Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 23 - Témoignages du 22 juin 2012 - réunion du matin
OTTAWA, le vendredi 22 juin 2012
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 8 heures pour étudier le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, qui lui a été renvoyé.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Hier après-midi, le Sénat a renvoyé le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, à notre comité pour qu'il l'étudie. Nous avons commencé notre examen peu de temps après, en écoutant les témoignages du ministre de l'Industrie, l'honorable Christian Paradis, et du ministre du Patrimoine canadien, l'honorable James Moore.
Nous poursuivons notre étude aujourd'hui avec la comparution d'un certain nombre d'intervenants et d'experts dans le domaine. Pour cette première séance, nous avons le plaisir d'accueillir le professeur Michael Geist, de la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique, de l'Université d'Ottawa. Chers collègues, nous disposons d'une heure pour cette séance. Nous accueillons également M. Jay Kerr-Wilson, qui comparaîtra au nom de la Business Coalition for Balanced Copyright.
Monsieur Geist, nous entendrons votre témoignage en premier, suivi de celui de M. Kerr-Wilson. La parole est à vous, monsieur.
Michael Geist, chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique, Université d'Ottawa, à titre personnel : Bonjour, je m'appelle Michael Geist. Comme on vous l'a dit, je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa, où j'occupe la chaire de recherche en droit d'Internet et du commerce électronique. Je suis également chroniqueur hebdomadaire affilié pour les questions de droit et de technologie au Toronto Star et à l'Ottawa Citizen. J'ai publié From ``Radical Extremism'' to ``Balanced Copyright'' : Canadian Copyright and the Digital Agenda, l'étude universitaire la plus vaste sur le projet de loi C-11, passée en revue par 20 experts faisant autorité un peu partout au Canada.
Je comparais aujourd'hui devant vous à titre personnel. Comme je l'ai fait lorsque j'ai comparu devant le Comité législatif de la Chambre des communes sur le projet de loi C-32 en décembre 2010, je désire établir tout d'abord que j'approuve un grand nombre des mesures comprises dans le projet de loi C-11. Le projet de loi comporte de nombreux éléments positifs qui témoignent d'un effort réel pour trouver un juste équilibre et élaborer des dispositions législatives sur le droit d'auteur tournées vers l'avenir. Toutefois, le projet de loi souffre également d'un défaut très grave qui a suscité une controverse considérable et une opposition généralisée, et ce sont les règles sur le verrou numérique.
Permettez-moi d'abord de parler de plusieurs des éléments positifs du projet de loi.
Les mesures de réforme de l'utilisation équitable d'une œuvre, qui ajoutent la parodie, la satire et l'éducation à la liste des catégories visées par l'utilisation équitable, ont pour but d'assurer un juste équilibre entre ceux qui veulent une disposition législative qui permette une utilisation des œuvres équitable, flexible et entière et ceux qui s'opposent à toute nouvelle exception. Je crois que c'est un bon compromis. Le gouvernement a habilement rejeté les arguments trompeurs selon lesquels les changements donneront lieu à la reproduction illimitée des œuvres, sans dédommagement pour leurs auteurs. Il s'agit d'utilisation équitable, et non pas d'utilisation gratuite, et les nouveaux changements seront encore assujettis aux six critères de la Cour suprême du Canada pour en garantir l'équité.
Le projet de loi comprend également quelques nouvelles dispositions pour les consommateurs, y compris la possibilité de consulter les œuvres à un moment ultérieur, de modifier le support des œuvres et de faire des copies de sauvegarde; il prévoit également une exception pour le contenu généré par l'utilisateur. Certaines de ces exceptions auraient dû être consenties depuis longtemps parce qu'elles correspondent à des pratiques courantes des consommateurs.
Troisièmement, le projet de loi fait à juste titre une distinction entre la violation du droit d'auteur à des fins commerciales et à des fins non commerciales pour le versement de dommages-intérêts. Le Canada compte au nombre d'une petite minorité de pays où des dommages-intérêts sont prévus dans la loi. La perspective d'exposer quelqu'un à la possibilité de devoir payer des millions de dollars pour la violation de droits d'auteur à des fins non commerciales est franchement inadmissible, et ce changement éliminera ce risque.
Le traitement des fournisseurs de services Internet dans le projet de loi est équitable en ce qu'il fournit aux titulaires de droits d'auteur un outil efficace pour lutter contre la violation de leurs droits en ligne, qu'il respecte les droits des Canadiens à la vie privée et à la liberté d'expression et qu'il prévoit un rôle approprié pour les fournisseurs de services Internet. C'est un modèle qui fonctionne bien, à ce qu'on a dit au comité législatif, et que d'autres pays, comme le Chili, ont commencé à reproduire.
Voilà donc certains des éléments positifs du projet de loi, mais les règles concernant les verrous numériques demeurent un problème grave. Je dois préciser que ce ne sont pas vraiment les verrous numériques qui sont les plus préoccupants, car les compagnies sont libres de les utiliser ou non. De plus, on s'entend généralement pour dire qu'il doit y avoir une certaine protection légale pour les verrous numériques, étant donné que les traités Internet de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle l'exigent. Ce qui nous préoccupe dans le projet de loi C-11, c'est plutôt la position non équilibrée qui est adoptée pour les verrous numériques, qui fait que ces verrous l'emportent sur à peu près tous les autres droits. Cette situation rompt l'équilibre, non seulement pour les exceptions prévues actuellement dans la Loi sur le droit d'auteur, mais aussi pour les nouveaux droits des consommateurs, qui peuvent être bloqués par un verrou numérique à une époque où ce type de verrou est largement répandu sur les appareils, les DVD, les livres électroniques, et cetera. La solution la plus évidente aurait été de modifier le projet de loi en y précisant qu'il n'y a violation lorsqu'il y a contournement d'un verrou numérique que lorsque l'intention est de violer le droit d'auteur. Cette approche a été adoptée par des partenaires commerciaux du Canada comme la Nouvelle-Zélande, la Suisse et l'Inde — soit dit en passant, le Canada a conclu avec certains de ces pays des accords internationaux comme l'Accord commercial relatif à la contrefaçon, l'Accord économique et commercial global et le Partenariat transpacifique — et elle aurait permis aux autorités d'utiliser la loi pour cibler les cas flagrants du piratage commercial, mais ces droits individuels consentis aux consommateurs et aux utilisateurs sont préservés.
La solution que je viens de proposer, qui lie le contournement de la protection du droit d'auteur à une violation de droit d'auteur, a reçu un large appui pendant les audiences des projets de loi C-32 et C-11. De nombreux groupes de gens d'affaires, de créateurs, de consommateurs, du milieu de l'éducation et des bibliothèques ont appuyé cette approche, comme l'ont fait des dizaines de milliers de Canadiens qui ont écrit à leurs députés au sujet du projet de loi. Il est important d'apporter rapidement le changement à cause du dommage réel que peut causer l'approche actuelle. Permettez-moi de vous donner quelques exemples :
Le Comité de l'industrie de la Chambre des communes vient tout juste de faire comparaître les représentants d'une société spécialisée dans l'application de la loi relative à la propriété intellectuelle qui ont déclaré que les règles actuelles concernant les verrous numériques risquent de nuire aux efforts déployés pour faire respecter les droits concernant la propriété intellectuelle. Les réalisateurs de documentaires ont prévenu le comité que s'il n'y a pas d'exception pour les DVD, les créateurs canadiens subiront un désavantage concurrentiel par rapport aux réalisateurs américains, pour qui aucune exception de ce genre n'existe. Les groupes qui représentent les malvoyants craignent que les aveugles n'aient pas entièrement accès aux documents électroniques, puisqu'il n'est pas efficace d'avoir une exception pour les verrous numériques dans le cas des déficiences perceptuelles.
Les enseignants et les bibliothécaires craignent que les Canadiens ne puissent plus profiter de leurs droits d'utilisation équitable une fois le verrou numérique installé.
Les chercheurs craignent pour leur part de ne plus pouvoir mener de recherches légitimes et de ne plus pouvoir demander de subventions de recherche pour appuyer leurs activités.
Les universitaires spécialisés en droit constitutionnel ont mis en garde le comité contre les risques constitutionnels que présente une approche axée sur les verrous numériques qui sert fondamentalement à réglementer la propriété privée, un secteur qui relève, naturellement, des provinces, au lieu de protéger le droit d'auteur. Enfin, les experts financiers ont fait remarquer que le Canada a obtenu de bons résultats dans l'économie numérique sans cette approche très restrictive. La Business Software Alliance a rapporté récemment que le Canada a affiché la baisse la plus rapide des taux de piratage dans le monde au cours des cinq dernières années. L'IFPI, l'association mondiale de musique, signale que le Canada occupe maintenant le troisième rang des pays au monde pour le téléchargement payant de la musique, les Canadiens achetant plus de musique par téléchargement que les Allemands ou les Japonais, bien qu'ils soient beaucoup moins nombreux, et plus aussi que les Australiens, les Belges, les Croates, les Finlandais, les Français, les Grecs, les Irlandais, les Néerlandais, les Portugais, les Espagnols et les Suédois réunis.
J'aimerais terminer en affirmant de nouveau que le projet de loi C-11 comporte beaucoup de bonnes dispositions et qu'il serait relativement facile de corriger le dommage causé par les règles sur les verrous numériques qui débordent de beaucoup nos obligations internationales. Le rejet des modifications proposées pour donner suite aux préoccupations formulées et le maintien des règles sur les verrous numériques pourraient empêcher les aveugles d'avoir accès aux documents, créer des obstacles pour les créateurs et les enseignants et nuire à l'innovation. Je crois qu'il y a lieu d'être préoccupé, et non pas de célébrer.
Cela dit, je reconnais qu'il est urgent d'adopter le projet de loi et que beaucoup ne veulent pas en retarder l'adoption pour y apporter d'autres amendements. Il y a toutefois moyen de régler le problème des verrous numériques sans avoir à modifier le projet de loi. Le paragraphe 41.21(2) du projet de loi comprend un pouvoir de réglementation qui permet d'ajouter des exceptions aux règles concernant les verrous numériques. Il est clair que le gouvernement a reconnu les préoccupations légitimes sur les répercussions possibles du projet de loi, qui pourraient être trop générales, anticoncurrentielles et nuisibles pour les consommateurs.
En conséquence, je recommande au comité de recommander la création d'une nouvelle exception par voie de règlement avant l'entrée en vigueur du projet de loi qui permettrait le contournement de la protection des droits d'auteur pour des fins qui ne constituent pas une violation du droit d'auteur. De cette façon, le projet de loi pourrait être adopté rapidement et utilisé pour cibler les cas flagrants de violation du droit d'auteur à des fins commerciales, appuyer les entreprises qui veulent utiliser les verrous numériques et éviter que de nombreux groupes touchés soient pénalisés indûment par les réformes législatives.
Jay Kerr-Wilson, Business Coalition for Balanced Copyright : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux membres du comité. Je m'appelle Jay Kerr-Wilson et je représente les membres de la Business Coalition for Balanced Copyright. Je vous remercie beaucoup de donner aux membres de la coalition la possibilité de présenter leur point de vue sur le projet de loi C-11.
Les membres de la coalition comprennent des compagnies et des associations commerciales représentant un large éventail des secteurs des communications, de la technologie, de la radiodiffusion, du commerce du détail et d'Internet.
Nous estimons que le gouvernement a trouvé un juste équilibre dans le projet de loi C-11 dont nous appuyons l'adoption. Le projet de loi fournit aux titulaires de droits d'auteur de nouveaux outils importants en plus d'avaliser le principe des droits des utilisateurs. La coalition approuve l'approche axée sur le consommateur dans la réforme du droit d'auteur que le gouvernement a adoptée dans le projet de loi C-11.
Dans mon exposé de ce matin, j'aimerais me concentrer sur les dispositions du projet de loi qui concernent l'informatique dans les nuages et l'enregistrement vidéo personnel sur réseau, qui permettent aux consommateurs d'emmagasiner du contenu numérique d'une façon sûre et efficace pour leur propre usage personnel.
Lorsque ces dispositions législatives ont été présentées pour la première fois à la Chambre des communes — elles figuraient alors dans le projet de loi C-32 —, le ministre de l'Industrie, M. Clement, a déclaré que, si le projet de loi était adopté, les Canadiens pourraient enregistrer des émissions de télévision et de radio ainsi que des émissions diffusées dans Internet pour les regarder plus tard, sans restrictions concernant l'appareil ou le médium qu'ils allaient désirer utiliser. Il avait déclaré que ce qui était tout aussi important, c'était que le projet de loi enlèverait tout obstacle contenu dans la Loi sur le droit d'auteur à la mise en place de nouvelles technologies comme l'enregistrement vidéo personnel sur réseau et l'informatique dans les nuages. Cette dernière technologie est essentielle si le Canada veut s'adapter pleinement à l'ère numérique.
La Business Coalition for Balanced Copyright craint que la disposition du projet de loi C-11 destinée à faciliter l'informatique dans les nuages, l'enregistrement vidéo personnel sur réseau et le stockage à distance ne traduise pas aussi bien l'orientation du gouvernement que le ministre Clement a pu le faire dans sa déclaration.
Pour éviter que les considérations relatives au droit d'auteur fassent obstacle à la mise en place de l'enregistrement vidéo personnel par réseau dont les consommateurs canadiens pourraient profiter, nous devons intervenir sur trois plans.
Premièrement, le consommateur doit pouvoir faire une copie des émissions de télévision. Deuxièmement, le consommateur doit pouvoir stocker la copie dans Internet ou dans un autre réseau; et troisièmement, il doit pouvoir récupérer la copie dans Internet ou dans un autre réseau lorsqu'il veut regarder l'émission. La capacité du consommateur de faire une copie est prévue dans les exceptions concernant l'usage à des fins personnelles, y compris l'exception permettant d'utiliser les enregistrements plus tard qui s'applique aux émissions de télévision. Le stockage et la récupération des copies sont censés être visés par la nouvelle exception sur le stockage.
La disposition du projet de loi C-11 en question, l'article 35, modifiera la Loi sur le droit d'auteur en y incluant une nouvelle disposition au paragraphe 31.1(4), qui prévoit une exception pour les services de stockage, y compris le stockage à distance et les enregistreurs vidéo personnels sur réseau.
La disposition se lit actuellement comme suit :
... quiconque fournit à une personne une mémoire numérique pour qu'elle y stocke une œuvre ou tout autre objet du droit d'auteur en vue de permettre leur télécommunication par l'intermédiaire d'Internet ou d'un autre réseau numérique ne viole pas le droit d'auteur sur l'œuvre ou l'autre objet du seul fait qu'il fournit cette mémoire.
La disposition exclut clairement et explicitement la prestation de mémoire numérique. Il s'agit d'une fonction de stockage. La coalition estime que le renvoi du contenu au consommateur n'est exprimé qu'implicitement dans la disposition, et cela la préoccupe. Elle craint que cette situation crée une incertitude sur le plan légal, qui découragera l'investissement dans la technologie d'enregistrement vidéo personnel sur réseau. Cela est contraire à l'intention du gouvernement de prendre les mesures pour que les Canadiens aient accès à ce service, tout comme les Américains l'ont actuellement.
En effet, le problème dont je vous parle a créé de la confusion chez les membres du comité législatif lorsqu'ils ont discuté de cette disposition à l'étude article par article du projet de loi C-11. En particulier, après un échange entre un membre du comité et des fonctionnaires d'Industrie Canada, on a demandé si l'exception prévue empêchera la conclusion d'accords entre les entreprises pour fournir l'enregistrement vidéo personnel sur réseau. Toutefois, cette question ne se pose pas dans le contexte d'une exception au droit d'auteur.
Si une activité est prévue dans une exception au droit d'auteur, il n'est pas nécessaire d'obtenir un consentement et il n'est pas nécessaire non plus de conclure une entente. C'est l'essence même d'une exception. S'il faut des accords pour lancer l'enregistrement vidéo personnel sur réseau au Canada, les Canadiens n'auront pas accès au service, et ce sont les consommateurs canadiens qui y perdront.
Nous ne croyons pas toutefois que le gouvernement veut créer de l'incertitude et donner lieu à des litiges inutiles. La confusion qui a été soulevée au comité législatif pourrait donner lieu à la présentation de revendications frivoles devant les tribunaux. On pourrait éviter toute confusion possible en amendant simplement l'article 35 du projet de loi C-11 pour y parler explicitement de la capacité des consommateurs de récupérer le contenu emmagasiné dans des casiers numériques ou dans des enregistrements vidéo personnels sur réseau. La disposition pourrait se lire comme suit :
... quiconque fournit à une personne une mémoire numérique pour qu'elle y stocke une œuvre ou tout autre objet du droit d'auteur en vue de permettre leur télécommunication par l'intermédiaire d'Internet ou d'un autre réseau numérique ne viole pas le droit d'auteur sur l'œuvre ou l'autre objet du seul fait qu'il fournit cette mémoire ou qu'il transmet l'œuvre ou l'autre objet à la personne qui le stocke.
Il serait alors absolument clair que la disposition s'applique à la fois au stockage de la copie numérique par le consommateur et au renvoi de la copie numérique au consommateur, et il n'y aurait plus aucune ambiguïté. Avec ce simple ajout, la disposition serait aussi claire que l'a été la déclaration du ministre Clement à la Chambre. La capacité des consommateurs de profiter de nouvelles technologies serait indiscutable.
À tout le moins, vous devriez demander à des responsables du ministère de comparaître devant vous et de déclarer clairement et inconditionnellement que l'exception de stockage, rédigée dans sa forme actuelle, s'applique à la fois au stockage du contenu par un consommateur et au renvoi de ce contenu au consommateur qui l'a stocké.
La deuxième question dont je voudrais vous parler brièvement concerne les avis et les obligations de donner des avis que le projet de loi C-11 impose aux fournisseurs de services Internet pour répondre aux allégations de violation du droit d'auteur en ligne. Nous appuyons ces dispositions, et beaucoup de fournisseurs canadiens de services Internet envoient volontairement de tels avis et ont mis en place des systèmes à cet effet depuis près d'une décennie. Toutefois, ce qui est préoccupant, c'est que le projet de loi ne prévoit pas de délai pour permettre à ces fournisseurs de mettre en œuvre les changements nécessaires pour se conformer aux nouvelles obligations, ou encore pour permettre à ceux qui n'ont pas de systèmes automatisés d'élaborer et de mettre en œuvre de tels systèmes.
Nous recommandons respectueusement que les obligations relatives aux avis ne prennent effet qu'après une période suffisante pour que les systèmes modifiés de production d'avis soient tout à fait prêts à fonctionner, et, une fois que le ministre aura pris les règlements, qu'on prescrive une forme d'avis uniformisée, ainsi que des droits permettant le recouvrement des coûts pour le traitement des avis. Nous croyons que la période de mise en œuvre de l'article et de la réglementation serait raisonnablement d'un an.
Pour terminer, la BCBC insiste sur son appui au projet de loi C-11. Nous cherchons simplement par nos recommandations à veiller à ce que le libellé et la mise en œuvre des mesures législatives correspondent à l'intention exprimée par le gouvernement.
Merci de nous avoir donné le temps de présenter nos observations. J'attends avec impatience de répondre à toutes vos questions.
[Français]
L'honorable Céline Hervieux-Payette : Messieurs, bonjour et bienvenus. Si vous me le permettez, je vais parler en français, bien que j'aie suivi votre texte en anglais. Il y a peut-être eu, un moment donné un problème de traduction, c'est rendu que j'ai de la difficulté à écrire en français à la fin de la journée.
En fait, je m'adresse surtout à M. Geist. Je vous remercie, monsieur, vous avez fait une bonne contribution à la réflexion sur l'ensemble de la loi. Je suis certaine que vous n'avez pas improvisé. Je me pose la question de la question de votre conclusion qui dit que :
[Traduction]
La décision de rejeter l'amendement qui résoudrait ce problème et de maintenir les règles relatives aux serrures numériques risque fort d'exclure les personnes aveugles, de créer des obstacles qui désavantageraient les créateurs et les éducateurs et d'étouffer l'innovation.
[Français]
Qui seront les gens qui seront avantagés? Pourquoi n'aurait-on pas répondu de façon positive à votre suggestion? Il me semble qu'il n'y a pas de gouvernement qui voudrait exclure certaines clientèles de l'utilisation de ces moyens. J'ai noté que vous avez vu de très bonnes choses. Par contre, lorsqu'on arrive avec le nombre de groupes inquiets, je vois que vous n'êtes pas le seul à vous inquiéter, il y a quand même plusieurs intervenants; qu'il s'agisse de documentaires, les gens aveugles, les bibliothécaires, les professeurs, les chercheurs, les avocats en droit constitutionnel. Ça fait beaucoup de monde.
Ne pas adopter cette mesure profiterait à qui? Le gouvernement met de l'avant une mesure qui améliorera les choses. C'est la raison pour laquelle on propose un projet de loi. Qui profitera de ne pas faire ce changement?
[Traduction]
M. Geist : C'est une excellente question que je me suis moi-même beaucoup posée. Qu'est-ce qui motive le gouvernement à souhaiter de telles situations en ce qui concerne les serrures numériques? Depuis quelques années, il ressort clairement que la démarche est en grande partie liée aux pressions exercées par les États-Unis. Les dispositions, surtout celles qui visent les serrures numériques, correspondent presque exactement à ce que nous voyons aux États-Unis. Dans certains cas, ce n'est qu'une question de temps.
Par exemple, je ne crois pas que le gouvernement ait quelque raison que ce soit de ne pas accorder une exception aux documentaristes, d'autant qu'aux États-Unis, il y a une exception particulière qui permet le contournement des serrures relatives aux DVD pendant qu'ils créent leurs films. Il n'est pas sensé d'exclure nos créateurs qui ont besoin d'avoir accès à un vidéoclip. Le problème, dans ce cas, je pense, n'était qu'une question de temps. Le projet de loi C-32 a été déposé en juin 2010. L'exception relative aux DVD pour les documentaires n'est venue qu'un mois plus tard, aux États-Unis — en juillet 2010. Il était donc difficile de revenir en arrière.
En ce qui concerne les personnes aveugles, je suis d'accord avec vous. Seriez-vous contre un accès convenable pour les personnes aveugles? Le problème est lié à l'exception comme telle. Il y a une exception pour les personnes atteintes de déficiences perceptuelles. Le problème, c'est que l'exception s'applique à la personne qui contourne la serrure, celle qui ne contourne pas indument cette restriction, la MPT, la serrure numérique.
Si vous êtes atteint d'une déficience perceptuelle, que vous êtes aveugle, l'objectif est de contourner indument la serrure. C'est ainsi qu'on assure d'avoir accès. Il y a bien une exception : le problème, c'est que c'est pratiquement impossible pour une personne aveugle, car elle s'expose à un risque si elle cherche à s'en prévaloir.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : S'il y a des Canadiens qui nous écoutent ce matin, puisque cette séance est retransmise, pouvez-vous nous donner une description de la technique de lock-out ou du verrou? Qu'est-ce que cela veut dire pour le commun des mortels ainsi que pour nous qui ne sommes pas ferrés nécessairement en télécommunication?
[Traduction]
M. Geist : C'est une bonne question. D'une certaine façon, le droit d'auteur comporte trois couches de protection. La première est la Loi sur le droit d'auteur, qui prévoit une protection juridique. Si vous écrivez quelque chose, vous avez créé quelque chose et votre droit d'auteur est protégé.
La technologie peut former une deuxième couche de protection; les serrures que nous trouvons sur les DVD peuvent empêcher les gens de les copier, et il y a même sur les DVD des codes régionaux qui en empêchent la lecture sur des lecteurs DVD particuliers. Si vous achetez un DVD dans un magasin d'Ottawa, vous pourrez vous en servir dans votre lecteur, mais si vous en achetez un en Europe, vous ne pourrez l'utiliser ici à cause du code régional qu'il comporte. C'est une serrure numérique qui vous empêche d'accéder à votre propre bien, en quelque sorte.
Le projet de loi C-11 crée une troisième couche de protection. Il dit que les efforts pour contourner les serrures numériques, les codes régionaux, constituent en soi des infractions. On comprend immédiatement le problème que cela cause. Par exemple, si j'achète un DVD en Europe et que je le rapporte au Canada pour m'en servir, il s'agit d'un bien qui m'appartient. Cette loi dit que je commets une infraction si j'essaie de contourner la serrure pour utiliser mon DVD. C'est la raison pour laquelle les avocats en droit constitutionnel disent qu'il est principalement question de propriété personnelle et non de droit d'auteur, car nous ne parlons pas de droit d'auteur dans ce cas; nous parlons tout simplement d'accès.
La solution a été de dire que si quelqu'un contourne cette serrure pour enfreindre le droit d'auteur et faire 1 000 copies du DVD pour le vendre sur la rue, oui, il faut appliquer la loi. Il nous faut une exception, ou du moins des dispositions, pour les particuliers qui cherchent à avoir accès à l'œuvre pour leur usage personnel, pour les documentaristes et les autres personnes qui ont des raisons légitimes d'accéder à ce qui, dans bien des cas, leur appartient.
Comme je l'ai dit, il existe une solution qui n'exige même pas qu'on amende le projet de loi. Étant donné que le gouvernement reconnaît que cela pourrait être problématique, il a prévu un pouvoir de réglementation concernant les serrures numériques. Le comité pourrait recommander au gouvernement de créer ce genre d'exception.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai acheté des DVD dont je ne peux pas me servir, parce que je ne savais pas qu'ils ne pouvaient pas fonctionner au Canada. Je ne suis ni un pirate ni quelqu'un qui veut contrevenir à la loi.
En ce qui concerne votre proposition d'avoir une réglementation, avez-vous reçu une réponse favorable de la part des autorités gouvernementales à cet effet afin que vous puissiez prévoir et surtout répondre aux inquiétudes des différentes clientèles? Cette demande a été agréée, alors est-on d'accord avec vous pour dire que cela pourrait se faire?
