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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 34 - Témoignages du 22 mai 2013


OTTAWA, le mercredi 22 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous entamons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), qui a été renvoyé au comité le mardi 7 mai 2013.

Honorables sénateurs, avant de commencer, je voudrais esquisser quelques règles fondamentales pour nos prochaines audiences, règles que le comité de direction a adoptées à l'unanimité. Disons d'abord que la liste des témoins est fort longue, mais qu'on se rassure, il n'y en aura pas plus de quatre par groupe. Deuxièmement, vous serez ravis d'apprendre que, à compter de demain et pendant toute la durée de l'étude, le comité se réunira pendant trois heures le jeudi. La séance débutera à 10 h 30.

Pour commencer notre étude du projet de loi C-377, je suis heureux de souhaiter la bienvenue au député Russ Hiebert, qui passera la première heure avec nous. Il est député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale, en Colombie-Britannique, et il est le parrain du projet de loi C-377.

M. Hiebert, élu pour la première fois en 2004, est coprésident du caucus mixte parlementaire des circonscriptions frontalières, et il est président de la Section canadienne de l'Association parlementaire du Commonwealth.

Je rappelle à mes collègues, bien que ce soit sans doute inutile, que notre comité est reconnu pour ses questions rigoureusement conçues, et sans longues entrées en matière.

Monsieur Hiebert, vous avez la parole.

Russ Hiebert, député, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs de me permettre de vous entretenir de mon projet de loi d'initiative parlementaire, le C-377, qui oblige les organisations ouvrières à communiquer des renseignements financiers.

La motivation qui m'a incité à proposer une mesure législative sur la transparence découle d'autres mesures analogues que le gouvernement conservateur a présentées. Parmi les lois que le gouvernement a proposées, dont la Loi fédérale sur la responsabilité, se trouvent des projets de loi exigeant une plus grande transparence de la part des titulaires de charge publique, des sociétés d'État et, tout récemment, des réserves autochtones. Ce sont des lois que le Sénat a adoptées à son tour.

Les organisations ouvrières jouent un rôle précieux dans la société canadienne, et l'État leur procure des avantages appréciables pour appuyer leur travail. Or, bien des gens sont étonnés d'apprendre que, même si ces organisations et leurs membres reçoivent des avantages fédéraux et publics considérables aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, elles n'ont actuellement aucune obligation de rendre compte au public de l'utilisation de ces avantages. Sous l'empire de la Loi de l'impôt sur le revenu, les organisations ouvrières n'ont pas d'impôts à payer, leurs membres peuvent déduire intégralement leurs cotisations aux fins de l'impôt et ils n'ont pas d'impôt à payer sur les indemnités de grève. À elle seule, la déduction des cotisations coûte au Trésor fédéral quelque 500 millions de dollars par année.

Le principe fondamental du projet de loi C-377, c'est que le public fournit des avantages importants et qu'il devrait savoir comment ces avantages sont utilisés. Après tout, les organismes de bienfaisance, qui reçoivent également de l'État des avantages importants, produisent des rapports publics sur leurs finances depuis 36 ans.

En regardant ce qui se passe chez notre plus important partenaire commercial, les États-Unis, j'ai constaté que la communication au public de données financières est une réalité de la vie pour les organisations ouvrières depuis 1959. En fait, les organisations ouvrières canadiennes dont le siège social se trouve aux États-Unis, comme le Syndicat des Métallos, déclarent des données financières très semblables à celles que je demande dans le projet de loi C-377. En ce moment, il est possible d'aller sur le site web du département américain du Travail et d'y trouver exactement combien gagne le dirigeant des Métallos du Canada et comment il partage son temps entre les activités politiques et les activités liées aux relations de travail. On peut voir aussi combien son syndicat a donné aux divers partis politiques au Canada.

Au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et en Australie, les organisations doivent aussi publier des données financières.

Avant que le projet de loi ne soit renvoyé au Sénat, j'ai proposé des amendements que la Chambre des communes a acceptés et qui sont intégrés au projet de loi dont vous êtes saisis. Il y a d'abord des amendements qui visent à protéger la vie privée. Mes amendements ont notamment éliminé des incertitudes, précisant que les régimes de pension, les régimes d'assurance-maladie et d'autres régimes réglementés n'auront pas à déclarer les prestations versées aux participants. Les adresses personnelles ne sont plus exigées non plus.

De plus, les employés des syndicats qui gagnent moins de 100 000 $ ne seront pas identifiés, à moins d'exercer des fonctions de gestion. Le seuil de 100 000 $ a été établi d'après des lois semblables qui existent au Canada depuis longtemps, par exemple la loi ontarienne d'ouverture de 1996 qui visait la fonction publique provinciale.

La deuxième grande modification porte sur les économies pour l'État. Les amendements se traduiront par des économies appréciables : suppression de l'exigence de références croisées dans les données communiquées et imposition de la production par voie électronique, ce qui élimine les rapports sur papier. L'Agence du revenu Canada a confirmé que, à son avis, il y aura moins d'un millier d'entités déclarantes et que le coût estimatif de la mise en place des mesures rendues nécessaires par le projet de loi C-377 est de 1,2 million de dollars par année pendant les deux premières années, les coûts étant de seulement 800 000 $ par année ensuite.

Mes amendements portent sur un troisième point : les données à communiquer. Deux modifications importantes ici. D'abord, il y aura moins de renseignements à produire sur les activités principales de relations de travail de l'organisation ouvrière. Au lieu de fournir des détails sur les dépenses de plus de 5 000 $ consacrées à des activités comme la syndicalisation et la négociation collective, il suffira de produire un chiffre global.

Deuxièmement, dans le cas des opérations où il y a un risque de conflit d'intérêts — ce qu'on appelle une opération entre apparentés —, il faudra fournir tous les détails à leur sujet. Voici un exemple d'opération entre apparentés : une organisation ouvrière achète une parcelle de terrain de l'un de ses administrateurs. Le projet de loi C-377 ne dit rien du caractère acceptable ou non de pareille opération; il dit simplement qu'il faut la déclarer. Tous conviendront sans doute qu'une parfaite transparence s'impose dans le cas des opérations entre apparentés.

J'ai suivi les débats des honorables sénateurs lorsque mon projet de loi était au stade de la deuxième lecture, et je voudrais soumettre quelques observations à votre considération.

On a demandé si d'autres organisations qui ont droit à des avantages fiscaux analogues à ceux des organisations ouvrières, comme les associations professionnelles, devraient être aussi visées par le projet de loi C-377. En général, oui, il est raisonnable d'appliquer la même exigence de transparence, fondée sur des principes, à d'autres organisations qui reçoivent des avantages semblables. Toutefois, le projet de loi C-377 a été rédigé précisément en fonction d'activités particulières auxquelles s'adonnent uniquement des organisations ouvrières comme les négociations collectives, les activités de relations de travail, et le reste. Il faudrait qu'un autre député ou sénateur présente un projet de loi exigeant la publication de données financières par les associations professionnelles.

Il a été dit aussi à l'étape de la deuxième lecture que, aux termes du projet de loi C-377, l'Agence du revenu du Canada aurait le pouvoir de surveiller comment les organisations ouvrières dépensent leur argent et de juger, politiquement, du caractère acceptable des dépenses. C'est tout à fait inexact. Le projet de loi C-377 ne réglemente en rien la façon dont les organisations ouvrières dépensent leur argent. Il ne les oblige même pas à consacrer de l'argent à un audit. Sa seule exigence porte sur la production d'une déclaration de renseignements, ce qui n'est pas plus que ce qu'on exige déjà des entreprises, des entités sans but lucratif, des organismes de bienfaisance et même des particuliers.

À la deuxième lecture, un sénateur a demandé pourquoi le projet de loi C-377 ne visait pas toute une liste d'organisations comme les Clubs Rotary, les congrégations religieuses et l'Institut Fraser. Comme je l'ai déjà dit, les organismes de bienfaisance canadiens, y compris les Clubs Rotary, les Églises et l'Institut Fraser produisent publiquement leurs renseignements financiers depuis 36 ans.

Selon un sénateur, la législation canadienne sur les syndicats s'est inspirée au départ des lois britanniques. Il a dit que nos lois étaient conçues pour protéger les droits légitimes des syndicats et devaient continuer à les protéger. Je suis très heureux que ce point ait été soulevé, car la Grande-Bretagne est rendue plus loin que cela, en ce qui concerne la publication des renseignements financiers des organisations ouvrières. Aux termes de la loi britannique de 1992, les syndicats sont tenus de présenter des rapports annuels et de tenir des dossiers financiers pour inspection ultérieure, au besoin, sur une période de six ans. La loi britannique exige la divulgation des salaires et dépenses des dirigeants élus des syndicats. Les rapports financiers annuels des syndicats britanniques doivent être soumis à un audit et ce sont des documents publics dont tous peuvent prendre connaissance.

Il a été dit à un autre moment qu'« un syndicat serait obligé de déclarer publiquement tout achat d'une provision de café pour deux ans, d'une voiture d'occasion, d'un ordinateur ou d'une imprimante. Il en serait de même s'il fallait que le syndicat remplace la plomberie ou la chaudière de l'immeuble abritant ses bureaux. » En fait, le seuil de 5 000 $ ne s'applique pas aux fonctions essentielles de l'organisation ouvrière. Si les fonds dépensés pour les articles énumérés se rattachent à l'administration, aux frais généraux, aux activités de relations de travail et ainsi de suite, seul le montant global est indiqué pour toutes les dépenses dans ces domaines, et aucun renseignement ne serait publié sur le fournisseur de café ni sur d'autres fournisseurs.

On a également fait remarquer, et cela vous sera certainement dit encore, que beaucoup d'organisations ouvrières au Canada communiquent déjà des états financiers à leurs membres. Peut-être vrai, mais ce n'est tout simplement pas l'objet du projet de loi C-377 que d'exiger la communication de renseignements aux syndiqués. Son objet, c'est faire publier les données à cause des importants avantages que les organisations ouvrières reçoivent de l'État.

Parmi ceux qui s'opposent au projet de loi C-377, plusieurs avancent qu'il y a un problème d'attributions constitutionnelles. Selon eux, le projet de loi est un texte qui porte sur le travail et non sur la fiscalité. Il modifie la Loi de l'impôt sur le revenu et non quelque code du travail. Il ne vise pas à régir de quelque façon que ce soit les organisations ouvrières, à les obliger à dépenser de l'argent ou à leur dicter la façon de dépenser leur argent. La seule chose que le projet de loi C-377 exige, c'est la production d'une déclaration de renseignements, ce qui est déjà exigé de beaucoup d'autres types d'entités, notamment des organisations régies exclusivement par les provinces, comme les organismes sans but lucratif à charte provinciale.

La constitutionnalité d'une initiative fédérale visant à exiger d'une organisation canadienne qui touche des revenus la production d'une déclaration de renseignements financiers ne fait aucun doute. La constitutionnalité du projet de loi C-377 a déjà été examinée par la Chambre des communes, et ce texte n'a pas été jugé contraire à la Constitution par un comité de tous les partis où les libéraux étaient représentés par l'ancien chef Stéphane Dion. Le procureur général du Canada, premier juriste de la Couronne, a aussi étudié la constitutionnalité du projet avant de recommander que le gouvernement lui donne son appui.

Quelqu'un d'autre a exprimé la crainte que le projet de loi ne protège pas assez bien le secret professionnel qui lie l'avocat à son client. Je dirai d'abord que, même si l'expression n'était pas mentionnée, la common law assurerait une protection. Néanmoins, par souci de clarté, j'ai prévu dans un passage important du projet de loi une exception pour les services juridiques. Un groupe a estimé que cette exception devrait figurer dans d'autres dispositions également.

La réponse simple, c'est que si un avocat donne des conseils juridiques, il s'agit de services juridiques, peu importe l'autre catégorie d'activité à laquelle ils peuvent se rattacher, et ils sont expressément protégés par le projet de loi C- 377. Toutefois, si un avocat fait du lobbying pour une organisation ouvrière, par exemple, il ne s'agit pas de services juridiques; il n'est donc pas nécessaire de parler du secret professionnel dans la catégorie du lobbying.

Enfin, selon les allégations d'un sénateur, le projet de loi est manifestement antisyndical. Pareil discours donne du bon théâtre politique, mais il ne repose sur aucun fait. Selon le sondage mené par Nanos en 2011, à la fête du Travail, 83 p. 100 des Canadiens qui travaillent et pas moins de 86 p. 100 des Canadiens syndiqués appuient la publication des renseignements financiers des organisations ouvrières. Voilà un soutien solide de la base.

