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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 36 - Témoignages du 30 avril 2013


OTTAWA, le mardi 30 avril 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui suivent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet. Je suis le sénateur Vern White, de l'Ontario, et je suis le président du comité.

Le comité est chargé d'examiner les lois et les questions qui touchent les peuples autochtones du Canada en général. Pour choisir nos sujets d'étude, nous invitons à l'occasion des personnes, des organisations et des ministères à nous proposer des questions qui se rapportent à notre mandat. Aujourd'hui, nous écoutons le témoignage du Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada. Le mois dernier, ce bureau a déposé au Parlement un rapport qui intéresse énormément le comité. Ce rapport s'intitule Une question de spiritualité : les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Avant de donner la parole à nos témoins, j'aimerais demander aux membres du comité qui sont ici ce matin de se présenter.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Munson : Jim Munson. Je suis originaire du Nouveau-Brunswick, mais je représente l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Demers : Jacques Demers, de la province de Québec.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le président : Chers collègues, veuillez accueillir avec moi les représentants du Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada, M. Howard Sapers, enquêteur correctionnel, et Mme Marie-France Kingsley, directrice des enquêtes. Monsieur Sapers, nous vous écoutons.

Howard Sapers, enquêteur correctionnel, Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada : Merci. Je vous remercie de votre accueil et de nous offrir l'occasion de témoigner aujourd'hui. Bonjour à tous.

Nous avons préparé quelques commentaires, et je crois que vous avez reçu un exemplaire de notre exposé. J'aimerais le passer en revue très rapidement, pour avoir le plus de temps possible pour les questions.

En ma qualité d'enquêteur correctionnel du Canada, je suis toujours heureux d'être invité à comparaître devant le Comité comme, de fait, devant tout comité du Sénat, par opposition, parfois, à ceux de l'autre Chambre. Nos allocutions resteront assez courtes pour que nous ayons suffisamment de temps pour discuter des questions et des préoccupations relatives aux services correctionnels fédéraux pour Autochtones.

Aujourd'hui, je suis accompagné de la directrice des enquêtes, Mme Marie-France Kingsley. Mme Kingsley parlera du rôle que joue mon bureau en tant qu'ombudsman et elle vous donnera certains renseignements et certaines tendances concernant les services correctionnels fédéraux pour Autochtones.

Je parlerai ensuite de mon rapport spécial au Parlement, intitulé Une question de spiritualité, qui a été déposé le 7 mars 2013.

Comme vous le savez déjà, le problème de la surreprésentation des hommes et des femmes autochtones qui ont des démêlés avec le système de justice pénale au Canada ne date pas d'hier. Les facteurs sociaux, culturels, historiques et économiques qui contribuent au fait que les taux d'incarcération chez les Autochtones sont beaucoup plus élevés que les taux nationaux ont été documentés en profondeur. Ces taux sont dus aux effets persistants des pensionnats et de la création des réserves. Dès les débuts de nos contacts avec eux, les peuples autochtones ont dû composer avec l'assimilation, la dépossession et le déplacement.

Je vais laisser Mme Kingsley vous présenter quelques faits, puis je terminerai mon exposé.

[Français]

Marie-France Kingsley, directrice des enquêtes, Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada : Merci monsieur le président. Le Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada sert d'ombudsman aux délinquants qui purgent une peine de ressort fédéral et dans le cadre de son mandat, le bureau assure de façon indépendante un contrôle et une surveillance des services correctionnels fédéraux. Annuellement, il reçoit environ 6 000 plaintes de la part de délinquants. En 2011-2012, les enquêteurs ont passé environ 370 journées dans des établissements fédéraux, et ils ont interrogé plus de 1 600 délinquants. Au cours du dernier exercice financier, le bureau a reçu 18 000 appels à sa ligne sans frais et a effectué plus de 800 enquêtes portant sur des incidents de recours à la force.

La Cour suprême du Canada a reconnu dans la décision rendue pour l'affaire Gladu en 1999 et plus récemment, dans l'arrêt Ipeelee en 2012, les divers facteurs qui ont entraîné la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral notamment, les répercussions du régime des pensionnats, l'expérience avec les organismes de protection de la jeunesse ou d'adoption, les répercussions du déplacement massif et de la dépossession des peuples autochtones, les antécédents de suicide, de toxicomanie ou de victimisation dans la famille ou la collectivité, la perte ou les problèmes d'identité culturelle et spirituelle, le niveau de scolarité ou la manque d'instruction du délinquant, la pauvreté et les mauvaises conditions de vie, l'exposition ou l'adhésion aux gangs de rue autochtones.

À l'heure actuelle, les Autochtones représentent 23 p. 100 de la population carcérale sous responsabilité fédérale. En 2000-2001, ils représentaient 17 p. 100 de cette population. Le Bureau de l'enquêteur correctionnel estime que les taux d'incarcération chez les adultes autochtones sont dix fois supérieurs à la moyenne nationale et ces taux augmentent.

Depuis 2005-2006, la population carcérale autochtone a augmenté de 43 p. 100 par comparaison à la population carcérale non autochtone qui a augmenté de 5,6 p. 100 seulement. On compte donc maintenant plus de 3 500 délinquants autochtones dans les établissements fédéraux.

De plus, les résultats correctionnels sont bien pires pour les délinquants autochtones que pour les délinquants non autochtones. Par exemple, les délinquants autochtones sont beaucoup plus susceptibles que les délinquants non autochtones de purger la totalité de leur peine derrière les barreaux. En 2011-2012, les Autochtones représentaient 45,1 p. 100 du nombre total des délinquants qui étaient maintenus en incarcération jusqu'à l'expiration de leur mandat, bien que cette année-là, ils ne formaient que 22 p. 100 de la population carcérale.

En fait, la majorité des délinquants métis, inuits et des Premières Nations sous responsabilité fédérale obtiennent leur libération en vertu de la loi soit au deux tiers de la peine et non dans le cadre d'une libération conditionnelle.

Le nombre de délinquants autochtones qui obtiennent la semi-liberté ou la libération conditionnelle totale est largement inférieur à ce qu'il devrait être compte tenu de leur taux de représentation au sein de la population carcérale. Bien que les taux d'octroi de libération conditionnelle soient peu élevés pour tous les détenus, ceux des hommes et des femmes autochtones sont encore plus bas.

Les cas d'automutilation commise par des Autochtones dans les établissements fédéraux représentent 45 p. 100 de tous les incidents et huit des 12 délinquants qui s'automutilaient le plus fréquemment l'année dernière dans les établissements fédéraux étaient Autochtones, dont quatre femmes.

Les délinquants autochtones sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale et aussi les aires d'isolement. Ils présentent un taux de risque plus élevé et des besoins plus grands dans des domaines tels que l'emploi, la réinsertion dans la collectivité, les toxicomanies et le soutien familial. Malheureusement, ces réalités définissent les services correctionnels pour les Autochtones au Canada et il n'y a pas de solution miracle.

Enfin, le nombre de délinquantes autochtones est notre plus grande préoccupation. À ce jour, celles-ci représentent la sous-population à plus forte croissance parmi les services correctionnels. Nous notons qu'en dix ans, soit de 2002 à 2012, le nombre de délinquantes autochtones incarcérées dans un établissement fédéral a pratiquement doublé.

[Traduction]

M. Sapers : Voilà, mesdames et messieurs les sénateurs, le contexte dans lequel mon rapport spécial sur les services correctionnels pour Autochtones a été déposé au Parlement. Le rapport, intitulé Une question de spiritualité, porte sur l'évaluation du Bureau de l'enquêteur correctionnel à l'égard de l'application des dispositions propres aux Autochtones dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. C'est cette loi qui régit les services correctionnels fédéraux, et ce, depuis son entrée en vigueur en 1992, il y a plus de 20 ans.

De fait, le rapport porte sur l'application des articles 81 et 84 de la loi. L'article 81 permet au ministre de conclure avec une collectivité autochtone un accord dans le but de transférer à un établissement communautaire autochtone la responsabilité des soins et de la garde de délinquants autochtones qui, autrement, seraient incarcérés dans un établissement fédéral. L'article 84 permet à la collectivité autochtone de participer aux travaux de planification et de mise en liberté du délinquant qui retourne dans sa collectivité.

La loi prévoit également la mise sur pied d'un comité consultatif national sur les questions autochtones et précise que la spiritualité autochtone et les aînés ont le même statut que les autres religions et les autres chefs religieux. Au moment de leur promulgation par le gouvernement fédéral, en 1992, les dispositions de la loi touchant particulièrement les Autochtones s'inscrivaient parmi diverses mesures correctrices visant à réduire la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels et répondaient, en partie, aux demandes formulées par la Commission royale sur les peuples autochtones en 1995. Les réformes apportées ont permis d'adopter, en 1996, de nouveaux principes de détermination de la peine et elles ont par la suite abouti à la décision susmentionnée, qui fait jurisprudence et qui a été rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Gladue, en 1999.

Ces dispositions de la loi régissent les pratiques correctionnelles et le traitement des délinquants autochtones qui purgent une peine de ressort fédéral. Elles ne confèrent pas de « traitement préférentiel » aux Autochtones. De plus, ces dispositions traduisent notre point de vue selon lequel un système équitable tient compte des différences individuelles. Le terme égalité ne signifie pas que tous les délinquants doivent être traités de la même façon, mais plutôt qu'il faut reconnaître les désavantages et l'inégalité des chances et des résultats, et essayer d'y remédier.

Qu'avons-nous donc constaté 20 ans après que le Parlement a promulgué la loi? Nous avons découvert que les dispositions des articles 81 et 84 sont sous-utilisées lorsqu'il s'agit de transférer la garde, les services et les programmes aux collectivités autochtones.

De fait, seulement quatre ententes ont été conclues avec les collectivités autochtones en vertu de l'article 81 depuis 1992, et ces quatre ententes ont donné lieu à la création de seulement 68 places en vertu de l'article 81 dans l'ensemble du Canada. Cela équivaut à seulement 2 p. 100 de la population carcérale autochtone, qui est de quelque 3 500 détenus. Aucune entente n'a été conclue en vertu de l'article 81 en Colombie-Britannique, en Ontario, dans la région de l'Atlantique et dans le Nord.

