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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 32 - Témoignages du 27 février 2013


OTTAWA, le mercredi 27 février 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui a été saisi du projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière, se réunit aujourd'hui, à 18 h 46, pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous mes collègues et à tous ceux qui assistent à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui la suivent sur CPAC ou sur Internet. Je m'appelle Vern White, je viens de l'Ontario et je suis le président du comité, dont le mandat consiste à examiner les lois et les questions qui touchent les peuples autochtones du Canada en général. Ce soir, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière.

Nous accueillons ce soir trois organisations : le Congrès des peuples autochtones, représenté par son chef national et son vice-chef national; la Fédération canadienne des contribuables, représentée par son directeur des Prairies; et la Peguis Accountability Coalition, représentée par sa présidente.

Avant de donner la parole à nos témoins, j'aimerais demander aux membres du comité qui sont ici aujourd'hui de bien vouloir se présenter. Je vais commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Dyck : Je m'appelle Lillian Dyck, et je suis de la Saskatchewan.

Le sénateur Watt : Sénateur Watt, du Nunavik.

La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Ataullahjan, de Toronto, Ontario.

La sénatrice Raine : Sénatrice Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Demers : Sénateur Jacques Demers, du Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le président : Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour souhaiter la bienvenue à nos témoins de ce soir. Nous avons décidé de les entendre tous ensemble, plutôt que de faire deux groupes.

Nous accueillons donc Ron Swain, vice-chef national; Colin Craig, directeur des Prairies pour la Fédération des contribuables canadiens; et Phyllis Sutherland, présidente de la Peguis Accountability Coalition. Je vous invite à faire des déclarations aussi concises que possible, et ensuite à rester quelque temps parmi nous pour que nous puissions vous poser des questions. Merci encore de comparaître devant notre comité ce soir. Je ne sais pas si vous avez décidé dans quel ordre vous alliez prendre la parole?

Madame Sutherland, voulez-vous commencer?

Phyllis Sutherland, présidente, Peguis Accountability Coalition : J'appartiens à la Première nation de Peguis, et je suis présidente de la Peguis Accountability Coalition.

Encore une fois, le rapport de vérification que nous avons demandé est en retard. Je l'ai signalé au comité sénatorial il y a quelques mois, et les problèmes ne sont toujours pas résolus. La vérification est en retard, bien au-delà des 120 jours prescrits. Elle devait être prête en juillet 2012 pour être présentée publiquement aux membres de la bande de Peguis. Nous sommes maintenant en février 2013, et elle n'a toujours pas été présentée en détail et publiquement aux membres de la bande.

Ces derniers n'ont toujours pas reçu les relevés détaillés des avances de 10 millions de dollars qui ont été consenties et de tous les travaux et dépenses qui ont été engagés pendant la période 2011-2012 pour réparer les dégâts causés par les inondations. Les travaux de réparation et de remise en l'état n'ont toujours pas commencé; il y a encore de la moisissure dans un grand nombre de maisons affectées. Un financement de 4 millions de dollars a été consenti pour mieux protéger les maisons contre les inondations, mais malgré cela, la majorité des logements se trouvant dans les zones d'inondation ne sont toujours pas protégés et risquent fort d'être inondés encore une fois en 2013, ce qui pourrait endommager les réparations et rénovations déjà effectuées et diminuer d'autant les ressources limitées qui sont mises à la disposition des logements inondés.

L'accès à l'information continue d'être bloqué. Certains membres du comité attendent toujours d'être payés pour les 80 dernières réunions qu'ils ont eues, à raison de 500 $ et de 300 $ par réunion, pour un total de 40 000 $ et de 24 000 $ respectivement, et les membres qui ont demandé à maintes reprises les procès-verbaux de ces réunions ne les ont toujours pas reçus. Il devrait y avoir 80 procès-verbaux, mais on ne peut avoir accès à aucun d'entre eux, même en en faisant la demande.

Les membres ne réussissent pas à obtenir les relevés détaillés et complets de tous les revenus et de toutes les dépenses, quelle que soit la source de ces revenus, que ce soit des fonds du gouvernement ou des fonds générés par la bande, comme les recettes des jeux, les revenus des entreprises de la bande, les débits d'essence, les épiceries, les quincailleries, les activités de construction ou de location.

Le chef et les membres du conseil continuent de faire fi des limites de salaires et de frais de déplacement qui ont été fixées afin d'apaiser le mécontentement causé par les rémunérations scandaleuses qu'ils s'octroyaient, alors qu'un grand nombre de membres de la bande vivent dans des conditions déplorables.

Les crédits octroyés pour les services essentiels, comme les crédits à l'éducation, qui sont pourtant déjà limités, servent à éponger le déficit causé par des dépenses extravagantes. Résultat : les programmes d'éducation sont gravement mis à mal et les normes diminuent régulièrement. Les bourses pour l'enseignement postsecondaire ont considérablement diminué, et s'accompagnent d'une longue liste d'attente. Un grand nombre d'étudiants potentiels se voient privés de la possibilité de poursuivre des études qui leur auraient permis d'être autonomes et de subvenir à leurs propres besoins. En conséquence, ils sont souvent perçus comme un fardeau pour la société, au lieu d'en devenir un atout comme ils l'espéraient.

Les ententes de financement sont constamment violées, année après année, par ceux qui contrôlent l'argent des réserves. Par exemple, dans la Première nation de Peguis, la vérification annuelle pour l'année 2011-2012 n'a toujours pas été présentée publiquement aux membres. Le plan d'action de la direction, pourtant obligatoire, n'a toujours pas été présenté aux membres, qui sont censés le ratifier, et malgré tout, le bureau régional d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a accepté ce plan d'action. Autrement dit, les membres de la bande ont été court- circuités, ce qui est une violation flagrante de l'entente de financement.

Le chef et les membres du conseil continuent de faire des dépenses extravagantes et frivoles alors que des membres ordinaires de la bande dépendent de l'aide sociale, n'ont pas d'emploi et vivent dans des logements surpeuplés et envahis par les moisissures.

Par mesure de précaution, AADNC devrait suspendre tout versement de fonds tant que ces violations de l'entente perdurent. Chacun se dérobe à sa responsabilité fiduciaire de protéger les droits et intérêts des membres de la réserve. Les membres de la bande n'ont toujours pas reçu un relevé détaillé et complet des rémunérations du chef et du conseil, et j'entends les rémunérations provenant de sources internes aussi bien qu'externes. Le chef, en particulier, peut se faire payer par le bureau de la bande un salaire et des frais de déplacement pour chaque jour de la semaine, et toucher en même temps des honoraires et des indemnités quotidiennes, plus des frais de déplacement, pour assister aux nombreux conseils et comités d'organisations autochtones externes, qui reçoivent elles aussi des financements fédéraux.

Tout cumul de rémunération, qu'il soit double ou triple, devrait être recouvré par la source de financement fédéral, par exemple AADNC. Un audit judiciaire consolidé devrait viser toutes les organisations autochtones recevant un financement fédéral, afin de mettre au jour les fraudes et les abus et de réaffecter les fonds à leur vraie destination, à savoir l'amélioration des conditions de vie des membres ordinaires de la bande qui ont été victimes de ces agissements. Beaucoup de gens ordinaires pensent que, si certains chefs s'opposent aux projets de loi du gouvernement, c'est surtout à cause du projet de loi C-27, parce qu'ils ne veulent pas devoir rendre des comptes à leurs membres. Ils se servent des autres projets de loi comme d'un écran de fumée, pour faire dérailler le processus d'adoption du projet de loi C-27.

J'aimerais également vous informer qu'une réunion publique de la bande a été annulée parce qu'un membre voulait filmer une vidéo des délibérations. Ça témoigne bien de la piètre gouvernance, du refus de rendre des comptes et du manque de transparence qui les caractérisent. J'invite tous les sénateurs à regarder la vidéo jusqu'au bout car ils verront comment les membres sont traités lorsqu'ils demandent des comptes et de la transparence à ceux qu'ils ont élus. J'en ai fait une copie. Vous pouvez aussi la regarder sur YouTube, en cherchant la réunion de consultation de la Première nation de Peguis qui s'est tenue à Selkirk, au Manitoba, le 7 février 2013.

Je voudrais également vous parler d'une lettre que Gerald Slater, qui est candidat au poste de chef aux élections de mars 2013, a adressée à l'honorable Bernard Valcourt, le 25 février 2013. M. Slater se dit très préoccupé par l'ajout, juste avant les élections, de 250 membres potentiels sur les listes de membres. J'ai remis au comité une copie de cette lettre.

Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup. Je vais maintenant donner la parole au témoin suivant. Monsieur Swain, je vous en prie.

Ron Swain, vice-chef national, Congrès des peuples autochtones : Bonsoir, monsieur le président et bonsoir à vous, sénateurs et sénatrices. Je suis heureux d'être ici, sur le territoire traditionnel des Algonquins, pour vous parler du projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière.

Je m'appelle Ron Swain. Je suis vice-chef national du Congrès des peuples autochtones. Depuis 1971, le congrès défend les droits et les intérêts des Autochtones métis et inuits, inscrits ou non, qui habitent hors des réserves, dans des collectivités urbaines, rurales ou isolées du Canada.

D'emblée j'aimerais féliciter le gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent en présentant le projet de loi C- 27. En 2002, le Comité consultatif ministériel conjoint concluait dans son rapport qu'il semblait raisonnable qu'un texte de loi serve de base à un dispositif général et cohérent sur la gestion financière et la reddition de comptes au niveau des bandes. Le rapport du Comité consultatif a également servi de point de départ à l'élaboration d'un projet de loi sur la gouvernance des Premières nations. Le Congrès des peuples autochtones a participé aux premières consultations organisées à cette occasion, soit le projet de loi C-7.

Nous avons également approuvé le concept selon lequel il faut que les élus des Premières nations fassent preuve d'une plus grande transparence en matière financière vis-à-vis de leurs membres. Notre organisation estime par ailleurs que tous les peuples des Premières nations, qu'ils vivent sur les réserves ou non, ont droit à une transparence accrue. Aux termes de la Loi sur les Indiens, les Premières nations ne doivent rendre des comptes qu'au ministre et pas à leurs membres. À notre avis, en matière financière, il faut faire définir clairement qui doit rendre des comptes et à qui.

Nous croyons que les gouvernements des Premières nations doivent rendre des comptes au ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord ainsi qu'aux Autochtones qui vivent aussi bien dans les réserves qu'en dehors. C'est une simple question de bonne gouvernance. Tous les citoyens du Canada doivent pouvoir exiger une plus grande transparence de leurs gouvernements en matière financière, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial, du gouvernement municipal ou des conseils de bandes. Quand on vit dans une communauté des Premières nations ou qu'on y est associé, et qu'on demande à d'autres membres s'ils aimeraient bien savoir comment leur gouvernement dépense l'argent, il est fort probable qu'ils répondront oui.

