Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 23 - Témoignages du 26 juin 2012 - réunion du matin
OTTAWA, le mardi 26 juin 2012
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner celui-ci.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce est ouverte. La semaine dernière, le Sénat a renvoyé le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, à notre comité afin qu'il l'examine. Nous avons amorcé notre étude peu de temps après en entendant les ministres responsables, puis sept groupes d'intervenants intéressés et d'experts en la matière, vendredi dernier.
Aujourd'hui, nous poursuivrons notre étude en entendant trois groupes d'experts au cours de la matinée et le même nombre de groupes au cours de l'après-midi.
Pendant cette première partie de la séance, nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue à Lee Webster, le président du Comité de la propriété intellectuelle de la Chambre de commerce du Canada. En direct de Winnipeg, nous accueillons également par vidéoconférence Graham Henderson, président de Music Canada.
Chers collègues, cette partie de la séance durera une heure, pendant laquelle nous entendrons d'abord M. Henderson, puis M. Webster.
Graham Henderson, président, Music Canada : Bonjour. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant vous aujourd'hui, ne serait-ce que virtuellement. Je témoigne au nom de Music Canada, une association commerciale qui représente les principales compagnies de disques, c'est-à-dire Warner, EMI, Sony et Universal. Ce sont les investisseurs étrangers directs, si vous voulez. Leurs bureaux principaux se trouvent dans la région du Grand Toronto. Ces entreprises font partie d'une industrie qui, selon une récente étude menée par PWC, emploie des milliers de travailleurs partout au Canada. Nous lançons et mettons en valeur des artistes et des musiciens qui ont fait et continuent de faire connaître le Canada, et nous veillons à leur épanouissement.
Il y a longtemps que je travaille dans l'industrie de la musique. Je n'ai pas toujours été au service d'une association. Pendant les 13 ou 14 premières années de ma carrière, je représentais quelques-uns des musiciens, des interprètes et des auteurs-compositeurs les mieux connus du Canada. Ensuite, j'ai intégré Universal Music où, en plus d'exercer les fonctions de chef des affaires commerciales, j'étais chargé de développer leurs affaires numériques. J'ai donc une expérience pratique du développement des affaires numériques qui commencent à prendre racine dans notre pays aujourd'hui.
En outre, je siège au conseil d'administration de la Chambre de commerce de l'Ontario, et je constate que mon ami Lee Webster se trouve parmi vous. Je suis le vice-président du Conseil canadien de la propriété intellectuelle, une division de la Chambre de commerce du Canada. Voilà en quoi consistent mes antécédents. Les membres de notre industrie collaborent énormément entre eux. Mes membres appuient des dizaines de compagnies de disques canadiennes et collaborent avec elles en négociant des accords de distribution et de commercialisation.
C'est un privilège de vous parler du projet de loi C-11 afin de vous inciter à veiller à ce qu'il soit adopté sans tarder. Comme vous le savez, ce projet de loi est en cours d'élaboration depuis des années et peut-être depuis trop longtemps. Ce n'est pas la première fois, mais la quatrième qu'on cherche à réformer le droit d'auteur et qu'on tente de ratifier les traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle portant sur Internet. Et pourtant, c'est la première fois qu'un projet de loi de ce genre se rend au Sénat. Le temps que nous avons pris pour débattre cette question a eu l'effet catastrophique de retarder nos activités. Résultat : des emplois ont été perdus et des carrières ont été compromises, irrémédiablement peut-être.
Tout d'abord, je tiens à saluer l'engagement du gouvernement, sa vision et l'effort considérable qu'il a déployé pour présenter cette mesure législative. Jusqu'à maintenant, les discussions ont englobé des consultations publiques d'une envergure presque sans précédent. On a tenu des assemblées publiques et des tables rondes, et examiné des mémoires présentés par voie électronique ou par écrit. On a entendu des centaines de témoins, et le processus s'est soldé par une mesure législative qui, selon nous, est équilibrée.
Je vous en prie, ne vous méprenez pas. Je ne prétends pas qu'elle soit parfaite, mais je vous demande de me dire si une mesure législative parfaite a déjà été adoptée ici ou ailleurs. Elle ne répond pas à tous les besoins des membres de notre industrie. Pour reprendre les paroles du ministre Moore, ces questions sont techniques, complexes et difficiles à résoudre. Vous ne satisferez pas tous les intervenants.
Les discussions ont également donné lieu à de nombreuses exagérations — ce qui est particulièrement triste, selon moi. Vous avez été témoins d'un certain nombre d'entre elles au cours de vos audiences précédentes. C'est presque comme le syndrome du Petit Poulet. Les déclarations que certaines personnes font à propos de la mesure législative, à propos des horribles répercussions qu'entraînera son adoption, sont vraiment incroyables. Je me demande parfois si les gens qui formulent ces observations ont même lu le projet de loi. Pendant les quelques minutes de mon témoignage, je veux tenter de corriger certains de ces renseignements erronés. Ensuite, il vous restera beaucoup de temps pour poser des questions.
Premièrement, on a longuement discuté des mesures techniques de protection, des MTP comme on les appelle, et certaines personnes ont déclaré qu'elles protégeaient des modèles d'affaires désuets et qu'elles n'étaient pas dans l'intérêt des consommateurs. Rien n'est plus loin de la vérité. En fait, les MTP permettent, par exemple, aux développeurs de logiciels d'offrir aux consommateurs 30 jours d'essai gratuits afin que ces derniers puissent les mettre à l'essai avant de décider s'ils vont les acheter. Grâce aux MTP, les Canadiens peuvent télécharger des millions de livres numériques des bibliothèques et les abonnés canadiens de Netflix, dont le nombre dépasse de loin un million, peuvent jouir d'un accès illimité aux films et aux émissions de télévision visés par l'abonnement.
Un professeur a déclaré que mon industrie n'avait pas besoin des MTP. C'est tout à fait faux. Les mesures techniques de protection permettent à mes membres et aux créateurs avec lesquels nous collaborons d'utiliser des services d'abonnement musicaux, comme Rdio et Zeet, pour donner accès à des millions de chansons, et ce, à une fraction du prix d'achat de la musique. Les MTP facilitent la mise en œuvre de modèles d'affaires dont les consommateurs profitent. Ils revêtent une grande importance pour nos entreprises, et c'est la raison pour laquelle les traités de l'OMPI contribuent à prévenir leur contournement. Le projet de loi C-11 protège adéquatement les MTP, comme l'exigent les traités de l'OMPI.
Vous avez entendu un professeur déclarer que le projet de loi C-11 allait « beaucoup plus loin que ce que le droit international exigeait ». En fait, les traités de l'OMPI exigent à la fois des mesures qui interdisent les actes de contournement, y compris les actes de contournement du contrôle de l'accès, et des mesures qui interdisent l'offre de services de contournement et le trafic d'outils de contournement. Mihály Ficsor, l'un des artisans des traités de l'OMPI — en fait, certaines personnes qualifient ce monsieur de père des traités de l'OMPI —, a examiné le projet de loi C-11 et, d'après lui, il satisfait à ces exigences. Au cours d'un débat très public avec le professeur Geist, par exemple, M. Ficsor a déclaré qu'il n'était pas d'accord avec la façon dont le professeur interprétait les dispositions relatives aux MTP.
Certaines personnes soutiennent également que les nouvelles exceptions ajoutées au projet de loi C-11 sont annulées par les MTP. Par exemple, le professeur Geist a indiqué aux membres du comité que l'exception relative aux personnes ayant une déficience perceptuelle était inefficace, en leur posant la question théorique suivante : « Qui refuserait de fournir un accès approprié aux aveugles? » Et pourtant, l'exception qui autorise les organisations comme l'INCA à contourner une MTP au nom de personnes aveugles n'est soumise à aucune condition, et vous pourrez le constater dans l'article 41.16 proposé. Le projet de loi donne même le droit à des fabricants ou des importateurs de fournir à l'INCA des outils de contournement, seulement à la condition très raisonnable que l'outil n'outrepasse pas les mesures nécessaires pour contourner la MTP à cet effet.
Au cas où cela ne suffirait pas, le projet de loi va plus loin. En fait, il permet au gouvernement d'adopter des règlements qui, si un problème survenait, obligeraient les propriétaires des œuvres à permettre aux handicapés d'accéder à des versions des œuvres exemptes de MTP, et c'est ce qu'indique l'alinéa proposé 41.21(2)b). Alors, la réponse à la question du professeur Geist serait que personne ne refuserait de fournir un accès approprié aux aveugles.
Pour conclure, le projet de loi C-11 a été rédigé, selon moi, afin de réaliser les objectifs du gouvernement, notamment la protection des industries de la création, la lutte contre le piratage et la promotion de la productivité et de l'innovation dans l'important secteur créatif canadien. Comme je l'ai dit auparavant, le projet de loi n'est pas parfait, mais qu'est-ce qui l'est? Nous respectons l'ampleur des délibérations qui ont eu lieu.
Le secteur créatif attend avec impatience son adoption afin de reconstruire son marché, et nous sommes déterminés à collaborer avec le gouvernement afin de déceler tout problème qui devra être résolu au cours de l'examen quinquennal prescrit.
N'oublions pas qu'il est question d'emplois — d'emplois et de carrières.
Merci. C'est avec plaisir que je répondrai à toutes vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Henderson.
Lee Webster, président, Comité de la propriété intellectuelle, Chambre de commerce du Canada : Bonjour. Je m'appelle Lee Webster. Je suis associé du cabinet d'avocats Osler, Hoskin & Harcourt, à Toronto. Je suis ici aujourd'hui en ma qualité de président du Comité de la propriété intellectuelle de la Chambre de commerce du Canada. Je suis également membre du Conseil canadien de la propriété intellectuelle.
Le Conseil canadien de la propriété intellectuelle, le CCPI, est une coalition d'entreprises canadiennes établie en 2008, sous l'égide de la chambre. Il a été fondé dans le but de disposer d'un moyen centralisé de revendiquer des mesures plus robustes pour protéger la PI, tant au Canada qu'à l'échelle mondiale. Il représente un sous-ensemble des membres canadiens, y compris ceux qui appartiennent à l'industrie pharmaceutique et au secteur du divertissement ainsi que ceux qui fabriquent des logiciels ou des biens de consommation.
Mon cabinet d'avocats met l'accent sur le droit relatif à la propriété intellectuelle depuis 25 ans, et je vous remercie en mon nom ainsi qu'au nom de la Chambre de commerce du Canada de l'occasion que vous nous avez donnée, à nous et aux autres, de comparaître devant votre comité aujourd'hui.
Personnellement, je suis surpris — et peut-être agréablement — de constater que la réforme du droit d'auteur est devenue un sujet aussi chaud qui fait l'objet d'un débat au Canada. Il n'y a pas si longtemps, la Loi sur le droit d'auteur faisait allusion à des technologies disparues depuis longtemps, comme les rouleaux perforés et les cylindres d'acier poinçonnés utilisés dans les boîtes à musique des années 1880 et 1890. Il a fallu attendre seulement 100 ans pour que ces mentions soient supprimées de la loi. Je suis heureux de constater que la réforme du droit d'auteur progresse maintenant à un rythme accéléré et que la modification de la Loi sur le droit d'auteur, en vue de tenir compte de l'ère d'Internet, ne se fera peut-être pas attendre jusqu'en 2085.
Il est pratiquement évident que la réforme du droit d'auteur aurait dû être instaurée il y a belle lurette. La création d'Internet et la facilité avec laquelle des œuvres — de la musique, des mots et des images — peuvent être numérisées et reproduites ont sérieusement remis en question les modèles traditionnels de distribution des supports axés sur l'information. Nous savons que les ventes de CD ont diminué et que l'industrie de l'enregistrement traditionnelle éprouve des difficultés. Dernièrement, l'industrie cinématographique, la presse et l'industrie du livre rencontrent des problèmes semblables.
Maintenant, nous sommes saisis du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur. Nous témoignons aujourd'hui devant le comité afin de lui indiquer comment la réforme du droit d'auteur devrait être mise en œuvre afin d'adapter nos lois à l'ère numérique. La dernière réforme assez importante remonte à l'époque où la plus grande crainte des titulaires de droits musicaux était l'utilisation d'un magnétophone à deux pistes pour copier des cassettes.
J'aimerais faire valoir quelques arguments. La réforme du droit d'auteur présente une multitude de problèmes sur lesquels des gens raisonnables peuvent ne pas s'entendre. De nombreuses voix s'élèvent et soutiennent avec force — maintenant, avec l'aide de technologies comme la messagerie électronique, le blogage et le microblogage — que le droit d'auteur et, en fait, les autres droits de propriété intellectuelle sont trop contraignants. Ces personnes ont bien entendu droit à leur opinion. Toutefois, en tant qu'avocat en exercice, je peux confirmer, par expérience personnelle, que certaines des personnes qui argumentent le plus fort en faveur de la diffusion gratuite des œuvres des autres sont aussi celles qui protestent le plus vigoureusement lorsqu'on s'approprie leurs œuvres sans les indemniser.
Nous entendons également des gens se plaindre que le droit d'auteur et, de manière plus générale, les autres droits de propriété intellectuelle sont étouffants et restreignent la libre circulation de l'information, et que, par conséquent, ils sont mauvais pour la société et entravent l'éducation et le développement. Les bibliothécaires adoptent souvent cette position. En revanche, les universités sont souvent parmi les plus ardents défenseurs des droits de propriété intellectuelle, en tant que tremplins pour commercialiser les inventions réalisées par les universités.
Le point de vue qu'on adopte à propos de la PI dépend souvent du bout de la lunette par lequel on regarde. Au cours de vos délibérations, je vous exhorte à ne pas perdre de vue le fait que les droits de propriété intellectuelle, dont le droit d'auteur, sont, en conséquence, des objectifs bien reconnus et éprouvés. En règle générale, la PI favorise la prospérité économique et assure la santé et la sécurité des Canadiens.
Je ne vous ennuierai pas en vous exposant le rôle des brevets, des marques de commerce et des dessins industriels. Toutefois, je vais me concentrer sur le sujet de base qu'aborde le projet de loi C-11, à savoir le droit d'auteur.
Le droit d'auteur récompense le travail créatif. L'idée de créer quelque chose et de l'offrir gratuitement est « louable ». Cependant, que cela vous plaise ou non, il est simplement naturel que les récompenses stimulent la créativité chez les êtres humains. En outre, le droit d'auteur n'entrave pas la circulation de l'information, il ne fait que limiter le droit de reproduire une œuvre. Le droit d'auteur protège la forme de l'œuvre et non sa substance ou les idées qu'elle véhicule.
Le droit d'auteur n'est pas un droit de propriété intellectuelle qui protège uniquement les grandes entreprises. Les personnes et les petites et moyennes entreprises peuvent en tirer parti. Les auteurs, les musiciens, les artistes, les interprètes, les concepteurs de logiciels et d'autres personnes peuvent en profiter. Le droit d'auteur apporte également des avantages aux membres du grand public, car ils sont en mesure d'utiliser les œuvres qui découlent directement de la stimulation occasionnée par le droit d'auteur.
La chambre a remarqué depuis longtemps que la réforme du droit d'auteur se faisait attendre. Le Canada a adopté le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur et le Traité sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes en 1996. Il y a plus de quatre ans, le Comité permanent de l'industrie et le Comité permanent de la sécurité publique ont recommandé tous deux que les lois canadiennes portant sur la propriété intellectuelle soient modifiées rapidement, non seulement pour limiter l'entrée massive de produits contrefaits au Canada, mais aussi pour veiller à ce que la Loi sur le droit d'auteur soit conforme à la technologie d'aujourd'hui et aux normes internationales. J'ai comparu devant les deux comités de la Chambre des communes, et j'ai été agréablement surpris de constater que tous les partis appuyaient la réforme. La Chambre de commerce du Canada est maintenant très heureuse de voir que le projet de loi C-11 a réussi à se rendre au Sénat, et nous nous réjouissons à la perspective de son adoption rapide.
La Chambre de commerce du Canada adhère aux principes suivants qui étaient initialement énoncés dans l'introduction du projet de loi C-11. Plus précisément, la Loi sur le droit d'auteur appuie la créativité et l'innovation qui jouent un rôle important dans l'économie du savoir.
Deuxièmement, les droits exclusifs conférés par la Loi sur le droit d'auteur apportent aux titulaires des droits la reconnaissance et la rémunération qui sont indispensables pour soutenir une créativité et une innovation de ce genre. Toutefois, il faut concilier ces droits avec la capacité de s'assurer que les consommateurs ont accès à ces œuvres et qu'ils peuvent s'en servir facilement.
Troisièmement, les avantages de la protection du droit d'auteur sont rehaussés lorsque les pays adoptent des approches coordonnées, fondées sur des normes reconnues mondialement.
Quatrièmement, les mesures de protection du droit d'auteur devraient être améliorées, notamment grâce à la reconnaissance des mesures techniques de protection, de manière à promouvoir la culture, l'innovation, la concurrence et l'investissement.
La chambre est en faveur d'une solution proprement canadienne, pourvu qu'elle soit sensée. Nous vous exhortons à vous inspirer de ce qui s'est fait dans d'autres pays qui ont changé leurs lois sur le droit d'auteur. Dans un contexte d'économie numérique fondée sur le savoir, le Canada doit adapter ses pratiques à celles de ses partenaires commerciaux et prendre les bonnes décisions.
