaines parties du projet de loi afin d'en clarifier quelques aspects. On a amendé le projet de loi en tenant compte des propositions du chef Bear en ce qui a trait aux entreprises appartenant aux bandes afin de ne pas nuire à leur compétitivité en leur imposant de publier des données financières. Le projet de loi C-27 n'exige pas que les entreprises appartenant à la bande publient leurs états financiers détaillés.

De plus, afin d'éviter toute confusion, le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord a amendé le projet de loi afin qu'il soit plus précis sur le mode de communication des renseignements visés. Il y est maintenant très clairement précisé que les tableaux des dépenses et de la rémunération doivent être distincts et non amalgamés.

Le projet de loi C-27 précise que les Premières nations doivent publier l'ensemble de leurs états financiers consolidés vérifiés, ce qui est conforme aux exigences de leurs ententes de financement actuelles. Les gouvernements des Premières nations devront respecter les règles établies par le Conseil sur la comptabilité dans le secteur public de l'Institut Canadien des Comptables Agréés. Ces exigences ont également été précisées dans des amendements clairs apportés par le comité de la Chambre des communes.

Les rapports financiers doivent englober toute entité qui, selon les principes comptables généralement reconnus, est intégrée à la Première nation, y compris les entreprises appartenant à la bande. Il s'agit là de pratiques comptables normalisées qui s'appliquent à toutes les autres entreprises appartenant à un gouvernement au Canada.

Lors des témoignages qui lui ont été présentés, le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord a entendu que la transparence et la reddition de comptes constituaient les principaux facteurs ayant permis à la Première nation des Dakota de Whitecap, en Saskatchewan, de passer d'une communauté près de la faillite à la communauté modèle dynamique qu'elle est aujourd'hui.

Je tiens également à souligner que la loi proposée n'alourdira pas le fardeau administratif des gouvernements des Premières nations. Dans le cadre de leurs ententes de financement, ces gouvernements sont déjà tenus de produire des états financiers annuels consolidés et de les faire examiner par un vérificateur professionnel indépendant accrédité. Le projet de loi fait simplement en sorte que les renseignements financiers de base soient rendus publics.

De plus, le projet de loi ne comprend pas de nouvelle exigence selon laquelle une Première nation doit avoir un site web. Une Première nation qui n'en possède pas pourra publier les renseignements demandés sur le site d'une organisation partenaire ou demander au ministère de les publier en son nom.

Les mesures de conformité sont le dernier élément du projet de loi que j'aimerais porter à votre attention. Je tiens à souligner que les mesures décrites dans le projet de loi sont identiques à celles déjà prévues aux ententes de financement en vigueur. La seule différence entre le projet de loi et les mesures actuelles est que le projet de loi C-27 autorise un particulier à poursuivre le gouvernement d'une Première nation qui manque à son obligation de publier ses états financiers vérifiés ou son tableau de la rémunération.

Le projet de loi vise à faire en sorte que les gouvernements des Premières nations rendent davantage de comptes aux membres de leurs collectivités. Cette loi donnera aux Premières nations les outils nécessaires pour poursuivre des projets de développement économique et favoriser une saine gouvernance, ce qui créera des emplois en plus de stimuler la croissance économique et d'améliorer la qualité de vie globale des membres des communautés. C'est ce qui compte réellement. Des gouvernements des Premières nations solides, transparents et responsables permettront de mieux servir les membres.

Pour conclure, monsieur le président, je pense que l'obligation de rendre des comptes et la transparence des gouvernements des Premières nations sont essentielles pour favoriser l'autonomie, la création d'emplois, la croissance économique et le développement de collectivités durables.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Si les personnes qui vous accompagnent n'ont rien à ajouter, nous commencerons d'abord par la sénatrice Dyck.

La sénatrice Dyck : Je vous remercie monsieur le ministre, ainsi que vos représentants, d'être venu témoigner. Je vais d'abord vous poser une question sur votre exposé. Vous avez dit que vous ne voulez plus servir d'entremetteur en répondant aux demandes de divers membres des Premières nations qui veulent obtenir auprès d'une bande des renseignements financiers sur le salaire de ses élus et ses activités commerciales. Je peux comprendre votre point de vue. Ma question comporte deux volets. Premièrement, pourquoi recourir à une mesure législative? Les dispositions de la loi autorisent déjà les membres des bandes à demander ces renseignements à leur chef et à leur conseil. Vous n'en avez pas vraiment parlé dans votre exposé. Je sais qu'il faut tenir compte du facteur temps, mais les membres des bandes peuvent adresser cette demande à leur chef. Ils ont la possibilité de le faire, et vous n'êtes donc pas nécessairement tenu de servir d'entremetteur.

Deuxièmement, pourquoi ne répondez-vous pas simplement à leurs demandes? S'ils veulent de l'information sur la vérification d'un état financier ou sur le salaire et les dépenses du chef et des membres d'un conseil, pourquoi ne pas simplement la leur donner?

M. Duncan : Ce que nous disent des membres est que, premièrement, ces demandes sont souvent infructueuses et, deuxièmement, elles peuvent créer des situations fâcheuses. Dans mon exposé, j'ai mentionné que les démarches ne devraient pas occasionner de problèmes et j'ai cité ce qu'a dit Beverly Brown à propos d'être capable d'avoir accès à l'information en toute confidentialité. C'est un point très important.