Les membres qui vivent à l'écart de leur communauté continuent généralement de s'intéresser directement à la gouvernance de leur communauté d'origine. Depuis la décision Corbière, ils ont le droit de voter aux élections et de participer, en exerçant leur droit de vote, aux décisions concernant des revendications et des enjeux relatifs aux ressources. Si l'on veut que les Autochtones hors réserve participent pleinement au processus et qu'ils aient la conviction que les politiques qui les concernent sont appliquées correctement, il faut qu'ils aient accès à ces informations. Une plus grande transparence et une obligation redditionnelle accrue contribueront à cimenter la communauté et à permettre aux membres d'exercer pleinement leurs droits démocratiques.

Bref, je milite ardemment pour une obligation redditionnelle accrue en matière financière, non seulement pour les gouvernements autochtones mais pour tous les gouvernements. Au niveau local, une telle transparence permettra aux citoyens et aux communautés de prendre appui sur leurs succès pour aller encore plus loin. Les communautés qui offrent déjà ce niveau de transparence à leurs administrés sont là pour le prouver. Prenez, par exemple, le cas du gouvernement Nisga'a Lisims, en Colombie-Britannique; c'est une communauté qui se gouverne elle-même, avec tous les succès qu'on lui connaît.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, le congrès défend les intérêts des Autochtones qui habitent en dehors des réserves, qui paient des impôts et qui veulent savoir quand et comment leurs impôts sont dépensés. Notre organisation croit résolument à la transparence, et c'est la raison pour laquelle nous publions nos états financiers vérifiés sur Internet, pour que tous nos membres puissent les consulter. Ils peuvent y voir le salaire du chef national, ainsi que ses frais de déplacement pour l'année. Son salaire est imposable, et elle paie des impôts chaque année, tout comme moi.

Le Congrès des peuples autochtones estime que, si les gouvernements autochtones veulent être considérés comme des gouvernements légitimes, ils doivent être assujettis aux mêmes normes de transparence et aux mêmes obligations redditionnelles que les autres gouvernements, qu'il s'agisse d'organisations publiques ou privées, d'entreprises commerciales ou d'associations à but non lucratif.

Récemment, la Cour fédérale a rendu une décision dans l'affaire Daniels. La décision conforte la position adoptée par le Congrès des peuples autochtones, puisqu'elle reconnaît que les Métis et les Indiens non inscrits sont des Indiens en vertu de la Constitution, conférant ainsi à 600 000 Autochtones du Canada les droits et la légitimité qui leur avaient jusqu'à présent été refusés.

Étant donné cette décision, il est crucial pour notre organisation et nos communautés de continuer de moderniser notre gouvernance et d'appliquer, voire de surpasser, les normes de transparence et de responsabilité financière, non seulement pour nous-mêmes mais pour les générations futures d'Autochtones et de Canadiens. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur Craig?

Colin Craig, directeur des Prairies, Fédération canadienne des contribuables : Bonsoir et merci de m'avoir invité à comparaître au nom de la Fédération canadienne des contribuables, qui compte plus de 84 000 sympathisants dans tout le Canada.

J'aimerais commencer par remercier tout particulièrement nos donateurs, car c'est grâce à eux que nous pouvons poursuivre nos activités, et tout particulièrement ceux qui nous ont aidés à assumer les frais occasionnés par notre comparution ici ce soir. Vous savez bien sûr que, lorsque des particuliers et des groupes sont invités à comparaître, le Sénat offre de leur rembourser leurs dépenses, mais nous estimons que ceux qui ne sont pas d'accord avec nous ne devraient pas avoir à assumer ces frais, et vice versa. Par conséquent, nous tenons à remercier les donateurs qui ont rendu possible notre comparution ici ce soir.

Sans eux, nous ne serions probablement pas là pour discuter du projet de loi C-27. Or, c'est depuis le 21 décembre 2009 que la Fédération canadienne des contribuables réclame ce projet de loi. À l'époque, nous voulions faire la lumière sur les salaires extravagants qui se pratiquaient dans la réserve de Peguis, au Manitoba. En fait, le chef et les conseillers de cette petite communauté gagnaient plus que le premier ministre du Canada.

Celle qui a mis au jour toutes ces informations, Mme Sutherland, a envoyé tous les détails aux trois partis à Ottawa, mais aucun n'a réagi face à ces salaires faramineux. Je me garderai de dire quoi que ce soit sur les raisons de leur silence, mais il faut savoir qu'à l'époque, beaucoup de politiciens n'osaient pas aborder ces problèmes, de crainte de se faire taxer de raciste. Mais en réalité, ceux qui lancent ce genre d'accusations de manière irresponsable le font souvent pour essayer d'étouffer le débat sur des questions sérieuses comme l'obligation redditionnelle et la transparence en matière financière. Nous, nous n'avons pas eu peur de parler de cette affaire, car nous avons le soutien de la population, qui réclame une obligation redditionnelle accrue et une plus grande transparence.

Nous avons donc transmis ces informations aux médias canadiens, qui les ont abondamment relayées. Nous avons fait des entrevues d'un bout à l'autre du pays pour parler de ces salaires faramineux. CBC National, Global National et CTV ont diffusé des reportages là-dessus. On en a également beaucoup parlé à la radio. Il y a eu toutes sortes de lignes ouvertes dans tout le pays, et les téléphones ne dérougissaient pas. Post-media, La Presse Canadienne et les journaux Sun ont également relayé ces informations. En fait, les commentaires adressés aux sites de nouvelles étaient massivement en notre faveur.

La population en avait assez d'entendre dire que les chefs et les conseillers s'en mettaient plein les poches pendant que les membres des bandes vivaient dans la misère, dans des maisons pleines de moisissures. Elle l'avait entendu dire maintes et maintes fois dans le passé, et elle en avait assez.

Au cours de nos démarches à propos de cette affaire, nous répétions toujours le même message : les Canadiens doivent se mobiliser et demander à Ottawa d'obliger tous les chefs et conseillers à divulguer leur rémunération sur Internet. Cela revenait à leur imposer les mêmes règles qu'aux politiciens municipaux, provinciaux et fédéraux, qui ont déjà l'obligation de divulguer leur rémunération.

Nous ajoutions que si les Canadiens ne se mobilisaient pas, on pouvait s'attendre à ce que cette situation perdure pendant encore de nombreuses années.

L'année suivante, nous avons continué de révéler des exemples toujours plus nombreux de salaires extravagants. Comment étions-nous informés? Ce sont les gens ordinaires qui nous transmettaient ces informations, en nous implorant de les aider.

Un dénonciateur de la Première nation d'Enoch, en Alberta, nous a envoyé des informations sur la rémunération du chef et des conseillers de sa communauté, accompagnées d'une note qui commençait ainsi :

Je vous envoie cette lettre par pure frustration. J'habite dans la communauté crie d'Enoch, et nous ne devrions avoir aucune difficulté à subvenir aux besoins de nos membres. Mais le problème, c'est la cupidité de nos dirigeants et l'apathie des gens. Ils savent que nous ne pouvons rien faire pour changer les politiques.

L'auteur de la lettre ajoutait :

Le gouvernement est tellement loin que nous devons nous adresser au bureau local des Affaires indiennes, où les fonctionnaires nous disent de nous adresser à nos dirigeants. Cela fait plusieurs années que je réclame un exemplaire du budget des Affaires indiennes et un exemplaire du budget du chef et du conseil, mais je n'ai jamais rien reçu.

Dans un grand nombre de documents que nous avons divulgués, les chefs et les conseillers touchaient des rémunérations exorbitantes mais en dissimulaient les détails aux membres de leur propre bande. Prenez l'exemple d'un conseiller de la réserve Glooscap, en Nouvelle-Écosse. Il a touché 978 000 $ en 2008-2009. Apparemment, une partie de cet argent provenait de contrats qu'il faisait pour la bande. Et surprise, il était en même temps contrôleur financier de la bande, et certains des contrats n'avaient pas fait l'objet d'appels d'offres.

Depuis que l'affaire est sortie dans les médias, lui et ses collègues ont été remplacés. Apparemment, les membres de la bande étaient furieux lorsqu'ils ont appris tout ça. Ils n'ont pas eu beaucoup de pitié lorsque leur chef Shirley Clark a fondu en larmes parce qu'elle ne pourrait plus payer le nettoyage à sec de ses vêtements.

Heureusement, la députée Kelly Block a réagi à notre campagne en déposant un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-575, ce dont nous la remercions si elle nous écoute. Nous souhaitons également remercier les 15 députés libéraux qui ont mis de côté leurs divergences partisanes pour voter en faveur de son projet de loi. Le texte n'était pas parfait, mais c'était un pas dans la bonne direction. Nous avons immédiatement fait parvenir nos commentaires au bureau de la députée ainsi qu'au ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord. Son projet de loi est malheureusement mort au feuilleton, à cause des élections, mais nous nous réjouissons que le ministre Duncan y ait donné suite en présentant le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. À ce propos, nous tenons à le remercier de nous avoir écoutés, car ce projet de loi contient un grand nombre de recommandations que nous lui avons faites. Nous sommes très satisfaits.

Le projet de loi C-27 est un bon projet de loi. Certes, il ne résoudra pas tous les problèmes des réserves, mais il aidera les gens ordinaires à savoir ce qui se passe et où va l'argent; ça les aidera aussi à obliger leurs dirigeants à leur rendre des comptes. Il faut dire aussi que les communautés qui ont des dirigeants responsables et des structures de gouvernance adéquates ont beaucoup plus de chances d'attirer des investisseurs. Ce projet de loi va aussi aider les nombreux chefs et conseillers qui s'acquittent déjà de leur obligation redditionnelle et qui font preuve de transparence, car ils ne seront plus indûment associés à ceux qui font parler d'eux à cause de leurs rémunérations extravagantes.

Enfin, ce projet de loi est une bonne nouvelle pour les contribuables, y compris les Autochtones qui vivent en dehors des réserves et qui paient des impôts sur le revenu. Cela va permettre à tout un chacun de savoir comment les deniers publics sont dépensés dans les réserves.

Je vous remercie à nouveau de nous avoir invités à comparaître, et je remercie le gouvernement d'avoir présenté ce projet de loi.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons commencer à poser des questions.

La sénatrice Dyck : Je vous remercie de vos déclarations liminaires. J'aimerais commencer par dire que je suis entièrement d'accord pour que ces informations soient divulguées aux membres de la bande. Il y a des cas, comme celui qui a été décrit par Mme Sutherland, qui sont vraiment intolérables.

