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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 31 - Témoignages du 13 février 2013


OTTAWA, le mercredi 13 février 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui a été saisi du projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières nations en matière financière, se réunit aujourd'hui à 18 h 46 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui assistent à la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones diffusée sur CPAC ou sur le web. Je m'appelle Vernon White, je viens de Toronto et je suis le président du comité. Le comité est chargé d'examiner les lois et les questions qui touchent les peuples autochtones du Canada en général. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C- 27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières nations en matière financière.

Ce soir, nous recueillerons les témoignages de deux groupes de témoins, le premier composé d'experts en matière financière et le second de membres des Premières nations comparaissant à titre personnel. Avant que nous entendions les témoignages de nos témoins, je demanderais aux membres du comité de se présenter. Nous allons commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Dyck : Je m'appelle Lillian Dyck et je viens de la Saskatchewan.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Sibbeston : Je suis Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Patterson : Denis Patterson, sénateur du Nunavut.

Le sénateur Meredith : Sénateur Don Meredith, de l'Ontario.

La sénatrice Raine : Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Seth : Sénatrice Asha Seth, de l'Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

Le président : Ce soir, nous avons avec nous des représentants du Conseil de gestion financière des Premières nations, M. Harold Calla, président, et Shayla Point, gestionnaire principale, Services juridiques et corporatifs. Ils sont accompagnés de M. Alan Mak, directeur de Rosen & Associated Limited.

Mesdames et messieurs les témoins, nous avons hâte de vous entendre, suite à quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Je crois que vous avez déjà décidé qui interviendra en premier.

Harold Calla, président, Conseil de gestion financière des Premières nations : Je remercie le comité de nous avoir donné l'occasion de nous adresser à lui aujourd'hui. Pour commencer, j'aimerais rappeler à tous que la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations est une loi d'application facultative qui a été créée par les Premières nations. C'est cette loi qui a créé le Conseil de gestion financière des Premières nations. Je tiens à rappeler à tous que cette loi a été adoptée avec le soutien de tous les partis dans les deux Chambres, et que les membres du conseil d'administration ont été nommés en 2007. C'est à ce momentlà que notre organisation est devenue active.

C'est la première fois dans la loi, dans le cadre d'un modèle de gouvernance partagée, qu'une organisation autochtone, appelée l'Association des agents financiers autochtones du Canada, de même que le gouverneur en conseil nomment trois membres du conseil d'administration. Une bonne part du mandat du Conseil de gestion financière consiste à mettre en place des normes concernant la Loi sur l'administration financière, la performance financière et les systèmes de gestion financière, ainsi qu'à certifier, lorsqu'une Première nation le lui demande, que celle-ci se conforme aux normes.

Notre objectif est de créer des possibilités d'accès au capital pour appuyer l'aménagement en infrastructure dans les réserves pour le développement économique.

En ce moment, le CGFPN collabore avec 66 communautés des Premières nations partout au pays, et à l'heure actuelle, 95 Premières nations sont inscrites à l'annexe de la LGFPN. Nous avons approuvé 18 lois sur l'administration financière et émis 17 certificats concernant la performance financière, et l'autorité financière des Premières nations a commencé, au moyen de prêts intérimaires, à prêter de l'argent aux Premières nations dans le cadre de cette initiative.

J'aimerais faire des commentaires sur la question qui revient constamment et qui demande : pourquoi? Pourquoi parle-t-on de ce projet de loi en particulier? Pourquoi est-il devant nous?

Nous vivons dans un monde électronique et cela est d'autant plus vrai depuis les derniers mois. Nous vivons dans un monde en temps réel. Nous faisons partie de la génération du maintenant. Quiconque ayant accès à un dispositif électronique peut désormais accéder à l'information. Les intervenants, incluant les membres des communautés des Premières nations, désirent avoir accès à l'information et comprendre comment sont gérés leurs intérêts. Si l'information que recherchent ces personnes ne leur est pas accessible, elles chercheront à obtenir de l'aide.

Vers qui se tourne une personne si l'information qu'elle cherche n'est pas fournie dans le cadre de la structure qui existe actuellement? Étant donné que ces personnes sont sous la responsabilité du gouvernement en vertu de la Loi sur les Indiens, elles se tournent vers le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada pour obtenir de l'aide. Elles estiment que le ministre a l'obligation de répondre à leurs demandes d'information. À mes yeux, cette loi est une réaction à cette perspective de la responsabilité ministérielle.

La loi vise principalement un rapport d'audit et les salaires des conseillers, et ce, en raison des expériences vécues dans le passé. Bien que cela fasse certainement partie d'un cadre de travail de responsabilité approprié, il ne s'agit que d'une partie de ce dernier. Au cours des 15 dernières années, la signification du mot « responsabilité » a dû changer à mesure que le besoin d'examens plus approfondis s'est fait ressentir par suite de scandales et différents enjeux liés à la comptabilité. Il ne suffit donc plus d'examiner seulement ce qui s'est produit dans le passé, mais de s'attarder aussi à ce qui se passe maintenant et à ce qui se passera à l'avenir, et à présenter des observations.

Les intérêts et les besoins des membres des communautés des Premières nations sont mieux desservis par un rapport annuel qui comprend non seulement les détails de l'audit, mais fournit aussi une perspective qualitative et quantitative de la situation actuelle et de la situation à venir. Les objectifs politiques ne suffisent pas à définir les bonnes pratiques de gestion financière.

Un audit contient des notes, qui donnent généralement des éclaircissements sur des informations historiques. Il n'y a pas de remarques qualitatives ou de recommandations ni d'indication claire de l'orientation future.

Un rapport annuel contiendrait un audit à titre de partie du rapport et fournirait à tous les intervenants, et tout particulièrement aux membres, une image plus complète des activités de la Première nation. Pour ceux qui ne le savent pas, j'ai eu le privilège d'être membre de plusieurs conseils d'administration, dont celui de la SCHL. Les rapports que nous fournissons aux intervenants leur donnent la possibilité d'examiner l'organisation de façon beaucoup plus complète que s'ils utilisaient un audit. Je pense qu'il en va de l'intérêt de tous les intervenants, mais principalement des membres, que ce type de rapport fasse partie de leur régime de comptabilité.

Nous devons étudier la façon d'instaurer les exigences du secteur privé en matière de rapport, ainsi que celles d'autres gouvernements, afin que les Premières nations ne soient pas tenues de rendre compte ou de faire preuve de plus de transparence que d'autres ordres de gouvernement au pays.

Nos normes répondent aux exigences du secteur privé. Malheureusement, étant donné la tempête de neige de la semaine dernière, nous avons un colis contenant toutes nos normes dans les deux langues officielles qui se promène quelque part. Je pense que cela nous évoque le film dans lequel joue Tom Hanks, car je pense que ce colis a été perdu par FedEx sur une île quelque part. Nous allons vous l'envoyer, mais ces normes sont disponibles sur notre site web.

L'objectif des mesures visant la communication de l'information financière, l'obligation redditionnelle et la transparence en matière financière est de donner confiance à tous les intervenants en leur assurant que la capacité de gestion financière existe et en leur donnant une idée de cette capacité. Ce climat de confiance est essentiel au développement économique et communautaire. Il est toujours préférable que les groupes d'intervenants, dans le cas des communautés des Premières nations, soient en mesure d'établir le cadre d'obligation redditionnelle et de transparence qu'ils souhaitent utiliser pour leurs propres communautés. Lorsqu'ils souhaitent se prévaloir de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations et que nous établissons des normes déterminant les lois, ils les élaborent en fait eux-mêmes et nous certifions qu'elles répondent à nos normes.

Je comprends que le ministre doit réagir, mais je pense que personne n'est dupe quant au fait qu'une saine gestion financière et une saine reddition de comptes sont contenues dans les quatre piliers du projet de loi. C'est un sujet beaucoup plus large et je comprends que ce n'est pas l'objectif du projet de loi, mais j'espère que vous irez au-delà du projet de loi pour examiner ce qui est nécessaire. Il vous faut aussi aller au-delà du projet de loi pour comprendre de quel type d'aide les Premières nations auront besoin pour acquérir la capacité non seulement de créer, mais d'entretenir de bonnes pratiques de certification et de gestion financière.

Étant donné que l'objectif collectif est de réduire la dépendance et de soutenir le développement économique et communautaire, il est dans l'intérêt du Canada et de tous les Canadiens de soutenir les capacités dont ont besoin les Premières nations pour se joindre à l'ensemble de l'économie. J'espère que nous prendrons les décisions portant sur les réformes nécessaires pour créer, de façon inclusive, de meilleures possibilités pour notre collectivité; que nous tiendrons compte de l'objectif final et que nous allons comprendre que les collectivités des Premières nations se heurtent à des obstacles depuis des décennies du fait qu'elles n'avaient pas leur place dans l'économie.

J'ai bien hâte de voir se présenter de nouvelles possibilités qui nous permettront de trouver une solution aux problèmes plus larges auxquels se heurtent les collectivités autochtones et qui ne sauraient être réglés par la conformité à des audits et par des déclarations de salaire.

Shayla Point, gestionnaire principale, Services juridiques et corporatifs, Conseil de gestion financière des Premières nations : Je tiens à remercier M. Calla de sa déclaration préliminaire.

Nous vous avons fourni plusieurs documents en anglais et en français. J'attirerais votre attention sur une note d'information destinée au comité sénatorial. Sur les dernières pages figure un tableau. Ce tableau présente les dispositions précises du projet de loi C-27 dans une colonne, et la colonne d'à côté présente les normes du conseil de gestion financière qui ont trait à la loi en vertu de laquelle nous fonctionnons. Il s'agit d'une analyse comparative du projet de loi C-27 et des normes du conseil de gestion financière des Premières nations.

Je ne la passerai pas en revue avec vous. Cela représente environ 10 pages, mais je vous invite à l'examiner. Vous pourriez voir une analyse comparative du projet de loi C-27 et de ce que nos normes préconisent en vertu de la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations.

Un autre document vous présente certaines propositions et recommandations dont vous devriez tenir compte dans le cadre du projet de loi C-27. Elles sont en anglais et en français, et je vous invite à les examiner en détail et de nous poser les questions que vous pourriez avoir maintenant ou par la suite.

Le président : Nous vous poserons des questions après la déclaration de M. Mak.

Alan Mak, directeur, Rosen & Associates Limited : Je me présente, Alan Mak, juricomptable de métier. Mon point de vue est celui de quelqu'un qui a fait enquête sur un certain nombre des scandales auxquels M. Calla a fait référence. J'ai pu voir de mes propres yeux les conséquences de systèmes comptables déficients et des avantages qui peuvent être tirés de systèmes comptables solides. Selon moi, ce projet de loi est positif en ce sens qu'il permet d'atteindre l'objectif d'améliorer la reddition de comptes en matière financière et la gouvernance chez les Premières nations.

Dans le cadre de ma préparation, j'ai fait des recherches afin de savoir ce que d'autres avaient à dire concernant le projet de loi. Selon moi, contrairement à ce que l'on prétend, je ne crois pas que le projet de loi fixe des obligations redditionnelles inhabituelles ou onéreuses comparativement à d'autres normes redditionnelles au Canada. Par exemple, il correspond à la divulgation et la reddition de comptes en matière financière qui est exigée en vertu de différentes lois sur les sociétés fédérales et provinciales, de commissions des valeurs mobilières provinciales ou de réglementations boursières s'il s'agit d'une société cotée en bourse. Il existe aussi des renseignements disponibles dans le cadre de systèmes comptables de base et solides. Il respecte les principes de l'évaluation de la gestion qui permet aux membres, dans ce cas les membres des Premières nations, d'évaluer leurs dirigeants et la gestion des ressources qui leur a été confiée.

Finalement, selon moi, je ne pense pas que les exigences en matière de reddition de comptes porteront atteinte à l'avantage concurrentiel des entreprises commerciales des Premières nations, car le projet de loi exige la production d'états financiers consolidés préparés selon les PCGR. Ainsi, les résultats des recettes, des dépenses, des actifs et du passif seront fortement agrégés et résumés. Pour être franc, il sera pratiquement impossible pour quiconque de discerner les résultats d'activités précises dans ces états financiers. L'objectif de ces états financiers est d'évaluer la performance comptable dans son ensemble.

Cela étant dit, j'ai certaines préoccupations que j'aimerais porter à l'attention du comité. La première est l'utilisation des PCGR, ou principes comptables généralement reconnus, comme normes redditionnelles. Comme vous le savez peut-être, les PCGR canadiens ont été remplacés il y a un peu plus de deux ans par les normes internationales en matière d'information financière. Lorsque l'on fait référence aux PCGR dans le manuel de l'ICCA, on fait référence aux IFRS, pour les entreprises ayant une obligation publique de rendre des comptes. Cela étant dit, le manuel de l'ICCA, en plus des IFRS, fait aussi référence aux PCGR des entreprises privées et aux PCGR du secteur public, qui sont mentionnés dans le projet de loi. À ma connaissance, certaines Premières nations produisent aussi des rapports en vertu des PCGR des Premières nations. Beaucoup de normes existent et si l'objectif du projet de loi est d'harmoniser ou d'unifier ces normes, des éclaircissements sont nécessaires.

Il est important de comprendre que les PCGR et les IFRS, ou toute autre norme comptable qui pourrait être imposée, ne constituent pas des règles rigides. Ils ne visent pas à prescrire strictement ce qui doit être fait. En fait, les IFRS laissent à la direction une bonne part de jugement. Un exemple de cela serait la comptabilisation à la juste valeur des éléments d'actif et de passif, qui est la valeur actuelle de l'actif et du passif, estimée par la direction, par opposition au compte établi au coût historique, c'est-à-dire fondé sur ce qu'une entité peut avoir déboursé pour un actif dans le cadre d'une transaction passée. Bien évidemment, s'il s'agit de valeurs et d'estimations actuelles, il y a beaucoup de subjectivité ainsi qu'un risque de manipulation, ce que l'on a déjà vu dans le cadre de notre pratique.

Un autre domaine qui, selon moi, mérite l'attention du comité est l'exigence d'un audit. Bien qu'il s'agisse d'une exigence ou d'un objectif louable, il est important de comprendre qu'un audit d'états financiers peut ne pas correspondre à ce à quoi l'on pourrait s'attendre. Pour être franc, dans la réalité, il se peut que certains auditeurs ne fassent pas bien leur travail. C'est quelque chose que l'on a déjà vu dans le cadre de notre pratique à maintes reprises. On pourrait s'attendre à ce que les auditeurs aillent examiner, de façon indépendante, des preuves objectives, des documents sources, des factures, des relevés bancaires et des chèques. Il se peut que cela ne soit pas le cas. En fait, c'est ce que l'on a pu voir dans un cas dévoilé en décembre qui a attiré beaucoup d'attention. Ce n'est pas la première fois que nous rencontrons ce genre de problème. C'est quelque chose que nous voyons constamment.

Selon notre expérience, nous avons pu constater que des auditeurs tendent à se fier de plus en plus sur des représentations de la direction, et cherchent donc à se procurer des lettres de représentation de la direction et à s'y fier plutôt que d'effectuer leur propre travail indépendant. On voit cela de plus en plus. C'est une tendance qui, de notre avis, va devenir plus courante en vertu des IFRS en raison de la norme qui permet à la direction de faire preuve d'un plus grand pouvoir discrétionnaire et de plus de subjectivité dans le cadre de l'établissement des estimations comptables.