[Traduction]
M. Geist : Je crois que oui. Nous pouvons mesurer cela de diverses façons. J'ai entendu hier le ministre Paradis parler des 8 000 consultations qui ont mené au projet de loi sur le droit d'auteur. La grande majorité des gens qui se sont exprimés ont parlé d'abord et avant tout de la question des serrures numériques et de la nécessité d'opter pour une approche qui prévoit une protection pour les entreprises désireuses d'utiliser des serrures, sans pour autant déséquilibrer les choses, et qui garantit dans l'univers numérique le maintien des droits que la myriade d'autres groupes possèdent dans le monde non numérique.
Au comité, l'un après l'autre, des groupes du milieu de l'éducation, de la consommation, des bibliothèques et, en fait, des groupes d'entrepreneurs et de créateurs sont venus dire qu'ils sont préoccupés par l'approche actuelle concernant les serrures numériques. Ils pensent que ce qu'il convient de faire, c'est d'opter pour une approche harmonisée aux traités internationaux et aux traités Internet de l'OMPI. C'est l'approche adoptée par certains de nos partenaires commerciaux avec lesquels nous négocions activement des ententes commerciales comme le Partenariat transpacifique et l'Accord commercial Canada-UE. Cette approche résoudrait tous les problèmes. Elle répondrait aux préoccupations relatives aux personnes aveugles et aux créateurs, ainsi qu'à celles qui touchent l'éducation. Il y a une façon plutôt simple de le faire. On a en parlé au comité, mais les amendements proposés ont été rejetés.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d'être avec nous ce matin.
Avant d'aborder la question des serrures numériques, j'aimerais préciser que la plupart des courriels que nous recevons de ceux qui sont préoccupés par le projet de loi portent sur l'éducation. Il s'agit d'auteurs et de nombreux professeurs. Même s'ils n'utilisent pas le terme « serrure numérique », ils ne semblent pas interpréter la loi comme je le fais. Est-ce parce que le projet de loi pose véritablement problème ou parce qu'ils en comprennent mal la véritable intention?
M. Geist : En comité, la modification apportée à la disposition sur l'utilisation équitable a été soulevée à maintes reprises. Or, je crois que c'est parce qu'on en comprend mal le fonctionnement, comme je l'ai dit dans mon exposé. Au Canada, l'utilisation équitable est fondée sur une analyse en deux temps. Pour invoquer l'utilisation équitable d'une œuvre, il faut d'abord que le travail appartienne à l'une des cinq catégories actuelles, à savoir de la recherche, l'étude privée, la communication de nouvelles, la critique et le compte rendu. Toute autre utilisation d'une œuvre est immédiatement considérée comme une violation. Impossible d'invoquer l'utilisation équitable.
En deuxième lieu, la Cour suprême du Canada a retenu six critères permettant de déterminer si les travaux faisant partie de ces catégories constituent une utilisation équitable. Par exemple, le simple fait de déclarer qu'une œuvre est utilisée à des fins de recherche ne signifie pas nécessairement que l'utilisation est équitable. On ne peut pas copier un film ou un livre en entier sous prétexte qu'on mène une recherche et qu'on juge l'utilisation équitable, car il existe d'autres options.
Les nouvelles exceptions — la parodie, la satire et l'éducation, surtout — ne constituent qu'une catégorie de plus. Le projet de loi ajoute donc une catégorie pour l'éducation, mais l'analyse demeure la même. L'utilisation équitable d'une œuvre à des fins d'éducation fera désormais partie de cette catégorie. Puisque l'étude privée, la recherche, la critique et le compte rendu couvrent déjà la majeure partie des travaux du domaine de l'éducation, le concept d'utilisation équitable n'a rien de nouveau pour les enseignants. Ils ont déjà activement recours à cette disposition puisque les catégories actuelles couvrent déjà la majeure partie des situations.
Le projet de loi permet donc de combler les lacunes qui subsistaient. Je pense qu'il s'agit d'une évolution, mais pas d'une révolution.
Le simple fait qu'une utilisation appartienne à une de ces catégories ne signifie pas pour autant qu'elle est équitable; il faut ensuite démontrer qu'elle remplit les six critères de l'utilisation équitable. Contrairement à ce que certains prétendent, les enseignants ne seront pas libres de faire un nombre illimité de copies sans verser d'indemnisation, car une telle pratique irait complètement à l'encontre du fonctionnement de la loi et de la décision de la Cour suprême du Canada. D'ailleurs, ce n'est pas ainsi que se comportent les établissements d'enseignement et les groupes représentant les créateurs.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de ces précisions.
Permettez-moi de revenir sur les serrures numériques. Vous avez dit que nous faisons exception parmi un grand nombre de pays compétiteurs. Mais si j'ai bien compris, nos dispositions ressemblent à celles des États-Unis, mis à part notre exclusion des documentaires, n'est-ce pas?
M. Geist : Nous avons beaucoup en commun avec les États-Unis. D'autres pays adoptent des lignes de conduite similaires à la nôtre, mais les États-Unis sont ceux qui nous ressemblent le plus. Les pays européens ont prévu toute une gamme d'exceptions différentes; certaines figurent dans notre projet de loi, mais beaucoup d'autres ne s'y trouvent pas.
Le sénateur Massicotte : Qu'en est-il de la France et de l'Angleterre? J'aimerais que vous me donniez des détails, monsieur.
M. Geist : Permettez-moi de vous donner des exemples. En Europe, les affaires judiciaires et les documents juridiques font l'objet d'une exception dans différents pays, comme la Suède. Pour l'instant, le Canada ne leur a pas emboîté le pas. Qu'arriverait-il si une personne verrouillait ces textes juridiques par une serrure numérique pour y ajouter des notes générales, par exemple? Il faudrait ensuite contourner la serrure pour avoir accès aux documents, mais ce n'est pas permis.
D'autres pays européens ont prévu des exceptions particulières aux fins d'enseignement. Dans certains cas, on cherche même à protéger les mineurs. Le problème survient par exemple si un parent contourne une serrure parce qu'il craint que son enfant ait accès à quelque chose; contrevient-il à la loi pour autant? C'est la raison d'être de l'exception.
D'autres pays ont aussi prévu des exceptions visant à confirmer hors de tout doute que les dispositions s'appliquent exclusivement aux documents protégés par des droits d'auteur. Aux États-Unis, plus particulièrement, on a déjà invoqué ces dispositions dans des situations qui n'avaient apparemment rien à voir avec le droit d'auteur. Permettez-moi de vous donner rapidement un exemple touchant la compagnie canadienne Skylink, située à Burlington, en Ontario. La société a conçu un ouvre-porte de garage universel à distance. Le produit permet à ceux qui possèdent un garage pour deux voitures d'ouvrir les deux portes à l'aide du même ouvre-porte, si les deux dispositifs proviennent de compagnies différentes, mais qu'un des deux ne fonctionne pas. Le produit n'a rien de révolutionnaire, mais il peut être utile à quelqu'un qui essaie d'ouvrir sa porte de garage. Pour que l'ouvre-porte fonctionne, la société devait contourner le mécanisme de serrure et la technologie du deuxième dispositif. Vous vous demandez peut-être en quoi c'est lié au droit d'auteur. C'est aussi ce que je me suis demandé. Or, Chamberlain, une grande société d'ouvre-porte de garage, a poursuivi en justice la société canadienne Skylink sous prétexte que cette pratique violait les dispositions sur les serrures numériques, car celles-ci devaient être contournées pour que le produit fonctionne. L'affaire s'est retrouvée devant les tribunaux de trois instances, et la société a dû débourser des centaines de milliers de dollars pour assurer sa défense.
Ce genre d'abus représente un véritable danger sur le plan commercial. C'est d'ailleurs pourquoi il faut prévoir une mesure d'exclusion concernant les activités que tout le monde considère comme étant légitimes. Le problème, c'est qu'en adoptant une ligne de conduite très large et rigide qui va bien au-delà des exigences du droit international, on risque d'englober un certain nombre d'activités parfaitement légitimes et légales.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Kerr-Wilson, êtes-vous d'accord avec M. Geist? Partagez-vous ses inquiétudes?
M. Kerr-Wilson : Dans le cadre des consultations sur le droit d'auteur, la Business Coalition for Balanced Copyright a bel et bien exprimé sa préoccupation sur le fait que les dispositions visant les serrures numériques pourraient s'appliquer à des utilisations qui ne constituent pas une violation. Nous n'y avons pas accordé la priorité dans le cadre des consultations sur le projet de loi C-11, mais nous convenons en principe que ces craintes sont fondées et que le pouvoir réglementaire devrait en tenir compte.
Le sénateur Tkachuk : Bienvenue. Une partie du problème est attribuable au fait qu'il s'agit d'un tout nouveau monde; je crois que les législateurs sont aussi perdus que les consommateurs. Pourriez-vous m'aider à comprendre? Je suis un consommateur, car j'achète des produits. Vous avez parlé de DVD qu'on ne peut pas visionner en Europe, mais seulement ici. Eh bien, vous savez quoi? J'ai toute une collection de disques vinyles longue durée que je n'ai pas pu écouter pendant longtemps, jusqu'à ce que les enfants me proposent d'acheter un tourne-disque. Quel est le problème si un consommateur achète un DVD ici, un CD, ou bien qu'il télécharge une chanson sur iTunes? Les serrures numériques posent-elles problème en ce qui concerne les consommateurs?
M. Geist : Tout à fait. Prenons l'exemple du DVD, sans même parler de ceux qu'on achète en Europe et qu'on voudrait regarder au Canada, car c'est impossible. Prenons simplement l'exemple d'un DVD acheté ici même. Chez moi, personne n'écoute le film à partir du disque de plastique. Les membres de ma famille en extraient le contenu pour le visionner sur leur iPad, leur ordinateur ou l'appareil de leur choix. À vrai dire, le changement de support fait l'objet d'une exception en vertu du projet de loi. Cette disposition reflète une pratique répandue chez les consommateurs, ce qui correspond à l'objectif d'adopter des lois orientées vers l'avenir. Rares sont ceux qui achètent des CD pour les écouter directement, car ils préfèrent copier la musique sur leur iPod. Les consommateurs sont de moins en moins nombreux à acheter des DVD pour les visionner directement sur un lecteur DVD. Ils veulent pouvoir en extraire le contenu pour l'écouter sur l'appareil de leur choix et l'emporter partout où ils vont. En fait, les plus récents ordinateurs Apple n'ont même pas de lecteur DVD. On constate donc un virage vers le visionnement du contenu sur le dispositif de son choix.
Le projet de loi contient une disposition sur le changement de support, mais elle aussi dépend de la disposition sur la serrure numérique. Ainsi, ce qu'on donne d'une main, on le reprend immédiatement de l'autre. On reconnaît d'un côté que les gens changent couramment de support et transfèrent le contenu d'un format à l'autre. En revanche, l'exception visant le changement de support ne s'applique pas en présence d'une serrure numérique. On donne le feu vert aux consommateurs, alors qu'on sait au fond que ce n'est pas légal sur le marché du DVD en raison des serrures numériques qui en protègent le contenu. Par conséquent, les consommateurs ne peuvent pas s'adonner à cette activité, du moins pas en toute légalité.
Le sénateur Tkachuk : Ne croyez-vous pas qu'on freine ainsi la demande des consommateurs? Ne pensez-vous pas que ces dispositions inciteront ceux qui vendent des DVD à supprimer les serrures numériques s'ils se rendent compte que les gens ne se procurent plus de DVD parce qu'ils ne peuvent pas les visionner sur différents supports? N'est-ce pas ce qui arrivera, selon vous?
M. Geist : Non. Il n'arrivera rien de plus qu'actuellement. Les gens se moqueront complètement de la loi qui leur interdit de visionner le contenu sur l'appareil de leur choix. Si vous espérez que le projet de loi suscite un plus grand respect de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur, il doit au moins bien se concilier avec une pratique qui est non seulement répandue, mais en plus, qui respecte l'éthique et n'a rien de mal.
Le sénateur Tkachuk : Faut-il acheter un logiciel afin de contourner les serrures? Ne faut-il pas trouver un moyen d'y arriver?
M. Geist : En effet, et ce peut être un défi pour certains. C'est pourquoi des pays comme la Nouvelle-Zélande ont mis en place des systèmes de contournement autorisés; le pays reconnaît qu'il peut être justifié de contourner les serrures dans certaines circonstances, et il veut s'assurer que les gens peuvent le faire. Dans la pratique, les Canadiens de toute une génération n'ont aucun mal à obtenir le logiciel dont ils ont besoin pour contourner la serrure, et ils n'hésitent pas à le faire. On peut les aviser que la loi l'interdit, mais on leur dit du même souffle qu'il faut respecter davantage le droit d'auteur au Canada. C'est un objectif difficile à atteindre lorsqu'on dit au consommateur de ne pas extraire le contenu de son nouveau DVD pour le visionner sur son iPad ou sur un autre appareil.
Le sénateur Tkachuk : Pour commencer, je ne suis pas d'accord. Je pense que les gens se procureront tout simplement le produit ailleurs. Chacun essaie de protéger ses créations et a le droit d'agir ainsi. Si les gens constatent qu'ils doivent acheter trois DVD plutôt qu'un seul, ils ne le feront pas. Ils trouveront plutôt un fournisseur qui lui vendra un DVD légal pouvant être visionné par tous les formats. Par exemple, iTunes ne vend que le format MP4. Or, j'essaie de télécharger 50 chansons qui pourront être lues dans le lecteur MP3 de ma voiture, car j'aimerais ne jamais devoir changer de CD; je n'ai pas le secteur me permettant de brancher mon appareil. Je vais maintenant chercher un autre fournisseur où je pourrai acheter des chansons en format MP3, ou dans le format de mon choix. C'est ce que font les consommateurs qui ne veulent pas se donner la peine de télécharger les chansons puis de les convertir en format MP3. Il faut acheter un logiciel et prendre le temps de le faire; c'est embêtant. C'est d'ailleurs pour cette raison que les gens ne volent pas beaucoup de chansons : même s'ils peuvent les obtenir gratuitement, ils préfèrent payer pour des chansons facilement accessibles et toujours de bonne qualité. Vous dites que les gens les téléchargent quand même gratuitement, mais c'est faux. Ils paient.
M. Geist : Je ne parle pas d'obtenir du contenu gratuitement. Je conviens que les entreprises doivent rivaliser sur ce marché. Le Canada est déjà un chef de file mondial dans ces services, sans compter les dispositions sur la serrure numérique et la concurrence. Mais dans les faits, les États-Unis ont adopté des dispositions semblables à la fin des années 1990, avant l'avènement de Napster. Il est irréaliste de croire que les Américains ne transfèrent pas le contenu de leurs DVD sur leur iPad. Il y a 10 ans, Apple lançait la campagne « Rip, Mix, Burn », dont l'objectif était de reconnaître que les gens s'adonnent bel et bien à l'extraction, au mixage et à la copie de contenu. Même si on l'accepte — je conviens qu'un segment de consommateurs n'a pas les compétences techniques pour le faire ou préférera trouver un autre moyen d'y arriver —, il faut reconnaître que d'autres groupes touchés n'ont pas d'autre option, contrairement aux consommateurs. Prenons l'exemple d'un réalisateur de documentaires qui veut utiliser une séquence télévisée montrant la personne qu'il désire critiquer. Il ne pourra se procurer nulle part ailleurs une version qui n'est pas verrouillée par une serrure numérique, et devra alors s'adresser à la personne en question. Il pourrait invoquer son droit à l'utilisation équitable pour justifier l'utilisation de la séquence, mais la serrure numérique l'en empêche. Il pourrait aviser la personne en question qu'il réalise un film la critiquant et lui demander la permission d'utiliser la séquence.
Le sénateur Tkachuk : Pourquoi le ferait-elle?
M. Geist : C'est ce que je veux dire.
Le sénateur Tkachuk : Exactement.
M. Geist : Pour que la critique ou le compte rendu d'un cinéaste soit constructif sur le plan de la liberté d'expression, celui-ci doit pouvoir utiliser ce genre de séquences télévisées sans devoir demander la permission. En fait, c'est ce que la loi prévoit.
Le sénateur Tkachuk : Devrais-je recevoir de l'argent si on utilise un extrait de mon DVD?
M. Geist : Si l'on satisfait aux critères de l'utilisation équitable, notamment aux fins d'une critique, aucune rémunération n'est nécessaire. Si on utilise une grande partie de l'œuvre afin d'offrir sur le marché un produit de substitution sans respecter les six facteurs, alors la réponse est oui. Tout dépend du contexte. Dans le cas d'une critique, où l'utilisateur ne voudrait qu'un court extrait, vous pourriez refuser d'accorder cette permission parce que vous ne voulez pas avoir à faire face à ce genre de critique. Dans ce cas, l'utilisateur ne pourrait pas demander votre permission. On a tenu compte de cette situation en intégrant ces exceptions à la loi. Le danger des verrous numériques, c'est que le titulaire du droit d'auteur peut essentiellement faire fi de ces exceptions simplement en protégeant le contenu de l'œuvre au moyen de ces verrous.
Le sénateur Moore : Je remercie les témoins de leur présence. Monsieur Geist, j'ai seulement quelques brèves questions à vous poser. Vous avez parlé du test des six facteurs. Faites-vous allusion au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada?
M. Geist : Oui.
Le sénateur Moore : L'entreprise qui a mis au point le dispositif permettant d'ouvrir toutes les portes de garage, était-ce bien Skylink?
M. Geist : Oui.
Le sénateur Moore : Quelle fut l'issue du procès intenté par Chamberlain?
M. Geist : Skylink a obtenu gain de cause. L'entreprise a dû faire face à deux séries de procédures judiciaires devant l'International Trade Commission des États-Unis, puis une autre devant les tribunaux américains. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de causes où l'on a fait valoir des arguments semblables dans des dossiers qui, en apparence, n'avaient rien à voir avec le droit d'auteur. Il y a des risques de débordement.
Le sénateur Moore : Quelle a été la décision rendue?
M. Geist : On a jugé qu'il ne s'agissait pas d'un cas de violation du droit d'auteur à proprement parler, et que les règles en la matière ne devaient pas s'appliquer. Lorsque les règles ont une portée aussi vaste que celles appliquées aux États-Unis et au Canada, on peut craindre à juste titre de voir ces arguments invoqués dans le cadre de poursuites judiciaires agressives. Aux États-Unis, il y a eu un autre procès de ce genre au sujet de cartouches d'encre de rechange pour les imprimantes. Dans ce secteur, le modèle d'affaires n'est pas fondé sur la vente des imprimantes, mais sur la vente de l'encre. La société Lexmark, qui produit des cartouches d'encre pour les imprimantes, a engagé des poursuites contre une autre entreprise qui vendait des cartouches rechargeables pour les imprimantes de Lexmark. La société Lexmark a fait valoir que l'entreprise avait dû contourner le verrou pour que ces cartouches puissent fonctionner.
Le sénateur Moore : Les sénateurs Tkachuk et Hervieux-Payette ont posé des questions sur la technologie. Les DVD qu'on achète renferment un dispositif. L'ordinateur ou le lecteur qu'on emploie pour accéder au contenu du DVD doivent également comprendre un dispositif pour recevoir les signaux de celui qui se trouve dans le DVD, et pour y répondre.
M. Geist : Oui.
Le sénateur Moore : Est-ce que tous les lecteurs sont munis d'un dispositif installé par le fabricant pour qu'ils puissent lire les supports qui renferment un verrou?
M. Geist : Oui.
Le sénateur Moore : Ces lecteurs sont tous munis d'un tel dispositif? Il y a deux dispositifs, un dans le DVD, et l'autre dans le lecteur.
M. Geist : Oui. Lorsque les DVD sont devenus des produits commerciaux, l'industrie a mis en place une technologie appelée « système de brouillage du contenu », ou SBC. Un fabricant d'appareils qui voulait mettre sur le marché un appareil lisant les DVD protégés par le SBC devait conclure une entente avec un consortium représentant l'industrie du divertissement pour permettre à l'appareil de débrouiller le contenu du DVD ou de lire le DVD. Le problème, c'est qu'on se retrouve avec des appareils ou des systèmes d'exploitation informatiques qui ne peuvent pas lire les DVD. Il existe donc des moyens anticoncurrentiels d'empêcher certains types de logiciels de lire ces DVD. Les logiciels ouverts en sont de bons exemples. Les ordinateurs munis du système d'exploitation Linux ne peuvent pas du tout lire ces DVD, à moins qu'on utilise les technologies permettant de contourner les dispositifs de protection. On a refusé de prendre des mesures à l'égard de ce qui constitue essentiellement une source ouverte. Il est très difficile de composer avec une source ouverte dont l'exploitation est plus accessible. Si un appareil emploie le système d'exploitation Linux, il ne suffit pas d'y insérer le DVD.
Le sénateur Moore : Vous avez parlé de l'exemption pour les personnes handicapées en prenant l'exemple d'une personne aveugle. Je crois comprendre que cette personne serait visée par une exemption, mais que pour en bénéficier, elle devrait se procurer un outil dont l'utilisation est illégale.
M. Geist : C'est un aspect très important. Ce n'est pas le fait qu'un consommateur possède ce logiciel permettant de contourner les dispositifs de protection qui constitue une infraction, mais plutôt la distribution de cet outil. Vous avez raison de dire que même ces exceptions sont particulièrement illusoires, car si on empêche les gens d'obtenir la technologie dont ils ont besoin, du moins de façon légale, ces droits sont très difficiles à exercer.
Le sénateur Moore : La solution que vous proposez peut-elle s'appliquer dans ce cas?
M. Geist : Non.
Le sénateur Moore : C'est ce que je croyais. Je dirais qu'il faudrait en tenir compte dans la réglementation.
Une dernière question. Je suppose qu'en tant que membre du milieu universitaire, vous êtes probablement au fait de l'étude menée l'année dernière par l'Université Rice et l'Université Duke.
M. Geist : De quelle étude parlez-vous exactement?
Le sénateur Moore : L'étude selon laquelle l'utilisation des verrous numériques entraîne une baisse du piratage.
M. Geist : Je sais de quelle étude vous parlez.
Le sénateur Moore : Croyez-vous qu'il est nécessaire d'utiliser des verrous numériques? Steve Jobs a dit qu'il faudrait s'en débarrasser. Je sais que son entreprise a largement profité d'une telle mesure de protection. Pensez-vous que les verrous numériques sont nécessaires, mais qu'il faudrait prévoir différentes façons de les utiliser?
M. Geist : C'est aux entreprises de décider si elles veulent utiliser ces verrous. À mon avis, ce n'est pas au gouvernement de déterminer si les entreprises devraient s'en servir.
Le sénateur Moore : Compte tenu de votre discussion avec le sénateur Tkachuk, je veux connaître votre avis, non celui du gouvernement.
M. Geist : Je crois qu'il appartient à chaque entreprise de décider si elle veut utiliser des verrous numériques. Je pense que les consommateurs se sont prononcés haut et fort sur bon nombre de modèles d'affaires axés sur l'utilisation de verrous, et ils n'aiment pas ce genre de mesures. C'est aux entreprises de décider si elles veulent utiliser des technologies qu'un grand nombre de consommateurs n'aiment pas dans bien des cas. Sur le plan des politiques et de la loi, il ne s'agit pas de déterminer si les entreprises prennent une bonne ou une mauvaise décision à l'égard des verrous, mais plutôt s'il est judicieux de faire en sorte que la protection juridique en faveur de ces types de verrous soit si grande qu'elle l'emporte sur pratiquement tous les autres droits émanant du projet de loi. Voilà la question.
Dans le cas qui nous occupe, je crois que ce projet de loi va bien au-delà des exigences de la loi. Nombreux sont ceux qui font valoir que non seulement nous n'avons pas besoin de surprotéger l'utilisation des verrous numériques, mais nous devons aussi songer sérieusement à mettre en place certaines mesures de protection contre les verrous numériques. Pour ce faire, je pense qu'il serait tout à fait approprié, entre autres, de veiller à ce qu'il y ait de meilleures pratiques pour aviser et informer les gens au sujet de ces verrous et des types de restrictions auxquelles on doit faire face lorsqu'on achète certains de ces produits, car cela éviterait bien des mauvaises surprises.
L'information à cet égard n'est même pas divulguée de façon appropriée. Si nous ne prenons même pas de mesures de protection contre les verrous numériques, je crois qu'il faudrait au moins offrir la même protection à ceux qui les emploient et à ceux qui suivent un autre modèle d'affaires, c'est-à-dire qu'il faudrait adopter une approche neutre selon laquelle la loi protégerait ceux qui décident d'utiliser des verrous numériques, sans toutefois privilégier ce modèle d'affaires au point que les droits à cet égard l'emportent sur bon nombre des autres droits déjà en place aux termes de la loi.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Mes questions s'adressent à M. Kerr-Wilson. Quelles sont les entreprises que vous représentez et de combien d'entreprises s'agit-il?
[Traduction]
M. Kerr-Wilson : Nous représentons à la fois des entreprises et quelques associations commerciales; je peux fournir une liste complète au greffier. Il y a Google, Yahoo, Rogers, Bell, TELUS, la Canadian Cable Systems Alliance et l'Association canadienne des télécommunications sans fil. Je fournirai une liste complète.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Il serait important que l'on sache d'où viennent ces personnes. Dans votre exposé, à la page 2, vous parlez de faciliter l'accès à l'information contenue dans le cloud. Pour les téléspectateurs qui vont nous écouter aujourd'hui, afin qu'on puisse se comprendre sur le plan linguistique, le terme « cloud » est utilisé, par exemple, lorsqu'on prend un document et qu'on le met de côté, mais en dehors de notre propre instrument, que ce soit un ordinateur ou un iPad, et cetera.
Aussi, pouvez-vous m'expliquer qu'est-ce que comprend le Network PVR?
[Traduction]
M. Kerr-Wilson : Cela ressemble beaucoup à l'infonuagique. Actuellement, la plupart des gens savent qu'on peut connecter au téléviseur une boîte qui permet d'enregistrer et de lire les émissions au moyen d'un menu. Un récepteur vidéo personnel en réseau fait la même chose, sauf que la boîte se trouve dans les locaux du câblodistributeur ou de la compagnie de téléphone. On choisit l'émission qu'on veut regarder, un signal se rend à la boîte qui se trouve dans les locaux du câblodistributeur, et la boîte enregistre l'émission. Quand on veut écouter l'émission, un autre signal est envoyé, et la boîte du câblodistributeur transmet à la télévision les données de l'émission.
