Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 33 - Témoignages du 5 mars 2013
OTTAWA, le mardi 5 mars 2013
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui a été saisi du projet de loi C-27, Loi visant à accroître l'obligation redditionnelle et la transparence des Premières Nations en matière financière, s'est réuni aujourd'hui, à 9 h 32, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, joignez-vous à moi pour souhaiter la bienvenue à nos premiers témoins. Nous entendrons d'abord les représentants de l'Assemblée des Premières Nations, Jody Wilson-Raybould, chef régionale, Colombie-Britannique, et Karen Campbell, analyste principale des politiques. Elles sont accompagnées d'une représentante du mouvement Idle No More, Charlene Desrochers, avocate et procureure.
Mesdames, nous allons d'abord écouter vos exposés, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Mais auparavant, si vous me le permettez, je vais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par la vice- présidente du comité, à ma gauche.
La sénatrice Dyck : Je suis la sénatrice Lillian Dyck, de la Saskatchewan.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Watt : Sénateur Watt, du Nunavik.
[Français]
Le sénateur Demers : Sénateur Jacques Demers, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le président : Je m'appelle Vern White, et je suis le président du comité.
Veuillez commencer votre déclaration, madame Wilson-Raybould.
Jody Wilson-Raybould, chef régionale, Colombie-Britannique, Assemblée des Premières Nations : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis heureuse de comparaître devant vous au sujet du projet de loi C-27. Je m'appelle Jody Wilson-Raybould. Mon nom traditionnel est Puglaas. Je suis membre du peuple Musgamaw-Tsawateneuk et Laich- Kwil-Tach, du nord de l'île Vancouver. Je vis avec mon mari dans ma communauté de Cape Mudge. Je suis également membre du conseil de ma communauté. Je témoigne devant vous aujourd'hui à titre de chef régionale pour la Colombie-Britannique et au nom de l'Assemblée des Premières Nations en ma qualité de responsable de la gouvernance des Premières nations.
J'ai comparu au sujet du projet de loi C-27 devant le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes le 17 octobre 2012. Certaines modifications mineures ont été apportées au projet de loi, mais en gros, il est encore dans la même forme qu'en ce moment. Nos préoccupations fondamentales à l'égard du projet de loi demeurent les mêmes, tant pour ce qui est du fond et de la méthode par laquelle il a été élaboré. Certaines des modifications apportées visaient à corriger des problèmes créés par le projet de loi pour ce qui est de mettre en place des normes différentes pour les Premières nations que pour les autres gouvernements du Canada, mais, ironiquement, ces changements ne font qu'appuyer notre argument selon lequel le projet de loi a été mal conçu au départ, qu'il est simpliste et que sa portée est trop grande. L'APN a constamment déclaré que le projet de loi C-27 est une mesure législative mal avisée qui se fonde sur une relation détraquée entre le gouvernement du Canada et les Premières nations, une relation encore caractérisée par le directivisme fédéral, son ingérence et ses règles imposées aux gouvernements des Premières nations. Voici notre message commun à l'égard de l'approche générale du gouvernement fédéral afin de corriger les lacunes au chapitre de la gouvernance issues de la Loi sur les Indiens au moyen de mesures législatives.
D'après l'approche du Canada, telle qu'on la trouve dans le projet de loi C-27 et des projets de loi comme S-2 et S-8, le gouvernement fédéral a le droit, la responsabilité, en fait, d'établir les politiques et de rédiger les lois qui touchent nos peuples dans les domaines que le gouvernement estime être dans notre intérêt, et ce, en ne tenant que peu ou pas de consultation. Le gouvernement persiste à utiliser cette approche en dépit de la portée générale de notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Le gouvernement du Canada fait valoir que ce projet de loi, comme les autres, est avantageux pour nous, pour nos citoyens et pour tout le pays. Le projet de loi C-27 vise à accroître la transparence et la reddition de comptes, et le gouvernement dit que personne ne saurait s'opposer à un tel objectif.
La perspective des Premières nations, telle qu'elle se traduit dans notre approche pour rebâtir la nation, est bien différente de celle du Canada. Nous estimons que notre peuple a le droit, mais surtout, la responsabilité d'élaborer ses propres politiques et ses propres lois pour régir ses terres et ses membres.
Comme l'ont déclaré bien des témoins devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat, le projet de loi C-27 n'est pas la solution pour favoriser ou améliorer la reddition de comptes. Il ne prévoit pas l'élaboration de normes ou les capacités nécessaires pour assurer une bonne gestion financière, et il ne tient aucun compte du travail que nos nations ont fait pour mettre en place des lois en matière d'administration financière, de bonnes structures, des mécanismes de soutien et des méthodes.
Il est certain que les chefs des Premières nations ont tout à fait à cœur d'assurer la transparence et la reddition de comptes à l'égard de leurs citoyens et qu'ils appuient ces principes. C'est ce que réclament nos citoyens. Le mouvement Idle No More ne vise pas seulement à demander des comptes au gouvernement du Canada à l'égard du fléau qui afflige nos membres, mais aussi à exiger des comptes de nos propres gouvernements. En 2010, l'assemblée des chefs a adopté une résolution pour demander aux gouvernements des Premières nations de rendre des comptes. Cette résolution affirme leur engagement à appliquer des processus de prise de décision transparents et responsables et confirme que c'est à leurs citoyens, et non au gouvernement du Canada, qu'ils doivent d'abord rendre des comptes. Contrairement à ce qu'ont dit les représentants du gouvernement fédéral, cette résolution ne sous-entend pas un appui au projet de loi C-27. La transparence financière et la reddition de comptes s'inscrivent dans un cadre bien plus vaste de responsabilités qui fait partie de notre programme de reconstruction des Premières nations. Toutefois, toutes les lois fédérales relatives aux intérêts des Premières nations, y compris le projet de loi C-27, doivent appuyer ce programme et notre transition de ce qui est en fait la tutelle de l'État, aux termes de la Loi sur les Indiens, vers l'autonomie gouvernementale assortie de la responsabilité d'avoir une bonne gouvernance, notamment de concevoir, de mettre en place et d'appliquer nos propres mécanismes de reddition de comptes.
Nous ne sommes pas naïfs, nous qui vivons dans les réserves et comprenons les difficultés de la reconstruction. Ce n'est pas une mince affaire de revenir sur 150 ans de colonisation pour rebâtir nos peuples. La vérité, c'est que nous avons tous la responsabilité de travailler de concert et de trouver des solutions pour faciliter cette transition, au lieu de nous contenter de dire que la tâche est trop ardue ou que nous avons essayé, pour ensuite prétexter que le gouvernement s'occupe actuellement à concevoir nos structures de gouvernance pour nous après l'application de la Loi sur les Indiens. Comme je l'ai déjà dit, c'est du néo-colonialisme et un mauvais usage du pouvoir législatif fédéral, qui continueront de mettre en péril la relation qui existe entre le gouvernement du Canada et nos nations.
Quand nous avons discuté de la transition après l'abolition de la Loi sur les Indiens lors de notre rencontre du 11 janvier avec le premier ministre, celui-ci a réagi aux critiques que nous faisions concernant les mesures prises par son gouvernement en mettant au défi nos dirigeants de présenter des solutions. L'une des solutions, une option, c'est le projet de loi S-212, Loi prévoyant la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, qui a été présenté par l'ancien président de votre comité, le sénateur St. Germain, à la fin de l'année dernière. Ce projet de loi est un mécanisme qui pourrait faciliter une nouvelle relation. Mon collègue Terry Goodtrack, président de l'AAFA, a présenté un témoignage semblable la semaine dernière au sujet de la relation entre le gouvernement du Canada et les Premières nations. Plus précisément, il a parlé de la relation financière.
C'est également ce qu'a fait un autre collègue, Harold Calla, président du Conseil de gestion financière, un conseil issu d'une autre solution proposée par les Premières nations. La Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations reconnaît le pouvoir des Premières nations d'adopter des lois sur l'administration financière. Aux termes de la norme du CGFPN, une loi sur l'administration financière peut corriger tous les problèmes stratégiques importants, comme le projet de loi C-27, mais elle ne contient pas les dispositions régressives qui accordent au ministre le pouvoir de publier les documents internes d'une Première nation ni le pouvoir de prendre des recours administratifs et judiciaires contre les Premières nations qui ne respectent pas les dispositions de la loi.
Comme je l'ai indiqué au comité de la Chambre des communes, dans ma communauté de We Wai Kai, nous avons discuté du projet de loi C-27 — qui était alors le projet de loi C-575 — et nous avons décidé d'adopter une loi en matière d'administration financière aux termes de la LGFSPN. C'est déjà fait. C'est important pour nous, car dans le cadre de la transition, une fois que cesse de s'appliquer la Loi sur les Indiens et au fur et à mesure que notre économie se développe, nos rentrées d'argent augmentent. Il est donc important que nous disposions de solides cadres financiers pour déterminer comment notre communauté établit son budget, dépense l'argent et rend compte de ses dépenses. Notre loi sur l'administration financière va beaucoup plus loin et est beaucoup plus complète que le projet de loi C-27.