Je sais qu'il y a des situations, comme celle-là, où les gens n'arrivent pas à obtenir les informations qu'ils demandent. Mais comment ce projet de loi va-t-il obliger le chef et le conseil à vous donner ces informations? Si je comprends bien, son contenu est similaire aux politiques et règlements que le ministre a déjà le loisir d'invoquer, par exemple la cessation de tout versement de fonds. J'ai l'impression que votre situation existe depuis un certain temps déjà, et que le ministre n'a rien fait pour mettre au pas le chef et le conseil. Autrement dit, qu'il a laissé faire.

Mme Sutherland : C'est exact, et je ne sais pas comment faire pour y remédier. Le ministre établit des règles mais il ne les fait pas respecter, si bien que nous nous retrouvons avec le même problème. C'est très frustrant. Nous l'avons dénoncé maintes et maintes fois, mais ça ne sert à rien.

Je dois dire cependant que, à la suite de ma dernière comparution au Sénat, je n'étais même pas encore rentrée chez moi que le rapport de vérification était déjà en ligne. Par conséquent, c'est utile, et j'espère que les choses vont s'améliorer. Quand ils seront obligés d'afficher leurs salaires et leurs frais de déplacement sur Internet, ils seront certainement beaucoup plus prudents avec les deniers publics.

La sénatrice Dyck : Les autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter?

M. Swain : Madame la sénatrice, permettez-moi de vous dire que ce qui me plaît dans le projet de loi C-27, c'est qu'il oblige précisément le chef et le conseil à afficher ces informations en ligne, et qu'il met en place un mécanisme pour permettre aux gens de demander des vérifications et des relevés.

Si les documents ne sont pas fournis, le projet de loi prévoit la cessation des versements. Mais vous avez raison de dire que le ministre a probablement le pouvoir de le faire déjà maintenant.

Le projet de loi donne aussi la possibilité aux dirigeants de la bande de soumettre un plan d'action pour corriger la situation. Il y a plusieurs étapes.

Rien n'est parfait, mais il nous faut un projet de loi musclé. Les conseils doivent publier les rapports de vérification et autres informations pertinentes.

Ces informations seront donc divulguées, pas seulement à l'ensemble de la population canadienne mais aussi aux membres des bandes qui auront à voter et qui sont directement affectés par la structure de gouvernance en place, et pour eux, ces informations seront cruciales. En effet, ça va attirer l'attention sur ceux qui abusent de la situation. Comme l'a dit mon collègue de la Fédération canadienne des contribuables, ça va aussi permettre de mettre en valeur les chefs et les conseils qui pratiquent une bonne gouvernance, ce qui va redonner de la crédibilité au système.

M. Craig : Je voudrais que le comité comprenne bien que les membres qui ne réussissent pas à obtenir ces informations auprès de leurs dirigeants ne sont pas des cas isolés. Nous recevons régulièrement, en copie, des demandes adressées au gouvernement fédéral par des membres qui ne réussissent pas à obtenir ces informations localement.

Par exemple, on entend souvent parler de membres qui ont demandé ces documents au bureau local de la bande mais qui n'ont pas réussi à en obtenir une copie. Ils s'adressent alors au gouvernement fédéral pour en avoir, et bien souvent — même si les choses se sont un peu améliorées — les fonctionnaires les renvoient au bureau de la bande, tout en sachant pertinemment que le bureau de la bande ne les leur donnera jamais. Pourtant, les règles stipulent que les membres de la bande ont droit à ces informations. S'ils ne peuvent pas les obtenir auprès du bureau de la bande, le gouvernement fédéral doit les leur fournir.

L'autre problème qui se pose est le suivant. Lorsqu'un membre d'une bande arrive dans un bureau fédéral, on lui demande une pièce d'identité. Une fois qu'il l'a donnée, les fonctionnaires appellent le bureau de la bande pour dire que M. Untel réclame une copie de la vérification annuelle. Quand vous vivez dans une petite communauté et que le bureau de la bande apprend que vous cherchez à dénoncer quelque chose, vous êtes tout de suite perçu comme un agitateur. On nous a dit que des gens qui l'avaient fait s'étaient retrouvés au bas de la liste pour la réparation de leur maison, ou encore qu'ils n'obtenaient pas d'aides à l'éducation pour leurs enfants. Ces types se comportent parfois comme de vrais dictateurs, et c'est écœurant. Avec ce projet de loi, ces informations seront affichées sur Internet, et les membres de la bande pourront y accéder de façon anonyme, ce qui est un énorme avantage.

Sur une note positive, je vous dirai que, depuis que nous avons dénoncé certaines de ces situations, certains conseils de bandes ont été complètement renouvelés. Dans la réserve Glooscap, qui est une petite communauté de 300 membres, les membres du conseil gagnaient tous plus que le premier ministre du Canada. Aujourd'hui, ils sont tous partis parce que la bande a finalement découvert le pot aux roses, a jugé ces rémunérations scandaleuses et a décidé de se débarrasser de tous ces gens.

Le cas de la bande de la vallée de l'Annapolis est intéressant. L'ancien chef gagnait 150 000 $ par an, non imposés, et, quand ils s'en sont rendu compte, les membres de la bande ont trouvé cela scandaleux. Ils l'ont éjecté de son poste et ont élu une femme du nom de Jeannette Peterson. Elle leur avait dit : si vous votez pour moi, c'est la bande qui fixera mon salaire. Elle a été élue et elle a tenu promesse. Elle a organisé une réunion publique et elle a laissé les membres de la bande fixer son salaire. Voilà un superbe exemple de leadership par la transparence. Et c'est pour ça que je pense que ce projet de loi aura beaucoup d'impact.

La sénatrice Dyck : Il me semble bien que, déjà à l'heure actuelle, les bandes sont censées afficher ces informations non pas sur Internet mais dans un endroit bien en vue, au bureau de la bande ou ailleurs, je ne sais pas exactement. Ce projet de loi va les obliger à les afficher sur Internet, mais elles sont déjà censées être affichées quelque part dans la réserve.

Mme Sutherland : Ce n'est pas le cas dans notre réserve.

La sénatrice Dyck : Peu importe, je vais passer à autre chose. Certains témoins nous ont dit qu'en obligeant les bandes à publier des états financiers consolidés qui contiennent des informations sur les différentes entités qui leur appartiennent, on les handicape par rapport aux autres acteurs du développement économique.

Si on décide finalement que ces informations devront être affichées en ligne, qu'y aurait-il de mal à en réserver l'accès aux membres de la bande? Par exemple, on pourrait avoir un système nécessitant l'utilisation d'un mot de passe. Tous les membres de la bande auraient accès au mot de passe, mais pas le reste de la population. Qu'en pensez-vous?

M. Craig : Imaginez la situation suivante : vous êtes députée et une bande locale vient vous voir pour vous réclamer de l'argent. À ce moment-là, il vous suffira d'aller sur Internet pour connaître la situation financière de la bande. Si on vous dit que les maisons sont envahies de moisissures, qu'il n'y a pas d'eau potable et que les conditions de vie sont déplorables, vous allez voir sur Internet, et si le chef touche 150 000 $ par an, non imposés — ce qui est un salaire faramineux — vous avez le droit de vous demander, à titre de députée, s'il faut vraiment donner plus d'argent à cette communauté.

La sénatrice Dyck : Vous ne répondez pas à ma question.

M. Craig : Ce qui est important, c'est que le projet de loi donne aux élus le pouvoir de divulguer ces informations, et aux contribuables, le droit de savoir ce qui se passe, car c'est eux qui élisent ces gens-là. Ils ont le droit de savoir eux aussi.

La sénatrice Dyck : Madame Sutherland, avez-vous quelque chose à dire?

Mme Sutherland : Je voudrais simplement dire que, dans notre réserve, nous avons des TLV, et il y a donc beaucoup d'argent qui circule, chaque année.

Le sénateur Patterson : Qu'est-ce qu'un TLV?

Mme Sutherland : Un terminal de loterie vidéo. Dans notre réserve, plus de 4 millions de dollars ont été alloués aux services communautaires, mais nous n'en avons jamais vu la couleur. Nous ignorons totalement où est allé cet argent. À mon avis, le public a le droit de savoir à quoi cet argent a servi.

Le président : Madame Sutherland, excusez-moi mais on vous a demandé précisément si, à votre avis, l'ensemble de la population canadienne devrait avoir accès à ces informations, ou bien si cet accès devrait être réservé aux membres de la bande.

Mme Sutherland : Vous parlez des revenus générés par les bandes? Je pense que tout le monde devrait avoir accès à ces informations. Je ne vois pas en quoi cela serait préjudiciable à ma bande.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre déclaration liminaire. Bon nombre de témoins nous ont dit que ce projet de loi risquait d'être préjudiciable aux entreprises exploitées par des Premières nations, en ce sens qu'elles seront moins compétitives, que leurs données financières seront divulguées, et que cela risque de leur poser des problèmes si elles sont en coentreprises. Le pensez-vous aussi?

Mme Sutherland : Je vais simplement vous dire quelques mots sur les entreprises de notre réserve. Elles font appel à beaucoup de consultants d'entreprises externes. Une grande partie des revenus vont à ces consultants et avocats externes. Je ne pense pas que beaucoup de ces entreprises dont on parle dans les réserves apportent quoi que ce soit de positif aux gens ordinaires de la réserve. Nous n'en voyons pas les bénéfices. Peut-être qu'il faudrait afficher tout ça sur Internet, pour que tout le monde sache où va l'argent.

M. Swain : Afficher des états financiers sur Internet n'est pas quelque chose de nouveau. Dans n'importe quel marché boursier, vous pouvez consulter pratiquement tous les états financiers. Si une entreprise veut démontrer son dynamisme, son bon fonctionnement, sa bonne santé financière, elle affiche ses résultats en ligne. Il faut que les gens puissent consulter ces documents. En revanche, si l'entreprise ne marche pas bien du tout et n'est pas rentable, alors bien sûr, ses dirigeants ne voudront pas afficher leurs résultats en ligne. Par contre, si elle a des pratiques préjudiciables à la communauté, nous avons besoin de le savoir. Ce sont toutes des entreprises publiques et non pas des entreprises individuelles. Ce sont des entreprises de la communauté.

S'agissant de transparence, je pense effectivement que tous les états financiers doivent être affichés en ligne. Il n'y a rien de mal à ça. C'est une pratique tout à fait courante de nos jours.

M. Craig : M. Swain a fait des commentaires très intéressants. Un grand nombre d'entreprises ont déjà l'obligation de divulguer ces informations.

Pour ce qui est du contenu de ces états financiers, il est bien évident qu'on n'y trouve aucune information commerciale sensible, comme la part de budget que l'entreprise appartenant à une bande consacre à telle ou telle activité, ou quoi que ce soit de confidentiel comme des recettes secrètes, ce genre de choses. Ce que les états financiers affichés doivent indiquer, ce sont des informations de base comme les revenus que la bande tire de l'entreprise chaque année.