La chambre est d'avis qu'avec le projet de loi C-11, le gouvernement fera un grand pas vers l'harmonisation de nos lois avec celles de nos partenaires commerciaux, ce qui permettra au Canada de devenir membre d'importants blocs commerciaux. Nous appuyons fortement l'harmonisation de nos lois avec celles des autres pays qui ont adopté le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur et le Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Nous croyons que le projet de loi sur le droit d'auteur dont le Sénat est actuellement saisi contribuera à l'émergence de nouveaux modèles d'affaires, au renforcement de l'économie et à une clarté accrue.
En terminant, je veux parler de l'équilibre, le mot le plus galvaudé de tout le débat sur le droit d'auteur, comme l'est aussi l'idée souvent exprimée selon laquelle tout cela aura un effet dissuasif. L'équilibre, c'est important, mais on ne l'atteint pas en effaçant tous les avantages du droit d'auteur sous prétexte de vouloir diffuser l'information ou à cause de vagues craintes à propos de grandes sociétés ou de gouvernements étrangers. Atteindre l'équilibre, ce n'est pas inventer pour quelqu'un le droit de priver quelqu'un d'autre de ses droits. L'équilibre a toujours consisté à récompenser de manière appropriée l'effort de création, tout simplement. Selon nous, un régime moderne et efficace du droit d'auteur est un pilier essentiel de l'économie numérique du Canada permettant de maintenir l'équilibre, et nous croyons que le projet de loi C-11 atteint cet équilibre.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de comparaître devant vous aujourd'hui.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Webster.
Monsieur Henderson, dans votre introduction, vous avez parlé de carrières détruites, parfois irrévocablement. Pourriez-vous élaborer sur le sujet du piratage et ses incidences à cet égard?
M. Henderson : Certainement. Quand j'ai laissé la pratique privée pour aller travailler chez Universal Music, le secteur canadien de la vente de musique au détail avait une valeur de 1,4 milliard de dollars. Aujourd'hui, il vaut moins de 400 millions de dollars. Il manque 1 milliard. On peut débattre de la part de ce milliard qui est directement attribuable au piratage, mais ce qui est indéniable, c'est que le piratage en est la principale cause. La disparition de 1 milliard de dollars du marché ne peut faire autrement qu'avoir un effet dévastateur qui se répercute sur tous les secteurs de l'économie. Ce ne sont pas seulement les grandes sociétés qui s'en ressentent. Je crois que M. Webster a parfaitement raison. On affirme souvent que seuls Disney, Warner Brothers et Universal Music profitent du droit d'auteur, alors qu'en réalité, il protège les petits indépendants, ceux qui, en quelque sorte, ne peuvent se protéger eux-mêmes parce qu'ils n'ont pas accès à une armée d'avocats.
Que s'est-il passé dans l'industrie de la musique? Des musiciens ont perdu les contrats qu'ils avaient avec les grosses maisons de disques. Une maison comme EMI Records, qui avait à un certain moment 30 ou 40 artistes sous contrat, en a maintenant probablement quatre ou cinq. Où sont passés ces artistes? Certains ont signé chez des indépendants — de gros indépendants —, mais ceux qui étaient déjà chez ces gros indépendants, où sont-ils allés? Chez les petits indépendants? Cette situation a poussé les artistes de plus en plus vers l'extérieur. J'irais presque jusqu'à dire que la musique est passée d'une carrière à une sorte de passe-temps. Il n'y a plus d'argent à faire dans ce domaine aujourd'hui. Le contraste entre les artistes qui ont commencé leur carrière au début des années 1990 ou à la fin des années 1980 — comme ma femme, Margot Timmins, du groupe Cowboy Junkies — et ceux dont la carrière a débuté depuis 1999 à l'ère d'Internet est absolument frappant. La différence entre leur capacité de gagner leur vie est sidérante.
Le président : D'après la liste des intervenants, nous commencerons avec la vice-présidente du comité, madame le sénateur Hervieux-Payette.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Merci de comparaître au comité ce matin. Vous avez affirmé que les compositeurs ne pouvaient pas vivre de leur art et gagner leur vie de façon respectable. Pouvez-vous donner davantage de renseignements sur ce qui a provoqué cette baisse de revenus?
L'an prochain, votre chiffre d'affaires atteindra 500 millions et l'année suivante, il passera à 800 millions. Est-ce que cette loi prévoit des mécanismes qui établissent une certaine équité envers les créateurs? Je fais surtout référence au domaine de la musique.
[Traduction]
M. Henderson : Cette loi ne contient pas de solution magique. D'ailleurs, nous n'avons jamais pensé que ce serait le cas. Nous ne pourrons pas changer le marché du jour au lendemain, mais la loi pose une prémisse importante. Elle rétablit un sens moral. En effet, elle nous dit qu'on ne peut prendre la propriété d'autrui sans aucune forme de compensation. On ne peut voler la musique d'un artiste à moins qu'il y consente. Beaucoup d'artistes aiment donner leur musique sur Internet et rien dans ce projet de loi ne les empêchera de le faire. La loi établit un sens moral qui nous permet de collaborer avec les Canadiens pour reconstruire le marché. Elle nous permet également d'harmoniser nos pratiques avec celles de l'Europe et des États-Unis.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Diriez-vous qu'aux États-Unis et en Europe les créateurs du domaine musical sont mieux protégés?
[Traduction]
M. Henderson : Tout à fait, leurs lois sont beaucoup plus rigoureuses. Je dirais que la France a les meilleures lois à bien des égards. D'ailleurs, cela ne devrait pas nous surprendre que ce pays où les droits d'auteur sont si importants se soit tant empressé de les protéger. Selon de récentes études menées là-bas, les gens délaissent le téléchargement gratuit et paient de plus en plus pour les œuvres musicales.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Webster, la semaine dernière, on a beaucoup parlé des droits de succession. Par exemple, au Québec on a un artiste bien connu du nom de Félix Leclerc. Félix Leclerc a des héritiers. Riopelle, un grand peintre connu mondialement, a aussi des héritiers.
Croyez-vous que ce projet de loi est entaché d'un défaut en ne permettant pas que les héritiers d'un créateur puissent bénéficier de son oeuvre? Dans le cas de Riopelle, un tableau qui a pu se vendre 5 000 $ à l'époque peut aujourd'hui valoir un million de dollars et la famille ne reçoit rien.
[Traduction]
M. Webster : Parlez-vous des droits de réversion? M. Riopelle, par exemple, a cédé ses droits d'auteur à quelqu'un. Vous craignez que ses héritiers soient lésés à long terme?
Il est intéressant que vous posiez cette question, car j'ai représenté pendant un certain nombre d'années la société Sylvan Entertainment dans un procès qui l'opposait aux héritiers de Lucy Maud Montgomery. Je connais parfaitement les droits de réversion qui découlent des lois sur le droit d'auteur de l'époque victorienne. Les droits de réversion ont été insérés dans la loi de 1923 sur le droit d'auteur après avoir été intégrés dans la loi de 1911 sur le droit d'auteur au Royaume-Uni et s'ils ont été intégrés dans cette dernière, c'est qu'on se souciait des héritiers de Charles Dickens, qui étaient très pauvres.
À mon avis, et je tiens à préciser que je ne parle pas au nom de la chambre de commerce sur cette question, les dispositions sur les droits de réversion faisaient fausse route. La plupart des pays du Commonwealth ont adopté de telles dispositions pour suivre l'exemple du Royaume-Uni en 1911 et ils les ont toutes abrogées depuis. Selon moi, le titulaire d'un droit d'auteur devrait clairement avoir le droit, de son vivant, de faire ce que bon lui semble et s'il choisit de céder son droit d'auteur à une tierce partie, qu'il en soit ainsi.
Je sais que Lucy Maud Montgomery avait cédé ses droits à une maison d'édition de Boston à la fin des années 1910, et elle avait reçu environ 17 000 $ ou 18 000 $ pour ses livres, ce qui était une somme considérable à l'époque. Cela dit, au fil des ans, ces œuvres ont généré des revenus importants. À mon avis, un créateur prend une décision commerciale en cédant ses droits. Je ne vois pas pourquoi ses héritiers, qui n'ont aucunement participé au processus de création, auraient droit de toucher quoi que ce soit dans ce contexte.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Donc vous ne croyez pas au principe des droits de succession quand l'artiste n'a pas vendu, mais bien quand l'œuvre a été vendue et qu'elle a pris de la valeur suite à de multiples ventes aux enchères. Dans le cas de Riopelle, on parle de gens qui généralement ont vécu très pauvrement et qui ne laissent en héritage que leur œuvre.
Dans un tel cas, les héritiers ne bénéficient aucunement du talent de leur père ou de leur grand-père.
[Traduction]
M. Webster : Je tiens à préciser que je ne parle pas au nom de la Chambre de commerce du Canada parce que cette dernière n'a pas pris position au sujet des droits de réversion. Je peux vous dire que dans le cadre de l'affaire Lucy Maud Montgomery, j'ai lu les délibérations du Sénat des années 1920, et la question avait été étudiée à fond il y a 80 ou 90 ans. À l'époque, on avait inséré ces droits dans la loi. Personnellement, je ne suis pas un partisan de ces droits.
Le président : Monsieur Henderson, auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. Henderson : J'aimerais simplement parler brièvement des droits de revente proprement dits. Je sais que ces droits sont reconnus en Europe, et je crois qu'il s'agit là d'une mesure progressive de la part du gouvernement français.
À mon avis, cette question dépasse la portée du projet de loi. Il y aurait certes matière à examen, mais nous avons un cadre limité. Le projet de loi porte sur les traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui concernent principalement Internet.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Henderson, vous avez dit que ce projet de loi rétablira un certain sens moral quant au droit de propriété. Vendredi dernier, des témoins nous ont dit que le projet de loi définira sans doute les garanties juridiques plus clairement, mais qu'il ne rétablira pas le sens moral, parce que ceux qui ont les connaissances techniques vont continuer de contourner les verrous. Il n'accomplira donc pas grand-chose. Je présume que vous n'êtes pas de cet avis, mais j'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez.
M. Henderson : En effet, je ne suis pas de cet avis. Si le Canada était le premier pays à adopter les mesures techniques de protection ou s'il était le premier à mettre en œuvre le Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, je dirais que nous devrions faire preuve d'énormément de prudence. Or, nous sommes les derniers à le faire. Lorsque ces témoins ont comparu devant vous, devant le comité de la Chambre des communes et lors d'audiences et de tables rondes, il y avait énormément de suppositions à propos de ce qui allait peut-être se passer ou ne pas se passer. En fait, les mesures techniques de protection sont en vigueur en Europe, en Asie, aux États-Unis, en Amérique du Sud et partout ailleurs dans le monde. Nos mesures sont pratiquement identiques à celles-là. Aucune des conséquences tragiques censées se produire après l'adoption de ce projet de loi ne se sont concrétisées ailleurs. Si on ouvrait la fenêtre pour jeter un coup d'œil sur ce qui se fait ailleurs dans le monde, on verrait que rien de tout cela ne s'est produit.
S'agit-il de la réponse parfaite ou de la solution miracle? Non. Il reste que, auparavant, l'industrie de la musique reposait sur la vente d'objets. Vous m'achetiez un disque compact; cet objet vous appartenait. On vendait quelque chose. Aujourd'hui, on se dirige de plus en plus vers un mode de fonctionnement où on vous fournit un accès, à vous et à d'autres — les consommateurs de musique. Les gens n'achètent pas un objet; ils obtiennent un accès. Par exemple, Zik, au Québec, dont on a parlé tout à l'heure, et Rdio appliquent ce modèle opérationnel. On peut visiter le site Web de Rdio à l'adresse www.rdio.com. On offre au consommateur un accès à de la musique, diffusée en lecture en continu. Le consommateur n'obtient rien. Il ne télécharge rien; c'est diffusé en mode continu. Si nous ne faisons rien pour protéger l'intégrité des signaux, les gens pourraient les pirater et les garder, et ainsi avoir de la musique à une fraction du prix qu'il en coûte pour l'acheter.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Webster, nous avons entendu des commentaires à propos de l'accès. Nous savons tous ce que sont les droits de propriété. Nous avons tous des biens qui nous appartiennent en propre; toutefois, même s'il est question de biens privés, la loi confère parfois aux gens un droit d'accès, que l'auteur ait donné son accord ou non. En l'occurrence, les verrous l'emportent sur tout le reste. Il y a des exceptions, certes, mais les verrous ont préséance. Que faites-vous des éducateurs et des bibliothécaires qui disent : « Nous ne voulons rien reproduire; nous voulons simplement des droits d'accès reconnus par la loi, même s'il y a des verrous »? Que leur répondez-vous?
M. Webster : La Chambre de commerce du Canada est en faveur des mesures techniques de protection. Essentiellement, je suis d'avis que quiconque distribue des œuvres protégées par le droit d'auteur devrait être habilité à verrouiller ce qu'il distribue. Si ce système déplaît à quelqu'un, cette personne n'a qu'à ne pas acheter l'œuvre. Nul besoin d'acheter une licence d'utilisation. Le produit vient avec des verrous, et je pense que le marché commercial va réguler tout cela.
Quant aux éducateurs, tout dépend de l'utilisation qu'ils veulent faire d'une œuvre, mais je m'explique mal qu'une mesure technique de protection puisse constituer un obstacle pour eux. Doivent-ils contourner un verrou pour copier de la musique? Doivent-ils contourner un verrou pour utiliser un BlackBerry? Quel genre d'œuvres verrouillées ont-ils besoin d'utiliser? On continuera de se servir de manuels imprimés. Si on décide de distribuer des manuels sur support numérique et qu'ils sont verrouillés, je ne vois aucun mal à ces mesures techniques de protection, car elles font partie des modalités d'utilisation.
Le sénateur Massicotte : Que pensez-vous de l'autre commentaire que nous avons eu? Disons que le système de verrous permet l'accès. Vendredi matin, un éminent témoin nous a dit que si une personne essayait de faciliter l'accès à une œuvre, ce qui est permis, mais qu'elle n'était pas l'utilisateur direct, elle contreviendrait à la loi. Ce témoin a suggéré que le gouvernement remédie à cette conséquence imprévue et précise clairement dans les règlements d'application que ce type d'accès non autorisé n'est pas une infraction en vertu de la loi.
M. Webster : Il faut que ce soit autorisé.
Le sénateur Massicotte : Le système de verrous permet un accès, mais la personne qui contourne les verrous peut ne pas être l'utilisateur direct de l'œuvre. Le témoin a dit que cette infraction aux termes de la loi constituait une conséquence imprévue.
M. Webster : Pouvez-vous me donner un exemple?
Le sénateur Massicotte : Il y a toutes sortes d'exemples, notamment celui de quelqu'un qui aide une personne aveugle à accéder à une œuvre et qui, par conséquent, n'est pas l'utilisateur direct.
M. Webster : Un tiers qui contourne un verrou pour une personne aveugle. Est-ce que cela risque d'arriver?
Le débat sur le droit d'auteur a donné lieu à toute une série d'arguments concernant des situations qui ne se produisent que rarement, voire jamais, dans la vraie vie. La personne aveugle qui a besoin qu'un tiers contourne un verrou pour elle ne peut-elle pas trouver une autre façon d'accéder au support de son choix? Même s'il y a contournement, est-ce que des procédures juridiques seront entamées? C'est un cas hypothétique peu susceptible de se produire.
M. Henderson : J'ajouterais que ce genre de problème ne s'est pas posé ailleurs dans le monde. Pourquoi est-ce que ces situations surviendraient au Canada, alors qu'elles ne se produisent pas dans les autres pays? Voilà ce que je voulais dire.
Le sénateur Moore : Messieurs Henderson et Webster, je vous remercie de comparaître devant le comité.
J'ai une question pour chacun de vous. Monsieur Henderson, vous avez fait valoir un argument valable en disant que des emplois et des carrières étaient en jeu et qu'il n'était pas facile de gagner sa vie dans le domaine musical de nos jours. La loi vient affirmer le principe moral selon lequel il est défendu de voler la musique d'un artiste. Je veux vous poser une question au sujet des droits liés aux enregistrements éphémères, qui, si je ne m'abuse, représentent des indemnités de 20 ou 21 millions de dollars pour les créateurs. On a aboli ces droits. Avez-vous participé aux discussions avec le ministère pendant la rédaction du projet de loi? Vous a-t-on consulté?
M. Henderson : Non. Je peux vous affirmer que personne n'est venu nous voir pour nous dire que ce serait sans doute une bonne idée de supprimer ce droit.
Le sénateur Moore : Ce n'est pas ce que je voulais dire. Ce que je voulais savoir, c'est si vous avez participé aux discussions, non pas sur cet élément, mais sur l'ensemble de la loi?
M. Henderson : Oui.
Le sénateur Moore : D'accord. Donc, ce point a-t-il été soulevé pendant vos discussions, par quelqu'un ou par vous?
M. Henderson : Oui. Depuis le dépôt du projet de loi, la question de ce qu'on appelle les droits de reproduction mécanique ou éphémères et la mesure dans laquelle nos membres et créateurs méritent d'être récompensés pour ce genre de copies faites par les diffuseurs a fait l'objet de débats houleux.
À mon avis, le libellé n'abolit pas ce droit. Je crois qu'il qualifie ce droit et qu'il y aura des différences de vue considérables entre les diffuseurs et les titulaires de droits au sujet de son effet lorsque la loi sera adoptée. Est-ce que le montant sera encore de 21 millions? Est-ce qu'il sera de 10 millions? Quel sera le montant? Les droits sont très clairement touchés.
Le sénateur Moore : Mis à part le montant, les droits sont touchés.
