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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 32 - Témoignages du 26 février 2013


OTTAWA, le mardi 26 février 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière, se réunit aujourd'hui, à 9 h 45, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Lillian Dyck (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet. Je m'appelle Lillian Dyck. Je suis la vice-présidente du comité et je présiderai la séance de ce matin.

Notre comité a pour mandat d'étudier la législation et les affaires concernant les peuples autochtones du Canada. Aujourd'hui, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière.

Ce matin, nous entendrons trois organisations : la Confédération des Premières nations signataires du Traité no 6, l'Association du Barreau canadien et l'Association des agents financiers autochtones du Canada.

Avant d'entendre nos témoins, je demanderais aux membres du comité présents aujourd'hui de se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Watt : Charlie Watt.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Demers : Jacques Demers, du Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de l'Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto, en Ontario.

La vice-présidente : Ce matin, nous entendrons deux groupes de témoins. Dans le premier groupe, nous recevons le chef Craig Makinaw, chef de la Première nation d'Ermineskin et grand chef de la Confédération des Premières nations signataires du Traité no 6. Nous avons aussi avec nous, de l'Association du Barreau canadien, M. Bradley Regehr, membre de l'exécutif, Section nationale du droit des Autochtones, et Mme Marilou Reeve, membre.

Nous commencerons ce matin par entendre le chef Makinaw. Je demanderais aux témoins de tenter de s'en tenir à des exposés de cinq minutes pour laisser suffisamment de temps aux sénateurs qui souhaitent leur poser des questions.

Mme Sharon Venne accompagne Craig Makinaw à titre de conseillère.

Chef Makinaw, vous avez la parole.

Craig Makinaw, grand chef, Confédération des Premières nations signataires du Traité no 6 : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, et bonjour à tous ceux qui sont ici présents ce matin. C'est un honneur de pouvoir venir vous parler ce matin du projet de loi C-27. J'ai avec moi deux rapports. L'un est une déclaration et l'autre, un exposé de principe de la Confédération du Traité no 6 sur le projet de loi C-27 que vous pourrez examiner. L'exposé de principe nous provient de l'organisation du Traité no 6 en Alberta, soit des 18 bandes que je représente. J'ai ce rapport avec moi ainsi que tous les renseignements sur le projet de loi C-27 — nos exposés de principe et les rapports de diverses réunions que nous avons eues à ce sujet au cours des quelques dernières années.

Honorables sénateurs, j'ai la responsabilité d'être le grand chef du Traité no 6. Je suis aussi le chef des Cris d'Ermineskin, qui ont conclu un traité avec la Couronne du chef de la Grande-Bretagne et de l'Irlande en adhérant au Traité no 6 en 1877. À titre de chef désigné en vertu de notre droit traditionnel et dans le respect de nos droits inhérents établis dans nos lois, nous considérons les efforts destinés à adopter le projet de loi sur la transparence en matière financière des Premières nations comme étant une violation de nos droits inhérents reconnus par notre traité. Notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale a été reconnu lorsque la Couronne a signé le traité. Si nous ne jouissions pas du droit à l'autonomie gouvernementale au moment de la signature, le traité ne serait pas valide. Nulle part dans le traité même, ni à aucun moment dans les discussions que nous avons eues, nous n'avons renoncé à notre droit à l'autonomie gouvernementale. C'est quelque chose qu'il serait ridicule d'envisager. Notre droit à l'autonomie gouvernementale est reconnu et affirmé à l'article 35 de votre Constitution. En adoptant cette Constitution, le Canada et le Parlement ont reconnu qu'ils n'avaient pas le pouvoir d'entraver nos droits. Par l'entremise de l'article 52 de la Constitution, le Parlement a reconnu que toute loi qui enfreindrait nos droits ne serait pas valide. Je vous demande de m'expliquer de quel droit le Parlement se permet d'enfreindre nos droits.

D'un certain côté, nous reconnaissons que le Parlement a le droit de rendre compte des fonds qu'il nous affecte. D'un autre côté, pourquoi le Parlement ou le gouvernement ne nous ont-ils pas fourni de documents qui rendent compte de toutes les terres, les ressources et les richesses qu'ils se sont appropriées sans nous payer un sou en retour?

Je pense que vous pouvez comprendre pourquoi nous faisons preuve d'impatience lorsqu'il est question de reddition de comptes et de transparence, ce dont nous n'avons jamais pu bénéficier. Essentiellement, le gouvernement fédéral s'approprie et utilise nos ressources pour enrichir l'État tout en privant nos nations des fonds suffisants pour répondre ne serait-ce qu'à nos besoins de base.

Lorsque le projet de loi a été déposé, il a soulevé un tollé. Selon la Cour suprême du Canada, lorsque des droits sont susceptibles d'être touchés, il faut tenir des consultations pour s'assurer que ces droits seront reconnus. Avant de proposer ce projet de loi ou n'importe quelle autre mesure législative pouvant porter atteinte à nos droits, le Parlement doit s'assurer que cette consultation et cette reconnaissance ont eu lieu, surtout lorsque l'on affirme que cela n'a pas été le cas. Il ne suffit pas au Parlement de se fier à la parole d'une seule personne, qui affirme que l'on s'est entièrement acquitté du devoir de consulter.

Dans le cas de ce projet de loi, le gouvernement a plutôt imposé la clôture, malgré la nécessité évidente d'y apporter des amendements. Lorsque le gouvernement fédéral et le Parlement, qui ont tous deux le devoir de défendre l'honneur de la Couronne, se comportent de façon si arbitraire et sommaire, cela nuit à l'état de nos relations scellées par des traités.

Le projet de loi a été déposé en se fondant sur un mythe, selon lequel les Premières nations sont corrompues et incapables de gérer leurs propres affaires. Dans le cadre de débats au Sénat, on a insinué que tous les gouvernements des Premières nations ont recours à des tactiques corrompues et que tous les dirigeants des Premières nations devraient être tenus, de par la loi, de rendre des comptes à leurs membres.

De telles déclarations perpétuent la croyance qui remonte à l'époque coloniale selon laquelle nous ne sommes pas dignes de confiance pour nous gouverner. Pourtant, dans ma nation, au cours de l'année qui précède nos budgets, notre personnel et nos directeurs de programme discutent des besoins et préparent un budget, de même qu'une explication des besoins.

Tous ces renseignements sont remis à l'occasion d'une réunion des membres. Ce sont les membres qui prennent les décisions finales concernant les dépenses. Pendant l'année, nos membres peuvent venir au bureau d'administration pour y consulter les dossiers. Nous n'avons rien à cacher.

De nombreuses Premières nations fonctionnent comme nous. Nous rendons compte de façon détaillée de l'utilisation de tous les fonds provenant du fédéral; cela dit, avec tout le respect que je vous dois, je vous invite à lire la Constitution. Le Parlement n'a pas le droit de s'ingérer dans notre pratique de l'autonomie gouvernementale.

Nous revenons tout juste de Genève, où nous avons lancé deux appels d'action urgente devant le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale. L'un de ces appels visait à déposer une plainte concernant le tsunami de lois qui ont été adoptées et qui vont non seulement à l'encontre de nos relations fondées sur des traités, mais qui nuisent aussi énormément à ces relations. En tant que signataires de traités, nous avons le droit de participer à la prise de décisions ayant trait à nos droits, surtout lorsqu'il s'agit de décisions concernant nos terres et nos ressources.

Le second appel avait trait à l'incapacité du gouvernement fédéral de remplir ses responsabilités établies en vertu de traités internationaux que le Canada a conclus. Plus précisément, le gouvernement fédéral a la responsabilité de prendre les devants pour s'occuper de la campagne de diabolisation dont nous sommes victimes, dans laquelle se sont lancés certains médias.

Nous avons dû aller à Genève, car nous n'avons trouvé personne à Ottawa qui souhaitait nous entendre pour discuter de ces questions. Personne n'est disposé à discuter des questions fondamentales que l'on soulève depuis des années et que je soulève aujourd'hui.

Nous pensons que votre comité devrait obtenir l'opinion des conseillers juridiques du Parlement afin de déterminer si le Parlement a satisfait ses propres obligations de s'assurer que le projet de loi C-27, s'il est adopté, ne portera pas atteinte au droit inhérent et garanti par traité à l'autonomie gouvernementale des Premières nations. Il ne peut pas se fier aux juristes du gouvernement à ce sujet.

Cette question est soulevée depuis des années par des membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, mais aucune mesure n'a été prise. Le Parlement continue de faire comme si la Constitution de 1982 n'avait jamais existé. Votre comité, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, a la responsabilité et l'occasion de s'occuper de cette incohérence.

Merci de m'avoir écouté.

La vice-présidente : Merci, chef Makinaw. Nous allons maintenant passer à l'Association du Barreau canadien.

Marilou Reeve, avocate-conseil à l'interne, Association du Barreau canadien : Madame la présidente et honorables sénateurs, bonjour. Je m'appelle Marilou Reeve. Je suis avocate en matière de réforme législative au bureau national de l'Association du Barreau canadien. Au nom de l'Association du Barreau canadien, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui pour parler de notre mémoire.

L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui représente 37 000 juristes partout au Canada. L'un de ses principaux objectifs est d'améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est en gardant ces objectifs à l'esprit que je m'adresse à vous aujourd'hui.

Le mémoire de l'ABC, que vous avez reçu, a été préparé par des membres de notre Section nationale du droit des Autochtones. Cette section comprend des juristes spécialisés en droit autochtone et dans les questions connexes de partout au Canada.

Je vous présente notre porte-parole, Bradley Regehr. M. Regehr est membre de la nation crie de Peter Ballantyne, en Saskatchewan. Il a été appelé au Barreau du Manitoba en 1997 et pratique au sein du cabinet d'Arcy & Deacon de Winnipeg depuis 2001. Il se spécialise dans les domaines du droit commercial des entreprises, du droit immobilier et du droit autochtone. Il agit à titre d'avocat et de conseiller juridique auprès d'un grand nombre de particuliers, d'entreprises, de Premières nations et d'organisations des Premières nations, à l'échelon provincial et au fédéral.

