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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 35 - Témoignages du 17 avril 2013


OTTAWA, le mercredi 17 avril 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 56, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux gens du public qui assistent à la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones par l'entremise de CPAC ou d'Internet.

Je suis Vern White, de l'Ontario, et je suis président du comité. Le mandat du comité est d'étudier les lois et les affaires générales relatives aux peuples autochtones du Canada. Lorsque nous nous penchons sur les études que nous aimerions entreprendre, nous invitons de temps à autre des personnes ou des organismes pour nous donner un aperçu des questions d'actualité dans leurs circonscriptions. Aujourd'hui, nous allons entendre les représentantes de l'Association des femmes autochtones du Canada sur la question des femmes autochtones et du système de justice pénale.

Avant d'entendre les témoins, j'aimerais profiter de l'occasion pour demander aux membres du comité qui sont présents de se présenter.

La sénatrice Dyck : Je suis la sénatrice Lillian Dyck, de la Saskatchewan.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je suis la sénatrice Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Sibbeston : Je suis Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Demers : Je suis Jacques Demers, du Québec.

La sénatrice Raine : Je suis Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Patterson : Je suis Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Enverga : Je suis Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le président : Veuillez accueillir, de l'Association des femmes autochtones du Canada, Erin Corston, directrice, Santé et Environnement, et Fiona Cook, agente, Recherche et politiques. Nous avons hâte d'entendre votre exposé. Je suis sûr que les sénateurs vous poseront ensuite des questions. Vous avez la parole.

Erin Corston, directrice, Santé et environnement, Association des femmes autochtones du Canada : Je vais commencer. Merci de nous avoir invitées à comparaître aujourd'hui. Je suis Erin Corston et je suis Crie du territoire visé par le Traité no 9 dans le Nord de l'Ontario. Je suis directrice, Santé et environnement, de l'Association des femmes autochtones du Canada. J'aimerais exprimer les regrets de la présidente de l'AFAC, Michèle Audette. En effet, elle devait assister à une réunion aujourd'hui à Winnipeg et ne pouvait pas être ici. Je parlerai donc en son nom. Fiona Cook m'accompagne, et elle est responsable technique des projets qui vous intéressent, c'est-à-dire Mettre fin aux séquelles qui mènent des pensionnats indiens aux prisons, ainsi que le rapport La condition féminine importe : cultiver la force dans la réconciliation. Mme Cook ne travaille plus pour l'association, mais elle a pris le temps de comparaître aujourd'hui, même si elle est très occupée avec sa famille.

Cela fait plusieurs années que l'AFAC a eu la capacité nécessaire de se pencher sur les questions liées à la justice et aux services correctionnels. Étant donné que Mme Cook ne travaille plus pour l'organisme et que le Programme d'information publique et de défense des intérêts a été interrompu, l'AFAC n'aura pratiquement plus aucune capacité de s'occuper de ce type de problème et de demande à partir de maintenant. Le financement que l'AFAC a reçu pour se pencher sur les questions liées à la justice est intermittent et irrégulier. Même si nous sommes toujours reconnaissants du financement fondé sur des projets, trop souvent, cela nous permet seulement d'effleurer le problème avant de manquer de fonds. Je crois que ces rapports vous convaincront.

En dépit de nos problèmes de financement, nous avons réussi à étudier et à exposer certaines des causes fondamentales qui amplifient les tendances urgentes et alarmantes en ce qui concerne le taux supérieur d'incarcération chez les femmes autochtones dans notre pays. En collaboration avec les personnes les plus touchées, nous avons réussi à dégager certaines des solutions potentielles. Ce soir, j'aimerais présenter trois messages clés. Tout d'abord, les questions de justice liées aux Autochtones sont extrêmement complexes. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de vous le rappeler. C'est pourquoi les solutions nécessitent une approche complexe, inclusive et à plusieurs volets qui engage tous les secteurs de la collectivité. Deuxièmement, les solutions doivent refléter la contribution et le point de vue de ceux qui sont les plus touchés ou de ceux qui sont les plus vulnérables. Troisièmement, la prévention de la violence doit faire partie intégrante de notre conception de la justice au Canada.

Le travail que nous accomplissons à l'AFAC vise à donner une voix à ceux qu'on a réduits au silence et faire connaître leurs points de vue sur certaines questions. Encore et toujours, nous sommes parvenus aux mêmes conclusions : c'est le cycle de la pauvreté qui est responsable de ces problèmes et de leurs conséquences, c'est-à-dire des problèmes de santé dont souffrent les femmes autochtones de façon disproportionnée aux taux alarmants de violence, de mauvais traitements, de victimisation et d'incarcération dont elles sont victimes.

Le Programme d'information publique et de défense des intérêts, ou le programme IPDI, financé par le ministère des Affaires autochtones, a fourni à l'AFAC l'appui nécessaire pour renforcer ses relations et ses réseaux de partenariats avec les organismes communautaires et les organismes de défense des droits partout au pays. Nous avons travaillé étroitement avec le personnel et la Commission de vérité et de réconciliation du Canada sur ce projet. En tant que directrice, Santé et Environnement de l'AFAC, je peux vous donner un aperçu des répercussions différentielles sur les femmes autochtones et de la manière dont les femmes autochtones ont été touchées par la discrimination profonde et inhérente au système depuis longtemps, mais je ne suis pas tout à fait certaine que je vous apprendrais quoi que ce soit. En me préparant pour aujourd'hui, j'essayais de trouver quelque chose qui n'avait pas déjà été dit, et je me demandais comment présenter les faits et les statistiques de façon à vous faire réfléchir.

Que pourrais-je dire pour vous aider et aider d'autres personnes dans votre position à comprendre l'urgence des problèmes auxquels nos femmes font face? Ensuite, je me suis demandé pourquoi vous aviez invité l'AFAC à comparaître aujourd'hui. Je peux seulement présumer qu'en tant que Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, vous savez pourquoi les femmes autochtones sont représentées de façon disproportionnée dans le système judiciaire, vous savez comment la situation s'est perpétuée et a été représentée, et comment leur nombre continue d'augmenter. J'aimerais croire que vous souhaitez entendre parler des solutions et peut-être même apprendre comment chacun d'entre vous peut faire partie de ces solutions.

Mme Cook vous parlera des détails du rapport La condition féminine importe. Il présente une série de problèmes qui sévissent dans le système judiciaire et dont la résolution pourrait entraîner une diminution du nombre de femmes autochtones incarcérées ou au moins améliorer la situation. Le rapport La condition féminine importe contient une série de recommandations qui ont été formulées directement à partir de la contribution des femmes et des filles qui ont participé à nos groupes de discussion. Chaque recommandation pourrait être utilisée de façon indépendante, et chacune, mise en œuvre, pourrait ouvrir la voie aux changements. Toutefois, j'aimerais provoquer une discussion sur les solutions. L'AFAC soutient depuis longtemps qu'il est nécessaire d'examiner les problèmes en adoptant une approche holistique, pertinente sur le plan culturel et fondée sur les différences entre les sexes. Notre mandat est d'obtenir l'égalité pour les femmes autochtones du Canada. C'est un travail colossal lorsqu'on sait que les femmes et les filles autochtones courent cinq fois plus de risques que les femmes et les filles non autochtones d'être victimes de violence.

Comment pouvons-nous obtenir une véritable égalité dans notre société, dans nos collectivités, dans nos foyers et dans nos vies lorsque nous n'avons pas accès au droit fondamental de vivre sans violence? Les problèmes sont manifestement complexes. Nous croyons que la solution consiste à adopter une approche à plusieurs volets et nous pensons que vous conviendrez que la solution est liée à la prévention.

Si la condition féminine importait, nous aurions déjà une stratégie nationale qui porterait sur la violence dont les femmes et les enfants sont victimes au pays. Si la condition féminine importait, nous n'aurions jamais laissé la situation se dégrader à ce point. Les statistiques sont troublantes. Si la condition féminine importait, nous aborderions le problème de la violence en passant par la prévention, car nous voudrions vraiment empêcher qu'elle se produise.

Je crois que nous pouvons convenir qu'on n'a jamais autant critiqué la façon dont le Canada traite ses Premières nations. Je ne peux pas trouver une période de l'histoire où la frustration, la discorde et la révolte ont atteint un tel niveau chez nos peuples, et surtout chez les jeunes, à l'échelle nationale. Il est manifestement temps de faire quelque chose à ce sujet.

Récemment, on m'a décrit le concept de la prévention de la violence comme étant une solution au taux supérieur d'incarcération chez les femmes autochtones en utilisant l'analogie de la « maison de justice ». Dans notre maison de justice, il y a quatre piliers. Nous avons les tribunaux, les services de police, les services correctionnels et le quatrième pilier serait la prévention. Dans notre maison de justice, nous investissons dans la prévention de la violence et de la criminalité de la même façon que nous investirions dans d'autres piliers. Nous envisagerions la prévention comme étant une occasion d'investissement qui entraînerait des changements systémiques. Il s'agit d'un investissement qui ferait diminuer les taux de crime et de violence à l'égard des femmes autochtones de façon constante et durable.

Avant de terminer et de donner la parole à Mme Cook, j'aimerais dire quelques mots au sujet du travail accompli par l'AFAC en ce qui concerne l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes. C'est un domaine dans lequel la population autochtone est représentée de façon disproportionnée. Il est lié à la violence, à la pauvreté, aux systèmes qui s'occupent du bien-être social et des enfants et aux systèmes de justice et de services correctionnels. C'est une épreuve qu'un grand nombre de nos enfants subissent au cours de leur trajet entre le pensionnat et la prison.

C'est par l'entremise de ce travail que j'ai pris connaissance d'un outil qui est mis à l'essai par Condition féminine Canada. Il s'agit d'un outil de vérification qui vient du travail effectué à l'échelle internationale, et qui fait la promotion des vérifications de sécurité menées dans les collectivités, afin de prévenir la criminalité au niveau local. Cette approche de prévention du crime est actuellement menée par le Centre national de prévention du crime de Sécurité publique Canada, le responsable ministériel du groupe de travail canadien sur la traite de personnes.

L'outil est essentiellement un manuel d'instruction pour les collectivités, les municipalités, les centres urbains, et cetera, qui vise à faire participer tous les secteurs de la collectivité — notamment l'éducation, la santé, le logement, la justice, les représentants politiques locaux, l'industrie privée et les entreprises, le monde universitaire et ceux qui sont le plus touchés par la criminalité et la violence — à une vérification de sécurité. La vérification est élaborée par l'entremise de recherches fondées sur des données probantes et brosse le portrait des problèmes les plus actuels et les plus urgents de la collectivité en ce qui concerne la sécurité et la criminalité.