M. Henderson : Oui. En réalité, le projet de loi crée un sous-ensemble de copies que les diffuseurs peuvent faire sans payer de redevances.
Le sénateur Moore : Lorsqu'il a témoigné devant le comité, le ministre Moore nous a dit que cela a été supprimé pour assurer un équilibre. J'aimerais que vous nous disiez où se trouve cet équilibre. Qu'en est-il des gens qui ont créé ces œuvres? Comme une somme de 20 ou de 21 millions de dollars est en jeu, quelqu'un a-t-il suggéré au ministère de prendre une partie du budget et la mettre là pour s'assurer que les créateurs continuent de recevoir ces fonds?
M. Henderson : Non.
Le sénateur Moore : Qu'advient-il de cette somme?
M. Henderson : Nous avons pris connaissance de cette mesure pour la première fois le jour de la publication du projet de loi. En passant le projet de loi au peigne fin, on est soudain tombé sur la disposition qui porte sur la reproduction mécanique. On ne s'y attendait pas. En ce qui a trait aux répercussions que cela aura, ce sont des millions de dollars qui disparaîtront.
Le sénateur Moore : Je ne comprends pas. À ce qu'il me semble, les créateurs devront s'adresser aux tribunaux pour recevoir une rémunération pour leurs œuvres. Pourquoi fait-on cela? Avez-vous posé la question?
M. Henderson : Je préfère que le projet de loi n'aborde pas la question de la reproduction mécanique.
Le sénateur Moore : Qu'en pense votre femme? C'est une excellente chanteuse.
M. Henderson : Il n'y a pas un artiste au pays, à mon avis, qui considère que c'est une bonne idée d'inclure la reproduction mécanique dans ce projet de loi.
Le sénateur Moore : Très bien.
M. Henderson : Il faut voir le tout. Le projet de loi comporte des éléments positifs et des éléments négatifs.
Le sénateur Moore : Je comprends. C'est un projet de loi délicat, je le reconnais et j'en suis conscient. C'est un bon début, mais ce qui me préoccupe, c'est de voir que certains éléments auront pour effet de supprimer une source de revenus pour les créateurs. Si les stations de radio ne diffusaient que de la publicité, qui les écouterait?
M. Henderson : Je suis d'accord. Nous examinons le projet de loi de manière pragmatique. Il nous manque 1 milliard de dollars, pas 21 millions. Si le projet de loi nous prive d'un peu d'argent ici, nous sommes d'avis qu'il rétablit l'intégrité du marché pour que nous puissions en retirer 1 milliard de dollars. C'est un échange que je suis prêt à faire.
Le sénateur Moore : Le Canada s'est acquis une réputation de paradis du piratage au cours des dernières années et je n'aime pas ça; c'est épouvantable. Si nous pouvions rétablir la situation, j'appuierais les mesures en ce sens.
Monsieur Webster, vous avez eu une discussion intéressante avec le sénateur Massicotte au sujet des verrous numériques. Certaines personnes nous ont dit que les personnes handicapées bénéficiaient d'une exemption à cet égard. D'autres nous ont dit, par contre, que c'était illégal. Comment interprétez-vous la loi?
M. Webster : Je ne l'interprète pas de cette façon. Les personnes handicapées bénéficient d'une exemption. En vertu de cette exemption, elles devraient pouvoir contourner le verrou, à condition que ce soit aux fins prévues.
Le sénateur Moore : Que pensez-vous de l'utilisation équitable? L'article 29 mentionne :
L'utilisation équitable d'une œuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins d'étude privée, de recherche, d'éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d'auteur.
Cela semble assez vaste. La question des droits moraux des créateurs concernant les parodies et les satires me préoccupe. Quel est votre point de vue sur cette question?
M. Webster : Ce qui me préoccupe, ce sont les droits moraux, en ce sens qu'on craint que la parodie ou la sature puisse...
Le sénateur Moore :... changer la nature ou le contexte.
M. Henderson : La question de la réputation de l'auteur est abordée dans les dispositions sur les droits moraux. Si la parodie ou la satire salit la réputation de l'auteur — et je crois que je vais utiliser encore une fois ce terrible mot « équilibre » —, le tribunal devra établir un équilibre entre les deux. Les droits moraux l'emporteront probablement sur la parodie et l'utilisation équitable.
Le sénateur Moore : La question sera examinée par les tribunaux. Je sais qu'il faut commencer quelque part, mais j'ai des réserves. Des créateurs sont venus témoigner la semaine dernière.
M. Webster : L'utilisation équitable soulève toujours la controverse. Il est impossible, à mon avis, de déterminer précisément ce qui constitue ou ne constitue pas une utilisation équitable. Il faut de la souplesse. En ce qui a trait à la parodie et à la satire, on pourrait avancer que la loi actuelle couvre déjà ces éléments. Le projet de loi C-11 vient préciser que c'est le cas, et c'est juste. Le fait de faire une parodie ou une satire d'une œuvre ne devrait pas constituer une violation de la loi, pourvu qu'il s'agisse bien d'une satire ou d'une parodie et que ce ne soit pas une imitation de l'œuvre.
Si quelqu'un diffuse une œuvre sur YouTube en la qualifiant de ridicule et qu'il la diffuse ensuite au complet, il ne s'agit pas, de toute évidence, d'une parodie. La parodie et la satire sont des biens publics. L'affaire se corse quand on parle d'utilisation équitable et de mixage ou de commentaire politique, et cetera. Il revient aux juges de décider. Dans le dossier des droits d'auteur, il faut bien souvent s'en remettre plus à son instinct qu'à la lettre de la loi. Pour être honnête, je dirais que bien des tentatives pour modifier la loi ont échoué en quelque sorte au cours des dernières années parce qu'on voulait être trop précis. Il faut prendre du recul et y voir des principes. Quand on veut être trop précis, il y a toutes sortes d'exceptions absurdes qui vous viennent à l'esprit — que se passerait-il dans tel cas ou dans tel cas? En réalité, les chances que cela se produise sont très minces. Je suis pour la parodie et l'utilisation équitable.
Le président : Monsieur Webster, notre comité, comme bien d'autres, utilise la vidéoconférence, comme c'est le cas aujourd'hui. Il se peut que je me trompe, mais il me semble que c'est la première fois qu'il y a deux verrous à l'écran.
M. Henderson peut dire que c'est en fait sur son mur et que c'est une œuvre d'art. Pourriez-vous nous expliquer la signification des deux verrous? Il se peut que je me trompe, mais il me semble que c'est la première fois que je vois deux verrous. Je n'ai jamais vu cela auparavant. Ces deux verrous doivent avoir quelque chose à voir avec le système que nous examinons pour la première fois dans le cadre de notre étude sur le droit d'auteur.
M. Webster : Il s'agit sans doute plus d'une question de confidentialité que de droit d'auteur. Quelqu'un a apposé un verrou afin que personne ne puisse y avoir accès. Comme la réunion est diffusée sur Internet, cela semble un peu ridicule. Je ne crois pas que cela ait quelque chose à voir avec le fait que M. Henderson appuie la mise en place de mesures de protection techniques.
M. Webster : Il se peut que je me trompe. Est-ce sur le mur derrière vous, monsieur Henderson?
M. Henderson : Il se peut que ce soit mon nouveau symbole.
Le sénateur Massicotte : J'ai une question de clarification pour m'assurer de bien comprendre le projet de loi en ce qui a trait aux droits équitables et aux verrous. Vous semblez dire qu'une personne peut contourner un verrou si elle possède un droit équitable de le faire. Ce n'est pas tout à fait ainsi que j'avais compris cela.
M. Webster : Si cela fait partie des exceptions, elle est autorisée à contourner le verrou.
Le sénateur Massicotte : Aux termes du projet de loi, les enseignants bénéficient de ce droit.
M. Webster : Il n'y a pas de règle équitable. Vous ne pouvez pas contourner le verrou sur un CD pour le diffuser quelque part dans un but quelconque et prétendre qu'il s'agit pour vous d'une utilisation équitable.
Le sénateur Massicotte : Qu'en est-il des bibliothécaires et des documentaristes?
M. Webster : Ils n'y sont pas autorisés. Il faut faire partie des exceptions prévues dans le projet de loi.
Le sénateur Massicotte : Très précisément.
M. Webster : Oui, et je n'y vois aucun inconvénient. Le contournement des verrous numériques à des fins appropriées doit être encadré dans la loi.
Le sénateur Massicotte : Quelles sont les exceptions? Sont-elles appropriées?
M. Webster : Pour être honnête avec vous, je n'ai pas vraiment réfléchi à la question de savoir s'il devait y avoir d'autres exceptions que celles déjà prévues dans la loi. Celles qui s'y trouvent sont adéquates. Au cours des dernières années, le gouvernement a tenu des consultations auprès des groupes intéressés, et c'est ce qu'il en est résulté. Tout le monde a quelque chose à dire à ce sujet, et c'est ainsi qu'on forme la liste d'exceptions.
Parmi les modifications qui ont été apportées à la Loi sur le droit d'auteur dans les années 1990, il y avait toute une liste d'exceptions précises. Les copies pour les rétroprojecteurs, et cetera, n'ont pas été liées d'instinct à une conduite équitable. Elles découlent d'une plainte et d'une prise de conscience de ce qui se passe dans le vrai monde. Il en va de même des exceptions à l'égard des mesures de protection techniques.
Le sénateur Massicotte : Le sénateur Hervieux-Payette a posé une question au sujet des droits des successeurs. Lorsqu'une personne a donné ses droits d'auteur à quelqu'un d'autre, la question qu'elle a posée — d'après ce que dit la loi — portait sur le fait que ces droits expirent 50 ans après la mort de la personne. Elle voulait savoir, si je me souviens bien, si cela était approprié et juste. Le successeur ne devrait-il pas conserver ces droits même si l'auteur est décédé?
M. Webster : Vous parlez alors d'un changement fondamental dans la valeur de l'équilibre. Si vous croyez que les droits d'auteur devraient survivre plus longtemps que 50 ans, vous accordez alors un droit important au titulaire du droit d'auteur.
La prolongation des droits existe. Prenez par exemple Disney aux États-Unis; il est possible d'obtenir une prolongation dans ce pays. Ces biens ont une très grande valeur, et c'est pourquoi le gouvernement croit qu'ils ne devraient pas tomber dans le domaine public. Si vous parlez d'une extension de la durée, cela change la valeur des droits.
Lorsqu'on a comparé le droit d'auteur au brevet et à la marque de commerce, et j'ai dit un peu plus tôt que je n'entrerais pas dans ce débat, il a été décidé à un certain moment donné que la durée du droit d'auteur — soit la vie de l'auteur plus 50 ans — était équitable. Si vous pensez qu'on devrait raccourcir ce délai, pour le ramener par exemple à 20 ans, ou le rallonger, par exemple à 125 ans, c'est une question que vous pourriez examiner.
Une question qui m'a taraudé tout au long de ma carrière, c'est celle des droits afférents au dessin industriel. Les droits afférents au dessin industriel doivent être enregistrés. La durée totale de protection est de 10 ans. À mon avis, le travail artistique intégré à un objet reproduit industriellement a une très grande valeur : 10 ans par rapport à 50 ans? Voyons donc. Si je vous griffonnais un petit dessin ici sur mon bloc-notes, mon droit d'auteur serait protégé pendant toute ma vie, plus 50 ans. Il faut qu'il y ait un équilibre.
Le sénateur Massicotte : On nous a dit que cette durée est maintenant de 70 ans, et non pas 50, dans bien des pays. Est-ce le cas?
M. Webster : C'est exact. La raison de cela, c'est que Donald Duck, Mickey Mouse et les autres œuvres qui ont été créées dans les années 1920 et 1930 sont sur le point de tomber dans le domaine public. Ces œuvres sont toujours considérées comme ayant une très grande valeur à l'heure actuelle, et les intéressés croient que...
Le sénateur Massicotte : Pourquoi la valeur de ces œuvres est-elle pertinente? Picasso vaut beaucoup. L'idée n'est-elle pas d'y avoir droit pendant que vous êtes vivant, plus 50 ans? Pourquoi est-ce pertinent?
M. Reynolds : Vous touchez ici à la vraie question fondamentale du droit d'auteur. Pendant combien de temps bénéficie-t-on de ces droits exclusifs? Pendant combien de temps peut-on les exploiter commercialement? Quelle est leur valeur pour le public? Vous pourriez avancer que Mickey Mouse mériterait d'être protégé indéfiniment. Toutefois, voulez-vous que le petit dessin que j'ai griffonné soit lui aussi protégé indéfiniment? Probablement pas, mais ce sont des décisions très fondamentales au sujet de la valeur et du droit d'auteur qui sont en lien direct avec le mot « équilibre » que j'ai mentionné.
M. Henderson : Nous devons, dans une certaine mesure, examiner ce projet de loi dans la forme qu'il nous a été présenté. La prolongation de la durée, tout comme le droit de revente, n'est pas au menu des discussions. On devrait peut-être en discuter, mais même si elles sont très importantes, elles débordent le cadre de nos discussions d'aujourd'hui. C'est mon point de vue.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Henderson, quand vous dites que votre organisation est passée d'un milliard à 400 millions, est-ce qu'on parle d'une organisation ou d'un secteur?
[Traduction]
M. Henderson : C'était l'ensemble du secteur. C'était la valeur de l'industrie de la musique au Canada en 1999 par rapport à aujourd'hui
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Et vous représentez toute l'industrie dans votre mémoire?
[Traduction]
M. Henderson : Non. Nos membres — les grandes maisons de disque — seraient responsables d'un certain pourcentage, environ 80 p. 100.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Ce sont des entreprises canadiennes?
[Traduction]
M. Henderson : Non. Nos membres sont des multinationales étrangères.
Le président : Au nom des membres du comité, je vous remercie sincèrement d'avoir témoigné aujourd'hui. Vos commentaires ont été très utiles et pertinents.
Nous sommes heureux d'accueillir maintenant Karna Gupta, président-directeur général, et Ken Englehart, président du Comité sur la réglementation intelligente, tous deux de l'Association canadienne de la technologie de l'information, ainsi que John Degen, responsable de la littérature au Conseil des arts de l'Ontario, et Wanda Noel, conseillère juridique auprès du Consortium du droit d'auteur du Conseil des ministres de l'Éducation (Canada).
Monsieur Gupta, allez-y.
Karna Gupta, président-directeur général, Association canadienne de la technologie de l'information : Merci, monsieur le président, ainsi que mesdames et messieurs les membres du comité. Je m'appelle Karna Gupta, et je suis le président-directeur général de l'Association canadienne de la technologie de l'information. Je suis accompagné aujourd'hui de Ken Englehart, premier vice-président de la réglementation à Rogers Communications. Il est également président du Comité sur la réglementation intelligente de notre association, l'ACTI.
Nous sommes ici pour exprimer notre appui au projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, et pour proposer un amendement de forme qui nous semble indispensable.
L'ACTI s'exprime au nom de l'industrie canadienne des technologies de l'information et des communications. Nous représentons toute une gamme de petites et grandes entreprises qui emploient environ 750 000 personnes au Canada et qui injectent environ 140 milliards de dollars dans l'économie canadienne. Nos fournisseurs de réseaux canadiens investissement environ 6 milliards de dollars par année pour développer et entretenir l'infrastructure de ces réseaux, notamment les réseaux numériques et à large bande ainsi que l'accès haute vitesse partout au pays pour les applications sans fil et Internet. Ces réseaux sont absolument indispensables pour soutenir notre économie numérique.
Ce matin, j'aimerais axer mes commentaires sur des points qui ont été soulevés par nos membres. Le premier est l'utilisation de l'informatique en nuage et des enregistreurs personnels de vidéo en réseau, et le deuxième est le régime avis et avis, et sa période de mise en œuvre. Le but du projet de loi a toujours été de n'avoir aucune incidence sur les services d'enregistrement personnel de vidéo qui permettent aux clients de visionner en différé le contenu enregistré. Ce que l'on craint aujourd'hui, c'est que le libellé actuel de la disposition du projet de loi C-11 puisse avoir des conséquences non voulues qui pourraient nuire aux fournisseurs de service et à l'industrie de l'informatique en nuage dans son ensemble.
Le modèle d'affaires pour une prestation de service et une utilisation efficaces repose sur trois éléments : la capacité d'enregistrer, la capacité de sauvegarder, dans ce cas, sur un réseau ou en nuage, et finalement, la capacité d'aller récupérer et de visionner ce qui a été sauvegardé. Selon ce que nous comprenons du libellé actuel, le projet de loi pourrait entraîner des litiges pour les fournisseurs de service, et ainsi, pour les utilisateurs qui visionnent en différé le contenu enregistré.
En ce qui a trait au deuxième point, bien que nous appuyions les dispositions sur le régime avis et avis, il faudrait revoir certaines questions liées à la mise en œuvre. Premièrement, nous avons des réserves au sujet de la forme des avis. Ils sont disparates, tant en ce qui a trait à leur taille qu'au contenu. Deuxièmement, nous sommes préoccupés par la période de temps dont nos membres auront besoin pour mettre au point les procédures techniques pour satisfaire à leurs obligations. Nous ne voulons pas que cette mesure soit imposée sans qu'ils aient le temps requis pour mettre au point ces procédures.
Enfin, il faut tenir compte des coûts, et il faut qu'il soit possible de récupérer ces coûts ou, du moins, avoir un modèle opérationnel qui permette cet investissement. À notre avis, certaines de ces questions peuvent être réglées dans le cadre de la réglementation. Pour ce qui est de la période temps requise, toutefois, nous croyons que les intéressés devraient avoir un an après que le ministre a adopté les règlements pour se conformer à leurs obligations.