M. Regher a touché à une grande diversité de dossiers, comme les ressources naturelles et les ententes sur les répercussions et les avantages des consultations législatives, tous les aspects du droit commercial d'entreprise, des revendications territoriales, des négociations avec tous les ordres de gouvernement, des questions de gouvernance et de mise en valeur du territoire.

En outre, M. Regehr a souvent agi à titre de bénévole auprès de la Direction du Manitoba de l'ABC, de même qu'à l'échelon national. Il est le président sortant de la Section nationale du droit des Autochtones de l'ABC et est actuellement membre de l'exécutif du Conseil des sections nationales.

Je cède maintenant la parole à M. Regehr. Merci beaucoup de votre attention.

Bradley D. Regehr, membre exécutif, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien : Merci, madame la présidente. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de me donner la possibilité de comparaître devant vous ce matin. J'aimerais vous parler au nom de la Section nationale du droit autochtone de l'Association du Barreau canadien concernant le projet de loi C-27, sur la transparence financière des Premières nations.

Comme vous avez pu le voir dans mon mémoire du 13 février 2013, l'ABC appuie la reddition de comptes et la transparence des gouvernements des Premières nations. Cependant, nous ne sommes pas en faveur du projet de loi C- 27. Ce projet de loi n'améliorera pas la capacité des Premières nations de contrôler leurs propres affaires, et ne sera d'aucune aide pour résoudre les problèmes systémiques plus larges liés au financement et à la responsabilité sur ces questions.

Les exigences établies dans le projet de loi dépassent de loin les exigences imposées à d'autres paliers de gouvernement. Dans la plupart des provinces et des territoires, les renseignements disponibles sont beaucoup moins complets que ce que propose le projet de loi C-27. Par exemple, les Premières nations seront obligées de divulguer des renseignements financiers délicats liés à leurs affaires et à leurs activités économiques.

Un grand nombre de Premières nations participent à des projets de mise en valeur des ressources et à d'autres initiatives de développement économique. Le projet de loi C-27 exigera qu'elles rendent publics les renseignements financiers privés de leurs entreprises, ce qui comprend leurs concurrents qui, pour leur part, n'ont pas à satisfaire cette exigence. Cela pourrait aussi poser problème aux parties à la coentreprise et à d'autres intervenants qui travaillent en partenariat avec les Premières nations. Ils pourraient ne pas vouloir divulguer au grand public des renseignements financiers privés, ce qui serait susceptible de nuire au développement économique des Premières nations.

En outre, les Premières nations pourraient faire l'objet de poursuites lorsque l'accès à des renseignements financiers privés peut porter atteinte à une partie des Premières nations. Le fait de divulguer ces renseignements aux membres de la Première nation ne revient pas au même que de divulguer ces renseignements au grand public. Cependant, le projet de loi C-27 fait bien plus qu'exiger que ces renseignements soient divulgués aux membres seulement.

Pour ce qui est de s'occuper des collectivités des Premières nations qui sont confrontées à des difficultés financières, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a déjà à sa disposition un grand nombre de recours. Affaires autochtones peut récupérer des fonds, imposer des conditions et désigner des séquestres-administrateurs pour gérer les finances d'une Première nation. Tout cela est fait actuellement en vertu des accords de contribution que les Premières nations ont conclus avec Affaires autochtones et d'autres ministères fédéraux. En outre, les Premières nations doivent déjà fournir une vérification annuelle au ministère et à leurs membres; cette vérification doit être faite par un vérificateur indépendant titulaire d'un permis émis par la province ou le territoire. À défaut de quoi, le gouvernement fédéral peut appliquer ses recours en vertu des accords.

Les exigences pratiques peuvent aussi poser problème. Ce ne sont pas toutes les Premières nations qui disposent d'un site web, qui ont l'expertise technologique nécessaire ou qui jouissent d'un accès à Internet fiable. De plus, les Premières nations se voient déjà imposer un lourd fardeau en matière de reddition de comptes. En 2002, le vérificateur général a indiqué qu'en moyenne, chaque Première nation devait soumettre au moins 168 rapports par an. Ces exigences ne se sont pas améliorées, comme le vérificateur général l'a indiqué en 2006 et en 2011. On a tort de croire que légiférer la reddition de comptes réglera les problèmes. Les états financiers à eux seuls ne permettent pas de mesurer de façon significative le rendement d'une collectivité et ne reflètent pas fidèlement ses priorités.

À une époque où le gouvernement parle sans cesse de collaborer en partenariat avec les Premières nations pour régler les problèmes qu'elles connaissent, le projet de loi C-27 ne reflète pas ces principes. Le projet de loi C-27 n'améliore pas la reddition de comptes et ne fait rien pour venir en aide aux collectivités qui éprouvent des difficultés financières. Il sera beaucoup plus productif de consulter sérieusement les Premières nations et de dialoguer avec elles que de tenter de leur dicter les exigences relatives à la production de rapports financiers qu'elles doivent respecter.

Merci d'avoir permis à l'Association du Barreau canadien de comparaître devant votre comité ce matin.

La vice-présidente : Merci de vos exposés clairs et concis. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Demers : Si le projet de loi cherche à améliorer la transparence envers les membres des Premières nations, pourquoi est-il nécessaire d'exiger que les renseignements financiers soient mis à la disposition du grand public et pas seulement aux membres des Premières nations?

M. Regehr : Je suis d'accord avec vous pour ce qui est des raisons pour lesquelles ces renseignements doivent être fournis au grand public. Pourquoi ne rend-on pas ces renseignements disponibles uniquement aux membres, ce qui est déjà exigé en vertu des accords de contribution que les Premières nations concluent avec le fédéral? Je pense que vous me posez une question à laquelle je ne peux pas vraiment répondre et à laquelle seulement les rédacteurs du projet de loi peuvent répondre pour ce qui est de savoir pourquoi on cherche à exiger des Premières nations qu'elles rendent ces renseignements disponibles au public afin que tous ceux — pas seulement les citoyens du Canada mais ceux de partout dans le monde — qui ont un accès Internet peuvent examiner les renseignements financiers privés d'une Première nation. Je ne comprends pas cette exigence. Je ne vois pas ce qu'elle fait pour renforcer la confiance du public, en dehors du fait qu'elle pourrait nuire à l'économie des Premières nations, plus particulièrement en ce qui a trait à leurs activités économiques privées.

Le sénateur Demers : J'apprécie votre réponse à une question difficile. Que changeriez-vous pour rectifier la situation? En quoi votre approche sera-t-elle différente?

M. Regehr : Je pense qu'il est clair que j'aimerais que le projet de loi ne voie pas le jour dans son intégralité. À maintes reprises, l'Assemblée des Premières Nations, la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan et d'autres organisations ont demandé la création du bureau d'un ombudsman indépendant à qui l'on pourrait acheminer les plaintes. Malheureusement, le projet de loi ne prévoit rien à cet égard. Je ne peux pas dire pourquoi. L'APN, la FSIN et d'autres organisations ont été assez claires dans leurs demandes, mais le projet de loi ne prévoit rien en ce sens.

La sénatrice Raine : Des membres des Premières nations, dont un grand nombre provenaient de Premières nations de petite taille, nous ont parlé des difficultés qu'ils ont à obtenir les états financiers de leurs Premières nations et de l'intimidation. Nous savons tous très bien que les bureaux des conseils de bande ont souvent une très grande influence dans la vie des gens, et si l'on voit que vous remettez en question les dirigeants, il peut y avoir de graves conséquences.

Vous avez parlé d'un bureau indépendant qui pourrait servir d'intermédiaire. Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire par là?

M. Regehr : Examinons le résumé législatif du projet de loi C-27. Les auteurs du résumé ont pris acte des demandes de l'Assemblée des Premières Nations, de la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan et de l'Association des Iroquois et des Indiens unis, je crois. La page 9 commence par une observation sur l'établissement de toutes ces mesures. Je ne crois pas que l'on y ait fourni toutes sortes de détails sur la façon dont ce serait structuré, mais le bureau d'un ombudsman indépendant pourrait recevoir les plaintes que les Premières nations pourraient avoir à l'égard du gouvernement relativement à des questions de financement. Cela a été énoncé très clairement. L'Assemblée des Premières Nations a fait cette demande dans sa résolution qui, comme j'ai pu le voir, a été citée à plusieurs reprises par des témoins du gouvernement. Ce n'est qu'une partie de ce qu'ils demandaient. Ils réclamaient aussi la création de ce bureau indépendant, ce qui, pour des raisons qui m'échappent, n'a pas été mentionné dans le témoignage. Il s'agirait d'un bureau indépendant, d'après ce que je peux voir, qui s'occuperait de ces plaintes. Plutôt que d'obliger les gens à faire une demande auprès d'une cour supérieure de la province, ce qui est coûteux, complexe et long, on aurait un bureau indépendant qui s'occuperait de ces plaintes beaucoup plus rapidement et à bien moindre coût.

Sharon Venne, conseillère, Confédération des Premières nations du Traité no 6 : Bonjour. J'aimerais revenir sur les propos du témoin précédent sur la question de la sénatrice Raine concernant la reddition de comptes. Dans son exposé, le chef a parlé des droits issus de traités reconnus en vertu de l'article 35 de la Constitution canadienne. Il s'agit des droits collectifs. Lorsque nous avons conclu un traité, nous l'avons fait de façon collective. Je ne crois pas qu'un individu ait son mot à dire sur les droits collectifs, et je ne pense pas qu'il puisse exiger que les nations lui divulguent des renseignements. Nous allons avoir des personnes, dont le peuple est colonisé depuis 150 ans, qui vont se manifester, et cela pose problème. Il faut examiner les droits collectifs issus de traités dont nous parlons. Nous demandons au comité d'examiner les obligations constitutionnelles envers nos nations et d'étudier le projet de loi dans ce contexte. Prenez du recul et examinez le projet de loi d'un point de vue juridique en vous fondant sur les obligations constitutionnelles qui nous sont dues en vertu de traités. C'est, pour nous, la priorité afin d'assurer la protection des gens. Ce n'est pourtant pas le cas à l'heure actuelle.