Afin de répondre à cette préoccupation, une solution évidente serait de renforcer le mandat des auditeurs chargés d'examiner les comptes des Premières nations. Cela pourrait revenir à renforcer ce qui doit être là pour les normes d'audit, mais aussi à rendre plus clair ce que le gouvernement ou le projet de loi exige de la part des auditeurs, à savoir examiner des documents sources et d'effectuer leurs propres enquêtes indépendantes ou de recueillir des témoignages indépendants pour appuyer les conclusions de l'audit.

La dernière chose dont j'aimerais vous parler est l'annexe des rémunérations et du remboursement des dépenses. Selon la façon dont je comprends les choses, le projet de loi exigera une déclaration vérifiée de la rémunération et des dépenses versées au chef et aux conseillers de la Première nation. Cette définition ou sa portée est différente de ce qui est exigé en vertu des PCGR et des IFRS. Ces deux normes reconnaissent que les parties proches incluent la famille immédiate de la direction. Ce qui va se produire, selon ce que je prévois, c'est qu'il va y avoir une différence entre ce dont il est fait rapport en vertu des PCGR dans les notes de divulgation ou les IFRS et ce dont il sera fait rapport dans l'annexe sur la rémunération. Une fois encore, une solution évidente serait d'appliquer une norme unique qui pourrait être les PCGR, qui inclut, dans sa définition, la famille immédiate.

Sur ce, je vous remercie de votre temps et serais ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Ataullahjan : Qu'en est-il actuellement des pratiques de gestion financière des Premières nations et combien mettent en œuvre des mesures comptables normalisées? Pensez-vous que ce projet de loi permettra aux Premières nations de s'intéresser à élaborer ces normes?

M. Calla : On parle beaucoup des défis auxquels se heurtent certaines de ces communautés, mais selon moi, un grand nombre de communautés au pays produisent des rapports d'audits sans réserve. Une partie de la controverse est attribuable au fait qu'il y a une conception erronée, comme M. Mak l'a indiqué, de ce que fournit une vérification. Un grand nombre de gens pensent qu'un audit fournit une analyse des transactions. Dans certains cas, c'est possible, mais seulement lorsqu'il s'agit de transactions élevées. Dans la plupart des cas, un audit ne peut répondre au besoin du membre d'une communauté qui cherche à obtenir une analyse par transaction.

L'autre élément, c'est que les audits sont devenus très complexes au cours des dernières années. Les normes ont changé. Les PCGR ont changé. Lorsque j'ai commencé à travailler à Squamish, les états financiers que je devais produire ne présentaient pas l'actif et le passif. Nous avons eu de la difficulté à déterminer comment nous comptabiliserions cela. Aujourd'hui, avec les normes internationales en matière d'information financière, nous, les comptables, devons les étudier. Avant, on les lisait et on les comprenait. Maintenant, elles doivent être étudiées.

Quels sont les renseignements que vous cherchez véritablement à obtenir? C'est la raison pour laquelle on fait référence au fait qu'un rapport annuel est beaucoup plus utile qu'une analyse quantitative, pour ce qui est de comprendre ce qui se passe. La plupart des Premières nations au pays produisent des états financiers adéquats. Les communautés ne connaissent pas de défi en matière de ressources humaines et de capacités à l'échelon communautaire.

Le sénateur Sibbeston : J'aimerais tout d'abord vous dire que je vous admire tous. Vous avez une connaissance approfondie du monde de la reddition de compte en matière financière. Êtes-vous prêt à admettre que vous travaillez dans un domaine inhabituel? Vous n'êtes pas comme les 630 bandes au pays qui seront touchées par ce projet de loi. Vous figurez probablement dans le 1 p. 100 de gens qui comprennent bien la question. Vous vivez dans un monde de comptabilité. C'est dans ce domaine que vous travaillez et c'est votre spécialité.

Je vous soumets respectueusement que vous venez d'un monde différent de celui que connaissent la plupart des Premières nations au pays. Pourriez-vous nous faire part de vos observations sur le fait que votre opinion pourrait être quelque peu différente de celle des sept huitièmes des bandes dans notre pays qui ne sont pas très sophistiquées? Elles s'en sortent très bien en fournissant simplement des états financiers.

M. Calla : J'apprécie votre question. Bien que cela a peut-être été le cas, il y a un grand nombre d'années, sénateur, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Pour les petites bandes, le degré de sophistication que l'on se doit d'atteindre pour gérer ses affaires ne dépend pas de votre assise territoriale ou de la taille de votre population. Dans bien des cas, les possibilités les plus importantes se présenteront aux communautés qui n'ont pas de grandes populations. Elles doivent nécessairement devenir plus sophistiquées si elles veulent être en mesure de bien comprendre ce qui se passe et de fonctionner dans l'économie. Je ne suis pas en désaccord avec vous. Il y a un certain degré de sophistication.

Je suis un Autochtone qui provient d'une collectivité autochtone. J'ai fait ce que l'on m'a dit de faire : je suis parti, je suis allé étudier et je suis revenu chez moi. C'est ce que font de plus en plus d'entre nous. Les investissements que l'on fait dans l'éducation des Autochtones permettent de produire des professionnels qui reviennent travailler chez eux.

Oui, c'est audacieux, et il faut la même audace à tous les Canadiens qui souhaitent pouvoir examiner le rapport du vérificateur général sur la comptabilité du Canada. Il faut faire attention à ne pas imposer une norme différente dans notre collectivité par rapport à la population canadienne moyenne.

Je suis d'accord, et c'est la raison pour laquelle j'ai parlé de la question du renforcement des capacités dans mes observations. Il doit y avoir davantage de renforcement des capacités dans nos collectivités. Cependant, on ne pourra profiter pleinement de l'occasion qui s'offre à nous, à la suite de consultations et d'exigences d'arrangements et des 500 milliards de dollars d'activité économique au pays qui vont ouvrir les portes du développement économique dans nos collectivités, que si les Premières nations atteignent un niveau plus sophistiqué de gestion financière et adaptent leurs connaissances en conséquence. Notre travail consiste à les aider à y parvenir du point de vue de la gestion financière.

Le sénateur Sibbeston : Deux points ont été soulevés par des témoins qui ont comparu devant nous. Tout d'abord, il ne semble pas y avoir de désaccord sur la nécessité de comptabiliser les fonds fournis par le gouvernement. Cependant, les revenus générés par les Premières nations, autres que ceux provenant du gouvernement, deviennent de plus en plus importants. Par conséquent, on se préoccupe du fait que de rendre ces renseignements disponibles au reste du monde puisse représenter un désavantage concurrentiel pour certaines Premières nations. Vous avez parlé du fait que l'exigence de fournir les renseignements sur tous les aspects de leurs finances permet de tirer trop de renseignements, ce qui peut représenter un désavantage. Il s'agit là des deux principales préoccupations qui nous ont été exprimées. Auriez-vous quelque chose à nous dire làdessus, s'il vous plaît?

M. Calla : J'aimerais beaucoup répondre.

Dans votre question, vous faites référence au gouvernement, et vous en parlez comme du gouvernement du Canada. Avec tout le respect que je vous dois, il ne s'agit pas du gouvernement du Canada. Il s'agit d'un gouvernement des Premières nations qui peut recevoir des paiements de transfert en tant qu'ordre de gouvernement tout comme il génère des revenus grâce à ses actifs économiques. Avec tout le respect que je vous dois, en tant que gouvernement, ils ont le devoir de faire état de leurs activités de gestion de ces actifs, tout comme ils ont le devoir de faire rapport au Canada sur la réception des paiements de transfert. Vous y avez fait allusion, et je vous en remercie, car il s'agit d'un domaine de plus en plus important qui va revêtir une importance accrue dans l'esprit des membres pour ce qui est de la façon dont ces occasions considérables sont gérées. Quelles seront les exigences en matière de rapport? Comment gère-t-on les droits ancestraux collectifs et le titre autochtone collectif dans notre communauté?

Le sénateur Meredith : Monsieur Calla, je vais reprendre là où vous vous êtes arrêté. J'aimerais encourager toutes les législatures à appuyer les besoins des communautés des Premières nations dans l'acquisition de la capacité de gérer leurs affaires. Cet investissement sera extrêmement rentable à long terme si les objectifs collectifs permettent de réduire la dépendance et d'appuyer le développement communautaire et économique au Canada.

Nous avons entendu différents chiffres à droite et à gauche concernant 10 milliards de dollars de possibilités économiques au pays pour les Premières nations, et vous venez de parler de 5 milliards de dollars. On entend ces chiffres un peu partout.

Ce qui me préoccupe le plus c'est la capacité de certaines Premières nations à participer à l'activité économique et à intégrer l'économie canadienne. Cela dit, la possibilité d'une mauvaise gestion se présente aussi. Comment pensez-vous que ce projet de loi permettra de répondre à cette possibilité pour les petites collectivités qui n'ont pas cette capacité?

M. Calla : Cette question est importante, car on ne peut distinguer ce qui devrait être fait en fonction de la capacité actuelle. La communauté peut être très petite. Par exemple, les communautés du Cercle de feu et celles par où passent l'oléoduc et le gazoduc sur la côte Ouest sont des petites communautés de 300 ou 400 membres. Elles participent néanmoins à des activités économiques de milliards de dollars grâce aux consultations et aux accommodements. Je soumets donc respectueusement qu'il faut offrir cette capacité. Cela peut se faire grâce au soutien du gouvernement du Canada, grâce au secteur privé, grâce à des ententes sur les répercussions et les avantages, mais il faut offrir cette capacité si on veut accélérer l'examen de ces questions.

Parmi les choses que j'ai apprises, au conseil où j'ai siégé, c'est que le Canada n'a pas le luxe d'être la seule source de pétrole et de ressources au monde. Si nous n'arrivons pas à produire et à vendre, le marché ira s'approvisionner ailleurs.

C'est un objectif très valable que de fournir de la capacité de façon à ce que le devoir de consulter et d'accommoder puisse s'exercer et que cela produise des avantages à long terme qui créeront des économies viables là où il n'y en avait pas auparavant. Il est beaucoup plus avantageux d'investir l'argent dans cela plutôt que dans des litiges et des procédures. Faisons des affaires.

Quelle est la réalité actuelle des Premières nations? Jusqu'à récemment, depuis l'arrivée des Européens, on ne nous a pas permis de participer aux principales activités économiques. Nous n'avons pas pu évoluer et mûrir en tant qu'entité parce que nous n'avons pas pu y participer dans la même mesure que la population non autochtone. Il faut faire l'effort de combler cette lacune au plus tôt. Nous pouvons tous avoir notre opinion sur les manifestations et le piquetage, mais si cela nous empêche, en tant que nation, de soutenir notre économie, en fin de compte, on pourra dire avec le recul que l'investissement pour créer la capacité qui nous permet de prendre nos décisions sera l'argent le mieux dépensé. Nous devons tenir compte de la réalité.

Si on regarde tout le travail fait par le Conseil de gestion financière, ce dont il s'agit, c'est d'une loi, de l'élaboration de systèmes de gestion financière, d'examens du rendement financier et d'examens de conformité par le Conseil de gestion financière pour veiller à ce que ces Premières nations demeurent sur le droit chemin. Cette loi nous habilite, par le truchement de l'Administration financière des Premières nations, à obtenir des capitaux et à avoir accès aux marchés d'investissement grâce à l'émission de nos propres débentures en responsabilité solidaire, de sorte que nous sommes en mesure de contribuer à soutenir nos économies et de ne pas dépendre du gouvernement. Le gouvernement a soutenu notre initiative pendant 10 ans, et elle commence à porter fruit dans la mesure où les Premières nations peuvent obtenir des investissements et parce qu'un nombre croissant de Premières nations obtiennent leur accréditation.

La solution à long terme, c'est de trouver le moyen d'aider les gens à se joindre à l'ensemble de l'économie. Toutes ces initiatives qui sont en cours nous en offrent une excellente possibilité. Nous pouvons amener le secteur privé à participer à la solution. Les entreprises du secteur privé peuvent enseigner leurs compétences aux communautés et elles sont prêtes à le faire.

Le sénateur Meredith : Vous avez parlé d'investisseurs privés; quelle a été leur réaction au projet de loi en ce qui a trait à l'exigence de reddition de comptes et de transparence dans les bandes des Premières nations, plus de 633 bandes aux quatre coins du pays, et de la volonté de ces bandes de se joindre à l'ensemble de l'économie? Quelle a été la réaction des investisseurs à cette mesure législative?

M. Calla : Je n'ai pas constaté de grande réaction. Je sais ce que cherchent les investisseurs. Ils veulent des partenaires crédibles. Ils veulent être assurés que le régime et l'activité de la communauté ne seront pas bouleversés par un manque de rapport ou de vérification. Pour eux, c'est un moyen de créer la confiance.

Le sénateur Meredith : En ce qui a trait à la conformité, que faut-il faire pour que les Premières nations s'alignent sur votre conseil de gestion et vous demandent votre aide pour devenir transparentes et responsables? Comment cela fonctionnetil?

M. Calla : Elles doivent s'inscrire sous le régime de la loi, le gouverneur en conseil.

Le sénateur Meredith : Jusqu'à présent, environ 98 d'entre elles l'ont fait.

M. Calla : Oui. Ensuite, elles prennent un engagement auprès de nous au moyen d'une lettre de coopération. Nous entreprenons l'élaboration d'une loi et nous leur demandons leurs états financiers sur une période de cinq ans. Nous en faisons une analyse pour voir si nous accorderons un certificat de rendement. Elles ont ensuite 36 mois pour se doter d'un système financier complet, que nous homologuons.

Le président : Madame Point, je lis ici que vous êtes gestionnaire principale des services juridiques et corporatifs. Avez-vous examiné cette mesure législative du point de vue de la protection de la vie privée?

Mme Point : Vous parlez de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations ou du projet de loi C- 27?

Le président : Du projet de loi C-27.

Mme Point : Non, nous ne l'avons pas fait.

La sénatrice Dyck : C'est une des questions que j'allais poser, merci de l'avoir fait pour moi, monsieur le président.

Merci de vos témoignages ce soir. Ils ont été très techniques.

Si j'ai bien compris, il existe déjà des politiques et des règlements en application desquelles les Premières nations doivent déjà fournir tout ce genre d'information aux membres de leur bande. Ces renseignements ne sont pas nécessairement affichés à un site web. Estimez-vous également que les politiques et règlements sont déjà en place?

Monsieur Calla, vous avez entre autres demandé pourquoi nous étions saisis de cette mesure législative. C'est la question que je pose également. Pourquoi avons-nous besoin de ce projet de loi alors que les Premières nations doivent déjà fournir aux membres de leurs bandes des états financiers consolidés de même que les barèmes des salaires et de la rémunération du chef et des membres du conseil, selon les définitions? Cette information est censée être déjà disponible, alors pourquoi avons-nous besoin du projet de loi?

M. Calla : Parce que cette information n'est pas toujours disponible.

La sénatrice Dyck : D'accord.

M. Calla : Dans de tels cas, l'Indien inscrit — le membre de la bande — doit trouver un moyen d'obtenir cette information. À cause de la relation que les peuples autochtones entretiennent avec le Canada, les gens se tournent vers le gouvernement fédéral et le ministre. À mon avis, c'est pourquoi le projet de loi a été présenté.

La sénatrice Dyck : Oui, je suis d'accord.

Je crois également savoir que les mêmes recours ou les mêmes peines que l'on trouve dans le projet de loi peuvent déjà être appliqués par le ministre. Si vous demandez l'aide du ministre et que le ministre prend des mesures, c'est que ces mesures existent déjà; elles ne sont tout simplement pas inscrites dans une loi. Il n'y a pas de différence, en fait. Je ne sais pas si vous êtes en mesure de répondre à la question. Pour ma part, je me demande pourquoi nous avons besoin de ce projet de loi puisque toutes ces mesures existent déjà.