Je vais maintenant demander à M. Englehart de nous fournir ses commentaires à titre de président du Comité sur la réglementation intelligente de l'ACTI.
Ken Englehart, président, Comité sur la réglementation intelligente, Association canadienne de la technologie de l'information : Merci beaucoup, monsieur le président, ainsi que mesdames et messieurs les membres du comité. Je m'appelle Ken Englehart et je suis le premier vice-président de la réglementation à Rogers. Rogers est un membre de longue date de l'ACTI, et je préside son comité sur la réglementation intelligente. Je suis heureux de témoigner devant le comité aujourd'hui, et je vais me concentrer sur les dispositions du projet de loi qui portent sur l'informatique en nuage et les enregistreurs personnels de vidéo en réseau.
Nous appuyons le projet de loi C-11 et l'idée de légaliser le décalage horaire des émissions de télévision et de permettre l'utilisation de l'informatique en nuage et les services de stockage à distance comme les enregistreurs personnels de vidéo en réseau. Le ministre Paradis a insisté sur ces éléments lors de la deuxième lecture du projet de loi au Parlement.
Ainsi, les Canadiens pourraient notamment copier des œuvres qu'ils ont obtenues légalement sur leurs ordinateurs et leurs appareils mobiles pour les visionner au moment qui leur convient. Ils pourraient stocker du contenu sur le nuage informatique, ou sur un enregistreur personnel de vidéo en réseau, et le récupérer ensuite. Lors de sa comparution devant vous la semaine dernière, le ministre a confirmé que le gouvernement appuyait les investissements canadiens dans les services d'informatique en nuage comme les enregistreurs personnels de vidéo en réseau.
Toutefois, bien que nous applaudissions à la politique du gouvernement, nous craignons que les dispositions du projet de loi C-11 qui visent à faciliter l'utilisation de l'informatique en nuage, des enregistreurs personnels de vidéo en réseau et du stockage à distance, ne soient pas aussi claires que les propos du ministre.
Il serait honteux pour le Canada de moderniser son cadre de gestion du droit d'auteur pour favoriser les investissements dans la technologie en nuage novatrice, et qu'ensuite, les Canadiens se voient refuser l'accès à ces services emballants en raison d'un libellé trop vague.
Comme vous l'a indiqué le représentant du Business Coalition for Balanced Copyright vendredi dernier, un modeste amendement de forme s'impose pour clarifier la disposition qui permet le stockage à distance. Cet amendement est requis, car la disposition, qui exempte explicitement le fait de fournir une mémoire numérique pour stocker des œuvres protégées par le droit d'auteur, n'exempte qu'implicitement la retransmission du contenu au consommateur. Cela crée donc un flou juridique qui pourrait refroidir les investissements dans les services d'informatique en nuage et d'enregistreurs personnels de vidéo en réseau au pays, car la question pourrait prendre des années à se régler devant les tribunaux.
En quoi consiste un enregistreur personnel de vidéo et pourquoi est-ce si important pour nous d'investir dans ce service et de pouvoir l'offrir aux Canadiens? À l'heure actuelle, les Canadiens utilisent des enregistreurs personnels de vidéo à la maison. Il s'agit d'une boîte numérique que les clients du câble peuvent louer ou acheter pour enregistrer des émissions de télévision qu'ils souhaitent regarder en différé.
Un enregistreur personnel de vidéo en réseau fonctionne d'une façon très similaire à un enregistreur personnel de vidéo. La seule différence c'est qu'au lieu de stocker l'émission de télévision dans une boîte qui se trouve physiquement sur le téléviseur, elle est stockée à distance sur un serveur qui se trouve dans notre centre de données.
Aux États-Unis, les consommateurs peuvent déjà profiter des avantages de ce service. L'entreprise américaine de câblodistribution Cablevision a commencé à offrir ce service en 2010, après que la cour d'appel a statué que ce concept était légal en vertu de la loi américaine sur le droit d'auteur. Fortes de cette décision, d'autres entreprises américaines offrent maintenant ce service. En fait, selon une étude de l'École d'études commerciales de Harvard publiée récemment, la certitude juridique qui découle de l'affaire Cablevision a favorisé l'injection d'entre 728 millions et 1,3 milliard de dollars en capital de risque dans les services de stockage en nuage.
Les principaux avantages d'un enregistreur personnel de vidéo en réseau sur la boîte numérique traditionnelle sont les suivants : premièrement, il permet aux consommateurs d'économiser puisqu'ils n'ont plus à louer ou acheter la boîte numérique. Pour les clients actuels de Rogers, nous estimons que les économies seront de l'ordre de 5 à 7 $ par mois.
Deuxièmement, la capacité de stockage d'un enregistreur personnel de vidéo est limitée, contrairement à celle d'un enregistreur personnel de vidéo en réseau, dont la capacité est illimitée, ce qui permet aux consommateurs de stocker encore plus d'émissions pour les regarder en différé.
Troisièmement, la plupart des enregistreurs personnels de vidéo offerts à l'heure actuelle ne permettent de visionner le contenu qu'à partir d'un téléviseur, tandis que l'enregistreur personnel de vidéo en réseau permet de visionner le contenu en toute sécurité sur d'autres écrans, notamment les tablettes, les ordinateurs et les téléphones intelligents. Ainsi, les consommateurs peuvent visionner le contenu en tous lieux à la maison.
Quatrièmement, l'enregistreur personnel de vidéo en réseau est plus sûr que la boîte numérique. Si un boîtier fait défaut, tout le contenu est perdu et il est impossible de récupérer les enregistrements du client, tandis que si le contenu est enregistré sur un enregistreur personnel de vidéo en réseau, tout est stocké sur le nuage et des sauvegardes sont effectuées en continu. Ainsi, l'enregistreur personnel de vidéo en réseau a une fiabilité de 99,99 p. 100.
Finalement, l'enregistreur personnel de vidéo en réseau consomme moins d'énergie. Comme le boîtier numérique est toujours allumé, il consomme beaucoup d'énergie, tandis que l'enregistreur personnel de vidéo en réseau ne nécessite pas de disques durs comme ceux qui se trouvent dans les boîtiers numériques.
Compte tenu de tous ces avantages pour les consommateurs, vous comprenez pourquoi nous voulons offrir ce service aux Canadiens. Toutefois, si le libellé du projet de loi ne traduit pas clairement le but énoncé de la politique et de la loi, il se pourrait que ce service ne soit jamais offert au Canada.
Fort heureusement, le problème peut encore être corrigé. Le Sénat a souvent corrigé par le passé les erreurs de libellé de ce genre dans les projets de loi pour que les lois canadiennes atteignent leurs objectifs stratégiques. Il a encore une fois aujourd'hui l'occasion de le faire.
Nous proposons un amendement mineur au paragraphe 31.1(4) du projet de loi pour que la nouvelle loi traduise clairement la politique du gouvernement. Les consommateurs canadiens profiteront des investissements et des produits novateurs qui en résulteront.
Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Je vais maintenant céder la parole à M. John Degen, qui représente le Conseil des arts de l'Ontario.
John Degen, responsable de la littérature, Conseil des arts de l'Ontario : Je tiens à remercier le président et les membres du comité de leur invitation à comparaître aujourd'hui. C'est un honneur pour moi de leur faire part de mon point de vue.
Je suis écrivain de profession. J'ai travaillé pendant plus de vingt ans comme éditeur, rédacteur, écrivain pigiste, rédacteur technique, directeur d'une organisation nationale de services dans le domaine des arts aux écrivains et de président de divers conseils d'administration dans ce secteur. Je suis actuellement responsable de la littérature au Conseil des arts de l'Ontario, mais c'est d'abord et avant tout à titre d'écrivain canadien que je comparais aujourd'hui.
J'ai publié deux livres de poésie et un nombre incalculable d'articles de journaux et de revues, ainsi qu'un roman. J'ai fait la liste des candidats présélectionnés et j'ai reçu de nombreux prix pour mes écrits. Je suis en train de mettre la touche finale à mon deuxième roman, ainsi qu'à un autre recueil de poèmes, et j'aimerais bien qu'un cadre de droit d'auteur viable soit en place lorsqu'ils viendront au monde.
À l'heure actuelle, dans le dossier des droits d'auteur, on parle trop souvent des soi-disant utilisateurs, mais on oublie qu'il n'y a pas de plus grands utilisateurs du matériel protégé par le droit d'auteur que les écrivains et les éditeurs, et que nos droits d'utilisateur sont très étroitement liés à nos droits de créateurs.
Le droit d'auteur ne m'a jamais empêché, comme utilisateur, de faire mon travail. Pendant mes années à l'université, je me suis prévalu de l'exception liée à l'utilisation équitable pour faire mes recherches et mener mes études, et je continue à citer et faire référence à des œuvres protégées par le droit d'auteur dans les miennes en sachant pertinemment où se situe la limite de la légalité et jusqu'où je peux me hasarder.
Nous sommes tous des créateurs et nous avons tous des droits de créateur en vertu du droit d'auteur. Il ne faut donc pas faire l'erreur de déshabiller le créateur pour habiller l'utilisateur, afin de faire épargner quelques sous à ce dernier. Si nous rompons l'équilibre dans le dossier du droit d'auteur, nous déshabillons tout le monde pour habiller une minorité de consommateurs privilégiés.
Comme vous le savez sans doute, au cours des 10 dernières années, le processus de réforme du droit d'auteur au Canada a été terriblement lent et souvent interrompu, principalement en raison des tactiques de ralentissement et de confusion utilisées sans relâche par ceux qui s'opposent à l'idée même de protéger le droit d'auteur. Je félicite le gouvernement d'avoir résisté aux vents de la culture gratuite et d'avoir réussi à faire avancer ce dossier. C'est un accomplissement remarquable en soi.
Cela étant dit, la trop grande place accordée aux exceptions dans ce projet de loi me préoccupe. Lorsqu'il y a trop d'exceptions, il n'y a plus de loi. Je conçois la Loi sur le droit d'auteur comme une clôture — une belle clôture, bien construite, qui n'est pas menaçante. Une clôture a pour but de délimiter une propriété. Une clôture n'est pas une série de trous qui permettent aux gens de pénétrer sur une propriété.
En mettant trop l'accent sur les trous et la façon de les utiliser pour empiéter sur le droit d'auteur, le projet de loi C-11 court le risque de rendre cette belle clôture qui protège le droit d'auteur totalement inutile.
J'aimerais vous parler en particulier d'un trou béant dans la clôture : la nouvelle utilisation équitable liée à l'éducation. Ce changement est totalement inutile. Comme je l'ai mentionné, les catégories recherche et étude privée répondent très bien aux besoins des étudiants canadiens depuis des décennies. Il n'y a aucun problème à régler en créant une nouvelle exception pour l'éducation.
Lorsque la copie et l'éducation débordent les catégories recherche et étude privée — et des décennies de copies des œuvres dans les blocs de cours montrent bien que la copie à des fins éducatives déborde très souvent le cadre de ces catégories —, nous avons un système de licence collective en place pour veiller à ce que les « créateurs » reçoivent une somme pour les copies faites à des fins éducatives.
On vous a assurément dit que la nouvelle catégorie n'aura aucune répercussion sur le système de licence collective. On vous répétera sans doute cet argument aujourd'hui. Le fait est toutefois que c'est déjà le cas. Des établissements d'enseignement postsecondaire ont déjà mis fin à leur licence collective en invoquant les nouvelles exceptions prévues dans le projet de loi C-11.
Ce système de licence représente des dizaines de millions de dollars pour les écrivains et les éditeurs canadiens. C'est une somme qui leur revient pour les copies qui débordent actuellement le cadre d'une utilisation équitable. Si la catégorie liée à l'éducation n'est pas supprimée du projet de loi C-11, nous savons déjà quels seront les résultats de cette nouvelle utilisation, qui ne sera assurément pas équitable.
Cette exception liée à l'éducation est extrêmement à courte vue. Ces mêmes étudiants à qui on dit qu'ils n'ont pas à payer pour les copies d'œuvre pendant les quatre ans de leur programme d'études devront être payés en fin de compte pour leur travail créatif le reste de leur vie. Je le répète, nous déshabillons le créateur pour plaire temporairement au consommateur.
Si je peux me permettre de vous demander une chose en adoptant ce projet de loi, ce serait la suivante : supprimez cette exception totalement inutile et à courte vue du projet de loi. La clôture qui entoure le droit d'auteur au Canada est déjà suffisamment trouée.
Merci de votre temps et de votre attention.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Degen.
Je cède maintenant la parole à Wanda Noel, qui représente le Conseil des ministres de l'Éducation.
Wanda Noel, conseillère juridique, Consortium du droit d'auteur, Conseil des ministres de l'Éducation (Canada) : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui pour représenter la ministre Ramona Jennex, ministre de l'Éducation de la Nouvelle-Écosse et présidente du Consortium du droit d'auteur formé par le Conseil des ministres de l'Éducation (Canada). À titre de présidente, la ministre Jennex représente les ministres de l'Éducation de toutes les provinces et de tous les territoires du Canada, à l'exception du Québec.
J'exerce dans un cabinet privé et je travaille dans le domaine du droit d'auteur depuis 30 ans. Le Conseil des ministres de l'Éducation fait partie de mes clients depuis environ 12 ans.
Qu'est-ce que le Conseil des ministres de l'Éducation (Canada)? Il s'agit d'un organisme intergouvernemental qui a été créé par les ministres de l'Éducation en 1967. Il a pour rôle d'aider les ministres de l'Éducation à s'acquitter de leurs responsabilités constitutionnelles touchant la prestation des programmes d'enseignement dans les provinces et les territoires du Canada.
La Loi sur le droit d'auteur touche directement la politique et les pratiques de l'enseignement dans toutes les salles de classe au pays. Les ministres de l'Éducation participent activement au processus fédéral de réforme du droit d'auteur depuis 14 ans, soit depuis 1998. Nous sommes ici aujourd'hui dans cette chambre au terme d'un voyage qui aura duré 14 ans.
Ce voyage a été entrepris parce que la loi actuelle sur le droit d'auteur, que le projet de loi C-11 vient modifier, n'est pas claire sous plusieurs aspects qui touchent l'éducation. C'est en raison de cette absence de clarté que le Consortium du droit d'auteur du Conseil des ministres de l'Éducation presse le gouvernement fédéral depuis 14 ans de préciser comment la Loi sur le droit d'auteur s'applique à la technologie numérique utilisée à des fins d'enseignement.
Les ministres de l'Éducation souhaitent que les enseignants et les élèves puissent bénéficier, à des fins éducatives, d'un accès raisonnable et équitable au matériel protégé par le droit d'auteur. Les honorables sénateurs ne seront donc pas surpris d'apprendre que le Consortium du droit d'auteur du Conseil des ministres de l'Éducation a applaudi l'adoption du projet de loi par la Chambre des communes.
La ministre Jennex, qui s'est exprimée au nom de ses collègues ministres de l'Éducation dans un communiqué publié la semaine dernière, s'est félicitée en ces termes de l'adoption du projet C-11 :
Le monde de l'éducation s'inquiète depuis de nombreuses années de la désuétude des lois sur le droit d'auteur au Canada, notamment de leurs répercussions négatives sur l'utilisation d'Internet et la possibilité pour les apprenants et les enseignants de profiter pleinement de la technologie numérique. La modernisation de ces lois pour répondre aux besoins d'apprentissage numérique en évolution des Canadiens se fait attendre depuis trop longtemps déjà.
Les progrès technologiques ont intensifié les appels du monde de l'enseignement en faveur d'une modernisation de la Loi sur le droit d'auteur. La technologie numérique a mis de nouveaux outils fascinants à la disposition des enseignants pour enseigner, et des apprenants pour apprendre. Pour les élèves et les enseignants toutefois, la façon dont la Loi sur le droit d'auteur s'applique aux nouvelles technologies doit être claire. Sans les amendements liés à l'éducation qui sont proposés dans le projet de loi, les enseignants et les élèves canadiens à tous les niveaux, de la maternelle aux études postdoctorales, se verraient dans l'obligation de renoncer à certaines possibilités d'apprentissage et de restreindre leur utilisation d'Internet en classe par crainte de violer la loi.
La bonne nouvelle, c'est que le projet de loi C-11 vient remédier de façon opportune aux importants problèmes liés au droit d'auteur auxquels se heurte le monde de l'enseignement. Ce projet de loi procure un juste équilibre entre les droits des utilisateurs, des créateurs et des industries qui commercialisent les œuvres des créateurs.
Le projet de loi tient compte de la grande préoccupation des ministres de l'Éducation. Il fournit un cadre juridique aux élèves et aux enseignants pour l'utilisation de l'Internet à des fins d'enseignement et d'apprentissage. L'amendement sur l'utilisation de l'Internet à des fins éducatives proposé dans le projet de loi C-11 permet une approche raisonnable et équilibrée pour faciliter l'apprentissage dans un monde numérique.
Le conseil des ministres applaudit l'inclusion de l'éducation dans la disposition sur l'utilisation équitable; ce point de vue s'oppose à celui de l'homme très érudit qui se trouve à ma gauche, soit M. Degen, et je suis certaine que nous aurons des discussions intéressantes sur le sujet. Les ministres croient que l'ajout de l'éducation dans la disposition sur l'utilisation équitable en vertu de la Loi sur le droit d'auteur ne permettra pas aux professeurs de faire des copies de tout ce qu'ils veulent. Cette pratique doit rester équitable. Il s'agit d'une disposition sur l'utilisation équitable, et le caractère équitable de l'utilisation doit encore être démontré par l'entremise du test en deux étapes de la Cour suprême.