Cela fonctionne de la même façon que le récepteur vidéo personnel qu'on connecte à la télévision, sauf que toutes les fonctions sont exécutées dans un lieu sécurisé où il y a des copies de sauvegarde.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Les gens que vous représentez voient dans le projet de loi, à l'article 35, alinéa 31.1(4), des difficultés en termes d'application et ne sont pas satisfaits de cet article. Quelles sont leurs principales inquiétudes?
Il s'agit là d'un service extrêmement important puisqu'on parle tout de même des géants du domaine des télécommunications. Qu'est-ce qui est négatif? Est-ce l'impact négatif pour Telus et Rogers ou l'impact négatif pour le consommateur?
[Traduction]
M. Kerr-Wilson : Je dirais que dans ce cas, l'impact pourrait être négatif à la fois pour les entreprises et pour les consommateurs. Le problème, ce n'est pas la politique du gouvernement. Sa politique est très claire : il veut éliminer les obstacles que la loi sur le droit d'auteur impose en ce qui concerne l'utilisation de récepteurs vidéo personnels en réseau. C'est ce que le gouvernement souhaite faire en proposant l'article 35. Ce qui nous préoccupe, c'est que l'article parle expressément de la reproduction et du stockage d'une œuvre, mais il ne prévoit aucune exception explicite pour ce qui est de retransmettre la copie de l'œuvre.
Dans certains pays, dont les États-Unis, la mise en place des récepteurs vidéo personnels en réseau a donné lieu à de vives contestations judiciaires. Ce fut également le cas en Australie. Cette activité semble paver la voie à des poursuites judiciaires. Le problème, c'est que même si l'intention est claire, l'ambiguïté du libellé pourrait entraîner les mêmes types de poursuites judiciaires que celles qui ont été engagées aux États-Unis et en Australie lorsque le service a été mis en place.
Les entreprises comme TELUS, Rogers et Bell veulent veiller à ce que la loi dise explicitement que l'exception couvre également la retransmission de l'émission à la personne qui l'a enregistrée, c'est-à-dire l'émission transmise vers le téléviseur par le câblodistributeur ou la compagnie de téléphone.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce qu'à l'heure actuelle les Américains fonctionnent de la même façon? Lorsque vous parlez de poursuites, qui poursuivra qui?
[Traduction]
M. Kerr-Wilson : Aux États-Unis, un câblodistributeur, Cablevision, a lancé le service, puis il a été poursuivi par les producteurs et les diffuseurs d'émissions de télévision. Il y a eu plusieurs séries de poursuites judiciaires, et la Cour fédérale a finalement conclu que le service ne violait pas les lois américaines. La loi de ce pays est différente de celle du Canada, mais la cour a dit que ce service n'enfreignait pas la loi.
La même chose s'est produite en Australie, avec le résultat contraire. Le tribunal australien a conclu que le service violait la loi, ce qui démontre que le libellé utilisé est très important. Le libellé de la loi américaine a rendu le service légal, de sorte que les Américains peuvent l'utiliser, alors que le libellé légèrement différent employé dans la loi australienne a mené à un résultat différent.
Nous voulons seulement nous assurer que les résultats obtenus au Canada correspondent à ceux visés par la politique, c'est-à-dire permettre aux Canadiens d'utiliser les récepteurs vidéo personnels en réseau. C'est ce que nous demandons.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Geist, je veux simplement revenir aux observations du sénateur Tkachuk. Vous avez dit que c'est toujours une question d'équilibre. Pour la plupart d'entre nous, c'est d'abord une question de droits de propriété. Nous sommes habitués à ce genre de droits pour les biens matériels. Les gens ont des droits par rapport aux biens qui leur appartiennent, mais comme vous le savez, il y a de nombreuses lois en matière de propriété qui donnent lieu à la violation d'autres droits. J'aurais commencé par dire comme le sénateur. Qu'il soit producteur ou chanteur, c'est le propriétaire de l'œuvre qui peut décider des mesures à prendre à son égard, qu'il s'agisse d'un verrou ou d'autre chose. C'est le principe fondamental.
Vous nous dites cependant que, quels que soient les droits de ce producteur, les droits du public limitent ceux du titulaire du droit d'auteur à l'égard de son produit, notamment en ce qui a trait à l'accès à ce produit. Cette situation est toujours délicate, car le fardeau de la preuve dépend toujours de la raison invoquée. Jusqu'où peut-on aller?
Je pourrais même être d'accord avec vous, mais vous dites que la vraie solution repose toujours sur les dispositions du paragraphe 41.21(2). Vous soutenez que le gouvernement peut, par décret, mettre en place un nouveau règlement ou invalider toutes les mesures. Tout ce que vous demandez au comité, c'est qu'il en fasse immédiatement la recommandation. Est-ce exact?
M. Geist : Effectivement. Vous avez raison en général. Je pense que la loi sur le droit d'auteur tient compte de ces limites. C'est pourquoi il y a des exceptions concernant notamment la recherche, l'étude privée, la critique, le compte rendu et la nouvelle. Si un journaliste devait obtenir la permission du titulaire du droit d'auteur pour utiliser un extrait précis de l'œuvre sur laquelle repose son article, et si le chercheur devait faire la même chose, cette permission ne leur serait peut-être pas accordée, et il est dans l'intérêt de la société de faire en sorte que ces gens n'aient pas à demander cette permission. Le problème, c'est que ces règles concernant les verrous numériques permettent aux titulaires de droits d'auteur d'empêcher les gens d'utiliser ces œuvres sans leur permission.
Je crois que nous avons déjà atteint cet équilibre. Je ne propose pas d'énormes modifications pour atteindre l'équilibre. Je crois que le domaine du numérique devrait présenter le même équilibre en matière de droit d'auteur — les mêmes limites, en quelque sorte — que les autres domaines. Je souhaite seulement que les droits des auteurs, des créateurs, des utilisateurs et des éducateurs soient traités de façon neutre ou équilibrée tant dans le secteur du numérique que dans les autres.
S'il est urgent d'aller de l'avant pour faire adopter le projet de loi, je reconnais qu'on a mis beaucoup de temps juste pour arriver à cette étape de l'étude du projet de loi. Cependant, le gouvernement a reconnu qu'on risque de donner une trop grande portée au projet de loi. Cependant, je recommande que vous utilisiez ce pouvoir de réglementation afin de mettre en place l'exception nécessaire pour rétablir cet équilibre.
Le sénateur Massicotte : Est-il exact de dire que votre recommandation n'a été ni acceptée, ni rejetée?
M. Geist : Des amendements au projet de loi proposés en comité ont été rejetés. Évidemment, je crois qu'on aurait dû d'abord corriger les lacunes du projet de loi. Ces amendements proposés en comité ont été rejetés, mais voilà que je comparais ici, alors que la Chambre des communes a ajourné pour l'été. Si nous allons de l'avant avec cette mesure, il y a une solution, car les ministres ont dit qu'une fois passée l'étape de la troisième lecture du projet de loi à la Chambre des communes, il resterait encore du temps entre l'adoption du projet de loi par le Sénat et son entrée en vigueur, puisqu'il faudra mettre en place des mesures réglementaires. M. Kerr-Wilson a parlé notamment des dispositions réglementaires concernant les fournisseurs de services Internet. On peut utiliser ce processus pour corriger les lacunes qui, selon moi, étaient présentes depuis 2010, et qui, pour une raison ou une autre, n'ont pas été corrigées au cours du processus.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons parlé un peu des documentaires. À l'extérieur du domaine numérique, lorsqu'un artiste se produit sur scène, je crois que les reportages diffusés le soir même à ce sujet peuvent contenir un extrait de la prestation d'une durée maximale de deux minutes. On ne peut pas filmer tout le spectacle. On ne peut en présenter qu'un extrait à la télévision.
Comment en est-on arrivé à cette entente? S'agissait-il d'une entente globale, d'un accord, ou existe-t-il des lois à cet égard?
M. Geist : Je ne suis pas sûr qu'il faille s'en tenir strictement à deux minutes. Si c'est ce que font certains, ce n'est qu'une pratique établie par l'industrie. La loi s'appuie sur un aspect dont j'ai parlé qui est très important par rapport aux verrous numériques et à votre discussion sur l'utilisation équitable. Lorsqu'il s'agit d'exercer ses droits, que ce soit notamment pour une utilisation équitable, une critique, un compte rendu, une nouvelle ou une de ces nouvelles catégories, il y a six facteurs à considérer pour déterminer si on respecte cette norme. Dans certains cas, on pourrait se limiter à deux minutes, mais d'autres circonstances pourraient nécessiter un extrait plus long, selon l'objectif visé, et selon qu'on répond ou non aux critères. Prenons le cas d'une personne qui fait un compte rendu sur une œuvre multimédia. Disons que cette personne veut analyser un film ou une prestation. Elle veut dire pourquoi elle croit que cette œuvre est très bonne ou très mauvaise en isolant divers extraits. Il se pourrait que la durée totale de ces extraits dépasse de beaucoup les deux minutes, mais le tribunal pourrait bien dire que c'est une durée raisonnable s'il juge que la série d'extraits utilisée répond aux critères de l'utilisation équitable en fonction de l'analyse des six facteurs.
Le problème, surtout en ce qui concerne les verrous numériques, c'est qu'on ne peut même pas procéder à cette analyse, puisqu'on ne peut pas invoquer l'utilisation équitable lorsqu'il s'agit de contourner une telle mesure. Le simple fait de contourner ces mesures devient une infraction. Pour un journaliste, un chercheur, une personne se livrant à une critique ou un membre de tout autre groupe exerçant ses droits en matière d'utilisation équitable, il est impossible d'invoquer l'utilisation équitable, car le tribunal peut objecter qu'on ne peut pas contourner les mesures de protection, et qu'il n'y a pas d'exception à cette règle pour les utilisations équitables.
Le président : Monsieur Geist et monsieur Kerr-Wilson, je suis certain que les membres du comité et l'auditoire se joignent à moi pour vous remercier de vos exposés excellents et instructifs. Vous nous avez présenté des observations fort pertinentes sur le projet de loi C-11.
Honorables sénateurs, pour la deuxième portion de notre séance de ce matin, nous avons le plaisir d'accueillir deux représentantes de l'Association canadienne des bibliothèques : Kelly Moore, directrice exécutive, et Victoria Owen, présidente du Comité consultatif des droits d'auteur. Nous accueillons également des représentants de l'Association des universités et collèges du Canada : Greg Fergus, directeur des Affaires publiques, et Steve Wills, gestionnaire des Relations avec les gouvernements et des Affaires juridiques. Nous souhaitons aussi la bienvenue à Zachary Dayler, directeur national de l'Alliance canadienne des associations étudiantes.
Chers collègues, nous avons une heure pour cette portion également. Nous allons d'abord entendre les représentants de l'Association des universités et collèges du Canada, puis les représentantes de l'Association canadienne des bibliothèques, et ensuite M. Dayler.
[Français]
Greg Fergus, directeur, Affaires publiques, Association des universités et collèges du Canada : Monsieur le président, merci d'avoir invité l'Association des universités et collèges du Canada à venir témoigner à propos du projet de loi C-11. L'AUCC représente 95 universités et des collèges universitaires canadiens publics et privés à but lucratif.
[Traduction]
J'irai droit au but. L'AUCC appuie le projet de loi C-11, car il permet d'établir un juste équilibre entre les droits des titulaires de droits d'auteur et ceux des utilisateurs d'œuvres protégées par un droit d'auteur. Les universités sont particulièrement conscientes de la nécessité d'un tel équilibre, car elles créent, utilisent et vendent des œuvres protégées par des droits en matière de propriété intellectuelle.
Au sein des universités, il y a des chercheurs, des enseignants, des étudiants, des bibliothécaires, des libraires et des éditeurs. Notre organisation comprend très bien la nécessité d'assurer un équilibre dans cette mesure législative. Le projet de loi mettra à jour la loi canadienne sur le droit d'auteur et permettra d'assurer un équilibre entre les besoins des créateurs et ceux des chercheurs, des étudiants et des enseignants.
Étant à la fois des utilisatrices et des créatrices d'œuvres protégées par le droit d'auteur, les universités travaillent avec acharnement depuis plus d'une décennie pour promouvoir l'adoption d'un nouveau projet de loi sur le droit d'auteur, et elles considèrent que le projet de loi C-11 cherche à concilier de façon très équitable des intérêts opposés.
[Français]
Le projet de loi C-11 contient bon nombre des changements proposés au cours des consultations publiques tenues en 2009, y compris les exceptions autorisant l'utilisation à des fins éducatives de documents provenant d'Internet de même l'enregistrement des leçons et leur transmission par Internet. Ces changements faciliteront l'apprentissage en ligne y compris l'enseignement à distance et rendront les études universitaires plus accessibles aux Canadiens autochtones et aux étudiants adultes.
[Traduction]
Le projet de loi C-11 permettra aussi aux chercheurs universitaires d'obtenir et de conserver des documents de recherche sur support numérique. Ces dispositions ainsi que d'autres modifications à la Loi sur le droit d'auteur permettront aux établissements d'enseignement de tirer parti des nouvelles technologies de l'information et des communications aux fins de l'enseignement et de la recherche, dans le cadre d'une économie du savoir hautement compétitive.
Je tiens à dire que dans toutes les régions du pays, les organisations universitaires — qu'elles soient petites ou grandes, axées sur la recherche ou sur la formation de premier cycle — aimeraient que le projet de loi C-11 soit adopté le plus tôt possible. Je remercie le comité de nous fournir l'occasion de donner notre avis, et je serai heureux de répondre à vos questions.
Zachary Dayler, directeur national, Alliance canadienne des associations étudiantes (ACAE) : Au nom des 300 000 étudiants que nous représentons au sein de 25 établissements d'enseignement postsecondaire de l'ensemble du Canada, je remercie les membres du comité d'avoir invité l'ACAE à venir ici aujourd'hui. Nous sommes venus pour appuyer les améliorations à la Loi sur le droit d'auteur récemment proposées. La réduction du délai prévu pour l'examen de la loi, qui passe de 15 à 5 ans, et l'ajout de l'éducation parmi les catégories d'utilisation équitable représentent un pas dans la bonne direction. Nos membres considèrent que ces nouvelles mesures de protection de l'enseignement et de l'apprentissage constituent l'un des plus importants changements que puisse apporter le gouvernement du Canada dans le cadre du projet de loi C-11. Mais pour parler de façon directe, nous jugeons lamentable que l'on permette aux dispositions sur les verrous numériques de l'emporter sur celles concernant l'utilisation équitable, car on compromet ainsi la modernisation visée par le projet de loi.
Les raisons économiques qui justifient la mise en place d'un régime d'utilisation équitable plus ouvert et juste sont évidentes. Par exemple, aux États-Unis, les industries créatrices modernes qui misent beaucoup sur la technologie comptent sur l'utilisation équitable pour trouver des moyens novateurs de générer plus de richesse et de revenus pour le pays. Des études démontrent que cette économie fondée sur l'utilisation équitable représente 17 p. 100 du PIB des États-Unis, et l'éducation contribue à cela de façon importante, que ce soit grâce à des contributions directes ou à la formation donnée aux futurs contributeurs. Si le Canada souhaite sérieusement devenir un chef de file du XXIe siècle dans les secteurs axés sur l'innovation, les États-Unis peuvent servir d'exemple, car ils ont démontré que la libéralisation de l'utilisation équitable est l'une des pierres d'assise de l'innovation. Autrement dit, si nous ne voulons pas voir nos compétiteurs nous dépasser, nous devons améliorer l'accès à l'information pour les professeurs, les chercheurs et les étudiants.
Ce qui est regrettable, c'est que dans la forme actuelle du projet de loi, les droits concernant l'utilisation équitable à des fins éducatives ne sont pas établis comme de véritables droits, mais plutôt comme des droits secondaires, puisque les dispositions concernant les verrous numériques peuvent l'emporter sur ces droits. Il est important d'atteindre un équilibre dans le projet de loi, et les verrous numériques ont un rôle à jouer, mais le fait que les dispositions sur ces verrous peuvent l'emporter sur l'utilisation équitable compromet le principe même de l'utilisation équitable. Si une œuvre est protégée par un verrou numérique, le titulaire du droit d'auteur peut limiter son utilisation, alors que le principe de l'utilisation équitable veut qu'il n'y ait aucune limite inhérente si l'objectif visé est juste. Pour que l'utilisation équitable soit prise au sérieux, il faut que les droits à cet égard soient de véritables droits, et ils doivent l'emporter sur les dispositions concernant les verrous numériques. Le fait de permettre de contourner les verrous numériques à des fins considérées comme équitables serait une mesure plus progressive qui permettrait d'accéder aux meilleurs documents dans nos établissements d'enseignement et d'améliorer les résultats dans l'ensemble du pays.
L'ACAE espère aussi que vous envisagerez deux autres amendements au projet de loi, soit un amendement pour éliminer les dispositions concernant l'autodestruction des reproductions d'œuvres faisant l'objet d'un prêt entre bibliothèques, et un autre visant à éliminer les dispositions qui obligent les enseignants et les étudiants à détruire leurs documents dans les 30 jours suivant la fin d'un cours.
Comme je l'ai dit, le premier amendement vise à éliminer les dispositions obligeant les bibliothèques à veiller à l'autodestruction des reproductions numériques d'articles faisant l'objet d'un prêt entre bibliothèques. Lorsqu'ils empruntent de tels articles, les étudiants ont deux options. Ils peuvent en faire une copie papier ou laisser la reproduction de l'article s'autodétruire cinq jours après l'avoir reçue. Ces dispositions ne tiennent pas compte du fonctionnement des études modernes. Les reproductions numériques d'articles offrent des avantages immenses. Je remarque que certaines personnes assises autour de la table ont un ordinateur portable ou un iPad, et cela illustre justement mon propos. On peut les transporter partout et les organiser de différentes façons. On peut trouver de l'information dans des volumes en quelques secondes, et trouver automatiquement des citations. En exigeant que les étudiants fassent une copie papier de ces articles, la loi ramènerait l'éducation et la recherche au XXe siècle, au détriment des Canadiens.
Le deuxième amendement au projet de loi vise à éliminer les dispositions exigeant que les enseignants et les étudiants détruisent les documents utilisés dans le cadre d'un cours dans les 30 jours suivant la fin du cours. Les étudiants du XXIe siècle apprennent à recueillir l'information mise à leur disposition dans le monde entier, et à la synthétiser de manière à générer de nouvelles connaissances originales. Au XXIe siècle, les examens qui se faisaient sans documentation au siècle précédent se font désormais avec documentation. Exiger des étudiants qu'ils détruisent l'information sur laquelle ils ont fondé leurs compétences, c'est comme les forcer à faire un examen avec documentation sans avoir de documentation, ou leur faire construire une maison sans marteau. C'est une mesure inutile qui n'a aucun effet sur les bénéfices nets des titulaires de droits d'auteur, car les étudiants ont accédé à ces documents de manière équitable sur le plan économique. Si les coûts liés à l'éducation ne couvrent pas la possibilité d'utiliser les connaissances acquises grâce à l'éducation pour joindre la population active, et pour favoriser la création d'emplois, la croissance et l'innovation, je me demande à quoi servent les dépenses des étudiants.
Nous exhortons ce comité à aller au-delà des divisions partisanes et à examiner les amendements dont il est saisi aujourd'hui. Prenez des mesures audacieuses pour qu'il y ait une véritable modernisation de la loi canadienne sur le droit d'auteur. Merci.
Victoria Owen, présidente, Comité consultatif des droits d'auteur, Association canadienne des bibliothèques : Je suis présidente du Comité consultatif des droits d'auteur de l'Association canadienne des bibliothèques. Je suis en compagnie de Kelly Moore, directrice exécutive de l'Association canadienne des bibliothèques. Nous sommes très heureuses d'avoir l'occasion de vous rencontrer pour discuter du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.
Je suis actuellement la bibliothécaire en chef de la bibliothèque Scarborough de l'Université de Toronto, et j'ai également été la directrice d'une bibliothèque publique et d'une bibliothèque pour les personnes ayant de la difficulté à lire les imprimés. La loi sur le droit d'auteur a un effet direct sur toutes ces organisations.
L'Association canadienne des bibliothèques est la plus grande association de bibliothèques au Canada. Nous défendons les intérêts de 57 000 employés de bibliothèques et de milliers de bibliothèques de tous genres dans l'ensemble du Canada.
Les bibliothèques sont la mémoire institutionnelle de la société, dont elles préservent les documents culturels, scientifiques et historiques afin de les mettre à la disposition de la population. Les bibliothèques appuient et favorisent l'éducation, l'apprentissage et la créativité, et elles sont à la base d'un grand nombre d'aspects de la société civile. Elles favorisent la liberté intellectuelle en permettant à tous les membres de la société d'accéder à l'information, aux idées et aux œuvres de fiction, quel que soit le support utilisé. Cependant, l'accès à ces œuvres par l'entremise des bibliothèques est menacé.
Les bibliothèques sont considérées comme des biens publics, et pour la société, ces institutions contribuent à favoriser l'intérêt public. Elles sont actives au sein de la sphère publique, et elles fournissent des biens publics sous forme d'information. Les bibliothèques maintiennent et défendent la liberté intellectuelle.
Qu'ils soient étudiants, éducateurs, universitaires, chercheurs ou en apprentissage permanent, les usagers des bibliothèques font partie de la population canadienne, non d'un groupe d'intérêts particuliers. Les bibliothèques représentent la population canadienne, et le travail de l'Association canadienne des bibliothèques (ACB) gravite autour de l'intérêt public.
L'ACB salue les importantes améliorations au régime de droit d'auteur canadien proposées dans le projet de loi. Les Canadiens ayant une déficience perceptuelle pourront utiliser des documents dans un format accessible obtenus auprès d'autres administrations. En outre, l'ACB accueille favorablement l'inclusion de l'éducation, de la parodie et de la satire dans les dispositions du projet de loi portant sur l'utilisation équitable.
Au bénéfice de tous les Canadiens, l'ACB demande que le projet de loi soit amélioré davantage. Il faut adopter des amendements pour que la mesure législative puisse finalement atteindre ses objectifs en étant à la fois équilibrée et neutre sur le plan technologique.
D'abord, le projet de loi C-11 a apporté des améliorations permettant de clarifier et d'étendre les droits liés aux exceptions visant les personnes ayant une déficience perceptuelle. Cependant, l'ACB croit que le projet de loi dans sa forme actuelle peut restreindre de façon considérable la portée de l'article 32.01, voire invalider ce dernier. Malgré l'intention du gouvernement d'éliminer la spécificité technologique des dispositions de la loi au moyen du projet de loi, ce dernier n'établit pas d'exception générale pour les documents reproduits sur un autre support qui sont destinés aux personnes ayant de la difficulté à lire les imprimés. L'ACB recommande fortement que le projet de loi ne contienne aucune interdiction visant le langage gestuel ou le sous-titrage d'œuvres cinématographiques par des organismes sans but lucratif.
En outre, bien que l'ACB se réjouisse des modifications proposées pour composer avec les prêts à l'étranger d'œuvres reproduites sur un autre support, elle n'est pas en faveur des restrictions visant cette activité. Le projet de loi propose de limiter les œuvres qui peuvent être prêtées en fonction de la nationalité de l'auteur, du paiement de redevances, de la possibilité de trouver le titulaire du droit d'auteur et d'un régime de rapports.
De plus, en ce qui concerne l'article 41.16 proposé dans le projet de loi, il faudrait préciser que l'exigence voulant qu'on ne nuise pas indûment au fonctionnement des verrous numériques ne compromet pas l'application de l'exception visant les personnes ayant une déficience perceptuelle.
L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) étudie actuellement une proposition concernant l'instrument international relatif aux limitations et exceptions en faveur des personnes ayant des difficultés de lecture des textes imprimés. L'ACB appuie sans réserve cette proposition et constate que les restrictions visant l'envoi à l'étranger de reproductions de documents sur un autre support sont plus rigoureuses dans le projet de loi C-11 que dans la proposition de l'OMPI, notamment en ce qui concerne les exigences relatives à la nationalité et au paiement de redevances. Le gouvernement du Canada ne devrait pas intégrer à la loi des restrictions allant au-delà de celles comprises dans la proposition actuellement étudiée par l'OMPI, tant que cette étude sera en cours.
De plus, dans les dispositions du projet de loi concernant les bibliothèques, les services d'archives et les musées, on devrait apporter une légère modification au paragraphe 30.1(1), qui a été amendé pour aider les bibliothèques à préserver des œuvres. Il faudrait modifier ces dispositions en précisant que les bibliothèques, les services d'archives et les musées peuvent produire plusieurs copies d'une œuvre sur d'autres supports aux fins de préservation. Ainsi, on permettrait aux bibliothèques de produire le nombre nécessaire de copies pour préserver le patrimoine culturel du Canada, conformément aux méthodes professionnelles de préservation.
Enfin, les dispositions indûment restrictives concernant la protection des verrous numériques, telles qu'elles sont définies à l'article 41 du projet de loi, demeurent une source majeure de préoccupation, car elles réduisent considérablement la portée des dispositions sur l'utilisation équitable, notamment pour ce qui est des exceptions à l'égard de l'éducation, de la parodie et de la satire.
En interdisant de contourner les verrous numériques à des fins légales et licites, le projet de loi C-11 n'établit pas un juste équilibre entre les intérêts légitimes des titulaires de droits d'auteur et l'intérêt public.
La portée des verrous numériques dépasse les limites légitimes et empêche les bibliothèques de remplir leur mandat en faveur de l'intérêt public. Les Canadiens veulent que le Parlement protège les droits qui leur sont accordés par la loi. Ils ne veulent pas que l'exercice de ces droits soit laissé aux créateurs et à l'industrie du contenu.
L'élimination des restrictions concernant les activités licites permettrait d'améliorer cette mesure législative sans compromettre les objectifs du projet de loi C-11.