Bien qu'une entente conclue en vertu de l'article 81 ait été prolongée, aucune autre entente n'a été conclue depuis 2001, malgré une augmentation de plus de 40 p. 100 de la population carcérale autochtone. Trois des quatre installations visées par l'article 81 sont situées dans des réserves, mais la plupart des délinquants autochtones sont mis en liberté en milieu urbain. Aucune place pour les femmes autochtones n'a été créée en vertu de l'article 81 avant septembre 2011.

Nous avons aussi découvert des disparités importantes entre les pavillons de ressourcement du Service correctionnel et les installations prévues à l'article 81, qui sont gérées par les collectivités autochtones. Il n'y a pas d'entente de financement permanente pour les installations prévues à l'article 81. Les budgets alloués aux installations gérées par les collectivités autochtones sont moins élevés. Il existe d'importantes inégalités au chapitre des salaires et des avantages sociaux pour le personnel, et les tâches liées à l'établissement de rapports, aux finances, à l'assurance et au fonctionnement sont lourdes dans les installations prévues à l'article 81.

En ce qui concerne les dispositions de l'article 84, nous avons conclu qu'elles sont sous-utilisées et trop complexes, qu'elles constituent un fardeau administratif trop lourd et qu'elles ne sont pas appliquées uniformément ou bien comprises, tant au Service correctionnel qu'à l'extérieur de celui-ci. Parmi les quelque 19 000 employés du Service, seulement 12 occupent le poste d'agent de développement auprès de la collectivité autochtone et peuvent faciliter les mises en liberté en vertu de l'article 84. D'ailleurs, le nombre de ces mises en liberté a baissé de plus de 50 p. 100 au cours des cinq dernières années. Moins de 100 délinquants ont obtenu la mise en liberté en vertu de l'article 84 l'année dernière.

Parmi les autres constatations principales du rapport Une question de spiritualité, on compte des critères d'admissibilité restreints qui, dans les faits, excluent la possibilité d'un placement dans un pavillon établi en vertu de l'article 81 pour la plupart des délinquants autochtones, une compréhension limitée des peuples, de la culture et des approches de guérison autochtones au sein du système correctionnel fédéral, une application inadéquate et inégale de certains aspects de l'arrêt Gladue sur les antécédents sociaux dans la prise de décisions dans les services correctionnels, des restrictions financières et contractuelles qui nuisent au travail des aînés dans les établissements fédéraux, une incapacité de bien prendre en compte les réalités urbaines et démographiques des Canadiens autochtones.

Pour donner suite à ces constatations, 10 recommandations ont été formulées dans le rapport Une question de spiritualité, notamment les suivantes. Premièrement, nommer un sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones pour faire en sorte que l'attention portée à ces services et que les mesures de reddition de compte soient adéquates. Deuxièmement, négocier des niveaux de financement permanents réalistes et à parité pour les pavillons de ressourcement actuels et à venir et augmenter considérablement le nombre de places disponibles dans les endroits ayant des besoins à combler. Troisièmement, offrir au personnel du Service correctionnel d'autres possibilités de formation sur les peuples, l'histoire, la culture et la spiritualité autochtones, et y inclure de la formation sur la façon d'appliquer les principes énoncés dans l'arrêt Gladue. Quatrièmement, résoudre les problèmes des aînés en ce qui concerne la charge de travail, les paiements et les niveaux de service pour qu'ils soient vraiment des partenaires à parts égales lorsqu'il s'agit d'assurer l'exécution des programmes et la prestation des services au sein du Service correctionnel. Cinquièmement, réduire le fardeau administratif et accélérer les processus ayant trait à la mise en liberté aux termes de l'article 84.

Je suis bien conscient que les difficultés auxquelles le Service correctionnel fait face en ce qui concerne la surreprésentation disproportionnée des Autochtones dépassent largement son mandat et que pour donner suite aux problèmes d'éducation, d'emploi, de logement et de santé une démarche pangouvernementale devra être adoptée. Cependant, le Service correctionnel peut tout de même prendre certaines mesures pour corriger les disparités et l'inégalité des résultats pour les délinquants autochtones sous responsabilité fédérale.

La réponse initiale du Service correctionnel du Canada au rapport a été décevante. Toutes les recommandations ont été rejetées ou utilisées pour maintenir le statu quo. D'après mon évaluation, aucun élément nouveau dans la réponse du Service correctionnel ne permettra de réduire, et encore moins d'éliminer, l'écart dans les résultats correctionnels et les inégalités qui contribuent à l'augmentation des taux d'incarcération de la population autochtone du Canada.

Le rapport avait un objectif modeste : examiner si le Service correctionnel du Canada fait tout ce qu'il peut pour que la volonté du Parlement soit respectée en ce qui concerne le caractère approprié des conséquences et du traitement réservés aux délinquants autochtones. J'ai relevé des écarts graves et troublants entre le texte de la loi et son application. Il faut faire preuve d'un leadership plus solide et améliorer la mise en œuvre des initiatives autochtones exigées par la loi pour régler le problème croissant de la surreprésentation des Autochtones dans les établissements canadiens.

Je serai ravi de discuter des constatations et des recommandations formulées dans le rapport Une question de spiritualité ainsi que de toute autre question ayant trait au traitement des délinquants autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux. Permettez-moi de vous remercier encore une fois de nous avoir invités à comparaître ce matin.

Le président : Je vous signale que la sénatrice Seth et le sénateur Sibbeston, de l'Ontario et des Territoires du Nord- Ouest respectivement, viennent de se joindre à nous.

Le sénateur Munson : Monsieur Sapers, il est toujours possible de commencer par un long préambule, mais je n'ai pas de préambule pour ma première question. Comment en sommes-nous arrivés là? Pourquoi une telle situation est- elle tolérée dans une société comme la nôtre aujourd'hui?

M. Sapers : Sénateur, j'aimerais bien avoir une réponse simple à vous offrir, mais les questions sur les causes nécessitent généralement des réponses complexes. Certes, la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones a dégagé divers facteurs historiques et culturels. Il est impossible de surestimer l'effet que les pensionnats et le déplacement ont eu sur des générations de Canadiens autochtones. Même des politiques à bien des égards anodines, comme la tolérance zéro et l'affectation de policiers dans les écoles en milieu urbain et interurbain, ont produit des effets importants et différentiels. Nous n'avons pas suffisamment examiné l'effet qu'ont les politiques sur les divers segments de notre population. Tout cela a donné lieu à une augmentation du nombre d'Autochtones qui ont des démêlés avec la justice et qui finissent dans les pénitenciers fédéraux.

Rien ne permet de croire à un ralentissement de la croissance des taux d'incarcération. Il est clair que les solutions fondées sur le système de justice pénale ne corrigeront qu'une petite partie du problème. Je l'ai dit, nombre des questions ne sont pas du ressort du régime correctionnel ni même de celui du système de justice pénale.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé d'écarts troublants entre la loi et la pratique, qui font que la volonté du Parlement est ignorée. J'ai deux ou trois questions élémentaires au sujet de votre rapport et de vos constatations. Vous dites que les limites contractuelles entravent le travail des aînés dans les établissements. Combien d'aînés travaillent actuellement dans le système carcéral fédéral? Je pense que vous avez ce chiffre. Est-ce que leur nombre augmente au même rythme que celui des détenus autochtones?

Je sais que les questions seront nombreuses, alors j'en pose tout de suite une autre. Elle porte sur la représentation des Autochtones. En 2008, l'ex-sénateur Bob Peterson a exprimé des préoccupations au sujet de la représentativité de la Commission nationale des libérations conditionnelles. J'aimerais bien savoir combien de membres des Premières Nations, de Métis et d'Inuits sont actuellement membres de la commission. Est-ce que ce chiffre, selon vous, reflète adéquatement la proportion de Canadiens autochtones incarcérés? Est-ce qu'une meilleure représentation au sein de la commission produirait de meilleurs résultats pour les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits dans les pénitenciers fédéraux? Ce sont deux questions distinctes, mais elles me semblent essentielles.

M. Sapers : Merci, sénateur. Je vous trouverai les chiffres concernant les aînés qui sont des employés ou des sous- traitants. Les aînés autochtones œuvrent dans les établissements et dans la collectivité. La principale récrimination des aînés, c'est qu'on les empêche d'intervenir directement dans les initiatives de guérison auprès des détenus autochtones en raison de contraintes administratives. Je n'ai pas ces chiffres sous la main, mais je vous les trouverai et je les transmettrai à la greffière.

Le nombre d'aînés autochtones et de contrats visant la participation des aînés autochtones n'a pas augmenté au même rythme que la population carcérale autochtone. Mon mandat n'englobe pas la Commission nationale des libérations conditionnelles, mais je vais essayer de trouver cette information ou du moins d'obtenir qu'un représentant de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui possède cette information, fournisse une réponse à la greffière.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé de l'article 81, qui permet au ministre de conclure des ententes avec des collectivités autochtones pour le transfert de garde. Vous en avez parlé, mais il est difficile de croire qu'aucune nouvelle installation n'a été créée depuis 2001, si j'ai bien compris, malgré cette augmentation de 43 p. 100, rien du tout, zéro. C'est terrible.

Je crois que vous êtes trop poli quand vous dites que c'est « décevant », c'est plus que décevant. Cela équivaut pratiquement à de la négligence volontaire. Selon vous, est-ce principalement attribuable au manque de ce que les gouvernements appellent des ressources ou à l'absence d'un engagement en vue de fournir des services aux Canadiens autochtones dans les pénitenciers fédéraux?

M. Sapers : Comme je l'ai dit, une des ententes a été élargie en 2011 afin de créer quelques places à Edmonton pour les femmes autochtones. C'est le seul changement qui a été apporté aux ententes. Seulement 68 places ont été créées à compter de 1999, rien de plus. Un certain nombre de discussions robustes ont eu lieu à la fin des années 1990 et au début des années 2000 avec diverses collectivités autochtones, mais elles n'ont débouché sur aucun nouveau contrat.