En guise de conclusion, je dirai que même si une poignée de dirigeants syndicaux et leurs amis en politique ne sont pas à l'aise pour l'instant avec l'idée de cette publication de renseignements, avec le temps, la population constatera qu'une importante majorité d'organisations ouvrières canadiennes utilisent leurs ressources judicieusement et efficacement. Ce fait devenant apparent, on renforcera l'image positive des organisations ouvrières comme des entités financièrement responsables. C'est ce qui s'est passé lorsque les organismes de bienfaisance ont eu plus de comptes à rendre, il y a 36 ans.

Merci de votre attention. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Hiebert, de votre déclaration d'ouverture. Je passe immédiatement à ma liste de sénateurs qui veulent poser des questions.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup de votre projet de loi et de votre exposé. Votre projet de loi me plaît beaucoup. Il est bon de savoir que nous rattrapons nos partenaires commerciaux.

Ma question est simple. Selon vous, quels sont les avantages de votre projet de loi pour le syndiqué moyen?

M. Hiebert : Les avantages ne se limitent pas au syndiqué moyen; ils s'étendent aussi au grand public. Il ne faut pas oublier que l'objet du projet de loi est d'amener un groupe d'entités qui reçoivent des avantages importants de l'État à communiquer des renseignements au public, tout comme les organismes de bienfaisance ont dû commencer à publier des renseignements il y a 36 ans. À partir de ce moment-là, les Canadiens ont acquis une plus grande confiance envers ces organismes pour ce qui est de la bonne utilisation de l'argent qu'ils leur donnaient. Je crois que la même confiance sera acquise aux organisations ouvrières lorsque les Canadiens sauront qu'elles aussi, utilisent cet argent judicieusement, avec efficacité et efficience. Les avantages sont largement répartis et ils sont loin de se limiter aux membres d'une organisation ouvrière.

Le sénateur Greene : Je comprends. Mais cette mesure donnera-t-elle au syndiqué moyen une meilleure manière de savoir où en est son syndicat?

M. Hiebert : Comme les membres du grand public, les syndiqués ont intérêt à ce que leurs cotisations soient bien dépensées, et ils auront l'occasion d'influencer s'ils le souhaitent les dirigeants qui prennent les décisions en matière de dépenses. Depuis deux ans que je travaille à ce projet de loi, j'ai entendu toutes sortes de Canadiens, syndiqués ou non, dire qu'ils sont très curieux de savoir comment leurs cotisations sont dépensées et ils se réjouissent tout à fait de cette transparence. Si cela est représentatif, beaucoup d'autres Canadiens doivent partager ce sentiment.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Hiebert, je comprends votre argumentaire : ces organisations ont droit à des avantages fiscaux, à des avantages qui, en fait, échappent à l'impôt. Elles doivent donc davantage d'information au public. À votre avis, comment cela se compare-t-il à la situation d'une société privée? Bien sûr, la société privée paie des impôts. Lorsque les législateurs ont décidé d'exonérer d'impôt les organismes de bienfaisance ou les syndicats, je présume qu'il devait y avoir d'autres avantages importants qu'ils ont jugés nécessaires. Comment les déclarations se comparent-elles à ce que vous proposez pour une société privée d'environ 500 employés?

M. Hiebert : On ne peut pas vraiment comparer ces entités parce qu'elles sont complètement différentes. D'abord, les organisations ouvrières ont droit à d'importants avantages de l'État pour diverses raisons que je viens d'énumérer, dont la déductibilité des cotisations. Leurs activités échappent à l'impôt et les indemnités de grève ne sont pas imposées. Les sociétés n'ont pas les mêmes avantages. Les organisations ouvrières se rapprochent beaucoup des organismes de bienfaisance, qui donnent des crédits d'impôt pour les dons reçus des Canadiens. Cet avantage important est consenti parce que nous voulons appuyer les organismes de bienfaisance. Et ce soutien financier s'accompagne d'une obligation : la transparence et la reddition des comptes. Ce n'est pas la même chose avec les sociétés. L'analogie ne tient pas.

Le sénateur Massicotte : Je présume que les sociétés paient des impôts parce que quelqu'un a décidé qu'elles retiraient des avantages de la société.

Je passe au point suivant. Comment la communication de renseignements que vous proposez se compare-t-elle à ce qui est imposé à une société publique, comme la Banque de Montréal ou la Banque Royale, qui compte des milliers d'employés. Elles obtiennent une protection importante du gouvernement du Canada, surtout si on tient compte du pourcentage des actions qui peuvent être détenues par des tiers et des étrangers, sans oublier de nombreux actifs stratégiques au Canada. Comment leurs déclarations se comparent-elles à ce que vous proposez?

M. Hiebert : Je le répète, je ne cherchais pas à faire une comparaison avec les sociétés ouvertes ou privées, car ce sont des entités complètement distinctes qui ne reçoivent pas de l'État des avantages financiers comme ceux des organismes de bienfaisance ou les organisations ouvrières. Ce sont des entités complètement différentes. Ce sont comme des pommes et des oranges, qu'il n'est pas juste de comparer.

Le principe vaut toujours pour une société ouverte. Ses actionnaires y possèdent des intérêts et ils obtiennent donc des renseignements. Ils en retirent une plus grande confiance à l'égard de leur placement. Je crois que l'analogie vaut pour les organisations ouvrières canadiennes. Si les Canadiens, syndiqués ou non, estiment que l'argent qu'ils versent à ces organisations ouvrières, soit environ 500 millions de dollars par an, a comme contrepartie un régime de responsabilité et de transparence, ils auront également davantage confiance.

Le sénateur Massicotte : J'admets volontiers que, avec les sociétés ouvertes, la confiance et la transparence sont phénoménales. Des milliards et des milliards de dollars sont en cause. Toutefois, dans ces circonstances, pour maintenir la confiance, comment les renseignements qu'elles communiquent se comparent-ils à ce que vous proposez?

M. Hiebert : Je le répète, je n'ai pas comparé une organisation ouvrière et une société ouverte ou privée. Des niveaux différents de transparence sont nécessaires. Dans ce cas-ci, j'ai essayé de reprendre le plus fidèlement possible ce que certaines organisations ouvrières canadiennes doivent déjà communiquer non pas à quelque autorité canadienne, mais au département américain du Travail. J'ai essayé de proposer des dispositions parallèles pour éviter d'avoir des règles différentes au Canada, étant donné que certaines organisations ouvrières doivent communiquer ces renseignements au département américain de la Justice alors que d'autres organisations ouvrières n'ont aucun renseignement à communiquer. Au moyen du projet de loi, j'ai essayé de mettre toutes les organisations sur le même pied.

Le sénateur Massicotte : Pour entrer davantage dans les détails, je dirai que j'ai été PDG d'une société privée et d'une société ouverte. Les exigences en matière de déclaration que vous proposez sont immensément plus lourdes et il faut fournir beaucoup plus de détails que ce que doivent produire même les sociétés ouvertes.

Permettez-moi de passer à la prochaine question. Dans votre exposé, vous avez dit que, pour la divulgation de toute transaction de plus de 5 000 $ avec tout fournisseur ou employé, l'exigence de déclaration ne vaut que pour la partie applicable à ce que j'appellerai le travail non syndical. Vous ai-je bien compris?

M. Hiebert : C'est exact. Pour toutes les activités principales de relations de travail — la négociation, la syndicalisation, les relations de travail, qui sont les principales activités syndicales ou de relations de travail —, ces renseignements seront déclarés globalement : un seul gros chiffre à la fin de l'année, sans aucun détail. En revanche, lorsqu'une organisation ouvrière s'occupe de lobbying ou d'activités politiques, par exemple, le seuil de 5 000 $ s'applique, puisqu'il ne s'agit pas d'activités essentielles de relations de travail.

Le sénateur Massicotte : Nous pouvons tous lire cela ici. Permettez-moi de vous lire le texte. L'alinéa 149.01(3)b) dit que les renseignements dont il est question au paragraphe (2) comprennent :

b) des états pour l'exercice indiquant le montant total — ou la valeur comptable dans le cas des investissements et des éléments d'actif — des opérations et versements, les opérations et versements dont la valeur cumulative relativement à un payeur ou un bénéficiaire donné est supérieure à 5 000 $ faisant l'objet d'inscriptions distinctes précisant le nom du payeur et du bénéficiaire, l'objet et la description de l'opération ou du versement et le montant précis payé ou reçu, ou à payer ou à recevoir [...]

D'après mon interprétation, et il se peut qu'il y ait un amendement dont je ne suis pas au courant, il n'est pas précisé que cela concerne uniquement ce que j'appelle le travail non syndical. Il me semble que le texte dit explicitement qu'il s'agit de tout débours cumulatif pendant une année pour tout payeur ou bénéficiaire.

M. Hiebert : Si vous allez jusqu'au bas, après cette partie, vous lirez :

(ix) un état indiquant le total des déboursés relatifs aux activités de relations de travail [...]

Et un peu plus loin :

(xiii) un état indiquant le total des déboursés relatifs à l'administration,

(xiv) un état indiquant le total des déboursés relatifs au paiement des coûts indirects [...]

Le sénateur Massicotte : Je suis d'accord, mais revenons à l'introduction, là où se trouvent tous les chiffres. On lit : « ... à payer ou à recevoir, et comprenant... » Cela ne dit pas que ce qui suit répond essentiellement à la description précédente. Le terme « comprenant » veut dire « en plus ». Lorsque vous dites par exemple « l'état des comptes débiteurs », cela veut-il dire qu'il faut produire un état détaillé de tous les comptes débiteurs?

M. Hiebert : Non. Cela veut dire « état des comptes débiteurs ».

Le sénateur Massicotte : J'en ai vu des milliers. Ces états peuvent s'étendre sur 50 pages et énumérer tous les débiteurs avec le montant pour chacun. Pourquoi cela intéresserait-il le grand public? Je dirais que ces données sont très confidentielles, notamment en ce qui concerne les entrepreneurs qui font des affaires avec ces gens-là. Les entrepreneurs ne veulent pas qu'on publie leur nom avec le montant du compte. Leurs concurrents vont s'emparer de cette information. Ce renseignement n'est pas d'intérêt public.

Le président : Sénateur Massicotte, je dois vous interrompre et vous demander de revenir à la charge au deuxième tour. Ce sont d'excellentes questions.

Le sénateur Massicotte : Je vous en prie.

La sénatrice Nancy Ruth : Monsieur Hiebert, vous avez dit dans vos propos liminaires que la Grande-Bretagne devançait le Canada depuis 1992. J'essaie de voir si j'ai bien compris. Vous avez dit que les organisations ouvrières devaient faire une déclaration si on leur demandait de le faire. Cela n'est pas une obligation de déclaration. Aux termes de la loi britannique, elles ne font une déclaration que si on le leur demande, n'est-ce pas?

M. Hiebert : Je vais préciser ce que j'ai dit. Aux termes de la loi adoptée en 1992 au Royaume-Uni, les syndicats sont tenus de produire des rapports annuels et de tenir des dossiers financiers pour inspection sur une période de six ans. Ils doivent aussi faire connaître les salaires et dépenses de leurs dirigeants élus. Les rapports annuels doivent être soumis à un audit, et les dossiers publics doivent pouvoir être consultés par tout le monde.

La sénatrice Nancy Ruth : Rien sur quoi ils doivent faire des déclarations si on le leur demande?

M. Hiebert : Non, ce n'est pas facultatif.

La sénatrice Nancy Ruth : D'accord. Merci.

La sénatrice Ringuette : Monsieur Hiebert, je suis heureuse que vous soyez parmi nous. Toutefois, je suis quelque peu étonnée que quelqu'un qui est député depuis neuf ans et possède un diplôme en droit dise que les syndicats font des dons aux partis politiques, ce qui est contraire à la Loi électorale. Vous avez dit également qu'il en va de même des organismes de bienfaisance. De plus, en réponse aux questions du sénateur Massicotte, vous avez dit : « On ne peut pas comparer des pommes et des oranges. »

Je suis étonnée du fait que le projet de loi ne respecte pas la loi fondamentale du Canada, sa Constitution. Il ne s'agit pas d'un projet de loi sur la fiscalité, mais sur les relations de travail. C'est clair, et même très clair. J'ai discuté avec beaucoup de constitutionnalistes, et ils sont tous d'accord là-dessus.

Monsieur Hiebert, avec quels constitutionnalistes avez-vous communiqué ou discuté pour qu'ils vous disent que le projet de loi est constitutionnel et qu'il respecte aussi la Charte canadienne des droits et libertés?