Les modifications recommandées par l'ACB permettront au Parlement d'établir l'équilibre nécessaire pour tenir compte à la fois des intérêts légitimes des titulaires de droits d'auteur et de l'intérêt public. L'OMPI est en train d'étudier une proposition concernant les limitations et les exceptions en faveur des bibliothèques et des services d'archives, dont l'un des articles porte sur les verrous numériques. Le gouvernement du Canada ne devrait pas intégrer à la loi des restrictions plus rigoureuses que celles contenues dans la proposition étudiée par l'OMPI, tant que cette étude sera en cours.
Les bibliothèques sont une plaque tournante assurant l'équilibre en ce qui concerne l'application des règles sur le droit d'auteur, car elles récompensent les créateurs en achetant leurs œuvres, tout en servant l'intérêt public en permettant l'accès aux œuvres et en encourageant l'apprentissage. Il est évident qu'en appliquant les règles sur le droit d'auteur, les bibliothèques servent l'intérêt public, car elles offrent au public un accès équitable à l'information, appuient l'apprentissage et la recherche, favorisent la libre circulation de l'information, préservent notre patrimoine culturel et encouragent la libre expression.
S'il ne limite pas les dispositions sur le droit d'auteur de manière adéquate, ce projet de loi n'atteindra pas son objectif de faire avancer les connaissances et l'innovation. Je vous remercie encore de cette occasion de discuter de ce projet de loi.
Le président : Merci, madame Owen. Nous allons passer directement à nos questions, en commençant par celles de la vice-présidente du comité, madame le sénateur Hervieux-Payette.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Ma question s'adresse aux représentants de l'Association des universités et collèges du Canada. Combien d'universités francophones situées au Québec et à l'extérieur du Québec ont endossé votre mémoire?
M. Fergus : Toutes les universités francophones au Québec ou ailleurs au pays font partie de l'AUCC et de son conseil d'administration. Tous les membres de l'association ont endossé la position que je présente aujourd'hui.
Le sénateur Hervieux-Payette : Ces institutions relèvent du ministère de l'Éducation du Québec au plan du financement. La ministre dit appuyer la loi en général, mais elle a des réserves en ce qui concerne le principe de base du droit d'auteur suivant : « [...] le droit exclusif de l'auteur d'une œuvre d'en autoriser la reproduction et l'exécution en contrepartie de redevances ».
Comment avez-vous pu réconcilier la position des universités qui sont de grands utilisateurs, et celle du ministère de l'Éducation qui s'inquiète pour les créateurs et ceux qui facilitent la création en permettant un prix tout à fait modeste de cinq cents par étudiant, qui ne devrait pas causer de problèmes de budget pour les recteurs d'universités?
Vous êtes sûrement conscients que la production en français est importante pour nous. J'ai tendance à croire que la ministre de l'Éducation du Québec, qui veut protéger les créateurs et ceux qui les mettent en valeur sur les marchés, aurait une approche plus favorable aux créateurs et voudrait maintenir le système qui est déjà en place.
M. Fergus : Malheureusement, je ne peux pas exprimer le point de vue du ministère ou de la ministre de l'Éducation du Québec. Pour ce qui est de la position des universités et des collèges du Canada, nos 95 membres croient que ce projet de loi représente un équilibre. Cela fait des années que nous attendons un débat sur plusieurs des questions abordées dans ce projet de loi.
La première fois qu'on a vraiment amorcé une réforme du système du droit d'auteur remonte à 1988. On a attendu la suite de cette première partie, qui supposément devait suivre peu après, jusqu'en 1997. Alors vous comprenez qu'on ne veuille pas attendre encore 15 ans pour la prochaine réforme.
Oui, certaines préoccupations pourraient être débattues suite aux modifications ou à l'élaboration des règlements, mais nous arrivons à la date d'expiration. Il doit y avoir une réforme. C'est certainement un équilibre que nous voulons maintenir. Les universités, y compris les universités francophones et plus particulièrement celles du Québec, ont fait partie de la consultation et sont toujours en faveur de la position qu'elles avaient prise.
Le sénateur Hervieux-Payette : Ma deuxième question s'adresse aux représentantes de l'Association canadienne des bibliothèques. Quel est le pourcentage de vos clients à travers le Canada qui utilisent vos services numériques? Et combien de personnes deviennent membres d'où qu'elles viennent dans le monde, de l'Inde, de l'Angleterre ou de l'Australie? Avez-vous beaucoup de clients?
[Traduction]
Kelly Moore, directrice exécutive, Association canadienne des bibliothèques : Je n'ai pas cette information. Je ne suis pas certaine du nombre d'utilisateurs en ligne parmi nos clients. Je dirais qu'ils sont certainement de plus en plus nombreux. L'accès en ligne à l'information que nous pouvons mettre à la disposition du public fait partie des services très importants qui sont offerts par les bibliothèques.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Quel genre d'entente financière avez-vous avec ces gens? Payent-ils chaque fois qu'ils vous consultent ou peuvent-ils prendre un abonnement annuel? Quelle est la façon de s'assurer que les royautés sont payées aux créateurs canadiens?
[Traduction]
Mme Owen : La plupart de nos établissements sont des établissements d'enseignement dont les bibliothèques sont financées par le public. L'argent provient de nombreuses sources. Dans le cas des bibliothèques publiques, les gens ne paient pas pour leur abonnement, ni pour utiliser les documents sur place.
C'est la bibliothèque qui fournit ces documents. Comme je l'ai dit, la bibliothèque paie directement les fournisseurs pour obtenir ce contenu, et les fournisseurs de contenu ont leur propre façon de verser aux créateurs ce qui leur revient.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Je parlais spécifiquement des clients étrangers, ceux situés à l'extérieur du Canada. Vous comprendrez bien qu'il y a probablement des centaines de millions de gens qui peuvent être clients de nos bibliothèques en dehors du Canada, alors qu'il n'y en a seulement, peut-être que quelques dizaines de millions au Canada.
Comme l'ère électronique fait maintenant en sorte que nous pouvons avoir cet accès — surtout en anglais car la même chose n'existera pas en français de façon aussi importante — et du fait que le nombre de ces utilisateurs à l'extérieur du Canada continuera de croître, croyez-vous que ce sera profitable pour nos créateurs canadiens?
[Traduction]
Mme Owen : Les conditions d'utilisation visant le contenu électronique que les bibliothèques achètent ne s'appliquent qu'aux abonnés des bibliothèques. Les abonnés des bibliothèques publiques ont une carte d'abonné, et dans la plupart des cas, c'est ce qui leur permet d'accéder aux documents en format électronique.
Il existe des projets de numérisation de documents qui appartiennent au domaine public et qui sont disponibles pour tous, et ce n'importe où. Dans la plupart des cas, le contenu payé qui a la plus grande valeur se trouve dans les documents visés par des conditions d'utilisation qui limitent l'accès à ces documents. Tout le monde ne peut pas utiliser ces collections achetées pour les Canadiens et au nom de ceux-ci. L'accès à ces documents est réservé aux membres des collectivités en question.
Par exemple, à l'Université de Toronto, il faut avoir sa propre pièce d'identité pour pouvoir utiliser ces documents. Le contenu n'est pas accessible à tous. Nous achetons les documents, et nous payons les créateurs pour que les gens puissent les utiliser.
Le sénateur Harb : Merci, monsieur Fergus, de votre excellent exposé. J'en déduis que vous croyez que la mesure législative est juste et raisonnable. Cependant, pour ce qui est de la réglementation, vous ne vous êtes pas opposé à ce que votre organisation se joigne aux bibliothèques et aux associations étudiantes pour veiller à ce que la réglementation tienne compte de cet équilibre juste et raisonnable. Ai-je raison?
M. Fergus : Monsieur le sénateur, je suis certain que vos collègues et vous êtes d'accord pour dire qu'il n'y a jamais eu de mesure législative parfaite. Il faut se demander ce qui est raisonnable compte tenu du temps que nous avons pour obtenir ce dont nous avons besoin, et des mesures que nous devons mettre en place afin de protéger les créateurs d'œuvres protégées par un droit d'auteur, ainsi que les utilisateurs de ces œuvres. Nous croyons que ce projet de loi permet d'atteindre un équilibre juste et raisonnable.
Pourrait-on amender le projet de loi afin de faciliter l'accès aux œuvres protégées par des verrous numériques pour les personnes handicapées? Je suis certain que le gouvernement, le Sénat et la Chambre des communes sont tout à fait conscients de ce problème, et on pourra y remédier par d'autres moyens. Cependant, nous croyons qu'il ne faudrait pas retarder l'adoption de ce projet de loi. Compte tenu des efforts qui ont été déployés pour tenter de faire adopter cette mesure législative sur le droit d'auteur, et étant donné que nous sommes très près du fil d'arrivée, l'AUCC et moi-même croyons qu'il est très important d'aller de l'avant immédiatement.
Le sénateur Harb : Madame Owen et monsieur Dayler, il semble que vous ayez tenu exactement le même langage. Je vous cite, monsieur Dayler :
Ce qui est regrettable, c'est que dans la forme actuelle du projet de loi, les droits concernant l'utilisation équitable à des fins éducatives ne sont pas établis comme de véritables droits, mais plutôt comme des droits secondaires, puisque les dispositions concernant les verrous numériques peuvent l'emporter sur ces droits.
Ensuite, Mme Owen a dit essentiellement la même chose. Je la cite :
Enfin, les dispositions indûment restrictives concernant la protection des verrous numériques, telles qu'elles sont définies à l'article 41 du projet de loi, demeurent une source majeure de préoccupation.
Vous avez ensuite exprimé d'autres inquiétudes, mais celles soulevées dans ces deux déclarations semblent être celles qui ressortent le plus de vos exposés. Jusqu'à présent, pratiquement tous ceux qui ont comparu devant le comité ont dit que le projet de loi n'est pas parfait, mais qu'il ne faut pas retarder son adoption; il faut aller de l'avant.
Votre conseiller juridique vous a-t-il dit qu'on pourrait remédier à ces problèmes grâce à la réglementation? De toute évidence, il semble que le gouvernement voulait proposer une mesure permettant d'atteindre un équilibre juste et raisonnable, comme M. Fergus l'a indiqué à juste titre. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?
Mme Owen : Il s'agit d'une mesure législative, et je crois que c'est au Parlement de définir et de présenter les droits que la loi accorde aux Canadiens. Ce n'est pas le Parlement qui se penche sur la réglementation. C'est un aspect vraiment important de l'équilibre en matière de droit d'auteur. C'est un principe qui existe depuis la mise en place de la Loi sur le droit d'auteur, qui a été maintenu au cours des années, mais qui est maintenant menacé. En ce qui a trait au domaine du numérique, je crois qu'il incombe au Parlement de faire en sorte que ce projet de loi tienne compte des droits accordés par la loi.
M. Dayler : Les étudiants n'ont généralement pas accès à une armée d'avocats qui les conseilleraient quant à la meilleure façon de composer avec un projet de loi émanant du gouvernement. Dans ce contexte, je crois que les étudiants voient plus cela comme une occasion d'ouvrir l'accès aux documents qu'ils utilisent en classe, et nous devrions pouvoir le faire sans que les facultés, les bibliothécaires ou les associations étudiantes soient forcés d'assumer plus ou moins le rôle de police des droits d'auteur.
Le sénateur Harb : Madame Owen, normalement, lorsqu'un projet de loi est adopté et que l'administration concernée entreprend de rédiger la réglementation, cette dernière doit cadrer avec l'esprit du projet de loi. Je dirais qu'il y a beaucoup de marge de manœuvre. La réglementation est soumise à un comité parlementaire, le Comité d'examen de la réglementation. Si l'administration n'a pas tenu compte de certains problèmes comme ceux dont vous avez parlé — auxquels on pourrait remédier en faisant en sorte que la réglementation respecte l'objectif du projet de loi —, les parlementaires ont le droit de dire au gouvernement ce qu'il devrait faire. À la lumière de ce que nous avons entendu, peut-être que le président pourrait recommander au Sénat que le gouvernement tienne compte de ces éléments.
Le président : Merci, sénateur Harb; et merci à vous, monsieur Dayler, de nous avoir assuré que les étudiants ne se déplacent pas avec des avocats. Je crois que certaines personnes pourraient prendre exemple sur eux.
Le sénateur Moore : J'ai reçu divers courriels de partout au pays, comme mes collègues, sans aucun doute, concernant ce projet de loi. Je voudrais vous en lire un extrait. J'invite à répondre quiconque voudrait le faire, que ce soit les bibliothèques ou les universités. Ce courriel m'a été envoyé par une certaine Mme Rudzik, qui dit :
Les exemptions pour la reproduction qui visent l'éducation prévues dans le projet de loi C-11 sont trop générales et les restrictions relatives à la reproduction sont inapplicables. Pour l'éditeur du manuel, pareille reproduction se traduit par une perte principale de revenus.
Si le projet de loi C-11 est adopté tel quel, les revenus générés par les documents élaborés par des Canadiens pour le marché canadien chuteront de façon dramatique. Les manuels et autres ouvrages de référence seront importés d'endroits comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. Si cela se produit, le contenu, le contexte, la culture et les normes élevées du Canada disparaîtront.
Elle nous conseille vivement d'étudier attentivement l'incidence du projet de loi sur les étudiants canadiens et leur perception du monde qui les entoure.
J'ai reçu un autre courriel semblable d'un homme qui disait :
« Mes petits-enfants verront le monde à travers les yeux d'auteurs qui ne sont pas canadiens et qui ne sont peut-être même jamais venus au Canada ».
Ces gens et d'autres encore ont vivement conseillé qu'on ne reproduise au plus que 10 p. 100 de tout ouvrage et qu'on ne fasse pas de multiples copies.
Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet? Est-ce que les points que ces Canadiens ont soulevés vous préoccupent?
Mme Owen : Pour ce qui est de la reproduction, je dirais que, parce que nous sommes les principales personnes à traiter ces questions, nous savons dans les bibliothèques et les établissements d'enseignement que nous abordons la reproduction dans le contexte des droits d'utilisation équitable et dans le contexte des lignes directrices que nous a données la Cour suprême concernant la quantité de matériel qui peut être reproduit.
Le sénateur Moore : Est-ce que vous faites allusion à la décision CCH?
Mme Owen : Oui, à la décision CCH, et aux six facteurs que la Cour suprême nous a donnés. C'est très limité, et l'un des facteurs à prendre en compte est celui de l'incidence sur le marché. Cela ne peut compromettre l'incidence sur le marché. Je crois que le projet de loi même est toujours pris dans le contexte de la Convention de Berne, qui dit que vous ne pouvez avoir d'incidence sur le marché. Le projet de loi respecte scrupuleusement cette condition et il n'influerait pas sur le marché.
Le sénateur Moore : Êtes-vous préoccupée par les points qui ont été soulevés?
Mme Owen : J'estime qu'ils sont alarmistes.
Steve Wills, gestionnaire, Relations avec les gouvernements et Affaires juridiques, Association des universités et collèges du Canada : Il est important de reconnaître que les universités, entre autres, dépensent beaucoup d'argent chaque année pour obtenir des licences pour les ouvrages. À titre d'exemple, par l'intermédiaire du Réseau canadien de documentation pour la recherche, d'autres licences de consortium et des ententes ponctuelles avec des éditeurs, les universités dépensent plus de 160 millions de dollars par année pour obtenir des licences d'utilisation de contenu numérique sur le site.
Nous venons tout juste de finir de négocier un modèle d'entente de licence avec Access Copyright que certains de nos membres signeront. Je crois comprendre aussi que Copibec est en train de négocier une entente avec les universités du Québec. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui devrait avoir une incidence sur les revenus de licences des sociétés de gestion des droits d'auteur, les initiatives relatives aux licences ou aux licences d'utilisation de contenu numérique sur le site que les universités ont mises en place. S'il y a une chose qui préoccupe les sociétés de gestion des droits d'auteur comme Access Copyright et Copibec, c'est peut-être que les éditeurs ont, dans le contexte numérique, pris l'habitude de négocier directement avec les établissements par l'intermédiaire de ces ententes de consortium et qu'ils contournent les sociétés de gestion des droits d'auteur pour ce faire. Quoi qu'il en soit, il y a toujours des ententes de licences avec ces sociétés, et le projet de loi C-11 n'y changera rien.
Le sénateur Moore : Vous avez mentionné les droits et l'incidence du projet de loi sur eux. Est-ce que l'AUCC a signé une entente au nom de toutes les universités avec Access Copyright? Vous devriez peut-être expliquer au public ce qu'est Access Copyright. Je ne crois pas que les Canadiens sachent en général comment les universités obtiennent le droit d'utiliser des documents protégés par des droits d'auteur, comment le barème des droits fonctionne et, par-dessus tout, l'incidence que cela a sur les étudiants.
M. Wills : Access Copyright et Copibec sont des sociétés de gestion des droits d'auteur qui représentent les auteurs et les éditeurs qui ont souhaité qu'elles représentent les droits qu'ils ont sur leurs propres ouvrages. Depuis 1994, par exemple, les universités à l'extérieur du Québec ont des licences avec Access Copyright. Il y a deux ou trois ans, Access Copyright a déposé un projet de tarif auprès de la Commission du droit d'auteur qui a perturbé la situation pendant une courte période, mais nous avons maintenant négocié un modèle d'entente de licence que les établissements peuvent signer s'ils le souhaitent.
L'important est que, collectivement, les universités dépensent beaucoup d'argent et qu'elles continueront de le faire. Comme je l'ai mentionné, les licences d'utilisation sur site sont négociées directement avec les éditeurs. À titre d'exemple, les éditeurs de revues spécialisées signeraient des ententes pour faire en sorte que les universités aient accès à leurs ouvrages en format numérique. Les universités paient plus de 160 millions de dollars par année pour avoir le droit d'utiliser ces ouvrages. S'ils ont une licence avec Access Copyright ou, au Québec, avec Copibec, ils paieraient des montants supplémentaires pour utiliser les ouvrages qui se trouvent dans les répertoires de ces sociétés de gestion des droits d'auteur.
Le sénateur Moore : Manifestement, 160 millions de dollars est une somme considérable. Comment les montants sont-ils fixés? Est-ce que chaque université paie selon le nombre d'étudiants inscrits, et comment cela se répercute-t-il sur les étudiants?
M. Wills : En ce qui concerne les ententes négociées par le Réseau canadien de documentation pour la recherche, je crois comprendre qu'il ne s'agit que d'ententes commerciales. Je ne sais pas quels sont les facteurs qui sont pris en compte pour fixer les prix. Je n'ai pas les connaissances nécessaires pour vous renseigner à ce sujet.
Le sénateur Moore : Qui négocie cela?
M. Wills : Le Réseau canadien de documentation pour la recherche est un consortium d'universités qui s'est formé pour négocier directement avec les éditeurs, mais c'est un groupe qui est représenté en particulier par les directeurs de bibliothèques des universités canadiennes qui font partie du RCDR. Il y a une équipe au sein du RCDR qui négocie ces ententes avec les éditeurs.
Le sénateur Moore : Ils négocient l'entente avec les éditeurs et ils la font passer par Access Copyright.
M. Wills : Non, c'est un processus distinct. Les licences du RCDR sont négociées au nom d'environ 67 universités qui sont membres du consortium. Elles se sont regroupées pour obtenir des licences que les membres du consortium peuvent utiliser pour faire en sorte que leurs professeurs et leurs étudiants puissent avoir accès à tous les documents pour lesquels les éditeurs obtiennent des licences.
Le répertoire d'Access Copyright contient différents ouvrages, tout comme celui de Copibec, et ils négocient des ententes distinctes qui visent l'utilisation des travaux dans leurs répertoires.
Le sénateur Moore : Avez-vous la moindre idée du montant de ces droits et de leur incidence sur les étudiants?
Monsieur Dayler, savez-vous quelque chose à ce sujet que vous pourriez dire au comité?
M. Dayler : L'entente qui a été conclue est loin d'être idéale pour les étudiants. Les coûts sont très élevés. Les restrictions imposées aux étudiants sont très grandes s'agissant de l'accès au contenu qu'ils veulent sous ce régime ou ce type de paiement de droits.
Pour ce qui est de l'éducation et des outils, nous parlons de donner aux gens l'accès à l'information. Le fait que nous débattions de ce que cela devrait coûter aux étudiants qui essaient de s'instruire et de contribuer est absurde lorsque vous pensez à ce que coûte l'éducation en général.
Pour ce qui est du projet de loi C-11 et des lettres que vous avez lues, il existe un Règlement sur l'importation des livres qui, encore une fois, nuit beaucoup aux étudiants côté coûts. Il y a déjà une hausse de 10 à 15 p. 100 sur le prix des livres qui sont importés des États-Unis et d'Europe.
Lorsque vous parlez des coûts de l'accès à l'information, du point de vue des étudiants cela commence à faire très cher. Les étudiants peuvent payer entre 30 et 200 $ par année juste pour avoir accès à l'information, en fonction des coûts pour l'établissement et des ententes qu'ils ont négociées.
Les droits d'utilisation équitable protègent bien des étudiants des coûts excessifs, et des coûts excessifs, il y en a déjà beaucoup.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Je ne vais pas oublier les étudiants. Je dois dire qu'après la réponse de Mme Owen concernant l'accès à tout ce qui s'appelle matériel électronique — et je parle à deux sens — autant les Canadiens à l'étranger que l'étranger au Canada, je suis étonnée. J'aimerais connaître votre opinion sur la question suivante.
Devrait-on avoir une ouverture — je ne dis pas illimitée — beaucoup plus grande que ce que je peux voir? Mme Owen a dit que les gens devaient être physiquement sur place et être membres. On vit dans un monde d'électronique et d'informations mondiales, surtout dans le domaine scientifique. Quels sont les besoins des étudiants dans ce domaine?
Vous venez de parler de coût. Notre comité vient tout juste d'étudier le coût des livres. Vous parlez d'augmentation et de coût des livres en provenance de l'étranger. L'augmentation des coûts des manuels français au Québec est généralement d'au moins 20 p. 100 de plus.
En ce qui concerne les manuels anglophones, en général, c'est beaucoup moins dispendieux que nos livres en français. Comment voyez-vous se développer l'accès à des œuvres et aux connaissances sur le plan culturel ou scientifique, compte tenu de la nouvelle loi?
[Traduction]
M. Dayler : Pour ce qui est de l'accès aux documents, nous ne pouvons pas ignorer l'ère numérique, appelez cela comme vous voulez, dans laquelle nous entrons. Je vais prendre l'Université Acadia à Wolfville, en Nouvelle-Écosse, comme exemple. Une partie des droits de scolarité des étudiants est affectée à l'achat d'un ordinateur portable ou d'un autre type d'ordinateur. Ils doivent avoir accès à cette technologie pour participer à leurs études; c'est un prérequis. Nous constatons que dans un nombre croissant d'établissements, les librairies vendent un type de matériel électronique. Nous avons eu une conversation avec Campus Stores Canada la semaine dernière. Ils commencent à offrir des ensembles de documents en format numérique et autres choses du genre, alors nous prenons vraiment le virage numérique.
Je me considère jeune, mais les étudiants de première année à qui je parle sont, dans bien des cas, 100 p. 100 numériques. Cela coûte tout simplement trop cher d'imprimer si l'on compte le coût de l'imprimante et celui de l'encre. Ce que nous faisions avec du papier et un crayon, nous pouvons maintenant le faire avec un iPad. Les styles d'apprentissage changeront toujours. On aura toujours besoin du format papier, quelle que soit la raison.
Pour ce qui est des coûts, comme vous le savez peut-être, il est intéressant de noter que, au fur et à mesure que nous avançons dans l'ère numérique, les coûts restent les mêmes quand ils n'augmentent pas. Les étudiants s'interrogent à ce sujet, car les coûts de production, de distribution et d'expédition devraient être moins élevés étant donné que nous éliminons des étapes, alors pourquoi ajoutons-nous aux documents numériques les 10 à 15 p. 100 d'augmentation qui découlent du Règlement sur l'importation des livres?
Comme je dis, et comme l'ont dit ceux qui ont témoigné avant nous, nous ne parlons pas d'un libre accès à tout. Nous parlons d'un accès équitable à des fins éducatives. Les étudiants le respectent et le comprennent. Ils assistent aux cours pour parfaire leurs connaissances. Cela ne devrait pas leur coûter cher au point de les empêcher d'acheter les manuels ou les documents dont ils ont besoin.
Le sénateur Hervieux-Payette : J'aimerais dire que nous avons presque le modèle universel des garderies au Québec, et qu'ils ont des ordinateurs pour chaque enfant de quatre ans. Voilà pourquoi je me préoccupe du fait que ce ne soit pas plus disponible. Je suis d'accord avec vous. J'ai des petits-enfants, et ils entrent tous dans la catégorie des personnes qui utilisent presque uniquement un ordinateur.
S'il y a des coûts supplémentaires pour avoir accès au contenu d'un créateur, qui empoche l'argent? Est-ce l'auteur? Donnons-nous plus d'argent à l'auteur et aux créateurs? À mon avis, il devrait y avoir un équilibre. Si nous parlons d'équité, il devrait y avoir un équilibre entre le créateur et les distributeurs. Si l'argent revient uniquement aux distributeurs, je crois que nous n'avons rien compris avec ce projet de loi.
M. Dayler : Pour ce qui est des coûts supplémentaires que j'ai mentionnés quand j'ai parlé du Règlement sur l'importation des livres, en effet, ce sont bien les distributeurs qui, dans bien des cas, bénéficient de cette hausse de 10 à 15 p. 100.
Cela nous ramène à la perspective des étudiants. Nous comprenons que, dans une certaine mesure, il y a des coûts associés aux études. C'est lorsque ces coûts deviennent un fardeau qu'il y a un problème. Quand les coûts ne vont pas au créateur ou qu'ils n'appuient pas la recherche des étudiants ou des professeurs et que c'est un intermédiaire qui en profite, cela fait augmenter inutilement les prix que les étudiants doivent payer.