Le Service correctionnel du Canada éprouve certainement des problèmes de capacité, mais je ne pense pas que ce soit une question de ressources financières. Parallèlement, le SCC a ouvert ses propres pavillons de ressourcement. C'est là que nous constatons la disparité en termes de ressource, de rémunération, et cetera.

J'ai discuté avec des collectivités autochtones presque partout au pays depuis un an et je peux vous assurer que les collectivités autochtones veulent participer à des ententes en vertu de l'article 81. Toutefois, l'ancien processus a suscité beaucoup de frustration, et les collectivités autochtones hésitent fortement à conclure des ententes qui ne leur paraissent ni équilibrées ni équitables.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci d'être venu. Est-ce que le financement du Service correctionnel est identique pour les Autochtones et les non-Autochtones, par exemple en ce qui concerne l'alimentation?

M. Sapers : Le Service correctionnel du Canada et Sécurité publique Canada estiment les coûts annuels moyens par contrevenant en fonction du sexe et de la catégorie de sécurité, mais ils ne font pas de distinction selon la race ou la culture.

Nous avons examiné les sommes dépensées par place dans un pavillon de ressourcement exploité par une collectivité autochtone en vertu d'une entente prévue à l'article 81 et dans un pavillon de ressourcement exploité par le Service correctionnel du Canada. Nous avons relevé une énorme différence qui peut aller jusqu'à 40 p. 100 par place pour appuyer ce service et ce programme.

Les installations prévues à l'article 81 sont sous-financées en comparaison de ce que le SCC dépense dans ses propres installations pour fournir un service équivalent.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Quels sont, selon vous, les facteurs qui expliquent le nombre de femmes autochtones incarcérées? Pourquoi y a-t-il plus de femmes que d'hommes en prison?

M. Sapers : C'est une question très compliquée. Je suis désolé de ne pouvoir vous offrir qu'une réponse partielle. L'augmentation du nombre de femmes incarcérées est un phénomène mondial. Dans la plupart des compétences occidentales, le taux d'incarcération des femmes augmente.

Au Canada, cette augmentation est étonnante : 93 p. 100 en 10 ans. C'est donc dire que le taux d'incarcération des femmes autochtones a presque doublé. Il y a de nombreuses raisons à cela. Certaines sont liées à des changements de politique. Nous savons que les femmes suivent des trajectoires différentes pour arriver dans le système judiciaire. Nous savons que les femmes détenues dans les pénitenciers fédéraux ont généralement vécu des traumatismes importants, elles ont souvent des antécédents de violence sexuelle ou physique et de toxicomanie.

La croissance, dans ce cas encore, semble très directement liée à la situation de ces femmes, à la gravité de leurs démêlés avec la justice et à la nature des changements de politique qui font que l'incarcération est maintenant une conséquence plus fréquente de ce conflit avec la loi.

La sénatrice Lovelace Nicholas : À quel genre de changements de politique pensez-vous?

M. Sapers : Certains changements ont, par exemple, éliminé ou limité les possibilités de libération conditionnelle, et la disparition de la procédure d'examen expéditif a eu des répercussions. D'autres changements de politique ont créé de nouvelles peines minimales obligatoires. Tout cela a eu des effets sur les taux d'incarcération. La nature de l'activité criminelle des femmes qui participent au commerce du sexe, par exemple, ou au trafic de substances illégales a également eu des conséquences sur les taux d'incarcération des femmes.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Si vous pensez qu'il y a une solution, quelle serait-elle?

M. Sapers : N'oubliez pas que je vis dans un univers très particulier et étroit. Cet univers est formé des pénitenciers fédéraux et des autres lieux de garde, et je dois veiller à ce qu'ils fonctionnent conformément au cadre juridique et stratégique établi.

Je le répète, je suis convaincu que la plupart des solutions ne viendront pas de ce petit monde où je vis, mais que le Service correctionnel du Canada peut faire certaines choses. Par exemple, il pourrait commencer par recruter un plus grand nombre d'agents de liaison pour le développement des collectivités autochtones. Il y a quelque 44 établissements à niveau de sécurité minimal, moyen ou multiple. Il devrait y avoir au moins un tel agent dans chacun de ces établissements. SCC pourrait essayer de transférer des ressources des établissements vers les collectivités, ce que le Parlement avait envisagé en incluant l'article 81 dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il pourrait aussi s'efforcer véritablement d'affecter ces ressources à la prestation de services adéquats, à contrat. Il serait en outre important de modifier la structure de gouvernance et de leadership du Service correctionnel du Canada en nommant un responsable unique qui siégerait avec la direction pour répondre de l'avancement des dossiers. Dans le petit monde des services correctionnels fédéraux, selon moi, certaines mesures utiles pourraient être prises.

Le sénateur Demers : La sénatrice Lovelace Nicholas a posé deux questions que j'allais moi-même poser. En toute objectivité, je peux dire que c'était de bonnes questions et je l'en félicite.

J'ai trois filles et deux petites-filles. Je ne dis pas pour autant qu'il ne faut pas protéger aussi les jeunes hommes. Mes filles ont bien réussi; elles sont mariées. J'ai toujours considéré que les jeunes femmes étaient plus vulnérables et plus vulnérables aux attaques. Qui protège ces jeunes filles? Cela commence vers 13, 14 ou 15 ans. Elles prennent de la drogue, sont victimes d'inceste, de viol. Les jeunes hommes ont besoin d'aide eux aussi. Ne vous y trompez pas! J'ai également un fils.

Qui protège ces jeunes femmes? Où devrons-nous ériger la clôture autour de ces jeunes — je parle des jeunes filles — pour les protéger, les guider et leur inculquer un mode de vie? Comme l'a dit la sénatrice Lovelace Nicholas, nous parlons d'une fille sur trois, d'un garçon sur cinq, 34 p. 100 des femmes. J'ai de la difficulté à accepter cela. J'espère que vous pourrez nous fournir plus de détails à ce sujet.

M. Sapers : Merci, sénateur. Vous allez droit au but. Il y a quelques semaines à peine, j'ai assisté à un forum national à Edmonton, organisé conjointement avec l'Assemblée des Premières Nations et la Commission nationale des femmes autochtones pour envisager la création d'un programme national, une stratégie nationale destinée à éradiquer la violence envers les femmes et les jeunes filles. Certaines discussions très positives et utiles ont eu lieu dans le cadre de ce forum; mieux encore, un besoin a été exprimé de façon très émotive et, de fait, c'est une question qui mérite l'attention nationale. Les collectivités du pays doivent s'attaquer à leurs problèmes.

Il ne manque pas de preuve concernant ce besoin et concernant la vulnérabilité des enfants. Vous avez parlé de la vulnérabilité des jeunes femmes, et nous avons eu droit à quelques exemples horribles de telles vulnérabilités exploitées par des gens animés de mauvaises intentions.

Sénateur, si notre discussion a pour résultat d'encourager l'appui à l'élaboration d'une telle stratégie nationale et que cela contribue à accélérer le programme pour lutter contre la violence envers les femmes et les filles, je pense que cela serait très satisfaisant. Toutefois, je tiens à répéter que lorsque nous avons inscrit dans le mandat de l'ombudsman des services correctionnels fédéraux l'examen de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, notre vision était véritablement de déterminer si le Service correctionnel du Canada faisait tout ce qu'il peut et doit faire. J'ai pris conscience que c'est là un aspect très étroit de la discussion.

Le sénateur Demers : Je comprends très bien ce que vous nous dites, et cela me plaît. Merci beaucoup.

Le président : Permettez-moi de participer à la discussion. Je vois que la liste s'allonge, et si je ne dis rien maintenant, je n'aurai peut-être pas d'autre occasion.

Je veux vous remercier tous deux d'être venus. Je dois admettre que je craignais un peu, en vous convoquant devant le comité, que nous ne nous éloignions un peu de notre sujet. Vous et moi, monsieur Sapers, nous avons déjà discuté de ces questions. Prenons l'indice de gravité des crimes violents, qui est un bon indicateur des types de crime commis dans différentes régions précises du pays... Le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon viennent, je crois, aux premier, deuxième et troisième rangs dans l'indice de gravité des crimes violents, puis nous avons la Saskatchewan et le Manitoba. Je ne devrais sans doute pas m'étonner que de nombreux délinquants autochtones viennent de ces régions, en pourcentage, par habitant.

Je sais que vous vous intéressez principalement au Service correctionnel du Canada, mais je dois vous ramener un peu dans notre discussion, si vous le voulez bien.

La semaine dernière, j'étais au Manitoba. J'ai discuté avec des dirigeants autochtones des collectivités des Premières Nations et ils m'ont parlé de ce qui se passe dans leurs collectivités et qui, selon eux, contribue à remplir les établissements correctionnels ou fédéraux du pays. Je sais que vous discutez avec diverses personnes de ce qui se passe tant dans les collectivités que dans les services correctionnels, alors quel est, selon vous, notre principal défi? Je sais que vous avez mentionné l'éducation et l'intervention précoce, entre autres. Quel est, selon vous, le principal défi qui se pose dans les collectivités si l'on veut réduire le nombre de personnes placées en milieu carcéral? Disons qu'il faut choisir un aspect particulier pour les Canadiens.

M. Sapers : Sénateur, merci de cette question, et merci de me donner l'occasion de m'écarter un peu de mon mandat en répondant à vos questions. Je me reporte à l'époque où je travaillais en Alberta, à Edmonton, et au travail que je réalisais relativement à la stratégie des collectivités sécuritaires. Vous ne pouvez pas séparer la pauvreté, le logement, l'éducation, l'emploi et la toxicomanie des démêlés avec la justice. Pour obtenir des résultats positifs à la sortie du système, lorsqu'on ouvre la porte des prisons, il faut pouvoir compter sur un soutien au niveau communautaire et sur une capacité communautaire.