Par exemple, une personne qui fait des copies d'une œuvre complète ne respecte pas le deuxième critère établi par la Cour suprême. L'utilisation doit être équitable. Les modifications à la disposition sur l'utilisation équitable auront un effet positif. Cette modification mettra les Canadiens sur le même pied d'égalité que le personnel enseignant et les apprenants aux États-Unis et dans bon nombre de pays dans le monde.
En tant que gardiens du système d'éducation publique au Canada, les ministres de l'Éducation prennent vraiment au sérieux le droit d'auteur. Les ministres le respectent, et les commissions scolaires au pays doivent s'assurer que les gens le respectent également dans leurs établissements.
Les ministres de l'Éducation du Canada soutiennent depuis longtemps qu'un cadre moderne et équilibré en ce qui concerne le droit d'auteur veillera à protéger l'intérêt public et procurera de nombreux avantages à la société. La nécessité d'un tel cadre n'a clairement jamais été aussi importante qu'actuellement, tandis que tous les ordres de gouvernement tentent de brancher les apprenants canadiens et de promouvoir le développement des compétences et l'innovation.
En terminant, j'aimerais vous lire un message de la ministre Jennex et de ses collègues :
Le consortium est ravi de voir que les lois du Canada sur le droit d'auteur seront bientôt modernisées, offrant ainsi aux apprenantes et apprenants canadiens la possibilité d'exceller dans notre univers numérique et contribuant à positionner le secteur de l'éducation du pays comme un chef de file à l'ère de l'information. Nous félicitons le gouvernement fédéral des progrès réalisés.
Le président : Merci, madame Noel.
Je vais passer à ma liste. C'est la vice-présidente du comité qui aura la parole en premier. Allez-y, sénateur Hervieux-Payette. Ensuite, ce sera le sénateur Oliver.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Si vous me permettez, je viens du Québec et la ministre de l'Éducation du Québec est tout à fait en désaccord avec la position du conseil. Elle nous a fait part de ses préoccupations et je comprends que vous ne représentez pas le Québec.
Par contre, vous m'intriguez beaucoup lorsque vous insistez sur l'équilibre qui existe entre les droits des créateurs et ceux des étudiants et des professeurs qui eux, un jour, vont probablement publier et être privés des droits d'auteur lorsque leur œuvre sera reproduite. Il ne s'agit pas d'un montant énorme, mais je pense que M. Degen n'est pas tout à fait d'accord avec vous. Quelles économies vont faire vos ministres des provinces anglophones du Canada? À l'heure actuelle, quel est le montant qu'ils accordaient à ce secteur?
[Traduction]
Mme Noel : Avec l'adoption du projet de loi C-11, les budgets d'acquisition des commissions scolaires et des ministères concernant l'achat d'œuvres protégées par le droit d'auteur, notamment des livres, des films, de la musique, ne changeront pas. Les commissions scolaires dépensent actuellement des centaines de millions de dollars pour acheter des ressources pédagogiques, et les budgets ne changeront pas, peu importe que le projet de loi C-11 soit adopté ou non.
Les ministères de l'Éducation et les commissions scolaires ne réaliseront pas d'« économies ».
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Je trouve cela un peu étrange parce que les créateurs nous ont parlé d'un fonds qui, en fin de compte, était accepté. Il y a aussi une gestion, je dirais prudente, puisqu'on ne parle pas de centaines de millions, mais d'un peu plus de 20 millions. Cette somme d'argent revenait aux auteurs pour l'application raisonnable des droits d'auteur et permettait effectivement les photocopies ou les copies digitales. Les universités n'auront plus à payer ces 20 millions de dollars, alors dites-moi comment elles vont dorénavant compenser les auteurs dont elles font des copies des œuvres?
[Traduction]
Mme Noel : Je ne voudrais pas employer un terme péjoratif, mais des chiffres ont été avancés et de beaux discours ont été prononcés concernant les pertes qui découleraient de l'adoption du projet de loi C-11. Ces données ne se fondent aucunement sur des preuves empiriques. Ce sont des affirmations faciles à faire, et elles sont non fondées d'après moi et mes clients, c'est-à-dire les ministres de l'Éducation.
Par exemple, il est complètement faux d'avancer que les universités et les collèges ont décidé de ne plus utiliser la licence collective d'Access Copyright, en raison du projet de loi C-11. Cela n'a absolument rien à voir avec ce projet de loi.
Voici ce qui se passe. Les éditeurs universitaires accordent maintenant directement des licences aux universités, aux collèges et, dans une certaine mesure, aux établissements d'enseignement primaire et secondaire. Ils évitent de passer par une société de gestion. Lorsqu'une société de gestion des droits d'auteur offrait un taux que les universités croyaient trop élevé, la moitié des universités au Canada ont choisi de ne pas passer par ce système et d'obtenir directement les licences des maisons d'édition. Le montant de ces paiements est empirique et peut être prouvé et justifié. L'année dernière, 161 millions ont été versés par environ 60 universités au Canada pour l'achat des droits de reproduction de revues spécialisées et de ressources pédagogiques.
Je crois que vous voyez des gagnants et des perdants.
Le président : Je crois que M. Degen aimerait également dire un mot à ce sujet.
M. Degen : Selon moi, les écoles secondaires qui ont décidé d'abandonner la licence collective d'Access Copyright ont clairement affirmé le faire, parce que le projet de loi C-11 est sur le point d'être adopté et que les établissements d'enseignement auront plus de libertés. Elles ont souligné les économies considérables qu'elles réaliseront. C'est absolument faux de dire qu'elles ne comptent pas sur les nouvelles libertés proposées par le projet de loi C-11, parce que c'est présent dans chacun de leurs communiqués de presse. En fait, la majorité de ces communiqués citent directement des passages du texte du professeur Michael Geist paru dans le Toronto Star. Dans l'article, il conseille aux écoles d'attendre l'adoption du projet de loi C-11 pour constater l'ampleur des économies qu'elles réaliseront en se détournant des licences collectives.
Je félicite bien entendu les établissements qui regardent du côté des licences privées, parce que cela signifie que les recettes iront directement aux créateurs. Néanmoins, pendant ce temps, ces établissements ont tout à fait l'intention d'abandonner les licences collectives et de se servir du projet de loi C-11 pour se justifier. Cette information a été confirmée.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Gupta, pour faire une comparaison avec nos artistes créateurs, en particulier dans le domaine littéraire, pouvez-vous nous dire le salaire moyen des gens qui œuvrent dans votre secteur?
Ma deuxième question s'adresse à M. Englehart. Connaissez-vous la raison du manque de protection technologique et pourquoi on a laissé les deux technologies se concurrencer? Y a-t-il une raison technique, une raison politique ou une raison économique à cette décision de ne pas vous accorder la protection que vous demandez dans l'amendement à la section 31.1(4)?
[Traduction]
M. Gupta : Vous voulez savoir le salaire moyen. Vous devez comprendre que le secteur des technologies de l'information comprend une vaste gamme d'emplois : des concepteurs aux cadres supérieurs. Il serait donc laborieux d'en déterminer le salaire moyen.
Dans une étude typique sur le secteur des technologies de l'information, en ce qui a trait aux fonds pour le développement sur la scène mondiale, le Canada se situe à environ 55 000 ou 65 000 $ par année, tandis que ce sont des investissements de l'ordre de 45 000 $ pour l'Inde et de 40 000 $ pour la Chine. Cela varie beaucoup.
C'est très difficile de déterminer le salaire moyen dans le secteur. Dans le cas des concepteurs et des architectes, nous pouvons nous servir des données à l'échelle mondiale pour déterminer ce que devrait être approximativement le salaire au Canada.
M. Englehart : Je ne suis pas au courant que des gens se soient réellement opposés à ce genre de précision; nous trouvons donc très frustrant qu'il ne semble pas y avoir d'opposants, mais qu'il y ait tout de même un manque de précision.
Le président : Merci.
Le sénateur Oliver : Ma question s'adresse à MM. Gupta et Englehart et porte sur l'amendement proposé. Je vais d'abord donner un peu de contexte, puis je vais vous demander si cela ne pourrait pas être fait par l'entremise d'une mesure réglementaire.
Le premier témoin ce matin étant Graham Henderson de Music Canada. Il a notamment dit que le projet de loi C-11 est la quatrième mouture de la réforme du droit d'auteur. Cela fait des années que ça dure, et c'est la première qui se rend jusqu'au Sénat. Le résultat de toutes ces moutures est que le projet de loi est équilibré.
La Chambre des communes a pris congé pour l'été; il faudrait donc faire revenir les quelque 300 députés pour un amendement qui coûtera des centaines de milliers de dollars uniquement en frais de déplacement, sans compter les autres frais connexes.
Je vous ai entendu mentionner dans votre exposé que le ministre a dit devant la Chambre et le Sénat qu'il pense que les gens devraient pouvoir entreposer et extraire du contenu dans le nuage informatique, et il l'a dit explicitement. Il me semble que votre principale inquiétude soit que ça disait implicitement qu'on pouvait seulement extraire du contenu. La différence se trouve dans ce qui est explicite et ce qui est implicite.
Vous avez dit dans votre exposé à la page 5 que si la rédaction des documents législatifs ne reflète clairement pas l'intention de la loi et de la politique, cela pourrait faire en sorte que les services ne soient jamais offerts au Canada. Vous n'avez pas dit « ferait »; vous avez dit « pourrait faire ». C'est donc une possibilité.
Étant donné que le ministre a fait deux déclarations explicites au sujet de l'intention du gouvernement du Canada par rapport à cet article, ne pourrions-nous pas apporter une telle précision par l'entremise d'une mesure réglementaire?
M. Gupta : Pour ce qui est des deux enjeux que j'ai soulevés, le deuxième, soit le régime d'avis et avis, pourrait tout à fait être abordé par l'entremise d'une mesure réglementaire. À mon avis, il faut y apporter des précisions et rendre cet élément plus clair.
Le sénateur Oliver : En ce qui concerne le nuage informatique?
M. Gupta : À cet égard, nous examinons le passé pour nous orienter. Nous ne savons même pas comment certains changements techniques se dérouleront au fil du temps. La précision qui est proposée doit se faire par l'entremise de déclarations beaucoup plus précises de la part du ministre ou de la modification du libellé. Je suis conscient que le rappel de la Chambre des communes pour examiner l'amendement est un problème.
Nous sommes ici ce matin pour vous dire que de graves inquiétudes ont été soulevées par bon nombre de nos membres. Une fois ce point soulevé, c'est probablement important de laisser le comité l'examiner. Comme vous l'avez mentionné, il existe peut-être un autre moyen d'apporter la précision demandée, notamment par l'entremise de lettres ou de commentaires précis du ministre; je vais laisser M. Englehart aborder cet aspect, mais il serait peut-être bon d'étudier cette possibilité.
M. Englehart : Je suis avocat spécialisé en droit des communications, et je ne crois pas que cet aspect peut être abordé au moyen de mesures réglementaires, contrairement à beaucoup d'éléments que les gens ont soulevés aujourd'hui. Je suis conscient du dilemme dans lequel vous vous trouvez, mais je sais également que les entreprises de câblodistribution comme la nôtre auraient bien voulu lancer un service global d'enregistreurs numériques personnels en réseau. Par contre, en raison de l'incertitude qui plane, nous devrons procéder prudemment en faisant, par exemple, un essai de petite envergure et attendre de voir la réaction des tribunaux, ce qui est honteux.
Le sénateur Oliver : Si cette question est débattue devant les tribunaux, je présume que les juges tiendront compte des deux déclarations explicites du ministre devant la Chambre des communes et le Sénat, à savoir que l'intention est que les Canadiens puissent entreposer et extraire du contenu dans le nuage informatique.
M. Englehart : Rien ne me ferait plus plaisir que d'apprendre que les tribunaux pensent comme vous, mais certains juges diront que les déclarations dans le hansard ne peuvent pas supplanter le libellé qu'ils ont sous les yeux. Je suis rempli tant d'espoir que d'inquiétudes.
Le sénateur Massicotte : Madame Noel, vous avez dit que ce qui est proposé dans le projet de loi est semblable à ce qui se passe ailleurs. Cette même exception existe-t-elle aux États-Unis?
Mme Noel : C'est considéré comme une utilisation équitable aux États-Unis, et l'objectif est le même. Le terme « éducation » n'est pas utilisé dans la disposition sur l'utilisation équitable dans la loi américaine; c'est le terme « enseignement » qu'on y trouve. La disposition dit « ce qui comprend les copies multiples qui seront utilisées en salle de classe ». Cette disposition est en vigueur aux États-Unis depuis 1977, et les maisons d'édition et les communautés créatives ont continué de publier et de prospérer.
Le sénateur Massicotte : Ce sont en gros les mêmes règles, mais vous avez l'obligation de tout détruire 30 jours après le cours, n'est-ce pas?
Mme Noel : L'obligation de tout détruire dans les 30 jours n'est pas présente dans la loi américaine, mais dans la TEACH Act... Pour être honnête, je devrai vérifier cette information. Il y a une loi américaine qui aborde l'apprentissage en ligne; elle ne fait pas partie de la loi américaine sur le droit d'auteur.
À savoir s'il faut détruire dans un délai de 30 jours tout contenu protégé par le droit d'auteur qui a été présenté en classe aux États-Unis, je n'en suis pas certaine, mais je pourrais vous trouver la réponse.
Le sénateur Massicotte : Compte tenu de l'objectif de l'utilisation équitable, la décision de l'auteur de peut-être installer une serrure spéciale sur son œuvre vous empêche-t-elle d'exercer vos droits d'en faire une utilisation équitable au Canada? Des serrures peuvent-elles porter atteinte à votre droit?
Mme Noel : La position des ministres a toujours été de maintenir un équilibre, et je ne veux pas le répéter ad nauseam. Le problème avec une disposition sur les serrures numériques, c'est que cela ne protège pas une œuvre; cela protège une serrure, une technologie. C'est une dérogation profonde par rapport à tout ce qui existe ou qui a existé dans la Loi sur le droit d'auteur. Les débats qui ont eu lieu au cours des trois rondes de réforme depuis 1988 ont abordé les droits qui devraient être accordés aux utilisateurs et aux créateurs. Ce sera la première fois que des droits seront accordés relativement à une technologie, plutôt qu'à une œuvre. C'est une entorse profonde, parce que le droit d'auteur est censé protéger l'activité créatrice, et une serrure n'est pas une activité créatrice.
Le sénateur Massicotte : Il s'agit d'une mesure additionnelle pour protéger les droits du créateur. Vous semblez croire qu'une personne pourrait utiliser des serrures pour en restreindre l'accès, en dépit de l'intention des dispositions sur l'utilisation équitable et de la loi.
Mme Noel : Oui.
Le sénateur Massicotte : Néanmoins, vous vous dites satisfaite de la loi actuelle, n'est-ce pas?
Mme Noel : Je suis heureuse que vous me posiez cette question, parce que la réforme de la Loi sur le droit d'auteur est difficile et qu'il y aura toujours un gagnant et un perdant, peu importe la décision que vous prenez dans le cadre d'une telle réforme. Selon moi, le projet de loi a très bien été pensé, parce qu'il est équilibré. D'un côté, il accorde des droits importants aux créateurs pour leur permettre d'utiliser la technologie numérique pour générer des revenus grâce à leurs œuvres. De l'autre, il accorde des droits très importants à ceux qui utilisent les œuvres pour en faire bénéficier la société, notamment les bibliothèques, les archives, les musées et les établissements d'enseignement.
Il y a des compromis. Si vous aviez un projet de loi qui plaisait à tout le monde, il ne serait pas équilibré.
Le sénateur Massicotte : Ce n'est jamais arrivé.
Mme Noel : Non. C'est vrai.
M. Degen : Ce matin, M. Henderson a mentionné des situations de la vie de tous les jours et a parlé de la panique qui est monnaie courante dans de tels cas. Voici une liseuse de Kobo qui contient beaucoup d'œuvres. Ce n'est pas une publicité pour Kobo. Disons que j'étudie ces ouvrages dans un cadre universitaire. J'ai ici Moby Dick, un grand classique canadien. Disons que j'étudie Moby Dick. Sur mon appareil, le roman est verrouillé. Cela fait partie du système d'exploitation propriétaire verrouillé de Kobo. On ne peut pas le transférer sur une liseuse de Kindle, par exemple. Les entreprises prennent de telles mesures pour définir le marché. Si je suis étudiant, certains ont peur que la serrure m'empêche de jouir de mes droits d'en faire une utilisation équitable aux fins de recherche et d'étude privée. Je contourne ce problème de manière tout à fait légale et sans briser les serrures en me servant d'un papier et d'un crayon. Je lis ce qui se trouve sur mon appareil électronique et je prends des notes pour ma recherche ou mon étude privée. Je copie en fait le texte, et c'est parfaitement légal. C'est fort probablement ce qui se passera dans les salles de cours. Certains ont extrêmement peur que les serrures numériques empêchent les étudiants d'avoir accès à l'information, mais cette peur est complètement injustifiée.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Degen, c'est plus clair, parce que c'est à s'y perdre. J'aimerais connaître le parcours de l'argent. Vous dites que les universités et les ministères de l'Éducation versent des redevances à quelqu'un. À qui ces fonds sont-ils actuellement versés? Vous craignez que cette société de gestion ne reçoive plus de fonds dans l'avenir. Quelle est cette entreprise?