La vice-présidente : D'après votre réponse à la première question du sénateur Demers, si je vous ai bien compris, il semble que les mêmes recours soient mis à la disposition du gouvernement à l'heure actuelle en vertu des politiques et des règlements si une bande, pour une raison ou une autre, refuse de présenter ses états financiers à ses membres et refuse d'afficher des renseignements sur ses états financiers consolidés. Ces recours sont disponibles. Quelle est la différence entre ce que propose le projet de loi C-27 par rapport à ce que les bandes sont déjà tenues de faire pour conclure les accords de contribution? Y a-t-il une différence entre les deux?

M. Regehr : L'une des différences est que si la Première nation ne se conforme pas à la loi, le gouvernement fédéral peut avoir recours à une cour supérieure pour l'y obliger, tout comme n'importe quel membre.

À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral n'est pas obligé de procéder ainsi. Il dispose d'un recours beaucoup plus efficace, il semble, c'est-à-dire qu'il peut nommer un séquestre-administrateur. Cela figure dans les modalités de l'accord. Ultimement, si la Couronne le souhaitait, elle pourrait poursuivre en contrat, mais elle n'a pas à le faire, car elle peut nommer un séquestre-administrateur; elle peut récupérer les fonds et imposer des conditions. On peut divulguer ces renseignements aux membres qui ne parviennent pas à obtenir la coopération de la Première nation.

Je répète que l'on pourrait régler une partie de ces problèmes si, comme l'ont recommandé certaines organisations des Premières nations, on créait un bureau indépendant qui pourrait s'en occuper.

Mme Venne : Si vous regardez les exigences auxquelles doivent se conformer les Premières nations en vertu des accords de contribution avec différents ministères fédéraux, plus particulièrement le ministère des Affaires indiennes, vous vous apercevrez qu'une quantité largement suffisante de renseignements circule pour rendre ce projet de loi inutile. Il est difficile de comprendre ce que cherche à faire le gouvernement en déposant ce projet de loi. Il me semble qu'il jette un large filet sur des domaines de financement auxquels il ne contribue pas. Jusqu'où s'étend la compétence du gouvernement fédéral? Le gouvernement tente de saisir différents domaines qui ne relèvent pas de ses compétences. C'est la raison pour laquelle nous exhortons le Sénat à effectuer un second examen objectif des conséquences juridiques de ce projet de loi. Il nous semble avoir des effets profonds.

M. Makinaw : Je ferai référence aux états financiers de la bande d'Ermineskin. Outre ce que Mme Venne a indiqué, nous avons notre entente globale de financement, de même que nos propres fonds que nous avons obtenus d'Ottawa il y a environ deux ans. Nous allons donc avoir deux vérifications distinctes au printemps : l'une portant sur notre entente globale de financement et l'autre portant sur les fonds détenus dans des comptes en fiducie qui sont distincts de l'entente globale de financement. Nous faisons déjà tout ce qu'exige le projet de loi C-27 et bien plus.

Le sénateur Munson : Je ne crois pas que le nouveau ministre des Affaires autochtones connaisse bien ce projet de loi. Avez-vous eu la possibilité de présenter vos arguments à l'ancien ministre et aimeriez-vous avoir la possibilité de le faire auprès du nouveau ministre? Vous avez clairement fait savoir que vous souhaitez que ce projet de loi soit abandonné dans son intégralité. Souhaiteriez-vous avoir une rencontre avec le ministre?

M. Regehr : L'Association du Barreau canadien a déposé un mémoire auprès du comité parlementaire. Nous n'avons pas eu l'occasion de rencontrer l'ancien ministre. Je ne crois pas que l'Association du Barreau s'opposerait à une rencontre avec le ministre, mais on ne nous a jamais invités à le faire.

Le sénateur Munson : Vous avez dit que vous souhaiteriez qu'on abandonne complètement le projet de loi. Lorsqu'on en arrive là en comité, on a presque franchi un point de non-retour. En fait, je ne crois pas qu'il faille attendre encore longtemps avant de procéder à l'étude article par article.

De quel recours disposent les gouvernements des Premières nations s'ils estiment que le gouvernement fédéral ne respecte pas tel ou tel droit issu des traités? Vous avez fait allusion à un organe indépendant, qui ne sera fort probablement jamais créé, mais quel autre recours reste-t-il?

M. Regehr : Je suppose qu'on pourrait intenter des actions en justice coûteuses qui pourraient durer des années et des années, étant donné les éventuels appels interjetés à la suite des décisions des diverses instances, ce que peu de Premières nations ont les moyens d'entreprendre.

Le sénateur Munson : Si ce projet de loi est adopté, allez-vous le contester?

M. Regehr : Je suppose que n'importe quelle Première nation ou d'autres organisations pourraient le faire. Cela m'étonnerait cependant. L'Association du Barreau canadien n'a pas pris de décision pour l'instant.

Le sénateur Munson : Chef Makinaw, vous rentrez de Genève et vous avez parlé de la pléthore de lois proposées qui sont contraires à l'application des traités, ce qui cause beaucoup de tort. Comme vous l'avez dit, vous avez présenté deux appels d'action urgente auprès du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale des Nations Unies. Vous rendre à Genève pour présenter vos revendications, c'est une chose, mais en vertu de quel pouvoir ce comité des Nations Unies peut-il intervenir si l'une de nos lois a une incidence sur votre nation?

Mme Venne : Le chef m'a demandé de répondre à cette question. Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, ou CEDR, surveille l'application de la Convention internationale sur l'élimination de la discrimination raciale, dont le Canada est signataire. En février dernier, le Canada a présenté au comité son rapport d'examen périodique de la situation au Canada.

Le CEDR permet aussi qu'on lui présente ce qu'on appelle des demandes d'intervention urgente. Des Premières nations signataires du Traité 6, du Traité 4 ou d'autres ont fait une demande d'intervention urgente auprès du CEDR en raison de ce projet de loi puisqu'il semble impossible de recourir à un processus démocratique efficace au Canada pour faire entendre nos inquiétudes.

Nous demandons à votre comité de prendre des mesures concrètes. Même si nous en sommes à la 11e heure, nous ne pouvons quand même pas faire marche arrière et revoir ce projet de loi. Il semble que le Canada ne nous ait pas accordé un recours démocratique efficace, si bien que nous nous sommes adressés au CEDR et avons demandé une intervention urgente.

En 40 ans, c'est la première fois que nous faisons une telle démarche auprès d'un comité des Nations Unies pour que le comité et les Nations Unies comprennent que la situation est très grave et qu'ils prennent la situation très au sérieux. Notre entretien avec certains membres du CEDR et d'autres entités des Nations Unies nous a permis de leur donner une description exhaustive de la situation au Canada en ce qui a trait à nos droits.

Le sénateur Munson : Sont-ils au courant de l'échéancier concernant ce projet de loi?

Mme Venne : Oui.

Le sénateur Munson : Quel genre de réaction avez-vous obtenu? Vous a-t-on donné une idée du temps qu'il leur faudrait pour pouvoir intervenir?

Mme Venne : Me permettez-vous de prendre quelques secondes pour vous expliquer le fonctionnement?

La vice-présidente : Oui.

Mme Venne : Les membres du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale sont élus par l'assemblée générale, qui surveille l'application de la convention, un traité international dont le Canada est signataire. Le comité a pour mandat de revoir les situations qui relèvent de la convention. Périodiquement, il se penche sur les rapports présentés par les divers pays, et l'année dernière, il l'a fait pour le Canada. À l'assemblée générale qui aura lieu au printemps, le rapport du comité concernant le Canada sera rendu public.

Auparavant, il existait une autre procédure qui nous permettrait de demander une intervention urgente, et c'est ce que nous avons fait. Le CEDR a commencé à se réunir le 11 février. Je suppose que le Sénat procède de la même façon, c'est-à-dire qu'il tient des réunions en comité plénier comme c'est le cas maintenant, mais aussi en petits groupes de travail qui se penchent à l'interne sur un sujet en particulier.

C'est donc ainsi que l'on fonctionne au CEDR. Le groupe de travail interne est composé de cinq membres du comité qui revoient les interventions urgentes. Le nom des membres n'est pas rendu public, mais nous avons une bonne idée de qui ils sont, car nous nous sommes entretenus avec chacun des membres du comité. Quand nous présentions nos documents, certains membres ont dit qu'ils ne faisaient pas partie du groupe de travail, si bien qu'en procédant par élimination, nous avons une bonne idée de ceux qui se pencheront sur nos documents lors des réunions du groupe.

Les travaux du CEDR se terminent ce vendredi et le comité plénier va entendre le rapport du groupe de travail. Nous croyons comprendre que le CEDR va envoyer une lettre aux autorités canadiennes pour leur demander de prendre des mesures positives pour redresser la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Le sénateur Munson : J'ai encore une question concernant la divulgation de documents financiers de nature délicate. Monsieur Regehr, je pense que vous y avez fait allusion et nous en avons entendu parler. Pouvez-vous nous donner un exemple des conséquences démesurées qu'entraînera le projet de loi et de la façon dont cela aura une incidence sur la divulgation de renseignements financiers de nature délicate? Est-ce que ce genre d'exigence est monnaie courante pour des sociétés privées et d'autres gouvernements?

M. Regehr : Par exemple, la définition de l'expression « états financiers consolidés », ce qui correspond aux états financiers des Premières nations, y compris toutes les entités visées par les dispositions de la loi, est inquiétante. Ces états financiers doivent être présentés comme s'il s'agissait d'une seule entité économique. Cela signifie toute société dont une Première nation serait actionnaire, tout partenariat et toute entreprise conjointe dans lesquels une Première nation aurait des parts, ainsi que des associations et des organisations non constituées en société. Il semble qu'on veuille englober toute une gamme d'activités pour lesquelles les sommes versées par Affaires autochtones, Santé Canada, Justice Canada ou encore tout autre organisme fédéral n'ont rien à voir. On semble ratisser très large.

Si une Première nation exploite une station-service prospère près d'une ville et qu'elle possède des actions dans la société, les activités économiques ou les états financiers de cette entreprise, qui légalement est une entité distincte puisque c'est une société, devront faire partie des états financiers de la Première nation et devront être affichés sur le site web. Ainsi, une station-service voisine pourra s'y renseigner. Il est possible que ce soit la Première nation qui ait investi et créé cette entreprise à partir de rien, à même ses propres fonds, et non pas de l'argent provenant du gouvernement fédéral. Je ne comprends pas pourquoi cette information devrait relever du domaine public.