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous avez parlé des universités. Bien entendu, si la personne arrive avec son propre ordinateur personnel, elle n'a pas à en acheter un. Ne pensez-vous pas que c'est essentiel pour un étudiant qui commence ses études universitaires d'avoir au moins les outils dont il a besoin pour aller en classe?
M. Dayler : Oui.
Le sénateur Hervieux-Payette : Pour moi, ce n'est pas une frivolité. C'est quelque chose d'essentiel pour avoir accès au savoir.
M. Dayler : Dans les salles de classe d'aujourd'hui, tout à fait. Il faut avoir accès à la technologie, qu'il s'agisse d'un ordinateur, d'une tablette ou de quelque chose du genre, pour être concurrentiel et participer pleinement aux cours.
Le sénateur Hervieux-Payette : Donnez-moi une réponse précise en ce qui touche la question du libre accès aux connaissances mondiales sur Internet. Croyez-vous que ce projet de loi soit la réponse?
M. Dayler : Non.
Le président : Mesdames et messieurs les témoins, cela met fin aux questions que nous avons pour la séance. Au nom de tous mes collègues, je tiens à vous remercier infiniment d'être venus aujourd'hui. Merci.
Nous sommes maintenant ravis d'accueillir Alain Pineau, directeur général de la Conférence canadienne des arts. Nous accueillons aussi une représentante de COPIBEC, Hélène Messier, directrice générale et porte-parole du DAMIC, ainsi qu'Alain Lauzon, directeur général de la SODRAC et porte-parole du DAMIC, et David Basskin, président de la CSI.
Chers collègues, encore une fois nous disposons d'une heure pour cette séance. Nous entendrons chacun de nos témoins, en commençant par M. Pineau. Puisque nous utiliserons des acronymes, je vous demanderais, dans vos remarques liminaires, de donner le titre entier à nos collègues du comité et à nos auditeurs pour qu'ils connaissent mieux les entités que vous représentez. Monsieur Pineau, la parole est à vous.
[Français]
Alain Pineau, directeur général, Conférence canadienne des arts : Honorables sénateurs, merci de votre invitation. La Conférence canadienne des arts est la plus ancienne et la plus vaste coalition du secteur des arts, de la culture et du patrimoine au Canada. Les membres que je représente sont assis à ma table, entre autres aujourd'hui, mais je tiens à souligner que tout à l'heure, et même si je vais présenter des vues qui sont sensiblement contraires aux leurs, l'Association des bibliothèques est également un de nos membre. Nous avons parmi nos membres des ayant droits et des utilisateurs de droits, ce qui ne rend pas toujours nos positions faciles.
C'est donc de cette perspective unique que je viens vous prier de corriger les pires impacts que le projet de loi C-11 aura sur des dizaines, pour ne pas dire sur des centaines de milliers d'artistes, de créateurs, de travailleurs autonomes, de petits et moyens entrepreneurs, pour qui la propriété intellectuelle est le fondement juridique de leur capacité à générer des revenus. D'autres diraient que je fais partie du club des alarmistes.
Le droit d'auteur est un élément-clé de l'emploi, de la croissance et de la prospérité durable, pour citer le titre du projet de loi C-38 sur la mise en place de la stratégie économique du gouvernement. C'est la pierre d'assise de toute stratégie numérique nationale, alors que nous redéfinissons notre place dans une économie du savoir sans frontières.
Je dirai que ne pas amender certains des aspects les plus nocifs du projet de loi C-11, c'est compromettre sérieusement l'avenir culturel et économique de notre pays.
[Traduction]
Il est indéniable que le projet de loi C-11 contient des mesures positives pour une partie des créateurs canadiens, mais pas pour la majorité des artistes et des créateurs canadiens que je représente. L'an dernier, nous avons estimé que, à moins qu'il soit amendé, ce projet de loi mettra en péril au bas mot 126 millions de dollars de revenus par année pour eux et seulement lorsque l'on tient compte des revenus actuels dont ont fait état les sociétés de gestion des droits d'auteur. À ce montant, il faut ajouter une baisse du revenu généré par nos industries culturelles, en particulier celle de l'édition. Ce nouveau régime forcera certaines de ces industries à adopter des modèles d'affaires qui ne conviennent pas à leur domaine — et je songe ici aux verrous numériques — tout en rendant l'accès des consommateurs plus difficile, ce qui est tout à fait contraire à l'intention du projet de loi.
Je ne passerai pas en revue les raisons qui ont mené à une opposition et un front commun sans précédent de la part du secteur culturel canadien, de Victoria à St. John's. J'ai versé au dossier des documents qui ont été publiés ces deux dernières années sous l'égide de la CCA. Je parle de l'analyse critique du projet de loi C-32 qui, comme vous le savez, est l'ancien nom que l'on donnait au projet de loi C-11, et aussi de cette longue liste d'amendements. En janvier dernier, 68 organismes culturels représentant la majorité des artistes et des créateurs canadiens, de même que des producteurs et des diffuseurs, ont envoyé cette liste aux deux ministres responsables du projet de loi C-11 et au Comité législatif de la Chambre des communes.
Ces 20 amendements étaient considérés comme essentiels pour préciser les intentions du législateur et pour rassurer nos industries culturelles. Tous ces amendements ont été rejetés par le gouvernement, ce qui indiquait clairement qu'il n'entendait pas modifier son approche par rapport à cette mesure législative de la plus haute importance.
[Français]
C'est donc à votre regard de législateur dégagé de préoccupations électoralistes que je présente aujourd'hui, au nom de 75 organismes signataires, trois amendements qui auraient pour effet de permettre à nos artistes créateurs et hommes d'affaires de mieux défendre leurs intérêts devant les tribunaux, les poursuites judiciaires étant le résultat prévu de cette loi tant au pays que de la part de nos partenaires commerciaux.
[Traduction]
Le premier et le plus important de ces amendements porte sur l'incorporation de ce qu'on appelle le « test en trois étapes » dans la Loi sur le droit d'auteur. Cet amendement lierait la loi canadienne à la Convention de Berne dont le Canada est signataire. Les tribunaux canadiens devraient conséquemment considérer de manière explicite les éléments de ce test lorsqu'ils sont appelés à trancher les litiges. Cet amendement constitue un guide d'interprétation de l'utilisation équitable, et il a déjà été inclus dans les lois sur le droit d'auteur dans 47 pays, tous signataires de la Convention de Berne. Nous ne comprenons tout simplement pas pourquoi le Canada ne ferait pas de même.
Cela permettrait de corriger une décision de la Cour suprême sur l'utilisation équitable, rendue en 2004. C'était la première fois, où que ce soit dans le monde, qu'un tribunal introduisait la notion qu'il y avait un droit de l'usager pour l'utilisation d'une œuvre protégée par droit d'auteur. La Cour suprême a ajouté que le tort économique causé aux titulaires des droits d'auteur n'est qu'une des considérations dont on doit prendre en compte au moment de déterminer ce qui constitue une utilisation équitable et que ce n'est pas toujours la plus importante. Ce jugement a été vivement critiqué par des spécialistes du droit, tant au Canada qu'à l'étranger.
En incluant le mot mal défini qu'est le mot « éducation » dans la définition de l'utilisation équitable, le projet de loi C-11 ouvre toute grande la porte aux abus subjectifs qui ne peuvent que mener à des litiges coûteux, si quelqu'un se fait prendre. Il s'agit de quelque chose que très peu de travailleurs du secteur culturel sont en mesure de payer. En conséquence, cela entraînera un affaiblissement considérable de l'industrie. L'inclusion du test en trois étapes de la Convention de Berne dans la loi permettrait de rétablir un équilibre entre les objectifs des utilisateurs et les conséquences sur les intérêts des artistes et des créateurs.
Le deuxième amendement que nous vous exhortons d'adopter porte sur les dommages préétablis. Dans le projet de loi C-11, les dommages préétablis ont été réduits à des niveaux ridicules et, selon beaucoup de personnes, cela incite presque au vol sans grand danger d'encourir une sanction. Étant donné les sommes importantes nécessaires pour intenter une poursuite et sachant que l'on pourrait recevoir, dans le meilleur des cas, une compensation minime qui ne serait même pas suffisante pour couvrir le coût des procédures, quel organisme culturel — pour ne pas dire quel artiste — pourrait sérieusement envisager de poursuivre quelqu'un qui a violé leurs droits d'auteur?
Il nous apparaît donc nécessaire de vous indiquer qu'il faut maintenir les dispositions actuelles de la loi en ce qui a trait aux dommages préétablis.
Incidemment, nous nous attendons certainement à ce que cette question précise fasse partie des points qui seront soulevés par nos partenaires commerciaux dans le cadre des négociations du Partenariat transpacifique, comme l'a indiqué cette semaine le professeur Geist dans un de ses blogues.
[Français]
Le troisième amendement que nous réclamons porte sur la prochaine révision de la loi. Le projet de loi C-11 prévoit un délai de cinq ans que nous souhaitons voir réduit à trois. Certains secteurs subissent déjà les effets du projet de loi même avant son adoption. À cause de la compréhension généralisée que la loi va désormais cautionner la culture de la gratuité sur Internet. Preuve à l'appui, nous comptons demander que les effets nocifs de la loi soient corrigés au plus vite.
Je vous remercie de votre attention et il me fera plaisir de répondre aux mieux de mes capacités à vos questions.
Hélène Messier, directrice générale et porte-parole de DAMIC, Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (COPIBEC) : Bonjour et merci, monsieur le président, de l'invitation. Mon collègue, Alain Lauzon, est directeur général de la SODRAC, une société qui gère les droits de reproduction des œuvres musicales et artistiques. Pour ma part, je dirige COPIBEC, une société de gestion collective qui s'occupe de la reproduction des livres, des journaux. M. Wills a parlé de moi précédemment et de ma société de gestion.
Nous sommes ici également à titre de porte-parole du DAMIC, un regroupement de 14 associations québécoises de créateurs et de sociétés de gestion collective, représentant plus de 50 000 créateurs. La liste de ces associations est dans le document qui vous a été remis.
Le 18 juin dernier, la Chambre des communes du Canada adoptait à l'étape de la troisième lecture le projet de loi C-11 modifiant la Loi sur le droit d'auteur. Sous prétexte de moderniser la loi, le gouvernement a choisi d'en ignorer les principes fondamentaux et d'en dénaturer complètement l'esprit. Je ne suis pas d'accord avec M. Geist qui parlait d'évolution, je parle de révolution. Et si certains ayant droit du secteur des jeux vidéo, des logiciels ou de l'audiovisuel semblent satisfaits des dispositions interdisant le contournement des serrures numériques par exemple, ce sont surtout les utilisateurs institutionnels ou commerciaux, radiodiffuseurs, fabricants de lecteurs numériques voir les fournisseurs de services Internet qui trouvent leur compte dans ce projet de loi le plus souvent au détriment des créateurs professionnels, les grands perdants de cette réforme.
La Loi sur les droits d'auteur est pourtant de fondement juridique qui permet aux créateurs de contrôler l'utilisation de leurs œuvres. Il s'agit essentiellement d'une forme particulière du droit de propriété qui se décline en droits moraux et patrimoniaux. Le droit moral, d'une part, permet de protéger les œuvres contre toute forme d'altération qui porterait atteinte à leur intégrité et par le fait même, à la réputation de leurs auteurs.
Le droit patrimonial, d'autre part, fournit aux auteurs le moyen d'être associé à la vie économique de leur œuvre en les assurant qu'ils pourront en contrôler la reproduction et l'exploitation financière pendant toute la durée de la protection prévue par la loi.
Or le projet de loi C-11 vient, au contraire, évacuer les auteurs d'une loi qui porte pourtant leur nom, du moins en français. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication permettent de reproduire parfaitement et avec une grande facilité puis de communiquer plus rapidement dans le monde entier, l'ensemble des œuvres protégées par les droits d'auteur. Dans ce contexte, les droits accordés dans la loi sont de plus en plus difficiles à faire respecter et font l'objet de nombreuses attaques et critiques injustifiées. Les utilisateurs qui disposent de logiciels et de matériels dont la vente ne profite qu'à leur fabricant et aux fournisseurs de service Internet désirent plus de facilité dans l'accès aux œuvres protégées par les droits d'auteur. De plus, il souhaite la liberté d'action et la gratuité.
Dans l'environnement numérique, la valeur économique des œuvres protégées par le droit d'auteur ne repose plus seulement sur la vente de supports matériels tels les livres, les cassettes vidéo, les toiles d'artistes, les DVD ou les CD-Rom, mais de façon croissante sur la mise en ligne, sous licence, d'œuvres numérisées figurant dans des catalogues.
Or, dans ce projet de loi, on écarte sciemment l'exercice du droit de reproduction dans l'environnement numérique, cela en multipliant les exceptions qui permettent à de nombreux utilisateurs de se soustraire aux paiements des droits alors que ces reproductions ont une valeur pour eux. Une valeur dont les créateurs devraient profiter.
La Convention de Berne prévoit que les exceptions consenties aux utilisateurs doivent être soigneusement balisées et respecter ce qu'il est convenu d'appeler le test en trois étapes. Ce test prévoit que les exceptions doivent être réservées à des cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur de droits.
Le projet de loi fait fi de ces obligations internationales du Canada en incluant une quarantaine de nouvelles exceptions qui visent à légaliser les activités de certains utilisateurs sans prévoir de rémunération pour les créateurs. Le gouvernement a ainsi élargi la notion d'utilisation équitable à l'éducation, à la parodie et à la satire. Il a ajouté des dispositions permettant à tous les Canadiens d'utiliser des œuvres existantes afin d'en créer de nouvelles à des fins non commerciales ou, encore, de copier une multitude d'œuvres afin de les visionner sur le support de leur choix.
Si certains se réjouissent de cette libéralisation des usages, on doit cependant constater qu'elle se fait au détriment des créateurs puisqu'elle n'est assortie d'aucune compensation financière ni d'aucun mécanisme leur permettant d'autoriser ou non de telles utilisations.
Si l'objectif était la recherche d'un équilibre entre auteurs et utilisateurs, on peut parler d'un échec complet. Grâce à ces modifications à la loi, les professeurs pourront utiliser des œuvres protégées dans leurs cours sans demander de permission. Ils pourront reproduire ce cours afin de le diffuser par télécommunication dans le cadre d'un enseignement différé ou à distance. Ils pourront reproduire des œuvres dans leur totalité à des fins d'affichage sur des tableaux blancs interactifs ou des écrans d'ordinateur. Les écoles ne paieront plus de redevances pour enregistrer des émissions d'actualité à des fins pédagogiques, présenter des films ou présenter des pièces de théâtre.
Nous assistons ici à une totale expropriation des droits des propriétés intellectuelles des créateurs en milieu éducationnel. Tout se passe comme si le gouvernement déclarait que les créations littéraires, dramatiques, musicales et artistiques seront dorénavant considérées comme une propriété collective.
Le gouvernement ne craint pas non plus de renverser les principes reconnus du droit d'auteur selon lesquels une oeuvre originale est protégée lorsqu'elle existe sous une forme matérielle quelconque. Les professeurs et les élèves pourront en effet utiliser toutes les œuvres trouvées sur Internet sauf si une serrure technologique en empêche l'utilisation ou si un avis, autre que le symbole du Copyright en interdit formellement l'utilisation.
Des exceptions existeront aussi pour l'usager d'une bibliothèque qui pourra recevoir une copie numérisée d'une œuvre publiée dans le cadre d'un prêt entre bibliothèques de même que pour les radiodiffuseurs qui seront désormais libre de faire des copies temporaires des œuvres protégées. Et tout cela, nous le répétons, sans rémunération. Non satisfait de limiter les possibilités pour les créateurs de bénéficier des retombées économiques de leurs œuvres en accédant à de futurs marchés ou à des marchés en développement, le gouvernement compromet également leur droit à recevoir une rémunération qui leur est déjà versée.
En effet, il abolit tout simplement ou soumet à l'appréciation des tribunaux, les redevances existantes pour des utilisations d'œuvres littéraires, dramatiques ou artistiques dans les écoles. Il abolit également certaines obligations des diffuseurs de payer pour l'exercice des droits de reproduction. De plus, il signe la mort à court terme du régime de la copie privée en permettant aux consommateurs de reproduire de la musique sur divers appareils, dont des enregistreurs audionumériques, sans pour autant étendre la redevance de la copie privée à ces nouveaux appareils.
Les nouvelles exceptions introduites par le projet de loi signifient pour les créateurs une diminution importante de leur revenu et une abolition de leur droit d'autoriser ou non l'utilisation d'une œuvre. Le créateur sera également entraîné dans une kyrielle de procédures judiciaires afin de prouver que les actes posés par les utilisateurs constituent une violation de ses droits.
À qui d'autres ordonne-t-on de travailler gratuitement ou de recourir systématiquement aux tribaux afin de faire valoir son droit de propriété?
Alain Lauzon, directeur général de la SODRAC et porte-parole du DAMIC : L'accès aux œuvres protégées existe déjà. Pourquoi les auteurs devraient-ils les offrir gratuitement? Et les exceptions cristallisent les incompréhensions et les dissensions entre les parties impliquées dans la révision de la Loi sur le droit d'auteur. Les justifications apportées par les utilisateurs à chacune de leur demande sont diverses. Elles se veulent parfois philosophiques ou sociales. Les œuvres de l'esprit sont faites pour très partagées — économique.
Les revenus générés par l'exploitation des œuvres protégées sont monopolisés par quelques grandes entreprises et ne parviennent pas jusqu'au créateur initial. Et on ne doit enrichir indûment ces grosses compagnies qui dépouillent les créateurs ou, a contrario, le créateur doit manifester son désintérêt pour l'argent, car ce qui compte c'est l'acte de création avant tout. Pourtant, les créateurs professionnels ne demandent qu'à gagner simplement leur vie avec leur travail artistique.
Les utilisateurs sont d'ailleurs confortés dans cette attitude par des pouvoirs publics attentifs à leurs revendications au détriment de celle des créateurs. Il faut, disent-ils, légaliser ces pratiques puisqu'une majorité de Canadiens s'y adonnent. Peut-être pourrions-nous partir un mouvement prônant de cesser le paiement des impôts. Ils gagneraient vite l'ampleur nécessaire à sa législation.
Pourtant, depuis 1925 pour la musique, et depuis près de 30 ans pour les autres catégories d'œuvres, tout un réseau de sociétés de gestion collective du droit d'auteur a été créé afin de répondre aux besoins des utilisateurs en leur permettant de s'adresser à des guichets centralisés pour l'utilisation d'une multitude d'œuvres canadiennes et étrangères. Ces sociétés permettent d'assurer un accès aux œuvres respectueux du droit des créateurs et aux titulaires de droit. Et comme elles comptent au sein de leur conseil d'administration des représentants des titulaires de droit, ceux-ci s'assurent que les conditions de mise en œuvre des licences ne nuiront pas à la commercialisation des œuvres et au développement des nouveaux marchés.
Les auteurs ne sont pas en mesure de policer le Web et de poursuivre les contrevenants. Le gouvernement canadien établit dans la loi le régime de responsabilité le moins contraignant qui soit à l'égard des fournisseurs de services Internet. Alors que de nombreux pays ont plutôt choisi d'accroître leur responsabilité à l'égard des contenus, qui circulent sur les réseaux, par des systèmes d'avis et retraits ou en les obligeant à mettre en place des mécanismes de riposte gradués dans le cas de récidivistes ou même de filtrage pour détecter la mise en ligne illicite d'œuvres protégées par le droit d'auteur. Se disant incapables de contrôler l'ensemble de l'information présente dans leur réseau, les fournisseurs de services Internet ont obtenu de ne pas être tenus responsables de la mise en ligne illégale d'œuvres protégées par le droit d'auteur sur les sites Web qu'ils hébergent.
Si une telle disposition est adoptée, la responsabilité de policer le Web retombera sur les épaules des auteurs et de leur société de gestion collective du droit d'auteur qui n'ont assurément pas les moyens de le faire.
De plus, le projet de loi contient une disposition sur les dommages préétablis qui abaisse le plafond des dommages lors de violations à des fins non commerciales, alors qu'ils peuvent maintenant s'élever entre 500 $ et 20 000 $ par œuvre illégalement utilisée, le projet de loi prévoit des dommages variant entre 100 $ et 5 000 $ pour l'ensemble des œuvres faisant l'objet d'une violation de la loi.
Il s'agit d'une mesure qui découragera tout titulaire de droit d'entamer une poursuite et les violations ne pourront que se multiplier puisque les risques encourus seront minimes.
Finalement, à part un article reconnaissant le droit d'auteur des photographes, dessinateurs et portraitistes, aussitôt réduit d'ailleurs par une exception, le projet de loi C-11 omet d'inclure un droit de suite sur la revente des œuvres d'art comme l'ont déjà fait 59 pays dans le monde.
En conclusion, le DAMIC supporte les points énoncés par la Conférence canadienne des arts énoncés plus tôt.
[Traduction]
Le président : Madame Messier, monsieur Lauzon, merci beaucoup. Monsieur Basskin?
David Basskin, président, CMRRA-SODRAC Inc. (CSI) : Merci. Vous avez demandé que l'on vous explique la signification des acronymes. Je le ferai avec plaisir. CSI est une coentreprise créée par deux associations de droits d'auteur : la CMRRA, qui est l'Agence canadienne des droits de reproduction musicaux, et la SODRAC, pour Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada, qui est dirigée par mon ami Alain Lauzon.
Essentiellement, les deux organismes sont des sociétés de perception de droits d'auteur pour les œuvres musicales, non pas pour l'enregistrement de ces œuvres, mais pour les œuvres musicales elles-mêmes, et nous représentons les auteurs et les titulaires des droits d'auteur de ces œuvres musicales. Dans l'industrie de la musique, on appelle habituellement ces titulaires des droits d'auteur des éditeurs de musique.
Nos activités consistent à octroyer des licences de reproduction de la musique. Vous savez certainement que le droit d'auteur est un ensemble de droits, et l'un des droits fondamentaux est le droit de reproduction et le droit d'autoriser les reproductions. Voilà notre créneau.
Nous octroyons des licences aux maisons de disque, aux services de musique en ligne comme iTunes et au sujet de notre intervention d'aujourd'hui; nous octroyons aussi des licences de reproduction aux services de musique d'ambiance et à des radiodiffuseurs.
Nous avons créé CSI sous forme de coentreprise afin de réduire la complexité de l'octroi de licences, et cela a été un franc succès. Nous sommes en mesure d'octroyer des licences pour l'ensemble du répertoire combiné, ce qui représente presque la totalité des chansons qui existent et qui sont utilisées par l'intermédiaire d'un seul point de contact, c'est-à-dire une seule licence. Nous n'obligeons pas les utilisateurs à essayer de savoir lequel d'entre nous représente une chanson donnée. En conséquence, grâce à ce partenariat, nous avons réduit le coût et la complexité. Nous utilisons également de ce partenariat pour l'octroi de licences pour les services en ligne, notamment.
Comme je l'ai indiqué, nous octroyons des licences aux radiodiffuseurs pour la reproduction de nos chansons. La reproduction de la musique, le fait de copier la musique à diverses fins, intervient dans tous les secteurs de la radiodiffusion, la radiodiffusion commerciale, publique et par satellite. L'époque où les radiodiffuseurs déposaient une aiguille sur un disque ou faisaient jouer un CD est depuis longtemps révolue. Aujourd'hui, tout est automatisé, on utilise des serveurs de fichiers, et c'est là que l'on enregistre nos œuvres musicales. De plus, les radiodiffuseurs font constamment des copies de la musique à d'autres fins, comme la programmation, les coûts de nouvelles chansons, et cetera. Il s'agit d'un élément technique essentiel à la radiodiffusion automatisée.
Ce degré d'automatisation est extrêmement important. Il a permis aux radiodiffuseurs de réduire les effectifs au sein de leurs entreprises et d'exploiter plusieurs stations à partir d'un seul endroit. De nos jours, presque toutes les stations de radio sont automatisées, et tout cela repose sur des copies de la musique.
Pendant plus d'une décennie, CSI a octroyé des licences pour l'utilisation de ces chansons à un tarif qui a été fixé par la Commission du droit d'auteur au terme d'un processus public. Cela permet de récolter environ 12 millions de dollars par année pour les compositeurs et les éditeurs. La commission fixe les taux de redevance en fonction de la façon dont les radiodiffuseurs utilisent nos droits d'auteur, en fonction des méthodes de reproduction de même qu'en fonction de leur capacité de payer. C'est pourquoi, par exemple, le taux de redevance est moins élevé pour les stations des petits marchés et pour les stations qui consacrent moins de 20 p. 100 de leur temps d'antenne à la diffusion de musique, c'est-à-dire les stations à faible utilisation. Nous appelons cela le tarif de reproduction mécanique, il reflète l'équilibre essentiel qui a été établi dans notre loi sur le droit d'auteur dans le cadre du processus de modification, dont la première étape a eu lieu en 1988. Comme vous l'avez entendu plus tôt, les titulaires de droits d'auteur ont le droit d'être rémunérés, mais on s'attend aussi à ce qu'ils rendent leurs œuvres accessibles. Il est donc question de l'équilibre entre les besoins des utilisateurs et les droits du créateur d'une œuvre protégée par le droit d'auteur et du titulaire des droits d'auteur.
Les radiodiffuseurs ont besoin d'un accès à nos droits d'auteur parce qu'ils les utilisent constamment. Cela a été reconnu en 1997 lorsque l'article 30.9 a été adopté. Les radiodiffuseurs se sont vus accorder une exemption de responsabilité à l'égard de ce genre de reproduction, pour une période de 30 jours, à moins que les droits d'auteur aient été rendus accessibles par l'intermédiaire d'une société de gestion collective des droits d'auteur. Une des objections qu'ils ont fait valoir était la difficulté de savoir à qui appartenaient les œuvres. Le principe qui a été reconnu dans la loi était que si les titulaires des droits d'auteur étaient prêts à rendre accessibles toutes les œuvres par l'intermédiaire d'une licence octroyée par une société de gestion collective, les utilisateurs devraient alors payer.
