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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 23 - Témoignages du 22 juin 2012 - réunion de l'après-midi


OTTAWA, le vendredi 22 juin 2012

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur se réunit aujourd'hui, à 13 heures pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, hier après-midi le Sénat a renvoyé le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur au comité pour qu'il en étudie la teneur. Peu après, nous avons commencé l'examen du projet de loi en entendant les témoignages des ministres responsables. Ce matin, nous avons entendu quatre groupes d'intervenants et d'experts dans ce domaine. Cet après-midi, nous poursuivons notre étude en accueillant trois autres groupes de témoins.

Pendant la première partie de la séance, nous sommes heureux d'accueillir trois témoins qui ont de l'expérience et une expertise dans le domaine. Nous recevons l'écrivaine Sylvie Desrosiers et deux avocats, Francine Bertrand-Venne et Barry Sookman, qui comparaissent tous à titre personnel.

Chers collègues, nous disposons d'une heure pour la première partie de la séance. Nous entendrons d'abord Mme Desrosiers, ensuite Mme Bertrand-Venne et finalement M. Sookman, avant de leur poser des questions.

Mme Desrosiers, la parole est à vous.

[Français]

Sylvie Desrosiers, écrivaine, à titre personnel : Mesdames, messieurs, je suis ici à titre personnel en ma qualité d'écrivain de métier. J'ai écrit 40 romans, gagné des prix dont celui du Gouverneur général, et vendu quelques centaines de milliers de livres. J'écris principalement pour la jeunesse.

Je voudrais tout d'abord vous lire une courte lettre que j'ai reçue le 12 juin dernier.

Chère Madame Desrosiers,

Nous sommes une classe de 3éme année en immersion française à l'École J.H. Sissons à Yellowknife. Nous avons beaucoup aimé ton livre « Au revoir Camille ». Ça nous a énormément touchés. C'est un livre triste, mais en même temps très comique. Nous avons aimé la partie où la petite sœur pose beaucoup de questions à Thomas à propos de la mort. Les personnages sont très réalistes et intéressants. Ils nous ressemblent beaucoup ! Nous avons aussi compris, pour la première fois, les sentiments que l'on éprouve quand un ami va mourir. Nous avons compris que lorsqu'un ami qu'on aime meurt, il vit toujours dans notre cœur.

Alors, merci beaucoup d'avoir écris ce livre. C'était notre roman de classe préféré cette année.

Mes lecteurs sont des jeunes de tous les niveaux scolaires. Les choses se passent ainsi. Pour faire un chiffre rond, un exemplaire de Au revoir Camille coûte 10 dollars. Pour chaque exemplaire vendu, je recevrai 90 sous. C'est mon droit d'auteur.

Je ne reçois pas de salaire pour écrire. Je reçois 90 sous par exemplaire vendu qui seront comptabilisés du 1er janvier au 31 décembre. Au printemps suivant, je toucherai ce qui m'est dû.

Où vont les 9,10 $ qui restent? Un pourcentage ira à l'illustrateur. Un autre, autour de 45 p. 100, ira à l'éditeur qui doit payer ses salaires et ses bureaux; à une foule de gens de l'édition — à l'imprimeur, à la numérisation — qui fabriqueront l'objet qu'est le livre, que ce soit en version papier ou numérique.

Ensuite, 15 p. 100 ira aux distributeurs ou à l'entrepôt numérique où les livres sont déposés. Représentants, chauffeurs et gestionnaires s'acquitteront de la diffusion. Enfin, le libraire prendra 40 p. 100 pour couvrir les frais de location, de personnel, les frais de chauffage, et cetera. Tous ces gens travaillent parce qu'un écrivain a pris le risque d'écrire une histoire.

Je dis « le risque » parce qu'il est le seul, je le répète, à ne pas recevoir de salaire. Si je vends 100 exemplaires, je recevrai 90 $. Si j'en vends 1 000, je recevrai 900 $, et ainsi de suite.

Or, mes lectrices et mes lecteurs, mon public, mes acheteurs, sont en majorité les écoles, les élèves et les étudiants.

L'exception en éducation, comprise dans la nouvelle loi, fera en sorte qu'une école pourra acheter un seul exemplaire et en faire un nombre infini de copies, s'il s'agit de papier, et s'il s'agit de versions numériques, il en sera de même. Je gagnerai donc 90 cents pour qu'une école au complet ait accès à mon livre.

On m'objectera que les livres numériques protégés par des verrous ne seront pas assujettis à la loi! Ce qui m'amène à parler de l'utilisateur dont la loi veut tenir compte. L'utilisateur déteste le verrou et n'achètera pas. D'un côté comme de l'autre, je perdrai. Je tiens à préciser que l'accès gratuit aux livres est déjà assuré par un formidable réseau de bibliothèques publiques.

J'ai toujours vécu de mon écriture, de mon droit d'auteur, et dans ce nouveau contexte, je ne pourrai plus le faire. Ce sera le cas de bien d'autres écrivains. Cela aura des conséquences sur toute l'industrie. Que vendront-ils?

Bien sûr, il y aura toujours des gens qui écriront, mais ils devront pratiquer un autre métier, comme c'est la plupart du temps le cas. Mais je crois sincèrement que les enfants ont droit à des livres de grande qualité qu'on n'écrit qu'avec le temps, l'expérience et le talent, comme Au revoir, Camille! que ces enfants de Yellowknife ont tant aimé. En définitive, je crois qu'il n'y aura que des perdants si l'exception en éducation reste. En tout cas, moi, je devrai songer à changer de métier et n'écrirai plus d'autres Au revoir, Camille! Vous savez, ce n'est pas la grammaire qui apprend aux enfants à aimer la lecture, ce sont les bons romans.

Je termine. Si on disait à un producteur de lait : pour favoriser l'accès au lait dans les écoles, nous vous paierons pour une bouteille, les autres devront être fournies gratuitement. Comme réagirait-il? Il crierait « au vol! ». Je suis un entrepreneur, comme lui. Il vend du lait, moi des histoires.

Dans l'expression « propriété intellectuelle », il y a le mot « propriété » qui, il me semble, est un droit inaliénable. Merci.

Francine Bertrand-Venne, avocate, à titre personnel : Il me fait plaisir de me présenter ici à titre personnel, malgré une expérience de 20 ans en droits d'auteur. J'ai occupé plusieurs postes qui m'ont amenée à considérer plusieurs points de droit de la Loi sur les œuvres.

J'aimerais mettre en lumière aujourd'hui l'exception de l'éducation comme étant un empiètement sur la compétence exclusive des provinces en matière d'éducation. Non seulement l'exception n'est pas reliée aux établissements d'enseignement, mais nous n'avons aucune indication dans ce projet de loi à savoir que voudra dire le mot « éducation ». Quelle sera l'ampleur de cette exception? Il est permis de croire que cette exception empêchera, jusqu'à un certain point, des ministres provinciaux — nommément ceux de Québec, qui, de quelque parti politique qu'ils soient, ont toujours joué de la chaise vide quand il s'agissait de réclamer des exceptions dans leur Loi du droit d'auteur — voulant soutenir la culture de langue française et voulant aussi considérer que le marché est assez restreint en matière linguistique française. Cet empiètement dans une compétence provinciale pourrait empêcher un ministre de la Culture du Québec, par exemple, d'exercer ses pleines compétences.

La Cour suprême, dans l'arrêt Lacombe, nous parlait récemment de la règle des effets accessoires, et je la cite :

[...] la règle des effets accessoires s'applique lorsque, de par son caractère véritable, une disposition relève de la compétence de l'organisme qui l'adopte, mais touche un domaine de compétence attribué à l'autre ordre de gouvernement.

Selon cette règle, on ne pourrait pas conclure à l'invalidité de la disposition, mais on peut se poser la question.

Il est très important de comprendre que le droit d'auteur est un droit de l'homme. Jusqu'à maintenant, les exceptions concernant les établissements d'enseignement, si on regarde spécifiquement les articles 29 et 29.1, on pouvait comprendre de la loi actuelle que les exceptions concernaient l'être humain : l'étudiant qui faisait une recherche, une étude privée, un compte rendu ou une critique.

Quant aux établissements d'enseignement, les exceptions étaient aussi restreintes à certaines utilisations très archaïques, pourrait-on dire maintenant — puisqu'on parlait d'un rétroviseur dans une classe, l'exécution publique sur un rétroviseur. Il est donc important de comprendre que le législateur, jusqu'à maintenant, avait offert une contrepartie d'exception à un droit de l'homme, à un individu qui est un étudiant. Par contre, quand on ouvre à l'éducation, on peut, avec aucune définition et aucun encadrement à l'éducation, prétendre que l'école de karaté du coin de la rue, qui est à but lucratif, pourrait être perçue comme étant un utilisateur exempté de paiement du droit d'auteur.

Et ne croyez pas que c'est banal puisqu'à l'intérieur même de la loi actuelle, il y a énormément de controverses. D'ailleurs, dans la décision d'Access Copyright, je vous ferai remarquer que la décision n'est portée à la Cour suprême que sur les copies d'examen.

Il est quand même intéressant de penser que la loi actuelle, vous me direz que c'est très pointu, mais je vous citerai comme exemple le nombre de photocopies qui se faisaient dans les écoles et c'était assez exhaustif.

À l'origine, il se faisait 10,3 milliards de photocopies dans les écoles canadiennes, excluant le Québec. Le Québec n'était pas partie de la décision d'Access Copyright. Et finalement, il n'y avait que 250 millions de copies qui étaient protégées en vertu du droit d'auteur.

Donc, il est important pour moi de vous dire que l'éducation a une portée constitutionnelle inquiétante, qu'elle est immensément large. Elle pourra inclure des gens qui ne sont pas visés. Ici, je veux vous faire une remarque. Je ne crois pas que l'intention du législateur, quand il dit « éducation » soit un but noble. L'éducation, j'en conviens, en tant que citoyenne canadienne, c'est un but noble. Vous saurez comme moi que les humains interprètent les bonnes valeurs nobles souvent d'une façon dérogatoire.

Si l'éducation est si noble, pourquoi donc payons-nous les professeurs?

Lors de la comparution d'un grand économiste, lors de la session d'Access Copyright, M. Marcel Boyer est venu nous expliquer que le droit d'auteur n'était qu'une convention sociale, d'une rémunération à des auteurs. C'est une convention sociale.

Si demain matin, on décidait qu'on payait les auteurs de la même manière que les professeurs, il en serait ainsi. Il y aurait négociation, probablement d'une autre manière et sous une autre forme; on pourrait penser, syndicalement parlant. Mais nous avons choisi le droit d'auteur comme société pour permettre à Mme Desrosiers et à ses collègues, le jour où ils décident décrire un livre, dès aujourd'hui, et même vous, honorables sénateurs, si vous décidez d'écrire un livre aujourd'hui, vous êtes soumis à la Loi sur le droit d'auteur et vous recevrez des droits d'auteur.

Il est important de comprendre. Je pourrais vous parler de bien d'autres choses dans la loi, mais je sentais aujourd'hui l'obligation de vous parler de l'éducation en matière constitutionnelle parce qu'elle empiète carrément sur les compétences provinciales. Parce que, si on voulait être exégète, les établissements d'enseignement c'est déjà un empiètement, mais comme les exceptions étaient circonscrites à des gestes très précis, ce qu'on voit ici, c'est immensément plus grave, plus grand, plus large, et un potentiel d'absence d'exercice de certains ministres de la Culture provinciaux quant à leur volonté de bien rémunérer leurs auteurs.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Sookman, vous avez la parole.

Barry Sookman, associé, McCarthy Tétrault : J'aimerais remercier le comité de m'avoir invité aujourd'hui pour participer à ses travaux sur le projet de loi C-11.

Avant de faire ma déclaration, j'aimerais vous donner quelques renseignements me concernant. Je suis un associé principal au cabinet d'avocats McCarthy Tétrault. Je suis professeur auxiliaire en droit de la propriété intellectuelle à l'Osgoode Hall Law School. Je suis l'auteur de cinq ouvrages, dont un traité de fond en six volumes sur le droit informatique et Internet. Cela fait plusieurs décennies que je m'occupe, dans le cadre de mon exercice du droit, de questions de propriété intellectuelle pour des auteurs, des utilisateurs et des intermédiaires.

Je vous dis cela pour que vous sachiez que je ne considère pas ces questions importantes d'un point de vue seulement académique mais aussi de celui de quelqu'un qui connaît l'incidence sur l'économie numérique des lois actuelles sur le droit d'auteur.

Je comparais ici à titre personnel et non pas pour représenter mes clients.

Mesdames et messieurs les sénateurs, le projet de loi offre un certain nombre d'éléments importants pour faire entrer le Canada dans le XXIe siècle. Il renferme les modifications requises par les traités de l'OMPI. Il offrira aux auteurs canadiens des normes de protection du droit d'auteur dont jouissent les industries de la création de par le monde.

Le nouvel article habilitant donne aux auteurs de nouveaux moyens de mettre fin aux activités des sites de piratage qui facilitent le vol massif des contenus en ligne. C'est une loi-cadre très importante qui aidera le Canada à être un leader dans le domaine de l'économie numérique.

Le projet de loi protège aussi les intermédiaires Internet des obligations imposées par le droit d'auteur dans les cas où ils pourraient être tenus techniquement responsables de contrefaçon. Il légalise aussi certaines utilisations individuelles de contenus tels que le changement de support et la diffusion en différé.

Lors de ma comparution au Comité législatif de la Chambre des communes chargé de l'étude du projet de loi, j'ai attiré l'attention du comité sur le fait que le projet de loi nécessitait quelques modifications techniques afin d'assurer l'atteinte des objectifs fixés par le gouvernement. Le comité a apporté des modifications importantes et nécessaires visant à clarifier le projet de loi.

Certaines de ces modifications visaient à préciser que l'article habilitant s'appliquerait à tous les sites qui facilitent la commission de violations; à assurer que les sites de piratage visés par la disposition habilitante ne pourraient pas se réfugier derrière les nouvelles dispositions que renferme le projet de loi et relatives à l'exonération de responsabilité et à assurer que ces sites de piratage puissent être tenus de verser les dommages-intérêts nécessaires pour dissuader les violations commises à des fins commerciales.

Mesdames et messieurs les sénateurs, les mesures techniques de protection, ou MTP, sont un élément très important du projet de loi. Pour souligner le fait qu'elles frustrent les efforts de ceux qui veulent utiliser le contenu, on les désigne souvent de serrures numériques.

En fait, au grand bénéfice des consommateurs et des propriétaires des contenus, les MTP permettent d'accéder au contenu. La protection juridique des MTP viendra soutenir les offres actuelles et futures de produits et services innovateurs recherchés par les consommateurs, notamment les services d'abonnement de lecture en continu de musique tels que Slacker Radio, Spotify et SIRIUS; de lecture en transit de fichier visuel comme Netflix et YouTube, dont vous avez sans aucun doute entendu parler; et de distribution de logiciels de divertissement et de films.