M. Hiebert : Merci de votre question, sénatrice Ringuette.

Une précision d'abord. Vous me faites dire que les syndicats font des dons aux partis politiques. Si vous consultez le site web du département américain du Travail au sujet des Métallos du Canada, comme je l'ai fait, vous constaterez que cette organisation ouvrière canadienne a effectivement fait des dons à des partis politiques au Canada. Ce sont des partis provinciaux, mais ce sont des partis politiques tout de même.

Pour ce qui est des organismes de bienfaisance et de la comparaison entre des pommes et des oranges, il s'agissait de la comparaison entre les organisations ouvrières et les sociétés ouvertes ou privées. Voilà la comparaison que j'ai faite. Les deux entités ne peuvent se comparer, et c'est pourquoi j'ai fait cette analogie.

Quant à la constitutionnalité du projet de loi, comme je l'ai dit dans ma déclaration d'ouverture, j'ai consulté les juristes de la Chambre des communes. Le comité permanent des communes, un sous-comité du Comité de la procédure, applique quatre critères pour permettre la présentation à la Chambre d'un projet de loi d'initiative parlementaire. L'un de ces critères est la constitutionnalité. Il s'agit d'un comité formé de représentants de tous les partis, et on y retrouve l'ancien chef du Parti libéral, Stéphane Dion. Ce comité a jugé le projet de loi conforme à la Constitution.

En outre, le procureur général du Canada, qui est le premier juriste du Canada, a recommandé au gouvernement d'appuyer le projet de loi. Il n'aurait pas pu le faire s'il l'avait jugé non conforme à la Constitution.

La sénatrice Ringuette : Auriez-vous l'obligeance de remettre tous ces documents au comité par l'entremise de la greffière pour que tous les membres en aient le texte?

M. Hiebert : Je n'ai pas accès aux documents qui circulent au Cabinet, et c'est à cela que je songe en parlant du procureur général du Canada. Il n'y a pas de documents auxquels...

Le président : Vous n'avez reçu aucun document?

M. Hiebert : Non. Je réponds à la question en disant que le sous-comité du Comité de la procédure dépose un rapport aux Communes dans lequel on présume que, si un projet de loi d'initiative parlementaire est acceptable, il respecte les critères.

Jusqu'à maintenant, aucun constitutionnaliste, que je sache, n'a cité une décision judiciaire, une loi ou une disposition précise de la Charte selon lesquelles le projet de loi C-377 serait inconstitutionnel.

La sénatrice Ringuette : Je suis désolée, mais je dois vous interrompre tout de suite. J'ai lu toutes les délibérations du comité de la Chambre portant sur le projet de loi. Le comité a entendu de nombreux spécialistes de la Constitution qui ont affirmé que le projet de loi était inconstitutionnel, qu'il allait à l'encontre de la Charte des droits et libertés.

Je regrette, mais si vous voulez que nous prenions au sérieux ce que vous tentez de faire, ne dites pas des choses inexactes, je vous en prie. J'ai passé des semaines à lire tous ces documents.

Vos seuls experts ont été les juristes de la Chambre des communes. Je suppose que vous leur avez écrit pour leur demander leur avis. Quelles réponses écrites avez-vous reçues, et pourriez-vous les déposer auprès de la greffière du comité?

M. Hiebert : C'est le projet de loi que vous avez sous les yeux. Ils m'ont aidé à rédiger le projet de loi. C'est le mémoire écrit que j'ai.

Le président : M. Hiebert a dit qu'il n'avait aucun document.

M. Hiebert : Je vous sais gré de votre dévouement à la question dont le comité sénatorial est saisi; il est louable que vous ayez pris le temps de parcourir le compte rendu du comité de la Chambre. Mais peut-être pourriez-vous, à la prochaine séance du comité, me montrer les sources auxquelles vous vous reportez. J'ai entendu bien des gens, dans les médias et ailleurs, prétendre que le projet de loi est inconstitutionnel, mais je n'ai encore entendu personne citer un arrêt judiciaire.

La sénatrice Ringuette : Je crois que vous avez trouvé à qui parler, monsieur Hiebert; vous avez vraiment trouvé. Donnez-moi une seconde...

Le président : Sénatrice Ringuette, puis-je passer à une autre question, quitte à vous revenir ensuite? Je vous assure que je vais vous redonner la parole.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je ne m'aventurerai pas dans le domaine de la constitutionnalité, car je ne suis pas un juriste, mais il y a une chose qui m'intéresse et que j'aimerais savoir. Je ne sais pas si vous en avez fait l'évaluation, mais a-t-on une idée au Canada du nombre de cotisations syndicales amassées parmi tous les syndicats canadiens? Je crois que tous les syndiqués paient des cotisations et cela doit faire une masse d'argent très importante. Avez-vous décortiqué ou séparé l'argent des cotisations qui servent uniquement aux relations de travail comme les conventions collectives ou autres de la partie de l'argent versé en dons? Je ne sais pas si vous avez fait ces calculs, à savoir ce que cela peut représenter comme masse d'argent.

M. Hiebert : Il y a 4 ou 5 milliards de dollars.

[Traduction]

Les organisations ouvrières perçoivent de 4 à 5 milliards de dollars par année.

Quant à la ventilation que vous demandez, entre le lobbying et les relations de travail, cette information n'est pas disponible pour l'instant. Elle le serait pour les organisations ouvrières canadiennes si mon projet de loi était adopté. Si vous voulez voir ce qu'il en est pour les organisations canadiennes qui doivent faire des déclarations au département américain du Travail, vous pouvez voir sur le site web du département la répartition du temps entre différentes catégories d'activités. Au Canada, cependant, il n'y a aucune source d'information sur toutes les organisations ouvrières qui proposent ce genre de ventilation.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je suis, par exemple, un syndiqué de n'importe quel syndicat canadien et je paie, disons, 1 200 $ de cotisations syndicales par année. En tant que syndiqué, je m'attends à ce que cet argent soit investi dans les relations de travail pour augmenter ma qualité de vie, mon salaire et mes avantages sociaux. C'est en principe le fonctionnement du syndicalisme.

Pouvez-vous me dire, à partir de cet exemple, que la personne reçoit pour 1 200 $ de services concernant les relations de travail?

[Traduction]

M. Hiebert : Ce qu'il reçoit dépend grandement de l'organisation ouvrière dont il est membre et de la façon dont elle dépense l'argent. La vaste majorité des membres des organisations ouvrières et tout le grand public, certainement, n'ont pas la moindre idée de ce à quoi sert l'argent ni de sa répartition entre les activités, plus particulièrement. Comme vous l'avez dit, ils supposent que cet argent sert à améliorer le sort des employés ou des membres de l'organisation ouvrière, mais, dans la plupart des cas, aucun détail n'est fourni, et aucune information n'est proposée au grand public. Voilà pourquoi le projet de loi est si important.

Comme je l'ai dit au début, la plupart de nos partenaires du G7 ont déjà cette information. Le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et l'Australie ne sont pas des pays qui prennent les relations de travail à la légère. Les États-Unis demandent cette information depuis 1959. Je tiens à faire remarquer que, lorsque la loi a été adoptée, en 1959, les démocrates étaient majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat. Et les démocrates sont ceux qui ont toujours eu des liens avec les syndicats. Il leur a semblé nécessaire et acceptable que les Américains aient accès à ce type de renseignements; et ils y ont aussi accès pour certaines organisations ouvrières canadiennes parce qu'elles sont affiliées à des organisations américaines.

La communication de ces renseignements n'a rien de neuf. Elle existe dans la plupart des pays démocratiques avec lesquels nous avons des liens solides. C'est une anomalie que le Canada n'ait pas la même pratique. Le projet de loi ne fait que nous rapprocher de ce qui se fait pour les autres organisations ouvrières au Canada et chez nos partenaires commerciaux.

Le sénateur Campbell : Merci d'être parmi nous, monsieur Hiebert.

Je cite : « Le projet de loi C-377 est une solution en quête d'un problème. Il ne s'attaque à aucun problème réel. » Il ne corrige aucun défaut. C'est seulement du bonbon pour la faction néoconservatrice du parti, pour lui donner satisfaction dans un avenir immédiat.

Je ne vais pas enlever la question de la constitutionnalité à la sénatrice Ringuette, mais je voudrais connaître vos liens avec Merit.

M. Hiebert : Comme vous l'aurez peut-être lu dans les informations, Merit est au nombre des organisations qui appuient le projet de loi. Elle est loin d'être la seule. J'ai eu des nouvelles de divers groupes, particuliers, journalistes, universitaires et organisations ouvrières qui communiquent déjà volontairement ces renseignements et estiment que les autres devraient faire la même chose. Ceux qui sont intéressés par le projet de loi sont issus de milieux très divers, comme l'a montré le sondage Nanos cité plus haut et selon lequel 83 p. 100 des Canadiens souhaitent que les syndicats produisent ces renseignements et 86 p. 100 des syndiqués veulent la même chose.

Le sénateur Campbell : Ce sondage Nanos est intéressant, car il s'avère que la question avait été truquée. Les syndicats vous ont fait remarquer que la question du sondage Nanos et son entrée en matière ne résisteraient à aucune analyse. Vos 83 p. 100, c'est comme bien d'autres choses : de la frime.

Êtes-vous au courant des exigences de déclaration financière que le gouvernement fédéral et diverses provinces imposent déjà aux syndicats?

M. Hiebert : Je le suis.

Le sénateur Campbell : Auriez-vous l'obligeance de me les décrire?

M. Hiebert : Les renseignements exigés des organisations ouvrières dans sept des 10 provinces sont destinés aux membres des organisations et non au grand public. Le projet de loi propose une divulgation publique dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu. Aucune comparaison n'est nécessaire.

Je tiens à dire par ailleurs, que Nanos est prête à défendre son sondage et les résultats obtenus au moyen de cette question.

Le sénateur Campbell : Considérant la performance des maisons de sondage après les élections en Colombie- Britannique, je ne donnerais pas beaucoup de poids à cette opinion.

Vous dites avoir discuté avec beaucoup de syndiqués qui se sont plaints à vous. Savez-vous combien de plaintes les instances provinciales et fédérales qui surveillent les syndicats, aux termes des lois sur la communication des renseignements, ont reçu des syndiqués l'an dernier?

M. Hiebert : Je l'ignore.

Le sénateur Campbell : Selon les rapports provinciaux sur les relations de travail, il n'y a eu en 2010-2011 aucune plainte de syndiqués au sujet des renseignements financiers au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle- Écosse. En Ontario, il y en a eu cinq. Au niveau fédéral, il y en a eu deux, qui ont été toutes deux retirées. En 2011, une seule plainte a été déposée en Colombie-Britannique. Il y a donc eux cinq plaintes. Je voudrais savoir qui sont ces syndiqués à qui vous avez parlé. Cela se résume à ceci : « Quelqu'un m'a dit quelque chose. » Rien pour étayer l'affirmation. C'est semblable à la question de la constitutionnalité : quelqu'un m'a dit que le projet de loi était constitutionnel, mais rien de concret pour corroborer cette affirmation.

Voici une question que je voudrais aborder : avez-vous assisté aux séances du comité des Communes?

M. Hiebert : Au plus grand nombre possible.

Le sénateur Campbell : Étiez-vous présent le jour où l'Association du Barreau canadien a comparu devant le comité permanent?

M. Hiebert : J'ai parcouru son mémoire, mais je ne sais plus si j'étais présent à la séance.

Le sénateur Campbell : À la page 3 de son mémoire présenté au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, l'Association du Barreau canadien écrit :

En particulier, l'exigence qu'une organisation ouvrière soumette un état détaillant les versements effectués pour des activités politiques, des activités de lobbying, l'organisation d'activités et des activités de négociations collectives pourrait être inconstitutionnelle, allant à l'encontre de la protection assurée par la Charte pour la liberté d'expression en vertu de l'alinéa 2b) et la liberté d'association en vertu de l'alinéa 2d).

Le projet de loi entrave l'administration et les activités internes d'un syndicat, ce qu'interdit la liberté d'association garantie par la Constitution à moins que le gouvernement puisse démontrer qu'il s'agit d'une limite raisonnable aux droits d'association. D'après le texte du projet de loi, on ne voit pas quelle est la justification pour ces empiétements sur les droits.

Le président : Avez-vous une question à poser?

Le sénateur Campbell : Il s'agit là de l'Association du Barreau canadien. Que je sache, elle ne regroupe que des juristes. Que répondez-vous à cette prise de position?