Prenons l'exemple d'une entreprise conjointe, et ce pourrait être un traiteur desservant un projet de mise en valeur des ressources, où la Première nation serait associée à une grande société multinationale. On constaterait que des renseignements concernant l'entreprise conjointe, qui n'a rien à voir avec le financement fédéral, seraient soudainement divulgués dans les états financiers consolidés. Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi. Je suis sûr que certains concurrents de la région seront très intéressés à se rendre sur le site web pour s'y renseigner et, forts de l'information recueillie, ils couperont l'herbe sous le pied à la Première nation lors des soumissions. Ces mêmes concurrents hésiteraient certainement à se joindre à une Première nation sachant que des renseignements confidentiels financiers aboutiraient sur un site Internet.

M. Makinaw : Pour faire suite à ce qu'a dit mon collègue, s'agissant de nos EGF, une des difficultés est due au fait que diverses entités investissent leur propre argent, ce qui n'a rien à voir avec des EGF ou du financement gouvernemental. Et voilà qu'on nous demande de divulguer cela alors qu'il y a des années que nous affirmons que nous ne devrions pas le faire puisqu'en l'occurrence il n'y a pas de financement gouvernemental. C'est un exemple.

Il y a 10 ans que nous le signalons à AADNC. Pourquoi devrions-nous rendre des comptes sur des services ou des entreprises qui ne reçoivent pas de financement gouvernemental et sont autonomes? Nous avons signalé cette préoccupation et nous continuerons de le faire. Ces entreprises sont autonomes et sont des réussites.

Une autre chose me préoccupe également : quand nous nous entretenons avec les fonctionnaires, nous savons que les revenus qui nous sont propres serviront à pénaliser la bande. Nous essayons de nous en sortir et voilà que nous serions pénalisés. C'est une chose qui m'inquiète lors des discussions avec le ministère.

La sénatrice Seth : Merci de nous donner ces renseignements. Je suis un peu perplexe. Je ne comprends pas pourquoi vous dites que le projet de loi C-27 n'est pas assez bon. Ne convenez-vous pas qu'il permet à une Première nation et à ses élus de respecter la transparence et la reddition de comptes? Quelles mesures faudrait-il imposer pour qu'il y ait reddition de comptes et transparence? Que devrions-nous faire? Comment gérer cela? Je ne sais pas et je voudrais comprendre.

M. Makinaw : L'Association du Barreau canadien l'a dit. Il faut plus de consultations sur le projet de loi C-27 pour que nous tombions d'accord sur les dispositions du projet de loi et d'autres lois. Nous sommes nombreux à faire ce que nous pouvons et je suis sûr qu'après discussion nous pourrions aboutir à une bonne entente et à une issue satisfaisante sur ces questions. Je pense que nous pourrions bien nous entendre et tomber d'accord. J'ose espérer que nous pourrons revenir à la table des négociations et aboutir à une bonne décision dans le meilleur intérêt de chacun plutôt que d'aboutir à un désaccord.

La sénatrice Seth : Les choses doivent se faire suivant le droit et l'ordre. Tous les ans, nous faisons nos comptes, c'est rendu public ou nous faisons une déclaration au fisc. N'est-ce pas là une pratique louable?

M. Makinaw : Oui en effet. Et nous le faisons tous les ans. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous présentons un rapport de vérification concernant l'argent des EGF et ensuite nous faisons un autre rapport de vérification pour notre propre argent, nos propres comptes de fiducie, que nous présentons à nos membres si bien que cette année, nous présenterons deux rapports à nos membres. Nous faisons notre part. S'agissant du projet de loi C-27, d'ores et déjà nous en respectons certaines exigences et je ne vois pas pourquoi nous serions pénalisés davantage étant donné que nous en respectons déjà les dispositions.

La sénatrice Seth : A-t-on trouvé une solution à cela?

Mme Venne : Un des problèmes du projet de loi est qu'il n'y a pas eu discussion avec ceux qui sont liés par traité et il y aurait dû en avoir. Le processus de rédaction du projet de loi n'a pas été clair en ce qui concerne les Premières nations liées par traité. Soudainement, un projet de loi apparaît : nous recevons une lettre du ministre ou nous sommes renseignés par les médias. Il devrait exister un processus clair quand il s'agit de Premières nations liées par traité.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi va bien plus loin que tout ce qui est exigé de n'importe quel citoyen au Canada. Pourquoi? Pourquoi imposer cela aux Premières nations? La question est de savoir jusqu'à quel point le gouvernement estime qu'il peut imposer sa volonté aux Premières nations liées par traité.

Quand on analyse les EGF, qu'on comprend les accords de contribution et qu'on lit les conditions des accords de contribution présentés par le Canada, la plupart des gens seraient scandalisés par ce qu'ils imposent. L'obligation imposée aux Premières nations de faire rapport au gouvernement est coûteuse parce que la plupart de nos nations disposent de ressources limitées et la rédaction de ces rapports prend beaucoup de temps.

Par ailleurs, ce projet de loi ratisse très large comme on l'a expliqué.

Sur le plan constitutionnel, comment le gouvernement fédéral s'y prend-il? Le gouvernement fédéral ne peut pas adopter des lois qui sont contraires ou entravent l'exercice d'une compétence provinciale. Pourtant, si nous recevons de l'argent du gouvernement provincial — et nous en recevons quand certains critères sont réunis —, cet argent sera désormais dans le filet que cette loi va instaurer. Le filet va attraper les contributions des gouvernements provinciaux versées aux Premières nations. Voilà pourquoi nous demandons aux membres du comité de prendre du recul et de réfléchir. Il me semble qu'un second examen objectif s'impose quant aux articulations qui se trouvent dans le projet de loi, quant à ce qui le sous-tend. Quand on y pense, il ne semble pas être très logique.

Le sénateur Patterson : Mes questions s'adressent à la Confédération des Premières nations signataires du Traité no6. Je tiens à dire que nous convenons que bien des Premières nations travaillent dur pour faire preuve de transparence et il semble que les nations signataires du Traité no6 soient exemplaires à cet égard. Je pense qu'un assez grand nombre de vos membres vivent hors réserve et je me demande comment ils pourraient avoir accès à tous les renseignements que vous réunissez.

Il nous faut toutefois nous inquiéter des Premières nations qui ne sont pas exemplaires et qui ne font pas ce qu'il faut en matière de transparence. Ce n'est pas un secret. Je suis sûr que vous l'avez entendu dire. Ainsi, des membres de certaines bandes ont dit qu'ils ne pouvaient pas obtenir les renseignements voulus et qu'on les punit même pour les avoir demandés. Les Canadiens eux s'inquiètent étant donné qu'il s'agit de deniers publics. Ne pensez-vous pas que la perception qu'ont les Canadiens des Premières nations s'améliorerait si toutes les Premières nations publiaient leurs états financiers et rendaient des comptes à leurs membres et au grand public, comme vous le faites?

M. Makinaw : Oui, je suis d'accord avec vous. Il y a deux ans, à la réunion de décembre de l'APE les chefs ont présenté une motion concernant la reddition de comptes et la transparence. Cette motion réaffirmait pour le compte du gouvernement ce que nous faisons déjà, mais il semble que cette motion ait été interprétée tout à fait à l'opposée et utilisée différemment. J'étais présent à cette réunion ici à Ottawa et la motion visait tout simplement à signaler au gouvernement ce que nous faisions déjà. La motion a été préparée lors d'une réunion des chefs au mois de décembre de cette année-là. En signalant cela au gouvernement, nous voulions affirmer que nous cherchions des façons d'améliorer les choses. Des mesures ont été prises, et nous avons travaillé avec l'Association des agents financiers autochtones du Canada. J'espère que les choses vont s'améliorer et que plus de bandes vont faire des progrès afin que les rapports présentés en ce qui concerne les accords que nous signons soient satisfaisants.

Je suis d'accord avec vous, sénateur. Mon objectif est qu'un jour toutes les bandes fassent la même chose.

Mme Venne : J'ajouterai qu'Ermineskin s'est doté de sa propre loi en matière de finances. Tous les membres d'Ermineskin ont le droit, qu'ils vivent ou non sur le territoire de la bande, d'obtenir les renseignements qu'ils demandent si bien que je ne pense pas que ce soit un problème. Bien sûr, en vertu des accords de contribution conclus par Affaires autochtones, les Premières nations sont censées fournir des services uniquement à leurs membres vivant sur leur territoire. Si le gouvernement décidait de verser des fonds à une Première nation suivant le nombre total de ses membres, qu'ils vivent dans les réserves ou hors réserve, on comprendrait mieux que le gouvernement exige que ces renseignements soient à la disposition de tous. Actuellement, les accords de contribution financière du gouvernement prévoient qu'une Première nation ne peut pas offrir de services à un de ses membres vivant hors réserve. C'est stipulé dans l'accord. Par conséquent, si le gouvernement élargissait le financement à tous les membres, ce serait épatant.

Une petite remarque à propos de ce que vous avez dit « deniers publics ». L'argent que possède le gouvernement provient des terres et des ressources de nos nations. Nous avons conclu des traités de paix et d'amitié avec la Couronne ce qui a permis aux colons d'avoir accès à nos territoires et de mettre nos ressources en valeur. La conclusion de ces traités devait nous apporter des avantages. En fait, il ne s'agit pas de deniers publics. C'est de l'argent qu'on nous remet en contrepartie de nos ressources.

La vice-présidente : Le sénateur Patterson a évoqué le cas des bandes qui ne fournissent pas des renseignements financiers vérifiés à leurs membres. Nous savons que ces bandes existent. Nous savons d'ores et déjà que malgré les mesures qui figurent dans le projet de loi, le gouvernement ne peut pas forcer les bandes à le faire. À votre avis, comment faire en sorte que le projet de loi C-27 les force à se conformer? Il semble que les mesures qu'il contient existent déjà. À mon avis, il n'y a pas guère de différence. Pouvez-vous songer à une façon de faire en sorte que les bandes se conforment?