Il faut aussi savoir que la Loi sur la protection des renseignements personnels interdit actuellement au ministère de publier ou de divulguer le salaire et les autres rémunérations d'un chef et des membres d'un conseil. Le projet de loi C- 27 aurait pour effet de nous donner l'autorisation légale de le faire tout en respectant la Loi sur la protection des renseignements personnels.

La sénatrice Dyck : Dans la même veine, j'ai une autre question à soulever. À l'heure actuelle, et selon leurs règlements sur les revenus, les bandes indiennes doivent afficher leur rapport de vérification et leurs états financiers à un endroit bien visible dans leur réserve pour que leurs membres puissent les consulter. En théorie, ils devraient ainsi être en mesure d'accéder à l'information en toute confidentialité, même si elle n'est pas diffusée sur le web, mais qu'elle est physiquement affichée, par exemple, sur un babillard.

M. Duncan : Oui, je sais que cette façon de faire fonctionnerait sans problème dans un monde parfait, mais ce n'est malheureusement pas toujours le cas. Nous recevons chaque année de nombreuses plaintes.

La sénatrice Dyck : Je crois que vous avez dit 25 par année.

M. Duncan : Non, au moins 25 par mois.

La sénatrice Dyck : À la page 3 de vos notes d'allocution, vous avez parlé de « chaque année des dizaines de demandes de membres des Premières nations ».

M. Duncan : Non, selon l'information que j'ai...

La sénatrice Dyck : C'est ce que vous avez lu ce soir.

M. Duncan : Est-ce que je me suis trompé?

La sénatrice Dyck : Peut-être.

M. Duncan : Dans chaque bureau régional, mais nous en avons neuf ou 10. Nous en recevons environ 250 par année.

La sénatrice Dyck : Donc une tous les deux jours?

M. Duncan : Oui.

La sénatrice Dyck : Je n'ai pas l'impression que leur traitement constitue une lourde tâche. Je conviens que certaines bandes ne suivent pas les règles, et que certains de leurs membres ont de la difficulté à obtenir de l'information. À mon avis, il s'agit probablement d'une minorité.

Le sénateur Demers : Monsieur le ministre, j'ai deux petites questions à vous poser. Comment le projet de loi permettra-t-il de réduire le fardeau lié à l'obligation de rendre des comptes qui incombe aux Premières nations? À part le projet de loi, qu'avez-vous fait en ce sens jusqu'à maintenant?

M. Duncan : Abordons d'abord la question sous un autre angle. Est-ce que le projet de loi imposera un fardeau additionnel? La réponse est simplement non, parce que tous les documents dont nous parlons sont déjà produits régulièrement. Nous pensons qu'avec le temps les membres des Premières nations s'adapteront facilement à la nouvelle façon de faire. Plusieurs d'entre eux se rendront compte qu'elle est en fait positive pour leur communauté. Selon des témoignages et des conversations que nous avons recueillis, une fois que la gestion et la prudence financières d'une collectivité mettent les investisseurs et les autres intervenants en confiance, ils sont beaucoup plus disposés à contribuer à son développement économique et à prendre d'autres mesures.

La confiance accrue des investisseurs servira de moteur de changement positif dans les collectivités. Il y aura une suite logique à ce changement d'attitude. À l'heure actuelle, nous établissons la plupart du temps des ententes de financement annuelles, mais certaines ententes ont une durée de cinq ans, ce qui permet d'alléger le fardeau lié aux rapports et à la vérification et d'améliorer grandement la capacité de planification des collectivités. Elles seront très nombreuses à opter pour des ententes de cinq ans et nous y sommes favorables.

De plus, le projet de loi créera un contexte dans lequel un plus grand nombre de personnes s'intéresseront à la gouvernance, ce qui favorisera le renforcement des capacités et le perfectionnement personnel et, du coup, le développement du leadership au sein des collectivités.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Combien de collectivités ont été consultées pour la rédaction de ce projet de loi?

M. Duncan : Comme je l'ai mentionné plus tôt, la législation proposée a été élaborée à partir d'un projet de loi émanant d'un député qui avait suscité beaucoup de discussions au sein des Premières nations, et ce, à tous les niveaux, tant dans les régions qu'à l'échelle nationale. De nombreuses personnes se sont prononcées. Nous sommes au courant de la résolution qui a été adoptée par l'APN pour mettre l'accent sur la responsabilisation.

Le libellé de la résolution évoquait le choix de diriger par l'exemple et de montrer aux autres ordres de gouvernement des processus de responsabilisation dont (a) permettre un accès sans entrave et en temps opportun aux audits et aux comptes publics; (b) détailler les salaires, les honoraires et les dépenses associés aux activités du chef et du conseil, et les divulguer publiquement; (c) veiller à ce que l'information sur les finances de la collectivité et les prises de décisions soit facilement accessible et affichée dans Internet, s'il y a lieu.

Sauf erreur, je crois que c'était en 2010. À ce jour, l'augmentation à cet égard a touché les salaires et la rémunération de 6 p. 100 des 535 Premières nations reconnues du pays. Dans les états financiers consolidés, on parle de 15 p. 100. C'est un bon début, mais ce n'est qu'un début. Pour le XXIe siècle, nous devons changer nos façons de faire beaucoup plus rapidement.