M. Hiebert : Bien des organisations et des particuliers ont déclaré par le passé que des mesures législatives du Parlement seraient jugées inconstitutionnelles. Cela est souvent perçu comme un argument politique qui ne se vérifie pas forcément lorsque les tribunaux sont appelés à se prononcer. Ce n'est pas parce que cette association fait cette affirmation qu'elle a nécessairement raison.

Le sénateur Campbell : L'affirmation de la constitutionnalité du projet de loi ne tient pas forcément la route non plus.

M. Hiebert : Tout à fait exact, mais nous avons pour nous le jugement du procureur général du Canada, d'autres juristes et du comité parlementaire.

Le président : Merci, sénateur Campbell et monsieur Hiebert.

Sénateur Moore.

Le sénateur Moore : Je voudrais revenir aux questions du sénateur Massicotte au sujet des sociétés privées et des observations sur la déclaration de renseignements. Comme le sénateur l'a dit, les sociétés privées ont droit à des avantages. Elles peuvent déduire des cotisations. Elles peuvent déduire de leurs revenus les frais de lobbying comme dépenses d'entreprise. Je ne vois donc pas pourquoi on ciblerait un syndicat qui est dans la même situation.

M. Hiebert : J'ai essayé de...

Le sénateur Moore : Il ne suffit pas de dire que ce serait comparer des pommes et des oranges. Il y a un seul contribuable et un seul code de fiscalité, et nous avons le droit de faire certaines déductions selon les catégories dans lesquelles nous nous situons. Une société privée ou une société ouverte peuvent déduire toutes ces dépenses, et elles ne les déclarent pas nécessairement. Les sociétés privées ne le font certainement pas. Et pourtant, vous voulez que les syndicats le fassent. Je ne comprends pas votre raisonnement.

M. Hiebert : Comme je l'ai fait remarquer au début, il y a une ou deux raisons. Les organisations ouvrières reçoivent un avantage important de l'État, de l'ordre de 500 millions de dollars par année, grâce à la déductibilité des cotisations. Un certain nombre d'organisations ouvrières canadiennes communiquent déjà ces renseignements qui sont publiés sur le site web du département américain du Travail. Des avantages analogues sont accordés par la loi de l'impôt aux organismes de bienfaisance et, depuis 36 ans, ces organismes doivent communiquer des renseignements financiers.

J'ai la conviction qu'une entité qui reçoit des avantages importants de l'État a une obligation correspondante en matière de transparence et de reddition des comptes. Les syndicats, les organisations ouvrières, sont des entités distinctes, à la différence des sociétés privées ou ouvertes, à la différence des associations professionnelles. En principe, si un député ou un sénateur proposait un projet de loi prévoyant la communication de renseignements semblables pour d'autres entités qui ont droit à des avantages importants de l'État, j'appuierais cette mesure pour la même raison que j'appuie le projet de loi à l'étude.

Le sénateur Moore : Vous avez dit que les syndicats reçoivent un avantage de 500 millions de dollars grâce à ces dispositions fiscales. À combien s'élève celui auquel ont droit les sociétés privées grâce à ces dispositions fiscales?

M. Hiebert : Je le répète, les sociétés privées ne sont pas des entités auxquelles je me suis intéressé dans le projet de loi. Je ne peux donc pas répondre à votre question.

Le sénateur Moore : J'estime que vous devriez pouvoir le faire.

Le projet de loi emploie l'expression « activités de relations de travail ». Elle désigne ce qui suit :

Activités liées à la préparation de négociations collectives et à la participation à celles-ci, ainsi qu'à l'administration et à l'application des conventions collectives dont l'organisation ouvrière est signataire.

Estimez-vous qu'il est acceptable qu'un syndicat doive révéler ses tactiques et sa démarche au grand public et donc, évidemment, à la direction de l'entreprise? Où est passé l'esprit qui préside à la négociation de conventions collectives entre deux parties, chacune cherchant sa voie et recherchant une solution? Je ne comprends pas que vous puissiez recommander une mesure semblable.

M. Hiebert : Au sous-alinéa 149.01(3)b)(ix), je dis que les relations de travail, dont vous avez lu la définition, doivent faire l'objet d'une déclaration globale. Je ne m'intéresse pas au détail de l'utilisation de l'argent qu'une organisation ouvrière peut faire dans ce domaine.

Je ferai remarquer néanmoins que d'autres organisations ouvrières au Canada, aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni, en France, en Australie et ailleurs communiquent ces renseignements depuis de longues années, et cela n'a pas eu d'impact, n'a pas entravé leur capacité de négocier avec les entreprises. Tout s'est déroulé normalement, et il n'y a certainement pas eu d'impact sur leurs négociations.

Le président : Merci, monsieur Hiebert.

Je vais maintenant donner à la sénatrice Ringuette le reste de son temps de parole. Votre information est prête?

La sénatrice Ringuette : Oui.

Je voudrais en revenir aux experts qui ont témoigné au comité de la Chambre des communes. Je présume que, comme il s'agit de votre projet de loi, vous avez suivi de près ce qui se passait à l'autre endroit.

Le sénateur Campbell a déjà rappelé que l'Association du Barreau canadien a dit que le projet de loi était inconstitutionnel. M. Notebaert a dit la même chose. M. Alain Barré, professeur au Département des relations industrielles à l'Université Laval, a dit qu'il n'est pas constitutionnel, qu'il déroge à la Charte et qu'il est contraire à la Loi sur la protection des renseignements personnels. M. Henri Brun, professeur de droit constitutionnel, exprime le même avis : le projet de loi n'est pas constitutionnel et il déroge à la Charte des droits et libertés.

De plus, j'ai appris que le Canada avait signé une convention de l'ONU en 1972 — avec l'Organisation internationale du travail de l'ONU — qui reconnaît le droit à la négociation collective. Le type de loi que nous avons sous les yeux contreviendrait à la convention que nous avons signée en 1972 et ferait en sorte que le Canada soit la cible à l'ONU de plaintes du même ordre que celles qui sont adressées au Bangladesh, au Guatemala et au Pakistan.

Monsieur Hiebert, lorsque vous avez fait vos recherches concernant les droits inconstitutionnels du Parlement à l'égard de la gestion des organisations ouvrières, qu'il s'agisse d'organisations de travailleurs ou d'employeurs, car, là encore, votre projet de loi n'est pas clair... Au fond, vous savez très bien — en tout cas, j'espère que vous avez écouté les séances du comité des Communes — que votre projet de loi est inconstitutionnel, qu'il ne respecte pas les compétences provinciales en matière de droits civils...

Le président : Sénatrice Ringuette, venez-en à la question, je vous prie.

La sénatrice Ringuette : Monsieur le président, le parrain du projet de loi n'a pas réussi à satisfaire au premier critère pour présenter un projet de loi au Parlement, c'est-à-dire respecter la loi fondamentale de notre pays, la Constitution du Canada. M. Hiebert n'a pas pu nous montrer aujourd'hui que son projet de loi satisfait aux exigences constitutionnelles.

Le président : Des observations pour conclure, monsieur Hiebert?

M. Hiebert : Oui, bien sûr.

Merci, sénatrice Ringuette, de vos observations. Je vais essayer de répondre à chacun des points que vous avez fait ressortir.

Comme je l'ai déjà dit, honorables sénateurs, il y a un sous-comité de la Chambre des communes qui vérifie si les projets de loi proposés par des députés doivent être mis à l'étude. Il y a quatre critères, dont la constitutionnalité. Le sous-comité est formé de représentants de tous les partis, et ce sous-comité a estimé que mon projet de loi satisfaisait à ce critère et qu'il respectait la Constitution.

La sénatrice Ringuette : Et votre projet de loi a eu l'approbation de tous les membres de ce comité ou de la majorité d'entre eux?

M. Hiebert : De la majorité...

Le président : Sénatrice Ringuette, laissez M. Hiebert conclure.

La sénatrice Ringuette : Nous avons eu des situations semblables au Sénat récemment.

M. Hiebert : De plus, le procureur général du Canada, des juristes de la Chambre des communes et d'autres personnes ont exprimé des opinions contraires à celles qui contestent la constitutionnalité du projet de loi. Ce n'est pas rare; nous avons déjà vu ce genre de débat se produire dans cette auguste assemblée. Je présume que nous ne saurons pas vraiment à quoi nous en tenir tant qu'il n'y aura pas eu de contestation, si jamais il y en a une.

La sénatrice Ringuette : Je peux vous dire que, au début de mars, j'ai fait trois demandes d'accès à l'information au sujet de la constitutionnalité...

Le président : Sénatrice Ringuette. Sénatrice, je vous en prie.

La sénatrice Ringuette : ... et aucun de vos ministres n'a encore répondu.

M. Hiebert : Monsieur le président, vais-je pouvoir répondre à d'autres éléments de sa question?

Le président : Oui.

M. Hiebert : Vous avez fait allusion à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. La commissaire à la vie privée a aussi témoigné au comité des Communes au sujet de mon projet de loi et elle n'a signalé aucun conflit entre la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur la protection des renseignements personnels, d'une part, et le projet de loi C-377 d'autre part.

Vous avez parlé d'une convention de l'ONU qui remonte à 1972. Vous ne devez pas oublier que mon projet de loi ne réglemente en rien les organisations ouvrières...

La sénatrice Ringuette : Oui, il le fait.

M. Hiebert : Il ne le fait pas, en fait. Il exige simplement qu'elles fassent savoir comment elles dépensent l'argent.

Étant donné que les États-Unis, où est situé le siège de l'ONU, l'Allemagne, la France, l'Australie et le Royaume- Uni, qui sont tous signataires, je présume de cette convention, et qu'ils ont tous des lois semblables sur la communication des renseignements, je ne peux pas voir comment le projet de loi, qui reproduit de près la loi américaine, peut être en conflit avec cette convention.

Le président : Je vais user de la discrétion qui m'est laissée pour permettre à deux sénateurs, par courtoisie, de poser des questions.

Le sénateur Segal : Monsieur Hiebert, vous et moi sommes de la même allégeance politique. Nous avons un désaccord fondamental sur le projet de loi, mais je reconnais que votre intention est d'être constructif et utile. Quels que soient nos désaccords, nous devons nous féliciter que des simples députés s'efforcent d'améliorer la qualité de vie au Canada.

Je ne comprends pas le mal que le projet de loi vise à guérir. Comme nous sommes conservateurs, nous croyons que le gouvernement doit être plus discret, et non plus lourd. Comme nous sommes conservateurs, nous ne croyons pas qu'il faille donner plus de place à l'État providence, c'est-à-dire un État qui met le nez dans différents éléments privés de la vie, des sociétés commerciales, des syndicats et d'autres entités. C'est du moins ce que j'aurais été porté à penser.

Vous et moi savons que, dans les grandes dictatures du monde, le droit fiscal sert souvent à réprimer l'autonomie et la liberté d'expression. Les Soviétiques et les Russes, même sous le gouvernement actuel, le font depuis des années. C'est aussi ce que nous voyons au Sri Lanka : certains journaux doivent avoir un permis et sont tenus de faire des déclarations fiscales, et d'autres non.

Pourquoi pensez-vous que la structure des relations de travail au Canada, les relations entre les entreprises et les travailleurs et travailleuses syndiqués seraient améliorées par ce type de loi fiscale? Vous avez dit qu'il s'agit d'une loi fiscale. Dans d'autres pays que vous avez cités, nous croyons comprendre que ces dispositions font partie du régime des relations de travail, qui est très différent des sanctions qui sont à la disposition de Sa Majesté aux termes de la loi fiscale. Je voudrais comprendre quel est ce mal auquel, selon vous, il est absolument essentiel de s'attaquer au moyen de ce projet de loi.

M. Hiebert : Merci, sénateur Segal, de votre entrée en matière. Nous partageons notamment un intérêt commun pour le Commonwealth, et nous avons entretenu une étroite collaboration, et j'ai toujours été heureux de le faire.

Je le répète, l'objet ultime du projet de loi est de renforcer la confiance que les Canadiens peuvent avoir dans des institutions qui reçoivent de l'État un avantage important. Par l'entremise du Trésor, la population canadienne sacrifie des impôts de 500 millions de dollars par année pour soutenir ces institutions.

De la même façon, nous donnons des crédits d'impôt aux organismes de bienfaisance. C'est une façon de les aider et d'inciter, d'encourager les Canadiens à leur faire des dons. Mais en retour, les organismes de charité doivent faire savoir comment ils dépensent leur argent et quels sont les salaires de leurs employés. Ils le font depuis 36 ans. Vous ne les avez jamais entendus se plaindre et demander à être soulagés de cette obligation parce qu'elle leur nuit. Évidemment, ils ne le font pas, car ils reconnaissent que la transparence et la responsabilisation renforcent la confiance que leur font les Canadiens, qui sont portés à leur donner encore plus d'argent. C'est de cette transparence et de cette reddition des comptes qu'il s'agit. C'est un endroit intéressant, aujourd'hui, pour parler de transparence et de reddition des comptes, pour souligner leur importance pour la population canadienne. Ne l'oublions pas.