M. Degen : Je me concentrais sur les recettes provenant d'accords de licence collective qui vont directement à la Canadian Copyright Licensing Agency, soit Access Copyright. Il s'agit d'un collectif d'écrivains et de maisons d'édition qui se sont regroupés pour mettre en commun leurs œuvres dans un répertoire et en offrir l'accès au moyen d'une licence collective. Autrement, les établissements d'enseignement devraient investir beaucoup de temps et de ressources humaines pour communiquer avec les divers auteurs, obtenir leur permission et verser les redevances.
Avec un tel répertoire, les établissements d'enseignement peuvent avoir accès à l'ensemble des œuvres en versant annuellement un petit montant. C'est actuellement contesté. Les établissements d'enseignement postsecondaire se sont retirés en masse de la renégociation des accords de licence collective. Certains sont revenus, parce que leur association leur a recommandé de le faire, tandis que d'autres ne sont pas revenus.
Le sénateur Tkachuk : Ont-ils signé des accords avec d'autres, ou n'y a-t-il aucun accord?
M. Degen : Ils ont signé des accords de licence privée avec d'autres fournisseurs de contenu, mais ils ont exclu le répertoire d'Access Copyright de leur salle de classe. Ce répertoire représente la majorité de ce qui est écrit et publié au Canada.
Le sénateur Tkachuk : L'argent est versé à Access Copyright, puis la société de gestion distribue les redevances à ses membres. Est-ce bien cela?
M. Degen : La société de gestion distribue effectivement les redevances aux maisons d'édition et aux écrivains canadiens. Ils ont aussi des ententes de réciprocité avec 29 pays. Si une œuvre est utilisée, par exemple, en France ou en Angleterre, cette utilisation nous rapportera également des droits.
Le sénateur Tkachuk : Si la maison d'édition conclut un accord, est-ce que l'écrivain reçoit tout de même de l'argent?
M. Degen : Dans le cas d'une maison d'édition qui signe un accord de licence privée?
Le sénateur Tkachuk : Oui.
M. Degen : Oui, tout à fait. Comme je l'ai dit plus tôt, je félicite ceux qui signent de tels accords. Le fait demeure que les maisons d'édition et les écrivains canadiens ont dit préférer travailler en tant que collectif. C'est plus facile pour eux et les établissements d'enseignement. Ces derniers ne disent pas qu'ils veulent que ce soit encore plus facile en procédant individuellement; ils disent qu'ils ne veulent tout simplement pas payer la licence.
Le sénateur Tkachuk : Je voulais faire valoir que si les universités n'ont pas signé d'accords avec les maisons d'édition, elles devront en signer avec Access Copyright. Elles ne pourront pas ne pas avoir de tels accords, n'est-ce pas?
M. Degen : C'est ainsi que cela devrait fonctionner. Or, les établissements se sont retirés du processus.
Le sénateur Tkachuk : Que voulez-vous dire? Êtes-vous en train de nous dire que les universités imprimeront les ouvrages ou en feront des copies?
M. Degen : Les universités se servent de ce que nous appelons des recueils de textes depuis maintenant des décennies. Au lieu d'acheter 10 livres, vous faites des photocopies de 10 passages de ces 10 livres, puis vous assemblez un recueil de textes. Cette pratique continuera, et les universités espèrent se servir de l'exception aux fins d'éducation du projet de loi C-11 pour le faire sans licence.
Le sénateur Tkachuk : Des gens travaillent-ils pour Access Copyright?
M. Degen : Absolument.
Le président : Des représentants d'Access Copyright témoigneront cet après-midi.
Le sénateur Tkachuk : Je le sais, mais je tiens à le demander au témoin. Des gens travaillent-ils pour cette société de gestion?
M. Degen : Oui, l'organisme a des employés.
Le sénateur Tkachuk : Combien?
M. Degen : Je ne peux pas répondre à cette question. Ils ne sont pas nombreux.
Le sénateur Tkachuk : L'argent que versent les universités à Access Copyright est donc acheminé aux éditeurs et aux artistes. Est-il réparti également? Comment les dépenses sont-elles déduites?
M. Degen : Il y a différents modèles de distribution, mais le principe de base sous-jacent à Access Copyright est de faire en sorte que l'argent revient au titulaire des droits d'origine, qui est habituellement l'auteur. Si l'argent est versé aux éditeurs, c'est que ceux-ci ont des accords distincts avec les auteurs qu'ils publient. L'argent est ultimement versé aux auteurs dans le cadre de ces accords distincts.
Je tiens à souligner également que le salaire moyen d'un auteur canadien est d'environ 24 000 $ par année. Les licences collectives d'Access Copyright représentent, en moyenne, moins de 0,2 p. 100 des budgets des universités. Nous sommes bien loin de parler d'un lourd fardeau pour l'éducation postsecondaire.
Le sénateur Tkachuk : Combien d'auteurs seraient ainsi représentés?
M. Degen : Vous devrez poser la question aux représentants d'Access Copyright lorsqu'ils seront ici cet après-midi, mais je pense bien que l'organisme représente plusieurs milliers d'auteurs canadiens indépendants.
Le sénateur Tkachuk : Des auteurs à temps plein et à temps partiel?
M. Degen : Oui.
Le sénateur Ringuette : Ma question s'adresse principalement au représentant de l'ACTI. Monsieur Englehart, votre exposé a surtout porté sur l'entreposage des données dans le nuage informatique et de la technologie infonuagique, mais c'était surtout pour les programmes de télévision. Je regarde l'amendement que vous avez proposé et je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'est pas seulement question de programmes de télévision. Il y a aussi l'informatique en nuage pour les livres et pour la musique, qu'envisage probablement votre association. Rogers offre déjà des canaux de musique.
Vous avez désespérément besoin de cet amendement en raison de l'avenir que vous entrevoyez pour votre informatique en nuage. Puisque vous savez que vous voulez emprunter cette direction, vous savez aussi que les frais mensuels de 5 à 7 $ pour l'enregistreur numérique individuel devront être remplacés.
Je m'intéresse aux coûts que cela représente pour les consommateurs. Que devront payer les consommateurs pour stocker électroniquement des livres, de la musique et des films? Que leur réserve-t-on?
M. Englehart : C'est une excellente question. L'informatique en nuage, le stockage en nuage et les PVR en réseau sont des technologies puissantes parce que, proportionnellement, une petite quantité de mémoire coûte beaucoup plus qu'un très gros ordinateur. J'ai une mémoire dans cet iPad et j'ai une mémoire dans le PVR qui se trouve dans mon salon. Toutes ces petites unités de mémoire sont très coûteuses sur une base de gigaoctet. Toutefois, si vous prenez un très gros ordinateur, une très grande capacité d'entreposage, alors le coût par gigaoctet est beaucoup moindre. Le PVR en réseau fera économiser aux consommateurs de 5 à 7 $ par mois parce que nos coûts seront réduits d'autant.
Toutes ces technologies tirent parti du fait que la transmission est peu coûteuse, contrairement à la mémoire. Au lieu de tout stocker localement, vous stockez vos données quelque part sur un gros serveur et vous transmettez ce dont vous avez besoin, au moment et à l'endroit où vous en avez besoin.
Ce sont des technologies très puissantes, et vous avez absolument raison : l'ACTI s'intéresse non seulement aux PVR en réseau, mais voit aussi la chose dans une perspective globale d'informatique en nuage et de mémoire en nuage. J'ai dit au sénateur Oliver que nous ne pouvions sauter à pieds joints dans la technologie du PVR en réseau. De même, les entrepreneurs hésiteront à démarrer des entreprises de mémoire en nuage au Canada. Ils les installeront ailleurs s'ils sont préoccupés par le droit d'auteur.
Le sénateur Ringuette : Regardons l'amendement que vous avez présenté ici. Aux fins de la présente séance et à l'intention de ceux qui nous écoutent, je vais lire l'amendement proposé au paragraphe 31.1(4) :
Sous réserve du paragraphe (5), quiconque fournit à une personne une mémoire numérique pour qu'elle y stocke une œuvre ou tout autre objet du droit d'auteur en vue de permettre leur télécommunication par l'intermédiaire d'Internet ou d'un autre réseau numérique ne viole pas le droit d'auteur sur l'œuvre ou l'autre objet du seul fait qu'il fournit cette mémoire et transmet l'œuvre ou l'autre objet du droit d'auteur.
Techniquement et légalement, en quoi cet amendement, s'il est adopté, changera la perspective de l'ACTI?
M. Englehart : Cet amendement nous donnera la confiance nécessaire pour offrir ces nouveaux services en nuage en sautant à pieds joints. Sinon, nous devrons procéder très lentement et prudemment et attendre d'éventuelles poursuites en justice.
Le sénateur Moore : Concernant l'amendement, monsieur Englehart, avez-vous comparu devant le comité de la Chambre des communes lorsqu'il a étudié ce projet de loi?
M. Englehart : Pas moi personnellement, mais des représentants de Rogers ont effectivement comparu.
Le sénateur Moore : Est-ce que des porte-parole de l'Association canadienne de la technologie de l'information ont comparu?
M. Gupta : Je crois que oui. Nous avons remis un mémoire également.
Le sénateur Moore : Avez-vous présenté cet amendement?
M. Englehart : Oui, et le comité en a discuté, mais l'amendement n'a pas été intégré au projet de loi.
Le sénateur Moore : Vous avez fait cette tentative déjà?
M. Englehart : Oui.
Le président : Mesdames et messieurs, cela met fin à nos questions. Au nom de tous les membres du comité, j'aimerais vous remercier de votre présence ici aujourd'hui. Merci beaucoup.
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-11 avec notre troisième groupe de témoins ce matin. Nous sommes ravis d'accueillir Harry Page, président-directeur général d'UBM TechInsights; Bill Harnum, éditeur et président de 2012-2013 de l'Association of Canadian Publishers; Allan Reynolds, président-directeur général, Pearson Education Canada, du Canadian Publishers' Council; et, enfin, Deb deBruijn, directrice exécutive du Réseau canadien de documentation pour la recherche. Nous allons commencer avec M. Page.
Harry Page, président-directeur général, UBM TechInsights : Je vous remercie de me donner la chance de comparaître ici ce matin pour parler de ce sujet très important que représente le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur. Ce dont j'aimerais discuter plus particulièrement avec le comité ce matin, c'est l'effet que certains changements proposés pourraient avoir sur la capacité des innovateurs canadiens à protéger leurs droits de propriété intellectuelle, au-delà du droit d'auteur comme tel.
Je suis président-directeur général d'UBM TechInsights, comme le président du comité l'a mentionné. Il s'agit d'une entreprise locale dont le siège social se trouve ici, à Ottawa. Depuis 25 ans, notre mission consiste à protéger les droits de propriété intellectuelle des créateurs et des propriétaires. Nous le faisons surtout grâce à l'ingénierie inverse ou aux techniques d'investigation informatique, qui nous permettent de détecter et de démontrer les cas de violation.
UBM TechInsights et l'ensemble du secteur de l'ingénierie inverse basé à Ottawa ont prospéré au cours des deux dernières décennies et enregistrent aujourd'hui des recettes annuelles de près de 250 millions de dollars. Nous jouons un rôle essentiel dans la protection de la propriété intellectuelle des innovateurs canadiens et des entreprises étrangères et dans la détection des cas de violation.
Comme vous le savez sans doute, la propriété intellectuelle revêt de nombreuses formes, et divers régimes juridiques sont en place pour en assurer la protection. Bien que le Parlement ait récemment modernisé et amélioré la Loi sur le droit d'auteur du Canada, il existe un certain nombre d'autres formes de propriété intellectuelle tout aussi importantes pour la promotion et la protection des innovations des Canadiens et des entreprises canadiennes, y compris les brevets, les secrets commerciaux, les circuits intégrés, les topologies, et cetera. Toutefois, nous voyons ici une certaine anomalie.
La protection de la propriété intellectuelle repose sur des lois nationales alors que la technologie en soi n'est pas limitée par des frontières ou des lois nationales. Dans de nombreux cas, les droits des créateurs et des innovateurs au Canada, ainsi que leur accès aux marchés internationaux, dépendent massivement des efforts déployés pour garantir que les droits des titulaires étrangers de PI restent intacts et intouchables. De même, les entreprises basées à l'étranger dépendent de la protection globale de la propriété intellectuelle ici, au Canada, une protection qui est complémentaire et ne nuit pas aux régimes de propriété intellectuelle de leur pays d'origine. C'est dans ce contexte que les créateurs et les innovateurs s'efforcent de surveiller et de détecter les utilisations frauduleuses de leur propriété intellectuelle dans des environnements technologiques très complexes et en rapide évolution, protégeant ainsi leur important investissement pour pouvoir en tirer un gain et continuer à financer l'innovation.
Bien souvent, ce n'est qu'en utilisant des techniques d'investigation informatique très avancées qu'on peut déceler et démontrer une utilisation frauduleuse de la propriété intellectuelle. UBM TechInsights félicite le gouvernement du Canada d'avoir modernisé et amélioré la protection de la propriété intellectuelle. Toutefois, j'insiste sur l'importance de faire en sorte que ces efforts ne nuisent pas, involontairement ou par inadvertance, à la capacité de protéger d'autres formes importantes de propriété intellectuelle. À cet égard, nous avons fait part de nos préoccupations, à savoir que certains aspects de la Loi sur le droit d'auteur pourraient avoir des conséquences non voulues qui nuiront aux efforts de protection des droits de propriété intellectuelle déployés par notre groupe d'entreprises locales de technologie. Plus particulièrement, nous redoutons que les dispositions contre le contournement créent une incertitude juridique qui pourrait décourager l'utilisation de l'ingénierie inverse pour détecter les cas de violation de brevets et l'appropriation illicite de secrets commerciaux. Ceci est compliqué par des dispositions portant sur les moyens de contrôler l'accès à un dispositif qui peut contenir des œuvres protégées par un droit d'auteur, même si ces œuvres ne sont pas liées à l'objet de l'investigation.
UBM TechInsights travaille actuellement avec le gouvernement et les fonctionnaires pour faire en sorte que le libellé du règlement d'application des dispositions de la loi soit clair et précis, de manière à ne pas nuire à la pleine protection de la propriété intellectuelle canadienne et à la protection des créateurs et des propriétaires de PI sur les marchés internationaux. Jusqu'à présent, les discussions ont été encourageantes, et je suis persuadé que ces questions seront traitées efficacement durant la phase de réglementation du processus.
Plus particulièrement, nous croyons qu'un certain nombre de modifications réglementaires aux exceptions actuelles portant sur le contournement pourraient atténuer ces risques tout en continuant d'assurer la protection nécessaire au droit d'auteur. Deux de ces exceptions permettraient le contournement à des fins légitimes et élargiraient l'exception actuelle en matière d'enquête pour inclure toutes les lois du Canada et celles de nos partenaires commerciaux, en particulier pour ce qui est des secrets commerciaux et de la propriété intellectuelle étrangère. Toutefois, cette expérience a fait ressortir à la fois l'importance et la complexité du régime de propriété intellectuelle du Canada.
Le Canada est un chef de file mondial dans la protection et la validation de la propriété intellectuelle. Le secteur de l'ingénierie inverse du Canada et d'Ottawa, qui est en expansion, est maintenant reconnu mondialement comme étant le défenseur des droits des créateurs et des propriétaires de propriété intellectuelle. Je suis convaincu que le rôle de nos entreprises locales continuera à prendre de l'importance sur le marché. On reconnaît de plus en plus que la propriété intellectuelle est le moteur de la nouvelle économie. Nous devons faire tout en notre pouvoir pour assurer la protection complète de la propriété intellectuelle, dans toutes ses formes et ses manifestations. Ce faisant, nous devons aussi veiller à ce que tous les régimes de PI puissent se compléter l'un et l'autre, sans se nuire. Nous continuerons d'améliorer notre expertise et nos compétences techniques pour que le Canada demeure une figure de proue dans ce marché en rapide évolution et dans ce secteur technologique extrêmement important pour le pays.
Bill Harnum, éditeur et président de 2012-2013, Association of Canadian Publishers : Je suis ravi de comparaître devant vous aujourd'hui au nom de l'Association of Canadian Publishers. Je travaille dans le secteur de l'édition canadienne depuis 35 ans. Je suis maintenant directeur des publications du Pontifical Institute of Mediaeval Studies, à l'Université de Toronto, et j'ai passé l'essentiel de ma carrière à l'University of Toronto Press.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'entretenir avec vous sur un sujet d'une grande importance pour tous les éditeurs canadiens, pour ceux qui sont représentés par l'organisation de M. Reynolds, ce qui comprend les plus importants producteurs de matériel scolaire et didactique au Canada, mais aussi pour les éditeurs canadiens indépendants que je représente. Parmi nos membres se trouvent des presses universitaires de partout au pays, dont les ouvrages servent surtout à des fins éducatives; des éditeurs de livres pour enfants pour lesquels les bibliothèques scolaires et les classes sont un marché crucial; et presque tous les éditeurs de romans, de pièces de théâtre et de poésie du Canada, un matériel clé pour les études littéraires à tous les niveaux du système d'éducation.
Pour tous les éditeurs canadiens, quelle qu'en soit la taille, le secteur de l'éducation est extrêmement important. Le projet de loi C-11 autorise l'utilisation équitable d'une œuvre à des fins d'éducation sans toutefois définir le mot « éducation » ni ce qui constitue une utilisation équitable dans ce nouveau contexte, ce qui crée une grande incertitude chez des centaines d'entreprises et des milliers d'auteurs et au sein de tout le système d'éducation du pays.