Ensuite, on élabore un plan d'action local pour s'attaquer directement aux problèmes cernés par la vérification et à leurs causes. Il s'agit donc d'un manuel d'instruction sur la vérification de sécurité à l'échelle locale et il porte surtout sur la prévention de la traite de personnes et les activités d'exploitation connexes, mais il peut s'appliquer à n'importe quel problème, surtout à ceux liés à la violence et à la criminalité. Il est dans l'intérêt de tous de participer à ce type de vérification à l'échelle locale ou d'au moins l'appuyer. Cela nécessite une évaluation honnête des lacunes de nos collectivités et de nos villes et des domaines dans lesquels elles doivent concentrer leurs énergies et leurs ressources.

J'aime ce modèle, car il peut être pertinent sur le plan culturel, il tient compte des différences entre les sexes et il est inclusif. Il est axé sur la prévention et avec l'appui politique et communautaire, il pourrait représenter la solution que nous cherchons pour changer la vie des personnes les plus vulnérables. Merci.

Fiona Cook, agente, Recherche et politiques, Association des femmes autochtones du Canada : Merci de nous avoir invitées à comparaître aujourd'hui pour parler de cet important sujet. J'aimerais vous remercier de l'invitation à comparaître en ce moment crucial, car nous nous trouvons à la croisée des chemins. Je m'appelle Fiona Cook. Je suis Anishinabe et j'ai aussi des origines africaines. Je viens de Little Current, de Manitoulin, et j'ai aussi une famille adoptive en Saskatchewan. J'utilise l'expression « croisée des chemins », car la Commission de vérité et de réconciliation s'adresse aux survivants en ce moment même, et on invite du même coup tous les Canadiens à établir une nouvelle relation. Le travail que nous avons accompli sur le taux supérieur d'incarcération a établi le cadre de la réconciliation. Mme Corston a d'ailleurs mentionné que le financement provenait d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada dans le cadre du programme IPDI et qu'il était directement lié aux survivants des pensionnats.

Il s'agissait aussi de sensibiliser tous les Canadiens et de tenter de les faire participer au processus de réconciliation.

Lorsque nous avons entrepris cette étude, nous avons choisi de nous pencher sur le taux supérieur d'incarcération — et nous pourrions avoir choisi d'étudier tellement d'autres problèmes —, car lorsqu'on pense aux pensionnats, à l'histoire, aux effets sur les gens aujourd'hui et à la différence que nous pourrions faire en tant qu'organisme de femmes qui aborde la question en tenant compte des différences entre les sexes, nous avons été troublés par le grand nombre de femmes et de filles incarcérées. Étant donné que la réconciliation est un concept axé sur l'avenir, les générations futures sont très importantes. Lorsque nous avons remarqué que selon les statistiques de 2008 et de 2009, 44 p. 100 des filles en placement sous garde au pays étaient des Autochtones, cela nous a troublés. Nous avons conclu que dans quelques années, si la tendance se maintient, la moitié des filles en placement sous garde seront des Autochtones. C'était avant le projet de loi C-10, et maintenant, nous craignons que cela devienne une réalité.

Les statistiques fédérales sont assez troublantes. Vous l'avez constaté dans le rapport Sapers. Le rapport de l'Enquêteur correctionnel démontre qu'au cours des 10 dernières années, le nombre d'incarcérations chez les Autochtones a augmenté de presque 50 p. 100. C'est bien pire au niveau provincial et territorial. Il y a des provinces — et certains d'entre vous le savent bien —, surtout dans l'Ouest et dans les Prairies, où 87 p. 100 des gens incarcérés sont autochtones. Nous sommes très inquiets pour l'avenir. Lorsque nous voyons un si grand nombre de jeunes Autochtones et que la situation ne s'améliore pas, nous nous disons que quelque chose doit changer. C'est pourquoi nous avons décidé de nous attaquer à ce problème au lieu de nous concentrer sur l'éducation ou d'autres domaines qui présentent des inégalités importantes.

Nous avons créé un comité de direction national composé d'experts en matière de services correctionnels pour les Autochtones fondés sur la stratégie de justice applicable aux Autochtones, d'intervenants qui travaillent avec les gens incarcérés, de travailleurs communautaires et d'avocats. Nous avons fait appel à un grand nombre de personnes pour nous conseiller. Ensuite, nous avons amené ces recherches dans la collectivité. Nous avons organisé des groupes de discussion partout au pays, des Territoires-du-Nord-Ouest à Thunder Bay, en passant par la Saskatchewan et la Colombie-Britannique. Nous avons rencontré plus de 300 personnes, y compris des femmes et des filles autochtones qui avaient été incarcérées. Nous avions des agents de la GRC et d'autres agents de police avec nous. Dans certains cercles, des procureurs de la Couronne nous accompagnaient. Nous avions aussi des travailleurs communautaires — des travailleurs de refuges, des travailleurs de John Howard et d'Elizabeth Fry. La première journée de ces cercles —qui duraient trois jours — était consacrée précisément aux femmes et aux filles autochtones qui avaient été incarcérées, et pendant cette journée, elles faisaient des liens et réfléchissaient à ce qui les avait amenées en prison. Elles profitaient de cette journée pour se pencher sur les événements de leurs vies, sur ce qui les avait amenées dans cette situation et ce qui les avait aidées, car à ce moment-là, elles n'étaient plus en placement sous garde ou en prison. Nous jugions qu'il était très important de savoir ce qui les avait aidées. J'en parlerai dans une minute.

La deuxième et la troisième journée, nous avons invité d'autres personnes qui travaillent avec les femmes et les filles autochtones qui ont été incarcérées, et c'était une occasion d'entreprendre un dialogue très enrichissant et d'échanger des points de vue. Encore une fois, nous avons été en mesure d'en apprendre plus sur les autres types de défis auxquels sont confrontés les gens qui travaillent dans les tribunaux et dans d'autres secteurs. Nous jugions avoir besoin de cette approche holistique pour vraiment comprendre ce qu'il fallait faire.

Plus de 300 personnes ont participé aux cercles, et le rapport La condition féminine importe en est le résultat. Il reflète bien l'essence des cinq cercles que nous avons tenus au pays et les recommandations qui en ont découlé.

Dans le rapport La condition féminine importe, nous faisons valoir que tout en essayant de trouver des solutions, il nous faut faire des recherches sur la façon dont chaque famille et chaque collectivité a été touchée par les événements du passé, comme les sévices subis dans les pensionnats et la rafle des années 1960, et par des obstacles systémiques et la discrimination à tous les niveaux — local, organisationnel et macroéconomique — dans les politiques, qui sont encore des enjeux. Nous avons constaté que c'est seulement de cette façon que nous pourrons comprendre dans quelle mesure les prisons sont de nouveaux pensionnats pour les Autochtones.

Nous étions d'avis qu'il ne suffit pas de dire que les événements qui se sont produits sont maintenant chose du passé et qu'ils n'ont rien à voir avec la situation de nos jours, ou de se concentrer sur la guérison. La guérison est importante, mais nous ne pouvons pas nous arrêter là. Nous ne pouvons pas simplement considérer un individu comme un produit endommagé par le système des pensionnats et faire un lien de cause à effet; il nous faut comprendre comment ces mêmes conditions, dans certains cas, qui ont mené à la création des pensionnats et à la rafle des années 1960, sont encore très présentes aujourd'hui. Elles le sont dans nos institutions, dans la déconsidération pour les Autochtones de nos jours.

Les Autochtones ont beaucoup parlé de la déconsidération qu'ont les responsables du système de justice — des services de police aux tribunaux —, et le système carcéral et le système de détention des jeunes à leur égard.

Nos recommandations comportent quatre volets. Le premier concerne la prévention, qui est un élément très important. Le deuxième est lié à la discrimination systémique. Le troisième porte sur les mesures de reddition de comptes et les besoins en ce sens. C'est probablement le volet qui se rapproche le plus du contenu du rapport de l'Enquêteur correctionnel et de certaines des recommandations qui ont été formulées. Notre quatrième volet, qui constitue une grande partie de notre rapport et qui était un élément important de nos premiers travaux, est de trouver des solutions de rechange aux prisons. À cet égard, nous nous sommes penchés précisément, mais pas exclusivement, sur les cas de certaines jeunes femmes, pour voir ce qui peut être fait dans la première étape pour les jeunes contrevenantes qui ne commencent qu'à avoir des ennuis, l'attention qu'il faut y accorder pour que la situation cesse de se perpétuer, de sorte qu'elles ne passent pas des années à se faire arrêter à répétition et à purger des peines en prison.

Depuis le début, nous disons qu'il faut prendre des mesures de prévention fondées sur le sexe. Les filles qui ont participé à nos cercles et qui avaient eu des démêlés avec la justice, en particulier celles qui vivent dans des régions éloignées et du Nord, nous ont dit qu'il n'y avait pas assez de programmes et de services pour elles ou qu'elles doivent parfois payer pour ceux qui leur sont offerts, et la pauvreté et le manque de ressources sont des enjeux bien réels. Par exemple, s'il y avait une piscine, elles devaient payer pour l'utiliser, ce qui leur était impossible. Qu'allaient-elles faire un vendredi soir? Elles avaient besoin de faire quelque chose. Lorsque les programmes les plus fondamentaux ne sont pas offerts, les adolescents s'attirent des ennuis. Parfois, nous n'avons pas besoin de faire de grandes choses. Ce sont des besoins réels. J'ai été très triste de constater que certains des partenaires, certaines personnes qui ont participé à nos cercles et d'autres avec qui j'ai collaboré dans d'autres projets pour l'AFAC, ont perdu leur financement, notamment les programmes downtown east side et la Urban Native Youth Association, dont le travail est essentiel. Des programmes de sport destinés aux jeunes ont perdu du financement, et c'est vraiment triste. Les jeunes, surtout s'ils sont à risque et qu'ils vivent dans un milieu négatif, ont besoin d'avoir des modèles et de faire des choses positives de sorte qu'ils puissent bien s'épanouir.