Des organisations ouvrières canadiennes doivent communiquer ces renseignements depuis 1959 non pas à quelque entité canadienne, mais au département américain du Travail. Cela a-t-il du sens? Bien sûr que non. Pourquoi devrait-il y avoir des règles différentes pour les organisations ouvrières au Canada? Ce n'est absolument pas juste. Le projet de loi place toutes les organisations ouvrières sur un pied d'égalité. Tout est égal pour tout le monde.

Qui cela intéresse-t-il? Ceux qui élaborent la politique d'intérêt public, les journalistes, les universitaires, les groupes de réflexion. En soi, la communication des renseignements est bonne. Elle l'est vraiment. Voilà pourquoi c'est tellement important pour les Canadiens.

Il ne faut pas oublier que, tout récemment, le Sénat a adopté le projet de loi C-27, Loi sur la transparence financière des Premières Nations. Vous avez jugé bon d'adopter cette loi. Bien qu'il n'y ait pas eu, que je me souvienne, un grand nombre d'organisations ou de particuliers qui réclament cette obligation redditionnelle et cette transparence, il a été jugé bon, dans les circonstances, de révéler les salaires des chefs dans les différentes réserves autochtones.

De la même manière, la déclaration de renseignements pour les organisations ouvrières est une chose que les Canadiens réclament. Ils veulent l'obtenir de vous, de moi. Ils veulent l'obtenir de leurs députés provinciaux. Ils veulent l'obtenir des sociétés d'État. Nous avons offert ce niveau de transparence, et cela renforce chez eux l'assurance que nous faisons la bonne chose de leur argent. Lorsque les Canadiens verront que les organisations ouvrières utilisent correctement les 4 ou 5 millions de dollars qu'elles perçoivent chaque année, ils auront une confiance renouvelée envers elles.

Le président : Merci, monsieur Hiebert.

Le sénateur Segal : Puis-je poser une autre question?

Le président : Je note votre nom pour le deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'ai une question qui est un peu dans la même veine que les dernières questions.

Vous revenez souvent sur la loi américaine de 1959. Vous avez cité également d'autres législations au plan international, dont la législation française. Je suis allée voir les législations américaines, le Labor Management Reporting and Disclosure Act de 1959. Je suis aussi allée voir la législation française, qui a été adoptée sous le gouvernement de M. Sarkozy. Dans les deux cas c'est exactement la même chose : aux États-Unis on exige un effort de transparence des syndicats, mais aussi des employeurs; il en va de même en France où on exige un effort de transparence de la part des employeurs, des associations patronales et de tout le monde des corporations professionnelles. Dans les deux cas, également, ces projets de loi ne sont pas des lois fiscales; ce sont des lois qui s'incorporent vraiment dans les relations de travail.

Pourquoi n'avez-vous pas pris exactement la démarche américaine, par exemple? On parle de level playing field, mais, dans ces cas-là, le level playing field, au niveau des négociations, comprend aussi les associations patronales.

Pourquoi n'avez-vous pas choisi d'aller dans cette direction?

[Traduction]

M. Hiebert : Je me suis servi de la Loi de l'impôt sur le revenu parce que c'est le modèle que nous avons au Canada pour exiger des comptes des diverses entités. J'ai parlé des organismes de bienfaisance, et je ne vais pas répéter qu'elles doivent produire des renseignements depuis 36 ans et que cela a renforcé la confiance des Canadiens envers elles.

Quant à la transparence d'autres entités que vous avez signalées, comme les associations professionnelles, les employeurs et les sociétés, il existe une certaine transparence. Nous venons de parler des sociétés ouvertes. Si vous ou un autre sénateur ou député présentez un projet de loi d'initiative parlementaire pour assurer ce niveau d'obligation redditionnelle et de transparence pour les entités que vous énumérez, j'appuierai en principe ce projet de loi. Je n'ai aucun mal à accepter cette obligation redditionnelle et cette transparence, car je crois qu'elles sont bonnes, et qu'elles sont bonnes partout.

Lorsque j'ai rédigé mon projet de loi, j'ai dû me plier à des contraintes. Le bureau des Communes chargé des projets de loi émanant des députés ou la loi qui encadre l'élaboration d'un projet de loi par les députés restreignent la portée que peut avoir un projet de loi. Je ne peux pas aller au-delà d'un champ d'intérêt unique. J'ai donc rédigé le projet de loi pour un ensemble unique d'entités. Les organisations ouvrières sont uniques. Elles sont différentes des sociétés ou des associations professionnelles à de très nombreux égards. Voilà pourquoi je me suis intéressé à elles. Si toutefois vous ou d'autres parlementaires souhaitez accroître la transparence et l'obligation redditionnelle, comme cela s'est fait en France, ainsi que vous le dites, je vous y encourage.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Est-ce que vous ne trouvez pas que cela vient déséquilibrer l'ensemble des relations entre les entreprises et la main d'œuvre que de procéder de cette manière-là? Au fond, comme vous ne les avez pas incorporés, cela introduit un biais négatif, dans le projet de loi, à l'égard de seulement une des parties à la négociation, soit les syndicats.

[Traduction]

M. Hiebert : La loi que je propose est très semblable à la législation américaine que vous dites avoir étudiée. En ce moment, certaines organisations ouvrières canadiennes doivent communiquer ces renseignements, et depuis 1959, je ne les ai pas entendues déplorer que cela les désavantage dans les négociations avec les sociétés. Ce n'est tout simplement pas un problème qui a été porté à mon attention. Elles ont dû s'adapter. Elles ont adopté la pratique de ces déclarations et se sont pliées aux exigences, mais elles continuent de survivre et parfois même de prospérer.

Le président : Merci, monsieur Hiebert. Je vais mettre fin au premier tour, avec ses questions soigneusement formulées. Nous passons au deuxième, avec ses questions brèves et incisives.

Le sénateur Massicotte : Je serai très rapide. Vous avez examiné les exigences de communication américaines, même pour les grands syndicats. Il y est toujours question du montant total des reçus, autrement dit pour l'impôt sur le capital, les amendes, les cotisations. Dans votre projet de loi, nous voyons souvent le terme « état ». Qu'est-ce qu'un état des emprunts? Que cherchez-vous à savoir? S'agit-il d'une liste des comptes créditeurs? Est-ce un état du montant global ou une simple ligne qui dit que le total est de tant? Chez les Américains, c'est toujours le montant total. Quelle est votre intention, dans votre projet de loi?

M. Hiebert : Mon intention est semblable à celle qu'il y a derrière les états qu'on voit partout, les états plutôt généraux d'une société ouverte ou d'entités semblables qui doivent se conformer aux principes comptables généraux.

J'admets que des questions se posent, peut-être comme la vôtre ou d'autres, et qu'il faudra évaluer, jauger, et le personnel de l'ARC fera des recommandations en cherchant à appliquer la loi. Ce qui est présenté ici est un principe directeur.

Quant aux détails concrets ou aux postes qu'on trouverait dans ces documents, je vais m'en remettre aux bureaucrates, qui ont la responsabilité d'adopter et d'appliquer les lois.

Le sénateur Massicotte : Il y a une loi.

Le président : Je suis désolé, sénateur Massicotte, mais je dois passer à quelqu'un d'autre. M. Hiebert a l'obligeance de rester quelques minutes de plus.

Le sénateur Campbell : Monsieur le président, je cède mon temps de parole au sénateur Segal.

Le sénateur Segal : Monsieur Hiebert, dans une société fondée sur la libre entreprise, croyez-vous qu'une société privée ouverte ou détenue par des intérêts privés a le droit de planifier en privé la croissance de sa part de marché, la conception de ses produits, sa technologie et ses relations de travail? Est-ce un droit à la vie privée dont les sociétés privées doivent jouir?

M. Hiebert : Cela dépendrait sans doute de ceux à qui elle doit rendre des comptes.

Le sénateur Segal : J'ai dit « privé ». Elle appartient à une société privée et elle veut essayer de fabriquer du meilleur fromage ou de meilleures pièces d'automobile, peu importe. Devrait-elle avoir le droit, selon vous, de préparer ses plans en privé?

M. Hiebert : Jusqu'à un certain point, peut-être.

Le sénateur Segal : Que pensez-vous des syndicats qui veulent faire des plans afin de protéger les droits de leurs membres, d'assurer la sécurité en milieu de travail et mener des négociations? Pensez-vous qu'ils ont le droit de faire leurs préparatifs en privé?

M. Hiebert : Ils ont ce droit, aussi bien ceux qui doivent communiquer des renseignements au département américain du Travail que les autres. Ils ont déjà le droit de planifier leur action, et le projet de loi ne les oblige pas à divulguer leurs plans.

Le sénateur Segal : Cela me paraît important. Vous n'êtes pas d'avis que les renseignements que vous les obligez par voie législative à produire n'aurait aucun impact sur leur capacité de faire des plans en privé. Vous pensez que ces renseignements ne révéleraient absolument rien sur leur organisation. La question surgit : dans ce cas, pourquoi adopter cette loi?

M. Hiebert : La loi proposée exige la déclaration des montants globaux en ce qui concerne les responsabilités principales d'une organisation ouvrière.

Le sénateur Segal : Pas tout à fait.

M. Hiebert : Non, non, elle l'exige.

Le sénateur Segal : Le libellé est très peu clair. La première partie du projet de loi, comme on l'a déjà fait remarquer, demande des détails précis sur les dépenses de 5 000 $ et plus et une liste des employés qui gagnent 100 000 $ ou plus, sauf erreur.

M. Hiebert : C'est exact. Ces dispositions sont semblables à la loi d'ouverture de l'Ontario. Lorsqu'il s'agit des coûts indirects, des activités de relations de travail et de syndicalisation, il suffit de donner les montants globaux. C'est un seul gros chiffre ou, si le syndicat est plus petit, d'un seul petit chiffre qui indique combien a été dépensé dans un domaine donné.

Le sénateur Segal : Cela ne révélerait rien, selon vous.

M. Hiebert : Rien.

Le sénateur Segal : Pourquoi le demander dans le projet de loi, dans ce cas?

M. Hiebert : Je crois qu'il est utile que les Canadiens sachent quel montant est consacré à ces types d'activités. Comment pourrait-on comparer le montant consacré aux activités politiques et au lobbying par rapport à ces activités?

Le sénateur Segal : Puis-je poser encore une question?

Le président : C'est maintenant votre propre temps de parole.

Le sénateur Campbell : Celle que vous avez posée pendant mon temps de parole était bonne.

Le sénateur Segal : Je crois avoir compris correctement que l'une de vos vraies préoccupations, et je me rallie à vous, ce sont les dons ou autres activités politiques que les syndicats feraient ou mèneraient à l'insu de leurs membres et du reste de la société, parce que ce type de clarté et de transparence, nous les souhaitons dans le déroulement des élections. C'est là une motivation positive. Est-ce que je comprends bien?

M. Hiebert : Non, je ne le crois pas. Ce n'est pas différent de la façon dont les organismes de charité communiquent leurs renseignements. Ils doivent indiquer le montant consacré à l'administration et celui qui va aux salaires. Les organismes de bienfaisance accrédités au niveau fédéral ne peuvent participer à des activités politiques au-delà d'un certain seuil. Il faut également que ces renseignements soient déclarés, mais cela ne suppose aucune motivation cachée de la part du gouvernement ou des Canadiens qui veulent connaître ces renseignements.

Le sénateur Segal : Vous aurez vu comme nous tous sans doute des reportages sur les difficultés d'un bureau particulier de l'IRS, aux États-Unis, au sujet d'allégations à confirmer selon lesquelles des organisations liées au Tea Party et des groupes patriotiques étaient peut-être traitées injustement par rapport aux groupes qui demandent un statut légitime d'exonération d'impôt aux termes des dispositions américaines relatives aux organismes de bienfaisance. Cela a donné lieu à une controverse que la Maison-Blanche et d'autres essaient de gérer.