Il y a des décennies que les MTP sont protégées par la loi dans l'Union européenne, en Amérique du Nord, en Asie et à travers le monde. En fait, 89 pays, y compris tous les principaux partenaires commerciaux du Canada, sont des parties contractantes du Traité sur le droit d'auteur de l'OMPI. Nos principaux partenaires commerciaux utilisent la protection juridique des MTP en soutien aux nouvelles offres de services numériques innovateurs.

Le comité législatif a reçu des propositions — notamment celles présentées par Michael Geist qui a comparu ce matin au comité — qui affaibliraient sensiblement la protection juridique des MTP. Ses propositions ont été attentivement étudiées par M. Ficsor qui était directeur général adjoint de l'OMPI à l'époque de la promulgation du traité de l'OMPI. Il a conclu que les principales propositions formulées par le professeur Geist iraient à l'encontre des exigences énoncées dans le traité. J'ai remis au greffier une copie du document exhaustif de cette étude.

Le besoin d'exceptions spécifiques a également suscité des préoccupations. Le projet de loi renferme des exceptions expresses dans les dispositions relatives aux MTP. En outre, et il est important de comprendre ce qui va suivre, le projet de loi offre de vastes pouvoirs pour créer par voie réglementaire de nouvelles exceptions. Par conséquent, la protection juridique des MTP dans le cadre du projet de loi ne devrait soulever aucune préoccupation.

Le projet de loi prévoit un examen obligatoire. C'est une bonne mesure car la technologie progresse rapidement et peut poser des problèmes imprévus. Cette mesure est également bonne parce que plusieurs problèmes liés au projet de loi doivent être suivis de près. J'en soulignerai deux.

Le contenu généré par l'utilisateur en est un. L'exception vise à permettre à une personne d'utiliser un contenu pour créer une vidéo domestique ou un collage de vidéoclips.

Comme je l'ai souligné dans ma déclaration devant le comité législatif, l'exception est si vaste qu'elle violerait vraisemblablement les obligations du Canada en vertu de l'ADPIC de l'OMC avec ce que l'on appelle à l'échelle internationale le test en trois étapes.

La proposition d'ajout de l'éducation à la liste actuelle des activités visées par l'utilisation équitable pose un autre problème potentiel. Les documents d'information du gouvernement indiquent que les utilisations autorisées ne peuvent influer négativement sur le marché d'une œuvre; pourtant, rien ne garantit que cela se puisse se produire. Ce point a été soulevé au comité législatif, notamment par les professeurs Agostino et Gendreau, deux éminents professeurs en droit de la propriété intellectuelle.

Je remercie le comité de m'avoir invité à comparaître. J'envisage avec plaisir de répondre à vos questions sur ma déclaration ou autre chose.

Le président : Je remercie les témoins pour leurs déclarations préliminaires. Nous passons directement aux questions.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Je pense qu'on va courir à la librairie en fin de semaine pour acheter votre livre Au revoir Camille. J'ai l'impression qu'on va tous en profiter et mieux comprendre votre témoignage. J'admire les personnes qui essaient de vivre de leur plume. Il faut beaucoup de courage et j'ai des amis dans ce domaine et s'ils n'avaient pas travaillé ailleurs et amassé quelques sous, ils n'auraient peut-être pas trois repas par jour.

Lorsque le ministre a comparu, il nous a dit que nous ne devions pas nous en faire, que les protections étaient en place, que les auteurs ne seraient pas discriminés et que la loi était équitable.

Ou bien le ministre ne comprend pas sa loi ou c'est vous qui l'interprétez mal. En tant que législateur, on a de la difficulté à comprendre l'esprit du législateur. Madame Bertrand-Venne êtes-vous avocate?

Mme Bertrand-Venne : Oui.

Le sénateur Hervieux-Payette : Cela me facilite les choses. Nous avons entendu ce matin plusieurs groupes dont le travail est de gérer les droits d'auteur. Nous avons demandé à Mme Desrosiers si elle est satisfaite de ce genre de gestion et si jusqu'à maintenant, cette gestion était faite de façon à ce que vous soyez heureuse de travailler dans ces conditions. Finalement, lorsqu'une chose fonctionne bien, je ne vois l'utilité de la changer. Il y a également la question des conventions.

M. Sookman a parlé également de l'OMC, disant qu'on ne satisferait pas aux exigences. Cela veut dire un processus long, complet et coûteux. Si l'OMC dit que nous ne respectons pas les exigences et que le Canada doit aller comparaître, je pense que ce n'est pas dans cet esprit qu'on fait une nouvelle loi.

Vous pourriez peut-être chacun me dire, en commençant par Mme Desrosiers, si le système actuel sert bien les intérêts des auteurs.

Mme Desrosiers : Merci beaucoup d'avoir dit que vous admiriez les gens qui essaient de vivre de leur plume, et que, en effet, la plupart n'arrivent pas à en vivre.

De la façon dont cela fonctionne aujourd'hui, finalement, je pense que les 18 800 écrivains canadiens ont accepté ces principes du droit d'auteur, d'être payé à chaque livre vendu seulement et de ne pas recevoir de salaire. Ceci a été accepté.

Sur la question de la protection, selon que l'utilisation de verrous numériques ou de protections est décidée ou non par les éditeurs ou les auteurs, s'ils donnent leur accord, en général, l'utilisateur n'aime pas le verrou numérique. Et si les écoles ont accès à des livres qui sont sans protection, elles seraient bien folles d'aller acheter ceux qui ont une protection, parce qu'elles sont obligées de payer plusieurs exemplaires alors que, s'il n'y a pas de protection, elles pourront diffuser ce livre, comme je l'ai dit, à tous les élèves de l'école gratuitement.

Je ne sais pas si je réponds un peu à votre question.

[Traduction]

Le président : Est-ce que les autres témoins pourraient répondre à la question. Est-ce que le système actuel sert bien les intérêts des auteurs?

[Français]

Mme Bertrand-Venne : Pour ce qui est du droit d'auteur géré collectivement, assurément, et je pense que c'était le but de la question du sénateur Hervieux-Payette, il s'agit évidemment de vous dire que, en général, les auteurs sont très contents. Mais vous comprendrez que les sociétés de gestion ne peuvent rien réclamer si elles n'ont pas de droits à gérer. Alors la base, c'est le droit.

Je crois que tout le monde est de bonne foi. Je crois que les ministres sont de bonne foi quand ils répondent, mais même si l'éducation est incluse comme une exception, la Cour suprême a dit dans l'arrêt CCH qu'il fallait analyser si l'utilisation était équitable. Comprenez bien que, quand le droit d'auteur vise une exception très grande en premier lieu, après cela il y a une analyse et on revient au test en trois étapes de nos traités internationaux. Pour vous rafraîchir la mémoire, il s'agit de savoir si les auteurs sont privés de leur revenu et de leurs droits fondamentaux.

La gestion collective est la réponse à l'utilisateur qui disait « on veut être efficace, on veut que ce soit un one stop shop ». Pourquoi pas? Car vous comprendrez que s'il fallait, par exemple, que chaque station de radio appelle si madame reçoit dix sous à chaque vente de livres, les auteurs compositeurs de musique reçoivent neuf sous par chanson vendue sur un disque. La chanson est divisible en trois humains : l'éditeur musical, l'auteur — le parolier — et le compositeur. Ce qui fait que ce sont des rémunérations, vous en conviendrez avec moi, toute petites. S'il fallait en plus qu'on les exproprie de la possibilité de gagner leur vie, comment, en contrepartie, financerions-nous la culture de notre pays?

Les livres scolaires, par exemple, ne seraient-ils composés, pour nous au Québec, que par des auteurs français de France? De même, au Canada, les livres scolaires seraient-ils composés uniquement par des Américains? Si la langue n'est pas une traduction d'une culture, soit; mais au Canada nous avons des valeurs, nous avons des façons de penser différentes des autres pays, et j'ose espérer que nous sommes bien distincts des autres pays.

Donc, je reviens aux trois étapes de test. Un juriste confronté à une exception qui vise l'éducation se dit d'abord : l'éducation est maintenant exemptée. Maintenant, est-ce que c'est excessif? Ça devient presque un exercice aléatoire, parce que si le but premier est d'exempter, c'est comme si je vous disais : dorénavant on ne paie plus du tout les professeurs dans les écoles, parce que leur tâche est noble. Elle est pour l'éducation et on décide comme citoyen qu'on ne les paie plus, que c'est un don qu'ils font à la société. C'est quand même beaucoup demander.

[Traduction]

Le président : Excusez-moi, mais je dois intervenir pour permettre à M. Sookman de répondre, car il y a d'autres questionneurs.

M. Sookman : L'incertitude est l'un des nouveaux problèmes qui se pose. Il est vrai que l'exception pour l'éducation est assujettie à l'utilisation équitable. La question est de définir ce qu'est une utilisation équitable.

Cela signifie que certaines utilisations sont gratuites. Pour revenir à l'exemple du producteur de lait cité par Mme Desrosiers, le producteur de lait doit maintenant fournir gratuitement quelques bouteilles. Les représentants de l'université diront qu'ils ont droit à 1 000 bouteilles gratuites et le producteur de lait répondra que seulement 10 le sont. Et alors, le nombre de bouteilles entraînera de nombreux litiges et des coûts élevés, or, le problème est que l'on parle des moyens de subsistance d'auteurs qui se trouvent dans une situation difficile pour lutter contre le nombre d'utilisations gratuites. Ils sont aussi dans une situation où, pour commencer, ils ne font pas beaucoup d'argent, comme vous l'avez entendu, et une partie de cet argent est maintenant subventionné.

En ce qui concerne les dommages, rien ne garantit qu'il n'y aura pas d'impact sur le marché de l'œuvre de Mme Desrosiers. Cela est dû au fait que dans l'affaire CCH, dans laquelle la Cour suprême a établi six principes d'utilisation équitable, rien ne dit que l'influence sur le marché de l'œuvre est le facteur déterminant. Vous pourriez donc avoir une situation où il y aurait une incidence sur le marché de son œuvre.

La question qui se pose est comment le savoir dans un cas donné. Cette incertitude pourrait entraîner de nombreux litiges et de nouveaux coûts de transaction seulement pour établir le droit de percevoir de petites sommes d'argent qu'elle reçoit déjà.

Le président : Merci. Nous passons à notre prochain questionneur.

Le sénateur Segal : Je ne suis pas avocat, je vais donc approcher ce sujet avec prudence. J'ai, toutefois, écrit et publié au Canada plusieurs ouvrages non romanesques que vous pourriez considérer, selon votre affiliation politique, comme étant des livres de fiction.

Je réponds à Mme Desrosiers. J'ai toujours pensé que la petitesse du marché était le problème auquel se heurtent les auteurs canadiens, et ce, sans que n'entrent en ligne de compte leurs remarquables compétences et créativité. À condition d'atteindre un très large lectorat, par exemple, des enfants francophones à travers le monde, au Canada, c'est le marché qui est problématique. Beaucoup de nos auteurs motivés et qui travaillent très fort ne gagnent pas ce qu'ils mériteraient de gagner, mais je me demande si cela peut être lié au droit d'auteur. J'apprécierais vraiment, si ce projet de loi renferme quelque chose qui rendrait plus difficile cette situation...

[Français]

Il faut le souligner, il faut demander un changement, pourquoi pas?

[Traduction]

Selon vous, que peut faire un gouvernement pour composer avec une poussée technologique massive et internationale sur le plan de l'information et des données créatives quand il y a un million de points d'accès?

Un nouveau livre vient d'être publié; il traite de ce qui est appelé le « barbarisme numérique », c'est-à-dire dépouiller les auteurs et les créateurs d'œuvres scientifiques, romanesques, de fiction et autres de leurs droits fondamentaux au moyen de la large diffusion d'œuvres faite par de soi-disant sources de distribution et de processus d'agrégation indépendants. C'est un véritable problème créé par deux ou quatre entrepreneurs et qui concerne la protection des droits de l'auteur. Je pose la question précisément en termes d'efficacité et d'incidence réelle.

Est-ce que nos témoins estiment que le gouvernement, n'importe quel gouvernement, applique efficacement le Règlement sur le droit d'auteur en vigueur et d'une manière qui protège vraiment l'artiste? Dans ce cas, croient-ils que cette efficacité se maintiendra, provoquant des changements ici qui créeront des risques, ou avons-nous affaire à l'une de ces situations illogiques où des règles sont en vigueur, mais ne sont généralement pas appliquées?

Le président : Sénateur Segal, il faut les laisser répondre sinon vous n'allez pas avoir de réponse du tout. Vous avez dépassé votre temps en faisant une déclaration.

Le sénateur Segal : C'est la fin de ma question et probablement la fin de ma participation à la réunion.

Dans les comités que je préside, nous laissons les gens terminer leurs questions, mais j'imagine que ce n'est pas possible au Comité des banques et du commerce.

M. Sookman : Permettez-moi d'essayer de répondre à votre question qui est très judicieuse et qui est posée partout dans le monde.

Au fond, vous demandez vraiment si ces lois peuvent être efficaces? Mais, est-il prouvé empiriquement que des lois peuvent briser l'équilibre et être tout de même efficaces?

Un certain nombre d'études ont été menées à ce sujet, car les défis numériques se posent partout dans le monde. En France, une loi appelée HADOPI a été adoptée. Il s'agit d'envoyer des courriels d'avertissement aux internautes soupçonnés de commettre des violations et s'ils continuent à en commettre après avoir reçu un certain nombre d'avertissements, ils s'exposent alors à de graves conséquences.

Lorsque cette loi est entrée en vigueur, un professeur américain a étudié ses effets. Son étude s'est étendue de l'entrée en vigueur de la loi jusqu'à une assez longue période après. Il a conclu qu'il y avait une relation fondamentale directe entre le moment de l'annonce de l'entrée en vigueur de la loi et le fait que les gens ont pensé que cette entrée en vigueur s'accompagnerait de conséquences. Il a aussi mesuré l'effet après l'entrée en vigueur de la loi. Il a découvert que le nombre des achats légitimes avait considérablement augmenté par rapport aux nombres d'achats légitimes qu'il avait aussi mesurés dans d'autres pays.

Est-ce que la loi a complètement éliminé le partage de fichier non autorisé? Non. Est-ce que la loi a offert un meilleur cadre visant à faciliter les ventes numériques légitimes? La réponse est oui.

La solution dans tout cela consiste à mettre en place la meilleure loi-cadre qui permet d'avoir les résultats que nous recherchons, c'est-à-dire autoriser les ventes légitimes et faire gagner de l'argent aux auteurs qui investissent dans la création et qui, ce faisant, prennent des risques.