De même, tous les accords d'autonomie gouvernementale énoncent qu'une Première nation doit se doter de mesures internes d'administration financière comparables à celles des autres gouvernements au sein de la Confédération. On y indique généralement en outre que les Premières nations doivent appliquer les principes comptables généralement reconnus. Les Premières nations conviennent de fonctionner comme tous les autres gouvernements du Canada, y compris en ce qui a trait au traitement des entités commerciales connexes, mais elles conçoivent leurs propres systèmes. Le projet de loi C-27 traite également de la transparence et de la reddition de comptes envers les citoyens des Premières nations, mais sa portée est plus grande et ses objectifs sont différents. Le fait d'exiger que les documents soient rendus publics sur un site Web d'une Première nation, en plus d'être affichés sur le site Web du ministère, et l'autorisation pour toute personne, pas seulement un membre des Premières nations, de demander à un tribunal d'ordonner la communication des états financiers et des barèmes salariaux, mesures qui sont accompagnées d'une augmentation des pouvoirs exécutoires du ministre, traduisent un objectif supplémentaire et peut-être sous-jacent du projet de loi, notamment des examens publics plus rigoureux et une surveillance et un contrôle accrus du gouvernement fédéral.
Comme vous l'ont dit précédemment d'autres témoins, les Premières nations doivent déjà présenter des rapports sur les domaines visés par ce projet de loi par le truchement de leurs accords de financement avec le gouvernement fédéral. L'obligation législative de communiquer le barème des salaires, y compris dans les entités connexes, va trop loin. En fait, ce n'est là qu'un aspect de la relation entre nos entités commerciales et notre gouvernement, une relation bien plus complexe et plus profonde que la simple divulgation des salaires versés aux chefs et aux conseils — plus précisément, comment les décisions sont prises, quels types d'activité économique la nation entreprend et quelle est sa tolérance au risque si elle garantit une entreprise.
Bref, les gouvernements des Premières nations et leurs entités connexes devraient rendre des comptes sur leurs finances d'une façon comparable aux autres gouvernements et à leurs entités au Canada, mais aux termes de nos propres lois. Dans cet esprit, le projet de loi C-27 devrait donc contenir, en plus de l'exemption applicable aux Premières nations autonomes, une autre exemption pour les Premières nations qui ont adopté une loi sur son administration financière aux termes de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations.
Avant de conclure, je souhaite indiquer clairement que l'Assemblée des Premières Nations et les gouvernements des Premières nations n'ont pas eu leur mot à dire dans l'élaboration de ce projet de loi. Le gouvernement du Canada a l'obligation de consulter, et il est bien malheureux qu'il n'existe pas de mécanismes clairs et convenus par les parties pour garantir la participation des Premières nations. L'APN approuve les demandes faites par d'honorables sénateurs et des témoins antérieurs pour que ce projet de loi soit retiré. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-27 ne fera pas grand-chose dans les faits pour appuyer la reddition de comptes véritable des Premières nations ou la reconstruction des nations. Il imposera tout simplement des règles fédérales à nos gouvernements. En outre, il est fort possible qu'il y ait des contestations judiciaires si le gouvernement fédéral continue d'imposer aux Premières nations des mesures législatives sans avoir tenu de vraies consultations.
Il faudrait appuyer la reddition de comptes en reconnaissant et en soutenant les efforts de nos gouvernements pour rebâtir leurs institutions et se doter de politiques et de pratiques financières. Les législateurs devraient se concentrer sur des mécanismes visant à augmenter les possibilités pour les Premières nations de concevoir et de mettre en œuvre leurs propres structures de gouvernance, y compris des cadres de reddition de comptes, afin qu'ils puissent rebâtir leur avenir au sein du Canada plutôt que de recevoir leurs lois d'une entité supérieure. Le chef Roland Twinnn vous a expliqué comment la Première nation de Sawridge a élaboré sa propre constitution et mis en œuvre son droit à l'autonomie gouvernementale. Le gouvernement du Canada ne reconnaît pas ce travail. Ce n'est qu'un exemple d'efforts réels et tangibles menés par une Première nation, à la demande de ses citoyens, qui sont contrecarrés par le gouvernement du Canada.
Bien qu'il ne soit pas encore dans sa version finale, le projet de loi S-212 est une possibilité qui doit être examinée soigneusement. À mon avis, ce projet de loi pourrait présenter une bonne façon d'exercer les pouvoirs législatifs de l'État — une façon qui appuie et permet l'autodétermination de nos nations au moyen de la reconnaissance, de la réconciliation et du consentement préalable et éclairé de nos citoyens.
Les solutions qui donnent de bons résultats, et nous faisons des progrès dans différents domaines, ce sont celles que nous avons trouvées en collaborant et en créant l'espace et les outils dont les communautés ont besoin pour se rebâtir et franchir le seuil du postcolonialisme. Le gouvernement a le choix et la possibilité de travailler avec nous à l'élaboration de solutions plutôt que de nous imposer les siennes. Autrement, bon nombre de nos nations ne seront jamais vraiment en mesure de franchir ce seuil.
Le président : Mme Campbell souhaite-t-elle également prendre la parole? Elle est ici pour répondre aux questions. Merci.
Charlene Desrochers, avocate et procureure, Idle No More : Bonjour. J'espère que tout le monde est en forme. Je me remets d'une pharyngite aiguë et ma voix est encore un peu rauque. Si vous souhaitez que je parle plus fort, dites-le- moi.
Je remercie le peuple algonquin sur les terres duquel nous nous réunissons aujourd'hui. Plus particulièrement, je remercie Dieu de me donner la possibilité de prendre la parole au nom des fondateurs du mouvement Idle No More : Sheelah McLean, Nina Wilson, Sylvia McAdam et Jessica Gordon, qui ne pouvaient pas comparaître devant vous aujourd'hui pour diverses raisons.
Je suis une femme francophone crie du Nord de l'Ontario. Je suis membre de la Première nation de Constance Lake. J'ai grandi dans le Nord de l'Ontario aux alentours de Longlac, qui est situé à peu près à 300 kilomètres au nord-est de Thunder Bay. Je suis infirmière autorisée et avocate. J'ai acquis toute mon expérience dans les domaines du droit et de la santé auprès des Premières nations, à l'intérieur et à l'extérieur des réserves, dans des régions urbaines, rurales et éloignées, ainsi que dans des Premières nations accessibles uniquement par avion. J'ai travaillé à peu près dans tous les dossiers qui touchent aujourd'hui les Premières nations. Je suis en outre titulaire d'une maîtrise en droit du programme des lois et politiques des peuples autochtones de l'Université de l'Arizona, que j'ai fréquentée grâce à une bourse d'études du Programme Fulbright Canada-États-Unis.
J'ai examiné le projet de loi C-27 et j'ai écouté certains des témoignages qui ont été présentés la semaine dernière. Je ne vais pas me lancer dans une analyse approfondie du projet de loi, car différentes personnes l'ont fait avant moi. J'ai des observations à faire au nom du mouvement Idle No More. Ce sont des observations de base, parce que tout le monde a déjà discuté des enjeux.
Le projet de loi C-27 exige que plus de 630 chefs et conseils assujettis à la Loi sur les Indiens rendent publics les salaires, les dépenses et les données financières des bandes, y compris l'information des entreprises appartenant aux Premières nations qui ne sont pas exploitées au moyen des deniers publics. Je comprends que l'une des raisons qui sous- tendent cette mesure, c'est que l'on veut corriger le fait que certains chefs refusent de communiquer l'information financière de leur bande aux membres de celle-ci. Je tiens à indiquer officiellement qu'il y a effectivement des chefs qui refusent de le faire, mais ils sont très rares et ils ne sont pas représentatifs de nos dirigeants en général. Tout comme les non-Autochtones, les citoyens des Premières nations ne sont pas parfaits, et on ne devrait pas nous imposer des normes de responsabilité plus élevées à cause de notre race. Le problème, c'est une Loi sur les Indiens paternaliste, raciste et favorable au génocide, pas les chefs. Pour la plupart, nos chefs sont de bonnes personnes dotées d'intentions honorables, et c'est une insulte à tous les citoyens des Premières nations de les mettre tous dans le même panier raciste, comme on le fait implicitement dans le projet de loi C-27.
Le manque de reddition de comptes et de transparence en matière financière est l'un des nombreux résultats de la situation socio-économique médiocre dans nos collectivités. C'est aussi l'une des nombreuses répercussions intergénérationnelles des pensionnats imposées par la Loi sur les Indiens. Tout comme cette loi, le projet de loi C- 27 ne résoudra ni les répercussions intergénérationnelles des pensionnats indiens ni les problèmes socio-économiques auxquels notre population est confrontée.