Ce n'est donc pas un document très secret. Les gouvernements provinciaux doivent divulguer ce que leurs sociétés d'État rapportent. La Ville de Winnipeg possède des terrains de golf, et elle doit divulguer les revenus qu'elle tire de chacun d'entre eux. On pourrait prétendre que ces informations sont commercialement sensibles, mais le fait est qu'elles sont divulguées. Je pense donc que cet argument est un peu exagéré, mais je l'ai déjà entendu.

Le sénateur Munson : Je vous remercie de comparaître devant notre comité. Je vais rester sur le même sujet. Nous avons entendu des témoins qui, je pense, font partie de tous ces chefs qui font bien leur travail, selon vous, et qui sont nombreux. Vous avez dit que ce projet de loi va les aider dans leur tâche. Mais ces bons chefs parlent d'avantage concurrentiel. Quand ils ont un poste d'essence ou un commerce à exploiter, ils ont un plan d'entreprise, mais s'ils doivent divulguer toutes ces informations pour conserver leur avantage concurrentiel, comment peuvent-ils rester compétitifs? Leurs concurrents vont savoir quelles sont leurs pratiques de vente, et cetera?

Je comprends ce que veut dire le mot « transparence », on en parle beaucoup de nos jours. Mais comment cela peut-il marcher si ça leur fait perdre leur avantage concurrentiel? Vous avez dit que c'est ce que font les bons chefs à l'heure actuelle, mais qu'ils craignent, avec ce projet de loi, de perdre leur avantage concurrentiel.

M. Craig : Quel type d'information à divulguer pourrait être préjudiciable à leur compétitivité, à votre avis?

Le sénateur Munson : Leurs pratiques commerciales, leurs revenus, comment ils les génèrent, ce genre de choses.

M. Craig : Cela ne sera pas divulgué. On ne va pas entrer dans les moindres détails, comme le coût de tel ou tel objet, ce que l'entreprise facture pour des services mineurs. Ce sont les résultats globaux qui seront divulgués. Comme l'a dit M. Swain, on ne parle pas de divulguer des informations commercialement sensibles.

Le sénateur Munson : Vous en êtes sûr?

M. Craig : Oui.

M. Swain : L'article 7 dispose que la Première nation fournit à tout membre, sur demande, copie de l'un ou l'autre des documents suivants : ses états financiers consolidés vérifiés; l'annexe des rémunérations et des dépenses, ce qui est une pratique courante, je pense, et ce le sera pour les réserves si le projet de loi est adopté; le rapport écrit du vérificateur concernant les états financiers consolidés; le rapport de mission de vérification ou d'examen, selon le cas, qui accompagne l'annexe des rémunérations et des dépenses.

J'ai beau chercher dans le projet de loi, il n'est pas question de divulguer les informations détaillées dont ont parlé certains témoins. Je n'étais pas présent pendant leur témoignage, mais j'ai beau relire le projet de loi, il n'est pas question d'exiger ce niveau de détail. On y parle d'états financiers consolidés. En fait, quand nous présentons nos états financiers consolidés à nos assemblées générales annuelles, les gens nous réclament souvent plus de détails. Oui, ils nous en font la demande. Nos états financiers consolidés ne contiennent pas les informations détaillées auxquelles les chefs me semblent faire allusion.

Le sénateur Munson : Pourquoi les Premières nations ne peuvent-elles pas s'aider les unes les autres? Pourquoi faut-il toujours que ce soit le grand frère blanc qui sache mieux comment elles doivent gérer leurs affaires?

Nous avons entendu des témoins de l'Alberta et d'ailleurs, qui ont des entreprises très prospères, et dans leurs réserves, ils n'ont pas de logements pleins de moisissures, comme il en a été question. Je reconnais que certaines personnes vivent dans des conditions dignes du tiers monde. Ces témoins nous ont dit qu'ils peuvent pratiquer la transparence. Mais la transparence, ça s'applique aussi à l'entraide avec les autres Premières nations.

Comme l'a dit ma collègue, le ministre avait les outils nécessaires pour faire ce que le gouvernement aurait peut-être dû faire mais n'a pas fait. Toutefois, je trouve que vous jetez le discrédit sur toute la communauté des Premières nations, et ça me semble exagéré. Les Premières nations ont fait d'énormes progrès au niveau de la gestion d'entreprises et des bonnes pratiques commerciales. Elles en ont témoigné devant notre comité, et nous pouvons aller le constater nous-mêmes en Colombie-Britannique et au Manitoba. Vous n'êtes pas d'accord?

M. Craig : Un sénateur, comme vous, ou un député de la Chambre des communes ne veut-il pas savoir, en tant que représentant du gouvernement et de la population canadienne, comment l'argent est dépensé dans les réserves? Quand vous faites chaque année un gros chèque à une communauté, ne voulez-vous pas être sûr que cet argent va vraiment aider les gens plutôt que d'être siphonné par les dirigeants?

Nous avons relancé la polémique il y a quelques semaines en divulguant un nouveau cas, celui de la Première nation de Standing Buffalo, en Saskatchewan. Le chef touche une rémunération annuelle de 194 000 $, non imposés, ce qui fait un salaire d'environ 317 000 $, soit 2 000 $ de plus que le premier ministre du Canada. Tous les conseillers à plein temps de cette communauté gagnent plus que le premier ministre provincial, Brad Wall. La communauté compte 443 résidants. Le Parlement ne devrait-il pas se demander si l'argent sert bien à financer les services à la population?

Le sénateur Munson : Ma question portait sur l'entraide entre les Premières nations.

M. Craig : Ce n'est pas pour demain.

Le président : Nous ne sommes pas ici pour en débattre. Si vous avez des questions et des réponses, allez-y, mais nous ne sommes pas ici pour engager un débat.

M. Swain : Permettez-moi de répondre à cette question, sénateur. Le Congrès des peuples autochtones représente des gens qui sont en fait des membres de ces communautés des Premières nations. Malheureusement, sans ce projet de loi qui exige la transparence et la divulgation de ces informations, ce sont seulement les résidents qui ont le droit de voir ces documents.

Je vais vous donner un exemple. Nous avons dû nous adresser aux tribunaux pour avoir le droit de voter dans une communauté des Premières nations, ce que nous avons obtenu grâce à la décision Corbière. Il a donc fallu que le tribunal l'impose. Les communautés des Premières nations et leurs dirigeants ne nous proposent pas de travailler ensemble; en fait, ils sont même réticents vis-à-vis de tous ceux qui vivent à l'extérieur de leur communauté. Il en résulte que les Autochtones qui sont inscrits mais qui vivent dans la société canadienne sont privés de leur droit de vote dans ces communautés.

C'est l'occasion pour nos membres d'avoir cet accès. Nous avons le droit de voter. Nous avons aussi le droit de participer à la vie économique de ces communautés. Mais comme nous ne résidons pas dans la communauté, nous n'avons pas accès à ça. Ils affichent peut-être les rapports de vérification dans un bureau quelconque, mais nous ne pouvons pas les voir.

Premièrement, à notre époque, la publication d'informations sur Internet est une pratique courante, et notre organisation le fait déjà, volontairement. Nos communautés et nos membres savent bien que nous affichons tout sur Internet, pour que les communautés, les contribuables, les sénateurs — n'importe qui — puissent consulter ces documents.

Le sénateur Munson : Je sais qu'il y aura une deuxième ronde de questions, mais je voudrais quand même vous demander quelque chose dès maintenant, aux trois témoins, surtout au représentant de la Fédération canadienne des contribuables qui semble être très fier de dénoncer toutes ces choses. J'aurai d'autres questions, plus tard, pour la Fédération canadienne des contribuables.

Vous dites qu'il y a de bons chefs. Sur un total d'environ 600 groupes de Premières nations, pour combien d'entre eux, à votre avis, ce projet de loi est-il vraiment nécessaire? Diriez vous 90, 50 ou 20 p. 100? Les auteurs du projet de loi sont peut- être animés d'intentions louables, mais je trouve que le texte jette le discrédit sur toute la communauté des Premières nations et sous-entend que tous les dirigeants fraudent et volent l'argent destiné à leurs administrés, surtout quand vous donnez tous ces exemples. Pensez-vous que ce soit un problème très répandu?

M. Craig : Oui je le pense. Comme je l'ai dit, je suis tout à fait prêt à vous laisser tous ces documents. Ce sont les nombreuses requêtes que nous ont envoyées des membres de bandes de tout le pays, et dans certains cas, ce sont des situations épouvantables. Par exemple, un homme nous décrit comment, il n'y a pas très longtemps, il était parti acheter du lait. Il avait la réputation de dénoncer ce qui ne va pas, parce qu'il voulait que la gestion soit plus transparente dans sa communauté. Quand il est revenu chez lui, une menace de mort était affichée sur son entrée de garage. Tout ça parce qu'il avait tendance à poser des questions sur la gestion de sa communauté.

Il y a beaucoup de sombres histoires comme ça, mais je ne sais pas quel pourcentage cela représente exactement. J'ai essayé de me renseigner auprès du Frontier Centre for Public Policy, parce qu'ils ont fait beaucoup de recherches pour mesurer le taux d'accès des membres à l'information, et ils m'ont dit que c'était un grave problème. Moi je pense que le problème est suffisamment grave pour qu'on essaie de le régler par voie législative. Car déjà maintenant, les bandes sont tenues de divulguer ces informations, mais elles ne le font pas puisque nous continuons de recevoir toutes ces demandes. Je pense aussi que les contribuables ont le droit de savoir comment est dépensé l'argent donné aux réserves. Que les députés et sénateurs ont aussi le droit de le savoir, pour que, au moment d'approuver les budgets, vous sachiez combien va être dépensé, combien vont recevoir les différentes communautés, lesquelles en ont vraiment besoin... bref, il est important que vous ayez un peu plus d'informations sur la façon dont l'argent va être dépensé, plutôt que de vous contenter de signer un chèque.

Le président : Puis-je vous demander d'être un peu plus concis dans vos réponses?

Le sénateur Demers : Ce projet de loi me rend fou parce que ce que je veux, c'est faire les choses bien. J'aimerais poser une question et faire quelques commentaires dans la même veine que le sénateur Munson. Mes questions s'adressent aussi à vous, éventuellement.

Pour faire suite à ce qu'a dit le sénateur Munson, quand vous avez une situation où deux personnes sur dix ne jouent pas selon les règles, c'est toute l'équipe qui ne joue pas selon les règles. C'est ce que vous avez dit, plus ou moins.

Cela me rend fou, parce que je suis là à vous écouter, et, bon sang, c'est la première fois que je comprends vraiment ce qui se passe, et c'est grâce à vous. Je suis là à vous écouter. Je viens de dire à mon collègue, le sénateur Patterson, que je comprends mieux maintenant. Il y a des bons chefs qui sont venus nous voir et qui ont bien défendu leur position, mais je suis enclin à penser que si le projet de loi permet de faire un grand nettoyage, eh bien, cela profitera à tout le monde. Les bons chefs aussi, car s'ils sont bons et honnêtes, et qu'ils traitent bien leurs administrés, ils ne peuvent que souhaiter l'adoption de ce projet de loi.