M. Calla : Avec tout mon respect, je ne suis pas certain de la façon dont le ministère fonctionne ou de ce qu'il fait. Malheureusement, c'est le ministre qui devrait répondre à cette question.

La sénatrice Dyck : Pour revenir à l'idée des revenus propres aux bandes et des entités appartenant aux bandes, quelqu'un a déclaré que cette information devrait être fournie, que ce sont des renseignements importants qui devraient être communiqués aux membres des bandes. Je suis entièrement d'accord avec cela. Ces renseignements devraient-ils nécessairement être mis à la disposition du grand public? Par exemple, au sujet des salaires, le salaire versé à un chef et à un membre du conseil par une entité appartenant à la bande devraitil être rendu public? En fait, c'est une question de protection de la vie privée.

M. Calla : Il faut accepter d'abord que cette entreprise qui appartient à la bande relève d'un gouvernement. C'est un gouvernement qui participe à une activité économique génératrice de revenus. C'est le gouvernement qui paie les salaires des gens. Même dans le secteur privé, dans les sociétés cotées en bourse, toute cette information doit déjà être communiquée. Je ne considère pas du tout qu'il s'agisse d'une entorse à la vie privée. C'est une question de reddition de comptes et de transparence.

Comme il s'agit de données consolidées, je ne crois pas qu'il existe de risques importants que l'activité commerciale soit compromise. Toutes les autres entreprises commerciales importantes doivent communiquer leur information. Je crois savoir que RIM, Apple et Microsoft produisent des états financiers. Oui, il peut y avoir des problèmes, mais ni vous ni moi ne pouvons prévoir quels seront ces problèmes à l'avenir. Dans les faits, cependant, en tant que gouvernements, il faut rendre des comptes aux citoyens et fournir de l'information; les entreprises appartenant aux bandes sont exploitées par des gouvernements.

La sénatrice Dyck : Quand vous parlez de gouvernement, voulez-vous vous dire...

M. Calla : Les gouvernements des Premières nations.

La sénatrice Dyck : Quand vous dites que l'information doit être communiquée aux citoyens, voulez-vous dire aux membres des bandes ou au grand public?

M. Calla : C'est ce que nous appelons parfois la télégraphie par mocassins. Quand on fournit des états financiers à un membre d'une bande, cela devient un document public. Le simple fait de communiquer cette information la place dans le domaine public, et c'est la conséquence d'être un gouvernement.

La sénatrice Dyck : C'est peut-être vrai. Je ne suis pas certain que ce soit exactement la même chose, mais je ne vais pas en discuter.

Je vais maintenant passer à un sujet légèrement différent mais relié. On considère que ce projet de loi pourrait être un moyen de favoriser la confiance des investisseurs. Pour ce qui est de publier sur le web les états financiers consolidés, je me demande s'il ne serait pas préférable que ces états financiers soient disponibles de façon protégée — par communication confidentielle plutôt que par affichage sur le web. Vous semblez dire qu'il n'y avait pas vraiment de différence.

M. Calla : Ce qui est inacceptable, c'est qu'ils ne soient pas affichés. Ce sont les activités d'un gouvernement. Le gouvernement du Canada affiche ses chiffres. Les Premières nations sont des gouvernements. Notre droit à l'autonomie gouvernementale est protégé par la Constitution. Ces gouvernements devraient être responsables.

La sénatrice Dyck : Puisque je suis porte-parole, permettez-moi de vous poser une dernière question.

Vous avez tous les deux parlé de scandales et de problèmes de responsabilité, et nous savons que ces problèmes existent. Il y aura toujours des problèmes si des gouvernements de Premières nations ne sont pas prêts à se plier aux règles. Comment le projet de loi les amènera-t-il à s'y conformer?

M. Calla : La conformité n'est pas facultative.

La sénatrice Dyck : Non, elle n'est pas facultative. Cependant, le ministre dispose déjà des mêmes recours prévus dans le projet de loi, et il y a encore — je ne sais combien — des bandes qui ne respectent pas les règles. Le projet de loi ne contient aucun nouveau redressement. En voyez-vous un?

M. Calla : Ce que je vois, c'est un projet de loi du Parlement qui précise des exigences claires. Ces exigences ne viennent pas d'une politique ou d'une mesure que peut prendre le ministre.

La sénatrice Dyck : Monsieur Mak?

M. Mak : Le projet de loi impose à mon avis l'obligation accrue de respecter les règles, car il vise à faire la lumière sur les affaires financières des Premières nations. Même si certaines pourraient être tentées de ne pas respecter cette obligation, elle est maintenant inscrite dans une loi, et en plus, la non-conformité entraîne des conséquences. Le fait de devoir respecter les PCGR et de subir une vérification, avec les limites que j'ai soulignées, crée en quelque sorte une menace. De ce fait, je crois que la loi peut améliorer la gouvernance d'entreprise.

La sénatrice Dyck : Le ministre a déclaré qu'il n'userait jamais de la menace ultime.

Le sénateur Meredith : Monsieur Calla et monsieur Mak, on nous a dit que la publication des états financiers consolidés pourrait mettre en danger la compétitivité des entreprises. Êtes-vous d'accord avec cela? Expliquez-nous comment les états sont produits en vue de protéger les détails de l'exploitation par rubrique, par exemple, les réparations ou l'achat d'équipement.

M. Mak : Comme je l'ai dit, les états financiers consolidés produits selon les PCGR ou les IFRS sont très globaux. D'une façon générale, on n'y trouverait pas de rubriques comme réparation et entretien, marketing, publicité ou même frais de téléphone. Il y aurait une rubrique intitulée « Dépenses d'exploitation ». N'oubliez pas que cela comprendrait les recettes financées par le fédéral, les sources de recettes propres à la bande, de même que ses activités, tout cela en une seule rubrique.

Étant donné que les données sont aussi globales, je ne crois pas qu'on pourrait utiliser les détails pour compromettre un avantage concurrentiel quelconque.

M. Calla : Vous avez posé une question sur la compétitivité. Je ne crois pas que cela toucherait une activité précise; les états financiers consolidés vont révéler la solidité de la position financière de l'entité. On ne peut pas le nier. Cela pourrait avoir des conséquences.

Le sénateur Meredith : Quelles pourraient être ces conséquences?

M. Calla : À l'examen de ces états consolidés, un investisseur pourrait juger que la solidité financière de l'entité n'est pas suffisante pour participer à un partenariat avec elle. L'investisseur ne va pas entreprendre de négociations, car à partir des données publiées sur le web, il portera son propre jugement sans même discuter avec la communauté des Premières nations. Cela peut être une des conséquences.

La sénatrice Seth : Quelle information sur les finances des Premières nations devrait-on produire pour donner confiance à des investisseurs éventuels?

M. Calla : Les investisseurs veulent savoir si vous êtes capables d'assumer vos responsabilités dans le partenariat. Si vous faites partie d'un partenariat et qu'il y a un appel de liquidités, ils veulent savoir si vous pouvez fournir ces liquidités. Avez-vous la capacité de vous endetter pour la réalisation d'un projet? Votre bilan est-il suffisamment solide pour que vous puissiez participer pleinement au partenariat? Voilà l'information que cherchent les investisseurs.

La sénatrice Seth : Cette information est-elle souvent fournie?

M. Calla : Elle est généralement fournie dans des négociations commerciales qui ont lieu entre le partenaire et la bande.

M. Mak : Pour répondre à cette question, nous parlons d'une façon générale. Comme M. Calla l'a signalé, les états financiers consolidés pourraient être une première étape dans l'évaluation d'une relation commerciale, mais si le partenaire choisit de faire un prêt, d'investir de l'argent, il exigera des renseignements financiers beaucoup plus précis. Par exemple, dans la relation avec un débiteur, les états consolidés n'apportent rien, car il ne s'agit pas d'une entité légale. On ne peut pas faire de réclamation à l'encontre de son actif. Il voudra connaître des éléments précis d'actif et de passif de la partie avec laquelle il signe un contrat.

M. Calla a raison de dire que les états financiers consolidés fournissent une première impression, une impression générale de la force économique générale de l'entité, mais ce n'est qu'une première étape et bien d'autres renseignements seront exigés.

Ce sont les renseignements précis qui importent aux investisseurs. Ces renseignements ne se trouvent pas dans les états financiers.

Le sénateur Munson : J'ai besoin de quelques précisions. Monsieur Calla, votre organisation atelle participé à l'élaboration du projet de loi C-27? Il me semble que vous avez dit que non. Dans ce cas, auriez-vous souhaité être consulté au sujet du projet de loi C-27?

M. Calla : Nous avons formulé des propositions semblables à celles de M. Mak. Je préférerais que la définition de « revenu » corresponde de plus près aux PCGR ou aux IFRS dans le secteur privé. Je le répète, nous ne voulons pas revenir sur toutes nos suggestions, mais si vous reprenez le tableau, vous constaterez que nous avons proposé des modifications pour harmoniser certains éléments avec les PCGR et les normes du CGF, puisque ce serait à mon avis plus pertinent à long terme.

Nous n'avons pas participé à l'élaboration de la mesure législative, mais grâce à des occasions comme cellesci et celles que nous avons eues lorsque la Chambre des communes était saisie de la mesure, nous avons fait connaître nos propositions.

Mme Point : Donc, nous avons comparu devant la Chambre des communes en octobre 2012 et avons présenté alors une lettre très semblable à celle que vous avez reçue, intitulée « Projet de loi C-27, Loi sur la transparence des Premières nations ». On y présente quatre propositions. Vous l'avez dans vos documents, en français et en anglais. Ces propositions ont été faites en octobre 2012, mais aucune n'a été acceptée.

Le sénateur Munson : Aimez-vous ce projet de loi?

M. Calla : Il n'est pas question de l'aimer ou pas. Le ministre a une responsabilité. Peu importe qui est au pouvoir, le ministre doit assumer cette responsabilité, et c'est l'approche qu'il a choisie. J'aurais préféré qu'on ait tous adopté la loi sur l'administration financière et produit un rapport annuel beaucoup plus complet que ce qui est prévu dans le projet de loi. Je comprends la nature délicate du projet de loi, qui a été conçu pour régler certains problèmes bien circonscrits. Nous voudrions que toutes les Premières nations au pays disposent d'un système de gestion financière en bonne et due forme, d'une loi sur l'administration financière et que la performance financière soit vérifiée périodiquement. C'est ce que cette loi sur la gestion financière accomplit.

Le sénateur Munson : Sur votre site web, le message du président indique que le Conseil de gestion financière des Premières nations travaille en collaboration avec AADNC et cherche à réaliser des synergies entre les normes du Conseil de gestion financière et les critères de l'évaluation générale, afin de déterminer si la certification du CGF peut servir de mesure de substitution à l'évaluation des risques d'AADNC. Est-ce que cela signifie qu'à l'avenir, tous les fonds alloués à la gouvernance des Premières nations devront tout d'abord obtenir la certification du Conseil de gestion financière?

M. Calla : Non. Cependant, l'an dernier, le ministère a demandé aux Premières nations certifiées de fournir une vérification de leur certification, et d'après le comité qui a communiqué avec nous, notre certification a effectivement servi de mesure de substitution pour leur processus d'évaluation, mais l'intention n'était pas d'exiger que tout le monde obtienne la certification du Conseil de gestion financière. D'après nos discussions avec le ministère, ceux qui obtiennent la certification ont pu la faire accepter comme mesure de substitution par le ministère.

Le sénateur Munson : Monsieur Mak, les gouvernements des Premières nations qui s'opposent à cette mesure législative ont indiqué qu'ils pourraient intenter des poursuites parce que le projet de loi C-27 empiète sur leur droit de s'autogouverner. Le cas échéant, les contribuables et les Premières nations dépenseront beaucoup d'argent dans une bataille juridique qui a déjà été tranchée en Cour fédérale — par exemple, Montana c. Canada —, et qui pourtant n'est pas reconnue par cette mesure législative. Quelle solution recommanderiez-vous pour régler le problème du petit nombre de gouvernements des Premières nations qui ne respectent pas le droit de leurs citoyens à consulter leurs renseignements financiers?

M. Mak : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, je suis comptable, alors que la question semble relever davantage de la justice et des politiques sociales. Je ne suis pas certain de pouvoir répondre.

Le sénateur Munson : Pourtant, beaucoup de comptables ont des opinions.

M. Mak : Sur des questions de comptabilité, monsieur. Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question.

Mme Point : Permettez-moi de tenter le coup. Je suis avocate de formation et membre de la Première nation Musqueam. J'ai eu le plaisir ce matin d'entendre mon chef régional, Jody Wilson, prononcer une allocution à la conférence de l'AAFA à Toronto. Je souscris à certains de ses propos.

La différence entre le projet de loi C-27 et la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, c'est que la loi en vigueur est facultative. Lorsqu'une Première nation adhère à notre processus, c'est parce qu'elle le désire. Lorsqu'une Première nation promulgue une loi de son propre chef, celle-ci s'en trouve légitimée, et prend tout son sens pour cette communauté, qui se l'approprie.

Lorsqu'on impose de façon obligatoire une mesure législative, cette mesure ne sera pas accueillie de la même façon par la Première nation et les membres de la communauté que lorsque le chef et le conseil élu optent pour un différent régime. Y aura-t-il des contestations judiciaires? J'imagine que c'est possible.

La sénatrice Raine : Nous ne considérons pas le projet de loi C-27 comme étant très complexe, mais de toute évidence, il pose problème à certains membres de la communauté. Puisque vous représentez le milieu de l'administration financière, nous vous remercions énormément de nous faire part de votre expertise.

Ma question concerne les Premières nations autonomes. Je crois savoir que toutes les ententes sur l'autonomie gouvernementale nécessitent la divulgation de renseignements financiers. Est-ce que certaines des Premières nations autonomes reconnues ont la certification du CGFPM? Participentelles en général?

M. Calla : Elles aimeraient bien que ce soit le cas. Une Première nation autonome ou signataire d'un traité n'est plus assujettie à la Loi sur les Indiens, conformément à la mesure législative adoptée. Elles évoluent en marge de la Loi sur les Indiens, alors que notre texte législatif s'applique aux bandes qui sont assujetties à cette loi. Une disposition permet, par règlement, l'application à une Première nation autonome ou signataire d'un traité, et celles qui en ont récemment signé envisagent cette possibilité. Il n'y a toutefois pas encore de règlement à cet effet.

La sénatrice Raine : Comprennentelles que les normes et procédures que vous avez élaborées sont conçues pour les Premières nations?

M. Calla : Oui. En fait, la communauté Sliammon, qui entamera la mise en œuvre de son traité au cours des prochaines années, s'apprête à collaborer avec nous pour rédiger sa loi sur l'administration financière et pour obtenir sa certification en préparation de la mise en œuvre du traité.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Si je comprends bien, les Premières nations présentent déjà des rapports et des vérifications quotidiennement. Nous nous sommes déjà fait dire que ces rapports sont mis sur des tablettes à Affaires autochtones, et même pas lus. Le projet de loi C-27 ne feraitil pas qu'accroître le fardeau des Premières nations?

M. Calla : Avec tout le respect que je vous dois, je ne le pense pas. Actuellement, nous devons de toute façon procéder à une vérification. Les pratiques en matière de bonne gouvernance stipulent que les fonds reçus, la rémunération et les déplacements doivent être divulgués à la population. Je ne crois pas que cela ajoute au fardeau des Premières nations, puisque, en tant que gouvernement, elles devraient le faire de toute façon.