Qu'est-ce que l'ARC a de si bien pour que vous ayez tellement confiance que, si votre projet de loi était adopté, nous ne nous retrouverions pas malgré nous, sans aucune raison politique, dans une situation où divers fonctionnaires finiraient par utiliser les renseignements, les dispositions et les sanctions prévues dans le projet de loi d'une manière telle que cela donne pour nos amis du centre et du centre-gauche au Canada — qui, aux dernières nouvelles, ont le droit de s'organiser — ce qui arrive à nos amis du centre et du centre-droit aux États-Unis?

Peut-être que, comme conservateur, vous avez davantage foi dans la bureaucratie que moi, car je m'inquiète toujours lorsqu'on laisse aux bureaucrates trop de pouvoirs et de responsabilités, non parce qu'ils sont vilains, mais parce qu'ils commettent des erreurs honnêtes.

M. Hiebert : On pourrait éprouver la même crainte ou la même préoccupation à l'égard des obligations de déclarations faites aux organismes de bienfaisance, mais il n'y a pas de fonctionnaires qui usent de leur pouvoir, de leur autorité pour éliminer des organismes ou empêcher leur enregistrement. Du moins, je ne suis pas au courant. Il faut leur donner le bénéfice du doute. D'après ce que je peux voir, le bilan de l'ARC est plutôt bon. Elle est capable d'appliquer une loi semblable depuis un certain temps pour les organismes de bienfaisance. Elle a montré qu'elle a la compétence voulue pour recevoir les renseignements et les verser sur un site web pour que tous puissent les consulter, comme je l'ai fait. Les compétences ou l'expérience nécessaires pour faire ce que je propose dans le projet de loi sont très semblables. Il ne lui serait pas difficile d'y arriver tout aussi bien.

Le président : Merci, monsieur Hiebert, de votre présence. Votre comparaison a lancé notre examen de façon très énergique. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie.

Nous avons le plaisir, au cours de la deuxième heure, d'accueillir des représentants des milieux juridiques au Canada. De l'Association du Barreau canadien, nous accueillons M. Michael Mazzuca, président de la Section nationale du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux; du Barreau du Québec, voici M. Gilles Trudeau, représentant; de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, nous avons M. John J.L. Hunter, c.r., président sortant.

Monsieur Mazzuca, je crois que vous avez une déclaration d'ouverture à faire. Viendront ensuite M. Trudeau et M. Hunter. Vous avez la parole.

Michael Mazzuca, président, Section nationale du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux, Association du Barreau canadien : Monsieur le président et honorables sénateurs, je suis heureux de comparaître aujourd'hui au nom de l'Association du Barreau canadien. Il s'agit d'une association nationale qui représente plus de 37 000 juristes de l'ensemble du Canada. L'un de ses principaux objectifs est le progrès dans le domaine du droit et de l'administration de la justice. C'est dans cette optique qu'elle a étudié le projet de loi C-377.

Il importe aussi de souligner que l'Association du Barreau canadien, grâce à ses diverses sections de droit, veille à assurer la diversité régionale et la diversité des points de vue, et elle fait en sorte que les différents points de vue soient pris en compte dans ses mémoires.

Je suis le président de la Section nationale du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux. Cette section tient beaucoup à la diversité régionale et à la diversité des points de vue au sein de son exécutif et elle en est très fière. L'exécutif compte donc des membres des quatre coins du Canada. Des membres apportent aussi à l'exécutif des perspectives différentes. Nous avons des avocats qui viennent de cabinets petits, moyens et grands; nous avons notre propre conseiller juridique à l'exécutif; nous avons également des juristes qui représentent les membres des régimes et d'autres qui représentent les intérêts des sociétés.

Nos mémoires, que vous avez sous les yeux, ont été préparés et appuyés par tous les membres de l'exécutif de la Section nationale du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux, ainsi que par la Section du droit de la vie privée et la Section du droit constitutionnel et des droits de la personne de l'Association du Barreau canadien.

Après avoir examiné le projet de loi C-377, l'Association du Barreau canadien estime qu'il ne faut pas l'adopter à cause d'un certain nombre de préoccupations concernant son contenu. Ces préoccupations portent sur quatre points. Le premier est le respect de la vie privée; le deuxième concerne la constitutionnalité; le troisième est son application à divers fonds; et le dernier est l'incidence sur le caractère sacré du secret professionnel qui lie l'avocat à son client.

Voyons d'abord le droit de la vie privée. Nous pouvons tous accepter que la transparence est importante, mais l'Association du Barreau canadien s'inquiète de la particularisation très poussée des déclarations de renseignements exigées par le projet de loi C-377. Nous avons déjà fait valoir ces préoccupations. L'Association du Barreau canadien et moi ne croyons pas que les amendements aient réussi à dissiper ces préoccupations. Au contraire, les amendements déjà apportés ont probablement amplifié nos préoccupations, car elles ont rendu encore plus clair le fait que le type de déclaration exigée va très loin dans les détails, qu'elle exige le nom de chaque payeur et de chaque bénéficiaire de toutes les transactions globales qui dépassent 5 000 $. Les déclarations doivent aussi donner des détails sur les salaires et les avantages sociaux. Ce ne sont pas des montants globaux dont le projet de loi exige la divulgation. Ce sont des renseignements détaillés, surtout lorsqu'il s'agit des salaires dans le secteur privé, ce qui est sans précédent. Le projet de loi lui-même ne propose pas de justification réelle pour cette indiscrétion.

Deuxièmement, à propos de la constitutionnalité, les préoccupations que nous avons déjà fait valoir dans nos mémoires demeurent. Les amendements n'y ont rien changé. Nous craignons toujours que le projet de loi n'entrave les libertés d'expression et d'association des Canadiens, car il constitue une intrusion dans l'administration et les opérations internes d'un syndicat.

Troisièmement, en ce qui concerne l'application du projet de loi à divers fonds et régimes d'avantages sociaux, nous avons exprimé très tôt nos préoccupations, craignant que le projet de loi ne vise beaucoup plus que les syndicats. Nous nous sommes réjouis de voir dans les amendements que les régimes de pension agréés et un petit groupe d'autres types de régimes sont désormais exemptés. C'est là un progrès, mais nous sommes toujours très inquiets de la définition large de l'expression « fiducie de syndicat ». Le projet de loi vise non seulement les syndicats et les organisations ouvrières, mais aussi les fiducies de syndicat. La notion de « fiducie de syndicat » reçoit une définition très large dans le projet de loi. Si on l'analyse, on constate que sont englobés toute fiducie ou tout fonds détenu en totalité ou en partie pour des membres d'une organisation ouvrière.

À cause de l'extension de cette définition, il y a toujours beaucoup de fiducies et de fonds au Canada qui sont visés par le projet de loi, car ils sont nombreux à être détenus en totalité ou en partie dans l'intérêt de syndiqués.

Par exemple, nous avons établi...

Le président : Je vous invite à conclure sous peu afin que nous passions aux questions.

M. Mazzuca : Je vais faire le plus rapidement possible.

Il y a notamment les régimes collectifs d'épargne-retraite, les régimes supplémentaires de retraite, les régimes compensatoires et les fonds de fiducie pour les indemnités de congés payés. Le projet de loi n'exclut même pas les fonds prévus par la loi; on pourrait soutenir qu'il vise par exemple les fonds provinciaux d'indemnisation des travailleurs. Nous avons soutenu et soutenons toujours que le projet de loi ne devrait pas viser les fiducies de syndicat.

En ce qui concerne le secret professionnel qui lie l'avocat à son client, j'affirme que nous avons demandé au départ et demandons toujours que le projet de loi prévoie une large exemption pour les documents et les renseignements protégés par le secret professionnel.

Merci de votre temps. J'ai hâte d'entendre vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Nous entendrons maintenant M. Gilles Trudeau, du Barreau du Québec.

[Français]

Gilles Trudeau, représentant, Barreau du Québec : Je remercie ce comité du Sénat de donner l'occasion au Barreau du Québec d'exprimer ses vues sur ce projet de loi. Le Barreau du Québec est l'ordre professionnel qui regroupe les 24 000 avocats du Québec.

Nous avons, bien sûr, regardé de près ce projet de loi, qui se veut une modification à la Loi de l'impôt sur le revenu du gouvernement fédéral, du législateur fédéral. À titre de législation fiscale, cependant, il faut bien voir que c'est une loi qui réglemente directement la gestion interne des syndicats. À cet égard, comme il a déjà été mentionné par mon confrère du Barreau canadien, et aussi par mon confrère de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, nous partageons certaines inquiétudes quant à la validité constitutionnelle de ce projet de loi. Je vous les mentionne rapidement et j'espère que nous aurons l'occasion de les approfondir.

Premièrement, nous nous demandons quelle est l'avantage de réglementer de façon spécifique la gestion interne des syndicats. Explicitement, le projet de loi vise la transparence financière de la gestion des syndicats, par une loi qui se veut de nature fiscale. On doute de l'opportunité de cibler de cette façon les organisations ouvrières en invoquant que, parce qu'elles bénéficient de subventions publiques, elles doivent rendre publique leur gestion interne, du moins tous les aspects financiers et, vous le savez, avec moult détails.

L'objet de ce projet de loi, au-delà de son titre — et c'est ce qu'il faut regarder lorsqu'on tente de voir quelle est la validité constitutionnelle d'un projet de loi —, de par son contenu, est véritablement une loi qui vise un acteur des relations de travail et donc une loi qui vise les relations de travail. À cet égard, nous avons des soucis majeurs en termes de validité constitutionnelle. Le premier, très important, est le suivant : au Canada, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, la réglementation des relations de travail relève du pouvoir exclusif des provinces. Le législateur fédéral a une compétence d'exception à l'égard des relations de travail dans les entreprises qui exercent des activités de nature fédérale. Or, ce n'est pas le cas de ce projet de loi qui ne vise spécifiquement aucune activité fédérale pour en réglementer les relations de travail, de sorte que, en vertu de notre Constitution, seules les provinces ont ce pouvoir de réglementer la gestion interne d'un acteur des relations de travail et des relations industrielles au Canada comme tente de le faire actuellement le projet de loi dont nous sommes saisis.

De ce côté, il y a certainement un souci majeur. J'entendais le député Hiebert dire qu'il s'agissait d'une question de level playing field.

Bien sûr, toutes les obligations de divulgation auxquelles les syndicats sont assujettis au Canada diffèrent puisque, justement, c'est une question de législation provinciale et chacune des législations provinciales peut être différente de l'autre.

Cependant, nous vous soumettons qu'il y a une obligation large de divulgation des informations financières recherchées par ce projet de loi qui est imposée aux syndicats dans plusieurs lois provinciales de relations de travail, y compris le Code du travail du Québec, mais ce sont des lois de droit du travail. Ce sont des lois de relations de travail et non pas des lois fiscales.

Aux États-Unis, la Landrum-Griffin Act est une loi relative aux relations de travail. Il s'agit d'un amendement à la Labour Relations Management Act de 1935. Ce n'est donc pas une loi fiscale. De ce côté, nous entretenons de sérieux doutes quant à la validité constitutionnelle de ce projet de loi.

De plus, ce n'est pas parce qu'un comité de la Chambre des communes dit que c'est constitutionnel que cela empêchera les débats constitutionnels de se dérouler devant les tribunaux canadiens, y compris la Cour suprême du Canada. Vous savez comme moi que beaucoup de cas sont validés par les législatures provinciales ou par le Parlement et qui, par la suite, sont invalidés par les tribunaux.

Notre deuxième souci par rapport à la validité de ce projet de loi, c'est la question du secret professionnel. Cela a été largement commenté par mon collègue et ce le sera aussi. Nous partageons entièrement les mêmes vues. D'ailleurs, le Barreau du Québec est membre de la Fédération canadienne des ordres de juristes du Canada.

Notre troisième souci constitutionnel concerne les activités politiques des syndicats et l'obligation de divulgation détaillée qu'impose ce projet de loi quant à ces activités. N'oublions pas que c'est non seulement le montant spécifique des dépenses au-delà de 5 000 $, mais c'est aussi le nom des payeurs et des bénéficiaires qui doivent être mentionnés.

Les activités politiques d'un syndicat sont au cœur de ses activités. Un syndicat protège les intérêts de ses membres auprès des employeurs, mais également auprès des législatures. Cela fait partie de son champ d'activités central. Cette question de lobbying et d'activités politiques est au centre de ses activités.

Il y a donc une inquiétude quant à l'empiètement sur une liberté fondamentale, soit la liberté d'expression des syndicats, quant à la divulgation publique qu'on va exiger du détail de leurs activités politiques. Il y a un souci majeur. Nous avons le même souci par rapport à une autre liberté garantie par la Charte canadienne des droits et libertés : la liberté d'association.