La sénatrice Lovelace Nicholas : À la page 8, vous indiquez que le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord a apporté des amendements au projet de loi afin d'expliquer plus clairement comment cette information devrait être divulguée pour éviter toute confusion. Quand ces amendements ont été faits, a-t-on consulté les Premières nations?

M. Duncan : Ces amendements sont conformes aux recommandations qu'a reçues le comité. Souvent, ils étaient conformes, mais ils rencontraient une certaine opposition ou faisaient l'objet de suggestions de la part du chef Bear, à qui l'on a confié le pouvoir d'engager un conseiller juridique afin d'élaborer certains textes. Je crois que l'on s'entendait de façon générale pour dire que les amendements étaient une amélioration. Assurément, nous avons pu constater le mérite de ces derniers.

Avons-nous fait une nouvelle ronde complète de consultations en fonction des amendements? Non. Comme je l'ai déjà dit, ce texte s'inspirait d'un projet de loi émanant d'un député et d'une résolution prise par l'Assemblée des Premières Nations en 2010. Il est aussi conforme aux vues de l'Organisation des Nations Unies, qui, en parlant des gouvernements indigènes, indique que la transparence et la responsabilisation sont essentielles pour parvenir aux dispositions souhaitées sur le plan de la bonne gouvernance.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je suis obligée d'abonder dans le même sens que vous, monsieur le ministre. Je vis au sein d'une Première nation et lorsque je demande de l'information, je n'obtiens rien. Merci.

Le président : Vous voulez des précisions?

La sénatrice Dyck : Je crois que la sénatrice Lovelace Nicholas cherchait à savoir si un membre de la bande, quel qu'il soit, avait eu son mot à dire dans l'élaboration du projet de loi. Nous savons que le chef Darcy Bear y a participé, mais est-ce que des membres de bande ont pu, dans les faits, contribuer à sa conception?

M. Duncan : Non. Aucun membre de bande n'y a contribué, mais certains ont applaudi le projet de loi comme tel.

La sénatrice Raine : Nous sommes toujours heureux de vous revoir au comité, monsieur le ministre.

Deux choses me reviennent constamment à l'esprit. D'abord, il y a beaucoup de Premières nations qui ont des feuilles de route remarquables en matière de gestion financière. Elles progressent, et cela est tellement encourageant. Cependant, je peux aussi me mettre dans la peau d'un membre d'une Première nation qui n'est ni ouverte ni transparente. L'impossibilité de demander des renseignements, notamment à propos des salaires, doit certainement être très contrariante. Cela pourrait avoir des répercussions, et ça, nous l'avons entendu d'une foule de gens.

Si certaines bandes des Premières nations refusent de se conformer, quel recours est prévu, et comment cela fonctionnerait-il?

M. Duncan : Ce qu'en dit la loi est que n'importe qui peut s'adresser à la cour pour qu'il y ait divulgation. En définitive, ce pourrait être moi en tant que ministre. Je ne m'attends pas à ce que cela se produise, mais la loi indique bel et bien que « n'importe qui » vise aussi le ministre.

Cela a en fait quelque chose à voir avec nos ententes de financement. Si le rapport annuel prévu dans l'entente de financement n'est pas produit, le ministère peut prendre certaines mesures, mais ce projet de loi place en fait davantage la responsabilité là où elle devrait être. C'est vraiment à la collectivité de voir à ce que la direction rende des comptes, ce qui est mieux que ce qui se passe maintenant, c'est-à-dire cette situation où le ministère essaie de responsabiliser la direction alors qu'il a les mains liées par les obligations en matière de protection des renseignements personnels, et parce que nous ne pouvons ni divulguer publiquement ce qui ne nous a pas été fourni, ni stopper les transferts individuels. Nous ne pouvons pas nuire aux membres en général en stoppant les transferts aux particuliers.

C'est un casse-tête depuis longtemps. Selon moi, cette loi changera tout en nous permettant d'aller au fond des choses. Elle améliorera tout, puisque les collectivités devront désormais apprendre à s'occuper de leurs affaires et qu'elles auront les outils pour le faire, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.

Si la capacité ne se trouve pas nécessairement dans la collectivité, nous aurons d'autres intervenants intéressés qui voudront prêter main-forte et aider la collectivité à faire ce suivi. Je pense ici à des centres d'études et de recherche, aux médias, à des bénévoles venus du grand public, à des organismes comme la Fédération canadienne des contribuables, et ainsi de suite.

Je n'avais pas l'intention de donner une réponse aussi détaillée, mais on nous accuse parfois de faire preuve de paternalisme. Cette loi est en fait une tentative d'aller dans le sens inverse.

La sénatrice Dyck : J'aimerais faire un commentaire.

Le président : Le sénateur Sibbeston a une question.

Le sénateur Sibbeston : Mes questions porteront sur la consultation.

Sachez, monsieur le ministre, que j'appuie ce projet de loi pour ce qu'il permettra de faire, c'est-à-dire, essentiellement, donner plus d'information aux membres des Premières nations. Je crois qu'on ne peut objecter quoi que ce soit quant à l'utilité et au caractère nécessaire d'un projet de loi de la sorte.