La sénatrice Lovelace Nicholas : J'ai pourtant l'impression que c'est le cas, puisqu'elles produisent déjà des rapports, auxquels elles doivent consacrer beaucoup de temps, et on leur en rajoute un autre.

M. Calla : Sénatrice, il ne s'agit pas d'un rapport additionnel. Il s'agit plutôt de l'exemplaire d'un rapport qu'elles devraient déjà avoir produit.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je crois qu'elles le produisent déjà.

M. Calla : Effectivement.

Le président : Par souci de clarté, précisons qu'elles produisent ce rapport, qui devrait maintenant être rendu public.

M. Calla : Oui.

Le sénateur Patterson : J'aimerais demander à M. Mak de nous résumer ses compétences et son expérience en matière de vérification auprès des communautés des Premières nations, et peut-être de nous parler de certains des problèmes qu'il a constatés, et de la façon dont le projet de loi C-27 pourrait aider à les résoudre.

M. Mak : Je suis comptable agréé en Ontario, expert en évaluation d'entreprises au Canada, certified public accountant — soit comptable agréé — dans l'État de l'Illinois, expert-comptable agréé associé à Hong Kong, comptable agréé en gestion mondiale — il s'agit d'une appellation reconnue au Royaume-Uni et aux États-Unis —, et examinateur agréé en matière de fraudes.

Mon expérience auprès des Premières nations concerne malheureusement des litiges assujettis aux règles de la confidentialité, à moins qu'il ne s'agisse d'affaires rendues publiques. Cependant, des membres des Premières nations viennent souvent dans nos bureaux pour nous demander d'enquêter sur des actes répréhensibles présumés commis par leurs dirigeants. J'en conclus que les membres souhaitent participer au processus. Ils posent des questions et manifestent déjà un certain niveau d'intérêt, sinon de compréhension, à l'égard des renseignements financiers.

Je ne crois pas que le projet de loi C-27 ajoute à l'obligation redditionnelle en matière de finance, mais je pense que l'existence seule de cette obligation responsabilisera les dirigeants, surtout en ce qui concerne les niveaux de rémunération et de dépenses, et d'autant plus si on élargit la définition pour l'harmoniser avec les PCGR et les IFRS afin d'inclure les membres de la famille immédiate, et pas seulement les membres de la gestion. On mettra ainsi en lumière ces questions, ce qui mènera à la reddition de comptes que réclament les membres, selon notre bureau.

Le sénateur Patterson : Dans le projet de loi, on fait référence aux principes comptables généralement reconnus. Monsieur Mak, avez-vous bien dit qu'avec l'évolution des IFRS, les PCGR évoluent et pourraient permettre d'éliminer certaines échappatoires, comme les paiements entre personnes apparentées?

M. Mak : Ils ont changé, il faudrait apporter certaines précisions, puisque vous faites référence au manuel des PCGR, mais il existe différentes formes de ceuxci, dont celle pour les Premières nations, donc il faudrait favoriser la normalisation.

Il est possible que certaines échappatoires soient exploitées. En fait, à mon cabinet, on le constate quotidiennement. Il est risqué de présumer que l'imposition de ces normes créera une série de règles strictes et rigides que tout le monde devra suivre. Il s'agit néanmoins d'un pas dans la bonne direction, surtout en ce qui concerne les annexes de rémunération. On vient effectivement d'élargir les obligations actuelles.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit avoir de l'expérience dans la passation de marchés. Aije bien compris?

M. Mak : Vous parlez des transactions?

Le sénateur Patterson : Oui.

M. Mak : Oui.

Le sénateur Patterson : Monsieur Calla en a discuté, mais pourriez-vous étayer l'affirmation exprimée dans votre déclaration préliminaire selon laquelle les obligations redditionnelles ne compromettent pas la compétitivité des entreprises publiques des gouvernements des Premières nations?

M. Mak : On part du fait qu'il est question d'états financiers consolidés, lesquels portent sur les sources de financement public et autres et sur toutes les activités entreprises par une Première nation. Si on ne faisait qu'additionner des chiffres différents d'un peu partout, les détails des activités seraient bien difficiles à discerner.

Comme M. Calla l'a dit, il est peu probable qu'on puisse retracer quoi que ce soit à moins qu'il s'agisse de grandes transactions ou activités. Par exemple, si une tribu effectue un nouvel investissement, l'année suivante, l'accroissement de l'actif et du passif pourrait suggérer qu'il est attribuable à cette activité précise. Cependant, elle ne figurera de façon distincte dans les états financiers. Si on s'inquiète de certaines activités qu'on ne souhaite pas divulguer, je ne pense pas qu'en pratique le risque existe.

La sénatrice Dyck : Souvent, les membres des bandes n'arrivent pas à obtenir des renseignements sur les entreprises. Est-ce que ces états financiers consolidés leur fourniront le genre de renseignements dont ils ont besoin pour savoir où va l'argent si la bande gère plusieurs entreprises? Pourront-ils en faire le suivi par ces états consolidés, ou ont-ils besoin d'autre chose?

M. Calla : Je pense qu'ils pourront suivre les tendances. Dans les états financiers consolidés et vérifiés, ils ne trouveront pas les détails des activités des entreprises. Ces activités feront l'objet d'exigences en matière de déclaration financière. C'est pourquoi je fais référence à un rapport annuel, pas seulement à une vérification. La vérification fait partie du rapport annuel, mais ce rapport décrira les activités dont vous parlez.

Le président : Je remercie chacun d'entre vous pour votre exposé. C'était très technique, mais très utile pour nous, et je vous souhaite une excellente fin de soirée.

Sénateurs, notre deuxième groupe est composé de deux témoins qui sont ici à titre personnel. Nous accueillons Beverly Brown, une membre de la Première nation Squamish, et Michael Benedict, un consultant en fiscalité des Premières nations.

Veuillez commencer vos exposés.

Michael Benedict, consultant en fiscalité des Premières nations, à titre personnel : J'aimerais commencer mon témoignage en remerciant le président du comité, le sénateur White, et tous les membres du comité de me donner l'occasion de raconter mon histoire et de faire entendre ma voix concernant le manque de reddition de comptes et de transparence de certains gouvernements des Premières nations, et mon appui pour le projet de loi C-27 sur la transparence des Premières nations en matière financière.

Je m'appelle Michael Paul Benedict, je suis citoyen abénaquis, membre de la Première nation d'Odanak, située dans ce qu'on appelle maintenant la province du Québec. Je suis actuellement porte-parole de la Coalition des citoyens abénaquis pour un gouvernement abénaquis juste, transparent et redevable. Je suis aussi un ancien employé du Secrétariat de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et de l'Agence du revenu du Canada.

De janvier 2000 à avril 2011, pendant plus de 11 ans, j'ai été employé par le SAPNQL en tant que conseiller en fiscalité. En mars 2005, j'ai été nommé représentant régional du Québec au Comité consultatif des Premières nations de l'ARC par le chef de l'APNQL, Ghislain Picard, et le ministre du Revenu national de l'époque, l'honorable John McCallum. J'ai pris ma retraite de l'APNQL en mai 2001.

Veuillez noter que mon témoignage ne vise d'aucune façon à diminuer ou nier les obligations fiduciaires, juridiques et morales du gouvernement du Canada envers les Premières nations du Canada. Je reconnais également qu'il y a des gouvernements des Premières nations au Canada qui ont adopté leurs propres lois favorisant et assurant l'obligation redditionnelle et la transparence en matière financière, comme la Loi sur l'administration financière de la Première nation Sawridge.

Mon appui pour le projet de loi C-27 tient avant tout au manque de textes législatifs dans la Première nation d'Odanak et dans de nombreux autres gouvernements des Premières nations au Canada.

J'aimerais informer les membres du comité qu'il y a un représentant élu du Conseil de bande d'Odanak, un conseiller qui s'appelle Réjean O'Bomsawin, membre de la Coalition des citoyens abénaquis, qui fait activement la promotion de l'obligation redditionnelle et de la transparence au Conseil de bande d'Odanak, mais qui a été constamment isolé et exclu du processus décisionnel du Conseil de bande par le chef, par d'autres membres du conseil et même par le directeur général du Bureau de bande d'Odanak.

En 2006, Alanis O'Bomsawin, une réalisatrice et productrice abénaquise de films et documentaires de renommée internationale, qui a reçu l'Ordre du Canada, qui est employée par l'Office national du film du Canada, a lancé un documentaire intitulé Waban-Aki : People from Where the Sun Rises. C'est un documentaire sur le peuple abénaquis du nord-est de l'Amérique du Nord. Mon père est l'un des citoyens abénaquis que l'on voit dans ce documentaire. Alanis est ma cousine au deuxième degré; sa mère, Mirya, était ma grand-tante, la sœur de ma grand-mère. Lorsque ce documentaire est sorti, Alanis a demandé mon opinion sur le film. Je lui ai dit que je croyais que tous ses films et documentaires montraient le sort des Premières nations du Canada et comment les gouvernements européens et canadiens ont abusé de notre peuple, l'ont victimisé et lui ont nié le droit de vivre sur son territoire selon ses coutumes et ses traditions. J'ai poursuivi en disant que ses documentaires ne montraient qu'un côté de la médaille.

L'autre côté de la médaille, c'est l'abus que les citoyens et les gouvernements des Premières nations commettent envers eux-mêmes. J'ai dit que, oui, on a abusé de nous, on a été des victimes, mais aujourd'hui, nous avons la capacité de sortir de cette situation d'abus, de ne plus être des victimes. J'ai proposé à Alanis de faire un documentaire montrant comment notre peuple s'est enfoncé dans la jalousie, l'envie, la dépendance, toutes sortes de dysfonctionnements, et conséquemment, comment il perpétue lui-même le cycle de victimisation. Alanis semblait choquée par cette suggestion, disant qu'elle ne voulait pas qu'on lave notre linge sale en public. Je lui ai dit que si on ne faisait pas face directement à nos problèmes de corruption et d'abus, les médias qui ne sont pas des Premières nations le feraient pour nous. J'ai dit également que l'attention négative dans les médias reçue par les Premières nations est due grandement au secret qui entoure la gouvernance des Premières nations et l'administration des bandes.

Le 17 mars 2005, le Conseil de bande d'Odanak a tenu une assemblée publique pour informer les citoyens abénaquis d'Odanak que des fonds publics provenant du budget de l'éducation, et peut-être d'autres secteurs, avaient été détournés à des fins personnelles par plusieurs employés du gouvernement d'Odanak. Nous avons été informés lors de cette assemblée, avant toute vérification, que des accusations de fraude étaient en instance.

À l'époque où ce scandale a été rendu public dans la nation d'Odanak, j'étais employé du secrétariat de l'APNQL en tant que consultant en fiscalité auprès des chefs du Québec. À cette même époque, Alanis filmait son documentaire Waban-Aki : People from Where the Sun Rises.

Le 22 mars 2005, le cabinet comptable Samson Bélair/Deloitte & Touche, situé à Trois-Rivières au Québec, a été retenu pour faire une vérification du Conseil de bande d'Odanak. La vérification a eu lieu, et le chef et les conseillers d'Odanak ont reçu une copie du rapport de vérification entre le 2 et le 6 mai 2005. Le 17 mai, les représentants régionaux du Québec des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada ont rencontré le chef et le conseil d'Odanak pour discuter des conclusions du rapport de vérification. Bien que l'une des conseillères, Mme Claire O'Bomsawin, avait promis de rendre le rapport de vérification public, le 27 mai 2005, pendant une assemblée générale et publique du Conseil de bande d'Odanak, le chef Gilles O'Bomsawin, maintenant décédé, a annoncé que le rapport de vérification ne serait pas rendu public. Il nous a dit que les employés avaient été congédiés, et que cette punition était suffisante. Une des employées congédiées était sa fille. Il a aussi annoncé une restructuration du bureau de bande d'Odanak et de ses services administratifs afin d'empêcher qu'une telle situation scandaleuse se reproduise. Cependant, jusqu'à aujourd'hui, je ne suis pas au courant qu'il y ait eu des politiques au Conseil de bande d'Odanak mises en place pour empêcher de tels abus. Je n'ai jamais vu les descriptions de poste du chef et des conseillers, et lorsque j'en ai demandé une copie, aucun de nos dirigeants n'a pu me dire si de tels documents existaient.

Des citoyens abénaquis inquiets et présents à cette assemblée ont demandé si les employés qui ont détourné les fonds publics allaient devoir rembourser le Conseil de bande d'Odanak. Le chef et les conseillers ont répondu non. Ils ont répété que perdre leur emploi était une punition suffisante.

J'étais outré, comme l'était ma fille, Véronique, et d'autres citoyens abénaquis de la nation d'Odanak. Comment est- ce que nos jeunes allaient pouvoir continuer de faire confiance à leurs représentants élus et aux employés de leur gouvernement?

L'APNQL proclame que « toutes les décisions doivent maintenant être prises en tenant compte des conséquences sur les sept prochaines générations ». Cependant, l'APNQL admet qu'il y a un manque de cohérence chez les chefs, ses membres. L'APNQL reconnaît que l'autorité et le champ de responsabilité de chaque Première nation proviennent de cette Première nation. Cela est énoncé dans les 26 principes de coexistence pacifique adoptés par l'Assemblée des chefs le 19 mai 1998. Conséquemment, aucune sanction n'est imposée par l'APNQL contre une Première nation qui abuse des droits civils ou de la personne de ses citoyens et qui, par ses actions, fait honte à l'Assemblée des chefs. Dans ce cas, l'APNQL a vraiment manqué le coche.

Les employés congédiés n'ont jamais admis leur culpabilité et ont même engagé des procédures judiciaires en vertu du Code du travail du Canada pour prouver qu'ils avaient été injustement congédiés. Ils ont dit que le Conseil de bande d'Odanak n'avait pas de politique en place empêchant les employés d'utiliser les fonds publics à des fins personnelles. Ils ont gagné leur cause et ont été compensés pour leurs pertes de salaires. Certains sont employés aujourd'hui dans un établissement public d'enseignement des Premières nations au Québec.

Le 6 juin 2005, suite à mes conseils et mon encouragement, ma fille Véronique a fait parvenir une demande d'accès à l'information à la coordonnatrice de l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels d'AADNC, Mme Marie Dauray Chartrand, à son bureau de Gatineau au Québec. Vers le 7 juillet 2005, Mme Dauray Chartrand a répondu qu'elle ne pouvait pas répondre à sa demande parce que les gouvernements des Premières nations, les conseils de bande, ne sont pas régis par les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information ou la Loi sur la protection des renseignements personnels. En fait, l'AADNC n'a jamais demandé une copie du rapport de vérification au Conseil de bande d'Odanak parce que, tel que mentionné dans les documents que j'ai soumis au sénateur White et à d'autres sénateurs plus tôt, l'enquête initiale d'AADNC avait démontré que rien n'indiquait que le Conseil de bande d'Odanak ne respectait pas les conditions de l'accord de financement signé avec Affaires autochtones et Développement du Nord Canada.

Bien que je n'aie pas une copie de la réponse de Mme Dauray Chartrand, j'ai les enveloppes qu'elle a utilisées pour accuser réception de la demande de Véronique et lui répondre. J'ai redonné la réponse d'AADNC à ma fille parce que j'avais peur que si je les gardais et que l'on confisquait mes dossiers, le conseil et le chef d'Odanak verraient que ma fille avait fait une demande d'accès à l'information et qu'ils ne lui verseraient pas sa bourse d'études secondaires. Je suis certain que vous pourriez facilement chercher dans les archives d'AADNC, grâce aux dates et aux noms que je vous ai fournis, pour trouver une copie de la réponse. On m'a dit que quelqu'un l'avait essayé et que les documents d'il y a huit ans n'existaient plus dans les archives d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada.