Ce qu'a dit Mme Sutherland est très touchant. Vous avez tous été très éloquents, mais elle a mis le doigt sur certaines choses qui m'ont touché. Quand j'ai un problème, j'apprécie que quelqu'un vienne me voir pour me proposer son aide, et quand on travaille main dans la main, ça profite à tout le monde. Voilà pour mon commentaire. Je vais maintenant poser ma question.

Le représentant de la fédération a dit qu'il faudrait que le gouvernement fédéral impose une obligation redditionnelle totale. C'est un mot qu'on emploie de plus en plus, même vous. Je l'aime bien, parce que l'obligation de rendre des comptes, c'est très important dans la vie. Pour ce qui est du financement des réserves, qu'est-ce qu'il faut entendre exactement par obligation redditionnelle totale? Le projet de loi est-il suffisamment précis à cet égard?

Quand j'étais entraîneur de sport, j'avais des joueurs qui respectaient toujours les règles, mais il y en avait d'autres qui se sont fait arrêter, et nous avons alors tous été considérés comme des voyous, même si nous n'en étions pas. Nous travaillions dur, nous étions de bonnes personnes, et nous formions une équipe extraordinaire, ça profitait à tout le monde. Voilà ce que je ressens ce soir, maintenant que je comprends mieux les tenants et les aboutissants de ce projet de loi. J'ai entendu des arguments plutôt solides chez certains de mes collègues, mais voilà ce que je ressens, ce soir.

Le président : Sénateur Demers, quelle était votre question?

La sénatrice Raine : Il l'a posée.

Le président : Je ne l'ai pas entendue, je suis désolé. Allez-y.

La sénatrice Raine : Il veut savoir si le projet de loi va imposer une obligation redditionnelle totale.

Le sénateur Demers : C'est ça; merci, sénatrice Raine.

M. Swain : J'aimerais avoir la possibilité de répondre. Le Congrès des peuples autochtones croit à l'autonomie gouvernementale. C'est la raison pour laquelle nous n'avons aucune difficulté à appuyer ce projet de loi qui met en valeur l'obligation de rendre des comptes et la transparence. Nous croyons qu'il y aura différents modèles d'autonomie gouvernementale au cours des années à venir, et il y en a déjà maintenant. Du moment que le projet de loi impose l'obligation de rendre des comptes et la transparence, nous l'appuyons, tout comme nous appuyons le principe de l'autonomie gouvernementale. C'est un outil qui va nous aider, avec le temps, à mettre au jour les comportements scandaleux des élus chargés d'administrer ces communautés mais qui abusent de leurs privilèges.

Nous avons besoin de ces outils parce qu'à l'heure actuelle, ce sont dans les communautés autochtones qu'on enregistre les taux de suicide les plus élevés chez les jeunes et même chez les moins jeunes, qu'il y a le plus de problèmes de logements et autres maux sociaux. Il faut trouver des solutions, et ce projet de loi est un pas dans la bonne direction. Il ne dit nulle part qu'il faut limiter les salaires ou la rémunération des gens. Il dit tout simplement que ceux qui votent dans la communauté et le reste de la population ont le droit de connaître ces salaires et ces rémunérations. C'est ce principe que nous appuyons.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup.

Le président : Monsieur Craig, j'aimerais vous poser une petite question. Vous avez dû voir toutes sortes d'états financiers tels qu'ils existent au Canada, notamment dans les organisations autochtones, et j'aimerais savoir ce que quelqu'un comme vous, qui répond déjà à cette exigence, considère comme une pratique exemplaire. Je parle d'états financiers consolidés ou d'autres documents de ce genre.

M. Craig : Il faudrait que j'y réfléchisse quelques minutes.

Le président : Je sais que la question est un peu tendancieuse, mais je me suis fait envoyer plusieurs documents du genre et j'ai examiné celui de la Première nation Membertou, par exemple. J'avoue que j'ai été très impressionné, à tel point que je me demande s'il y a beaucoup de gouvernements au Canada qui fournissent des états financiers aussi détaillés; j'en doute. C'est vrai que vous recevez beaucoup de plaintes, mais ce n'est pas tout négatif, il y a beaucoup de Premières nations qui font un excellent travail et qui, de façon très proactive, divulguent ces informations à tous les Canadiens.

Il convient de rappeler que tout ne se résume pas à ce qui se dit ici. Je ne voudrais pas que les gens pensent que nous n'entendons que des témoignages négatifs. J'en ai entendu de très positifs, et je me demandais si c'était votre cas aussi.

M. Craig : J'essaie toujours de voir le bon côté aussi. Je sais qu'il y a beaucoup de bons chefs et de bons conseillers qui font tout ce qu'il faut pour divulguer leur rémunération, leurs dépenses et leurs vérifications annuelles, de sorte que leurs membres sont régulièrement informés. Je vais réfléchir à un exemple de pratique exemplaire. Si je ne vous donne pas ma réponse aujourd'hui, je vous la ferai parvenir par courriel.

Il y a une anecdote qui me vient à l'esprit, et c'est celle d'un chef du nord du Manitoba qui m'a appelé un jour parce qu'il voulait me rencontrer. Nous sommes allés prendre un café et il m'a sorti tout de go un document indiquant sa rémunération et celle de ses conseillers. Il m'a dit qu'il n'avait aucun problème à divulguer ces informations, que son administration pratiquait l'ouverture et la transparence, tout simplement. Il m'a même dit que je pouvais afficher ça sur le site web de la fédération. En voilà un bel exemple. Il ne m'a pas montré tous les livres comptables, mais je suis sûr qu'il l'aurait fait si je lui avais demandé.

Le président : Merci beaucoup. Je vais maintenant donner la parole à la sénatrice Raine.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. C'est une discussion vraiment très intéressante.

Ce que je crains plus que tout, c'est que, une fois que nous aurons instauré le principe de l'obligation redditionnelle, certaines personnes ne le respectent pas, et à ce moment-là, que faisons-nous?

Notre objectif est bien sûr de nous assurer que les membres des Premières nations ont accès à ces informations et qu'ils n'élisent pas des gens qui ne font pas bien leur travail. Mais dans votre cas, madame Sutherland, c'est en 2009 que le scandale a éclaté et que tout le monde a appris qu'il y avait un problème au niveau des rémunérations et des états financiers. Ensuite, il y a eu des élections en 2011, mais est-ce que les mêmes personnes ont été réélues?

Mme Sutherland : Oui.

La sénatrice Raine : Et pensez-vous qu'elles vont être réélues encore une fois en 2013?

Mme Sutherland : C'est tout à fait possible.

La sénatrice Raine : Si les membres de votre communauté acceptent d'être traités comme ça, ça devient difficile.

Mme Sutherland : C'est un gros problème, qui nous ramène au fait que les élus actuels ont tout contrôle sur la liste des membres et sur les documents qui sont envoyés aux membres qui habitent en dehors de la réserve. De cette façon, ils peuvent envoyer ce qu'ils veulent et dire que tout se passe très bien dans Peguis, que tout est parfaitement administré. Permettez-moi d'ajouter que le chef est la seule personne à avoir accès à la liste des membres, et qu'il y a plus de membres en dehors qu'à l'intérieur de la réserve.

La sénatrice Raine : Donc, ce n'est pas seulement un problème de reddition de comptes, c'est aussi un problème de gouvernance en général.

Mme Sutherland : En effet, c'est un gros problème.

Le sénateur Downe : C'est la raison pour laquelle nous avons modifié la Loi sur les élections au sein des premières nations.

La sénatrice Raine : Exactement. Il faut espérer que vous réussirez à élire d'autres dirigeants.

Mme Sutherland : Comme je l'ai dit, j'ai indiqué dans une lettre qu'ils étaient en train d'ajouter encore toute une flopée de nouveaux membres à la liste. Si ça passe, le chef actuel aura encore une fois toutes les chances d'être élu, car c'est ce qui s'est produit lors des dernières élections, de nouveaux membres ont été ajoutés à la liste pendant le vote.

La sénatrice Raine : Votre coalition, qui réclame une meilleure reddition de comptes, peut-elle faire appel au ministère des Affaires autochtones?

Mme Sutherland : Nous avons déjà fait appel, mais ça n'a rien donné. Notre gros problème, c'est le manque d'argent. Il faut en avoir pour engager des avocats. Or, si vous n'êtes pas dans les petits papiers des élus, vous n'avez pas d'emploi, et c'est le cas d'un grand nombre d'entre nous. C'est un gros problème.

La sénatrice Raine : En effet. Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : J'aimerais saluer Mme Sutherland et la remercier tout particulièrement d'être ici ce soir, ainsi que les autres témoins, qui sont eux aussi excellents. Plusieurs personnes ont déclaré, au cours de nos délibérations y compris ce soir, que ce projet de loi était inutile et que tout allait bien. Que les membres des bandes avaient le droit d'avoir ces informations, et qu'il leur suffisait de s'adresser au ministère ou au bureau de la bande pour les obtenir. Qu'ils avaient déjà accès à ces informations et que par conséquent ce projet de loi n'améliorait en rien la situation. Pourriez-vous nous dire si vous avez déjà essayé d'obtenir des informations financières auprès de la bande ou du ministère, et ce que ça a donné?

Mme Sutherland : J'ai adressé toutes mes demandes à la bande, et je n'ai jamais eu une réponse. Je crois, si je me souviens bien, avoir reçu plusieurs fois quelque chose du ministère des Affaires indiennes et du Nord, mais ça avait pris des mois. Je n'ai jamais rien reçu de ma propre bande.

Le sénateur Patterson : Et que ressentez-vous quand vous constatez que vous êtes obligée de vous adresser au ministère pour obtenir les informations que votre propre bande devrait vous fournir? Est-ce comme ça que ça devrait être?

Mme Sutherland : Non. Ces informations devraient être facilement accessibles à tous les membres de la bande qui s'intéressent à sa gestion financière.

Le sénateur Patterson : D'aucuns reprochent également au projet de loi de ne pas être contraignant, c'est-à-dire que si les bandes refusent d'obtempérer, le gouvernement pourra certes suspendre les financements, mais comme il a déjà le pouvoir de le faire dans le régime actuel, le projet de loi ne sert à rien.

Pensez-vous que le projet de loi va vraiment changer les choses en permettant aux membres d'avoir accès aux informations avant les élections, à supposer que ces informations soient divulguées? Vous avez dit que rien n'avait changé, et que la divulgation des salaires et des rémunérations ne changerait peut-être rien non plus. Est-ce que les habitants de Peguis ont une idée des salaires et des rémunérations que touchent leurs dirigeants? Le savez-vous vous- même? Est-ce que quelqu'un le sait?