À mon sens, le seul hic concerne la consultation. Vous dites que la consultation s'est faite avant le projet de loi C- 575, alors je présume qu'il n'y a pas eu de consultation pour celui-ci. Est-il exact, monsieur le ministre, de dire que le projet de loi C-27 a fait l'objet de très peu de consultations?

M. Duncan : Je ne le présenterais pas de cette façon. Lorsque nous avons déposé le projet de loi, en novembre 2011, j'ai écrit à tous les chefs et à tous les conseils et j'ai accompagné ma lettre d'une copie du projet de loi. La lettre invitait les instances de direction des Premières nations à examiner le projet de loi et à contacter le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord si elles voulaient participer au processus parlementaire entourant l'adoption.

Nous avons bel et bien reçu des réponses. Oui, le chef Bear a participé à un comité et oui, le chef Bear nous a exposé ses points de vue de façon exhaustive. D'autres chefs étaient au courant qu'il faisait cela et se sont abstenus de participer parce qu'il était leur mandataire. C'est une simple question d'efficacité.

Je dirais que l'ampleur des consultations a été raisonnable et que le projet de loi a aussi fait l'objet de beaucoup de discussion sur la place publique à ce moment-là.

Certaines personnes sont campées sur leurs positions réfractaires au projet de loi, mais, selon moi, l'appel à la responsabilisation qui émane du public et des membres des Premières nations est une chose qu'il nous est impossible d'ignorer en tant que gouvernement.

Le sénateur Sibbeston : Malgré tout le respect que j'ai pour le ministre, je crois que le fait d'écrire une lettre et de l'accompagner d'une copie du projet de loi ne compte pas pour de la consultation. Notre pays tout entier a vécu un processus marqué par le jeûne de la chef Spence et le mouvement Idle No More. Les peuples autochtones de la nation tout entière — et pas seulement les Premières nations, mais les Canadiens en général — ont fait un réel examen de conscience ou sont parvenus à une sorte d'éveil. L'un des enjeux qui ont été évoqués à maintes reprises portait sur le besoin de consulter les Premières nations.

Je suis un peu surpris. C'est notre première réunion après tout ce que nous avons vu et entendu à travers le pays, et vous êtes là en votre qualité de ministre à faire la promotion d'un projet de loi pour lequel il y a eu très peu de consultation.

En tant qu'Autochtone et au nom de tous les Autochtones de notre pays qui soulignent le besoin d'être consultés, je vous demande si vous seriez disposé à retirer le projet de loi pour un certain temps — trois mois, peut-être six — afin qu'il puisse effectivement y avoir une consultation. Vous avez envoyé des lettres. Donnez maintenant la chance aux chefs de répondre et d'être consultés. Si vous faites cela, je crois que vous aurez le soutien de toutes les Premières nations du pays et que celles-ci vous auront, pour ainsi dire, en haute estime. Je vous demande d'envisager ce scénario.

M. Duncan : Merci.

J'ai rédigé la lettre et j'ai présenté le projet de loi en novembre 2011. Tout le monde a eu suffisamment de temps pour donner suite. Nous avons la résolution de l'APN, la résolution des chefs appuyant une divulgation complète, dont celle de leurs états financiers audités et de leur salaire, de leurs dépenses et de la rémunération.

Il a fallu beaucoup de temps pour en arriver là. Le premier rapport sur le nouveau processus qui sera mis en place dans le cadre de cette loi ne paraîtra pas avant un an et demi. Si nous retardons encore le processus, il faudra attendre au moins deux ans et demi de plus avant d'avoir un seul résultat découlant de la loi. Essentiellement, je pense que la patience et la tolérance à cet égard ont disparu.

Le sénateur Patterson : Merci au ministre et à ses collaborateurs d'être ici.

J'aimerais me pencher sur une critique que j'ai entendue à propos du projet de loi : si les chefs et les conseils de bande retiennent de l'information, le ministre et le ministère imposeront des sanctions aux membres des bandes. J'aimerais que le ministre nous explique comment cela se fait habituellement. Je sais qu'il y a de nombreuses bandes exemplaires, comme l'a souligné la sénatrice Raine, mais il y en a d'autres qui ne se plient pas aux exigences stipulant qu'elles doivent communiquer au ministère les renseignements sur la façon dont elles dépensent l'argent des contribuables.

Le ministre peut-il nous présenter les différentes étapes du processus mis en œuvre en cas de problèmes? Je crois comprendre qu'il y a une série de mesures que le ministère peut prendre pour composer avec les problèmes entourant la non-divulgation de l'information financière, et je pense que le comité aurait avantage à connaître cette procédure.

M. Duncan : Je crois que cette question est relativement technique. Je vais donc demander à Mme Kustra de bien vouloir y répondre.

Brenda Kustra, directrice générale, Direction de la gouvernance, Secteur des opérations régionales, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Merci pour votre question, monsieur le sénateur. Comme vous l'avez dit, il y a une série d'étapes en gradation que le ministère mettrait en œuvre si une première nation refusait de publier ses états financiers et de les rendre accessibles, comme la loi l'exige.

La première fois, le ministère, agissant au nom du ministre, travaillera avec le conseil pour arriver à comprendre les circonstances entourant la non-divulgation de l'information, puis pour élaborer un plan d'action avec le chef et le conseil afin de faire en sorte que l'information, notamment l'information financière, soit finalement divulguée.