La réponse est oui, elles peuvent avoir un effet.

Mme Bertrand-Venne : Je dirais que l'autre question est un peu politique, vous avez dit « n'importe quel gouvernement ». Les ministres ne prononcent jamais le mot « impôt », ils disent rémunération.

[Français]

C'est une redevance de droit d'auteur.

[Traduction]

Les mots sont importants pour impressionner nos concitoyens et il faut dire que c'est une loi qui doit être respectée et pas quelque chose qui, si c'est un impôt...

[Français]

Est-ce que l'argent va dans le Fonds consolidé du gouvernement?

[Traduction]

La réponse est non. C'est pour payer ceux qui travaillent dans le cadre de la Loi sur le droit d'auteur. Ce n'est pas un impôt. Quand les gens sont en désaccord et que les électeurs déclarent qu'ils ne veulent pas payer cette redevance, eh bien voyons donc, est-ce que vous allez au magasin IGA pour décider de ne pas payer aujourd'hui le lait ou le steak que vous avez dans votre panier? C'est aussi simple que cela.

Quand vous parlez de dépouiller les auteurs de leurs droits fondamentaux, le projet de loi C-11 permet l'accès à une œuvre protégée par le droit d'auteur, si on l'utilise à des fins non commerciales, et de faire ce qu'on en veut, puis de l'envoyer à un ami. Comme vous le savez, en ce qui concerne la musique, il y a partage de fichier quand un ami dit : « Tu n'as pas à acheter le CD. Je te l'enverrai ». Il ne s'agit même pas de voir ce qui se passe à l'étranger. Ça se passe immédiatement, ici même dans notre loi, dans le projet de loi C-11.

Si nous écoutons trop les citoyens, tout ce que je dis, c'est qu'en contrepartie, il y a l'auteur et les gens de son entourage, c'est-à-dire les gens qui gagnent leur vie par l'édition ou la production de disques, et qu'il s'agit d'une façon de les payer. Tous les gouvernements ont un peu de travail à faire pour mettre en œuvre et faire respecter la loi.

[Français]

Il est intéressant pour vous de savoir que les ministres de l'Éducation se sont objectés à l'immunité de la Couronne quand il s'est agi d'établir un tarif d'utilisation des ministères lorsqu'ils font leurs photocopies, pas dans les écoles mais quand le ministère se sert de droit d'auteur.

La Commission du droit d'auteur a rendu une décision disant que la Loi sur le droit d'auteur prévoyait qu'elle était aussi ayant droit et qu'elle devait obtempérer au droit d'auteur. Tout cela vise à démontrer que les autorités gouvernementales aussi contestent le droit d'auteur. Et un sénateur m'a dit à l'accueil :

[Traduction]

Nous apprenons tellement de choses sur le droit d'auteur aujourd'hui. N'est-ce pas intéressant? C'est dommage que lorsqu'il fait l'objet d'un débat... Je suis d'accord avec M. Sookman, c'est-à-dire que la loi fait l'objet d'un examen quinquennal. Toutefois, j'ai participé à l'examen de 1997 et nous sommes maintenant en 2012 et, comme vous le savez, il s'agit d'une loi difficile à comprendre.

Le sénateur Moore : Madame Desrosiers, j'aimerais vous poser une question au sujet de votre livre, Au revoir, Camille, dans le contexte de l'article 29 du projet de loi C-11, ainsi libellé :

L'utilisation équitable d'une œuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins d'étude privée, de recherche, d'éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d'auteur.

Comment réagiriez-vous si votre livre, qui a gagné le Prix du Gouverneur général, était parodié par des gens qui en changeaient le contexte? De quelle façon cela vous toucherait-il? Qu'en penseriez-vous? Quelles répercussions les changements apportés à la nature de votre livre auraient-ils sur le marché? Parlez-moi un peu de ce que cela vous ferait, en lien avec les « droits moraux » auxquels on a fait référence aujourd'hui.

[Français]

Mme Desrosiers : Je trouve assez curieux qu'on ait souvent l'impression que l'écrivain est un service public auquel on doit avoir accès gratuitement parce que déjà des bibliothèques existent et on peut avoir accès à son œuvre via les bibliothèques.

Je ne conteste pas les bibliothèques, j'en suis très heureuse. Il y a la Commission du droit de prêt public, un organisme de Patrimoine canadien, qui indemnise les écrivains pour le prêt en bibliothèque.

Je vous dirais que le livre que j'écris, si je ne peux pas le vendre à personne ou si je ne vends qu'une copie, je ne peux pas en vivre, c'est impossible. Par exemple, le livre pour lequel j'ai eu le Prix du gouverneur général, si je ne l'aurais pas écrit, j'aurais fait autre chose dans la vie. Malheureusement, le seul talent que j'ai, c'est celui d'écrire. Parfois, j'aimerais changer de métier justement parce que c'est très difficile et parce que la rémunération est très petite. Je vous dirais que les écrivains font tellement peu d'argent avec les livres qu'ils vendent que cette disposition à l'éducation, c'est presque comme — sincèrement — voler des pauvres.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je comprends cela. Je présume que ma question n'allait pas en ce sens.

Si quelqu'un prenait ce livre, qui a gagné le Prix du Gouverneur général, et en faisait une parodie ou une satire, comment vous sentiriez-vous et quelles répercussions cela aurait-il sur vos revenus et sur la possibilité de commercialisation de votre création?

[Français]

Mme Desrosiers : Premièrement, si on en fait une satire, ce n'est pas moi qui la fais, je ne peux donc pas toucher un droit d'auteur sur cela. L'auteur sera celui qui fait la satire. Beaucoup de gens font des satires sur Internet, nul n'est à l'abri de cela. On peut bien faire rire de soi parfois, aussi, mais si on fait des satires de mes livres, on ne pourra pas faire autrement que penser que cette satire vient d'un livre que j'ai écrit et ce livre va être apparenté à la satire. Finalement, on va penser que c'est moi qui, en définitive, écris un mauvais livre, puisque les deux livres seront apparentés.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Aimeriez-vous faire un commentaire à ce sujet, madame Bertrand-Venne?

Mme Bertrand-Venne : Oui, s'il vous plaît.

Le sénateur Moore : Ensuite, j'aimerais poser une question à M. Sookman.

[Français]

Mme Bertrand-Venne : Le droit moral assure à l'auteur l'intégrité et la paternité de l'œuvre, mais en introduisant une telle exception, l'auteur ne sera pas de connivence avec l'auteur de la satire, qui n'aura pas à demander d'autorisation, et donc, il y aura dénigrement de son œuvre — qui a gagné un prix du gouverneur général. Plus encore, elle ne recevra pas nécessairement son dix sous non plus, selon qui va l'exploiter.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Vous avez dit :

Des propositions visant à diminuer de façon significative les dispositions de protection juridique pour les serrures numériques ont été présentées au comité législatif, y compris des propositions faites par M. Michal Geist... Ses propositions ont été examinées par M. Ficsor, l'ancien directeur général adjoint de l'OMPI... Il a conclu que les principales propositions de M. Geist iraient à l'encontre des exigences du traité.

Toutefois, M. Geist, à mon avis, appuie l'existence et l'utilisation des serrures numériques. Il a déclaré :

La solution la plus évidente ici serait de modifier le projet de loi pour clarifier que le fait de contourner une serrure numérique ne constitue une violation que si l'objet sous-jacent est de violer le droit d'auteur.

Il est clair que la serrure numérique l'emporte sur tout le reste dans le projet de loi; cela ne fait aucun doute.

Toutefois, d'après ce que vous dites, il me semble que vous n'êtes pas d'accord avec sa position sur le sujet. J'aimerais savoir pourquoi. Ce que vous dites semble contredire l'étude menée l'année dernière par les universités Rice et Duke sur les serrures numériques. Ces études ont conclu que les serrures numériques entraînaient une diminution du piratage.

M. Sookman : Merci, sénateur, d'avoir posé la question. Vous avez fait plusieurs commentaires auxquels j'aimerais répondre. Tout d'abord, l'affirmation selon laquelle les serrures numériques l'emportent sur tout le reste dans le projet de loi; ce n'est tout simplement pas le cas.

De la façon dont fonctionne la protection législative concernant les MTP, il n'est pas illégal de contourner une MTP relative au contrôle de la reproduction. Il s'agirait d'une MTP relative au contrôle de l'accès. Par exemple, une personne qui souhaite contourner ou pirater une MTP en vue d'une utilisation équitable aux fins de recherche, d'étude privée, d'éducation, et cetera, pourrait le faire. Ainsi, les serrures numériques ne l'emportent pas sur tout le reste.

Le deuxième point que vous avez soulevé concerne la question de savoir — et les avis sont partagés à ce sujet — si les traités permettent le type de protection législative proposé par Michael Geist.

M. Ficsor, qui était la personne la plus importante à l'OMPI à l'époque et celui qui possédait la plus grande expertise sur les traités, a tout spécialement analysé les affirmations de Michael Geist à ce sujet, car elles étaient fondamentalement en contradiction avec les exigences des traités sur la nécessité d'avoir une protection législative appropriée pour les MTP.

Dans le document que j'ai présenté au comité, il dit que l'interprétation que fait Michael Geist des traités, dans ses propositions, est manifestement absurde et déraisonnable.

Le sénateur Moore : Ce sont des mots très durs.

M. Sookman : En effet. Son document est très volumineux et explique le fondement de son raisonnement; il ne s'agit pas donc pas d'une affirmation gratuite.

En ce qui concerne les études, monsieur le sénateur, quelques études ont examiné les effets des MTP sur le marché, car nous avons maintenant accumulé de l'expérience à ce sujet pendant des décennies.

Une étude a été effectuée par Mme Ginsburg et un autre professeur à l'Université Columbia, une université très réputée où les professeurs ont bonne réputation. Ils ont conclu que les cris d'alarme concernant les MTP n'étaient pas fondés, et que les protections législatives pour les MTP, aux États-Unis, avaient permis au marché numérique d'évoluer; en fait, elles ont été bénéfiques aux consommateurs et aux entreprises.

Une étude similaire a été effectuée en Europe; elle portait sur les conséquences de la mise en œuvre de ces mesures sur ce continent. Encore une fois, on a conclu que les soi-disant problèmes graves ne s'étaient pas manifestés.

Le sénateur Tkachuk : Merci aux témoins. La discussion a été intéressante.

Je crois au marché. Si vous forcez les gens à fournir du lait gratuitement aux écoles, vous avez besoin d'une exploitation agricole et d'une vache. Toutefois, s'il n'y a pas d'argent, il n'y aura pas d'agriculteur, pas de vache et pas de lait.

En ce qui concerne les auteurs, si ce que vous dites est vrai, madame Desrosiers — et je ne le crois pas — il n'y aura aucun livre, le gouvernement va paniquer, il va changer la loi, et nous reviendrons à la case départ. Je ne pense tout simplement pas que les enseignants des écoles du Canada — ou de n'importe où — feront des copies de livres en sachant que c'est contre la loi, pour les distribuer à leurs élèves.

Tout d'abord, je pense que ces enseignants devront faire face aux conséquences de la loi, car ils enfreignent la loi lorsqu'ils font des copies. C'est clair. Votre interprétation de la loi va plus loin. Je pense qu'ils enfreindraient la loi. Je pense qu'ils risquent d'être renvoyés, même s'il est très difficile de renvoyer un enseignant. Je présume que si vous volez des livres et les distribuez aux élèves, c'est exactement ce qui arriverait. Les conséquences seraient trop graves pour un enseignant ou un professeur d'université; ils ne peuvent pas se permettre d'agir ainsi.

Je ne sais pas comment vous arrivez à la conclusion que l'interprétation de la Cour suprême signifie qu'un établissement d'enseignement peut enfreindre la loi et distribuer des livres gratuitement.

Le sénateur Hervieux-Payette : J'invoque le Règlement. J'ai posé la question à l'honorable sénateur, car je veux comprendre ce dont il parle.

J'ai l'impression que vous dites que la loi permet — c'est-à-dire la loi en vigueur ou la nouvelle loi — à une personne de faire autant de copies qu'elle le souhaite dans une école. Vous avez posé cette question ce matin et vous l'avez posée de nouveau. J'essaie de clarifier les choses.

Le sénateur Tkachuk : À mon avis, il est contre la loi de prendre la propriété de quelqu'un d'autre, par exemple un livre, de le copier et de le distribuer aux gens. C'est contre la loi.

Comment une enseignante va-t-elle le faire dans sa classe et comment un professeur d'université le fera-t-il lorsqu'ils savent qu'ils enfreignent la loi et qu'ils risquent d'être renvoyés ou d'être accusés d'une infraction criminelle? Toutes sortes de mauvaises choses peuvent arriver.

Mme Bertrand-Venne : Nous sommes d'accord, mais selon la nouvelle loi, l'éducation sera une exception. Dans les accords que nous avons actuellement avec les ministres de l'Éducation, on permet aux enseignants de le faire, car ces accords ont été négociés à un échelon plus élevé. Vous avez raison, si c'est contre la loi, les enseignants ne le feront pas. Les accords qu'ils ont signés avec Access Copyright, qui représente les auteurs de livres, respectent vraiment la loi.

Nous sommes seulement préoccupés par l'idée que le mot « éducation » pourrait être interprété si largement qu'il deviendrait presque inutile et que le conseil scolaire invoquera le fait qu'il a l'autorisation de le faire. Voilà où se trouve le problème.

En ce moment, vous avez raison, d'après la loi en vigueur, il n'y a rien d'illégal, et nous espérons que les choses ne changeront pas. L'exception a une très grande portée, et cela nous inquiète.

M. Sookman : J'aimerais soulever deux points. Tout d'abord, votre observation au sujet de l'importance des mesures incitatives est extrêmement importante. En effet, il est important que les cadres législatifs créent les mesures incitatives nécessaires pour que les auteurs écrivent et pour que les entreprises investissent dans la distribution et la publication, et nous ne voulons pas nuire à cela. D'ailleurs, certains des aspects du projet de loi sont conçus dans ce but. Les dispositions visant à faciliter l'accomplissement d'actes, par exemple, sont conçues dans le but de créer ce cadre législatif.

Au sujet de votre question concernant le contexte de l'éducation, je ne pense pas vraiment que les établissements d'enseignement vont copier des livres dans leur intégralité. Ce qui se passe en ce moment, à l'ère numérique, c'est qu'il est possible de prendre plus que des parties importantes d'un grand nombre de livres différents et de les assembler. À un certain point, des professeurs assemblaient des recueils de cours, et les étudiants les achetaient. Ces recueils contenaient, par exemple, un chapitre d'un livre, un chapitre d'un autre, et une partie d'un chapitre d'un autre livre. Aujourd'hui, ces recueils font l'objet d'une licence collective, et l'argent est recueilli par Access Copyright et remis aux auteurs.