Bien entendu, nous savons qu'il y a une forte corrélation entre la violence dont les enfants et les adolescents sont victimes et leur incarcération plus tard dans leur vie. Il y a également une forte corrélation entre le fait que des enfants sont pris en charge par les services de protection de la jeunesse et leur incarcération plus tard. On pourrait dire que s'ils sont victimes de tant de violence à la maison, on n'a qu'à les sortir de là. Toutefois, nous savons que cela ne fonctionne pas, et il nous faut donc trouver d'autres solutions. Il faut adopter une approche plus globale face au problème, examiner ce que nous pouvons faire pour améliorer le système de protection de la jeunesse, aider les familles par des moyens qui sont plus centrés sur la collectivité et adopter une approche axée sur la famille. Nous devons aider les familles autochtones et essayer de mettre fin au cycle dans lequel on retire les enfants de leur famille sans qu'il y ait de solution.

Un très grand nombre de personnes à qui nous avons parlé — des adultes et des jeunes — ont été prises en charge par les services de protection de la jeunesse, et nous devons donc nous pencher sur les mesures qui peuvent être prises tôt à cet égard.

Il a été également question du manque de communication entre les organismes. Vous en savez beaucoup à ce sujet. Les organismes fonctionnent en vase clos. On peut aller chercher une très jeune personne, de 12 ou 13 ans, parce qu'elle a perturbé l'ordre public ou parce qu'elle a consommé de la drogue, et l'enfermer dans une cellule vraiment temporairement. On n'appelle pas de travailleur social par la suite, et la personne ne reçoit aucune aide. Elle est tout simplement libérée. C'est un problème. Si les gens peuvent déterminer, à un jeune âge, que quelque chose ne va pas, il est possible d'aider la personne et sa famille.

Le sujet de l'école est revenu souvent au cours des travaux, et d'autres personnes en ont parlé. Il existe une forte corrélation entre l'abandon scolaire et la détention dans un établissement pour jeunes délinquants et plus tard, dans une prison pour adultes. Certains de ces jeunes sont atteints du syndrome d'alcoolisation fœtale ou souffrent d'autres troubles de santé mentale importants. Il nous faut certainement nous soucier du problème de l'abandon scolaire à un jeune âge et tenter d'aider ces jeunes, car nous savons que s'ils ne vont pas à l'école et qu'ils ont l'impression d'avoir échoué, ils risquent de consommer de la drogue et de l'alcool et de se retrouver dans des groupes qui n'ont pas une bonne influence sur eux. Encore une fois, cela les amène à se retrouver dans un centre de détention pour jeunes et, très souvent, dans une prison pour adultes plus tard.

Nous pouvons faire beaucoup de choses à cet égard. En ce qui concerne les programmes destinés aux filles, nous pensons qu'il est très important d'être attentifs à la violence que subissent les filles et au fait que beaucoup d'entre elles quittent leur foyer si elles sont victimes de violence. Les gens se demandent pourquoi elles doivent quitter leur foyer et pourquoi on n'intervient pas davantage auprès de la personne violente.

Le deuxième volet porte sur la discrimination systémique. Nous sommes très heureux que des services de police et la GRC aient participé à nos cercles. Des gens l'ont fait en toute sincérité et ont dit qu'ils n'étaient pas au courant de tout cela, qu'ils n'avaient jamais vraiment entendu parler des pensionnats et qu'ils croyaient que les événements s'étaient passés il y a très longtemps et loin d'ici. Ils étaient reconnaissants du fait qu'ils avaient à réfléchir aux raisons pour lesquelles c'était pertinent aujourd'hui et à quel point cette horrible histoire, qui a presque eu l'effet d'une bombe nucléaire au milieu des familles et des collectivités autochtones, a ébranlé les fondements des collectivités et empêche toujours les gens d'avoir de bonnes relations aujourd'hui.

Par ailleurs, cela nous a ouvert les yeux, car nous avons réalisé à quel point peu de gens savent ce qui s'est passé et à quel point des accusations sont encore lancées de toutes parts. Je suppose qu'on ne saisit pas l'importance des atrocités commises durant la colonisation au Canada. On refuse d'admettre les faits. Il en résulte un manque de compassion. Cela fait défaut dans le système judiciaire. Oui, il y en a parmi les gens, mais pas dans le système dans son ensemble. À cet égard, il faut qu'il y ait un changement d'attitude.

Il se peut que l'une des raisons pour lesquelles on n'a pas tenu compte des rapports de l'enquêteur correctionnel depuis si longtemps, comme c'est le cas pour bien d'autres recommandations, comme le rapport de Louise Arbour et de la CRPA, c'est que nous ne croyons toujours pas en la beauté, la force et l'intelligence de la vision du monde et de la justice des Autochtones et de leur façon d'élever leur famille.

Lorsque nous demandons à ce qu'on tienne davantage compte de la façon dont les Autochtones travaillent avec les jeunes et les adultes en difficulté, nous constatons qu'il n'y a pas autant de ressources que nous le souhaiterions, ou que s'il y en a suffisamment, on risque toujours de les perdre. La Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones est un bon départ et beaucoup d'autres programmes sont entrepris au pays, mais leur durée est toujours incertaine, et bon nombre d'entre eux ont disparu.

On ferait fausse route si l'on ne s'en tenait qu'à demander des fonds supplémentaires. L'idée, c'est qu'il nous faut croire en eux. Nous devons croire et savoir que les programmes de justice autochtone fonctionnent. Ils sont vraiment efficaces. Les gens qui sont venus à nos cercles ont dit que la présence de gens qui comprennent la culture et d'aînés les aidait beaucoup, tout comme les programmes se déroulant sur le territoire et le fait de reprendre contact avec ce qui a été perdu. C'est important. Les pensionnats leur ont enlevé tout cela. Ils leur ont enlevé les protocoles de justice autochtone, leur dignité et ils ne savent plus que les peuples autochtones avaient des protocoles différents.

Au-delà de la réconciliation, il nous faut trouver une forme de réparation et soutenir de nouveau certaines de ces formes de justice. Il y a beaucoup d'excellents exemples. Nous avons rencontré beaucoup de gens qui ont travaillé merveilleusement bien avec des gens ayant des démêlés avec la justice. Ils les aident à renforcer leur estime de soi en reprenant contact avec la culture. Il n'y a pas de solution unique. Notre pays compte tellement de collectivités, qui ont toutes leurs formes et leurs protocoles.

De plus, les gens étaient très troublés par le fait qu'il n'y avait pas vraiment de surveillance. En prison, on n'autorisait pas toujours les détenus à faire une plainte quand ils le souhaitaient. On se réservait le droit de décider si leur plainte serait présentée. Bien entendu, nous étions très préoccupés par la ségrégation et l'isolement des femmes autochtones. D'autres rapports très importants portent sur cette question, dont un rapport de l'Université de Toronto. Des cas de violations des droits de la personne en prison nous inquiètent. La seule façon de changer les choses, c'est de mettre en place un mécanisme de surveillance. Nous appuyons la recommandation de l'enquêteur correctionnel à cet égard.

Il nous faut trouver des solutions de rechange aux prisons. Nous devrions commencer par les gens qui souffrent de troubles de santé mentale graves. La prison ne convient pas à des gens aux prises avec ces troubles. Ils ont besoin d'aide et de soutien, de professionnels qui sont à l'écoute de leurs besoins spéciaux. Bon nombre de nos jeunes sont atteints du syndrome d'alcoolisation fœtale et nous sommes très inquiets du temps qu'ils passent en détention préventive et dans un établissement correctionnel sans obtenir l'aide dont ils ont besoin.

Pour ce qui est des jeunes femmes, nous recommandons des solutions axées sur un travail plus global. La justice réparatrice est un aspect, et il est important, mais les solutions doivent inclure, par exemple, la question du logement, qui est un élément central. Bon nombre de femmes à qui nous avons parlé, et même les jeunes, vivaient dans des logements qui n'étaient vraiment pas sûrs. Certaines d'entre elles avaient fui la violence ou essayaient de se sortir d'une relation de violence, beaucoup vivaient dans la pauvreté et certaines avaient des problèmes de toxicomanie lorsqu'elles ont été arrêtées. C'était un problème important. Le fait de ne pas avoir un logement sûr est le facteur commun déterminant qui faisait en sorte qu'elles retournaient en prison ou non. Il est essentiel que les gens aux prises avec divers problèmes vivent dans un logement supervisé, sinon, les prisons se retrouvent avec beaucoup de gens qui ne devaient pas y être.

Les gens qui sont en prison ont besoin de beaucoup plus de soutien avant d'en sortir. Il y a une importante lacune. Les personnes n'étaient pas prêtes du tout lorsqu'elles sont sorties de prison. Nous sommes très préoccupés également par le fait que certaines sociétés Elizabeth Fry ont perdu du financement. Leur travail était tellement essentiel pour les personnes qui avaient besoin d'un logement et d'aide pratique à leur sortie de prison, et c'est nécessaire. Elles étaient ravies de rencontrer des groupes communautaires avant leur sortie et voulaient qu'un plus grand nombre de groupes communautaires et de groupes de formation viennent leur donner une idée de ce qui les attendait après leur sortie de prison. Il est très difficile de se faire soudainement catapulter à l'extérieur et de ne pas savoir comment survivre et quoi faire pour reprendre sa vie en main après avoir été isolé tout ce temps. Il ne suffit pas d'emprisonner les gens. Ils sortiront et il nous incombe de les aider à prendre un meilleur chemin. Mieux que cela, nous devons les empêcher d'entrer en prison en premier lieu.

Le président : Merci beaucoup.

La semaine dernière, j'ai passé une demi-journée dans un centre de désintoxication pour les jeunes dans l'ouest de la ville. Au cours des 15 derniers mois, 190 jeunes femmes de moins de 18 ans y étaient passées. Quatre-vingt-dix-huit pour cent des jeunes femmes qui avaient suivi le programme avaient commis au moins un crime au cours des six mois qui ont précédé leur entrée au programme. C'est le volet de la toxicomanie. La grande majorité d'entre elles souffraient également de maladie mentale. La plupart des jeunes femmes n'étaient pas des Autochtones.

Les statistiques sur les jeunes contrevenantes autochtones sont-elles comparables à celles des jeunes femmes non autochtones pour ce qui est de la maladie mentale et, encore plus important, les problèmes de toxicomanie?

Mme Cook : Dans un récent rapport de Toronto, on indique qu'environ 30 p. 100 des femmes autochtones ont des problèmes de santé mentale, mais je pense qu'on n'a peut-être pas tous les chiffres. Les gens pensent que les chiffres sur les jeunes sont très élevés également.

Le président : Je parle surtout de la toxicomanie, car comme beaucoup de gens le disent, bon nombre de troubles mentaux semblent être provoqués par la toxicomanie.