Advenant l'échec du plan d'action élaboré en coopération avec la Première nation en cause, le ministre pourra passer à l'étape supérieure consistant à retenir le financement qui lui est normalement versé pour des programmes discrétionnaires. Cette retenue n'a pas d'incidence sur les programmes et services essentiels offerts à la Première nation. Les ressources affectées à l'éducation, au soutien au revenu et ainsi de suite seront maintenues, mais l'argent accordé à des fins discrétionnaires pourrait être retenu jusqu'à ce que les rapports et les états financiers audités soient soumis.

Dans certains cas extrêmement rares, une sanction très sévère pourrait être imposée, à savoir que le ministre pourrait annuler toutes les ententes de financement en vigueur. Toutefois, cela ne se produirait qu'une fois que toutes les autres mesures auraient été appliquées sans succès. Nous avons un processus par étapes très modéré pour collaborer avec la collectivité afin d'assurer que l'information voulue soit rendue disponible, processus qui s'est avéré très efficace. Nous l'utilisons depuis plusieurs années.

Le sénateur Patterson : En lien avec cela, j'ai entendu certaines personnes évoquer le problème de l'incidence que le processus avait sur tous les membres de la collectivité. Certains disent : « Pourquoi le ministère ne se contente-t-il pas de cesser de verser les salaires du chef et des membres du conseil lorsqu'ils refusent de divulguer le montant de ces salaires? » Pouvez-vous commenter cette affirmation, s'il vous plaît?

M. Duncan : Je serais heureux d'y répondre de façon générale, et peut-être que l'un de mes collègues ici présents pourra vous éclairer davantage.

Nous n'émettons pas de chèques à l'intention des chefs et des membres du conseil. Ce sont eux qui fixent leurs salaires et leur rémunération, et qui se les donnent à eux-mêmes. Ces salaires ne font pas partie d'une enveloppe de financement distincte. Ils font partie du financement des programmes. Il nous est donc techniquement impossible de leur couper les vivres.

Encore une fois, si nous pouvions faire cela, nous appliquerions une approche beaucoup plus paternaliste que celle qui consiste à confier à la collectivité la responsabilité de prendre des décisions pour elle-même en fonction de la prestation de leurs responsables et du salaire qu'ils s'octroient, et ainsi de suite. Même si nous pouvions faire cela, ce ne serait pas mon premier choix.

Est-ce que quelqu'un souhaite ajouter quelque chose?

Mme Kustra : Nous avons un programme appelé Financement du soutien des bandes, qui procure une modeste contribution au fonctionnement des gouvernements locaux des Premières nations. Le programme se sert d'une formule pour calculer le montant qui doit être versé à chaque première nation et qui est utilisé pour les salaires du chef et des membres du conseil ainsi que pour l'administration du bureau de la bande.

Cela ne représente qu'une petite partie du coût de fonctionnement réel d'un gouvernement d'une première nation, et les Premières nations ont recours à d'autres sources pour assumer le reste des coûts. Si nous nous contentions de ne retenir que cette petite contribution, cela n'aurait pas d'effet notable. Ce ne serait pas un levier efficace pour l'amener à publier ou à divulguer l'information, surtout si la non-divulgation était au départ motivée par d'autres raisons.

Le sénateur Munson : J'ai un certain nombre de questions, mais je vais attendre à la deuxième ronde, afin de laisser la place au sénateur Sibbeston, qui a une question.

Le président : Nous sommes dans la deuxième ronde, alors je vais vous faire passer.

La sénatrice Dyck : Je n'avais pas l'intention de poser de questions au cours de la deuxième ronde, mais je vais le faire. Nous avons soumis la question des salaires au parrain du projet de loi et nous vous avons soumis ces questions à l'avance afin que vous ayez la chance de les examiner. La raison en est que l'article 13 du projet de loi contient une disposition voulant que vous puissiez retenir du financement. Il n'y a cependant rien dans le texte qui dit que vous ne retiendrez que les fonds discrétionnaires et que vous n'interromprez le financement que dans les situations les plus graves.

Lorsqu'on lit l'article dans sa forme actuelle, cela peut sembler être une grosse menace. Je me demande pourquoi vous n'avez pas ajouté des étapes et pourquoi vous n'avez pas préféré recourir à la suspension des salaires du chef et des membres du conseil, une mesure que vous qualifiez de « paternaliste ». Selon moi, la suspension du financement accordé à l'ensemble de la bande est une sanction encore plus grave. Pourquoi se plaindrait-on des salaires en sachant que c'est l'ensemble de la collectivité qui écopera? En quoi cela m'incitera-t-il à me plaindre, en tant que membre de la bande, si je dois craindre que mon geste provoque la cessation du financement pour tout le monde? Nous serions tous punis.

M. Duncan : L'article 13 présente exactement le même libellé que nos ententes de financement actuelles. Nous utilisons la méthode progressive décrite par Mme Kustra. Si rien de tout cela ne fonctionne, nous avons recours à l'intervention ultime, la gestion par un tiers. Combien de Premières nations sont soumises à la gestion par un tiers au Canada?

Anne Scotton, dirigeante principale de la vérification et de l'évaluation, Secteur de la vérification et de l'évaluation, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Dix-neuf.

M. Duncan : Donc, 19 Premières nations sur 635 sont actuellement soumises à une gestion par un tiers. C'est beaucoup, et cela signifie que nous désignons une personne responsable de signer les chèques à la place du chef et des conseillers.