Si ce rapport de vérification avait été rendu public, les citoyens abénaquis de la bande d'Odanak auraient connu la gravité et l'étendue des pertes de revenus, les personnes responsables et les mesures qui auraient garanti que la justice aurait été rendue.

À l'époque où cela s'est produit, ma fille Véronique était la représentante du Québec pour la nation des Abénaquis au Conseil des jeunes des Premières nations du Québec et du Labrador. Elle faisait donc activement la promotion de la participation des jeunes des Premières nations du Québec dans différents secteurs, y compris financier et fiscal. Aujourd'hui, Véronique a obtenu son baccalauréat en administration des affaires et travaille pour une entreprise hors de la réserve.

Le chef Gilles O'Bomsawin, maintenant décédé, a envoyé deux autres lettres au chef de l'APNQL, Ghislain Picard, demandant à ce qu'on me réduise au silence. Une lettre est datée du 15 juillet 2005, et j'ai répondu le 20 juillet. Des copies de ces lettres sont également incluses dans les éléments de preuve que j'ai présentés au comité.

Le chef O'Bomsawin a envoyé la dernière lettre, adressée à moi cette fois, mais envoyée au siège social de l'APNQL, datée du 22 novembre 2005. Il y disait que j'étais allé trop loin et que nous en étions maintenant à « un point de non- retour ». Il était outré que j'aie publicisé, par un groupe Google pour les citoyens abénaquis de la bande d'Odanak, la diffusion d'un bulletin de nouvelles du réseau de télévision APTN du mercredi 19 octobre 2005, concernant le scandale financier de la Première nation d'Odanak. J'avais incité le journaliste de l'APTN à faire enquête sur cette histoire.

Enfin, à titre d'employé du secrétariat de l'APNQL et participant à de nombreuses assemblées des chefs de l'APNQL, j'ai vu directement le nombre de nos dirigeants des Premières nations qui utilisent leur pouvoir pour contrôler leurs citoyens et les prendre en otage en leur refusant l'accès aux renseignements, aux services et aux fonds s'ils dénonçaient la corruption et les abus. Je les ai regardés, impuissant, utiliser les fonds publics à leur propre avantage politique sans que cela porte à conséquence. Ils se réfugient dans leurs appels à la souveraineté et à l'autonomie, utilisant cela souvent comme écran leur permettant d'éviter de rendre des comptes à la population.

Pendant une autre assemblée générale publique de la bande d'Odanak au printemps 2006, des citoyens abénaquis et des membres de la Première nation d'Odanak ont été informés du résultat du rapport de vérification et des conséquences pour les employés congédiés du gouvernement d'Odanak. Alanis O'Bomsawin et moi étions présents à cette assemblée. Alanis a dit publiquement qu'il était maintenant temps de pardonner, d'oublier, de laisser notre communauté se guérir et de penser à autre chose. J'ai pris la parole pour dire que personne n'avait admis avoir commis une faute ou accepté de blâmes. Comment pouvions-nous penser à autre chose alors que personne n'avait admis sa culpabilité et qu'aucune mesure n'avait été mise en place pour empêcher que de telles choses se reproduisent?

Alanis a repris la parole pour dire qu'elle avait voyagé dans des communautés des Premières nations partout au Canada et que de telles situations étaient communes. Pour conclure, j'ai ajouté que ce n'est pas parce que les abus financiers et la corruption avaient lieu dans d'autres communautés des Premières nations ou même chez les gouvernements qui ne sont pas des Premières nations — la Commission Gomery venait juste de terminer son enquête — que nous, le peuple abénaquis, devions faire la même chose. Je ne pouvais et ne peux pas accepter l'irresponsabilité financière, la corruption et les abus simplement parce que ces choses sont devenues communes dans la société d'aujourd'hui.

Jusqu'à aujourd'hui, suivant cette assemblée générale publique de la bande d'Odanak, ma cousine Alanis ne m'a pas adressé la parole, et cela fait plus de six ans.

J'ai joint de nombreux journalistes et médias des Premières nations et autres leur demandant s'ils étaient intéressés et prêts à écrire et publier des articles sur la corruption et la mauvaise gestion financière des Premières nations, sans résultat. Étant donné la complexité et les questions juridiques entourant l'autonomie et la souveraineté des Premières nations au Canada, de même que les obligations juridiques, fiduciaires et morales du gouvernement fédéral envers les Premières nations, les journalistes semblent hésiter à s'attaquer à ces problèmes contemporains des Premières nations. C'est comme le proverbial éléphant qui est dans la salle, mais que tout le monde ignore.

Malgré les budgets annuels alloués aux gouvernements des Premières nations par le gouvernement fédéral, les conditions de vie dans les réserves semblent, dans certains cas, se détériorer. Des centaines de milliers de citoyens des Premières nations vivent dans des conditions abominables de pauvreté, de déchéance physique et morale, alors qu'une classe de profiteurs qui administrent et gouvernent nombre des communautés vivent dans le luxe. Ces dirigeants qui commettent des abus jouissent d'une immunité totale et vivent sans peur des conséquences. Ils sont aidés par une véritable industrie de la pauvreté autochtone dominée par des avocats et des consultants qui les conseillent sur les meilleures façons d'extorquer de l'argent au gouvernement fédéral.

Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, que l'on appelait avant AINC, a démontré par le passé être prêt à ignorer délibérément les abus évidents découlant de la mauvaise gestion financière, électorale et environnementale chez les gouvernements des Premières nations, malgré les appels à l'aide des citoyens de ces nations, sûrement dus au fait que, comme mentionné plus tôt, les dirigeants des Premières nations se plaignent que leur souveraineté et leur autonomie n'ont pas été respectées. Étant donné les obligations juridiques et morales, les demandes d'information auprès d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada par des citoyens des Premières nations au sujet de leur Première nation respective sont généralement renvoyées au gouvernement de ces Premières nations, qui a refusé en premier lieu de donner ces renseignements, même s'ils devraient légalement être rendus publics. On comprend pourquoi les citoyens des Premières nations sont dégoûtés et désillusionnés par le système actuel.

J'ai soulevé à maintes reprises mes préoccupations auprès de mon ancien employeur, le chef Ghislain Picard de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, soit l'APNQL, et j'ai exprimé ces réserves au fil des ans à de nombreux autres chefs des Premières nations du Québec. Toutefois, parce que l'APNQL reconnaît et maintient la souveraineté et l'autonomie des Premières nations locales, il semblait que mes préoccupations, mes appels à la justice, à l'intégrité et à l'honnêteté de la part des leaders et des gouvernements des Premières nations n'étaient pas entendus.

Je suis l'un des membres fondateurs de la Coalition de citoyens abénaquis pour un gouvernement juste, transparent et responsable compte tenu de mon expérience décrite plus tôt et du fait que j'ai eu beaucoup de difficulté à obtenir des renseignements financiers complets au sujet de la Première nation d'Odanak, alors que j'aurais dû y avoir droit à titre de membre et de citoyen.

À l'été 2009, je suis retourné vivre dans ma collectivité d'Odanak après une absence d'environ 25 ans. À mon retour, compte tenu du fait que j'étais un ancien employé de l'Agence du revenu du Canada et du Secrétariat de l'APNQL, et du fait que je revendiquais une responsabilisation et une transparence financière, mon épouse et moi avons été harcelés, ma maison a été vandalisée et des membres de la coalition ont été victimes d'intimidation.

Lors de nombreuses assemblées générales publiques, je me suis insurgé contre ce type d'abus. J'ai fréquemment réclamé de nos leaders qu'ils incluent dans le processus décisionnel concernant notre collectivité des citoyens abénaquis d'Odanak, quel que soit l'endroit où ils résident. On s'est férocement opposé à mes efforts et à ceux déployés par les membres de la coalition.

Il est devenu apparent que les élus craignaient qu'une telle mesure n'incite les citoyens abénaquis à prendre position contre les abus de pouvoir, les détournements de fonds publics et la restriction d'accès aux renseignements pertinents en ce qui a trait aux activités quotidiennes de notre gouvernement local.

Selon moi, la mesure législative proposée, la Loi sur la transparence financière des Premières nations, ne va pas assez loin pour établir les conséquences et les pénalités en cas de non-conformité. De plus, il devrait y avoir un ou des articles exigeant que les gouvernements des Premières nations adoptent des politiques de dissuasion à l'égard des abus de pouvoir et de la corruption et qui, espéronsle, permettraient de prévenir ce type de malversations. En outre, comme il en va actuellement de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à la suite de l'abrogation de l'article 67, je suis d'avis que toutes les lois fédérales — par exemple, la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, les codes de déontologie et d'éthique des fonctionnaires, et cetera — devraient s'appliquer automatiquement aux citoyens et gouvernements des Premières nations si des lois ou politiques équivalentes ne s'appliquent pas déjà dans le régime local des Premières nations.

En l'absence de lois rédigées et adoptées par les Premières nations pour protéger les citoyens contre l'exploitation financière et la mauvaise gestion financière, la Loi sur la transparence financière des Premières nations constitue un pas dans la bonne direction. Par conséquent, la Coalition de citoyens abénaquis pour un gouvernement juste, transparent et responsable et moi-même appuyons le projet de loi C-27.

Le président : Merci, monsieur Benedict.

Beverly Brown, membre, Première nation Squamish, à titre personnel : Bonjour, je m'appelle Beverly Brown, et je précise que tous les droits sont réservés au nom de Bev de la famille Brown. Je me dois d'apporter un correctif : mon prénom s'écrit B-e-v-e-r-l-y, et mon nom de famille est Brown.

Je suis une descendante du peuple homulchesen et skoumish. Je viens de ce qui est connu comme étant la nation Squamish, qui est située au nord de Vancouver à cheval sur la frontière de Vancouver-Ouest. Aujourd'hui, je vais présenter un exposé, mais à une date ultérieure j'aimerais remettre un mémoire avec des détails sur la nation Squamish. À qui dois-je adresser ce mémoire?

Le président : À moi-même.

Mme Brown : Pourriez-vous me transmettre vos coordonnées après la séance?

Le président : Oui, je vous les transmettrai à la fin de la séance.

Mme Brown : Manifestement, je suis ici pour exprimer mon soutien au projet de loi C-27, étant donné qu'il y a un manque de transparence et d'obligation redditionnelle de la part du chef et du conseil de la Première nation Squamish.

D'abord, une petite mise en contexte : nous, le peuple squamish et toutes les autres nations ici-présentes, n'avons jamais signé de traité ni cédé notre territoire, nos ressources, nos actifs ou la souveraineté de notre peuple. Nous sommes les propriétaires de nos terres, et ces terres appartiendront à nos petits-enfants et aux générations à venir. Tout ce qui s'y rattache est de notre responsabilité et nous devons en prendre soin. On ne fait pas qu'en parler, nous protégeons ce territoire. Il s'agit d'une obligation et d'un devoir dont nous devons nous acquitter. Je suis ici aujourd'hui pour parler au nom de ceux qui nous ont précédés, de ceux qui sont là aujourd'hui et de ceux qui viendront à l'avenir.

Nous n'avons pas signé de traité comme les autres nations un peu partout au Canada certes, mais nous respectons un document intitulé convention de fusion. Cette convention a été rédigée par un fonctionnaire indien du ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, AADNC et anciennement le MAINC, et, soit dit en passant, il s'agissait d'un document signé et frauduleux auquel le peuple n'a pas souscrit et qu'il n'a pas approuvé. Nous en avons la preuve écrite, et nous la soumettrons à une date ultérieure.

Ce n'est pas la première fois que nous, le peuple de la nation Squamish, nous faisons entendre ici au Sénat pour exprimer notre mécontentement à l'égard de notre chef ou de notre conseil, car ils adoptent de façon régulière des lois sans notre consentement ou sans que nous ne leur en donnions le pouvoir. En 1999, deux de nos membres, Wendy Lockhart Lundberg et Velma Baker, voici Velma. Velma travaillait fort à défendre les intérêts de notre nation et a demandé à ce que je l'aide à s'acquitter de certaines tâches dans la collectivité, car il y avait des irrégularités. Ces deux membres étaient également venues exprimer leur opposition au projet de loi C-49 au Sénat. Je crois que c'était en 1999, car voici le compte rendu des délibérations du Parlement.

Elles ont fait signer une pétition révélant que le peuple de la nation Squamish ne savait pas ce que son leadership, son chef et son conseil faisaient et ont déposé ces renseignements au Sénat dans l'intention de partager ces faits.

Le chef et le conseil de la nation Squamish ont déclaré au Sénat que leurs citoyens étaient d'accord avec ce qu'ils faisaient. Aujourd'hui, je tiens à dire officiellement que le peuple de la nation Squamish n'est pas d'accord, et ne l'a jamais été, avec le projet de loi proposé ainsi que ceux qui ont suivi. Le chef et le conseil de la nation Squamish ont donné au Sénat des renseignements trompeurs et ont commis un outrage à la Chambre des communes. C'est un crime.

Le Sénat n'a pas obtenu le consentement adéquat du peuple de la nation Squamish non plus. Tout cela a été réalisé derrière des portes closes entre le gouvernement et le chef ainsi que le conseil, sans que le peuple ne soit représenté. Ce type de supercherie doit cesser. Il faut qu'il y ait une forme de réglementation et qu'on en arrive à véritablement obtenir le consentement du peuple, une délégation de pouvoir ainsi qu'une approbation. Ce devrait être la façon de faire dans chaque nation, et non pas seulement chez les Squamish.

Beaucoup de ces événements ont eu lieu avant ma naissance. C'est récemment que j'ai commencé à participer à la vie de ma collectivité. On m'a demandé de me joindre à un groupe qui travaille à lutter contre le code foncier. Ce code a été rejeté à la suite d'un vote où 808 citoyens de la nation Squamish ont dit non.

Nous avons essayé de régler des problèmes internes. J'ai demandé de façon directe et indirecte au leadership de s'y attaquer, mais sans réponse. Je pose les mêmes questions que mes concitoyens ont posées pendant plus de 30 ans. Nous, le peuple de la nation Squamish, méritons de recevoir des réponses à nos questions et de savoir à quelle fin les fonds sont dépensés.

Aux fins du compte rendu, je tiens à demander une divulgation complète, cette demande vous est adressée dans le cadre de vos fonctions officielles ou à titre personnel et de vos fonctions fiduciaires de gestionnaire des successions des fiducies des populations tribales. Je demande également une vérification complète par un tiers neutre qui serait choisi par les membres de la nation Squamish dans l'intérêt de son peuple. Cette vérification devrait être lancée immédiatement et les résultats devraient être mis en ligne de sorte que tous les membres de la nation puissent voir les résultats, qu'ils se trouvent ou non dans la réserve. Nous méritons de savoir quelles entreprises nous appartiennent, lesquelles sont exploitées par nous et le nom des propriétaires. Le peu de résultats que j'ai pu obtenir à la suite de mes recherches m'a permis de découvrir quelques noms individuels, ce qui confirme que ces personnes sont propriétaires d'entreprises alors qu'elles occupent une charge publique, et bien après que leur mandat public a pris fin. Cette pratique doit être réglementée par le gouvernement et la Couronne. Ces entreprises doivent être placées au nom de la nation Squamish et il doit y avoir des accords fiduciaires clairs pour que des dividendes annuels soient répartis également entre les membres de la nation.