C'est ce que nous avons fait. Nous avons rendu l'ensemble des droits accessible, nous avons proposé un tarif à la Commission du droit d'auteur, nous avons participé à un processus public controversé et nous en sommes sortis avec une entente équitable. Les radiodiffuseurs profitent des avantages liés à la reproduction des œuvres et ils nous versent des redevances. C'est simple; on paie ce que l'on consomme.
Il est important de souligner qu'aucun radiodiffuseur ne s'est jamais empêché d'exploiter son entreprise à l'aide des copies d'un serveur de fichiers. Ils n'ont pas recommencé à diffuser de la musique à l'aide de CD ou de disques, parce que l'automatisation offre une foule d'avantages; c'est donnant, donnant.
Malheureusement, l'article 34 du projet de loi C-11 remet en cause ce système sans raison valable. Il élimine l'exception à l'exception qui rend l'exception de 30 jours conditionnelle à l'accès à une licence collective. Le projet de loi nous priverait des redevances pour l'utilisation de nos droits. C'est injuste. On bouleverse l'important équilibre qui existe entre les intérêts des créateurs et ceux des utilisateurs, et ce, à notre avis, sans raison valable.
Tous ceux qui fournissent des biens, des services et des droits aux radiodiffuseurs — les artistes en ondes, les gens du secteur des ventes publicitaires, les vendeurs de toutes sortes de produits comme les ordinateurs, les meubles et les véhicules — sont tous payés dans l'ensemble de la chaîne de valeur. Nous sommes un fournisseur d'un droit qui est si essentiel pour les radiodiffuseurs qu'aucun d'entre eux n'envisagerait d'abandonner l'utilisation de ce droit de reproduire la musique. Or, l'effet du projet de loi C-11 est d'exproprier nos droits sans aucune compensation. Dans l'ensemble des dispositions du projet de loi, il s'agit d'un cas unique qui cause un tort réel aux auteurs-compositeurs et aux titulaires des droits d'auteur, auxquels on dit qu'ils doivent renoncer à leurs droits sans rien recevoir en retour. C'est absolument injuste et totalement injustifiable.
L'utilisation de nos droits par les radiodiffuseurs se poursuivra sans changement. Tout ce qui changera, c'est que ceux qui créent la musique ne recevront pas une rémunération pour cette période de 30 jours. Plus précisément, nous vous demandons de recommander le retrait de l'article 34 du projet de loi. C'est une simple question de justice. Tout comme les droits de propriété eux-mêmes, le paiement à l'utilisation est un principe fondamental de notre économie et de notre droit.
D'autres dispositions du projet de loi sont si vagues qu'elles pourraient être utilisées à notre désavantage. On n'établit pas clairement que les dispositions qui traitent des copies de sauvegarde, de la reproduction pour des raisons techniques, du format, de l'écoute en différé et de l'utilisation à des fins personnelles ne s'appliquent pas au marché de la radiodiffusion. Cette incertitude ne peut que mener à des litiges inutiles et coûteux.
Enfin, pour faire écho aux préoccupations de mon collègue, la répercussion de ces modifications sera, à notre avis, une violation du test en trois étapes dont on vous a parlé. Nous appuyons sans réserve la Conférence canadienne des arts sur cette question et aux autres questions qu'elle a soulevées.
La répercussion de ce changement sera une violation du test en trois étapes parce que cela est contraire à l'exploitation normale des œuvres musicales et parce que cela porte atteinte de façon déraisonnable aux intérêts des auteurs. Les stations de radios commerciales n'ont jamais été aussi rentables qu'elles le sont aujourd'hui. Le tarif de reproduction mécanique représente environ 1,2 p. 100 des revenus des radiodiffuseurs et beaucoup moins que cela pour les stations de petits marchés, mais pour les auteurs-compositeurs et les éditeurs, c'est de l'argent essentiel à leur survie.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous vous exhortons à modifier le projet de loi de façon à maintenir le régime de reproduction mécanique et nous vous demandons de recommander l'élimination de l'article 34 du projet de loi afin de maintenir l'équilibre essentiel entre les intérêts des créateurs et des utilisateurs des œuvres que le gouvernement prétend appuyer, ce que nous serions certainement prêts à croire.
M. Lauzon et moi serons heureux de répondre aux questions; nous vous remercions de nous avoir fourni l'occasion de témoigner.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : C'est un plaisir de discuter avec vous, et en français en plus. Personnellement, ce que j'apprends et qui m'inquiète, c'est que ce jugement de la Cour suprême est devenu ni plus ni moins une espèce de caution pour le projet de loi, donnant ainsi plus de poids aux institutions et à peu près pas aux créateurs.
J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet comparativement à ce qui se passe en France et aux États-Unis, surtout dans le domaine de la musique et des films. Qu'est-ce qui fait que le jugement de la Cour suprême donne autant de poids aux utilisateurs et moins aux créateurs?
Mme Messier : Quand la Cour suprême a rendu sa décision, en 2004, cela touchait l'édition. En fait, les livres légaux étaient en cause. Ce que la Cour suprême a donné comme interprétation, c'est que devant un principe de common law, devant une exception dans la loi, les avocats formés au Canada doivent l'interpréter de façon restrictive. La Cour suprême a renversé ce principe en disant que finalement, les exceptions dans la Loi sur le droit d'auteur devaient être considérées comme des droits pour les utilisateurs et qu'on devait leur donner une interprétation large et libérale.
C'est ce qui a changé — je dirais — l'équilibre au niveau de la Loi sur le droit d'auteur. Quand les utilisateurs négociaient avec nous ou appliquaient la loi, ils disaient : « De toute façon, si on va devant la Cour suprême, on court la chance qu'on nous donne raison puisqu'on doit faire une interprétation large et libérale de ces principes ».
Monsieur Geist a raison de dire que c'est un principe d'interprétation en deux étapes. On doit premièrement définir si c'est un des motifs, par exemple, pour l'utilisation équitable définie dans la loi et, après, on applique six facteurs, contrairement, par exemple, à ce qui se passe aux États-Unis, où on n'a pas l'utilisation équitable, mais plutôt l'usage équitable, le fair use.
Aux États-Unis, on a déterminé que l'impact sur le marché est un critère déterminant; au Canada, on a déterminé que c'est un critère parmi d'autres. Aux États-Unis, on a décidé de considérer des solutions alternatives, comme la possibilité d'avoir une licence d'une société de gestion; au Canada, on a spécifiquement rejeté la possibilité d'avoir des licences comme étant une solution alternative à l'utilisation ou la reproduction, on prétendait que cela contrevenait à la loi. C'est une des différences majeures.
La France, elle, a choisi d'appliquer le traité, parce qu'elle est aussi signataire du traité de l'OMPI. Elle a adopté des exceptions très limitées. Il y en a une pour l'éducation, mais on dit qu'il y a une exception pour l'illustration à des fins d'enseignement. Donc, cela doit être limité à une utilisation pour illustrer des principes au niveau de l'enseignement; c'est réservé aux établissements scolaires, contrairement à ce qui se passe au Canada où on n'a pas cette définition. On exclut aussi tous les ouvrages pédagogiques pour lesquels le seul marché est le scolaire et, en plus, on a associé le tout à une rémunération. Donc, toutes les fois qu'on accorde une exception, souvent, en Europe, ou une licence légale, on va le faire en y associant une rémunération. Peut-être que mes collègues de la musique veulent ajouter quelque chose pour leur industrie?
M. Lauzon : J'abonde exactement dans le même sens par rapport à l'utilisation équitable. Concernant l'article de loi qui est introduit — pas la décision — on a une entente avec le ministère de l'Éducation du Québec selon laquelle les ayant droits sont payés pour l'utilisation des œuvres.
Quand on regarde, par exemple, la différence entre les États-Unis et l'Europe, nous on traite particulièrement avec les pays de l'Europe continentale et l'ensemble des pays. C'est sûr que ce sont les traités de l'OMPI qui font foi de tout, et dans le cadre de ces traités, le test en trois étapes est interprété de façon très rigoureuse par rapport aux exceptions. Alors que lorsqu'on regarde plus du côté des États-Unis, l'usage équitable a un sens plus large. Cela amène aussi tout un côté juridique, la légalisation de ce processus versus le fait que quand les exceptions sont plus précises, comme l'expliquait Mme Messier, elles sont plus réduites par rapport à l'interprétation qui peut être faite.
C'est pour cette raison que pour nous, au niveau d'une exception, on souhaite que le test en trois étapes soit la direction que le projet de loi prenne pour guider les tribunaux par rapport à une interprétation restreinte, ce qui n'a pas été fait dans le cadre de CCH.
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai une question un peu plus technique. Est-ce que nos auteurs francophones ou anglophones, du Québec ou d'ailleurs, seraient mieux de faire appel à des éditeurs ou à des distributeurs américains ou français pour avoir la protection nécessaire? Cela amènerait la perte de toute une série de créateurs qui iraient faire leur édition en Europe.
Mme Messier : Malheureusement, sur le territoire canadien on va appliquer la loi canadienne. C'est une des raisons pour laquelle, au niveau international, la loi canadienne suscite autant d'intérêt. Parce que les œuvres françaises, les œuvres américaines, les œuvres australiennes seront maintenant soumises aussi sur le territoire canadien et à l'application de la nouvelle loi. C'est pour cette raison qu'il y a de telles protestations à l'étranger parce que les éditeurs, les auteurs, les artistes étrangers n'ont pas plus le goût de voir leurs œuvres utilisées, avec autant de générosité, par les utilisateurs sans aucune rémunération.
Il y a eu beaucoup de réactions à l'étranger par rapport à cette loi qui constitue un dangereux précédent et, comme on dit, une espèce de négation du test en trois étapes qui n'a d'équivalent nulle part ailleurs.
[Traduction]
Le président : Je vais vous inscrire pour le deuxième tour, à moins que ce soit très bref.
Le sénateur Hervieux-Payette : Ce sera très bref.
Le président : Bien.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : En ce qui concerne les frais juridiques, M. Basskin vous, entre autres, avez parlé de poursuites. Je veux faire un parallèle avec l'affaire Robinson et le fait que, pour mes collègues de l'autre endroit, cette cause en est une de droit d'auteur.
L'affaire Robinson a coûté quatre millions de dollars en frais juridiques, et la somme de cinq millions de dollars, qui avait été octroyée à l'auteur en première instance, a été réduite à un peu plus de deux millions en Cour d'appel, et ils sont maintenant rendus à la Cour suprême.
Cela veut dire qu'un auteur a dû dépenser, en frais juridiques, pour faire valoir ses droits, quatre millions de dollars. On ne parle pas de petits montants. On peut voir ces sommes dans des cas comme Rogers, TELUS ou n'importe quelle grande entreprise. Mais quel auteur canadien a les moyens d'aller devant les tribunaux pour faire respecter ses droits?
Mme Messier : Et pour Claude Robinson, on parle de 16 ans.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : M. Lauzon, Mme Messier et M. Pineau ont parlé de secteurs pour lesquels ils ne reçoivent aucune redevance. Monsieur Lauzon, où dans le projet de loi prévoit-on que le titulaire des droits d'auteur de la musique ne sera pas payé? En tant que consommateur, j'achète un DVD ou un morceau de musique. Quel est le problème, dans ce cas? Dans quelles circonstances n'êtes-vous pas payés?
[Français]
M. Lauzon : Merci pour votre question. Là où nous ne sommes pas payés, ce sont pour les utilisations secondaires. En 1997, la loi a introduit un régime de copie privée. Le régime de copie privée compensait les ayants droit pour les reproductions faites de façon privée. Et le régime de copie privée est spécifiquement, selon ce que les tribunaux nous ont dit au Canada, pour les supports.
Donc qu'est-ce que cela fait? Une copie est faite d'un CD acheté, que ce soit pour l'automobile ou pour d'autres endroits, et l'ayant droit au Canada est compensé comme dans plusieurs pays dans le monde sauf aux États-Unis. Donc nous sommes compensés. Actuellement le régime de copie privée...
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : De quelle façon pouvez-vous être rémunérés si je fais une copie du CD pour écouter dans mon automobile?
M. Lauzon : Lorsque l'on fait cette copie, on le fait sur un autre CD. Le fabricant du CD vierge est payé pour cela. Nous recevons une redevance de ce montant.
Mme Messier : Quelques cents.
M. Basskin : Comme M. Lauzon l'a indiqué, la partie 8 de la Loi sur le droit d'auteur, qui a été adoptée en 1997 légalisait la reproduction à des fins privées. Avant 1997, chaque fois que les Canadiens appuyaient sur le bouton d'enregistrement pour copier une cassette sur une autre cassette, si vous voulez, s'ils copiaient des cassettes, ou un disque 33 tours, ils enfreignaient le droit d'auteur. Personne n'a été poursuivi. Aucune poursuite n'a été intentée, mais des millions et des millions d'enregistrements ont été faits sans que l'artiste, le producteur, l'auteur-compositeur ou l'éditeur aient été rémunérés. En 1997, le gouvernement a bien agi lorsqu'il a légalisé la reproduction à des fins privées et non commerciales et lorsqu'il a créé un mécanisme de rémunération qui a permis de verser plus de 200 millions de dollars à ces groupes. L'utilisation des CD-R est en déclin, et c'est un fait du marché. Malheureusement, en raison du fait que le gouvernement a choisi de ne pas tenir compte de la réalité du marché, des milliards de copies de chansons continuent d'être faites sur toutes sortes de dispositifs. De plus, en raison du fait que le gouvernement a décidé de ne pas remédier à cette lacune de la mesure législative, le régime de reproduction à des fins privées ne sera pas maintenu pendant très longtemps. Le régime de rémunération prendra fin, mais des milliards de copies seront faites et écoutées, sans qu'on ait l'autorisation légale de le faire.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez été rémunérés grâce à une taxe sur le CD.
M. Basskin : Non, monsieur, ce n'était pas une taxe. Les taxes envers ce gouvernement. Il s'agit d'une redevance qui a été prélevée et qui est versée à ceux qui ont fait la musique dont on fait une copie.
Le sénateur Tkachuk : Pour le consommateur, cela n'a pas vraiment d'incidence. Ce que vous dites, c'est que si je mets de la musique dans un iPod, je devrais payer plus cher à l'achat de l'iPod.
M. Basskin : C'est ce que nous préférerions, qu'il y ait une redevance applicable à la vente d'appareils de ce genre. Nous reconnaissons que la loi actuelle ne prévoit pas une telle mesure, et nous croyons que le projet de loi aurait dû être modifié en ce sens.
M. Lauzon : Parmi les pays du G8, à l'exception des États-Unis, tous les pays en Europe avec qui nous faisons affaire ont un régime de la copie privée qui englobe les enregistreurs audionumériques. Si la loi est adoptée et que nous ne recevons pas d'autres redevances sur la copie privée de CD, cela signifie qu'à court terme, nous ne serons pas en mesure de recevoir de l'argent provenant d'autres pays. En perdant le régime de la copie privée au Canada, on perd aussi tout l'argent qui provient de sociétés étrangères, ainsi que des créateurs et des éditeurs canadiens.
Le sénateur Tkachuk : Que se passera-t-il si j'enregistre de la musique sur une clé USB et que je l'écoute dans ma voiture? Il n'y a pas de redevance sur les clés USB.
M. Basskin : C'est exact, monsieur.
Le sénateur Tkachuk : Comment peut-on empêcher cela?
M. Basskin : Nous n'avons jamais tenté d'empêcher cela. Cela n'a jamais été notre intention. Nous n'avons jamais demandé aux gens d'arrêter de le faire. Tout ce que nous avons demandé, c'est une rétribution pour la valeur des copies.
Je doute que vous ou quelqu'un de votre entourage ayez passé des heures à écouter un iPod vide. Les gens achètent ces produits pour copier de la musique, et notre recherche révèle que plus de 80 p. 100 des chansons sur les iPods proviennent de sources non payées.
Le sénateur Tkachuk : J'utilise mon iPod pour écouter des chansons qui font partie de ma collection, c'est-à-dire des chansons que j'ai déjà achetées. Dans bien des cas, quand j'achète un CD, j'aime transférer sur mon iPod les chansons qui me plaisent le plus; parfois, je n'aime que trois chansons sur tout l'album et je n'écoute jamais le reste. Je paie donc pour des chansons que je n'utilise jamais.
M. Basskin : Nous n'avons aucun problème à ce que vous fassiez les copies, monsieur. Nous voulons simplement être rétribués pour la valeur des copies.
Le sénateur Tkachuk : En fait, je suis surpris de ne pas devoir payer des frais pour écouter des chansons.
Le sénateur Moore : Je remercie les témoins d'être ici. J'ai trois questions à vous poser. Monsieur Pineau, dans votre mémoire, vous parlez de la Convention de Berne et du test en trois étapes. Vous dites que 47 pays sont signataires de la Convention de Berne. Le Canada en fait-il partie?
Mme Messier : Oui, depuis 1928.
Le sénateur Moore : Pourriez-vous préciser en quoi consiste le test en trois étapes, aux fins du compte rendu?
M. Pineau : Comme je ne suis pas avocat, je vais céder la parole à mes amis experts qui sont ici présents. Mme Messier pourrait peut-être répondre à cette question précise. Je vous lance la balle.
[Français]
Mme Messier : Le test en trois étapes est contenu à la Convention de Berne à l'article 9(2). Ils disent que les exceptions doivent se limiter à certains cas spéciaux qui ne doivent pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. On le retrouve aussi dans le traité de l'ADPIC et dans divers traités que le Canada a signés au fil des ans.
[Traduction]
Le sénateur Moore : C'est le résultat escompté, mais je croyais qu'il fallait tenir compte de trois éléments pour obtenir ce résultat.
Mme Messier : Le test en trois étapes est réservé aux cas spéciaux qui ne portent pas atteinte aux intérêts légitimes de l'auteur.
Le sénateur Moore : Oui, et ni à ceux du créateur.
M. Basskin : Le test en trois étapes constitue une des questions sur lesquelles les signataires de la convention se sont entendus. En tant que méthode d'encadrement et d'interprétation, le test prévoit que les exemptions créées ne doivent pas causer un préjudice injustifié aux intérêts des auteurs, qu'elles doivent être réservées à des cas spéciaux et qu'elles ne doivent pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre. Il s'agit d'une méthode d'interprétation générale. Ce que la CCA propose, et que nous appuyons sans réserve, à l'instar des 47 pays, c'est d'ajouter cette disposition cruciale à la Loi sur le droit d'auteur pour fournir une méthode d'interprétation de l'application des exemptions. Il y aura sûrement des poursuites judiciaires. Voilà pourquoi les tribunaux ont besoin d'un tel encadrement.
Le sénateur Moore : Savez-vous si la loi sur le droit d'auteur aux États-Unis comprend le test en trois étapes?
M. Basskin : Les États-Unis sont signataires de la Convention de Berne.
Le sénateur Moore : Ah oui?
M. Basskin : Oui.
Le sénateur Moore : Êtes-vous en train de dire que le projet de loi dont nous sommes saisis n'est pas conforme à la Convention de Berne?
M. Basskin : Il présente des lacunes puisqu'en vertu du droit canadien, un traité dont nous sommes signataires ne devient pas un texte législatif exécutoire. Il s'agit d'une entente que le Canada a conclue. Par contre, lorsque les États-Unis signent un traité, celui-ci devient automatiquement une loi américaine. Au Canada, l'adhésion à un traité est une sorte de déclaration d'intention du gouvernement, mais ce n'est pas exécutoire. Nous croyons que ce principe est si important qu'il doit être inclus dans la loi afin que ceux dont les droits sont en jeu puissent y recourir en tant que guide pour l'interprétation des exemptions.
Le sénateur Moore : Monsieur Basskin, j'aimerais en savoir plus sur le tarif mécanique de diffusion que l'on appelle, je crois, des droits éphémères.
M. Basskin : Le tarif mécanique de diffusion est le régime par lequel nous sommes rétribués pour ces reproductions.
Le sénateur Moore : Exactement.
On nous a dit que cela représente environ un montant de 21 millions de dollars, qui est versé ensuite aux créateurs.
M. Basskin : Nous recevons environ 12 millions de dollars par année. Un montant semblable est également recueilli par les groupes représentant les interprètes et les maisons de disque pour la reproduction de leurs enregistrements sonores. Comme vous le savez, il y a une distinction entre une chanson et l'enregistrement d'une chanson. Nos groupes représentent les chansons.
Le sénateur Moore : Savez-vous si le montant de 21 millions de dollars est un chiffre exact?
M. Basskin : Je crois que c'est de l'ordre de 21 à 23 millions de dollars.
Le sénateur Moore : Je crois comprendre que le revenu brut de l'industrie de la radiodiffusion est de 1,4 milliard de dollars par année, et vous avez dit que le droit éphémère représente, dans votre cas, 1,2 p 100.
Hier, j'ai interrogé le ministre à ce sujet, et il a dit qu'il est important que nous éliminions ce droit pour qu'il ne nuise pas aux intérêts commerciaux des petites stations de radio. Vous dites que la radio commerciale n'a jamais été aussi rentable qu'aujourd'hui. Le tarif mécanique de diffusion représente 1,2 p. 100 du revenu des radiodiffuseurs et beaucoup moins pour les petites stations de radio. Pourriez-vous me dire comment votre société de gestion collective s'occupe des petites stations?
M. Basskin : Volontiers, monsieur. Il en est question dans le tarif approuvé par la Commission du droit d'auteur, et je suis heureux d'en fournir une copie au comité à titre de référence.
Le sénateur Moore : Ce serait utile.
M. Basskin : L'article 5 du tarif approuvé, qui porte sur tous les tarifs qui sont payés par la radio commerciale, stipule que, dans le cas d'une station utilisant peu d'enregistrements sonores — c'est-à-dire une station qui consacre moins de 20 p. 100 de son temps à la diffusion de musique —, le tarif s'élève à 0,135 p. cent sur la première tranche de 625 000 $ de revenus bruts annuels, à 0,259 p. 100 sur la tranche suivante de 625 000 $ et à 0,434 p. 100 sur la tranche suivante.
Maintenant, dans le cas des stations de musique, le tarif est de 0,304 p. 100 sur la première tranche de 625 000 $ de revenus bruts, et je vais fournir au comité un petit calcul pour illustrer ce que cela signifie.
Le président : Pourriez-vous l'envoyer au greffier?
M. Basskin : Oui, bien sûr. Le tarif passe à 0,597 p. 100 sur la tranche suivante de 625 000 $ et à 1,238 p. 100 sur le reste. Cela signifie que les petites stations paient un très petit montant. C'est une échelle graduée et, selon moi, il s'agit d'une méthode équitable qui tient compte des intérêts des petites stations. On ne leur demande pas de payer des tarifs au même taux que les grandes stations.
Le sénateur Moore : C'est ce que je voulais vous entendre dire, parce que cette question me préoccupait.
M. Basskin : Nous vous fournirons cette information, ainsi que le calcul.
Le sénateur Moore : Ce serait utile.
Ma dernière question s'adresse à Mme Messier : C'est quelque chose d'intéressant parce que je suis un grand amateur d'art et j'appuie les artistes. Vous dites, à la page 6, que le projet de loi C-11 omet d'inclure un droit de suite sur la revente des œuvres d'art, comme l'ont déjà fait 59 pays. Pouvez-vous expliquer un peu en quoi consiste un droit de suite sur la revente et comment cela fonctionne dans les 59 pays qui l'ont adopté?
[Français]
Mme Messier : Oui, c'est le droit de suite. En français, on appelle cela le droit de suite sur les œuvres artistiques. Cela permet souvent quand un auteur vend une œuvre, il ne la vend pas très cher parce qu'au début de sa carrière, il n'est pas très connu et cette œuvre-là va prendre de la valeur, parfois même beaucoup de valeur au fil des ans, encore plus parfois quand l'artiste meurt et l'œuvre est souvent vendu plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de milliers dollars. Le droit de suite permet de suivre la valeur économique de l'œuvre et permet à l'artiste ou ses héritiers s'il est mort, de toucher un pourcentage sur la vente de l'œuvre faite par un intermédiaire commercial. Donc, cela permet à l'artiste de toucher une partie de la rémunération, donc d'être associé à la richesse de son œuvre.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Il s'agit donc d'un pourcentage. Qui en surveille l'application. Est-ce les galeries? Comment cela fonctionne-t-il?
[Français]
M. Lauzon : Ce sont les sociétés de gestion collective. Je gère le droit pour les artistes en art visuel. Donc, mes collègues par ailleurs en Europe, qui ont le droit de suite, collectent un pourcentage auprès des encanteurs par rapport au revenu. Pour les artistes canadiens vendus à l'étranger, comme le Canada n'a pas introduit cet article dans la loi, cela ne permet pas aux artistes canadiens de bénéficier des droits de suite dans les pays étrangers. Alors que si on pouvait avoir ce droit introduit dans notre loi, cela permettrait aux artistes canadiens de bénéficier de cette prérogative tant au Canada qu'à l'étranger.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Pouvez-vous remettre au greffier l'information concernant les pays et les ententes?
M. Lauzon : Oui, tout à fait.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je vous souhaite la bienvenue. Je ne suis pas un spécialiste des droits d'auteur et des droits artistiques, mais je vais vous poser des questions plutôt imagées pour que je puisse bien comprendre cette modification.
Quand j'étais au primaire, on apprenait Menaud maître-draveur de Félix Leclerc. Monsieur Leclerc retirerait-il des droits d'auteur lorsqu'on nous enseignait cela à l'école?
Mme Messier : Peut-être pas à cette période, mais depuis 1982, toutes les écoles du Québec sont couvertes par une licence qui leur permet de reproduire les œuvres. Donc, si on vous donne maintenant une copie d'un poème de Félix Leclerc, Félix Leclerc ou ses héritiers dans ce cas-ci, vont recevoir une rémunération de la part de COPIBEC.
Le sénateur Maltais : Ce qui dans mon temps ne se faisait pas.
Mme Messier : Le représentant des universités parlait ce matin d'une somme entre 30 $ et 200 $. Je ne sais pas comment il fait ses calculs, mais l'entente qui vient d'être négociée entre l'association canadienne et Access Copyright, qui est la société de gestion collective qui gère ces droits, est au montant de 26 $ par année par étudiant. Je voulais juste le préciser.