La sénatrice Dyck : Je comprends qu'il s'agit de la même disposition. Je ne vois pas pourquoi vous n'auriez pas pu faire les choses autrement; par exemple, prendre d'autres mesures que la retenue ou l'annulation du financement. Avez- vous songé à d'autres options?

M. Duncan : Eh bien, je ne sais pas comment répondre à cette question. Je ne vois pas quelles autres options nous pourrions choisir. Nous comprenons que nous ne pouvons pas simplement cesser d'octroyer les fonds destinés à la population, c'est-à-dire la majeure partie du financement offert aux Premières nations.

La sénatrice Dyck : Vous avez fait valoir qu'il était difficile, au plan technique, de vous mêler des salaires. Difficile ne veut pas dire impossible.

M. Duncan : Comme l'a expliqué Mme Kustra, la plupart des Premières nations ont d'autres sources de revenus. Même si nous cessions de financer une partie de leurs salaires et dépenses, je suis certain qu'elles utiliseraient ces revenus pour combler tout manque à gagner que nous aurions pu leur causer, alors je ne crois pas que ce soit une solution. Comme je l'ai expliqué précédemment, ce ne serait pas mon premier choix.

La sénatrice Raine : Ma question va dans le même sens. Personne n'aime faire le calcul. Si une petite communauté de Première nation gère mal ses finances, à un point tel qu'un tiers doit s'en charger, j'imagine qu'alors les salaires du chef et des conseillers seront réduits quelque peu, et que les programmes continueront d'être offerts à la population, alors je ne vois pas où est le problème.

Que fera le gouvernement, dans ces situations de gestion par un tiers, pour aider les Premières nations à se conformer au projet de loi et à apprendre à gérer leurs affaires? Y a-t-il en place des programmes de développement à cette fin?

Susan MacGowan, dirigeante principale des finances, Secteur du dirigeant principal des finances, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Le ministère a élaboré la Politique de la prévention et gestion des manquements. Nous misons surtout sur la collaboration avec les Premières nations afin de veiller à ce qu'elles respectent les conditions des ententes.

Comme vous l'avez mentionné, lorsqu'elles ne respectent pas ces conditions — et Mme Kustra a expliqué la notion d'escalade —, le tiers responsable de la gestion travaillera avec la Première nation en vue d'établir un plan de redressement pour corriger le manquement et la remettre sur la bonne voie. Entre-temps, le tiers gère les sommes confiées à la Première nation par le ministère en vertu de l'entente.

Donc, les tiers gèrent les fonds octroyés par Affaires autochtones et Développement du Nord Canada en vertu de l'entente et collaborent avec les Premières nations en vue de renforcer leurs capacités et de mettre en œuvre un plan d'action.

La sénatrice Raine : Y a-t-il eu des cas où le programme a été aboli en raison d'une situation semblable, ou croyez- vous que cela pourrait arriver?

Mme MacGowan : Selon la règle, nous n'annulons pas le financement essentiel. La santé et la sécurité des membres des Premières nations sont primordiales. Toutefois, comme l'a mentionné Mme Kustra, lorsque les fonds visent un projet en particulier, il est possible d'en retenir une partie en attendant qu'un plan d'action soit préparé et mis en œuvre.

M. Duncan : Pour clore le sujet, je vous dirai que nous ne l'avons jamais fait, et que nous ne le ferions pas.

Mme MacGowan : Jamais pour le financement essentiel.

Le sénateur Sibbeston : Il me semble, monsieur le ministre, que vous aviez le temps d'étudier ce projet de loi et de tenir des consultations, mais que vous avez agi comme d'habitude. Rien n'a changé depuis Noël, et je suis déçu. Vous semblez faire la sourde oreille aux revendications des Premières nations exprimées à l'occasion du jeûne et par le mouvement Idle No More.

Il est facile pour vous, en tant que ministre, de faire preuve de bonne volonté. Il s'agit du tout premier projet de loi portant sur les Autochtones présenté devant le Parlement, et vous auriez pu suspendre les procédures pendant trois mois ou six mois, pour faire preuve de bonne volonté à l'endroit des Premières nations du pays. J'espérais que vous auriez eu le cœur de le faire, pour satisfaire les Premières nations et pour reconnaître notre souffrance. J'aurais aimé vous entendre dire que des changements allaient être apportés, que notre avenir serait meilleur, car c'est de cela qu'il s'agit.

Si vous refusez de le faire, alors je crois que les sénateurs autochtones — la sénatrice Dyck, la sénatrice Lovelace Nicholas et moi — vont quitter la salle. Ce geste ne bouleversera rien, mais c'est notre modeste façon de montrer notre mécontentement face à votre inaction de même que notre appui envers les Premières nations du pays afin qu'elles sachent que quelqu'un à Ottawa les écoute.

Nous quitterons donc le comité, du moins pour ce soir, et nous ne nous mêlerons plus de ce projet de loi, parce qu'il n'a pas fait l'objet de consultations. Je le dis respectueusement. J'aurais aimé ne pas en venir là, mais je crois qu'il le faut.

Le président : Sénateur Munson, vous avez une question?