Le projet de loi impose aux gouvernements des Premières nations des normes beaucoup plus sévères que celles appliquées aux municipalités, aux provinces et au gouvernement fédéral. Contrairement aux entreprises non autochtones, les entreprises qui appartiennent aux Premières nations seraient tenues, aux termes du projet de loi, de publier des rapports sur leurs recettes et leurs dépenses, ce qui nuirait à leur compétitivité et à leur viabilité. Le projet de loi alourdirait en outre la bureaucratie déjà nécessaire en raison des exigences de reddition de comptes imposées par le gouvernement fédéral aux dirigeants des Premières nations. Les Premières nations doivent déjà fournir à Ottawa plus de 150 rapports financiers chaque année, contrairement aux recommandations du vérificateur général du Canada.
Pour la plupart, les Premières nations n'ont pas la capacité et les ressources nécessaires pour satisfaire aux nouvelles normes en matière de racisme du Canada, qui sont implicitement exprimées dans le projet de loi C-27. Le projet de loi C-27 laisse entendre que tous les chefs et tous les conseils sont corrompus, et c'est une hypothèse raciste démentie par les faits et les statistiques. Statistiquement, la rémunération des chefs et des conseils est moins de la moitié des salaires des députés fédéraux et provinciaux du Canada. Si nous accusons nos chefs et nos conseils de toucher des salaires disproportionnés, c'est pour retourner la population canadienne contre les Premières nations et dissimuler les politiques corrompues des politiciens canadiens qui empiètent sur nos droits inhérents à notre souveraineté, à nos terres et aux ressources.
Le projet de loi C-27 est inconstitutionnel, tout comme le train de mesures législatives dont la Chambre est saisie. Il n'y a pas eu de consultation, et la mesure législative empiète sur notre droit à l'autonomie gouvernementale et à nos droits issus de traités.
Le gouvernement a l'obligation légale de consulter les Premières nations, pas seulement le chef et le conseil — les Premières nations sont plus qu'un chef et un conseil assujettis à la Loi sur les Indiens —, avant d'imposer quelque mesure législative que ce soit à nos citoyens. De toute évidence, ce devoir n'a pas été respecté dans le cas du train de mesures législatives dont la Chambre est saisie.
Les audiences tenues par les comités de la Chambre et du Sénat ne suffisent pas à satisfaire l'obligation du gouvernement de tenir des consultations. On peut en dire autant du partenariat du gouvernement avec l'Assemblée des Premières Nations, le Congrès des peuples autochtones et l'Association des femmes autochtones du Canada. Les droits appartiennent aux citoyens, pas aux chefs et aux conseils. Le chef et le conseil sont membres de la communauté. L'APN, le CPA et l'AFAC ne sont pas les titulaires de ces droits et ne sont aucunement autorisés à se prononcer au nom des citoyens. Les organisations autochtones nationales posent de nombreux problèmes. Elles ne sont ni transparentes ni redevables de comptes aux citoyens.
Les entreprises des Premières nations qui ne sont pas financées par les deniers publics ont aussi le droit à la protection de leurs renseignements, ce qui inclut la protection de leurs dossiers commerciaux privés contre leurs concurrents. Le projet de loi C-27 enfreint leur droit à la protection de leurs renseignements.
La reddition de comptes et la transparence en matière financière est un problème qui relève de la gouvernance des Premières nations et qui exige de trouver un juste équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. Les droits collectifs des Premières nations sont protégés aux termes de l'article 35 de la Constitution, et dans la plupart des cas, ces droits ont préséance sur les droits individuels. Ce n'est pas au gouvernement de trouver pour nous cet équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. C'est la collectivité qui doit décider, au moyen d'un mécanisme honorable de résolution des différends internes, si un droit individuel a priorité sur les droits collectifs.
La loi raciste sur les Indiens et l'ère des pensionnats autochtones sont la cause de la situation socio-économique médiocre qui sévit dans bon nombre de nos collectivités. Nous devons également étudier et corriger les répercussions intergénérationnelles des pensionnats indiens. Ces répercussions comprennent la cupidité, l'égoïsme, la violence, la pauvreté, la dépendance à l'alcool et aux drogues, entre autres choses. Mais nous avons aussi de très bons citoyens. Tous ces problèmes découlent de la Loi sur les Indiens. En modifiant la Loi sur les Indiens au moyen de mesures hétéroclites, on ne fera que perpétuer les répercussions des pensionnats indiens. Cette loi ne fera rien du tout pour améliorer la gouvernance dans nos collectivités.
Il a été prouvé que l'autonomie gouvernementale améliore la situation socio-économique des Premières nations. La solution, c'est de rétablir notre structure traditionnelle de gouvernance grâce à l'autonomie gouvernementale. Au lieu de nous imposer unilatéralement des mesures législatives, vous devriez travailler de concert avec les Premières nations. J'ai de nombreuses recommandations à proposer si le gouvernement veut vraiment aider les Premières nations à améliorer leur sort.
La première de ces recommandations, c'est que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent accepter et reconnaître que les Premières nations constituent un autre ordre de gouvernement et des nations. Nous sommes des nations. Nous ne sommes pas 630 petites collectivités; nous sommes des nations. Je suis membre de la Nation crie. Il n'y a pas de bonnes raisons en 2013 de nier ce fait, si ce n'est le racisme, la cupidité et la haine. Les citoyens des Premières nations souffrent, et le gouvernement a le devoir de traiter tous les citoyens avec dignité et respect. Les Premières nations en méritent autant.
Il faut laisser mourir au Feuilleton le projet de loi C-27 et le train de mesures législatives dont la Chambre est saisie qui touchent les droits des citoyens des Premières nations. Vous pouvez également abroger les articles du projet de loi omnibus qui touchent les Premières nations. On ne peut pas parler d'autonomie gouvernementale quand c'est une loi fédérale qui délègue l'autonomie gouvernementale aux Premières nations. Ces lois ne reconnaissent pas non plus les Premières nations comme étant des nations et un ordre de gouvernement distinct. Nous n'avons pas besoin de lois qui nous disent comment vivre. Une loi qui vise les « Indiens » est une autre loi sur les Indiens, quel que soit son titre, et la discrimination est la même. La solution, ce sont les accords de nation à nation, et c'est aussi le meilleur moyen de régler les problèmes de gouvernance, dont ceux visés par le projet de loi C-27. Les accords de nation à nation peuvent porter sur tous les domaines, qu'il s'agisse de rétablir les modèles de gouvernance traditionnels pour les arrangements financiers, la reddition de comptes, la transparence, le partage des recettes provenant des ressources, la résolution des différends et l'équilibre entre les droits collectifs et individuels.
Les Premières nations devraient également participer aux négociations fédérales-provinciales de 2014 sur les paiements de transfert pour discuter des problèmes de compétences et participer aux paiements de transfert de nation à nation. En outre, les Premières nations devraient recevoir leur juste part des recettes provenant de l'exploitation des ressources situées sur nos terres.
La situation socio-économique médiocre — logements inadéquats, pauvreté, problèmes de santé et mauvaise éducation — devrait être traitée globalement et simultanément, pas problème par problème. Notre population ne peut pas vraiment se rétablir à moins que tous nos problèmes soient traités dans leur ensemble. Nos enfants ne peuvent pas bien apprendre s'ils vivent dans la pauvreté ou dans des logements insalubres. Corriger les problèmes de l'éducation à eux seuls ne permettra pas de régler les problèmes socio-économiques dans nos foyers. Il faut se pencher sur les compressions dans les services de santé non assurés de même que sur le manque de soins de santé adéquats pour les Premières nations. Nos enfants ne peuvent pas apprendre si leur santé est défaillante ou si leur alimentation est inadéquate.
Notre population a besoin de soins de santé physique, mentale et spirituelle pour se remettre des répercussions intergénérationnelles des pensionnats indiens. Si ces problèmes ne sont pas corrigés, la situation ne pourra pas changer. C'est ce que nous constatons aujourd'hui. Le fardeau que doivent assumer les contribuables ne fera qu'augmenter si ces problèmes ne sont pas réglés maintenant. Le statu quo n'est plus soutenable. Plus nous ferons durer le statu quo, plus il en coûtera pour régler les problèmes.
Voilà ce que j'avais à dire au nom du mouvement Idle No More. Permettez-moi de réagir à l'observation de Jody Wilson-Raybould sur le fait que le projet de loi S-212 est une option viable pour les Premières nations. Je ne suis pas du tout d'accord avec elle. L'APN ne permet pas aux gens de s'exprimer. Nous n'avons pas le droit de voter à l'élection du chef national. L'APN est une organisation non démocratique...
Le président : Excusez-moi, madame Desrochers, mais nous n'avons pas beaucoup de temps ce matin. Si vous souhaitez parler du projet de loi S-212 à un autre moment...
Mme Desrochers : Je n'en parle pas. Tout ce que je dis, c'est que l'APN n'a pas le pouvoir de dire qu'un projet de loi est une option viable.
Le président : Aujourd'hui, nous parlons du projet de loi C-27. Si vous avez terminé vos remarques sur le projet de loi C-27, nous allons permettre aux sénateurs de poser leurs questions.
Le sénateur Munson : Merci d'être venues ce matin.
Je viens d'examiner la liste des témoins que nous avons entendus; il y en a huit qui étaient pour et huit contre, jusqu'à maintenant. Il y en a maintenant neuf contre huit. C'est comme dans une partie de hockey, lorsque Montréal bat Toronto. Et voilà; on a l'élément décisif. Les gens qui ont comparu avant vous nous ont fait des témoignages importants et chargés d'émotion.