M. Regehr : C'est assez simple. Le ministre peut fournir ces renseignements directement aux membres d'une bande et si je ne m'abuse, cela est déjà prévu dans les accords de contribution actuels. Selon les dispositions du projet de loi, désormais les membres des bandes devraient s'adresser à une cour supérieure. Je ne vois pas la logique ici. Le ministre peut déjà fournir cette information à tout membre d'une Première nation qui ne la reçoit pas directement de cette dernière. Si une Première nation refuse d'obtempérer, le ministre a les recours nécessaires en vertu des accords de contribution — il ou elle peut imposer les conditions, récupérer le financement versé, nommer un gestionnaire tiers ou un cogestionnaire. Même si je n'aime pas dire les choses ainsi, je me demande quand même à quoi cela rime? Il existe déjà des mécanismes pour inciter à la transparence et la reddition de comptes.

Cela m'amène à reparler de la nécessité de discuter avec les Premières nations et de les consulter sur ces questions. Les ressources devraient servir à aider les Premières nations à améliorer leur situation à cet égard plutôt que de leur imposer des exigences en matière d'obligation de faire rapport qui n'ont pas grand bon sens étant donné les modalités qui existent déjà.

La vice-présidente : Chef Makinaw, madame Venne, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Venne : Permettez-moi de vous donner un exemple en ce qui concerne les accords de contribution. Au fil des ans, les Premières nations ont contesté bien des éléments de ces accords des contributions, comme l'a dit le chef Makinaw. On a tenté de négocier les modalités qu'ils contiennent pour qu'elles soient à la satisfaction des Premières nations. Ces accords sont le résultat d'une idée mise en place à l'échelle nationale. Il n'y a pas eu de consultations avec les Premières nations. Il n'y a pas eu de discussion. On a mis ces accords de contribution en place. Affaires autochtones s'est contenté de dire : « Signez l'accord ou bien vous ne recevrez pas de financement. » Donc, il y a deux ans, Ermineskin a signé l'accord mais a ajouté au-dessous : « Signé sous la contrainte et la menace ». Au printemps dernier, Affaires autochtones a répondu en disant qu'il fallait, par résolution, retirer les mots « sous la contrainte et la menace ». Si Ermineskin refusait de biffer ces mots du document, le ministère ne verserait pas l'argent prévu par l'accord de contribution.

Il me semble que le gouvernement a déjà accès à tous les outils dont il pourrait avoir besoin. Nous avons essayé de négocier en disant, « peut-être qu'on pourrait trouver un libellé différent » mais ils ont insisté pour avoir une lettre suivie d'une résolution de la part du chef et des membres du conseil disant qu'ils ne signaient pas l'entente sous contrainte ou menace. La menace, c'est que s'ils n'enlevaient pas ces mots, ils ne recevraient pas de financement. Les choses fonctionnaient de cette manière.

La vice-présidente : Avez-vous une question complémentaire?

Le sénateur Patterson : J'ai posé une question et vous avez posé plusieurs questions complémentaires par la suite, pourrais-je poser une autre question?

La vice-présidente : Oui, certainement.

Le sénateur Patterson : Merci.

J'aurais aimé que le projet de loi porte sur la question du partage des revenus de ressources, que nous avons réussi à régler au Nunavut, mais il porte malheureusement sur la reddition de comptes. Si j'ai bien compris, le ministre ne peut actuellement pas divulguer publiquement des renseignements à propos des salaires et des états financiers connexes, et le projet de loi lui donnerait l'autorité de le faire.

J'ai une question pour la Confédération des Premières nations signataires du Traité no 6. Vous avez parlé avec éloquence de l'autonomie gouvernementale, du droit inhérent à cette autonomie et de l'article 35 sur le renforcement de ce que je crois être une reddition de comptes solide au niveau local. Cependant, vous recommandez que nous n'adoptions pas le projet de loi, ce qui ferait en sorte que les membres des Premières nations qui n'ont pas accès à l'information financière de leur bande devront continuer à se tourner vers le ministre des Affaires autochtones pour obtenir cette information. Je ne comprends pas comment on peut accroître l'autonomie gouvernementale et une responsabilité locale rigoureuse en mettant de côté le projet de loi et en forçant les membres de bandes qui veulent avoir accès à de l'information à se tourner vers un Big Brother paternaliste, un ministre colonial. Le projet de loi n'est-il pas axé sur une plus grande autonomie gouvernementale puisqu'il rend disponibles aux membres de bandes ces informations plutôt que de les laisser entre les mains du ministre Big Brother à Ottawa?

M. Makinaw : Comme on l'a mentionné plus tôt à propos des EGF, il existe des mécanismes de rédaction de rapport et le ministère les utilise. Ils existent et font partie des ententes du ministère. Si on ne déclare pas un certain montant à une certaine date, on se fait pénaliser. Je crois que nous avons un délai de 90 jours après le début de l'année budgétaire pour présenter nos résultats de vérification avant la fin du mois de juillet. Nous devons présenter des rapports à certaines dates. C'est vrai pour toutes les bandes en vertu de leur entente. Nous nous conformons à ces exigences. Nous le faisons certainement. De nombreuses bandes signataires du Traité no 6 s'y conforment.

En ce qui a trait aux ententes d'autonomie gouvernementale, je ne peux pas vraiment faire d'observations à ce sujet. Comme nous sommes signataires de traités, je ne veux pas me prononcer sur l'autonomie gouvernementale en ce moment. C'est peut-être un sujet dont on pourrait discuter plus tard, mais pas ici et pas maintenant. Je ne veux pas me prononcer sur l'autonomie gouvernementale.

La sénatrice Ataullahjan : J'ai une question pour l'Association du Barreau canadien. Durant votre exposé de ce matin et dans une lettre que vous avez envoyée à l'ancien ministre en juin 2011, vous avez déclaré que le projet de loi n'améliorera pas la capacité des Premières nations à gérer elles-mêmes leurs affaires et qu'il ne renforcera pas la capacité des gouvernements des Premières nations à mettre en place des pratiques exemplaires. Pourriez-vous nous en dire plus là-dessus? Qu'entendez-vous par « capacité »?

M. Regehr : Certaines Premières nations ont un grand service de finances de haute qualité parce qu'elles ont les ressources pour employer des gens ayant la formation et l'expertise nécessaires. D'autres Premières nations ont des budgets beaucoup moins importants. Il me semble — et c'est ce que disait l'Association du Barreau canadien — qu'il serait beaucoup plus logique de mettre en place les ressources nécessaires pour assister les Premières nations dans l'élaboration de leur propre régime pour la reddition de comptes et la transparence, plutôt que d'exiger qu'elles divulguent leurs informations publiquement et d'imposer par la loi des obligations qui existent déjà dans les contrats. Il serait aussi mieux de discuter avec les Premières nations au sujet de l'élaboration de leur régime de transparence et de reddition de comptes. Cette façon de faire semble beaucoup plus logique que d'aller de l'avant avec le projet de loi parce qu'il n'assiste pas les Premières nations qui ont des difficultés avec la transparence et la reddition de comptes dans la production de rapports financiers. Il n'apporte absolument rien.

Le sénateur Watt : J'ai suivi de loin les arguments concernant les questions de transparence et d'obligation redditionnelle. Je me demande parfois si nous nous penchons réellement sur un problème qui doit être réglé. Je comprends ce que vous voulez dire à propos du projet de loi C-27, à savoir qu'il ne fera probablement que compliquer les choses et qu'il n'aide pas réellement les collectivités. Elles ont besoin de beaucoup d'aide pour composer avec les problèmes auxquels elles font face.

Je comprends aussi très bien, et vous avez été très clairs, que le projet de loi C-27 ne va pas améliorer la situation, aujourd'hui ou à l'avenir. En fait, je crois que vous êtes en train de nous dire d'abolir le projet de loi et de revenir à la case de départ pour élaborer un mécanisme permettant aux Premières nations et au gouvernement de se rencontrer et de mener des négociations pour bien traiter de cette question.

En un sens, le projet de loi C-27 porte sur un sujet très délicat, que le membre de l'Association du Barreau canadien a très bien expliqué. Ayant entendu cela, je ne peux que dire que je vous ai compris et que je partage vos préoccupations. Le projet de loi doit être travaillé davantage et ne devrait pas être adopté parce qu'il ne fera que compliquer la situation plus tard.

Je n'ai pas de question. Je comprends vos préoccupations et je les partage. Le projet de loi ne devrait pas être adopté. Il faut retourner à la table de négociation.

Le sénateur Patterson : J'ai une brève question complémentaire. L'association a parlé de 37 000 membres. Je voudrais savoir quelle sorte de mandat vous avez reçu de la part de l'Association du Barreau canadien, ou des avocats autochtones qui pratiquent le droit au Canada, pour les exposés et les recommandations que vous avez présentés aujourd'hui. Quel est le processus de consultation au sein de l'association?

La vice-présidente : Il y a un autre panel après celui-ci, je vous demande d'être concis. Merci beaucoup.

Mme Reeve : Je voudrais indiquer que toute présentation au comité est entièrement approuvée par l'entremise de notre bureau national. Cette lettre nous parvient de la Section nationale du droit des Autochtones. Elle a été distribuée à l'exécutif et, une fois approuvée, elle est passée par un processus d'approbation à deux étapes au bureau national de l'Association du Barreau canadien. Chaque présentation à ce forum est vérifiée par de nombreuses personnes, par les premiers dirigeants et le président de l'Association du Barreau canadien, entre autres.

La vice-présidente : Merci.

Je prie la sénatrice Raine de m'excuser. Le temps presse et nous attendons un autre groupe de témoins. Malheureusement, nous ne pourrons pas entendre vos questions.

Je tiens à remercier nos témoins de ce matin, Mme Sharon Venne et le chef Craig Makinaw de la Première nation Ermineskin et de la Confédération des Premières nations signataires du Traité no6; et, de l'Association du Barreau canadien, M. Bradley Regehr et Mme Marilou Reeve. Je vous remercie pour vos exposés.

Nos prochains témoins représentent l'Association des agents financiers autochtones du Canada. Je tiens à souhaiter la bienvenue à M. Terry Goodtrack, président et directeur général, et à M. Daniel Richard, président. Nous sommes prêts à écouter vos exposés qui seront suivis de questions de la part de sénateurs. Vous pouvez commencer.

Terry Goodtrack, président et directeur général, Association des agents financiers autochtones du Canada : Bonjour honorables sénateurs, mesdames et messieurs. Merci de nous avoir invités à comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière.