La question du logement est évidemment un immense problème en milieu urbain. Les difficultés liées à la pauvreté et à l'éducation sont d'énormes facteurs. Je ne crois pas que ces facteurs soient uniques, spéciaux ni nouveaux. Je crois que, collectivement, nous savons déjà tout cela. Lorsque le crime est commis, il est beaucoup trop tard pour une intervention de ce type. À cette étape, la police fait son travail, les tribunaux font leur travail, les prisons font leur travail, et cela nous ramène à mon mandat.

Je peux vous dire que l'article 84, qui permet aux collectivités autochtones d'intervenir et de participer à la planification de la libération et à la supervision des délinquants fédéraux, est une excellente idée. Tout cela est parfaitement logique pour les collectivités qui y ont participé. Elles se sentent en sécurité et habilitées. Les délinquants qui ont suivi le processus se sentent appuyés. Dans une collectivité que vous connaissez bien, au Nunavut, je peux vous dire que l'an dernier 49 délinquants inuits ont appris qu'ils étaient admissibles à une mise en liberté en vertu de l'article 84. De ces 49 détenus, les trois quarts, soit 35, ont affirmé vouloir participer au processus prévu à l'article 84. Pourtant, cette année-là, il n'y a pas eu une seule libération effectuée en vertu de l'article 84. Le service a fait ce qu'il devait faire et il a avisé les délinquants inuits du fait qu'ils étaient admissibles à retourner dans le Nord. Les trois quarts de ces délinquants étaient disposés à participer à ce programme, mais personne n'a pu le faire.

J'en reviens à la capacité et à la volonté du Service correctionnel du Canada de mettre effectivement en œuvre ces articles de la loi comme le Parlement prévoyait qu'ils seraient mis en œuvre.

Le sénateur Patterson : Je remercie nos témoins. Monsieur Sapers, vous occupez ce poste depuis près de 10 ans, je crois?

M. Sapers : Depuis le 1er avril 2004.

Le sénateur Patterson : Nous vous en félicitons. En 2009, votre bureau a publié un rapport intitulé De bonnes intentions... des résultats décevants : Rapport d'étape sur les services correctionnels fédéraux pour Autochtones; vous en étiez alors au milieu de votre mandat actuel. Est-ce que les constatations de ce rapport correspondent à ce que vous avez conclu dans Une question de spiritualité? Y a-t-il des recommandations du rapport de 2009 qui ont été mises en œuvre et si oui, dans quelle mesure?

M. Sapers : Les constatations sont parfaitement cohérentes. Le rapport que vous mentionnez, De bonnes intentions, a été réalisé à contrat parce que nous voulions avoir une opinion externe sur le rendement de SCC en lien avec tout un ensemble d'engagements, entre autres l'élaboration du Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones et du cadre correspondant. C'est un point de vue distinct des rapports de rendement. En outre, nombre des carences constatées dans Une question de spiritualité étaient déjà mentionnées dans le rapport de 2009.

Si je me souviens bien, en 2009 nous reprenions simplement notre recommandation clé, c'est-à-dire la nomination d'un sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones. Service correctionnel Canada est dirigé par un commissaire. Le comité de direction est formé d'un certain nombre de commissaires adjoints et associés et de sous- commissaires régionaux. Il y a des sous-commissaires pour les services correctionnels pour femmes, les ressources humaines, les soins de santé, et cetera; toutefois, il n'y a pas de cadre supérieur spécifiquement chargé des services correctionnels pour les Autochtones.

La sous-commissaire principale, le numéro deux au sein du comité de direction, est responsable des services correctionnels pour les Autochtones. C'est un élément important de son portefeuille, mais elle ne peut pas consacrer toute l'attention qui nous paraît nécessaire à cette seule partie de son mandat.

Le sénateur Patterson : Merci. J'imagine que c'est de la haute direction de Service correctionnel Canada que vous nous parlez. Vous avez fait état d'un comité de direction et de sous-commissaires. Je crois en outre savoir que le ministère a mentionné les coûts et les formalités supplémentaires dans sa réponse à votre recommandation.

Évidemment, si le système correctionnel voulait se pencher sur cette question négligée, il pourrait y affecter un des membres actuels de la haute direction. Je pensais vous demander s'il y a plus d'un sous-commissaire, mais il y a évidemment toute une équipe de gestion; vous pourriez peut-être nous dire combien de membres elle comprend. Certainement, la solution serait de choisir un de ces cadres supérieurs et de lui confier cette tâche. Est-ce que cela serait la solution, plutôt que de créer un nouveau poste, comme on semble en indiquer la nécessité dans la réponse?

M. Sapers : Sénateur, merci. Je m'explique mal cette réponse qui fait état de lourdeurs administratives et de coûts. À l'heure actuelle, il y a une directrice générale chargée des services correctionnels pour les Autochtones. Elle relève de la sous-commissaire principale, qui elle-même siège au comité de direction et relève du commissaire du Service correctionnel. Une bonne partie de la bureaucratie, si on veut utiliser ce terme, et de la structure est déjà en place. Il y a déjà une direction autochtone au sein des programmes, et une petite équipe de gestion pilote ces initiatives.

Il n'y a toutefois personne, au niveau de la haute direction — au comité de direction —, pour inscrire ce point à l'ordre du jour de chaque réunion. Nous avons examiné les comptes rendus des 20 dernières réunions du comité de direction, mais nous n'y avons pas relevé une seule fois le mot « Autochtone ».

Le modèle que vous suggérez est celui qu'a adopté SCC. SCC a inscrit le dossier autochtone dans le mandat de la sous-commissaire principale. Celle-ci prend ce dossier au sérieux, mais ce n'est qu'un élément d'un immense mandat.

Nous ne sommes pas naïfs au point de croire que la simple création d'un poste et l'ajout d'autres fonctions administratives résoudront ces problèmes. Nous disons que la question mérite un leadership véritable et une grande attention, il faut désigner quelqu'un dont le seul mandat sera de faire progresser ce dossier — plutôt que d'en faire un dossier parmi tant d'autres pour une même personne.

Quant aux coûts supplémentaires, j'ignore tout simplement ce qu'il en coûterait d'approcher un autre fauteuil de la table, parce que c'est vraiment ce dont il est question ici. Le reste de la structure existe déjà, pour ainsi dire.

Le sénateur Patterson : Merci. J'ai une autre question à poser, mais j'attendrai.

Le sénateur Sibbeston : Il y a bien des choses à dire. À une certaine époque de ma vie, j'étais avocat dans une collectivité autochtone et j'ai eu à intervenir dans le système de justice pour défendre des Autochtones devant les tribunaux. Il était très difficile d'essayer d'expliquer tous les facteurs qui peuvent mener quelqu'un à commettre une infraction — de les expliquer à un juge, à un procureur ou à un policier qui viennent d'une autre culture. C'était un travail difficile.

Une partie du problème vient de ce que les Autochtones sont différents. Ils ont une société et une culture différentes. Les lois pénales, évidemment, sont promulguées par le Parlement et elles sont faites pour tous les Canadiens, en général pour les habitants des villes. Nous avons des lois qui sont formulées et s'appliquent à la masse des Canadiens urbains, et on tente de les appliquer dans les collectivités rurales et du Nord ainsi qu'aux peuples autochtones. C'est là le problème.

Je constate qu'au gouvernement, le système de justice est le plus difficile à faire bouger, il est le plus immuable. C'est une partie du problème. Le système est très résilient, bien établi, immuable. Il est difficile d'y apporter des changements.

En outre, dans le cas des Autochtones, nombre d'entre eux ont passé des années dans les pensionnats, et les prisons sont un peu comme des pensionnats. Donc, de nombreux Autochtones y sont à l'aise et fonctionnent beaucoup mieux dans ce cadre qu'à l'extérieur, où ils doivent prendre des décisions. Cela explique un peu pourquoi il y a tant d'Autochtones en prison. Je pense que certains aiment même y être; la vie y est simple puisque vous êtes nourri, logé, et cetera.

Curieusement, quand je défendais les gens, il arrivait qu'un de mes clients soit jugé coupable et condamné à la prison. Je ne le voyais pas pendant quelques mois ou même une année. Quand il sortait de prison, je lui demandais comment il avait trouvé son expérience; il me répondait : « Pas mal. » Cela se passait dans les Territoires du Nord- Ouest, où les prisons sont plus confortables que dans le Sud. Il y a de nombreux programmes sociaux pour aider les détenus. Quand ils ressortent, ils ont toujours un peu engraissé, aussi. Les choses sont ainsi.

C'est terriblement difficile. Vous nous présentez un tableau désastreux et vous vous demandez si les choses changeront un jour.

En règle générale, les Autochtones sont dans une situation difficile. Ils consacrent l'essentiel de leur énergie à améliorer la vie communautaire et à développer les entreprises et d'autres aspects à caractère social. La société autochtone n'a pas beaucoup de tolérance ni de patience pour ceux qui s'attirent des ennuis. C'est une partie du problème. Je crois que la solution est toujours que les Autochtones s'efforcent de collaborer avec le gouvernement pour trouver des programmes et des façons de régler les problèmes.

Comme je l'ai dit, pour les Autochtones, l'essentiel de leur énergie est consacrée à la survie et à traiter avec d'autres programmes.

Je ne sais pas ce qu'est vraiment ma question. C'est plutôt un processus d'éducation, et j'essaie d'expliquer mon expérience.

Ne pensez-vous pas que si nous pouvons attendre une intervention du gouvernement, les Autochtones devront inévitablement faire eux-mêmes une partie du travail? Ils doivent s'adresser au gouvernement et proposer des programmes et essayer d'aider leurs frères incarcérés.

M. Sapers : Sénateur, certaines collectivités autochtones ont très bien su travailler en partenariat avec les provinces ou le fédéral pour faire exactement cela. Les pavillons de ressourcement prévus à l'article 81, selon moi, illustrent bien ces possibilités.