Toutefois, si nous passons à un critère qui permet de copier plus qu'une partie importante — en fait, l'éducation représente une utilisation équitable —, on risque qu'un grand nombre de ces recueils soient considérés comme des utilisations équitables. Ensuite, lorsque vous les mettez tous ensemble, les auteurs ne toucheront pas une compensation suffisante.

Le sénateur Tkachuk : L'université ou le conseil scolaire ou la province paie pour ces recueils en blocs; le paiement se fera-t-il par chèque? Ainsi, on fera un chèque au groupe qui distribue l'argent. Est-ce exact?

M. Sookman : On fait un chèque selon le tarif établi par la Commission du droit d'auteur. Certains de ces établissements pourraient dire qu'ils devaient payer ces tarifs auparavant, mais qu'ils n'ont plus à le faire, car il y a une nouvelle exception. Il y aura, du moins, une plus grande incertitude quant au montant à payer, et il reviendra aux tribunaux de déterminer ce qui sera gratuit et ce qui ne le sera pas.

Le président : Malheureusement, votre temps est écoulé. C'est un sujet fascinant, et je sais que je parle au nom de tous mes collègues lorsque je vous remercie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Merci beaucoup.

Chers collègues, nous poursuivons maintenant notre étude avec le cinquième groupe de témoins. Pour cette deuxième session, nous avons le plaisir d'accueillir Christian Bédard, directeur général, Regroupement des artistes en arts visuels du Québec; John Lewis, directeur des Affaires canadiennes de l'Alliance internationale des employés de scène; et Jason Kee, directeur, Politique et Affaires juridiques de l'Association canadienne du logiciel de divertissement.

Chers collègues, encore une fois, nous avons un peu moins d'une heure. Nous allons entendre chacun des témoins et ensuite passer aux questions.

Monsieur Bédard, pourriez-vous commencer?

[Français]

Christian Bédard, directeur général, Regroupement des artistes en arts visuels du Québec : Merci beaucoup de me recevoir cet après-midi, monsieur le président. Je représente le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec. Ce regroupement est partenaire de Canadian Artists' Representation, le Front des artistes canadiens qui s'appelle aussi CARFAC. Ensemble, nous représentons tous les artistes en arts visuels du Canada, les sculpteurs, les peintres, les photographes d'art, et cetera.

En mai dernier, trois ventes aux enchères ont eu lieu à Toronto. On y a vendu pour plus d'un 1 500 000 dollars d'œuvres de 32 d'artistes canadiens vivants. Il va sans dire que les 32 propriétaires des œuvres, ainsi que les maisons de vente aux enchères ont été ravis d'encaisser cette somme rondelette. Mais cherchons l'erreur dans cette image. Qui a créé ces œuvres qui ont pris de la valeur avec le temps et qui n'ont profité qu'aux vendeurs?

Pourquoi ces œuvres ont-elles pris de la valeur avec les ans? C'est grâce au travail acharné, aux talents et à la persévérance de ces 32 artistes canadiens, la plupart plus âgés. Quelle a été la part de ce 1 500 000 $ que ces 32 artistes ont reçue? Zéro dollars.

Si le Canada avait fait ce que 59 autres pays dans le monde ont déjà fait, c'est-à-dire intégrer le droit de suite dans notre législation du droit d'auteur, ces artistes auraient pu se partager la somme d'environ 75 000 $. Cette somme peut vous paraître minime. Cependant, rappelons-nous qu'il ne s'agit que des ventes du mois de mai.

Ce qui fait qu'en moyenne, chacun des 32 artistes aurait reçu pour le mois de mai 2 340 $. Malheureusement, dans le projet de loi C-11, on n'a pas prévu d'intégrer un droit de suite de 5 p. 100 versé à l'artiste lors des reventes successives de ses œuvres. Est-ce que le Sénat peut le faire?

Autre lacune du projet de loi C-11 pour les arts visuels, le maintien dans la Loi sur le droit d'auteur d'une mention que nous jugeons discriminatoire envers les artistes plus âgés concernant la date avant laquelle le droit d'exposition ne s'applique pas, soit le 8 juin 1988. Le Sénat peut-il faire cesser cette discrimination en enlevant cette mention?

La seule bonne nouvelle pour les arts visuels dans le projet de loi C-11 est qu'il reconnaît enfin les droits d'auteur des photographes, des graveurs et des dessinateurs. Malheureusement, l'article 38 du projet de loi réduit à pratiquement rien leur capacité de profiter financièrement de ce droit. Cet article devrait être abrogé. Les besoins des artistes en arts visuels ont donc été largement négligés dans le projet de loi C-11. Or, des propositions telles que l'adoption du droit de suite contribuerait à aider les artistes en arts visuels à mieux vivre de leur art, en particulier les artistes plus âgés et les artistes des Premières nations.

En conclusion, nous sommes étonnés que le projet de loi C-11, qui prive tant d'artistes de toutes les disciplines de revenus importants en redevances de droits d'auteur, ne se conforme pas à la déclaration du gouvernement du Canada contenue dans sa Loi sur le statut de l'artiste, déclaration qui souligne et je cite :

L'importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour l'utilisation, et notamment le prêt public, de leurs œuvres.

Pour terminer, nous appuyons la position présentée ce matin par M. Alain Pineau, de la Conférence canadienne des arts, et celle du DAMIC, présentée par Mme Hélène Messier.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Bédard. Monsieur Lewis, vous avez la parole.

John Lewis, directeur des Affaires canadiennes, Alliance internationale des employés de scène : Merci. Je m'appelle John Lewis. Je suis vice-président international et directeur des Affaires canadiennes pour l'Alliance internationale des employés de scène, qui représente 114 000 membres qui travaillent dans l'industrie du divertissement. Je vous suis reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de vous parler du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

L'une des plus anciennes et des plus importantes organisations syndicales de l'industrie du spectacle, l'Alliance internationale des employés de scène, demande depuis des années des lois sur le droit d'auteur plus sévères, afin de favoriser la protection et la création d'emplois dans l'industrie canadienne du film et de la télévision. Pour mes membres, la réforme du droit d'auteur concerne la protection et la création d'emplois.

Les membres de cette alliance sont partie intégrante de l'industrie du film et de la télévision. Nous ne sommes pas devant la caméra, mais nous les faisons fonctionner et nous accomplissons les activités créatives nécessaires derrière la scène pour créer un produit fini. Nous sommes les coordinateurs de la production, les décorateurs de plateau, les costumiers, les techniciens en effets spéciaux, les conducteurs, les machinistes de plateau, les charpentiers et les scénographes. Nous travaillons sur des productions étrangères américaines à gros budget, par exemple, Superman : Man of Steel à Vancouver, The Curious Case of Benjamin Button à Montréal, ainsi que sur des films et des émissions de télévision canadiennes, par exemple, Being Erica à Toronto, Republic of Doyle à St. John's, Heartland à Calgary, et Less Than Kind à Winnipeg.

Lorsque des discussions concernant le droit d'auteur sont engagées, la plus grande partie du débat se concentre sur l'équilibre entre les droits des consommateurs et ceux des créateurs. Il s'agit évidemment d'une discussion importante et elle est à la base de la plus grande partie du contenu du projet de loi C-11, mais ce qu'on néglige dans la plupart de ces discussions, c'est le droit des travailleurs canadiens de gagner leur vie.

Pour nos membres, la protection du droit d'auteur est une question de protection d'emplois. Soixante-quinze pour cent des recettes générées par les films et 50 p. 100 des recettes générées par les émissions télévisées sont imputables à des sources de revenus en aval, c'est-à-dire à la vente de DVD, à la câblodistribution, à la télévision à la carte et aux téléchargements sur Internet. Les téléchargements illégaux font perdre des sommes considérables à l'industrie et compromettent le financement des productions cinématographiques et télévisuelles. Certains soutiennent que les vols numériques sont des crimes qui ne font pas de victimes et que nous ne devrions pas nous en inquiéter outre mesure, car seuls les grands studios d'Hollywood en souffrent. C'est tout à fait faux. Des milliers de travailleurs canadiens ordinaires sont victimes des vols numériques. Mes membres travaillent seulement lorsque des émissions télévisées ou des films sont produits. Lorsque l'industrie est touchée par des vols numériques, mes membres sont également touchés, car moins de films sont produits.

C'est la raison pour laquelle l'Alliance internationale des employés de la scène et des projectionnistes des États-Unis et du Canada appuie l'adoption d'une loi sur le droit d'auteur solide. Nous possédons des lois qui interdisent clairement aux gens de pirater des ordinateurs ou de recevoir illégalement des signaux transmis par satellite. Les services de divertissement numérique ont besoin de bénéficier des mêmes mécanismes de protection. Bien que, selon nous, la mesure législative soit imparfaite, nous croyons qu'elle représente un important pas dans la bonne direction en vue de moderniser la loi canadienne sur le droit d'auteur. Nous sommes heureux de constater que le projet de loi C-11 prévoit également un examen après cinq ans visant à mesurer son incidence, à déterminer s'il est nécessaire d'apporter d'autres changements à la loi et à maintenir celle-ci au même niveau que la technologie.

La question des droits d'auteur touche tous les pays, et le Canada accusait du retard dans ce domaine. Le projet de loi C-11 garantit que la réforme du droit d'auteur ira de l'avant et protégera des milliers de Canadiens qui travaillent dans l'industrie du divertissement, qui contribuent grandement à notre économie et à notre culture et qui, au bout du compte, essaient seulement de gagner leur vie.

Jason Kee, directeur, Politiques et Affaires juridiques, Association canadienne du logiciel de divertissement : Je m'appelle Jason Kee. Je suis directeur des Politiques et des Affaires juridiques à l'Association canadienne du logiciel de divertissement. L'ACLD représente les entreprises canadiennes qui produisent, commercialisent et distribuent des jeux vidéo conçus pour rouler sur des consoles de jeux, sur des dispositifs portatifs et mobiles, sur des ordinateurs ou sur Internet. Les jeux vidéo sont en fait les services de divertissement qui croissent le plus rapidement à l'échelle mondiale, et certains titres d'envergure rivalisent avec les productions d'Hollywood sur le plan des ventes et de l'engouement. En 2011 seulement, les ventes canadiennes au détail de logiciels et de matériel de divertissement s'élevaient à 1,5 milliard de dollars, tandis que les ventes mondiales en ligne généraient des milliards de dollars supplémentaires.

L'industrie canadienne de production de jeux vidéo est la troisième en importance à l'échelle mondiale, et elle offre plus de 16 000 emplois de pointe créatifs et bien rémunérés au sein de près de 350 entreprises établies partout au Canada. Elle apporte ainsi une contribution annuelle directe à l'activité économique canadienne de plus de 1,7 milliard de dollars.

À notre avis, le projet de loi C-11 propose des mesures attendues depuis longtemps qui harmoniseront la Loi sur le droit d'auteur avec les avancées technologiques et les normes en matière de propriété intellectuelle actuellement en vigueur à l'échelle internationale. Mis à part quelques préoccupations concernant la portée de certaines nouvelles exceptions, nous sommes très favorables au projet de loi, et nous prions instamment le comité de l'adopter dès que possible. Le piratage représente un énorme problème pour l'industrie des jeux vidéo. Il fait perdre des sommes colossales aux développeurs et aux éditeurs de jeux vidéo qui comptent principalement sur les ventes initiales pour récupérer les coûts considérables qu'occasionne la production des jeux. Si nous n'intervenons pas, le piratage de jeux vidéo entraînera tôt ou tard la fermeture de studios, des pertes d'emploi ou pire. Le projet de loi fournira aux titulaires de droits les outils dont ils ont besoin pour poursuivre ceux qui facilitent la généralisation du piratage. L'établissement de règlements clairs permettra aux créateurs et aux entreprises de choisir la meilleure façon d'offrir leur contenu sur le marché. Cela incitera les gens à investir dans la conception de nouveaux produits, services, méthodes de distribution et plateformes numériques, et soutiendra l'adoption de toute une gamme de nouveaux modèles d'entreprise novateurs qui, à leur tour, favoriseront la concurrence légitime, l'offre d'un plus grand choix aux consommateurs et, finalement, une réduction des prix à la consommation.

Le projet de loi met en œuvre une solide protection contre le contournement des mesures techniques de protection, ou MTP, qui sont utilisées pour protéger les œuvres visées par le droit d'auteur. L'industrie des jeux vidéo a fréquemment recours à des MTP élaborées pour protéger ses produits. Toutefois, comme aucune loi n'interdit l'utilisation de mesures de contournement au Canada, un marché solide et lucratif, bien qu'illégal, s'est développé ici pour des dispositifs et des services conçus précisément pour contourner les MTP et faciliter la généralisation du piratage.

En effet, des commerces qui vendent des dispositifs ou des services visant à faire fonctionner des jeux vidéo piratés ou contrefaits exercent ouvertement leurs activités au Canada et, par conséquent, notre pays est devenu un important centre de transbordement pour la distribution mondiale de ces dispositifs. Ces commerces ont contribué directement à rendre le degré de piratage des jeux vidéo au Canada si élevé qu'il est maintenant inadmissible. Le projet de loi prévoit des mesures dont nous avons un urgent besoin pour poursuivre ceux qui facilitent cette forme de piratage en faisant le commerce de ces dispositifs et de ces services. Nous applaudissons ces dispositions et les appuyons fermement.

En outre, bien que les MTP soient souvent qualifiées dédaigneusement de verrous numériques et envisagées uniquement dans le contexte des CD musicaux ou des DVD, elles jouent en fait un rôle crucial dans les nouveaux canaux de distribution de contenu en ligne. Des nouveaux services radiophoniques et musicaux en continu, comme Rdio, aux services de visionnement de films et d'émissions de télévision, comme Netflix, en passant par les plateformes de jeux vidéo, comme XBox Live Arcade, tous ces services sont appuyés par un vaste éventail de MTP qui travaillent en coulisse. Non seulement ces mesures contribuent à prévenir la copie illégale et l'appropriation non autorisée du contenu de ces services, ce qui fournit des sources de revenus viables à leurs auteurs, mais elles permettent aussi d'offrir une gamme de fonctions à valeur ajoutée comme la location, l'adhésion et l'accès à des versions de démonstration, ce qui serait impossible autrement. Ainsi, en cette ère numérique, les MTP favorisent activement l'élaboration de nouveaux produits et de nouveaux services, ce qui permet d'offrir aux consommateurs un grand choix de produits adaptés à leurs préférences respectives.