L'Association des agents financiers autochtones du Canada est un organisme apolitique et sans but lucratif. Nous avons pour mission de contribuer à la prospérité sociale et économique des Autochtones en assurant le développement d'une main-d'œuvre professionnelle pour soutenir l'efficacité de la gouvernance et de l'administration.

On dit aux yeux d'un homme qui tient un marteau, tout devient un clou. Et, formé en finances comme je le suis, on pourrait dire que c'est mon marteau de choix et que la responsabilité et la transparence sont mes clous. Je crois fermement au développement des habiletés en finances et en gestion dans les communautés autochtones. C'est parce qu'un groupe de citoyens qualifiés en finances et en gestion vont transformer les conditions des communautés des Premières nations, métisses et inuites à travers le pays. Cette possibilité — de voir des gouvernements, institutions et corporations autochtones prospères, motivées par une nouvelle génération de citoyens formée et instruite — m'amène, au contraire, aux faiblesses du projet de loi.

J'ai déjà parlé des détails du projet. J'ai dit au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord pourquoi le projet de loi C-27, selon moi, n'est pas seulement une opportunité perdue, mais aussi un pas en arrière dans la promotion des gouvernements autochtones forts. Cet exposé est du domaine public et vous pouvez le consulter à votre guise. Aujourd'hui, je vais vous parler de la vue d'ensemble du projet de loi et pourquoi, considérant la direction qu'il prend, il suscite une si grande déception.

Mais avant, je préciserai qu'aucun dirigeant autochtone ou l'AAFA ne s'opposent au principe de responsabilité et de transparence. La plupart de nos communautés ne présentent pas de lacunes sur ce point, ce que le gouvernement reconnaît. À la deuxième lecture du projet, le mercredi 20 juin 2012, le ministre Duncan a lui-même dit qu'il ne doute pas que la plupart des Premières nations s'efforcent d'être responsables face à leurs membres et au gouvernement fédéral. Les Autochtones ont reconnu depuis longtemps l'importance de ces principes et c'est pourquoi les communautés ont développé et développent des règles, des pratiques et des institutions garantissant une saine gestion à leurs citoyens.

En fait, il n'y a rien dans le projet de loi C-27 que nous n'avons pas déjà depuis 15 ans. L'obligation redditionnelle existe depuis les années 1980. Les vérifications consolidées et l'échéancier des salaires, des rétributions et des frais de déplacement font partie du rapport de fin d'année depuis le milieu des années 1990. Il n'y a pas de pénurie dans les besoins de fournir des rapports, ou de pénuries de rapport tout court. Et je voudrais être bien clair que plus de rapport ne signifiera pas plus de transparence. Pourquoi, alors, s'opposer au projet de loi? Je commencerai par poser deux questions : qu'est-ce qu'un gouvernement des Premières nations, tel que présenté par le projet de loi C-27? Et quelle est la relation entre la Couronne et le gouvernement des Premières nations?

Si nous étudions ces questions, ce que je ferais maintenant, nous voyons clairement les lacunes — non seulement du projet de loi mais de la perception politique traditionnelle relative à l'obligation redditionnelle dans les communautés autochtones. Qu'est-ce qu'un gouvernement autochtone au juste, selon le projet de loi? À mon avis, le projet de loi ne reconnaît même pas une telle chose. Où trouve-t-on les mots « gouvernements des Premières nations »? Ils n'apparaissent même pas ensemble dans le projet de loi. Le projet de loi C-27 représente les Premières nations comme un fouillis de normes gouvernementales — parfois provinciales, parfois fédérales, et même à l'occasion de normes qui vont à l'encontre de tous les ordres de gouvernement. Le projet de loi C-27 n'arrive même pas à reconnaître que les gouvernements des Premières nations sont véritablement des gouvernements. Ce qui est une omission éloquente.

Et que dire de la relation du gouvernement du Canada avec les gouvernements autochtones? Où se situe le projet de loi C-27 sur la volonté croissante de passer d'un principe de contrôle à un principe de partenariat? Nous connaissons très bien les cadres redditionnels qui dérivent d'une relation basée sur le contrôle. Ils sont caractérisés par un alourdissement incessant de la production de rapport. Ils s'accompagnent de l'argument que tout cela est pour le bien du peuple autochtone — qui n'a été habituellement que très peu impliqué dans ces arrangements qui lui sont imposés, et qui doit ensuite subir les conséquences de politiques qui n'encouragent pas le développement local et l'initiative.

Un partenariat sous-entendrait au contraire la reconnaissance que les gouvernements autochtones sont des gouvernements constitués pour servir leurs citoyens, tout en leur étant moralement et financièrement redevables. Une conséquence de la reconnaissance de ce partenariat serait de voir un changement dans le cadre redditionnel. Il faudra alors aborder tout à fait différemment les relations d'affaires. Vous devriez alors prévoir à court, moyen et long termes de fournir des efforts concertés partout dans les communautés des Premières nations, métisses et inuites pour l'éducation et la littératie financière, et d'informer les citoyens sur les sujets qui leur sont pertinents, qui augmentent leur contrôle et facilitent au bout du compte l'épanouissement et l'autodétermination des institutions autochtones.

Le projet de loi nous ramène à un discours familier et démodé. En observant le texte, on dénote que des solutions inspirées de la Loi sur les Indiens ont pris le dessus sur la vision d'un partenariat entre la Couronne et les Premières nations. Nous sommes en présence, une fois de plus, d'une intervention à portée immédiate, et non pas d'une vision à long terme.

Sénateurs, je suis persuadé que vous avez la prudence et la perspicacité de reconnaître que nous sommes arrivés à un moment historique. C'est maintenant ou jamais. C'est ce qu'a dit notre leader national, Shawn Atleo. Le premier ministre, qui a d'emblée reconnu les erreurs vécues dans les pensionnats, a clairement parlé d'un partenariat renouvelé entre le Canada et le peuple autochtone. Tout ce que le projet de loi fait en fin de compte, c'est ajouter une poignée de nouveaux échéanciers de rapports mal définis et des politiques disparates à la base législative de la Loi sur les Indiens.

J'ai mentionné précédemment que le projet de loi ne contient rien que nous n'avons pas déjà depuis au moins 15 ans, et c'est le cas, mais il coûtera aux communautés temps et argent pour arriver à remodeler leurs rapports dans un monde postérieur au projet de loi C-27. Au même moment, le gouvernement fédéral coupe dans le financement des conseils tribaux qui offrent cette supervision financière.

J'envisage l'avenir à plus long terme — et soyons clairs, le projet de loi suit une route sur laquelle nous sommes depuis déjà bien trop longtemps — et j'anticipe encore plus de rapports du vérificateur général du Canada soulignant la lourdeur administrative qui pèse sur les Premières nations, mais le manque de rapports pertinents et motivants présentés à leurs citoyens.

OK, vous me demanderez, qu'attendez-vous de nous? La réponse que je donne est, tout simplement, de redéfinir l'obligation redditionnelle.

Premièrement, la relation de contrôle doit céder sa place à un véritable partenariat dans lequel les gouvernements des Premières nations sont traités comme des gouvernements — ce qu'ils sont — investis d'une autorité équivalente à leurs responsabilités, par opposition à des « prestataires » du ministère des Affaires autochtones.

Deuxièmement, en tant que partenaire, le Canada doit rendre des comptes au gouvernement autochtone et pas seulement l'inverse.

Troisièmement, la délimitation de l'obligation redditionnelle doit être éclaircie. En d'autres mots, qui doit rendre des comptes à qui et pourquoi? Dans l'état actuel, il existe une disparité entre un gouvernement de Première nation et son autorité. Et la cause est que, comme je le disais, les politiques sont orientées vers le contrôle plutôt que vers le partenariat.

Quatrièmement, un régime de production de rapports véritablement transparent doit communiquer une information pertinente à l'auditoire ciblé — dans ce cas-ci, les citoyens autochtones. Cela demanderait une contribution et une participation des citoyens autochtones ainsi qu'une attention particulière à des questions comme la littératie financière.

Cinquièmement, l'idée que « plus de rapports égale plus de transparence » doit céder la place à un régime de production de rapports efficace qui remplace la méthode bureaucratique actuelle par la notion voulant qu'une vérification égale un rapport.

Sixièmement, une vision à long terme de gouvernements autochtones efficaces et autogérés, découlant d'un processus qui apparaît légitime au peuple autochtone, doit guider l'agenda législatif.

Voilà, sénateurs et collègues, ce que la situation actuelle requiert — et ce n'est clairement pas la vision du projet de loi C- 27.

La vice-présidente : Merci, monsieur Goodtrack.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup de votre excellent exposé. C'est évident que vous y avez mûrement réfléchi et que vous avez une vision de l'orientation que nous devrions prendre.

Le dilemme que je vois, c'est qu'il y a tellement de différences entre les Premières nations. Ce ne serait certainement pas facile d'avoir une législation qui s'applique à l'ensemble des Premières nations.

Vous avez dit dans votre exposé « à leurs citoyens ». Comment pensez-vous que les Premières nations devraient rendre des comptes à leurs citoyens? Certaines des Premières nations sont bien établies, avec toutes sortes de revenus autonomes et de capacités, alors que d'autres ont de la difficulté. Comment votre association relève-t-elle ce genre de défis?

M. Goodtrack : Il y a d'énormes différences entre les Premières nations. La question, finalement, c'est combien? Combien de Premières nations sont effectivement bien gérées, et combien font partie du groupe touché par le projet de loi? J'ai essayé de me renseigner. Je croyais que les opinions de vérificateurs pourraient m'en donner une idée, sans pour autant donner une image complète de la situation. J'ai demandé au gouvernement du Canada quelles sont les opinions actuelles de vérificateurs relativement aux gouvernements des Premières nations d'un bout à l'autre du pays. J'en ai fait la demande dans une lettre. J'en ai fait la demande par le biais de l'accès à l'information, et j'ai demandé à nouveau. La seule réponse que j'ai reçue, c'était que c'est difficile d'appuyer sur un bouton pour obtenir l'information. Je n'accepte pas cela. Je ne l'accepte pas puisqu'en 1993 et en 1994, je travaillais pour le gouvernement du Canada. C'était ça, mon travail. J'étais gestionnaire de la responsabilité comptable. En 1993-1994, 78 p. 100 des vérifications étaient sans réserve, 17,7 p. 100 contenaient des réserves et 3,5 p. 100 ont été refusées.