Les collectivités autochtones diffèrent par la taille, l'emplacement géographique, la population et les ressources. Je ne pense pas qu'il y ait une solution universelle, mais le fait que la Couronne fédérale soit disposée à collaborer avec ces collectivités autochtones pour reconnaître leurs différences et leurs besoins, c'est déjà quelque chose.

Dans le système correctionnel, faute d'autres types de programmes et d'occasions, nous avons vu que l'incarcération est devenue la solution par défaut. Je pense qu'il est vrai, et c'est très triste, que certains Canadiens aiment mieux vivre en prison que dans leurs collectivités. C'est une véritable honte qui entraîne en outre des coûts très lourds.

Le sénateur Sibbeston : J'ai une dernière question. Est-ce que vous pourriez y répondre? Le gouvernement fédéral a récemment adopté des lois sur les peines minimales. Pensez-vous que cela se traduira par l'incarcération d'un plus grand nombre d'Autochtones parce que les tribunaux n'ont plus de latitude concernant les peines et l'incarcération?

M. Sapers : Sénateur, c'est un aspect sur lequel toute une génération d'universitaires se penchera, et toutes sortes d'études seront réalisées pour tenter d'y répondre scientifiquement. Je peux vous donner mon impression. Depuis cinq ou six ans, nous avons vu croître de 9 ou 10 p. 100 l'ensemble de la population carcérale. Par ailleurs, nous avons constaté qu'un nombre considérable de changements de politique importants étaient effectués, dont des peines minimales obligatoires et de nouvelles peines. Nous avons aussi vu augmenter le taux d'incarcération des Autochtones, qui s'établit maintenant à 23 p. 100 de la population.

C'est une réflexion très primaire et une analyse fort superficielle, mais la population carcérale augmente, et la partie de cette population qui est d'origine autochtone semble augmenter plus rapidement. Il y a un certain effet, mais je ne peux pas établir de lien direct aujourd'hui et vous affirmer que cette politique donnée a produit ce résultat précis.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Sapers.

La sénatrice Raine : Merci d'être venus et de nous faire part de toute cette information. J'ai quelques questions qui visent peut-être à satisfaire ma curiosité, mais j'aimerais vous les poser.

Premièrement, il y a deux types de pavillons de ressourcement. L'un est géré par SCC et l'autre, par quelques collectivités qui ne semblent pas vouloir assumer cette responsabilité parce qu'elles n'ont pas de financement assuré pour ces installations. Est-ce que SCC veut vraiment gérer les centres de guérison autochtones ou préférerait-il que les collectivités le fassent?

M. Sapers : J'ai l'impression que le Service correctionnel du Canada s'est lancé dans la gestion des pavillons de ressourcement avec l'idée que le contrôle et l'administration seraient tôt ou tard remis aux collectivités autochtones où ils sont situés. C'est mon opinion personnelle.

Il y a quatre pavillons de ressourcement gérés par SCC actuellement, et quatre pavillons établis en vertu de l'article 81. Les quatre pavillons de SCC pourraient être remis aux collectivités autochtones, mais ces collectivités hésitent maintenant parce qu'elles sont bien conscientes de ce qui s'est passé dans les autres collectivités qui géraient des pavillons de ressourcement. Elles s'inquiètent de la disparité du financement et du soutien financier, entre autres. Elles craignent de se heurter à des difficultés, même pour des choses simples comme d'obtenir de l'assurance dans les collectivités autochtones. Il y a d'importants défis opérationnels à considérer.

SCC a peut-être créé ces pavillons dans le but de les remettre aux collectivités, mais ce n'est pas aussi simple.

Il y a d'autres différences intéressantes. Le taux d'occupation — l'utilisation des places — est beaucoup plus élevé en moyenne dans les pavillons de ressourcement de SCC. En moyenne, plus de 85 p. 100 de places des pavillons de SCC sont utilisées. Par contre, dans les pavillons prévus à l'article 81, quelque 70 p. 100 des places sont utilisées.

Si un pavillon de ressourcement est financé en partie en fonction du taux d'utilisation quotidien des places, vous imaginez facilement les difficultés que crée cette situation. Vous avez une structure, vous devez embaucher du personnel, contracter une assurance. Vous faites tout ce qu'il faut pour bien administrer les places dans vos installations, mais vous êtes payé en fonction du taux d'occupation. Donc, si vous n'avez pas un taux d'occupation de 80 ou 90 p. 100, vous n'avez pas le financement nécessaire pour appuyer adéquatement le fonctionnement. SCC détermine qui utilise ces places. Le fait que le taux d'utilisation des places soit plus élevé de ses propres pavillons que dans ceux des pavillons gérés à contrat illustre comment ces décisions de gestion sont prises. Ce n'est pas un reproche. Si je devais gérer le budget de SCC, je dirais « utilisons la place pour laquelle je paie déjà plutôt qu'une autre, qui entraîne un coût supplémentaire. » Mais dans ces conditions, comment voulez-vous conclure une entente raisonnable avec la collectivité?

Je suis désolé, sénateur. Ma réponse est bien longue, mais vous m'avez posé une question complexe. N'oubliez pas que lorsque le Service correctionnel du Canada a décidé de réserver aux délinquants à sécurité minimale les places créées en vertu de l'article 81, c'était une décision stratégique, pas une obligation juridique. N'oubliez pas que seulement 10 p. 100 des délinquants autochtones qui sont de compétence fédérale — 10 ou 12 p. 100 en permanence — sont envoyés dans des établissements à sécurité minimale. Quelque 90 p. 100 de la population est donc exclue par cette décision, elle n'est même pas admissible à un transfert dans des installations prévues à l'article 81. Ce n'était pas l'intention initiale de la loi lors de son adoption, en 1992.

La sénatrice Raine : C'est une décision stratégique?

M. Sapers : C'était une décision du Service correctionnel du Canada. Ce n'est pas dans la loi.

La sénatrice Raine : De toute évidence, vos statistiques montrent que les Autochtones incarcérés purgent toute leur peine, qu'ils ne sont pas libérés sous condition ni envoyés dans ces installations où ils pourraient se ressourcer. Comment peut-on obtenir de SCC qu'il revoie sa politique? Il faudrait se fonder sur les possibilités de guérison et certainement pas sur ce qu'ils ont fait pour en arriver là, il faut choisir ceux qui possèdent les qualités voulues pour se ressourcer.

M. Sapers : Le Service correctionnel du Canada prend ses décisions en fonction des possibilités de réinsertion sociale, de la classification de sécurité, et cetera. Cela soulève certaines questions relativement à l'adaptation culturelle des outils d'évaluation et de prise de décision. C'est le point de départ.

Si votre outil d'évaluation crée un groupe de délinquants qui présentent un faible potentiel de réinsertion sociale, un risque élevé de récidive et un besoin de sécurité stricte et que votre politique exclut ce groupe de toutes les occasions de participer à un programme élaboré spécialement pour répondre aux besoins culturels considérés comme des facteurs qui accroissent le risque de démêlés avec la justice, si vous suivez cette logique circulaire, il n'y a rien d'étonnant à ce que vous obteniez de tels résultats.

Les délinquants autochtones obtiennent des résultats inférieurs quelle que soit la mesure utilisée. Ils purgent une plus grande partie de leur peine et ils passent plus de temps sous garde à des niveaux de sécurité élevée. S'ils sont mis en liberté, c'est généralement parce qu'ils sont en sursis ou libérés sous condition et leur libération est plus souvent révoquée.

D'après les conclusions de certaines études sur les contrevenants qui ont séjourné dans un pavillon de ressourcement, ces délinquants sont réincarcérés un peu plus souvent que les délinquants qui n'ont pas séjourné en pavillon de ressourcement, mais il faut dire aussi qu'ils sont placés dans ces situations plus tard au cours de leur peine et qu'ils présentent un risque beaucoup plus élevé. Ce n'est donc pas une comparaison véritablement équitable.

Dans l'étude réalisée en 2001, je crois, il semble que 19 p. 100 des contrevenants envoyés en pavillon de ressourcement et renvoyés sous garde l'ont été, pas en raison de nouveaux crimes, mais pour des manquements mineurs à leurs conditions de libération, des choses comme le non-respect de l'heure de rentrée, pour avoir quitté le secteur géographique assigné ou pour d'autres manquements aux conditions de libération, plutôt que pour des infractions au Code criminel. Cela vaut dans pratiquement un cas de réincarcération sur cinq : 19 p. 100.

Nous avons divers problèmes stratégiques à régler si nous voulons vraiment répondre à votre question qui, si j'ai bien compris, se ramène à savoir comment repérer ceux qui veulent vraiment participer au processus de guérison et comment leur offrir les occasions voulues. Nous devons examiner toute une série de politiques pour trouver des réponses précises à cette question.

La sénatrice Raine : Vous m'éclairez un peu, mais votre réponse soulève d'autres questions. J'avais déjà noté celle-ci : est-ce que SCC a un plan pour offrir de la formation culturelle à un plus grand nombre d'employés?

Prenez le nombre total d'employés et le nombre de ceux qui ont une connaissance véritable des dossiers autochtones, c'est plutôt étrange. Si 20 p. 100 de votre population est autochtone et qu'il n'y a que 12 employés, vous pouvez peut- être nous expliquer comment cela fonctionne. Pourquoi n'y a-t-il pas de formation culturelle pour tous les employés?

M. Sapers : Madame la sénatrice, je propose deux ou trois choses. Je dois être très clair, car je ne veux pas être injuste envers le Service correctionnel du Canada. Le Service correctionnel compte de nombreux employés métis, inuit et membres des Premières Nations, beaucoup plus que les 12 agents de liaison affectés au développement communautaire autochtone. Ces hommes et ces femmes sont répartis dans toute la structure.

Service correctionnel Canada, en particulier depuis 15 ans, fait des progrès extraordinaires, il crée des programmes et des outils de dépistage adaptés aux Autochtones sur le plan culturel. La situation, croyez-le ou non, s'est améliorée. La participation des aînés, la possibilité de pratiquer la spiritualité autochtone, les sueries, les cérémonies, les cercles de guérison, les audiences de libération conditionnelle avec l'aide d'aînés, tout cela se produit de plus en plus souvent depuis une décennie environ. Je ne veux pas donner l'impression que SCC est aveugle à ces problèmes ou qu'il ne fait rien. Cela serait injuste et faux.