Ces entreprises non réglementées créent des divisions claires au sein de nos collectivités et nous montent les uns contre les autres. On voit s'opposer les riches et les pauvres ainsi que les nantis et les démunis. Vous voyez ce que je veux dire. Nous méritons de savoir qui siège au conseil d'administration de chacune des entreprises appartenant à la bande et quel est le salaire des administrateurs. L'identité des administrateurs n'étant pas révélée, nous soupçonnons que bon nombre de chefs et de membres du conseil assument davantage de fonctions que ce que prévoit leur poste de représentant élu. Nous soupçonnons également qu'ils siègent au conseil d'administration des entreprises dont nous sommes propriétaires et exploitants, nous la nation Squamish, et qu'ils se versent des salaires pour assurer ces fonctions en plus de leur rémunération provenant du conseil. Nous estimons qu'ils doivent faire preuve de transparence et doivent rendre compte, en vertu de la loi, des décisions prises.

Nous méritons également de connaître le bilan financier de toutes les sociétés, c'est-à-dire les véritables chiffres et non pas des données grossièrement erronées sur les finances qui ne fournissent pas assez de détails pour être significatifs et qui sont si vagues qu'ils donnent l'impression d'une transparence tout en dissimulant bien mal les secrets.

Je tiens à déclarer officiellement que le peuple de la nation Squamish n'a jamais été invité à une réunion annuelle et n'a jamais obtenu le droit de voter aux assemblées administratives de la société, même si les règlements gouvernementaux le prévoient. Ces sociétés sont dirigées par des intérêts privés, soit le chef et le conseil, et ne sont pas réglementées par le gouvernement ni la Couronne. Cette pratique doit cesser.

En outre, j'ai fréquemment posé des questions au sujet des données sur les salaires, les frais de déplacement, les honoraires, et cetera, mes questions sont demeurées sans réponse. AADNC devrait s'attaquer à ce problème immédiatement. Nous méritons de savoir quels salaires notre chef et son conseil se versent, le montant des frais de déplacement, les honoraires payés, et cetera, car c'est nous qui défrayons ces coûts à même notre source de revenus. On ne nous a jamais dit directement à nous, le peuple de la nation Squamish, quels sont les véritables revenus. Les chiffres transmis au ministère, au chef, au conseil et aux membres sont tous différents. Le leadership de la nation Squamish, qu'il s'agisse du chef et du conseil ou de nos élus, se vante dans les médias d'avoir sa propre source de revenus et le grand public était au courant de nos propres recettes avant même que nous ne le soyons. Nous n'en savons pas plus que ce qu'ils divulguent publiquement.

S'il est vrai que nous amassons 60 millions de dollars bruts en revenu, comment se fait-il que la nation Squamish fasse des mises à pied, sabre dans les programmes et réduise les services à la population? Pourquoi blâme-t-elle le gouvernement pour des compressions alors que nos propres sources de revenus sont estimées à une soixantaine de millions de dollars? Comment se fait-il que les bénéfices et parts distribués soient si faibles?

En plus des sociétés appartenant à la nation Squamish, il y a aussi la question des initiatives de développement économique communautaire. Ces initiatives sont lancées avec la collaboration de toutes les Premières nations, en l'occurrence la Première nation Squamish, du gouvernement et de ces sociétés à l'échelle du Canada. Des ententes ont été signées en ce qui a trait aux terres, aux ressources, aux actifs et au peuple sans le consentement avisé de la population de la nation Squamish et de toutes les autres nations des quatre coins du Canada.

Le gouvernement et la Couronne utilisent manifestement le conseil fédéral connu sous le nom de chef et le conseil pour convertir nos terres, ressources, actifs et peuple, et c'est mal. Cela va contre le devoir de l'État relativement à notre relation. Nous sommes de facto dans une relation liée à des traités. Cela se situe dans un contexte international et non dans le cadre d'une politique de revendication territoriale. Dans ce contexte, il faut se comporter d'une certaine façon. Vous ne pouvez pas nous déposséder de nos terres directement ou indirectement. Vous aviez l'habitude de le faire directement grâce aux agents des Indiens, par exemple, avec la convention de fusion — qui est un document frauduleux — et dans le cadre d'autres traités qui sont également frauduleux.

Ce que nous constatons et ce que nous connaissons à l'heure actuelle par rapport à ce qui se passe, c'est que les choses se font indirectement par le biais d'entités légalement incorporées, y compris des traités de l'ère moderne, des codes fonciers, des désignations, des ententes sur les répercussions et les avantages, des ententes de protocole des protocoles d'entente, des accords, des accommodements et ainsi de suite, vous devez mettre un terme à tout cela. Il est de votre devoir de réglementer ces entreprises.

Si vous ne réussissez pas à y mettre un frein ou que vous n'écoutez pas ce que je dis aujourd'hui au gouvernement représentant la Couronne, cela signifie que vous contribuez à la conspiration visant à convertir nos terres, nos ressources, nos actifs et notre peuple. Vous travaillez à dépouiller complètement les Indiens des terres et des ressources de la nation Squamish, entre autres. Nos droits inhérents sont liés et intégrés à nos ressources et à nos terres. Vous essayez de nous les enlever en contrepartie de quoi, un droit de vote aux élections municipales? Non, vous ne le ferez pas sans notre consentement particulier. En demandant la permission aux conseils fédéraux — c'està-dire au conseil de chefs et autres conseils —, cela ne correspond pas à obtenir notre consentement.

Lorsque vous agissez ainsi et que vous mettez sur pied ces contrats complexes et que vous dites que vous vous moquez s'il y a eu tromperie, ou bien lorsque vous mettez en place des accords de traités progressifs, des accommodements et autres, nous savons ce que vous faites. Nous ne sommes pas stupides. C'est mal. Je suis ici pour vous aviser que cela ne va pas fonctionner. Vous n'atteindrez pas vos buts sans obtenir notre permission, et nous ne vous la donnerons pas. J'affirme pour le compte rendu que nous ne sommes pas d'accord et que nos générations futures ne sont pas non plus d'accord, parce que je sais que je parle pour elles. Mon devoir aujourd'hui consiste à parler pour ceux qui ne peuvent pas prendre la parole, c'està-dire pour les prochaines générations et celles qui suivront. Lorsque je fais cette déclaration, je ne le fais pas uniquement à titre personnel.

Je veux vous aider à comprendre les conséquences de ce que votre gouvernement et l'État sont en train de faire. Je veux vous aider à comprendre les conséquences que vous ne mesurez probablement pas. Elles seront très néfastes pour le Canada. Nous ne sommes pas les seuls à courir des risques. Les conséquences seront plus graves pour vous parce que si vous sapez notre relation, si vous procédez à la conversion de nos terres, ressources, actifs et peuple, eh bien le Canada en assumera les conséquences en tant que nation. Ces conséquences influeront sur la viabilité financière ainsi que sur la sécurité et la stabilité économique du Canada, et il ne s'agit pas d'une menace; c'est la réalité à laquelle le Canada devra faire face en tant que nation inconstitutionnelle et illégale. Des lois existent. Respectons-nous la primauté du droit ou non? Vous allez devoir examiner ce que je vous transmets dans mon mémoire écrit et songer sérieusement à ce que je dis aujourd'hui, parce que c'est la question à laquelle vous faites face maintenant et non pas une question pour les générations futures. Il s'agit de votre responsabilité.

Le Canada sera-t-il respectueux des lois ou pas? Vos relations vont-elles continuer de respecter les lois par rapport aux peuples autochtones? Ce choix n'en tient qu'à vous et c'est à vous de décider aujourd'hui de l'avenir de tous les Canadiens.

J'ai quelques recommandations relativement au projet de loi C-27 que j'aimerais vous présenter. Je vais vous transmettre les recommandations suivantes par écrit à une date ultérieure.

Un : Je propose que la Reine reconnaisse ses devoirs à l'égard des Indiens et le rôle qu'elle joue dans la rédaction et l'adoption de cette mesure législative. Elle joue un rôle de protection qui ne correspond nullement à l'arpentage et au recensement des terres autochtones, des ressources, des biens et de leurs peuples, et cetera, en aucune façon. Elle doit se rappeler que nous sommes ses alliés. Elle ne doit pas convertir nos terres, ressources, actifs et peuples, que ce soit de manière directe ou indirecte.

Deux : En outre, je somme également le Sénat et la Chambre des communes du Canada de remplir leur devoir. Puisje vous rappeler que vous devez toujours obtenir une approbation et un consentement valables de la part de tous les peuples; et non seulement de la part de quelques personnes. Lorsque je parle de peuple, je songe aux peuples autochtones en tant que tels, et non pas au conseil fédéral, au chef et aux autres types de conseils qui pourraient donner leur accord. Vous devez faire preuve de diligence raisonnable, je vous prie de vous y appliquer.

Trois : Je somme le Canada à suivre les lois. Pour que le Canada agisse dans le cadre de la loi, vous devez respecter notre relation et vous devez cesser de faciliter la conversion de nos terres, ressources, actifs et peuples par rapport à la Couronne, au gouvernement et à vos sociétés d'État, y compris les conseils nommés par le gouvernement fédéral connus sous le nom de chef et de conseiller.

Quatre : Je propose que la transparence et l'obligation redditionnelle s'appliquent également à la Reine, au gouvernement, aux sociétés d'État ainsi qu'aux conseils constitués de chefs et de conseillers.

Cinq : Je propose que cette mesure législative inclue également toutes les Premières nations, y compris celles visées par des traités modernes. Sans recours à cet outil, il n'y aura aucune obligation redditionnelle ni aucune transparence pour les véritables peuples autochtones, et cela constituerait une injustice flagrante.

Six : Je propose que les peuples qui demandent une divulgation financière n'aient pas à payer de frais. Comme vous le savez très bien, la plupart des membres des Premières nations n'occupent pas des emplois bien rémunérés de sorte qu'ils ne peuvent pas payer de frais pour obtenir de l'information sur leurs finances. Il s'agit de leurs statistiques financières, donnez-leur donc accès.

Sept : Il faut se pencher de nouveau sur les recours judiciaires. Encore une fois, étant donné que les membres des Premières nations n'ont pas de grands moyens financiers, faire de ces recours une stipulation lorsqu'ils veulent présenter leurs griefs à la Cour supérieure les mettrait en difficulté financière si le chef et les conseillers ne financent pas ces dépenses. C'est une injustice flagrante, veuillez supprimer ces frais. Ce recours devrait être gratuit pour tous les peuples de toutes les nations.

Huit : Les peuples de la base devraient pouvoir facilement demander de consulter leurs états financiers, cela devrait être facilement accessible et se faire de façon anonyme, et les états financiers devraient être présentés directement à la personne qui en fait la demande sans aucuns frais.

Voilà ce que j'ai à dire jusqu'à maintenant et je vous présenterai mon mémoire écrit ultérieurement.

La sénatrice Ataullahjan : J'allais justement vous poser une question sur la transparence et l'obligation redditionnelle relativement à vos collectivités, mais je pense que vous avez déjà répondu à cette question : il n'y a aucune transparence et aucune obligation redditionnelle. Vous dites que c'est également vrai chez d'autres Premières nations et collectivités d'un bout à l'autre du Canada, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune transparence ni obligation redditionnelle. Connaissez- vous des collectivités où il y a transparence et obligation redditionnelle, et quels en ont été les avantages pour ces collectivités?

M. Benedict : Cette question s'adresse-t-elle à l'un ou l'autre d'entre nous?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

M. Benedict : À titre de consultant en fiscalité du Secrétariat de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, j'ai visité presque la totalité des collectivités des Premières nations au Québec. J'ai visité bon nombre de collectivités de Premières nations d'un bout à l'autre du Canada et des États-Unis. Il n'y a, dans la plupart de ces collectivités, ni transparence ni obligation redditionnelle.

Il y a des exceptions positives où des entreprises appartenant à la bande sont gérées de manière communautaire, de sorte que les résidents eux-mêmes ont un certain pouvoir qui leur permet de contribuer et de collaborer au processus décisionnel qui oriente ces entreprises et le développement de ces collectivités.

Au Québec, l'une des collectivités que je pourrais probablement mentionner serait la collectivité innue ou la collectivité montagnaise d'Essipit, qui se situe à environ 45 kilomètres à l'est de Tadoussac, Québec. Depuis les alentours de 1999- 2000, Essipit a connu un important développement économique touristique. La collectivité a construit des immeubles en copropriété sur le front d'eau, a mis sur pied des visites guidées pour voir les baleines, a ouvert des restaurants et ainsi de suite. Ce sont des entreprises appartenant à la collectivité et tous les membres de la collectivité profitent de ce développement. C'est une petite collectivité constituée d'environ 400 membres en réserve.

Le président : Nous allons essayer de réduire la longueur des réponses. Quelques députés veulent poser des questions et j'aimerais qu'ils en aient tous la possibilité.

M. Benedict : Pour être bref et direct, il y a peu de collectivités que je pourrais citer comme exemples de transparence et d'obligation redditionnelle.

La sénatrice Dyck : D'abord, je veux vous remercier pour votre témoignage de ce soir. J'ai l'impression que vous êtes dans une situation très difficile et je reconnais qu'il faut beaucoup de courage pour venir nous présenter cette information.

Vous avez eu, dans les deux cas, des problèmes depuis longtemps. D'une part, si je peux citer ce que vous avez dit, monsieur Benedict, vous stipulez « qu'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada... a tendance à volontairement ignorer des cas manifestes d'abus financiers, électoraux et de mauvaise gestion environnementale chez les gouvernements de Premières nations. » Les chefs et les conseillers ainsi que le ministère ont un rôle à jouer pour ce qui est des problèmes de longue durée que vos deux Premières nations ont probablement dû affronter. Si je comprends bien, selon les règlements et les politiques en place actuellement au ministère, les bandes de Premières nations devraient fournir aux membres du conseil de bande les salaires du chef et des conseillers, ainsi que les états financiers consolidés et vérifiés. Il incombe au ministère de faire respecter ces règlements. Dans votre cas, vous dites que ce n'est pas ce qui se produit.

M. Benedict : Ce n'est pas qu'une question de salaires et d'honoraires. Comme cela se produit à l'heure actuelle au Sénat relativement aux comptes de dépenses — et je le cite tout simplement parce que c'est un fait avéré —, les comptes de dépenses constituent une partie importante des revenus des représentants élus. De ce point de vue, il n'y a aucune obligation redditionnelle qui me permettrait de savoir que mon chef gagne, disons, 60 000 $ par année ni de déterminer combien il obtient en fait lorsqu'il voyage à l'extérieur de la collectivité; comme je l'ai mentionné dans mon mémoire, nous ne disposons d'aucune description de poste, de sorte qu'il est impossible de déterminer le nombre de comités devant lesquels il doit nous représenter. Comment doit-il nous représenter? Où doit-il se rendre pour s'acquitter de cette tâche et quels sont les avantages que la population doit retirer de ses déplacements? Ce genre d'obligation redditionnelle en matière financière n'a pas grand-chose à voir avec sa rémunération.

Mme Brown : J'ai écrit et demandé directement à mon conseil de bande d'obtenir cette information. Je ne l'ai jamais reçue. J'ai également demandé de l'information du bureau de la Colombie-Britannique du ministère des Affaires autochtones et n'ai reçu aucune réponse. On a fait la source oreille et on m'a dit de chercher à obtenir cette information auprès du chef et des conseillers. J'ai par la suite parlé aux députés et aux députés provinciaux de Vancouver-Nord et de Vancouver-Ouest. En fait, je n'ai reçu aucune réponse des représentants de Vancouver-Ouest, que ce soit du député ou du député provincial. Toutefois, pour ce qui est de Vancouver-Nord, j'ai rencontré Naomi Yamamoto et Andrew Saxton. Je leur ai fait part de mes préoccupations et autant que je sache, ils ne les ont pas transférées ici à la Chambre, même si je leur ai écrit et que je suis allée les rencontrer. En dépit de tous ces efforts, je n'ai reçu aucune divulgation sur les finances. Ensuite, j'ai communiqué avec Colin Craig, de la Fédération canadienne des contribuables. Il a essayé de m'aider, mais nos questions demeurent toujours sans réponses.