Les éditeurs reconnaissent et ont toujours reconnu le besoin de prévoir des exceptions pour une utilisation équitable. Nous ne cherchons pas à recevoir une rémunération lorsque des extraits de nos œuvres sont utilisés à des fins de critique, même lorsque la critique est mauvaise. Nous ne cherchons pas de compensation auprès des gens qui copient des extraits de nos œuvres pour satisfaire un intérêt personnel sur un sujet précis. Nous voulons que nos livres soient lus par quiconque s'y intéresse, et nous ne voulons pas élever des barrières déraisonnables pour ceux qui cherchent l'information ou l'expérience littéraire que nous offrons.
Toutefois, pour continuer de produire ces œuvres, nous devons nous assurer que notre travail est rémunéré, comme toute autre activité à l'appui de l'éducation, que ce soit la construction de bibliothèques, l'enseignement prodigué dans une faculté ou la fourniture d'équipement de laboratoire. Comme tous ces fournisseurs du secteur de l'éducation, les éditeurs assurent une composante essentielle. Nous investissons dans ces ouvrages; nous avons le droit d'être rémunérés en échange de leur utilisation, et cette rémunération est ce qui permet la publication de connaissances ultérieures.
Nous nous réjouissons que notre gouvernement accorde de l'importance aux livres de grande qualité que nous fournissons et qu'il cherche à les rendre plus accessibles. Nous savons aussi que le gouvernement actuel reconnaît l'importance de soutenir le système qui fournit ces ouvrages et qu'il n'a pas l'intention de le compromettre.
Ce qui nous préoccupe, c'est que le contexte « éducation » n'a pas été clairement défini quand on parle d'une utilisation équitable, ce qui entraînera un certain nombre de conséquences non voulues. La plus immédiate sera l'incertitude créée sur le marché, les utilisateurs ayant une interprétation très vaste de ce qui constitue l'éducation.
Par exemple, une banque qui offre à son personnel une formation en service à la clientèle pourrait se permettre d'utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur sans compensation, sous prétexte qu'elle le fait à des fins d'éducation. Certains membres du parti ministériel ont dit que la définition du mot « équitable » était bien comprise de tous, mais dans de nombreux autres pays, des lois semblables sont beaucoup plus claires et font référence au maintien d'un marché comme facteur d'une utilisation équitable.
Le projet de loi C-11 n'a pas cette clarté. Inévitablement, les détenteurs de droits et les utilisateurs feront valoir des interprétations divergentes de l'éducation et de l'utilisation équitable, et des litiges s'ensuivront. Or, les litiges sont longs à régler. Les tribunaux ont pris 11 ans avant de rendre une décision dans l'affaire CCH, ce qui a créé 11 ans d'incertitude. Personne — aucun enseignant, aucun ministère de l'Éducation, aucun président d'université, aucun auteur et certainement aucun éditeur — ne souhaite cela.
Nous comprenons que l'on souhaite une meilleure accessibilité et nous sommes en faveur de cela. Toutefois, nous devons définir clairement le cadre qui donnera cette accessibilité, et ce cadre doit être assez solide pour soutenir l'investissement que les éditeurs font dans notre système d'éducation.
Je vais maintenant céder la parole à M. Reynolds, qui vous présentera certaines données concrètes sur cet investissement.
Allan Reynolds, président-directeur général, Pearson Education Canada, Canadian Publishers' Council : Comme on l'a mentionné, je m'appelle Allan Reynolds. J'ai le privilège d'être président-directeur général de Pearson Canada. J'ai célébré récemment mon 40e anniversaire dans le monde de l'édition, ce qui me permet de parler du passé avec une certaine expertise. Je peux parler un peu du présent, et je soupçonne que ce groupe aura quelque chose à dire sur ce à quoi ressemblera l'avenir de l'édition au Canada.
Au Canada, Pearson est l'un des plus importants fournisseurs de matériel didactique de langue anglaise et de langue française. Nos origines remontent à 1842, lorsque Copp Clark Publishing a vu le jour. Nous sommes ici depuis longtemps et nous avons investi beaucoup d'argent au Canada.
Au cours des deux prochaines minutes, je vais tenter de vous aider à comprendre les conséquences imprévues que pourrait avoir le projet de loi C-11 s'il est adopté dans sa version actuelle.
Soyons très clairs. Nous avons besoin d'une loi sur le droit d'auteur. Nous avons besoin d'une loi sur le droit d'auteur qui tienne compte des réalités du marché numérique qui évolue rapidement. Toutefois, je crains les conséquences négatives possibles d'une mesure législative qui propose d'ajouter l'éducation parmi les fins d'une utilisation équitable. Notre préoccupation la plus immédiate va dans le même sens que les commentaires faits par mon collègue au sujet du tort imprévu qu'a subi le monde de l'édition au Canada par suite de la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire CCH, ou devrais-je plutôt parler des diverses interprétations de cette décision.
Ceux qui participent à notre industrie ne s'opposent pas à une utilisation équitable — loin de là. En fait, nous profitons tous de cette utilisation.
Cela étant dit, la définition du mot « éducation » dans cette mesure législative ne repose sur aucun paramètre, ce qui ouvre la porte à tout un éventail d'interprétations. Si la définition d'utilisation équitable est élargie pour inclure l'éducation, comme le propose le projet de loi C-11, notre secteur subira des conséquences imprévues et néfastes.
Il est de la nature humaine d'aller jusqu'à l'extrême limite, voire de la dépasser et, dans le cas du projet de loi C-11, aucune limite n'a été fixée, ce qui laisse la porte grande ouverte à tout un éventail d'interprétations et de définitions. Les détenteurs de droits se retrouvent dans une position gênante. Pearson, l'Association of Canadian Publishers et le Canadian Publishers' Council se retrouvent dans une position gênante. Si nous critiquons l'amendement proposé, on considère que nous adoptons une position contraire à celle de nos clients et que nous nous opposons à une mesure qui semble bonne pour les étudiants et les éducateurs. On considère que nous exagérons les conséquences possibles. Ce n'est pas là mon intention.
Pearson a fait un investissement massif pour soutenir la transformation de notre marché, afin qu'il passe de l'imprimé à un contenu numérique et basé sur le Web. L'industrie de l'édition au Canada a été à l'avant-garde de la création de produits numériques novateurs qui répondent aux besoins de l'apprenant du XXIe siècle. Pourquoi l'industrie continuerait-elle d'investir dans un marché dont l'avenir est si incertain? Les entreprises investiront-elles dans la production de ressources éducatives canadiennes qui ont été dévaluées parce que l'exception qui vise l'éducation a été mal définie?
Durant la période de questions, j'aimerais vous donner deux ou trois exemples de produits qui pourraient être en péril. Vous pourrez ainsi comprendre l'impact que cette mesure pourrait avoir sur les étudiants au Canada.
Les éducateurs souhaitent la clarté et la confirmation que les utilisations qu'ils font des ouvrages sont permises et équitables. Nous aussi, nous souhaitons que les choses soient claires. Si les membres du comité doutent le moindrement des effets possibles de cette modification, ils devraient proposer un amendement qui rendra les choses claires et réduira les risques pour tous.
Si on ajoutait la mention « tel que prévu par règlement » dans le projet de loi, tous les intervenants — les étudiants, les éducateurs, le gouvernement et le secteur de l'édition — auraient un cadre négocié de base pour clarifier la situation, régler les litiges et atténuer les dommages. Autrement, je crains que les créateurs de contenu ne soient dissuadés d'investir et qu'apparaissent des litiges potentiellement coûteux. Personne n'y gagnerait.
Je vous remercie de votre aimable attention. Ce sera un plaisir de répondre à toutes vos questions en temps opportun.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Reynolds.
Nous allons maintenant entendre Mme deBruijn.
Deb deBruijn, directrice exécutive, Réseau canadien de documentation pour la recherche : Bonjour. Merci beaucoup. C'est un privilège pour moi d'être ici aujourd'hui pour vous parler du Réseau canadien de documentation pour la recherche, un consortium d'universités canadiennes — il y en a 75 pour l'instant — qui travaillent ensemble pour que les ouvrages protégés par le droit d'auteur sous forme numérique soient accessibles à l'ensemble des facultés, des étudiants et du personnel des universités participantes.
Je m'appelle Deb deBruijn. Je suis la directrice exécutive du RCDR. Les universités travaillent avec cette organisation depuis 13 ans.
On m'a demandé de comparaître non pas pour présenter le point de vue de mon organisation au sujet du projet de loi C-11. Notre organisation ne prend pas de position précise au sujet du projet de loi, mais nous appuyons les efforts de défense et les positions prises par l'Association des bibliothèques de recherche du Canada et l'Association des universités et collèges du Canada.
Le travail de notre organisation est pertinent au présent débat parce que nous offrons un moyen complémentaire de rendre les ouvrages protégés par le droit d'auteur disponibles aux utilisateurs autorisés grâce à des accords de licence que nous concluons directement avec les éditeurs. Pour l'instant, nous avons des ententes avec une cinquantaine d'éditeurs, tant canadiens qu'internationaux. Ces ententes contractuelles sont présentement évaluées à plus de 100 millions de dollars par année. Les universités participantes absorbent ces coûts à même leurs budgets, principalement les budgets de leurs bibliothèques, et on estime que ces ententes profitent tant aux éditeurs qu'aux propriétaires de contenu, ainsi qu'aux consommateurs, aux étudiants et aux facultés qui utilisent ces ouvrages.
Selon nous, il s'agit d'un moyen très important et complémentaire d'offrir un accès équitable, contre rémunération, à des ouvrages protégés par le droit d'auteur, puisqu'il ne repose pas sur une base transactionnelle. On met en place des ententes stables sur plusieurs années et on élimine certains risques que quelques-uns de mes collègues ont mentionnés ici. On fait en sorte qu'une juste rémunération soit versée aux créateurs de contenu et aux détenteurs des droits liés au contenu.
À de nombreux égards, lorsque nous avons commencé ce travail, nous traitions, la plupart du temps, directement avec les éditeurs et seulement pour des formes numériques de contenu. Nous avons constaté que certains éditeurs avaient l'habitude de traiter avec Access Copyright pour les imprimés, mais pour les formats numériques, ils jugeaient qu'il était plus profitable de conclure des ententes directement avec la bibliothèque ou le consortium d'universités; ils réduisaient ainsi le nombre d'ententes et pouvaient conclure des arrangements qui ne sont pas de types transactionnels.
Aujourd'hui, nous constatons également, devant les changements proposés à la Loi sur le droit d'auteur, que notre approche concernant les licences d'utilisation de ce matériel est de plus en plus pertinente. Les éditeurs visés par nos licences ont convenu depuis longtemps de certaines dispositions qui sont maintenant intégrées à la Loi sur le droit d'auteur. Nous avons donc des preuves pour montrer que, lorsque ce type de régime stable est en place, il est possible de conclure des accords qui sont avantageux tant pour les détenteurs de droits que pour les consommateurs.
Je serais ravie de répondre aux questions du comité après les exposés.
Le président : Merci beaucoup, madame deBruijn.
Je vais maintenant prendre la liste des intervenants, en commençant par la vice-présidente du comité, le sénateur Hervieux-Payette.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Harnum, vous avez parlé de donner une définition plus claire, plus concise, concernant le matériel d'éducation en disant que des banques qui donneraient un cours pourraient se servir de la clause « éducation ». Est-ce que vous avez d'autres exemples dans d'autres domaines? On parle de tout le matériel éducatif offert par le secteur privé, et non par les maisons d'éducation, parce qu'à ce que je sache, ce n'est pas spécifié dans la loi lorsqu'on parle d'éducation. Il s'agit des ministères de l'Éducation, mais de l'éducation en général.
Seriez-vous d'accord avec la clause si elle était bien définie et si elle assurait également une compensation?
[Traduction]
M. Harnum : Je crois que notre plus grande préoccupation, c'est le manque de clarté. Vous avez raison à cet égard, et nous pouvons certainement citer des exemples. En effet, l'une des grandes banques du Canada a informé Access Copyright, il y a deux ans, qu'elle ne renouvellerait pas sa licence parce qu'elle était d'avis qu'une fois ce projet de loi adopté, son utilisation serait considérée comme étant équitable en tout et partout. Voilà un exemple concret.
Dans la mise en contexte du projet de loi C-11, on a clairement indiqué que le projet de loi définirait l'éducation dans un contexte structuré, comme l'éducation au sein d'une université ou d'une école, ce qui n'a pas été précisé dans le projet de loi. D'autres choses ont été mentionnées dans les documents d'information et n'ont pas été intégrées au projet de loi, y compris l'importance des dommages causés au marché. Toute cette question doit absolument être clarifiée.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Ma deuxième question s'adresse à M. Reynolds. En fait, je pense que vous vous entendez sur le fait qu'il n'y a pas de précision sur la question de l'éducation. Est-ce que vous faites une différence entre les copies électroniques et les copies de papier? Selon vous, un serait-il plus facile à couvrir que l'autre?
Madame parle surtout des copies électroniques. De nos jours, une maison comme la vôtre produit probablement les deux, donc les rend disponibles à des clients qui achètent votre matériel, soit en copies électroniques ou en copies de papier. Si on continuait avec le système actuel, est-ce que vous trouvez que la copie électronique et la copie de papier sont bien protégées et que les créateurs reçoivent leur rémunération correctement?
[Traduction]
M. Reynolds : C'est une bonne question. Toutefois, je soupçonne qu'à mesure que le temps passe, nous allons constater qu'il nous faudra un système pour rémunérer les éditeurs, les auteurs et les créateurs pour les ouvrages sous forme numérique de même que sous forme imprimée. Je pense que la Loi sur le droit d'auteur devra être très claire sur la question de la rémunération. Tout ce que nous cherchons pour l'instant, c'est de clarifier les choses.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous nous avez promis des exemples. J'aimerais justement, pour les gens qui nous écoutent, avoir des exemples précis et concrets qui pourraient illustrer vos préoccupations ou vos recommandations.
[Traduction]
M. Reynolds : Monsieur le président, avec votre permission, je vais me pencher pour prendre quelque chose sous la table.
Le président : Je vous en prie.
M. Reynolds : Le livre que je tiens dans la main a été conçu pour le programme d'études sociales de la Saskatchewan. Si vous pouvez l'imaginer, je tiens le livre dans une main et la copie numérique dans l'autre. L'ouvrage est disponible sous les deux formes. Il a été créé précisément pour la province de la Saskatchewan, pour les élèves de cette province. Il aborde les études sociales du point de vue d'un élève saskatchewanais, du point de vue des Premières nations. Si vous pouvez l'imaginer, nous avons créé ce livre personnalisé sans garantie de vente. Après l'avoir produit, c'est à nous d'aller le vendre aux conseils scolaires, aux écoles et aux enseignants, pour faire en sorte d'être rémunérés pour ce que nous avons fait. Des coûts importants sont rattachés tant à la copie numérique qu'à la copie papier.
À partir de maintenant, nous savons que, s'il n'y a pas de règlement en place, si on ne définit pas ce qu'est vraiment une utilisation équitable en éducation, des individus, des enseignants se serviront de cet ouvrage pour créer un nouveau livre, en prenant un chapitre ici et là pour l'intégrer à leur propre contenu et en puisant dans d'autres livres. Nous ne voyons pas comment nous pourrions ainsi recevoir une compensation pour l'argent que nous aurons risqué en créant ce produit.
Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il y ait une façon de définir ce qui est une utilisation équitable du contenu et la façon dont nous allons être rémunérés, et de dire clairement aux enseignants, aux conseils scolaires et aux provinces ce qu'ils peuvent faire et ne pas faire. Est-ce raisonnablement clair?
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous avez dit deux ou trois, alors je suis prête à entendre vos autres exemples.
[Traduction]
M. Reynolds : Ce livre est en fait une petite composante du programme de français, langue seconde de 4e année. Il est conçu pour les élèves de 4e année des quatre coins du Canada qui apprennent le français comme langue seconde pour la première fois. C'est leur porte d'entrée, si je peux m'exprimer ainsi. Il n'est pas destiné aux élèves en immersion qui apprennent toutes leurs matières en français. Il n'est pas destiné non plus aux élèves des communautés francophones du Québec ou d'ailleurs au Canada. Le Canada est le seul marché au monde pour ce produit. Si nous n'avons pas un certain degré de certitude que le livre ne sera pas utilisé d'une façon à démanteler le programme et qu'il sera utilisé correctement à des fins pédagogiques, nous ne recevons aucune rémunération en échange. Encore une fois, l'entreprise est risquée.
Mon travail à titre de président-directeur général — et un bon nombre parmi vous ont été dans cette position auparavant — consiste à évaluer les risques. Où allons-nous investir notre argent pour obtenir un certain rendement? Pearson est une très grande entreprise, une entreprise mondiale. Mes supérieurs prendront des décisions au regard des risques courus au Canada. Je dois décider où l'argent sera investi au Canada également. Je redoute que, si l'on crée une incertitude, ce sera risqué de créer des produits pour les élèves au Canada.
Le sénateur Moore : Monsieur Page, le 6 juin, vous avez comparu devant le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes dans le cadre de l'étude de ce projet de loi. Le communiqué de presse diffusé par votre entreprise dit que vous avez fait part de vos préoccupations concernant certains aspects du projet de loi qui pourraient avoir des conséquences non voulues sur la protection d'autres formes de propriété intellectuelle, en particulier les brevets et les secrets commerciaux. Plus particulièrement, les mesures contre le contournement pourraient créer une incertitude juridique et décourager le recours à l'ingénierie inverse pour détecter les cas de violation en empêchant l'accès à un dispositif qui pourrait contenir des œuvres protégées par le droit d'auteur, même si ces œuvres ne sont pas liées à l'objet visé par les efforts d'ingénierie inverse. Pouvez-vous expliquer cela?