La façon dont nous consommons le contenu est en train de changer fondamentalement, et les créateurs utilisent de plus en plus fréquemment des plateformes en ligne et d'autres méthodes de distribution novatrices pour offrir leur contenu aux consommateurs. De solides mesures anti-contournement, comme celles prévues par le projet de loi, sont essentielles non seulement pour prévenir le piratage et pour permettre aux créateurs de déterminer par eux-mêmes comment leurs œuvres seront consommées, mais aussi pour veiller à ce que les nouvelles plateformes soient protégées et maintiennent l'intégrité du marché numérique naissant.

Certaines personnes soutiennent que le contournement devrait être interdit seulement s'il vise à enfreindre le droit d'auteur. Bien que cette approche puisse sembler attrayante en surface, il est important de comprendre que ce genre d'interdictions extrêmement limitées ne permettra pas aux détenteurs de droits de poursuivre les malfaiteurs qui facilitent le piratage et ne contribuera pratiquement en rien à nos efforts visant à freiner le piratage des jeux vidéo et à appuyer les plateformes et les modèles naissants. Si les dispositions anti-contournement sont laxistes, cela créera des échappatoires, et les délinquants pourront échapper à toute responsabilité simplement en affirmant n'avoir pas eu l'intention de violer le droit d'auteur. En conséquence, nous appuyons les dispositions robustes liées aux MTP que prévoit le projet de loi.

J'aimerais mentionner brièvement quelques-unes des autres questions liées au projet de loi qui inquiètent l'industrie. Nous sommes préoccupés par la nouvelle exception relative au contenu généré par l'utilisateur qui a été ajoutée au projet de loi. En général, notre industrie est plutôt tolérante en ce qui concerne le contenu généré par l'utilisateur. Toutefois, le libellé du projet de loi est tellement général qu'il permettra aux gens de s'approprier les œuvres existantes. Par conséquent, nous recommandons de circonscrire l'exception et d'y ajouter des facteurs comme ceux qui s'appliquent à l'exception relative à l'utilisation équitable.

Le président : Monsieur Kee, je vous demanderais de réduire un peu votre débit.

M. Kee : Je vous demande pardon; j'ai toujours ce problème.

De plus, les dispositions relatives aux dommages-intérêts préétablis nous préoccupent. La nouvelle approche à plusieurs niveaux vise clairement à limiter les dommages-intérêts que les particuliers devront payer s'ils enfreignent le droit d'auteur à des fins personnelles, mais, dans sa forme actuelle, le projet de loi crée des incitatifs pervers et a pour conséquence inattendue de traiter avec indulgence les auteurs de piratage à grande échelle. Nous recommandons donc que cette distinction soit supprimée et que le projet de loi fasse plutôt ressortir les facteurs que les tribunaux doivent prendre en considération lorsqu'ils déterminent le bien-fondé des dommages-intérêts attribués.

Cela étant dit, j'attends vos questions avec impatience.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Ma question s'adresse à M. Kee. Si je comprends bien, vous dites que le projet de loi C-11 ne réduira pas ou ne donnera pas les outils pour réduire, de façon substantielle, le piratage de vidéos. Est-ce bien cela?

[Traduction]

M. Kee : Je ne suis pas d'accord avec la façon dont vous interprétez mes observations; ce n'est pas ce qu'elles étaient censées communiquer.

Le projet de loi fournit plusieurs outils qui visent principalement à réduire le piratage généralisé. Comme les ministres l'ont déclaré, la politique n'a pas pour objet final de cibler chaque consommateur qui procède à des téléchargements, mais de s'en prendre aux gens qui facilitent le piratage généralisé, c'est-à-dire ces mauvais intervenants.

Dans le cas de l'industrie des jeux vidéo, il existe des commerces qui s'emploient à contourner les mesures de protection du droit d'auteur que nous avons intégrées dans nos dispositifs afin de prévenir le piratage et de nous aider à vendre nos jeux vidéo. Nous aimerions poursuivre ces commerces. Les dispositions anti-contournement liées aux MTP et aux verrous numériques qui ont été ajoutées au projet de loi nous permettront d'intenter des poursuites judiciaires contre ces genres d'intervenants. De même, on a ajouté une nouvelle disposition qui permet à des intervenants du secteur privé de s'en prendre à ceux qui « facilitent la commission de violations ». Elle vise les sites Web des pirates, c'est-à-dire ceux qui rendent généralement accessibles en ligne toutes sortes de produits numériques sans la permission des détenteurs de droits d'auteur. Elle permettra à ces derniers d'engager des poursuites contre les sites de ce genre.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Comment s'administre le droit d'auteur pour les créateurs, ceux qui écrivent le scénario de ces jeux? Parce qu'après avoir écrit l'histoire, il faut l'illustrer. Je suppose que les deux étapes sont faites par des personnes différentes. Comment sont répartis les droits d'auteur?

Dans votre entreprise, il y a le côté commercialisation, donc la vente de beaucoup de copies, et c'est de là que vient le milliard de dollars. Mais comment sont compensés les gens à l'intérieur de l'industrie? Est-ce que les créateurs sont tous des employés de ces entreprises? Parce que ce sont des individus qui vendent leur histoire à des entreprises, qui, ensuite, les mettent en forme. Comment cela fonctionne à l'intérieur de cette industrie?

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Ma seconde question est pour M. Bédard. Est-ce que vous avez fait des interventions à la Chambre des communes? Est-ce que vous avez été consulté dans la période préalable?

Il y a eu énormément de consultations, on nous a dit que 8 000 personnes ont été consultées concernant ce droit de suite, qui est, finalement, inexistant dans le domaine des arts visuels. Mais les droits de suite existent dans d'autres formes de création. Donc en ce qui concerne le droit de suite, il n'y a aucune protection dans ce projet de loi pour nos artistes au Canada?

M. Bédard : Pas au Canada. Il y a 59 pays dans le monde qui ont adopté le droit de suite pour la revente des œuvres d'art. Cela s'applique au marché secondaire.

Au Canada, nous n'avons aucune protection là-dessus. Effectivement, nous avons témoigné devant le comité parlementaire qui étudiait le projet de loi C-32 et nous avons fait une demande formelle d'inclusion de ce droit de suite. Nous avons aussi en main un amendement complet qui pourrait être introduit facilement à l'intérieur de la loi.

On nous a répondu que ce serait pour la prochaine étape, plus tard. Enfin, nous réitérons quand même la demande parce que pour nous, c'est important. C'est important pour une communauté artistique dont le revenu moyen est estimé à environ 14 000 $ par année, brut, et quand on enlève les frais de création des œuvres, leur revenu descend à 8 000 $ par année.

Naturellement, les artistes ont d'autres emplois pour compléter leurs revenus, mais on se rend compte que c'est une communauté artistique qui a besoin de ce nouveau revenu.

Parlons des artistes autochtones. Nous sommes entourés de magnifiques œuvres autochtones, dans cette salle. Ces œuvres sont souvent achetées dans le Nord à des prix très bas et sont revendues dans le Sud pour un montant allant de 10 à 15 fois la valeur de l'œuvre et l'artiste n'en profite pas.

Si on prend l'exemple de Joe Talirunili, une de ses œuvres a été vendue en 2006 pour 278 000 $, alors qu'il l'avait vendue, lui, autour de 400 ou 600 $. C'est donc un manque à gagner important pour une communauté artistique qui a de la difficulté à tirer un revenu décent de son travail. Et la qualité du travail de l'artiste, c'est ce qui fait, avec le temps, la valeur de l'œuvre.

Le sénateur Hervieux-Payette : Vous êtes donc allé à la Chambre des communes, mais avant même que le projet de loi ne soit mis en forme, vous aviez fait ce point.

Je suis allée voir récemment l'exposition d'Emily Carr, qui faisait la manchette dans The Globe and Mail, la semaine dernière, qui a produit des œuvres qui, aujourd'hui, valent des millions de dollars. Ce sont des œuvres d'artistes dont les prix ont augmenté. Elle a probablement des héritiers. Vous avez parlé des héritiers, que ce soit les enfants ou le conjoint. Souvent, les œuvres d'art s'apprécient avec le temps. Il y a peut-être juste Picasso qui a fait de l'argent avec ses peintures.

M. Bédard : Souvent, l'œuvre d'art va s'apprécier après le décès de l'artiste, mais la succession de l'artiste, la famille a des responsabilités importantes par rapport à la pérennité de l'œuvre. Elle doit entreposer les œuvres, les répertorier, les archiver, les mettre en valeur, produire des catalogues raisonnés, produire des expositions. Alors, les successions ont tout avantage à être incluses dans le droit de suite. Nous travaillons surtout pour les artistes vivants dont j'ai expliqué la situation tantôt, mais il est important que les successions soient incluses aussi.

Le sénateur Hervieux-Payette : C'est le cas de Riopelle aussi. Les œuvres valent aujourd'hui des fortunes. Dans son cas, il n'a pas fini dans la misère, mais il reste que ce sont des mécènes qui sont intervenus en cours de route pour l'encourager.

En termes de patrimoine national en tant qu'organisme parlementaire, de reconnaître que cela fait partie de la richesse collective et que la personne qui a créé devrait au moins en profiter et pas seulement ceux qui vont admirer l'œuvre.

M. Bédard : Effectivement. Dans l'exemple des ventes qui ont eu lieu à Toronto, seuls les vendeurs et les maisons d'encan en ont profité.

[Traduction]

M. Kee : C'est avec plaisir que je décrirai le processus. Chaque secteur de l'industrie du divertissement traite ces questions d'une manière très distincte. M. Lewis pourra vous en dire plus sur la façon dont l'industrie cinématographique procède. Notre approche ressemble davantage à celle de cette dernière que, disons, à celle de l'industrie de la musique, qui analyse les droits de différents groupes de créateurs. Ensuite, la Commission du droit d'auteur fixe des redevances, puis elle les attribue à ces groupes.

Dans notre cas, pour concevoir des jeux vidéo de nos jours, il faut que des équipes de 2 à 300 personnes travaillent pendant plusieurs années. Dans le cas des jeux vidéo qui disposent de gros budgets, celles-ci produisent de 40 à 60 heures de jeux. Toutes ces équipes travaillent pour nous soit à temps plein, soit à contrat. Chacune d'elles contribue à une partie précise de l'ensemble du travail et cède le droit sur celui-ci au studio de développement en question. Le droit d'auteur est essentiellement détenu par le studio de développement qui concèdera des licences d'exploitation ou qui obtiendra les recettes engendrées par les copies vendues sur le marché.

Nous utilisons ce que j'appellerais une formule immédiate en ce sens que nous versons immédiatement soit un salaire, soit un droit de licence, pour obtenir les droits d'accès à cette œuvre. Comme nous faisons nous-mêmes partie de l'industrie du droit d'auteur, nous sommes très attentifs aux préoccupations exprimées par certains secteurs du milieu artistique qui ont le sentiment de ne pas toucher les revenus qu'ils méritent. Avant d'inclure des œuvres protégées par le droit d'auteur dans nos propres logiciels, nous prenons soin de nous assurer que nous avons obtenu les droits requis.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je remercie les témoins de leur présence. Monsieur Bédard, au bas de la première page de votre mémoire, vous mentionnez que la Loi sur le droit d'auteur indique que le droit d'exposition ne s'applique pas aux œuvres créées avant le 8 juin 1988. Quelle est l'importance de cette date?

M. Bédard : Comme vous le savez peut-être, lorsqu'une institution publique présente une œuvre d'art, elle doit verser un droit d'exposition à l'artiste ou au détenteur du droit d'auteur. Lorsque ce nouveau droit a été adopté au Canada en 1988, j'imagine que les parlementaires ne souhaitaient pas qu'il soit rétroactif, alors ils ont décidé de le mettre en vigueur à cette date et de l'appliquer à toutes les œuvres créées après celle-ci. Cependant, quelque 24 années plus tard, les artistes plus âgés qui ont créé des œuvres avant cette date ne sont pas en mesure de bénéficier du droit d'exposition. Bien qu'en 1988, cette disposition ait peut-être été acceptable d'un point de vue législatif, avec le temps, cette mention est devenue discriminatoire. Par conséquent, nous pensons qu'elle devrait être supprimée. C'est une mesure simple à prendre. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Moore : Je tiens à vous interroger à propos des paragraphes qui figurent au haut de la deuxième page de votre mémoire et qui portent sur les droits des photographes, des graveurs et des dessinateurs. En ce qui concerne les arts visuels, la seule bonne nouvelle apportée par le projet de loi C-11 est le fait qu'il reconnaisse les droits des photographes, des graveurs et des dessinateurs. Si un photographe prend une photo d'un agent de la GRC en uniforme et monté à cheval, cette image appartiendra à la Fondation de la police montée. Par conséquent, quels droits détient le photographe, le cas échéant?

M. Bédard : Selon la loi actuelle, le photographe est habituellement embauché pour prendre une photo. Celle-ci a été commandée, et la personne qui a passé la commande détient le droit sur la photo. Le projet de loi C-11 indique que le détenteur de ce droit est maintenant le photographe, ce dont nous sommes reconnaissants. Toutefois, l'article 38 du projet de loi stipule que la personne qui a commandé la photo peut faire autant de copies qu'elle le souhaite gratuitement. Vous accordez un droit à quelqu'un, puis vous en accordez un autre à quelqu'un d'autre. En fait, vous vous immiscez dans un contrat privé conclu entre le photographe et son client.

Le sénateur Moore : Si je comprends bien ce que vous dites, cette règle s'applique seulement si une commande a été passée. Que se passera-t-il si un photographe professionnel rencontre une police montée dans la rue et prend sa photo? La Fondation de la police montée détiendra le droit sur l'image. Est-ce que je pourrai alors déclarer qu'elle m'appartient? On ne m'a pas demandé de la prendre. Je ne faisais que me promener dans les environs. Supposons que je suis un photographe pigiste et que j'aperçois une scène qui, selon moi, fera un beau cliché et que je prends la photo. Cette photo appartient déjà à quelqu'un d'autre.

M. Bédard : Une œuvre originale suspendue à un mur appartient soit à son auteur, soit à la personne qui l'a commandée, selon le contrat qu'ils ont signé. Le nouveau photographe qui prend la photo ne détient pas le droit d'auteur sur celle-ci. S'il tente de l'utiliser pour réaliser des profits, cela peut s'avérer risqué pour lui.

Le sénateur Moore : Pour reprendre les paroles de mon collègue, le sénateur Tkachuk, il pourrait y avoir des conséquences. Il y a certaines choses qu'il ne faut pas faire.

Monsieur Kee, je suis sensible à ce que vous dites, parce que l'un de vos membres, HB Studios, est établi à Lunenburg, en Nouvelle-Écosse, là où j'habite. Il s'agit là d'une entreprise dynamique et florissante. À la fin de votre déclaration, vous préconisez l'ajout d'une nouvelle exception pour le contenu généré par l'utilisateur. La formulation actuelle du projet de loi permettra essentiellement aux gens de s'approprier les œuvres existantes. De plus, vous avez formulé une autre observation à propos des dispositions relatives aux dommages-intérêts préétablis. Avez-vous préparé une version préliminaire ou suggérée du libellé que vous proposez, que vous pourriez nous faire parvenir et qui pourrait être utile au comité?