Le personnel a droit à de la formation dans l'ensemble du système. Le problème, c'est qu'elle n'est pas continue. Il n'y a pas suffisamment d'occasions de recyclage. La formation ne semble pas axée sur des problèmes précis liés à la prise de décisions contraires aux principes de l'arrêt Gladue. Ils sont mal compris. Les gestionnaires et les exécutants ne savent pas comment tenir compte des expériences vécues mentionnées dans l'arrêt Gladue lorsqu'ils prennent des décisions sur le placement et les programmes.

Heureusement, le Service correctionnel du Canada fait des progrès. Des choses positives se produisent et de la formation est offerte. Malheureusement, cette formation est insuffisante, elle ne porte pas sur les vrais problèmes, elle n'est pas assez fréquente et elle semble présenter des lacunes importantes.

La sénatrice Seth : Pardonnez-moi mon retard, j'ai sans doute manqué des choses, mais ce que j'apprends ici me paraît très intéressant. Il semble que la discussion porte largement sur ce qu'il faut faire et sur la façon de corriger cette surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels, un problème vraiment sérieux et troublant.

J'aimerais toutefois savoir si le SCC, le Service correctionnel du Canada, fait beaucoup en termes de prévention. Dans les collectivités des Premières Nations, par exemple, est-ce qu'il y a des services qui permettent de repérer et de cibler certains problèmes pour arriver à prévenir la criminalité chez les Autochtones?

M. Sapers : Le Service correctionnel du Canada, vous le savez, a pour mandat d'administrer les peines. Il n'a pas beaucoup d'occasions de prendre des initiatives préventives primaires. Sur ce que l'on appelle parfois le plan tertiaire, c'est-à-dire ce qui se passe après le prononcé de la peine, c'est là que SCC a l'occasion de briller. C'est là que l'élaboration d'un programme pour les Autochtones peut avoir de l'effet.

Nous savons que les interventions correctionnelles qui sont fondées sur les faits, qui sont exécutées par les personnes compétentes au moment opportun et qui répondent aux besoins des délinquants donnent de bons résultats. Prenez le Programme pour délinquants autochtones toxicomanes, élaboré par le Service correctionnel du Canada. Les évaluations montrent qu'il réduit les taux de récidive. Pour la prévention tertiaire, la prévention de la récidive, ce type de programme adapté sur le plan culturel et offert au moment opportun au cours de la peine semble réduire la récidive.

Les études sur le programme Tupiq, qui cible précisément les délinquants sexuels inuits, montrent les mêmes résultats. L'évaluation révèle que ce programme, bien exécuté par les personnes compétentes à l'étape opportune de la peine, réduit la récidive. C'est ainsi que les services correctionnels peuvent prévenir la criminalité. Toutefois, si votre question porte sur l'entrée du système, cela ne relève pas du Service correctionnel. Le Service correctionnel du Canada ne participe pas à la prévention primaire. Il possède une direction de justice réparatrice. Comme je l'ai dit, il élabore et exécute des programmes correctionnels et offre ses interventions à tous les délinquants, indépendamment de la race, du sexe ou de la culture, dans le cadre des plans correctionnels.

Toutefois, les programmes qui ont été élaborés précisément pour les délinquants autochtones, du moins ceux qui ont été évalués, répondent aux critères qui étaient fixés au moment de leur élaboration et, lorsqu'ils sont adéquatement exécutés, ils produisent des effets positifs.

La sénatrice Seth : Est-ce que des études ont montré que les mesures préventives pouvaient donner lieu à des économies relativement à l'incarcération? A-t-on réalisé des études, par exemple entre pavillons de ressourcement, qui montrent que cela s'inscrit dans une approche plus préventive lorsque les bons messages sont communiqués, et cetera? Est-ce que des études montrent que nous pouvons prendre des mesures préventives plutôt que de les laisser en prison, ce qui est coûteux? Y a-t-il une différence?

M. Sapers : Je peux vous dire deux ou trois choses là-dessus. Je ne connais pas d'étude précise sur la rentabilité des pavillons de ressourcement. J'ignore s'il y en a eu : je n'en ai pas vu.

Je peux toutefois vous dire deux ou trois choses sur ce que nous savons, sur le plan financier. SCC affirme qu'il en coûte environ 110 000 $ par année, en moyenne, pour maintenir sous garde un délinquant de sexe masculin et à sécurité moyenne, et il en coûte moins de 30 000 $ par année pour superviser ce même délinquant libéré sous condition dans la collectivité. Si le risque peut être géré dans la collectivité grâce à une supervision adéquate, vous pouvez épargner en plaçant tout simplement cette personne dans un contexte de soutien communautaire approprié, plutôt que de la garder en prison. C'est une comparaison de coûts.

Il y a de nombreuses études — canadiennes et américaines surtout, mais d'autres aussi — qui montrent que l'intervention précoce et les initiatives préventives donnent lieu à des économies qui se situent entre 4:1 et 7:1. Cela est documenté. Autrement dit, pour chaque dollar dépensé au titre de la prévention précoce dans une collectivité, vous économiserez de 4 à 7 $ au titre des coûts sociaux et de la justice pénale. De nombreuses études révèlent ce genre de rapport.

Le sénateur Munson : Monsieur le président, nous avons un témoignage troublant ce matin. Je pose la question pour le compte rendu : est-ce que le ministre ou des hauts fonctionnaires du Service correctionnel sont venus témoigner à ce sujet?

Le président : Non. C'est une étude exploratoire. Nous examinons des questions différentes. Ce n'est pas une étude; c'est plutôt exploratoire.

Le sénateur Munson : Cela serait peut-être nécessaire. Il y a tant de questions auxquelles le ministre devrait répondre.

Le président : Je suis certain que votre représentant au comité directeur abordera cette question. Cela fera l'objet d'une excellente discussion.

Le sénateur Munson : En effet, parce qu'il y a une responsabilité.

En prévision de votre témoignage, ce matin, j'ai consulté quelques statistiques. J'ai regardé la documentation publiée sur le site web de SCC. On cite des statistiques qui, selon moi, semblent très désuètes, certaines ont plus de 10 ans.

Il est difficile de suivre les progrès des services aux délinquants autochtones d'année en année, au moins pour la population. Certains des renseignements fournis remontent à 10 ans. Que pensez-vous du suivi et de l'analyse statistique effectués par SCC sur les services offerts, les taux de réussite et d'échec des programmes, les plans d'action, précisément en ce qui a trait à l'incarcération des Autochtones dans notre pays? Selon vous, est-ce que l'on suit adéquatement les tendances en fonction des caractéristiques démographiques des Canadiens autochtones incarcérés et des programmes que leur offre SCC? Je vois que certaines statistiques sur les aînés remontent à la période de 1994 à 1999. Est-ce que nous sommes à jour? Les statistiques ne mentent pas.

M. Sapers : Le Service correctionnel du Canada s'en tire de mieux en mieux en matière de rapports, pour ainsi dire, et nous savons donc avec plus de précision qui sont les personnes incarcérées. Nous avons une meilleure idée du profil, des caractéristiques démographiques de la population carcérale. Le service déploie de vastes efforts, depuis quelques années, notamment pour accroître sa capacité de repérer les besoins en santé mentale et de mieux évaluer cet aspect au moyen d'un questionnaire informatisé.

Service correctionnel Canada a également un processus fort efficace pour évaluer ce que nous savons des facteurs criminogènes ou établir la base d'un plan correctionnel, afin de répondre à divers problèmes propres au délinquant, quels que soient son origine et ses besoins relativement aux relations, à l'emploi, à la toxicomanie, et cetera.

SCC a toutefois plus de difficulté à analyser toute l'information qu'il recueille et à l'interpréter pour éclairer ses décisions de gestion puis évaluer l'excellent travail qu'il accomplit de façon uniforme et continue, pour veiller à ce que les interventions de programme, par exemple, produisent les résultats escomptés.

SCC a une petite unité de recherche, une petite unité d'évaluation et un petit service de vérification interne ainsi qu'un service d'assurance du rendement. Collectivement, ces services fournissent de l'information à la direction, mais cette activité est nécessairement sélective. Elle est régie par des priorités qui évoluent avec le temps. C'est aussi fonction, évidemment, de la capacité. Le Service correctionnel est confronté à quelques défis importants — une croissance fulgurante et un énorme programme d'immobilisations — alors qu'il doit effectuer des compressions budgétaires. Il a ses propres difficultés. Il n'est pas étonnant que certaines des statistiques publiées en ligne soient désuètes.

Mme Kingsley : Vous l'ignorez peut-être, mais deux fois l'an la Direction des initiatives pour les Autochtones publie diverses statistiques sur les progrès réalisés dans le plan stratégique des services correctionnels pour les Autochtones. Elle publie des chiffres sur le profil de la population, les programmes offerts en vertu des articles 81 et 84, les libérations conditionnelles et les révocations. Je sais que tout cela est publié en ligne et je crois que les derniers chiffres portent sur l'exercice 2011-2012.

Le sénateur Munson : Les murs ont des oreilles à Ottawa, et je suis certain que les bureaucrates et les ministres — peut-être pas les ministres, car ils sont si occupés — écoutent votre témoignage ce matin. Notre comité, du moins je l'espère, essaie dans la mesure de ses moyens d'améliorer la vie des personnes que nous représentons. Parmi toutes vos recommandations — puisque quelqu'un écoute et prend des notes et devrait s'intéresser à ce témoignage qui me paraît péniblement troublant au sujet de ce qui se passe dans nos prisons et de l'absence de toute représentation autochtone au sein des comités de libération conditionnelle, par l'entremise d'aînés ou de personnes de ce genre, les agents de liaison, les questions dont vous avez parlé dans les collectivités, un pour un et 44 établissements... Laquelle de vos recommandations, selon vous, pouvons-nous espérer faire adopter par les cadres supérieurs et le ministre, grâce aux efforts des députés de l'opposition et du gouvernement?