Mme Sutherland : Je les connais en partie, mais pas les vrais montants. Par exemple, notre chef siège à de nombreux conseils. Nous n'avons aucune idée de ce que cela lui rapporte. Je suppose que si nous le savions, beaucoup de gens seraient scandalisés.

Le sénateur Patterson : Pensez-vous que ça pourrait influer sur les résultats des élections?

Mme Sutherland : Il faudrait qu'il n'y ait pas de fraude électorale. Vous savez, nous avons déjà eu des cas de bourrage d'urnes. C'est frustrant.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie d'être venue. Je sais que vous avez eu des problèmes familiaux, récemment, et je vous remercie d'autant plus d'avoir pris la peine de venir nous rencontrer.

Mme Sutherland : Merci.

La sénatrice Seth : Merci beaucoup. Je vous écoute depuis le début et je n'ai pas encore une idée précise de ce qu'il faut dire et ne pas dire. Si je vous ai bien compris, vous et d'autres qui ont comparu avant vous, certaines personnes risquent d'être victimes d'actes d'intimidation lorsqu'elles demandent la divulgation de ce genre d'informations. Ma question est donc la suivante : par quoi remplaceriez-vous les dispositions du projet de loi C-27 sur les demandes d'accès à l'information? Qu'avez-vous à proposer? Que devrions-nous faire?

M. Craig : Vous voulez dire des amendements?

La sénatrice Seth : Non, pas du tout. Quel est le problème avec les dispositions actuelles? C'est ça que je veux savoir. Y a-t-il une autre façon de faire pour que les membres aient accès à ces informations?

M. Craig : Il faut bien comprendre qu'à l'heure actuelle, les membres ont le droit de recevoir ces informations. Le projet de loi le mentionne clairement. Mais le message que nous recevons d'un grand nombre de membres de bandes est qu'ils ne peuvent pas les obtenir auprès de leur communauté et qu'ils sont donc obligés de s'adresser au gouvernement fédéral. Dans le passé, ils se sont vu refuser ces informations par les bureaux locaux des Affaires autochtones et du Développement du Nord, qui les renvoyaient à leur bande. Ils étaient pris dans un cercle vicieux, car une fois revenus au bureau de leur bande, ils n'arrivaient pas à obtenir quoi que ce soit, donc ils retournaient au bureau fédéral, et ainsi de suite. Il semble toutefois que les choses se soient améliorées en ce sens que les bureaux régionaux commencent à divulguer ces informations un peu plus facilement, donc c'est un progrès. Nous encourageons le gouvernement à poursuivre dans cette voie. Voilà où nous en sommes.

Cependant, il y a un problème qui n'est toujours pas réglé, c'est celui du contribuable qui n'a pas le droit de savoir comment l'argent est dépensé, et nous pensons que c'est un problème tout aussi important.

La sénatrice Seth : Je suis d'accord avec vous.

M. Craig : Avec tout cet argent qui est alloué à ces communautés, les Canadiens veulent savoir si les membres ordinaires en profitent et si ça permet de lutter contre la pauvreté, contre le suicide des jeunes, et cetera.

Mme Sutherland : On aurait pu aussi parler de la gouvernance dans les réserves, où le chef et les conseillers ont tous les pouvoirs. Ils contrôlent tout. Dans n'importe quel autre système de gouvernement, comme ici, vous avez des gens dans l'opposition. Ce serait vraiment bien d'avoir un parti d'opposition dans les réserves. Ça donnerait une voix aux gens ordinaires. À l'heure actuelle, les gens se sentent impuissants. Personne ne les écoute. Ils m'appellent constamment, mais je ne peux rien faire pour eux. Je peux les écouter, bien sûr, mais en dernier ressort, seul le chef peut les aider.

La sénatrice Seth : Peut-être que ça créerait davantage de problèmes?

Mme Sutherland : Une opposition?

La sénatrice Seth : Oui.

Mme Sutherland : Je ne pense pas, au contraire, ce serait sain.

Le sénateur Munson : Voulez-vous dire que nous créons des problèmes?

Le sénateur Patterson : Pas du tout.

La sénatrice Seth : Non, nous n'avons pas de problèmes. C'est différent. Nous n'avons pas de problèmes parce que vous êtes gentils.

Le président : Nous allons passer à la question suivante.

Le sénateur Watt : J'ai posé des questions bien précises au sujet du projet de loi C-27, et je vois que vous êtes à la recherche de solutions. Depuis de nombreuses années, j'entends toutes sortes de choses de par le monde entier au sujet des Autochtones, et je ne suis donc pas surpris que vous soyez à la recherche de solutions. Sur le principe, j'appuie vos efforts, mais j'ai l'impression que vous ne cherchez pas là où il faut. Je vais vous expliquer pourquoi.

Si ce projet de loi est adopté, nous ne sommes pas sûrs qu'il fera ce que vous pensez qu'il fera. Il pourrait même avoir l'effet contraire. D'abord, je me pose des questions sur la façon dont on en assurera l'exécution. Et comme je n'ai pas de réponse, je me dis que ce projet de loi, s'il est adopté, risque fort de rester sur les tablettes car il n'a aucune utilité vu que le système est déjà en place. Autrement dit, il reproduit ce qui est déjà en place.

Je vais m'arrêter là car j'ai beaucoup de mal à comprendre vos arguments. Mais je vois que vous cherchez des solutions, et je l'apprécie. Vous êtes frustrée parce que vous n'obtenez pas ces informations auprès de votre communauté.

Personnellement, je vous conseille de commencer par essayer de restructurer votre communauté, afin que l'obligation redditionnelle et la transparence soient une réalité quotidienne.

Par contre, si vous allez chercher une solution à l'extérieur, auprès du gouvernement — le grand frère —, je ne suis pas sûr qu'il puisse vous aider. En fait, je ne le pense pas. Il va faire adopter ce projet de loi et ensuite, il s'en lavera les mains. Il n'y aura pas de crédits supplémentaires pour en assurer l'exécution. Quand on veut vraiment qu'une loi soit respectée, on prévoit les budgets nécessaires, faute de quoi elle n'est pas respectée. C'est comme ça.

Je partage votre frustration, et je suis sincère, car j'ai le même genre de problèmes avec la communauté inuite. Quoi qu'il en soit, je pense qu'il vaut mieux chercher une solution à l'interne plutôt que de demander une aide extérieure.

Le président : Avez-vous une question, sénateur Watt?

Le sénateur Watt : Non. C'est comme l'autre jour, je n'ai pas de questions.

La sénatrice Dyck : Merci, sénateur Watt. C'est notre aîné.

J'aimerais ajouter une chose à ce propos. Je regrette de devoir le dire à mes collègues libéraux, mais, à mon avis, le projet de loi C-27, c'est comme le registre des armes à feu : un objectif louable, celui de réprimer l'utilisation inappropriée d'armes à feu, mais aucun effet. À mon avis, le projet de loi C-27 va subir le même sort, parce que nous avons déjà les outils qu'il prévoit et ça ne donne rien.

À l'heure actuelle, pour obtenir les financements prévus dans l'entente, une Première nation est censée présenter tous ces documents au ministère. On peut donc en conclure que le ministère a ces informations. S'il les a et qu'il refuse de les donner aux membres de la bande, il faut se demander pourquoi. On n'a pas besoin de toute cette comédie. Si la bande soumet les informations au ministère, celui-ci n'a qu'à vous les transmettre.

Le sénateur Patterson : Protection des renseignements personnels.

La sénatrice Dyck : Ce n'est pas vous qui témoignez. Je m'adresse aux témoins.

Le sénateur Patterson : Excusez-moi.

La sénatrice Dyck : La protection des renseignements personnels est un point important, et justement, ce projet de loi contourne la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le ministère refuse de vous donner ces informations alors qu'il est censé vous les donner. Le fautif, donc, ce n'est ni le chef ni le conseil de bande, c'est le ministère.

Pourquoi ne réussissez-vous pas à obtenir ces informations auprès du ministre? Je sais que vous ne pouvez pas me répondre, mais le ministère devrait répondre à cette question. Ne pensez-vous pas qu'il devrait vous donner ces informations? S'il les a en sa possession, ne devrait-il pas vous les donner, surtout les informations sur les salaires?

M. Swain : Ce qui nous plaît tout particulièrement dans le projet de loi C-27, c'est l'accès à ces informations sur Internet. Pourquoi un simple quidam comme moi — un Autochtone qui habite en dehors de la réserve — devrait-il avoir à sauter tous ces obstacles pour obtenir ces informations? En cette ère de la technologie, nous devrions avoir accès à ces informations simplement en cliquant sur Internet.

La sénatrice Dyck : Certaines de ces informations sont déjà sur le Web.

M. Swain : Ce n'est pas toujours le cas. Certains membres de bandes n'ont pas accès aux informations de base.

C'est pour ça qu'à notre avis, l'un des grands avantages du projet de loi est de permettre l'accès à ces informations sur Internet, ce qui est beaucoup plus facile.

Je sais que les gens sont frustrés parce qu'il ne va pas assez loin. Mais c'est un petit projet de loi, qui ne cherche pas à écraser les communautés des Premières nations ou à les mettre en faillite. Il s'agit simplement de leur faire afficher des informations sur Internet et de permettre à leurs membres de les consulter. C'est une bonne chose pour n'importe quel système de gouvernance.

La sénatrice Dyck : Pourquoi ne demande-t-on pas tout simplement au ministère de les afficher au lieu d'obliger les chefs et les conseils à le faire eux-mêmes?

Le sénateur Patterson : C'est dans le projet de loi.

Le sénateur Dyck : C'est au ministère de le faire, plutôt qu'au chef et au conseil. Le ministère devrait le faire sans avoir à attendre que le chef et le conseil le fassent. Ça mettrait un terme à toute cette comédie... où on attend que le chef et le conseil le fassent. Si le ministère s'en chargeait, on n'aurait pas besoin de les menacer de leur supprimer les financements s'ils ne les affichent pas.

M. Craig : Le ministère ne peut pas le faire à cause de la décision Montana qui a été rendue par un juge, il y a plusieurs décennies; une personne voulait obtenir des informations et le ministère n'a pas pu les lui donner. Le juge a statué que le gouvernement fédéral n'avait pas le pouvoir de divulguer les noms accompagnés des salaires des chefs et des conseillers. Quand nous avons obtenu nos informations, nous avions tous les salaires des chefs et des conseillers du pays, mais les noms avaient été caviardés.

Vous m'avez demandé si le projet de loi allait donner des résultats et si la transparence allait servir à quelque chose. Mais elle a déjà servi à quelque chose, souvenez-vous de ce qui s'est passé dans la Première nation Glooscap : lorsque nous avons mis au jour ces informations, les membres de la bande ont été scandalisés. Et aux élections suivantes, toutes les pommes véreuses ont été balancées. Même chose dans la Première nation d'Annapolis Valley. Même dans la communauté de Mme Sutherland, le salaire du chef est faramineux; il est plus élevé que celui du premier ministre provincial, mais il a baissé considérablement depuis trois ans, donc ça donne des résultats.