M. Page : Bien sûr. Il y a probablement une question de marketing ici. Un exemple parfait serait l'industrie du jeu, qui est en croissance au Canada. Quelqu'un pourrait créer une console de jeux, et la personne qui introduit cette console sur le marché pourrait être le propriétaire et le créateur de l'objet protégé par le droit d'auteur. Toutefois, le matériel qui entre dans la fabrication de la console en soi, les composantes électroniques, les autres logiciels, tous les mécanismes de commande pourraient avoir été subtilisés à quelqu'un d'autre. Si on met une mesure technique de protection sur cette console de jeux, le fait d'ouvrir ce dispositif pour prouver qu'on a utilisé frauduleusement une technologie autre que celle du propriétaire du droit d'auteur pourrait être jugé illégal.
Le sénateur Moore : Le jeu vous appartient.
M. Page : La mesure technique de protection pourrait vous empêcher d'ouvrir le jeu. Par exemple, il pourrait y avoir un sceau sur le boitier ou une autre mesure technique de protection qui vous empêche d'ouvrir le boîtier pour voir ce qui se trouve à l'intérieur, les composantes électroniques ou d'autres logiciels qui pourraient être utilisés.
Le sénateur Moore : Qui va l'ouvrir? Je ne comprends pas.
M. Page : C'est ce que fait mon entreprise. Nous le faisons pour le compte des autres propriétaires de propriété intellectuelle. Nous faisons l'investigation informatique. Nous pourrions comparer mon entreprise au laboratoire médico-légal que l'on voit dans l'émission de télévision américaine CSI. Nous menons l'investigation informatique pour fournir des preuves d'utilisation qui permettent au propriétaire légitime de détecter une utilisation frauduleuse de son matériel. Dans le cas de cette console de jeux, si notre client croit qu'il y a une composante dans ce jeu qui viole sa propriété intellectuelle, nous devons ouvrir le boîtier et fournir la preuve irréfutable que les droits de notre client ont été effectivement violés.
Le sénateur Moore : Êtes-vous en train de dire que ce projet de loi rendrait vos activités illégales?
M. Page : Nous croyons qu'il créerait une incertitude juridique concernant cet aspect de nos activités. Dans d'autres pays, le droit d'agir ainsi est protégé par la loi. Par exemple, il y a des lois dans le monde qui régissent les microcircuits ou les semiconducteurs. Aux États-Unis, il y a la Semiconductor Chip Protection Act, qui dit que si vous obtenez le produit légalement et que vous faites l'investigation informatique à des fins juridiques et honorables, ces agissements sont autorisés par la loi. Vous le faites pour aider quelqu'un à protéger ses droits de propriété intellectuelle. C'est la base de nos activités. C'est la façon dont nous protégeons les gens et que nous prouvons qu'il y a eu violation.
Le sénateur Moore : C'est très intéressant.
Madame deBruijn, vous avez mentionné que le Réseau canadien de documentation pour la recherche avait conclu des arrangements avec 75 universités et 50 éditeurs. Comment le système fonctionne-t-il? Pouvez-vous expliquer ce que fait votre entreprise pour que je puisse comprendre? Certains ont dit aujourd'hui qu'en raison de cette loi, les gens croiront qu'ils n'ont plus à conclure des accords avec des entreprises comme la vôtre ou Access Copyright. J'aimerais savoir comment les choses se font aujourd'hui et si ce projet de loi vous préoccupe.
Mme deBruijn : Nous sommes une organisation à but non lucratif dont les membres sont 75 universités. Cela comprend toutes les grandes universités, toutes les universités qui offrent des programmes de doctorat et la plupart des autres.
Je dirais que notre organisation ne croit pas que, dans l'avenir, tout l'accès au matériel protégé par le droit d'auteur se fera par le truchement de grandes licences comme celles que nous avons présentement, ou que tout l'accès se fera en échange d'une rémunération versée par l'intermédiaire d'Access Copyright ou selon les dispositions concernant l'utilisation équitable.
Nous croyons que l'avenir sera probablement constitué d'un ensemble d'approches différentes qui interviendront selon le besoin, l'échelle de diffusion, le coût, et cetera. Il y aura différents mécanismes qui fonctionneront de façon complémentaire pour assurer un régime équitable pour les créateurs et les consommateurs, un régime souple qui permettra de soutenir et de favoriser l'innovation et la production de nouvelles œuvres.
Par exemple, nous travaillons avec quelques-uns des très grands éditeurs universitaires internationaux, qui sont très coûteux, et nous voulons nous assurer de pouvoir faire une utilisation illimitée de leur contenu. Nous mettons habituellement en place des licences qui couvrent un large éventail de droits et d'accès, comme l'impression du matériel et son utilisation en classe.
Le sénateur Moore : Pour le secteur de la recherche.
Mme deBruijn : Oui, le matériel est destiné au milieu de la recherche. Cela signifie qu'on élargit l'accès et l'utilisation, dont la portée et l'ampleur ne seraient habituellement pas permises dans le cadre des exceptions prévues dans la Loi sur le droit d'auteur et qu'on ne pourrait habituellement pas traiter sur une base transactionnelle, où chaque utilisation doit être comptée. L'administration de ce type d'entente est très onéreuse et fastidieuse.
Comme il s'agit d'accords très vastes, ils visent de très grands groupes d'étudiants, de facultés et de personnel et ce, pour plusieurs années. Il y a une certaine stabilité. L'éditeur et les universités savent que ces accords sont stables, que les coûts ne vont pas exploser et que l'utilisation qu'ils doivent en faire — l'utilisation à des fins éducatives — est assurée.
Au bout du compte, l'éditeur obtient non seulement une compensation financière pour l'utilisation de ses œuvres, mais il sait aussi que cette base de connaissances est utilisée et réappropriée et qu'elle donnera lieu à de nouvelles publications, à la création de nouveaux savoirs et à la mise en marché de nouveaux ouvrages érudits.
Le sénateur Moore : Sur une base pratique et quotidienne, le Réseau canadien de documentation pour la recherche pourrait avoir une entente avec l'Université de Toronto, par exemple. On ne pourrait probablement pas se permettre la même chose à l'Université Saint Mary's.
Vous visez principalement les écoles de recherche?
Mme deBruijn : Le contenu vise les programmes de recherche, mais pas seulement les écoles de recherche.
Le sénateur Moore : Vous concluez des accords avec ces universités.
Mme deBruijn : Elles sont membres de notre organisation.
Le sénateur Moore : Elles doivent acquitter des droits.
Mme deBruijn : Oui.
Le sénateur Moore : Que font-elles? Est-ce qu'elles les refilent aux étudiants?
Mme deBruijn : Non.
Le sénateur Moore : Qu'en est-il des gens qui ont écrit les livres que les éditeurs représentent? Comment sont-ils rémunérés?
Mme deBruijn : Des accords sont conclus entre les éditeurs par notre intermédiaire et les universités qui le souhaitent prennent part à ces accords. Dans la plupart des cas, les coûts de ces accords sont couverts par les bibliothèques. Ils font partie de leurs coûts d'acquisition.
Le sénateur Moore : Les bibliothèques universitaires?
Mme deBruijn : Oui. Ces coûts ne sont pas transmis aux étudiants. Les universités paient des frais de fonctionnement ou d'administration au RCDR, mais les coûts des licences sont partagés et sont recouvrés. Il n'y a pas de frais indirects imposés aux universités. On fonctionne selon un système de recouvrement des coûts.
Les accords que les éditeurs concluent avec les auteurs et les producteurs de contenu sont une tout autre chose.
Le sénateur Moore : Vous ne vous en occupez pas?
Mme deBruijn : Non.
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous avez dit que ces accords valaient 100 millions de dollars. Quelle est la valeur du matériel comme tel, si j'achetais simplement une copie sans faire de reproduction, et la reproduction de ce matériel? Quel est le pourcentage? Est-ce 10 p. 100 du livre? Une auteure a comparu devant nous la semaine dernière et a dit que, lorsqu'un de ses livres se vend 10 $, elle reçoit 90 cents. Évidemment, s'il est reproduit en vertu de la nouvelle loi, elle croit, sans en être certaine, qu'elle obtiendra plus d'argent si 100 copies sont faites de son livre.
Que fait votre organisation? Combien d'argent revient à l'auteur pour des copies électroniques ou des copies sur papier? Combien obtiendront les auteurs?
Mme deBruijn : Je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à cette question, parce que ce sont des arrangements d'affaires qui sont conclus entre l'éditeur et les auteurs. Nous ne sommes pas au fait de cette information.
Le sénateur Hervieux-Payette : Versez-vous une somme quelconque à l'éditeur? Vous payez quelqu'un. Je ne veux pas savoir quel est le pourcentage; j'aimerais simplement savoir s'il y a un coût lié à la reproduction en soi.
Mme deBruijn : Non, pas vraiment, pas sur une base transactionnelle. Par exemple, nous avons une licence avec un important éditeur scientifique, dont le coût annuel est de 30 millions de dollars. Cette somme est versée à l'éditeur peu importe dans quelle mesure cette ressource est utilisée parmi les universités participantes. De façon purement hypothétique, même s'il n'y avait aucune utilisation ou aucun accès à ces ouvrages érudits, le coût serait exactement le même. En revanche, s'il y a un ou deux millions de téléchargements d'articles différents, le coût reste le même aussi.
Nous croyons que l'éditeur obtient une indemnisation tout à fait juste en échange de l'utilisation des ouvrages. Ce n'est ni gratuit ni bon marché, et l'argent n'est pas détourné. L'indemnisation apporte certitude et stabilité aux universités et aux chercheurs, qui savent ainsi qu'ils peuvent utiliser pleinement le matériel dans tous les aspects de leur travail.
Au fond, nous croyons que cette pratique favorise les nouvelles connaissances, les nouvelles données et le nouveau contenu scientifique, qui retournera à son tour chez les éditeurs et sur le marché.
Le sénateur Hervieux-Payette : Pourriez-vous être plus précise? J'ignore comment le prix de la reproduction est fixé comparativement à celui de la production, où il s'agit de la somme du coût et du profit. Revenons à mon exemple de prix de 10 $. Tout le monde est satisfait à ce prix, mais y ajoutez-vous quoi que ce soit pour la reproduction? J'imagine que ce prix est fixé à partir d'un calcul; quel pourcentage votre organisation et les éditeurs ajoutent-ils à la formule mathématique entre le prix de la version originale et celui de toutes les copies de l'œuvre en question?
Mme deBruijn : Il n'y a pas de formule. Le prix négocié ne varie pas pendant le trimestre. Si on juge qu'il n'est pas raisonnable à la fin du trimestre, il fera l'objet de nouvelles négociations au moment du renouvellement. Il n'y a aucune formule, et la reproduction n'entraîne aucun coût unitaire.
Le sénateur Massicotte : J'aimerais poser deux ou trois questions rapides à M. Reynolds ou à M. Harnum. Vous aimeriez que le projet de loi soit plus précis. À quoi ressemblent les dispositions législatives américaines? On nous a dit qu'elles présentent une forte similitude avec les nôtres. Sont-elles plus précises que celles de notre projet de loi?
M. Reynolds : La réglementation américaine traite plus particulièrement du coût de remplacement, de la possibilité de commercialisation du produit et de la perte de parts de marché. En ce qui concerne l'exemption en matière d'éducation, les dispositions sur l'utilisation équitable permettent à l'éditeur d'obtenir une indemnisation. Par exemple, une utilisation qui engendre une perte de ventes n'est pas équitable. Si le produit est normalement acheté plutôt que d'être copié, il ne s'agit pas non plus d'une utilisation équitable. Voilà essentiellement en quoi consiste la différence.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Harnum, aviez-vous autre chose à ajouter, ou est-ce assez clair?
M. Harnum : Je pense que c'est clair.
Le sénateur Massicotte : La Cour suprême a fixé des critères permettant de déterminer si une utilisation est équitable; l'un d'entre eux énonce que l'utilisation ne doit pas porter préjudice à l'auteur. N'est-ce pas la même chose qu'aux États-Unis? Une utilisation qui cause une perte à l'auteur n'est pas équitable.
M. Harnum : Les six étapes de l'arrêt CCH Canadienne Limitée ne sont rien de plus que des lignes directrices. Elles ne sont pas complètes et n'obligent personne à mettre les points sur les i. L'arrêt précise justement que les conséquences négatives sur le marché ne constituent pas le facteur le plus important ou un facteur déterminant en matière d'utilisation équitable. Voilà ce qui différencie notre situation de celle des Américains. En revanche, l'évaluation en trois étapes est complète. Pour qu'une utilisation soit considérée comme étant équitable et acceptable, chacun des trois critères doit être respecté.
Voilà la différence.
[Français]
Le sénateur Maltais : M. Reynolds, vous êtes le président directeur général de Pearson Education Canada, une entreprise qui existe depuis de nombreuses années. Vous nous avez donné plus tôt deux exemples de publications qui ne pourraient survivre avec la loi actuelle. Pouvez-vous nous donner maintenant deux exemples de grands succès pour votre entreprise et pour les auteurs?
[Traduction]
M. Reynolds : Je pourrais vous en donner bien plus que deux. J'évolue dans le domaine depuis 40 ans, et j'ai fait mes débuts en tant qu'éditeur de livres de physique. Dans les années 1970, je publiais des adaptations canadiennes de produits américains pour le programme d'enseignement de l'Ontario. Ces produits ont connu un grand succès, car nous les avons vendus pendant pratiquement 20 ans. C'est le genre de produit dont rêve tout éditeur ou toute entreprise à vocation commerciale — il s'agissait essentiellement d'un versement périodique puisque le produit se vendait année après année. J'y étais assurément pour quelque chose.
L'entreprise que je dirige actuellement est à l'avant-garde de l'enseignement des mathématiques au Canada. Nous avons publié plusieurs programmes de mathématiques très bien accueillis de la maternelle à la 12e année, et de la maternelle à la 6e année, suivi d'extensions pour l'école intermédiaire et l'école secondaire. Ces programmes ont été conçus expressément pour le marché canadien. Ce qui est exceptionnel, c'est la possibilité d'adapter notre programme national aux programmes d'enseignement des provinces de l'Alberta, de l'Ontario et des Maritimes. Ces programmes ont connu un vif succès.
[Français]
Le sénateur Maltais : Lorsque vous publiez un document qui s'adresse à une clientèle spécifique très particulière, comme le deuxième exemple que vous nous avez donné — un livre d'initiation au français qui s'applique à la quatrième année en Saskatchewan —, ne prenez-vous pas un risque au départ en sachant fort bien que vous ne pourrez pas le vendre en Alberta, au Manitoba, en Colombie Britannique, à Terre-Neuve, en Ontario, au Nouveau Brunswick? Ne serait-ce pas plutôt une expérience qui vous permettrait de vendre d'autres livres pour lesquels vous seriez bien rémunérés?
[Traduction]
M. Reynolds : Il n'existe aucune réponse facile, car chaque programme est conçu pour une situation particulière. Le livre de quatrième année destiné à l'ensemble du Canada s'adresse essentiellement aux élèves qui étudient le français en tant que langue seconde. Le livre de septième année pour la Saskatchewan a été conçu sur mesure. Nous sommes la seule entreprise qui a pu le faire dans la province. Toutefois, rien ne garantit que nous le vendrons. Il faut dans bien des cas que nous achetions l'ouvrage nous-mêmes, alors nous nous exposons à un risque inhérent. Le risque est naturellement moins élevé si nous sommes le seul éditeur. Dans le cas du programme de mathématiques de la maternelle à la 6e année dont j'ai parlé, nous avons trois ou quatre concurrents.
[Français]
Le sénateur Maltais : Vous avez dit tantôt qu'une fois le livre édité, vous devez le vendre aux commissions scolaires et aux écoles, alors que maintenant vous dites que c'est une commande que vous aviez reçue.
[Traduction]
M. Reynolds : Non, nous avons obtenu le droit de publier le livre. Les commissions scolaires doivent ensuite l'acheter. Dans ce cas particulier, c'est la province qui a choisi le programme d'enseignement. Ce ne sont pas nécessairement les commissions scolaires qui décident de se procurer le produit ou non. Elles peuvent mettre en œuvre le programme d'enseignement de bien des façons. Tout programme comporte bel et bien des risques inhérents qui dépendent largement des circonstances.
[Français]
Le sénateur Maltais : En terminant, je considère que le volume que vous avez imprimé a été commandé par le gouvernement et imposé aux commissions scolaires.
[Traduction]
M. Reynolds : Non, et ce n'est généralement pas le cas.
[Français]
Le sénateur Maltais : Alors pourquoi l'avez-vous créé s'il n'a pas été imposé aux commissions scolaires?
[Traduction]
M. Reynolds : Pour l'expérience.
[Français]
Le sénateur Maltais : C'est une expérience? Parfait. Vous êtes conscient que dans le domaine des expériences, le résultat peut être un succès tout autant qu'un flop?
[Traduction]
M. Reynolds : Tout à fait.
Le président : Mesdames et messieurs les témoins, c'étaient toutes les questions que nous voulions vous poser aujourd'hui. Nous vous remercions infiniment de votre témoignage des plus utiles.
(La séance est levée.)