Vous avez parlé des Canadiens et de l'image qu'ils ont de toute la procédure du projet de loi C-27. Comment expliquez-vous ce clivage qui existe au sein de la collectivité autochtone elle-même? Parfois, en tant que sénateur, on sort d'ici en se disant : « Mon Dieu, mais c'est tout à fait logique : la transparence et l'ouverture. » La transparence est un terme que l'on entend beaucoup ces derniers temps. Par ailleurs, on a pu entendre votre témoignage convaincant dans lequel vous avez employé les termes « raciste » et « paternaliste ». Comment en êtes-vous arrivée là?
Mme Desrochers : Nos membres commencent à recevoir un bon niveau d'éducation et nous avons le droit de nous attendre à ce que la démocratie soit défendue par quiconque s'exprime en notre nom. S'ils décident de ne pas nous consulter, ils doivent rendre des comptes et être tenus responsables de leurs actes, qu'ils soient bons ou mauvais. Les gens ont le droit de participer à la prise de décision et un grand nombre de nos membres n'ont pas le droit de prendre part aux processus décisionnels de l'APN.
Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question. Je suis certaine que parmi les 17 témoins qui ont comparu devant votre comité, aucun d'entre eux ne s'est exprimé contre les principes de transparence et de reddition de comptes. Je ne veux pas parler pour les autres témoins, mais j'imagine que certains témoins en faveur du projet de loi n'étaient pas autochtones. Cependant, je sais qu'il y a certains membres des Premières nations qui appuient ce projet de loi. Une fois encore, je fais référence aux principes de la transparence et de la reddition de comptes auxquels j'adhère. Il s'agit évidemment d'un aspect d'un régime de gestion financière et budgétaire plus large au sein d'une Première nation que les Premières nations doivent élaborer pour elles-mêmes, d'elles-mêmes, afin que ce régime soit légitime et considéré comme tel par leurs citoyens dans le cadre d'un programme plus large de reconstruction des nations.
Le sénateur Munson : La semaine dernière, l'un des témoins nous a fait un témoignage marquant dans lequel elle nous a parlé, de son point de vue, de la relation abusive qui existe entre le chef et les membres de sa nation, et de l'impossibilité d'avancer quelque argument que ce soit pendant des élections — je pense qu'il doit y avoir davantage de reddition de comptes. Elle nous a également dit qu'elle avait l'impression que le chef gagnera les élections quoi qu'il en soit et que ce projet de loi ne permettrait pas de résoudre le problème. Cependant, pour ce qui est des finances, des salaires et de toute la question de la transparence, c'est impossible. Elle a parlé d'intimidation, et lorsqu'on entend ce genre de témoignage, on se dit que des mesures doivent absolument être prises. Ensuite, on entend le témoignage des nations de l'Alberta qui disent : « Eh bien, nous avons les meilleures pratiques en place ici. Pourquoi n'en apprenez- vous pas de nous plutôt que du gouvernement? » En tant que sénateurs membres de ce comité, parfois nous entendons des messages divergents et nous ne savons pas trop à quel saint nous vouer pour ce qui est de ce projet de loi.
Mme Desrochers : Je pense qu'il faut rétablir notre mode de gouvernance traditionnel. Nos modes de gouvernance traditionnels n'étaient pas fondés sur la Loi sur les Indiens. La Loi sur les Indiens est le problème. Tant que cette loi restera en place, le statu quo sera maintenu. Le gouvernement fédéral cherche à allonger les mandats des chefs et des conseils en vertu de la Loi sur les Indiens. Cela ne résoudra pas les problèmes que vous venez de mentionner concernant l'absence de transparence, car ces problèmes sont réels. Ils sont rares et isolés. Il y a des clients qui m'appellent pour se plaindre qu'ils ne parviennent pas à obtenir des documents de leur chef et de leur conseil. J'ai aussi travaillé pour un chef et un conseil, alors je connais ces problèmes. Le problème, c'est la Loi sur les Indiens. Cette loi doit être abrogée, et ce, par l'entremise d'accords de nation à nation. Des accords de nation à nation nous reconnaîtront comme des nations souveraines et nous permettront de reconstruire nos nations. Avec tous les problèmes qu'il y a dans le projet de loi S-212, il n'y a aucune raison pour laquelle on ne peut pas inclure des accords de nation à nation. La loi ne fonctionne pas. Elle est fondée sur un mode de pensée colonial, et le fait de nous imposer des lois coloniales ne nous permettra pas de nous doter d'une saine gouvernance et de reconstruire nos nations. Ces lois vont continuer à nous coloniser davantage et à perpétuer les répercussions intergénérationnelles des pensionnats.
Mme Wilson-Raybould : Pour répondre à cette question, sénateur, concernant le témoignage du représentant de la Première nation de Peguis, il s'agissait d'un point de vue d'un témoin sur une collectivité particulière du pays. Dans la majorité des Première nations du pays, nous sommes totalement transparents et rendons des comptes. Nous avons un bon leadership et sommes à l'écoute de nos citoyens. Pour ce qui est de fournir des états financiers d'une Première nation ou de fournir les salaires du chef et des membres du conseil de bande, c'est quelque chose que le ministre est en mesure de fournir en ce moment, ou qu'il est en mesure d'obliger les Premières nations à fournir aux citoyens. À la lumière du témoignage de l'ancien ministre, je reconnais que ces demandes qui lui sont acheminées sont peu nombreuses, mais il a certainement, à l'heure actuelle, la capacité de fournir ces documents aux citoyens de nos nations. Je dirais que le nombre de demandes s'élevait à environ 250 par année, et compte tenu du nombre de citoyens partout au pays, c'est assez minime. Cependant, je pense qu'il est dangereux de dépeindre un tableau global pour toutes les Premières nations du pays en faisant référence aux circonstances particulièrement complexes d'une seule collectivité.
Le sénateur Munson : Très rapidement, parce que bien d'autres sénateurs veulent poser des questions, je ne peux pas croire que nous sommes allés aussi loin dans ce processus sans que votre participation n'ait été sollicitée dans le cadre de ce projet de loi, à aucun moment. Pourtant, nous sommes vers la fin du processus. C'est la majorité qui décide. Ce projet de loi sera adopté. Le contesterez-vous devant les tribunaux?
Mme Wilson-Raybould : La décision de le contester devant les tribunaux reviendra aux Premières nations ou aux citoyens. Pour ce qui est de la consultation, comme je l'ai dit dans ma déclaration, nous n'avons pas été consultés en ce qui a trait à l'élaboration de ce projet de loi. Je pense qu'il y a là une occasion, pourtant, d'examiner comment les politiques sont élaborées au sein du ministère. Comme je l'ai déjà dit, c'est une occasion en or pour nous permettre d'envisager l'élaboration conjointe de politiques ou la possibilité d'examiner ces questions dès le départ. Si cela avait été le cas, on aurait tenu compte du fait que les Premières nations vont élaborer et mettre en œuvre des mécanismes et des systèmes de transparence financière complets et concrets, que ce soit au moyen de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations ou l'adoption et la certification de lois en matière d'administration financière.
Il est certain que nos chefs et leurs assemblées ont leurs propres opinions. L'APN n'est pas un gouvernement, mais elle appuie certainement notre leadership et notre collaboration. Notre leadership s'est rassemblé et s'est doté de mesures en matière de transparence financière et de reddition de comptes au moyen d'une résolution qui a été adoptée en 2010. Nous avons comparu devant d'honorables comités comme le vôtre et celui de la Chambre des communes, et nous allons continuer à le faire afin de présenter notre perspective sur différents projets de loi proposés. Ultimement, la situation idéale serait cependant que les Premières nations et nos partenaires de la Couronne se lancent dans l'élaboration conjointe de politiques et examinent la possibilité de mettre en place des mécanismes qui peuvent appuyer ce processus.
Mme Desrochers : J'aimerais simplement répondre à l'élaboration conjointe de politiques. L'élaboration conjointe de politiques est convenable, mais si c'est un processus qui est mis au point par les acteurs actuels du système, comme le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'Assemblée des Premières Nations, le CPA et l'AFAC. On maintiendra le statu quo, car ces organisations ne consultent pas le peuple. Affaires indiennes ne consulte pas les Autochtones. C'est un processus antidémocratique. Les gens qui sont sur le terrain ne sont pas consultés, et c'est là que le bât blesse. C'est ce que créent ces problèmes. C'est la raison pour laquelle le mouvement Idle No More a vu le jour. Les gens ne sont pas consultés. Ils ne sont pas respectés. Ils ont le droit de participer à la prise de décision dans le cadre de l'élaboration conjointe de politiques. Le statu quo ne fonctionne pas. Le ministère des Affaires indiennes est une organisation incompétente. C'est un gaspillage d'argent des contribuables, tout comme l'Assemblée des Premières Nations, le CPA et l'AFAC sous leur forme actuelle. Il s'agit de fonds qui sont détournés des gens des collectivités qui en ont besoin.