Je voudrais également ajouter que les réserves sont différentes, il ne faut pas l'oublier. Ce n'est pas la même chose qu'une circonscription électorale où les gens peuvent réclamer spontanément des changements. Les réserves sont un peu comme des familles nombreuses; si vous n'êtes pas du côté du chef, bonne chance, vous n'obtiendrez probablement jamais les changements que vous préconisez. Dans certains cas, demander ce genre d'informations revient pratiquement à demander au maire de Winnipeg combien il gagne. Une fois que le chef apprend que vous avez fait cette demande, il a le pouvoir de mettre votre maison au bas de la liste des maisons à rénover. Voilà le genre de dynamique qui se produit dans les réserves, et qu'on n'a pas ailleurs.

Le président : Vous ne sous-entendez pas que c'est ce qu'il fait, n'est-ce pas, monsieur Craig?

M. Craig : Non, pas à ma connaissance.

La sénatrice Raine : Monsieur Craig, quand vous nous dites que ces gens-là gagnent plus que le premier ministre ou que le premier ministre provincial, parlez-vous de leur salaire seulement ou incluez-vous leurs dépenses?

M. Craig : Dans ces cas-là, il ne s'agit que de leurs salaires. Dans certains cas, les chefs et les conseillers reçoivent un salaire, des honoraires et divers postes de rémunération. Nous avons additionné tout cela. Comme ces revenus ne sont pas imposés, nous calculons le salaire équivalent que cela représenterait pour un Canadien qui vit en dehors des réserves et qui paie des impôts sur le revenu. C'est comme ça que nous pouvons faire une comparaison.

La sénatrice Raine : Merci, c'est très clair.

M. Craig : Nous essayons de l'indiquer très clairement quand nous divulguons ces informations dans nos communiqués de presse.

La sénatrice Raine : Quand on parle de salaires et de dépenses, on s'imagine qu'ils se font payer des dépenses qu'ils n'ont pas engagées, mais ce sont des dépenses engagées dans le cadre de leur travail, pas pendant leurs loisirs.

M. Craig : Nous ne parlons pas des dépenses occasionnées par l'achat de stylos, d'ordinateurs ou ce genre de choses. Je vous ai expliqué tout à l'heure, à propos du chef de la Première nation de Standing Buffalo, comment il arrivait à toucher 194 000 $ non imposés, soit l'équivalent d'environ 317 000 $ pour quelqu'un qui habite en Saskatchewan et qui paie des impôts sur le revenu. Encore une fois, il ne s'agit pas de dépenses mais uniquement du salaire. Le chef en question a aussi reçu des remboursements de frais de déplacement, mais c'est en plus. C'est complètement séparé.

La sénatrice Raine : Bien, merci de nous avoir précisé tout ça.

Certains nous ont dit que ces informations devraient être accessibles uniquement aux membres des Premières nations, qu'ils habitent ou non dans les réserves, et qu'on pourrait leur donner un code d'accès ou un mot de passe avec un nom d'usager pour qu'ils puissent avoir accès aux documents financiers. Pensez-vous que ce soit une piste valable, ou êtes-vous tous d'avis qu'il vaut mieux que ces informations soient accessibles à tout le monde, au Canada et ailleurs, sur Internet?

Mme Sutherland : Nous avons des membres partout au Canada et aux États-Unis. La divulgation de ces informations au grand public ne me pose pas de problème.

La sénatrice Raine : Merci.

M. Swain : Je pense que ce serait utile que tout le monde puisse y avoir accès, car les gens se rendraient compte, au bout d'un certain temps, que la majorité des administrations autochtones n'abusent pas du système. Ça dissiperait certaines idées préconçues. Si ces informations sont diffusées et divulguées largement au grand public, surtout aux citoyens canadiens, le cliché des bandes mal gérées disparaîtrait avec le temps.

M. Craig : Je pense que ce serait un véritable cauchemar que d'avoir à distribuer des mots de passe et des noms d'usager, sans compter qu'avec ce système, vous continueriez de priver les contribuables canadiens de savoir comment ces fonds sont dépensés. L'un des aspects les plus importants de ce projet de loi est qu'il va permettre aux contribuables de savoir comment ces fonds sont dépensés dans les réserves et de voir si les gens ordinaires en bénéficient réellement. S'ils voient qu'une communauté est bien gérée et qu'elle réclame de l'argent pour quelque chose qui lui permettra de lutter vraiment contre la pauvreté, ils y seront peut-être plus favorables. En revanche, quand vous ne pouvez pas savoir ce qui se passe et que vous ignorez si les gens ordinaires bénéficient vraiment des fonds octroyés, vous avez moins tendance à appuyer ce genre de choses.

Le président : J'aimerais poser une question à Mme Sutherland. Vous avez parlé de transparence et de reddition de comptes. Pensez-vous que ce projet de loi va contribuer à instaurer ces deux principes dans votre communauté, pour le bien des membres de votre Première nation?

Mme Sutherland : Oui, c'est un point de départ. Il faut bien commencer quelque part.

Le sénateur Patterson : Monsieur Craig, nous avons parlé de la divulgation sur Internet des informations prescrites dans le projet de loi. Si je comprends bien, l'article 9 prévoit que, si une Première nation n'affiche pas sur son site Internet ou sur un autre site les documents requis, le ministre a le pouvoir d'afficher ces documents sur le site Internet du ministère.

Est-ce que c'est quelque chose de nouveau, qui n'existait pas avant? Vous avez bien dit que le ministre aura désormais le pouvoir de publier ces informations, pouvoir qu'il n'avait pas avant ce projet de loi?

M. Craig : Le ministre n'a pas actuellement le pouvoir d'afficher ces informations en ligne, c'est bien ce que vous me demandez? Cela remonte à l'affaire Montana. Un ou une journaliste du Calgary Herald avait essayé d'obtenir les salaires du chef et des conseillers d'une communauté, mais on a refusé de les lui communiquer. Si je me souviens bien, il s'est adressé au tribunal, et le juge a statué que le gouvernement fédéral ne pouvait pas divulguer ces informations, en vertu de la législation sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Patterson : Donc, il est faux de dire que ce projet de loi ne change rien à la situation actuelle?

M. Craig : En effet, ce n'est pas vrai. Il change certaines choses. Par ailleurs, certains ont dit que ça va alourdir considérablement le fardeau administratif. Ce n'est pas vrai. Les rapports dont il est question doivent déjà être produits. Le projet de loi dit simplement qu'on va les scanner et les afficher sur Internet, ce qui ne constitue certainement pas une lourde tâche pour le gouvernement.

Le sénateur Munson : Madame Sutherland, on a employé plusieurs fois ce soir le terme « transparence ». Vous l'avez défendu avec des arguments convaincants, et vous avez ajouté « c'est un point de départ ». Mais même avec tout ça, comment ce projet de loi va-t-il instaurer le principe de la reddition de comptes? Vous avez dit qu'aux dernières élections, il n'y avait pas de transparence et qu'il y a eu du bourrage d'urnes. Les Premières nations réclament un vérificateur général des Premières nations, pour la reddition de comptes. Comment allons-nous pouvoir instaurer ce principe de la reddition de comptes, vu la façon dont se passent les élections dans votre communauté? Seriez-vous d'accord pour y envoyer un groupe de l'extérieur? Le Canada envoie des observateurs dans le monde entier pour surveiller le déroulement des élections, en Ukraine, notamment. Comment pensez-vous qu'on arrivera à résoudre ce problème fondamental? Je ne vois rien dans ce projet de loi qui va changer grand-chose à ce climat d'intimidation dont vous avez parlé.

Mme Sutherland : La tâche est immense. Pour ce qui est des élections, il faudrait qu'AADNC ait davantage de contacts avec les membres ordinaires. Ils savent ce qui se passe. Le ministère devrait les écouter davantage au lieu de les renvoyer auprès de leur chef ou de leur conseil quand ils ont des plaintes à formuler. Je les ai entendu dire que ça ne sert à rien de s'adresser au ministère car il ne leur répond pas.

Le chef et le conseil ont le pouvoir et ils veulent le garder. Il y a, dès le départ, un problème avec le système électoral car le chef et le conseil peuvent nommer qui ils veulent au poste de fonctionnaire électoral, et ce n'est pas correct. Alors ils nomment généralement quelqu'un qu'ils connaissent. Avant d'être nommé à ce poste, notre fonctionnaire électoral actuel était préposé à la liste des membres. Il a reçu une formation pour devenir fonctionnaire électoral. Même ça ce n'est pas correct. On devrait nommer quelqu'un de tout à fait neutre, qui n'a aucun lien avec la communauté et ne peut pas être influencé.

Le sénateur Munson : Comment faire? Le gouvernement semble déterminé à faire adopter ce projet de loi pour imposer la transparence et la divulgation des salaires et des dépenses, mais comment formuler cela dans un texte législatif? Faut-il faire intervenir Élections Canada, de quelle façon? À mon avis, c'est un problème tout aussi grave.

Mme Sutherland : C'est un problème très grave.

Le sénateur Munson : Puisqu'on parle de transparence, et je m'adresse à la Fédération canadienne des contribuables, je vais vous poser une question à la Gordon Sinclair, de l'émission « Front Page Challenge », puisque nos salaires sont affichés sur le web et que vous avez 84 000 adeptes prêts à sonner l'alarme. Certains chefs ont de gros salaires — c'est un fait avéré — et ne se comportent pas bien à l'égard de leurs administrés. Vous représentez la Fédération canadienne des contribuables. Vous touchez un certain salaire, mais combien exactement? Il me semble que quand on parle de transparence, ça devrait s'appliquer à tout le monde, y compris à ceux qui en font la promotion.

M. Craig : Je vous dis combien je gagne et vous me montrez vos notes de frais, ça vous va?

Le sénateur Munson : Pas de problème, mes notes de frais sont déjà affichées sur Internet.

M. Craig : Mais pas dans le détail.

Le sénateur Munson : C'est moi qui pose les questions. Je suis toujours prêt à faire ce qu'on me demande, je respecte toujours les règles, et je les respecterai toujours.

M. Craig : Il se fait tard, et je voulais simplement plaisanter un peu avec vous.

Le sénateur Munson : Moi aussi.

M. Craig : Je gagne à peu près 65 000 $ par an. Nous respectons toutes les conditions imposées aux organisations à but non lucratif. Comme je l'ai indiqué tout au début, nous ne recevons pas un sou du gouvernement. Lorsqu'une organisation reçoit du financement du gouvernement, il est normal à notre avis qu'elle pratique la transparence. Comme les communautés autochtones reçoivent énormément de fonds publics, notamment du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, nous estimons qu'elles devraient être totalement transparentes.