Mme Cook : C'est une question très importante. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais j'ai lu qu'une très grande proportion de personnes, autochtones ou non autochtones, ont les facultés affaiblies par la consommation de drogue ou d'alcool au moment de leur arrestation. Très souvent, les traumatismes vont de pair avec la toxicomanie. Les Autochtones souffrent de traumatismes et ils ont recours aux drogues ou à l'alcool pour composer avec le traumatisme. Les programmes qui sont efficaces à cet égard durent assez longtemps pour surmonter le traumatisme sous-jacent. Nous aimons vraiment la Société Tsow-tun Le Lum sur l'île de Vancouver. Il s'agit d'un programme correctionnel, mais en même temps, on s'occupe des répercussions des pensionnats de façon très holistique et c'est pertinent sur le plan de la culture. Les gens éprouvent des difficultés si on leur offre un programme de six semaines seulement, car ce n'est pas suffisant.

La sénatrice Dyck : Merci de votre exposé. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Comme vous l'avez mentionné d'emblée, c'est un dossier très complexe.

Ma première question concerne la Saskatchewan. Quelques articles ont récemment été publiés dans nos journaux au sujet de notre sous-ministre des Services correctionnels, Dale McFee, qui était en poste à Prince Albert. Il a adopté un modèle élaboré en Écosse et l'a mis en œuvre à Prince Albert. Selon ce modèle, les services de police semblent axés sur la prévention et l'intervention, avant de recourir à l'incarcération, et l'on fait appel à tous les intervenants concernés, dont les travailleurs sociaux et les responsables scolaires.

Savez-vous quelque chose au sujet de ce programme à Prince Albert? Selon ce que vous avez lu ou entendu, a-t-il connu du succès? A-t-il eu des répercussions? Bien entendu, la population de Prince Albert comprend au moins 30 p. 100 d'Autochtones.

Mme Corston : Je pense que le modèle dont j'ai parlé concorde avec celui qui est mis en œuvre en Saskatchewan. Un appel a été lancé par Condition féminine Canada l'automne dernier, je crois que c'était en novembre ou en décembre, et le modèle est actuellement mis à l'essai dans six villes du pays. Comme le programme est en plein lancement, on ne peut sans doute pas encore parler de succès ou de pratiques exemplaires.

On m'a donné un document sur les résultats qu'a donnés le modèle à l'échelle nationale, et je suis certaine qu'en l'examinant de plus près, on trouverait des exemples de réussite. Je suis persuadée que c'est une bonne approche.

Le président : Pour ceux que cela intéresse, il s'agit à Prince Albert du « Hub model », qui a été mis au point en Écosse. C'est un bon modèle.

La sénatrice Dyck : Les lacunes dans l'éducation sont l'un des facteurs qui font qu'une personne est plus susceptible de faire de la prison qu'une autre. Le président a soulevé la question des dépendances. J'ai rapidement survolé un exposé que j'ai déjà donné, mais je n'ai pas trouvé les chiffres.

L'une de mes préoccupations est que la population autochtone est maintenant très jeune, et je me demande si les chiffres rendent compte d'une augmentation des taux d'incarcération. Est-ce qu'ils correspondent aux données démographiques? Plus de la moitié des Autochtones ont 25 ans ou moins. Cette réalité a-t-elle joué un rôle au cours des dernières années?

Mme Cook : Je ne sais pas si on s'est penché sur la question. Il faudrait comparer les chiffres actuels avec les précédents pour voir la différence et faire le graphique. Je ne sais pas si on l'a déjà fait.

Même si cela a joué un rôle, cela n'explique pas toutes les disparités.

J'aimerais vous donner d'autres chiffres pertinents au sujet des jeunes. Entre 2004 et 2009, le nombre de jeunes femmes autochtones admises en détention provisoire a augmenté de 26 p. 100, alors qu'il a diminué de 8 p. 100 chez les jeunes femmes non autochtones. C'est inquiétant. Cette hausse a été enregistrée pendant les années qui ont suivi l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il y a lieu de s'interroger lorsqu'une disparité apparaît dans les années qui suivent l'entrée en vigueur d'une loi, même si elle comporte beaucoup d'éléments positifs. Pourquoi a-t-elle des répercussions différentes sur deux groupes distincts?

De plus, chaque fois que nous adoptons une nouvelle politique, je pense que nous devrions essayer d'en prévoir les conséquences inattendues telles que le risque d'accentuer la disparité.

La sénatrice Dyck : La répartition des Autochtones au Canada diffère selon les régions. Dans les Prairies, ils représentent de 14 à 15 p. 100 de la population selon le recensement de 2006, ce qui est plutôt élevé.

Savez-vous si les taux d'incarcération diffèrent d'un bout à l'autre du pays? Je pose la question parce que certains sondages sur le racisme indiquent que la situation est probablement pire dans les Prairies qu'en Ontario. À titre d'exemple, j'ai une amie qui a quitté la Saskatchewan pour s'installer à Peterborough, en Ontario, où elle a travaillé dans un refuge pour femmes. Elle a dit qu'elle n'en revenait pas de la différence de culture, car son statut de femme autochtone n'était plus un facteur important à Peterborough alors que c'était assurément perçu de manière négative à Regina.

Savez-vous si les taux d'incarcération reflètent les différents degrés de racisme au pays?

Mme Cook : Je pense qu'on ne peut que spéculer sur les raisons exactes qui expliquent la situation. Le racisme est sans aucun doute bien ancré en Saskatchewan. J'ai moi aussi habité dans cette province, et il m'est également arrivé souvent de constater le problème. On ne peut pas passer à côté.

Les façons de voir diffèrent dans tout le pays. Nous devrions peut-être effectuer davantage de recherches, ou bien simplement assumer qu'il s'agit réellement d'un problème au sein de diverses institutions et prendre des mesures en conséquence.

La sénatrice Dyck : Merci.

Le sénateur Demers : Je pense que vous avez donné un excellent exposé, mais pendant que vous parliez, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à quel point mes trois filles et mes trois petites-filles sont chanceuses. J'ai également un fils, et en tant que père, il est difficile pour moi d'admettre que cela arrive à de jeunes filles ainsi qu'à de jeunes hommes innocents. C'est consternant.

J'ai une question à laquelle vous avez peut-être déjà répondu de nombreuses façons. J'espère que ce n'est pas le cas.

Quelles sont les difficultés fondées sur le sexe, s'il y en a, auxquelles les femmes et les filles autochtones sont confrontées dans le système correctionnel du Canada? On dit que certaines — et j'ai visité divers établissements pénitentiaires — mènent une vie différente et positive à leur sortie de prison, alors que pour d'autres, leur situation est pire à la sortie.

Quel est le traitement réservé aux femmes et aux jeunes femmes dans le système correctionnel?

Mme Cook : Merci de me poser la question. C'est un point très important.

On dit que les filles autochtones au Canada font l'objet de trop de surveillance et de trop peu de protection.

Elles sont trop peu protégées parce qu'il y a des prédateurs sexuels; trop peu protégées parce qu'elles risquent d'être fouillées à nu et de subir des procédures inappropriées en cas de démêlés avec la justice; et trop peu protégées parce qu'elles se retrouvent parfois dans des établissements mixtes pendant leur détention et qu'elles risquent donc d'être victimes de harcèlement sexuel, de fouilles à nu humiliantes et d'agressions sexuelles de la part de gardiens et de responsables de prison.

Je dirais que la ségrégation illégale pratiquée dans notre pays a particulièrement nui aux femmes autochtones. D'ailleurs, la grande majorité des femmes dont la cause est actuellement devant les tribunaux sont d'origine autochtone.

La distinction entre victime et auteur d'un crime est souvent très subtile dans le cas des femmes et des jeunes filles à risque. En fait, elles sont parfois les deux. Il n'est donc pas rare qu'une jeune femme autochtone qui a subi, par exemple, une agression sexuelle doive brièvement sortir de prison pour comparaître en cour. Les jeunes femmes sans logement, pauvres, qui ont été victimes d'abus et qui ont des antécédents de toxicomanie sont beaucoup plus susceptibles de se retrouver dans des situations où elles peuvent à la fois commettre et subir un crime. Ces crimes ne sont pas nécessairement violents, mais elles doivent néanmoins en assumer les conséquences.

Elles subissent énormément de discrimination lorsqu'elles se retrouvent dans la situation de victime. J'aimerais parler d'une affaire qui nous a préoccupés longtemps, mais qui, et je suis contente de le dire, s'est finalement bien terminée. Martin Tremblay était un prédateur sexuel qui s'en prenait à de jeunes filles en Colombie-Britannique. Ses victimes étaient généralement de jeunes personnes prises en charge par des organismes de protection de l'enfance. Il leur offrait de l'alcool, des drogues, les agressait sexuellement et filmait la scène. Un jour, deux jeunes femmes sont mortes dans sa maison, mais il aura tout de même fallu attendre très longtemps avant qu'il se retrouve de manière définitive derrière les barreaux, car un juge avait déclaré que ce n'était pas un délinquant dangereux, et on avait condamné le comportement des filles.

Nous avons un préjugé fondé sur d'anciennes notions européennes selon lesquelles nous sommes supérieurs aux Autochtones. Ce préjugé a entraîné beaucoup de discrimination fondée sur le sexe, et il a contribué à percevoir les filles comme des êtres sexuels et sauvages. Il subsiste encore aujourd'hui et est parfois très évident dans les cours de justice où il arrive que certaines d'entre elles ne bénéficient pas de la protection à laquelle elles ont droit, qu'elles soient victimes ou auteures d'un crime. D'énormes changements de mentalité sont nécessaires.

Le sénateur Demers : Vos explications sont claires. Est-ce que le système fonctionne? S'améliore-t-il? Certes, l'aide et le soutien sont insuffisants, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, et les ressources financières aussi. Mais il y a plus. Je ne pense pas que nous pourrons éliminer complètement le problème, mais le nombre de victimes semble augmenter au lieu de diminuer. Est-ce par manque de personnel? Est-ce que j'ai tort d'aborder la question ainsi?

Mme Cook : Quand vous parlez du système, voulez-vous dire le système correctionnel?

Le sénateur Demers : Je veux dire le système qui sert à réhabiliter ces jeunes filles. Reçoivent-elles suffisamment de soutien pour éviter de se retrouver à leur sortie de prison dans la même situation qui les a menées derrière les barreaux?

Si le système était meilleur, on leur donnerait une certaine éducation ou de meilleurs conseils. Avez-vous pour cela les ressources nécessaires?