Le président : Excusez-moi, si je puis me permettre. Il y a beaucoup de gens qui veulent poser des questions. Bien que je comprenne que vous ayez vos propres opinions sur les services fournis par un certain nombre de groupes différents, nous tenons vraiment à nous concentrer sur le projet de loi C-27 et nous vous invitons à cibler vos réponses sur ce projet de loi. Je demanderais au sénateur Patterson de poser la prochaine question, s'il vous plaît.
Le sénateur Patterson : J'aimerais réagir aux observations réfléchies de la chef Wilson-Raybould. Selon moi, le projet de loi C-27 est une approche progressive qui vise à régler un problème réel, bien que ce soit dans une minorité de bandes. Nous avons entendu des témoignages très convaincants de témoins courageux qui sont venus comparaître. Il y a aussi lieu de croire qu'un climat d'intimidation ait empêché d'autres témoins de venir comparaître.
Je suis très encouragé par vos propos selon lesquels on cherche à faciliter l'établissement d'une nouvelle relation depuis le mois de janvier. Je suis entièrement en faveur de cela. Je pense que nous devrions envisager de moderniser les traités. Je pense que la question du partage des revenus provenant de l'exploitation des ressources doit être réglée, comme on l'a fait dans le Grand Nord.
Madame, vous avez parlé du travail remarquable que votre bande a réalisé pour élaborer des lois sur l'administration financière, je pense que c'est ainsi qu'on les appelle, en vertu de la LGFSPN. Le projet de loi C-27 n'empêchera pas ce genre de mesures de voir le jour; ce n'est jamais arrivé et cela n'arrivera jamais. Vous avez laissé entendre que le régime en place dans votre bande va bien plus loin que le projet de loi C-27. Plutôt que de suggérer de déposer le projet de loi C-27 ou d'exempter votre bande et d'autres du projet de loi C-27, ce que vous avez fait ne signifie-t-il pas que votre bande pourrait facilement répondre aux exigences établies par le projet de loi C-27? Vous allez déjà plus loin que ce qu'exige le projet de loi C-27 en matière de divulgation. Pourquoi le projet de loi C-27 est-il une menace?
Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question, sénateur Patterson. Je conviens qu'il y a eu un grand nombre d'initiatives et de possibilités qui ont été proposées par les collectivités des Premières nations ainsi que les citoyens, des solutions permettant de se diriger progressivement vers l'autonomie gouvernementale. L'une de ces solutions consiste à élaborer une loi financière et administrative et à l'annexer à la LGFSPN. Une autre solution progressive consiste à l'annexer à la Loi sur la gestion des terres des premières nations et à d'autres mécanismes pour permettre aux Premières nations d'avoir un certain contrôle de leur gouvernance.
Pour ce qui est du projet de loi C-27 et de la réalité de ma collectivité, oui, nous avons une loi sur l'administration financière. En effet, nous répondons aux exigences fixées par les dispositions du projet de loi C-27 pour ce qui est de la transparence et de la reddition de comptes.
Cependant, il y a différentes normes — qui ont été présentées au comité, je pense — énoncées par le Conseil de gestion financière, les normes les plus complètes auxquelles nous nous conformons pour ce qui est du régime de gestion financière plus large au sein d'une collectivité des Premières nations. Bien évidemment, cela permet d'assurer la transparence et la reddition de comptes. Cela permet aussi de rendre compte du budget et des dépenses et de la comptabilité qui y est associée.
Je reconnais le bien-fondé de vos observations lorsque vous dites que nous devons appuyer une nouvelle relation, moderniser les traités et reconnaître que nous devons nous doter d'un cadre d'accès au partage des revenus découlant de l'exploitation des ressources. C'est une solution que nous cherchons à mettre en place, comme c'est le cas dans le Nord.
Pour ce qui est du projet de loi C-27, j'ai lu un certain nombre de transcriptions de témoignages dans lesquelles on présentait les obstacles à l'obtention de renseignements concernant l'administration. C'est une réalité. C'est une petite réalité dans nos collectivités. À mon avis, il est peut-être un peu exagéré de proposer et d'adopter une loi nationale en réaction à cette préoccupation qui ne touche qu'une minorité de Premières nations. Cela revient à utiliser une masse pour enfoncer un clou.
Pour ce qui est de la relation dans son ensemble, le plus important, c'est la façon dont les parlementaires peuvent collaborer avec nos nations, en appuyant leur reconstruction et en les appuyant lorsqu'elles se sont dotées de la capacité d'élaborer leur propre système d'administration financière. Ce faisant, elles n'avaient plus à s'assurer de la conformité à une loi nationale ou à se détourner des dispositions prévues par nos propres lois afin de s'assurer de la conformité ou à vérifier qu'il n'y a pas d'éléments contradictoires en ce qui a trait à ces deux lois.
Il faut tenir compte de ce que font nos Premières nations et de ce que les citoyens demandent réellement et réalisent dans leur propre collectivité. Je pense que c'est une meilleure approche plutôt que de déposer une mesure législative qui vise toutes les Premières nations. Il serait préférable d'appuyer ce que les collectivités font réellement, sur le terrain, pour accroître la gouvernance et aller au-delà de la Loi sur les Indiens.
La sénatrice Dyck : Merci de votre exposé de ce matin. Ma première question portera sur le nombre de Premières nations qui sont soi-disant non conformes. Le sénateur Munson a dit que, parmi les témoins que nous avons entendu jusqu'à maintenant, environ la moitié était en faveur du projet de loi et l'autre moitié ne l'était pas. Cependant, en tant que comité de direction, nous avons pris la décision d'avoir un équilibre parmi nos témoins pour que la moitié qui comparaît soit en faveur et l'autre pas. Cela ne reflète donc pas nécessairement ce qui se passe réellement d'un bout à l'autre du pays.
Qui sait quels sont les véritables chiffres? Nous avons entendu des témoins du ministère. Nous avons entendu des témoins de la Fédération canadienne des contribuables. Ils citent tous ces chiffres relativement aux Premières nations qui sont non conformes, mais aucun témoin jusqu'à maintenant n'a les véritables chiffres. Personne ne nous a en fait dit qui est conforme et qui ne l'est pas. À votre connaissance, quelqu'un dispose-t-il de ces chiffres? Quelqu'un a-t-il une liste indiquant combien de Premières nations ne sont pas conformes?
Mme Desrochers : Je ne le crois pas. Je ne pense pas que quelqu'un dispose de chiffres exacts sur ces questions. Toutefois, je peux dire qu'il y a des personnes qui craignent de soulever ces questions et qu'il y a un manque de ressources financières pour embaucher les conseillers juridiques afin d'obtenir une divulgation financière. C'est un problème important qui empêche les gens de soulever les problèmes. Toutefois, je pense qu'il faut commencer à dire aux gens qu'ils peuvent demander aux tribunaux un remboursement à l'avance des frais juridiques afin de déposer une motion pour la divulgation financière auprès de leur chef et du conseil de bande s'ils ne reçoivent pas l'information demandée. Je pense qu'il s'agit d'instruire les gens sur les possibilités qui s'offrent à eux. Si le chef et le conseil veulent enfreindre les droits de la personne, il faut alors exiger des comptes. Il faut déposer une requête devant les tribunaux et chercher à se faire payer les droits juridiques à l'avance et à se faire rembourser les frais d'avocat.
Il faut exiger qu'ils rendent des comptes. Mais je dois dire que ces chefs ne sont pas représentatifs de tous les chefs. Il ne faut pas mettre tous nos dirigeants dans le même panier.
Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de la question et de la réponse. Je reconnais que certains témoins ont été critiques de leur gouvernement et qu'ils ont eu de la difficulté à obtenir de l'information. Bien sûr, il faudrait songer à établir une liste des Premières nations qui sont soi-disant non conformes. Toutefois, ce qui importe plus, relativement aux Premières nations de la Colombie-Britannique que je représente et à celles d'un bout à l'autre du pays, c'est de faire une analyse des actions des Premières nations sur le terrain pour améliorer leur situation et aller au-delà de la Loi sur les Indiens, y compris ce qu'elles ont fait pour établir de nouvelles lois sur la transparence et la reddition de comptes et relativement à des régimes élargis de gestion financière, ainsi que ce qu'elles ont réalisé dans d'autres domaines. Il est très utile d'examiner ce que les collectivités des Premières nations font réellement car nous pouvons ainsi recenser l'immense progrès qu'elles ont réalisé en matière de gouvernance et de réforme de la gouvernance. En déterminant ce que font les collectivités, cela permet à d'autres Premières nations de voir ce qui a été fait, et c'est très utile. C'est ce que nous avons essayé de faire et que nous avons réussi à faire en Colombie-Britannique, et je sais que d'un bout à l'autre du Canada, ces efforts sont faits également. Il y a de nombreux avantages à prendre exemple sur les réussites d'autres Premières nations.