Le sénateur Munson : Là où je travaillais avant, on demandait à la Fédération canadienne des contribuables de venir pour apporter un autre point de vue dans nos émissions. Je pense que les gens aimeraient bien en savoir un peu plus sur votre organisation. Vous avez 84 000 adeptes, et vous faites régulièrement des déclarations tonitruantes sur toutes sortes de dossiers.

Vous vous intéressez à celui-ci et, je suis sérieux, si nous voulons en discuter, il va falloir que nous fassions un peu plus connaissance.

Le président : Je vous remercie de votre réponse.

M. Swain : Le sénateur a fait une remarque judicieuse — je sais que c'est en dehors du sujet — en parlant d'un médiateur autochtone.

Le sénateur Munson : Non, un vérificateur général.

M. Swain : Je tiens à dire publiquement que nous appuyons ces deux concepts. Permettez-moi de vous lire un court extrait. J'ai toujours mes documents de travail avec moi, et j'aimerais vous lire quelque chose qui concerne justement les élections.

Lorsqu'un Autochtone a un conflit avec le gouvernement de sa communauté ou avec le gouvernement fédéral, il lui est parfois difficile de présenter un recours.

Lorsqu'un conflit local surgit, il n'y a pas toujours une personne impartiale vers qui se tourner. Pour les Autochtones hors réserves, il n'est pas toujours facile, pour des raisons logistiques, de se rendre sur place ou de se faire représenter. Les gens qui veulent déposer une plainte contre le gouvernement fédéral ne savent pas toujours à qui s'adresser, et le ministère concerné ne peut guère être considéré comme une partie neutre ou impartiale. Le Congrès des peuples autochtones recommande la nomination d'un médiateur autochtone, qui aurait pour mandat d'examiner les plaintes déposées par des Autochtones qui estiment avoir été lésés par un gouvernement autochtone ou par un ministère ou organisme fédéral. Le médiateur aurait librement accès aux personnes concernées et aux dossiers pertinents, et ses conclusions et recommandations seraient contraignantes pour les deux parties.

Il est question ensuite d'un vérificateur général autochtone, mais je vous en épargne la lecture car ça serait un peu trop long.

Le sénateur Munson : Madame Sutherland, j'aimerais que vous m'expliquiez par quoi ça se traduit, concrètement, l'intimidation. Pourriez-vous me donner un exemple personnel? Je crois qu'il est toujours bon de tout mettre sur la table et de parler franchement. Dans votre cas, ça se traduit par quoi, l'intimidation?

Mme Sutherland : Nous sommes tous assis en cercle à une réunion générale de la bande, et je me lève pour aller sur le podium poser une question. Il y a une fois où j'ai vraiment eu très peur. J'étais sur le podium en train de parler, et un homme est soudainement arrivé juste derrière moi, j'ai vraiment cru qu'il allait me frapper.

Dans ces réunions, les gens utilisent toutes sortes de tactiques. Le chef a sa propre clique qui se met à chahuter quand certaines personnes prennent la parole. Si bien qu'on ne peut pas poser les vraies questions et encore moins entendre les réponses.

Vous pouvez aller visionner cette réunion sur YouTube; je n'y étais pas mais un membre l'a enregistrée et l'a diffusée pour montrer comment se passent ces réunions. Ils ont pratiquement mis un terme à la réunion parce qu'ils ne voulaient pas qu'il diffuse sa vidéo. C'était une réunion de bande et il voulait montrer le film à sa famille en Colombie-Britannique. Il a reçu des menaces.

Dans un autre cas, un autre de mes amis essayait d'enregistrer une réunion de la bande, et le chef de l'époque l'a menacé du doigt en l'enjoignant d'éteindre sa caméra sous peine de poursuites judiciaires. Ça arrive fréquemment dans les réunions de bandes.

Le président : Combien d'habitants y a-t-il dans votre communauté?

Mme Sutherland : Dans la réserve, environ 4 000.

Le président : C'est assez important.

Mme Sutherland : Oui, tout à fait.

Le sénateur Munson : Je vous remercie infiniment de vos réponses. Ça m'est très utile.

Le sénateur Watt : Cette fois-ci, je vais poser des questions. Si le projet de loi C-27 est adopté, qui aura la responsabilité de sa mise en œuvre et d'où viendront les fonds nécessaires? Savez-vous s'ils seront pris dans les budgets que le ministère des Affaires autochtones alloue normalement à l'éducation, à la santé et au logement? Savez-vous si on va aller grignoter ces budgets? Et avez-vous une idée de la façon dont le projet de loi va être mis en œuvre, une fois qu'il aura été adopté?

Normalement, quand un projet de loi est adopté, il y a un budget et des ressources qui accompagnent sa mise en œuvre. Comment va-t-il être financé? Comment va-t-on en assurer l'exécution? Le ministère des Affaires autochtones vous a-t-il fait savoir qu'il allait assumer les coûts de mise en œuvre de ce projet de loi? En avez-vous une idée?

M. Craig : Je vais essayer de vous répondre. J'ai un peu l'expérience de ce genre de chose car, lorsque des membres de bandes nous envoient des documents confidentiels, nous devons les photocopier, les scanner, les enregistrer dans l'ordinateur et les télécharger sur notre site. Pour mettre en ligne les informations d'une communauté, ça ne prend guère que 10 ou 15 minutes. Ce n'est pas grand-chose. Pour les 600 communautés du Canada, ça ne prendrait donc pas beaucoup de temps et de personnel. À mon avis, en tout cas.

La sénatrice Dyck : À condition d'avoir un site web.

M. Swain : Que je sache, certaines ententes de contribution signées avec différents ministères prévoient déjà le financement des vérifications et de ces documents financiers. Je suppose que les communautés des Premières nations auraient simplement à demander l'inclusion de ce genre de modalité dans leur entente de contribution ou dans leur entente tout court.

Le sénateur Watt : C'est ce que je pense. Mais ça signifie que ça va diminuer d'autant les budgets normalement alloués aux services sociaux, à l'éducation et aux services de santé. Je veux dire par là qu'il n'y a qu'un seul gâteau, et qu'on prend à l'un pour donner à l'autre.

Je vous mets simplement en garde; vous recevrez peut-être l'argent que vous demandez, mais les financements qui sont alloués à votre communauté ne seront peut-être plus les mêmes. C'est une possibilité.

Mme Sutherland : J'aimerais ajouter quelque chose au sujet de notre communauté. Nous payons déjà pour toutes sortes de sites Web parrainés par notre bande, par conséquent le téléchargement de ces documents ne devrait pas représenter un coût supplémentaire. Toutes les informations jugées positives y sont affichées.

Le sénateur Watt : Il ne s'agit pas seulement de télécharger les informations que vous voulez consulter, il y a aussi les préposés à qui il faudra demander d'administrer tout ça, dans un bureau.

M. Craig : Il y a une solution encore plus simple, à laquelle je n'ai pas pensé tout de suite. Les vérificateurs envoient ces informations aux bandes par courrier électronique. Il leur suffit donc de les charger sur leur site. Comme l'a dit Mme Sutherland, beaucoup de communautés ont déjà des sites web. Même si elles n'en ont pas, ça prend 10 minutes sur Internet pour en obtenir un gratuitement. Ça n'est donc pas une tâche considérable, loin de là, de charger ces informations sur un site. En tout cas, ça ne l'est pas pour le gouvernement fédéral, puisqu'il a déjà un site intitulé Profils des Premières nations pour toutes les communautés du Canada.

La sénatrice Raine : L'article 9 prévoit que les informations doivent être communiquées au ministre, et que celui-ci doit les publier sur le site du ministère dès que possible. Il suffirait d'ajouter un lien vers un site très simple et un lien vers le site web du ministère. Elles seraient là et facilement accessibles.

Le président : Ce n'est pas la question. Merci beaucoup.

La sénatrice Raine : Nous sommes ici pour essayer de trouver des solutions.

Le président : Oui, bien sûr. C'est bon à savoir. Je pensais aussi au coût du travail, mais ça n'est pas un facteur ici.

La sénatrice Dyck : J'aimerais poser une question supplémentaire à ce que vient de dire le sénateur Watt au sujet des coûts. Nous savons tous que certains conseils de bandes ne publieront pas leurs informations; dans ces cas-là, le projet de loi permettra à un membre de poursuivre le chef et le conseil devant les tribunaux pour les obliger à publier ces informations. Mais qui va payer pour cette procédure?

M. Swain : Le Congrès des peuples autochtones s'est adressé aux tribunaux de nombreuses fois, notamment pour l'affaire Daniels, qui nous a coûté plus de deux millions de dollars, et l'affaire Corbière, afin d'obtenir le droit de voter dans nos propres communautés. Si les dirigeants refusent de publier les informations que leurs membres réclament, ce sera à chacun d'entre eux d'intenter des poursuites. Il faut faire appliquer le principe de la reddition de comptes. Les membres réclament une obligation redditionnelle accrue et une plus grande transparence pour savoir ce qui se passe et avoir accès à ces informations. Un système d'autonomie gouvernementale qui empêche ses membres d'avoir accès à ces informations est un système déficient.

La sénatrice Dyck : Vous avez répondu à ma question. Donc, selon vous, c'est chaque membre qui doit payer, c'est bien ça?

M. Swain : En tout cas, c'est comme ça que ça se passe maintenant. Ce sont nos membres et nos communautés qui font ce travail.

La sénatrice Dyck : Nous avons compris.

Madame Sutherland?

Mme Sutherland : J'ai sans doute une opinion un peu différente. J'habite dans une réserve, et compte tenu de ce qui est déjà arrivé, je sais pertinemment que si l'on veut poursuivre le chef et le conseil... vous savez, quand on est dans les petits papiers du chef et du conseil, tout va pour le mieux, on n'a pas de problème. Comme je l'ai déjà dit, quand on est de l'autre bord, vous n'avez pas d'emploi, pas de ressources, et c'est la situation d'un grand nombre de membres, chez nous.

Je l'ai déjà signalé au ministère à plusieurs reprises, car c'est une situation qui devrait les préoccuper. Quand des membres ordinaires veulent poursuivre leur chef et leur conseil devant les tribunaux, ça coûte des millions de dollars. Je parle des membres ordinaires qui n'ont pas leur mot à dire.

La sénatrice Dyck : Je vous remercie de votre réponse.

Le président : Merci beaucoup à tous, notamment à Mme Sutherland d'être venue ce soir. Je sais que vous ne représentez aucune organisation, que vous avez comparu à titre personnel, pour nous parler de l'impact de ce projet de loi sur vous et sur votre communauté. Je vous en remercie.

Merci à vous aussi, monsieur Swain et monsieur Craig, sans oublier, bien entendu,tous les membres du comité.

(La séance est levée.)


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