Le sénateur Maltais : Il y a quelques années, un groupe à but non lucratif s'est formé pour faire de la chanson française. Il était composé de personnes à la retraite et servait à divertir des personnes âgées dans les foyers. Ils avaient décidé de monter un spectacle de chansons tirées du répertoire des Compagnons de la chanson. Il y avait un avocat dans le groupe. Lui et moi sommes tombés sur les droits d'auteur. Il a donc fallu rejoindre en France le dernier des compagnons qui vivait encore. Comme la nouvelle formation agissait à but non lucratif et ne faisait pas d'enregistrement, il a décidé de ne rien charger pour les arrangements musicaux. Toutefois, les paroles étaient des versions américaines ainsi que la musique. Nous n'avons pas demandé aux Américains ce qu'ils en pensaient. Étions-nous dans l'illégalité?
M. Lauzon : Oui, mais je vais faire une distinction dans ce que vous venez de nous dire. Lorsque vous faites un spectacle, qu'il soit à but non lucratif ou non, il y a une société d'exécution publique, qui s'appelle la SOCA, qui perçoit des droits par rapport à cela. Elle doit passer par le régime de copie privée et c'est une utilisation équitable, c'est-à-dire qu'un tarif est chargé par rapport à une utilisation.
Lorsque vous revenez par rapport à cette spécificité, vous avez dû demander les droits d'auteur. Vous avez dû faire une reproduction et cela vient avec un droit d'autoriser et d'interdire.
Le sénateur Maltais : C'était les arrangements musicaux qu'on voulait avoir, mais la musique originale était américaine. On avait fait des arrangements musicaux pour des chansonnettes qui étaient des traductions américaines.
M. Lauzon : C'est très simple. Les sociétés de gestion collective, qui sont établies au Canada, sont là pour vous faciliter la tâche. Mon collègue s'occupe des répertoires américains et moi des répertoires québécois et européen. Vous venez nous voir et on vous émettra une licence au nom de la Société de gestion collective. C'est aux ayants droit de choisir s'ils seront rémunérés ou non. Ils ont le droit, car c'est leur propriété intellectuelle.
Le sénateur Maltais : Des jeunes d'écoles secondaires montent un spectacle de fin d'année dans lequel ils incluent un extrait d'une pièce de Michel Tremblay. Pour ce faire, sont-ils régis par votre société?
Mme Messier : C'est une autre société, la SOCA, qui gère les arts dramatiques. Il existe une entente au Québec entre le ministère de l'Éducation et cette société de gestion pour permettre de produire ces pièces de théâtre dans un environnement scolaire. Cependant, avec la nouvelle loi sur les droits d'auteur, qui parle d'utilisation équitable en éducation, les gens du théâtre et Michel Tremblay ne toucheront pas nécessairement une rémunération, parce que cela dépend de l'interprétation qui sera donnée à cette disposition, mais actuellement ils en touchent une.
Le sénateur Maltais : Alors si des élèves d'une école du secondaire V ne montent qu'un tableau de la pièce, vous leur chargerez des frais?
Mme Messier : C'est déjà prévu dans une entente avec le ministère de l'Éducation. Ils n'ont qu'à indiquer ce qu'ils ont utilisé pour permettre aux sociétés de gestion de répartir l'argent équitablement auprès des auteurs qui ont réellement été utilisés, mais c'est le ministère qui paie.
M. Lauzon : C'est la même chose. Tous les collectifs ont une entente avec le ministère de l'Éducation par rapport aux utilisations qui sont faites au primaire et au secondaire pour ce genre d'utilisation.
Le sénateur Maltais : Je suis amateur de musique classique. Sur Internet on trouve le coffret complet des œuvres de Beethoven. Je n'ai qu'à appuyer sur un bouton pour ce faire. Suis-je un hors-la-loi?
[Traduction]
M. Basskin : La musique de Beethoven fait partie du domaine public et, par conséquent, personne ne reçoit une rétribution pour son utilisation. On pourrait payer les interprètes et les représentations, mais la musique d'un compositeur qui est mort avant 1962 fait partie du domaine public.
Le sénateur L. Smith : J'ai une question qui s'adresse probablement au groupe. Pourriez-vous m'expliquer l'exception à l'exception de 30 jours? Combien d'argent va au groupe? Combien d'argent va à l'artiste? Et qu'en est-il des verrous numériques? J'essaie de comprendre cet aspect.
M. Basskin : Il n'existe aucun lien réel entre la question des verrous numériques et l'exception pour les enregistrements éphémères. Permettez-moi de passer en revue rapidement le processus.
Les radiodiffuseurs ont le droit de reproduire des enregistrements sonores et des chansons. Autrement dit, les reproductions qu'ils font sans le consentement des titulaires de droit seraient normalement considérées comme une infraction. Or, l'article 30.9 stipule que ce n'est pas une infraction, puisque cette activité est exemptée. C'est pourquoi nous l'appelons une exemption. C'est une exemption à la règle habituelle selon laquelle une utilisation sans permis serait qualifiée d'infraction. Cette exemption dure 30 jours. En vertu de la loi actuelle, sans tenir compte des articles proposés dans le projet de loi, cette exemption est conditionnelle.
Si les titulaires rendent leurs droits disponibles par l'entremise d'un permis collectif, comme nous le faisons, l'exemption est retirée. Ainsi, ceux qui souhaitent faire des reproductions sont obligés de payer le tarif établi par la Commission du droit d'auteur.
Le changement proposé dans le projet de loi éliminerait l'aspect conditionnel de l'exemption. Autrement dit, un radiodiffuseur peut faire des reproductions et conserver ces copies, sans réserve, pour une période maximale de 30 jours sans porter atteinte au droit d'auteur. Cela aura pour effet indéniable de réduire la valeur du tarif établi par la Commission du droit d'auteur. D'ailleurs, la valeur de cette réduction n'a pas encore été déterminée, mais nous croyons qu'elle sera considérable.
Qui reçoit l'argent? Dans le cas de la reproduction de chansons, cet argent est partagé entre l'auteur et l'éditeur, et il arrive parfois que l'auteur et l'éditeur soient la même personne. Pour vous donner un exemple, Gordon Lightfoot, qui est propriétaire du droit d'auteur sur ses propres œuvres, est à la fois auteur et éditeur. Il y a toutes sortes d'exemples. Notre travail en tant que sociétés de gestion collective est de nous assurer que les bonnes personnes se font payer selon l'utilisation de leurs œuvres.
Il en va de même pour la reproduction d'enregistrements sonores. L'argent est partagé entre l'interprète et le producteur.
Le sénateur L. Smith : D'après vos estimations, à combien se chiffrerait la valeur de cette élimination?
M. Basskin : À l'heure actuelle, la valeur des tarifs combinés se situe dans les 23 à 24 millions de dollars par année. Il est difficile de prévoir la réduction exacte. Il ne fait aucun doute que cette question finira par être contestée, d'une façon ou d'une autre, devant la Commission du droit d'auteur. Je suis sûr que nos amis dans l'industrie de la radiodiffusion soutiendront qu'ils devraient avoir ces droits gratuitement.
Le sénateur L. Smith : Comment l'argent est-il divisé? Si le montant s'élève à 21 millions de dollars, comment le divise-t-on?
M. Basskin : Les quelque 12 millions de dollars que nous recueillons sont distribués de façon proportionnelle entre les auteurs et les éditeurs de musique selon les données sur l'utilisation par les stations de radio. Je suppose que les maisons de disque et les interprètes divisent le montant de la même manière.
M. Lauzon : La seule information dont nous disposons à ce sujet repose sur un communiqué de presse diffusé par la Commission du droit d'auteur en 2009. Si vous voulez, nous pouvons vous fournir l'information concernant la valeur de la division.
Le président : Merci beaucoup.
Voilà qui met fin à notre premier tour de questions. Le temps est essentiellement écoulé, mais je crois que la vice-présidente aimerait vous poser une question avant de conclure le débat.
[français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Combien y a-t-il de sociétés de gestion collective au Canada? En tant qu'administrateur comment êtes-vous rémunérés? Quel sera l'avenir des sociétés de gestion une fois le projet de loi adopté, étant donné que vous jouez un rôle important pour payer les compensations aux producteurs et aux créateurs?
[Traduction]
M. Basskin : Il y a beaucoup d'organisations dans les industries du spectacle et les industries culturelles. Elles ne sont pas toutes des sociétés de gestion collective. En fait, on en compte relativement peu qui sont actives. On peut surtout parler de l'industrie de la musique. Il y a des sociétés de gestion collective qui représentent des auteurs et des éditeurs pour différentes fins, et il y en a d'autres qui représentent des interprètes et des producteurs.
Je ne pourrais pas vous donner de chiffre. Nous pourrions peut-être vous envoyer l'information plus tard. Toutefois, sachez que l'avenir des sociétés de gestion collective est très important. Celles-ci jouent un rôle tout à fait vital. Elles assurent la disponibilité des droits, et ce, généralement au moyen d'une seule transaction. Cela coûte très cher de traquer et d'identifier les titulaires de droits d'auteur. Notre travail consiste à rassembler les droits et à négocier pour le compte des titulaires. Dans bien des cas, nous établissons un juste équilibre entre les intérêts des grands utilisateurs commerciaux, des grands radiodiffuseurs, des maisons de disque et d'autres intervenants, ainsi que ceux des créateurs, des compositeurs et des titulaires de droits, qui ne seraient pas en mesure de le faire eux-mêmes. Nous assurons la disponibilité des droits, uniformisons les règles du jeu et établissons des règles systématiques pour des transactions qui seraient, autrement, tout à fait hors des moyens des titulaires.
Le rôle des sociétés de gestion collective est plus important que jamais parce que nous œuvrons dans un marché où il y a un nombre sans cesse croissant de transactions, mais chaque transaction ne vaut qu'une petite somme d'argent. Sans une gestion collective, on ne peut pas être payé.
[Français]
M. Lauzon : Selon nos informations, il y avait 46 collectifs. Dans le panel précédent, on a entendu la représentation de la Balanced Copyright Association qui vous a exposé la liste des noms tels Google, et cetera. Comment voulez-vous qu'un auteur, un compositeur ou un éditeur, si gros et indépendant soit-il, puisse se présenter devant ces géants pour exiger des tarifs?
Il leur faut un régime de tarification et ce sont eux qui sont membres des collectifs. Cela leur donne une force commune pour pouvoir se présenter devant eux. Le projet de loi C-11 vient diminuer le pouvoir économique des collectifs, donc des créateurs. La façon dont ça fonctionne, c'est qu'habituellement, sur un dollar perçu, un certain pourcentage est prélevé par la gestion collective et le reste se répartit entre les ayants droit.
[Traduction]
Le président : Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins d'avoir comparu aujourd'hui. Vous nous avez bien aidés dans nos délibérations.
Mesdames et messieurs les sénateurs, dans la quatrième partie de notre séance de ce matin, nous sommes heureux d'accueillir Richard Prieur, directeur général et Jean Bouchard, vice-président de l'Association nationale des éditeurs des livres. Nous recevons également Véronyque Roy, conseillère juridique de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois.
Monsieur Prieur, vous avez la parole.
[Français]
Richard Prieur, directeur général, Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) : Mesdames, messieurs les sénateurs, merci de nous donner une ultime occasion de dire pourquoi nous considérons le projet de loi C-11 comme étant une loi qui fragilise notre industrie et notre éducation nationale.
L'ANEL représente une centaine de maisons d'édition québécoises et canadiennes françaises de toutes tailles et œuvrant dans tous les secteurs de l'édition. En matière de droits d'auteur, l'ANEL a réagi à chacun des projets de loi qui ont été présentés, toujours en demandant un renforcement du droit d'auteur et en réclamant que la législation s'harmonise avec les tendances mondiales afin que nos entreprises puissent concurrencer sainement avec les autres pays.
Aujourd'hui nous venons vous dire pourquoi il est nécessaire d'amender cette loi. La grande question qui retient ensuite notre attention, c'est l'exception de l'utilisation équitable en matière d'éducation, de loin la mesure que nous estimons la plus dommageable pour le monde du livre.
Pourquoi faut-il amender la loi? Premièrement, parce qu'elle renverse les grands principes qui fondent le droit d'auteur en ne modifiant pas la jurisprudence de 2004, qui a transformé les exceptions en droits des usagers; en multipliant les nouvelles utilisations d'œuvres sans permission ni compensation; en ne donnant pas toujours les définitions qui précisent les limites des nouvelles utilisations permises, en faisant reposer la protection des œuvres sur des mesures techniques plutôt que sur une protection légale, et en réduisant les dommages statutaires au point d'encourager des violations.
Deuxièmement, parce qu'elle contrevient aux règles des conventions internationales comme la Convention de Berne, en ne respectant pas son engagement à légiférer de manière à ne pas affaiblir les intérêts des créateurs de façon excessive puisqu'on estime que 44 exceptions c'est nettement excessif; en ne soumettant pas la reproduction sans permission aux règles du test en trois étapes de la Convention de Berne; en créant une exception d'utilisation équitable à des fins éducatives qui entre directement en conflit avec l'utilisation normale des œuvres scolaires, et en autorisant ces utilisations sans permission aux œuvres d'autres pays.
Troisièmement, parce qu'elle fragilise une industrie en tarissant les sources de revenu, aussi bien celles de la gestion collective que les activités normales de commercialisation, en mettant en péril 40 ans d'efforts pour développer une industrie proprement canadienne, en mettant en péril les 25 millions d'investissements collectifs des éditeurs francophones dans le livre numérique, et en forçant la protection par verrou numérique qui, si adapté soit-il à l'industrie du film et du logiciel, ne s'accorde pas avec les pratiques et les modèles d'affaire du monde du livre et, finalement, en compromettant la capacité des éditeurs à migrer rapidement vers la conception et la production d'une gamme diversifiée de matériel scolaire pour les classes numériques de demain.
Et quatrièmement, parce qu'elle fragilise les rapports entre le monde de l'édition et de l'éducation. Il est triste qu'on en soit venu à opposer le monde de l'édition à celui de l'éducation. Le grand savoir-faire des auteurs et des éditeurs scolaires, scientifiques et techniques est la pierre angulaire de l'éducation.
Nous vous invitons à voir l'industrie du livre comme la division de recherche et de développement en matériel didactique de nos systèmes d'éducation. Voilà une collaboration exceptionnelle éprouvée entre le secteur public et le secteur privé, un partenariat exemplaire qui assure une diversité de l'offre et une saine compétition au bénéfice des étudiants et des familles. J'aimerais que Jean Bouchard ajoute quelques points à ce court texte.
Jean Bouchard, vice-président, Association nationale des éditeurs des livres (ANEL) : Selon l'ANEL, s'il n'y avait qu'un geste à poser pour bonifier le projet de loi, ce serait de rayer à l'article 29 le mot « éducation » des exceptions d'utilisation équitable.
En accordant aux institutions d'enseignement et à toute entreprise ou organisme à visée commerciale ou non le droit d'utiliser gratuitement et sans permission les œuvres sous droit, cette exception est de loin celle qui aura les effets les plus nocifs sur l'industrie de l'édition. Dans sa forme actuelle, cette exception a un impact sur les éditeurs scolaires qui assistent au photocopiage intensif de leurs manuels, alors que les éditeurs littéraires perdent les avantages commerciaux découlant d'une œuvre étudiée en classe.
De plus, ce droit est créé même si les institutions d'enseignement n'ont aucun problème aujourd'hui à accéder aux œuvres grâce aux sociétés de gestion collective. C'est à peine un demi de 1 p. 100 du total de l'éducation dépensé au Canada annuellement sur un montant de 70 milliards de dollars.
En l'absence de définition précise dans la loi, tout a été dit à propos de cette exception. Le gouvernement dit la restreindre à l'éducation dans un cadre structuré, y compris aux formations privées mais non au grand public. L'Association canadienne des professeurs d'université dit que c'est le droit d'utiliser une « partie substantielle » d'une œuvre sans permission ni compensation, pendant que la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec dit que l'exception proposée ne signifie d'aucune façon la fin des mécanismes de compensation des créateurs.
Nous allons trancher : c'est vaste, c'est gratuit, sans permission, mais à la condition que ce soit équitable. Cette seule et unique restriction, le caractère équitable, à l'utilisation gratuite d'œuvres à des fins éducatives ne protège d'aucune manière l'industrie du livre. On doit intégrer à la loi une définition de ce qui est « un usage équitable » en matière d'éducation.
L'équité d'une utilisation devra être jugée par les tribunaux. La déstabilisation des modèles d'affaires légitimes et bien établis et les coûts d'une importante judiciarisation compromettront les investissements à moyen et long terme tant que les cours de justice n'auront pas statué sur les pratiques équitables et non équitables, à moins qu'elles soient définies de la loi.
En l'absence de définition précise dans la loi, la Cour suprême a élaboré une liste ouverte de six facteurs pour aider à déterminer si une utilisation est équitable : but de l'utilisation; nature; ampleur de l'utilisation; existence de solution de rechange à l'utilisation; nature de l'œuvre; effet de l'utilisation de l'œuvre sur son marché.
Le problème, c'est qu'elle a déclaré que l'effet de l'utilisation sur le marché pour le détenteur de droit n'est ni le seul, ni le plus important facteur à considérer pour déterminer si l'utilisation est équitable.
Au contraire, aux États-Unis, ce facteur est le plus important — en fait, le principal —, ce qui donne aux éditeurs le confort suffisant pour investir dans la recherche et le développement de ressources éducatives de pointe.
Si le projet de loi C-11 était adopté en l'état, les éditeurs canadiens ne bénéficieraient pas du même niveau de confort. C'est pourquoi le second et plus important geste à poser pour bonifier la loi canadienne du droit d'auteur est d'intégrer le test en trois étapes de la Convention de Berne, pour qu'il fasse partie intégrante des critères sur lesquels s'appuieront nos tribunaux pour juger du caractère équitable d'une utilisation. Cela aura, entre autres, pour résultat de prioriser l'effet de l'utilisation sur le marché, et de rendre, du même coup, notre loi conforme à nos engagements internationaux.
Véronyque Roy, avocate, conseillère juridique, Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) : Honorables sénateurs, merci de votre invitation. Mon nom est Véronyque Roy, je suis avocate et conseillère juridique pour l'Union des écrivaines et des écrivains québécois, que je représente aujourd'hui.
L'Union des écrivaines et des écrivains québécois est un syndicat professionnel fondé, le 21 mars 1977, par une cinquantaine d'écrivains qui regroupe maintenant plus de 1 400 écrivains, des poètes, des romanciers, des auteurs dramatiques, des essayistes, des auteurs pour jeune public, des auteurs d'ouvrages scientifiques. L'UNEQ travaille en fait à la promotion et à la diffusion de la littérature québécoise au Québec, au Canada et à l'étranger, de même, essentiellement qu'à la défense des droits socio-économiques des écrivains.
Notre intérêt est de vous présenter notre position. L'UNEQ est reconnue par la Loi sur le statut professionnel des artistes, la loi provinciale S-32.01, et est accréditée par le Tribunal canadien des relations professionnelles.
En résumé, le projet de loi C-11 tente, nous dit on, d'équilibrer les droits des auteurs et les intérêts des consommateurs. Vous en avez entendu parler de plusieurs façons ce matin. En fait, selon nous, il a surtout pour effet de dépouiller injustement les créateurs de leurs revenus. Les écrivains sont particulièrement touchés parce qu'ils fournissent la matière première du système d'éducation, une matière première dont le gouvernement cherche à rendre l'accès gratuit, selon notre interprétation des exceptions qu'on veut ajouter ici.
Plus grave encore, les nombreuses exceptions proposées par le projet de loi C-11 rendent gratuit plusieurs usages qui sont actuellement gérés par des sociétés de gestion collective, comme vous l'avez entendu de la part de nos collègues, entre autres de COPIBEC. Ces sociétés ont fait leurs preuves depuis de nombreuses années, assurant l'accès aux contenus sans poser d'entraves aux utilisateurs, tout en garantissant des revenus aux créateurs. Il nous apparaît que la gestion collective permet tout à fait cet équilibre que le gouvernement dit vouloir assurer avec son nouveau projet de loi, alors que les multiples exceptions qu'il introduit le réduisent à néant.
En d'autres mots, C-11, au lieu de défendre l'auteur contre les utilisations illicites de son œuvre, c'est-à-dire non rémunérées, et qui en violent l'intégrité au sens du droit moral, légalise ces utilisations et oblige les titulaires de droit à utiliser des mesures de protections technologiques pour empêcher le piratage de sa production.
[Traduction]
Le président : Permettez-moi de vous interrompre pour vous demander de parler un peu plus lentement, s'il vous plaît. Merci.
Mme Roy : Aucun problème.
[Français]
Ce revirement est à la fois indéfendable et dangereux, selon nous, car les recours juridiques qu'il engendrera hypothèqueront l'industrie culturelle canadienne pour des années à venir, comme une de nos collègues l'a mentionné lors de la comparution du panel précédent.
Voici les trois points qui nous apparaissent les plus problématiques; certains d'entre eux ont été discutés préalablement. De notre point de vue, le premier point qui pose problème pour les écrivains spécifiquement est l'article 29, concernant, comme mes collègues l'ont dit, l'utilisation équitable aux fins d'éducation, et également de satire et de parodie.
Pour ce qui est du point de vue de l'éducation, le milieu de l'éducation étant celui où les œuvres littéraires sont le plus susceptibles de circuler, il représente par conséquent pour les auteurs et les écrivains spécifiquement une importante source de revenu. Il est donc essentiel que la contribution des créateurs à l'éducation des Canadiens et des Canadiennes, à la formation de leur imaginaire et à l'acquisition de leurs connaissances soit reconnue à sa juste valeur, au même titre que le travail des enseignants et du personnel des établissements d'enseignement. Il est inadmissible que l'on songe à priver les créateurs de la juste rémunération qu'ils méritent, alors que leurs œuvres sont la matière première de l'éducation.
Enfin, précisons que l'exception pour l'éducation fait l'homme de plusieurs dispositions dans ce projet de loi, et que les conditions qui les régissent sont le plus souvent floues, et fixent des balises presque impossibles à faire respecter.
De plus, les dommages et intérêts dont ces nouvelles exceptions sont affublées font en sorte que cela n'encourage pas, selon nous, les titulaires à entamer des procédures en cas de violation de leurs droits.
Pour ce qui est de la satire et de la parodie, une nouvelle exception ajoutée à l'article 29, l'UNEQ est grandement préoccupée par la portée très large des notions de satire et de parodie. La satire et la parodie ont certes leur place dans une société démocratique faisant de la liberté d'expression l'une des ses pierre angulaires. Mais l'UNEQ croit toutefois que le droit moral, qui est présentement dans la loi, lié aux œuvres faisant l'objet d'une satire ou d'une parodie, ne fait pas ici l'objet d'une protection adéquate.
C'est pourquoi l'UNEQ est d'avis que l'article traitant de l'utilisation équitable aux fins de satire ou de parodie doit proposer un libellé limitant la portion de l'œuvre qui peut être utilisée à ces fins. Ce libellé devrait exiger que la satire ou la parodie se démarque suffisamment de l'œuvre originale, afin qu'elle n'en soit pas simplement une adaptation. Actuellement, au sens de la loi en vigueur, pour la l'adaptation, l'autorisation doit être demandée au titulaire des droits, en ce sens une licence sera accordée et une redevance versée.
Au sens de la nouvelle exception, il y a lieu de croire que des adaptations pourraient être faites sans demande d'autorisation, en violation du droit moral et sans rémunération, et tout cela du fait d'un élargissement très grand des exceptions.
Le deuxième point que nous voulons soulever concerne l'article 29.21, l'exception pour les contenus générés par les utilisateurs. L'article 29.21 vise à légaliser l'utilisation de contenus protégés par des usagers qui souhaitent s'en servir, voire les modifier, afin de créer une œuvre nouvelle, diffusée numériquement sans but lucratif.
La volonté du gouvernement de reconnaître une pratique de plus en plus répandue, notamment sur des sites comme YouTube, ignore complètement la notion de droit moral. En effet, nombre de contenus générés par les utilisateurs détournent et trahissent l'esprit des œuvres utilisées, ce que même la mention de la source ne peut réparer. Une telle exception annule le droit de l'auteur à préserver l'intégrité de son œuvre, ce qui est la base des droits moraux.
Par exemple, prenons le phénomène très répandu de la fanfiction, où des lecteurs friands d'une œuvre s'approprient l'univers d'un auteur. Au sens de ces nouvelles exceptions, il y a lieu de croire que les fans auraient plus de latitude et pourraient, oui, bien sûr, rendre des hommages aux auteurs par la nouvelle œuvre qu'ils généreraient, mais pourraient aussi nuire au personnage créé, les détournant pour leur prêter des intentions qui sont loin des leurs.
D'ailleurs, vous savez que les écrivains sont normalement ou souvent contraints, de par leur contrat avec leur éditeur, dans l'utilisation ou l'exploitation de leurs personnages. Or, au sens de la nouvelle exception, il y aurait lieu de croire que les fans auraient ultimement plus de droits dans l'utilisation des personnages que les auteurs eux-mêmes, qui se restreindraient par contrat de toute façon.
Notre troisième et dernier point est celui des redevances pour copies privées. Vous en avez entendu parler dans le domaine musical mais cela touche aussi les auteurs, les écrivains. En fait, les articles 79, 80, 81 et 82 concernent l'absence d'élargissement des redevances pour la copie privée aux nouveaux supports, dont les mémoires numériques, entre autres, qui viennent contredire l'un des objectifs du projet de loi C-11, à savoir la modernisation de la loi.
Au sens de la Loi sur le droit d'auteur, il y a beaucoup d'utilisations numériques qui sont faites des œuvres écrites par les écrivains. Donc si on mettait en place un système de redevance pour copie privé comme celui qui existe pour la musique pour tout ce qui touche aux supports numériques des œuvres écrites, les écrivains pourraient, à ce moment-là, toucher leur juste part.