On demande aux syndicats de divulguer dans le détail leurs activités de lobbying, leurs activités politiques, leurs activités de formation et d'information, le salaire de leurs officiers et ainsi de suite. Ce projet de loi exige des informations névralgiques qui, nécessairement, se situent au centre de ce qu'on appelle la liberté d'association, qui est une liberté garantie par la Constitution.

À cet égard, l'empiétement éventuel du projet de loi dans la liberté d'association ne pourra pas tenir s'il est contesté devant les tribunaux, à moins de le législateur réussisse à démontrer un intérêt supérieur qui justifierait cet empiétement. Le Barreau du Québec a aussi une inquiétude quant à la validité constitutionnelle et à la confidentialité.

Je m'en remets à ce qui a été dit et je vous remercie infiniment.

[Traduction]

John J.L. Hunter, c.r., président sortant, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs, de nous permettre de participer à cette passionnante discussion.

Je comparais au nom de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Pour que vous sachiez à qui vous avez affaire et ne pensiez pas que nous faisons double emploi, je dirai que M. Mazzuca représente l'Association du Barreau canadien qui regroupe les juristes au Canada. Pour ma part, ma clientèle, ce sont les ordres professionnels de juristes, c'est-à-dire les organismes de réglementation, une composante du dispositif d'autoréglementation des ordres de juristes, et le Barreau du Québec est l'un des membres importants de la fédération. Nous comparaissons à titre de porte-parole national des organismes de réglementation dans le domaine juridique.

Je me présente avec des préoccupations un peu plus étroites que celles de mes collègues. La fédération n'est pas ici pour prendre position sur la constitutionnalité du projet de loi ou son bien-fondé. Nous comparaissons pour la même raison que nous l'avons fait l'an dernier pour une mesure législative différente — et il est sûr que certains de mes successeurs comparaîtront aussi pour d'autres lois dans l'avenir. Cette raison, c'est que les organismes de réglementation se préoccupent de l'importante protection du secret professionnel et des renseignements qui doivent être protégés par suite de la relation entre l'avocat et son client. Je suis sûr que tous les sénateurs ici présents sont conscients de l'importance de ce privilège et de l'importance que les tribunaux y attachent. Pour nous, organismes de réglementation, c'est là un thème constant. Nous estimons que cela fait partie de notre responsabilité. Chaque fois qu'une loi portant sur la communication de renseignements risque d'empiéter sur le secret professionnel, il nous semble important d'intervenir et de rappeler à tout le monde l'importance de ce secret et aussi d'aborder de façon constructive les enjeux découlant des lois qui soulèvent des problèmes de communication d'information.

Je suis très conscient, comme vous devez l'être, du fait que le projet de loi a changé depuis sa première mouture. Au départ, il ne contenait aucune disposition pour protéger le secret professionnel qui lie l'avocat à son client. Maintenant, il y en a. Il y a dans deux paragraphes des dispositions qui soustraient les éléments secrets à l'obligation de divulgation. Nous faisons avec grand plaisir cette constatation, car il semble que les promoteurs du projet de loi semblent avoir l'intention de montrer que, dans le projet de loi, ils n'ont pas la volonté ni l'objectif de faire communiquer des renseignements secrets. Voilà qui nous semble positif et constructif.

La difficulté que nous avons, cependant, c'est que le projet de loi a été amendé de façon telle que les exceptions ne s'appliquent qu'à l'égard de deux des 20 paragraphes du texte. Elle confère ainsi au projet de loi une ambiguïté dont nous aurions pu nous passer. Je pars de l'hypothèse que les promoteurs du projet de loi reconnaissent qu'il est important à tous égards de ne pas exiger la communication de renseignements secrets. Je tire cette hypothèse du fait que, aux alinéas (xix) et (xix.1), des dispositions protègent expressément les renseignements visés par le secret professionnel. Si je me trompe au sujet des intentions des auteurs et s'ils ne veulent assurer cette protection qu'à l'égard de deux catégories et non pour le reste du projet de loi, l'intention des auteurs nous inquiète, car nous pensons qu'on devrait vouloir, de façon générale, que les renseignements confidentiels soient protégés. D'après ce que je comprends, l'intention qui sous-tend le projet de loi n'est pas d'exiger que les syndicats communiquent des renseignements secrets. C'est plutôt de les obliger à communiquer des renseignements financiers d'une autre nature.

À supposer que j'aie raison d'interpréter l'intention de l'auteur comme je le fais parce que ces dispositions ont été ajoutées au projet de loi, c'est le libellé qui fait problème. Le problème est simple. En prévoyant ces exemptions dans seulement deux paragraphes et non dans les autres éléments du projet de loi, on fait naître une ambiguïté qui ne peut faire autrement que mener à des litiges et à des difficultés inutiles. Je dis « inutiles » parce que, si l'intention est bien d'empêcher la communication de renseignements confidentiels, une façon très simple d'y veiller est de prévoir, comme nous le proposons dans le mémoire que nous vous avons remis, un paragraphe qui dispose que rien, dans ces dispositions, n'exige la communication de renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client. Cela suffirait. J'espère que c'est une idée constructive, car si telle est bien l'intention que traduisent ces exceptions limitées, ce type d'amendement fera l'affaire.

Si le texte reste tel quel, il sera entaché d'ambiguïté. Voici un exemple rapide. Un syndicat s'adresse à un avocat pour obtenir des conseils en matière de négociations collectives, ce qui n'est pas anormal pour un syndicat. Il veut avoir des conseils, connaître ses droits et savoir comment s'y prendre, tout en respectant la loi. Il veut une aide compétente dans les négociations. L'avocat envoie une facture. Supposons qu'elle soit de plus de 5 000 $. S'agit-il d'un déboursé?

Le président : Tout le monde le comprend.

M. Hunter : Est-ce un déboursé que fait le syndicat pour des activités juridiques ou un déboursé pour des activités de négociation collective? Dans le premier cas, le renseignement est protégé, et il n'a pas à être communiqué. Par contre, si le déboursé est fait pour des activités de négociation collective, ce n'est pas un renseignement protégé dans le projet de loi tel qu'il est actuellement libellé. Si le déboursé se rapporte aux deux types d'activité, ce qui est probablement le cas, que doit faire le syndicat? Quand est-il en règle et quand ne l'est-il pas? Tout cela peut se régler — et je présume ne pas me tromper au sujet de l'intention du législateur, sinon pourquoi ces dispositions auraient-elles été ajoutées? — en insérant les deux lignes que nous avons proposées et qui vaudraient pour l'ensemble du projet de loi et régleraient toute la question du secret professionnel.

Le président : Merci, monsieur Hunter.

Commençons les questions, et je donne la parole d'abord au sénateur Oliver.

Le sénateur Oliver : Ma question fait suite aux autres questions posées au sujet de la constitutionnalité et de la Charte des droits et libertés, qui protègent les libertés d'expression et d'association. Il a été dit que la meilleure façon de contourner le problème, si problème il y a, est de supprimer deux articles du projet de loi proposé. À défaut de cette suppression, avez-vous pensé à d'autres façons de modifier le libellé afin de protéger pleinement les libertés d'association et d'expression aux termes de la Charte pour que celle-ci ne soit pas enfreinte et que soit évitée toute issue négative, s'il y avait une contestation fondée sur la Charte?

M. Mazzuca : D'après l'Association du Barreau canadien, la constitutionnalité des aspects est une préoccupation plus large qui ne se limite pas à deux articles en particulier. À mon sens, c'est l'ampleur de la communication de renseignements exigée globalement qui risque de constituer une dérogation à la Charte. Ce ne sont pas les deux articles particuliers que vous avez soulignés.

Le sénateur Oliver : Avez-vous rédigé des amendements qui porteraient sur l'ensemble de la divulgation?

M. Mazzuca : Non, nous ne l'avons pas fait. La seule chose que l'Association du Barreau canadien ait faite, c'est proposer à l'autre chambre un libellé au sujet des fiducies de syndicat. Mais cela ne règle pas les préoccupations sur lesquelles nous avons insisté à propos de la constitutionnalité.

Le sénateur Oliver : Dans vos observations, vous avez exprimé des préoccupations au sujet d'un grand nombre de fiducies et de fonds. Qu'aviez-vous en tête au juste lorsque vous avez parlé des REER collectifs?

M. Mazzuca : Si un REER collectif est détenu en totalité ou en partie dans l'intérêt de syndiqués, on pourrait fort bien prétendre qu'il répond à la définition de fiducie de syndicat. Or, aux termes du projet de loi, une fiducie de syndicat a les mêmes obligations de communication de renseignements qu'une organisation ouvrière. Un REER collectif devrait fournir tous les renseignements exigés dans le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci d'être avec nous ce soir. Ma question ne concerne pas le volet juridique parce que je comprends vos arguments juridiques, mais plutôt le volet pratique, à savoir toute l'information demandée. C'est lourd et c'est beaucoup. Le proposant déclare cependant que l'information demandée est approximativement comparable à l'expérience américaine; est-ce bien le cas?

M. Trudeau : Je ne suis pas au courant du détail des exigences américaines posées par la Landrum-Griffin Act. Je me doute que la législation proposée ici est fort semblable. Je ne commenterai pas parce que ce n'est pas dans mon mandat de commenter les circonstances dans lesquelles la Landrum-Griffin Act a été adoptée aux États-Unis ni, non plus, la philosophie de la législation américaine à l'égard des relations de travail.

Cependant, et là encore, je veux bien marquer le fait que le Barreau du Québec ne représente pas les syndicats, mais nous sommes préoccupés par l'aspect constitutionnel, par le respect de la Constitution canadienne par rapport à ce projet de loi.

Dans ce cadre, il est entendu qu'à la lecture même du projet de loi, on constate la somme des informations requises et il est de compréhension commune que de remplir et de suivre chacune des transactions financières qui doit être déclarée et de les inclure avec toutes les informations requises sur les noms, l'objet, et cetera, va requérir une somme importante des ressources syndicales.

De ce fait, cette exigence touche à l'exercice de la liberté d'association puisque cela touche aux activités mêmes et au choix de l'allocation des ressources des syndicats par rapport aux activités que ces syndicats poursuivent. Les activités des syndicats touchent au cœur de la liberté d'association. En requérant une somme d'informations aussi importante seulement sur le plan bureaucratique, cela exige des ressources syndicales importantes qui ne seront pas allouées, payées par les cotisations des membres, et qui ne seront pas allouées à l'objet même de ces associations qui sont la défense des intérêts professionnels et politiques des membres du syndicat.

Le sénateur Massicotte : Maître Mazzuca, êtes-vous au courant si les exigences sont comparables à l'expérience américaine?

[Traduction]

M. Mazzuca : Je ne suis certainement pas un spécialiste en droit américain et ne prétendrai pas l'être. Pour peu que je connaisse la loi américaine, c'est une loi qui porte sur le travail. Sauf erreur, les renseignements sont communiqués au département américain du Travail. Et sauf erreur, les communications au département sont mutuelles, en ce sens qu'elles doivent venir aussi bien des employeurs que des syndicats, et je crois qu'il y a des seuils à atteindre avant de devoir communiquer les renseignements. Seuls les syndicats d'une certaine taille sont assujettis à cette obligation.

Le sénateur Massicotte : Aux États-Unis, il y a trois niveaux, selon la taille du syndicat. Les très grands syndicats doivent aussi divulguer toutes les transactions de plus de 5 000 $. Le projet de loi est vague. Il emploie le terme « état ». Le texte législatif manque de clarté. Par contre, d'après ce que je lis dans les annexes au sujet de ce qu'on exige aux États-Unis, on peut soutenir qu'il y a une grande similitude, à ceci près que les dispositions américaines sont plus claires et précises et qu'elles ne n'appliquent qu'aux grands syndicats. La question s'appliquerait aux petits syndicats parce que, dans la proposition de loi, l'exigence est la même, peu importe la taille du syndicat, et certains syndicats n'ont pas forcément les ressources voulues pour fournir ce type d'information.

[Français]

Le sénateur Maltais : Pour faire suite à une remarque du sénateur Campbell qui disait que ce projet de loi était de la viande rouge pour les conservateurs, je lui rappelle qu'on mange notre steak bleu.

Merci beaucoup, messieurs, d'être ici. Bienvenue. Je suis heureux de vous voir. Vous êtes trois sommités en droit; vous êtes ceux qui représentent à peu près tous les avocats du Canada et je suis vraiment heureux de vous voir ici.

Les projets de loi sont rédigés à la Chambre des communes par des légistes qui sont des avocats. Peut-être qu'après la rencontre vous devriez rencontrer vos membres et mieux les former; nous aurions des projets de loi mieux structurés. C'est vos membres qui paient ces cotisations et les projets de loi sont tous croches!