Mme Cook : Il s'agit là d'un autre élément important, qui nous ramène à la question initialement soulevée par Mme Corston au sujet de la complexité et des multiples facettes du problème. Nous avons besoin de toute une gamme de services, d'organismes, de points de vue, de programmes et de comportements, et le manque d'échanges entre les intervenants pose problème. On ne peut pas s'attendre à ce que le système fonctionne bien si les organismes de protection de l'enfance, les écoles et les services de police ne communiquent pas entre eux, et si rien n'est fait pour lutter contre le paternalisme bien implanté dans les cours de justice.

Les jeunes femmes comme les plus vieilles aiment sentir qu'on ne les juge pas, qu'on les soutient, qu'on croit en elles. La fermeté est certes importante, mais les femmes veulent surtout être appuyées et avoir des modèles à suivre. Le groupe aide beaucoup. Le fait de côtoyer des personnes qui sont passées par le système, qui en sont sorties et qui ont repris leur vie en main, et le fait de participer à des programmes culturellement significatifs comme les cérémonies de sudation aident beaucoup. On ne fait peut-être pas les choses de la bonne façon, et on devrait habiliter les collectivités autochtones à mettre en œuvre leurs propres protocoles.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup.

Le sénateur Sibbeston : J'aimerais d'abord savoir si vous avez pris connaissance de l'approche du gouvernement en matière d'affaires criminelles, qui place l'accent sur les peines minimales obligatoires. Croyez-vous qu'un plus grand nombre d'Autochtones seront emprisonnés en conséquence? Comme vous le savez, les juges n'ont pas de pouvoir discrétionnaire dans notre système. Certaines infractions impliquent des peines minimales obligatoires. Quel est votre point de vue à ce sujet?

Mme Cook : C'est certainement très inquiétant; nous croyons qu'elles accroîtront le nombre de personnes incarcérées ou en détention préventive. Nous sommes déjà inquiets puisque dans les collectivités accessibles par voie aérienne, les délinquants sont détenus très longtemps avant leur procès, à un point tel qu'on peut parler d'une situation critique des droits de la personne. La procédure établie n'est pas respectée.

Plus le nombre de personnes incarcérées augmente, plus la double occupation des cellules augmente aussi. On nous a dit que dans certains cas, on enfermait trois personnes dans une cellule. Nous croyons que ces conditions sont propices aux émeutes. Je n'aimerais pas être gardien de prison au Canada en ce moment. Tout le monde est en situation de danger. Il faut se préoccuper des Autochtones et des personnes qui travaillent dans les établissements.

Le sénateur Sibbeston : Mon autre question a trait aux solutions de rechange du système actuel. J'étais avocat et j'ai travaillé dans les Territoires du Nord-Ouest. Ma plus grande force était de pouvoir parler aux gens dans leur langue et de connaître leur culture. J'ai pu faire en sorte que le système judiciaire, les juges, les procureurs, et cetera tiennent compte du contexte autochtone. Le système présente d'importantes lacunes, et c'est un problème.

Au milieu des années 1990, j'ai travaillé brièvement à la mise sur pied de comités de la justice dans les petites collectivités, pour que les Autochtones prennent en charge leur système judiciaire. Je disais souvent à ces collectivités que ce n'était pas à la GRC et aux Blancs de faire le sale travail; qu'elles devaient le faire elles-mêmes.

Pendant les quelques années que j'ai fait ce travail, nous avons réussi à établir des comités dans plusieurs collectivités, et à mettre en œuvre des cercles de détermination de la peine, qui se sont avérés très efficaces.

À un moment donné, on a voulu aider les Autochtones à gérer eux-mêmes les infractions. Aux États-Unis, par exemple, les Navajos ont leur propre système judiciaire, leurs policiers, leurs juges et leurs lois.

Croyez-vous qu'il y a eu ici une démarche en ce sens? Les Autochtones veulent prendre les choses en main et régler leurs problèmes. Quel est votre avis à ce sujet?

Mme Cook : Il y a de très bons exemples de justice réparatrice au pays, et de justice autochtone, qui est une forme de justice réparatrice utilisant des protocoles traditionnels; les deux cohabitent.

Les groupes de femmes autochtones ont fait part de leurs inquiétudes à ce sujet. Elles veulent être certaines de préserver la sécurité des femmes et des enfants dans les collectivités. Le principe fondamental est la mesure de responsabilisation. On sait que le système de justice autochtone est différent du système occidental, qui veut qu'on punisse les coupables, qu'on les incarcère pendant un certain temps puis qu'on les relâche. Selon la tradition autochtone, les coupables doivent faire face à leur victime et offrir une certaine réparation. Ils sont tenus responsables. Certains membres des collectivités autochtones se sont plaints de l'absence d'une telle responsabilisation au sein du système judiciaire non autochtone. D'une certaine façon, il dégage les coupables de leurs responsabilités. Ils supportent leur peine d'emprisonnement, souvent dans des conditions atroces qui nous inquiètent, sans surveillance, mais ils ne sont pas obligés de suivre une thérapie. Ils ne sont pas confrontés à leur victime et ne sont pas tenus de réparer leurs torts.

On pourrait faire encore bien plus pour appuyer les protocoles autochtones. Certains programmes font de l'excellent travail à l'échelle locale. Nous espérons qu'ils resteront en place, qu'ils respecteront les protocoles locaux et qu'ils seront influencés par les personnes sur le terrain. Je ne crois pas qu'on puisse faire le travail à distance. Les collectivités ont leurs propres protocoles; elles souhaitent avoir leurs propres systèmes judiciaires et faire les choses à leur façon.

Le président : À ce sujet, le programme de justice réparatrice à long terme du Yukon est probablement le plus efficace au pays.

Est-ce que les statistiques sur les femmes autochtones incarcérées au Yukon sont différentes de celles des autres provinces et territoires?

Mme Cook : Je n'ai pas étudié la question. Le rapport d'un groupe de femmes sur la justice du Yukon a été publié, mais je ne l'ai pas lu.

Le président : Au Yukon, les femmes sont également d'avis qu'il y a une surutilisation de la justice réparatrice ou communautaire en particulier, et disent ne pas se sentir en sécurité. On se demande aussi si la mise en œuvre de la justice réparatrice entraîne automatiquement des avantages.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous remercie de vos exposés.

Vous avez parlé de la pauvreté et de l'éducation. Croyez-vous que certaines femmes sont incarcérées parce qu'elles n'ont pas les moyens de payer un avocat? Est-ce une partie du problème?

Mme Cook : Oui. On a même entendu parler de cas où des personnes allaient en prison pour avoir de la nourriture ou pour être au chaud l'hiver.

La pauvreté est une chose terrible. Pouvez-vous vous imaginer ce que c'est de souffrir de la faim, de dormir par terre? La situation est particulièrement difficile pour les femmes, qui peuvent dépendre d'hommes dangereux. Les gens prennent tous les moyens possibles pour survivre.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Est-ce que les femmes incarcérées ont accès à des programmes de sensibilisation à la culture ou à d'autres formations du genre?

Mme Cook : Je crois que le Service correctionnel du Canada a des protocoles d'accès aux programmes culturels. Par contre, si les femmes sont détenues dans des unités de très haute sécurité — et comme on le sait, il y a une surreprésentation des femmes autochtones dans cette catégorie —, elles n'ont pas accès à ces programmes.

Je suis allée à l'établissement pour femmes Grand Valley dans le but de faire connaître la Commission de vérité et de réconciliation aux femmes, pour qu'elles puissent faire une déclaration si elles le souhaitaient. Nous avons été agréablement surpris de voir quelques femmes des unités de haute sécurité; cela n'arrive pas souvent.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Les programmes ne sont donc pas offerts à toutes les femmes incarcérées.

Mme Cook : Non.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je crois que les compressions dans les services de police des Premières nations entraînent certains problèmes. Croyez-vous que le nombre d'incarcérations augmentera en conséquence?

Mme Corston : La maison de justice dont on m'a parlé vise une transformation de la pensée, à s'éloigner d'un financement axé sur les projets. En règle générale, on finance les programmes de prévention en fonction des projets, mais pas dans les tribunaux ou les services de police urbains. On le fait par contre dans les collectivités des Premières nations, et chaque projet a une durée déterminée. Lorsqu'ils prennent fin, un réel sentiment de peur s'installe.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Les gens ont peur qu'il y ait plus de crimes.

Mme Corston : Oui. Il faudrait donc repenser le financement. C'est un grand défi.

La sénatrice Raine : Je vous remercie toutes les deux, vous nous avez aidés à comprendre la situation.

J'aimerais qu'on revienne aux collectivités. Je sais qu'elles sont nombreuses au pays, mais prenons l'exemple des petites collectivités types, disons de 500 ou 1 000 personnes. Elles ont des écoles, des églises, et souvent des centres communautaires. Les aînés y occupent également une place importante.

Quel est le rôle des aînés, et des autres? Les jeunes de 12 ou 14 ans et leurs mères, qui sont probablement dans la trentaine, et enfin les aînées, leurs mères à elles. Il y a une continuité de femmes au sein des familles.

Comment cette force est-elle transmise, et comment les jeunes filles sont-elles encadrées?

Mme Corston : L'AFAC a réalisé un projet, le programme Daughter Spirit, issu de l'initiative Sisters in Spirit, dont vous vous souvenez peut-être. Au fond, le projet servait à rassembler les jeunes et les aînés pour renforcer le lien qui les unit. Les jeunes organisaient diverses activités communautaires — une partie de volleyball, de basketball, de hockey ou autre — et y invitaient les aînés. Le projet visait la prévention du suicide et le renforcement des capacités mentales. Les jeunes et les aînés ont créé des liens très étroits grâce à ce projet.

Certains jeunes m'ont fait part de leur expérience; ils ont grandement tiré profit de cette relation avec les aînés et de l'apprentissage des protocoles et des enseignements traditionnels. Je crois que ces liens sont très importants.

Mme Cook : Ces relations sont aussi très importantes pour la réconciliation, pour retrouver ce que nous avons perdu. Lorsqu'ils sont arrivés chez nous, les Européens nous ont imposé leur vision hiérarchique où les hommes étaient plus importants que les femmes, où les fils étaient plus importants que les filles, et où les propriétaires étaient plus importants que les paysans. Ces valeurs ont été transmises aux nouvelles générations.

C'était tellement différent de la vision autochtone, du cercle des relations où chacun tenait un rôle distinct, mais respecté. Les femmes ont perdu leurs rôles de médiatrices, d'enseignantes et d'éducatrices au sein de la famille et de la collectivité, et cette perte a un lien direct avec les traumatismes, la violence et le manque de respect que l'on connaît aujourd'hui. Si les enfants grandissent dans un environnement où les femmes ne sont pas respectées, ils risquent d'imiter ce comportement, ce qui peut donner lieu à toutes sortes de problèmes.