La sénatrice Dyck : Ma deuxième question fait suite à une autre question. Chef Raybould, vous avez dit que le ministre, en ce moment même, peut fournir l'information dont ont besoin les membres de la bande sans avoir recours au projet de loi C-27. Pourquoi alors déposer ce projet de loi? Dans une certaine mesure, il se pourrait que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord ait en fait créé un problème pour les membres de la bande parce qu'ils ne fournissent pas l'information lorsqu'un particulier la demande. Des témoins nous ont dit que le ministère ne leur transmet pas l'information. Ainsi, dans une certaine mesure, ne seriez-vous pas d'accord pour dire que le ministère a en fait créé un problème en ne transmettant pas l'information demandée par un membre de la bande?
Mme Wilson-Raybould : Je ne peux pas répondre pour le ministre ni pour le ministère quant aux raisons pour lesquelles ils n'ont pas acquiescé aux demandes des citoyens pour la divulgation d'information. J'estime toutefois qu'il incombe au ministre de fournir l'information sur demande. Je serais d'accord avec vous pour dire que ce qui est contenu dans le projet de loi, relativement à la divulgation, existe déjà. En lisant le projet de loi, je sais qu'il va au-delà des exigences de divulgation relativement aux montants du gouvernement fédéral qui sont transférés aux Premières nations dans le cadre de programmes fédéraux ou de l'administration de programmes et de services par le gouvernement fédéral. La portée vise les entités d'un gouvernement d'une Première nation ou les entités avec lesquelles une Première nation fait affaire. En réfléchissant aux raisons qui sous-tendent la politique qui a mené à la loi visant à élargir sa portée, on peut en arriver à ses propres conclusions sur le fait de vouloir une meilleure divulgation publique des salaires, un accroissement du contrôle du gouvernement fédéral et une meilleure connaissance des sources internes de revenu au sein des collectivités des Premières nations et entre elles, de la réalité potentielle d'une augmentation des revenus autonomes et de l'incidence de l'augmentation de ces revenus sur les transferts fédéraux.
Mme Desrochers : Je sais également que le ministère des Affaires autochtones se dissocie de ce dossier. J'ai appris qu'il ne voulait pas intervenir dans les questions de gouvernance entre les chefs, les conseils et leurs membres, et je suppose que c'est à cet égard que le principal parti politique doit prendre position et obliger le ministère à fournir l'information à la population.
La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à Mme Desrochers. Vous avez dit que le projet de loi C-27 va nuire à la compétitivité des entreprises des Premières nations, mais la semaine dernière, des témoins nous ont dit que ce ne sera pas le cas. Elles font déjà beaucoup affaire avec des consultants extérieurs, et si l'information était fournie, ce ne serait pas des renseignements commerciaux de nature délicate.
Mme Desrochers : Je suis désolée, pouvez-vous répéter? L'information est transmise aux consultants ou au grand public?
La sénatrice Ataullahjan : Nous avons entendu dire qu'une bonne partie des affaires est déjà attribuée à des consultants externes.
Mme Desrochers : Mais ces consultants sont-ils embauchés pour des affaires personnelles? C'est tout à fait différent que de l'offrir directement au public.
La sénatrice Ataullahjan : Pour ce qui est des entreprises externes, on dit que cela n'aura aucune incidence si on publie une information en ligne parce qu'une bonne partie des contrats sont adjugés à des personnes de l'extérieur et qu'il ne s'agit pas d'information de nature délicate.
Mme Desrochers : Cela dépend. Il y a 630 Premières nations, et elles ne voudront pas toutes transmettre leur information privée au grand public quand il s'agit d'entreprises appartenant à une bande. Si une Première nation en particulier décide de le faire, libre à elle. Chaque Première nation doit prendre cette décision. Par contre, ce projet de loi a une portée élargie et vise tous les chefs et tous les conseils de bande établis en conformité avec la Loi sur les Indiens.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci d'être venu témoigner. Étant donné qu'il devait y avoir des consultations adéquates auprès des Premières nations, ce projet de loi serait-il invalidé pour les Premières nations qui n'ont pas été consultées? Les touchera-t-il tout de même? Si on ne vous consultait pas relativement à un projet de loi même si on était tenu de le faire, j'imagine que cela aurait une incidence.
Mme Desrochers : C'est une bonne question, mais encore une fois, il faudra voir si le projet de loi est contesté et, le cas échéant, cela dépend de la façon dont la déclaration ou la demande est établie.
Mme Wilson-Raybould : Si jamais ce projet de loi est adopté, il s'appliquera à toutes les Premières nations du Canada, à l'exception de celles qui sont autonomes. Même s'il n'y a pas eu de consultation, le projet de loi a une portée nationale et les Premières nations devront s'y plier.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Cette question ne porte pas vraiment sur le projet de loi C-27, mais j'aimerais tout de même obtenir une réponse.
Le président : Rapidement, je vous prie, madame la sénatrice.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Il y a eu quatre ou cinq lois déposées par le gouvernement concernant les Premières nations. Est-ce que ces lois ont été utiles ou seront-elles utiles pour les peuples des Premières nations?
Mme Desrochers : Non. Puis-je uniquement parler des questions touchant le projet de loi C-27? On ne peut pas examiner les problèmes des Premières nations isolément au cas par cas, comme dans le projet de loi C-27. Il faut songer aux Premières nations dans leur ensemble. Le projet de loi C-27 a une incidence sur nos vies et sur tout ce qui nous touche. Le problème, dès le début, c'est que les partis politiques examinent ce qui a une incidence sur nos vies au cas par cas, alors qu'ils devraient examiner le tout dans son ensemble. Nos vies sont gérées de façon circulaire et non pas linéaire, un élément à la fois. Imposer des lois unilatéralement sur notre peuple ne fonctionnera pas. Il a été prouvé que l'autonomie gouvernementale fonctionne, et elle signifie qu'une Première nation agit de façon indépendante sans qu'on lui impose des lois.
Mme Wilson-Raybould : Je suis d'accord pour dire que la majorité des mesures législatives déposées par le gouvernement sont imposées de façon unilatérale en ce qui touche la gouvernance des Premières nations et qu'elles cherchent à influer la façon dont nous nous administrons. Même si c'est bien intentionné, cela ne fonctionnera pas. L'imposition de lois par le gouvernement du Canada aux Premières nations n'est pas perçue comme étant légitime aux yeux de nos citoyens. Si l'on veut procéder de façon efficace, progressive et concertée au-delà de la Loi sur les Indiens en faveur de l'autonomie gouvernementale, nos nations doivent, et c'est ce qu'elles font, en assumer la responsabilité.
Il faut s'atteler à la tâche de reconstruire la nation et d'orienter le changement. Nos citoyens doivent orienter les changements au sein de leurs propres collectivités en déterminant quelles sont nos entreprises, comment nous élisons nos dirigeants, comment nous adoptons nos règles et nos lois et comment nous les faisons respecter. Le dur labeur lié à l'établissement d'une nation exige de reconnaître qu'il peut y avoir des possibilités de travailler en partenariat pour élaborer des solutions dirigées par les Premières nations, qu'il s'agisse de lois ou autres. Toutefois, des lois imposées par le gouvernement ne fonctionneront pas, même si elles sont bien intentionnées. La seule façon que nous pouvons aller au-delà de la Loi sur les Indiens, c'est d'adopter des solutions dirigées par les Premières nations qui sont légitimes aux yeux de nos citoyens.
Le sénateur Demers : Bonjour, et merci beaucoup de vos exposés. Je connais les deux côtés de la médaille, et peu importe les croyances, c'est une question que nous prenons au sérieux lorsque vous venez discuter avec nous. Parfois, je ne sais plus très bien ce que nous avons entendu la semaine précédente. Il y avait trois personnes, dont une dame en particulier qui a été très claire. Nous nous sommes regardés, enfin la plupart d'entre nous, et nous nous sommes dits : « Eh bien, il faut beaucoup de détermination, d'énergie et de force pour dire ce qu'elle a dit. »
Madame Desrochers, j'ai lu quelque chose en fin de semaine dans Le journal de Montréal. Cette fin de semaine, le journal a publié une liste de mythes que le public canadien croit être vrais concernant les Premières nations. Je rapporte tout simplement ce qui a été écrit, mais le journaliste est aussi un expert qui suit le dossier des Premières nations depuis un bon moment déjà et il est bien connu. Parmi les mythes, il y avait des déclarations comme « Les fraudes des Premières nations sont érigées en système » et « Les Premières nations coûtent cher aux contribuables canadiens ». Très bien, voici une autre partie de la réponse.
Croyez-vous que le projet de loi C-27, avec la disposition sur la transparence qu'il contient, peut aider le grand public canadien à comprendre que les mythes auxquels il croit sont tout à fait faux? Ce journal utilise... Peut-être que le sénateur Watt, du Québec, en a entendu parler, ou peut-être êtes-vous au courant, mais il s'agit d'une perception. C'est un article qui est très difficile à lire parce que je suis ici depuis trois ans et demi et que j'ai eu l'occasion de rencontrer bon nombre de personnes des Premières nations et d'entendre leurs observations. Je ne crois pas que les déclarations soient vraies, mais ce journaliste a parlé avec bien des membres des Premières nations.