Ce qui existe à l'heure actuelle ne fonctionne pas. Nous n'obtenons rien.

La sénatrice Dyck : Pour revenir à cette question, j'ai lu que le ministère a le contrôle final, car c'est lui qui contrôle le financement particulier d'un Autochtone d'une Première nation. Ainsi, si cette Première nation ne fournit pas des renseignements ou si, au bout de 30 ans, elle n'a pas fourni les renseignements adéquats au ministère, alors, de toute évidence, il y a quelque chose qui cloche.

Mme Brown : Je crois qu'il est important de faire la distinction entre le financement fédéral et les recettes autonomes. Ils peuvent le déclarer pour le financement fédéral, mais non pas pour les recettes autonomes. Pour plus de clarté, ce sont ces dernières recettes pour lesquelles nous n'obtenons pas de renseignements.

La sénatrice Dyck : Elles sont couvertes également pourvu que la bande en donne la permission. C'est ce que le règlement indique.

Mme Brown : Oui.

Le sénateur Meredith : Merci, monsieur Benedict, de votre courage. Vous avez décidé de venir nous parler de ce qui se passe dans votre bande et des problèmes de transparence et d'obligation redditionnelle des gens dans votre nation. Je vous félicite d'avoir pris la parole, car cela prend beaucoup de courage pour le faire.

Madame Brown, j'aimerais vous féliciter, car vous avez vu vos aînés livrer cette bataille et vous avez maintenant décidé d'en reprendre le flambeau.

En ce qui concerne les renseignements que vous avez demandés, pouvez-vous nous expliquer ce qu'il en est des renseignements qui portent sur les recettes autonomes et les renseignements qu'on ne vous a pas fournis lorsque vous en avez fait la demande?

Mme Brown : En ce qui concerne les recettes autonomes, pour ce qui est des entreprises, on les trouve souvent dans les états financiers sous la forme d'un chiffre. J'ai essayé d'obtenir des renseignements sur ces chiffres. Je suis allée à Service B.C. pour en faire la recherche et on m'a donné une feuille qui indiquait qui était propriétaire de l'entreprise. On n'y voyait pas le nom de l'entreprise, ni d'ailleurs la nature de l'entreprise, mais on pouvait retrouver deux noms. Rien n'indiquait sur ce document que cette entreprise était en fiducie pour la nation Squamish. En fait, l'adresse postale en était une au nom de deux personnes. Je ne voudrais pas nommer des noms. Je ne pense pas que cela soit opportun de le faire. Il faut souligner qu'il y avait deux noms sur l'adresse postale et on ne voyait rien au sujet des finances ou du conseil d'administration. Rien. Il n'y avait absolument rien et on ne pouvait même pas déterminer où se trouvait réellement l'entreprise. La seule information qu'on avait était une adresse postale.

En ce qui concerne les recettes autonomes, si l'on est propriétaire d'une entreprise alors il faudrait que l'on nous fournisse les renseignements. Il existe des législations qui régissent les entreprises. Le gouvernement a mis en œuvre des lois pour réglementer les sociétés. Elles ne sont pas réglementées pour ce qui est d'avoir des informations sur nos recettes autonomes ou sur les entreprises que nous possédons et gérons.

Je ne suis jamais allée à une réunion pour les entreprises que nous possédons. Je n'ai jamais voté. Je n'ai jamais reçu une part de ces entreprises. Nous ne sommes même pas au courant de cela. Nous devrions pouvoir voter régulièrement et avoir voix au chapitre au sujet de la gestion d'une entreprise que nous possédons et gérons. Ainsi, cela n'est pas réglementé par la nation ou par le gouvernement.

Le sénateur Meredith : Votre nation est composée de combien d'habitants?

Mme Brown : La nation Squamish a une population de l'ordre de 3 600 membres.

Le sénateur Meredith : Vous avez dit que vos ressources avaient été réduites. Vous avez indiqué que, en ce qui concerne le financement du gouvernement, les chefs de bande disent : « Nous ne pouvons plus nous permettre de financer ceci parce qu'il y a des compressions dans le financement du gouvernement. » En revanche, vous indiquez qu'ils font plus de 60 millions de dollars en recettes autonomes. En dépit de cela, des programmes pour aider les jeunes ou d'autres programmes qui visent à aider la collectivité font face à des compressions.

Mme Brown : Oui, ils le font. Ils éliminent des emplois, des programmes et des services et rejettent le blâme sur le gouvernement. Ils disent qu'ils doivent le faire en raison des compressions budgétaires gouvernementales. Par contre, s'il y a des compressions budgétaires gouvernementales, ils devraient utiliser nos propres sources de revenus et continuer à fournir un service aux gens, car les gens en ont encore besoin. Ils ont encore besoin de programmes et de services. Ils ont toujours besoin d'avoir des emplois.

Alors qu'ils sont en train d'éliminer toutes ces choses, nous recevons des fonds de la part des ententes de développement économique communautaire telles que, par exemple, l'entente sur les forêts et le territoire. Cela n'a jamais été déclaré dans nos états financiers. Nous venons de recevoir un accommodement qui se chiffre à plus de 130 millions de dollars et qui est censé être divisé entre les Premières nations de Tsleil-Waututh, Musqueam et Squamish. Encore une fois, cela n'a pas été déclaré dans nos états financiers. Pourquoi procèdent-ils à de telles compressions alors que l'on reçoit d'importantes sommes d'argent? Ça ne me semble tout simplement pas logique.

Le sénateur Meredith : Monsieur Benedict, j'aimerais savoir si les autorités ont enquêté au sujet du harcèlement auquel vous avez fait face? Qu'ont-ils conclu?

Je sais qu'il s'agit d'une situation particulièrement difficile pour votre famille. Votre fille y a notamment été impliquée ou l'est peut-être encore. Cela a dû être traumatisant de devoir composer avec cette situation tout en essayant de représenter votre nation.

M. Benedict : En 2010, le chef policier d'Odanak a utilisé de son autorité dans un incident impliquant la police et sa fille.

Personnellement, j'ai porté trois plaintes auprès de la police de ma collectivité. Ils ont enquêté. Ils ont trouvé les gens qui avaient vandalisé ma maison. En revanche, à cause de la façon dont le vandalisme a été fait et à cause de leur méthode de harcèlement, où ils avaient, notamment, recours à des téléphones cellulaires prépayés, la police m'a indiqué qu'ils n'avaient pas de preuves concrètes. Ils m'ont dit que le procureur ne poursuivrait pas ces personnes et que ce dossier n'irait pas plus loin. J'ai contacté le procureur moi-même; il n'avait jamais entendu parler de moi.

Le cas est resté à l'échelle locale et n'est jamais sorti de ma collectivité. Ils ont saisi toutes mes armes à feu lorsque j'ai retenu les services d'un avocat. Trois mois plus tard, ils m'ont appelé pour me dire : « M. Benedict, nous avons déchiré tous les documents. Venez prendre vos armes à feu. Il n'y a pas de problème. Nous pouvons résoudre tout cela à l'échelle locale. »

J'ai reçu deux lettres dans lesquelles on me demandait de rétracter mes propos. La première lettre venait du chef et l'autre du chef de police. J'ai refusé de me rétracter, mais il n'y a pas eu de procès; ils n'ont pas donné suite au dossier.

Il s'agit d'intimidation. Ils voulaient voir si j'allais me rétracter face à des avocats et des policiers. Jusqu'à présent, cela n'a pas fonctionné.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de vos exposés. À titre de membre d'une bande, vos propos m'interpellent. Vous êtes très courageux. Je vous félicite.

Vous aton consulté à propos de cette législation?

M. Benedict : Non, pas directement. En revanche, puisque, à titre de consultant en fiscalité, je m'occupe des relations fiscales, j'étais au courant de cette législation et intéressé depuis le tout début.

Mme Brown : On ne m'a pas consulté par l'entremise de la bande. Je commençais à travailler avec Colin Craig et j'avais vu le projet de loi C-27. Je voulais aller voir les députés provinciaux et fédéraux à ce sujet, car j'appuyais ce projet de loi puisqu'il voulait que les états financiers soient affichés en ligne et fournis aux membres. En revanche, le chef et le conseil ne m'ont jamais consultée à ce sujet.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Y a-t-il eu des consultations de la part du gouvernement?

Mme Brown : Non.

M. Benedict : Jamais.

Le sénateur Patterson : Madame Brown, j'aimerais vous poser une question au sujet de vos recommandations. Vous étiez préoccupée par les droits à verser pour obtenir ce qui me semble être une copie papier des états financiers. Le projet de loi prévoit la publication des états financiers consolidés, des déclarations de rémunération et de dépenses sur Internet ou sur un site web de la bande, lorsque la bande en a un. J'imagine que la nation Squamish, avec tout l'argent dont elle dispose, doit avoir un site Internet. Pour les Premières nations qui n'ont pas de site Internet, ni même de connexion Internet, on nous a dit que le ministère lui-même se chargerait de publier les renseignements sur son propre site web.

De nos jours, tout le monde est connecté à Internet. C'est gratuit. Cela vous réconforte-t-il au moins de savoir que vous pourriez vous les procurer sans devoir payer, même si ce n'est pas une copie papier? J'imagine que vous pouvez toujours imprimer votre copie papier en vous servant d'Internet. Cela vous est-il utile?

Mme Brown : J'ai accès à Internet, mais nous parlons là des gens ordinaires dans la réserve qui vivent avec 510 $ par mois. Ils n'y ont pas accès. Tout d'abord, ils ne peuvent pas avoir accès à un ordinateur et avoir Internet. Ils n'ont probablement pas d'ordinateur et ils ne peuvent pas payer ces frais. Même si vous leur faisiez payer uniquement le papier, ils ne pourraient pas se le permettre. Ce serait injuste, car bon nombre d'entre eux vivent de l'aide sociale.

Le sénateur Patterson : J'hésite à résumer votre déclaration éloquente, mais je crois que vous pensez que le projet de loi représente un pas en avant. Je crois que vous avez dit qu'il n'allait pas suffisamment loin, mais que vous étiez d'accord pour dire que c'était un pas dans la bonne direction, n'est-ce pas?

Mme Brown : Bien sûr que oui. Je crois que tout ce qui contribue à rendre cette information publique est un pas dans la bonne direction. Ce que nous faisons à l'heure actuelle correspond au statu quo. Vous présentez ce projet de loi, car vous y êtes forcés. Le ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada est probablement inondé de plaintes de la part d'un grand nombre de Premières nations. Nous ne sommes pas les seuls; il y en a beaucoup d'autres. Elles ne sont tout simplement pas nommées — elles ne sont pas représentées ici aujourd'hui.

Le sénateur Patterson : Monsieur Benedict, vous avez écrit au président du comité pour lui dire que, de votre point de vue — ce que je crois vous avoir entendu dire dans votre déclaration —, le projet de loi ne va pas assez loin en imposant des sanctions en cas de non-conformité. On nous a dit que dans certains cas, les sanctions sont déjà trop sévères. Pourriez-vous nous en dire davantage? Quelles sont ces sanctions supplémentaires que vous aimeriez voir appliquer?

M. Benedict : En cas de non-conformité, la principale sanction, à mon sens, relèverait du ministère et consisterait à retenir le financement. Cela pourrait aboutir aussi à une procédure judiciaire et ils peuvent poursuivre le gouvernement d'une Première nation qui ne se conformerait pas à la loi. Toutefois, on ne fait pas grand-chose pour répondre aux citoyens, aux gens ordinaires dans la communauté, qui cherchent à comprendre comment leurs finances sont gérées et comment leur argent est dépensé et qui veulent savoir comment ils sont représentés par le conseil de leur Première nation.

À mon avis, les sanctions, d'un côté, forceraient une Première nation qui ne serait pas conforme à immédiatement mettre en œuvre des mesures pour remédier à la situation. S'il s'agit d'un cas où elle ne rend pas l'information financière accessible sur Internet ou sous une autre forme, je suggère qu'on envoie automatiquement une lettre d'obligation légale pour pousser la bande à publier ces renseignements, surtout pour ceux qui ont déposé la plainte en premier lieu.

Deuxièmement, j'estime qu'il devrait y avoir des sanctions, et pas seulement pécuniaires, pour les administrations des Premières nations qui se démontraient incapables d'administrer les fonds publics conformément à la loi, cette loi qui est édictée au bénéfice de la citoyenneté. Il ne faut pas abolir un conseil de bande, car cela priverait les citoyens des services auxquels ils ont droit, mais il faudrait certainement mettre en question la capacité de leadership de bande de continuer à gérer les fonds.

J'ai parlé précédemment avec le directeur de la direction des élections au ministère d'AADNC pour lui demander s'il pouvait intervenir en cas d'activités frauduleuses au cours d'élections de Premières nations. Comme je l'ai dit dans mon mémoire, non pas celui que j'ai lu, mais celui que j'ai présenté au comité, le chef actuel de ma Première nation a été trouvé coupable, et a même plaidé coupable, de vendre des cigarettes de contrebande alors qu'il était chef. Comme il ne s'agit pas d'une infraction criminelle, il a tout simplement payé une amende sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en vertu de la Loi concernant l'impôt sur le tabac du Québec. AADNC n'est pas intervenu et n'a même pas pu lui demander de se démettre de ses fonctions. Ceci a été apporté pourtant à leur attention, c'est moi qui l'ai fait, tout comme les journalistes d'ailleurs, et ils n'ont rien pu faire.

Ce même chef, qui a été réélu à trois reprises, est propriétaire des trois quarts des entreprises présentes dans notre communauté. La grande partie de l'argent du conseil de bande est dépensé dans le développement de ces entreprises sous prétexte que cela crée des emplois pour les Abénaquis sur la réserve, ce qui est faux. Une fois de plus, lorsqu'on apporte cette information à l'attention des autorités, comme je l'ai dit dans mon mémoire, on nous renvoie au conseil de bande en nous disant qu'AADNC ne peut intervenir puisqu'il s'agit d'un problème local, et donc qu'il faut en parler au conseil de bande.

Or, le chef de bande et le conseil de bande sont l'ultime autorité sur réserve, ils détiennent les cordons de la bourse et peuvent utiliser les finances de la bande, comme nous l'avons vu dans mon cas, pour intimider les gens qui osent les critiquer et pour intenter des poursuites contre ceux qui essaient de les dénoncer.

Le président : Je vais vous demander de vous en tenir à la question. Vous êtes manifestement très passionné et nous apprécions cette information, mais nous n'aurons pas la réponse à la question.

Le sénateur Munson : Je crois comprendre que la loi est silencieuse sur le nombre de comités auxquels un chef de bande ou membre d'un conseil peut siéger ou la fréquence à laquelle ils peuvent voyager. La loi devrait-elle le préciser?

Mme Brown : Je pense qu'il vaudrait mieux que cela couvre les revenus de source propre, mais dans les limites du raisonnable. Je ne pense pas qu'ils veulent que le gouvernement réglemente absolument tout. Je pense qu'ils veulent en garder pour eux-mêmes.

S'il y avait des politiques en place, des contrôles internes ou externes pour veiller à ce qu'il n'y ait pas de malversation, en tant que membre de la Première nation Squamish, mais je suis sûre que d'autres seraient d'accord, il me semble qu'il faudrait qu'il y ait des freins et contrepoids. Actuellement, il n'y a rien, et tout le monde fait ce qu'il veut.