Ces programmes sont essentiels. Ils visent à réparer ce qui a été brisé, à rétablir le respect et à reprendre les rôles perdus. Lorsque nous étions dans les Territoires du Nord-Ouest, certaines jeunes filles nous ont fait part de leur désir de faire la chasse traditionnelle, qui était pratiquée par les femmes autrefois, mais qui a été réservée aux hommes depuis l'établissement des pensionnats. Certaines aînées auraient voulu les y amener, mais n'en avaient pas les moyens. Elles m'ont dit qu'il fallait que le Canada sache — elles savaient que je reviendrais à Ottawa — qu'elles voulaient des programmes de sensibilisation à la terre, et pouvoir enseigner les traditions aux jeunes.

La sénatrice Raine : Ces programmes ne sont pas nécessairement coûteux. On ne parle pas d'acheter de l'équipement de hockey ni rien du genre. On parle d'apprendre à trouver la nourriture et à cueillir les fruits, ce genre de choses. J'espère qu'on les écoutera.

On célèbre cette année le centième anniversaire de Grands Frères Grandes Sœurs du Canada. Ces jours-ci, 100 jeunes — les Petits Frères et Petites Sœurs — prennent part à un sommet à Ottawa. C'est une organisation formidable, composée principalement de bénévoles. Elle a fait part de son intérêt à collaborer avec les collectivités autochtones, et certains projets pilotes sont en cours. Les jeunes filles ne veulent pas ou ne peuvent pas toujours parler à leur mère. Le fait d'avoir un autre adulte ou un intermédiaire à qui on peut se confier aide beaucoup. La solidarité féminine n'est pas seulement présente dans la famille. Elle est aussi dans la collectivité. Aimeriez-vous partager vos idées ou nous faire part de certains autres projets de mentorat?

Mme Cook : Je ne connais pas ce programme. C'est très bien, et je crois qu'il faut plus de programmes qui rassemblent les Autochtones et les non-Autochtones de tous les âges et de toutes les générations. C'est choquant de voir que certaines communautés voisines ne communiquent pas entre elles. Nous avons réalisé un projet intitulé En route vers la réconciliation avec l'appui d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, dont l'objectif était de présenter aux jeunes non autochtones du pays des films sur les pensionnats. On voulait créer des groupes de discussion avec des jeunes autochtones et non autochtones pour écrire le scénario. On a réussi dans certaines régions, mais pas partout. Comment cela est-il possible en 2013? Les gens n'ont pas confiance. Ils se sentent jugés. La stigmatisation, le racisme et la discrimination sont toujours présents.

Il reste encore beaucoup de travail à faire. Ces initiatives qui visent à établir de nouvelles relations sont donc très importantes. Nos jeunes deviendront peut-être juges ou policiers. Il est essentiel que les personnes qui travaillent dans le domaine de la sécurité publique et des services correctionnels comprennent l'histoire de notre pays et soient ouvertes aux nouvelles relations.

Le président : Pour faire un suivi sur cette question, j'ai examiné le matériel didactique que la Commission de vérité et de réconciliation a élaboré en collaboration avec Affaires autochtones, et je l'ai comparé au programme d'enseignement que tous les écoliers de 4e année de l'Australie doivent suivre relativement à leur génération perdue. Pouvez-vous expliquer pourquoi nous ne sommes pas allés une étape plus loin en obligeant tous les jeunes de certaines tranches d'âge et de certains niveaux à apprendre eux aussi, par le biais de l'école, les torts que le pays leur a faits?

Mme Cook : C'était d'ailleurs l'une des recommandations du rapport provisoire de la commission. Je ne sais pas s'ils se sont servis du mot « obligatoire », mais ils encourageaient toutes les écoles à dire la vérité sur ce qui s'est passé. Je suis convaincue que ces recommandations seront décrites plus en détail dans la version définitive du rapport, qui doit être déposée en 2014. Je crois savoir que les Territoires du Nord-Ouest ont déjà commencé à appliquer cette recommandation.

Le président : Ce qui est intéressant. Et je suis heureux que quelqu'un a accepté le défi, et surtout à l'endroit où je vivais, dans les Territoires du Nord-Ouest. Cependant, la vaste majorité des Canadiens vivent à moins de 100 miles de la frontière et la vaste majorité des Autochtones vivent à 1 000 kilomètres de la frontière. À mon sens, je pense qu'il est important que tous les Canadiens le voient.

Le sénateur Enverga : Ce sera plutôt un suivi à la question soulevée par le sénateur White il y a un moment. Y a-t-il des groupes inuits, métis ou autochtones qui réussissent mieux à cet égard et qui connaissent des taux d'emprisonnement moins élevés? Croyez-vous qu'aucun de ces groupes n'a de bonnes nouvelles à annoncer? Je sais que tout ce qui a été dit auparavant était plutôt triste, mais je veux savoir si vous avez quelque histoire encourageante à nous raconter. Qu'est-ce qui a marché et dans quelle partie du pays réussit-on le mieux?

Mme Cook : Il s'agit d'une tout autre étude, car nous avons fait venir à nos cercles des femmes et des filles qui avaient été en prison et nous nous sommes efforcées de savoir ce qui les avait vraiment aidées à réorienter leur vie, attendu qu'on leur avait déjà raconté des faussetés. C'était une différente question, mais cela est très important. Les personnes auront cette réaction à l'égard du suicide. Il y a un nombre élevé de suicides, alors on cherchera à s'informer des collectivités où les taux sont plus bas afin de s'en inspirer. Il se peut que quelqu'un ait déjà fait cette étude, mais je ne l'ai pas vue. Nous ne pouvons évidemment pas présumer que tous les Autochtones sont destinés à la prison. La majorité ne vont pas en prison et n'ont pas de démêlés avec la justice. Nous devons toujours remettre les choses dans leur contexte.

Le sénateur Enverga : Oui, mais pour ceux qui se ramassent en prison, combien y en a-t-il qui réussissent à retourner dans leur collectivité?

Mme Cook : Je n'ai pas vu d'étude là-dessus. J'ai appris cependant, à propos des jeunes libérés des centres de détention provisoire, que les travailleurs de ces établissements se disaient extrêmement frustrés de n'avoir aucun endroit où les envoyer. Souvent, ils n'avaient aucun logement une fois sortis, alors le fossé était énorme. Les travailleurs étaient inquiets, car ils avaient travaillé si fort avec les jeunes pendant leur séjour, essayant de les préparer et s'étant attachés à eux. Ils étaient vraiment inquiets et ils entendaient dire que ces jeunes vivaient dans des refuges, et que ces refuges étaient pleins. Les jeunes étaient désemparés et se retrouvaient dans la rue, ce qui ne les aidait d'aucune façon.

Le sénateur Enverga : Je m'intéresse à cela pour m'assurer que, si bonnes nouvelles il y a, elles seront reprises et encouragées, car cela s'inscrit en fait dans un processus d'apprentissage. Nous voulons en faire des modèles pour montrer à d'autres ce qu'il est possible de faire. Mais s'il n'y a rien d'encourageant à rapporter, tant pis.

Mme Corston : Il y a des indicateurs de réussite, notamment ceux mis à jour dans une recherche effectuée par Chandler et Lalonde. Je ne peux pas nommer de collectivités précises où ces indicateurs ont été appliqués, mais la continuité sur le plan culturel est un trait important des personnes qui réussissent, que ce soit dans l'éducation ou d'autres aspects semblables. Chandler et Lalonde ont fait beaucoup de recherche sur les indicateurs.

Le sénateur Enverga : Je commence à peine avec ce comité. Cela pourrait être très utile pour comprendre comment aider les personnes emprisonnées.

La sénatrice Raine : Madame Cook, vous avez dit que vos cercles avaient interrogé des personnes qui avaient été emprisonnées afin de savoir ce qu'elles avaient vécu pour les inciter à ne pas retourner en dedans. Pouvez-vous nous mettre au courant de ce qu'elles ont dit?

Mme Cook : Bien sûr. Le fait de ne pas être jugées était primordial. Le fait d'avoir des pairs qui étaient passés par là et de pouvoir compter sur des avocats sur place pour les aider de façon pratique. Le logement était très important; le fait d'avoir des gens à qui elles pouvaient se confier et en qui elles pouvaient avoir confiance; pouvoir compter sur un soutien assez long pour les aider à surmonter leur dépendance — ce qui rendait l'aide de courte durée vraiment problématique — l'accès à la culture et aux traditions. Enfin, le fait d'avoir accès à des personnes-ressources dans la collectivité pouvait leur ouvrir des portes et leur montrer ce qu'il leur était possible de faire une fois sorties de prison.

Nous avons aussi parlé à beaucoup de personnes qui travaillaient afin d'en empêcher d'autres de se retrouver en prison dès le départ, et cela marchait souvent très bien. Les interventions des aides judiciaires autochtones et les rédacteurs de la décision Gladue ont vraiment joué un rôle clé. Il y a aussi l'exemple du programme Urban Butterflies, en Colombie-Britannique — un programme primé axé sur les jeunes filles autochtones de l'aide sociale à l'enfance, un grand nombre desquelles ont eu des démêlés avec la justice comme délinquantes primaires. Il y avait une forme de programme de justice axée sur la transformation, où les intervenants tentaient de sonder les jeunes filles afin de savoir ce qui se passait dans leur esprit au moment où elles avaient commis leur délit. Cette méthode libérait tout un monde et les travailleurs s'efforçaient de voir la personne qui se cachait derrière le délit.

Parfois, il s'agissait de vol à l'étalage; la fille avait peut-être volé une blouse. Puis elle s'apercevait qu'elle l'avait fait pour séduire un garçon qu'elle souhaitait amener dans un party, mais apprenait par la suite que ce garçon était en fait un homme, alors qu'elle était mineure.

Les intervenants ont commencé à connaître ces filles et à les comprendre. Ils étaient ainsi mieux en mesure de les aider et d'intervenir dans leur vie, et d'avoir un effet bénéfique sur elles. Ils pouvaient les intéresser à suivre des programmes, à faire de l'artisanat, du perlage, les inciter à se joindre à toutes sortes de cercles, à apprendre des choses sur leur culture et leurs traditions, à se frotter à la culture bienfaitrice de leurs pairs, et ils leur fournissaient des solutions de rechange pour éviter d'être entourées de ces hommes prédateurs qui avaient sur elles une mauvaise influence. Ces points d'intervention étaient cruciaux.