M. Kee : Certainement. Nous avons élaboré des ébauches de proposition que je n'ai pas présentées ici en raison de la brièveté de ma comparution, mais que je serai heureux de vous communiquer.

Le sénateur Moore : Si vous pouvez les envoyer au greffier, nous pourrions avoir l'occasion de les examiner.

M. Kee : Il y a autre chose que je pourrais recommander. Je ne sais pas si elle comparaîtra devant le comité, mais Pina D'Agostino, dont M. Sookman a parlé, a rédigé un texte qui aborde cette question, dans le cadre de sa clinique à l'école de droit Osgoode Hall. Ce qui est préoccupant, ce n'est pas l'existence d'une exception concernant le contenu généré par l'utilisateur, mais le fait que cette dernière, sous sa forme actuelle, est d'application un peu trop vaste.

Le sénateur Moore : Pourriez-vous nous faire parvenir ces documents d'ici lundi après-midi?

M. Kee : Je peux certainement vous envoyer nos ébauches, et je demanderai à Mme D'Agostino de vous transmettre son texte.

Le sénateur Moore : Merci.

Le président : Chers collègues, avez-vous d'autres questions pour nos témoins? Si vous n'en avez pas, j'aimerais leur dire que nous avons grandement apprécié leur présence. Au nom de tous les membres du comité, je tiens à les remercier.

Dans la troisième et dernière portion de notre séance de cet après-midi, la septième de la journée, nous somme heureux d'accueillir parmi nous Michael McCarty, président d'ole, et, par vidéoconférence, Stephen Stohn, le président d'Epitome Pictures, en direct de Toronto.

Michael McCarty, président, ole : Bonjour, monsieur le président, membres du comité, mesdames et messieurs. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous.

Je m'appelle Michael McCarty, et je suis président d'ole, le plus grand éditeur de musique au Canada. Nous avons investi plus de 115 millions de dollars dans les droits d'auteur pour les œuvres musicales, et notre vaste répertoire génère des redevances importantes partout dans le monde. Ces recettes finissent par retourner au Canada, contribuant ainsi à notre économie. Nos compositeurs ont reçu de nombreux prix canadiens, ainsi qu'un Grammy pour l'une des nombreuses compositions de Taylor Swift que nous comptons à notre actif. Il y a deux semaines, nous avons fièrement annoncé qu'une véritable légende du rock, Steven Tyler, chanteur du groupe Aerosmith, avait signé un contrat avec nous.

Je dois avouer que le secteur du droit d'auteur a perdu la guerre des mots. Quand nous défendons le droit des artistes de pouvoir vivre de leur travail, nous sommes complètement diabolisés par nos adversaires. Ils utilisent des termes chargés d'émotion pour faire croire que nos agissements sont néfastes pour le pays et nos concitoyens.

Nous n'avons pas su contrer leur argumentation. Ils sont en faveur de la liberté et de l'innovation. Nous préconisons la réglementation et de l'intrusion dans la vie privée. Ils sont les grands protecteurs de la liberté de parole. Nous ne sommes que des entreprises rapaces et de riches vedettes du rock qui tentent de taxer leur capacité d'innovation. Ils soutiennent que l'information veut être gratuite, et nous disons qu'il est acceptable qu'elle semble gratuite, mais que quelqu'un doit en faire les frais.

Le journaliste Robert Levine vient de rédiger un excellent ouvrage, Free Ride, qui explique les motivations de nos adversaires. Vous en recevrez un exemplaire lundi prochain, gracieuseté de ole. M. Levine y signale que ce type de message provient souvent de grandes entreprises qui font beaucoup d'argent grâce aux œuvres piratées. Ces entreprises défendent leur liberté de bénéficier du vol de nos droits d'auteur.

Voici les faits : il s'est écoulé presque 20 ans depuis la création d'Internet et 13 ans depuis que Napster a lancé l'ère du piratage numérique de musique à grande échelle. Voilà donc plus de dix ans que les festivités battent leur plein dans la Silicon Valley. Les créateurs et les titulaires de droits d'auteur n'ont pas été invités à ces réjouissances, mais ce sont eux qui ont fini par en payer la note, et le projet de loi C-11 ne propose aucun remède à la situation.

Par le passé, lorsque les nouveaux développements technologiques perturbaient les marchés du droit d'auteur, on pouvait compter sur les gouvernements pour corriger le problème en adaptant les lois régissant la propriété intellectuelle aux nouveaux produits et services. Des presses à imprimer jusqu'à la câblodiffusion, en passant par les cylindres piqués, la radio, les disques et la télévision, la société a toujours été en mesure de compter sur les gouvernements pour rétablir les règles de base nécessaires au bon fonctionnement du marché du droit d'auteur. La situation a maintenant changé.

Le projet de loi C-11 ne crée pas de nouveaux droits utiles et n'étend pas ceux qui existent de manière à permettre aux marchés du droit d'auteur de suivre l'évolution technologique. Pire encore, il privera les artistes et les compositeurs de 30 millions de dollars par année en éliminant les droits relatifs à la copie mécanique et privée d'œuvres diffusées. Ironiquement, on se sert du prétexte de la modernisation pour abandonner les deux droits les plus modernes. Ne vous y trompez pas : ce projet de loi est un pas en arrière qui entravera notre capacité de rentabiliser l'art numérique.

Dans le domaine du droit d'auteur, le rôle du gouvernement consiste à créer des droits avant de laisser le marché ou la Commission du droit d'auteur en établir la valeur. En présentant le projet de loi C-11, le gouvernement a outrepassé son rôle. Il a déterminé qu'il nous faudra renoncer à nos droits de reproduction quand une station de radio fera une copie numérique de notre musique, un changement qui fera sans doute perdre à notre industrie pas moins de 25 millions de dollars par année.

La redevance de copie privée, c'est-à-dire le paiement d'une somme aux créateurs pour la pratique fort répandue et irrépressible qui consiste à copier de la musique, est une solution très efficace à un problème que la musique numérique et Internet ont rendu plus répandu que jamais. Il est complètement illogique de ne pas utiliser la Loi sur la modernisation du droit d'auteur pour moderniser ce droit à l'égard des copies numériques.

Le projet de loi C-11 favorise les resquilleurs qui se réjouissent de pouvoir profiter des œuvres musicales en pensant que c'est à d'autres qu'il revient de payer la note. Il permet la mise en place de systèmes de diffusion aux dépens des créateurs de contenu. Par exemple, le système d'avis, qui est censé cibler les fournisseurs de services Internet relativement à toute activité de piratage sur leurs réseaux, ne fait que solliciter leur aide pour mettre le blâme sur le consommateur. Résultat : les fournisseurs de services Internet sont encore mieux protégés. Ils profitent du piratage en réussissant à faire croire qu'ils sont de simples passeurs de données, alors qu'ils sont plutôt à la tête de réseaux intelligents. Ils n'hésitent toutefois pas à se faire passer pour de simples transmetteurs lorsque cela fait leur affaire.

Il y a lieu d'apporter quelques modifications relativement simples pour améliorer le projet de loi C-11. Premièrement, il faut rappeler à l'ordre les profiteurs en élargissant la portée de la disposition érigeant en violation du droit d'auteur le fait de faciliter la commission de telles violations en ligne. En effet, cette disposition est formulée de façon si étroite qu'elle ne s'appliquera qu'aux cas les plus aberrants de piratage. On devrait en étendre la portée pour inclure toutes les industries qui agissent comme des parasites en profitant du piratage. C'est l'existence d'une loi américaine similaire qui a inspiré la création de la boutique iTunes, l'un des services numériques les plus novateurs.

Deuxièmement, il faut mettre fin à l'expropriation des droits actuels. Si le projet de loi C-11 est adopté sans aucune révision, on perdra des revenus annuels de plusieurs millions de dollars provenant des licences de reproduction mécanique et, à cause d'une échappatoire majeure dans le projet de loi, les diffuseurs n'auront qu'à rafraîchir leurs unités de disque dur tous les 30 jours en copiant le contenu d'une unité à une autre pour éviter de payer des redevances.

Enfin, si la disposition relative aux fournisseurs de services facilitant les violations n'est pas renforcée suffisamment, ole préconise que l'on étende également aux appareils numériques l'application de la redevance sur la copie privée. Un tel élargissement ne serait toutefois pas nécessaire si la disposition en question était améliorée, car les entreprises qui facilitent la violation du droit d'auteur seraient tenues responsables de leurs actes et devraient chercher une solution tenant compte des conditions du marché.

Pour qu'il y ait un marché équitable, il faut un vendeur et un acheteur consentants qui sont libres de négocier la vente d'un produit ou d'un service. Si l'acheteur peut s'emparer du produit sans le payer, on n'a pas affaire à un véritable marché. Le projet de loi C-11 minera grandement la capacité des créateurs de musique de rentabiliser leur art numérique.

Vos délibérations pourraient marquer un tournant historique pour l'avenir du Canada. À l'ère numérique où les idées ont parfois plus d'importance et de valeur que les biens tangibles, un pays qui ne parvient pas à protéger la capacité des créateurs de profiter de leur propriété intellectuelle met forcément en péril son avenir économique. Vous êtes notre dernier espoir pour bloquer ou corriger ce projet de loi avant qu'il ne nuise non seulement à l'intérêt financier à court terme des compositeurs et des musiciens canadiens, mais également aux intérêts à long terme de tout le pays. Ne décourageons pas nos enfants qui rêvent de devenir des artistes sans avoir à se demander s'ils pourront payer leur loyer. C'est le moment ou jamais de faire ce qui s'impose. C'est entre vos mains. Je vous remercie grandement de votre attention.

Stephen Stohn, président, Epitome : Epitome Pictures inc. est une petite entreprise familiale. J'en suis le président, et mon épouse, Linda Schuyler, en est la PDG. Notre entreprise de production télévisée est en affaires depuis plus de 30 ans. Nous produisons de nombreuses séries, mais Degrassi est sans doute celle que vous connaissez le mieux. Sur le plateau de tournage de Degrassi : La Nouvelle Génération, nous avons d'ailleurs eu cette semaine un gâteau et des chandelles pour célébrer notre 300e épisode. Nous sommes très fiers d'avoir la chance de travailler à cette série.

Puisque Degrassi est une émission qui s'adresse surtout aux adolescents, nous avons un auditoire qui a toujours démontré un grand intérêt à l'égard du monde numérique. Nous n'avons donc pas eu d'autre choix que de nous y intéresser nous aussi et de suivre nos téléspectateurs.

Si vous cherchez « Degrassi » sur Google, vous obtiendrez quelque10 millions de résultats. Nous avons environ trois millions d'admirateurs sur Facebook. Nous engageons des rédacteurs pour créer des comptes Twitter, non seulement pour nos acteurs, mais aussi pour les personnages de Degrassi.

Nous avons un jeu, une application mobile qui sortira bientôt et un programme de fidélisation via les médias sociaux. Nous avons été très actifs dans ce domaine parce que nous devions l'être.

M. McCarty, qui vient de parler, est l'un de mes amis, et c'est l'un des meilleurs éditeurs au Canada, voire en Amérique du Nord. En tant qu'ami, je respecte ses opinions, et je partage un grand nombre de ses frustrations.

Cependant, je perçois les choses différemment. Bien que le projet de loi comprenne sans aucun doute des lacunes — ce n'est pas le projet de loi parfait que moi ou n'importe qui d'autre aimerait qu'il soit — il est urgent qu'il soit adopté, et qu'il soit adopté sous sa forme actuelle.

Les sites BitTorrent et de stockage de fichiers qui font de l'argent avec les émissions Degrassi que nous produisons nuisent à nos affaires. Nous devons prendre les mesures nécessaires pour les arrêter, et même un projet de loi imparfait est nettement mieux que rien du tout.

Je veux féliciter la Chambre des communes actuelle d'avoir fait ce que les Chambres des communes antérieures n'ont pas été en mesure de faire, à savoir adopter une loi sur le droit d'auteur qui, si elle ne fait pas entrer le Canada dans le XXIe siècle, le fait au moins entrer au XXe siècle tout en plaçant nos producteurs de contenu sur un pied d'égalité avec leurs rivaux ailleurs dans le monde.

Je veux parler des dispositions sur les montages de contenu parce qu'elles nous intéressent tout particulièrement. Il y a des dizaines de milliers de montages semblables de Degrassi sur le Web. Bien qu'ils soient techniquement illégaux en vertu de la loi actuelle, les montages de contenu permettent en fait à nos admirateurs de démontrer leur engagement envers la série et de générer de la publicité. Je tiens à exprimer mon appui pour les dispositions prévues à cet égard dans le projet de loi. Je crains toutefois que le libellé plutôt spécialisé des dispositions sur les montages de contenu permette des utilisations non voulues. Par exemple, une personne pourrait reproduire un épisode complet de Degrassi, y ajouter une introduction et une fin en comptant sur ces dispositions pour légaliser ses gestes. J'estime qu'il y a tout lieu de s'interroger, mais je sais, pour avoir parlé à des députés du parti ministériel, qu'ils croient que nous nous inquiétons pour rien et que ce n'est certainement pas l'objectif visé par le projet de loi. Ils soutiennent que, sous sa forme actuelle, le projet de loi ne permettra pas une violation aussi flagrante, mais qu'il encouragera plutôt les autres types de montages. Je pense ici aux montages de trois minutes où les gens choisissent des extraits de différents épisodes mettant en vedette leurs acteurs préférés de la série pour leur rendre hommage sur You Tube en les accompagnant d'une chanson. Nous sommes en faveur de ce genre de montages, et je crois que le projet de loi vise à les appuyer.

Bien que, comme je l'ai dit, je partage essentiellement les frustrations de M. McCarty, et que je sois moi-même insatisfait de certaines des formulations utilisées dans le projet de loi, j'implore le Sénat de l'adopter sous sa forme actuelle. Je voudrais recommander la mise en place des mécanismes nécessaires pour examiner l'application de cette loi dans un délai relativement rapproché, peut-être d'ici 18 mois ou 2 ans, afin de voir si ses dispositions produisent les résultats escomptés ou si elles ont des conséquences non souhaitées qui pourraient être corrigées en apportant des modifications relativement mineures et en précisant le libellé.

Bref, je crois que, dans l'ensemble, le projet de loi est fondé sur de bonnes intentions. Même si, comme un grand nombre de mes collègues, je crains que le projet de loi ne soit pas aussi parfait qu'il pourrait l'être, au lieu d'attendre encore 20 ans, je préfère adopter le projet de loi, sous sa forme actuelle, déterminer comment il fonctionne dans le concret, puis apporter les changements nécessaires.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous.