Le projet de loi C-27 met tout le monde dans le même panier. La seule statistique donnée au Comité permanent des affaires autochtones, c'est qu'il y avait eu 250 plaintes. On a demandé si toutes ces plaintes provenaient d'une seule personne ou d'une seule collectivité. On n'a pas obtenu de précision là-dessus.

Aux fins de discussion, supposons qu'il s'agit de 250 personnes. Il y a plus de 700 000 Autochtones au Canada, dont 250 représentent moins de 1 p. 100. Il est curieux que le gouvernement légifère pour répondre à un problème de politique perçu par moins de 1 p. 100.

Je vais passer à l'obligation redditionnelle des citoyens. C'est une excellente question. L'obligation redditionnelle, c'est comme l'électricité. Elle est difficile à définir, mais si elle n'est pas là, on le remarque de suite. Il y a deux semaines, à Toronto, notre conférence portait sur le renforcement des relations entre Premières nations et gouvernements, le milieu des affaires autochtones et ainsi de suite. Le deuxième jour, nous avons parlé de l'idée de changer le cadre redditionnel. Parmi les conférenciers, il y avait la chef Tammy Cook-Searson de la bande indienne de Lac La Ronge, le grand chef Mike Mitchell d'Akwesasne, l'ancien premier ministre Paul Martin et moi-même. Nous avons parlé de cette question d'obligation redditionnelle des citoyens.

Il ne s'agit pas uniquement de la question des finances. Nous sommes en faveur de la transparence, tout comme tous les témoins qui ont comparu devant vous. La question est de savoir comment on l'exige. Selon moi, cette exigence comporte quatre dimensions. L'une des dimensions, c'est ce que j'appelle le service public. La transparence, c'est-à-dire la connaissance des modalités de fonctionnement, la divulgation de l'information et les recours constituent une dimension. La deuxième dimension, c'est le rendement; mettre ensemble l'information financière et l'information sur le rendement de sorte que les citoyens comprennent ce qu'ils souhaitent obtenir. La troisième, évidemment, est financière, et la quatrième est professionnelle. À l'AAFA Canada, nous avons créé le concept de gestionnaire financier autochtone accrédité, et l'éthique est au cœur de ce concept.

Revenons aux raisons d'être du projet de loi C-27 : il s'agit d'un choix d'instruments de politique pour résoudre un problème de politique perçu. En fait, le problème de politique demeure indéfini, mais le choix d'instruments de politique est une loi. Pourquoi ne peut-il pas être l'éducation? Pourquoi ne peut-il pas être le financement d'organisations comme la nôtre? Les organisations communautaires représentent un autre choix d'instruments de politique.

J'espère avoir répondu à votre question, madame la sénatrice.

La sénatrice Raine : Pas vraiment. Si j'étais un membre de la bande et que je souhaitais me renseigner au sujet du leadership et des finances de ma bande, comment pourrais-je obtenir cette information?

M. Goodtrack : En ce moment, ce mécanisme existe, comme l'a déjà expliqué l'Association du Barreau canadien.

La sénatrice Raine : Dois-je écrire à Ottawa?

M. Goodtrack : Je le répète, ils existent déjà grâce à l'accord de contribution. La Première nation doit les divulguer. Sinon, c'est retenu. Le financement versé par le gouvernement fédéral à la Première nation est retenu.

La sénatrice Raine : Comment divulgue-t-on cette information au Bureau du conseil de bande?

M. Goodtrack : On la place dans un endroit dit évident. Elle est divulguée. De là, si un membre de la Première nation ne peut pas l'obtenir, le gouvernement fédéral peut la fournir en vertu de la décision Sawridge. Ces mécanismes sont déjà mis en place. Voilà le point que nous essayons de faire valoir. Cette loi n'ajoute rien. Des moyens existent déjà depuis belle lurette.

La sénatrice Raine : À votre avis, existe-t-il des cas où un membre de la bande a hésité à consulter cette information? Je suppose qu'il faudrait s'y attarder longtemps, parce qu'elle est probablement très compliquée.

M. Goodtrack : Il s'agit d'un bon point, c'est-à-dire que les états financiers vérifiés sont très compliqués, au point où il faut un comptable agréé pour les interpréter. Je suis un CGA de profession. M. Richard est un comptable agréé de profession. Il vous faut quelqu'un qui possède nos qualifications afin de pouvoir y arriver. En d'autres mots, la meilleure possibilité consiste à prendre l'information la plus utile aux citoyens.

Par exemple, nous travaillons avec SEDI de Toronto et l'Initiative d'éducation autochtone Martin pour essayer de le faire. Comment interpréter de l'information financière et de l'information sur le rendement pour les membres de la communauté? Le chef de la nation crie, Mathias Colomb, avait exprimé cette préoccupation. L'élément intéressant est qu'il s'agit de son choix. Il s'agit du choix de sa communauté. Il n'est pas imposé par un autre ordre de gouvernement. Voilà ce que j'essaie de vous communiquer.

Au début, je parcourais la grille des salaires en parlant de la comparabilité, parce que tous les salaires sont différents. La Saskatchewan se situe à 50 000 $, l'Ontario dépasse 100 000 $, et ainsi de suite. La question qui se pose est pourquoi sont-ils tous différents? On comprend ensuite la raison pour laquelle ils sont différents. C'est ce gouvernement qui a décidé, avec ses citoyens, d'établir la norme. À présent, cette norme est imposée par un autre ordre de gouvernement. Jusqu'à quel pourcentage? Nous ne savons pas lequel.

Lorsque vous faites allusion aux citoyens, je suppose que je devrais vous demander, combien d'entre eux sont visés par cette discussion? De quelle Première nation s'agit-il? L'ensemble des 633? Est-ce une ou deux?

Le sénateur Munson : Cette question n'est pas mal intentionnée. Je pose toujours de telles questions. Par exemple, en ce qui concerne la Fédération canadienne des contribuables, je me demande toujours qui en fait partie, qui paie leurs salaires et pourquoi ils ont toujours tant à dire sur différents sujets lorsqu'ils s'affrontent aux politiciens ou à d'autres intervenants. Il existe une Fédération canadienne des contribuables. Au sein de votre propre association, qui paie vos salaires et comment cela marche-t-il au sein de la communauté autochtone? Je suis curieux d'en savoir davantage à ce sujet.

M. Goodtrack : Nous avons reçu 41 p. 100 de notre financement du gouvernement fédéral l'an dernier. Nous avons également reçu du financement provenant des frais d'adhésion. Nous comptons 1 671 membres à travers le pays, dont des membres particuliers et des représentants des secteurs de la finance, de la gestion, même des députés élus, des étudiants, des aînés, et ainsi de suite. Notre financement vient également des ateliers et des cours que nous offrons aux collectivités autochtones via Internet, en réserve et hors réserve. Il y a le congrès national qui s'est tenu il y a quelques semaines à Toronto, comme je l'ai mentionné plus tôt. Notre prochain congrès aura lieu du 25 au 27 février 2014, à Halifax, en Nouvelle-Écosse. J'invite tous les sénateurs à y assister. Ce congrès sera vraisemblablement organisé sur le thème de l'engagement citoyen. J'aimerais bien vous y voir.

Le sénateur Munson : J'aime bien savoir ces choses pour me mettre en contexte. Vous avez dit que le projet de loi C- 27 constitue une déception et un pas en arrière. Quelle incidence aura le projet de loi sur les services que vous offrez? Est-ce que le gouvernement a demandé à votre association de fournir des services supplémentaires?

M. Goodtrack : C'est intéressant. Ce qu'il faut savoir, c'est que nous fournissons de la formation en matière de finances et de gestion aux particuliers. Le financement que nous recevons du gouvernement du Canada représente 41 p. 100 de notre budget, comme je l'ai mentionné. Nous essayons d'offrir des cours portant sur les services financiers, la gestion financière, et en notre nouvelle qualité d'administrateur professionnel autochtone accrédité, dans les différents domaines de gestion, y compris les valeurs, la déontologie, les communications, la surveillance financière et la gestion des ressources humaines. Notre but est de donner des compétences aux personnes, et non pas de leur dire quoi faire. Nous ne sommes pas un organisme de consultation. Nous faisons de la formation.

Le gouvernement du Canada a communiqué avec moi dernièrement afin de discuter des projets de littératie financière. Je pense que c'est suite aux travaux du Comité permanent des affaires autochtones et l'accent qui a été mis là-dessus, et c'est certainement quelque chose que nous faisons. Nous avons des projets dans ce domaine.

Le sénateur Munson : Je suis sénateur depuis huit ou neuf ans. À cette étape, avec ce genre d'audiences, il nous reste seulement quelques jours ou quelques semaines avant l'étude article par article du projet de loi. À cette étape, il y a des audiences et il y a des divergences politiques et philosophiques des deux côtés de la table. À mon avis, les jeux sont faits et le projet de loi sera adopté. Qu'est-ce que vous ressentez lorsque vous comparaissez devant un comité comme celui-ci — je vais taper sur la table doucement mais fermement — et vous savez que les témoins qui ont comparu avant vous ont réitéré la même chose, mais en même temps, peu de choses vont changer? Je sais que nous sommes censés être votre chambre de second examen objectif et que nous sommes censés faire des amendements au projet de loi ou faire des observations là-dessus, mais avec le temps, nous voyons où sont nos divergences philosophiques au sujet du projet de loi C-27.

M. Goodtrack : Quand vous m'avez invité à comparaître, j'en ai discuté avec notre président et notre ancien président. J'ai cru qu'on allait pouvoir ne pas tenir compte du projet de loi, se dire qu'il allait être adopté de toute façon, mais nous voulions quand même exprimer publiquement nos croyances afin que la population canadienne nous entende, dans l'espoir que quelqu'un entendra ce que nous avons à dire. Je reconnais que le projet de loi sera adopté. Je le reconnais entièrement. En fait, j'ai communiqué moi-même avec le ministère des Affaires autochtones pour leur dire que nous voulions émettre des directives et proposer des options afin que cela ne crée pas plus de confusion dans les communautés, afin d'éviter que davantage de financement soit retenu et ainsi de suite. Si le projet de loi est adopté, et il le sera, il est important d'avoir certaines directives à cet égard.