Merci beaucoup de votre exposé et de m'avoir écouté.
Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question. Bien sûr, chaque Canadien a l'occasion d'exprimer ses opinions sur les gouvernements des Premières nations.
Comme je l'ai dit, et comme l'a mentionné ici mon ami, nous ne pouvons pas mettre toutes les Premières nations du pays dans le même panier. Le projet de loi C-27 contribuera-t-il à éliminer ces mythes? Je pense que par le simple fait que nous ayons cette conversation et qu'elle se prolonge sur une certaine période, nous avons en fait contribué à la perception qu'il y a de la corruption dans les gouvernements des Premières nations. Et ce n'est certainement pas le cas.
Je pense qu'il vaudrait mieux pour les parlementaires et l'ensemble des Premières nations de mettre l'accent sur les véritables solutions qui existent maintenant et d'aller de l'avant pour mettre sur pied des régimes de gestion financière au sein des Premières nations, qui puissent être appuyés de façon valable et concrète. Cela étant dit, je crois certainement que les Premières nations, les parlementaires et les Canadiens ont la responsabilité de s'assurer que nous communiquons notre information et que nous respectons les exigences et nos obligations sur la sensibilisation de nos populations et du grand public canadien. Il faudrait inclure une bonne partie de notre histoire tragique qui a été mentionnée par mon ami quant à la réalité coloniale, mais aussi ce que font les Premières nations.
Nous avons une responsabilité partagée d'établir des partenariats avec la population canadienne dans son ensemble et de lui fournir l'information nécessaire pour qu'elle reconnaisse ce que nous avons fait et le potentiel que nous avons. Si nous nous penchons sur les questions de gouvernance et que nous allons au-delà de la Loi sur les Indiens de façon valable dans nos collectivités, cet investissement en temps, en énergie et en ressources permettra de générer de nombreux avantages d'emblée lorsque les Premières nations autonomes s'administreront convenablement et qu'elles contribueront à une économie fondamentalement liée aux gouvernements des Premières nations ainsi qu'au gouvernement du Canada. C'est seulement à ce moment-là, grâce à la sensibilisation du public, que nous serons en mesure d'avoir une économie valable et suffisamment forte pour appuyer tous les types de gouvernements existants au sein de la Confédération.
Mme Desrochers : Le projet de loi C-27 n'éliminera pas les mythes, comme Mme Wilson-Raybould l'a dit, mais il les perpétuera. C'est une question sur laquelle doivent se pencher les partis politiques parce qu'ils en font la promotion et encouragent les médias à dire au public que notre peuple s'adonne à la fraude et à la corruption et qu'il abuse du système. La faute revient au gouvernement fédéral et aux partis politiques, et ils doivent y mettre un terme. La chef Theresa Spence en est l'exemple parfait. Ils l'ont attaquée et ont dit qu'elle était corrompue et malhonnête dans les médias; et le premier ministre a laissé faire.
La sénatrice Seth : Je suis un nouveau membre du comité. Nous étudions le projet de loi C-27 depuis un bon moment déjà. J'ai entendu à maintes reprises de la part de témoins que la conservation de l'autonomie gouvernementale est très importante pour les peuples des Premières nations. Pensez-vous que le projet de loi C-27 contribuera à améliorer les pratiques d'autonomie gouvernementale au sein des collectivités des Premières nations pour ce qui est de la reddition de comptes et de la transparence? Pensez-vous que le projet de loi incitera ou fera la promotion du dialogue entre les conseils et les membres d'une bande lors de la prise de décision pour chacune des Premières nations? Qu'en dites-vous?
Mme Wilson-Raybould : Si j'ai bien compris, vous avez demandé si le projet de loi C-27 contribuera à l'autonomie gouvernementale des Premières nations. Si c'était la question, je dirais que le projet de loi C-27 a pour objet de divulguer l'information financière ainsi que l'annexe des rémunérations des chefs et des membres du conseil de bande, en ce qui touche non seulement le gouvernement des Premières nations, mais aussi d'autres entités liées à ce gouvernement, et qu'il propose des mécanismes d'application de la loi au ministre.
Je ne crois pas que le projet de loi C-27 atteindra l'objectif pour lequel il a soi-disant été créé; c'est-à-dire qu'il ne permettra pas d'obtenir une plus grande transparence financière ni une reddition de comptes accrue dans la plupart des cas dont nous avons discuté. Les Premières nations sont transparentes et rendent des comptes, puisque cela leur est imposé par les ententes de financement. En outre, elles s'imposent aussi des exigences de divulgation de cette information à leurs citoyens, et ce, non seulement pour les gouvernements de bandes et leurs opérations, mais aussi pour toute entité connexe visée par divers régimes de gouvernance aux termes de la Loi sur les corporations canadiennes, ce qui pose un défi à nos membres quand vient le temps d'établir des rapports dans un environnement parapublic. Ces entreprises placent leurs intérêts en fiducie pour nos membres. Toutefois, la réalité aux fins des discussions ou pour appuyer les Premières nations, c'est que cela va au-delà de la divulgation des salaires à nos actionnaires, en l'occurrence à nos citoyens; il s'agit de déterminer quelles décisions sont prises relativement aux entreprises des bandes ou aux investissements qui sont faits dans des entreprises et de prendre connaissance de la représentation et des profits de ces entreprises. Voilà autant de décisions que les collectivités doivent prendre au chapitre du développement économique.
Le projet de loi nous aidera-t-il à nous diriger vers l'autonomie gouvernementale? Non. Ce qui aidera les Premières nations à obtenir l'autonomie gouvernementale, c'est l'établissement d'un mécanisme qui, lorsqu'elles seront tout à fait prêtes à aller au-delà de la Loi sur les Indiens, leur permettra de le faire à leur propre rythme et en fonction de leurs priorités. Le projet de loi S-212 prévoit un mécanisme qui mérite d'être étudié de façon exhaustive. Pour ce qui est de solutions législatives aux défis auxquels nos Premières nations font face aux termes de la Loi sur les Indiens, l'imposition de mesures législatives ne fonctionnera tout simplement pas. Le rafistolage de la Loi sur les Indiens et l'examen des questions de gouvernance de manière isolée ne donneront rien. Ce qui peut fonctionner, c'est de permettre aux Premières nations de mener toutes les questions d'autonomie gouvernementale et de laisser nos citoyens diriger les dossiers pour déterminer ce qui leur convient, comment exercer leurs droits à l'autodétermination dans leurs collectivités en fonction de leurs priorités et de leurs points de vue et, au bout du compte, comment le Parlement peut soutenir les Premières nations dans leurs efforts à cet égard.
La sénatrice Raine : Nous avons eu droit à une discussion fort intéressante. D'une certaine manière, vous représentez les deux points de vue que nous recevons, l'un étant un point de vue collectif, puisque l'APN représente toutes les Premières nations. Je pense que l'APN a fait un merveilleux travail pour ce qui est d'accroître la capacité de se diriger vers l'autonomie gouvernementale. Bien sûr, le Conseil de gestion financière des Premières nations et d'autres outils vous aident à aller de l'avant. J'interprète le mouvement Idle No More, qui est constitué de gens de la base, comme l'expression d'une frustration envers la façon dont leurs intérêts sont représentés par le ministère ou par leurs chefs et leurs conseils ainsi que par l'APN. Tout au long de notre histoire et d'après l'orientation que nous essayons de prendre, il y a toujours des conflits entre le collectif et l'individuel sur la façon d'aller de l'avant avec efficacité, au terme d'une consultation avec tous les intervenants.
Après ce long préambule, ma question sera brève. Pensez-vous qu'il y a un mécanisme permettant la consultation de chaque membre des Premières nations sur les mesures législatives fédérales?
Mme Desrochers : C'est une bonne question, mais tant que nous aurons l'Assemblée des Premières Nations, le Congrès des peuples autochtones, l'Association des femmes autochtones du Canada et le ministère des Affaires autochtones, il n'y aura jamais de mécanisme. Ces organismes l'empêchent. Bien qu'il y ait des gens compétents qui y travaillent, toutes les politiques élaborées par l'Assemblée des Premières Nations n'ont pas été mises en œuvre. Elles constituent plutôt un cadre uniforme conçu selon des critères établis par le ministère des Affaires autochtones, car il finance l'Assemblée des Premières Nations. Le ministère doit approuver tout ce que fait l'APN.
Le président : En quoi constituerait-il un mécanisme efficace?
Mme Desrochers : Des accords entre nations qui permettent à chacune des nations d'établir ces structures toutes seules.
Le président : Les négociations entre le gouvernement du Canada et les Premières nations ne se font-elles pas de nation à nation?
Mme Desrochers : Non. Les collectivités des Premières nations ne constituent pas des nations. J'appartiens à la grande nation crie. En vertu de la Loi sur les Indiens, nous ne gouvernons pas à titre individuel.