M. Sapers : Merci, sénateur. Dans mes commentaires, j'ai signalé une petite constellation formée de cinq problèmes qui me paraissent urgents et prioritaires. J'hésite à dire que la solution à un seul d'entre eux réglerait tous les problèmes. Nous avons bien sûr fait valoir pendant plusieurs années la recommandation concernant la nécessité de nommer un sous-commissaire pour les dossiers autochtones, mais cela ne suffirait pas. Les questions de formation, de financement et de capacité dont nous parlons dans Une question de spiritualité doivent être traitées en même temps, sinon nous aurions simplement un pantin sans utilité aucune.

Les cinq problèmes dont j'ai parlé dans mon introduction — le sous-commissaire, le financement paritaire, les initiatives de formation, la charge de travail et les autres obstacles auxquels sont confrontés les aînés, et toute la confusion et les formalités qui entourent l'article 84 —, il nous faut tous les régler en parallèle et si nous pouvions le faire collectivement, cela serait idéal.

Le sénateur Patterson : Monsieur Sapers, je crois qu'il y a huit pavillons de ressourcement, dont quatre sont gérés par SCC et quatre, par les Autochtones. Pourriez-vous nous expliquer où ils sont situés et, peut-être, quelle culture ils reflètent?

M. Sapers : Certainement. Je peux répondre facilement à la première partie de votre question. Je vous renvoie à la page 26 du rapport intitulé Une question de spiritualité, vous y trouverez un tableau qui montre quels pavillons sont administrés par SCC. Le pavillon Okimaw Ohci, le pavillon Willow Cree, le pavillon Pê Sâkâstêw et le pavillon Kwìkwèxwelhp sont administrés par le Service correctionnel du Canada. Les autres sont gérés aux termes de l'article 81.

Le sénateur Patterson : Pourriez-vous préciser leur situation géographique?

M. Sapers : Certainement. Le pavillon Okimaw Ohci est en Saskatchewan, le Pê Sâkâstêw est situé en Alberta, le Kwìkwèxwelhp se trouve dans la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique, et le centre de guérison Willow Cree est en Saskatchewan. Ces pavillons sont administrés par le Service correctionnel du Canada.

Il y a un pavillon de ressourcement administré en vertu de l'article 81 à Prince Albert, le pavillon Ochichakkosipi se trouve dans les Prairies, le Centre Stan Daniels est situé au centre-ville d'Edmonton, et le centre Waseskun est au Québec.

Le sénateur Patterson : Merci. Il me semble étonnant que les quatre pavillons administrés par SCC — ils sont sans doute de tailles différentes — soient financés à hauteur de 21,5 millions de dollars pour les quatre installations alors que les autres, administrés par les Autochtones, reçoivent 4,8 millions de dollars — c'est environ le quart du financement.

J'ai été renversé par ce que vous disiez au sujet des 44 détenus du Nunavut, et je suis certain que ce sont tous des Inuits, qui auraient été admissibles à un transfert vers un pavillon de ressourcement autochtone. Il y a des différences importantes, sur le plan culturel, entre les Indiens, les Dénés, les Métis et les Inuits. Il y a des différences linguistiques, économiques et historiques. Je ne suis pas surpris et je ne suis même pas certain que les détenus inuits auraient bénéficié d'un séjour dans un pavillon de ressourcement des Premières Nations. Sans vouloir dénigrer ces pavillons, le foin d'odeur et les sueries ne donneraient rien, parce que les Inuits ont besoin d'igloos, pas de sueries. Cela n'éveille pas d'écho chez eux.

Auriez-vous des recommandations à nous présenter en ce qui concerne les changements à apporter au soutien financier des pavillons de ressourcement gérés par les Autochtones? Ils n'ont pas les fonds nécessaires pour attirer ou former des travailleurs. Comment peut-on corriger cette situation?

M. Sapers : Je répondrai d'abord à votre deuxième question et je reviendrai ensuite au premier point. Dans notre rapport, nous recommandons un financement paritaire. Si SCC détermine qu'il en coûte tant par année pour une place dans un pavillon de ressourcement, alors ce montant devrait être accordé à la collectivité autochtone qui administre cette place. Il est clair que les structures de SCC sont mieux financées que celles qui ont été créées dans les collectivités autochtones en vertu de l'article 81.

Nous préconisons aussi une réaffectation des ressources. Nous ne parlons pas de nouveaux fonds. Je ne pense pas que Service correctionnel Canada ait besoin de nouveaux fonds pour cela. Il y a des gens qui purgent des peines dans des établissements de SCC de toute façon. Nous parlons de les transférer dans un autre lieu de garde. Nous croyons que cela peut se faire de façon plus économique dans la collectivité grâce à l'article 81. L'article 81 n'exige d'ailleurs pas de grandes installations; il est possible de créer des places en vertu de l'article 81 dans de petites collectivités éloignées, et la supervision est assurée par la collectivité, alors il ne faut pas s'imaginer qu'il faudra de grands bâtiments.

Soyons clairs, nous ne demandons pas que des millions de nouveaux fonds soient alloués à SCC; nous parlons de mettre en œuvre le plan envisagé il y a 20 ans. L'essentiel des ressources est déjà en place.

Quand vous parlez du Nord et des différences entre les collectivités autochtones du pays, vous soulevez des aspects très importants. Il n'y a pas de pavillon de ressourcement dans le Nord. J'ai mentionné dans mon témoignage l'absence de participation en vertu de l'article 84, au moins au Nunavut. Nous n'avons aucune possibilité de créer des places en vertu de l'article 81 au Labrador, dans le Nord du Québec, dans les Territoires du Nord-Ouest ou au Nunavut. La création de ce genre de places dans le Nord soulève des difficultés très particulières, mais qui pourraient être surmontées.

À l'heure actuelle, 30 contrevenants inuits du Nunavut purgent une peine sous garde dans les Territoires du Nord- Ouest. Quarante autres purgent des peines provinciales ou des peines de moins de deux ans; 40 contrevenants inuits du Nunavut ont été envoyés au Centre correctionnel ontarien pour purger leur peine loin de leur collectivité d'appartenance. Plus important encore aux fins de la discussion de ce matin, il y a 85 délinquants inuits du Nunavut qui purgent une peine fédérale dans des établissements de SCC, principalement à l'établissement Fenbrook, en Ontario.

Les services correctionnels du Nunavut administrent une installation primaire à Iqaluit, le Centre correctionnel de Baffin, qui selon l'angle historique que vous adoptez a une capacité théorique de 48 à 50 détenus, et peut en accueillir jusqu'à 66. Je crois qu'aujourd'hui, ils sont un peu moins de 100 dans ces installations. C'est un terrible surpeuplement. Le centre est plein à craquer, littéralement.

Le Nunavut a décidé de remplacer cet établissement en priorité. Je le reconnais, c'est une question de ressort territorial et non pas fédéral. Toutefois, pour vous donner une idée de l'ampleur du problème, selon ses propres estimations, le Nunavut prévoit qu'il lui faudra 300 places de garde d'ici 2027, et c'est simplement pour les personnes qui purgent des peines inférieures à deux ans. Si la tendance se maintient, le nombre d'Inuits du Nunavut qui purgent une peine fédérale augmentera au même rythme.

Avant que les deux ordres de gouvernement n'engagent d'énormes sommes pour construire des établissements de garde plus traditionnels, nous pensons qu'il serait très important d'envisager des solutions comme celle prévue à l'article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, pour voir s'il n'y a pas d'autres options. Il y a sans doute plus d'un choix, et ce qui est logique au Labrador ne l'est pas nécessairement au Nunavut.

Il y a d'importants problèmes dans le Nord. En 20 ans, le SCC n'a pas pu offrir de possibilités de ce genre dans le Nord du Canada.

Le président : J'ai une question supplémentaire, s'il vous plaît, Monsieur Sapers. J'ai visité le centre dont vous parlez, à Iqaluit, vous le savez. De fait, j'y suis allé à maintes reprises depuis 20 ans. C'était autrefois un établissement temporaire, mais il est devenu permanent, et cet établissement permanent est une source d'embarras dans notre pays. Je crois que vous en conviendrez. Le gymnase, là-bas, sert de dortoir provisoire avec des matelas sur le sol, par exemple.

L'automne dernier, il y avait 202 détenus inuits purgeant une peine fédérale à l'extérieur du Nunavut; si je comprends bien, cela signifie qu'ils se trouvent ailleurs au pays.

Y a-t-il eu des discussions au sujet d'une éventuelle installation établie en fonction de critères démographiques pour les détenus inuits, plutôt qu'une installation basée sur la géographie, c'est-à-dire provinciale, territoriale ou fédérale? Est-ce qu'on envisage une installation mixte qui regrouperait les populations inuites et conviendrait aux difficultés culturelles, linguistiques et autres qui sont propres aux Inuits — peut-être sans trop tenir compte du crime ou de la cause de la peine? Le savez-vous? Vous parlez des options. Est-ce que c'est une des options?

M. Sapers : De fait, il y a eu des discussions au sujet d'un établissement panarctique qui serait lié non pas à la géographie politique, mais plutôt à la culture. Il y a aussi eu des discussions au sujet de la nécessité de maintenir de petits services locaux. La solution se trouvera sans doute entre ces deux extrêmes.

En me basant sur des conversations que j'ai eues et des documents que j'ai examinés, je pense que tous conviennent que le statu quo ne convient pas — on ne peut pas se contenter d'expédier les gens dans le Sud, ce qui les éloigne de leur collectivité et de leur réseau de soutien. Pour certaines de ces personnes, la différence entre la collectivité où ils vivent et l'endroit où ils sont envoyés est plus grande que le jour et la nuit. Le statu quo ne convient pas, mais je ne pense pas qu'il y ait consensus sur la question que vous venez de soulever. Je pense que c'est probablement la meilleure réponse que je puisse vous donner. Il pourrait s'agir d'une combinaison d'approches. Il faudrait que les divers ordres de gouvernement s'entendent si l'on veut créer une capacité panarctique.