Peut-être devriez-vous, après la réunion, vous rendre à la Chambre des communes, rassembler les gens du Québec et du Canada, et former de bons légistes. Vous éviteriez ainsi de venir perdre votre temps ici.

Maître Trudeau, vous avez beaucoup parlé du droit qu'ont les syndicats de faire de la politique — et je suis d'accord avec vous. Quelle définition donnez-vous à ces droits politiques?

Je lis les journaux après chaque campagne électorale. La moitié des syndicats au Québec sont condamnés par le DGE pour s'être infiltrés dans une campagne électorale et avoir fait des dépenses non déclarées. Pouvez-vous définir exactement le droit de faire de la politique, comme vous l'avez bien dit dans votre mémoire? Il faut que ce soit légal, parce que le DGE a aussi des avocats.

M. Trudeau : Votre question est fort intéressante. Je n'entends pas, par politique ou activités politiques syndicales, principalement de l'activité partisane. La pratique est à la mode, particulièrement au Québec. Le fait de soutenir financièrement un parti politique peut être inclus dans une définition de lobbying syndical au point de vue politique. Les syndicats aux États-Unis et au Canada ont toujours soutenu, selon leurs intérêts, un parti politique plutôt qu'un autre au palier fédéral ou provincial. Les activités politiques d'un syndicat sont toutefois beaucoup plus larges. Il s'agit de s'assurer que les intérêts des travailleurs soient bien représentés auprès des décideurs politiques, ou quelque instance politique que ce soit. D'ailleurs, une partie du mouvement syndical canadien, et américain d'ailleurs, est uniquement dévolue à ces activités. Le premier est le Congrès du travail du Canada. Le CTC ne fait pas de négociation collective. Ce sont les syndicats membres qui en font. Le CTC est un regroupement des syndicats provinciaux, des fédérations provinciales, au niveau fédéral, pour faire des activités de lobbying, des activités de représentations politiques au niveau canadien.

Dans chacune des provinces canadiennes, il y a une fédération du travail. Au Québec, c'est la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. Le mandat de ces fédérations n'est pas la négociation collective. La négociation collective est assumée par les syndicats membres de la FTQ. La FTQ a pour mandat essentiellement de s'assurer, à tous les niveaux des instances politiques, que les intérêts des travailleurs qui sont membres des associations membres de la FTQ sont bien représentés. Cela inclut, bien sûr, les dépenses électorales. Toutefois, ce n'est certainement pas l'essence ni le cœur des activités politiques.

Ce projet de loi ne discrimine aucunement par rapport aux dépenses. On demande une déclaration qui sera rendue publique dans une loi qui se veut fiscale. On demande une déclaration de la proportion des activités du personnel dévolu aux activités strictement politiques. On demande de divulguer, sous le chapeau de l'aspect financier, le détail de chacune de ces dépenses de nature politique dès lors qu'elles sont au-delà de 5 000 $. Dans ce sens, on touche, par ce projet de loi, à la liberté politique et donc à la liberté d'expression. On peut penser qu'on touche à ces aspects qui sont ici garantis par la Constitution canadienne et la Charte canadienne des droits et libertés.

La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup d'être ici. J'apprécie énormément vos commentaires, qui tendent à nous réaffirmer que ce projet de loi n'est pas constitutionnel, qu'il empiète dans des champs de juridiction des provinces d'abord, et ne se conforme pas à la Charte canadienne des droits et libertés.

Au début de mes recherches, j'ai demandé à trois organisations, par le biais de l'accès à l'information, au niveau du Conseil privé, du ministère des Finances et du bureau du premier ministre, de m'envoyer des documents d'opinions juridiques qu'ils auraient reçus, étant donné qu'ils ont appuyé ce projet de loi à la Chambre des communes. Cette demande a été formulée au début du mois de mars et nous sommes le 22 mai. Je n'ai encore reçu aucune information.

Vous comprendrez que, tout à l'heure, lors de la comparution du premier témoin, qui est le parrain du projet de loi, je n'étais pas de très bonne humeur lorsqu'on nous a indiqué qu'aucun expert n'avait témoigné à la Chambre des communes et que le ministre avait appuyé ce projet de loi.

Quatre-vingt-dix pour cent des syndicats accrédités au pays le sont par les gouvernements provinciaux à travers les différents codes du travail. Dix pour cent reçoivent cette accréditation par le Code fédéral du travail. Celui-ci s'équilibre du fait que les mêmes demandes d'information des membres sont présentes tant au niveau des associations de travailleurs qu'au niveau des associations d'employeurs, qui ont à transiger en matière de relations ouvrières.

Comment expliquer, malgré le fondement naturel où un gouvernement est censé adopter des lois pour la paix et la bonne gouvernance, que ce projet de loi, de prime abord, si je le lis correctement, et je ne suis pas convaincue qu'il ne s'applique qu'aux organisations syndicales...

[Traduction]

Le président : Sénatrice, vous allez utiliser tout votre temps pour votre entrée en matière. Je voudrais qu'on puisse avoir une réponse à une question.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Y a-t-il une façon d'amender un tel projet de loi pour que, tout d'abord, il devienne constitutionnel?

M. Trudeau : La question a été partiellement ou largement traitée. Les prétentions ou la soumission du Barreau du Québec, c'est que c'est l'objet même du projet de loi qui est problématique face à la Constitution canadienne. Ce n'est pas une disposition en particulier, mais l'ensemble du projet de loi. Cet ensemble législatif ou ce projet de loi comme tel pose des difficultés, des préoccupations de nature constitutionnelle par rapport à plusieurs champs, et on les a énumérés.

Le premier est la compétence fédérale en matière de travail qui est très limitée, exceptionnelle et, comme vous le dites, limitée à des employeurs et des syndicats qui transigent dans des secteurs d'activité fédérale. Or, ce n'est pas le cas ici.

Une question antérieure soulevait une difficulté. Bien que nous représentions, tous les trois ici, l'ensemble des juristes du Canada, des avocats du Canada, on va tous, en tant que professionnels, émettre une opinion sur la validité constitutionnelle. On le fera au meilleur de nos connaissances et de notre expertise. À moins que ce soit tellement évident et que la réponse soit blanche ou noire, généralement, en ces matières, il y a aussi de l'argumentation. On l'a vu. Il y a une façon de présenter un projet de loi qui peut soulever des doutes à clarifier, dépendamment de l'auditeur. Ce sont les tribunaux qui tranchent ces questions.

En matière de validité constitutionnelle, le législateur a beau adopter en croyant être à l'intérieur de ses pouvoirs, le dernier mot appartiendra non pas aux juristes du gouvernement ou aux ordres professionnels, mais aux tribunaux et à la Cour suprême. Vous avez sûrement, comme moi, lu les jugements en matière constitutionnelle de la Cour suprême. Ils sont neuf juges. Bien souvent les neuf juges ne s'entendent pas eux-mêmes sur le sort à donner aux litiges constitutionnels qu'ils doivent trancher.

Ainsi, personne ne pourra vous dire de façon certaine que ce projet de loi sera déclaré inconstitutionnel. Mais la majorité des arguments, des préoccupations que nous exprimons, militent en faveur d'un problème de nature constitutionnelle qui immanquablement — je pense qu'on peut s'entendre là-dessus — sera présenté devant les tribunaux.

Alors quelle est l'utilité pour un législateur de présenter une loi dont les assises constitutionnelles sont problématiques?

[Traduction]

Le sénateur Segal : J'ai une question à poser au groupe de témoins. Je n'exclus pas M. Hunter, mais il a été précis au sujet de la préoccupation particulière qu'il veut faire valoir auprès du comité. Son point de vue sur la question est bien fondé. Je voudrais poser aux deux autres témoins, si je peux, la question de l'oppression.

En droit des affaires, l'idée qu'une entreprise prenne des décisions qui favorisent un groupe d'intéressés plutôt que d'autres ou une série de comptes débiteurs au détriment d'une autre fait intervenir l'idée d'oppression. Pourquoi tous ne sont-ils pas traités de la même façon? Je trouve frappant que le projet de loi, quelle que soit l'intention qui y préside, ait pour effet d'imposer aux syndicats une série d'exigences dont vous avez dit précisément et clairement qu'elles ne sont pas imposées à d'autres joueurs qui participent à la même partie. Il se peut que les sociétés, petites, ouvertes ou privées, aient d'autres règles sur la communication d'informations, mais non dans ce contexte.

Dans le contexte juridique, abstraction faite des questions de constitutionnalité, de protection du secret professionnel et de contournement de la législation provinciale par le recours à la législation fiscale fédérale sans pour autant éluder les problèmes constitutionnels, y aurait-il un autre problème sous l'angle de l'équilibre et de l'équité dans les négociations collectives? Dans la loi, le gouvernement fédéral semblerait défavoriser les syndicats par la loi fiscale de manière telle que le processus de négociation serait intrinsèquement injuste, car une partie serait soumise à des exigences de divulgation auquel l'autre partie échapperait.

Je suis conscient du fait que ma question est orientée.

M. Mazzuca : Dans nos mémoires, nous considérons l'injustice en grande partie du point de vue de la constitutionnalité. Ils n'abordent pas la question sous l'angle que vous proposez.

Dans nos mémoires de septembre, nous déplorons que ce type de réglementation des relations de travail se fasse par l'intermédiaire d'un code fiscal. En soi, cela fait douter du bien-fondé du projet de loi.

[Français]

M. Trudeau : Tout à fait. Toutefois, votre question soulève avant tout une question politique. Car si vous mettez de côté, comme vous le suggérez, les arguments constitutionnels, le législateur est souverain. Il peut donc adopter une loi qui n'est pas équilibrée en termes de relations de travail, qui peut avoir un biais anti-syndical ou anti-patronal. Le législateur est libre d'adopter une loi comme il l'entend, mais le législateur doit respecter la Constitution lorsqu'il adopte une loi. On est obligé, même avec vos arguments. S'il n'y avait pas cet argument constitutionnel, ce serait une question politique. Est-ce que le parti au pouvoir, qui contrôle la Chambre des communes, était bien avisé, sur le plan politique, de proposer un projet de loi de comme celui-ci? C'est purement politique.

Sur le plan juridique, c'est la Constitution qui est impliquée. Or, la Constitution canadienne, particulièrement depuis 1982, contient une Charte canadienne des droits et libertés qui lie le législateur fédéral, les législateurs provinciaux, les municipalités, et cetera. Cette Charte contient une liberté spécifique, la liberté d'association, qui est protégée constitutionnellement contre des violations, des entraves injustifiées de la part du législateur. Or, la Cour suprême du Canada reconnaît depuis maintenant un bon nombre d'années — cela a été vraiment consacré en 2007 dans l'arrêt B.- C. Health Services dont nous parlons dans notre mémoire du Barreau — qu'au cœur de la liberté d'association se situent aussi les activités syndicales liées à la négociation collective.

Cela fait partie de la Constitution canadienne. Alors, lorsqu'on a un projet de loi qui vise spécifiquement le syndicat, acteur de la négociation collective, protégée constitutionnellement, et qu'on demande à ce syndicat de déclarer publiquement des informations qui sont sensibles par rapport à la mission du syndicat — qui est protégée constitutionnellement, du moins lorsqu'il s'agit d'exercer des activités de négociations collectives et de défense de ses membres —, nécessairement, ce biais que vous invoquez, qui pourrait autrement être un problème politique, devient un problème constitutionnel à cause de la Charte canadienne des droits et libertés, et de la liberté d'association. C'est cela qui interpelle le Barreau du Québec, comme mes collègues d'ailleurs. C'est là un argument qu'on ne peut pas ignorer lorsqu'on est législateur. C'est la loi fondamentale du pays.

[Traduction]

La sénatrice Ringuette : Qu'en est-il si une organisation ouvrière signe un contrat de plus de 5 000 $, qu'il s'agisse de ressources humaines ou de services, et si ce contrat contient une clause de non-divulgation?

[Français]

M. Trudeau : Ce n'est pas le Barreau du Québec qui parle, mais vous demandez une opinion légale. Je vous dirais, par réflexe, que la loi a préséance sur le contrat.

[Traduction]

M. Mazzuca : Il est rare que des juristes s'entendent sur un sujet ou un problème, mais je suis d'accord avec M. Trudeau.

Le président : Quelle belle manière de conclure. Au nom de tous les membres du comité, je remercie beaucoup les témoins. Vous nous avez beaucoup aidés à comprendre le projet de loi.

(La séance est levée.)


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