Mme Wilson-Raybould : Je veux être claire. Oui, je suis la chef régionale pour la Colombie-Britannique, et je siège au conseil national. L'Assemblée des Premières nations n'est pas un gouvernement et ne prétend pas parler au nom des gouvernements des Premières nations. Nous ne sommes pas des ayants droit et nous respectons certainement la capacité de ces ayants droit de parler en leur propre nom. Je suis ici en tant que chef régionale et j'ai l'appui des 203 chefs en Colombie-Britannique pour parler en leur nom de leurs opinions et préoccupations.
De plus, je suis ici en tant que membre du conseil et de ma propre collectivité, et je considère que des mouvements comme Idle No More, où des citoyens s'expriment, manifestent et font entendre leur voix, sont entièrement positifs. Il est de mon devoir en tant que citoyenne de ma propre nation, comme il en va pour tous les citoyens des Premières nations au Canada, de jouer un rôle actif dans ma propre nation, de déterminer mon propre parcours et de faire partie de ma réalité ou de guider le changement au sein de ma propre collectivité. Il n'incombe certainement pas à l'Assemblée des Premières Nations ou à un autre organisme de le faire au nom du peuple. Les organismes ont la capacité de fournir cet espace, de reconnaître qu'au bout du compte, le changement ne peut que venir de nos citoyens, et ce sont nos citoyens qui vont devoir se débarrasser de la Loi sur les Indiens. Je veux dire qu'ils devront un jour voter le départ du colonisateur, l'abrogation de la Loi sur les Indiens. Il est important de ne pas oublier que les particuliers dans nos collectivités représentent et devront respecter la volonté collective de faire avancer la réforme de la gouvernance et la transition au-delà de la Loi sur les Indiens. C'est le lien. Il y a beaucoup de niveaux différents, et il faut un travail incessant de plaidoyers, mais la réalité est que le changement passe par nos citoyens.
Mme Desrochers : J'aimerais ajouter un commentaire.
Le président : Non, je suis désolé. Je vais revenir à vous, si vous le désirez, mais il y a deux autres personnes qui aimeraient poser des questions.
Le sénateur Patterson : Il me semble que notre vision quant à la meilleure façon d'atteindre les buts visant l'autonomie gouvernementale des Premières nations est essentiellement différente. Un ministre des Affaires indiennes courageux au nom de Robert Nault a lancé une initiative d'autonomie gouvernementale très importante. Je crois qu'il a vraiment essayé de collaborer avec les Premières nations. Il a proposé un projet de loi global qui va plus loin que le projet de loi C-27. Il a proposé le genre d'approche globale et holistique mise de l'avant par les deux témoins ce matin. Nous savons tous que ce projet de loi, tout comme le processus visant à définir les droits des Autochtones dans les années 1980 suite au rapatriement de la Constitution, n'a abouti à rien. En effet, les Premières nations se sont farouchement opposées à ce projet de loi au moment où il a été présenté.
Notre gouvernement actuel et le ministre qui a présenté ce projet de loi ont décidé qu'il faut modifier la Loi sur les Indiens — qui est, aux yeux de tous, une loi coloniale et désuète — de façon très graduelle, en procédant petite étape par petite étape. Le projet de loi C-27 constitue donc l'une de ces petites étapes. La Loi sur les élections des Premières nations en était une autre, et c'était une loi facultative. La Loi sur l'eau potable...
Le président : Sénateur Patterson, je suis désolé, mais...
Le sénateur Patterson : J'en viens à ma question. Vous proposez que nous mettions fin à cette approche graduelle pour revenir à un processus holistique, qui pourtant ne nous a menés nulle part au cours des 30 dernières années. Avez- vous bon espoir que les choses ont changé maintenant et qu'un tel processus pourrait fonctionner?
Mme Desrochers : La situation va évoluer grâce au mouvement Idle No More. Ce sont les gens de la collectivité qui s'expriment maintenant et qui exigent que les dirigeants et les organisations soient responsables de tout ce qu'ils font. Le changement va venir, et la Loi sur les Indiens sera abrogée. Nos gens s'instruisent de plus en plus, et nous prenons position à l'heure actuelle parce qu'il faut changer le comportement des représentants des Premières nations à l'échelle nationale.
Mme Wilson-Raybould : Très brièvement, pour ce qui est de l'approche à laquelle vous avez fait référence en disant qu'il faut modifier la Loi sur les Indiens de façon graduelle, je reconnais et je crois que les Premières nations partout au pays reconnaissent que la situation actuelle ne fonctionne tout simplement pas et qu'il faut la changer. Les Premières nations ont élaboré leurs propres solutions par l'entremise de diverses initiatives de gouvernance sectorielle à laquelle j'ai fait allusion, mais la modification graduelle ou l'emploi des pouvoirs législatifs fédéraux pour modifier petit à petit la Loi sur les Indiens, qu'il s'agisse du projet de loi C-27 ou d'autres mesures, pour ensuite la remplacer par une loi qui est essentiellement la même chose que celle en vigueur ne fonctionne tout simplement pas. Nous devons soutenir les gouvernements des Premières nations en établissant ou en guidant ce mouvement étape par étape, comme vous l'avez dit, pour ensuite le remplacer par leurs propres initiatives de gouvernance. Quant à la perspective plus large, c'estd'aller au-delà de la Loi sur les Indiens ou de l'abroger, elle doit être élaborée au rythme choisi par les Premières nations. Nous devons trouver des façons et des mécanismes afin d'appuyer une telle approche.
Le sénateur Dyck : On entend beaucoup parler de ces soi-disant Premières nations corrompues qui ne se conforment pas aux règles. Étant donné que le ministre peut déjà donner l'information aux membres de la bande, sans avoir besoin de cette mesure législative, et qu'il dispose des mêmes recours pour les obliger à respecter la loi, comment est-ce que le projet de loi C-27 va-t-il améliorer la situation? Comment va-t-il obliger ces Premières nations fautives à s'y conformer?
Mme Desrochers : Le projet de loi va les obliger à s'y conformer parce qu'il établit un processus à cette fin. Le gouvernement peut refuser de verser le financement relatif à ces ententes et il peut mettre fin aux ententes. En effet, le projet de loi C-27 permettra au ministère des Affaires indiennes d'atteindre ses buts, mais il n'améliorera pas la situation sur le terrain. Il mènera à plus de chicanes parmi les dirigeants et le peuple parce qu'il s'agit d'une loi coloniale qui gouverne la collectivité.
Mme Wilson-Raybould : Le projet de loi n'améliorera pas la reddition de comptes et la transparence. Il a fait l'objet d'un examen très approfondi. Le nouveau ministre des Affaires autochtones, le ministre Valcourt, a la possibilité d'examiner les témoignages entendus par les comités et d'examiner le projet de loi C-27 pour déterminer, à la lumière de toutes les discussions et justifications liées aux politiques, si oui ou non on atteindra vraiment le but du projet de loi C-27. Je crois que le nouveau ministre dispose d'une telle possibilité.
Mme Desrochers : Le projet de loi permettra au gouvernement fédéral d'atteindre son but, mais il ne créera pas un climat positif sur le terrain.
La sénatrice Dyck : D'autres témoins, y compris le ministre, nous ont dit que les recours prévus par le projet de loi sont déjà à la disposition du ministre; il n'y a donc rien de nouveau.
Mme Desrochers : Il faut informer les gens au sujet du processus. On ne consulte pas nos gens sur le terrain. Chef Wilson a dit qu'elle a la permission de tous ses chefs de parler, mais je peux vous dire que bien des gens en Colombie- Britannique n'appuient pas les gestes de leur chef et de son conseil. Je ne suis pas contre les chefs et les conseils élus en vertu de la Loi sur les Indiens. Je suis en faveur d'une bonne gouvernance et du respect du droit à l'autonomie gouvernementale, mais le simple fait d'avoir le droit de parler au nom de 203 personnes ne nous donne pas le droit de parler au nom de 1 million de personnes partout au monde. En disant cela, je n'ai pas l'intention de manquer de respect.
Mme Wilson-Raybould : Simplement pour confirmer ce qui a été dit, les recours existent déjà, comme vous l'avez indiqué. Le pouvoir dont dispose le ministre n'a pas changé.
La sénatrice Raine : Madame Desrochers, vous avez dit qu'il faut un public bien instruit, et nous savons cela, mais je vois le projet de loi C-27 comme un mécanisme très convivial pour sensibiliser le public — c'est-à-dire les membres des Premières nations et d'autres gens qui aimeraient peut-être obtenir des renseignements auxquels ils n'ont pas accès à l'heure actuelle. Êtes-vous d'accord?
Mme Desrochers : Oui, en effet, si on affiche l'information sur Internet, les gens pourront y accéder plus facilement. Cependant, le projet de loi lui-même s'ingère dans la gouvernance des Premières nations dans leur ensemble. Nous ne pouvons pas nous gouverner nous-mêmes en ayant une source externe qui nous impose des lois.
Le président : Je tiens à vous remercier de votre présence ici. Nous avons eu droit à une discussion fort intéressante. J'ai bien aimé les divers points de vue présentés ainsi que l'engagement des sénateurs. Si je décidais de poursuivre, je suis convaincu que nous serions chassés de cette salle, au lieu de pouvoir quitter de notre propre gré.
Nous allons suspendre la séance et siéger à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)