Le président : Merci, M. Stohn.

Le sénateur Hervieux-Payette : Ce que vous avez écrit est très terre à terre. Même si je suis francophone, je trouve cela très pittoresque et très direct.

M. Stohn propose de raccourcir considérablement le délai d'examen. Il parle d'une période allant de 18 mois à 2 ans. J'allais recommander un délai d'un an à un an et demi. Je me demandais si vous souhaitez que l'on retarde l'adoption du projet de loi pour proposer d'autres amendements à l'automne ou si vous préférez qu'on l'adopte maintenant en demandant à un groupe de surveillance indépendant de présenter un rapport 18 mois après sa mise en œuvre afin de déterminer si les craintes que vous et d'autres membres de l'industrie avez sont fondées et si le projet de loi a eu des conséquences très négatives. Monsieur le président, assurez-vous que, si le projet de loi est adopté, on l'analyse pour faire part des conclusions à notre comité. Habituellement, les gens qui prennent le temps d'examiner le projet de loi et de vous rencontrer ne comparaissent pas devant le Comité des banques.

Je suis tout à fait disposée à examiner le rapport qui nous serait soumis dans un an et demi afin d'apporter les corrections nécessaires.

Est-ce que vous êtes prêt à nous permettre d'agir de la sorte en vous assurant que nous corrigerons la situation dans un an et demi, plutôt que dans 20 ans? Qu'est-ce que vous préférez que nous fassions?

M. McCarty : Cela semble une bonne idée en théorie, mais l'histoire a prouvé que, même si une mesure peut être fondée sur les meilleures intentions, elle ne donne pas habituellement les résultats voulus, surtout en ce qui concerne le droit d'auteur. La dernière loi visant à réviser le droit d'auteur, qui a été adoptée quand Sheila Copps était ministre du Patrimoine canadien, prévoyait un examen obligatoire tous les cinq ans, et cela n'a jamais été fait. Comme tout le monde dans cette salle le sait très bien, le droit d'auteur semble être l'un des enjeux politiques les plus délicats. S'il est possible d'éviter de devoir se pencher de nouveau sur cette question en usant de tactiques dilatoires pour remettre les choses à plus tard, je suis sûr que les prochains gouvernements ne vont pas s'en priver.

Je crois juste que des modifications législatives importantes ne peuvent être apportées qu'à tous les 5, 10 ou 15 ans.

Le sénateur Hervieux-Payette : Si vous pensez à la taille de votre industrie — et je parle de toutes les formes de protection pour tous les créateurs canadiens — il s'agit certainement d'une grande partie de notre PIB. Pourquoi le gouvernement et les parlementaires ne voudraient-ils pas se pencher de nouveau sur cette question compte tenu de l'évolution rapide de la technologie?

Ma question s'adresse à vous deux. Je crois qu'il est inacceptable que nous ne procédions pas à un examen après cinq ans. Si cet examen est prévu dans la loi, il devrait être fait. Il ne doit cependant pas s'agir uniquement d'un mécanisme de surveillance; nous devons nous assurer que le travail est bien fait. Je crois que nous irons de l'avant avec ce projet de loi parce que la session se terminera dans quelques jours.

Y a-t-il d'autre solution que l'examen? Y a-t-il des dispositions qui pourraient être mieux définies dans la réglementation, par exemple? Pourrions-nous recommander au gouvernement de profiter de l'adoption de nouvelles dispositions réglementaires pour apporter des éclaircissements à l'égard de certains éléments?

M. McCarty : Si la question s'adresse à moi, je vous dirai que nous avons déjà soumis des suggestions d'ordre plus technique à un comité parlementaire. Je serai heureux de les distribuer à toutes les personnes intéressées.

Le sénateur Hervieux-Payette : Quelque chose à ajouter, M. Stohn?

M. Stohn : Seulement pour appuyer votre position. Il serait merveilleux d'avoir un examen de cette mesure législative, mais aussi de tenir compte du fait que, comme vous l'avez dit, la technologie évolue si rapidement.

Chaque jour et chaque semaine, les gens regardent de plus en plus les émissions de télévision en ligne. Il y a beaucoup d'aspects différents qui changeront profondément la nature de notre industrie et, dans 18 mois, l'industrie elle-même aura changé.

Il pourrait y avoir un mécanisme consacré à l'examen de ces changements, en vue de déterminer si la Loi sur la modernisation du droit d'auteur fonctionne comme prévu, et de paver la voie à tous les changements pouvant être rendus nécessaires par l'évolution incessante de la technologie. Ce serait une bonne chose pour le Canada, l'Amérique du Nord et les industries du contenu qui, comme vous l'avez signalé, représentent une partie si importante de notre PIB.

Le sénateur Hervieux-Payette : M. McCarty, qu'est-ce que vos concurrents aux États-Unis penseraient de notre loi? Je suppose que vous ne vendez pas seulement de la musique canadienne, mais aussi de la musique d'autres pays.

S'ils faisaient l'objet du même traitement — qui, selon vous, est inapproprié, vos homologues américains seraient-ils mécontents? Est-ce que cela rendrait votre vie difficile? Qui souffrira des conséquences si nous ne protégeons pas les créateurs d'autres pays quand leur contenu est diffusé dans notre pays?

M. McCarty : Vous soulevez certes un excellent argument. C'est un enjeu mondial. Partout dans le monde, les lois doivent évoluer, et nous espérons qu'elles le feront simultanément. Nous ne pouvons pas attendre que d'autres pays passent à l'action; nous devons montrer la voie à suivre.

En ce qui concerne les États-Unis, les représentants des industries du droit d'auteur ont tendance à partager le même point de vue. Je pense qu'il y a beaucoup d'attaques contre le Canada parce qu'on veut le convaincre d'adopter une loi qui comporte certains éléments favorables aux intérêts des Américains. En coulisse, bon nombre de mes collègues dans l'industrie américaine de l'édition de musique partagent un grand nombre des préoccupations que j'ai soulevées aujourd'hui.

Les États-Unis ont récemment tenté d'adopter la loi SOPA, qui contenait certains des éléments que j'ai décrits. Comme je l'ai dit dans mon exposé, cette loi s'est heurtée à la vive résistance des opposants aux droits d'auteur qui prétendaient agir, entre autres, au nom de la liberté de parole. À mon avis, ils s'opposent surtout aux droits d'auteur parce qu'ils cherchent à défendre leurs propres modèles d'affaires fondé notamment sur les cyberentreprises et les moteurs de recherche. Ces gens-là ont beaucoup d'influence sur l'opinion publique. Il est difficile de réformer les droits d'auteur comme il se doit quand les opposants gagnent les citoyens à leur cause en faisant appel à l'émotion, plutôt qu'à la logique et au sens des affaires.

Le sénateur Hervieux-Payette : Et qu'en est-t-il de la population américaine? Est-on plus enclin à protéger les créateurs ou préfère-t-on contourner le système de perception des droits d'auteur?

M. McCarty : Je crois que, partout dans le monde, les gens veulent profiter des occasions qu'on leur offre. Si vous leur demandez en théorie s'ils souhaitent protéger les droits des auteurs, des compositeurs et des créateurs, ils répondront « Oui, absolument ». Puis, ils iront sur leur ordinateur et, sans y penser, accèderont à des chansons, à des films ou à des émissions télévisées.

Je ne suis pas en faveur des poursuites contre les consommateurs. Je pense qu'il faudrait plutôt s'en prendre à l'écosystème économique et commercial qui leur permet d'agir de la sorte. Ce projet de loi, comme beaucoup d'autres dans le monde, ne tient pas du tout compte de cet aspect. Je crois que l'industrie du disque a fait une grosse erreur en intentant des poursuites contre des particuliers aux États-Unis. Je pense que cela fait partie de la nature humaine.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration, dans l'industrie de l'édition de musique, nous agissons généralement comme si l'utilisation de la musique est gratuite, même si ce n'est pas le cas. Il n'y a rien de gratuit. C'est comme la radio. Nous avons l'impression qu'elle est gratuite, mais elle ne l'est pas. Le coût de la radio et de la musique est compris dans le prix de tous les produits et les services commercialisés et annoncés à la radio. Le public ne s'en rend simplement pas compte.

Un des problèmes que notre industrie a, et que beaucoup d'autres n'ont pas, est que le public peut voir la façon dont nous fonctionnons et examiner notre chaîne de valeur. Il n'y a pas de comité parlementaire qui étudie le coût des moteurs des automobiles. Si d'autres industries faisaient l'objet d'un examen public aussi rigoureux, la réaction du public quant aux coûts, à la chaîne de valeur et à tout ce qui se passe serait très similaire.

Le sénateur Moore : J'aimerais remercier les témoins de leur participation. M. McCarty, à la deuxième page de votre mémoire, vous affirmez que le projet de loi privera les artistes et les compositeurs de 30 millions de dollars en éliminant les droits relatifs à la copie mécanique et privée d'œuvres diffusées.

Est-ce qu'il s'agit des droits éphémères ou de quelque chose de différent? Dans le paragraphe suivant, vous parlez de 25 millions de dollars. J'essaie de voir comment on peut interpréter ces deux énoncés. Pouvez-vous m'aider?

M. McCarty : Actuellement, les recettes annuelles provenant de la copie mécanique d'œuvres diffusées, qui est reliée à la question des droits éphémères, s'élèvent à approximativement 12,5 millions de dollars. Cet argent est versé aux chansonniers, aux compositeurs et aux éditeurs de musique. Les artistes et les maisons de disques se partagent cette somme à peu près à parts égales. L'industrie de la musique pourrait donc perdre 25 millions de dollars si nous éliminons ces droits.

La redevance de copie privée qui, à son summum, était d'environ 30 millions de dollars par année est maintenant passée à quelque 7 millions de dollars. J'ai arrondi les deux sommes, à savoir celle de 25 millions de dollars et celle de 7 millions de dollars, pour en arriver à un total approximatif de 30 millions de dollars.

Le sénateur Moore : En quoi consistent exactement les droits relatifs à la copie mécanique et privée d'œuvres diffusées par rapport aux droits éphémères que vous venez de décrire?

M. McCarty : Sans entrer trop dans les détails techniques, puisque je ne suis pas moi-même avocat, cela fonctionne de la façon suivante. Il y avait dans la Loi sur le droit d'auteur une exception relative aux enregistrements éphémères qui prévoyait essentiellement que les radiodiffuseurs n'usurpaient pas les droits d'auteur lorsqu'ils copiaient de la musique de façon éphémère. Lors de la dernière série de réformes du droit d'auteur, on a proposé une exception à l'exception, qui stipulait que la copie de musique sans licence n'était pas permise si une société de gestion collective pouvait fournir une licence pour autoriser l'activité.

L'activité a depuis été autorisée sous licence. À l'issue d'une longue audience, la Commission du droit d'auteur du Canada a tranché pour en établir la valeur. Cette audience a d'ailleurs donné lieu à un moment assez mémorable. Les radiodiffuseurs ont affirmé lors de leur témoignage que cette activité était inutile, futile et sans valeur et que l'on ne devrait pas à avoir à payer pour s'y livrer. Quelqu'un leur a demandé pourquoi alors ils ne cessaient pas de le faire. Ils ont répondu qu'ils ne pourraient pas maintenir leur station de radio en ondes s'ils faisaient cela.

Cela démontre la valeur de cette activité. Nous avons le droit d'être rémunérés pour la valeur que nous générons.

La copie privée a commencé à l'époque du magnétophone à cassette. Soit dit en passant, ces droits existent dans la plupart des pays du monde. Les gens ont alors commencé à se rendre compte qu'ils pouvaient, au lieu d'acheter des disques, emprunter ceux de leurs amis et les copier sur une cassette, ou bien acheter un exemplaire et faire des copies pour les différents endroits où ils écoutent de la musique, à la maison comme ailleurs. Nous avions donc un problème d'ordre économique à régler. Au lieu d'essayer d'empêcher cette activité, il fallait trouver un moyen de la rendre avantageuse sur le plan financier pour les créateurs et les titulaires de droits. La solution passait par la chaîne de valeur. Le gouvernement devait nous donner les moyens d'extraire une certaine valeur de cette chaîne au bénéfice des créateurs. En toute logique, on a convenu d'imposer une redevance sur les bandes vierges. Les fabricants ont donc dû payer cette redevance.

Quelques années plus tard, le CD vierge pour l'enregistrement à domicile sur ordinateur a fait son apparition. On l'a également assorti d'une redevance. On donnait ainsi une valeur monétaire à une activité que nous ne pouvions pas contrôler. Nous avons le droit d'autoriser la reproduction de notre musique, mais nous ne pouvons pas la contrôler. Plutôt que d'arrêter des personnes ou de tenter futilement de contrôler ce qui se passe, nous obtenons une partie des retombées économiques générées par l'utilisation non autorisée de notre musique. Voilà selon moi un choix tout à fait judicieux, précurseur de l'attitude à adopter en cette ère numérique. Pourquoi ne pouvons-nous pas appliquer la même solution aujourd'hui? Seules des considérations politiques nous en empêchent.

Le sénateur Moore : Dans ce cas, il y avait le CD vierge. Le prix de celui-ci comprenait une redevance qui était remise en fin de compte aux créateurs.

M. McCarty : C'est exact.

Le sénateur Moore : Nous sommes maintenant à l'ère du numérique. À quoi pourrait-on attacher une redevance? Comme il semble n'y avoir rien de tangible, comme le disque vierge, que proposez-vous?

M. McCarty : La meilleure façon de répondre à votre question, c'est de vous donner un exemple de redevance qui a été négociée dans un marché libre.

Il y a quelques années, Microsoft a voulu imiter les boutiques iPod et iTunes d'Apple et d'iTunes et a lancé un produit appelé Zoom, soit sa version du iPod. L'entreprise avait un site de musique en ligne. En raison des lois américaines sur le droit d'auteur et la complicité de contrefaçon, elle a dû, pour créer ce site, obtenir l'autorisation de certains titulaires de droits, notamment Universal Records. À ce moment, Universal Records avait déjà eu l'occasion d'examiner Apple et son iTunes et l'activité économique qui entourait le tout, et l'entreprise s'était rendu compte que l'industrie de la musique ne récoltait qu'une faible part de la valeur économique de l'écosystème iTunes-iPod. Elle s'est dite heureuse de récolter 70 p. 100 des téléchargements à 99 cents, mais elle souhaitait obtenir une part plus importante de la chaîne de valeur.

Universal Records a donc négocié une redevance de 1 $ sur chaque appareil Zoom vendu. Les responsables de Microsoft étaient heureux de cette entente en fin de compte, car ils étaient conscients que le pourcentage du prix du téléchargement que les maisons de disque et les éditeurs de musique recevaient ne tenait pas entièrement compte de la valeur de la musique dans leurs futures activités commerciales.