Le sénateur Munson : Monsieur le ministre, j'ai en mains les courriels transmis par les leaders autochtones. Ceux-ci ont été envoyés cette semaine seulement. Je ne les lirai pas tous, mais en voilà un, par exemple :

Cher sénateur Munson,

Le projet de loi C-27 ne fait que s'ajouter aux autres qu'on a fait avaler de force aux Premières nations et n'améliorera pas leurs conditions. De plus, aucune consultation avec les Premières nations n'a été tenue à son sujet.

Vous avez parlé d'une lettre; mais comme l'ont fait valoir mes collègues, il y a une différence entre écrire une lettre et tenir une vraie consultation.

Avant de passer à une autre question de fond, j'aimerais revenir sur les propos de John Paul de la Première nation de Membertou : « De nombreuses Premières nations divulguent déjà les salaires et les dépenses à leurs membres sur leur site web et dans le cadre des réunions publiques. Ces renseignements peuvent également être obtenus auprès des bureaux des conseils de bande. Les mécanismes d'exécution permettant de mettre un terme au financement pourraient avoir des conséquences désastreuses sur les Premières nations. De plus, le projet de loi n'aborde pas les vrais problèmes associés à la transparence et à la responsabilité. » Il fait également état de l'absence de consultations.

J'ai ici une liste de partisans et une liste d'opposants, l'APN bien sûr, et d'autres.

Mes collègues ont parlé de la chef Spence et du mouvement Idle No More. Ma première question est la suivante : avez-vous tiré des leçons d'Idle No More? En tant que ministre, qu'avez-vous retenu du mouvement et du manque perçu de consultation?

M. Duncan : Sénateur, je reconnais qu'on s'est beaucoup intéressé aux affaires et aux questions autochtones au cours des dernières semaines. Je crois aussi qu'on s'intéresse au projet de loi qui, je vous le rappelle, a été déposé en novembre 2011, il y a déjà un bon moment. Le processus d'adoption des projets de loi est long; et les événements survenus récemment ne sont que coïncidence.

Dans les faits, la population est plus engagée, ce qui est très positif à mon avis. Beaucoup de mes collègues me disent que leurs bureaux de circonscriptions n'avaient jamais reçu autant d'appels. L'administration centrale du ministère en a également reçu beaucoup, dont la majorité visait les diverses mesures du projet de loi C-27.

Le sénateur Munson : Vous dites que le public s'engage davantage. Est-ce que le ministre en fait autant? Une réunion publique a été tenue ici à Ottawa, en plus d'une réunion privée avec le premier ministre. Quelles sont les prochaines étapes?

M. Duncan : Elles ont été énoncées clairement. Un groupe principal des opérations et un groupe de haut niveau ont été mis sur pied à la suite de cette réunion. J'ai rencontré hier le chef national et deux chefs régionaux. Le groupe responsable de la mise en œuvre des traités s'est réuni aujourd'hui et le groupe responsable des revendications globales se réunira lundi.

De nombreuses activités constructives ont été réalisées. La conversation est bonne. Les gens veulent trouver des solutions, être constructifs, et c'est dans cette optique que je me prête à l'exercice, comme toutes les personnes concernées d'ailleurs, à ce que je sache. La réunion avec le chef national à laquelle j'ai participé s'est très bien passée.

Le sénateur Munson : Selon les chefs autochtones, certaines de ces consultations ont été tenues après le dépôt du projet de loi. Dans votre exposé, vous avez dit que le chef Darcy Bear avait parlé des modifications. Vous sembliez dire qu'il approuvait toutes les dispositions du projet de loi.

Or, d'après le chef Bear, le gouvernement n'a pas transmis à ses conseillers les détails du projet de loi avant de faire l'annonce dans sa réserve; les gens ont donc l'impression qu'une fois de plus, le gouvernement profite des Premières nations.

Selon vous, était-il honnête d'annoncer l'appui du chef Bear envers le projet de loi, sans avoir transmis le texte complet au chef ou à ses conseillers? Comment le gouvernement peut-il placer un leader des Premières nations dans une telle situation? Vous demandez aux chefs de faire preuve de transparence; or, les mesures prises par votre gouvernement sont loin de l'être, de l'avis de certaines Premières nations. Comment comptez-vous rétablir cette relation?

M. Duncan : Monsieur le sénateur, nous entretenons de très bonnes relations avec les Premières nations, et je n'aime pas le portrait que vous venez de dépeindre. J'ai évidemment participé à cette annonce. J'étais en Saskatchewan lorsque le projet de loi a été déposé au Parlement. Nous l'avons transmis dans son ensemble au chef Bear; nous lui avons demandé de formuler ses commentaires et de proposer des modifications. C'était là notre point de départ.

Vous pouvez bien essayer de créer un fossé, mais je n'en vois pas.

Le sénateur Munson : Je vous remercie.

J'aimerais poser une autre question, plutôt technique. Si le gouvernement croit que la loi sera mise en œuvre afin d'obliger les leaders des Premières nations à rendre des comptes à leurs membres, pouvez-vous m'expliquer ceci : lors d'une séance d'information tenue par les responsables d'Affaires autochtones, on nous a dit que l'exigence législative visant à préparer des états financiers vérifiés consolidés ne comprendrait pas l'information demandée par les membres des Premières nations, c'est-à-dire les renseignements sur les normes de rendement et l'offre de ressources. Affaires autochtones a également fait valoir que ces vérifications étaient d'un niveau si élevé que seuls les vérificateurs spécialisés étaient en mesure de les comprendre. Pouvez-vous m'expliquer comment cette loi rendra les leaders des Premières nations responsables devant leurs membres?