Le sénateur Munson : Hier, le chef Twinn de la Première nation Sawridge semblait dire que ce projet de loi va trop loin. De son point de vue, d'après ce qu'il avait à dire au sujet de son salaire annuel de 80 000 $, qui est public, il lui semble que les Premières nations sont déjà tout à fait transparentes et comptables. En ce qui concerne l'obligation redditionnelle, il est comptable envers sa nation et est préparé à se rendre n'importe où, même jusqu'à votre Première nation, pour expliquer comment ça fonctionne en Alberta. Pourquoi avons-nous cette culture — je ne me souviens plus comment il l'appelait exactement — de grand frère, grande sœur, grand frère blanc, père blanc, père a toujours raison, qui semble s'incruster?

Je ne sais pas comment on en est arrivé là dans votre Première nation, mais d'après lui, il vaudrait mieux que lui et d'autres qu'il estime très responsables puissent intégrer ces pratiques exemplaires dans le fonctionnement de votre Première nation et que ça en finisse là, sans que le paternaliste des Blancs puissent faire ingérence dans vos modes de subsistance et vos vies.

Est-ce que ce serait une possibilité, que vous vous gouvernez vous-mêmes, que vous soyez transparents entre vous et que vous soyez ouverts aux pratiques exemplaires et aux idées d'autres Premières nations plutôt que de vous faire dicter par le ministère des Affaires autochtones ce que vous devez faire et comment le faire?

Mme Brown : Maintenant, la Première nation Squamish vit selon ses propres coutumes en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous n'avons pas de constitution, donc aucune politique qui soit en vigueur. En gros, ils improvisent au fur et à mesure et ça leur est favorable tant qu'ils veulent que ça leur soit favorable.

C'est comme quand je demande de connaître les salaires. Est-ce que je peux savoir les montants des salaires et des frais de déplacement? Ils disent non, ça ne vous regarde pas. Il s'agit de nos recettes autonomes et nous ne vous en donnons rien. Alors ils disent d'aller voir le ministère des Affaires autochtones, lequel nous renvoie vers eux. C'est un jeu de va-et-vient.

Pour nos peuples, j'aimerais qu'il y ait des mécanismes de contrôle et d'équilibre, que ce soit réglementé comme toute autre chose. Il n'y a pas au Canada de municipalité ou de district qui ne soit pas réglementé. Si on veut voir les états financiers du district de Vancouver-Nord, on le peut. Tout est ouvert. Ce n'est pas le cas chez nous. Je pense que le temps est venu de voir des mécanismes de contrôle et d'équilibre. Je ne sais pas si c'est souhaitable à long terme, et peut-être y a-t-il une autre façon de voir les choses, mais pour moi, le projet de loi C-27 est un pas dans la bonne direction.

Par contre, ce qui pose problème, c'est l'élément qui concerne les revenus autonomes et les entreprises, parce qu'il n'y pas d'obligation redditionnelle envers la population. Nous ne connaissons pas nos entreprises, ou encore leurs activités.

Une autre question qui se pose au sujet des entreprises, c'est pourquoi est-ce qu'elles n'assurent pas de formation, pourquoi est-ce qu'elles n'emploient pas de gens? Nous avons 3 600 membres. Il est possible d'employer nos gens, et de faire en sorte que les collectivités soient autonomes, au lieu de thésauriser.

En ce moment, dans mes collectivités, ils détournent la clientèle de nos gens. Ils ont pris deux des parcs pour véhicules récréatifs, qui représentent une partie du développement économique, en prétendant que c'est dans l'intérêt de la nation. Un est destiné à un projet d'aménagement, au parc Royal, et avec l'autre, ils peuvent faire ce qu'ils veulent ou qui, selon eux, est dans l'intérêt de la population.

Il n'existe aucun mécanisme de contrôle et d'équilibre, et je pense qu'il en faudrait, maintenant. Peut-être plus tard, avec une réglementation appropriée, peuvent-ils s'efforcer d'améliorer leurs relations pour les activités commerciales, au besoin.

La sénatrice Raine : Madame Brown, vous avez dit que vous ne pouvez pas obtenir de rapports financiers, actuellement, et pourtant, vous avez fait à plusieurs reprises allusion aux finances. Est-ce que vous avez pu recevoir de quelconques données financières de votre Première nation, même si ça a été difficile?

Mme Brown : Oui. J'ai extrait les données financières du site web de AADNC, pour les fonds fédéraux. En ce qui concerne les recettes autonomes, nous recevons des données, mais ce ne sont pas les chiffres réels.

Ceux que nous avons reçus sont différents de ceux que fournit AADNC, et aussi de ceux que possèdent le chef et le conseil. Moi je les ai reçus d'une source anonyme de la collectivité. Tout est différent. Rien ne correspond, rien n'est pareil. Quand on regarde le service fourni à la collectivité, y compris ceux que fournissent les districts de Vancouver-Ouest et de Vancouver-Nord, comme les services de traitement des eaux usées et de collecte des ordures, même les services policiers, nous payons ces districts pour qu'ils fournissent les services, et pourtant, ça n'apparaît nulle part dans nos données financières. Pourtant, ces chiffres figurent dans les états financiers des districts de Vancouver-Nord et de Vancouver-Ouest.

Il y a des malversations et rien ne concorde. Je ne pense pas que ce soit suffisant. Ils nous fournissent le strict minimum, et ça ne nous apprend rien.

La sénatrice Raine : Monsieur Benedict, si ce projet de loi est adopté et que vous commencez à avoir une idée claire des finances de votre Première nation, pensez-vous que cela va inciter vos membres à élire des dirigeants différents? Vous avez dit que vos chefs et votre conseil ont été élus trois fois malgré ce que vous considérez être des malversations.

M. Benedict : Cela va influencer les gens. Ce qu'il faudra faire, une fois que le projet de loi sera adopté, c'est informer la population sur l'objectif de la loi, sur son application et qu'elle s'en serve. Je pense que nous avons déjà mentionné que la population tend à ne pas se mêler de ces questions, elle ne pose pas de questions et ne participe pas de crainte de subir des représailles ou de perdre des services. Cela doit changer. Elle doit utiliser les outils qui existent. Je considère que c'est un pas dans la bonne direction et que cela aura une influence une fois que la population saura comment s'en servir.

Mme Brown : Je suis d'accord avec M. Benedict : si vous pouvez me fournir l'information financière, cela assurera une certaine transparence et les responsables devront rendre des comptes. Lorsqu'une personne est élue, elle doit se comporter comme tel et nous fournir cette information. Les districts et les municipalités le font tout le temps, tout comme les gouvernements provinciaux et fédéral.

La sénatrice Dyck : Je sais que certaines bandes des Premières nations ont des dirigeants que l'on pourrait peut-être qualifier de corrompus ou qui abusent de leur pouvoir. Ma principale réserve à l'égard du projet de loi c'est que je ne vois pas de quelle manière il forcera ce genre de dirigeants à s'y conformer. Je pense qu'ils vont continuer à agir de la même façon. Ils vont recevoir une lettre leur disant qu'ils doivent respecter la loi et ils diront : « Tant pis. Ce projet de loi ne prévoit aucun nouvel outil et si les outils actuels sont insuffisants pour obliger ma conformité, le fait de recevoir une lettre n'y changera rien. » Comment pouvez-vous me convaincre qu'ils se sentiront forcés de s'y conformer?

M. Benedict : Je pense que la réponse c'est qu'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada devra intervenir lorsqu'il recevra des plaintes en vertu de la nouvelle loi. Lorsque la loi entrera en vigueur, il faudra qu'elle soit appliquée de manière musclée. D'après ce que je sais, il s'agira d'une loi fédérale, ce qui veut dire que c'est Affaires autochtones et Développement du Nord Canada qui devra veiller à son application. J'ai déjà déposé des plaintes et je n'ai reçu aucun soutien, il n'y a eu ni action ni intervention. On me renvoyait à ma bande. Cela ouvre un peu la porte. Je ne crois pas non plus que le projet de loi aura beaucoup d'effet, tout dépendra de la manière qu'il sera utilisé et de quelle manière l'autre côté réagira.

La sénatrice Dyck : Qu'est-ce que vous voulez dire par l'autre côté?

M. Benedict : Je veux parler de la réponse du gouvernement fédéral à nos plaintes.

Mme Brown : Je suis d'accord avec M. Benedict. Je pense que le projet de loi aura un effet. Je suis également d'accord avec vous pour dire que ce ne sont pas tous ceux qui commettent des malversations qui vont le respecter. Je ne pense pas que cela va tout changer. Cependant, malgré cela, ils vont recevoir une lettre demandant de l'information et s'ils n'obtempèrent pas, on leur coupera ceci ou cela. Le recours aux tribunaux est un peu excessif. Il faut que ce soit juste assez pour forcer le respect de la loi et en cas de non-conformité, il faut qu'il y ait une conséquence quelconque.

Par rapport aux conséquences découlant du non-respect, le projet de loi ne va pas assez loin dans le cas de malversations au sein de la nation. Si on commet un acte criminel, on purge une peine. C'est ce qu'on m'a enseigné et c'est mon credo. Je respecte cette loi. Pourquoi est-ce qu'un élu auraitil un traitement différent ou serait au-dessus de la loi? Si vous commettez un crime, même des crimes économiques, vous devriez rendre des comptes.

Le sénateur Patterson : Vous le savez sans doute, comme Mme Brown a indiqué, qu'il y a une disposition dans le projet de loi prévoyant que tout membre peut demander à une cour supérieure de rendre une ordonnance enjoignant au conseil de s'en acquitter dans le délai qu'elle fixe, il y a des conséquences si on n'obéit pas à l'ordonnance d'un tribunal. À votre avis serait-elle utile afin d'obliger les gens à respecter les obligations en vertu de la loi?

Mme Brown : Je l'espère. Par contre, je ne sais pas si ce sera suffisant.

M. Benedict : Mme Brown a fait référence à l'accès aux finances afin de faire comparaître devant le tribunal ces personnes. Bien des gens n'ont pas les moyens d'engager des poursuites devant le tribunal. Je crois que, en vertu de cette loi, ce serait la responsabilité d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada de se servir de ces dispositions juridiques au nom des gens de la collectivité.

Avec votre permission, j'aimerais faire référence au commentaire du sénateur Munson par rapport aux Premières nations qui se disent transparentes et redevables. Elles demandent pourquoi on devrait adopter le projet de loi et pourquoi avoir des lois additionnelles. La question est : la loi fera-t-elle quoi que ce soit pour ces citoyens et ces collectivités? Dans mon document, j'ai dit que des Premières nations ont adopté des constitutions et des lois, y compris des lois sur la divulgation des informations financières. Pourquoi la plupart des Premières nations ne l'ont pas fait.

Quand nous le mentionnons, même au sein de ma Première nation, j'ai à maintes reprises encouragé notre conseil à créer des comités qui seraient chargés d'élaborer notre Constitution, nos lois et règlements financiers; mais il ne l'a pas fait. Récemment, il y a eu la modification à la Loi sur les Indiens dans la forme du projet de loi C-3 qui a permis d'élargir l'appartenance à une Première nation. Dans ma collectivité, cela s'est soldé par 313 nouveaux membres durant les 36 derniers mois depuis l'entrée en vigueur de la loi. Il y a un total d'environ 2 400 membres de la bande chez moi, et seulement 375 à 400 vivent dans la réserve. Plus de 2 000 membres vivent hors réserve, notamment aux États-Unis, en Ontario et partout au Québec. Il est très difficile de faire participer ces individus, notamment au dossier financier. Ce serait à la bande de dire publiquement que ces gens sont membres de la bande et en tant que citoyens ont le droit de savoir comment nous administrons leur argent. Les bandes agissent plutôt en vase clos. Elles ne veulent pas partager cette information. Nous avons un site web public. J'ai demandé que le site web soit ouvert à nos membres hors réserve afin qu'ils puissent avoir accès à l'information sur la bande. On me l'a refusé de nombreuses fois.

La Première nation Sawridge est une exception notable et un bon exemple. Je voudrais que les autres Premières nations le fassent de leur propre gré. Si la loi est sur la table, c'est parce qu'elles ne le font pas de leur propre gré et il y a trop de cas d'abus.

Le sénateur Meredith : Ce que je vous entends tous les deux dire est que vous appuyez le projet de loi mais qu'il ne va pas assez loin. Le paragraphe 8(1) stipule :

La première nation publie les documents visés aux alinéas 7(1)a) à d) dans son site Internet — ou les fait publier dans un autre site Internet —, dans les cent vingt jours suivant la fin de chaque exercice.

Le paragraphe 8(3) indique ce qui suit :

La seule publication d'un document dans un site Internet ne relève pas la première nation de son obligation d'en fournir copie au membre qui le demande.

Vous nous dites que, même si ces articles font partie du projet de loi, il est très probable que les dirigeants vont simplement dire qu'ils ne se soucient pas de la loi et qu'ils ne vont pas la respecter. Cela forcerait les membres à dépenser leur propre argent pour traîner cela devant les tribunaux.

Mme Brown : Nous sommes déjà forcés à rechercher de l'aide de l'extérieur des réserves, de la part du ministère et de nos députés fédéraux et provinciaux, entre autres. Nous ne devrions pas avoir à faire cela.

Le sénateur Meredith : Quelles recommandations faudrait-il inclure en matière d'application de la loi? Voilà la question essentielle. Si nous étudions le projet de loi et qu'il est adopté, mais qu'il ne contient pas les mesures correctives pour venir en aide aux membres, tout cela est inutile.

M. Benedict : Il doit y avoir un équilibre entre le droit des Premières nations à la souveraineté et à l'autonomie et le droit de leur population aux droits civils et aux droits de la personne. Il faut s'assurer que ces dernières ne sont pas maltraitées ou leurrées, et qu'on ne leur ment pas. Cet équilibre nécessite encore une fois l'intervention du gouvernement fédéral, qui joue le rôle d'un père, car la bande ne fait pas son travail.

Au Moyen-Orient, certains pays ont décidé d'effectuer une intervention parce que d'autres pays plus fragiles et des pays en voie de développement avaient besoin d'aide. Durant les interventions, on leur donne les outils dont ils ont besoin, un soutien militaire, et ils sont en mesure de se défendre.

La sénatrice Raine : Vous nous avez donné de bons exemples des défis auxquels font face certaines Premières nations au Canada. Bien sûr, il y a aussi de nombreuses Premières nations partout au pays qui s'occupent de leurs affaires de manière claire, transparente et responsable, ce qui fait en sorte qu'elles peuvent attirer des investissements et aller de l'avant. Croyez-vous que l'adoption de ce projet de loi aiderait les Premières nations qui éprouvent des difficultés?

M. Benedict : Oui.

Mme Brown : Je l'espère bien.

La sénatrice Ataullahjan : Un témoin précédent nous a indiqué que les états financiers devraient être divulgués aux membres des Premières nations seulement. Êtes-vous d'accord ou croyez-vous que les états financiers devraient être rendus publics?

M. Benedict : J'ai indiqué dans mon document qu'il faut lever le voile du secret. Pourquoi ces informations devraient-elles rester secrètes? Je crois qu'il n'y aura rien à cacher si les choses sont bien gérées. Non.

Le président : Je tiens à vous remercier tous les deux d'être ici avec nous ce soir. Merci pour vos exposés. Je sais qu'il se fait tard. J'apprécie votre franchise.

Merci aux membres du comité également.

(La séance est levée.)


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