Le sénateur Patterson : Merci pour ce très éloquent témoignage. J'aimerais ajouter quelque chose à propos de la question posée par Mme Raine sur ces ateliers. Vous avez aussi parlé avec les filles et les femmes de ces ateliers au sujet des raisons de leur emprisonnement et de ce qu'elles ont vécu en prison. Nous avons beaucoup de données statistiques à ce sujet, mais pouvez-vous nous relater, comme vous le faites si bien, certaines histoires que vous avez entendues?

Mme Cook : Ce sont souvent de bien tristes histoires. Je peux affirmer que nous sommes reconnaissants d'avoir obtenu un soutien bien concret du personnel de Santé Canada, des membres de la société des aînés des survivants des pensionnats indiens ainsi que des travailleurs du programme de soutien en santé relatif à la résolution des questions des pensionnats, car ces histoires n'étaient pas faciles à raconter.

Les personnes venaient souvent de familles en grande difficulté, qui vivaient des problèmes de dépendance, de négligence et de maltraitance. Certaines des femmes avaient fui la violence et s'étaient retrouvées dans la rue. Les logements étaient peu sûrs. Certaines avaient fait de la prostitution pour gagner de l'argent, puis pour assouvir leur dépendance à diverses substances. Il est tout à fait primordial de chercher à cerner le traumatisme qui se cache derrière la dépendance.

Beaucoup ont dit ressentir de la honte, une très grande honte. Beaucoup avaient été prises en charge par l'aide sociale à l'enfance. Elles avaient été retirées de leur famille et ce n'était pas toujours parce qu'il y avait eu de la maltraitance. C'était parfois pour une question de pauvreté. On les avait retirées de leurs familles parce que leurs familles étaient pauvres et considérées comme inadéquates par l'aide sociale. Et c'est là que le profilage et le racisme entrent aussi en scène, avec tout le remue-ménage des années 1960 en toile de fond. C'est ce contexte qui a fait en sorte que des enfants ont été retirés de leur foyer, ce dernier étant considéré comme inférieur selon la nouvelle norme.

La honte. Les gens avaient tendance à se blâmer et ressentaient beaucoup de honte d'avoir grandi dans la pauvreté ou d'avoir subi la violence qu'on leur avait infligée. Plusieurs ont passé de nombreuses années avec des problèmes de dépendance. Il y avait aussi parmi nous de nombreux survivants des pensionnats et des survivants de différentes générations. Ils ont parlé du manque d'uniformité, d'une éducation en dents de scie, une dynamique qu'ils associaient aux pensionnats. L'encadrement pouvait être extrêmement strict un jour et passer à un laisser-faire complet le lendemain. Il était difficile pour eux de trouver des assises solides et un équilibre.

Celles qui avaient elles-mêmes des enfants — comme nous le savons, plusieurs des femmes qui sont dans les prisons, la majorité en fait, sont des mères — répétaient souvent le même schème. Les habitudes passaient à la génération suivante. Elles n'avaient pas été là pour leurs parents et elles en avaient honte. Elles s'en voulaient beaucoup. Bien entendu, à l'époque des cercles, nombre d'entre elles avaient suivi des thérapies, alors le choix des thérapies appropriées pour leurs dépendances était très important. Nombre d'entre elles étaient dans la démarche de récupérer leurs enfants ou les avaient déjà récupérés et étaient passablement plus optimistes au sujet de ce qu'elles pouvaient maintenant leur transmettre, ainsi qu'à leurs petits-enfants, et ainsi briser le cycle.

Le sénateur Patterson : Dans une optique légèrement différente, vous avez terminé votre rapport, La condition féminine importe, au mois de mars 2012. Dites-moi : y a-t-il eu quelque progrès que ce soit quant aux recommandations que vous avez adressées au gouvernement fédéral? J'aimerais aussi vous poser une question au sujet du rapport de l'enquêteur correctionnel qui est paru plus récemment au sujet des Autochtones qui sont dans le système correctionnel. Est-ce que les conclusions de ce rapport font écho à certaines des vôtres, et avez-vous des commentaires à faire au sujet de ce rapport, en lien avec ce que votre travail vous a amenée à découvrir?

Mme Cook : La principale différence est que le rapport de M. Sapers était un rapport fédéral, ce qui signifie qu'il s'est penché sur les tenants et aboutissants des services correctionnels fédéraux. Notre travail n'était pas cantonné aux institutions fédérales. Nous avons donc parlé à des intervenants des services correctionnels provinciaux, territoriaux ainsi que fédéraux, mais aussi à des jeunes et à de jeunes contrevenants, et aux personnes qui travaillaient avec eux.

L'une des principales recommandations était de faire sortir le plus de personnes possible des prisons. Empêchons d'abord les gens de se retrouver en prison, en envisageant des solutions de rechange. À titre d'enquêteur correctionnel, M. Sapers devait se focaliser sur la situation des prisons en cherchant à cerner les cas d'abus, les disparités et les problèmes.

Nous croyions qu'il y avait déjà eu tellement de rapports. Nous savons qu'il produit des rapports régulièrement, lesquels sont très importants. Bien entendu, il y a eu l'excellent rapport de Louise Arbour, il y a de cela plusieurs années. Il y a eu celui de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui contenait une section sur la justice. Il y en a eu plusieurs qui ont été ignorés. Dans une grande proportion, les recommandations de ces rapports ont été ignorées. Nous ne voulions pas que ce soit juste un autre rapport sur les problèmes des services correctionnels fédéraux. Notre recommandation à ce sujet est : mettez les recommandations en œuvre. Mettez en œuvre les recommandations sur la responsabilisation contenues dans le rapport de Louise Arbour.

Il faut un mécanisme de surveillance, un mécanisme judiciaire contraignant, par lequel on rend des comptes au Parlement. Il y a tant de choses à faire. Nous devons être très prudents avec l'isolement — qui est un problème de droits de la personne très préoccupant —, et faire attention à la longueur des séjours imposés aux personnes placées en isolement. Nous sommes préoccupés par les conditions d'emprisonnement. Or, bien qu'un grand nombre d'aspects relatifs à ces conditions nous préoccupent, nous avons surtout cherché à cerner les solutions de rechange, à savoir comment prévenir l'emprisonnement et appuyer les solutions autres que la prison.

Le président : Si je peux me permettre, vous parlez plutôt du fait que M. Sapers est en aval alors que vous cherchez actuellement à nous amener en amont.

Mme Cook : Je ne dirais pas qu'il est en aval, mais juste là où il faut. Dans le mille.

Le président : Du point de vue de la justice pénale.

Mme Cook : Il écrit en fonction de son point de vue, sur ce qu'il faut qu'il regarde, et il faut que quelqu'un s'intéresse à cela, mais il faut que cette personne ait un pouvoir d'intervention assorti d'une responsabilité vis-à-vis du Parlement.

Le président : Si l'on regarde à quelle hauteur de la rivière M. Sapers se situe — pour poursuivre la métaphore —, nous avons beaucoup parlé de l'emprisonnement adapté au sexe, et certains d'entre nous ont parlé de l'emprisonnement adapté à la situation géographique. En fait, nous sommes quelques-uns dans cette salle — auxquels il faut ajouter le sénateur Watt, qui n'est pas avec nous ce soir — qui ont parlé de l'emprisonnement axé sur la démographie, c'est-à-dire des installations conçues pour répondre à des besoins démographiques précis et qui s'efforceraient de rassembler des programmes mieux arrimés aux besoins culturels et linguistiques d'une région, qui pourraient même être assorties d'ouvertures en matière de réadaptation.

Est-ce que l'AFAC a déjà jeté un coup d'œil aux programmes qui existent un peu partout dans le monde? Je ne crois pas qu'il y en ait un seul au Canada qui soit précisément axé sur la démographie. Nous avons certes parlé des Inuits, mais je ne prétends pas que ce qui fonctionnerait pour eux fonctionnerait aussi pour les autres collectivités autochtones. Si la réponse est non, je l'accepte.

Mme Cook : Il y a bien eu un présentateur à l'un de nos cercles, en Colombie-Britannique. C'était un avocat de la Couronne à la retraite qui faisait une présentation sur la justice autochtone ailleurs dans le monde. Il avait en outre participé à certaines recherches dans quelques États d'Amérique latine où des groupes autochtones tentaient de réinstaurer leurs propres protocoles en matière de justice, et nous avions trouvé cela formidable. La présentation était très réussie et elle a eu tout un effet. Selon lui, le Canada pouvait faire beaucoup plus à cet égard. Nous avons commencé à reconnaître certains protocoles dans une certaine mesure, mais nous pourrions aller beaucoup plus loin.

La sénatrice Dyck : À ce chapitre, je me demande si les pavillons de ressourcement seront en mesure d'offrir ce type de programmes. Leur portée est dirigée. Les pavillons de ressourcement que je connais sont programmés en fonction des Prairies, de la culture crie et d'autres cultures des Prairies. Alors, oui, nous en avons, mais ces programmes ne conviendraient pas aux peuples du Nord, car la culture des Prairies n'est pas la même que celle du Nord.

Le président : On construit des établissements où l'on incarcère des gens et, d'habitude, la décision est fondée sur une foule de facteurs, mais presque jamais sur des données démographiques. Je devrais dire plutôt qu'elle n'est presque jamais fondée sur des données démographiques du point de vue culturel ou historique. On tient compte seulement de la perspective sexospécifique ou de l'emplacement géographique. Je cherchais à trouver un exemple qui illustrerait ce point, parce que nous voulons déterminer, à la lumière de ces discussions, s'il y a lieu de convaincre d'autres de l'importance de cet aspect.

Mme Cook : Il y a un centre en Saskatchewan qui attire beaucoup d'attention internationale. Un de ses employés, Dale, est déjà venu témoigner devant vous; il est l'homme qui murmure à l'oreille des chevaux. Il travaille dans un de ces pavillons de ressourcement qui offrent aux femmes incarcérées une aide thérapeutique axée sur l'empathie et la compassion grâce aux liens développés avec les animaux. La spécialité de Dale est la thérapie par les chevaux. Il s'agit d'un programme autochtone traditionnel. Il y a des gens qui viennent d'un peu partout dans le monde pour examiner le programme. D'ailleurs, nous en parlons dans notre rapport; il s'agit d'un exemple de mesure positive.