Mme Scotton : Vous avez raison; les états financiers vérifiés consolidés ne sont pas des rapports de rendement, et ils ne doivent pas l'être. En fait, le ministère travaille très fort pour veiller à ce que l'information financière soit accompagnée de renseignements sur le rendement, qui seront transmis de façon beaucoup plus transparente, mais qui ne relèvent pas de la loi.

Le sénateur Munson : Merci.

La sénatrice Frum : Quel sera le délai entre l'entrée en vigueur du projet de loi et la communication des premiers états de compte? Est-ce que le projet de loi aura un effet rétroactif, ou est-ce que tous les événements passés demeureront confidentiels?

M. Duncan : Je vais répondre à votre question; on me corrigera si je me trompe.

La loi n'est pas rétroactive. L'exercice financier de la plupart des gouvernements des Premières nations est le même que celui du gouvernement fédéral, soit du 1er avril au 31 mars. Si le projet de loi reçoit la sanction royale avant le 31 mars, le rapport de l'exercice 2013-2014 sera préparé selon cette règle. Comme il faut 120 jours pour faire la vérification, nous recevrons les rapports à la fin du mois de juillet.

Y a-t-il un délai associé à la publication des rapports?

Mme Kustra : Si je peux me permettre, les Premières nations devront publier leurs états financiers vérifiés consolidés dans les 120 jours suivant la fin de l'exercice.

M. Duncan : C'est donc 120 jours également. Je ne savais pas si les délais de présentation et de publication étaient les mêmes.

Avons-nous répondu à toutes vos questions?

La sénatrice Frum : Je m'interroge au sujet de la rétroactivité. J'ai posé cette question étant donné que le mouvement Idle No More a été mentionné plusieurs fois par les sénateurs d'en face. La conversation à l'échelle nationale porte notamment sur ce qui se passe maintenant. Les Premières nations et les contribuables pourront-ils un jour comprendre la situation actuelle?

M. Duncan : Seuls les exercices financiers ultérieurs à la date de la sanction royale du projet de loi seront examinés. Notre objectif n'est pas de regarder en arrière. Les changements prennent du temps, mais cette loi est importante. On peut établir certains parallèles : il y a 25 ans, la Cour suprême a déterminé qu'il y avait un vide dans la loi sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Il est injuste, pour les femmes et les enfants des réserves, d'avoir laissé ce vide pendant si longtemps. Nous tentons de régler le problème. Je crois que nous avons présenté la question au moins quatre fois devant le Parlement, et elle n'est toujours pas réglée. Certains s'y opposent. À mon avis, elle relève des droits de la personne. Comment peut-elle être une question partisane? C'est pourtant bien le cas.

Notre gouvernement a déjà vécu une situation semblable alors que les Premières nations vivant dans les réserves étaient exclues des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'article 67 de la loi exemptait les Premières nations qui vivaient dans les réserves. Nous avons changé la loi, mais il a fallu du temps, et de nombreux membres du Parlement et des Premières nations s'y sont opposés. Aujourd'hui, tous semblent avoir oublié qu'ils se sont opposés à cette modification, ou sont gênés de l'admettre.

Je crois que la même situation se produira lorsque la loi sur les biens immobiliers matrimoniaux sera adoptée, et lorsque le projet de loi sera adopté. Comment avons-nous pu même penser pouvoir nous en passer?

Je vous remercie de votre question.

Le président : La sénatrice Raine a une dernière question.

La sénatrice Raine : J'aimerais vous poser une question que je pose souvent. J'ai ici des documents selon lesquels le projet de loi C-7, la Loi sur la gouvernance des premières nations, a été présenté pour la première fois en 2003, ce qui signifie que nous tentons de le faire adopter depuis 10 ans, et c'est maintenant qu'on se soucie des consultations.

Y a-t-il un mécanisme permettant la consultation du citoyen moyen des Premières nations qui, je crois, est en faveur du projet de loi? Pourrait-on envisager un mécanisme, à défaut d'un sondage Ipsos-Reid?

M. Duncan : Je crois que la question est plutôt philosophique. La participation efficace des citoyens, en toute connaissance de cause, nous aidera grandement.

Je me suis demandé la même chose. Comment associer les particuliers au processus? Cette tâche n'est pas facile. Je crois qu'ils se questionnent au sujet des protestations et de l'intérêt qu'elles ont suscité. Toutes ces questions constituent des formes d'engagement qui donneront lieu à des réflexions constructives, à mon avis, puisque, mieux informés, les gens seront plus en mesure de prendre leur destin en main. Je suis optimiste.

Le président : Merci beaucoup.

J'aimerais dire que je suis déçu que certaines personnes aient décidé de quitter la salle. Je crois qu'il est de notre devoir de poser des questions, d'obtenir des renseignements et de les partager avec les sénateurs qui ne sont pas ici. Je suis déçu de voir que certaines personnes ont choisi de partir parce qu'elles n'ont pas eu ce qu'elles voulaient.

Je remercie chacun d'entre vous de nous avoir transmis tous ces renseignements et d'avoir répondu franchement aux questions.

M. Duncan : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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