Voilà donc un exemple d'entente négociée dans un marché libre qui équivaut à une redevance sur les copies privées.

Pour répondre à votre question, la redevance doit s'appliquer aux appareils ou à quiconque, dans l'économie, favorise l'utilisation de la musique.

Le sénateur Moore : Dans votre exemple, vous parliez d'une boutique Microsoft. Si j'avais acheté de la musique à cette boutique, comment cela aurait-il fonctionné?

M. McCarty : Si je me souviens bien, les prix à la boutique étaient les mêmes que sur le site iTunes, soit 99 cents, mais on vendait également l'appareil, l'équivalent d'un iPod — appelé Zoom — et pour chaque unité vendue, Universal Records recevait 1 $.

L'initiative n'a pas connu beaucoup de succès, mais ce n'est pas à cause de cette entente. Microsoft avait piètrement tenté d'imiter Apple. Si le produit était devenu populaire, je suis convaincu que le reste de l'industrie de la musique aurait négocié des ententes similaires.

Le sénateur Moore : Monsieur Stohn, vous avez dit que ce n'était pas parfait, mais que nous devrions aller de l'avant, et avec la période d'examen, sur laquelle le sénateur Hervieux-Payette vous a posé des questions, mais vous avez dit qu'on pourrait apporter quelques amendements mineurs ou des précisions au libellé.

Avez-vous réfléchi à la question et mis vos idées sur papier? Si c'est le cas, pourriez-vous acheminer le tout au greffier?

Ensuite, vous avez mentionné que de plus en plus de gens écoutent les émissions de télévision sur le Web. Comment cela se passe-t-il? Quel pourcentage de la population passe de l'écran de télévision classique à un appareil en ligne?

M. Stohn : Vous posez là deux questions. Pour répondre à la première, je dirais qu'à titre d'ancien associé en exercice du droit de Barry Sookman, qui, si je ne m'abuse, a également témoigné devant votre comité, je suis tout à fait d'accord avec ses commentaires et suggestions. C'est un homme très intelligent. Vous pouvez également faire miens ces commentaires.

Ce qui se passera avec les émissions de télévision est une question extrêmement intéressante. Personne ne sait ce qui arrivera.

À l'heure actuelle, le nombre d'heures par semaine que les gens passent devant leur écran de télévision n'a pas beaucoup changé. Ils regardent surtout, bien sûr, les émissions de sport et les émissions en direct, ce qui est peu susceptible de changer. En fait, il est fort probable que leurs heures d'écoute augmentent au fur et à mesure que de nouvelles téléréalités viendront s'ajouter.

On note toutefois deux types de changement. Le premier se fait vers des services comme Netflix et Hulu. Ces réseaux avaient l'habitude auparavant de reprendre des émissions qui avaient déjà été diffusées sur les ondes de la télévision classique. Par exemple, une émission que nous produisons maintenant, The L.A. Complex, est diffusée sur le réseau CW aux États-Unis, et elle est diffusée simultanément sur CW et sur Hulu, un service Internet. En payant des frais mensuels, comme c'est le cas pour Netflix, vous pouvez visionner des films et de vieux épisodes d'émissions télévisées, mais aussi, de plus en plus, la programmation actuelle.

Dans les faits, Hulu cannibalise CW, mais il verse une redevance à CW pour certains de ces droits.

CW perd des concessionnaires de produits de diffusion qui sont récupérés par Hulu et monnayés ainsi. C'est l'un des changements qui est en train de se produire.

Le sénateur Moore : Qu'est-ce que CW?

M. Stohn : CW est un réseau comme ABC, NBC ou FOX, un consortium entre CBS et Warner Bros. C'est le cinquième réseau de télévision en importance aux États-Unis.

Le deuxième type de cannibalisation se produit au sein des diffuseurs mêmes. Ils diffusent presque tous maintenant en même temps leurs émissions à la télé et sur leur site Web, mais avec moins d'annonces publicitaires. De plus en plus de gens qui regardent des émissions jeunesse disent, en particulier, qu'au lieu de regarder Degrassi le mardi à 21 heures, une heure qui ne leur convient pas, ils préfèrent voir l'épisode sur le site Web de MuchMusic trois heures plus tard ou le lendemain. C'est un peu comme un DVR ou un PVR. C'est comme avoir un interrupteur de contrôle pour l'Internet. Il y a aussi, bien sûr, les services illégaux, un véritable fléau aujourd'hui, que le projet de loi permettra de contrer, espérons-le.

Le sénateur Moore : Quand vous avez donné l'exemple de Degrassi, quel réseau en ligne avez-vous mentionné?

M. Stohn : Il s'agit du réseau CW et de notre émission The L.A. Complex.

Le sénateur Moore : Vous avez dit qu'il était possible de regarder l'émission trois heures plus tard?

M. Stohn : Degrassi est diffusé d'abord au Canada sur le réseau MuchMusic, mais il est possible de regarder l'émission en tout temps pendant le mois suivant sur muchmusic.com.

Le sénateur Moore : Vous avez accordé une licence à MuchMusic pour pouvoir diffuser l'émission?

M. Stohn : C'est exact, ainsi qu'à muchmusic.com.

Le sénateur Moore : Accordez-vous une licence à un réseau Internet exclusivement ou à plusieurs?

M. Stohn : Pour la première diffusion, il s'agit habituellement d'une licence exclusive. Je dis « habituellement », mais il s'agit presque toujours d'une licence exclusive. Toutefois, après que l'émission a été diffusée pendant un certain temps, disons à MuchMusic, certains droits nous reviennent et nous pouvons alors accorder une licence sur une base non exclusive pour l'émission à Netflix, Hulu, ou un autre service.

Le président : Les membres du comité ont-ils d'autres questions?

Le sénateur Hervieux-Payette : Quel est le contenu canadien de votre banque de musique? Avez-vous des quotas? Comment décidez-vous de ce qui sera versé dans votre banque?

M. McCarty : Parlez-vous du catalogue ou du répertoire?

Le sénateur Hervieux-Payette : Oui.

M. McCarty : Nous sommes fiers d'être une entreprise canadienne et nous sommes liés à l'industrie canadienne de la musique. Nous sommes fiers de contribuer à promouvoir la musique canadienne dans le monde entier.

Nous n'avons pas un système de quotas interne comme tel. Nous sommes en quête des plus grands talents partout sur la planète, et le Canada en regorge.

À l'heure actuelle, nous avons des ententes de coentreprise avec des partenaires qui nous aident à développer des talents canadiens et à les faire connaître sur la scène mondiale. Notre entreprise a un important volet de musique country et, actuellement, nous avons environ 20 p. 100 des artistes country canadiens inscrits au palmarès country canadien.

Ainsi, nous avons une très forte proportion d'artistes country canadiens, et nous voulons aussi élargir notre catalogue et notre répertoire de musique non country dans tous les pays du monde. Un grand nombre d'artistes canadiens viendront assurément s'ajouter dans cette catégorie également.

Il est impossible d'avoir une entreprise d'édition de musique viable qui ne fait affaire qu'au Canada. Nous sommes une entreprise transfrontalière, internationale et multinationale en quête des meilleurs artistes où qu'ils soient.

Le sénateur Hervieux-Payette : Vous menez donc des activités à l'extérieur du Canada?

M. McCarty : Oui, notre siège social se trouve à Toronto, et nous avons des bureaux satellites à Nashville, Los Angeles, et une petite présence à New York actuellement.

Le sénateur Hervieux-Payette : Au Canada, combien de compétiteurs avez-vous? Combien y a-t-il de catalogues?

M. McCarty : Honnêtement, je ne saurais vous dire. À l'heure actuelle, je vous dirais que le tiers probablement, ou un peu plus, des auteurs-compositeurs de notre répertoire actif sont canadiens.

Le sénateur Hervieux-Payette : Comment choisissez-vous les pièces? Signez-vous une entente avec les créateurs, ou avec le producteur? Qui fait les premiers pas? Vous avez parlé d'un des artistes avec qui vous venez de conclure une entente. Est-ce lui qui est allé vous voir, ou est-ce vous qui êtes allé le voir?

M McCarty : Dans le cas de Steven Tyler, c'est son avocate qui nous l'a présenté parce nous avions fait un bon travail pour un autre de ses clients.

Un important volet de notre entreprise, dont je n'ai pas encore parlé, est presque exclusivement canadien. Nous sommes l'un des plus importants éditeurs de musique produite pour les émissions de télévision. Je parle de la musique instrumentale de fond dans les émissions.

De nombreux collègues de Steven dans l'industrie de la production télévisuelle canadienne ont conclu des ententes avec nous dans le cadre desquelles nous gérons les droits d'auteur pour leur musique, ou nous sommes copropriétaires ou partenaires. Nous établissons aussi parfois des partenariats pour les aider à trouver de nouvelles façons de tirer plus de revenus de leurs droits d'auteur.

Dans ce domaine, je dirais qu'environ 80 p. 100 de nos clients sont des entreprises canadiennes. Nous fournissons à leur entreprise une partie importante du capital de risque. Nos ententes sont accompagnées de gros chèques qu'ils utilisent pour créer de nouvelles productions.

Habituellement, nous procédons de deux façons pour ajouter de nouvelles chansons ou auteurs-compositeurs à notre répertoire. Nous cherchons des catalogues de chansons qui existent depuis un certain temps et que le propriétaire, habituellement le compositeur, est prêt à vendre. Dans ce cas, c'est en partie notre intuition, pour ce qui est de la performance à venir, et une analyse financière complexe, pour ce qui est de la performance passée, qui nous guident.

Lorsqu'il s'agit d'un nouveau compositeur qui n'a pas de carrière établie, ce qui nous guide, c'est notre intuition. Nous avons un sixième sens pour ces choses. Si quelqu'un a du talent et que nous croyons pouvoir l'aider à se bâtir une carrière, nous concluons alors une entente avec lui.

Dans ce cas, c'est nous qui allons à eux ou ce sont eux qui viennent à nous. Il y a des gens dans l'industrie qui sont tellement emballés à l'idée de découvrir de nouveaux talents qu'ils vont habituellement nous en faire part et nous allons communiquer avec eux.

Nous les trouvons aussi de plus en plus souvent sur Internet, où nous allons aussi pour confirmer leur viabilité commerciale en examinant leur succès sur YouTube et d'autres sites.

Le sénateur Hervieux-Payette : Donc, si je suis sur Facebook et que vous aimez mes chansons, vous allez m'appeler.

M. McCarty : C'est exact.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je vais y réfléchir.

Il est important de savoir comment les décisions sont prises. Je reviens au créateur — à la personne qui a écrit une chanson. Vous ne semblez pas aimer la loi. Naturellement, elle a des répercussions financières. Vous perdez au change. Les artistes perdent au change. Les producteurs perdent au change. En fait, qui sont les gagnants, à part — supposément — les consommateurs, qui obtiennent un produit gratuitement pour lequel vous devriez, selon vous, être dédommagé?

M. McCarty : Premièrement, quand on parle de recettes, on parle de répartition. Une des choses qui surprend les gens dans le monde moderne des éditeurs de musique et des auteurs-compositeurs, c'est que l'éditeur empoche habituellement 25 p. 100 des recettes, et l'auteur-compositeur, environ 75 p. 100. C'est l'une des ententes les plus équitables dans l'industrie du divertissement.

Vous vouliez aussi savoir à qui cela profite. Toutes les entreprises qui facilitent une utilisation illégale de notre musique — qui facilitent le piratage — sont celles à qui cela profite.

Nous parlions autrefois du besoin de monnayer notre musique dans un monde numérique. Le fait est qu'elle a été très grassement monnayée — et on parle de milliards de dollars —, mais qu'une grande partie de cela nous échappe.

Pour en revenir aux commentaires de M. Stohn, c'est un homme très respecté dans l'industrie de la production télévisuelle et son émission Degrassi a probablement fait plus pour promouvoir la culture canadienne en Amérique que tout autre chose depuis l'avènement du hockey.

Il y a environ cinq ans, je suis allé rendre visite avec ma femme et mes enfants à de vieux amis à Los Angeles. Pendant le dîner, leurs enfants, que nous n'avions pas revus depuis leur naissance, n'arrêtaient pas de nous fixer. Après un bout de temps, l'un d'eux s'est finalement exclamé : « Vous ne parlez pas comme les Canadiens ». Quand je lui ai demandé ce qu'il voulait dire, il m'a répondu qu'on ne parlait pas comme les gens dans Degrassi.

Nous sommes en train de propager la culture canadienne en Amérique grâce au travail de M. Stohn.

Il y a une énorme différence entre la réalité à laquelle font face M. Stohn et son industrie et celle à laquelle fait face notre industrie en ce qui a trait aux questions techniques qui entourent la transmission de nos produits respectifs sur Internet. Transférer une chanson sur Internet, c'est une affaire de rien, parce que le fichier est très petit et la bande très large. On peut le faire instantanément à partir de n'importe quel téléphone cellulaire. Pour transférer un épisode de Degrassi, par contre, il faut un fichier plus gros et une autre sorte de technologie. Il faut qu'il y ait un site Internet. Il faut se rendre sur un site, même sur un site de piratage, pour voir ou télécharger l'épisode. Il est plus facile, dans ce cas, de contrer le piratage.

La musique, par contre, se promène dans l'espace, et le piratage est plus difficile à cibler.

Je tiens à préciser que j'appuie sans réserve l'idée de contrer le fléau du piratage. Je doute simplement qu'on puisse réellement y parvenir. Des gens monnaient le fruit de leur piratage, et je veux que ces gens y mettent un terme ou me donnent une partie de l'argent qu'ils font à partir de notre travail.

Le sénateur Hervieux-Payette : Il y a quelques années, les bons joueurs dans l'industrie nous ont demandé de sévir contre ceux qui volaient les signaux avec leurs soucoupes. Les Américains n'étaient pas contents de la situation.

Le projet de loi permettra-t-il de remédier au problème? J'ai envie de vous appeler monsieur Degrassi, mais je vais dire monsieur Stohn : croyez-vous que ce projet de loi permettra de mettre un terme à cela?

M. Stohn : Selon moi, oui. La Motion Picture Association of America a, depuis un certain temps, assez curieusement, placé le Canada sur sa liste de surveillance des paradis du piratage du droit d'auteur, parmi de très mauvais utilisateurs. Les Canadiens peuvent difficilement se voir de cette façon. Ce projet de loi fera beaucoup pour rayer notre nom sur cette liste.

Le sénateur Hervieux-Payette : C'est rassurant.

Le président : Monsieur Stohn et monsieur McCarty, au nom des membres du comité, je vous remercie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Vos témoignages nous ont été très utiles.

La séance est levée.

(La séance est levée.)


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