Le sénateur Munson : Merci d'être des nôtres ce soir. Il s'agit d'une conversation intéressante, mais voici le hic : ce n'est rien de plus qu'une conversation. J'aimerais revenir un peu sur la question soulevée par le sénateur Patterson.

Lorsqu'on dort bien la nuit, on voit le verre à moitié plein; par contre, lorsqu'on passe une nuit sans sommeil, on voit le verre à moitié vide.

J'ai jeté un coup d'œil à votre rapport, publié en mars 2012. La question que je me pose est la suivante : au cours de l'année qui s'est écoulée depuis la publication de votre rapport et des recommandations qui s'y trouvent, qu'est-ce qui a changé pour les femmes autochtones?

Mme Cook : La situation nous inquiète; il n'y a aucun doute là-dessus. Dans le domaine de la justice, nous craignons de perdre du terrain. Le projet de loi C-10 a suscité beaucoup de préoccupations, à cause de son impact sur l'augmentation du nombre d'incarcérations. À voir les chiffres, il n'y a eu aucune diminution; la situation n'a pas changé et elle risque d'empirer.

Le nombre des jeunes Autochtones ne cesse de croître, tout comme le nombre de centres de détention provisoire qui sont construits. Devant ce fait, nous craignons que le système judiciaire se détériore. Les gens se retrouvent dans des situations dangereuses, et il ne faut pas oublier que, tôt ou tard, ces détenus seront relâchés. Lorsqu'on incarcère des gens pendant une période donnée dans des prisons pleines à craquer, où sévissent des conditions dangereuses, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils deviennent des citoyens irréprochables à leur sortie. Nous en paierons tous le prix, une fois qu'ils seront libérés. Il faut donc penser à des solutions de rechange.

J'aimerais bien pouvoir dire qu'au cours de l'année qui s'est écoulée depuis la publication de ce rapport, il y a eu toutes sortes de nouvelles initiatives formidables. La réalité, c'est que nous sommes inquiets; la réponse au rapport de Howard Sapers n'avait rien de rassurant. À la limite, c'était une pseudo-réponse.

Les Canadiens devraient être préoccupés de voir qu'au cours des 10 dernières années, le taux d'incarcération chez les Autochtones a doublé. Nous devrions être alarmés par le nombre élevé de jeunes Autochtones dans les prisons. Nous ne pouvons pas nous permettre une pseudoréponse. D'ailleurs, si nous tenons à la réconciliation, nous devons aborder la question dans un cadre de justice, ce qui nécessite une sorte de restitution et de reconnaissance des programmes autochtones.

Le sénateur Munson : « Nous ne pouvons pas nous permettre une pseudoréponse. » Qu'entendez-vous par là?

Mme Cook : Nous ne pouvons pas nous permettre de rester indifférents. Je trouve inquiétant quand je vois que les gens ne sont pas troublés d'entendre ces chiffres et ces disparités; on devrait plutôt se demander comment le Canada pourrait mieux s'y prendre, parce qu'on sait qu'on peut faire mieux. La situation devrait nous troubler au point de vouloir apporter des changements. On ne peut pas présupposer que les taux d'incarcération sont forcément élevés chez les Autochtones ou que les statistiques concernant les Autochtones sont toujours à la hausse. À mon avis, ces idées préconçues alimentent le racisme et les préjugés : on suppose que le taux d'incarcération est élevé, du simple fait que ces gens sont des Autochtones. Nous devons en être choqués et nous dire que notre pays est capable de faire mieux.

Le sénateur Munson : Où se situe le mouvement Idle No More dans le cadre de notre discussion?

Mme Cook : Je n'ai entendu aucune revendication de la part du mouvement Idle No More en lien avec cette question de justice particulière. Il se peut tout simplement que je n'en aie pas eu vent. Peut-être que les membres du mouvement se sont déjà prononcés là-dessus, mais que je n'ai pas lu le bon article de journal au bon moment et que cela m'a échappé.

Toutefois, je suppose que dans l'ensemble, le mouvement Idle No More a vu le jour parce que les gens se sentaient frustrés du fait que le dialogue était rompu : un trop grand nombre de projets de loi et de politiques étaient adoptés sans qu'on obtienne préalablement le consentement libre et éclairé des Autochtones et sans qu'on les invite à prendre part aux discussions en tant que partenaires égaux. Je le répète : la réconciliation n'a rien à voir avec la coprésence; il s'agit de rétablir une relation d'égalité.

Lorsqu'on adopte des lois et des politiques, que ce soit dans le domaine juridique ou autre, sans mener de consultations, on fait preuve de paternalisme. On croit que les Autochtones sont les pupilles de l'État; ils ne sont pas des partenaires à part entière; alors, nul besoin de les consulter. C'est, selon moi, ce qui a mis en colère les gens et ce qui les a poussés à dire : « Non, vous devez nous écouter. Nous devons prendre part aux discussions. Si vous envisagez de changer la Loi sur les Indiens ou la Loi sur les eaux navigables, nous devons être de la partie et ce, en tant que partenaires égaux. »

Le même constat vaut pour le domaine de la justice. Les Autochtones doivent prendre part aux discussions, et il faut les inclure dans ces conversations. Personne ne nous a consultés au sujet du projet de loi C-10. J'ignore si on a demandé l'avis des organisations autochtones, comme l'Assemblée des Premières Nations ou d'autres entités, relativement à cette mesure législative qui est lourde de conséquences pour les Autochtones. On n'a qu'à examiner les chiffres. On sait bien que les Autochtones subissent de profondes répercussions. Il faut donc nous consulter et nous permettre de prendre part aux négociations.

Le sénateur Munson : Ce soir, nous vous écoutons. Nous avons une conversation, comme je l'ai dit tout à l'heure. C'est bien beau d'être à l'écoute, d'établir un dialogue et de prendre connaissance des mesures recommandées, mais au bout du compte, a-t-on donné suite à certaines des recommandations que vous avez formulées dans votre rapport?

Mme Cook : Non, pas à ma connaissance.

Le sénateur Munson : Merci.

La sénatrice Raine : Il y a deux ou trois choses qui me dérangent. D'abord, il y a la réaction négative des gens d'affaires face au taux de natalité élevé parmi les Autochtones, parce que cela signifie que les Autochtones représenteront une bonne part de notre main-d'œuvre à l'avenir. Ensuite, il y a les gens sur le terrain, dans les collectivités, qui font valoir l'argument que le nombre de bébés qui naissent avec le syndrome d'alcoolisation fœtale est probablement aussi élevé qu'avant. Nous savons tous que ceux qui souffrent du syndrome d'alcoolisation fœtale ont plus de chances d'avoir des démêlées avec la justice. Par ailleurs, nous savons que des services d'aide sont offerts durant les premières années, surtout aux jeunes ou aux moins jeunes, mais si une femme tombe enceinte et qu'elle continue de consommer de l'alcool, alors c'est vraiment triste.

Y a-t-il des programmes d'appui? Les organismes de santé publique peuvent déceler très rapidement de tels cas et imposer des interventions. Lorsqu'un enfant commence l'école primaire et qu'il est déjà en retard, il ne pourra jamais rattraper le retard. En ce qui concerne les programmes d'éducation préscolaire, les programmes Bon départ, entrevoyez-vous une augmentation du nombre des initiatives destinées à remédier à ce genre de situations?

Mme Cook : Il y a une collectivité à Alert Bay, où l'on utilise une approche que je trouve vraiment intéressante parce qu'elle s'appuie sur une vision très holistique. Un des membres de cette collectivité a d'ailleurs siégé à notre comité de direction pendant quelque temps. On emploie une sorte d'approche qui va du berceau au tombeau; il y a donc des programmes d'intervention auprès d'enfants en très bas âge, des programmes d'éducation préscolaire et des programmes Bon départ. On travaille avec de jeunes familles, des parents célibataires et des adolescents à risque. Tous les mercredis soirs, on organise un souper avec les aînés et les personnes âgées de la collectivité. Il s'agit d'une perspective très globale. On offre également des programmes de justice réparatrice. Bref, il faut tout cela.

Dans le cadre de certains programmes, les services sociaux interviennent en cas d'urgence. S'ils enlèvent un enfant de peur qu'une mère consomme de l'alcool, sans toutefois aider la famille au complet ou la mère, nous craignons de nous retrouver dans une situation semblable à celle de la rafle des années 1960, et nous savons bien que cela n'a pas donné de bons résultats.

Nous avons besoin d'une approche holistique. Le syndrome d'alcoolisation fœtale touche l'ensemble de la famille. Voilà pourquoi nous devons aider la famille en entier.

La sénatrice Raine : Le programme à Alert Bay a-t-il porté fruit?

Mme Cook : Les gens là-bas ont réussi à faire revenir beaucoup plus d'enfants dans leur collectivité, et il en va de même avec la Première nation de Saulteaux. Beaucoup d'enfants avaient été retirés de leur famille.

En rétablissant de nombreux programmes à l'échelle locale et en renforçant le soutien aux membres de leur collectivité, ces gens ont pu accomplir un travail à multiples facettes. Ils ont également pu tisser des liens avec les juges. Ils les ont invités chez eux et leur ont dit : « Nous voulons ramener telle ou telle personne dans notre collectivité. Nous prendrons soin d'elle. » Grâce à ces liens, dans bien des cas, les juges ont acquiescé à leur demande.

Il faut travailler sous bien des angles différents.

La sénatrice Raine : Votre association est-elle en mesure de transposer leur modèle dans d'autres collectivités et d'en faire la promotion ailleurs?

Mme Cook : Je crois qu'on ne parle même pas de « modèle » à ce stade-ci. Ce n'est pas comme le modèle de Hollow Water. On n'en est pas encore là.

Il s'agit d'une approche très globale. La seule difficulté, par contre, c'est que la durée du financement s'étend sur 12 mois, d'avril à avril, dans le cas de certains programmes; on compte donc, dans une certaine mesure, sur des bénévoles et des gens qui travaillent sans relâche, au point de s'épuiser. Certaines des personnes avec lesquelles nous travaillons et avec qui nous avons établi des partenariats partout au pays sont parmi les gens les plus remarquables que nous ayons connus, parce qu'ils font un travail des plus difficiles dans des conditions éprouvantes. Nous devons donc mieux les appuyer.

La sénatrice Raine : Oui, il faut payer maintenant ou payer plus tard.

Le président : On va terminer là-dessus. Je tiens à vous remercier, toutes les deux, d'avoir été des nôtres ce soir. Nous aurions pu continuer pendant des heures.

Je demanderais aux membres du comité de direction de bien vouloir rester ici pour cinq minutes encore, après la levée de la séance.

Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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