En conclusion, nous croyons que le nouveau projet de loi détruit le travail d'éducation qui a été fait au cours des dernières années pour sensibiliser le public à l'importance d'obtenir des autorisations et de payer des redevances aux créateurs. Du coup, c'est le peu de santé économique dont disposent les écrivains et les artistes en général qui écope. Merci de votre attention.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je vous remercie de votre présence ici afin de nous éclairer sur le projet de loi C-11. Il y a beaucoup de matière.
Ma question s'adresse peut-être davantage à maître Roy. Un de nos premiers témoins, ce matin, nous disait qu'à cause de la camisole de force dans laquelle nous nous trouvons sur le plan procédural, on ne peut pas légiférer. Est-ce que vous verriez une façon, sur le plan de la réglementation, d'au moins restreindre certains termes ou de les définir afin qu'on puisse finalement partir sur un bon pied?
Mme Roy : Il est vrai que le point des définitions cause beaucoup de problèmes. Nous croyons que la précision des termes via la réglementation serait à privilégier, parce que notre perception est que le seul autre moyen de préciser les termes est par voie judiciaire, ce qui serait très onéreux pour tout le monde.
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous représentez, tous et chacun, beaucoup plus les auteurs québécois, donc en grande partie francophones. Est-ce que vos collègues du Canada anglais ont des opinions semblables? Avez-vous des échanges avec eux? Monsieur Bouchard?
M. Bouchard : J'échange régulièrement avec Greg Nordal de Nelson Education. Monsieur Nordal est sur le conseil d'administration d'Access Copyright. Monsieur Prieur a des échanges, sur une base régulière, avec les autres associations canadiennes d'éditeurs, et puis tout le monde voit le même risque dans le projet de loi.
Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce que les éditeurs, tant francophones qu'anglophones, verront leur matériel mieux protégé lorsqu'ils iront à l'extérieur du pays?
Comment fonctionne la collecte des droits lorsque vous mettez sur le marché un roman par opposition à une œuvre qui serait davantage scientifique? Finalement, si cette œuvre est distribuée pour le Canada anglais aux États-Unis ou pour les Québécois en France, est-ce que la loi canadienne va permettre à nos créateurs de recevoir leur redevance? Est-ce qu'ils vont recevoir la même protection et les mêmes droits que s'ils étaient en France?
En fait, j'aimerais savoir si leurs revenus vont baisser lorsqu'ils sortiront de notre territoire.
M. Prieur : La question est intéressante parce qu'en réalité, dans l'état des choses actuelles — et Mme Roy va me corriger si je me trompe —, sur la question des redevances par les sociétés de gestion collective, nos auteurs et nos éditeurs seraient mieux protégés à l'extérieur du Canada si le projet de loi C-11 est adopté qu'ils ne le seraient au Canada.
Parce que ce qu'on estime avec ce projet de loi, c'est qu'il attaque assez directement le principe des sociétés, la façon dont les sociétés de gestion collective de droit d'auteur, comme Access Copyright, ou comme COPIBEC au Québec, travaillent. Par contre, ils continueraient à percevoir de l'étranger les mêmes redevances qu'ils touchent actuellement. Ils seraient mieux protégés à l'extérieur qu'ils ne le sont à l'intérieur du Canada.
Mme Roy : Comme un des témoins l'a dit, dans le panel précédent, c'est le traitement national. Donc lorsqu'on est dans un pays, c'est la loi de notre pays qui s'applique. Donc les utilisateurs canadiens bénéficient des exceptions en contexte dans la loi canadienne, tandis qu'à l'étranger, c'est la loi nationale.
Il y a justement les traités internationaux qui visaient à uniformiser un minimum de protection. Mais comme d'autres l'ont dit avant moi, du fait que la nouvelle loi, avec ses exceptions, va selon nous en-deçà des critères internationaux, on croit que ce sera problématique, même d'un point de vue politique.
Le sénateur Hervieux-Payette : On a reçu le ministre hier qui ne semblait pas prendre ces inquiétudes au sérieux. Il nous a dit que le gouvernement se conformait à toutes les conventions internationales, que nos auteurs ne perdront pas de revenu. Il n'a pas parlé des sociétés comme les vôtres.
Mais finalement, je ne dis pas que votre existence est totalement menacée, mais je dirais que vos clients, les auteurs, eux le sont.
Mme Roy : Pour ce qui est de l'UNEQ, nous ne sommes pas une société de perception comme COPIBEC, mais nos auteurs, nos écrivains sont bénéficiaires de toutes les sommes gérées par COPIBEC, entre autres.
Je n'ai pas les statistiques en tête spécifiquement pour les écrivains mais si on prend une partie de nos membres, qui sont les écrivains auteurs dramatiques — donc les auteurs de pièces de théâtre qui publient —, leur revenu moyen annuel de revenu lié à leur art, actuellement, est de 5 000 $ par année. On parle de sommes très basses. Si on ajoute des exemptions à tout cela, on met peut-être plus en péril les sociétés de gestion collective que nos syndicats.
Mais d'un point de vue professionnel, puisque nous représentons des auteurs professionnels, si on prend la profession d'écrivain, éventuellement, le professionnalisme va se dissoudre puis la notion de professionnalisme va devenir un peu confuse et inutile aux yeux des futurs auteurs.
Le sénateur Hervieux-Payette : À Paris, actuellement, on joue la pièce Les belles-sœurs. Si cette pièce est présentée maintenant, ou dès le passage de la loi, au Canada et qu'elle est présentée à Paris, est-ce qu'à ce moment-là cela va diminuer les droits de Michel Tremblay?
Mme Roy : Dans un contexte professionnel, il n'y aurait pas de modification, selon moi, parce que c'est une situation contractuelle, c'est un contrat qui est passé directement entre le producteur, qui veut jouer la pièce, et le titulaire des droits, donc Michel Tremblay et ses représentants.
Les problèmes sont surtout liés dans un contexte d'éducation. Donc si on prend Michel Tremblay comme exemple, ses revenus annuels seront assurément diminués, pas en contexte professionnel mais en contexte amateur, en contexte d'éducation.
Avant, si quelqu'un faisait l'adaptation d'une pièce de Tremblay, il devait nécessairement demander une autorisation pour qu'il n'y ait pas dénaturation de ses personnages et il devait payer une redevance. Au sens des nouvelles exceptions, entre autres pour la satire et la parodie, on pourrait modifier des aspects, considérer et plaider qu'il s'agit de satire et de parodie, puisqu'on n'a pas de définition, on n'a pas non plus de pourcentage limité, donc on pourrait prendre le texte, le mettre dans un autre contexte, et alors, on n'aurait pas à payer les redevances, même en contexte professionnel.
Le sénateur Hervieux-Payette : C'est à l'avantage de qui, finalement? Entre vous et moi, il y a quelqu'un qui profite de cela, qui en tire un avantage. Les recteurs d'université n'auront pas un meilleur salaire parce qu'ils vont arrêter de payer des redevances.
Alors qui est le grand bénéficiaire? Je vois un grand perdant qui serait l'auteur, mais je ne vois pas qui fera tant d'argent.
On ne parle pas de milliards de dollars ou de beaucoup de millions de dollars, mais ce sont des sommes importantes pour les créateurs. Qui va bénéficier de cela? Permettez-moi le terme québécois, qui peut être aussi « chiche » avec nos créateurs?
M. Bouchard : Je vous dirais que vous avez raison et, de mon côté, je vois un autre risque. L'auteur Michel Tremblay est très étudié dans nos établissements d'enseignement; on pourrait reproduire une de ses œuvres sans rémunération et sans autorisation pour l'utiliser en classe. C'est une perte de revenus pour lui et une perte de revenus potentielle pour l'éditeur. C'est vrai pour tous les éditeurs qui font de la littérature.
Quand une œuvre est choisie pour une étude en classe, cela fait une grande différence dans les résultats de l'entreprise. Un éditeur de manuels scolaires comme l'entreprise à laquelle j'appartiens, Modulo et Nelson éducation, peut voir ses œuvres reproduites plutôt qu'achetées. Le retour sur l'investissement chute ainsi considérablement. Il en coûte entre un million et un million et demi de dollars pour développer une ressource didactique. Nous devons acheter des droits pour les photos et les textes. Monsieur Tremblay figure dans plusieurs de nos documents. Il y a une perte de revenus potentielle. Le risque, c'est que les gens vont cesser d'investir et nous serons obligés d'utiliser des œuvres étrangères, des manuels scolaires produits à l'étranger.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Monsieur Bouchard, dans votre exposé, vous avez dit quelque chose que je n'ai pas vraiment compris. Vous parlez de la moitié d'un pour cent, et je ne sais pas s'il était question de droits pour les auteurs ou d'un autre aspect. Qu'en est-il?
M. Bouchard : Cela fait référence à la question du sénateur Hervieux-Payette, soit ceux qui tirent profit de l'exception. Actuellement, dans notre système d'éducation au Canada, cela représente la moitié d'un pour cent des dépenses annuelles. C'est une somme de 70 millions de dollars.
Le sénateur Moore : Est-ce que les auteurs reçoivent cette moitié d'un pour cent, ou 70 millions? Est-ce bien ce que vous dites?
[Français]
M. Bouchard : Je vais continuer en français. Il y a le revenu pour les droits qui sont perçus, mais il y a le risque de ne pas vendre l'œuvre. Si l'œuvre peut être reproduite, même en partie, sans autorisation ni rémunération, pourquoi acheter l'ouvrage original?
Pour un auteur de romans, on pourrait tout simplement utiliser les copies et ne jamais rémunérer l'auteur ou l'éditeur. Dans le cas des manuels scolaires, c'est encore plus facile. Un manuel de géographie est un manuel de géographie, donc on peut reproduire des extraits et les utiliser sans acheter le manuel. C'est un risque. C'est un risque aussi pour la qualité de l'éducation de nos jeunes.
Si on met entre leurs mains des reproductions et non pas l'œuvre complète, dans les milieux socialement défavorisés, par exemple, les milieux dans lesquels les parents ne parlent pas la langue du pays, si les enfants n'ont pas un manuel scolaire à rapporter à la maison, ils auront de la difficulté à se préparer pour réussir leurs cours.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je suis très intéressé par vos commentaires, madame Roy, concernant les droits moraux. J'aimerais que vous nous expliquiez ce que cela veut dire. Vous avez aussi dit qu'un satiriste ou un humoriste pourrait prendre une œuvre, la retravailler et la dénaturer. Ce serait un désastre pour un auteur sérieux. Veuillez nous expliquer ce que vous entendez par les droits moraux et la dénaturation d'un ouvrage.
[Français]
Mme Roy : Actuellement, le droit moral n'est pas modifié en soi dans la loi. Il comprend le droit à la paternité — donc le droit de voir son nom associé à son œuvre — et le droit à l'intégrité de l'œuvre, donc de ne pas voir son œuvre modifiée sans son consentement, dans la mesure où cela ne porterait pas atteinte à la réputation.
De petites modifications sont déjà permises. Ce qui ne touche pas la réputation est permis parce qu'on a un droit moral souple pour permettre aux gens de fonctionner. Cependant, par l'ajout de satire et de parodie, cela laisse entendre qu'on pourrait aller au-delà du droit moral et du coup, on pourrait considérer qu'il s'agit d'une satire ou d'une parodie, en modifiant une œuvre sans demander l'autorisation et ainsi porter atteinte à la réputation en toute légalité — en modifiant les personnages, en modifiant la vocation des personnages.
Imaginons un personnage idéaliste et droit et que l'on fasse de lui un militant nazi, on pourrait ainsi porter un dur coup au droit moral.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Cela changerait complètement la nature et le contexte de l'ouvrage.
[Français]
Mme Roy : Tout à fait. Considérer qu'il s'agit d'une satire ou d'une parodie, on comprend que ça doit être lié à la liberté d'expression. Le législateur considérait peut-être que c'était ce qui sous-tendait la nécessité d'incorporer cela, on ne le sait pas, mais peu importe, notre crainte est vraiment que cette catégorie qui n'est pas définie — la satire et la parodie — soit interprétée de façon tellement vaste, que même quelque chose qui n'est pas, de façon conventionnelle ou usuelle, considéré comme de la parodie, on peut s'en sortir sans avoir à demander l'autorisation.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Encore une fois, bien des aspects ont été soulevés, tout comme avec le précédent groupe. Par contre, que perdez-vous exactement? Vous avez parlé des ouvrages pédagogiques. Quelle sera la différence dans l'achat d'un tel ouvrage par un étudiant ou un professeur qui le recommande? De quoi avez-vous peur? Craignez-vous qu'ils distribuent des copies de deux ou trois chapitres? De quoi avez-vous donc peur? Cela occasionnerait une diminution des recettes.
M. Bouchard : C'est exactement ça.
[Français]
Notre crainte, c'est qu'on va faire l'achat d'une copie de la ressource. On va faire des copies pour utilisation en classe et pour diffusion. À l'aide des tableaux blancs, on peut reproduire sous forme numérique pour des projections. On peut ensuite inclure cela dans un course pack numérique, le distribuer aux étudiants sans aucune rémunération pour les auteurs ou pour la maison qui a développé l'ouvrage.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Parlez-vous d'un livre numérique ou d'un livre papier?
[Français]
M. Bouchard : Je parle d'un livre papier parce qu'il ne peut être protégé avec des verrous. C'est extrêmement facile de convertir un ouvrage papier en format numérique à l'aide d'une imprimante bon marché achetée chez Bureau en Gros.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Un professeur achète un ouvrage pédagogique de 200 ou de 300 pages. En fera-t-il des copies pour tous ces étudiants? Croyez-vous que c'est ce qu'il fera?
[Français]
M. Bouchard : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Ne serait-ce pas illégal?
[Français]
M. Bouchard : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Quel est donc le problème? Je ne sais pas ce qui se passerait, mais cette personne violerait la loi.
[Français]
M. Bouchard : Présentement, dans la loi, la définition d'usage équitable en matière d'éducation est ouverte. Tantôt, je disais que l'Association des professeurs d'université du Canada croit que l'utilisation équitable en matière d'éducation, c'est reproduire une portion substantielle d'un ouvrage.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Croyez-vous que les tribunaux l'interpréteraient ainsi? En êtes-vous certain? C'est ce qu'ils croient, mais ce n'est pas ce que vous croyez. Je crois aussi que c'est mal. Si vous copiez une partie substantielle d'une œuvre, vous pouvez être poursuivi devant les tribunaux.
[Français]
M. Bouchard : En ce moment, ce n'est pas défini dans la loi. Dans le jugement qui a été porté dans l'affaire CCH, on ne considère pas que nuire à la vente d'un manuel, c'est nécessairement un usage inéquitable, une reproduction inéquitable. Il y a donc un cas en ce moment qui fait jurisprudence au Canada.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : La Cour suprême n'a pas dit qu'on pouvait faire des copies d'un livre et les distribuer à ses étudiants; ce serait une violation du droit d'auteur. Elle a dit que la copie de deux ou trois pages d'une œuvre en vue de les distribuer à d'autres personnes est en fait une utilisation équitable. La Cour suprême n'a pas accordé d'exception relativement à l'acte illégal de faire des copies d'un livre, soit une tâche colossale, et quelqu'un doit payer pour cela. Je ne peux pas imaginer qu'un professeur puisse faire 20 ou 30 copies d'un ouvrage.
Pourquoi serait-ce illégal de le faire?
[Français]
M. Bouchard : Le jugement de la Cour suprême dit que de nuire au modèle économique de l'ouvrage ce n'est pas une raison suffisante pour interdire la reproduction. Ensuite, l'Association canadienne des professeurs d'université prétend que l'usage équitable en matière d'éducation, c'est reproduire une partie substantielle de l'œuvre.
Finalement, on a une opinion du Barreau du Québec qui dit, qu'en ce moment, la loi ne précise pas suffisamment clairement ce qu'est un usage équitable en matière d'éducation. On devrait s'en remettre aux tribunaux. Ce sera très long, très coûteux, très complexe à résoudre.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Son argument ne me convainc pas, mais c'était néanmoins très intéressant.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup de votre exposé. Il semble mettre l'accent sur un seul mot, c'est-à-dire « éducation ». Vous dites qu'en France, les autorités ont soustrait les ouvrages pédagogiques et qu'il est interdit d'en faire des copies.
Je crois comprendre que le problème ne se situe pas vraiment dans la loi, mais bien dans son application, n'est-ce pas? C'est une utilisation équitable, comme le sénateur Tkachuk le disait. Si un professeur fait une copie d'une ou deux pages d'un ouvrage de 400 pages pour ses étudiants, c'est une utilisation équitable. Cependant, si je fais une copie de l'ensemble de l'ouvrage, ce n'est pas du tout la même chose. Ce n'est pas une utilisation équitable. Comme le sénateur le disait, c'est déraisonnable.
[Français]
M. Bouchard : Si je suis un auteur, si je suis professeur dans une université et j'ai travaillé deux ans à développer un ouvrage utilisé en classe, pour moi ce n'est pas plus inéquitable de me rémunérer pour deux pages reproduites. Si le travail a été fait, pourquoi est-ce qu'on peut l'utiliser sans le rémunérer? C'est une notion qui m'échappe complètement.
M. Prieur : Une dimension à ne pas oublier, c'est qu'on parle de livres imprimés. La nouvelle donne actuellement, c'est l'éducation numérique. Vous le savez, si vous avez un livre numérique entre les mains, c'est pas mal plus facile de le retransmettre à tout le monde. Vous n'avez pas besoin de recopier. Vous pouvez même à la limite numériser, on dit en anglais scanner un livre et le rendre disponible à tout le monde. On entre dans une ère du numérique aujourd'hui où il va être de plus en plus facile de transmettre les savoirs et de ne pas avoir une capacité de contrôler comment ils sont transmis.
Dans le cas de l'éducation, il y a deux principes : un principe de redevance que les sociétés de gestion collective perçoivent auprès des ministères de l'Éducation, des universités et des collèges pour l'utilisation de matériel, de livres. Les auteurs sont rémunérés en conséquence, mais il y a aussi le principe des livres qu'on achète et qu'on distribue aux élèves. Au Québec dans la Loi sur l'instruction publique, on stipule que pour le primaire et le secondaire, c'est un livre par élève par matière. Mais si on entre dans l'ère maintenant de pouvoir rendre tous ces ouvrages disponibles en petite quantité, priver les producteurs, quand on parle de recherche et de développement, les éditeurs scolaires sont ceux qui contribuent en argent à faire de la recherche et du développement à développer ces textbooks comme vous le mentionniez pour, à la limite, voir qu'il y aura très peu de revenus en fin de compte parce qu'on va très peu en acquérir et très peu l'utiliser. Il faut le voir aussi à l'ère du numérique. C'est ce qui est un peu compromettant dans le projet de loi.
[Traduction]
Le sénateur Harb : Selon moi, c'est une réaction un peu exagérée. La présente loi prévoit l'utilisation équitable à des fins d'étude privée ou de recherche. La loi actuelle dit clairement que ce n'est pas une violation du droit d'auteur. Le seul ajout est le mot « éducation », et il est toujours question d'utilisation équitable.
Pourquoi dites-vous que la copie d'une page d'un ouvrage qui en compte 300 n'est pas une utilisation équitable?
[Français]
M. Prieur : Premièrement, je ne veux pas jouer avec les mots, mais il faudrait d'abord définir le mot « éducation ». Ce n'est pas clair dans la loi. Qu'est-ce qu'on entend par « à des fins d'éducation »? Est-ce un cours privé? Un cours de conduite? Beaucoup d'éléments dans cette loi laissent place à beaucoup d'interprétation. Copier une ligne, copier une page, on n'a pas d'objection. Là n'est pas le principe. Le principe, c'est l'œuvre complète. Lorsque les professeurs d'université parlent de « portion substantielle d'une œuvre », quelle en est la définition d'après vous?
Le sénateur Harb : On se comprend.
Mme Roy : L'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur actuelle précise que le contrôle de l'auteur, son monopole, concerne la partie importante. Cela demeure en vigueur. L'exception, qui est l'article 29, dit qu'on a le droit de prendre une partie importante dans un contexte de fins privées d'étude et de recherche. On devait mettre justement la référence.
Tandis qu'ici, en ajoutant « à des fins d'éducation », cela veut dire qu'on peut reprendre une partie importante « à des fins d'éducation » sans demander l'autorisation. C'est là où on en vient. C'est là où l'exception est beaucoup trop large. Il y a déjà un bon système en place. Les sociétés de gestion rendent la vie facile aux universités, aux écoles. Tout est déjà en place. En ce sens, il y a vraiment une perte pour les éditeurs et les auteurs qui vont vraiment perdre ces sommes qui leur étaient payables.
L'autre point que je voulais soulever, c'est lorsqu'on parle du manque de précision du terme « éducation ». Quand on pense à l'éducation, on pense automatiquement au contexte scolaire, tant mieux. Mais « éducation », est-ce que moi, en tant que parent, si je me mets à reproduire des livres de bibliothèque et que je m'en fais une bibliothèque et qu'après je fais un usage de tout cela et on ajoute à cela les exceptions numériques qui permettent les diffusions d'œuvres numériques aux utilisateurs, peut-on en venir à une interprétation « pour des fins éducatives »? Ce sont des livres d'enfants, est-ce qu'on est aussi en contexte d'éducation? On se pose la question et on n'a pas la réponse à ce stade-ci.
Le sénateur Harb : Pour moi, il y a deux choses : la loi et l'application de la loi. Prenons la loi : si un professeur veut reproduire une ou deux pages d'un livre, c'est fair dealing, vous n'y voyez pas de problème.
Mme Roy : Il y a des sociétés de gestion qui s'en occupent.
Le sénateur Harb : Si j'étais à votre place, c'est mon opinion, je saisis l'occasion, aussitôt que ces lois sont adoptées avec ou sans amendements, pour m'asseoir avec l'administration qui mettra en place le régime des règlementations. C'est là où vous pouvez mettre les points sur les « i ». Qu'on définisse « fair dealing » lorsqu'on parle d'éducation. Ça va?
Mme Roy : Oui. C'est certain. Nous serions disponibles pour y aller.
[Traduction]
Le président : Voilà qui met fin à la première série de questions. J'ai une question pour la deuxième série. Sénateur Tkachuk, s'il vous plaît.
Le sénateur Tkachuk : Que faites-vous actuellement? Si un professeur veut faire une copie de quelques pages et les distribuer à ses étudiants, que faites-vous?
[Français]
M. Bouchard : Les écoles, les commissions scolaires et les ministères de l'Éducation partout au pays versent aux sociétés collectives de gestion comme Access Copyright et COPIBEC un montant par élève inscrit dans le système scolaire. De cette façon, chaque fois qu'on fait une reproduction, qu'on l'enregistre, les sommes perçues par les sociétés collectives de gestion sont redistribuées aux ayants droit.
Quand on reproduit une ou deux pages sur 300, l'usage équitable est de rémunérer la personne qui a travaillé sur ces deux pages. Si elles sont utiles dans la classe c'est que le travail de l'auteur l'a été aussi. Il est juste de rémunérer l'auteur. Aujourd'hui cela existe avec le système des sociétés de gestion collective.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Si quelques copies sont faites, les sociétés collectives reçoivent actuellement un chèque du ministère de l'Éducation leur disant que c'est pour dédommager les auteurs ou les maisons d'édition. C'est ce qui se passe actuellement. Avec l'adoption du présent projet de loi, que se passera-t-il? Recevrez-vous encore un chèque, ou cette pratique disparaîtra-t-elle? Devrez-vous vous rendre dans les universités pour avoir votre argent?
[Français]
M. Bouchard : Les universités se sont retirées d'Access Copyright puisqu'il y a le projet de loi C-11. Les droits maintenant à l'éducation sont un usage équitable. On n'a plus besoin de payer. Les universités se sont retirées et on utilise le matériel déjà. Le projet de loi n'est pas adopté que déjà on nous laisse voir...
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : La Cour suprême dit qu'ils le peuvent.
Le sénateur Moore : Pas exactement.
Le sénateur Tkachuk : La Cour suprême dit qu'ils peuvent utiliser le matériel.
Le sénateur Moore : Pas exactement.
Le sénateur Tkachuk : Je pose tout simplement la question. S'ils s'en servent actuellement et que le projet de loi n'est pas encore entré en vigueur, rien ne les empêche de le faire.
[Français]
Mme Roy : La Cour suprême ne s'est pas penchée sur la question dans le contexte de l'éducation. Elle s'est penchée sur la question pour fins d'étude et de recherche. C'était dans ce contexte.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Je dis seulement que c'est improbable que des universités volent des ouvrages. Je ne partage donc pas vos inquiétudes. Si les universités le font, nous avons un gros problème de société qui va bien au-delà de cette loi. C'est certain.
Le président : Merci, sénateur Tkachuk. Le sénateur Moore a une dernière question.
Le sénateur Moore : Merci, monsieur le président.
Hier et aujourd'hui, nous avons entendu beaucoup de gens dire que cet enjeu se dirige tout droit devant les tribunaux.
Je vais lire l'article 29. C'est très court, mais c'est dans les petits pots qu'on retrouve les meilleurs onguents. L'utilisation équitable d'une œuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins d'étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d'auteur. Ensuite, il y a la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire CCH. Les facteurs suivants aident à déterminer si une utilisation est équitable : le but de l'utilisation, soit l'éducation; la nature de l'utilisation; l'ampleur de l'utilisation, c'est-à-dire la question de la page par rapport à l'ensemble de l'œuvre; et la nature de l'œuvre, soit la parodie. Une personne pourrait prendre des ouvrages sérieux et essayer de les dénaturer sans consulter a priori l'auteur et sans le dédommager. Il y a aussi les solutions de rechange à l'utilisation et l'effet de l'utilisation sur l'œuvre, ce qui revient à votre exemple concernant la parodie. Ce problème se dirige tout droit devant les tribunaux si nous n'apportons pas de correctifs.
Le président : Merci, monsieur. Voilà qui met fin aux séries de questions pour les témoins.
Le sénateur Tkachuk : Très intéressant.
Le président : Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie profondément de votre présence. Vous nous avez été d'une aide très précieuse.
(La séance est levée.)