Le sénateur Munson : Il y a un projet de loi, mais ensuite de la réglementation en découlera. Il pourrait y avoir ce genre de processus. Envisagez-vous quelque chose qui pourrait satisfaire votre association et d'autres associations dans la communauté autochtone?

M. Goodtrack : Je n'en suis pas certain, étant donné les préoccupations de tout le monde. C'est quelque chose qui va arriver, et maintenant nous devons faire avec. Nous avons dit ce que nous avions à dire et maintenant nous devons composer avec la situation une fois le projet de loi C-27 adopté.

Le sénateur Demers : Monsieur Goodtrack, j'aime les gens organisés et vous êtes très organisé. Une Première nation en autonomie gouvernementale doit déjà divulguer ses données financières. Nous en avons déjà discuté. Je siège au comité depuis trois ans et demi, et le projet de loi compte parmi les plus controversés. C'est un projet de loi difficile. Est-ce que le projet de loi C-27 va aider d'autres Premières nations à accéder à l'indépendance et à l'autonomie gouvernementale?

M. Goodtrack : À mon avis, non. Ce que j'ai essayé de faire en répondant à la question précédente était de véhiculer les quatre aspects de l'obligation redditionnelle. Cela est fondé sur des recherches. J'ai écrit ma thèse sur des études de cas de quatre Premières nations qui faisaient partie des 78 p. 100 auxquels j'ai fait référence en 1992-1993. Je ne prends pas ça à la légère; c'est là où j'ai été chercher l'idée des quatre aspects de l'obligation redditionnelle.

Nous nous acharnons sur une petite chose qui existe déjà. Moi aussi, je me demande si on a besoin de ça, surtout étant donné les statistiques qui ont été fournies jusqu'à présent. On parle de combien? Une approche a été essayée il y a des années et nous savons qu'elle ne fonctionne pas. Une des approches porte sur tous les gouvernements des Premières nations. L'autre chose, c'est qu'il faut l'aborder du point de vue de la relation. J'ai essayé de vous faire comprendre qu'il s'agit d'une relation de contrôle plutôt qu'une relation de partenariat.

Une fois qu'on a compris que le projet de loi C-27 est imposé par un autre ordre de gouvernement, on se demande s'il s'agit de contrôle ou de partenariat? C'est ça le débat philosophique auquel nous sommes confrontés. Moi je crois qu'il s'agit plutôt de contrôle et que vous ne permettez pas aux Premières nations d'élaborer elles-mêmes le cadre redditionnel. Si vous leur permettez de le faire tout en établissant des principes larges, est-ce plus légitime du point de vue des citoyens en question? L'engagement citoyen, qui sera le thème de notre congrès l'an prochain sera très opportun, et je vous rappellerais que vous y êtes tous invités.

Le sénateur Patterson : Le projet de loi ne porte pas sur l'autonomie gouvernementale, comme vous l'avez dit, or, c'est peut-être ce que vous aimeriez. La section sur l'interprétation fait référence à l'autonomie gouvernementale en disant que cela ne s'applique pas aux nations qui ont accédé à l'autonomie gouvernementale. Ce peut être un incitatif pour les nations ou les bandes à accéder à l'autonomie gouvernementale.

Monsieur Goodtrack, je ne vous comprends pas. Dans votre exposé, vous avez parlé davantage de la présentation de rapports. Vous dites que la présentation de rapports ne veut pas dire davantage d'obligation redditionnelle. Vous avez dit que les Premières nations auraient du temps et de l'argent afin d'essayer de se conformer aux exigences du projet de loi, vous avez ensuite dit que le projet de loi ne change rien.

Apparemment, les rapports exigés le sont déjà. La différence, c'est que, en vertu du projet de loi, ces rapports doivent être rendus publics. Alors, pourquoi dites-vous qu'il y a une obligation ou un fardeau supplémentaire de présenter des rapports?

M. Goodtrack : Il y a quelques raisons. Comme je l'ai mentionné, les états financiers consolidés, la grille des salaires, les honoraires et les frais de déplacement existent depuis 1995. Il y a également un document d'accompagnement, le Manuel des rapports financiers de clôture d'exercice, avec ses modifications successives, qui fait partie des ententes qu'a le gouvernement du Canada avec les Premières nations. Un certain nombre d'annexes sont rajoutées presque chaque année à ce document d'accompagnement. En fait, le dernier groupe d'annexes a été rajouté en mai, et elles sont rétroactives à l'année précédente. Encore une fois, cela a été fait sans la participation de l'Association des agents financiers autochtones du Canada. En juin, avec quelques-uns de nos membres, j'ai dû consulter le ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord pour demander : « Qu'est-ce que cela veut dire en ce moment? Quel lien y a-t-il entre ces annexes et les normes de comptabilité? »

La vérification des états financiers consolidés est déjà définie dans les principes comptables généralement reconnus, tels qu'exigés par l'Institut Canadien des Comptables Agréés, l'ICCA. Cependant, les annexes supplémentaires, dont font partie les salaires, les honoraires et les frais de déplacement, émanent de ce document et des annexes sont rajoutées presque chaque année, tout cela sans examen de la part de nos membres.

Lorsque j'ai questionné le gouvernement là-dessus pour savoir qui faisait partie de ce processus, ils m'ont dit qu'ils avaient consulté huit cabinets de comptable à l'échelle nationale. Je leur ai demandé, « ne trouvez-vous pas qu'il y a un chaînon manquant étant donné que vous faites affaire directement avec des cabinets comptables? Ne devrions-nous pas faire partie de l'élaboration de ces annexes? » L'idée de consolider les vérifications en est une bonne. Ils exigent la situation financière et la déclaration de revenus, mais ensuite il y a toutes ces belles annexes qui viennent alourdir ce que j'appelle le fardeau administratif.

Le sénateur Patterson : Les représentants du gouvernement nous disent qu'ils font des efforts afin de réduire et de consolider les obligations de présentation de rapports. Êtes-vous en train de nous dire que ce n'est pas ça qui se produit?

M. Goodtrack : J'ai travaillé pour le gouvernement pendant plus de 10 ans. Pendant les années 1990, le but était de réduire l'obligation de faire rapport. C'est un débat qui dure depuis très longtemps. Oui, j'ai vu des chiffres, et apparemment le nombre initial de 8 000 a été réduit considérablement.

Chose intéressante, mon premier emploi au sein du gouvernement du Canada était au ministère de l'Emploi et de l'Immigration, où j'ai travaillé à titre de responsable de l'examen des formulaires. Nous avons essayé de réduire le fardeau papier et de réduire le nombre de formulaires. Mais ce qui s'est souvent produit, c'est que nous avons dû rallonger les formulaires. Nous n'avons donc pas changé l'information requise. Quand vous changez l'obligation redditionnelle et quand vous prétendez essayer de renforcer la relation entre les gouvernements des Premières nations et les citoyens, cela devrait changer aussi. Cela ne devrait pas réduire l'obligation redditionnelle entre les gouvernements des Premières nations et la Couronne mais la changer. Quelle information est vraiment nécessaire? L'important n'est pas de soumettre de nombreux rapports, mais plutôt l'information requise.

Le sénateur Patterson : Donc, vous seriez d'accord pour dire que si le projet de loi est adopté, le ministère devrait réduire l'obligation de présenter des rapports, si cela n'a pas déjà été fait.

M. Goodtrack : Oui, absolument. Je pense que vous l'avez déjà entendu, et le vérificateur général l'a recommandé aussi.

La sénatrice Ataullahjan : Pour revenir à la question de la sénatrice Raine, si les mécanismes de divulgation sont déjà en place, pourquoi ne pas avoir cette information disponible au public? N'est-ce pas une façon de responsabiliser les Premières nations et d'éliminer le rôle du ministère à titre d'intermédiaire?

M. Goodtrack : Il faut prendre un peu de recul; c'est ce que je vous dis. La Première nation devrait être comme la Saskatchewan ou le Manitoba, vous devriez envisager la situation de cet angle-là. Les Premières nations devraient être autorisées à créer leur propre mécanisme d'obligation redditionnelle, en fonction de ce que veulent leurs citoyens. À l'heure actuelle, la nation crie de Muskeg Lake affiche les états financiers vérifiés sur son site web. C'était leur choix. Comme j'ai essayé d'expliquer plus tôt, la divulgation des traitements se fait différemment d'une province à l'autre et au gouvernement fédéral, car les gouvernements et les citoyens en question ont fait un choix. Pourquoi ne pas permettre aux Premières nations de faire le même choix si nous croyons fonctionner dans le cadre d'un partenariat?

Comme j'ai mentionné dans mon exposé, au moment de l'entente de règlement, c'est-à-dire la présentation des excuses, le premier ministre avait dit qu'il fallait renouveler les relations. Regardez les mécanismes proposés ici. Où se situent-ils sur le spectre? C'est ce que je me demande.

La vice-présidente : Je vais conclure en posant une petite question, et je vous demanderai de répondre par « oui ou non » ou « peut-être » ou par « je ne sais pas ».

Croyez-vous que le projet de loi C-27 va vraiment encourager les conseils de bande qui ne respectent pas le règlement à l'heure actuelle à le faire, juste parce qu'on affiche quelque part qu'il est possible d'obtenir des états financiers consolidés ou la grille des salaires des chefs et des conseils de bande? Ce projet de loi va-t-il vraiment encourager ces conseils de bande qui ne respectent pas le règlement à le faire?

M. Goodtrack : Non.

La vice-présidente : Merci.

Il ne nous reste plus de temps. Nous avons une petite minute si la sénatrice Greene Raine veut poser une deuxième question.

La sénatrice Raine : Non, ça va. On a posé ma question.

Merci beaucoup. J'ai bien aimé l'exposé.

La vice-présidente : Au nom de tous les sénateurs, j'aimerais remercier M. Terry Goodtrack et M. Daniel Richard, de l'Association des agents financiers autochtones du Canada, pour leur exposé précis et clair ce matin.

(La séance est levée.)


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