Entre-temps je sais, par exemple, que le gouvernement du Nunavut projette de remplacer le centre correctionnel de Baffin. S'il était possible d'adapter les réponses, par exemple en concluant des ententes prévues à l'article 81 dans le Nord du Québec et des ententes plus modestes mais toujours en vertu de l'article 81 au Nunavut et au Labrador, cela serait un début. Il se peut que dans le domaine opérationnel il nous faille adapter nos réponses sur le plan culturel, mais qu'en termes organisationnels, cela puisse quand même se faire. L'article 81 envisage des ententes avec les collectivités, pas avec les gouvernements. Vous pourriez encore conclure des ententes individuelles avec des collectivités données, et cela pourrait s'inscrire dans une stratégie culturelle qui conviendrait au Nord.

Je crois pouvoir dire que ce qui compte, quand je discute avec des Canadiens du Nord, c'est simplement de ramener ces gens chez eux. Pour pouvoir guérir et régler leurs démêlés avec la justice, ils doivent être chez eux. Cela semble logique.

Le président : Madame Kingsley, il y a une dizaine d'années, je crois, SCC a publié un rapport sur la réconciliation entre victime et contrevenant, la justice réparatrice, qui abordait la question des taux de récidive des contrevenants. La réconciliation entre victime et contrevenant est extrêmement difficile à obtenir si, pour faire suite à ce que disait M. Sapers, la distance est votre pire obstacle.

Savez-vous s'il y a eu un suivi depuis 2002 ou 2003 sur la réconciliation entre victime et contrevenant et si l'expérience a réussi? Sinon, je poserai la question à quelqu'un d'autre.

Mme Kingsley : Malheureusement, je l'ignore. J'aimerais représenter Justice Canada pour pouvoir répondre à cette question, mais...

Le président : Le Service correctionnel du Canada a produit le rapport. Il dirigeait SCC en 2003.

M. Sapers : Il me semble que le Centre national de prévention du crime a fait quelque chose. Nous allons essayer de trouver cette information à la Commission nationale des libérations conditionnelles et auprès des aînés autochtones et nous la transmettrons à la greffière.

Le président : Je crois que votre ministère a étudié le Centre correctionnel de Baffin au nom du gouvernement du Nunavut. Est-ce que ce rapport a été publié?

M. Sapers : Non. À l'invitation du directeur local, nous avons procédé à un examen. Cet examen est terminé et le rapport a été remis aux dirigeants des services correctionnels du territoire, mais c'est à eux qu'il revient de décider ce qu'il faut en faire.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Merci. J'ai deux ou trois questions à poser. Monsieur Sapers, vous avez dit que les pavillons de ressourcement existants, tant ceux prévus à l'article 81 que ceux de SCC, ne fonctionnaient pas à pleine capacité. Vous avez dit aussi que même s'il y a peut-être des carences dans certaines des statistiques et dans leur mode de compilation, rien ne prouve l'efficacité de ces centres, et je partage certainement vos préoccupations. Apparemment, nous avons ces deux groupes de pavillons.

Dans quelle mesure les difficultés que vous nous avez exposées ici proviennent-elles véritablement du fait que la haute direction de SCC ne croit pas dans l'efficacité de ces services? Qu'en pensez-vous?

M. Sapers : Je vais vous répondre. Je ne veux pas parler au nom de SCC, mais je peux vous dire qu'il y a de la part du Service correctionnel du Canada un engagement à fournir des programmes appropriés sur le plan culturel. Cet engagement figure dans le Rapport sur les plans et les priorités. Il est mentionné dans les rapports stratégiques ministériels. Cela fait partie du cadre des services correctionnels pour les Autochtones et de la stratégie officielle.

L'étude d'évaluation dont j'ai parlé a produit des résultats équivoques. Je n'ai jamais entendu quiconque au Service correctionnel du Canada s'appuyer sur ces résultats pour justifier de ne pas faire ce que la loi prévoit. J'ai entendu des gens contester les données et j'ai entendu des gens dire, en période de compressions budgétaires : « Chaque dollar dépensé doit produire un effet optimal, alors il nous faut des preuves que cette solution-ci donne de meilleurs résultats que celle-là. »

Sénateur, je vais partager un secret avec vous. C'est entre nous...

Le président : Nous n'en parlerons à personne.

M. Sapers : ... au Service correctionnel, nous faisons souvent des choses qui, à strictement parler, ne sont pas toujours étayées par les données. Il est très difficile dans ce domaine de dégager ce qui fonctionne et d'en établir les raisons. Il y a un consensus concernant les interventions adaptées sur le plan culturel. On s'entend pour dire que l'incarcération, pour avoir des résultats bénéfiques, doit être axée sur la libération. On n'emprisonne pas les gens pour en faire de bons détenus. On les prépare à leur remise en liberté dans la collectivité. Si vous prenez ces deux principes fondamentaux, cela vous mène à certaines conclusions concernant les réponses à fournir en fonction des besoins individuels, et c'est ce que SCC fait quand il élabore des plans correctionnels individuels pour chaque délinquant. Une partie de ce plan doit porter sur la culture, particulièrement depuis que nous disposons d'information tirée d'initiatives comme la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones, qui montre qu'une des raisons de cette surreprésentation vient de facteurs historiques, économiques et sociaux. Nous devons en tenir compte dans l'administration de la peine.

C'est un long préambule pour répondre à votre question concernant l'évaluation et les résultats. La réponse brève c'est que, non, je n'ai jamais entendu personne à SCC utiliser les études comme excuse pour ne rien faire. J'ai entendu des gens s'interroger sur l'efficacité des services correctionnels en général et essayer de déterminer les mesures qui donnent des résultats.

Le sénateur Tannas : J'ai une autre question. Nous avons beaucoup entendu parler de la croissance disproportionnée de la population de délinquants autochtones. Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale et des proportions de cette croissance ainsi que des programmes particuliers que vous connaissez et de leur efficacité éventuelle?

M. Sapers : Nous commençons à peine à comprendre les troubles causés par l'alcoolisation fœtale dans les populations carcérales, et divers chercheurs ont établi des estimations. Au Service correctionnel du Canada, nous savons grâce à l'évaluation initiale des besoins de santé mentale que plus du tiers des délinquants requièrent un suivi psychiatrique ou psychologique supplémentaire. Comme le processus sous-évalue le nombre de personnes qui ont subi un traumatisme crânien ou souffrent de lésions au cerveau attribuables à des facteurs comme les troubles causés par l'alcoolisation fœtale, nous n'avons donc pas un tableau complet de la situation.

Les gens qui travaillent depuis longtemps auprès de ces populations carcérales vous diront qu'elles ont été très affectées par l'alcoolisation fœtale. Cela influe sur leur capacité de supporter les rigueurs de la vie carcérale et notamment de respecter les règles et de suivre des instructions. Cela a beaucoup d'effets, et je ne pense pas que nous comprenions entièrement le phénomène.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Est-ce qu'il y a une installation prévue à l'article 81 ou du SCC au Nouveau- Brunswick?

M. Sapers : Il n'y a aucun établissement créé en vertu de l'article 81 au Canada atlantique.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Pourquoi?

Une voix : Moi aussi, je me le demande.

M. Sapers : Et moi aussi.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Qui est le plus susceptible d'être incarcéré, le membre d'une Première Nation qui vit en milieu urbain ou celui qui vit dans une collectivité des Premières Nations?

M. Sapers : Je suis désolé, je n'ai pas de réponse à cette question. Je ne suis même pas certain que cette information puisse nous aider, en raison de la mobilité.

Le président : On nous a parlé des taux d'incarcération supérieurs des Autochtones, et même si vous n'êtes pas le candidat parfait pour cette question, vous êtes ici et j'en profite. Si nous avons le même nombre de personnes qui ont fait l'objet d'une enquête, ont été mises en accusation et sont entrées dans le système judiciaire, est-ce que les Autochtones sont plus susceptibles que les non-Autochtones d'être condamnés à une peine d'emprisonnement dans un pénitencier fédéral?

M. Sapers : La seule réponse que je peux vous fournir provient d'un rapport que l'ancien juge Iacobucci vient de publier, au sujet de l'expérience des Canadiens autochtones dans le système judiciaire ontarien. Il a relevé les preuves d'une discrimination systémique qui entraîne des taux de condamnation supérieurs et un plus grand nombre de plaidoyers de culpabilité et jette des doutes sur les procès devant jury et la possibilité d'être jugé véritablement par des pairs compte tenu de la composition du jury.

Son rapport est le dernier d'une série de rapports étalés sur plusieurs années et qui ont mis en lumière des problèmes liés à une discrimination systémique qui fait que les Canadiens autochtones et les Canadiens non autochtones obtiennent des résultats différents dans notre système de justice.

J'en conclus qu'il existe une foule de facteurs. Un jour, un responsable des services de police d'une ville des Prairies canadiennes m'a expliqué les difficultés qu'il rencontrait. La bonne nouvelle, c'était que des agents étaient envoyés dans les écoles pour aider de diverses façons. La mauvaise, c'était qu'en combinaison avec des politiques de tolérance zéro pour certaines activités dans les écoles, un plus grand nombre de jeunes Autochtones faisaient l'objet d'accusation. Cela déclenche tout le processus pour ces jeunes : des démêlés avec la justice, un casier judiciaire, la stigmatisation, et cetera.

Ce responsable des services policiers se demandait comment il devait faire son travail. Si le travail est défini comme l'application de la loi en fonction d'une politique de tolérance zéro dans les commissions scolaires, quel est le rôle d'un agent et comment cela se traduit-il dans ce qui se passe au centre-ville?

Le président : Nous avons épuisé les questions. Je vous remercie tous les deux d'être venus aujourd'hui. Votre exposé était excellent. Il s'agit d'un sujet difficile pour certains d'entre nous, mais nous avons eu une conversation stimulante et nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous avez consacré. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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